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Astreinte : le code du travail contraire au droit de l’Union européenne

Astreinte : le code du travail contraire au droit de l’Union européenne

La notion de l’astreinte a été introduite dans le code du travail en 2000 par la loi Aubry II (L. n° 2000-37, 19 janv. 2000) puis modifiée par la loi Travail (L. n° 2016-1088, 8 août 2016). L’article L. 3121-9 du code du travail précise désormais que l’astreinte est la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.

Durant l’astreinte, le salarié est dans une phase d’attente d’un éventuel ordre d’intervention au profit de son employeur. Si la qualification de la période durant laquelle il intervient effectivement ne pose pas de difficultés, il n’en va pas de même du temps d’inactivité. L’article L. 3121-9 précité dispose logiquement que la première est considérée comme du temps de travail effectif, et la Cour de cassation y assimile la durée du déplacement pour réaliser l’intervention (Soc. 31 oct. 2007, n° 06-43.834, Bull. civ. V, n° 183 ; Dalloz actualité, 13 nov. 2007, obs. S. Maillard ; D. 2007. 3109, obs. S. Maillard image, note C. Lefranc-Hamoniaux image ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta image ; Dr. soc. 2008. 248, obs. C. Radé image ; RDT 2008. 41, obs. M. Véricel image). Pour le second, le débat est permis.

Le temps d’inactivité du salarié durant l’astreinte n’est certes pas un temps pendant lequel il travaille. Pour autant, l’obligation d’être disponible pour intervenir en cas de besoin peut interroger sur l’opportunité de la qualifier de temps de repos. C’est le choix qu’a fait le législateur en retenant qu’en dehors des temps d’intervention la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale des repos quotidien et hebdomadaire (C. trav., art. L. 3121-10). Le code du travail a été modifié en ce sens en 2003, anéantissant une position contraire de la Cour de cassation.

Cette dernière avait en effet refusé de retenir comme temps de repos les périodes d’inactivité durant l’astreinte. Confirmant qu’il ne s’agissait pas de temps de travail effectif, les juges du droit justifiaient leur position en soulignant qu’un temps de repos suppose que le salarié soit totalement dispensé, directement ou indirectement, sauf cas exceptionnels, d’accomplir pour son employeur une prestation de travail même si elle n’est qu’éventuelle ou occasionnelle (Soc. 10 juill. 2002, n° 00-18.452, Bull. civ. V, n° 238 ; D. 2003. 935 image, note G. Vachet image ; ibid. 2002. 3110, obs. T. Aubert-Monpeyssen image ; Dr. soc. 2002. 939, note J.-E. Ray image).

Si le débat semble clos à la suite de la modification du code opérée en 2003, il convient néanmoins de prendre en compte le droit européen.

Ainsi, le Comité européen des droits sociaux a déjà eu l’occasion de préciser que l’assimilation du temps d’astreinte hors intervention à du temps de repos constitue une violation du droit à une durée raisonnable du travail prévue par l’article 2, § 1, de la Charte sociale européenne (CEDS 12 oct. 2004, réclamation collective n° 16/2003, CFE-CGC c. France). Selon cette disposition, les parties signataires de la Charte s’engagent notamment, afin d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire.

La position française n’a pas pour autant été modifiée.

La décision de la CJUE rendue le 9 mars 2021 constitue un nouveau coup de boutoir dans notre législation. Celle-ci est rendue dans le cadre d’une question préjudicielle transmise par la Cour suprême de la Slovénie. Cette dernière intervenait à propos d’un litige relatif à la rémunération de périodes d’astreintes. Le requérant, un travailleur slovène qui devait, durant ses périodes d’astreinte, répondre aux appels de son employeur et rejoindre au besoin son lieu de travail (sommet d’une montagne) dans l’heure, réclamait le paiement des périodes d’astreinte comme du temps de travail normal au regard des contraintes subies durant ces périodes. Bénéficiant d’un logement sur le lieu de travail sans obligation de l’occuper, il y séjournait pourtant et arguait du manque d’activités envisageables dans le secteur à l’appui de sa requête.

La question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lequel fixe les définitions des différentes notions envisagées dans la directive. L’article 2 ne contient pas de définition de l’astreinte, visant les seules notions de temps de travail, périodes de repos, périodes nocturnes, travailleur de nuit, travail et travailleur posté, travailleur mobile, activité offshore et enfin repos suffisant.

Le renvoi préjudiciel interrogeait la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le fait de savoir si l’article 2 doit être interprété en ce sens que la période d’astreinte durant laquelle un travailleur doit être joignable et pouvoir rejoindre son lieu de travail, en cas de besoin, dans un délai d’une heure constitue du temps de travail, et si la mise à disposition, au profit de ce travailleur, d’un logement de fonction, en raison de la nature difficilement accessible de son lieu de travail, et le caractère peu propice aux activités de loisir de l’environnement immédiat de ce lieu de travail sont à prendre en considération dans le cadre d’une telle qualification.

Dans sa motivation, le juge européen relève l’importance du droit des travailleurs à des durées maximales de travail et à des périodes de repos, et le fait que la directive ne comporte pas de temps intermédiaire entre le temps de travail et le temps de repos. Il en conclut que la période d’astreinte correspond nécessairement à l’une ou l’autre de ces deux catégories. La CJUE précise également que les États membres ne sauraient déterminer unilatéralement la portée des notions de temps de travail et de période de repos, en subordonnant à quelque condition ou à quelque restriction que ce soit le droit, reconnu directement aux travailleurs par la directive, à ce que les périodes de travail et, corrélativement, celles de repos soient dûment prises en compte, toute autre interprétation ayant pour conséquence de tenir en échec l’effet utile de la directive 2003/88 et de méconnaître sa finalité. Il est enfin rappelé dans l’arrêt qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice qu’une période durant laquelle aucune activité n’est effectivement exercée par le travailleur au profit de son employeur ne constitue pas nécessairement une période de repos.

Dans sa jurisprudence antérieure, la CJUE a déjà retenu qu’il convenait de qualifier l’intégralité d’une période d’astreinte de temps de travail, au sens de la directive 2003/88, lorsqu’en considération de l’impact objectif et très significatif des contraintes imposées au travailleur sur les possibilités, pour ce dernier, de se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux, elle se distingue d’une période au cours de laquelle le travailleur doit uniquement être à la disposition de son employeur afin que ce dernier puisse le joindre (CJUE 21 févr. 2018, Matzak, aff. C‑518/15, Dalloz actualité, 23 févr. 2018, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2018. 367 image ; AJFP 2018. 150 image, obs. S. Niquège image ; AJCT 2018. 344, obs. A. Aveline image ; RDT 2018. 449, obs. D. Gardes image). La portée de cet arrêt au regard du droit français était discutée.

Dans son arrêt du 9 mars 2021, la Cour décide que relève de la notion de « temps de travail », au sens de la directive 2003/88, l’intégralité des périodes d’astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel son travail n’est pas sollicité et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Elle précise qu’inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une telle période n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du temps de travail.

Le juge de Luxembourg ajoute que seules les contraintes qui sont imposées au travailleur, que ce soit par la réglementation, une convention collective ou son employeur peuvent être prises en considération afin d’évaluer si une période d’astreinte constitue intégralement du temps de travail. À l’inverse, les difficultés qui sont la conséquence d’éléments naturels ou du libre choix du salarié ne sauraient être prises en compte.

En présence d’une astreinte, il appartient ainsi aux juridictions nationales de vérifier si la qualification de temps de travail ne s’impose pas eu égard aux conséquences que les contraintes imposées au travailleur occasionnent sur sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de se consacrer à ses propres intérêts. Dans cette recherche, la Cour invite tout particulièrement le juge national à se pencher sur le délai dont dispose le salarié pour se rendre sur le lieu de l’intervention et, dans une moindre mesure, sur la fréquence moyenne des interventions par astreinte. Un délai de quelques minutes et une fréquence élevée d’interventions durant les astreintes s’opposent à la planification d’activités personnelles par le salarié et doivent par principe conduire à retenir la qualification de temps de travail. À défaut de voir retenue cette qualification, c’est celle de temps de repos qui s’applique selon la décision (à l’exception bien sûr du temps d’intervention), et ce en raison de la conception binaire temps de travail/temps de repos adoptée par le droit européen.

Face à cette position du juge de l’Union européenne, l’article L. 3121-10 du code du travail susvisé assimilant de manière intangible les temps d’attente durant l’astreinte à des périodes de repos paraît désormais devoir être nuancé. Il s’avère contraire au droit de l’Union tel qu’interprété par la CJUE dans la présente décision, sauf à considérer – ce qui nous paraît difficile – que le salarié ne serait pas en astreinte si les contraintes sont trop fortes. Il convient de rappeler que la décision, rendue dans le cadre d’une question préjudicielle en interprétation, s’impose à toutes les juridictions nationales saisies d’un problème similaire. En tout état de cause, une appréciation in concreto des modalités des astreintes mises en place dans une entreprise et de leur impact sur la vie personnelle du salarié s’impose pour qualifier le temps durant lequel le salarié est en inactivité.

On notera que la Cour de justice de l’Union européenne ajoute que, compte tenu de leur obligation de protéger les travailleurs contre les risques psychosociaux susceptibles de se présenter dans leur environnement de travail (dir. 89/391/CEE, 12 juin 1989, art. 5 et 6), les employeurs ne peuvent instaurer des périodes d’astreinte à ce point longues ou fréquentes qu’elles constituent un risque pour la sécurité ou la santé de ceux-ci, indépendamment du fait que ces périodes soient qualifiées de périodes de repos. En effet, les services de garde (au sens strict ou au sens de l’astreinte) supposent nécessairement selon le juge européen que des obligations professionnelles soient imposées au travailleur et relèvent par conséquent de leur environnement de travail au sens large.

Enfin, l’arrêt précise que la directive ne s’oppose pas, même en présence d’une qualification du temps d’inactivité de l’astreinte en temps de travail, à une rémunération moindre de la période d’inactivité, seul le droit national ayant vocation à s’appliquer en la matière.

Auteur d'origine: Cortot
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Invité
jeudi 18 avril 2024

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