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Chronique d’arbitrage : le conseiller de la mise en état, l’exécution provisoire et la Russie

Chronique d’arbitrage : le conseiller de la mise en état, l’exécution provisoire et la Russie

Au-delà de cette belle ordonnance (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank, v. infra, « Les recours contre la sentence »), la présente livraison s’attarde sur un très grand nombre d’arrêts révélant la diversité des effets de la clause compromissoire. De plus, on signalera tout particulièrement un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), qui soulève des discussions concernant l’indépendance et l’impartialité d’un arbitre ainsi que la conformité de la sentence à l’ordre public.

La clause compromissoire

La clause compromissoire soulève des questions de plusieurs ordres : de validité, d’articulation, de circulation et d’extension.

La validité de la clause

La clause compromissoire par référence

Il n’est pas rare que la clause compromissoire ne figure pas dans le contrat principal, mais dans un document annexe, auquel il est fait référence. La question de la validité de cette clause se pose, aussi bien quant à la forme qu’au fond. Cette question a fait l’objet d’études doctrinales d’ampleur (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551). La jurisprudence est fixée depuis longtemps. Dans l’arrêt Bomar Oil, la Cour de cassation a énoncé qu’« en matière d’arbitrage international, la clause compromissoire par référence écrite à un document qui la contient, par exemple des conditions générales ou un contrat type, est valable, à défaut de mention dans la convention principale, lorsque la partie à laquelle la clause est opposée a eu connaissance de la teneur de ce document au moment de la conclusion du contrat et qu’elle a, fût-ce par son silence, accepté l’incorporation du document au contrat » (Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-15.194, Rev. arb. 1994. 108, note C. Kessedjian ; JDI 1994. 690, note E. Loquin). Depuis, l’exigence d’une « référence écrite » a été supprimée (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-21.548, Rev. arb. 2003. 1341, note C. Legros ; 11 mai 2012, n° 10-25.620, JCP G 2012. Doctr. 1354, n° 4, obs. C. Seraglini ; Rev. arb. 2012. 561, note L. Bernheim-Van de Casteele). Deux conditions seulement subsistent : la connaissance et l’acceptation (sur ce point, v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, nos 255 s. ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 660).

C’est sur une sorte de clause par référence que la Cour de cassation avait à se prononcer (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.176, Priosma). Dans les faits, un contrat avait été conclu en 2011, lequel contenait une clause compromissoire. Deux ans plus tard, un contrat identique est conclu mais une partie est remplacée par une autre. La spécificité du contrat de 2013 tient dans son contenu, qui renvoyait pour une large part au contrat de 2011. La question était donc de savoir si la clause compromissoire contenue dans le contrat de 2011 pouvait s’appliquer au nouveau cocontractant de 2013. C’est une réponse positive qui est apportée par le tribunal arbitral et validée par la cour d’appel de Paris (Paris, 29 mai 2018, n° 16/12944, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation retient que, « le contrat de 2013 étant dépourvu de substance sans sa référence à l’ensemble des stipulations du contrat de 2011, Priosma avait nécessairement eu connaissance de celui-ci, qui fixait seul les droits et obligations des parties ; qu’ayant ainsi fait ressortir l’acceptation par Priosma, lors de la conclusion du contrat, de la clause compromissoire contenue dans celui de 2011, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». La motivation est éclairante. Les deux juridictions ont successivement fait mention de la connaissance et de l’acceptation. Ceci étant, la caractérisation de ces conditions est réduite à sa plus simple expression : ce n’est pas la connaissance effective qui est recherchée, mais la connaissance nécessaire. Dès lors, l’acceptation découle automatiquement de cette connaissance, faute d’opposition à la clause. En définitive, la Cour de cassation confirme une jurisprudence particulièrement favorable à la clause compromissoire par référence. Reste à savoir s’il en ira de même en matière interne avec la nouvelle formule retenue par l’article 2061 du code civil (« la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose », v. not. C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 14 s. ; il faut également combiner, en matière interne, l’article 2061 du code civil avec l’article 1443 du code de procédure civile : « À peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale »). Rien ne semble l’interdire.

Le fondement de la validité de la clause

En matière interne, la validité de la clause est soumise à l’article 2061 du code civil. L’article ayant été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, la question de survie de la loi ancienne aux clauses conclues avant son entrée en vigueur se pose avec acuité. Dès la promulgation de la loi, la doctrine a fait part de ses doutes quant à cette question (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 27). Implicitement, un arrêt de la cour d’appel de Colmar vient d’opter pour la survie de la loi ancienne, qui continue à être applicable aux clauses formées avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02482, Lohr). Cela dit, pouvait-il véritablement en aller autrement dès lors que la sentence contrôlée était antérieure à la réforme ?

Par ailleurs, cet arrêt rappelle que l’article 2061 du code civil n’épuise pas les dispositions relatives à la validité de la clause compromissoire. Celle-ci peut aussi être appréciée à l’aune de l’article L. 721-3 du code de commerce. Mieux, une partie rappelait une chose méconnue : les articles 1025 et 1026 du code de procédure civile local d’Alsace-Moselle sont encore en vigueur. Or le premier prévoit des dispositions dérogatoires concernant la validité de la clause compromissoire (P. Hoonakker, D. d’Ambra et S. Guinchard, « Règles locales de procédure civile en matière contentieuse », in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2017-2018, n° 722.61 ; Rép. civ., v° Alsace et Moselle, par J.-L. Vallens, n° 16 ; Rép. internat., v° Alsace et Moselle. Conflits de juridictions, par J.-M. Bischoff, n° 35). Il énonce que « la convention attribuant à un ou plusieurs arbitres le pouvoir de trancher un litige est valable, en droit, dans la mesure où les parties ont le droit de transiger sur l’objet du litige ». Voilà une formule particulièrement moderne, d’autant qu’elle date de plus d’un siècle. Ceci étant, la cour d’appel de Colmar ne s’embarrasse pas de ces textes spéciaux et évalue la compétence de l’arbitre à l’aune du seul article 2061. Alors que l’arbitre s’était déclaré compétent, elle juge que la convention portait sur une cession à titre patrimonial qui n’était pas intervenue dans le cadre d’une activité professionnelle. Il est toutefois difficile d’évaluer la décision, le défendeur ayant été déclaré irrecevable dans ses conclusions. Un éventuel pourvoi laisse augurer de belles questions d’articulation entre les articles 2061 ancien et nouveau, 721-3 et le droit local !

L’articulation de la clause

La question de l’articulation de la clause compromissoire avec une clause attributive de juridiction peut intervenir à deux moments devant le juge judiciaire. D’une part, lors d’une saisine du juge désigné par une clause préalablement à la constitution du tribunal arbitral ; d’autre part, postérieurement à la reddition d’une sentence, dans le cadre du recours exercé contre celle-ci. Ces deux situations ont fait l’objet de décisions dans la période récente.

D’une part, une partie peut faire état de l’existence d’une clause compromissoire dans une instance où le juge étatique est saisi par la partie adverse. En principe, l’examen du juge est supposé être superficiel en application du principe compétence-compétence. Toutefois, la Cour de cassation ne tient pas toujours parfaitement la ligne – ce que l’on peut regretter pour la lisibilité de sa jurisprudence. Ainsi, dans une affaire déjà examinée sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 1er juin 2017, n° 16-11.487, Procédures 2017. Comm. 201, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2017, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude), partiellement rabattu et rectifié (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 16-11.487), la Cour de cassation était à nouveau saisie (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.395, Russian Satellite Communications Company) d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel (Paris, 29 mai 2018, n° 17/16484, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). En substance, un contrat de cession de titres avait été conclu entre deux sociétés. Finalement, le cédant avait lui-même cédé ses droits par un second contrat. L’un et l’autre de ces contrats contenaient une clause compromissoire. À la suite de cela, un troisième contrat, tripartite cette fois, a été conclu pour fixer les modalités de la cession. Celle-ci stipulait une clause d’élection de for (on a, une fois de plus, la preuve que les rédacteurs d’actes n’ont parfois aucune conscience des conséquences des stipulations contractuelles). Finalement, un litige survient entre le second cessionnaire et le cédant. Le tribunal de commerce est saisi du litige par le second cessionnaire. Le défendeur oppose la clause compromissoire figurant dans les deux premiers contrats. Le premier arrêt d’appel avait accueilli l’exception d’incompétence sur le fondement du principe compétence-compétence (Paris, 19 janv. 2016). Celui-ci était cassé au motif qu’« aucune clause compromissoire ne liait les sociétés [cédante] et [cessionnaire au second degré] et que le contrat tripartite contenait une clause attributive de juridiction ». Le second arrêt d’appel a pris acte de la solution de la Cour de cassation et écarté l’exception d’incompétence. Sans surprise, le pourvoi est rejeté.

On reste sceptique sur la solution. En présence de deux contrats contenant une clause compromissoire et un troisième contrat contenant une clause attributive de juridiction, il est difficile d’identifier le caractère « manifeste » de l’inapplicabilité de la clause (dans le même sens, v. X. Boucobza et Y.-M. Serinet, note ss Paris, 29 mai 2018, RDC 2018. 386). La longueur de la motivation nécessaire pour emporter la conviction est particulièrement révélatrice du doute qui peut subsister sur cette question. Certes, renvoyer à l’arbitre alors que l’incompétence est probable n’est pas sans inconvénient. Il n’en demeure pas moins que le principe compétence-compétence est de droit positif et mérite une application rigoureuse et constante.

D’ailleurs, la cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD) est sur une ligne concurrente, pour des faits voisins, de celle retenue par la Cour de cassation (à l’exception de l’arrêt du 29 mai 2018, mais qui est rendu sur renvoi après cassation. Sans être liée, la cour d’appel était donc fortement incitée à rendre une décision conforme). Elle énonce que « la présence d’une clause attributive de juridiction dans l’un des contrats ne fait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage ». On n’aurait pas dit mieux et les parties sont invitées à mieux se pourvoir. C’est une analyse similaire qui est retenue dans un deuxième arrêt (Paris, 30 oct. 2019, n° 18/27504, Auchan Hypermarché). Des parties, en relation de longue date, avaient pour habitude d’inclure des clauses attributives de juridiction dans leurs conventions, notamment en 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2016. En revanche, en 2015, elles avaient opté pour une clause compromissoire. La cour d’appel de Paris en déduit que, dès lors que le fait générateur est une lettre du 10 décembre 2015, la clause n’est pas manifestement inapplicable et elle renvoie à l’arbitrage. Cela dit, il ne nous semble pas que la date du fait générateur doive être le fait déclencheur de l’incompétence étatique. Ici encore, il suffit de constater l’existence d’un lien entre la clause et le litige, celui-ci n’étant pas uniquement caractérisé par une date.

D’autre part, le juge du recours est susceptible d’examiner l’appréciation faite par l’arbitre de l’articulation de la clause compromissoire avec d’autres clauses relatives au litige. En l’espèce, l’arbitre était confronté à une clause compromissoire contenue dans le contrat principal et une clause attributive de juridiction dans une transaction (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-10.395, Trans World Finances). Celui-ci a retenu sa compétence, au motif que la clause attributive de juridiction, bien que postérieure, avait un objet distinct et que les parties n’y avaient pas renoncé. La cour d’appel de Paris a validé la sentence (Paris, 17 oct. 2017, n° 15/13696). Comme à son habitude, la cour d’appel a réalisé un examen de ce grief en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle commence par identifier le sens du protocole transactionnel. Ensuite, elle examine le champ d’application de la clause d’élection de for contenue dans celui-ci. Il en ressort, selon la formulation de l’arrêt d’appel, que cet accord réservait nécessairement tous les litiges découlant du contrat initial qui porteraient sur des objets distincts de ceux visés par les réclamations. Ainsi coexistaient deux clauses avec un champ d’application distinct : la clause attributive de juridiction pour les litiges découlant de la transaction et la clause compromissoire pour les litiges pouvant toujours survenir dans le cadre de l’exécution du contrat. Il ne restait plus qu’à déterminer dans le champ de quelle clause entrait le litige. Le juge énonce alors que le tribunal arbitral était compétent pour connaître de demandes qui, ne relevant pas du périmètre de la transaction, entraient dans le champ de la convention d’arbitrage. Le raisonnement est parfaitement rigoureux et la solution convaincante. L’arrêt rappelle que la conclusion postérieure d’une clause relative au litige n’entraîne pas ipso facto renonciation à la clause compromissoire. Si les clauses ne sont pas inconciliables, il convient de déterminer leur champ d’application et de vérifier si le litige doit y être soumis.

La circulation de la clause

La clause compromissoire est susceptible de circuler au gré des opérations affectant l’obligation. La subrogation fait partie de ces hypothèses. La question peut alors se poser sous deux angles. Si A est le solvens, B le créancier subrogeant et C le débiteur. La clause peut se trouver, première hypothèse, dans la relation entre le créancier subrogeant B et le débiteur C et, deuxième hypothèse, dans une relation parallèle entre le solvens A et le débiteur C. La question est de savoir si l’action du solvens A contre le débiteur C est soumise à la clause.

Dans la première hypothèse, la réponse ne fait pas de doute. La cour d’appel de Paris le rappelle opportunément en affirmant qu’« il en résulte que l’assureur [le solvens] qui a indemnisé son assuré, en vertu de la police le liant à ce dernier est légalement subrogé dans tous les droits de celle-ci, la créance lui étant transmise avec ses accessoires, ses modalités, ses exceptions ou ses limitations, et notamment avec la clause compromissoire, dont il est dès lors fondé à se prévaloir et qui s’impose à lui » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Cette solution se fonde directement sur le régime général des obligations et ne nécessite pas le recours à des dispositions spécifiques du droit de l’arbitrage. Elle découle simplement de la nature de la subrogation.

La deuxième hypothèse est plus complexe. Dans un arrêt du 6 novembre 2019 (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Aquasea Yachting), la Cour de cassation avait à connaître d’une action exercée par un assuré contre son assureur. Le dommage avait été subi par le salarié de l’assuré. L’assuré avait alors indemnisé le salarié et entendait se retourner contre l’assureur. Afin d’échapper à la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance et saisir les juridictions étatiques, l’assuré faisait valoir qu’il était subrogé dans les droits de la victime et qu’il exerçait l’action directe de cette dernière. Il invoquait l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, la victime étant étrangère à la relation contractuelle entre l’assuré et l’assureur.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 23 nov. 2017) avait accueilli l’exception d’incompétence par une motivation dont les termes nous sont donnés par la Cour de cassation. Elle avait retenu que « la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence, doit pouvoir être constatée lors d’un examen sommaire par le juge étatique, tout contrôle substantiel et approfondi étant exclu, il retient, enfin, que le fait que la société Aquasea Yachting se prétende subrogée dans les droits de la victime n’est pas de nature à écarter la clause compromissoire ». Le pourvoi est rejeté. La motivation retenue par la cour d’appel d’Aix et validée par la Cour de cassation nous paraît convaincante à double titre. D’abord, en dépit des mérites évidents de l’argumentation fondée sur la subrogation personnelle, celle-ci ne peut caractériser une inapplicabilité manifeste, dans la mesure où l’action oppose deux parties à la clause compromissoire. Il revient donc aux arbitres de se prononcer en priorité sur cette question. Ensuite, contrairement à un arrêt récent, le juge ne tranche pas par anticipation la question (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Dr. mar. fr. 2019, n° 810, note P. Delebecque, les faits étaient d’ailleurs tout à fait similaires, si ce n’est que l’action directe était exercée par la victime et non l’assuré subrogé). En effet, dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation avait énoncé que « la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ». Or il ne revient pas au même de dire que la clause n’est pas manifestement inapplicable et de dire qu’elle est opposable à la victime. Il appartient au juge saisi en violation d’une clause compromissoire de préserver la plénitude de la compétence arbitrale et de réserver son examen à un éventuel recours (sur l’ensemble de la question, v. J. Jourdan-Marques, « Action extracontractuelle et arbitrage », Rev. arb. 2019. 685).

L’extension de la clause

La clause peut être étendue à un autre contrat ou à un tiers.

L’extension à un autre contrat

En matière de champ d’application de la clause compromissoire, une question qui se pose fréquemment est de savoir si celle-ci a vocation à s’appliquer, en l’absence d’une quelconque référence en ce sens, à un contrat dans lequel elle ne figure pas. Deux parties avaient conclu deux contrats distincts le même jour : d’une part, des statuts d’une société en participation (SEP) et d’autre part une convention relative à l’attribution de droits sur un immeuble (ci-après « la Convention »). Dans les statuts de la SEP figurait une clause compromissoire stipulant que « toutes les contestations qui s’élèveraient entre les parties à l’occasion de l’interprétation ou de l’exécution des présentes tant au cours de la durée de la société en participation que lors de sa liquidation ». En revanche, la Convention ne contenait aucune clause compromissoire et y figurait une stipulation indiquant qu’« en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente ». La question était de savoir si la clause compromissoire des statuts de la SEP s’appliquait à une action fondée sur la Convention. Le tribunal arbitral a répondu positivement à cette interrogation. Le recours contre la sentence est rejeté et la motivation est particulièrement riche (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). D’abord, la cour d’appel de Paris énonce que « la seule interprétation qu’il convient de donner aux conventions d’arbitrage est celle qui est conforme à la volonté des parties ». Cette formule est, à notre connaissance, nouvelle. C’est aussi une belle formule. Elle rappelle le fondement contractuel de l’arbitrage, qui est la pierre angulaire de l’institution. Ceci étant, il faudra vérifier à l’usage si une telle formule n’est pas riche d’ambiguïtés. En effet, une part du régime de la clause compromissoire révèle parfois une forme de forçage de la volonté des parties (en premier lieu desquels, le mécanisme de transmission de la clause compromissoire). Ensuite, la cour examine la volonté des parties en l’espèce. Elle souligne qu’« il résulte ainsi clairement tant du préambule de la Convention […] que de l’analyse des statuts de la SEP et des termes de la Convention que ces deux derniers actes juridiques, quoique distincts, constituent des contrats liés entre eux, complémentaires et dépendants l’un de l’autre, exprimant la volonté commune des parties de garantir le dénouement convenu de cette opération » puis ajoute qu’« il se déduit dès lors tant de la Convention que des statuts de la SEP et du libellé de cette clause compromissoire qui concerne tant les événements survenant pendant la vie de la SEP qui prend fin à l’acquisition du bien immobilier que lors de sa liquidation, la volonté des parties d’étendre la portée de ladite clause à l’ensemble des contentieux indissociables pouvant survenir au dénouement de l’opération vue dans son ensemble ». Ainsi, la cour donne à la clause une portée maximale. Elle estime que sa rédaction est suffisamment large pour que ses effets s’étendent aux conventions complémentaires et dépendantes. Enfin, elle écarte la clause contenue dans la convention, en énonçant que celle-ci « se borne à indiquer qu’en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente, ne constitue pas une clause attributive de compétence au profit d’une juridiction étatique et ne manifeste pas la volonté des parties de faire échapper leur litige à l’arbitrage, conformément à la clause compromissoire insérée dans les statuts de la SEP ».

La solution mérite d’être remarquée et ne manquera pas de faire l’objet de discussions. Elle s’inscrit dans une longue histoire de faveur à l’efficacité de la clause compromissoire. Il n’en demeure pas moins, en l’espèce, qu’elle conduit à anesthésier une autre clause contractuelle, qui perd toute efficacité.

En revanche, un autre argument est avancé pour justifier la compétence arbitrale, et il laisse plus songeur. Dans la présente affaire, le demandeur avait dans un premier temps saisi la juridiction étatique, laquelle s’était déclarée incompétente (TGI Paris, 19 mai 2015, n° 12/09963). La cour d’appel en déduit que, si elle « annulait la sentence partielle rendue à raison de l’incompétence du tribunal arbitral, lequel est saisi de demandes, fondées sur l’application de la Convention, déjà présentées […] devant le tribunal de grande instance, celui-ci, irrecevable à agir devant le juge étatique, serait privé d’accéder au juge arbitral, ce qui constituerait un déni de justice. Le tribunal arbitral a donc à juste titre retenu sa compétence pour connaître de l’ensemble du litige et le recours en annulation de la sentence arbitrale est rejeté ». La référence au déni de justice paraît séduisante. Pour autant, l’argumentation ne convainc pas ou, à tout le moins, ne doit pas être généralisée, pour deux raisons. D’une part, parce qu’une décision d’incompétence du juge saisi en violation d’une clause compromissoire est – en principe – rendue à la suite d’une application du principe compétence-compétence dans son effet négatif. En conséquence, ce juge ne tranche absolument pas la question de la compétence arbitrale et, par ricochet, de sa propre compétence. Mais, il est aussi vrai que dans le jugement du 19 mai 2015, le juge n’a pas fait application de l’article 1448 du code de procédure civile et a « vidé » la question de la compétence. D’autre part, parce qu’une décision d’incompétence fondée sur une clause compromissoire est une exception de procédure. Elle n’a pas autorité de la chose jugée et n’interdit pas une saisine ultérieure des juridictions judiciaires après une sentence d’incompétence. Cela dit, là encore, le tribunal de grande instance a déclaré la demande irrecevable, ce qui dénote l’utilisation d’une fin de non-recevoir et donc le recours à un moyen de défense erroné. Pour autant, le cumul de ces deux bévues de la juridiction saisie en violation de la clause compromissoire devait-il conduire la cour d’appel à laisser croire que le déni de justice interdit d’annuler une sentence pour incompétence lorsqu’un premier juge a renvoyé les parties devant l’arbitre ? Il nous semble qu’une formule plus circonstanciée aurait, a minima, été préférable.

L’extension à un tiers

L’extension de la clause compromissoire à un tiers est également une question classique du droit de l’arbitrage (sur la question, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 711 et les sources citées). La question est de savoir quels sont les critères permettant de réaliser une telle extension. Dans son arrêt ABS, la Cour de cassation a posé un seul et unique critère : celui de l’implication du tiers. Elle énonce que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech image, note S. Bollée image ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke image ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry image ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP G 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; Cont. conc. cons. 2007. 166, note L. Leveneur). La cour d’appel de Paris ne semble pas être tout à fait sur la même position. Elle retient dans un arrêt récent que « dans le droit de l’arbitrage international, les effets de la clause compromissoire s’étendent aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat dès lors que leurs situations et leurs activités font présumer qu’elles avaient connaissance de l’existence et de la portée de cette clause » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Ce faisant, elle rappelle son attachement à l’extension de la clause, tout en ajoutant une exigence de connaissance. Elle suit en cela l’avis d’une partie de la doctrine (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 325) et reprend une formulation déjà esquissée (Paris, 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). Néanmoins, la divergence entre la cour d’appel et la Cour de cassation ne paraît pas très importante, tant la connaissance paraît découler de l’implication. En revanche, on peut regretter que la cour énonce, au stade préarbitral, qu’« il ne peut être soutenu, comme l’a fait le tribunal, que [la partie] était étrang[ère] à cet accord de classification et qu’elle n’avait pas connaissance de la clause compromissoire ». Cette appréciation revient au tribunal arbitral, qui doit bénéficier d’une plénitude de compétence pour trancher ce point.

Un autre arrêt adopte d’ailleurs une solution plus conventionnelle (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-26.809, Thermador). Un pacte d’actionnaire avait été conclu entre une société et deux de ses salariés. Après le départ de ces derniers chez un concurrent, la société a assigné l’ensemble des protagonistes – anciens salariés et concurrents – devant la juridiction étatique. Les défendeurs ont soulevé l’incompétence de la juridiction étatique en raison de la clause compromissoire stipulée dans le pacte d’actionnaire. L’arrêt d’appel avait rejeté l’exception à l’égard des tiers au pacte d’actionnaire, au motif « qu’il n’existe pas de clause compromissoire applicable à l’action délictuelle en responsabilité fondée sur le grief d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme » (Rennes, 2 oct. 2018, n° 18/02173). Il est cassé au visa de l’article 1448 du code de procédure civile. La motivation est laconique. Il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le litige n’était pas « en relation avec l’inexécution prétendue […] de l’obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d’actionnaire, ce qui était de nature à écarter le caractère manifeste de l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage ». La solution est une application rigoureuse, mais juste, du principe compétence-compétence. En outre, le critère retenu d’une action « en relation » assure un juste équilibre entre la compétence prioritaire de l’arbitre et la nécessité de rechercher un lien entre l’action et la clause (sur ce point, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, op. cit., nos 20 s.).

La sentence arbitrale

L’autorité de chose jugée de la sentence arbitrale

Une affaire soumise à la cour d’appel de Paris soulevait une question d’autorité de la chose jugée d’une sentence arbitrale (Paris, 31 oct. 2019, n° 17/13250, CNER c. Orca Marée). Une sentence arbitrale a été rendue entre, d’un côté, un demandeur et de l’autre, trois défendeurs, dont un auquel la clause compromissoire a été étendue. Devant les juridictions étatiques, le troisième défendeur – celui auquel la clause a été étendue – agissait contre le demandeur. Se posait donc la question de l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale à l’égard des parties. Celle-ci est écartée, au motif que le litige soumis aux juridictions étatiques n’avait pas le même objet que celui tranché par le tribunal arbitral. L’intérêt de l’arrêt réside dans les modalités procédurales de l’examen de cette question. Le défendeur invoquait l’autorité de la chose jugée sous l’angle d’une exception d’incompétence. Il ne nous semble pas qu’il s’agisse du fondement idoine. L’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale, prévue par l’article 1484, alinéa 1er, du code de procédure civile, est identique à celle du jugement étatique. Il en résulte qu’opposer à une partie l’autorité de la chose jugée doit se faire sous l’angle d’une fin de non-recevoir, fondée sur l’article 122 du code de procédure civile, et non d’une exception de procédure. Deux conséquences en découlent. D’une part, l’article 1448 du code de procédure civile relatif à l’effet négatif du principe compétence-compétence est sans objet et, d’autre part, le moyen de défense peut, conformément à l’article 123 du code de procédure civile, être soulevé en tout état de cause.

La confidentialité de la sentence

Comme le remarque la doctrine, les contours exacts de la confidentialité « restent à fixer par la jurisprudence » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 393). Un arrêt de la cour d’appel de Rouen apporte sa pierre à l’édifice (Rouen, 21 nov. 2019, n° 19/01280, Accelonix). L’une des parties produisait dans l’instance judiciaire une sentence partielle rendue dans une procédure parallèle. La confidentialité de la procédure arbitrale était invoquée pour s’opposer à cette production. La cour écarte le moyen, au motif que la procédure d’arbitrage n’étant pas confidentielle dès lors qu’il s’agit de la protection des droits. Néanmoins, le fondement de cette solution se trouve dans l’acte de mission, qui prévoit cette exception à la publicité. On aurait aimé savoir si, à défaut de clause, la confidentialité aurait pu s’opposer à ce que la sentence soit invoquée dans une procédure judiciaire au soutien des prétentions d’une partie.

L’exequatur de la sentence

Il existe, en matière internationale, trois façons différentes pour un créancier bénéficiant d’une sentence arbitrale d’obtenir l’exequatur. La première, connue de tous, est la procédure d’exequatur de l’article 1516 du code de procédure civile. La seconde, est prévue à l’article 1521, qui énonce que « le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut conférer l’exequatur à la sentence ». La troisième, enfin, est issue de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, qui dispose que « le rejet de l’appel ou du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ou à celles de ses dispositions qui ne sont pas atteintes par la censure de la cour ».

Dans une affaire – d’une relative complexité – soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 29 oct. 2019, n° 19/12047, Bouygues bâtiment Île-de-France), il était reproché au conseiller de la mise en état d’avoir rendu une ordonnance d’exequatur, en application de l’article 1521, alors qu’il existait une première ordonnance rendue sur le fondement de l’article 1516. L’ordonnance était donc attaquée devant la cour d’appel.

À ce titre, la cour d’appel constate qu’« il résulte de l’article 916, alinéa 1er, que les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’arrêt au fond, sauf les exceptions prévues par les alinéas suivants du même article dans lesquels elles peuvent être déférées à la cour ». Or, pour la cour, l’ordonnance du conseiller n’était pas de celles pouvant être déférées.

Mais c’était sans compter sur les talents de technicien du demandeur. Celui-ci n’avait pas formé un déféré « classique », mais un « déféré-nullité » en alléguant un excès de pouvoir du conseiller de la mise en état. À ce titre, il soutenait que la fermeture de toute voie de droit permettait justement de se prévaloir de ce recours. Malin.

La cour d’appel ne se laisse pourtant pas séduire et juge le déféré-nullité irrecevable. Elle rappelle que, selon l’article 1524 du code de procédure civile, le recours en annulation emporte de plein droit recours contre l’ordonnance d’exequatur. Il en résulte que le voie du déféré-nullité ne peut pas être ouverte, dès lors qu’il existe bien un recours contre l’ordonnance, recours dont la cour d’appel est déjà saisie, puisqu’il s’agit du recours en annulation en cours d’examen. Encore plus malin.

Tout ça pour quoi ? Si l’arrêt ne le dit pas expressément, il est probable que l’enjeu concerne l’exécution provisoire. En effet, l’article 1526, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit que le recours n’est pas suspensif. Le bénéficiaire peut ainsi faire exécuter la sentence alors que le recours en pendant devant la cour d’appel. On peut alors imaginer l’inquiétude du débiteur s’il estime qu’il a de bonnes chances d’obtenir l’annulation de la sentence. En l’espèce, l’enjeu était tout de même à 18 millions d’euros…

Les recours contre la sentence

Aspects procéduraux des recours contre la sentence

La procédure devant la cour d’appel

C’est la deuxième fois en un peu plus d’un mois (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image) que la cour d’appel de Paris répond à la même question (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04575, Zwahlen & Mayr), preuve que les erreurs en la matière sont très fréquentes (et le conseiller de la mise en état constant dans ses décisions). Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour devait se prononcer sur la régularité de sa saisine dans le cadre d’un recours en annulation. La partie avait formé une « “déclaration d’appel” mentionnant dans la rubrique “Objet/Portée de l’appel : recours en annulation d’une sentence arbitrale” ». La difficulté tenait à ce que l’onglet informatique sélectionné par le requérant indiquait « déclaration d’appel » et non « autres recours à la diligence des parties » (v. égal. Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude ; 28 oct. 2014, n° 13/16871, D. 2014. 2541, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2015. 823, note L. Weiller). La cour d’appel considère que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Le recours en annulation est donc recevable, malgré l’erreur dans la sélection de la case sur le RPVA.

L’arrêt de l’exécution provisoire

Si cette chronique nous donne l’occasion de voyager dans toute la France, on a moins souvent la chance de commenter une ordonnance d’un conseiller de la mise en état. Or les questions posées devant celui-ci sont loin d’être dénuées d’intérêt. Dans une affaire opposant une banque ukrainienne à la Fédération de Russie, les juridictions françaises sont saisies du recours en annulation contre une sentence ayant accordé la modeste somme de 1,1 milliard de dollars au demandeur ukrainien. Depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en annulation n’est plus suspensif d’exécution, mais le conseiller de la mise en état peut arrêt ou aménager l’exécution provisoire si elle est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties (C. pr. civ., art. 1526). Telle était la raison de la saisine du conseiller de la mise en état dans ce recours soumis à la nouvelle chambre internationale de la cour d’appel de Paris (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank).

La question est d’autant plus stimulante que, pour réclamer la suspension de l’exécution provisoire, la Fédération de Russie faisait valoir une argumentation ingénieuse. En principe, le critère posé par l’article 1526, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à une analyse casuistique de la situation économique du créancier ou du débiteur (v. I. Michou, « L’exécution provisoire de la sentence internationale », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 119, nos 15 s.). Ce n’est pas l’approche suivie par le plaideur. La Fédération de Russie estime, en substance, que le créancier risque de poursuivre l’exécution de la sentence dans le monde entier, en particulier dans des pays n’offrant pas une protection adéquate de l’immunité d’exécution. En conséquence, il convient au juge français, juge de l’annulation, de suspendre l’exécution provisoire pour empêcher l’exécution de la sentence à l’étranger.

Cette argumentation n’emporte pas la conviction du conseiller de la mise en état. Il estime, d’abord, et la précision n’est pas anodine, que « le texte de l’article 1526 précité ne cantonne pas expressément son bénéfice à une appréciation des seules conséquences économiques d’une exécution de la sentence pour l’une des parties ». Néanmoins, il ajoute que l’opposition à l’exécution ne peut résulter d’un « motif général, abstrait ou hypothétique ». Dès lors, la seule circonstance qu’une exécution de la sentence soit envisagée à l’étranger ne caractérise pas un risque de lésion grave des droits du débiteur, mais est justement conforme à l’objectif du texte. Enfin, il rappelle que l’interruption de l’exécution provisoire appartient aux juridictions de chaque État où l’exécution est demandée.

La motivation est convaincante. D’une part, en dépit de toutes les critiques qui peuvent être adressées à l’exécution provisoire (mais la tendance n’est pas à un retour en arrière, comme le démontre l’instauration d’un principe de l’exécution provisoire de droit par l’art. 3 du décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, réformant la procédure civile), le critère de la lésion grave des droits de l’une des parties ne doit pas être dévoyé. Si le conseiller ouvre la voie à ce que l’appréciation ne soit pas exclusivement économique, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être sérieusement circonscrite. D’autre part, l’argument selon lequel une suspension de l’exécution provisoire par le juge français est sans effet à l’étranger est, juridiquement, imparable. Le moyen paraît même, pour le spécialiste français du droit de l’arbitrage, quelque peu fantaisiste. D’ailleurs, l’article 1526 du code de procédure civile s’applique indifféremment au juge de l’annulation et au juge de l’exequatur, rappelant ainsi que l’absence d’exécution provisoire à l’étranger est indifférente en France. Il n’en demeure pas moins qu’un juge étranger pourrait être sensible à une suspension de l’exécution provisoire par le juge de l’annulation. Ainsi, l’argument était infondé en droit, mais réaliste en faits. Il n’a pourtant pas ému le conseiller de la mise en état.

On peut être certain que l’affaire ne s’arrêtera pas là. Au-delà des aspects financiers, la question de l’exécution pourrait rebondir sur une radiation du recours en annulation si le débiteur n’exécute pas la sentence (C. pr. civ., art. 526). L’enjeu est donc considérable, et on devrait entendre à nouveau parler de cette affaire.

Les pouvoirs du juge d’appel en matière interne

Depuis le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, l’appel est en principe fermé contre les sentences arbitrales internes, sauf volonté contraire des parties. Cette réforme aligne le droit positif sur la pratique, qui prévoyait presque systématiquement des clauses de renonciation à l’appel. Il n’en demeure pas moins que les parties peuvent encore, conformément à l’article 1489 du code de procédure civile, prévoir l’inverse. C’est ce qui est arrivé dans une affaire soumise à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 7 nov. 2019, n° 17/05094, Audit et certification de comptes de sociétés). Rien que pour cela, l’arrêt mérite d’être signalé. Néanmoins, il est également intéressant quant au raisonnement tenu par la cour. Elle énonce que « la voie de l’appel ouverte par les parties dans l’acte de cession du 16 juillet 2013 ne fait pas obstacle à ce qu’il soit conclu à la nullité de la sentence arbitrale sur le fondement de l’article 1492 du code civil ». L’affirmation n’est pas exacte. La cour a peut-être été influencée par l’article 1490, alinéa 1er, du code de procédure civile qui dispose que « l’appel tend à la réformation ou à l’annulation de la sentence ». Pour autant, envisager d’examiner le recours sous l’angle de l’article 1492 du code de procédure civile – spécifique au recours en annulation – dans le cadre d’un appel contre la sentence constitue un contresens. En effet, l’appel remet en cause la chose jugée et emporte un effet dévolutif (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 522). La jurisprudence a depuis longtemps établi que le juge n’est pas tenu par les cas d’ouverture du recours en annulation dans le cadre d’un appel (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 03-18.801, D. 2006. 1329 image ; JCP G 2006. I. 148, n° 3, obs. J. Ortscheidt). Or s’il n’est pas formellement interdit de se placer sur le terrain du recours en annulation dans un premier temps, c’est à la condition, quel que soit le résultat, d’examiner le fond dans un second temps. Autrement dit, le passage par les cas d’ouverture du recours en annulation est parfaitement inutile puisque la cour devra quoi qu’il arrive évoquer le fond. Pire, il peut induire en erreur si le juge n’examine pas le fond après avoir constaté que la sentence n’est pas susceptible d’annulation au sens de l’article 1492 du code de procédure civile. La méthode est donc à éviter.

Les pouvoirs du juge de l’annulation en matière interne

L’article 1493 du code de procédure civile prévoit que, « lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». La cour d’appel de Colmar avait à se prononcer sur le sens de la précision « sauf volonté contraire des parties » (Colmar, 30 oct. 2019, nos 15/02482 et 15/02563, Lohr). Elle souligne qu’« il doit être souligné que les dispositions de l’article 1493 du code de procédure civile visent la “volonté contraire des parties”, et non la volonté contraire commune aux parties ou la volonté contraire de toutes les parties. Dès lors, la formulation “volonté contraire des parties” signifie qu’il suffit que l’une des parties s’oppose à ce que la cour statue au fond, pour que cette dernière soit tenue par cette expression de volonté ». En conséquence, elle refuse de statuer au fond face à l’opposition d’une partie. En réalité, la cour se méprend totalement sur le sens de la formule. Il ne s’agit pas d’interdire à la cour d’appel de trancher au fond le litige en cas de désaccord d’une partie, mais bien de lui imposer de trancher au fond en l’absence de volonté contraire de toutes les parties (dans le même sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 554). Pourtant, en remplaçant le pluriel par un singulier (lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire d’une partie), la cour aurait pu constater que son interprétation n’est pas satisfaisante.

Aspects substantiels des recours contre la sentence

L’arbitrabilité du litige

En principe, l’arbitrabilité du litige est fixée par les articles 2059 et 2060 du code civil. Cependant, ces dispositions sont devenues, depuis plus de vingt ans, totalement obsolètes. Il est d’ailleurs navrant que les deux réformes de l’article 2061 du code civil n’aient pas permis de toiletter ces dispositions, qui ne reflètent pas le droit positif et induisent en erreur le justiciable.

Toutefois, un arrêt de la cour d’appel de Paris permet de revenir sur une question assez originale (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). Le demandeur à l’annulation invoquait le caractère inarbitrable de la matière immobilière, en ce qu’elle porte sur l’attribution de droits réels et nécessite le respect de certaines formalités pour rendre la constitution du droit opposable. La réponse de la cour est particulièrement pédagogique. Elle retient qu’« il appartient à l’arbitre, hors les cas où la non-arbitrabilité relève de la matière, de mettre en œuvre les règles de droit impératives, sous le contrôle du juge de l’annulation. Quand bien même le tribunal arbitral attribuerait un droit réel sur les biens immobiliers en cause, […] il appartiendrait alors à la juridiction arbitrale de faire respecter les règles rendant opposables aux parties et aux tiers la constitution de ce droit réel immobilier, la matière en elle-même n’étant pas de celles qui sont inarbitrables, les prétentions ne portant pas sur des droits indisponibles au jour où le tribunal arbitral est saisi et n’intéressant pas l’ordre public au sens de l’article 2060 du code civil ». Trois informations utiles ressortent de cette décision : le cœur de l’inarbitrabilité concerne les « droits indisponibles » ; la matière immobilière – lato sensu – est arbitrable ; le tribunal arbitral doit en faire respecter le formalisme. Seule cette dernière précision pourrait soulever des interrogations, notamment quant à la manière pour l’arbitre de « faire respecter » ce formalisme.

Le délai d’arbitrage

La distinction entre le délai d’arbitrage et le calendrier d’arbitrage n’est pas toujours parfaitement appréhendée (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02563, Lohr). En matière interne (mais les règles sont peu ou prou identiques en matière internationale, sauf le délai de six mois prévu par le code), l’article 1463 du code de procédure civile énonce que, « si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la durée de la mission du tribunal arbitral est limitée à six mois à compter de sa saisine. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé par accord des parties ou, à défaut, par le juge d’appui ». Il en ressort que l’arbitre est tenu par un délai pour rendre sa sentence et qu’il n’a pas le pouvoir de le proroger lui-même. Cette dernière solution vaut aussi bien en matière interne qu’internationale (Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-15.098, Rev. crit. DIP 1994. 680, note D. Cohen image ; RTD com. 1995. 406, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin image ; Rev. arb. 1995. 88, note E. Gaillard : « le principe selon lequel le délai fixé par les parties, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage, et dans lequel les arbitres doivent accomplir leur mission, ne peut être prorogé par les arbitres eux-mêmes, traduit une exigence de l’ordre public aussi bien interne qu’international en ce qu’il est inhérent au caractère contractuel de l’arbitrage ») et l’accord des parties ne permet pas d’y déroger (Civ. 2e, 7 nov. 2002, n° 01-10.351, D. 2002. 3241 image ; Rev. arb. 2003. 115, note E. Loquin ; JCP G 2003. I. 164, n° 5, obs. J. Ortscheidt). En revanche, le calendrier est distinct du délai. Le calendrier fixe le tempo de la procédure, en particulier les échanges de mémoires et les audiences. Il doit s’inscrire au sein du délai d’arbitrage. Conformément à l’article 1464 et 1509, alinéa 2, du code de procédure civile, le tribunal arbitral peut déterminer la procédure arbitrale. À ce titre, il est libre de modifier le calendrier de la procédure. Ainsi, le tribunal arbitral peut modifier le calendrier, mais pas proroger le délai. Si le calendrier est étendu au-delà du délai d’arbitrage, plusieurs possibilités permettent d’éviter l’annulation de la sentence. Premièrement, demander une prorogation aux parties, à l’institution ou au juge d’appui. Deuxièmement, démontrer une prorogation tacite par les parties, ce qui implique notamment que les deux continuent de participer à la procédure arbitrale sans protester. Troisièmement, établir la renonciation à se prévaloir de cette irrégularité de la partie qui invoque l’expiration du délai. En définitive, les débats relatifs au calendrier ne sont pas pertinents devant le juge de l’annulation. Seuls une prorogation unilatérale du délai par l’arbitre et/ou un dépassement de celui-ci peut entraîner l’annulation de la sentence.

Une question de délai se posait également dans un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera simplement que la cour d’appel considère que, en matière de prorogation de délai, les « énonciations de la sentence arbitrale […] font foi jusqu’à inscription de faux ». Autrement dit, s’il est indiqué dans la sentence que les parties ont accepté une prorogation du délai, celle-ci vaut jusqu’à inscription de faux.

Il peut enfin arriver que deux délais contradictoires coexistent, en particulier dans l’acte de mission. Comment la résoudre ? Pour la cour d’appel de Versailles, à défaut de protestation des parties, c’est la date la plus tardive qui doit être retenue (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). La solution nous paraît tout à fait raisonnable, même si l’on peut regretter qu’un acte de mission fasse naître de telles interrogations…

L’indépendance et l’impartialité des arbitres

Une chronique sans décision relative à l’indépendance et à l’impartialité des arbitres serait un peu fade. Heureusement, la cour d’appel de Versailles nous en offre un beau morceau, et l’on s’en réjouit (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). L’affaire est d’autant plus intéressante qu’elle soulève certaines questions relativement inédites et conduit à revenir sur d’autres déjà envisagées. Il était reproché à l’arbitre d’avoir des liens avec le directeur juridique d’une des parties. En substance, et de façon assez peu subtile, le demandeur soutenait que le directeur juridique avait « proposé la désignation de l’arbitre ». Cela étant, le requérant touche un point sensible. Habituellement, on considère que l’arbitre doit révéler ses liens avec les parties, les conseils et les arbitres (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 500). Cela dit, une vraie question se pose quant à ce qui doit être entendu par « parties » et « conseils ». Par-delà les liens avec la personne morale, qu’en est-il des personnes physiques ? Faut-il révéler les liens uniquement les mandataires sociaux ? Les cadres ? Tous les salariés ? Les stagiaires ? Faut-il envisager uniquement les personnes impliquées dans la résolution du litige, ou la révélation doit-elle être illimitée ? On ne peut pas nier que, parfois, les liens personnels avec les personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales.

La cour d’appel ne s’y trompe d’ailleurs pas et s’engage pleinement dans l’examen du moyen. Il était reproché deux choses à l’arbitre : ne pas avoir révélé qu’il avait participé à un colloque avec le directeur juridique, ne pas avoir révélé que le directeur juridique appartenait à la même unité de recherche que lui, au sein d’une université française. Alors que sur ces deux points, la jurisprudence a déjà considéré que ces éléments étaient indifférents (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, obs. X. Delpech image, note B. Le Bars image ; ibid. 2991, obs. T. Clay image ; Procédures 2012, comm. 284, note L. Weiller ; JCP G 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012. 3, obs. J. Mestre ; Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques), la cour d’appel de Versailles énonce que « les circonstances invoquées pour critiquer l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre doivent caractériser l’existence de liens matériels ou intellectuels de nature à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur son jugement ». On sera particulièrement attentif à un éventuel pourvoi sur cette question. Ouvrir la voie à un examen des liens intellectuels ne revient-il pas à ouvrir une boîte de Pandore ?

En réalité, chaque fois que l’on parle d’indépendance et d’impartialité, il convient de distinguer rigoureusement trois choses : ce qui doit être révélé, ce qui peut justifier une récusation de l’arbitre, ce qui peut justifier l’annulation de la sentence. Or, quoi qu’on en dise, n’est-il pas perturbant pour une partie de constater que l’arbitre qui lui a signifié n’avoir absolument rien à révéler, a siégé côte à côte avec une partie dans un colloque. À l’inverse, peut-on raisonnablement envisager qu’un arbitre – en particulier lorsqu’il est universitaire – tienne les comptes de tous les intervenants ayant participé aux mêmes ateliers scientifiques que lui, à raison d’une douzaine par an pendant quarante ans de carrière ? Difficile de trancher avec certitude – bien que l’on puisse pressentir l’appréciation (critique) qui sera portée sur ce point par une partie des observateurs.

Face à cette question, l’appréciation de la cour est d’ailleurs particulièrement stimulante. Elle ne recherche pas tant la réalité des faits allégués par le requérant que le rôle joué par l’arbitre dans ces « rencontres intellectuelles ». Elle constate que l’arbitre n’est pas à l’origine de l’intervention du directeur juridique dans le colloque ni dans les formations de son université. Ce point paraît central pour la cour. Il est vrai qu’il est séduisant. N’y a-t-il pas une différence de nature quant au lien entre deux individus qui se côtoient à l’occasion de manifestations scientifiques ou d’activités universitaires et un individu qui sollicite un autre ? Et d’ailleurs, une réponse positive n’impose pas une récusation ou une annulation de la sentence. En tout cas, la question est posée.

Enfin, on remarquera que dans cette procédure, l’arbitre a été interrogé directement. Sans que cela soit clairement explicité, il semblerait que la partie défenderesse ait produit une attestation de l’arbitre dans le cadre du recours en annulation. Il nous semble qu’une telle pratique est vertueuse. Comment traiter sérieusement de ces questions sans que l’arbitre soit jamais interrogé ? C’est une voie qui, selon nous, doit être sérieusement explorée pour renforcer la qualité de l’examen réalisé lors du recours contre la sentence (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 268 s.).

La mission d’amiable compositeur

Une question de respect par l’arbitre de sa mission d’amiable compositeur était invoquée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera seulement que la cour énonce qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ». La réponse est particulièrement importante. La question était de savoir si l’arbitre ayant refusé d’user de ses pouvoirs d’amiable compositeur au motif de la qualification d’ordre public de direction d’une règle, la sentence pouvait être annulée dès lors que l’arbitre se serait trompé sur la qualification de la règle. La cour refuse d’entrer dans ce raisonnement. Elle considère qu’il suffit que l’arbitre se soit cru tenu par une règle d’ordre public de direction pour que le refus de mettre en œuvre les pouvoirs d’amiable compositeur n’emporte pas annulation.

Le respect du contradictoire et de la mission

En principe, en matière de respect du principe de la contradiction, la question de l’intensité du contrôle ne soulève guère de discussion. En effet, l’identification d’une violation par les arbitres de la contradiction justifie de vérifier que tous les éléments de fait ou de droit utilisés par les arbitres ont bien été débattus. En revanche, cela ne nécessite pas une immixtion du juge dans le raisonnement des arbitres.

Il en va en principe de même en matière de contrôle du respect de la mission. Il suffit d’un simple regard sur la sentence et sur les pièces du dossier pour déterminer si l’arbitre a bien respecté sa mission. Qu’en est-il si ce n’est pas le cas ? En principe, la non-révision au fond s’oppose à ce que le juge reprenne intégralement le raisonnement de l’arbitre.

Pourtant, un arrêt de la Cour de cassation envisage une approche bien différente (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 17-20.573, Dresser-Rand). Il rejette le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 28 févr. 2017, n° 15/06036, Gaz. Pal. 2017, n° 27, p. 29, obs. D. Bensaude). Le litige portait sur une cession d’actions. Il s’agissait de savoir si les cédants avaient violé leur obligation de fournir des documents comptables sincères et complets et si le cessionnaire avait eu une connaissance effective de cette violation avant la date de réalisation de la vente.

Les arbitres ont rendu une sentence favorable aux cédants. Il leur était reproché d’avoir méconnu leur mission et le principe de la contradiction en mettant en œuvre un principe issu des règles IBA (International Bar Association) sur la présomption défavorable tirée du défaut de production de pièces, sans consulter préalablement les parties sur l’application de ces règles, sans avoir à aucun moment ordonné la production de ces rapports, ni avoir invité les parties à s’expliquer sur la non-production de ces pièces.

En synthèse, la Cour de cassation valide la sentence en trois temps. Premier temps, elle constate qu’une clause contractuelle interdisait au cessionnaire d’invoquer la garantie s’il avait une connaissance effective des faits ou des circonstances constitutifs d’une violation substantielle par les cédantes de leurs obligations. Deuxième temps, elle réalise un examen approfondi de la motivation du tribunal – ce qu’avait également fait la cour d’appel – pour constater que le tribunal avait établi cette connaissance effective. Troisième temps, elle en déduit que le motif critiqué n’avait pas déterminé, même partiellement, la solution adoptée et était surabondant.

La solution est intéressante par le cheminement suivi. Un examen superficiel aurait pu – sans que cela soit certain – conduire à l’annulation de la sentence en considérant qu’une partie de la solution était fondée sur un moyen n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire. Pour éviter cela, la cour d’appel et – dans une moindre mesure – la Cour de cassation préfèrent reprendre intégralement le raisonnement du tribunal arbitral. Or elles constatent que la sentence est suffisamment motivée par un autre moyen et que le tribunal ne s’est pas fondé sur le motif critiqué. Autrement dit, pour juger surabondant le motif critiqué, elle vérifie l’existence d’une motivation suffisamment solide par ailleurs.

Dès lors, n’y a-t-il pas une révision au fond de la sentence ? Sans doute pas. La cour se contente d’identifier le véritable fondement de la solution du tribunal, sans chercher à en évaluer la pertinence. Toutefois, le juge de l’annulation marche sur un fil, car à suivre cette voie, la révision au fond n’est certainement pas loin.

L’ordre public

• Ce que n’est pas l’ordre public

La détermination du contenu de l’ordre public est une question toujours délicate. Autant, il est parfaitement établi qu’une violation positive de l’ordre public – interne ou international selon le domaine – est susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence, autant, on pouvait s’interroger sur une violation négative. Autrement dit, une règle qualifiée à tort d’ordre public. La réponse de la cour d’appel de Paris est claire sur cette question « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public » (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître).

• L’ordre public de procédure

La fraude procédurale est un cas d’ouverture connu du recours, sur le fondement de l’ordre public procédural. La cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 17/17127, Société nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT]) rappelle à cet égard une formule déjà usitée (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude ; Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques) : « Il résulte de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert contre une sentence internationale rendue en France si la reconnaissance ou l’exécution de cette décision sont contraires à l’ordre public international. La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise ».

En revanche, les modalités de l’examen réalisé en matière de fraude procédurale méritent encore réflexion. Dans son arrêt du 28 mai 2019, la cour avait énoncé qu’« il appartient au juge de l’annulation d’examiner l’ensemble des circonstances susceptibles de caractériser la fraude alléguée, sans que puisse être utilement opposé le moyen tiré de la prohibition de la révision au fond des sentences, dès lors que la contestation porte précisément sur l’altération, par les manœuvres d’une partie, de l’appréciation des faits à laquelle se sont livrés les arbitres ». Pourtant, dans le présent arrêt, la cour retient que « les griefs articulés […] contre ces documents devant la cour sont les mêmes que ceux qu’elle avait développés devant les arbitres. Le caractère prétendument mensonger de ces éléments ayant fait l’objet d’un débat contradictoire au cours de l’instance arbitrale, la décision du tribunal n’a pas été surprise par une fraude mais procède d’une appréciation éclairée de l’exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu’il n’appartient pas à la cour de réviser ». Les solutions peuvent sembler un peu difficiles à concilier. Révision ou pas révision ? Deux choses ne font pas de doutes : d’une part, à défaut de discussion devant le tribunal, la fraude procédurale peut être invoquée devant le juge de l’annulation et l’examen n’est pas limité ; d’autre part, et l’arrêt du 28 mai 2019 l’avait déjà jugé ainsi, un grief de fraude procédurale discuté devant l’arbitre ne peut plus l’être ultérieurement. Cette seconde solution mérite réflexion et maturation. On comprend l’idée de la cour, qui est de considérer que la religion de l’arbitre n’a pu être trompée, dans la mesure où il a pu se prononcer sur la fraude. Mais dès lors, l’attendu de l’arrêt du 28 mai 2019 n’est-il pas mal calibré pour rendre compte de cette retenue du juge de l’annulation ? En outre, est-elle satisfaisante ? En matière de corruption ou de blanchiment, la cour ne s’embarrasse pas de telles considérations : elle substitue son appréciation à celle de l’arbitre, alors même que ce dernier s’est prononcé en toute connaissance de cause (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy). La nature de l’ordre public en jeu – de fond ou procédural – suffit-elle à laisser l’appréciation pleine et entière de cette question à l’arbitre ? C’est une question à laquelle nous nous garderons bien, pour l’instant, de répondre.

• L’ordre public de fond

La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 22 octobre 2019 (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), était également confrontée à une question de violation de l’ordre public. Il s’agissait de savoir si une clause prévoyant un pacte de préférence pouvait être considérée comme contraire au droit de la concurrence. Le tribunal arbitral a tranché négativement cette question. La cour rejette le grief. Elle estime que « les arbitres ont procédé à une analyse in concreto de la validité du pacte de préférence ». Elle en déduit que le demandeur l’invite ainsi à « vérifier la pertinence du raisonnement juridique par lequel les arbitres ont considéré que le droit de préférence […] ne constituait pas une atteinte à la concurrence et n’était notamment pas disproportionné du fait de sa durée, et ce faisant, demande à la Cour d’exercer un contrôle au fond de la sentence, qui échappe au juge de l’annulation ; que la sentence ne peut être déclarée contraire à l’ordre public économique ».

Un pourvoi sur cette question précise serait d’utilité publique. Les spécialistes d’arbitrage le savent, la jurisprudence en matière de contrôle de l’ordre public est à la croisée des chemins. Pour l’instant, la Cour de cassation est largement restée silencieuse. En revanche, la cour d’appel de Paris s’inscrit dans une dynamique bien différente de celle qui a eu cours il y a une dizaine d’années. Le temps n’est plus à rechercher une violation de l’ordre public qui « crève les yeux » (Paris, 18 nov. 2004, n° 02/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 image, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée image ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin image ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise image ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529 ; Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c. Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 1684 image, obs. X. Delpech image ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 3111, obs. T. Clay image ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin image ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot image ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train). En effet, depuis quelques années déjà, la cour n’évoque plus le caractère « flagrant, effectif et concret » de la violation, mais son caractère « manifeste, effectif et concret » (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ;  16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 image, note M. Audit image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). La jurisprudence est donc en train d’opérer un revirement sur cette question – au moins dans les termes choisis – mais aucune certitude n’existe actuellement quant au périmètre de la solution.

La question est désormais de savoir si ce nouvel étalon de contrôle s’applique à l’ensemble des griefs relevant de l’ordre public – national et international (pour un ex. concernant l’ordre public procédural, v. Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) ? C’est en cela que le présent arrêt est doublement marquant. Premièrement, car il oppose au requérant le principe de non-révision au fond pour refuser d’approfondir son examen, ce qui n’est pas nécessairement satisfaisant (pour une reprise des débats sur cette question, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 546 s.). Deuxièmement, car le grief porte sur une violation du droit de la concurrence, qui relève aussi bien de l’ordre public interne qu’international. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation sur cette question représenterait une occasion en or pour répondre à trois questions : le contrôle de l’ordre public doit-il être identique en matière interne et en matière internationale ; le contrôle de l’ordre public doit-il être identique, quelle que soit la nature de l’ordre public en jeu (fond ou procédure ; corruption, blanchiment, concurrence, etc.) ; le contrôle de l’ordre public est-il immunisé contre le principe de non-révision au fond ? C’est une réponse triplement positive que nous sommes tenté d’apporter, et qui nous invite à espérer une cassation de l’arrêt. Affaire à suivre !

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vendredi 19 avril 2024

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