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Chronique d’arbitrage : où va le contrôle étatique de l’arbitrage international ?

Chronique d’arbitrage : où va le contrôle étatique de l’arbitrage international ?

La présente chronique sera une nouvelle fois très riche. Pour autant, aucune décision ne nous a paru suffisamment importante pour être mise particulièrement en lumière. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas nombreuses à mériter un examen approfondi. Ainsi, pour n’en citer que les principales, on ne peut pas passer à côté de l’arrêt Rusoro (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551), qui fait suite à un arrêt d’appel très discuté qui avait accepté de contrôler une question de prescription sur le fondement de la compétence ; de l’arrêt Oschadbank (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161), qui annule une sentence, sur le fondement d’une incompétence ratione temporis ; de l’arrêt DS Construction (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756), qui annule également une sentence pour irrégularité de la constitution du tribunal ; de l’arrêt LERCO (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068), qui refuse d’annuler une sentence pour un défaut de révélation ; du jugement d’incompétence dans l’action en responsabilité contre l’un des arbitres de l’affaire Volkswagen (TJ Paris, 31 mars 2021, n° 19/00795, Dalloz actualité, à paraître, obs. P. Capelle). Ainsi, nous reviendrons successivement sur le principe de compétence-compétence, sur les pouvoirs du juge d’appui, sur les recours contre la sentence, sur la responsabilité des acteurs de l’arbitrage et enfin sur les interactions entre l’arbitrage et l’Union européenne.

Puisqu’aucun arrêt n’est à l’honneur, nous nous permettrons quelques remarques liminaires.

Premièrement, dans la précédente chronique, nous avions indiqué que le pôle 1 - chambre 1 (1-1), anciennement compétent pour l’arbitrage, était transformé en pôle 3 - chambre 5 (3-5). Si la transformation de la chambre est définitive, il semble que la compétence de cette dernière pour les litiges relatifs à l’arbitrage ne soit que temporaire. D’après ce que nous comprenons, mais rien ne semble clair, l’arbitrage interne et l’arbitrage international seront tous deux de la compétence de la 5-16, mais différemment composée. Il y aurait donc, d’une part, les magistrats de l’ancienne 1-1 qui connaîtront de l’arbitrage interne pour la 5-16 et, d’autre part, les magistrats initialement affectés à la 5-16, qui continueront à traiter de l’arbitrage international. Autrement dit, une chambre, mais deux formations différentes, pour l’arbitrage. En tout cas, on trouve déjà une décision de la formation « interne » rendue par le 5-16 (Paris, 5-16, 16 mars 2021, n° 19/03195, Mateou). Suite au prochain épisode !

Deuxièmement, et c’est tout à fait remarquable, aussi bien d’un point de vue doctrinal que pratique, la 5-16 est en train de réinventer le maniement des sources du droit. De nombreuses décisions donnent lieu à l’utilisation, au sein de la motivation de la cour, de sources diverses. Il est vrai que l’on n’arrive pas encore à identifier la valeur précise que la cour donne à la source utilisée : droit dur, droit souple, simple source d’inspiration. Pour ne donner que quelques exemples, la cour fait mention, dans les arrêts de cette seule livraison, de décisions du Tribunal fédéral Suisse et de la High Court de justice de Londres (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161, Oschadbank), des IBA Rules sur les conflits d’intérêts (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO), des usages du commerce international (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana), de la loi type CNUDCI sur la passation des marchés publics (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809, AD Trade), des travaux de la Commission de droit international des Nations unies et de la position adoptée par certains États adhérents à un traité lors d’instances arbitrales (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction). D’un point de vue doctrinal, il faudra observer le poids de ces sources dans le raisonnement de la cour. À première vue, il n’est pas décisif, mais pas non plus insignifiant. D’un point de vue pratique, cette appréhension de nouvelles sources pourrait modifier l’approche des plaideurs dans l’exercice de leur recours, en les invitant à proposer une argumentation fondée sur ces règles. Néanmoins, on n’explique pas l’absence, dans cette révolution des sources, de la jurisprudence arbitrale. En effet, aucun arrêt, en particulier pour les recours liés au droit des investissements, n’y fait référence. Pourtant, il s’agit d’une source majeure de ce droit. Reste à savoir si ce n’est que partie remise où s’il y a là un véritable positionnement de la cour.

Troisièmement, et c’est plus inquiétant, il convient de constater que les annulations en matière internationale se multiplient (v. déjà J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : compétence et corruption – le recours en annulation à rude épreuve, Dalloz actualité, 24 déc. 2020). On en dénombre déjà quatre depuis le début de l’année 2021, certaines partielles, d’autres totales (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161, Oschadbank ; 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO ; 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction ; Paris, 3-5, 19 janv. 2021, n° 18/04465, Hop !, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; il faut également ajouter un refus d’exequatur partiel, v. Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/17862, Ferrovial ; et une annulation d’une sentence interne, v. Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/27764, Brezillon). En réalité, toutes ne se valent pas, certaines annulations pour des motifs techniques sont difficilement discutables. Si l’on prend un peu de recul, il nous semble qu’il existe deux courants opposés. L’un, plus exigeant à l’encontre de l’arbitrage, reflète un recul dans le libéralisme de la jurisprudence ; l’autre, indulgent à l’égard des arbitres, refuse presque systématiquement d’annuler les sentences en cas de manquement à l’obligation de révélation. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’observer ces deux mouvements se croiser.

D’un côté donc, il y a plus d’annulations. Celles-ci sont particulièrement visibles lorsque les recours impliquent des États, et plus précisément lorsque l’examen donne lieu à l’interprétation d’un traité d’investissements. C’est le cas dans les arrêts Oschadbank et DS Construction. C’était déjà le cas, il y a quelque temps, dans l’arrêt Garcia (Paris, 3 juin 2020, n° 19/03588, Garcia, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et, malgré sa cassation, dans l’arrêt Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi). Et l’on attend encore – très fébrilement et sans grand espoir – l’arrêt Komstroy (actuellement devant la Cour de justice à la suite de la question préjudicielle, v. Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clayhttp://RECUEIL/CHRON/2019/3813 ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit). Faut-il y voir une hostilité de principe à l’arbitrage d’investissements ou une faveur à l’égard des États ? Difficile à dire, si ce n’est qu’il est certain que la cour ne retient pas une approche très extensive de la compétence des tribunaux arbitraux dans ces affaires. En tout état de cause, il ne fait pas très bon avoir un siège à Paris lorsque l’on est investisseur.

Toutefois, l’explication pourrait être ailleurs. L’autre grand sujet actuel est celui de l’ordre public international. Là aussi, on sait que la jurisprudence est encline, en particulier en matière de corruption, à annuler les sentences (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2019. 850, note E. Gaillard ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 465, note A. Pinna). Or s’il y a bien un point commun entre l’examen de la compétence et celui de la corruption, c’est l’intensité du contrôle. Dans les deux cas, et l’on pourra discuter des heures sur la nature des mots, la cour d’appel tranche le moyen sans aucun égard pour la décision du tribunal arbitral. Dit autrement, elle révise (au fond ou sur la compétence). Si la décision est identique, tant mieux ; si elle ne l’est pas, l’annulation est immédiate. On en veut d’ailleurs pour preuve que, dans les deux cas, les parties peuvent produire devant le juge de nouveaux moyens, de nouvelles preuves, de nouvelles pièces. Autrement dit, pour ces cas d’ouverture, on glisse du recours en annulation vers l’appel (sur cette idée, v. M. de Fontmichel, note ss Civ. 1re, 2 déc. 2020, JDI, à paraître). Il y a sans doute des aspects positifs dans cette évolution (le contrôle approfondi de l’ordre public n’était-il pas réclamé par tous ?). Néanmoins, les aspects négatifs sont flagrants. D’abord, en matière d’arbitrage d’investissements, cela revient à donner le dernier mot sur l’interprétation de traités bilatéraux auxquels la France est étrangère au juge français. Ensuite, il est évident que le juge français n’est pas aussi bien outillé qu’un tribunal arbitral pour trancher ces questions. Pour l’anecdote, dans l’affaire Oschadbank, le requérant reprochait au tribunal d’avoir violé sa mission en ne passant qu’une minute par page sur les 9 500 pages que comptait le dossier. Nul doute qu’après sa victoire devant la cour d’appel, il n’ira pas faire le même reproche à cette dernière. Il n’en demeure pas moins que la question est réelle : malgré les moyens pharaoniques (pour la justice française) dont dispose la 5-16, peut-elle assurer un travail équivalent à celui réalisé par un tribunal arbitral ? Ce n’est pas lui faire injure que d’en douter.

D’un autre côté, et cela sème complètement le doute, il existe un autre mouvement, presque bienveillant à l’égard des arbitres. Il n’y a pas eu, et sauf erreur de notre part, depuis le début de l’année 2020, d’annulation pour manquement à l’obligation de révélation (la dernière en date étant probablement celle de l’affaire Volkswagen, v. Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin image ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini). Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui manquent : Dommo (25 févr. 2020, Dommo, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller), Vidatel (Paris, 5-16, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), Hop ! (Paris, 3-5, 19 janv. 2021, n° 18/04465, Hop !, préc.), Soletanche (Paris, 1-1, 15 déc. 2020, n° 18/14864, Soletanche, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), CWT (Paris, 3-5, 12 janv. 2021, n° 17/07290, CWT, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et aujourd’hui LERCO (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO, avec notre commentaire critique infra), sont des affaires dans lesquelles des manquements à l’obligation de révélation sont invoqués. Toutes en réchappent, alors que certains griefs sont critiques. Finalement, en dix ans, la jurisprudence sur l’obligation de révélation aura oscillé tel un pendule. Faiblement exigeante dans la première décennie du XXIe siècle, elle aura fait la bascule avec le premier arrêt Tecnimont et revient finalement, aujourd’hui, à sa position initiale. Obtenir l’annulation d’une sentence pour un manquement à l’obligation de révélation devient un chemin semé d’embûches, parsemé d’obligations de curiosité, de réactions et la nécessité d’apporter la preuve d’un doute raisonnable. Laissant ainsi, par la même occasion, se propager autant de pratiques délétères pour la confiance des parties dans l’arbitrage.

Il faut bien avouer que ce mouvement qui se dessine ne correspond pas nécessairement à l’arbitrage dont nous rêvons. À titre personnel, sans doute très naïvement, nous aurions tendance à préférer un droit exigeant avec les arbitres sur la révélation, mais confiant, sans être complaisant, dans leur capacité à prendre les bonnes décisions, que ce soit sur la compétence ou sur l’ordre public international. Ce n’est pas le chemin actuellement emprunté. Il faut faire avec.

I. Le principe de compétence-compétence

Le principe compétence-compétence, comme toujours, donne lieu à des difficultés d’application. Pour rappel, l’effet négatif, prévu à l’article 1448 du code de procédure civile, impose aux juridictions étatiques de se dessaisir du litige lorsque le litige relève d’une convention d’arbitrage. La mise en œuvre de cette disposition nécessite de distinguer deux situations : celle où le tribunal est déjà saisi et celle où il ne l’est pas.

A. Le tribunal est déjà saisi

Les hypothèses où le tribunal arbitral est déjà saisi sont rares en jurisprudence. C’est le cas dans un arrêt soumis à la Cour de cassation (Civ. 1re, 17 mars 2021, n° 20-14.360, Bouaziz). Le litige porte initialement sur la fixation de valeurs des parties sociales d’une société. À la suite du décès d’un des actionnaires, un coactionnaire saisit les juridictions françaises à l’encontre d’un autre coactionnaire et des héritiers du défunt. Les défendeurs soulèvent une exception d’incompétence au profit d’un tribunal arbitral rabbinique et des juridictions israéliennes (v. F.-X. Licari, L’arbitrage rabbinique, entre droit talmudique et droit des nations, Rev. arb. 2013. 57). L’exception d’incompétence fondée à la fois sur la compétence d’un tribunal arbitral et d’une juridiction étatique a sans aucun doute semé le trouble dans les débats (Versailles, 28 janv. 2020, n° 19/02799). La cour d’appel avait donc réalisé un examen approfondi des modalités de saisine de la juridiction étrangère et de la sienne et avait conclu à sa compétence, du fait de la différence de parties et de prétentions entre les deux actions. L’arrêt est cassé, au visa de l’article 1448 du code de procédure civile. La cour rappelle que dès lors qu’est alléguée la saisine antérieure d’un tribunal arbitral, la compétence du juge français ne peut être examinée qu’au regard des conditions limitatives prévues par cet article (en réalité, l’article 1448 du code de procédure civile ne prévoit aucune condition lorsque le tribunal arbitral est déjà saisi). Ce que n’avait pas fait la cour d’appel, en s’interrogeant sur les parties et les prétentions dans les deux instances.

La solution n’est pas étonnante : un tel examen par la cour d’appel de sa propre compétence est réalisé en violation du principe compétence-compétence. Il est cependant très intéressant de constater que la Cour de cassation relève d’office l’article 1448 du code de procédure civile. À la lecture de l’arrêt d’appel et du pourvoi, le débat était placé uniquement sur le terrain de la litispendance. Pourtant, la Cour de cassation juge habituellement que le principe compétence-compétence ne peut pas être relevé d’office par le juge (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.233, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques). On peut avancer deux explications pour justifier une telle différence de traitement : soit, d’une part, le juge ne peut pas relever d’office l’article 1448 du code de procédure civile lorsque le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, mais il peut et doit le faire lorsqu’il l’est ; soit, d’autre part, la Cour s’est retrouvée dans l’impossibilité de trancher le pourvoi au regard de la question de la litispendance et a préféré relever d’office le fondement adéquat.

B. Le tribunal n’est pas encore saisi

Lorsque le tribunal n’est pas encore saisi, l’article 1448 du code de procédure civile limite l’examen du juge étatique aux seules hypothèses d’inapplicabilité et de nullité manifestes de la clause. Malheureusement, c’est souvent bien au-delà que le juge réalise son examen. Ainsi, la cour d’appel de Colmar (Colmar, 22 mars 2021, n° 18/03474) écarte la clause compromissoire en faisant prévaloir une clause attributive de juridiction et en considérant que certaines demandes sont délictuelles. Une telle motivation contrevient à l’effet négatif et est susceptible d’entraîner la cassation. En revanche, de son côté, la cour d’appel de Versailles accepte de renvoyer les parties à l’arbitrage, même à l’égard de parties intervenantes à une convention de garantie de passif (Versailles, 4 mars 2021, n° 19/03431).

II. Les pouvoirs du juge d’appui

Dans une affaire GBO (Paris, 5-16, 6 avr. 2021, n° 20/13048), les parties s’opposaient sur la participation forcée à l’arbitrage d’une tierce partie. Le tribunal arbitral a fait droit, en raison d’une acceptation tacite, à la demande d’extension de la clause compromissoire et a autorisé la partie à faire citer le tiers afin qu’il participe à la procédure arbitrale. Sans doute confrontée au refus de ce tiers de participer à la procédure, la partie a saisi le juge d’appui aux fins d’obtenir une décision enjoignant au tiers de participer à la procédure arbitrale. Le juge d’appui a déclaré la demande irrecevable.

La première question qui se posait à la cour d’appel était de savoir si elle pouvait connaître d’un recours contre cette décision du juge d’appui. L’article 1460 du code de procédure civile énonce en effet que « le juge d’appui statue par ordonnance non susceptible de recours ». Il est toutefois classiquement admis que l’appel-nullité est possible contre la décision en cas d’excès de pouvoir. À ce titre, la cour énonce que « l’appel-nullité reste ouvert, à titre exceptionnel, afin de faire censurer un excès de pouvoir de son auteur ou la violation d’un principe fondamental de procédure ». Le lecteur ne manquera pas d’être surpris par cette référence à la violation d’un principe fondamental de procédure. Il est jugé avec constance qu’un tel grief n’est pas de nature à ouvrir la voie de l’appel-nullité (Cass., ch., mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153, D. 2005. 386, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2006. 545, obs. P. Julien et N. Fricero image ; AJDI 2005. 414 image ; Gaz. Pal. 2005, n° 65, p. 9, avis M. Domingo ; Procédures 2005, n° 4, p. 14, obs. R. Perrot ; Dr. et patr. 2006, n° 144, p. 102, note S. Amrani-Mekki ; Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834, Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2020, n° 26, p. 36, obs. D. Bensaude). Ceci étant, cette divergence ne prête pas à conséquence, dès lors qu’un « excès de pouvoir négatif » est ici reproché au juge d’appui, à savoir un refus d’exercer son pouvoir. Le recours est donc recevable.

La seconde question est de savoir si le juge commet un excès de pouvoir en refusant d’enjoindre au tiers de participer à la procédure arbitrale. La réponse est négative. Pour la cour, « la demande soumise au juge d’appui portait sur une injonction relevant de la compétence du tribunal arbitral et non du juge d’appui ». Autrement dit, ce n’est pas une difficulté relative à la contestation du tribunal arbitral (pour une appréciation identique sur les pouvoirs du juge d’appui, v. TJ Paris, ord., 16 avr. 2021, n° 21/50115, commentaire lors de la prochaine chronique). La cour ajoute, à très juste titre, que « la défaillance de la partie qui conteste une telle extension ne devrait alors pas être traitée différemment de la défaillance de la partie qui a signé la clause d’arbitrage et qui n’empêche pas en principe l’instance arbitrale de se dérouler ». Ainsi, après la décision du tribunal arbitral, le tiers n’est plus un tiers ; il est une partie. Sa non-participation n’est rien d’autre qu’une non-comparution devant le tribunal arbitral. Elle ne fait pas obstacle à ce qu’une sentence soit rendue. En définitive, la participation de cette partie à l’arbitrage est une question de compétence, tranchée par le tribunal et susceptible d’un contrôle par le juge de l’annulation. Son défaut de comparution ne peut être contourné.

III. Les recours contre la sentence

A. Aspects procéduraux du recours

Les aspects procéduraux du recours en annulation peuvent devenir particulièrement complexes à apprécier dès lors qu’ils combinent les difficultés relatives à une procédure d’appel et celles relatives à un recours contre une sentence arbitrale. Autant dire que l’on est en plein dans le champ de mines pour les parties non averties (l’expression est de J. Paulsson, L’exécution des sentences arbitrales en dépit d’une annulation en fonction d’un critère local (ACL), Bull. CCI 1998, p. 14, spéc. p. 14). À cet égard, on signalera simplement que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie d’une requête (req. n° 15567/20) sur une éventuelle (et très improbable) atteinte au droit d’accès à un tribunal et à un recours effectif à cause de l’obligation faite aux parties de saisir le juge du recours par la voie électronique (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 image ; ibid. 2435, obs. T. Clay image ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson).

1. La recevabilité de l’appel

La réforme du 13 janvier 2011 a opéré un renversement majeur en arbitrage interne : alors que le principe était celui d’un appel ouvert, sauf volonté contraire des parties, il est désormais celui d’un appel fermé, sauf volonté contraire des parties (C. pr. civ., art. 1489). Si cette solution permet d’aligner la règle sur la pratique la plus répandue, elle ne manquera pas de surprendre dans certains domaines. C’est précisément le cas en matière « d’arbitrage médical », où l’on peut douter que les victimes aient véritablement conscience de la portée de leur acceptation. Malheureusement, dès lors que la qualification d’arbitrage est retenue, le juge n’a d’autres choix que de constater que, faute d’accord contraire, l’appel n’est pas ouvert (Bastia, 17 févr. 2021, n° 18/00385). La question se posait d’une conversion de l’appel en recours en annulation. Si la cour s’interdit de substituer une voie de recours à une autre, on constate néanmoins qu’elle examine les griefs au fond. D’une certaine façon, la cour rejette ensemble la prétention sur la recevabilité et le bien-fondé. Si, d’un point de vue de la rigueur juridique, la méthode n’est pas satisfaisante, elle permet aussi, d’un point de vue pratique, de montrer au requérant que son recours ne pouvait pas prospérer…

En revanche, un autre arrêt juge l’appel recevable, par un motif qui interpelle (Paris, 5-16, 16 mars 2021, n° 19/03195, Mateou). En l’espèce, l’appelant ne produisait pas la convention d’arbitrage et l’intimé n’était pas comparant. Impossible donc de savoir si les parties s’étaient accordées sur un appel. Pourtant, la cour énonce qu’il « ressort du dispositif de la sentence que la voie de l’appel est ouverte ». En conséquence, l’appel est jugé recevable. On est un peu étonné par cette portée accordée à la sentence, alors qu’il n’appartient pas à l’arbitre de déterminer les voies de recours. La cour n’aurait-elle pas dû, particulièrement en l’absence de l’intimé, exiger la preuve de la convention d’arbitrage pour accueillir l’appel ? La question mérite d’être posée.

2. La concentration des prétentions

Dans l’arrêt Ukravtodor (Paris, 5-16, 9 mars 2021, n° 18/21326), la question se posait de la recevabilité d’un élément soumis à la discussion après le premier jeu de conclusion. En effet, l’article 910-4 du code de procédure civile énonce qu’« à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond ».

Pour que le principe de concentration s’applique au premier jeu de conclusions, il faut que l’élément puisse être qualifié de prétention. Lors d’un recours en annulation (ou contre l’ordonnance d’exequatur), il n’y a qu’une seule prétention : l’annulation de la sentence (ou celle de l’ordonnance d’exequatur). Les moyens ultérieurs au soutien de cette prétention sont recevables, nonobstant cette obligation de concentration. Cela vaut, naturellement, pour un nouveau grief invoqué au soutien d’un cas d’ouverture, mais aussi, pour un cas d’ouverture supplémentaire qui serait présenté postérieurement. En clair, si une partie a invoqué uniquement un grief tiré de l’incompétence du tribunal (art. 1520, 1°) du fait de la nullité de la clause dans son premier jeu de conclusions, il peut, ultérieurement, invoquer un autre grief tiré de ce même cas d’ouverture (par exemple l’inapplicabilité de la clause), et un grief relevant d’un autre cas d’ouverture (par exemple, un manquement lié à l’obligation de révélation, fondé sur l’art. 1520, 2°). C’est ce que dit l’arrêt d’appel dans cette affaire, puisqu’il retient que « le paragraphe litigieux n’est pas une prétention nouvelle, mais un élément de discussion supplémentaire qui vient au soutien du moyen en annulation fondé sur la violation de l’ordre public international ». On soulignera particulièrement que le cas d’ouverture relatif à l’ordre public international est bien qualifié de « moyen », et pas de prétention.

La question peut également se poser pour certains arguments du défendeur au recours. En effet, la jurisprudence a une interprétation souple de la notion de prétention, au point d’y inclure des moyens de défense (Civ. 1re, 4 mars 2021, n° 19-15.695). Pour autant, les moyens de défense, s’ils peuvent être des prétentions, ne sont pas des prétentions au fond. Ainsi, les fins de non-recevoir, pour ne citer qu’elles, ne sont pas soumises à ce principe de concentration.

3. La renonciation aux irrégularités

a. Les modalités de la renonciation

L’arrêt DS Construction (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756) apporte deux précisions intéressantes sur les modalités de la renonciation.

D’abord, il soulève une interrogation. En énonçant qu’« aux termes de l’article 1466 du code de procédure civile, applicable en matière d’arbitrage international et en l’espèce, dès lors que le siège de l’arbitrage litigieux a été fixé à Paris », il invite à se demander si la renonciation prévue par le code de procédure civile ne s’appliquerait pas lorsque le siège n’est pas fixé en France. Il en va d’ailleurs de même de l’arrêt Grenwich, qui retient, pour appliquer l’article 1466, que, pour « les parties ayant choisi Paris (France) en tant que siège de l’arbitrage, la loi française est applicable à la procédure » (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695). Ces formules sont, à notre connaissance, nouvelles. Il conviendra d’y être attentif et de s’assurer qu’elles ne conduisent pas le juge à écarter la renonciation lorsque la sentence n’a pas été rendue en France, ce qui nous paraîtrait discutable.

Ensuite, et c’est là encore particulièrement intéressant, l’arrêt DS Construction ne limite pas la renonciation au demandeur au recours. En principe, ce moyen est invoqué pour faire échec à un grief formulé par l’auteur du recours à l’encontre de la sentence arbitrale. Il s’agit donc de préserver la sentence. Dans cette affaire, la cour accepte la situation inverse : le grief présenté par le demandeur au recours est recevable parce que le défendeur a renoncé à se prévaloir de l’irrégularité pendant l’instance. Autrement dit, l’irrecevabilité est irrecevable.

Dans les faits, le litige opposait la société DS Construction, demandeur, à la Libye, défendeur. Alors que des difficultés de constitution du tribunal arbitral ont émaillé la procédure, il a été demandé à celui-ci de trancher par une sentence la question de la régularité de sa constitution en application du règlement CNUDCI de 1976. Lors de cette instance, la société DS construction n’a pas soulevé de fin de non-recevoir tirée de l’abus de droit ou du défaut d’intérêt à agir de la Libye pour contester la constitution. Pour la cour d’appel, il en résulte que DS Construction n’est plus recevable à invoquer ces fins de non-recevoir devant le juge de l’annulation pour faire échec au recours formé par la Libye.

Sur le papier, la solution peut se prévaloir de l’article 1466 du code de procédure civile, qui ne distingue pas selon que les irrégularités soient invoquées par le demandeur ou le défendeur au recours. Il n’en demeure pas moins qu’une telle solution devrait s’accompagner d’une véritable révolution dans la façon de mener une procédure arbitrale. En effet, il ne s’agit plus simplement de protéger ses droits en tant que potentiel demandeur à un recours ; il s’agit également de les préserver en tant que futur défendeur à un recours. Une application trop stricte pourrait conduire le défendeur à voir ses moyens de défense considérablement diminués lors du recours. En effet, la distinction entre une irrégularité – susceptible de renonciation – et un moyen de défense – en particulier une fin de non-recevoir ou une exception de procédure – est loin d’être évidente. Là encore, il faudra observer attentivement les évolutions d’une telle jurisprudence et adapter son comportement durant les procédures arbitrales.

b. La portée de la renonciation

Lors d’une chronique récente, on évoquait, sans cacher notre désaccord, la décision rendue par la Cour de cassation dans l’affaire Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 image ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller). Il aura fallu peu de temps pour que les effets corrosifs de cette jurisprudence se fassent ressentir (v. déjà, reprenant l’attendu, mais en dehors d’une question de compétence, Paris, 5-16, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, préc.). Désormais, il convient de distinguer deux choses : la renonciation à un cas d’ouverture du recours et la renonciation à un grief. L’arrêt Schooner de la Cour de cassation n’a pas modifié la question de la renonciation à un cas d’ouverture, qui avait été fixée dans l’arrêt d’appel (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont).

Sur la renonciation à un cas d’ouverture, la solution est régulièrement reprise : l’article 1466 du code de procédure civile « ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international » (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich). Les parties sont susceptibles de renoncer à n’importe quel cas d’ouverture, sauf l’ordre public international (et plus précisément, l’ordre public international substantiel de direction ; pour l’exclusion de l’ordre public de protection et procédural, v. Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). L’arrêt Schooner ne modifie pas cette solution.

Toutefois, la renonciation ne concerne pas que les cas d’ouverture ; elle concerne aussi les griefs. L’arrêt Grenwich reprend cette solution, en rappelant qu’elle « vise des griefs précisément et concrètement articulés et non des catégories de moyens ». C’est cette solution qui est remise en cause en matière de compétence par l’arrêt du 2 décembre 2020. Cette faculté d’invoquer de nouveaux moyens et arguments et nouvelles pièces est conditionnée à la contestation de la compétence préalable du tribunal arbitral. Autrement dit, si la compétence a été discutée, le débat peut évoluer devant le juge du recours ; en revanche, s’il n’a pas eu lieu, les parties ont renoncé à invoquer tous moyens sur la compétence. Dans deux arrêts successifs, la cour d’appel reprend à son compte la solution de la Cour de cassation et l’applique immédiatement, accueillant ainsi pour son examen de la compétence de nouveaux moyens.

C’est le cas, premièrement, dans l’arrêt Oschadbank (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161), où la cour énonce que, « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve, dès lors qu’il n’est pas possible d’induire du fait qu’un argument n’ait pas été précédemment évoqué devant le tribunal arbitral l’acceptation de sa compétence par l’autre partie ». Cela dit, les faits étaient un peu particuliers, puisque le défendeur à l’arbitrage n’avait pas participé à la procédure arbitrale, mais avait, dans un courrier adressé au tribunal arbitral, exposé qu’il ne reconnaissait pas sa compétence. Aussi, l’admission des moyens pouvait autant se fonder sur le défaut de comparution que sur la jurisprudence Schooner.

C’est également le cas, deuxièmement, dans l’arrêt Ukravtodor (Paris, 5-16, 9 mars 2021, n° 18/21326). Cette fois, le défendeur a bien comparu devant le tribunal arbitral. Il suffit pour la cour de constater que la compétence a été contestée pour autoriser la partie à faire valoir de nouveaux moyens. Elle énonce qu’« il ressort de ce qui précède que la compétence ayant été débattue devant les arbitres, Ukravtodor, qui ne change pas de position procédurale, est recevable, à soutenir le moyen d’annulation tiré de l’incompétence du tribunal arbitral devant le juge de l’annulation en faisant valoir des faits et des moyens nouveaux ». Ainsi, la sentence est susceptible d’être annulée pour un motif qui n’a pas été préalablement discuté devant lui. La priorité du tribunal arbitral est purement et simplement ignorée. Les parties sont d’autant moins incitées à présenter l’ensemble de leurs arguments devant le tribunal arbitral que l’estoppel est écarté, la cour estimant qu’il « ne se confond pas avec la mauvaise foi ». Ainsi, les spécificités du recours en annulation sont gommées, celui-ci étant relégué au rang d’appel voie d’achèvement, où les parties peuvent librement discuter de nouveaux moyens.

B. Aspects substantiels du recours

1. La compétence

a. La distinction compétence et recevabilité

La Cour de cassation a rendu le 31 mars 2021 (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, D. 2021. 704 image) une décision qu’on ne peut que saluer, tant on l’appelait de nos vœux. Dans une affaire Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi), la cour d’appel avait accepté d’examiner, sous couvert de compétence ratione temporis, une question relative à la prescription. Ce faisant, elle mettait à mal la distinction entre les questions de compétence, soumises au contrôle du juge du recours, et les questions de recevabilité, exclues de son examen. Pour être plus précis, la cour d’appel n’envisageait pas de contrôler les questions de recevabilité. Plus subtilement, elle jouait sur la qualification de ce moyen, pour qualifier de compétence ce qui aurait dû être qualifié de recevabilité et faire entrer le grief dans le cadre de son examen. Autrement dit, c’est la catégorie « compétence » qui était déformée.

Cette voie d’eau dans la notion de compétence commençait déjà à produire ses effets, puisque la cour d’appel avait implicitement déclaré recevable une question relative au non-respect d’une clause amiable de règlement des différends (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c. Keppel Seghers Engineering Singapore, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Le risque était qu’à moyen terme, les questions de recevabilité soient finalement qualifiées de compétence et soumises au contrôle a posteriori du juge étatique.

L’arrêt est cassé, précisément sur ce motif. La Cour de cassation énonce que « le délai de prescription prévu au paragraphe 3, d), de l’article XII de l’accord ne constitue pas une exception d’incompétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui ne relève pas de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile ». Ce faisant, la Cour accepte de contrôler la qualification réalisée par le juge d’appel. Elle requalifie l’argument en question de « prescription ». Forte de cette requalification, la Cour juge logiquement, en privant la cour d’appel d’une appréciation souveraine, qu’il s’agit d’une question de recevabilité et non de compétence. En conséquence, elle redonne à la catégorie compétence sa forme initiale en supprimant l’excroissance occasionnée par l’arrêt d’appel.

Est-ce à dire qu’il n’existe pas, en matière d’arbitrage, de problématiques liées au champ d’application ratione temporis ? La réponse semble devoir être négative, comme l’illustre l’arrêt Oschadbank (v. infra). Néanmoins, la distinction doit être rigoureusement réalisée entre ce qui relève du champ d’application de la convention d’arbitrage et ce qui relève de la recevabilité de la prétention.

b. L’examen de la compétence

• La compétence fondée sur un TBI

Dans l’arrêt Oschadbank (Paris, 5-16, 30 mars 2021, n° 19/04161), la cour commence sa motivation par souligner que « seule la volonté commune des parties a le pouvoir d’investir l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, lequel se confond en matière d’arbitrage avec sa compétence ». Cette assimilation de la compétence au pouvoir ne manquera pas d’attirer l’œil de la doctrine, d’autant qu’elle a déjà été discutée (M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013, nos 359 s.).

Elle a cependant peu d’importance dans l’affaire, qui consiste pour l’essentiel à déterminer le champ d’application temporel d’un traité bilatéral Russie-Ukraine, sur lequel le tribunal arbitral avait fondé sa compétence. Dans l’affaire Rusoro, qui vient d’être évoquée, la cour d’appel avait tenté d’assimiler une question de prescription à une problématique de champ d’application temporel. Dans l’affaire Oschadbank, le débat est d’une autre nature puisque l’article 12 du traité stipule que « le présent accord s’applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d’une partie contractante sur le territoire de l’autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 » (« This Agreement shall apply to all investments made by the investors of one Contracting Party in the territory of the other Contracting Party as of 1 January 1992 »). Il s’agit d’une véritable condition temporelle d’application du traité.

L’examen de cette clause fera sans aucun doute l’objet d’analyses érudites par les spécialistes du droit des investissements. Nous nous limiterons donc à quelques remarques sur le raisonnement de la cour qui l’amène à annuler la sentence arbitrale. La principale critique que nous pouvons formuler à l’encontre de l’arrêt, mais elle est capitale, réside dans la motivation du paragraphe 83. La cour y énonce que « les termes de l’article 12 précité sont suffisamment clairs pour considérer qu’il détermine le champ d’application temporel du traité et qu’il n’ouvre droit à une protection tant substantielle que procédurale qu’aux seuls investissements qui ont été réalisés à compter du 1er janvier 1992 de sorte qu’en sont nécessairement exclus ceux qui l’ont été antérieurement ». Autrement dit, la cour distingue les investissements antérieurs et les investissements postérieurs au 1er janvier 1992 et exclut les premiers du champ d’application du traité, quand bien même ils perdurent après cette date butoir. La cour appuie sa motivation en soulignant « qu’interpréter cet article 12 comme pouvant inclure les investissements, qui bien que réalisés avant le 1er janvier 1992 perdurent après cette date, serait manifestement contraire au sens ordinaire de cette disposition et reviendrait à priver celle-ci de son objet et de son but ». Ce faisant, la cour abuse du raisonnement a contrario. Les limites de cette technique d’interprétation sont mises en lumière depuis longtemps, la doctrine signalant que « le raisonnement a contrario est très dangereux, car il ne procure aucune certitude » (B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, 5e éd., Litec, 2000). La cour n’échappe pas à cet écueil. Certes, le traité indique qu’il s’applique aux investissements postérieurs au 1er janvier 1992. En revanche, il est silencieux sur les investissements antérieurs. Or les investissements antérieurs sont, au moins, de deux ordres : ceux achevés avant cette date et ceux qui perdurent après l’entrée en vigueur du traité. Exclure les premiers du bénéfice du traité par une interprétation a contrario peut s’entendre, exclure les seconds par la même interprétation n’a absolument rien d’évident, contrairement à ce que prétend la cour. Pour appuyer son analyse, la cour utilise les travaux préparatoires du traité, qui sont plus convaincants, sans être décisifs. En somme, la motivation de la cour pour annuler la sentence aurait mérité d’être approfondie. On regrette particulièrement que la jurisprudence arbitrale sur le champ d’application ratione temporis des traités bilatéraux d’investissements ne soit pas convoquée, alors qu’il est fait référence à des décisions étatiques étrangères.

• La transmission de la clause compromissoire

La transmission de la clause compromissoire est une question classique de l’arbitrage international. Elle pose deux questions : celle de l’application de la clause au nouveau titulaire de l’obligation et celle de son application à l’ancien titulaire de l’obligation. Ces deux questions ont fait l’objet de décisions dans la période récente.

La première hypothèse était présentée à la cour dans un arrêt Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891). La cour énonce simplement que « la clause compromissoire s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants ». Il est vrai que cette situation ne présente pas véritablement de discussions. Elle figure d’ailleurs à l’article 2061 du code civil : « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée ». La difficulté peut porter sur la caractérisation d’une véritable succession entre deux parties. Néanmoins, une fois ce point tranché, il ne fait aucun doute que la clause est transmise, comme c’est le cas dans cet arrêt.

La seconde situation, plus complexe, était soumise à la cour dans l’affaire Ukravtodor (Paris, 5-16, 9 mars 2021, n° 18/21326). Le défendeur à l’arbitrage rejetait la compétence du tribunal arbitral, au motif que le demandeur avait cédé le contrat contenant la clause compromissoire. Le plus souvent, on est habitué à ce que la question de l’application de la clause se pose à l’égard du cessionnaire. Il est beaucoup plus rare qu’elle se pose à l’égard du cédant.

La cour commence par rappeler la règle matérielle issue de l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer image ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin image ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard), mais dans une formulation légèrement modifiée : « Selon une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est juridiquement indépendante du contrat principal qui la contient ou s’y réfère. À condition qu’aucune disposition impérative du droit français ou d’ordre public international ne soit affectée, son existence ou sa validité dépend uniquement de l’intention commune des parties sans qu’il soit nécessaire de se référer à un droit national ». Cette formulation ne semble cependant pas présenter d’évolution majeure.

Ensuite, concernant le cas plus précis de la cession de contrat, la cour énonce qu’« indépendamment du fait que le contrat contenant la clause d’arbitrage ait été cédé ou non avant l’introduction de la procédure arbitrale, il convient de vérifier l’existence et la portée du consentement des parties à l’arbitrage pour permettre au tribunal arbitral de connaître du différend et ce faisant l’aptitude du tribunal arbitral à connaître de l’affaire, ce qui revient à en apprécier la compétence ». La transmission du contrat n’a donc pas d’effet sur la compétence du tribunal, qui s’examine au regard du seul consentement initial à la clause. La cour précise sa pensée en ajoutant que « la clause d’arbitrage, particulièrement en matière internationale lorsqu’elle est insérée dans un contrat mettant en jeu les intérêts du commerce international, présente une autonomie juridique excluant qu’elle puisse être affectée tant par une éventuelle invalidité du contrat que par la transmission de ce contrat ». Cette motivation ne manquera pas de susciter la discussion. Prise à la lettre, elle signifie que la clause n’est pas transmise quand bien même le contrat est transmis. C’est pourtant tout l’inverse qui est préconisé depuis deux décennies. Dans les arrêts Banque Worms (Civ. 1re, 5 janv. 1999, n° 96-20.202, D. 1999. 31 image ; Rev. crit. DIP 1999. 536, note E. Pataut image ; Rev. arb. 2000. 85, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2000, n° 287, p. 11, obs. E. du Rusquec) et Banque générale de commerce (Civ. 1re, 19 oct. 1999, n° 97-13.253, Rev. arb. 2000. 85, note D. Cohen), la Cour de cassation avait énoncé, dans des termes identiques, que « la clause d’arbitrage international, valable par le seul effet de la volonté des contractants, est transmise au cessionnaire avec la créance, telle que cette créance existe dans les rapports entre le cédant et le débiteur cédé ».

Comment concilier, d’une part, une clause qui est transmise à l’égard du cessionnaire avec la cession et, d’autre part, une clause qui n’est pas affectée par la transmission à l’égard du cédant ? C’est qu’en réalité, le terme de transmission, s’il est adapté à l’obligation principale, ne l’est pas pour la clause compromissoire. La clause n’est pas transmise ; elle prolifère. C’est un processus équivalent à la mitose, qui correspond à la division d’une cellule mère en deux cellules filles strictement identiques génétiquement : lors de la transmission de l’obligation, la clause compromissoire se divise en deux et lie aussi bien le cédant au cédé que le cessionnaire au cédé (dans le même sens : F.-X. Train, Arbitrage et action directe : à propos de l’arrêt ABS du 27 mars 2007, Cah. arb. 2007, n° 3, p. 6). Ainsi, les arbitres sont mis en mesure de juger les litiges entre les premiers ou entre les seconds, et notamment de trancher la question de la cession du contrat. C’est précisément ce que juge la cour, qui énonce que le tribunal arbitral a « compétence pour connaître du litige opposant ces deux sociétés, nonobstant la question de la cession des contrats […], qui au demeurant est contestée en l’espèce et relève d’un débat au fond qu’il appartient au tribunal arbitral de trancher […], et qui en tout état de cause n’efface pas la volonté commune […] de soumettre tous les litiges liés aux contrats à l’arbitrage ».

• L’extension de la clause

L’arrêt Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891) est l’occasion de revenir sur la question de l’extension de la clause compromissoire à un tiers non-signataire. La cour énonce que, « selon les usages du commerce international, la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans la négociation, la conclusion, l’exécution et/ou la résiliation du contrat ». La formule est intéressante. Elle est reprise d’un précédent arrêt (Paris, 16 oct. 2018, n° 16/18843, Rev. arb. 2019. 884, note S. Willaume). Elle illustre toutefois, comme le révélait déjà le commentateur de l’arrêt de 2018, les difficultés de la jurisprudence à se fixer sur une règle précise en matière d’extension de la clause. Trois règles semblent cohabiter. La première, la plus exigeante, requiert de la part du tiers la connaissance et l’acceptation de la clause, fût-elle présumée (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, Kout Food Group, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image ; Cah. Arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine). La deuxième, intermédiaire, requiert simplement la connaissance, mais pas l’acceptation de la clause (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). La troisième, la plus libérale, ne fait référence, comme dans le présent arrêt, ni à la connaissance ni à l’acceptation (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech image, note S. Bollée image ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke image ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry image ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur). Reste que, comme le signale François-Xavier Train, ces différences n’ont sans doute qu’une portée formelle (F.-X. Train, L’extension de la clause compromissoire. Chronique des années 2012-2017, Rev. arb. 2017. 389, n° 13). Il n’en demeure pas moins qu’une règle unique serait sans doute préférable, notamment pour permettre aux arbitres de s’appuyer sur les bons critères pour juger en faveur de l’extension de la clause.

En l’espèce, la preuve de l’implication du tiers est rapportée, la cour considérant que celui-ci a joué un « rôle actif dans l’exécution et la résiliation du contrat […] au-delà du simple contrôle qu’elle pouvait exercer sur sa filiale ».

• La convention d’arbitrage et le droit du travail

C’est une question particulièrement intéressante sur les relations entre arbitrage et droit du travail, mais qui devrait rester assez rare, qui était posée à la cour d’appel de Versailles (Versailles, 9 mars 2021, n° 19/05333, Gan Yael). Une relation de travail unissait un employeur et son salarié. Elle s’est terminée par le licenciement du salarié. Toutefois, avant le licenciement, un compromis d’arbitrage a été conclu entre l’employeur et le salarié pour résoudre des difficultés relatives à des primes et des arriérés de salaires. Une sentence arbitrale a été rendue par un tribunal arbitral rabbinique. L’annulation de la sentence est demandée, sur le fondement des dispositions du code du travail qui donne au conseil de prud’hommes une compétence exclusive et d’ordre public. Il y a une triple spécificité dans ce litige : premièrement, la compétence arbitrale résulte d’un compromis ; deuxièmement, le litige est tranché avant le licenciement du salarié ; troisièmement, c’est l’employeur qui demande l’annulation de la sentence.

La sentence est annulée. La cour énonce que « le caractère exclusif et d’ordre public de la compétence du conseil de prud’hommes résulte de ce texte et s’impose quelle que soit la partie qui s’en prévaut ». Elle ajoute que « le litige ne pouvait faire l’objet d’une convention d’arbitrage en raison de la matière et que la chambre arbitrale rabbinique ne pouvait retenir sa compétence sans heurter la règle de compétence d’ordre public issue des dispositions du code du travail, dès lors que les parties étant encore liées par un contrat de travail ».

Le débat est naturellement complexifié par le déroulement de l’arbitrage pendant la durée du contrat de travail. Il n’en demeure pas moins que, en principe, les litiges résultant d’un tel contrat ne sont pas inarbitrables. C’est la clause compromissoire qui est stigmatisée, pas le recours à l’arbitrage. Faut-il étendre l’interdiction à un compromis conclu pendant l’exécution du contrat ? On peut en douter. On peut d’autant plus en douter que l’annulation est ici demandée par l’employeur. Fallait-il permettre à ce dernier de s’en prévaloir, et y voir une nullité absolue ? Ce n’est pas nécessairement la logique de la prohibition de la clause compromissoire en droit positif. Ainsi, l’article 2061 du code civil permet seulement à la partie qui n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle de ne pas se la voir opposée. C’est aussi la solution retenue pour le contrat de travail international (Soc. 16 févr. 1999, n° 96-40.643, Bull. civ. V, n° 78 ; D. 1999. 74 image ; Dr. soc. 1999. 632, obs. M.-A. Moreau image ; Rev. crit. DIP 1999. 745, note F. Jault-Seseke image ; Rev. arb. 1999. 290 [1re esp.], note M.-A. Moreau ; JCP E 1999. 1685, note P. Coursier ; ibid. 748, obs. F. Taquet ; Gaz. Pal. 2000. Somm. 699 [1re esp.], obs. M.-L. Niboyet ; LPA 2000, n° 158, p. 4 [1re esp.], obs. F. Jault-Seseke ; J. Pelissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockes, Les grands arrêts de droit du travail, 3e éd., Dalloz, 2004., n° 26). La protection contre le recours à l’arbitrage est donc, en principe, unilatérale.

• L’interprétation de la clause

Le plus souvent, le juge annule des sentences où le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent. Il est en revanche beaucoup plus rare que l’annulation soit prononcée contre une sentence d’incompétence. C’est pourtant le cas dans l’arrêt LERCO (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068). La cour retient l’interprétation différente de la clause. Il s’agissait de savoir si certaines demandes extracontractuelles relevaient du champ d’application de la clause. Réponse négative pour le tribunal arbitral, positive pour la cour d’appel. La sentence est annulée partiellement sur ce point.

2. La constitution du tribunal arbitral

a. Le respect des règles de constitution du tribunal arbitral

L’annulation de la sentence arbitrale dans l’affaire DS Construction c. Libye (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/05756) devrait faire grand bruit. La société DS Construction a investi en Libye et, à la suite d’un litige avec l’État, lui a adressé une notification de différend, en application des dispositions de l’accord sur la promotion, la protection et la garantie des investissements entre les États membres de l’Organisation de la Conférence islamique (ci-après « le Traité de l’OCI »), auquel la Libye est partie. Face au refus du défendeur de désigner un arbitre, le demandeur a saisi le secrétaire général de l’OCI afin qu’il procède à cette désignation. Le secrétaire général de l’OCI n’a pas répondu à la demande de désignation. Confrontée à ce silence, la société DS Construction a saisi le secrétaire général de la Cour permanente d’arbitrage (ci-après « la CPA ») afin que celle-ci procède à la désignation d’un arbitre pour le compte de l’État de Libye, en se fondant sur les dispositions du règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Malgré les protestations du défendeur, le secrétaire général de la CPA a accepté de désigner un arbitre. Finalement, les parties se sont accordées pour que la question de la régularité de la constitution du tribunal arbitral soit tranchée par ce dernier. Le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle sur la question préliminaire relative à la régularité de sa constitution, aux termes de laquelle il a rejeté l’objection de l’État de Libye. C’est cette sentence qui est soumise à la cour d’appel.

En substance, le débat porte sur la faculté de saisir le secrétaire général de la CPA pour faire désigner un arbitre, sur le fondement du règlement d’arbitrage CNUDCI, alors que le Traité de l’OCI ne prévoit pas cette faculté. Pour justifier ce choix, la société DS Construction se prévaut d’une clause de la nation la plus favorisée contenue dans le Traité de l’OCI et permettant de bénéficier d’un traité bilatéral conclu entre la Libye et l’Autriche.

L’arrêt soulève d’intéressantes questions relatives au droit des investissements. Nous en laisserons le commentaire aux spécialistes. Nous signalerons simplement que la cour n’écarte pas totalement qu’une disposition procédurale puisse entrer dans le champ d’une clause de la nation la plus favorisée. Elle énonce qu’« il ne peut être écarté d’emblée la possibilité pour une clause NPF d’inclure l’importation de procédure de règlement des différends alors que le “traitement” d’un investisseur peut potentiellement inclure non seulement le bénéfice d’un droit substantiel mais aussi le bénéfice d’un traitement procédural garantissant un dispositif de règlement des différends adapté à l’objet et au but du Traité ». En cela, elle semble prendre ses distances avec un autre arrêt, à l’occasion duquel elle avait exclu plus fermement que l’investisseur puisse se prévaloir de la clause de la nation la plus favorisée pour bénéficier de la clause d’arbitrage contenue dans un autre traité (Paris, 25 juin 2019, n° 17/06430, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). Elle refuse toutefois au requérant le bénéfice de cette clause, au motif qu’« il ne peut donc être considéré que les parties au Traité, ayant expressément prévu un dispositif ad hoc de règlement des litiges, aient entendu permettre le recours à des règlements de procédure externes, à tout le moins en l’absence d’accord de chacune des parties au litige ». Ainsi, parce que les parties au traité ont prévu des dispositions sur le règlement des litiges, le bénéfice de la clause NPF est écarté. En conséquence, il y a une violation du Traité de l’OPI par le recours au secrétaire général de la CPA.

Cela dit, une question demeure : que peut faire une partie lorsque l’autorité de nomination refuse de désigner un arbitre à la place du défendeur ? La cour énonce que « la constitution du tribunal arbitral en dehors des conditions prévues par le Traité OCI et contre la volonté de l’une des parties ne peut être justifiée par l’absence de démonstration par l’autre partie de la faculté pour l’une d’elles de saisir un juge d’appui alors qu’il appartenait à la société DS Construction d’engager les procédures adéquates tendant le cas échéant à saisir un juge d’appui afin de faire trancher la difficulté de constitution du tribunal, ce qu’elle n’a nullement fait, de sorte qu’elle ne peut s’en remettre à de simples considérations hypothétiques quant aux chances de succès d’une telle action pour s’en dispenser ». Ce faisant, elle répond à une objection de DS Construction, qui entendait faire peser sur la Libye la charge de la preuve de la faculté de saisir un juge d’appui. La cour s’y refuse. La difficulté, dans la présente affaire, réside dans l’absence de siège de l’arbitrage prévu par le Traité de l’OCI. En l’espèce, Paris a été désigné comme siège par une ordonnance de procédure du tribunal arbitral. Autrement dit, le requérant n’avait pas, avant cette date, de juge d’appui à saisir. Après l’annulation, le requérant n’aura toujours pas de juge d’appui à saisir, l’ordonnance de procédure étant anéantie avec la sentence. Cela dit, le demandeur avait toujours la possibilité de se prévaloir du fameux article 1505, 4°, du code de procédure civile, pour saisir le juge d’appui français. C’est sans doute ce qu’avait en tête la cour en écartant le moyen.

Pour autant, on sait que le juge français, à travers la jurisprudence NIOC (Civ. 1re, 1er févr. 2005, n° 01-13.742, NIOC, D. 2005. 2727 image, note S. Hotte image ; ibid. 3050, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2006. 140, note T. Clay image ; RTD com. 2005. 266, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2005. 693, note H. Muir Watt ; Gaz. Pal. 27-28 mai 2005, p. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 2005, n° 147, p. 37, note F.-X. Train), reprise par l’article 1505, 4°, du code de procédure civile, se présente comme un « bon samaritain » de l’arbitrage (P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 838). Ce faisant, le droit positif français accepte que les parties s’émancipent des règles normalement applicables à leur litige pour aller chercher le soutien d’un tiers, le juge d’appui français, et obtenir la constitution du tribunal arbitral. Faut-il que le juge d’appui français soit le seul bon samaritain de l’arbitrage au monde ? Des parties qui saisiraient le juge d’appui français seraient-elles absoutes de la violation des règles applicables à la clause, là où toute autre saisine conduirait à une implacable annulation de la sentence ? Naturellement, on pourra toujours arguer qu’il convient, dans une telle hypothèse, de préférer un juge étatique. On peut néanmoins se demander si, dans l’esprit de la jurisprudence NIOC, la cour n’aurait pas pu valider la désignation par une autre autorité de nomination aussi vénérable que la CPA. On peut penser que, dans un esprit de faveur à l’arbitrage qui a longtemps animé les juridictions françaises, la solution était à la portée de la cour.

b. L’indépendance et l’impartialité

Les arrêts Grenwich (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695) et Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891) rappellent que l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral peuvent être examinées indépendamment de la révélation. En toute logique, il convient d’adapter le raisonnement à cette argumentation. Les indices d’un défaut d’indépendance ou d’impartialité peuvent notamment figurer dans la sentence, mais la cour ne peut contrôler la motivation du tribunal arbitral.

À cet égard, l’arrêt Grenwich juge logiquement que, lorsque les parties se prévalent d’un manquement illustré par la rédaction de la sentence, elles ne peuvent y avoir renoncé. Il convient donc de distinguer selon les indices présentés au juge : antérieurs à la reddition de la sentence, ils doivent faire l’objet d’une contestation devant le tribunal arbitral (par exemple s’il s’agit de propos tenus lors de l’audience) ; postérieurs à la reddition, ils peuvent être présentés pour la première fois devant le juge de l’annulation.

Surtout, dans les deux arrêts, la cour propose deux nouvelles grilles d’appréciation, l’une pour l’indépendance, l’autre pour l’impartialité. Pour la première, la cour énonce que « l’appréciation d’un défaut d’indépendance d’un arbitre procède d’une approche objective consistant à caractériser des facteurs précis et vérifiables externes à l’arbitre susceptibles d’affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels et/ou économiques avec l’une des parties ». Pour la seconde, elle retient que « l’impartialité de l’arbitre suppose l’absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d’affecter le jugement de l’arbitre, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l’arbitre, son environnement social, culturel ou juridique. Toutefois, pour être pris en compte, ces éléments doivent créer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur son impartialité de telle sorte que l’appréciation de ce défaut doit procéder d’une démarche objective ».

Plus que des définitions des notions d’indépendance et d’impartialité, la cour pose par ces arrêts des éléments de régime (v. égal., sur l’impartialité, Paris, 17 déc. 2019, n° 17/23073, Laser, Dalloz actualité, 6 avr. 2020, obs. W. Brillat-Capello ; Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). On peut se réjouir de cette démarche. Les éléments visés feront sans aucun doute l’objet de discussions et seront soumis à l’épreuve des faits. Il est délicat, à ce stade, d’en faire une analyse critique.

Dans les deux affaires, le requérant se prévalait d’éléments de motivation pour établir le défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. En théorie, il est tout à fait possible d’obtenir gain de cause de cette façon, d’autant que la jurisprudence judiciaire admet que le défaut d’impartialité peut être caractérisé par une reproduction intégrale des conclusions d’une partie au titre de la motivation (Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-18.029, Procédures 2010, n° 1, p. 18, obs. B. Rolland ; Annales des loyers 2010. 936, obs. F. Bérenger) ou encore dans une motivation vexatoire à l’égard des parties (Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 04-20.524, D. 2006. 2346 image ; ibid. 2007. 896, chron. V. Vigneau image ; AJDI 2006. 932 image, obs. F. Bérenger image ; Procédures 2006, n° 11, p. 14, obs. R. Perrot ; JCP 2006. 2177, note R. Kessous). Les deux recours sont néanmoins rejetés. La cour précise, dans l’arrêt Grenwich, que, « si un tel doute peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l’annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l’attitude de l’arbitre a été partiale ou à tout le moins seraient de nature à donner le sentiment qu’elle l’a été ». Il est en effet logique qu’une sentence qui tranche en faveur d’une partie au détriment d’une autre contienne des éléments d’appréciation sur les faits qui sont nécessaires à la motivation, sans pour autant refléter une quelconque partialité. Dans ce cadre, il n’y a rien de choquant à ce que l’arbitre s’appuie sur certaines pièces au détriment d’autres et retienne l’argumentation de l’une des parties plutôt que de l’autre. La cour se refuse logiquement d’entrer dans le débat, afin de ne pas réviser la sentence au fond.

c. La révélation

Alors que l’on s’est interrogé il y a seulement deux mois sur une éventuelle révolution dont l’arrêt Vidatel serait à l’origine (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : la révélation encore révolutionnée ?, Dalloz actualité, 22 févr. 2021), l’arrêt LERCO semble rebattre à nouveau les cartes (Paris, 5-16, 23 févr. 2021, n° 18/03068, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image). Il faut donc jouer au jeu des sept différences pour retrouver son chemin.

Rappelons d’abord les faits. Deux arbitrages ont lieu séparément. On trouve deux demandeurs différents (un par procédure), mais un défendeur identique. Les demandeurs sont représentés par le même cabinet d’avocats, tout comme le défendeur. Dans les deux procédures, le défendeur désigne le même arbitre. Le demandeur s’y oppose dans la seconde procédure, ce qui conduit la Chambre de commerce internationale (CCI) à ne pas confirmer l’arbitre pour celle-ci. Seule la sentence rendue dans la première procédure nous intéresse. Dans le cadre de celle-ci, l’arbitre a révélé avoir été désigné en qualité de coarbitre par le cabinet d’avocats du défendeur six fois en dix-huit ans. Les trois dernières désignations correspondaient à des dossiers dont le montant en litige excédait le milliard (d’euros ou de dollars). Néanmoins, le cœur du litige concerne une désignation postérieure. En effet, pendant le déroulement de l’instance (qui aura duré trois ans), l’arbitre a été une nouvelle fois désigné par le même cabinet d’avocats. Cette fois, il ne l’a pas révélé. C’est ce défaut de révélation, que la partie adverse a découvert postérieurement, qui fonde le recours en annulation.

L’arrêt LERCO semble piocher aussi bien dans l’arrêt Vidatel que dans l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). La principale différence entre ces deux derniers arrêts tenait dans la consécration, par l’arrêt Vidatel, d’une catégorie de circonstances « réputées objectives », « mettant l’arbitre ou le cabinet d’avocats auquel il appartient en lien direct, soit avec l’une des parties, soit avec une société filiale de cette partie ». Pour de telles circonstances, la cour semblait écarter l’exigence d’apporter la preuve d’un « doute raisonnable ». Autrement dit, à l’issue de l’arrêt Vidatel, on semblait se diriger vers deux catégories de liens : les liens directs, devant être révélés et donnant lieu, à défaut, à l’annulation de la sentence ; les liens indirects, ne devant pas être révélés sauf lorsqu’ils étaient de nature à caractériser un doute raisonnable sur l’indépendance.

Cette distinction a totalement disparu de l’arrêt LERCO. La cour reprend une formule déjà utilisée dans Dommo – mais écartée dans Vidatel – selon laquelle « il convient à cet égard de rappeler que la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à caractériser un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que ces éléments soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre, c’est-à-dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles ». Il n’est plus question de circonstances objectives pour lesquelles la partie est dispensée d’apporter la preuve du doute raisonnable. L’annulation de la sentence est, comme cela était le cas dans Dommo et depuis l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c. Sté Tecso, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech image ; ibid. 2991, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas image ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), de nouveau conditionnée à la preuve systématique d’un doute raisonnable.

Cette analyse est corroborée par le fait que la cour, dans l’arrêt LERCO, reprend à nouveau la distinction entre les liens directs et indirects de l’arrêt Vidatel, mais y voit un élément de preuve du doute raisonnable : « Ainsi, un potentiel conflit d’intérêts dans la personne de l’arbitre, qui peut être soit direct parce qu’il concerne un lien avec une partie ou son conseil, soit indirect parce qu’il vise un lien d’un arbitre avec un tiers intéressé à l’arbitrage, ou encore un lien entre le cabinet d’un arbitre avec une partie ou un tiers intéressé, peut caractériser un doute ». Il n’est plus question de dispenser les parties de la preuve du doute raisonnable en cas de lien direct, mais d’établir un doute raisonnable par la preuve d’un lien direct. On revient, en réalité, à la logique de l’arrêt Dommo.

Toutefois, le lecteur averti pourrait être tenté de dire qu’il n’y a aucune différence entre les deux. N’est-ce pas identique de dire que, en présence d’un lien direct, les parties sont dispensées de la preuve du doute raisonnable ou que la preuve du doute raisonnable peut être rapportée par la preuve d’un lien direct ? La réponse serait positive si un lien direct entraîne immédiatement la caractérisation d’un doute raisonnable ; elle serait négative si un lien direct est insuffisant à caractériser un tel doute raisonnable.

Les faits de l’espèce apportent la réponse à cette question. On le rappelle, le lien non révélé concerne une nouvelle désignation d’arbitre par le même cabinet d’avocats. Ce lien est direct, aussi bien au sens de l’arrêt LERCO que de l’arrêt Vidatel, puisqu’il s’agit d’un lien entre l’arbitre et « une partie ou son conseil ». Suffit-il à caractériser un doute raisonnable ? La réponse est négative – elle l’est d’autant plus que le moyen est rejeté. Il y a donc bien une différence entre l’arrêt Vidatel, qui envisageait une annulation automatique pour des liens directs et l’arrêt LERCO, qui exige à nouveau la preuve d’un doute raisonnable.

Peut-on expliquer une telle différence ? Il n’est pas totalement exclu, mais nous n’y mettrions pas notre main à couper, que la différence de régime entre Vidatel et LERCO soit liée à la date à laquelle l’arbitre a été désigné. En effet, dans l’arrêt LERCO, l’arbitre a été désigné en 2014, alors qu’ils l’ont été en 2016 dans l’affaire Vidatel. La différence se situe dans la publication, dans ce laps de temps, de la fameuse « Guidance Note on conflict disclosures by arbitrators », qui date du 23 février 2016. Alors que cette note est au cœur du raisonnement dans l’arrêt Vidatel, elle est absente dans l’arrêt LERCO. Cela pourrait s’expliquer par la nomination antérieure des arbitres dans cette seconde affaire. Plutôt que de fonder son raisonnement sur la note, l’arrêt LERCO retient – avec une normativité incertaine – les IBA Guidelines. Pour autant, si cette différence temporelle explique une différence de fondement, on peine à comprendre pourquoi elle justifierait une telle différence de régime. Sauf à considérer, ce qui n’est pas totalement exclu, que la publication de la note et sa communication systématique aux arbitres ont accru l’obligation de révélation de ces derniers. Ce sur quoi nous serions particulièrement favorables.

Reste que l’on est dans l’incertitude. Difficile de savoir si la différence entre les deux arrêts s’explique par une nouvelle évolution dans la position de la cour ou par une différence de fondement justifiée par une chronologie distincte. En tout état de cause, comme nous l’avions déjà souhaité pour l’arrêt Vidatel, il est important que la solution se stabilise.

Qu’en est-il, enfin, de l’application factuelle de ces critères ? On l’a dit, l’existence d’un lien direct non révélé entre l’arbitre et le cabinet d’une des parties n’est pas suffisante pour emporter l’annulation de la sentence. Il convient d’apporter la preuve d’un doute raisonnable. Pour la cour, cette preuve n’est pas rapportée. Elle motive sa décision par de multiples arguments. Pour l’essentiel, elle compare le nombre de nominations de l’arbitre (22 au total) et le nombre de nominations par le cabinet (6 au total, mais l’arrêt évoque également le chiffre de 9…), auquel elle ajoute le nombre d’arbitrages dans le cabinet en question (chiffre variant de 57 en 2014 à 105 en 2017). Elle en déduit qu’il ressort de ces éléments que les « neuf désignations [de l’arbitre] par le cabinet […] sur une période de vingt et un ans ne sont ni exclusives, ni systématiques, ni même fréquentes au regard du nombre d’affaires d’arbitrage suivies par le cabinet ». Enfin, la cour ajoute – et c’est peut-être l’argument le plus convaincant – que la nouvelle désignation a eu lieu le 21 décembre 2017 et la sentence a été rendue le 4 janvier 2018 et avait déjà été adressée à la CCI depuis le 28 novembre 2017. On reste néanmoins perplexe, pour ne pas dire plus, face à cette argumentation.

D’une part, et il faut le dire fermement, un arbitre ne peut pas se dispenser pendant l’arbitrage de révéler une nouvelle désignation par le cabinet d’une des parties au litige. Comme cela est dit et répété, en arbitrage, ce ne sont pas les parties qui choisissent les arbitres, mais les conseils. Une nouvelle désignation compte. Une nouvelle désignation doit faire l’objet d’une révélation aux parties pendant le premier arbitrage, qui doivent pouvoir s’exprimer dessus. Une nouvelle désignation non révélée devrait constituer, en elle-même, un doute raisonnable.

D’autre part, le raisonnement tel qu’il est mené soulève de sérieuses interrogations d’un point de vue probatoire. En effet, il est tenu comme si les éléments produits étaient exhaustifs. En réalité, dès lors que l’arbitrage est confidentiel, ils ne constituent potentiellement que la face émergée de l’iceberg. Ce qui a pu être prouvé, c’est que l’arbitre a bénéficié d’une désignation supplémentaire pendant le déroulement de l’arbitrage. Est-ce la seule ? Impossible à dire. Ce qui est certain, c’est qu’elle crée un doute, et plus précisément un doute raisonnable. Juger l’inverse revient à mettre le requérant face à une preuve impossible : comment établir qu’il y a des nominations supplémentaires, alors que ces informations sont secrètes ? Face à une telle situation, certaines parties pourraient être tentées de recourir à des mesures d’instruction beaucoup plus invasives et contraignantes contre les arbitres et les parties ou les conseils, voire l’institution. Puisque la preuve est insuffisante, et que les richesses de l’Internet ne permettent pas d’en savoir plus, pourquoi ne pas tenter un coup de force en usant de procédures judiciaires pour obtenir la preuve manquante ? Il ne nous semble pas que l’arbitrage gagnerait à suivre cette voie.

En définitive, il convient d’avoir une approche « raisonnable » du doute raisonnable. Tant que l’on accepte que le débat se limite aux seules informations – parcellaires – appréhendées par le requérant, il convient d’admettre que la difficulté d’accès à la preuve justifie une appréciation extensive du doute raisonnable. À cet égard, une désignation pendant l’arbitrage est constitutive d’un tel doute. À l’inverse, si l’on veut dépasser le pur raisonnement hypothétique et se rapprocher du débat exhaustif, il faut s’attendre à ce que les parties aient recours à de nouveaux moyens d’investigations. Le témoignage des arbitres, déjà réclamé par une partie de la doctrine, pourrait constituer une piste intéressante (v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay, nos 268 s. ; v. égal., sur cette question, A. Pinna et A. Barrier, L’arbitre et le recours en annulation contre la sentence qu’il a rendue. Approche critique du droit français à la lumière du droit comparé, Cah. arb. 2012. 295).

3. Le respect par le tribunal arbitral de sa mission

Contrairement à l’article 1492, 6°, du code de procédure, l’article 1520 ne prévoit pas de cas d’ouverture relatif à l’absence de date sur la sentence. Malgré une obligation de préciser cette date par la loi tunisienne, loi du siège de l’arbitrage, il ne s’agit pas d’un motif pour s’opposer à l’exequatur de la sentence au titre du respect par le tribunal arbitral de sa mission (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/17862, Ferrovial).

En revanche, le même arrêt accepte de contrôler l’existence d’une motivation sur le fondement de l’article 1520, 3°, du code de procédure civile. On sait que cette question est assez complexe à cerner depuis quelque temps (v. nos interrogations ss Paris, 1er déc. 2020, n° 17/22735, Tecnimont, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Elle refuse ici l’exequatur pour une prétention – prise isolément –, celle-ci n’ayant fait l’objet d’aucune motivation.

Toujours dans le même arrêt, le requérant reprochait au tribunal arbitral d’avoir statué à deux reprises ultra petita. Si la cour reconnaît que le tribunal a évoqué les points querellés dans sa motivation, elle constate à l’inverse que le tribunal arbitral n’a retenu aucune condamnation sur ces points dans son dispositif. L’on voit ici l’intérêt pour un tribunal arbitral de concentrer sa décision dans un dispositif, ce qui permet aisément de s’assurer – pour lui, mais aussi pour les parties et la cour – du respect de sa mission.

Dans une autre affaire, en matière interne, la cour avait à statuer sur une question de délai (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/27764, Brezillon). Elle commence par signaler que le grief tiré de l’expiration du délai relève de la mission de l’arbitre. Ce n’est pas la première fois que la cour juge ainsi en matière interne (Paris, 18 juin 2013, n° 12/00480, D. 2013. 2936, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2013. 1028, note T. Bernard), mais elle ne l’a pas encore fait, à notre connaissance, en matière internationale (pour l’utilisation du 1°, v. Paris, 28 févr. 2017, n° 15/18655, Rev. arb. 2017. Somm. 338 ; 27 nov. 2018, n° 17/01628, Dalloz actualité, 24 déc. 2018, obs. J. Jourdan-Marques). Surtout, et l’on peut accueillir positivement cette souplesse, la cour accepte d’examiner le moyen alors même qu’il était invoqué sur le fondement du 1°. La sentence est annulée, l’arbitre ayant laissé expirer le délai : alors qu’il devait rendre sa sentence le 30 septembre, il l’a rendue le 15 octobre, avec des protestations déjà formulées par l’une des parties sur l’expiration du délai. La sentence ne pouvait en réchapper.

4. La contradiction

L’arrêt Grenwich soulève une intéressante question de classification des griefs au sein des cas d’ouverture du recours (Paris, 5-16, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich). Durant la procédure, une partie avait contesté, dans un courrier adressé au tribunal arbitral, l’exigence d’un témoignage écrit imposé à un des témoins. La cour relève que le courrier « ne s’appuie pas sur le respect du principe de la contradiction pour fonder cette contestation, mais plus précisément sur les due process and procedural fairness requirements ce qui peut être traduit non pas comme le principe de la contradiction comme le fait la société Grenwich dans la traduction libre qu’elle produit, mais comme le respect du principe du procès équitable, qui pourrait le cas échéant relever d’un moyen fondé sur la violation de l’article 1520-5° du code de procédure civile, tiré de la méconnaissance de l’ordre public international, dont la cour n’est cependant pas saisie ». Ainsi, parce que, pendant la procédure arbitrale, la partie a invoqué le due process, mais pas le « contradictoire », elle aurait ainsi renoncé à se prévaloir du cas d’ouverture prévu à l’article 1520, 4°, du code de procédure civile.

La solution est triplement excessive. Premièrement, il est particulièrement hasardeux de rechercher la traduction qui aurait dû être utilisée pour « contradictoire » dans une procédure en langue anglaise. Refuser de voir dans les due process and procedural fairness requirements un équivalent confine au juridisme. En outre, il convient de rappeler que le contradictoire est bien une composante du procès équitable. Comme le signale particulièrement bien la doctrine, « ces garanties s’expriment en effet sous la forme générale du droit à un procès équitable, dans lequel le principe des droits de la défense occupe une place fondamentale, lui dont le noyau central est constitué par le principe de la contradiction » (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 788). Deuxièmement, la jurisprudence a depuis longtemps une vision souple de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile et n’hésite pas à viser ce fondement pour des questions d’accès au juge (Paris, 17 nov. 2011, n° 09/24158, Licensing Projects SL c. Pirelli & C. SPA, D. 2011. 3023, obs. T. Clay image ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin image ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train, p. 267) ou d’égalité des armes (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin image ; ibid. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy ; 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016, n° 40, p. 37, obs. D. Bensaude). Elle a même déjà examiné le principe du procès équitable au visa de l’article 1520, 4°, du code de procédure civile (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Schooner, préc.). Dès lors, on comprend mal cette rigueur nouvelle. Troisièmement, quand bien même il faudrait désormais examiner le procès équitable sur le fondement de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, rien dans le code n’interdit au juge de substituer le bon fondement (ce qu’elle fait d’ailleurs dans un autre arrêt de la présente livraison, v. Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/27764, Brezillon). Au final, on comprend d’autant moins ce pointillisme procédural que la cour, finalement, ne s’y arrête pas et constate, de façon beaucoup plus convaincante, que la partie n’a pas émis d’autres réserves et qu’elle a, au contraire, reconnu que le contradictoire avait été parfaitement respecté.

L’arrêt AD Trade apporte une précision intéressante sur la question du contradictoire (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809). Dans l’exercice de son pouvoir modérateur d’une clause pénale excessive, le tribunal peut retenir le taux qu’il souhaite, sans être tenu par les propositions de modération proposées par les parties. Il faut, en revanche, et logiquement, que les parties lui aient demandé de faire usage de ce pouvoir. Par ailleurs, l’exercice de ce pouvoir modérateur ne revient pas à usurper des pouvoirs d’amiable compositeur. Il convient, pour éviter toute ambiguïté, de ne pas faire mention de l’équité, mais simplement de préciser que l’arbitre use de son pouvoir de modération.

5. L’ordre public

a. La fraude procédurale

Problématique récurrente ces dernières années, la fraude procédurale est à nouveau au cœur des débats dans l’arrêt Rotana (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891). L’approche est d’ailleurs très intéressante. Il était reproché à une partie d’avoir dissimulé une pièce à l’occasion d’une procédure de production de documents devant le tribunal arbitral. La question est simple : une telle dissimulation est-elle constitutive d’une fraude procédurale ? La réponse se trouve dans la définition de la fraude procédurale, rappelée par la cour, qui envisage l’hypothèse où « des pièces intéressant la solution du litige [ont] été frauduleusement dissimulées aux arbitres ». Néanmoins, et c’est logique, il ne suffit pas d’établir l’absence de production du document ; encore faut-il apporter la preuve d’une fraude. La cour s’appuie sur deux éléments pour rejeter le recours : d’une part, il n’est pas établi que la partie, qui n’était pas l’auteur du document, en avait été destinataire à la date de la production ; d’autre part, et de façon beaucoup plus substantielle, la cour juge que la pièce n’aurait pas été décisive. Il semble donc que deux critères se dégagent : l’annulation de la sentence est encourue en l’absence de production d’un document à l’occasion d’une telle procédure s’il est établi que la partie l’avait en sa possession et que la pièce aurait été décisive pour la résolution du litige.

b. L’omission de statuer

On enseigne classiquement que l’omission de statuer n’est pas un motif d’annulation, dès lors qu’il est possible de saisir à nouveau le tribunal arbitral de la prétention non jugée. Afin de contourner cet obstacle, une partie a eu la bonne idée de se prévaloir d’une atteinte à l’accès au juge et de demander l’annulation de la sentence sur le fondement de l’ordre public international (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana). Il est remarquable que si l’arrêt rejette le moyen, elle le fasse sur le fond et non sur la recevabilité. Autrement dit, l’omission de statuer peut être examinée par le juge de l’annulation sur le fondement de l’accès au juge à travers l’article 1520, 5°, du code de procédure civile. Encore faut-il que la preuve d’une privation de l’accès au juge soit apportée, ce qui n’est pas le cas si le juge constate que les prétentions ont été rejetées par l’arbitre.

c. Les procédures collectives

On sait que la procédure collective perturbe l’arbitrage. Le non-respect de certaines règles est susceptible de porter atteinte à l’ordre public international (v. sur cette question P. Ancel, Arbitrage et procédures collectives, Rev. arb. 1983. 275 ; Arbitrage et procédures collectives après la loi du 25 janvier 1985, Rev. arb. 1987. 127 ; P. Fouchard, Arbitrage et faillite, Rev. arb. 1998. 471). Qu’en est-il lorsque la procédure collective est ouverte à l’étranger ? Pour la cour d’appel (Paris, 3-5, 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana), l’effet d’une procédure collective prononcée à l’étranger est réduit si la décision n’est pas revêtue de l’exequatur. Elle énonce que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international. Or la procédure de liquidation […] ouverte aux Îles Caïmans n’ayant, en dehors de tout exequatur, que des effets limités à la désignation des organes de la procédure, les sentences arbitrales, même à admettre que l’arbitre aurait omis de statuer sur la demande des liquidateurs de restitution de biens appartenant à la débitrice, ne portent pas une atteinte manifeste, effective et concrète, au principe de l’égalité des créanciers ». Autrement dit, la prise en compte d’une procédure collective née à l’étranger dépend de la reconnaissance de la décision en France.

d. Les lois de police étrangères

Dans une importante affaire AD Trade (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809), la République de Guinée invoquait, pour tenter d’obtenir l’annulation de la sentence arbitrale, son droit interne qu’elle espérait voir revêtir la qualification de loi de police étrangère faisant partie de l’ordre public international français. On le sait, la jurisprudence admet une telle hypothèse depuis l’arrêt MK Group (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 image, note M. Audit image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard). Ce n’est toutefois pas à n’importe quelle condition.

D’abord, la cour rappelle son office en matière d’ordre public international : « le juge de l’annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l’ordre juridique français et non juge de l’affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage. Son contrôle n’a donc pas pour objet de vérifier que des stipulations contractuelles ont été correctement exécutées ou des dispositions légales correctement appliquées, mais seulement de s’assurer, dans le cadre du contrôle du respect de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, qu’il ne résulte pas de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence une violation manifeste, effective et concrète de l’ordre public international ».

Ensuite, elle examine la violation invoquée. Il s’agit de dispositions du code des marchés publics. Elle signale, et cela mérite d’être noté, que « la République de Guinée ne peut invoquer devant le juge de l’annulation la violation de sa propre législation pour se délier de ses engagements contractuels étant observé que le défaut d’approbation des contrats n’est pas imputable à la société AD Trade ». Nul doute qu’une telle exclusion ne fera pas l’unanimité. Elle nous semble néanmoins salutaire. De la même manière qu’un État ne peut se prévaloir de son droit interne pour échapper à l’arbitrage, il ne peut se prévaloir de son droit interne pour échapper à un contrat qu’il a conclu. Cela dit, il faut bien admettre que la solution pourra paraître parfois incohérente. Ainsi, en matière de corruption, il est admis que le non-respect des dispositions relatives à l’attribution des marchés publics est un indice particulièrement révélateur (en dernier lieu Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, préc.). De plus, on sait pertinemment que lorsque les juridictions administratives auront à connaître de situations équivalentes concernant une personne publique française, elles ne se priveront pas de sanctionner tout écart aux procédures de marchés publics.

Quoi qu’il en soit, la cour ne rejette pas le moyen sur ce seul argument. Elle vérifie également que la loi de police étrangère intègre l’ordre public international. Elle rappelle que la « seule méconnaissance d’une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l’annulation d’une sentence arbitrale. Elle ne peut y conduire que si cette loi de police protège une valeur ou un principe dont l’ordre public français lui-même ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international. Ce n’est que dans cette mesure que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international français ». Si la formule est différente, elle semble rejoindre les principes posés par MK Group. Pour écarter une telle qualification, la cour retient que la formalité invoquée – une approbation ministérielle – ne trouve pas son équivalent en droit français et n’est aucunement imposée par la loi type CNUDCI sur la passation des marchés publics, laquelle est censée refléter le consensus international en la matière. Il en résulte que la loi de police étrangère n’est pas comprise dans l’ordre public international français ni dans un éventuel ordre public transnational. 

e. Les mesures d’embargo

Toujours dans l’affaire AD Trade (Paris, 5-16, 13 avr. 2021, n° 18/09809), le requérant invoquait les mesures européennes d’embargo dont il faisait l’objet. La cour constate la recevabilité du moyen, quand bien même il n’a pas été invoqué devant le tribunal arbitral. La solution est conforme à la jurisprudence sur la renonciation, qui est écartée en présence d’un grief relatif à l’ordre public international (v. supra). On notera néanmoins l’exercice d’équilibriste auquel se livre le requérant, en se prévalant des mesures d’embargo dont il est la cible. On peut se demander s’il est opportun de permettre à un État de retourner à son profit des mesures de sanctions internationales dont il est l’objet pour se délier de ses engagements contractuels.

La cour reconnaît immédiatement que des mesures européennes d’embargo appartiennent à l’ordre public international. Elle avait déjà jugé ainsi dans une autre affaire récente (Paris, 3 juin 2020, n° 19/07261, TCM, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 1970, obs. S. Bollée ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; RDC 2020, n° 4, p. 60, note M. Laazouzi). Toutefois, et c’est fondamental, la cour ajoute que la conformité à l’ordre public international « s’apprécie au moment où il statue sur celle-ci et non à la date à laquelle elle a été rendue, ni a fortiori à la date des faits à l’origine de l’affaire ». Autrement dit, il convient que les mesures d’embargo soient encore en vigueur à la date à laquelle le juge statue. Il s’agit ici du principe d’actualité de l’ordre public international (Civ. 22 mars 1944, Chemins de fer portugais c. Ash, Rev. crit. DIP 1946, note J.-P. Niboyet ; S. 1945. I. 77 ; D. 1944. 145, note J.-P. Niboyet). La cour ajoute dans une formule remarquable qu’« il y a dès lors lieu de prendre en compte l’évolution de la situation internationale et des valeurs communément admises par la communauté internationale pour apprécier si l’insertion d’une sentence dans l’ordre juridique interne est conforme à l’ordre public international, et ce sans préjudice des actions en responsabilité le cas échéant civile ou pénale qui pourraient être diligentées à l’encontre des personnes qui enfreignent les mesures d’embargo au moment où elles étaient toujours en vigueur ». Or la cour constate que les mesures d’embargo à l’encontre de la République de Guinée ont été levées en 2014. Elle en conclut qu’« à ce jour, ces mesures d’embargo ne font plus partie de l’ordre public international français ».

Cette mise en application du principe d’actualité de l’ordre public international devrait être suffisante à rejeter le grief. Pourtant, et cela devient malheureusement trop courant, la cour cherche à consolider sa décision en établissant également que le matériel prévu par le contrat ne tombe pas sous le coup des mesures, en examinant le champ d’application matériel de la loi d’embargo. Si la cour rejette le moyen sur ce point, cette surabondance de motivation nuit à la qualité de la décision. D’une part, il suffit qu’une partie de la motivation soit moins convaincante que d’autres pour que l’ensemble de la décision soit fragilisé. D’autre part, d’un point de vue procédural, une telle logique ne pourra plus être suivie dès lors que, désormais, les questions de recevabilité doivent être traitées par le conseiller de la mise en état sur le fondement de l’article 789, 6°, du code de procédure civile. Or la question de l’actualité de l’ordre public international relève de la recevabilité du moyen, alors que le champ d’application relève du bien-fondé (on précisera que, quand bien même l’article 789 permet au conseiller de la mise en état de renvoyer la question à la formation de jugement, il n’autorise pas à joindre l’incident au fond. En effet, il énonce que « le juge de la mise en état renvoie l’affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l’instruction, pour qu’elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir ». On doit sans doute comprendre qu’il n’est pas permis de traiter la fin de non-recevoir dans la décision au fond, mais obligatoirement dans une décision distincte).

IV. La responsabilité des acteurs de l’arbitrage

La présente livraison donne l’occasion de revenir sur plusieurs décisions relatives à la responsabilité. Comme les parties sont toujours très créatives, on a la chance de pouvoir évoquer la responsabilité des arbitres, des conseils, des centres d’arbitrages et des administrateurs d’une société.

A. La responsabilité de l’arbitre

C’est la question de la responsabilité de l’arbitre qui a donné lieu à la décision la plus intéressante. L’action en responsabilité est engagée à la suite de l’annulation de la sentence dans l’affaire Volkswagen (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin image ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ; pour l’arrêt d’appel, v. Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude). L’une des parties a saisi le tribunal judiciaire de Paris d’une action contre l’arbitre ayant failli à son obligation de révélation. La décision rendue par le tribunal judiciaire (TJ Paris, 31 mars 2021, n° 19/00795, Dalloz actualité, à paraître, obs. P. Capelle) sera très commentée. On signalera d’ailleurs qu’elle fait l’objet d’un communiqué de presse de la part du tribunal. Le 19 avril 2021, c’est une décision du juge d’appui qui a également fait l’objet d’un tel communiqué (TJ Paris, ord., 16 avr. 2021, n° 21/50115, commentaire lors de la prochaine chronique). Par ces deux communiqués successifs, le tribunal judiciaire de Paris semble vouloir faire de l’arbitrage un outil de communication. S’agit-il d’une volonté de s’inscrire comme un « acteur de l’arbitrage », alors que la cour d’appel accapare toute la lumière depuis quelques années ? On peut le penser, d’autant que les communiqués du tribunal judiciaire de Paris sont rares et en principe réservés à des affaires très médiatiques. Il faudra garder un œil sur cette tendance.

Sur la présente affaire, le tribunal judiciaire se déclare incompétent (on s’interroge, sans bien comprendre, sur la raison pour laquelle il ne s’agit pas d’une ordonnance du juge de la mise en état). Deux questions sont successivement traitées : d’une part, celle de l’application du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis) et, d’autre part, celle du critère de compétence.

Sur la première question, il s’agit de savoir si l’exclusion de l’arbitrage prévue par l’article 1er, 2, d), du règlement s’applique à une action en responsabilité contre l’arbitre. Après avoir examiné les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne Marc Rich (CJUE 25 juill. 1991, aff. C-190/89, Rev. crit. DIP 1993. 310, note P. Mayer image ; Rev. arb. 1991. 677, note D. Hascher ; JDI 1992. 488, note A. Huet) et West Tankers (CJCE 10 févr. 2009, aff. C-185/07, D. 2009. 981 image, note C. Kessedjian image ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2959, obs. T. Clay image ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke image ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt image ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry image ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; ibid. 644, obs. P. Delebecque image ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin image ; JDI 2009. 1285, note B. Audit ; Rev. arb. 2009. 413, note S. Bollée ; JCP 2009, n° 227, note P. Callé ; JCP E 2009, n° 1973, note C. Legros ; Gaz. Pal. 2009. 20, note A. Mourre et A. Vagenheim ; ibid. 2010. 21, obs. M. Nicolella ; ibid. p. 8, obs. L. Salvini ; LPA 2009. 32, note S. Clavel ; Europe 2009, comm. n° 176, par L. Idot), le tribunal judiciaire énonce que « le présent litige a pour objet, une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements de M. G… à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec la société S… et la société A…. Il s’ensuit que, ne portant pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale, il n’entre pas dans le champ de l’exclusion posée par l’article 1, § 2, sous d), du règlement (UE) n° 1215/2012 et que, dès lors, le choix de la juridiction compétente pour connaître de la présente action doit être déterminé selon les règles énoncées par ce texte ».

La question est débattue depuis longtemps en doctrine. Il est souvent considéré que le droit européen ne devrait pas être applicable à cette question, au regard de l’exclusion prévue (T. Clay, L’arbitre, préf. P. Fouchard, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses , 2001, n° 1010 s.), mais les avis restent partagés (pour un résumé des débats, v. L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, thèse ss la dir. de F.-X. Train, 2018, nos 265 s.). En réalité, si notre préférence va pour une exclusion de tout ce qui touche à l’arbitrage du champ d’application du règlement, on peine à imaginer la Cour de justice juger ainsi après l’arrêt West Tankers. Il est aussi vrai que la question est sans doute moins sensible – même si elle le reste – et elle ne devrait pas donner lieu à une levée de boucliers.

La deuxième question devrait en revanche susciter beaucoup plus de discussion, car la réponse apportée est loin d’être évidente et paraît même modérément convaincante. Il s’agit de déterminer le facteur de rattachement pour identifier la juridiction compétente. Le règlement Bruxelles I bis est donc applicable. Premièrement, le domicile du défendeur – l’arbitre – est un facteur pertinent, en application de l’article 4 du règlement. Néanmoins, l’arbitre n’est pas domicilié en France, ce qui invite, dans un deuxième temps, à s’intéresser aux compétences spéciales prévues par le règlement. À cet égard, les litigants s’accordent pour qualifier le contrat d’arbitre de contrat de prestation de services, ce qui permet l’application pour appliquer l’article 7, § 1, b), du règlement. Reste à déterminer quel est « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ».

La doctrine enseigne de façon tout à fait classique que ce lieu est le siège de l’arbitrage (T. Clay, Le siège de l’arbitrage international entre ordem et progresso, Cah. arb. 2011, p. 21, n° 43). Telle n’est pourtant pas la solution retenue par le tribunal. Celui-ci considère que ce lieu est « fictif » et que la commune intention des parties n’a pas pu être « de faire du lieu de l’arbitrage celui du lieu d’exécution effective de l’arbitrage ». Il nous semble excessif de dire que le rattachement par le siège est fictif. Il n’est pas physique, mais il n’est pas pour autant fictif. Ce rattachement est juridique. Il est impossible de nier les conséquences juridiques d’un tel choix, notamment quant à l’exercice des voies de recours. Comme le disait déjà Philippe Fouchard, le siège « permet de localiser la relation juridique nouée entre l’arbitre et les parties, entre les parties et le centre d’arbitrage, et entre l’arbitre et le centre d’arbitrage » (P. Fouchard, Suggestions pour accroître l’efficacité internationale des sentences arbitrales, Rev. arb. 1998. 653., n° 38).

Plutôt que de retenir le siège comme facteur de rattachement, le tribunal recherche le « lieu dans lequel le défendeur a effectivement réalisé, de manière prépondérante, sa prestation intellectuelle d’arbitre ». Fort de plusieurs éléments, notamment le lieu de résidence, le lieu de déroulement des réunions entre les arbitres (on notera d’ailleurs qu’une attestation est produite par l’un des arbitres) et le lieu des audiences, le tribunal retient que le lieu d’exécution des prestations est situé en Allemagne. C’est la raison pour laquelle il se déclare incompétent (on notera la condamnation, au passage, à un article 700 à hauteur de 100 000 €, ce qui paraît un poil excessif pour une exception de compétence qui, à tout le moins, ne coulait pas de source).

La solution retenue par le tribunal paraît difficilement reproductible. À considérer que le siège ne soit pas pertinent pour déterminer le tribunal compétent pour connaître de l’action en responsabilité, le recours à ce faisceau d’indices pourrait mettre fréquemment les juridictions dans l’impossibilité d’aboutir à une solution. En effet, en l’espèce, tous les indices convergeaient vers l’Allemagne, notamment du fait du domicile de tous les arbitres. Pour autant, dans un tribunal arbitral différent, avec des arbitres résidents dans plusieurs pays, la solution deviendrait moins évidente. Elle le deviendra d’autant moins si le processus de dématérialisation des procédures poursuit son chemin. Il pourrait devenir impossible de localiser le lieu de la prestation intellectuelle, sauf à le confondre avec le lieu de domiciliation de l’arbitre et à accepter que la prestation soit réalisée dans autant de lieux qu’il n’y a d’arbitres. Pour cette raison, le choix du siège paraissait plus adapté pour la mise en œuvre de l’article 7 du Règlement Bruxelles I bis.

B. La responsabilité des conseils

Dans l’affaire Chripimarc (Paris, 4-13, 31 mars 2021, n° 18/08337), une partie recherchait la responsabilité de son ancien conseil. La faute reprochée au conseil était de ne pas avoir informé le client de la présence d’une clause compromissoire dans un contrat de bail. En conséquence, pour voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, la partie avait saisi le juge des référés. Ce dernier s’est déclaré incompétent pour connaître de la prétention. Il a donc fallu saisir un tribunal arbitral pour obtenir gain de cause. En définitive, plus de peur que de mal, pour une solution favorable obtenue avec un simple retard. Toutefois, le client ne l’entend pas de cette oreille. Pour la cour d’appel, qui a déjà statué sur ce point dans un précédent arrêt, la faute est établie : « en n’attirant pas l’attention […] sur la difficulté que soulevait la présence dans le contrat de bail d’une clause compromissoire générale, préalablement à la saisine du juge des référés, et donc en ne l’informant pas du risque pris en faisant le choix de la juridiction étatique, il ne l’avait pas mise en mesure de prendre une décision éclairée sur la position à adopter au regard de cette clause ». Sur ce point, la solution n’est pas étonnante : l’omission par un conseil de signaler la présence d’une clause compromissoire dans un contrat et la saisine d’un juge incompétent sans l’avis du client paraît effectivement constitutive d’une faute.

Reste la question du préjudice. Le requérant faisait valoir une perte de chance de percevoir des loyers à cause du défaut d’information du conseil. La cour rejette néanmoins ce préjudice, au motif que la chance supposée perdue n’est qu’hypothétique (la motivation n’est pas tout à fait claire). En revanche, elle accepte de réparer le préjudice lié aux frais de l’instance en référé et une partie des frais de conseils pour cette procédure.

C. La responsabilité du centre d’arbitrage

L’affaire Garoubé n’en finit pas (Paris, 5-16, 23 mars 2021, n° 18/14817). Elle donne lieu, en appel, à une action en responsabilité contre la CCI. Les griefs formulés à l’encontre de l’institution sont variés. Pour rejeter l’action, la cour retient d’abord la présence de la clause limitative de responsabilité dans le règlement d’arbitrage. Loin de constater l’existence d’une faute lourde ou dolosive, nécessaire pour faire échec à la clause, la cour n’identifie aucune faute de la part de l’institution.

D. La responsabilité des administrateurs

Voilà une idée innovante ! Celle de l’action ut singuli des actionnaires contre les administrateurs ayant décidé d’engager une procédure d’arbitrage (Versailles, 11 févr. 2021, n° 18/08096, Nehlig). Toutefois, l’affaire était ambitieuse puisque l’arbitrage avait été gagné. Néanmoins, les requérants faisaient valoir que le montant des frais (conseils et arbitrage) était supérieur à la créance recouvrée. En réalité, l’opération réalisée par la cour montre l’inverse. Cela dit, la question posée est loin d’être inintéressante : quid d’une action perdue ou d’une action dont le résultat n’est pas à la hauteur des espérances et devient négatif à cause des frais engagés ? Le préjudice sera alors réel. Restera à savoir si une faute de gestion peut être reprochée aux administrateurs.

V. Arbitrage et Union européenne

Avis de tempête sur l’arbitrage. Alors que la cour de justice rendra prochainement sa décision dans l’affaire Komstroy c. Moldavie, à la suite du renvoi préjudiciel de la cour d’appel de Paris (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, préc.), on peut d’ores et déjà lire les conclusions de l’avocat général dans cette affaire (concl. du 3 mars 2021, aff. C-741/19). Nous n’en dirons que quelques mots, mais ces conclusions ne feront que renforcer la fébrilité du praticien dans l’attente du couperet européen.

L’avocat général rend son avis, pour l’essentiel, sur deux choses : d’une part, la faculté pour la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer sur la question préjudicielle qui lui est posée et, d’autre part, sur l’interprétation du Traité sur la charte de l’énergie (TCE). La seconde question est plus technique et ne retiendra pas notre attention (mais retiendra celle des commentateurs en droit des investissements). Nous dirons donc seulement quelques mots sur la première. En prévenant le lecteur : il est préférable de ne pas être cardiaque pour lire ce qui va suivre et il convient de se tenir à distance des objets fragiles.

Rappelons un point important, avant tout commentaire : l’Union européenne est partie au TCE. Apparemment, ce point a complètement échappé à l’avocat général.

Tout d’abord, l’avocat général s’interroge sur la faculté pour la Cour d’interpréter le TCE dans le cadre d’un litige extérieur à l’Union européenne. L’avis de l’avocat est assez laconique sur ce point et se limite à retenir que l’Union a intérêt à ce que les dispositions reçoivent une interprétation uniforme. Il n’y a rien d’étonnant à cette position. On notera néanmoins qu’elle a vocation à interdire à tout tribunal arbitral d’exprimer une opinion dissidente par rapport à la Cour. Mais on pouvait s’y attendre.

Ensuite, et c’est là l’essentiel, l’avocat général invite la Cour à aller beaucoup plus loin. En effet, il ne se contente pas de constater la compétence de la Cour et de l’inviter ensuite à interpréter le TCE conformément à la question posée par la cour d’appel de Paris. Il en profite pour proposer à la cour de se prononcer sur « l’applicabilité des dispositions du TCE dans l’ordre juridique de l’Union », et plus particulièrement de son article 26 prévoyant le recours à l’arbitrage (§ 46 s.). C’est à cette occasion que l’on peut constater l’effet délétère de la jurisprudence Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2018. 2005 image, note Veronika Korom image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard image ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala image ; ibid. 649, obs. Alan Hervé image ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron image ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy). L’ambition de l’avocat général est simple : « Il est donc nécessaire de vérifier si les dispositions matérielles du TCE peuvent, dans le sillage de l’arrêt Achmea, être jugées incompatibles avec le droit de l’Union et, ainsi, inapplicables au sein de son ordre juridique » (§ 49).

Le raisonnement suivi est alors relativement simple et prévisible. En synthèse, l’avis retient qu’il n’est pas admis que « les États membres puissent soustraire au système juridictionnel de l’Union, par l’intermédiaire d’un engagement international, de façon systématique, un ensemble de litiges portant sur l’interprétation ou l’application du droit de l’Union » (§ 62), ajoutant, sans doute fièrement, que « c’est précisément parce qu’il est admis et reconnu, dans l’ordre juridique de l’Union, que les États membres respectent un ensemble de valeurs et de droits, au titre desquels l’État de droit et le droit à un recours effectif énoncé, qu’il est également garanti que les investisseurs des États membres sont, de façon certaine, suffisamment protégés dans l’ordre juridique de l’Union, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de recourir à un système extérieur aux systèmes juridictionnels des États membres » (§ 65).

En réalité, on pourrait se contenter d’opiner du chef et d’y voir là une simple redite d’Achmea. Et d’ailleurs, quand bien même nos réserves à l’encontre de ce dernier sont immenses, on peut admettre qu’il s’agit d’une confrontation entre, d’une part, le droit de l’Union et, d’autre part, des accords entre États auxquels l’Union n’est pas partie.

C’est cependant sur ce point qu’apparaît la différence entre Achmea et Komstroy. L’Union européenne est partie au TCE ! L’avocat général est donc en train de porter un jugement de valeur sur un traité multilatéral conclu entre l’Union, des États membres et des États non membres en se prévalant du droit de l’Union. Il invite la Cour à mettre l’Union dans une situation de violation de ses engagements internationaux au motif de préservation de son propre droit. Du point de vue de la hiérarchie des normes, cela revient tout simplement à prôner la supériorité du droit de l’Union sur les engagements internationaux de l’Union.

La limite d’un tel raisonnement nous semble plus politique que juridique. En suivant ce raisonnement, l’avocat général consacre une forme de « constitutionnalisation » du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Or il est naturel que l’Union soit jalouse de sa constitution, comme les États membres le sont de la leur. Mais cela conduit à oublier que le droit de l’Union a lui-même une nature conventionnelle. Comment justifier la supériorité du droit européen sur la constitution des États membres si le droit européen se refuse, de son côté, à reconnaître la supériorité de ses propres engagements internationaux ?

En somme, il y a un vrai danger pour la Cour de justice à suivre l’avocat général dans ce raisonnement. Si c’est le cas, l’arrêt Komstroy ira bien plus loin que l’arrêt Achmea. À suivre !

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vendredi 19 avril 2024

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