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Coronavirus : salariés en Uber forme

Coronavirus : salariés en Uber forme

Décision retentissante mais attendue des spécialistes, la Cour de cassation a, par une décision du 4 mars 2020 (n° 19-13.316, D. 2020. 490, et les obs. image), requalifié les relations contractuelles liant la plateforme Uber à l’un de ses chauffeurs en contrat de travail.

Après avoir rappelé la définition désormais ancienne des caractéristiques du contrat de travail, la Cour a rappelé que le lien de subordination (propre au contrat de travail) est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

D’autres indices (ne permettant pas à eux seuls de qualifier des relations contractuelles en contrat de travail) peuvent venir au soutien de cette requalification, telles les notions de dépendance économique ou encore de travail dans un service organisé (c’est-à-dire avec les moyens mis à sa disposition par son employeur).

C’est dans cette logique que la Cour a jugé que peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution et que justifie légalement sa décision une cour d’appel qui, pour qualifier de contrat de travail la relation entre un chauffeur VTC et la société utilisant une plateforme numérique et une application afin de mettre en relation des clients et des chauffeurs exerçant sous le statut de travailleur indépendant, retient :

1. que ce chauffeur a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par cette société, service qui n’existe que grâce à cette plateforme, à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport,

2. que le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées si le chauffeur ne le suit pas,

3. que la destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur, lequel ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non,

4. que la société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses et que le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de « comportements problématiques », et déduit de l’ensemble de ces éléments l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements et que, dès lors, le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif.

Si la société Uber prétend (ce en quoi elle a raison) que cette jurisprudence ne s’applique qu’au cas d’espèce qui était soumis à la Cour, en revanche, il y a fort à parier que si la plupart des chauffeurs de VTC sont placés dans des conditions d’exécution de leurs missions identiques à celles de l’espèce jugée, alors eux aussi devraient pouvoir prétendre à la qualité de salarié.

C’est le même raisonnement qu’avait suivi la Cour de cassation dans un arrêt du 28 novembre 2018 (n° 17-20.079, Dalloz actualité, 12 déc. 2018, obs. M. Peyronnet ; D. 2019. 177, et les obs. image, note M.-C. Escande-Varniol image ; ibid. 2018. 2409, édito. N. Balat image ; ibid. 2019. 169, avis C. Courcol-Bouchard image ; ibid. 326, chron. F. Salomon et A. David image ; ibid. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta image ; AJ contrat 2019. 46, obs. L. Gamet image ; Dr. soc. 2019. 185, tribune C. Radé image ; RDT 2019. 36, obs. M. Peyronnet image ; ibid. 101, chron. K. Van Den Bergh image ; Dalloz IP/IT 2019. 186, obs. J. Sénéchal image ; JT 2019, n° 215, p. 12, obs. C. Minet-Letalle image ; RDSS 2019. 170, obs. M. Badel image), pour une plateforme de livraison de repas, en décidant que « viole l’article L. 8221-6, II, du code du travail la cour d’appel qui retient qu’un coursier ne justifie pas d’un contrat de travail le liant à une société utilisant une plateforme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plateforme et des livreurs à vélo exerçant sous le statut de travailleur indépendant des livraisons de repas, alors qu’il résulte de ses constatations que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier ».

Une récente décision du conseil de prud’hommes de Paris semble d’ailleurs admettre désormais cette analyse puisqu’en sa section départage, il était décidé que : « Au vu de l’ensemble de ces éléments, M. X établit que l’application qui lui a été imposée était dotée d’un système de géolocalisation permettant son suivi en temps réel par la société et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus, et que la société disposait d’un pouvoir de sanction à son égard. Ces différents éléments permettent d’établir que le demandeur fournissait directement des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci et il convient, nonobstant la dénomination et la qualification données par les parties, de constater l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée liant M. X et la société Deliveroo France SAS, du 8 septembre 2015 au 6 avril 2016 » (Cons. prud’h. Paris, section départage, n° 19-07738).

Ainsi, à l’heure où les rues sont désertes et où les derniers signes de vie traversant la ville portent les couleurs d’Uber, Bolt, Deliveroo, Take Eat Easy… et sans évoquer la question déjà débattue des conséquences fiscales et sociales qu’entraîneraient ces requalifications pour les chauffeurs-livreurs, sans entrer dans le débat de la pérennité même du modèle des plateformes (ou de la dénonciation de ces décisions judiciaires par le syndicat des autoentrepreneurs comme une atteinte à leur liberté), il est légitime de se demander ce qu’il adviendrait si, en ces périodes « de guerre », ces derniers sollicitaient la requalification de leur contrat de prestation de service en contrat de travail et le bénéfice des droits qui y sont aujourd’hui attachés.

Présumons donc, dans le cadre de cet article, hypothèse réaliste, que les « indépendants », les autoentrepreneurs puissent être qualifiés de salariés de ces plateformes.

Avec le coronavirus, des droits souvent en sommeil sont réapparus : le droit de retrait, l’activité partielle mais aussi de nouveaux droits, comme l’arrêt de travail simplifié pour la garde des enfants âgés de moins de 16 ans ou l’arrêt de travail pour les personnes à risque élevé, ou l’obligation de sécurité à charge pour l’employeur avec notamment la mise en place de gestes barrières et autres mesures de protection spécifiques.

Il semble raisonnable à ce stade d’exclure le télétravail, l’hypothèse même du transport de personne ou de livraison de repas à domicile excluant par principe cette hypothèse.

Enfin, dans l’hypothèse d’un refus par une plateforme d’appliquer à un salarié qui en revendiquerait le statut, les dispositions protectrices en période d’urgence sanitaire, quelle en serait la sanction possible ?

Activité partielle

L’article L. 5122-1 du code du travail prévoit le recours à l’activité partielle (anciennement dénommée chômage partiel) en ces termes : « Les salariés sont placés en position d’activité partielle, après autorisation expresse ou implicite de l’autorité administrative s’ils subissent une perte de rémunération imputable :

• soit à la fermeture temporaire de leur établissement ou partie d’établissement ;

• soit à la réduction de l’horaire de travail pratiqué dans l’établissement ou partie d’établissement en deçà de la durée légale de travail.

En cas de réduction collective de l’horaire de travail, les salariés peuvent être placés en position d’activité partielle individuellement et alternativement ».

Il n’est pas contestable que les chauffeurs et livreurs des plateformes subissent, en raison tant du confinement pour les premiers que de la fermeture des établissements de restauration (non essentiels à la vie de la nation) pour les seconds, une réduction de leur activité.

Le nombre de courses est ainsi substantiellement réduit et par suite leur chiffre d’affaires.

En termes d’indemnisation de la perte de revenu et en qualité de salarié, chaque chauffeur ou livreur des plateformes précitées n’aurait pas pour seul recours celui de solliciter les aides promises aux indépendants par un fonds de garantie que le gouvernement devrait mettre en place par ordonnance et accordant pour le mois de mars 2020 une aide de 1 500 € sous conditions de justificatifs d’une baisse de chiffre d’affaires de plus de 70 % par rapport à mars 2019.

Chaque chauffeur ou livreur pourrait être placé en activité partielle par suite d’une baisse du nombre d’heures travaillées, par roulement ou par diminution collective de leur durée du travail (fixé a minima à 35 heures) avec maintien, selon le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020, de 84 % de leur rémunération nette avancée par l’employeur mais garantie à 100 % par l’État dans la limite de 4,5 fois le SMIC (montant probablement rarement atteint pour les salariés concernés).

Qu’il convient enfin de préciser que le gouvernement envisage de prolonger la durée maximale de l’activité partielle de six mois à un an.

La protection accordée par ces dispositions aux salariés est sans nul doute plus favorable que le régime des indépendants-autoentrepreneurs avec pour seule compensation le versement d’un montant de 1 500 €.

Arrêt de travail

La qualité de salarié permettrait en outre à ces derniers dès lors qu’ils sont atteints par le coronavirus de percevoir les indemnités journalières de la sécurité sociale ainsi que le complément de salaire prévu par les dispositions de l’article L. 1226-1 du code du travail ou par les dispositions plus protectrices de la convention collective qui pourrait leur être appliquée (celle des transports ou de la restauration rapide, etc.).

Le sujet ne sera pas ici débattu mais il n’est pas sans intérêt de s’interroger sur le sort de la convention collective qui sera applicable aux salariés des plateformes précitées, le principe étant que la convention collective est celle relative à l’activité principale de la société, en l’espèce, le transport de personnes, si la société devenait davantage une société de transport qu’une société de service.

Ainsi, chaque salarié aurait droit aux indemnités journalières de la sécurité sociale en cas de maladie (soit 50 % de son salaire dans la limite de 1,8 fois le SMIC) sans délai de carence ainsi qu’une indemnité complémentaire prévue par l’article L. 1226-1 du code du travail dont le montant porte la rémunération du salarié à 90 % de son salaire les trente premiers jours puis à 66,6 % de son salaire les mois suivants, sauf dispositions conventionnelles plus favorables et/ou ancienneté plus favorable.

Il convient de préciser que, dans le cadre du projet de loi de l’urgence sanitaire, le gouvernement a étendu aux travailleurs indépendants les dispositions de l’arrêt de travail simplifié pour un des deux parents qui devraient assurer la garde d’enfants âgés de moins de 16 ans (ou 18 ans en cas de handicap) et pour l’arrêt de travail de personnes dites « à risque élevé ».

Ces cas sont nombreux puisqu’elles sont applicables sans besoin de la production d’un arrêt médical de travail et en justifiant auprès de la CPAM d’être classé comme étant « à risque », c’est-à-dire d’être parmi les cas suivants : les femmes enceintes, les personnes souffrant d’obésité, de pathologie cardiaque, d’hypertension, respiratoire (asthme, notamment) diabète, etc.

En qualité de travailleurs indépendants, aucun complément ne vient s’ajouter aux indemnités de sécurité sociale versées, sauf pour ce dernier à avoir conclu un contrat de prévoyance, à sa charge.

En qualité de salarié, la prise en charge par l’assurance maladie et l’employeur du complément est en outre, dans le cadre de l’urgence sanitaire, sans délai de carence contrairement à la législation actuelle.

Il n’est pas inutile de noter, d’ailleurs et à ce titre, que la société Uber a déclaré dans la presse, le 7 mars dernier :

• « offrir aux conducteurs et aux coursiers qui sont atteints du covid-19 ou qui sont en quarantaine forcée, une compensation pour une période pouvant aller jusqu’à quatorze jours et annoncé qu’en France, le montant de l’indemnisation serait déterminé en fonction des revenus générés sur la plateforme Uber lors des deux semaines précédentes ;

• et interrompre son service de covoiturage UberPool en France ».

Ainsi, la société Uber propose une compensation analogue dans son esprit au versement d’indemnités journalières de la sécurité sociale et de complément de salaires versés par l’employeur aux salariés malades ou en quarantaine sur une période restreinte à quatorze jours maximum, démontrant là la conscience qu’elle a de la fragilité du statut de ses cocontractants mais aussi de leur dépendance économique, un des indices précisément du contrat de travail.

Ici encore, le statut de salarié durant la période d’urgence sanitaire semble bien plus favorable aux salariés qu’aux indépendants.

Sur l’obligation de sécurité des plateformes

Se pose enfin la question des mesures de sécurité pour éviter tout risque de contamination.

Il est en effet raisonnable d’envisager un risque de contamination par les clients transportés, l’habitacle d’une voiture, par nature un lieu clos, ne pouvant permettre la mise en œuvre des mesures barrières préconisées par les professionnels de santé et le gouvernement.

Cette existence du risque est d’ailleurs connue de la société Uber puisque cette dernière a par exemple provisoirement fermé son service UberPool consistant précisément au partage du véhicule par plusieurs clients.

Les plateformes de transport de personnes ou de livraisons de repas s’estiment libérées de toute obligation de sécurité vis-à-vis de leurs chauffeurs ou livreurs.

Aucun matériel, tel que masques, gel hydroalcoolique, gants, lunettes de protection, séparation de la place de conducteur du reste de l’habitacle n’a été mis à leur disposition par la société Uber lorsque la France fait face à une pénurie de certains de ces matériels de protection et que les chauffeurs ne peuvent pas s’en procurer par eux-mêmes.

Il en irait différemment si les chauffeurs-livreurs bénéficiaient du statut de salarié.

Obligation de sécurité

Dès lors que les chauffeurs et livreurs seraient considérés comme des salariés, les plateformes seraient tenues, comme tout employeur, à une obligation de sécurité à l’égard des salariés qu’elles emploient (C. trav., art. L. 4121-1).

L’employeur a plus spécifiquement une obligation de sécurité par application de l’article L. 4422-1 du code du travail qui dispose que : « L’employeur prend des mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques, conformément aux principes de prévention énoncés à l’article L. 4121-2 ».

Ainsi, la qualité de salariés permettrait à ces derniers d’avoir la possibilité d’alerter leur employeur d’éventuels dangers ou risques sanitaires, d’alerter leur représentant du personnel, les CSE ou CSSCT (en fonction de la taille de l’entreprise), de saisir l’inspection du travail, la médecine du travail afin que des mesures adaptées à l’activité de chauffeur VTC ou de livreur soient préconisées et mises en œuvre par la société pour les protéger d’un risque de contamination au covid-19.

Il sera à cet égard précisé que par décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, pèsent sur les entreprises de transport public collectif routier des obligations spécifiques visant à protéger tant les usagers que les conducteurs.

Ces entreprises auxquelles peuvent être assimilées les plateformes de transport de personnes (chauffeurs VTC) ont ainsi pour obligation :

• le nettoyage au désinfectant de chaque véhicule au moins une fois par jour ;

• sauf impossibilité technique avérée, l’entreprise prend toutes les dispositions adaptées pour séparer le conducteur des voyageurs d’une distance au moins égale à un mètre et en informer les voyageurs, seule une paroi isolant l’avant de l’arrière du véhicule permettrait une telle distanciation dans le cas des chauffeurs VTC ;

• l’interdiction aux voyageurs d’utiliser la porte avant du véhicule ;

• informer les voyageurs notamment par un affichage à bord de chaque véhicule, des mesures d’hygiène et de distanciation sociales, dites « barrières », et notamment le respect d’une distance d’un mètre avec le conducteur.

Si certaines plateformes ont informé leurs salariés de mesures à mettre en œuvre relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 en ces termes :

• « Aucun passager ne peut s’asseoir à côté du conducteur. La présence de plusieurs passagers est admise aux places arrière ;

• le véhicule doit être en permanence aéré ;

• les passagers doivent emporter tous leurs déchets ;

• le chauffeur procède au nettoyage avec désinfectant du véhicule au moins une fois par jour ;

• le chauffeur est autorisé à refuser l’accès du véhicule à une personne présentant des symptômes d’infection au covid-19 »,

en revanche, ces dernières reconnaissent qu’elles « font leur possible pour vous fournir des produits désinfectants afin de vous aider à garder votre véhicule propre et sain », reconnaissant qu’elles n’ont rien fourni aux salariés comme matériels de protection, ni gants, ni masques, ni gel hydroalcoolique par exemple (communication Uber du 26 mars 2020).

Chaque chauffeur en sa qualité de salarié pourrait alors solliciter l’application de ces mesures de sécurité sauf à rechercher en cas de préjudice qui en résulterait la responsabilité de leur employeur.

Les livreurs des différentes plateformes, en relation constante avec la clientèle et malgré des consignes qui leur sont données de déposer à distance sur le palier les repas livrés, n’en sont pas moins au contact des commerçants sans que soient prévues des mesures de protection telles que port de masque, de gants ou respect des règles de distanciation avec les commerçants.

Les risques de contamination sont donc ici encore particulièrement importants.

Face à de tels risques, les salariés pourraient exercer leur droit de retrait.

Sur le droit de retrait

Comme tout salarié, les chauffeurs VTC et livreurs liés aux plateformes précitées pourraient faire usage de leur droit de retrait.

L’article L. 4131-1 du code du travail permet ainsi au salarié d’alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave ou imminent pour sa vie ou sa santé, ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation. Si aucune procédure particulière n’est prévue pour l’exercice du droit de retrait, il convient pour autant de procéder de manière à conserver la preuve de l’information de l’employeur de son intention d’exercer son droit de retrait, le courrier recommandé avec accusé de réception doublé d’un mail nous paraissant être la pratique la plus sûre.

En effet, le salarié ne peut quitter son emploi sans avoir préalablement « alerter » son employeur ou son premier supérieur hiérarchique.

L’employeur ne peut demander au salarié de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent, résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.

Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie et pour la santé de chacun d’eux (C. trav., art. L. 4131-3).

Il est important de noter que la loi ne subordonne pas le droit de retrait à l’existence effective d’un danger grave ou imminent pour sa vie ou sa santé, il suffit que le salarié ait un motif raisonnable de penser qu’il est effectivement confronté à un tel danger.

Lors du contrôle a posteriori du bien-fondé de l’exercice du droit de retrait, la juridiction prud’homale devra uniquement s’attacher à l’appréciation du danger faite par le salarié à la date d’exercice de son droit de retrait et non à celle qu’en ferait l’employeur ou encore le juge.

En l’espèce, un chauffeur ou livreur qui, concomitamment, mettrait en demeure son employeur de le rétablir dans ses droits en reconnaissant l’existence d’un contrat de travail et solliciterait consécutivement la qualité de salarié et les droits y afférents pourrait faire valoir son droit de retrait et exiger le paiement de son salaire tant que l’employeur n’a pas mis en place les mesures de préventions adaptées.

En l’espèce, il n’est pas fantaisiste d’imaginer que, dans le cadre d’une « guerre » et alors que le virus est présenté comme très agressif, recélant un risque vital et pouvant demeurer sur certaines surfaces plusieurs heures, que des salariés exigent, dans un cadre confiné, de porter des masques ou des gants ou de bénéficier de gel hydroalcoolique et qu’à défaut, cela puisse caractériser un danger grave ou imminent ou qu’il soit acquis qu’ils puissent seulement raisonnablement le penser.

Chaque chauffeur ou livreur pourrait alors – jusqu’à ce que les mesures protectrices aient été prises – exercer leur droit de retrait et a minima bénéficier d’une enquête de la médecine du travail sur les risques infectieux en cas de confinement dans un habitacle ou de contacts fréquents avec une clientèle.

Il est également opportun de noter que la Cour de cassation prononce la nullité du licenciement notifié par l’employeur pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste dans une situation de danger (Soc. 28 janv. 2009, n° 07-44.556, Dalloz actualité, 9 févr. 2009, obs. S. Maillard ; D. 2009. 2128, obs. J. Pélissier, T. Aubert, M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, B. Lardy-Pélissier et B. Reynès image ; Dr. soc. 2009. 489, obs. P. Chaumette image ; RDT 2009. 167, obs. M. Miné image).

Il sera à cet égard rappelé que la nullité du licenciement permet d’écarter les plafonds d’indemnité de licenciement fixés à l’article L. 1235-3 du code du travail, en application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du même code, l’indemnité pour licenciement nul ne pouvant en outre être inférieure à six mois de salaire.

Mais le salarié peut aussi, en cas de licenciement nul, solliciter sa réintégration dans ses fonctions.

Ce risque de réintégration est d’autant plus accru que, si l’employeur devait, à l’occasion d’une saisine du conseil de prud’hommes en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail ou d’exercice d’un droit de retrait, rompre le contrat de service le liant au salarié, cette rupture pourrait être qualifiée de licenciement et, partant, en licenciement nul.

En effet, la Cour de cassation a dans un premier temps et de longue date jugé qu’était dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement consécutif à la saisine de la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution du contrat de travail (Soc. 7 juill. 2004, n° 02-42.821, Dalloz jurisprudence).

Puis, sur le fondement de la liberté fondamentale d’exercer une action en justice, la Cour de cassation a prononcé la nullité du licenciement du fait de la seule mention aux termes de la lettre de licenciement du grief imputé au salarié d’avoir pris l’initiative de saisir le conseil de prud’hommes, et cela même si le licenciement ne repose pas que sur ce seul motif, l’atteinte à une liberté fondamentale rendant inopérants les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, sans que le juge ait à les étudier (Soc. 8 févr. 2017, n° 15-28.085, JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien image).

Ainsi, et pour résumer, le chauffeur qui solliciterait la requalification de son contrat de travail par un courrier de mise en demeure tout en informant son employeur de son droit de retrait pourrait, si la plateforme devait sanctionner cette demande par une « déconnexion définitive de la plateforme », assimilable à une rupture des relations contractuelles, soit solliciter (outre le paiement du salaire pendant la période de retrait) des dommages équivalant au minimum à six mois de salaires, soit solliciter sa réintégration.

Il est utile de rappeler, compte tenu de la durée d’une procédure prud’homale de deux à trois ans minimum, que, par décision datée du 14 décembre 2016, la Cour de cassation (n° 14-21.325, Dalloz actualité, 3 janv. 2017, obs. M. Peyronnet ; D. 2017. 12 image) a rappelé que « le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d’une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé », et qu’il doit être tenu compte « du revenu de remplacement servi au salarié pendant la période s’étant écoulée entre le licenciement et la réintégration ».

Ainsi, tout chauffeur ou livreur dont le licenciement serait nul comme ayant été prononcé pour avoir exercé leur droit de retrait ou pour avoir exercé une liberté fondamentale (celle d’avoir souhaité faire valoir ses droits) pourrait revendiquer l’intégralité des rémunérations qu’il aurait perçues sur l’intégralité de la période soit au minimum deux à trois ans de salaire.

Concernant la rémunération à prendre en compte, il conviendra de se rapporter à la moyenne des revenus habituels du chauffeur ou livreur ou, si cette dernière est plus favorable, à la rémunération prévue par la convention collective applicable et a minima égale au SMIC.

S’il convient enfin de noter que la fermeture temporaire des juridictions prud’homales ne permet pas de saisir le conseil de prud’hommes pendant la période de confinement, y compris en référé, cela n’interdit pas aux salariés, dès à présent, de solliciter la requalification de leur contrat de travail, d’exercer leur droit de retrait et d’exiger le paiement de leur salaire, pour plus tard, si la plateforme devait ne pas faire droit à ses demandes, saisir le conseil de prud’hommes compétent ou, éventuellement, négocier un accord amiable.

À ces risques de condamnation pour l’employeur s’ajoute celui tout aussi sérieux de condamnation par application des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail, relatif au travail dissimulé, qui dispose que « le fait pour tout employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail ; mais également le fait de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales ».

Ainsi, non seulement le salarié dont l’employeur a dissimulé l’emploi a droit lors de la rupture de la relation de travail à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire (C. trav., art. L. 8223-1) mais la personne ayant recours au travail dissimulé directement ou par personne interposée peut être condamnée jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € et la personne morale jusqu’à 225 000 €, s’il s’agit d’une société (C. trav., art. L. 8224-1).

La décision de la Cour de cassation du 4 mars 2020 résonne d’une manière toute particulière en termes de droits à l’heure où ceux qui continuent d’exercer leur activité sont confrontés dans l’exercice de leur fonction, chauffeurs ou livreurs, à un risque de contamination à un virus dont la dangerosité n’est plus à démontrer.

Auteur d'origine: Dechriste
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Invité
jeudi 28 mars 2024

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