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Devoir de vigilance : de la loi vigilance à une directive européenne ?

Devoir de vigilance : de la loi vigilance à une directive européenne ?

L’ambition affichée par le Parlement européen dans sa résolution du 10 mars 2021 s’inspire de la loi française (Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre). Le devoir de vigilance prend progressivement pied dans le débat juridique. Il s’agit d’imposer à certaines sociétés la vigilance sur l’activité de leur sphère d’influence (sous-traitants, fournisseurs, filiales, etc.) concernant le respect de certains droits essentiels. Les sociétés concernées sont qualifiées de « sociétés dominantes » en raison du pouvoir qu’elles détiennent sur d’autres acteurs économiques.

La montée en puissance du devoir de vigilance de la société dominante s’effectue en trois étapes : 1) le temps des mesures volontaires ; 2) le temps des premières obligations ; 3) le temps de l’effectivité. L’adoption d’une directive européenne pourrait en constituer l’aboutissement dans le cadre continental.

Le temps des mesures volontaires. Conscientes des enjeux, de nombreuses sociétés dominantes ont adopté une démarche volontaire de vigilance. Une caractéristique commune émerge : la valeur juridique incertaine de ces engagements. Accompagnés par plusieurs organisations internationales (not. l’OCDE [« Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales », 25 mai 2011] et l’ONU [« Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme », Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 2011], ils constituent du « droit mou » dont l’effectivité est questionnée. Leur dépassement est rapidement apparu comme une nécessité.

Le temps des premières obligations. L’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013 constitue un point de rupture. L’intervention du « droit dur », apparaissant désormais comme un impératif, prend forme dans les lois françaises (loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre) et néerlandaise (Wet van 24 oktober 2019 n. 401 houdende de invoering van een zorgplicht ter voorkoming van de levering van goederen en diensten die met behulp van kinderarbeid tot stand zijn gekomen [loi relative à l’introduction d’un devoir de diligence pour empêcher la fourniture de biens et de services provenant du travail d’enfant]). Au niveau international, l’ONU entame des démarches pour la mise en place d’un « instrument international juridiquement contraignant ». Toujours en cours, elles ne semblent pas en mesure d’aboutir à court terme. L’Union européenne (UE) montre également sa détermination à s’engager, tout d’abord au moyen d’une démarche sectorielle (Règl. [UE] n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil « établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché », 20 oct. 2010 ; Règl. [UE] 2017/821 du Parlement européen et du Conseil « fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque », 17 mai 2017), complétée par de strictes obligations de reporting non financier (Dir. 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil, 22 oct. 2014, modifiant la dir. 2013/34/UE).

Le temps de l’effectivité ? Après ces premières étapes, des voix s’élèvent afin d’aller plus loin. Elles ont été entendues par le Parlement européen qui se saisit désormais du sujet avec une ambition renouvelée. La résolution adoptée le 10 mars 2021 le démontre. Celle-ci est complétée d’un projet de directive clé en main qui pourrait servir de base de réflexion à la Commission. La directive s’inspirerait largement de la loi vigilance française. Sa philosophie serait identique et la méthode retenue similaire. Il s’agirait d’imposer à la société dominante : 1) d’identifier au sein de sa sphère d’influence les activités à risque concernant « les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance » ; 2) de mettre en place une « stratégie de vigilance » en y associant les « parties prenantes » ; 3) d’assurer la publicité de cette stratégie. La société dominante serait tenue de prendre « toutes les mesures de précaution requises […] pour éviter le préjudice » subi en raison de manquements aux droits humains/environnementaux, soit une obligation de moyens. Le lien avec le droit français est évident. Celui-ci impose aux « sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre » d’établir, publier et mettre en œuvre un plan de vigilance comprenant « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » (C. com., art. L. 225-102-4).

Pourrait aboutir une forme de consécration européenne de l’initiative du législateur français. Une nuance s’impose. Ses failles et difficultés de mise en œuvre, mises en lumière par de nombreux commentateurs, semblent avoir été prises en compte par le projet de directive. Celle-ci apporterait de sensibles améliorations en faveur de la dimension contraignante du devoir de vigilance. Il s’agirait notamment :

De définitions rigoureuses : l’article 3 du projet de directive est consacré aux « définitions » : parties prenantes, fournisseurs, sous-traitants, etc. Il est ainsi donné des contours précis aux termes utilisés. Cette démarche est essentielle en raison de l’utilisation d’expressions non juridiques issues de la RSE. La loi vigilance est apparue comme défaillante et largement perfectible sur ce point (V. not., Cons. const. 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire image ; Constitutions 2017. 234, chron. P. Bachschmidt image ; ibid. 291, chron. B. Mathieu image).

D’une association obligatoire des parties prenantes : l’article 5 du projet de directive garantirait « le droit pour les syndicats […] et pour les représentants des travailleurs, d’être associés de bonne foi à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie de vigilance de leur entreprise ». Plus généralement, l’association des parties prenantes ne serait pas une option pour la société dominante mais une obligation. Cela n’est pas le cas dans la loi vigilance : « les dispositions selon lesquelles le plan de vigilance « a vocation » à être élaboré avec les « parties prenantes de la société » ont une portée incitative » (Cons. const. 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, préc.).

D’une autorité indépendante chargée de veiller au respect du devoir de vigilance : l’article 12 du projet de directive imposerait la désignation « d’une ou plusieurs autorités nationales compétentes chargées de surveiller l’application de la directive, une fois transposée en droit national […] ». Cette autorité de surveillance devrait être indépendante et disposer de ressources, d’une infrastructure, de l’expertise et de locaux adéquats. Il lui serait accordé un large pouvoir d’enquête et de sanction (art. 13). Dans le cadre de la loi vigilance, cette autorité n’existe pas malgré l’habitude du droit français à recourir à un tel mécanisme (v. l’agence française anticorruption (AFA) de la loi Sapin II (loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique). Il s’agit de l’une de ses principales failles, utilement corrigée par le projet de directive.

De sanctions administratives : l’article 18 du projet de directive imposerait, en cas de manquement au devoir de vigilance commis par la société dominante, des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ». Il est précisé que « les autorités compétentes nationales peuvent en particulier infliger des amendes calculées sur la base du chiffre d’affaires d’une entreprise […] ». Le mécanisme de l’amende s’inspire de la loi vigilance adoptée définitivement par l’Assemblée nationale. Il y était prévu que « le juge [puisse] condamner la société au paiement d’une amende civile d’un montant qui ne peut être supérieur à 10 millions d’euros ». Cette amende civile a été censurée par le Conseil constitutionnel en raison de l’imprécision des termes retenus par le législateur (Cons. const. 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, préc.). En cas de transposition de la directive, il devra se montrer plus exigeant. L’amende permettrait de suppléer les difficultés de mise en œuvre de la responsabilité civile dans le cadre du devoir de vigilance. En parallèle des sanctions, l’article 13 du projet de directive imposerait un sévère pouvoir administratif de suspension temporaire de l’activité de la société dominante en cas de manquement grave au devoir de vigilance. La loi vigilance permet simplement au juge d’ordonner sous astreinte un respect des obligations (C. com., art. L. 225-102-4).

D’une présomption de responsabilité en cas de préjudice : en raison du caractère « de moyens » du devoir de vigilance, la responsabilité civile associée est nécessairement du fait personnel. Il s’agit de déterminer si le manquement de la société dominante à son devoir de vigilance est en causalité avec le préjudice subi par un tiers. La loi vigilance opère une référence directe aux articles 1240 et 1241 du code civil (C. com., art. L. 225-102-4). Si le projet de directive confirme le recours à la responsabilité civile du fait personnel, il envisage un mécanisme innovant de présomption réfragable de responsabilité (art. 19). Il ne s’agirait plus pour le tiers de prouver la causalité d’une faute avec le préjudice subi, mais à la société dominante de démontrer avoir « pris toutes les mesures de précaution requises […] pour éviter le préjudice, ou que le préjudice se serait produit même si toutes les précautions nécessaires avaient été prises », soit une obligation de moyens renforcée.

De la qualification de loi de police : selon l’article 20 du projet de directive, « les États membres veillent à ce que [s]es dispositions […] soient considérées comme des dispositions impératives dérogatoires au sens de l’article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 », dit « Rome II ». Il s’agirait d’imposer de manière heureuse la qualification de loi de police (et de sûreté) au devoir de vigilance afin de garantir son déploiement au-delà des frontières européennes. Cette précision, sollicitée par de nombreux acteurs, a été écartée sans véritable explication par le législateur français dans le cadre de la « loi vigilance ».

En conclusion : le chemin vers un devoir de vigilance européen de la société dominante sera long. La résolution adoptée par le Parlement le 10 mars 2021 démontre une volonté politique. Les prochains mois permettront de savoir si celle-ci se traduira en actes.

Auteur d'origine: Thill
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Invité
vendredi 29 mars 2024

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