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C’est en toute logique que l’on mettra en avant, dans cette chronique, l’arrêt BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11). Naturellement, sa portée ne doit pas être surestimée, mais on pressent immédiatement à la lecture de la décision que la CEDH n’est pas du tout sur la même position que le juge français en matière de notoriété des faits, ce dont on peut se féliciter. On s’en réjouit d’autant plus que la présente livraison nous offre un exemple supplémentaire du caractère totalement délétère de cette exception (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, BYD Auto). Il n’en demeure pas moins qu’il est inquiétant le recours contre les sentences, déjà trop long devant les juridictions françaises, puisse se poursuivre devant la CEDH. C’est la dimension négative de cette décision.

Pour le reste, il faut d’ores et déjà signaler un arrêt important de la Cour de cassation sur la tierce opposition contre la décision se prononçant sur le recours contre la sentence (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya, D. 2021. 1034 ). Enfin, on invitera le lecteur à la réflexion sur la place des règles de conflit dans le recours (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz ; Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler), la cour d’appel de Paris semblant, depuis quelque temps, en avoir réintroduit une pour ce qui concerne les règles applicables à la procédure.

I - Recours et Cour européenne des droits de l’homme

Le droit de l’arbitrage – et plus précisément les recours contre la sentence – est-il en cours de fondamentalisation ? La question est sans doute excessive. Il n’en demeure pas moins que le recours subit des mutations qui peuvent conduire à une profonde évolution – voire dénaturation de celui-ci. Le mouvement est déjà en marche, avec la très remarquée question préjudicielle posée par la cour d’appel de Paris à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) quant à l’interprétation du Traité sur la charte de l’énergie (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Komstroy, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit). Ce faisant, le recours devant les juridictions françaises peut donner lieu à de régulières saisines de la Cour de justice, notamment lorsqu’il s’agit de discuter de compétence ou d’ordre public international. Ce mouvement pourrait s’accroître avec la décision BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11, préc.). À cette occasion, la CEDH connaît d’une requête formée contre l’Italie à la suite d’un recours en annulation formé devant les juridictions italiennes.

Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas la première fois que la Cour de justice et la CEDH sont impliquées dans des recours contre la sentence. Rien n’interdit de n’y voir qu’un phénomène cyclique, à la portée réduite. On ne peut néanmoins pas ignorer qu’en ouvrant de telles portes – aussi étroites soient-elles – les parties, dans des litiges dont les enjeux financiers sont considérables, n’hésiteront pas à les enfoncer. La perspective de bénéficier d’un troisième degré de juridiction (cour d’appel – Cour de cassation – CJUE ou CEDH), voire d’un quatrième (une question préjudicielle n’excluant aucunement une requête à la CEDH), bénéficiant d’une surface d’examen plus ou moins large (la CJUE et la CEDH ne pouvant pas – en principe… – connaître de tous les cas d’ouverture) pourrait donner des idées aux parties. On peut évidemment considérer – c’est indiscutable – qu’il s’agit là du jeu normal de la soumission de l’ordre juridique français à ces cours et que la possibilité de les saisir n’est absolument pas nouvelle et constitue même un pilier de notre état de droit. Pour autant, on ne peut pas ignorer que le choix du siège de l’arbitrage – et par conséquent du juge de l’annulation – résulte le plus souvent d’un choix d’opportunité des parties, guidé en particulier par la qualité du droit de l’arbitrage proposé par l’État. La perspective de voir le recours échapper largement au juge français est de nature à conduire les opérateurs du commerce international à revoir leurs choix. Il suffit, pour le comprendre, de constater que dans un arbitrage opposant un État non européen à un investisseur non européen, c’est la Cour de justice ou la CEDH qui pourraient avoir le dernier mot, là où les parties ont désigné le juge français. Il y a donc une difficulté qui mérite, à tout le moins, d’être soulevée.

Reste que, tous ces recours, n’auront pas les mêmes effets. Ainsi, si la Cour de justice peut imposer son interprétation à l’issue d’une question préjudicielle, il en va différemment de la CEDH. Dans l’affaire BEG c/ Italie, la CEDH refuse d’enjoindre à l’Italie de permettre la réouverture de la procédure. Pire, elle constate l’absence de mécanisme équivalent, sans en tirer aucune conséquence. Le justiciable est à la merci d’une législation interne permettant un réexamen. En droit français, le réexamen en matière civile est possible depuis la loi du 18 novembre 2016, mais uniquement, selon l’article L. 452-1 du code de l’organisation judiciaire, « en matière d’état des personnes ». Un succès devant la CEDH n’ouvre pas le droit à un nouvel examen de la sentence. D’un point de vue pécuniaire, le succès est aussi maigre, dès lors que les prétentions financières du requérant sont largement écartées : sa demande d’indemnisation est rejetée, et les frais de procédure devant le juge italien et devant la CEDH sont compensés à hauteur de 35 000 €, là où 355 000 € sont demandés. Seul un préjudice moral – 15 000 € – est décerné à titre de médaille en chocolat. En définitive, il est évident que la victoire devant la CEDH est avant tout symbolique et ne devrait pas, procédure par procédure, entraîner un bouleversement des recours. Ce n’est donc pas tant sur des affaires individuelles qu’à l’échelle des principes que les décisions de la Cour auront un impact déterminant.

C’est en effet sur le contenu des décisions que la CEDH est susceptible d’imposer aux États de faire évoluer leur jurisprudence. Nous ne reviendrons d’ailleurs pas sur le manquement de l’arbitre à son obligation d’indépendance et d’impartialité dans cette affaire, tant il est évident et ne suscite aucun étonnement pour le juriste français. En effet, l’arbitre n’a pas révélé son lien avec l’une des parties au litige. Plus précisément, il a omis de déclarer être conseil et « Vice-Chairman and member of the Board of Directors » de la société ENEL, qui détient 100 % de la société ENELPOWER, partie au litige. Afin de se prononcer sur ces faits, la CEDH met en œuvre un test objectif d’impartialité. Elle énonce que « As to the objective test, it must be determined whether, quite apart from the judge’s conduct, there are ascertainable facts which may raise doubts as to his impartiality. This implies that, in deciding whether in a given case there is a legitimate reason to fear that a particular judge lacks impartiality, the standpoint of the person concerned is important but not decisive. What is decisive is whether this fear can be held to be objectively justified » (§ 130). Pour la CEDH – et il en aurait sans doute été de même pour le juge français – les faits tels que présentés conduisent à douter de l’impartialité de l’arbitre. Rien de bien original de ce point de vue.

En revanche, ce qu’il faudra examiner très attentivement – et l’on dira même qu’il convient d’ores et déjà de s’en emparer – concerne la renonciation. En effet, le refus d’annulation de la sentence par les juridictions italiennes repose avant tout sur un mécanisme de « waiver », équivalent à notre renonciation issue de l’article 1466 du code de procédure civile. Or chacun sait la place que prend aujourd’hui cette règle en droit français. Il y a deux passages qu’il convient de mettre en lumière.

D’abord, la CEDH énonce que « The Court does not agree with the Government’s argument that the fact that the applicant had not challenged the lack of an explicit negative disclosure demonstrates a waiver of its right to have its dispute settled by an independent and impartial tribunal » (§ 138). Une telle motivation pourrait, à terme, avoir un impact colossal. Implicitement, la CEDH admet que le défaut d’indépendance et d’impartialité peut être soulevé devant le juge de l’annulation quand bien même il n’a pas été discuté pendant la procédure, notamment par la voie d’une demande en récusation. Au-delà, il peut imposer d’examiner des griefs relevant de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, notamment la contradiction, quand bien même les parties n’en ont pas fait état dans la procédure. Naturellement, il faudra voir l’impact qu’ont eu les faits d’espèce sur cette formulation – notamment parce que l’arbitre n’a jamais fait de déclaration explicite d’indépendance – mais elle donnera indiscutablement des idées aux praticiens.

Ensuite, la CEDH souligne que « The reasons advanced by the domestic courts […] and the Government are based on a presumption of knowledge which does not rest on any concrete evidence to the effect that the applicant was in fact aware of the professional activities of [the arbitrator]. The Court therefore disagrees with the Government and does not find that facts have been demonstrated from which it could infer the unequivocal waiver of the requirement of impartiality in respect of the arbitrator » (§ 140). Ce passage est beaucoup moins ambigu que le précédent. Il n’y a qu’un pas – que nous franchissons allégrement – pour y voir une potentielle remise en cause de l’exception de notoriété. Qu’est-ce donc que l’exception de notoriété, si ce n’est une présomption de connaissance (et même, en réalité, une présomption d’investigations, ce qui est encore plus fort) d’un fait non révélé ? Qu’est-ce donc que le défaut d’exercice d’une demande en récusation par une partie, si ce n’est un comportement totalement équivoque dès lors qu’il est impossible de déterminer s’il a connaissance du lien litigieux ? Très clairement, la CEDH sape les fondements de l’exception de notoriété telle qu’elle existe en droit français. Pour notre part, nous ne pouvons que saluer une telle solution que nous appelons de nos vœux à longueur de chroniques. Il faut maintenant espérer que les praticiens s’en saisiront et que les juridictions françaises seront sensibles à cette décision de la CEDH.

D’ailleurs, la jurisprudence française offre un exemple presque caricatural des excès de l’exception de notoriété (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, BYD Auto, préc.), dont on espère que la décision BEG c/ Italie conduira à une remise en cause. En l’espèce, il est reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé être membre du « Beirat » (comité consultatif) de la société mère d’une des partenaires stratégiques d’une partie. Pour le défendeur, l’information est notoire. Comme chaque fois, la notoriété est utilisée pour déterminer le point de départ du délai pour demander la récusation de l’arbitre. L’enjeu tient dans la recevabilité du grief devant le juge de l’annulation. La cour rappelle, au titre de la notoriété, que « seules les informations publiques aisément accessibles que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre ».

Pour juger l’information notoire, la cour se fonde sur le procès-verbal établi par un huissier produit par le défendeur. Celui-ci constate que, après avoir tapé sur Google le nom de l’arbitre et le terme « automobil », il accède en première page à un site internet où il peut consulter un rapport contenant l’information recherchée. Comme l’a prédit Thomas Clay, la googlelisation tient désormais lieu de viatique au régime de l’indépendance de l’arbitre (T. Clay, obs. Civ. 1re, 3 oct. 2019, D. 2019. 2435 ). Pourtant, les lacunes d’une telle solution sont flagrantes.

Premièrement, il faut se rappeler, selon les termes de la cour, que « la notoriété d’une situation devant être appréciée à la date de sa survenance ». Or, sauf à ce que le défendeur ait pris ses dispositions en début d’arbitrage, il est absolument certain que le constat d’huissier a été réalisé une fois le recours en annulation engagé. Autrement dit, la notoriété éventuellement mise en lumière par le constat d’huissier est une notoriété plusieurs années après la révélation par l’arbitre. Comment accepter qu’un tel constat, établi a posteriori, puisse bénéficier d’une quelconque valeur ?

Deuxièmement, la recherche réalisée nécessite d’ajouter, en plus du nom de l’arbitre, le terme « automobil » (sans « e »). Certes, on pourra dire que dans un litige relevant du secteur automobile, il n’y a rien de complexe à cela. En attendant, comment déterminer a priori les mots clés à utiliser pour tomber sur le résultat pertinent ? Où est la limite ? Combien de recherches différentes sont nécessaires ? Ne serait-ce qu’à ce jour, on peut déjà dire qu’il faut accoler le nom de l’arbitre (i) au nom des parties, (ii) au nom des cabinets des conseils, (iii) au nom des conseils, (iv) au nom des filiales/sociétés mères des parties, (v) au nom des tiers intéressés au litige, (vi) à des termes génériques pouvant être associés à l’arbitrage. En réalité, on demande aux parties de rechercher une aiguille dans une botte de foin, sans qu’elles sachent qu’une aiguille s’y trouve.

Troisièmement, nous avons voulu reproduire la recherche mentionnée par l’arrêt. Et c’est presque là que le plus extraordinaire se produit. Le nom de l’arbitre est composé de deux prénoms et d’un nom de famille (par ex. : Jean-Pierre Dupond). Si l’on positionne les guillemets pour les deux prénoms et qu’on ne les utilise pas pour le nom de famille, on trouve effectivement le résultat mentionné par l’huissier (autrement dit, la recherche est : « Jean-Pierre » Dupond + automobil). En revanche, si on réalise la même recherche, mais en faisant figurer les guillemets autour des deux prénoms et du nom (autrement dit, la recherche est : « Jean-Pierre Dupond » + automobil), la recherche ne donne aucun résultat (il en va d’ailleurs de même d’une recherche sans les prénoms de l’arbitre…) ! Voilà à quoi tient la notoriété d’un fait : au positionnement des guillemets, séparant ou nom les prénoms du nom de famille… Dire qu’une telle conception n’est pas sérieuse est un euphémisme.

Quatrièmement, le document auquel on finit par aboutir est rédigé intégralement en allemand ! Autrement dit, il n’y a pas un seul mot compréhensible pour un non-germanophone. Or, comme le fait remarquer le requérant, la langue de l’arbitrage est l’anglais et le droit applicable le néerlandais. Comment, dans ces conditions, considérer que l’information est notoire ?

C’est, encore une fois, un très profond malaise que l’on ressent à la lecture de cette motivation sur la notoriété. Il est décidément incompréhensible que, dix ans après avoir prôné une vision ambitieuse de l’obligation de la révélation, la jurisprudence française ait tant reculé. L’arbitrage est la chose des parties, pas la chose de l’arbitre. Il ne faut pas l’oublier.

Naturellement, les effets d’une telle notoriété sont immédiats : puisque les faits sont notoires au moment de la révélation, le délai pour demander la récusation de l’arbitre est expiré depuis bien longtemps. Faute de demande en récusation, le moyen est irrecevable. Peu importe la gravité des faits… Vite, la CEDH !

II - La clause compromissoire

A - La qualification de clause compromissoire

Il faut bien convenir que le régime de la clause compromissoire est relativement complexe pour le néophyte, d’autant qu’il n’est aucunement intuitif. Toutefois, ce sont souvent les rédacteurs qui ajoutent de la complexité à la complexité. C’est le cas de la clause prévue par la norme NFP 03-001, qui est un cahier type des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés privés. Autant dire que son utilisation est loin d’être anecdotique. Les rédacteurs de cette norme ont eu la brillante idée d’y inclure une clause originale, qui prévoit que « Pour le règlement des contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution ou du règlement du marché, les parties contractantes doivent se consulter pour examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage, ou pour refuser l’arbitrage ». La jurisprudence a déjà eu à connaître à deux reprises d’une clause équivalente (Lyon, 4 juin 2019, n° 19/00698, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Bordeaux, 23 janv. 2020, n° 16/02240, Hôtel Merle, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Dans les deux, elle a écarté les qualifications de clause compromissoire et de clause de conciliation préalable, excluant ainsi toute sanction en cas de non-respect de la clause. Néanmoins, ce n’est pas la solution retenue par la cour d’appel de Dijon (11 mai 2021, n° 19/01580, SCAAB). Cette dernière retient pour cette clause une qualification de clause de conciliation préalable et sanctionne son non-respect par une fin de non-recevoir. À suivre la cour, la consultation prévue par la clause en vue d’un éventuel accord pour recourir à l’arbitrage est une forme de conciliation préalable. Il faut bien admettre que cela revient à en donner une interprétation particulièrement extensive. Surtout, cela conduit à donner une sanction – la fin de non-recevoir – plus élevée que les véritables clauses compromissoires – soumises à une exception de procédure. Il n’est pas certain qu’une telle solution résiste à un pourvoi devant la Cour de cassation.

B - La transmission de la clause compromissoire

La transmission de la clause compromissoire dans les chaînes de contrats constitue l’un des phénomènes les plus discutés du droit de l’arbitrage. Pour l’essentiel, le droit positif, au moins en matière internationale, est posé par l’arrêt ABS qui énonce que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhe ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur).

Il est vrai que la solution n’est pas aussi tranchée en matière interne (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 210). Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Limoges (18 mai 2021, n° 20/00747), la clause compromissoire se trouve dans le contrat entre le premier vendeur et son acquéreur. Néanmoins, le litige oppose le premier acquéreur, devenu vendeur, à son propre acquéreur. Dans ce second contrat, nulle trace d’une clause compromissoire. Pour la cour d’appel, quand bien même elle cite explicitement la jurisprudence ABS, la clause est manifestement inapplicable à un litige opposant seulement les parties au second contrat. Elle va plus loin en expliquant que cette clause n’est applicable qu’au litige entre les parties au premier contrat et également à un litige entre le sous-acquéreur et le vendeur initial. D’apparence convaincant, ce raisonnement constitue en réalité une double erreur d’analyse. D’une part, si tant est qu’elle soit exacte, cette interprétation relève de l’arbitre et non du juge étatique, la clause ne pouvant être considérée comme manifestement inapplicable. D’autre part, la solution est erronée. Comme nous le rappelions dans la précédente chronique, la clause n’est pas transmise ; elle prolifère. Lors de la transmission de l’obligation, la clause compromissoire se divise en deux et lie aussi bien le cédant au cédé que le cessionnaire au cédé (dans le même sens, F.-X. Train, Arbitrage et action directe : à propos de l’arrêt ABS du 27 mars 2007, Cah. arb. 2007, n° 3, p. 6). En conséquence, la cour aurait dû renvoyer le litige aux arbitres.

III - Le juge d’appui

Le juge d’appui est sans doute l’une des innovations les plus importantes du droit français de l’arbitrage. Depuis le décret du 13 janvier 2011, il est expressément visé par le code de procédure civile et ses prérogatives sont encadrées, notamment par les articles 1451 et suivants. Le juge d’appui est également compétent en matière internationale, par renvoi de l’article 1506, 2°, du code de procédure civile et par des dispositions spécifiques de l’article 1505. Pour l’essentiel, le juge d’appui, bon samaritain de l’arbitrage (P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 838) est compétent pour aider à la constitution du tribunal arbitral. Il n’en demeure pas moins que ses prérogatives peuvent dépasser cette seule mission, notamment lorsqu’il connaît des demandes de récusation d’un arbitre ou de la prorogation les délais de l’arbitrage. Partant de ce constat, il n’est pas rare que les parties tentent d’étendre les missions du juge d’appui en le saisissant de difficultés allant au-delà de ce qui est prévu par le code. C’était par exemple le cas dans l’affaire Garoubé, où une partie a saisi le juge d’appui pour contester le retrait par la CCI de certaines de ses demandes à la suite du défaut de paiement de la provision d’arbitrage (pour l’arrêt de Cassation, Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). La jurisprudence ne se laisse pas entraîner dans une telle voie. La Cour de cassation avait, à cette occasion, affirmé que le code de procédure civile « n’a pas investi le juge d’appui d’une compétence générale pour trancher tous les litiges survenant au cours de la procédure d’arbitrage, mais a seulement désigné un juge étatique territorialement compétent afin de pourvoir, à titre supplétif, à la constitution d’un tribunal arbitral en cas de risque de déni de justice ».

Cette ligne est à nouveau suivie par le juge d’appui du tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 16 avr. 2021, n° 21/50115, Brompton). Une partie conteste l’exclusion par la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, conformément à son règlement, de neuf des onze défendeurs à l’arbitrage. Pour écarter la demande, le juge rappelle qu’il n’a qu’une compétence subsidiaire par rapport à l’institution. En présence d’une institution choisie par les parties, il convient d’établir une carence de la part de l’institution. Tel n’est pas le cas lorsque, en application de son règlement, l’institution procède à un examen prima facie de la convention d’arbitrage. Ce faisant, le juge confirme que les prérogatives du juge d’appui doivent être limitées à celles prévues par le code et refuse toute interprétation extensive des textes.

Est-ce à dire que la décision est inattaquable ? La réponse est négative. D’une part, l’arrêt Garoubé a rappelé la faculté pour les parties de saisir les juridictions de droit commun d’une action en responsabilité contre la CCI. D’autre part, il nous semble qu’en dépit de la décision de la CCI, les arbitres ne sont pas privés de la faculté de trancher cette question. Du point de vue du juge de l’annulation, il n’y a pas grande différence à ce que la décision d’exclusion des défendeurs ait été prise par la CCI ou par les arbitres. En effet, la cour a déjà annulé des sentences arbitrales pour des faits imputables à l’institution (Paris, 17 nov. 2011, n° 09/24158, Licensing Projects c/ Pirelli, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin  ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train ; l’arrêt est cassé sur un autre fondement, v. Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-27.770, Pirelli c/ Licensing Projects, D. 2013. 929 ; ibid. 2936, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 746 [1re esp.], note F.-X. Train ; Cah. arb. 2013. 479 [1re espèce], note A. Pinna ; Procédures 2013, n° 189, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2013, n° 181-183, p. 16, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2013. 585, note P. Chevalier et C. Kaplan ; LPA 2014, n° 19, p. 9, obs. M. de Fontmichel). Dès lors, il ne doit pas y avoir de différence, au niveau du recours en annulation, sur une décision d’incompétence prise par l’institution au titre de son règlement ou par l’arbitre. On ne peut, en conséquence, qu’encourager les parties à soumettre à nouveau la demande aux arbitres.

La solution est identique à propos d’une prétention formée contre un des arbitres. Il lui est reproché une faute dans son obligation de révélation, fondant une demande de dommages et intérêts. Le juge énonce que « l’obligation de révélation pesant sur le candidat-arbitre, puis sur l’arbitre, au moment de sa désignation et pendant les opérations arbitrales, se rattache non pas au contrat d’organisation de l’arbitrage, liant les parties à l’institution d’arbitrage et régissant la constitution du tribunal arbitral, mais au contrat d’arbitre liant les parties à l’arbitre. Tout manquement allégué à cette obligation, commis tant au cours de l’exécution du contrat d’arbitre qu’à l’occasion de sa conclusion, ne peut donc donner lieu qu’à une action en responsabilité relevant de la compétence des juridictions de droit commun ». Même si le lien avec le contrat d’organisation de l’arbitrage et le contrat d’arbitre est assez flou, il est certain que l’action engagée est une action en responsabilité relevant des juridictions de droit commun.

IV - Les recours contre la sentence

A - Aspects procéduraux des voies de recours

Les aspects procéduraux du recours contre la sentence sont en train de devenir, dans les dernières années et même les derniers mois, d’une très grande complexité. Il ne s’agit plus seulement d’être spécialiste d’arbitrage pour mener à bien un tel recours. Il faut encore être très pointu en procédure civile. Il en résulte un contentieux excessivement technique, pour lequel une lecture presque quotidienne de la jurisprudence devient nécessaire.

1 - L’indication de la décision attaquée

L’article 901 du code de procédure civile énonce que « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 58, et à peine de nullité : […] l’indication de la décision attaquée ». Transposée à l’arbitrage, cette exigence implique seulement d’indiquer – pour le recours en annulation – la sentence arbitrale faisant l’objet d’un recours (pour le recours contre l’ordonnance d’exequatur, c’est l’ordonnance d’exequatur qui doit être mentionnée). En principe, il n’y a rien de complexe à cela.

Pourtant, la situation est parfois plus confuse. C’est le cas notamment lorsque le tribunal arbitral a été saisi d’une requête en interprétation et qu’il a rendu un « addendum » à la sentence finale (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, Asperbras). La question est alors de savoir si la déclaration d’appel doit faire mention de cette décision, conformément à l’article 901 du code de procédure civile. Pour la cour, la réponse est positive. À défaut d’une telle mention, elle déclare le recours en annulation contre l’addendum irrecevable. La solution nous semble triplement discutable. Premièrement, un addendum n’est pas, au sens strict, une sentence arbitrale. La reddition de la sentence arbitrale a entraîné le dessaisissement des arbitres. La faculté offerte aux arbitres de rectifier une erreur matérielle ou d’interpréter la sentence est entendue restrictivement, et ne peut en aucun cas conduire à modifier le sens de la décision. En conséquence, l’addendum fait corps avec la sentence et le recours exercé contre cette dernière doit s’étendre au premier. Deuxièmement, la sanction prévue à l’article 901 du code de procédure civile est une nullité et non une irrecevabilité. Aussi, on peut douter que la solution retenue par la cour, qui est particulièrement rigoureuse, soit fondée. Troisièmement, cette décision n’est pas opportune, en ce que l’annulation de la sentence doit entraîner, par voie de conséquence, celle de l’addendum. Refuser d’y étendre le recours pose ainsi des soucis d’articulation.

Dans la présente affaire, la question ne se limite d’ailleurs pas à un addendum, mais concerne encore une autre décision, dont la qualification est discutée.

2 - La qualification de sentence

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« Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge. »

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Auteur d'origine: Bley

La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire pour les actions réelles immobilières.

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Auteur d'origine: jdpellier

Par un arrêt du 2 juin 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation rallie la position de sa deuxième chambre civile et confirme ainsi que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire.

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Auteur d'origine: Dargent
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Small is (not) beautifull. Article 789 du code de procédure civile : «  Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : […] 6° Statuer sur les fins de non-recevoir. »

En ajoutant un 6°, aussi concis dans son énoncé, à l’article 789 (art. 771 anc.), les rédacteurs du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 pouvaient-ils imaginer déclencher un tel torrent de perplexité et d’interrogations ? Ils auraient dû, serait-on tenté de dire, tant son entrée en vigueur le 1er janvier 2020 était peu encadrée ! En attribuant ce nouveau pouvoir au juge de la mise en état, dont on sait qu’il est aussi partagé avec le conseiller de la mise en état par renvoi de l’article 907 du code de procédure civile, les praticiens furent immédiatement confrontés à de multiples questionnements, aussitôt traduits en incidents de procédure. Mais nécessité fait loi et c’est finalement sur demande d’un conseiller de la mise en état lyonnais, porte-parole de l’ensemble des conseillers comme des avocats confrontés aux mêmes questions depuis plus d’un an, que la deuxième chambre civile a fini par se prononcer.

Less is (not) more. Bien sûr, il n’y avait pas autre chose à ajouter à ce fameux 6° de l’article 789, mais le minimalisme procédural comme architectural se conçoit s’il est accompagné et repose sur une base solide. Assurément, ce n’était pas le cas s’agissant d’un conseiller de la mise en état dont on ne savait pas à quelle date il devenait compétent pour statuer sur des fins de non-recevoir au moyen d’ordonnances contre lesquelles aucune voie de recours n’était prévue… De là à savoir qu’elles étaient exactement les fins de non-recevoir qui pouvaient ressortir de sa compétence, c’était trop demander, et il fallait trop demander pour que les solutions données soient significatives. Car disons-le d’emblée, cet avis d’une portée pratique considérable tant il rythmera le futur procédural de l’appel, ne déçoit pas. Cela tient aussi bien à la précision des questions posées qu’à la portée de solutions de nature, on le pense, à rassurer.

Quels sont les enseignements de l’avis ?

L’application du décret dans le temps

L’article 55 du décret du 11 décembre 2019 posait les principes de l’application du décret dans le temps et précisait, innocemment, que le 6° de l’article 789 était applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020. Très vite, on s’aperçut que, s’il n’y avait pas de difficulté s’agissant du juge de la mise en état, devenu seul compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir dès lors que l’exploit introductif d’instance avait été délivré après janvier 2020, plus complexe était la question de la compétence du conseiller de la mise en état. Saisis d’incident leur demandant de statuer sur une fin de non-recevoir, les conseillers ont très vite été partagés sur la notion même d’instance. Sous réserve que la fin de non-recevoir dont ils étaient saisis ressortait bien de leur attribution, il n’y avait pas de difficulté si la première instance avait été introduite après janvier 2020, mais si l’assignation avait été délivrée avant, comme dans la plupart des cas, et que l’appel avait été interjeté après, devenaient-ils compétents ? Dit autrement, l’appel formé après le 1er janvier 2020 dans une instance débutée avant introduisait-il une instance ?

La Cour de cassation apporte la réponse suivante :

« 5. L’appel engageant, au terme d’une jurisprudence constante, une nouvelle instance (Cass., ass. plén., 3 avr. 1962, pourvoi n° 61-10.142, Bull. ass. plén., n° 1), il résulte de la seconde phrase du II de l’article 55 du décret du 11 décembre 2019 que le nouveau renvoi opéré à l’article 789, 6°, par l’article 907, est applicable aux appels formés à compter du 1er janvier 2020. »

La solution doit être approuvée et c’était d’ailleurs la « tendance » générale. Certes, l’appel est une voie de recours par application des articles 543 et suivants du code de procédure civile, mais elle est aussi une instance, et une nouvelle instance qui débute comme en témoignent de nombreux articles du code de procédure civile, à commencer par l’article 561 qui dispose que « l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel » et qu’« il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du présent code ». Les derniers arrêts rendus en 2021 par la deuxième chambre civile rappelant, ce qui était passé souvent inaperçu ces dernières années, les règles particulières, pour ne pas dire exorbitantes, sur renvoi après cassation, précisément par ce qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle instance mais de la poursuite de l’instance d’appel, permettaient aussi de présager d’une telle solution. Voilà en tout cas une puissante invite destinée aux avocats qui pouvaient, face à un appel formé depuis janvier 2020, encore hésiter à élever un incident relatif à une fin de non-recevoir devant le conseiller de la mise en état. Jusqu’à quand pourront-ils introduire un incident ? Si la fin de non-recevoir peut toujours être invoquée, aux termes d’un article 123 (presque) inchangé, en tout état de cause, l’article 789 précise que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur un tel moyen jusqu’à son dessaisissement, c’est-à-dire jusqu’à l’ouverture des débats au fond. Toutefois, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a modifié sur ce point l’article 914 du code de procédure civile, qui mentionne les pouvoirs spéciaux du conseiller de la mise en état, en fixant, en son alinéa 1er, sa compétence jusqu’à la clôture de l’instruction. Mais si la lecture précise de l’article enseigne que ce terme ne vaut que pour les fins de non-recevoir tirées de la recevabilité de l’appel, l’inobservation des délais des articles 909 et 910 ou de l’article 930-1 du code de procédure civile, ne pourrait-on pas voir, dans cette absence de référence aux « autres fins de non-recevoir », la possibilité d’un retour à la lettre même de l’article 789 qui donnerait donc également au conseiller le pouvoir de statuer jusqu’à l’audience au fond ? Ce serait peu compréhensible (mais on a vu pire), et il faudrait sans doute tirer de l’alinéa qui suit l’éventail des sanctions visées à l’article 914 et selon lequel « les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d’appel la caducité ou l’irrecevabilité après la clôture de l’instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement », une disposition générale empêchant la saisine du conseiller de la mise en état après clôture. Ne l’oublions pas, la fin de non-recevoir, c’est aussi une manière de la qualifier, débouche toujours sur une irrecevabilité.

L’application du décret dans le temps et le déféré

Le décret du 6 mai 2017 qui avait réécrit l’article 916, et notamment l’alinéa 2, offrait la possibilité d’un déféré contre les ordonnances du conseiller de la mise en état « lorsqu’elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l’instance, sur la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et 930-1 ». Postérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier suivant, il fallut pourtant attendre le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 pour que le texte prévoie que les ordonnances puissent « être déférées dans les mêmes conditions lorsqu’elles statuent sur une exception de procédure, sur un incident mettant fin à l’instance, sur une fin de non-recevoir ou sur la caducité de l’appel ». Avec l’usage d’une terminologie générale, plus question donc de détailler les fins de non-recevoir qui pouvaient être déférées à la cour d’appel. Elles pouvaient l’être toutes.

La Cour donne sur ce point la solution suivante :

« 6. Pour autant, il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 3 et 5 que les nouvelles attributions conférées par le décret du 11 décembre 2019 au conseiller de la mise en état s’exercent sous réserve que soit ouvert contre ses décisions un déféré devant la cour d’appel, organe juridictionnel appelé à trancher en dernier ressort les affaires dont elle est saisie. À cette fin, le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 a complété l’article 916 du code de procédure civile pour étendre le déféré aux ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur toutes fins de non-recevoir. Dans la rédaction antérieure de ce texte, le déféré n’était ouvert qu’à l’encontre des ordonnances par lesquelles ce conseiller tranchait les fins de non-recevoir tirées de l’irrecevabilité de l’appel et celles tirées de l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910 et 930-1 de ce code, dont la connaissance lui était déjà confiée par l’article 914, dans des conditions spécifiquement fixées par ce texte.

7. Ce décret du 27 novembre 2020 étant, au terme de son article 12, alinéa 2, entré en vigueur le 1er janvier 2021, pour s’appliquer aux instances d’appel en cours, le conseiller de la mise en état ne peut donc statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu’il relève d’office qu’à compter de cette date. »

D’aucuns s’interrogent déjà sur l’intérêt de si longs développements relatifs au déféré s’agissant d’un avis sur les fins de non-recevoir et alors surtout que, on l’a vu, l’article 916 dispose désormais, sans ambiguïté, qu’une requête en déféré peut être introduite contre les ordonnances du conseiller de la mise en état qui statuent sur une fin de non-recevoir, et donc sur n’importe quelle fin de non-recevoir. Il ne s’agit pourtant pas de prolégomènes pour asseoir une position ultérieure mais bien de dégager une solution pour des parties et des conseillers de la mise en état confrontés à la situation dans laquelle un incident relatif à une fin de non-recevoir aura été initié dans une procédure d’appel postérieure à janvier 2020 mais antérieur à janvier 2021, c’est-à-dire sur une période pour laquelle aucune voie de recours n’était prévue… Car, si le déféré était prévu pour les fins de non-recevoir « historiques » (irrecevabilité de l’appel, des conclusions, etc.), il était impensable de ne pas prévoir de recours contre les autres fins de non-recevoir, aux conséquences parfois analogues, sans compter les ordonnances de conseillers de la mise en état statuant au lieu et place de la cour d’appel. La règle du jeu posée par la deuxième chambre civile, qui se place au jour de l’entrée en vigueur d’un décret venu rectifier l’omission fautive, est tout à fait satisfaisante, mais ne satisfera pas tout le monde. Quid en effet de la partie qui aura vu retenir une fin de non-recevoir à son encontre sans pouvoir exercer de déféré, ou qui aura exercé un déféré… qui n’existe pas ? Si la fin de non-recevoir a été écartée par l’ordonnance litigieuse, le moyen, qui peut être repris en tout état de cause, devra être conclu au fond, mais il y aura, pour les autres, un vrai sujet de déféré-nullité s’il en est encore temps (la Cour de cassation rappelant toujours qu’un recours-nullité doit être exercé dans le délai légal), voire de pourvoi et de pourvoi-nullité contre l’ordonnance du conseiller de la mise en état litigieuse.

Le pouvoir de trancher les fins de non-recevoir

The cherry on the cake. C’est bien sûr la question qui soulevait le plus d’interrogations et la deuxième chambre civile ne s’y trompe pas en énonçant sa solution aux deux derniers points (8 & 9) afin de dégager l’avis suivant : « Le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge. »

La solution, qui conduit à l’avis, est tout aussi intéressante et le complète utilement :

« 8. Sous cette réserve, la détermination par l’article 907 du code de procédure civile des pouvoirs du conseiller de la mise en état par renvoi à ceux du juge de la mise en état ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi. Seule la cour d’appel dispose, à l’exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d’infirmer ou d’annuler la décision frappée d’appel, revêtue, dès son prononcé, de l’autorité de la chose jugée.

9. Il en résulte que le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge. »

Si l’article 914, qui précise des compétences qui lui sont propres au côté d’un article 789 qu’il partage cette fois avec le juge de la mise en état pouvait laisser imaginer un conseiller de la mise en état aux pouvoirs augmentés, la limite juridique de sa compétence naît de sa position : il intervient, nécessairement, après le juge de la mise en état et le tribunal, lequel, rappelons-le, peut aussi statuer sur une fin de non-recevoir qu’il relève d’office, ou sur renvoi du juge de la mise en état si celle-ci nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond ou s’il l’estime seulement nécessaire.

Lors de l’entrée en vigueur de l’article 789, nous rappelions qu’à la différence du juge de la mise en état, la place même du conseiller de la mise en état en appel conduirait sans doute à une limite, de fait, très importante pour statuer sur les fins de non-recevoir (R. Laffly, Fins de non-recevoir : un juge de la mise en état doté de « super-pouvoirs », D. Avocats 2020. 36 ). En effet, puisqu’il était de jurisprudence constante que si le juge de la mise en état avait antérieurement statué sur une exception de procédure ou un incident mettant fin à l’instance, le conseiller de la mise en état était incompétent pour statuer alors même que l’article 771 lui donnait, a priori, cette compétence (Cass, avis, 2 avr. 2007, n° 07-00.006 P, D. 2007. 1207, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2427, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2007. 641, obs. R. Perrot ), il n’y avait pas de raison pour que cela change s’agissant des fins de non-recevoir, qu’elles aient été tranchées par un juge de la mise en état ou par le tribunal. De même, si le conseiller de la mise en état est compétent pour ordonner une expertise, pouvoir qu’il tire de l’article 789,5°, c’est à condition que cette demande n’ait pas été tranchée, dans un sens ou dans l’autre, par le juge de la mise en état ou le tribunal, et il eut été inconcevable qu’il puisse en être différemment avec les fins de non-recevoir. Au-delà de la qualification du moyen ou de la demande, c’est un principe de raisonnement : le conseiller de la mise en état n’est pas juge d’appel. Admettre le contraire reviendrait à lui donner le pouvoir de statuer, à nouveau, sur de tels moyens débattus en première instance, et nécessairement à confirmer, infirmer ou annuler la décision du premier juge. C’est exactement ce qu’induit la Cour de cassation lorsqu’elle précise que le renvoi de l’article 907 à l’article 789 ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les règles de compétence définies par la loi. Seule la cour d’appel peut confirmer, infirmer ou annuler.

Le conseiller de la mise en état, cela semble évident, est donc juge des fins de non-recevoir non tranchées en première instance, et encore, avec une réserve de taille, il sera parfois incompétent si aucun juge n’a statué sur cette fin de non-recevoir en première instance ! L’avis le dit : son intervention ne doit pas avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi ou de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge. C’est sans doute la problématique qui sera, pour les proches années à venir, la plus délicate à trancher. Deux grandes situations semblent se dégager.

Dans la première, certaines fins de non-recevoir, non tranchées en première instance et qui pourraient a priori ressortir de ses attributions, pourraient ne pas être de la compétence du conseiller de la mise en état tant elles intéressent l’action même des parties en première instance. Comme nous le rappelions, si la Cour de cassation a pu juger que le conseiller de la mise en état était juge de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à relever appel (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-21.729, D. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ), il n’est toutefois pas compétent pour statuer sur la qualité d’une partie à introduire une instance devant le Tribunal et qui n’aurait pas été discutée en première instance. Ces deux « qualités » ne doivent pas être confondues. Par exemple, le premier juge, face à un défendeur qui n’a pas comparu, est réputé avoir appliqué les dispositions de l’article 472 du code de procédure civile, c’est-à-dire qu’il a apprécié tant la recevabilité de la demande que son bien-fondé tandis que l’article 125 du code de procédure civile l’autorise à relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir. Ainsi, le défendeur condamné par un jugement réputé contradictoire qui interjette appel ne devrait pas pouvoir saisir le conseiller de la mise en état pour que soit retenu le défaut d’intérêt à agir de son adversaire. On compliquera à l’envi les choses en s’interrogeant, à l’aune des conditions posées par l’avis, sur la possibilité pour l’appelant, non-comparant en première instance, de saisir le conseiller de la mise en état d’une prescription de l’action adverse, seule fin de non-recevoir de l’article 122 qui ne peut jamais être relevée d’office…

La seconde hypothèse que l’on pourrait observer est celle d’une fin de non-recevoir qui ne relève à l’évidence pas de la première instance et à coup sûr de l’appel mais qui pourrait toucher aux pouvoirs juridictionnels de la cour. L’excès de pouvoir serait ici encouru par le conseiller qui statuerait à la place de la cour. Au-delà des fins de non-recevoir listées à un article 122 dont le caractère n’est pas limitatif (ce qui découle tant de l’article 124 que de la jurisprudence établie), de celles d’ordre public mentionnées à l’article 125, de celles expressément confiées au conseiller de la mise en état par application de l’article 914 (irrecevabilité de l’appel, des conclusions visées aux articles 909 et 910, irrecevabilité pour non-respect de la communication par voie électronique prévue à l’article 930-1), ou de celles qui peuvent naître à tout moment (absence de respect du préalable de conciliation par exemple), certaines fins de non-recevoir sont en effet spécifiques à l’appel. On pense par exemple à l’irrecevabilité des demandes nouvelles en cause d’appel (C. pr. civ., art. 564), à celle des conclusions qui ne précisent pas les mentions exigées par l’article 960 du code de procédure civile (C. pr. civ., art. 961) ou d’une assignation en intervention forcée (C. pr. civ., art. 555). C’est encore l’irrecevabilité de certains recours comme l’appel-nullité, création prétorienne, ou l’opposition (C. pr. civ., art. 571 s.), ou des voies de recours extraordinaires comme la tierce opposition (C. pr. civ., art. 582 s.) et le recours en révision (C. pr. civ., art. 593 s.). Par définition, dans ces hypothèses, le conseiller de la mise en état ne sera pas amené à trancher une question relative à la première instance, à infirmer ou confirmer la décision dont appel mais pourrait être conduit à empiéter sur le pouvoir juridictionnel de la cour d’appel. Alors, bien sûr, la procédure d’avis ne peut avoir la vertu d’un raisonnement par l’exemple et il est certain que la deuxième chambre civile aura à se prononcer plus tard sur ce qui relève ou non du pouvoir juridictionnel de la cour d’appel, mais on peut d’ores et déjà voir un frein à toutes velléités hégémoniques et omnipotentes du conseiller de la mise en état. L’avis sonne comme un avertissement : le conseiller de la mise en état ne saurait méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi (8) ni remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge (9).

Ainsi, si l’on peut imaginer que le conseiller de la mise en état puisse retenir l’irrecevabilité de conclusions qui ne préciseraient pas l’adresse d’une partie par application combinée des articles 960 et 961 du code de procédure civile tandis que cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu’à ce que le juge statue conformément à l’article 126 du code de procédure civile, la limite à statuer apparaît bien plus saillante s’agissant de la recevabilité d’un appel-nullité. Comment pourrait-on admettre que le conseiller de la mise en état puisse juger de l’excès de pouvoir du premier juge (et que dire si ses collègues ont statué en formation collégiale !), se faisant juge du premier juge sur le point de savoir s’il a outrepassé les pouvoirs que la loi lui attribue ou a au contraire refusé de les appliquer. Bien sûr, il pourra juger de la fin de non-recevoir liée à la tardiveté de cet appel-nullité – et il devrait même le faire par application de l’article 125 s’agissant d’une irrecevabilité d’ordre public – mais seule la cour d’appel statuant au fond doit pouvoir qualifier cet excès de pouvoir. La Cour de cassation le dit : le conseiller de la mise en état ne saurait remettre en cause ce qui a été jugé au fond.

Autre exemple, s’il ne viendrait pas à l’idée d’un conseiller de la mise en état, saisi d’un incident d’irrecevabilité d’un recours en révision, d’apprécier les conditions de son ouverture listées à l’article 595 et qui l’amènerait à rétracter un arrêt de sa cour d’appel, pourrait-il apprécier sa recevabilité sous l’angle du délai de deux mois imparti pour délivrer la citation ? Après tout, qui d’autre est plus habitué que le conseiller de la mise en état pour sanctionner le non-respect des délais calendaires imposés aux parties en appel ? Mais ici, l’appréciation du délai de deux mois est plus qu’un calcul objectif et arithmétique, elle impose de déterminer à quelle date la partie a eu connaissance de la cause de la révision qu’elle invoque. Quiconque aura lu les arrêts des cours d’appel sur ce moyen d’irrecevabilité sans cesse soulevé comprendra que l’on ne se trouve pas très loin du fond du dossier…

De même, si le conseiller de la mise en état, qui qualifierait des demandes comme nouvelles en cause d’appel et les jugerait irrecevables, ne remettrait pas en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge, ne serait-il pas amené en revanche à méconnaître les effets de l’appel ? On le pense véritablement tant le caractère nouveau de la prétention au fond en appel implique, de facto, l’examen, par comparaison et confrontation surtout, des prétentions au fond soutenues devant le premier juge. Le lecteur averti relèvera d’ailleurs que les articles relatifs aux demandes nouvelles s’insèrent dans une section II « les effets de l’appel » (cela tombe bien, c’est le terme exact utilisé par l’avis…) et, last but not least, dans une sous-section 1 « L’effet dévolutif ». Un effet dévolutif consacré par l’article 562 du code de procédure civile au profit de la cour. Consacré aussi par la Cour de cassation, si souvent amenée à statuer ces derniers temps sur les questions des chefs de jugement critiqués sur l’acte d’appel ou l’absence de mention de la réformation ou de l’annulation du jugement au dispositif des conclusions, au profit de la seule cour d’appel…

On le voit, la révolution annoncée par l’attribution des fins de non-recevoir au juge de la mise en état ne s’étend surtout pas, compte tenu de la spécificité de l’appel, à un conseiller de la mise en état pour qui les choses ne changeront pas vraiment. Mais après tout, en astronomie, la révolution n’est-elle pas un retour au point de départ ?

Les erreurs et omissions rédactionnelles, si nombreuses depuis quelques années, ont en tout cas un seul mérite, celui de faire phosphorer la communauté des juristes. Ce serait presque stimulant s’il n’y avait pas de tels enjeux humains et financiers derrière, sans même évoquer la question de la responsabilité des avocats. Dénonçant, à propos du décret du 27 novembre 2020, un rafistolage qui succédait déjà au bricolage du décret du 11 décembre 2019, un auteur regrettait le temps où la réflexion précédait l’action (M. Barba, Nouvelles retouches de l’appel civil ou le syndrome de la réforme permanente, D. 2021. 39 ). Nous ne disions rien d’autre un an avant à la lecture du très instructif Bilan des réformes de la procédure d’appel en matière civile, commerciale et sociale, remis au garde des Sceaux le 21 novembre 2019 (les dates s’entrechoquent tristement parfois…) : « Quand voudra-t-on entendre, enfin, les acteurs du procès avant d’engager une réforme ? Il y a des matières, il y a des enjeux, pour lesquels les bilans doivent être tirés avant de réformer. Les remèdes ne sont efficaces qu’une fois le diagnostic posé » (R. Laffly, Un malade et des remèdes, D. avocats 2020. 188 ).

Il est heureux de constater surtout que, sur ces grandes questions, la deuxième chambre civile continue toujours à servir – le terme est bien celui-ci – de boussole si ce n’est de pompier de service. Maxime Barba le disait (v. supra), la Chancellerie navigue à vue en procédure civile, il n’y a plus de pilote dans l’avion. Le canadair est souvent l’arme ultime face au pyromane.

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L’hypothèque pour autrui est-elle soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil ou à la prescription trentenaire de l’article 2227 du même code ? C’est à cette intéressante question qu’a dû répondre la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021. En l’espèce, par un acte du 15 avril 1988, une banque a consenti à une société une ouverture de crédit. Par un acte notarié du 16 février 1993, M. et Mme B. se sont rendus « cautions en garantie de paiement des sommes dues par l’emprunteur à la banque » et ont consenti à cette dernière une garantie hypothécaire sur un ensemble de biens immobiliers leur appartenant, qu’ils ont renouvelée le 27 janvier 1995. Après la mise en redressement judiciaire de la société débitrice, les garants ont, par un acte du 12 novembre 2014, assigné la banque en invoquant « l’extinction des hypothèques ». La cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 18 décembre 2019, a accueilli leur demande, en conséquence de l’extinction, par prescription, de l’engagement des « cautions ». Les magistrats montpellierains, pour déclarer prescrites les hypothèques litigieuses et ordonner leur radiation, relèvent que la banque n’avait entrepris aucune action à l’égard des « cautions » avant le 19 juin 2013, terme du délai pour agir contre elles en conséquence de la survenance de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. La banque se pourvut donc en cassation, à juste raison, puisque l’arrêt est censuré au visa des articles 2011, devenu 2288, 2114, devenu 2393, 2180, devenu 2488, et 2227 du code civil : la Cour régulatrice considère tout d’abord qu’« Il résulte de ces textes que, la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire, prévue par le dernier texte pour les actions réelles immobilières, et non à la prescription quinquennale de droit commun prévue par l’article 2224 du code civil pour les actions personnelles ou mobilières » (pt 4). Elle en conclue qu’« En statuant ainsi, alors qu’ayant relevé que R. et K. B. s’étaient rendus cautions « simplement hypothécaires » de l’emprunteur, de sorte que l’affectation de leurs biens en garantie de la dette d’autrui avait la nature d’une sûreté réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 6).

La solution est tout à fait justifiée : les hauts magistrats n’ont fait que tirer une conséquence de plus de la célèbre affirmation issue de l’arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation le 2 décembre 2005 (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210 : « Mais attendu qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la cour d’appel a exactement retenu que l’article 1415 du code civil n’était pas applicable au nantissement donné par M. X. », D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais ). Dès lors que l’hypothèque pour autrui ne renferme aucun engagement personnel du garant (la loi emploie cependant parfois, curieusement, l’expression de « caution hypothécaire » ; v. C. rur., art. L. 322-20 et CCH, art. L. 212-7, L. 213-8 et R. 202-8), il est logique que la sûreté soit soumise à la prescription trentenaire de l’article 2227 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, ce texte disposant que « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (la solution n’est pas sans rappeler le mécanisme de l’usucapio libertatis, applicable au tiers détenteur en vertu de l’art. 2488, 4°, al. 3 c. civ ; v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 571). La généralité de la formule ne laisse en effet aucun doute quant à l’inclusion, en son sein, des droits réels accessoires (pour une contestation de cette qualification, v. C. Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. M. Grimaldi, Économica, 2015), qu’ils soient d’ailleurs constitués pour soi-même ou pour autrui (V. Rapport Béteille, n° 83, p. 40). Il est donc heureux que la chambre commerciale l’affirme clairement dans le présent arrêt (comp. Com. 1er juill. 2020, n° 18-24.979, D. 2020. 1457 ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2020. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD com. 2020. 945, obs. A. Martin-Serf ; LEDIU nov. 2020, n° 113s2, p. 6, obs. J.-D. Pellier : « Le créancier, qui n’était pas empêché d’agir contre le garant hypothécaire pendant le cours de la liquidation judiciaire, ne s’est vu privé d’aucun droit par le jugement de clôture pour insuffisance d’actif qui a seulement eu pour effet à son égard, et dès son prononcé, de mettre fin à l’interruption du délai de prescription et de faire courir un nouveau délai de prescription de cinq ans »).

L’imminente réforme du droit des sûretés n’y changera rien puisque la qualification de sûreté réelle pour autrui sera très certainement maintenue en dépit de l’application d’un certain nombre de règles relatives au cautionnement (l’art. 2325 de l’avant-projet d’ordonnance de la Chancellerie, dévoilé le 18 déc. 2020, prévoit en effet que « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2300, 2302 à 2306, 2311 à 2316 et 2319 sont alors applicables »).

La solution vaut d’ailleurs pour les autres sûretés immobilières reposant sur un droit de préférence, c’est-à-dire les privilèges immobiliers (qui seront toutefois bientôt transformés en hypothèques légales à la faveur de l’imminente réforme du droit des suretés), ainsi que le gage immobilier (ex-antichrèse) et peut-être même pour les propriétés-sûretés, à savoir la fiducie-sûreté immobilière et la réserve de propriété immobilière (sur les mérites de cette dernière, v. L. Andreu, Les attraits de la clause de réserve de propriété immobilière, JCP N mars 2016. 1105), encore qu’un doute puisse être nourri à cet égard du fait de l’imprescriptibilité du droit de propriété proclamée par l’article 2227 in limine (mais l’action en revendication n’est peut-être pas, elle, imprescriptible. Sur cette discussion, b. J.-L. Bergel, S. Cimamonti, J.-M. Roux et L. Tranchant, Les biens. Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, 3e éd., LGDJ, 2019, n° 105. V. cep., Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-13.120, au sujet de l’action en expulsion : « l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription ». V. égal. en ce sens, Civ. 3e, 25 mars 2021, n° 20-10.947, D. 2021. 695 ; ibid. 1048, obs. N. Damas ; RDI 2021. 348, obs. J.-L. Bergel ; v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Retour sur la nature de l’expulsion, LPA 4 févr. 2021, p. 12).

Quoi qu’il en soit, l’on observera que l’hypothèse dans laquelle la prescription trentenaire pourrait jouer est probablement d’école et ce, en raison de la vocation de la sûreté réelle à s’éteindre consécutivement à la prescription de la créance garantie du fait de son caractère accessoire (rappr. Rép. civ., v° Prescription extinctive, par A. Hontebeyrie, n° 88 : « la prescription trentenaire est ici essentiellement théorique car, du fait de leur caractère accessoire, ces droits réels s’éteignent en même temps que les créances qu’ils garantissent (C. civ., art. 2488) »), réserve faite des sûretés rechargeables (Civ. 3e, 12 mai 2021, n° 19-16.514 et 19-16.515, note J.-D. Pellier à paraître au Recueil ; JCP 2021. Doctr. 623, n° 12, obs. G. Loiseau ; M. Mignot, RLDC, à paraître : « la prescription, qu’elle concerne l’obligation principale ou l’action en paiement emporte, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque ou du privilège »). Il y a en effet de fortes chances pour que la créance soit prescrite bien avant l’écoulement du délai de trente ans, surtout eu égard au délai vicennal de l’article 2232 du code civil (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Retour sur le délai butoir de l’article 2232 du code civil, D. 2018. 2148 ), qui n’est toutefois « pas applicable à une situation où le droit est né avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 » (Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 19-16.986, D. 2020. 2157 , note P.-Y. Gautier ; ibid. 2154, avis P. Brun ; ibid. 2021. 186, point de vue L. Andreu ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; JCP 2020. 1168, note J.-D. Pellier) et qui est au demeurant exclu dans un certain nombre de cas (C. civ., art. 2232, al. 2). Cette prescription devrait pouvoir être invoquée par le tiers constituant (ainsi que d’ailleurs que par le tiers détenteur), en vertu de l’article 2253 du code civil, qui dispose que « Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce » (comp. en matière de cautionnement, Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, ob. J.-D. Pellier : la première chambre civile ayant considéré qu’une « cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution » ; D. 2020. 523 , note M. Nicolle ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et U. Schreiber ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers . V. égal., s’agissant du tiers détenteur, Civ. 2e, 19 févr. 2015, n° 13-27.691 : « en application de l’article 2463 du code civil, le tiers détenteur qui ne remplit pas les formalités pour purger sa propriété est tenu, ou de payer, ou de délaisser l’immeuble ; qu’ayant relevé que M. X. était recherché en sa qualité de tiers détenteur du bien immobilier, débiteur du droit de suite, la cour d’appel a retenu à bon droit qu’il n’était pas fondé à se prévaloir de la prescription de la créance principale à l’appui de sa demande de mainlevée du commandement de payer valant saisie », D. 2015. 964 , note P. Théry ; ibid. 1339, obs. A. Leborgne ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2015. 652, obs. W. Dross . V. égal. Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 11-25.615. Ces solutions seront fort heureusement, cette fois-ci, remises en cause par la réforme du droit des sûretés ; v. art. 2298 et 2454, al. 2, de l’avant-projet d’ordonnance préc.).

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En raison de complications survenues lors de l’accouchement de sa mère, un enfant se retrouve tétraplégique. Les parents de la victime, agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentant de leur enfant mineur, ont assigné en indemnisation l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM), ainsi que la société venant aux droits du centre hospitalier au sein duquel l’accouchement a eu lieu et l’assureur de ce dernier.

La cour d’appel de Nancy, par un arrêt du 18 novembre 2019, a infirmé partiellement la solution rendue par les juges de première instance. Si la cour d’appel retient également que la charge de l’indemnisation des préjudices subis par l’enfant et par ses parents doit peser sur l’ONIAM sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, elle refuse toutefois que l’AEEH soit déduite de l’indemnité de plus de deux millions d’euros versée au titre des besoins d’assistance par une tierce personne jusqu’aux dix-huit ans de l’enfant.

L’ONIAM forme alors un pourvoi en cassation arguant de la violation des articles L. 1142-1, II et L. 1142-17 du code de la santé publique, ainsi que du principe de réparation intégrale du préjudice, considérant que l’AEEH, en sa composante de base, comme en ses compléments, doit être déduite de l’indemnisation due par l’ONIAM au titre des frais d’assistance par tierce personne.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question de l’imputation de l’AEEH sur l’indemnité des besoins d’assistance par tierce personne due par l’ONIAM. Cette question suppose de s’interroger sur la nature de l’AEEH. A-t-elle une nature indemnitaire ? Et dans ce cas, doit-elle être déduite du poste de préjudice d’assistance par une tierce personne afin de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice ?

La première chambre civile de la Cour, par son arrêt du 2 juin 2021, rejette le pourvoi, décidant que l’AEEH et son complément « ne revêtent pas de caractère indemnitaire » de sorte que les juges du fond étaient fondés à refuser leur déduction de l’indemnisation due par l’ONIAM au titre de l’assistance par une tierce personne. Au sein de la motivation de la décision, les juges de cassation précisent la nature de l’AEEH : « elle constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice ».

Rappel du principe de déduction posé par l’article L. 1142-17 du code de la santé publique

La Cour de cassation commence par rappeler le texte de l’article L. 1142-17 du code de la santé publique. Ce dernier, en son deuxième alinéa, prévoit en effet que l’offre d’indemnisation réalisée par l’ONIAM indique le montant des indemnités « déduction faite des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 […], et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice ». En cas de litige relatif au montant de l’indemnisation proposée par l’ONIAM, il appartient donc au juge, afin d’évaluer le montant des indemnités qui reviennent à la victime, déduction faite des prestations et indemnités visées par l’article L. 1142-17 du code de la santé publique, d’interroger notamment la victime sur les prestations et indemnités perçues (CE, avis, 22 janv. 2010, n° 332716, Coppola, Lebon ; AJDA 2010. 237 ; ibid. 1138, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi ; RDSS 2010. 576, obs. D. Cristol ; et dans le même sens, Civ. 1re, 5 fév. 2020, n° 18-21.696 et 18-25.751, Gaz. Pal. 5 mai 2020, obs. D. Zegout).

L’application des dispositions de l’article L. 1142-17 permet de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice, selon lequel il ne doit résulter pour la victime, rétablie « dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » (Civ. 2e, 28 oct. 1954 , Bull. civ. II, n° 328 ; JCP 1955. II. 8765, note R. Savatier ; RTD civ. 1955. 324, obs. H. Mazeaud et L. Mazeaud), ni perte, ni profit (v. not. en ce sens, Civ. 2e, 23 janv. 2003, n° 01-00.200, D. 2003. 605 JCP 2003. II. 10110, note J.-F. Barbièri). Autrement dit, il s’agit de réparer « tout le préjudice, mais rien que le préjudice ».

C’est dans cet aspect négatif du principe de réparation intégrale que s’inscrit l’article L. 1142-17 du code de la santé publique. En effet, ce dernier vise, outre les prestations énumérées à l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985 (lequel fait référence aux prestations versées par les organismes de sécurité sociale et groupements mutualistes, mais également aux sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation et aux salaires et accessoires de salaire maintenus pendant la période d’inactivité de la victime ou encore aux arrérages de pensions et de rentes d’invalidité versées par l’État à un agent public), aux « indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice ». La Cour de cassation a déjà été amenée à trancher des questions relatives à la déduction ou non de certaines indemnités ou prestations en application du principe de réparation intégrale (v. par ex., Civ. 2e, 29 mars 2006, n° 04-06.063 pour l’allocation de solidarité spécifique ; Civ. 2e, 3 juin 2010, n° 09-67.357 pour l’allocation de retour à l’emploi, RDSS 2010. 967, obs. D. Cristol ; Civ. 3e, 10 juill. 2008, n° 07-17.424 pour l’allocation aux adultes handicapés, D. 2008. 2226 ; ibid. 2009. 1168, obs. A. Leborgne ).

L’AEEH n’étant pas une des prestations énumérées par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985, la question était donc de savoir s’il s’agissait d’une indemnité réparant le même préjudice, plus spécifiquement en l’espèce, se posait la question de savoir si cette allocation ne réparait pas déjà, au moins en partie, une part du préjudice subi au titre de l’assistance par une tierce personne, poste de préjudice prévu au sein de la nomenclature Dintilhac.

L’AEEH, une prestation familiale dépourvue de caractère indemnitaire

L’AEEH est prévue par l’article L. 541-1 du code de la sécurité sociale. La Cour de cassation rappelle succinctement, au sein du paragraphe 6 de sa décision, les principales conditions d’attribution de cette allocation. En effet, cette dernière bénéficie à la personne qui assume la charge d’un enfant handicapé, âgé de moins de vingt ans, lorsque ce dernier justifie d’un taux d’incapacité permanente minimum (CSS, art. R. 541-1) et qu’il ne bénéficie pas d’une rémunération excédant un plafond fixé par l’article R. 512-2 du code de la sécurité sociale. Surtout, les juges de cassation soulignent les modalités de fixation de cette allocation : « elle est fixée, sans tenir compte des besoins individualisés de l’enfant, à un montant forfaitaire exprimé en pourcentage de la base de calcul mensuelle des allocations familiales et […], s’agissant d’une prestation à affectation spéciale, liée à la reconnaissance de la spécificité des charges induites par le handicap de l’enfant, elle constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant ».

Le montant de l’allocation est fixé en pourcentage de la base mensuelle de calcul des prestations familiales et le montant de son complément est déterminé au moyen d’un guide d’évaluation et en fonction de la nature ou de la gravité du handicap de l’enfant tout en prenant en compte « la réduction d’activité professionnelle d’un ou des parents ou sa cessation ou la renonciation à exercer une telle activité et la durée du recours à une tierce personne rémunérée » (CSS, art. R. 541-2).

On comprend, dès lors, l’hésitation quant à la nature de l’AEEH. En effet, si sa base mensuelle ne tient pas compte des besoins individualisés de l’enfant, son complément suppose une certaine évaluation de la situation de l’enfant handicapé notamment au regard de la nécessité ou non d’un recours à une tierce personne. Ainsi, la Cour de cassation avait, en 2014, retenu que l’AEEH et son complément, « revêtent un caractère indemnitaire dès lors qu’elles ne sont pas attribuées sous condition de ressources et que, fixées en fonction des besoins individualisés de l’enfant, elles réparent certains postes de préjudices indemnisables » (Civ. 1re, 18 juin 2014, n° 12-35.252, D. 2015. 124, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2015. 148, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 12-14 oct. 2014, obs. F. Bibal). Toutefois, l’AEEH n’a pas pour objet de réparer le préjudice de l’enfant handicapé mais, comme l’indique le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, est « une prestation familiale » qui « a pour but d’aider les familles à faire face aux frais supplémentaires qu’entraîne le handicap d’un enfant à charge de moins de 20 ans ». Cette prestation est donc fixée indépendamment des préjudices effectivement subis (le montant du complément à l’allocation n’est d’ailleurs pas individualisé, mais est déterminé en fonction de 6 catégories, v. CSS, art. R. 541-2) et est versée à la famille qui a la charge de l’enfant handicapé. Prenant certainement en compte ces critiques, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer, dans des termes très proches de ceux de l’arrêt du 2 juin 2021, que l’AEEH « constitue une prestation familiale et ne répare pas un préjudice de cet enfant » de sorte que, ne revêtant pas de caractère indemnitaire, elle n’avait pas lieu d’être déduite de l’indemnité allouée par la CIVI (Civ. 2e, 7 mars 2019, n° 17-25.855, D. 2019. 535 ; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2019. 344, obs. P. Jourdain ; ibid. 356, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 21 mai 2019, note A. Guégan). La première chambre civile de la Cour de cassation harmonise ainsi sa jurisprudence avec celle de la deuxième chambre civile, confirmant la nature de prestation familiale sans caractère indemnitaire de l’AEEH.

L’article 815-13 du code civil ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition. Un époux séparé de biens qui finance, par un apport de ses deniers personnels, la part de son conjoint dans l’acquisition d’un bien indivis peut invoquer à son encontre une créance évaluable selon l’article 1543 du code civil.

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La décision d’une juridiction du fond décidant que la liquidation judiciaire sera ouverte selon les modalités de la liquidation judiciaire simplifiée est une mesure d’administration judiciaire qui ne peut faire l’objet d’un recours.

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Le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original est requis. Dès lors que la mention manuscrite prévue par l’article L. 331-1 du code de la consommation est régulièrement apposée sur cet original, le cautionnement est valable, quand bien même la caution détiendrait un autre exemplaire dans lequel la mention est irrégulière.

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La Cour de cassation précise que l’absence de prix unitaire dans le bon de commande de l’ancien article L. 121-23 du code de la consommation ne permet pas d’annuler le contrat conclu à ce titre si le bon de commande satisfait aux exigences légales.

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La motivation de la décision de rétrocession, qui doit se suffire à elle-même, doit comporter des données concrètes permettant au candidat évincé de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des exigences légales.

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Il résulte des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme que le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation et que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation.

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Lorsque les propriétaires intéressés sont parties à l’instance, le juge qui constate l’état d’enclave d’un fonds est légalement tenu de déterminer, conformément aux dispositions de l’article 683 du code civil, l’assiette de la servitude de passage en faveur de ce fonds. 

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L’indivision est un régime de propriété initialement conçu comme temporaire (nul n’est tenu d’y demeurer) mais qui a progressivement évolué vers une certaine pérennité (gestion facilitée, partages partiels, conventions d’indivision, etc.). Dans la pratique il n’est donc pas rare que l’indivision soit choisie et non subie, c’est-à-dire que l’entrée en indivision se réalise par une acquisition onéreuse, souvent un achat immobilier. C’est cette discordance entre le droit et la pratique de l’indivision qu’illustre l’arrêt rendu ce 26 mai 2021, dont il faut surtout retenir que l’article 815-13 du code ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition.

Le champ d’application de l’article 815-13 du code civil

En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient réalisé deux acquisitions immobilières pendant leur mariage, dont l’une en indivision. L’épouse avait financé la part de son conjoint dans l’immeuble indivis et payé la soulte mise à la charge de celui-ci pour l’acquisition d’un immeuble qui lui était personnel. Au décès de cette généreuse contributrice ses trois enfants, issus d’une précédente union, sollicitèrent et obtinrent la reconnaissance de deux créances au titre du financement des immeubles. Le succombant forma un pourvoi en cassation et reprocha notamment à la cour d’appel de Rennes de l’avoir condamné personnellement alors que, selon l’article 815-13 du code civil, l’indemnité aurait dû être fixée contre l’indivision s’agissant du financement de l’immeuble indivis.

La Cour de cassation rejette le pourvoi après avoir retracé la teneur de l’article 815-13 du code civil et énoncé de manière pour le moins tranchante que « ce texte ne s’applique pas aux dépenses d’acquisition » (§ 11). Elle en déduit qu’un époux séparé de biens qui finance, par un apport de ses deniers personnels, la part de son conjoint dans l’acquisition d’un bien indivis peut invoquer à son encontre une créance évaluable selon les règles auxquelles renvoie l’article 1543 du code civil (§ 12).

Cette décision fera assurément parler d’elle. Jusqu’à présent, la Cour de cassation ne s’était pas trop embarrassée de distinctions et avait reconnu qu’une dépense d’acquisition d’un bien indivis était régie par l’article 815-13 du code civil (Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-22.929, Dalloz actualité, 11 oct. 2012, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 2307 ; AJ fam. 2012. 564, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2012. 766, obs. B. Vareille ; ibid. 767, obs. B. Vareille ; Gaz. Pal. 2013, n° 54, p. 28, n° 119n7 obs. G. Dumont ; ibid. 5 janv. 2013, n° 2-5, p. 21, n° 112a0, obs J. Casey ; RJPF 2013/2, p. 21, obs. F. Vauvillé ; 14 oct. 2009, n° 08-17.943, AJ fam. 2010. 90, obs. P. Hilt ; LPA 2010, n° 248, p. 5, obs. A. Chamoulaud-Trapiers). Une telle position semblait logique pour certains (F. Vauvillé, note préc.) car la Cour avait déjà reconnu que le remboursement d’un emprunt destiné à l’acquisition d’un bien indivis entre dans le champ d’application de ce texte (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-11.524, Bull. civ. I, n° 284 ; D. 2006. 1913 ; AJ fam. 2006. 326, obs. S. David ; JCP 2006. I. 193, n° 23, obs. A. Tisserand-Martin ; 21 oct. 1997, n° 95-17.277, inédit ; 20 avr. 2017, n° 16-15.865, inédit ; 4 mars 1986, n° 84-15.071, Bull. civ. I, n° 51 ; 11 mai 2012, n° 11-17.497, Bull. civ. I, n° 106 ; D. 2012. 1330 ; AJ fam. 2012. 414, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2012. 561, obs. B. Vareille ). Cependant cette dernière solution s’expliquait par la nature du remboursement d’un prêt, qui peut sans trop d’artifice être rattaché à la catégorie des dépenses de conservation visés par le texte.

D’autres auteurs avaient noté que l’application de l’article 815-13 aux dépenses d’acquisition correspondait à une lecture extensive du texte (B. Vareille, note préc., qui évoque un « visa audacieux »). Il n’en résultait pas moins une homogénéité appréciable entre les solutions (G. Dumont, note préc.), qui paraît aujourd’hui menacée. Il est fort probable en effet que la Cour de cassation maintiendra sa solution relative au remboursement de l’emprunt (i.e. : une dépense de conservation régie par l’art. 815-13 c. civ.), hypothèse qui devra à l’avenir être soigneusement distinguée de celle du paiement « direct » du prix de vente (ie : une dépense d’acquisition étrangère à l’art. 815-13 c. civ.). Une telle distinction n’est pas sans rappeler celle qu’opère la Cour à propos de la contribution aux charges du mariage : le remboursement de l’emprunt immobilier relatif à un bien affecté à l’usage familial participe de l’obligation contributive, mais non l’apport en capital (Civ. 1re, 17 mars 2021, n° 19-21.463 FS-P, Dalloz actualité, 31 mars 2021, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2021. 631 ; ibid. 819, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJDI 2021. 383 ; AJ fam. 2021. 314, obs. J. Casey ; 3 oct. 2019, n° 18-20.828 FS-P+B+I, Dalloz actualité, 22 oct. 2019, obs. M. Cottet ; D. 2020. 60 , note B. Chaffois ; ibid. 901, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2019. 604, obs. J. Casey ; RTD civ. 2019. 913 et les obs. ).

La solution est exempte de critique, car la Cour a suivi et respecté le texte qui n’évoque jamais le cas des dépenses d’acquisition. Les conséquences pourtant ne sont pas négligeables. L’espèce donnait à voir la moindre d’entre elles : l’indemnité liée à une dépense d’acquisition n’est pas inscrite au compte de l’indivision et peut être fixée directement contre l’époux débiteur.

L’arrêt laisse aussi entrevoir une autre implication : les modalités d’évaluation de la créance diffèrent dans les deux cas. L’évaluation d’une créance entre époux séparés de biens est soumise à l’article 1543 du code civil, qui renvoie à l’article 1479 du code civil, qui renvoie lui-même à l’article 1469, mais uniquement pour l’alinéa 3 (pourquoi faire simple ?). Il en résulte que le principe doit être puisé dans le droit commun (la créance est égale au nominal de la dépense) et l’exception dans le droit spécial des récompenses (la créance est égale au profit subsistant si celui-ci est supérieur à la dépense faite). Autrement dit, selon une formule simple qui gagnerait à être inscrite dans les textes, une créance entre époux est égale à la plus forte des deux sommes entre la dépense au nominal et le profit subsistant. En revanche, une créance contre une indivision doit, si l’on décrypte sans erreur l’article 813-13 du code civil, être évaluée selon le profit subsistant s’il existe (« ce dont la valeur du bien se trouve augmentée »), et selon le nominal de la dépense si celle-ci n’a pas amélioré le bien, le tout sous réserve du pouvoir d’équité confié au juge. Autant dire qu’en pratique la différence peut être sérieusement relativisée.

Une plus grave conséquence doit être envisagée quoique l’arrêt n’en dise rien. La Cour de cassation exclut ici les dépenses d’acquisition de l’article 815-13 du code civil dans son ensemble. Or ce texte ne contient pas uniquement des règles d’évaluation d’une créance contre l’indivision : il permet surtout d’en déterminer l’existence. Seules les dépenses d’amélioration et de conservation ouvrent droit à remboursement au profit de l’indivisaire. Autrement dit, il faut chercher ailleurs le fondement du droit à remboursement des dépenses d’acquisition.

Lorsque les indivisaires sont des époux soumis à un régime séparatiste, les juges reconnaissent aisément l’existence d’une créance. Pourtant le fondement exact d’un tel droit à remboursement demeure incertain. Il n’existe pas en effet, en régime séparatiste, d’équivalent aux articles 1433 et 1437 qui énoncent expressément les cas dans lesquels une récompense est due. Il faudrait donc, en théorie et pour bien faire, chercher dans le droit commun le fondement du droit à remboursement. Une telle recherche est également nécessaire lorsque les parties ne sont pas mariées. Les possibilités ne manquent pas : enrichissement injustifié, subrogation légale, prêt implicite, accession immobilière…

Il n’en demeure pas moins que la situation du solvens est rendue plus complexe. Il ne sera pas toujours évident de lui faire comprendre que, s’agissant d’un même bien, donc d’une seule opération d’acquisition immobilière, la partie du prix payée comptant et celle financée au moyen d’un emprunt obéissent à des règles différentes… qui aboutissent souvent au même résultat. Peut-être est-il temps de remettre les choses à plat et de travailler à un nouveau régime simplifié des créances et récompenses. Car en définitive, quelle que soit la terminologie employée, il est toujours question de choisir entre dépense faite et profit subsistant en ménageant les intérêts de chacun. Les distinctions, trop nombreuses, ne se justifient peut-être plus.

En attendant une simplification du droit des créances conjugales, la Cour de cassation serait bien inspirée de revenir sur sa jurisprudence relative au remboursement des emprunts destinés à l’acquisition (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-11.524, préc.). Ces dépenses sont certes nécessaires, et dans une certaine mesure conservatoires, mais elles consistent avant tout en une dépense d’acquisition puisque l’emprunt est un mode de financement. D’ailleurs, dans les régimes communautaires, la récompense qui en résulte est égale au profit subsistant calculé d’après la valeur du bien (Civ. 1re, 25 mai 1992, n° 90-18.931, Bull. civ. I, n° 155 ; 5 nov. 1985, Bull. civ. I, n° 284). L’on comprend mal que le droit des récompenses traite le remboursement de l’emprunt immobilier comme une dépense d’acquisition alors que le droit de l’indivision l’envisage comme une simple dépense de conservation. Cette qualification est en réalité opportuniste : elle permet de justifier l’application de l’article 815-13 du code civil à une situation en considération de laquelle il n’a pas été conçu. C’est là une tension entre le droit de l’indivision subie et la pratique de l’indivision choisie.

L’exigibilité et la prescription de la créance successorale

Le demandeur au pourvoi faisait aussi valoir que les créances détenues par l’épouse au titre des investissements immobiliers étaient susceptibles de prescription, ce qui aurait dû conduire la cour d’appel à retenir l’irrecevabilité des demandes. Selon le premier moyen du pourvoi, le recouvrement d’une créance entre époux peut être poursuivi avant tout partage (§ 8, deuxième branche) et la créance à l’encontre de l’un des copartageants relatifs à un bien indivis est exigible avant la clôture des opérations de partage dans la succession (§ 8, troisième branche). Par ailleurs, s’agissant du bien dont il avait la propriété personnelle, le demandeur rappelait que le règlement des créances entre époux ne constitue pas une opération de partage (§ 4, première branche).

La Cour de cassation rejette ces arguments. Que le bien financé ait été indivis entre les époux ou qu’il soit demeuré la propriété personnelle du débiteur importe peu. Dans les deux cas il doit être fait application de l’article 865 du code civil selon lequel « sauf lorsqu’elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l’encontre de l’un des copartageants n’est pas exigible et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage ». Le moyen est donc rejeté.

L’article 865 du code civil est le support nécessaire du mécanisme du rapport des dettes successorales énoncé à l’article 864 du même code (codification d’une solution jurisprudentielle, Civ. 1re, 30 juin 1998, n° 96-13.313, Bull. civ. I, n° 234 ; D. 1998. 192 ; RTD civ. 1999. 161, obs. J. Patarin ). Les créances que détient la succession contre un héritier se règlent en moins prenant et par imputation sur sa part. Elles doivent donc entrer en compte et leur recouvrement ne saurait être exigé de manière séparée aux opérations de liquidation successorale. En conséquence, la prescription ne peut être acquise avant la clôture des opérations de partage.

La solution se comprend aisément à propos du bien dont le conjoint survivant avait la propriété personnelle, puisqu’il n’était pas indivis. Elle est moins convaincante s’agissant de l’immeuble devenu indivis entre époux suite à l’acquisition. Dans ce cas en effet le bien entre dans l’indivision successorale puisque le de cujus en détenait une quote-part. La Cour de cassation approuve pourtant la cour d’appel d’avoir retenu que la créance n’était pas relative à des droits dépendant de l’indivision successorale. Une frontière est ainsi clairement instaurée entre l’indivision et la créance de la succession, qui est pourtant née de l’acquisition d’un bien dépendant en partie de la succession… donc de l’indivision !

Cette solution s’explique probablement par le fondement du droit à remboursement : ne résultant pas de l’application de l’article 815-13 du code civil, la créance ne peut être considérée comme relative à des droits dépendant de la succession. Où l’on constate le retour de la Cour de cassation à une doctrine qui fut un temps la sienne : la dépense d’acquisition ayant eu lieu, par hypothèse, avant que naisse l’indivision qu’elle rend possible, elle se trouve déconnectée de celle-ci (Civ. 1re, 22 juill. 1985, n° 84-14.173, Bull. civ. I, n° 234 ; JCP N 1986. II. 77, note P. Simler ; Defrénois 1986. 1476, obs. G. Champenois ; sur l’ensemble de la question, S. David, Le contentieux liquidatif de la séparation de biens, AJ fam. 2010. 206).

L’absence de contribution aux charges du mariage

Pour finir, et de manière désormais classique, la Cour de cassation balaye le 2e moyen du pourvoi selon lequel les sommes payées par l’épouse relevaient de la contribution aux charges du mariage excluant toute possibilité d’en solliciter la répétition. L’on sait en effet désormais que l’apport en capital ne participe pas de l’obligation des époux de contribuer aux charges du mariage (v. arrêts préc.). La cour d’appel n’était donc pas tenue de déterminer la portée de la clause de présomption de contribution quotidienne que les époux avaient inséré dans leur contrat de mariage.

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Ni tout à fait similaire ni tout à fait différente d’une procédure de liquidation judiciaire, la liquidation judiciaire simplifiée s’est installée depuis 2005 dans le paysage du droit des entreprises en difficulté dans le but d’accélérer la clôture de procédures ouvertes à l’encontre de débiteurs ne possédant que peu d’actifs. Depuis, la liquidation judiciaire simplifiée a fait l’objet de nombreuses retouches chaque fois que l’occasion législative s’est présentée.

Par exemple, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite « loi PACTE », a marqué une étape importante dans la construction du régime de cette procédure « accélérée ». S’il existait auparavant un régime simplifié facultatif, désormais, pour les procédures ouvertes à compter du 23 mai 2019, lorsque le débiteur emploie un nombre de salariés inférieur ou égal à cinq, réalise un chiffre d’affaires inférieur ou égal à 750 000 € et ne possède pas d’actif immobilier, l’application du régime de la liquidation judiciaire simplifiée est obligatoire (C. com., art. L. 641-2). L’arrêt ici rapporté est rendu en application du régime en vigueur sous l’empire de cette loi.

En l’espèce, un débiteur personne physique a été assigné en redressement judiciaire et, subsidiairement, en liquidation judiciaire par un créancier. Le débiteur interjette appel et les juges du fond annulent le jugement d’ouverture de la liquidation, mais procèdent à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée en constatant que le chiffre d’affaires du débiteur était inférieur à 300 000 € et qu’il n’employait pas de salarié. Soutenant qu’une procédure de liquidation judiciaire simplifiée ne peut être ouverte à l’encontre d’une personne propriétaire d’un bien immobilier, le débiteur se pourvoit en cassation. Las, le moyen invoqué, en ce qu’il fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la liquidation judiciaire sera ouverte selon les modalités du régime simplifié, n’est pas recevable.

La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle énonce que le juge du tribunal qui ouvre ou prononce lui-même la liquidation judiciaire simplifiée ou la décision de son président qui, après rapport du liquidateur, applique à la liquidation, déjà ouverte ou prononcée, les règles de la liquidation simplifiée peuvent être modifiées à tout moment (C. com. art. L. 644-6). Aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 644-1 du code de commerce, ce jugement ou cette décision constituent des mesures d’administration judiciaire non susceptibles de recours.

Une décision ancrée, mais critiquable

Au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, la solution ne surprend guère. En effet, la Haute juridiction a déjà eu l’occasion de juger que la décision décidant d’appliquer à la procédure les règles de la liquidation judiciaire simplifiée était une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours (Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033, Bull. civ. IV, n° 51 ; D. 2008. 847, obs. A. Lienhard ; ibid. 1231, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; RTD com. 2008. 631, obs. J.-L. Vallens ).

La qualification d’une telle décision en une mesure d’administration judiciaire s’explique théoriquement par le fait qu’elle ne préjudicie ni aux droits des tiers ni à ceux du débiteur pour qui, au contraire, la liquidation judiciaire simplifiée ne présenterait que des avantages (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, n° 565.251).

D’une façon générale, une mesure d’administration judiciaire peut être définie comme « une mesure d’ordre interne et de nature plus ou moins administrative que prennent les juges en vue d’assurer le fonctionnement du service de la justice et, spécialement, le bon déroulement des instances civiles » (A. Perdriau, Les mesures d’administration judiciaire au regard du juge de cassation, Gaz. Pal. 7 mars 2002, n° 66, p. 2).

Or, il n’est pas certain que la décision décidant de l’application du régime simplifié réponde parfaitement à cette définition, car si dans la pureté des concepts une mesure d’administration judiciaire ne doit pas affecter les droits des parties, force est de constater que tel n’est pas le cas de la décision d’appliquer le régime simplifié de la liquidation judiciaire (M. Cabrillac, note ss. Com. 4 mars 2008, n° 07-10.033, Bull. civ. IV, n° 51 ; JCP E 2008. 2062, n° 8).

Pour résumer, la liquidation judiciaire simplifiée implique des modalités particulières de réalisation des actifs du débiteur, lesquels seront cédés sans contrôle judiciaire (F. Pérochon, À propos de la réforme de la liquidation judiciaire par l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal. 10 mars 2009, n° 69, p. 3), un processus de vérification des créances allégé et un mécanisme de distribution spécifique des deniers provenant de la vente des actifs mobiliers.

Au demeurant, la lettre de l’article R. 644-1 du code de commerce – en ce qu’elle qualifie la décision optant pour la liquidation judiciaire simplifiée en une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours – est critiquable, car si l’on force le trait, ceci pourrait in fine inciter les juges à passer outre la présence d’un immeuble (comme en l’espèce), à ignorer l’effectif salarié du débiteur ou encore à omettre de vérifier le chiffre d’affaires de l’entrepreneur pour procéder à l’ouverture d’une liquidation en régime simplifié.

À n’en pas douter, une telle décision constituerait un excès de pouvoir dans la mise en œuvre d’une mesure d’administration judiciaire et pour lequel, malheureusement, la Cour de cassation refusait, par principe, l’exercice d’un recours nullité (Com. 12 juill. 2011, n° 09-71.764, Bull. civ. IV, n° 120 ; D. 2011. 1966, obs. A. Lienhard ).

Certes, dans ces hypothèses, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme pourraient être salvatrices en ce qu’elles permettraient de reconnaître un droit de critique sur cette mesure d’administration judiciaire sur le fondement, par exemple, de la violation du droit à l’accès au juge de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1156). Après tout, le procédé a déjà été employé pour permettre à un associé de société civile de former tierce opposition à l’encontre du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire de la personne morale au sein de laquelle il exerce ses fonctions (Com. 19 déc. 2006, n° 05-14.816, Bull. civ. IV, n° 254 ; D. 2007. 1321, obs. A. Lienhard , note I. Orsini ; Rev. sociétés 2007. 401, note T. Bonneau ).

Las, la qualification de mesure d’administration judiciaire, du moins lorsqu’elle concerne l’application de la liquidation judiciaire simplifiée, semble couvrir l’excès de pouvoir du juge. Or, si l’arrêt ici rapporté est indiscutable du point de vue des textes, notamment au regard de la lettre de l’article R. 644-1 du code de commerce, une interprétation plus audacieuse était permise à l’aune des dernières évolutions législatives et jurisprudentielles intéressant la matière.

Une discussion renouvelée par les dernières évolutions législatives et jurisprudentielles

L’histoire de la liquidation judiciaire simplifiée est éclairante. L’arrêt précité du 4 mars 2008 a été rendu à une époque où la liquidation judiciaire simplifiée ne pouvait qu’être facultative. Or, l’arrêt sous commentaire a été rendu sous l’empire de la loi PACTE du 22 mai 2019 ayant rendu la liquidation judiciaire simplifiée obligatoire lorsque le débiteur en remplit les critères. À cet égard, selon certains auteurs, ladite procédure ne serait plus une simple déclinaison de la liquidation judiciaire de droit commun, mais aurait gagné une certaine autonomie (C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsériè-Bon et C. Houin-Bressand, Droit des entreprises en difficulté, 12e éd., Domat, 2020, n° 1394, spéc. note n° 885).

En outre, l’émancipation de la liquidation judiciaire simplifiée par rapport à la liquidation de droit commun s’est encore renforcée par les dispositions de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 adaptant les règles du droit des entreprises en difficulté aux conséquences de l’épidémie de covid-19 (B. Ferrari, Liquidation judiciaire simplifiée et rétablissement professionnel après l’ordonnance 2020-596 du 20 mai 2020, Gaz. Pal. 13 juill. 2020, n° 382u0, p. 84). L’article 6 de cette ordonnance rend la liquidation judiciaire simplifiée applicable à tout débiteur personne physique dont le patrimoine ne comprend pas de biens immobiliers en abandonnant la condition relative au chiffre d’affaires et cette disposition devrait prochainement être pérennisée par la transposition de la directive Insolvabilité prévue au 17 juillet 2021. Nous voyons par là que la décision d’ouvrir une liquidation judiciaire simplifiée ne correspond plus véritablement, ou en tous les cas, de moins en moins, à une mesure prise par les juges en vue d’assurer le bon fonctionnement du service de la justice. Il s’agit désormais d’un outil liquidatif spécialement conçu pour les débiteurs personnes physiques et dont le nombre d’ouvertures devrait dépasser celui des liquidations judiciaires de droit commun.

À tout le moins, et puisque le régime simplifié tend à se généraliser, la décision par laquelle elle est prononcée devrait pouvoir faire l’objet d’un recours.

Au demeurant, l’actualité jurisprudentielle y est favorable. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a reconnu la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir sur une décision de radiation du rôle – pourtant qualifiée comme une mesure d’administration judiciaire – sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301, Bull. civ. II, à paraître ; D. 2020. 89 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry  ; JCP 2020. 302, note R. Laher ; Gaz. Pal. 28 avr. 2020, n° 377x5, p. 51, note J. Théron).

En l’occurrence, la reconnaissance d’une voie de recours-nullité lorsque le débiteur se voit soumis à la procédure simplifiée, alors qu’il figure, comme en l’espèce, un immeuble à son actif, serait un minimum et constituait une voie qu’aurait pu explorer en l’espèce la Haute juridiction.

D’une façon plus audacieuse encore, deux solutions alternatives pourraient être envisagées : soit, reconnaître aux parties les mêmes voies de recours que celles ouvertes à l’encontre du jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire de droit commun (C. com., art. L. 661-1-I, 2°) ; soit, d’une façon plus particulière, envisager d’amender l’article R. 644-1 pour y adjoindre un recours spécifique ouvert aux parties affectées par le régime simplifié.

Brefs retours sur la condition tenant à l’absence d’actif immobilier

En dernier lieu, relevons que les juges d’appel justifiaient l’ouverture du régime simplifié, malgré la présence d’un bien immobilier, au motif que cet actif – objet d’une hypothèque – ne faisait pas partie de « l’actif disponible ». Cette justification est critiquable, puisqu’elle confond les conditions de qualification de l’état de cessation des paiements et celles de la réalisation des actifs impliquant des actifs faciles à réaliser dans un bref laps de temps.

Cela étant, l’arrêt ici rapporté a ceci d’intéressant qu’il interroge la pertinence de la condition tenant à l’absence de bien immobilier pour bénéficier de la liquidation judiciaire simplifiée. S’il est indéniable que l’application du régime simplifié suppose l’absence d’actifs immobiliers, notamment en raison de la temporalité qu’implique la réalisation de tels biens, un argument contraire peut être soutenu.

En réalité, le caractère insaisissable de certains des immeubles de l’entrepreneur individuel, dont sa résidence principale, que ce dernier ait procédé par déclaration notariée ou qu’il en bénéficie de droit (C. com., art. L. 526-1) plaiderait en faveur de l’ouverture d’une liquidation judiciaire simplifiée. Dans certains cas, ces biens sont exclus du gage commun de la procédure et il serait donc peu cohérent de refuser l’emploi du régime simplifié à l’entrepreneur propriétaire de sa résidence principale, dès lors que ce bien ne peut, de toute façon, pas être appréhendé dans la procédure.

Reste que les biens insaisissables du débiteur n’échapperont pas systématiquement à l’effet réel de la procédure et là est toute la difficulté !

D’abord, l’insaisissabilité n’est que relative. Par exemple, l’article 206, IV, de la loi du 6 août 2015, dite « loi Macron », prévoit que l’insaisissabilité légale de la résidence principale n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur et après la publication de la loi. Or, tirant les conséquences de cette disposition, la Cour de cassation a jugé que lorsque l’ouverture d’une procédure collective est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi précitée, l’immeuble assurant la résidence principale du débiteur n’en demeure pas moins soumis à l’effet réel de la procédure collective. Ensuite, le liquidateur pourrait obtenir la renonciation du débiteur à l’insaisissabilité aux fins de réintégration du bien au sein du gage commun de la procédure. Enfin, l’insaisissabilité du bien sous déclaration notariée d’insaisissabilité pourrait également être contrariée par l’action du mandataire contestant sa régularité (Com. 15 nov. 2016, n° 14-26.287, Bull. civ. IV, n° 142 ; D. 2016. 2333, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2017. 177, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2017. 186, obs. A. Martin-Serf ).

Ces quelques éléments permettent de comprendre que l’instauration d’une règle excluant de façon systématique la condition tenant à l’absence de biens immobiliers est un pas que le législateur ne pouvait franchir tant le traitement des biens insaisissables dans le contexte d’une procédure collective peut varier d’une situation à l’autre.

En l’espèce, nous ignorons la situation du bien immobilier en question. S’il constitue la résidence principale du débiteur – au regard de la date d’ouverture de la procédure –, il peut être supposé que ce dernier soit insaisissable de plein droit en application de la loi du 6 août 2015 instituant une insaisissabilité légale de la résidence principale.

Si tel est le cas, en l’espèce, les critiques portant sur la décision d’appliquer le régime simplifié doivent être relativisées, car la situation de l’immeuble n’aura aucune incidence sur le déroulement de la procédure. Cela étant, cette gymnastique intellectuelle, au demeurant très incertaine, pourrait être évitée par la simple reconnaissance d’une voie de recours sur la décision d’application du régime simplifié et spécialement lorsque celle-ci constitue, selon toute vraisemblance, un excès de pouvoir du juge.

Il est des règles probatoires élémentaires qui méritent parfois d’être rappelées, comme en témoigne un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2021. En l’espèce, par un acte du 7 novembre 2008, une banque a accordé à une EURL un prêt, garanti par le cautionnement de M. L., l’engagement de ce dernier ayant été consenti dans un acte annexé au contrat de prêt, le tout étant établi en deux exemplaires originaux, remis l’un à la banque, l’autre à la caution. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a obtenu une ordonnance d’injonction de payer contre la caution, à laquelle celle-ci a formé opposition, en faisant valoir que la mention manuscrite de l’acte de cautionnement n’était pas conforme à la loi. La cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 5 novembre 2019, met à néant l’ordonnance et prononce la nullité du cautionnement, après avoir relevé que l’acte produit par la caution comportait une mention manuscrite ne respectant pas le formalisme alors prévu par l’article L. 341-2 du code de la consommation (devenu l’art. L. 331-1 à la faveur de l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation), en ce que le mot « caution » en a été omis, et que cette divergence avec la formule légale affecte le sens et la portée de la mention manuscrite. Les magistrats limougeauds retiennent également qu’il importe peu que la banque détienne un autre exemplaire de l’acte qui comporte, cette fois, l’intégralité de la mention légale, dès lors que la mention est incomplète sur un des exemplaires et que la différence qui en résulte avec la mention légale est déterminante et n’a pas permis à la caution de prendre la pleine mesure de la nature et de la teneur de son engagement. La banque se pourvut donc en cassation, avec raison, l’arrêt étant censuré par la Cour régulatrice au visa de l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 : après avoir rappelé le contenu de cette mention, les hauts magistrats considèrent qu’« En statuant ainsi, alors que, le cautionnement étant un contrat unilatéral, un seul original était requis et que M. L. ne contestait pas avoir écrit de sa main les mentions conformes aux prescriptions légales sur l’exemplaire original détenu par le créancier, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (pt 10).

La solution est parfaitement justifiée : comme le rappelle la chambre commerciale, le cautionnement est indéniablement un contrat unilatéral et ce, en dépit des multiples obligations d’information mises à la charge du créancier (V. à ce sujet, M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ? Le caractère unilatéral du cautionnement à l’épreuve des nouvelles contraintes du créancier, préf. D. Houtcieff, Bibl. dr. privé, t. 528, LGDJ, 2011). Dès lors, il n’est pas soumis à la règle dite du double original, prévue par l’article 1375 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (anc. art. 1325). L’alinéa 1er de ce texte prévoit en effet que « L’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé » (sur cette règle et sa raison d’être, v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 1851). Le cautionnement obéit en revanche au formalisme probatoire de l’article 1376 du code civil (anc. art. 1326), mais celui-ci est très largement absorbé par le formalisme ad validitatem du code de la consommation comme en témoigne le présent arrêt (v. en ce sens, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 138, p. 136, observant à juste titre que « ce formalisme probatoire n’a plus qu’un impact résiduel en matière de cautionnement en raison de l’avènement, en 2003, des mentions manuscrites requises à peine de nullité par le code de la consommation »). Par conséquent, il faut mais il suffit, pour que le cautionnement soit valable, que le créancier détienne un original comportant une mention manuscrite conforme à la loi. La solution est également opportune, en ce qu’elle permet de déjouer l’éventuelle malice de la caution qui ferait en sorte de ne pas respecter le formalisme du code de la consommation au sein de son propre exemplaire du contrat, ce qui confinerait à la fraude (celle-ci étant d’ailleurs de plus en plus fustigée par la Cour de cassation en la matière, v. Com. 5 mai 2021, n° 19-21.468, Dalloz actualité, 17 mai 2021, obs. J.-D. Pellier ; 24 mars 2021, n° 19-20.033, Dalloz actualité, 12 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier).

Il n’en demeure pas moins que la caution a tout intérêt à être munie d’un exemplaire du contrat de cautionnement et qu’il est donc regrettable que le législateur ne se soit pas saisi de cette question (rappr. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., Sirey, 2019, n° 241, p. 167, note n° 1 : « Bien souvent, la caution ne dispose donc pas entre ses mains d’un exemplaire du contrat matérialisant son engagement. Cette absence de remise à la caution d’un exemplaire du contrat est regrettable, car elle se traduit fréquemment par l’oubli de leur engagement par les cautions, qui omettent dès lors d’inciter le débiteur principal à s’exécuter et de prendre elles-mêmes des mesures pour être solvables en cas d’appel en paiement. L’absence de remise d’un exemplaire du contrat à la caution présente en outre un grave inconvénient en cas de décès de celle-ci, puisque ses héritiers risquent d’accepter la succession sans avoir connaissance de la dette de cautionnement ». L’article 786 du code civil permet néanmoins de tempérer cette dernière assertion, comme le relèvent au demeurant les auteurs). L’imminente réforme du droit des sûretés n’y changera rien, l’avant-projet d’ordonnance dévoilé le 18 décembre 2020 ne contenant aucune règle à ce sujet, alors pourtant que la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », habilite notamment le gouvernement à « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (art. 60, I, 1°).

Le démarchage fait, encore aujourd’hui, l’objet d’une jurisprudence très fournie bien que le code de la consommation n’appréhende plus exactement cette notion de la même manière avec le recours à la qualification de contrats conclus hors établissement depuis la loi du 17 mars 2014 transposant la directive européenne 2011/83/UE du 25 octobre 2011 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 621, n° 577). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 juin 2021 est l’occasion de revenir sur la jurisprudence statuant sur les articles en vigueur pour les contrats conclus avant le 13 juin 2014, i.e. ceux sous l’empire de la dénomination « démarchage ». Le point de départ est bien souvent le même : des personnes se font démarcher à domicile pour que leur logement bénéficie de l’installation de panneaux photovoltaïques afin de produire leur électricité. Dans l’arrêt étudié, le contrat d’installation des panneaux et de l’onduleur livré avec datait du 14 avril 2014 ; le financement de ces travaux étant assuré par un emprunt auprès d’un établissement bancaire.

Toutefois, les acquéreurs reprochent un certain nombre d’irrégularités dans le bon de commande eu égard à l’imprécision du bordereau, d’une part, et à un défaut dans leur signature, d’autre part. Ils assignent ainsi le vendeur et la banque en nullité du contrat principal et du crédit affecté ; interdépendance des contrats oblige. Le tribunal d’instance d’Avranches annule les bons de commandes et le crédit affecté en raison d’un défaut dans la signature du contrat. La société venderesse des panneaux interjette appel. Mais devant le deuxième degré de juridiction, l’argumentation des époux acquéreurs change et ils se fondent désormais exclusivement sur l’imprécision du bon de commande notamment sur l’absence de prix unitaire de chaque élément installé. La cour d’appel de Caen refuse alors d’annuler le contrat car les éléments du bon de commande n’étaient pas susceptibles d’être critiqués et que le prix unitaire n’a pas nécessairement à être désigné selon la formulation de l’article L. 121-23 ancien du code de la consommation applicable au litige. Les acquéreurs se pourvoient en cassation en arguant à titre principal que le bon de...

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Dans son numéro daté du 19 juillet 2015, le magazine Lui publia la photographie d’un acteur américain prise sans autorisation sur une plage dans un moment de loisir ; était apposée à côté de l’article la mention « KCS ». Le 3 août, l’intéressé assigna la société Lui et la société KCS Presse aux fins d’obtenir, sur le fondement des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, leur condamnation à lui payer chacune une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, et l’interdiction de commercialiser le cliché litigieux. En cours de procédure, il sollicita également l’indemnisation du préjudice résultant de la captation et la commercialisation de neuf clichés supplémentaires publiés sur quatre sites internet anglophones et faisant partie de la même série. Le 20 janvier 2020, la cour d’appel de Paris rejeta l’ensemble des demandes formées contre la société KCS Presse, s’agissant du cliché publié dans Lui, et des photographies publiées par les quatre sites internet anglophones. Sur le premier point, la cour jugea, à l’inverse des premiers juges, qu’« en l’absence de toute preuve de la commercialisation de [la] photographie à la société Lui », aucune faute ne pouvait être imputée à la société défenderesse. Sur le second, elle estima que, saisie d’une demande de « condamnation de la société KCS Presse pour la diffusion de plusieurs clichés portant la mention KCS Presse/Splash News publiés sur les sites internet anglophones », elle devait débouter l’acteur, faute pour ce dernier de prouver soit une diffusion publique sur internet soit une commercialisation par la société KCS Presse auprès de ces quatre sites.

Par son arrêt, la première chambre civile casse l’arrêt d’appel sur les deux moyens présentés par l’acteur et qui invoquaient, pour le premier, une violation des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne, et pour le second, une méconnaissance du cadre du litige et donc une violation de l’article 4 du code de procédure civile.

Sur le premier point et la question de l’existence d’une atteinte aux droits de la personnalité, la Cour de cassation statue au visa des textes invoqués et précise qu’il en résulte que « le droit dont la personne dispose sur son image porte sur sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation et que la seule constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation ». Prenant explicitement appui sur la jurisprudence européenne rendue sur le fondement de l’article 8 de la Convention qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale (CEDH 15 janv. 2009, Reklos et Davourlis c. Grèce, req. n° 1234/05, RTD civ. 2009. 283, obs. J.-P. Marguénaud  ; 27 mai 2014, De la Flor Cabrera c. Espagne, n° 10764/09) et garantit par principe le droit de toute personne de s’opposer à la captation, à la conservation et à la reproduction de son image par autrui, elle estime que la cour d’appel, en réduisant l’éventuelle faute de la société KCS Presse à l’égard de l’acteur à la seule commercialisation du cliché volé, a méconnu les textes susvisés.

Dans l’arrêt Reklos, la Cour de Strasbourg énonce en effet que « l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, du fait qu’elle dégage son originalité et lui permet de se différencier de ses congénères » et que « le droit de la personne à la protection de son image constitue […] l’une des composantes essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image ». Pour la Cour européenne, « pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, [et] comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui ». Ainsi, « sa protection effective présuppose, en principe […], le consentement de l’individu dès sa captation et non pas seulement au moment de son éventuelle diffusion au public » (§ 40).

La jurisprudence européenne vient ici utilement renforcer la jurisprudence sur la protection du droit à l’image fondée sur l’article 9 du code civil, « “matrice” des droits de la personnalité » et dont l’« interprétation extensive » a pu être regrettée (A. Legage, L’article 9 du code civil peut-il constituer durablement la « matrice » des droits de la personnalité ?, Gaz. Pal. 2007. I. 1497, citée par C. Bigot, in Pratique du droit de la presse, 2020, chap. 431 « Protection de la vie privée et de l’image »). Le droit d’une personne sur son image, de création prétorienne, s’est progressivement émancipé du droit au respect de la vie privée (v. Rép. civ., v° Droits de la personnalité, par A. Lepage, nos 131 s.). Il emporte des prérogatives qui sont « calquées sur le modèle du droit de contrôle que décline également le droit au respect de la vie privée » (A. Lepage, Rép. civ., préc., n° 134). Ainsi, toute personne dispose d’un droit sur son image en vertu duquel elle « peut s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable » (Versailles, 2 mai 2002, Légipresse 2002. I. 69 ; TGI Nanterre, 25 sept. 2008, Légipresse 2008. I. 134). La seule preuve de la captation de l’image de l’acteur sans son autorisation suffisait à engager la responsabilité de KCS Presse, indépendamment de la vente du cliché au magazine Lui.

Sur le second point et la question du cadre du litige, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Pour rejeter les demandes de l’acteur relatives aux neuf photographies publiées sur les quatre sites anglophones, la cour d’appel a retenu que celui-ci ne prouvait ni une diffusion publique sur internet ni une commercialisation de ces derniers par la société KCS Presse auprès des sites en question. Se faisant, et alors que l’acteur demandait réparation de l’atteinte à ses droits de la personnalité résultant de la captation et de la commercialisation de ces clichés, indépendamment des modalités du mandat de distribution confié à la société Splash news par KCS Presse, elle a, d’après la Cour de cassation, modifié l’objet du litige.

L’article 637 du code civil définit la servitude comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». Elle est ainsi présentée comme un droit réel pesant sur un fonds au profit d’un autre, dont le propriétaire est différent. […] La lecture de l’article 639 du code civil laisse supposer qu’il existe trois sources possibles de servitudes : la situation naturelle des lieux, la loi ou les conventions. En réalité, les premières ne sont qu’une forme particulière de servitudes légales d’utilité privée, prenant source dans la loi, et les troisièmes qu’un exemple de servitudes établies par le fait de l’homme – dont la source est au moins en partie volontaire –, lesquelles peuvent également être établies par le jeu de l’usucapion ou par destination du père de famille. […] Les servitudes légales sont prévues par la loi afin d’organiser les relations entre propriétaires de fonds voisins, ce que l’avant-projet de réforme du droit des biens met en exergue en leur consacrant un titre spécial intitulé Des relations de voisinage » (A. Cayol, Le droit des biens en tableaux, Ellipses, 2019, p. 92 et 98).

La servitude légale de passage en cas d’enclave permet à un propriétaire de réclamer à ses voisins un accès à la voie publique, moyennant le versement d’une indemnité proportionnée...

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La société d’aménagement foncier et d’établissement rural Nouvelle Aquitaine (la SAFER) intervient en vue de réattribuer plusieurs biens ruraux. Le processus retenu consiste à céder le bénéfice de promesses unilatérales de vente que la SAFER a pu conclure avec quatre propriétaires. D’autres soutiennent que, plus qu’un mécanisme de « cession de contrat », il convient de caractériser une institution autonome, la « substitution de personnes ». Quoi qu’il en soit, la SAFER dispose d’un délai légal bref de six mois pour « substituer » le tiers (C. rur., art. L. 141-1, II, 2°). Après des appels à candidature infructueux portant sur la totalité des biens, la SAFER a procédé à des substitutions partielles, en poursuivant la vente à son profit de certains bâtiments dont nul ne voulait, et multiples, en se substituant plusieurs attributaires pour deux domaines distingués.

L’espèce annotée porte sur le domaine dit de La Chassagne (sur l’autre domaine, dit des Biennes, v. Civ. 3e, 20 mai 2021, n° 20-14.573 FS-P, Dalloz actualité, 15 juin 2021, obs. S. Prigent). Deux candidatures sont retenues pour, respectivement, des surfaces de l’ordre de 66 et 2 hectares. Une troisième candidature est, elle, écartée.

Le GFA dont la candidature a été rejetée par la SAFER...

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Lorsque la liquidation des intérêts pécuniaires des époux a été ordonnée par une décision de divorce passée en force de chose jugée, elle englobe les créances nées avant le mariage et l’ex-époux qui se prétend créancier sur le fondement d’un enrichissement sans cause doit faire valoir sa créance lors de l’établissement des comptes.

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Auteur d'origine: qguiguet

Peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance.

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Auteur d'origine: jdpellier

La Cour de cassation rappelle que les seules garanties de paiement exigées par l’article L. 322-7 du code des procédures civiles d’exécution sont celles qui sont énumérées à l’article R. 322-41 du même code, à l’exclusion de toutes autres, y compris la garantie à première demande de l’article 2321 du code civil

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Auteur d'origine: Thill

La Cour de cassation vient rappeler que le moyen de droit relevé d’office doit être présenté aux parties afin que le juge puisse recueillir leurs observations. Dans une procédure orale, l’absence d’une partie à l’audience ne permet pas de présumer que le moyen a été débattu contradictoirement.

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Auteur d'origine: chelaine

Lorsqu’une même personne se rend caution personnelle des engagements d’un débiteur envers un établissement de crédit et lui affecte aussi un ou des biens en garantie hypothécaire de ces mêmes engagements, cet établissement lui doit l’information annuelle prévue par l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

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Auteur d'origine: jdpellier

La signification des conclusions par le défendeur à l’action en diffamation lorsqu’il est appelant interrompt la prescription. 

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Auteur d'origine: lavric
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Un couple vécu en concubinage pendant plusieurs années, au cours desquelles l’un d’eux finança l’acquisition d’une maison dont l’autre était propriétaire. Ils se marièrent en 1991 sans établir de contrat de mariage et divorcèrent le 20 janvier 2000. Un procès-verbal de difficulté fut dressé le 9 avril 2000. Le juge commis, constatant la non-conciliation, les renvoya devant le tribunal qui statua par jugement du 6 avril 2010 sur les désaccords persistants. L’acte de partage fut signé quelques mois plus tard, le 24 septembre 2010.

L’affaire semblait donc réglée. Pourtant, cinq ans plus tard, l’ex-époux assigna son ex-épouse afin d’obtenir une indemnité sur le fondement de l’enrichissement sans cause pour le financement de la maison réalisé avant le mariage. Sa demande est jugée irrecevable par les premiers juges comme se heurtant à l’autorité de chose jugée du jugement du 6 avril 2010, décision confirmée par la cour d’appel de Toulouse le 6 août 2019.

Le demandeur succombant forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen, il reprochait à la cour d’appel d’avoir violé les articles 1373 et 1374 du code de procédure civile. Selon le premier de ces textes, « en cas de désaccord des copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d’état liquidatif ». Le juge commis « fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants ». L’article 1374 du code de procédure civile énonce quant à lui un principe de concentration des demandes en matière de partage judiciaire : « Toutes les demandes faites en application de l’article 1373 entre les mêmes parties, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, ne constituent qu’une seule instance. Toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l’établissement du rapport par le juge commis ».

La première branche du moyen note que la cour d’appel n’avait constaté ni que le notaire commis avait établi un procès-verbal de dires et de difficultés, ni qu’un juge avait été commis et aurait établi un rapport au tribunal sur les points de désaccord subsistant. La seconde branche reproche aux juges du fond d’avoir opposé à l’exposant le fait de s’être abstenu de faire état, tant devant le notaire que devant le tribunal, de la créance objet du litige. En d’autres termes, le moyen démontrait, non sans pertinence, que les conditions de l’irrecevabilité prévue à l’article 1374 du code de procédure civile n’étaient pas réunies.

Le pourvoi est néanmoins rejeté. La première chambre civile énonce d’abord un attendu de principe (§ 5) : « Lorsque la liquidation des intérêts pécuniaires d’époux a été ordonnée par une décision de divorce passée en force de chose jugée, la liquidation à laquelle il est procédé englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties, y compris les créances nées avant le mariage. Il appartient dès lors à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance contre son conjoint lors de l’établissement des comptes s’y rapportant. ».

Elle étudie ensuite l’arrêt d’appel au regard de ces règles (§ 6). Elle remarque alors que les juges du fond avaient relevé que le jugement avait fait application de l’article 264-1 du code civil alors en vigueur et qu’ils avaient énoncé à bon droit que la liquidation à laquelle il est procédé à la suite du divorce englobe tous les rapports pécuniaires existant entre les époux. Il appartient donc à celui qui se prétend créancier de faire valoir sa créance lors de l’établissement des opérations de comptes et liquidation.

La Cour de cassation reconnaît que les motifs de l’arrêt critiqués par le pourvoi sont erronés. Elle les qualifie cependant de « surabondants ». En d’autres termes, ce ne sont pas tant les règles procédurales du partage judiciaire (C. pr. civ., art. 1373 et 1374) que celles du règlement des intérêts patrimoniaux des époux (C. civ., art. 264-1 anc. ; C. civ., art. 267) qui justifient l’irrecevabilité d’une telle demande.

La solution n’est pas surprenante, mais elle est bienvenue.

Elle n’est pas surprenante car la Cour de cassation s’est engagée depuis longtemps dans un mouvement de « globalisation » des intérêts patrimoniaux des époux, tant sur le fondement des anciens articles 264-1 (Civ. 1re, 28 nov. 2000, n° 98-13.405, Bull. civ. I, n° 306 ; D. 2001. 177 ) et 1351 du code civil (Civ. 1re, 5 avr. 1993, nº 91-10.648, Bull. civ. I, nº 143 ; JCP 1994. I. 3733, nº 24, obs. M. Storck ; JCP N 1994. II, nº 113, note M. Hérail) que sur celui du nouvel article 267 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 (Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 18-14.150 F-P+B, Dalloz actualité, 13 mars 2019, obs. R. Laher ; D. 2019. 256 ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2019. 216, obs. J. Casey ; Dr. fam. 2019, n° 80, obs. S. Torricelli-Chrifi ; RJPF 2019/3, p. 28, note J. Dubarry ; RLDC 2019/171, p. 27, comm. P. Marcou). La Cour confirme ainsi qu’elle retient une perception large de la notion de « liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux » au sens des articles 264-1 ancien du code civil et 267 du code civil. Ce terme doit s’entendre comme tous les « rapports pécuniaires des époux », ce qui ne se limite pas à la liquidation du régime matrimonial stricto sensu mais englobe toute question patrimoniale entre les mêmes parties. Cette tendance s’inscrit par ailleurs dans un élan processuel profond initié par le célèbre arrêt Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, Bull. AP, n° 8 ; D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ).

La solution est bienvenue à deux égards. D’une part, elle permet de confirmer que la source de la créance importe peu. La solution est identique dans tous les cas, que la créance soit fondée sur le droit de l’indivision (Civ. 1re, 30 janv. 2019, préc.) ou l’enrichissement injustifié. Il en va de même d’ailleurs des créances alimentaires (Civ. 1re, 11 déc. 2001, n° 99-21.851, inédit ; Defrénois 2002. 401, G. Champenois), de contribution aux charges du mariage, prestation compensatoire et de dommages et intérêts (Civ. 1re, 14 mai 2014, n° 13-14.087, inédit). Seules comptent l’identité des parties et la nature pécuniaire de la demande.

D’autre part, la formulation utilisée par la Cour permet de lever certaines ambiguïtés et d’apaiser des craintes légitimes. Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2019 (préc.), la Cour de cassation avait énoncé qu’« il appartient à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance selon les règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial lors de l’établissement des comptes s’y rapportant » (nous soulignons). Cette formule, accusée de brouiller les frontières temporelles du champ d’application des régimes matrimoniaux, laissait craindre que les créances antérieures au mariage ne soient calculées selon les règles applicables à celles nées pendant le mariage. Certains auteurs s’en étaient émus et dénonçaient rétroactivité des effets patrimoniaux du mariage qui « absorberait » le concubinage antérieur, lequel ne serait qu’un « avant-contrat », une sorte de promesse de mariage (J. Dubarry et P. Marcou, obs. et comm. préc.). Ce serait en effet aller bien trop loin dans la création d’un droit commun du couple.

Ces craintes semblent avoir été entendues. Dans cet arrêt rendu le 26 mai 2021, la Cour de cassation ne fait aucune référence aux règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial : l’unification n’est donc que processuelle. En d’autres termes, toutes les créances, qu’elles soient antérieures, concomitantes ou postérieures au mariage, doivent être traitées au cours de la même instance et devant le même juge, mais selon des règles distinctes.

La globalisation a les vertus que l’on sait : simplification, rationalisation, accélération du traitement procédural. Elle n’en présente pas moins quelques inconvénients pour les parties. Elle était à l’origine conçue à destination du juge : elle constitue ainsi une obligation qui lui est faite de déclarer recevable toute demande patrimoniale présentée par les parties et elle justifie la compétence élargie du juge aux affaires familiales (Civ. 1re, 30 janv. 2019, préc.). Elle apparaît aussi désormais comme une charge pesant sur les parties.

Il en résulte une véritable incombance processuelle à leur endroit (sur la notion d’incombance en matière contractuelle, B. Freleteau, Devoir et incombance en matière contractuelle, LGDJ, 2017, t. 576 ; S. Licari, Pour la reconnaissance de la notion d’incombance, RRJ 2002, n° 2 p. 703 ; B. Labbé, L’incombance : un faux concept, RRJ 2005/1, p. 183 ; M. Fontaine, Fertilisation croisées du droit des contrats, in Mélanges J. Ghestin, 2000, p. 347). Faute de faire connaître l’ensemble de ses prétentions patrimoniale au cours de l’instance, chacune des parties s’expose à l’irrecevabilité d’une demande future, ce qui résonne ni plus ni moins comme une déchéance de son droit, à l’image de l’obligation de déclarer une créance dans une procédure collective ou une succession acceptée à concurrence de l’actif net. Cette déchéance substantielle ne dit pourtant pas son nom et se dissimule derrière la présomption processuelle irréfragable bien connue qu’est l’autorité de chose jugée. Il est pourtant assez singulier d’étendre l’autorité de chose jugée d’un jugement à une prétention qui n’a pas été formulée devant le juge… La rationalisation du contentieux de masse a des raisons que la raison ignore.

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La divisibilité d’une clause permet de la sauver de l’éradication à laquelle elle était vouée en raison du caractère abusif de certains de ses termes. Tel est l’enseignement que nous livre la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021. En l’espèce, suivant acte notarié du 21 mars 2008, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier dont les conditions générales prévoyaient à l’article 14 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles dans un certain nombre de cas et notamment en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d’une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt et que, pour s’en prévaloir, le prêteur en avertirait l’emprunteur par lettre simple. Par la suite, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation des commandements de payer aux fins de saisie-vente que celle-ci leur avait délivrés et invoqué le caractère abusif de cette clause au motif que celle-ci prévoit une vingtaine de causes de déchéances du terme dont certaines se rapportent à des causes extérieures au contrat (ce qui est effectivement abusif, v. d’ailleurs, en matière de crédit à la consommation, la récente recommandation n° 21-01 de la Commission des clauses abusives du 10 mai 2021. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Regard sur la recommandation de la Commission des clauses abusives n° 21-01 relative aux contrats de crédit à la consommation, JCP E, à paraître ; v. égal. S. Bernheim-Desvaux, 43 clauses abusives relevées dans les contrats de crédit à la consommation, CCC, juillet 2021, à paraître), étant observé, au surplus, qu’il n’est pas prévu de mise en demeure préalable. La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 16 mai 2019, rejette cette demande, ce qui motiva un pourvoi en cassation de la part des emprunteurs, mais en vain. La Cour régulatrice, pour rejeter ce pourvoi, rappelle tout d’abord que « La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une clause de déchéance du terme d’un contrat de prêt jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance (CJUE 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria SA, aff. C-70/17, D. 2019. 636 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Bankia SA, aff. C-179/17) » (pt 5). Interprétant cette jurisprudence a contrario, les hauts magistrats considèrent qu’ « Il en résulte que peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance » (pt 6). Puis, il affirment qu’« Après avoir relevé que l’article 14 du contrat de prêt comportait des causes de déchéance du terme pouvant être déclarées abusives car étrangères à l’exécution de ce contrat, la cour d’appel a constaté qu’il prévoyait d’autres causes liées à l’exécution du contrat lui-même qui étaient valables » (pt 7). Ils en concluent que « De ces constatations et énonciations faisant ressortir la divisibilité des causes de déchéance du terme prévues à l’article 14, la cour d’appel a exactement déduit que le caractère non écrit de certaines de ces causes de déchéance n’excluait pas la mise en œuvre de celles valablement stipulées, dès lors que la suppression des éléments qui rendaient la clause litigieuse abusive n’affectait pas sa substance » (pt 8).

La solution est parfaitement justifiée au regard de la jurisprudence européenne que la Cour de cassation prend la peine de citer. Celle-ci répugne en effet à ce que le juge, sous prétexte de contrôler le caractère abusif d’une clause, opère en réalité une réfaction de celle-ci, pouvoir que ne lui octroie nullement la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (v. égal., CJUE 14 juin 2012, aff. C-618/10, D. 2012. 1607 ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2012. 666, obs. C. Aubert de Vincelles : « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre (…) qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause ». Comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles : « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, cette disposition ne s’oppose pas à une règle de droit national permettant au juge national de remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif »). Le maintien d’une clause partiellement abusive n’est donc possible qu’à la condition que cela n’aboutisse pas à une dénaturation de cette clause qui confinerait à sa réfaction.

Au fond, la solution évoque, au niveau de la clause, la règle prévue par l’article L. 241-1 du Code de la consommation (reflétant au demeurant l’art. 6, § 1, de la dir. de 1993). Ce texte dispose en effet que « Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public » (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 113). La première chambre civile admet en fait la possibilité de transposer cette logique au sein même de chaque clause : la clause litigieuse reste ainsi applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives si elle peut subsister sans ces dispositions, ce qui n’est possible que si cette clause est divisible. En définitive, la divisibilité d’une clause permet d’éviter son éradication totale !

Pour conclure, l’on observera que cette solution pourrait d’ailleurs inspirer les juges qui auraient à se prononcer sur les conséquences de l’éradication d’une clause sur le fondement de l’article 1171 du code civil.

Les décisions de la Cour de cassation relatives à la nullité des enchères (C. pr. ex., art. R. 322-40 à R. 322-49-2) ne sont pas nombreuses ce qui justifie l’intérêt que suscite l’arrêt commenté dans lequel, pour emprunter au titre du film de Christian-Jaque avec Fernandel et Totò (1958), les magistrats du Quai de l’horloge rappellent que la loi, c’est la loi.

À l’occasion de la liquidation judiciaire d’une société, le mandataire judiciaire, dans sa mission de réalisation de l’actif, obtient une ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente par adjudication de plusieurs lots d’un ensemble immobilier ainsi qu’une partie d’immeuble à usage industriel (C. com. art. L. 642-18), avec la particularité d’une mise à prix à 16 000 000 €. Lors de l’audience d’adjudication devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Lille (le 5 juin 2019), une société s’est portée adjudicataire pour une enchère à 18 500 000 €.
En application des dispositions de l’article R. 322-49 du code des procédures civiles d’exécution : « Les contestations relatives à la validité des enchères sont formées verbalement à l’audience, par ministère d’avocat. Le juge statue sur-le-champ et, le cas échéant, reprend immédiatement les enchères dans les conditions prévues à l’article R. 322-43 ». Le mandataire judiciaire, qui se devait d’être vigilant sur la solvabilité de l’acquéreur, a soulevé la nullité de l’enchère et de l’adjudication en considérant que la garantie produite par la société adjudicataire ne répondait pas aux exigences de l’article R. 322-41 du code...

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L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 mai 2021 rappelle l’importance cardinale du principe du contradictoire et son lien avec l’office du juge (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Domat », p. 256, n° 304). C’est au sujet de l’hospitalisation sans consentement que le problème s’est posé mais la difficulté est transposable à toute procédure civile classique. Notons, à titre liminaire, d’ailleurs que l’article R. 3211-7 du code de la santé publique soumet les procédures judiciaires liées aux hospitalisations sous contrainte aux règles du code de procédure civile (pour les moyens de défense, v. Civ. 1re, 12 mai 2021, n° 20-13.307, Dalloz actualité, 19 mai 2021, obs. C. Hélaine, D. 2021. 966 ). Ceci fait de cette matière un laboratoire topique d’étude des règles du droit judiciaire privé. La question du jour porte sur l’entrecroisement entre un moyen de droit relevé d’office par le juge et le débat contradictoire entre les parties dans le cadre d’une procédure orale. La difficulté prend une tournure particulière en matière d’hospitalisation sans consentement puisque le majeur concerné par la mesure n’est bien souvent pas en mesure d’être à l’audience. Les faits sont ici assez classiques : une personne sous curatelle est admise en hospitalisation sous contrainte à la demande d’un tiers sur le fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique. Plusieurs programmes de soins ont pu se succéder, avec une période d’hospitalisation complète à compter du 16 octobre 2019, qui a donné lieu à une décision du juge des libertés et de la détention du 25 octobre. Le 14 novembre, alors qu’un programme de soins était en cours depuis dix jours, le directeur de l’établissement décide d’une nouvelle hospitalisation sans consentement. Quatre jours plus tard, le directeur sollicite le renouvellement de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Problème : de nombreuses irrégularités étaient reprochées par la personne hospitalisée sous contrainte. Cette dernière soulève ainsi ces irrégularités devant le premier président de la cour d’appel de Rouen. Dans une ordonnance en date du 5 décembre 2019, ce dernier décide de soulever d’office le moyen selon lequel « sont irrecevables les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure antérieure au 25 octobre 2019, date à laquelle le juge des libertés et de la détention a statué, par une décision définitive ayant autorité de la chose jugée, sur la régularité d’une précédente hospitalisation complète ». Tout ceci paraissait bien exempt de critique mais le moyen relevé d’office n’avait pas été présenté aux parties pour recueillir leurs observations d’autant plus que les deux parties étaient absentes à l’audience. Le majeur protégé se pourvoit en cassation en arguant que tout moyen de droit relevé d’office par le juge doit faire l’objet d’un débat contradictoire entre les parties.

La Cour de cassation casse et annule l’ordonnance entreprise sur le fondement de l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile dans une motivation particulièrement pédagogue où la haute juridiction rappelle l’intérêt de la règle et son incidence en hospitalisation sous contrainte.

Le rappel de la prééminence du contradictoire

La Cour de cassation utilise dans l’arrêt du 26 mai 2021 une motivation particulièrement riche citant un précédent en matière d’office du juge également dans le cadre d’une procédure orale, à savoir dans les litiges portant sur les honoraires d’avocat (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-15.985, Dalloz actualité, 18 nov. 2020, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2020. 2124 ; ibid. 2021. 104, obs. T. Wickers ; ibid. 543, obs. N. Fricero ). Comme le notent MM. Cadiet et Jeuland, l’obligation faite au magistrat dans l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile s’applique à tous les types de moyens « de fond, de procédure ou d’irrecevabilité ; peu importe qu’ils soient dans l’intérêt privé ou d’ordre public » (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2020, p. 480, n° 511). Voici donc de quoi bien réaffirmer la force du principe du contradictoire dans toute sa splendeur. Tout moyen relevé d’office doit être présenté aux parties afin de recueillir leurs observations. Ici, le moyen en question était particulièrement bien fondé puisqu’il concernait l’autorité de la chose jugée d’une précédente décision. En notant qu’« alors que le curateur de M. L… et le directeur du centre hospitalier n’avaient pas comparu à l’audience et qu’il ne ressort ni de la décision ni des pièces de la procédure que la partie présente ait été, au préalable, invitée à formuler ses observations sur ce moyen relevé d’office » (nous soulignons), la Cour de cassation n’a pas d’autres solutions que de retenir une cassation pour violation de la loi faute de comparution effective de l’intéressé. L’issue aurait été bien différente si le moyen avait été d’une manière ou d’une autre déjà dans la cause (Civ. 2e, 5 juin 2014, n° 13-19.920, Dalloz actualité, 25 juin 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle ) puisque, dans ce cadre, le relevé d’office n’en aurait pas vraiment été un, dispensant d’une telle formalité.

Rappelons que l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile qui sert de support au visa de l’arrêt commenté ne s’est pas imposé d’une manière évidente en droit positif. Il a fallu, notamment, attendre une annulation du Conseil d’État (CE 12 oct. 1979, A. Bénabent, Rassemblement des nouveaux avocats de France, D. 1979. 606 ; RTD civ. 1980. 145, obs. J. Normand) de l’article 12, alinéa 3, ancien qui dispensait le juge d’observer le contradictoire quand il statuait en relevant d’office un moyen de pur droit (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », p. 638, n° 889). Le décret n° 81-500 du 12 mai 1981 a, par la suite, donné à l’article 16, alinéa 3, sa rédaction actuelle, laquelle est « de plus en plus largement appliquée » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Domat », p. 259, n° 310). Dans une procédure écrite, la difficulté liée au moyen de droit relevé d’office peut être évacuée par une décision avant dire droit afin de rouvrir les débats et de recueillir les observations des parties par voie de conclusions. Le travail peut également être facilité par le jeu de diverses présomptions comme dans le cadre des procédures sans représentation obligatoire où les moyens sont présumés avoir été débattus contradictoirement à l’audience.

On perçoit toutefois aisément l’idée qui a pu conduire au raisonnement du premier président de l’ordonnance cassée dans l’arrêt commenté. Derrière le moyen relevé d’office, il y avait le respect de l’autorité de la chose jugée et, ce faisant, la volonté d’éviter de détricoter ce qui avait déjà été purgé par des décisions passées n’ayant pas relevé les problèmes soulevés par le majeur interné en cause d’appel seulement. En dépit de ce constat, la Cour de cassation maintient un degré très exigeant dans le respect du contradictoire afin de garantir les droits du majeur protégé. Bien évidemment, tout ceci appelle des remarques dans le contentieux précis de l’hospitalisation sans consentement.

Des conséquences sur la procédure d’hospitalisation sous contrainte

Bien que la solution ne soit pas nouvelle, en ce qu’elle est l’application du droit commun dans la procédure spécifique des soins psychiatriques sous contrainte, il n’en reste pas moins que les juges des libertés et de la détention doivent composer avec des difficultés assez originales, propres à ce contentieux. Nous ne sommes pas dans une procédure classique où les individus peuvent comparaître facilement : par définition, ils sont dans une structure médicale et la voie de recours s’exerce d’une manière bien souvent complexe, dans des délais rapides. Or cette complexité conduit à devoir composer avec les moyens du bord : patient sous médicamentation, contact avec la structure accueillant le majeur hospitalisé, impossibilité des communications avec l’intéressé, truchement d’un isolement ou d’une contention (sur ce point, v. décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. C. Hélaine), etc. Il faut bien avouer, en tout état de cause, que les obstacles peuvent être très nombreux pour élaborer une décision à l’abri de toute critique en droit ou en fait. En rappelant l’importance du contradictoire dans les moyens de droit relevés d’office par le juge, la Cour de cassation confirme ce constat malgré l’absence régulière de comparution du principal intéressé. Les soins sous contrainte sont des procédures où le juge doit jouer un rôle d’équilibriste pour parvenir à une solution exempte de défauts. L’art est parfois bien difficile.

Faut-il, pour autant, aménager alors les règles applicables à l’hospitalisation sans consentement ? La réponse est très nuancée, semble-t-il. L’application du code de procédure civile permet de donner un élan protecteur à ces mesures puisqu’elles bénéficient des principes directeurs du droit judiciaire privé. Cet élan se conjugue d’ailleurs avec les dispositions du code de la santé publique qui « multiplient les portes de sortie » (v. Rép. civ., v° Malades mentaux, par D. Truchet, nos 87 s.) de l’individu hospitalisé sans consentement. Mais des aménagements resteraient théoriquement possibles comme, par exemple, passer d’une procédure orale à une procédure purement écrite. Mais, à l’heure actuelle, une telle réforme n’est pas envisagée car elle est elle-même accompagnée de son lot de risques.

En somme, le contradictoire vient à nouveau confirmer l’équilibre délicat entre les droits de l’individu placé en soins sous contrainte et la protection de l’ordre public. Règle essentielle entre les parties, le contradictoire s’impose également au juge qui, une fois les observations des parties recueillies, peut utiliser à toutes fins utiles le moyen de droit relevé d’office pour motiver sa décision. La Cour de cassation continue ainsi la construction d’un régime harmonieux de l’hospitalisation sous contrainte, régime qui ne diffère guère d’une procédure civile très classique.

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Il est relativement fréquent qu’une personne affecte l’un de ses biens en garantie de la dette d’autrui (V. à ce sujet J.-J. Ansault, Le cautionnement réel, préf. P. Crocq, Doctorat et Notariat, t. 40, Defrénois, 2010). On sait qu’il s’agit alors d’une pure sûreté réelle pour autrui et non d’un cautionnement, depuis un fameux arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation le 2 décembre 2005 (D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais : « Mais attendu qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la cour d’appel a exactement retenu que l’article 1415 du code civil n’était pas applicable au nantissement donné par M. X. »), cette dernière n’ayant eu de cesse, depuis lors, de tirer les conséquences de cette analyse (v. en dernier lieu, Com. 25 nov. 2020, n° 19-11.525, D. 2021. 555 , note D. Robine ; ibid. 532, point de vue R. Dammann et Keyvan Malavielle ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD civ. 2021. 183, obs. C. Gijsbers ; RTD com. 2021. 194, obs. A. Martin-Serf ; v. égal., Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, D. 2020. 1357 ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers ; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf ; v. à ce sujet, D. Robine, Sûreté réelle pour autrui et procédure collective du constituant : le bénéficiaire de la sûreté n’est pas soumis à la discipline collective, D. 2021. 555 ). Il est en revanche plus rare que les parties s’entendent clairement pour conclure un cautionnement venant s’ajouter à la sûreté réelle (v. en ce sens, L. Aynès et P. Crocq, avec le concours d’A. Aynès, Droit des sûretés, 14e éd., LGDJ, 2020, n° 65 : « plus rarement, les parties entendent constituer une sûreté réelle pour autrui et un cautionnement » ; v. cependant, Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 01-17.431, D. 2004. 3135, et les obs. ). Cette figure est pourtant intéressante pour le créancier, dans la mesure où, « si le cautionnement se révèle inefficace pour une cause propre (ex. violation d’une règle de formation ou bénéfice de subrogation), demeurera en principe la sûreté réelle » (L. Aynès et P. Crocq, avec le concours d’A. Aynès, op. cit.). On prêtera donc une attention particulière à un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2021. En l’espèce, une banque avait consenti à deux sociétés des crédits ainsi que diverses facilités de caisse et lignes d’escompte. Le gérant de ces sociétés, ainsi qu’une autre personne, se sont rendus cautions solidaires desdites sociétés et ont affecté hypothécairement en garantie un bien immobilier leur appartenant. Les sociétés débitrices ayant été mises en liquidation judiciaire, la banque a fait délivrer aux garants un commandement de saisie immobilière, puis les a assignés pour l’audience d’orientation. Ceux-ci ont alors élevé plusieurs contestations, notamment en invoquant le manquement de la banque à son obligation d’information annuelle des cautions relative au montant de la dette, prévue par l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, et en demandant, en conséquence, que les paiements effectués par la société débitrice principale...

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Estimant qu’un article publié le 15 mars 2017 par M. L. sur son blog et sur son profil Facebook intitulé « La promotion de l’islamiste I. : France 2 récidive » présentait un caractère diffamatoire à son égard, M. I. a assigné celui-ci aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice. En cause d’appel, le défendeur à l’action, M. L., a soulevé la prescription mais la cour d’appel (Douai, 9 janv. 2020) a rejeté sa demande. Pour ce faire, elle a retenu que par la notification de ses propres conclusions dans le cadre de son appel, il avait interrompu le cours de la prescription qui n’était dès lors pas acquise.

Dans son pourvoi, M. L. invoquait la violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme et 65 de la loi sur la liberté de la presse, estimant que l’interruption de la prescription en cours d’instance ne pouvait résulter que d’un acte de procédure émanant du demandeur à l’action et manifestant son intention de continuer cette dernière et que n’était donc pas interruptive la notification de conclusions par...

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Seule la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais pour conclure de sorte que la convocation à une réunion d’information n’est pas interruptive du délai pour conclure prévu par l’article 908 du code de procédure civile et sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel.

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Auteur d'origine: laffly

Dalloz actualité publie l’avant-projet de loi relatif à l’enfance, actuellement à l’étude au Conseil d’État. Le texte, présenté au conseil des ministres du 16 juin, prévoit de renforcer la protection de l’enfance, en interdisant l’hébergement à l’hôtel. Mais il contient des dispositions plus répressives sur les mineurs étrangers isolés ou le refus de procéder à un prélèvement signalétique.

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Auteur d'origine: Bley

L’assemblée générale d’une cour d’appel ne peut pas se fonder sur les mentions figurant au bulletin n° 1 du casier judiciaire pour apprécier la probité d’un candidat à l’inscription sur une liste d’experts.

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Auteur d'origine: fmelin

Les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire. La connaissance avérée du jugement par le débiteur ne dispense pas le créancier de notifier la décision avant d’engager une procédure d’exécution forcée.

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Auteur d'origine: Dargent

La promesse unilatérale de vente énonçant les conditions auxquelles la vente aurait lieu en cas de levée de l’option par le bénéficiaire, le droit à commission de l’agent immobilier étant conventionnellement prévu, il s’imposait donc à la commune.

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Une convention d’honoraires prévoyant le montant de l’honoraire de diligence de l’avocat peut recevoir application lorsqu’elle a prévu les modalités de cette rémunération en cas de dessaisissement avant qu’il ait été mis fin à l’instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable.

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Un arrêt du 26 mai 2021 de la première chambre civile relance le débat sur l’office du juge face aux règles de conflit de lois.

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Auteur d'origine: fmelin

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de l’article 910-2 du code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle l’exigence du caractère interruptif des délais pour conclure en cas de médiation. Le 29 juin 2018, un salarié relève appel d’un jugement du conseil des prud’hommes l’ayant débouté de ses demandes relatives à la requalification en contrat de travail du contrat de location non exclusive de véhicule avec chauffeur le liant à son employeur. Constatant que l’appelant n’avait pas remis ses conclusions dans le délai de trois mois de l’article 908 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles, selon ordonnance du 8 novembre 2018, prononce la caducité de la déclaration d’appel, laquelle est confirmée sur déféré par la cour d’appel. Demandeur au pourvoi, l’appelant reprochait à la cour de Versailles d’avoir retenu la sanction de caducité alors que la décision de la cour qui lui avait été notifiée « de retenir son affaire pour faire l’objet d’un envoi en médiation, c’est-à-dire pour ordonner une médiation, interrompait les délais pour conclure ». Rejetant le pourvoi, la deuxième chambre civile apporte la réponse suivante :

« 4. Selon l’article 910-2 du code de procédure civile, la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’article 131-6 du même code précise que cette décision mentionne l’accord des parties, désigne le médiateur et la durée initiale de sa mission, indique la date à laquelle l’affaire sera rappelée à l’audience, fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur et désigne la ou les parties qui consigneront la provision dans le délai imparti.

5. Ayant relevé que les parties avaient été convoquées à une réunion d’information sur la médiation et qu’il n’était pas démontré qu’elles s’étaient accordées sur la nécessité de poursuivre la médiation à l’issue de cette réunion d’information, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui a retenu que seule la décision d’ordonner une médiation interrompait les délais pour conclure, en a déduit que cette simple convocation à une réunion d’information n’avait pu interrompre le délai pour conclure prévu par l’article 908 du code de procédure civile et sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel ».

Il est suffisamment rare qu’une question de procédure d’appel posée à la Cour de cassation soit aussi simple que la réponse qu’elle apporte pour ne pas le souligner. À la question, est-ce que la convocation à une réunion d’information à la médiation est interruptive des délais pour conclure, la réponse est bien évidemment non.

Plutôt que de proposer des médiations en cours de procédure, les cours d’appel se sont attelées récemment, avec des impulsions différentes selon les présidents de chambre, à inviter les parties à des réunions d’information afin d’exposer les intérêts de la médiation. Pendant longtemps, la médiation n’était pas interruptive des délais pour conclure en appel, ce qui amenait certaines cours à la proposer aux parties en fin de procédure, une fois l’ensemble des délais pour conclure expirés. Si l’appelant et l’intimé avaient déjà conclu dans leurs délais respectifs, ils avaient aussi largement déclenché les hostilités, et il faut reconnaître que comme promotion de la médiation, de la restauration du dialogue et de la pacification des conflits, il y avait mieux ; sans même évoquer le peu d’écho d’une telle mesure chez des parties qui s’étaient dit tout ce qu’elles avaient à se dire. Sur ce point, la réforme de 2017 de la procédure d’appel apporta un changement de paradigme afin d’envisager la médiation sous un autre angle et, si possible, dès l’ouverture du dossier en appel afin de préserver ses chances d’aboutir. Depuis lors, les parties sont souvent convoquées, de manière plus ou moins coercitive et plus ou moins personnalisée selon les pratiques des chambres, à des réunions de présentation exposant les mérites de la médiation.

Mais, bien évidemment, on aura à l’esprit, lorsque l’on connaît le peu de fantaisie rédactionnelle des articles 901 et suivants du code de procédure civile, que seule l’ordonnance qui désigne le médiateur, et rien d’autre, est interruptive des délais, et des délais pour conclure. Il suffit de lire l’article 910-2, instauré par l’article 22 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, pour s’en convaincre :

« La décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ». Quant à l’article 131-6, il dispose que « la décision qui ordonne une médiation mentionne l’accord des parties, désigne le médiateur et la durée initiale de sa mission et indique la date à laquelle l’affaire sera rappelée à l’audience.

Elle fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur à un niveau aussi proche que possible de la rémunération prévisible et désigne la ou les parties qui consigneront la provision dans le délai imparti ; si plusieurs parties sont désignées, la décision indique dans quelle proportion chacune des parties devra consigner.

La décision, à défaut de consignation, est caduque et l’instance se poursuit ».

Il était constant, en l’espèce, qu’aucune ordonnance de médiation n’était intervenue, les parties ayant seulement reçu une convocation à une réunion et la cour d’appel avait bien observé qu’« il n’est pas démontré d’accord des parties sur la nécessité de poursuivre la médiation à l’issue de la réunion d’information du 11 septembre 2018 », élément repris dans sa solution par la Cour de cassation. Cependant, lier le fait que « les parties avaient été convoquées à une réunion d’information sur la médiation » avec le constat « qu’il n’était pas démontré qu’elles s’étaient accordées sur la nécessité de poursuivre la médiation à l’issue de cette réunion d’information » pourrait paraître ambigu, comme si cette dernière assertion pouvait être un cas d’interruption. Car l’on s’empressera d’ajouter qu’un accord des parties à poursuivre une médiation n’est pas plus interruptif qu’une réunion d’information, seule l’ordonnance de médiation étant interruptive selon les termes, clairs, de l’article 910-2, sauf à ce que l’ordonnance elle-même constate cet accord… L’équivoque provient peut-être de là puisque l’article 131-6 mentionne notamment que « la décision qui ordonne une médiation mentionne l’accord des parties ». L’accord des parties et l’ordonnance ici se confondent. En effet, toutes réunions d’information, tentatives de mise en place d’une médiation ou pourparlers transactionnels ne sont bien évidemment pas interruptifs des délais des articles 908 et suivants, prévus à peine de caducité ou d’irrecevabilité. C’est le texte : « La décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure. » Il s’agit bien enfin d’une interruption des délais pour conclure et non d’une suspension, ce qui a encore l’immense mérite de faciliter le calcul des délais, à la différence des conclusions de radiation notifiées par l’intimé qui constituent l’autre apport du décret du 6 mai 2017 (C. pr. civ., art. 524 nouv.) en termes de « pause procédurale » puisque le délai pour conclure est alors suspendu, et encore uniquement pour l’intimé concerné.

On ne pourra pas reprocher, cette fois, à un texte issu des décrets Magendie ou du décret du 6 mai 2017, d’être mal rédigé ou insuffisamment clair – on l’a dit assez souvent – et la réponse de la Cour de cassation ne pouvait être différente tant il n’y avait pas lieu à interprétation. Rien à dire et tout est dit. Mais mesurons immédiatement le propos car, si la première phrase de l’article 910-2 est limpide, la suivante est plus aventureuse : « L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur. » Plus que le point de départ du délai d’interruption, c’est donc la date à laquelle les délais recommenceront à courir qui devrait s’avérer problématique. La date d’expiration de la mission du médiateur pourrait faire débat lorsque l’on sait que la durée initiale de la médiation est de trois mois, renouvelable une fois pour cette même durée, que le médiateur doit établir un constat de l’accord mais aussi qu’il doit informer par écrit le juge « à l’expiration de sa mission » de ce que les parties sont parvenues, ou non, à une solution au conflit qui les oppose, qu’une caducité peut intervenir à défaut de consignation de la provision, que le juge peut mettre fin, à tout moment, à la médiation, à la demande d’une partie, du médiateur, voire d’office si son déroulement est compromis. Si la deuxième chambre civile a rendu un arrêt publié pour dire que seule l’ordonnance était interruptive des délais pour conclure, gageons qu’il pourrait y en avoir un autre pour dire à quelle date, exacte, ils recommencent à courir.

340 000 jeunes sont suivis par l’aide sociale à l’enfance. Pourtant, comme l’avait noté une mission d’information de l’Assemblée, les enfants placés connaissent ensuite d’importantes difficultés. Ainsi 30 % des utilisateurs de services d’hébergement temporaire sont des anciens de l’ASE. La gouvernance est complexe, avec de nombreux dysfonctionnements (jeunes placés en hôtel). L’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés ces dernières années (environ 16 000 par an), a également montré les limites du système.

Le projet de loi porté par le secrétaire d’État Adrien Taquet veut répondre à ces différents enjeux. L’avant projet rectifié, qui fait dix-neuf articles et que nous publions aujourd’hui, est actuellement étudié par le Conseil d’État. Il est donc susceptible d’évoluer.

Améliorer la protection de l’enfance

Proposition phare, l’article 3 interdit le placements de mineurs dans des hôtels ou structures touristiques. Un rapport de l’IGAS, éloquent, dénonçait cette situation (v. not. les annexes p. 191 et 213), qui s’est développée ces dernières années. Les départements auraient payé pour 250 millions d’euros de nuitées hôtelières en 2018. 95 % des enfants placés à l’hôtel étaient des mineurs non accompagnés. À titre exceptionnel, en cas d’urgence, le recours à ces structures resterait possible pour une durée de deux mois.

Pour éviter que les nuits d’hôtel soient remplacées par des structures low-costs, l’article 13 prévoit qu’un décret définira les normes et les critères d’encadrement dans les établissements de l’aide sociale à l’enfance. Le gouvernement souhaite également harmoniser le traitement des situations de danger pour les enfants.

Sauf urgence, l’article 2 prévoit qu’un placement ne pourra être ordonné que si les services ont étudié la possibilité d’un accueil par un membre de la famille ou un tiers de confiance. Par ailleurs, pour faciliter la vie quotidienne le juge pourra permettre au gardien de l’enfant d’exercer certains actes déterminés relevant de l’autorité parentale.

L’article 7 permettra au juge des enfants de renvoyer une affaire en matière d’assistance éducative, devant une formation collégiale.

Mineurs non accompagnés : renforcer le contrôle

L’article 16 prévoit le recours obligatoire au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité. Le gouvernement veut contraindre les départements à utiliser ce fichier, afin d’éviter que la situation d’une personne soit évaluée successivement par plusieurs départements. Un refus du département entraînera le retrait de la contribution forfaitaire de l’État. De nombreuses associations, ainsi que le Défenseur des droits, ont, à de multiple reprises, contesté ce fichier « tourné vers la gestion des flux migratoires, la lutte contre le nomadisme administratif et la fraude documentaire, au mépris des droits et de l’intérêt supérieur des enfants ». Par ailleurs, la clé de répartition des mineurs non accompagnés entre les départements va être modifiée pour mieux prendre en compte leur situation socio-économique ainsi que leur action en faveur des contrats jeunes majeurs.

Autre disposition répressive : l’article 17 permettra de garder à la disposition de la justice des prévenus présentés devant une juridiction incompétente du fait d’une erreur sur leur âge. La comparution devra avoir lieu dans un délai de vingt-quatre heures, sauf si elle doit intervenir dans un autre tribunal judiciaire : dans ce cas, la personne pourra être retenue jusqu’à cinq jours.

L’article 18 déborde très largement de la question des mineurs, puisqu’il concerne l’identification de toute personne suspectée d’une infraction. Actuellement, le refus de procéder à un relevé signalétique (empreintes digitales, palmaires ou photographies) est un délit pénal. Si la personne est suspectée d’avoir commis une infraction passible d’au moins trois ans de prison, le relevé pourra dorénavant être fait sans son consentement, sur autorisation du procureur.

Appuyer les assistants familiaux et les collectivités

La condition des assistants familiaux, qui accueillent chez eux la moitié des enfants placés, sera améliorée. L’article 9 leur garantira une rémunération mensuelle au moins égale au SMIC. Une rémunération minimale est également prévue si l’employeur public leur confie moins d’enfants que prévu. Par ailleurs, une rémunération sera maintenue en cas de suspension d’agrément (pour quatre mois). Pour mieux suivre les éventuels retraits d’agrément, une base nationale sera créée.

Un nouveau groupement d’intérêt public appuiera l’État et les conseils départementaux dans la définition et la mise en œuvre de la politique d’accès aux origines personnelles, d’adoption nationale et internationale d’accès aux origines personnelles. Il reprend notamment les compétences de l’agence française de l’adoption, du GIP Enfance en danger et de l’observatoire national de l’enfance en danger. Le Conseil national de la protection de l’enfance est refondu.

Actuellement, s’agissant de la PMI, les départements doivent garantir des normes de personnel et d’activité. Cette logique de moyen est remplacée par une logique d’objectifs. La santé maternelle et infantile fera l’objet d’orientations stratégiques annuelles. À noter, au conseil national d’évaluation des normes, les représentants des collectivités ont regretté qu’aucune disposition du pré-projet ne porte sur la santé scolaire et la pédopsychiatrie « exsangue ».

L’article 1 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires dispose qu’il est dressé chaque année une liste par cour d’appel sur laquelle sont inscrits les experts désignés tant en matière civile qu’en matière pénale.

L’article 2 du même décret énonce les conditions devant être remplies par toute personne physique souhaitant être inscrite sur cette liste. Il ne faut pas, notamment, avoir été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs (sur ce, Rép. pr. civ., v° Mesures d’instruction confiées à un technicien – Généralités – Définitions et principes généraux, par M. Redon, spéc. n° 95).

La Cour de cassation est régulièrement saisie de l’appréciation de décisions d’assemblée générale des magistrats du siège de cours d’appel en ce domaine.

Par exemple, un arrêt de la deuxième chambre civile du 27 septembre 2018 (n° 18-60.017) a annulé une décision d’une assemblée générale d’une cour d’appel qui avait refusé l’inscription d’un candidat car il était l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs, sans toutefois avoir précisé quels faits lui étaient reprochés.

Un arrêt de la deuxième chambre du 28 juin 2018 (n°...

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En l’espèce, une saisie-attribution est pratiquée contre un débiteur sur le fondement d’un jugement de divorce. Le débiteur sollicitait la nullité de cette saisie aux motifs que le jugement de divorce ne lui avait pas été notifié. La cour d’appel avait rejeté cette demande en relevant que le débiteur ne contestait pas avoir eu connaissance du jugement contradictoire dont il avait interjeté appel avant de se désister de cet appel. Saisie d’un pourvoi du débiteur, la Cour de cassation devait trancher la question de savoir s’il est nécessaire pour le créancier de notifier la décision servant de titre exécutoire à son débiteur lorsqu’il est avéré que le débiteur a eu connaissance du jugement.

La Cour de cassation répond par l’affirmative et casse cette décision au visa de l’article 503 du code de procédure civile : « en se déterminant ainsi, sans rechercher si la décision servant de fondement aux poursuites avait été préalablement notifiée à M. [Z], la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». Pour rappel, le texte visé dispose que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire. En cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »

L’arrêt sous commentaire contribue à l’exégèse de cette disposition. Il réaffirme ainsi le rejet de toute équivalence entre la connaissance du jugement et la notification exigée. Il donne également l’occasion de s’interroger, sans répondre, sur l’équivalence entre l’acquiescement au jugement et l’exécution volontaire visée au texte.

Connaissance du jugement et notification

La notification est appréhendée comme un moyen de favoriser la connaissance des actes du procès (C. pr. civ., art. 651 ; v. spéc. S. Jobert, L’organisation de la connaissance des actes du procès civil. Étude sur un modèle en mutation, LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », t. 593, 2019, n° 38). La cour d’appel avait cru pouvoir considérer que comme le débiteur avait bien eu connaissance du jugement, cette connaissance rendait la notification superfétatoire. À quoi bon porter un acte à la connaissance d’une personne qui le connaît déjà ? Le raisonnement semble porter la marque du bon sens, mais il est justement rejeté en droit positif.

L’équivalence entre connaissance et notification est, d’abord, rejetée en procédure civile. Il est usuel que la jurisprudence fasse montre de rigueur dans la sanction de l’omission d’une notification, et ce quand bien même la connaissance de l’acte serait avérée. Tel est le cas pour apprécier si un délai de recours a couru : si le jugement n’est pas signifié, le délai ne court pas, peu important que la partie à qui l’expiration du délai est opposée ait précédemment interjeté appel du jugement en joignant la copie de la décision qui attestait de sa connaissance du jugement (Com. 12 janv. 2010, n° 08-21.032). S’il en va ainsi, c’est, comme l’explique le professeur Sylvain Jobert dans sa thèse de doctorat, essentiellement pour des raisons pratiques : lorsque la partie a connaissance de l’acte sans qu’il soit notifié, « la partie peut de bonne foi considérer qu’aucune conséquence juridique n’est attachée à cette connaissance » ; décider le contraire serait ouvrir la voie à « un contentieux de la connaissance des actes du procès civil particulièrement difficile à résoudre » (S. Jobert, op. cit., nos 904 s.). La position de la Cour de cassation favorise la sécurité juridique en évitant que l’application des règles de procédure ne devienne casuelle et aléatoire. Dès lors que les exigences procédurales sont clairement formulées, qu’elles poursuivent un but légitime, que la sanction qui les assortit n’est pas disproportionnée, les parties peuvent et doivent s’attendre à ce que les règles de procédure soient appliquées (comp. CEDH 25 janv. 2000, n° 38366/97, Miragall Escolano et autres c/ Espagne, § 33, RFDA 2001. 1250,...

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À la lecture du contentieux, la pratique semble courante pour les communes de tenter d’échapper au paiement de la commission de l’intermédiaire immobilier lorsqu’elles exercent leur droit de préemption (dernièrement, Civ. 3e, 9 juill. 2020, n° 19-19.310 F-D). Certes l’on songe au caractère public des deniers, certes l’agent immobilier n’intervient pas directement au bénéfice de la commune, mais la Cour de cassation nous enseigne que ces arguments ne sauraient suffire à faire flancher à la fois le principe de la force obligatoire des contrats – C. civ., art. 1103 – et le principe légal de rétribution de l’intermédiaire immobilier lorsque l’opération a été effectivement conclue et constatée (L. n° 70-9 du 2 janv. 1970 dite « loi Hoguet », art. 6 ; Décr. n° 72-678 du 20 juill. 1972, art. 73 ; sur ce dernier critère, Civ. 3e, 9 juill. 2014, n° 13-19.061, D. 2014. 1591, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2015. 139 , obs. M. Thioye ).

En revanche, et c’est tout l’intérêt de l’arrêt présenté, l’argumentation de la commune en l’espèce, pour tenter d’échapper à la rétribution de l’agent immobilier, était nouvelle et avait convaincu les juges de la cour d’appel de Toulouse.

La question soumise à la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 12 mai 2021 était celle de savoir si, faute de levée de l’option par le bénéficiaire d’une promesse de vente à la date de l’exercice du droit de préemption par la commune, et partant faute de substitution à l’acquéreur, la commission était néanmoins due à l’intermédiaire immobilier ayant préalablement conclu un mandat en vue de vendre avec le promettant. L’interrogation était légitime, tant il est devenu courant d’analyser le droit de préemption comme un droit de substitution (Civ. 1re, 24 janv. 2006, n° 02-18.746, AJDA 2006. 679 ; AJDI 2006. 484 , obs. M. Thioye ; RDI 2006. 321, obs. P. Soler-Couteaux ).

Décision de principe

Pour y répondre, la Cour de cassation a rendu une décision de principe, au visa de la combinaison des articles 1134, alinéa 1er, ancien du code civil, L. 213-2, alinéa 1er, du code de l’urbanisme et 6, I, alinéa 3, ancien de la loi du 2 janvier 1970.

Dans un premier temps, elle rappelle que « lorsqu’il exerce son droit, le titulaire du droit de préemption, au profit duquel la vente a été effectivement conclue, est tenu de prendre en charge la rémunération de l’intermédiaire incombant à l’acquéreur pressenti, auquel il est substitué, dès lors que le montant de la commission et la partie qui en est tenue sont mentionnés dans l’engagement des parties et dans la déclaration d’intention d’aliéner » (v. déjà en ce sens, Civ. 1re, 9 mars 1999, n° 96-21.259, Bull. civ. I, n° 79...

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La liberté contractuelle permet d’anticiper un certain nombre de complications, y compris en ce qui concerne les honoraires de l’avocat, comme en témoigne un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 27 mai 2021. En l’espèce, M. H… a confié, courant 2016, la défense de ses intérêts à une société d’avocats avant de saisir le bâtonnier de l’ordre des avocats d’une demande de fixation de ses honoraires. Le premier président de la cour d’appel de Bordeaux a décidé, le 17 septembre 2019, d’inviter l’avocat à restituer à son client la somme de 7 093,18 €, après avoir fixé, au regard des seuls critères prévus par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, l’honoraire dû par M. H…, en retenant que l’avocat a été dessaisi avant le terme de sa mission et qu’il ne peut donc se prévaloir de la convention régularisée par les parties. L’avocat se pourvut donc en cassation, à juste titre puisque la Cour de cassation censure la décision du magistrat bordelais au visa des articles 1134, devenu 1103 du code civil, et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa version applicable au litige. Les hauts magistrats considèrent qu’« il résulte de la combinaison de ces textes qu’une convention d’honoraires prévoyant le montant de l’honoraire de diligence de l’avocat peut recevoir application lorsqu’elle a prévu les modalités de cette rémunération en cas de dessaisissement avant qu’il ait été mis fin à l’instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable » (pt 9). En conséquence, ils décident qu’« en statuant ainsi, alors que le dessaisissement de l’avocat ne rendait pas inapplicable la convention qui avait organisé les modalités de paiement de l’honoraire de diligence dans cette hypothèse, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 11).

La solution est parfaitement justifiée : il est vrai que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’en cas de dessaisissement de l’avocat avant que l’instance ait pris fin par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable (sur la différence entre une décision irrévocable et une décision définitive, v. Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-15.893, RTD civ. 2004. 775, obs. R. Perrot ), l’honoraire devait être fixé en fonction des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (sur ces critères, v. K. Magnier-Merran, Pour un renouveau des usages de la profession d’avocat, Dr. et patr., sept. 2017, p. 62), et ce tant en présence d’un honoraire de diligence (v. par ex. Civ. 2e, 19 nov. 2008, n° 07-20.060, Dalloz actualité, 28 nov. 2008, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2008. 3017, obs. V. Avena-Robardet ; 5 févr. 2009, n° 06-17.806, D. 2009. 2704, obs. B. Blanchard  ; 13 juin 2013, n° 09-14.465 ; 10 déc. 2015, n° 14-29.871, Dalloz actualité, 11 déc. 2015, obs. A. Portmann ; D. 2016. 19 ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; D. avocats 2016. 25, obs. G. Deharo ; RTD civ. 2016. 143, obs. P.-Y. Gautier ) que d’un honoraire de résultat (v. par ex. Civ. 2e, 7 févr. 2019, n° 18-10.767, Dalloz actualité, 14 févr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; ). Il y a là une parfaite illustration des « dangers du dessaisissement » (v. à ce sujet S. Grayot-Dirx, Honoraires de l’avocat : des leçons à tirer du contentieux, JCP 2019. 364). Mais il n’en demeure pas moins que les parties sont tout à fait libres de fixer le montant ainsi que les modalités de l’honoraire de diligence dans l’hypothèse du dessaisissement de l’avocat (v. en ce sens H. Ader, A. Damien, T. Wickers, S. Bortoluzzi et D. Piau, Règles de la profession d’avocat, Dalloz action, 2018-2019, n° 713.185). Tel était bien le cas en l’occurrence puisque la convention d’honoraires signée le 27 avril 2016 entre les parties prévoyait un article 9 selon lequel, en cas de dessaisissement, M. H… « s’engage à régler, sans délai, les honoraires, frais et dépens dus à l’avocat […] pour les diligences effectuées antérieurement au dessaisissement ».

Il en va d’ailleurs de même s’agissant de l’honoraire de résultat (v. en ce sens H. Ader, A. Damien, T. Wickers, S. Bortoluzzi et D. Piau, op. cit.). La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de considérer à cet égard « qu’ayant relevé que la convention d’honoraires conclue entre les parties prévoyait le versement d’un honoraire complémentaire de résultat, au prorata des démarches accomplies par rapport à la mission, dans l’hypothèse où l’avocat était dessaisi avant son achèvement, ce dont il résultait que la convention ne contrevenait à aucune prescription légale, le premier président a décidé à bon droit de faire application des dispositions librement convenues » (Civ. 2e, 10 janv. 2008, n° 06-21.566). Les avocats ont donc tout intérêt à prévoir ce type de clause afin d’éviter toute difficulté au moment de leur dessaisissement (rappr. T. Revet, J. Laurent, B. Chaffois, C. Boërio et K. Moya, Déontologie de la profession d’avocat, LGDJ, 2017, n° 774, considérant qu’« il est conseillé d’insérer une clause de dessaisissement prévoyant, d’une part, les modalités de détermination de l’honoraire de diligence en cas de dessaisissement et, d’autre part, le versement d’un honoraire de résultat »).

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Afin de percevoir la problématique soulevée par cet arrêt, il est nécessaire de revenir sur l’évolution de la position de la Cour de cassation en ce domaine depuis une quarantaine d’années.

L’évolution jurisprudentielle

Alors que l’arrêt Bisbal du 12 mai 1959 avait énoncé que « les règles françaises de conflit de lois, en tant du moins qu’elles prescrivent l’application d’une loi étrangère, n’ont pas un caractère d’ordre public, en ce qu’il appartient aux parties d’en réclamer l’application », la Cour de cassation a imposé, par deux arrêts de revirement des 11 et 18 octobre 1988, l’application d’office des règles de conflit de lois.

Par un arrêt du 4 décembre 1990, l’office du juge a ensuite été restreint : la règle de conflit n’est devenue applicable d’office qu’en présence d’une matière dans laquelle les parties n’avaient pas la libre disposition de leurs droits ou lorsqu’elle était issue d’une convention internationale.

Enfin, un arrêt du 26 mai 1999 a imposé une distinction fondée sur la seule nature des droits litigieux : le juge doit appliquer d’office la règle de conflit lorsque les droits litigieux sont indisponibles, alors que s’ils sont disponibles, il a une simple faculté de l’appliquer, à moins qu’il ne soit saisi d’une demande de mise en œuvre d’un droit étranger par une partie, auquel cas il lui incombe de rechercher la loi compétente (sur l’ensemble de cette évolution, v. Rép. internat., v° Loi étrangère : autorité de la règle de conflit de lois, par A. Frignati et H. Muir Watt, nos 19 s.).

Depuis cet arrêt du 26 mai 1999, la jurisprudence a connu une période de stabilité, le critère de la disponibilité ou de l’indisponibilité des droits litigieux étant désormais bien établi.

Toutefois, l’arrêt du 26 mai 2021 consacre une solution nouvelle.

L’affaire

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu, dans une affaire qui opposait, notamment, des sociétés françaises et égyptiennes, que certaines de ces sociétés avaient commis, au regard du droit français, des actes de parasitisme et de concurrence déloyale en Égypte.

L’application du droit français était critiquée par le pourvoi, qui reprochait notamment à ces juges de ne pas avoir recherché si le droit égyptien était ou non applicable sur le fondement de l’article 6 du règlement Rome II n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.

Rappelons que cet article 6 dispose que « 1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être. 2. Lorsqu’un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé, l’article 4 est applicable. […] 4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l’article 14 ».

Le pourvoi posait ainsi la question de l’étendue de l’office du juge à l’égard de cette règle de conflit de lois.

On aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit résolue sur le fondement de la jurisprudence habituelle faisant varier cet office en fonction de la nature des droits litigieux. Dans ce cadre, le critère de l’indisponibilité des droits litigieux aurait sans doute dû être retenu.

Pourtant, l’arrêt du 26 mai 2021 ne retient pas cette approche et envisage la difficulté sous l’angle de l’origine européenne de l’article 6.

La problématique

Il est vrai que la question de l’incidence sur l’office du juge du caractère européen de la règle de conflit applicable retient l’attention de la doctrine depuis l’apparition, dans les années 2000, des règlements européens concernant le droit international privé.

En effet, les règlements contenant des règles de conflit de lois ne définissent pas l’office du juge national quant à l’application de ces règles et il est admis qu’il appartient à chaque État membre de déterminer cet office, ce qui peut conduire à des différences de perspectives selon le juge national saisi.

On s’est donc demandé si une règle de conflit de lois issue d’un règlement européen devrait, en tant que telle, être soumise à un régime spécifique (N. Reichling, Les principes directeurs du procès civil dans l’espace judiciaire européen, PUAM, 2020, nos 133 s. ; D. Solenik, La loi étrangère dans le contentieux judiciaire européen, thèse, Université de Lorraine, 2012, spéc. p. 391 s. ; M.-E. Buruiana, L’application de la loi étrangère en droit international privé, thèse, Université de Bordeaux, 2016, p. 218 s. ; L. Rass Masson, L’office du juge et l’origine européenne de la règle de conflit de lois, conférence à la Cour de cassation le 17 mai 2021, à paraître auprès de la Société de législation comparée).

L’arrêt du 26 mai 2021 fournit une réponse à ce débat jusqu’à présent purement doctrinal.

La solution retenue

Énoncé

Pour la première fois, cet arrêt énonce à ce sujet que, « […] si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu’il est interdit d’y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées.

Il s’agit là, en matière de règles de conflit, de la transposition, presque mot pour mot, d’un principe dégagé à propos de la responsabilité du fait des produits défectueux par un arrêt de la chambre mixte du 7 juillet 2017 (n° 15-25.651, Dalloz actualité, 18 juill. 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1800, communiqué C. cass. , note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau  ; JCP 2017. 926, note C. Quézel-Ambrunaz ; Gaz. Pal. 10 oct. 2017. 30, note N. Blanc ; RCA 2017. 250, note L. Bloch ; RJDA 2017, n° 769 ; S. Grigon, Application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. Avis, RJDA 2017. 795).

En application de ce principe, l’arrêt du 26 mai 2021 casse la décision d’appel ayant fait application du droit français sans mettre en œuvre d’office les dispositions de l’article 6.

Fondement

Ce recours à la notion d’ordre public n’est pas totalement surprenant.

D’une part, de manière générale, le professeur Marc Fallon l’a promu, il y a plus de vingt-cinq ans, comme critère d’applicabilité des règles de droit international privé communautaires (L’expérience des conflits de lois et de juridictions dans un espace économique intégré, Rec. cours Acad. La Haye, 1995, t. 253, p. 13, spéc. nos 139 et 140).

D’autre part, en ce qui concerne l’article 6 du règlement Rome II spécifiquement, le recours à la notion d’ordre public peut sans doute être expliqué par l’idée que l’article 6 concerne le droit de la concurrence, que les considérants nos 22 et 23 du préambule du règlement établissent un lien explicite entre ses dispositions et les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatifs au droit de la concurrence (D. Solenik, La loi étrangère dans le contentieux judiciaire européen, thèse, Université de Lorraine, 2012, n° 350, qui indique que l’article 6 est imprégné des objectifs du TFUE) et que la Cour de justice énonce depuis longtemps que le droit de la concurrence de l’Union doit être appliqué par le juge national même s’il n’a pas été invoqué par la partie qui avait intérêt à son application (par ex., v. CJCE 14 déc. 1995, aff. C-430/93, RTD eur. 1996. 747, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ; Europe 1996, n° 56, obs. A. Rigaux et D. Simon ; ibid. Chron. 4, G. Canivet et J.-G. Huglo ; JDI 1995, spéc. 467 s., obs. D. Simon ; v. égal. art. 3 du règl. n° 1/2003, 16 déc. 2002).

La portée de l’arrêt

Le recours à cette notion d’ordre public pose toutefois la question de la portée de l’arrêt du 26 mai 2021 au regard de l’édifice jurisprudentiel actuel, qui fait jusqu’à présent dépendre l’étendue de l’office du juge de la nature – disponible ou indisponible – des droits litigieux.

Il faut désormais considérer que l’office du juge s’apprécie à un double niveau.

Les deux niveaux de l’office du juge

Le premier niveau concerne les règles de conflit de lois d’ordre public issues du droit de l’Union européenne : le juge doit les appliquer d’office, indépendamment de la distinction des droits disponibles et indisponibles. Des problèmes de qualification vont toutefois apparaître pour déterminer si une règle est ou non d’ordre public. L’arrêt retient certes que les règles de conflit de lois auxquelles les parties ne peuvent pas déroger sont d’ordre public. Cependant, cette indication n’épuisera pas le débat, notamment en présence d’une règle insérée dans un règlement qui ne préciserait pas expressément s’il est ou non possible d’y déroger.

Le second niveau concerne les autres règles de conflit, à savoir celles qui ne sont pas de source européenne et celles qui ont cette source mais qui ne sont pas d’ordre public. Le critère de la disponibilité/indisponibilité des droits litigieux devrait alors continuer à s’imposer.

Une jurisprudence fragilisée

À moins que l’arrêt du 26 mai 2021 ne soit que l’annonce d’une reconfiguration générale du régime procédural des règles de conflit de lois et à moins que le critère de l’ordre public n’ait par la suite vocation à être étendu à toutes ces règles, la solution retenue par cet arrêt du 26 mai 2021 met ainsi en cause, en partie, la jurisprudence actuelle, qui n’est certes pas parfaite mais qui a le mérite de la stabilité. Elle la fragilise en introduisant un critère tenant à la source européenne de la règle de conflit de lois, alors pourtant que la Cour de cassation a abandonné par l’arrêt du 26 mai 1999 le critère, pourtant proche, tenant à la source conventionnelle de la règle, et ce précisément car il était difficile de faire coexister un système de solution à double niveau.

Si on peut approuver le fait que les règles de conflit de lois édictées par le droit de l’Union européenne bénéficient d’une impérativité renforcée, il n’est pas en revanche certain que la voie utilisée par l’arrêt du 26 mai 2021 soit la plus simple et la plus opportune, alors qu’il aurait sans doute été possible d’arriver, en l’espèce, à une solution identique en qualifiant le droit de la concurrence de matière indisponible et en imposant, de ce fait, l’office du juge.

Si un sort particulier devait être réservé aux règles de conflit de lois de source européenne, seule une solution franche tenant à leur application d’office par principe serait, à notre sens, satisfaisante, sans référence à la notion d’ordre public ou à celle de disponibilité ou d’indisponibilité des droits litigieux. Ce serait alors le moyen d’assurer l’effectivité du droit international privé européen et l’égalité des parties dans sa mise en œuvre (sur ces considérations, à propos des règles de conflit de lois en général, v. notre ouvrage, La connaissance de la loi étrangère par les juges du fond, PUAM, 2002, p. 187 s.).

La décision prise par le bâtonnier d’un ordre d’avocats sur une contestation en matière d’honoraires, fût-elle devenue irrévocable par suite de l’irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d’appel, ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement, de sorte qu’elle ne peut faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée qu’après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet.

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Auteur d'origine: jdpellier

L’inaccomplissement d’une charge processuelle par celui à qui elle incombe ne constitue pas en lui-même une faute et ne peut donner lieu au versement de dommages-intérêts qu’en cas d’abus.

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Auteur d'origine: Dargent

Si le FIVA bénéficie d’un recours subrogatoire, seul le paiement à la victime ou à ses ayants droit lui confère qualité pour agir à l’encontre du responsable. Toutefois, le paiement intervenu avant que le juge statue régularise la situation donnant lieu à fin de non-recevoir.

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Auteur d'origine: Dargent