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L’action oblique permet au créancier d’exercer les droits de son débiteur, lorsqu’il ne les exerce pas lui-même. Appliquée en matière de copropriété, cette action permet au syndicat des copropriétaires, dans certaines hypothèses, d’obtenir la résiliation du bail liant un copropriétaire à son locataire. C’est une des applications notables de ce mécanisme de droit commun qui permet notamment de faire définitivement cesser des atteintes au règlement de copropriété.

Avec Pierre-Édouard Lagraulet, avocat au cabinet Lagraulet Avocat, et Pierre de Plater, juriste au cabinet PDPavocat, tous deux docteurs en droit.

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Chaque année, les tribunaux traitent 400 000 injonctions de payer. Un contentieux massif, qui permet d’obtenir rapidement et à moindre coût le recouvrement d’une créance impayée.

La loi Belloubet, votée en 2019, prévoyait la création d’une juridiction nationale des injonctions de payer (JUNIP), pour dématérialiser et centraliser ce contentieux. Elle devait entrer initialement en vigueur au 1er janvier 2021 (Dalloz actualité, 29 mars 2018, obs. C. Bléry), mais avait déjà été reportée au 1er septembre 2021. L’article 35 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoyait un nouveau report à 2023. Aujourd’hui le gouvernement juge...

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Le 3 juillet 2009, le passager d’un train a été victime d’un accident causé par une collision avec une remorque agricole immobilisée sur la voie ferrée. Cet accident a causé de nombreux préjudices à la victime dont, notamment, son placement sous le régime de la tutelle.

Sa tutrice a saisi le tribunal de grande instance pour obtenir réparation de ses préjudices.

Deux arrêts ont été rendus, le 4 avril 2019 et le 26 septembre 2019 et les pourvois ont été joints devant la Cour de cassation en raison de leur connexité.

Seules les premières et deuxièmes banches du moyen sont développées par la Haute juridiction.

Dans la première branche du moyen, les demandeurs reprochent aux juges du fond de ne pas avoir respecté l’article 455 du code de procédure civile. Plus exactement, ils considèrent que la cour d’appel n’a pas évalué le préjudice de la victime en prenant en compte sa situation à la date la plus proche de l’accident. Les juges n’auraient pas analysé les dernières pièces versées au débat et ont retenu un salaire moyen de 2 840 € par mois au lieu de 3 134 € ce qui, dans le calcul de la perte de salaire, a une incidence très importante.

La Cour de cassation opère un contrôle normatif de motivation et fait droit à la demande de la victime. Elle considère, en effet, que l’arrêt ne comporte pas les motifs propres à justifier sa décision. Les juges du fond auraient donc dû analyser les nouvelles pièces communiquées par les parties afin de calculer de façon optimale le préjudice subi par la victime au regard de sa situation à la date la plus proche de l’accident.

Dans la deuxième branche du moyen, les demandeurs reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir entièrement pris en compte le préjudice lié à l’incidence professionnelle subie par la victime.

Ils rappellent que ce poste de préjudice est différent de celui compris au titre du déficit fonctionnel permanent et comprend la perte d’identité sociale ainsi que le préjudice lié au désœuvrement social qu’entraîne l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle.

La Cour de cassation vise le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime pour juger que la cour d’appel a privé sa décision de base légale. Plus précisément, la cour d’appel n’a pas pris en compte l’existence du préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail. Ce préjudice est inclus dans le poste de préjudice lié à l’incidence professionnelle et doit donc faire l’objet d’une réparation.

Concernant le premier moyen, la cassation semblait inévitable, car il est difficile de comprendre pourquoi les juges du fond n’ont pas voulu inclure les derniers bulletins de salaire afin de calculer le préjudice en toute connaissance de cause. Ils ont étudié la situation de la victime en prenant en compte les éléments versés lors du premier jugement en adoptant les motifs des premiers juges. Il est pourtant constant que le juge doit se placer au jour de la décision pour déterminer l’étendue du préjudice subi. La situation économique de la victime doit donc être analysée à la date la plus proche de l’accident. C’est l’état de la jurisprudence depuis 1942 (Cass., req., 24 mars 1942, DA 1942. 118 ; Civ. 2e, 11 oct. 2001, n° 99-16.760, D. 2001. 3093, et les obs. ; Civ. 1re, 19 nov. 2009, n° 08-19.790 ; Civ. 2e, 12 mai 2010, n° 09-12.056 NP, RCA 2010. Comm. 211, obs. H. Groutel ; Crim. 8 mars 2011, n°10-81.741, D. 2011. 1075 ; 1er mars 2011, n° 10-85.965 ; 20 nov. 2012, n° 12-80.93 ; 13 nov. 2013, n° 12-84.838, D. 2013. 2695 ; RCA 2014. Comm. 44, obs. C. Corgas-Bernard ; 12 sept. 2018, n° 17-82.122 NP, D. 2018. 2217 , note A. Dejean de la Bâtie ; ibid. 2019. 1858, obs. C. Mascala ; RTD com. 2018. 1045, obs. L. Saenko , citées in P. le Tourneau [dir.],...

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La Cour de cassation profite du contentieux de l’hospitalisation sans consentement pour rappeler la possibilité de présenter en tout état de cause une exception de nullité pour vice de fond ou une fin de non-recevoir contrairement à une exception de procédure invocable seulement in limine litis.

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(Original publié par chelaine)

Le juge de l’expropriation est une juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire, de sorte que les règles de la postulation ne s’y appliquent pas. En revanche, les règles de postulation prévues à l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 s’appliquent devant la cour d’appel statuant en matière d’expropriation à toutes les parties, y compris lorsqu’ils choisissent d’être représentés par un avocat, à l’État, aux régions, aux départements, aux communes et à leurs établissements publics.

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(Original publié par Dargent)

Les honoraires d’avocats proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires doivent être autorisés par le juge des tutelles conformément à l’annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 classifiant une telle convention comme acte de disposition.

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(Original publié par chelaine)

Le règlement Bruxelles I bis est applicable à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre dont le manquement à son devoir de révélation a entraîné l’annulation d’une sentence arbitrale internationale par le juge français du siège et désigne comme for compétent pour en connaître le lieu de réalisation effective de la prestation intellectuelle de l’arbitre et non le siège de l’arbitrage.

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(Original publié par Dargent)

Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les dispositions du code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions.

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(Original publié par jdpellier)

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de mise sous séquestre d’une peinture de Camille Pissarro spoliée en France par les nazis à un collectionneur juif. Ses héritiers, en litige avec la Fondation de l’Université de l’Oklahoma, souhaitent en faire don au Musée d’Orsay.

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(Original publié par Dargent)

Un privilège ne peut être mis en œuvre s’il porte sur un bien commun exclu du droit de gage général du créancier. Pour n’avoir pas sollicité le consentement du conjoint de l’emprunteur et ainsi rendu le privilège du prêteur inefficace, un notaire a engagé sa responsabilité professionnelle.

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(Original publié par mcottet)

La bonne foi au sens de l’article 555 du code civil s’entend par référence à l’article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices. 

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(Original publié par CAYOL)
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Si les procédures judiciaires de soins sans consentement restent assujetties à la procédure civile de droit commun conformément à l’article R. 3211-7 du code de la santé publique, elles n’en demeurent pas moins un laboratoire topique pour observer des distinctions classiques du droit judiciaire privé. Ainsi, nous commentons régulièrement dans ces colonnes les arrêts s’intéressant à la possibilité de soulever des moyens de défense dans l’instance tendant au renouvellement de la mesure devant le juge des libertés et de la détention (Civ. 1re, 19 déc. 2019, n° 19-22.946, Dalloz actualité, 27 janv. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 22 ; 4 mars 2020, n° 19-14.269, Dalloz actualité, 13 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 605 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ). Pour l’heure, la Cour de cassation avait surtout distingué le domaine des exceptions de procédure et de la défense au fond dans ces contentieux ; distinction extrêmement classique, bien que parfois subtile (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p.  283, n° 363). La question dépasse évidemment les enjeux théoriques puisque, si les exceptions de procédure s’invoquent in limine litis, les défenses au fond peuvent l’être en tout état de cause. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 mai 2021 prolonge le questionnement en s’intéressant à la possibilité d’invoquer en tout état de cause la nullité pour vice de fond et la fin de non-recevoir.

Les faits sont classiques en la matière : une personne sous curatelle est admise en soins psychiatriques sans consentement à la demande de sa mère par décision du directeur d’un établissement de soins sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. Ce dernier a ensuite saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1. Deux problèmes se posent toutefois : le premier concerne l’absence de convocation du curateur à l’audience tandis que le second est un défaut dans la signature de la requête introductive. Un appel de l’ordonnance du JLD statuant en première instance est interjeté. Le premier président de la Cour d’appel de Paris déclare irrecevable le moyen titré de l’absence de convocation du curateur de l’intéressé à l’audience du JLD car ledit moyen n’aurait pas été invoqué in limine litis. Est également déclaré irrecevable en appel le moyen tiré du défaut de qualité du signataire dans la requête introductive. Là encore, l’ordonnance retient qu’il fallait l’invoquer in limine litis. L’article 74 du code de procédure civile était donc au cœur de l’argumentation de cette ordonnance du premier président pour ordonner la poursuite de la mesure d’hospitalisation sous contrainte.

La personne sous curatelle se pourvoit en cassation. Mais c’est par deux moyens relevés d’office que la cassation intervient pour violation de la loi : le premier pour la convocation du curateur, le second pour la qualité du signataire dans la requête. Analysons-les l’un après l’autre pour comprendre les enjeux de ce problème de pure procédure civile. À titre de précision, la cassation intervient sans renvoi puisque les délais pour statuer sur la mesure ont expiré entre temps. 

L’absence de convocation du curateur, une nullité pour vice de fond

L’entrecroisement entre l’hospitalisation sans consentement et le droit des majeurs vulnérables est assez régulier. Les dispositions du code de la santé publique dans cette optique sont ainsi fréquemment l’occasion d’une cassation pour violation de la loi et l’arrêt du 12 mai 2021 n’échappe pas à cette tendance. La Cour de cassation rappelle donc que « l’omission de convocation du curateur constitue une nullité pour irrégularité de fond, qui peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel ». Cette irrégularité de fond se distingue ainsi d’une nullité pour vice de forme de l’article 74 du code de procédure civile cité dans l’ordonnance entreprise. Comme le disent certains auteurs « ce n’est pas l’instrumentum qui est affecté, mais la qualité de la manifestation de volonté émise par le plaideur ou par son représentant » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Montchrestien », 2019, p. 189, n° 220). En ne convoquant pas le curateur, c’est toute la procédure de renouvellement de la mesure qui est donc menacée par ce vice de fond.

La cassation s’adosse logiquement à l’article R. 3211-13 du code de la santé publique qui prévoit que le greffier doit convoquer « la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques par l’intermédiaire du chef d’établissement lorsqu’elle y est hospitalisée, son avocat dès sa désignation et, s’il y a lieu, son tuteur, son curateur ou ses représentants légaux » (nous soulignons). Ainsi, le raisonnement fondé sur le caractère in limine litis de l’exception de procédure (une exception de nullité pour vice de forme en l’occurrence) était condamné puisque la curatelle rendait nécessaire la convocation du curateur. Il ne pouvait donc pas s’agir d’un vice de forme mais seulement d’un vice de fond. L’entrecroisement entre les matières apporte donc une utile précision qui pourra être réutilisée dans d’autres contentieux à l’avenir. 

L’article 118 du code de procédure civile indique, en effet, que les exceptions de nullité fondées sur une irrégularité de fond de l’acte de procédure peuvent être invoquées en tout état de cause ; ce qui constitue une des « véritables dérogations » de l’article 74 du code de procédure civile (Rép. pr. civ., v° Défenses, exceptions, fins de non-recevoir, par I. Pétel-Teyssié, n° 82). Cette dérogation fait d’ailleurs ressembler la nullité pour vice de fond à une irrecevabilité plus qu’à la nullité pour vice de forme (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2020, p. 407, n° 439). La personne qui tarderait dans un esprit dilatoire à soulever l’exception de procédure pour nullité de fond s’exposerait à des dommages-intérêts comme le rappelle régulièrement la doctrine.

Prudence donc en présence d’une curatelle : l’absence de convocation du curateur peut conduire à une exception de procédure désarçonnant toute l’hospitalisation sans consentement engagée, et ce en tout état de cause.

Le défaut de qualité du signataire de la requête comme fin de non-recevoir

Cette fois-ci, c’est sur le terrain de la fin de non-recevoir que s’axe la Cour de cassation pour retenir une cassation pour violation de la loi. On sait que ces dernières peuvent être invoquées en tout état de cause par le jeu de l’article 123 du code de procédure civile. Les articles L. 3211-12-1, I, R. 3211-7 et R. 3211-10 du code de la santé publique imposent en la matière que la requête qui saisit le juge des libertés et de la détention soit signée du directeur d’établissement ou du représentant de l’État dans le département (la plupart du temps, le préfet). La signature posait, en l’espèce, problème pour cette raison sans plus de précisions dans l’arrêt commenté. La solution donnée est limpide : le défaut de qualité du signataire de la requête est de nature à engendrer une fin de non-recevoir invocable en tout état de cause.

La difficulté reposait donc sur la distinction entre exception de procédure et fin de non-recevoir pour ce défaut de qualité du signataire. L’arrêt permet ainsi d’ajouter sa contribution dans l’effort de comparaison entre ces mécanismes du droit judiciaire privé. L’article 122 du code de procédure civile donne une brillante définition, héritée d’Henri Motulsky, de la fin de non-recevoir par le jeu de son effet majeur, l’irrecevabilité (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Montchrestien », 2019, p. 129, n° 149) La fin de non-recevoir touche, en effet, à la recevabilité de la demande tandis que l’exception de procédure puise son intérêt dans l’irrégularité de cette procédure (J.-Cl. Pr. civ., v° Fins de non-recevoir, par N. Lesourd, actualisé par H. Croze, n° 3). Ainsi, si la première peut être invoquée en tout état de cause, la seconde doit rester cantonnée in limine litis sauf exceptions ponctuelles. La confusion entre l’une et l’autre est donc aisée. La précision reste, par conséquent, très utile : le défaut de la qualité du signataire dans la requête introductive doit pouvoir entraîner l’irrecevabilité de la demande. Cette prétention peut être invoquée en tant que fin de non-recevoir en tout état de cause de l’instance de renouvellement.

Voici qui prouve à nouveau la subtilité des mesures de soins sous contrainte. Procédures ultra-spécialisées d’apparence, mais assujetties à une procédure civile très classique, elles permettent d’observer des distinctions essentielles de la matière. On sait que l’hospitalisation sans consentement connaît en ce moment un certain frémissement avec la publication du décret sur les nouvelles mesures d’isolement et de contention (décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. C. Hélaine) lui-même consécutif à l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020 (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Ce frémissement s’accompagne d’ailleurs de la très attendue décision QPC sur la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine) et dont la solution devrait intervenir d’ici quelques semaines sur la constitutionnalité de ces nouveaux textes. 

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Les réformes de procédure ne vont pas sans leur lot d’incertitudes. Il en est ainsi de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a, notamment, étendu les règles de la représentation obligatoire par avocat (Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze). Dans le prolongement de cette loi, l’article 11 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a modifié les articles R. 311-9, R. 311-12, R. 311-20 et R. 411-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour permettre l’extension de la représentation obligatoire dans les procédures qui sont expressément soumises à la procédure d’indemnisation décrite aux articles R. 311-9 et suivants du code de l’expropriation. L’article R. 311-9 de ce code dispose que « […] les parties sont tenues de constituer avocat. L’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ».

Dès lors, comment appliquer cette réforme au regard des règles régissant la territorialité de la postulation ? La réponse n’est pas évidente, que l’avis du 6 mai 2021 apporte en plusieurs temps.

La formation pour avis de la deuxième chambre civile a été saisie d’une demande d’avis, émanant de la juridiction de l’expropriation des Hauts-de-Seine, ainsi formulée : « Les règles relatives à la territorialité de la postulation prévue aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 s’appliquent-elles à l’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics ou aux propriétaires expropriés ou préemptés, ou à l’ensemble de ces parties, dans les instances introduites devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel en matière judiciaire d’expropriation consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ? »

Pour trancher cette question, la haute juridiction a dû répondre à deux autres interrogations, celles de savoir :

si la juridiction de l’expropriation est autonome du tribunal judiciaire

La réponse de la haute juridiction a été sans ambiguïté : « 6. Le code de l’organisation judiciaire distingue du tribunal judiciaire les juridictions d’attribution énumérées à l’article L. 261-1 de ce code. Les dispositions de ce texte renvoient au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique lequel, dans son article L. 211-1, institue le juge de l’expropriation. 7. Il en résulte que le juge de l’expropriation est une juridiction d‘attribution distincte du tribunal judiciaire […] ».

ce qu’il en est devant la cour d’appel

« 8. Les appels contre les décisions du juge de l’expropriation sont formés devant la cour d’appel en application de l’article L. 211-3 du code de l’expropriation pour cause d‘utilité publique […]. »

Préalable : notion de postulation et de territorialité de celle-ci

La demande d’avis évoque la notion de postulation. Il n’est pas inutile de revenir sur celle-ci qui est loin d’être évidente, même si elle n’est pas nouvelle. Curieusement, la loi n’en donne pas de définition. Il faut donc se référer à la doctrine. Selon le doyen Cornu, la postulation est « la mission consistant à accomplir au nom d’un plaideur les actes de la procédure qui incombent, du seul fait qu’elle est constituée, à la personne investie d’un mandat de représentation en justice » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, v° Postulation). On peut également faire appel aux bâtonniers H. Ader et A. Damien pour qui « La postulation pour autrui est la représentation appliquée à des hypothèses limitées où la partie ne peut légalement être admise elle-même à faire valoir ses droits et où la loi prévoit que cette représentation obligatoire sera confiée à une personne qualifiée (avocat, [ancien avoué] à la Cour). Le législateur […] n’a pas voulu laisser les plaideurs choisir entre la possibilité de se présenter eux-mêmes en justice ou celle de confier leur représentation à un auxiliaire de justice. C’est ce mode particulier de représentation qu’on désigne sous le vocable de postulation » (H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocat 2016/2017, 15e éd., Dalloz action, 2016, n° 622.91).

Or la règle qui joue lorsque la représentation est obligatoire est celle de la territorialité de la postulation : seul un avocat du barreau de la cour d’appel peut représenter un plaideur au sein de cette cour, seul il peut postuler.

Cette règle est énoncée dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’avocat, plus précisément, par son article 5 qui dispose que « les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4. / Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel. / Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie ».

Aujourd’hui, ces règles s’appliquent donc devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel (v. avis, n° 5), à la suite d’une évolution. La loi « Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait en effet élargi le champ de la postulation à la cour d’appel (auparavant celui-ci était circonscrit au tribunal de grande instance) : depuis le 1er août 2016, sauf exception, les avocats ont pu postuler devant tous les tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel (H. Ader et A. Damien, op. cit., n° 622.111) ; les Sages ont considéré que ces nouvelles règles n’affectent pas les conditions d’accès au service public de la justice (Cons. const. 5 août 2015, n° 2015-715 DC).

On se souvient que, le 5 mai 2017 (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005 P, Dalloz actualité, 10 mai 2017, obs. C. Bléry), la Cour de cassation avait rendu un avis sur cette question de la postulation devant les cours d’appel en matière prud’homale. En effet, la loi Macron avait supprimé le monopole des avocats pour la représentation devant la cour d’appel en matière sociale, « un défenseur syndical exer[çant] des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale » (C. trav., art. L. 1453-4, al. 1er) et le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail avait mis en œuvre la procédure avec représentation obligatoire devant les cours d’appel en matière prud’homale, pour les appels formés à compter du 1er août 2016.

La question s’était alors posée de savoir si la territorialité de la postulation devait désormais jouer devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale, puisque la représentation y était devenue obligatoire. La haute juridiction avait estimé que « l’application des dispositions du code de procédure civile relatives à la représentation obligatoire devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale n’implique pas la mise en œuvre des règles de la postulation devant les cours d’appel, les parties pouvant être représentées par tout avocat, si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical ». Depuis lors, il a été précisé que la territorialité joue pour les défenseurs syndicaux (périmètre d’une région administrative, C. trav., art. L. 1453-4, al. 3, issu de l’ord. n° 2017-1718, 20 déc. 2017).

Principal : application de la ROA dans la réforme Belloubet

La réforme Belloubet a étendu la représentation obligatoire par avocat (ROA). La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et surtout le décret du 11 décembre 2019 ont changé les règles (v. Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze, préc.), notamment en matière d’expropriation, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus.

Sans exhaustivité, rappelons qu’une telle représentation est en principe imposée devant le tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 760) – donc y compris en référé – et en particulier dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal sauf pour les matières qui en sont expressément dispensées (avec le décr. n° 2020-1452, 27 nov. 2020), la ROA n’est donc plus systématique pour les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 761, al. 2 ; Dalloz actualité, 1er déc. 2020, obs. F.-X. Berger). Ceci sauf dispenses prévues à l’article 761.

Il en est de même devant certaines juridictions autonomes au sein du tribunal judiciaire. Par exemple, devant le juge de l’exécution, la représentation obligatoire est devenue le principe. C’est le cas aussi, on l’a dit, devant le juge de l’expropriation.

Devant la cour d’appel, le domaine des procédures avec représentation obligatoire a été étendu : en particulier, il comprend, désormais, l’expropriation (C. expr., art. R. 311-9, al. 2, in limine).

Or « l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration » (C. pr. civ., art. 761, al. 3, devant le TJ ; CPCE, art. R. 121-7, et aussi L. n° 2019-222, art. 5, modifiant L. n° 2007-1787, 20 déc. 2007, art. 2, I, devant le JEX ; C. expr., art. R. 311-9, al. 2, in fine, devant le juge de l’expropriation et art. R. 311-27, devant la cour d’appel en cette matière).

Ces nouvelles dispositions ont conduit à s’interroger sur les conséquences à tirer sur l’application des règles de la territorialité de la postulation.

Un avis de la deuxième chambre civile est venu récemment préciser la règle relative aux personnes de droit public à propos du juge de l’exécution même lorsque la représentation par avocat est obligatoire – ce que les textes n’envisageaient pas (Civ. 2e, 18 févr. 2021, n° 20-70.006 P, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. F. Kieffer ; AJDA 2021. 426 ; Gaz. Pal. 27 avr. 2021, p. 58, obs. S. Amrani-Mekki) : dans les instances introduites postérieurement au 1er janvier 2020 devant le juge de l’exécution, l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration, même lorsque la demande n’est pas relative à l’expulsion ou a pour origine une créance ou tend au paiement d’une somme excédant 10 000 €.

C’est à nouveau à une question de ce type qu’a dû répondre la formation pour avis de la deuxième chambre civile (COJ, art. L. 441-2, al. 1er) le 6 mai 2021. D’une part, pour ladite formation, la dispense édictée par ce texte au profit de l’État, des régions, des départements et de leurs établissements publics ne s’étend pas aux autres parties, dès lors qu’elle tient à la seule qualité de la partie concernée. D’autre part, la réponse apportée est différente pour le juge de l’expropriation et pour la cour d’appel, en raison de l’autonomie du premier au sein du tribunal judiciaire.

En conséquence :

• les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne s’appliquent pas aux parties devant la juridiction du juge de l’expropriation ;

• en revanche, devant les cours d’appel, ces règles s’appliquent aux parties, y compris « lorsqu’ils choisissent d’être représentés par un avocat, à l’État, aux régions, aux départements, aux communes et à leurs établissements publics ». En conséquence, l’avis rappelé ci-dessus du 5 mai 2017 rendu en matière prud’homale n’est pas transposable en matière d’expropriation.

Mme le professeur Soraya Amrani-Mekki (note préc. sur l’avis du 18 févr.) écrivait que « la référence au tribunal judiciaire dans l’avis conduit dès lors à s’interroger sur l’autonomie de la juridiction en charge de l’exécution ». L’avis du 6 mai, lui, prend soin d’évoquer l’autonomie du juge de l’expropriation « juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire ». Dès lors, tous les avocats, quel que soit leur lieu d’exercice, peuvent représenter une partie devant le juge de l’expropriation. En revanche, devant la cour d’appel, quand l’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics font choix d’être assistés par un avocat, celui-ci ne peut être qu’un avocat qui exerce dans le ressort de la cour d’appel saisie.

L’avis du 6 mai 2021, comme déjà celui du 5 mai 2017, aboutit toutefois à déconnecter la ROA et la territorialité de la postulation.

Suite : quid de la CPVE ?

Même si la question n’était pas posée, on peut s’interroger sur la communication par voie électronique (CPVE) en matière d’expropriation (sur la CPVE, v. C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, 10e éd., Dalloz Action, 2021/2022, ch. 273).

En première instance, l’article 850 du code de procédure civile, qui impose la remise des actes par RPVA à et par le tribunal judiciaire en procédure écrite ordinaire et à jour fixe (hors requête), ne s’applique pas ; en revanche, la CPVE est facultative (C. pr. civ., art. 748-1, 748-6 et arr. 7 avr. 2009).

En appel, en l’absence de spécificité de la procédure, c’est l’article 930-1 du code de procédure civile qui impose la CPVE. En matière prud’homale, le pouvoir réglementaire a adapté les règles aux faits en créant les articles 930-2 et 3 (le second d’ailleurs oublié dans un premier temps), puisque le défenseur syndical n’a pas accès au RPVA.

Mais quid de l’État et des personnes publiques qui ne se font pas représenter par un avocat ? En matière d’expropriation, l’article R. 311-24, alinéa 2, issu du décret n° 2017-1255 du 8 août 2017, prévoit que « l’appel est interjeté par les parties ou par le commissaire du gouvernement dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement, par déclaration faite ou adressée par lettre recommandée au greffe de la cour. La déclaration d’appel est accompagnée d’une copie de la décision ». Ce texte n’a pas été modifié depuis. Comment faut-il le comprendre ? Est-ce à dire que l’avocat devrait faire appel par RPVA (art. 930-1), mais pas l’État qui ne serait pas représenté par un tel professionnel (art. R. 311-24) ? En revanche, quid si l’État choisit d’être représenté : l’avocat aurait-il la faculté d’utiliser le RPVA ou l’obligation (comme l’avis pourrait le laisser penser) ?…

Autre question, alors que la « voie électronique » n’est plus seulement synonyme de RPVA mais que la plateforme PLEX peut, dans certains cas, être utilisée, est-ce le cas ici ? Autrement dit, l’administration a-t-elle accès à PLEX pour transmettre des actes aux juridictions en matière d’expropriation ?

Pour revenir à l’avis, en l’état actuel des textes, il semble qu’il doive être approuvé. Pour autant, une règle, quelle qu’elle soit, identique dans tous les cas, serait souhaitable. Par ailleurs, les règles dérogatoires que s’offre l’État, quel que soit le domaine, ne nous semblent pas justifiées. Cela conduit à des difficultés qui n’ont sans doute pas été perçues lors de l’adoption des dispenses de ROA.

Au moins l’avis traite-t-il les personnes morales de droit public représentées par un avocat – cas fréquent eu égard à la technicité de la matière de l’expropriation – comme un plaideur « ordinaire »…

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On connaît la sévérité de la Cour de cassation dans l’application aux majeurs protégés du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 prévoyant notamment – dans son annexe – la liste des actes de disposition. Cette rigidité est la garantie d’une bonne protection des majeurs les plus fragiles, notamment sous tutelle ou sous curatelle. Or, parmi tous les actes de disposition recensés par ce tableau, c’est le tout dernier qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir la « convention d’honoraires proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires ». La limpidité du texte n’empêche pas de manière assez récurrente un contentieux devant les juridictions pour des avocats ayant conclu des conventions avec des tuteurs, ces derniers n’ayant pas demandé l’autorisation du juge des tutelles (v. par ex. Civ. 1re, 23 mai 2019, n° 18-15.788, AJ fam. 2020. 317, obs. V. Montourcy ; ibid. 292, Pratique V. Montourcy ). L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 6 mai 2021 est dans la droite lignée de ces réflexions. Deux conventions d’honoraires avaient été conclues entre l’avocat et le tuteur du majeur protégé : une première en 2011 visant à récupérer 9 % d’un bien immobilier du majeur dans une instance et une seconde en 2015 relative à une action en paiement des loyers, prévoyant des honoraires de résultat à hauteur de 10 % des sommes perçues ou économisées par la cliente. À la mort du majeur vulnérable, le contentieux se cristallise autour de ces conventions passées sans l’accord du juge des tutelles, les héritiers refusant de payer les honoraires de résultat.

Le premier président de la cour d’appel de Montpellier déclare nulles les conventions litigieuses, puisque non autorisées par le juge des tutelles. L’avocat se pourvoit en cassation en reprochant à l’ordonnance entreprise d’avoir qualifié un tel acte de disposition alors « que la convention d’honoraires de résultat constitue un acte de disposition si et seulement si elle engage le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire ». La Cour de cassation refuse une telle lecture en rejetant le pourvoi purement et simplement sans ajouter une quelconque condition de contrôle de ces honoraires de résultat.

Une interprétation littérale garante d’une protection du majeur sous tutelle

La solution a pour principal avantage de ne pas commencer à créer des distinctions là où elles ne sont pas prévues par la loi ou par les décrets ; ubi lex non distinguit, nec nos debemus distinguere. Le décret n° 2008-1484 ne parle que des conventions d’honoraires proportionnels aux résultats, indéterminés ou aléatoires. Or le demandeur au pourvoi souhaitait voir – à travers la définition même de l’acte de disposition en général (G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 13e éd., PUF, coll. « Quadrige », v° Acte de disposition) – une recherche qu’il n’y avait pas à entreprendre puisque le décret précise très clairement la nature de l’acte. La Cour de cassation vient ainsi logiquement rejeter le pourvoi en précisant que le premier président n’avait pas « à procéder à un contrôle des conséquences de ces actes sur le patrimoine de la personne protégée ». Le décret pose une présomption irréfragable que cette convention est de nature à provoquer un tel risque.

La solution fait la part belle à l’argumentation littérale qui ne demande pas aux juges du fond de procéder à des vérifications complexes alors que l’acte est prévu expressément dans la catégorie des actes de disposition. L’intérêt d’une telle lecture reste une protection du majeur vulnérable, lequel ne devra pas supporter des honoraires d’avocats qui n’ont pas été avalisés en amont par le juge des tutelles. Le principal danger des honoraires en fonction des résultats reste leur chiffrage parfois très important qui peut signer ne certaine difficulté pour l’individu sous tutelle qui présente par définition une altération physique ou mentale ayant nécessité la mise en place d’une mesure de protection. L’anéantissement rétroactif de l’acte juridique conclu en violation des règles du droit des majeurs vulnérables permet d’assurer l’effectivité de ladite protection.

Bien évidemment, tout ceci impose à la fois de la prudence et une certaine bienveillance des avocats.

Prudence et bienveillance

Les avocats souhaitant obtenir des honoraires en fonction des résultats doivent, en tout état de cause, faire avaliser le principe de cette convention par le juge des tutelles. La simple présence du tuteur ne suffit pas à assurer à l’acte une pleine efficacité juridique conformément aux articles 465, 4°, et 505, alinéa 1er, du code civil qui imposent soit l’autorisation du Conseil de famille soit, à défaut, du juge des tutelles pour les actes de disposition. Inutile de mener des raisonnements sur le danger de l’acte eu égard au patrimoine puisque le décret prévoit purement et simplement de telles conventions dans les actes de disposition. Mieux vaut assurer l’efficacité de l’acte juridique en amont et, en cas de refus du juge des tutelles, basculer sur des honoraires classiques plutôt que de vouloir sauver l’acte imparfait qui ne pourra pas échapper à la nullité dans ce cadre.

Le rapport de mission interministérielle sur l’évolution de la protection juridique de la personne, mené par Anne Caron Déglise avait pointé le caractère indispensable du ministère d’avocat pour ces personnes particulièrement fragiles (spéc. p. 61). C’est dans ce contexte que certains barreaux impulsent des chartes permettant d’encourager des comportements précis pour les avocats intervenant dans ce domaine. Par exemple, l’Antenne des majeurs vulnérables du barreau de Paris a proposé une Charte dédiée à cet effet (AJ fam. 2020. 415, obs. V. Montourcy ) prévoyant à ce titre « dans le cadre d’une instance devant le juge des tutelles et la cour d’appel, seuls sont acceptables des forfaits raisonnables, ou un taux horaire prévoyant un plafond d’heures facturables ».

En somme, les honoraires de résultat restent tout à fait envisageables, mais encore faut-il que le tuteur obtienne l’accord du juge des tutelles avant de pouvoir conclure au nom et pour le compte du majeur de telles conventions. Sinon, la nullité les anéantira purement et simplement. La prudence doit donc conduire à la bienveillance à l’égard de la représentation des majeurs protégés en la matière.

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Il y a quelques semaines, la chambre commerciale de la Cour de cassation nous enseignait que la fraude pouvait avoir une incidence sur l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement (Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033, Dalloz actualité, 12 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier). Elle nous apprend à présent qu’elle peut également être prise en considération en matière de mentions manuscrites. Tel est en effet l’enseignement que l’on peut tirer d’un arrêt du 5 mai 2021. En l’espèce, par un acte du 1er avril 2005, une société a conclu avec une autre un contrat de crédit-bail portant sur divers matériels. À la suite d’impayés de loyers, le crédit-bailleur a accordé à son cocontractant des échéanciers, par avenant du 5 novembre 2010. Par un acte du 9 décembre 2010, le dirigeant de la société crédit-preneuse, s’est rendu caution solidaire du paiement des sommes dues au titre du contrat de crédit-bail. De nouveaux loyers étant restés impayés, le crédit-bailleur et le crédit-preneur ont conclu, le 19 avril 2013, un protocole de règlement, se substituant à l’avenant du 5 novembre 2010. Ce protocole n’ayant pas été respecté, le crédit-bailleur a assigné la société et la caution en paiement. La cour d’appel de Nancy, dans un arrêt du 29 mai 2019, a déclaré valide l’acte de cautionnement et, en conséquence, a condamné solidairement la société et la caution à payer au créancier la somme de 304 509,28 € au titre de la créance en principal, des pénalités et intérêts de retard. Les débiteurs se pourvurent donc en cassation au motif que les mentions manuscrites exigées par les articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de la consommation n’avaient pas été rédigées de la main de la caution, celle-ci ayant confié cette tâche à sa secrétaire. Mais l’argument est rejeté par la Cour régulatrice, considérant qu’« Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3 du code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions » (pt 4). Les hauts magistrats estiment qu’« Ayant constaté, par motifs adoptés, que les signatures de M. [C] figurant sur l’acte de cautionnement et sur la fiche de renseignements étaient strictement identiques et que M. [C] ne pouvait donc alléguer n’avoir pas signé l’acte de cautionnement, puis relevé, par motifs propres, s’agissant des mentions manuscrites, qu’en dépit des précisions données dans l’acte, lequel comporte trois pages, toutes paraphées par le souscripteur, dont la dernière précise de manière très apparente et en caractères gras, que la signature de la caution doit être précédée de la mention manuscrite prévue par la loi, M. [C] a néanmoins « cru devoir faire » rédiger cette mention par sa secrétaire, au lieu d’y procéder lui-même, détournant ainsi sciemment le formalisme de protection dont il se prévaut désormais pour tenter de faire échec à la demande en paiement, la cour d’appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, a exactement déduit de la faute intentionnelle dont elle a ainsi retenu l’existence dans l’exercice de son pouvoir souverain, que la caution ne pouvait invoquer la nullité de son engagement » (pt 5).

La solution est parfaitement justifiée : on sait que la fraude corrompt tout et on voit mal pourquoi il en irait différemment en matière de cautionnement. Si le législateur fait montre d’une certaine sollicitude à l’endroit des cautions, en leur octroyant de nombreuses protections, encore faut-il qu’elles s’en montrent dignes en ne les détournant pas, sous peine de s’exposer à une neutralisation de leurs moyens de défense. Ainsi, les mentions exigées par le code de la consommation doivent certes être rédigées de la main de la caution, à peine de nullité (comp. Com. 20 sept. 2017, n° 12-18.364, D. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2018. 176, obs. P. Crocq : « Mais attendu qu’après avoir relevé que M. X., arrivé en France en 1990 et sachant mal écrire, avait prié sa secrétaire, chargée habituellement de le faire à sa place, de l’accompagner lors de la souscription du cautionnement, qu’il avait signé après qu’elle eut inscrit la mention manuscrite, l’arrêt retient que ces circonstances établissent que la conscience et l’information de la caution sur son engagement étaient autant assurées que si elle avait été capable d’apposer cette mention de sa main, dès lors qu’il avait été procédé à sa rédaction, à sa demande et en sa présence ; qu’ayant ainsi déduit de ces circonstances l’existence d’un mandat régulièrement donné à sa secrétaire par M. X., c’est à bon droit que la cour d’appel a refusé d’annuler le cautionnement ». V. à ce sujet, P. Simler, Séisme au pays des mentions manuscrites ?, JCP 2017. 1281). Mais s’il est établi que la caution a sciemment demandé à une autre personne de rédiger la mention dans le but de se prévaloir ensuite de la nullité de son engagement, il ne fait aucun doute qu’il y a là une fraude, comme l’ont relevé à juste titre des juges du fond, approuvés par la chambre commerciale.

La portée de la présente solution est d’ailleurs susceptible d’être généralisée tant il est vrai que l’imagination des cautions est parfois débordante quand il s’agit de se soustraire à leurs engagements. L’examen de la jurisprudence révèle en effet que, même lorsque la caution rédige elle-même les mentions exigées par la loi, elle peut omettre telle ou telle précision, aboutissant potentiellement à une limitation du droit de gage général du créancier (V. par ex., Com. 1er oct. 2013, n° 12-20.278, D. 2014. 127, obs. V. Avena-Robardet , note M. Julienne et L. Andreu ; ibid. 2013. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; ibid. 2014. 1610, obs. P. Crocq ; ibid. 2136, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2013. 791, obs. D. Legeais : « Mais attendu qu’après avoir rappelé que l’acte signé de la main de la caution comportait la mention manuscrite suivante : « en me portant caution de la SARL CIEM dans la limite de la somme de 64 931,40 € couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de cinq ans, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus si la SARL CIEM n’y satisfait pas elle-même", l’arrêt retient que la mention manuscrite apposée sur l’engagement reflète la parfaite information dont avait bénéficié la caution quant à la nature et la portée de son engagement ; que par ces seuls motifs dont il résultait que l’omission des termes "mes biens" n’avait pour conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n’affectait pas la validité du cautionnement, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » ; Com. 27 mai 2014, n° 13-16.989 : « Mais attendu qu’après avoir constaté que la mention manuscrite apposée par la caution est conforme aux exigences de l’article L. 341-2 du code de la consommation, sous réserve de ce qu’après les termes "sur mes revenus", la caution a omis de reproduire "et mes biens", l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que cette omission ne permet pas de douter de la connaissance qu’avait la caution de la nature et de la portée de son engagement ; que par ces constatations et appréciations, dont il résulte que cette omission n’avait pour conséquence que de limiter le gage de la banque aux revenus de la caution et n’affectait pas la validité du cautionnement, la cour d’appel, qui n’a pas dit que celui-ci devait être étendu aux biens de la caution, a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n’est pas fondé pour le surplus ». Rappr. Com. 14 mars 2018, n° 14-17.931 : « Mais attendu que l’omission du mot "principal" dans la mention manuscrite prescrite par l’article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, n’a pour conséquence que de limiter l’étendue du cautionnement aux accessoires de la dette, sans en affecter la validité »). Il reste à espérer que la solution adoptée par la chambre commerciale aura un effet prophylactique, ce dont on peut malheureusement douter. L’imminente réforme du droit des sûretés devrait en revanche, peut-être, calmer les ardeurs des cautions dans la mesure où celles-ci n’auront plus à recopier servilement et à la virgule près une mention déterminée par la loi (V. avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 déc. 2020, art. 2297 : « La caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, le cautionnement ne vaut que pour la somme écrite en toutes lettres. Si la caution est privée des bénéfices de discussion ou de division, elle reconnaît dans cette mention ne pouvoir exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions. À défaut, elle conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices. Le mandat de se porter caution est soumis aux mêmes dispositions ». Pour une critique de la dernière règle exprimée par ce texte, v. P. Simler, Réflexions comparatives sur l’authenticité de l’acte notarié et de la décision juridictionnelle, in Mélanges offerts à Jean-Paul Decorps, Defrénois, 2021).

Par ailleurs, sans doute consciente de la faiblesse de sa position, la caution avait également tenté de soulever la disproportion de son engagement (C. consom., art. L. 332-1 et L. 343-4) ainsi que le manquement du créancier à son devoir de mise en garde. Ce fut en vain, les hauts magistrats considérant, tout d’abord qu’« En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a retenu que M. [C] ne rapportait pas la preuve de la disproportion manifeste alléguée, à la date de son engagement, a légalement justifié sa décision » (pt 8) et, ensuite, que « Le crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’ il existe un risque de l’endettement né de la conclusion du crédit-bail garanti, lequel résulte de l’inadaptation dudit contrat aux capacités financières du crédit-preneur. Ayant relevé que M. [C] était le gérant de la société cautionnée depuis de nombreuses années, faisant ressortir son expérience de la vie des affaires, la cour d’appel, qui ne s’est pas ainsi fondée sur la seule qualité de gérant, abstraction faite des motifs critiqués par les deuxième, troisième et quatrième branches, a pu retenir le caractère averti de la caution, dispensant le crédit-bailleur de toute obligation de mise en garde à son égard » (pt 11).

On sait que la disproportion et le manquement au devoir de mise en garde sont souvent invoqués de pair (v. par ex., Com. 21 oct. 2020, n° 18-25.205, Dalloz actualité, 17 nov. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 2116 ; Rev. sociétés 2021. 174, note D. Houtcieff ), alors même que le second recoupe la première dès lors qu’il porte sur les capacités financières de la caution (v., F. Binois, Pour une autre définition du devoir de mise garde en droit des sûretés, LPA 30 janv. 2020, p. 10 ; M. Bourassin, Quelle réforme pour la formation du cautionnement ?, in Y. Blandin et V. Mazeaud [dir.], Quelle réforme pour le droit des sûretés, Dalloz, 2019, p. 99, n° 25 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 ; F. Juredieu, L’articulation de la proportionnalité en droit du cautionnement, RLDC, mai 2017, p. 19). À cet égard, la future réforme du droit des sûretés devrait opportunément simplifier notre droit, le devoir de mise en garde étant cantonné aux capacités financières du débiteur principal (avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 déc. 2020, art. 2300 : « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde [gratuitement] la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. À défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur de la perte de chance de ne pas contracter dont celle-ci a été privée »).

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Léone Meyer a fait un combat de la restitution de La Bergère rentrant des moutons, une peinture de Pissarro volée en 1941 avec d’autre œuvres de la collection de sa famille adoptive par l’occupant nazi. Elle vient de perdre deux des trois batailles l’opposant à la Fondation de l’Université de l’Oklahoma à qui cette œuvre a été léguée en 2000 par un couple américain qui l’avait acquise en 1957.

Le 10 mai, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris l’a débouté de sa demande de placement du tableau sous séquestre. Il a également rejeté sa requête en opposition d’une injonction anti-procès (anti suit injonction) prononcée en sa défaveur par un juge américain.

Le 2 juin, ce même juge se prononcera au fond sur la requête de Mme Meyer de restitution, et de...

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Le droit des sûretés et le droit des régimes matrimoniaux entretiennent des liens qui ne sont pas toujours aisés à appréhender, y compris pour les notaires qui, pourtant, sont tenus de maîtriser ces interactions. Tenant compte du risque que représente la constitution de sûretés pour le patrimoine des époux, le législateur a posé deux types de règles protectrices dans le régime de la communauté réduite aux acquêts. S’agissant des sûretés personnelles, la protection légale prend la forme d’une restriction du droit de gage général du créancier posée par l’article 1415 du code civil. Celui qui fait souscrire un cautionnement à un époux sans l’accord du conjoint ne peut exercer ses poursuites sur les biens communs. C’est donc sur le terrain du passif provisoire qu’intervient le législateur pour limiter l’étendue du droit de poursuite du créancier. S’agissant des sûretés réelles, la protection, qui ne couvre pas l’intégralité des sûretés, prend la forme d’une restriction des pouvoirs des époux. La loi impose ainsi, à peine de nullité de la sûreté, que les deux époux consentent à la constitution d’une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui (C. civ., art. 1422, al. 2), au transfert d’un bien commun dans un patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 1424, al. 2), ou encore à la constitution de droits réels tels qu’une sûreté sur certains biens communs spécifiquement visés par l’article 1424, alinéa 1er, du code civil (immeubles, droits sociaux non négociables, fonds de commerce…). Seules échappent finalement à ce dispositif protecteur les sûretés réelles portant sur un bien meuble non visé par l’article 1424 et consenties pour garantir la dette de l’un ou l’autre des époux. Dans ce dispositif, quelle est la place faite aux sûretés réelles légales, tels les privilèges assortissant une créance ?

L’arrêt rendu le 5 mai 2021 a donné à la Cour de cassation l’occasion de se prononcer sur cette question. Dans cette affaire, une femme mariée sous le régime légal avait souscrit un emprunt pour l’acquisition d’un immeuble destiné à entrer en communauté. L’emprunt était garanti par un privilège de prêteur de deniers inscrit sur le bien acquis. Toutefois, l’emprunt ayant été souscrit sans le consentement du conjoint de l’emprunteuse, le créancier ne pouvait exercer ses poursuites sur les biens communs. Par l’effet de l’article 1415 du code civil, les biens communs, en ce compris l’immeuble acquis et grevé du privilège, échappaient au droit de gage général du prêteur. C’est la raison pour laquelle le commandement de payer valant saisie immobilière du bien grevé, délivré par le créancier impayé, a été annulé. Le créancier a alors actionné le notaire en responsabilité. Il a obtenu gain de cause devant les juges du fond, qui ont condamné la SCP notariale à indemniser le créancier. Le notaire s’est pourvu en cassation en arguant de la source légale de la sûreté pour faire valoir son efficacité : « le créancier, titulaire d’un privilège de prêteur de deniers constitué de plein droit et par le seul effet de la loi sur le bien qu’il a financé, peut saisir le bien ainsi grevé même s’il est entré en communauté et si l’emprunt a été souscrit par un seul des époux sans le consentement de son conjoint ».

La question posée à la Cour de cassation était donc celle de savoir si la sûreté légale que constitue le privilège de prêteur de deniers peut s’exercer sur un bien qui échappe au droit de gage général du créancier. La Haute juridiction y apporte une réponse négative. Pour ce faire, elle commence par rappeler les conditions du privilège de prêteur de deniers reconnu par l’article 2374, 2°, du code civil : le prêt doit avoir été consenti en vue de l’acquisition de l’immeuble sur lequel porte le privilège ; l’acte de prêt doit avoir été constitué par acte authentique et contenir une double déclaration concernant la destination et l’utilisation des sommes. La Cour de cassation reprend ensuite les règles fixant l’étendue du droit de gage des créanciers d’une personne mariée : par principe, les créanciers d’un seul époux peuvent exercer les poursuites sur les biens communs par application de l’article 1413 du code civil ; par exception, l’article 1415 du code civil prévoit que les cautionnements et les emprunts doivent avoir été conclus avec l’accord des deux époux pour que les biens communs puissent être poursuivis.

L’articulation de ces textes n’est pas évidente, puisqu’il s’agit de combiner le principe selon lequel la créance du prêteur est privilégiée par l’effet de la loi et celui selon lequel l’étendue des droits du prêteur dépend de l’accord donné par le conjoint de l’emprunteur. Reprenant à son compte les affirmations de la cour d’appel, la Cour de cassation déduit de ces différents textes que « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas inefficace, la mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l’emprunt. » La formule est curieuse, en ce qu’elle distingue l’efficacité de l’acte de prêt et la mise en œuvre du privilège.

L’efficacité de l’acte de prêt renvoie-t-elle à la validité du contrat de prêt ? La formule rappellerait alors que la souscription d’un tel contrat n’est pas soumise à une règle de gestion imposant un commun accord à peine de nullité, mais à une règle de passif limitant l’étendue des droits du créancier. Autrement dit, en affirmant que « l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas inefficace », la cour a-t-elle seulement voulu rappeler qu’un époux peut valablement souscrire seul un contrat de prêt sans l’accord de son conjoint ? Ou bien vise-t-elle l’existence du privilège, à travers l’idée d’efficacité de l’acte de prêt ? Elle pourrait alors avoir considéré que le privilège existe bel et bien, parce qu’il naît avec la créance du prêteur, même si le contrat est souscrit par un seul époux. En tant que sûreté légale, il n’a pas besoin de l’accord des deux époux pour être créé, fût-ce sur un bien commun ; il doit seulement de répondre aux conditions posées par l’article 2374, 2°, du code civil pour être attaché à la créance du prêteur.

La référence à l’efficacité de l’acte de prêt est d’autant plus maladroite qu’au paragraphe suivant, la cour de cassation relève que « la SCP avait manqué à son obligation d’assurer l’efficacité de l’acte auquel elle avait prêté son concours ». Il y a donc une certaine contradiction à affirmer, d’abord, que l’acte de prêt n’était pas inefficace et, ensuite, que le notaire n’avait pas assuré l’efficacité de l’acte. En réalité, l’acte était valable, mais inefficace. La Cour de cassation aurait pu retenir l’une ou l’autre des deux formulations suivantes pour sa première proposition : « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas nul » ; « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté donne naissance à un privilège de prêteur de deniers ». En somme, l’acte de prêt souscrit par un seul époux est valable et fait naître au profit du prêteur une créance qui pourra être assortie d’un privilège si les conditions légales sont remplies. La validité de l’acte instrumenté par le notaire n’est donc pas en cause. Le consentement du conjoint de l’emprunteur n’était nécessaire ni pour la validité du contrat de prêt ni pour la validité du privilège de prêteur de deniers. C’est d’ailleurs ce qui ressort des motifs de la cour d’appel, qui avait retenu que « l’acte de prêt n’est pas inefficace dans la mesure où il institue bien une créance du prêteur contre la communauté » et que « le privilège de prêteur de deniers est un privilège légal, qui ne nécessite donc aucun accord (ni celui de l’emprunteur, ni celui de son conjoint) et que (…) dès lors que les conditions en sont remplies, le prêteur dispose de ladite sûreté ».

Toutefois, de jurisprudence constante, le notaire est tenu d’assurer non seulement la validité, mais aussi l’efficacité des actes qu’il instrumente (v. par ex., Civ. 1re, 8 janv. 2009, n° 07-18.780, D. 2009. 228 ; AJDI 2009. 223 ; 29 juin 2016, n° 15-17.591, D. 2016. 1498 ; AJDI 2017. 134 , obs. J.-P. Borel ; 3 mai 2018, n° 16-21.872, AJDI 2018. 544 ; 14 nov. 2018, n° 17-22.069, AJDI 2019. 465 , obs. J.-P. Borel ; 11 mars 2020, n° 18-26.407, AJDI 2020. 775 , obs. J.-P. Borel ). Or, ici, c’est bien l’efficacité de l’acte de prêt qui posait difficulté. En effet, il ressort de la décision que, malgré sa validité, le privilège ne peut pas être mis en œuvre si le conjoint de l’emprunteur n’a pas consenti à l’acte de prêt : « la mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l’emprunt ». Cette solution est la conséquence directe de l’application de l’article 1415 du code civil. Le privilège porte sur un bien commun qui échappe au droit de gage général du créancier parce que le prêt a été conclu du consentement d’un seul époux. Bien entendu, la solution aurait été différente si le bien acquis était resté dans la masse propre de l’emprunteur, puisque le prêteur aurait alors pu exercer ses poursuites sur le bien. C’est pourquoi la Cour de cassation prend le soin de relever que « le notaire savait que les époux étaient commun en biens et que l’achat était fait pour la communauté », de sorte qu’il aurait dû assurer l’efficacité du privilège en recueillant l’accord du conjoint. À défaut de cet accord, même si le privilège existe bel et bien parce qu’il accompagne une créance valable, il ne peut pas être « mis en œuvre », faute pour le créancier de pouvoir exercer ses poursuites sur ledit bien.

Cette notion de « mise en œuvre » aurait mérité d’être précisée. En effet, la solution manque de clarté sur la question du lien qui existe entre le privilège et le droit de gage général du créancier. L’article 2324 du code civil définit le privilège comme « un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires ». Où l’on comprend que le privilège confère un droit de préférence qui assortit une créance et qui permet au créancier de bénéficier d’une priorité sur la distribution du prix de vente du bien grevé. Pour que ce droit de préférence puisse être « mis en œuvre », c’est-à-dire invoqué lors de la procédure de distribution, encore faut-il que l’immeuble puisse être saisi par le créancier privilégié.

Toute la question est alors de savoir si le droit de poursuite du créancier privilégié se fonde sur le privilège lui-même ou sur le droit de gage général du créancier. Le privilège confère-t-il au créancier un droit de saisir le bien grevé afin d’être préféré aux autres créanciers sur la distribution du prix ? Ou confère-t-il seulement un droit de préférence qui s’adosse au droit de gage général du créancier et au pouvoir de saisie que le créancier détient en qualité de chirographaire ? La solution apportée par le présent arrêt tranche en faveur de la seconde réponse : le privilège apparaît subordonné à l’exercice, par le créancier, de son droit de gage général. Il n’offre qu’un droit de préférence qui, pour s’exercer, doit se combiner avec les prérogatives que détient le créancier en qualité de chirographaire. C’est la raison pour laquelle le privilège ne peut pas être mis en œuvre lorsque le bien sur lequel il porte échappe au droit de gage général du créancier. C’est également ce qui ressort de l’arrêt de la cour d’appel, qui avait retenu que la mise en œuvre du privilège « reste subordonnée à l’exercice préalable d’une poursuite en recouvrement forcé qui seule, permettra ensuite au prêteur de disposer des attributs de son privilège, à savoir, un droit de préférence sur le paiement en cas de vente et également un droit de suite ; que si ce recouvrement forcé peut notamment s’exercer avec la délivrance préalable d’un commandement de saisie immobilière, cette mesure reste soumise aux dispositions de portée générale de l’article 1415 du code civil sus-cité lequel régit la question de l’obligation à la dette et définit les patrimoines susceptibles d’être poursuivis par le prêteur, sans distinction ou limitation quant à la sûreté à l’origine de la poursuite ; qu’il s’en suit qu’elle ne peut porter sur le bien commun lorsque le consentement du conjoint n’a pas été requis pour le prêt souscrit ».

Il faut toutefois nuancer cette solution liant l’efficacité du privilège à l’étendue du droit de gage général du créancier, à la lumière de deux cas de figure que la présente affaire n’offrait pas d’envisager.

En premier lieu, qu’adviendrait-il du privilège si l’immeuble était saisi par un autre créancier ? Le prêteur de deniers pourrait-il faire valoir son privilège lors de la procédure de distribution alors même qu’il n’avait pas le droit de poursuivre lui-même le bien ? Une réponse positive semble devoir être apportée à cette interrogation. Le privilège a pu valablement naître du contrat de prêt. Sa mise en œuvre est seulement neutralisée par l’impossibilité du créancier de déclencher les poursuites contre l’immeuble qui échappe à son droit de gage général. Si, toutefois, des poursuites étaient déclenchées sur une autre initiative que la sienne, il n’y aurait aucune raison de faire obstacle à l’invocation de son privilège lors de la procédure de distribution. Le privilège n’est donc tributaire du droit de gage général du créancier que dans la mesure où ce droit de gage permet de déclencher la saisie au cours de laquelle le privilège a vocation à être invoqué. Si la saisie est déclenchée par ailleurs, le droit de préférence, valablement né par l’effet de la loi, doit pouvoir être invoqué par son titulaire. Cela revient à considérer que le privilège n’est pas systématiquement dépendant du droit de gage général du créancier ; il existe indépendamment de ce droit de gage et peut donc être exercé sur un bien qui lui échappe.

En second lieu, le privilège pourra-t-il être exercé si le bien grevé est revendu par les époux et change ainsi de patrimoine ? Dans cette hypothèse, le bien échappe tout autant au droit de gage général du créancier que lorsqu’il figure dans la masse commune des époux. Pourtant, le droit de suite que l’article 2461 du code civil confère au créancier privilégié comme au créancier hypothécaire permet de suivre le bien en quelques mains qu’il passe. Cela implique la possibilité non seulement de faire valoir un droit de préférence sur le prix de vente du bien, mais aussi d’engager des poursuites sur ce bien, lors même qu’il se trouve dans le patrimoine d’un tiers. Faut-il alors considérer que le droit de diligenter des voies d’exécution est une prérogative attachée au droit de suite, mais non au droit de préférence ?

Ces différentes hypothèses invitent à nuancer la portée de la décision rendue par la Cour de cassation. Le consentement du conjoint de l’emprunteur à l’acte de prêt n’est pas toujours nécessaire pour la « mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers ». Il n’est requis que pour permettre au prêteur de procéder à une saisie de l’immeuble se trouvant encore dans le patrimoine des époux. En revanche, le privilège devrait pouvoir être invoqué à l’occasion d’une saisie immobilière diligentée par un autre créancier, même si le conjoint de l’emprunteur n’a pas consenti à l’emprunt. De même, il devrait permettre au prêteur de poursuivre le bien entre les mains d’un tiers acquéreur, sans que sa mise en œuvre ne soit subordonnée au consentement du conjoint à l’emprunt. Autrement dit, l’absence de consentement du conjoint à l’emprunt ne rendra pas le privilège inefficace en toutes circonstances. Pour autant, il revient au notaire de s’assurer de ce consentement afin de garantir l’efficacité du privilège en toute hypothèse.

L’article 546, alinéa 1er, du code civil dispose que « la propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur […] ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement ». Il s’agit là de l’accession par incorporation : le propriétaire de la chose principale est réputé maître de la chose accessoire.

L’accession artificielle résulte d’un travail humain : elle concerne les constructions et plantations réalisées sur un terrain. L’article 553 du code civil pose une double présomption. Il s’agit, d’une part, d’une présomption de propriété – les constructions, plantations et ouvrages sont présumés appartenir au propriétaire du fond – et, d’autre part, d’une présomption de dépense – les constructions et plantations sont censées avoir été faites aux frais du propriétaire –. Ces présomptions sont toutefois susceptibles d’être renversées par la preuve contraire (C. civ., art. 553). Il arrive ainsi que les constructions ou plantations aient été effectuées avec des matériaux ou plants appartenant à autrui ou qu’elles aient été réalisées sur le terrain d’autrui.

Tel était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rapporté. En l’espèce, un homme construit une maison sur un terrain appartenant à sa fille. Après avoir quitté les lieux, il l’assigne en remboursement sur le fondement de l’article 555 du code civil. La cour d’appel rejette sa demande et ordonne la démolition, à ses frais, de la construction, aux motifs qu’il ne prouvait pas avoir été titulaire d’un titre translatif de propriété dont il ignorait les vices. Dans son pourvoi en cassation, le constructeur soutient que « celui qui construit sur le terrain d’autrui avec l’autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi, sans qu’il ait besoin de prouver l’existence d’un titre translatif de propriété dont il ignorait les vices » (pt 2, 1°). La cour d’appel aurait ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du code civil en refusant de retenir sa bonne foi du fait de l’absence de titre translatif de propriété. Le constructeur invoque, à titre subsidiaire, le fait que « la renonciation à un droit peut être tacite, pourvu qu’elle soit non équivoque ; que l’autorisation donnée par le propriétaire de procéder à l’édification d’une construction sur son terrain par un constructeur de mauvaise foi peut constituer une renonciation tacite à se prévaloir de son droit à la démolition d’un tel ouvrage » (pt 2, 2°). La cour d’appel aurait, là encore, privé sa décision de base légale au regard des articles 550 et 555 du code civil.

La troisième chambre civile rejette le pourvoi, en rappelant que « la bonne foi au sens de l’article 555 du code civil s’entend par référence à l’article 550 du même code et concerne celui qui possède comme propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices » (pt 4). Le constructeur ne pouvait donc être de bonne foi en l’espèce car, même si sa fille l’avait autorisé à réaliser les constructions, il ne disposait d’aucun titre translatif de propriété (pt 3).

La question de la propriété des constructions ne posait pas de problème en l’espèce. Rappelons que, en cas de réalisation de constructions sur le terrain d’autrui, celles-ci sont acquises de plein droit par le propriétaire du sol par le jeu de l’accession par incorporation (Civ. 3e, 27 mars 2002, n°...

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Le présent jugement du tribunal judiciaire de Paris n’est autre que le prolongement de l’affaire Volkswagen (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin ) qui avait enrichi l’« interminable » débat relatif, en matière d’arbitrage, au devoir de révélation de l’arbitre et la fameuse « obligation de curiosité » (E. Loquin, obs. ss Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. X. Delpech ; RTD com. 2017. 842 ) qui incombe, quant à elle, aux parties.

Concernant les faits, rappelons brièvement qu’en l’espèce, deux sociétés, l’une de droit émirati (Audi Volkswagen Middle East Fze [AVME]), l’autre de droit qatari (Saad Buzwair Automotive Co [SBA]), étaient entrées en relation commerciale pour que la première fournisse à la seconde des véhicules, selon les termes de deux accords conclus en 2007 qui contenaient des clauses compromissoires prévoyant l’organisation d’un arbitrage CCI, avec application du droit allemand au fond du litige. Plus tard, une lettre-avenant avait précisé que ces deux accords étaient conclus pour une durée indéterminée. En 2011, toutefois, AVME décide de ne pas renouveler ces deux conventions au-delà du 30 juin 2012.

En réaction, SBA introduit en février 2013 une procédure arbitrale contre AVME. Une sentence définitive est rendue le 16 mars 2016 et rejette les demandes d’indemnisation de la société SBA pour rupture abusive des relations commerciales et condamne celle-ci à supporter les frais d’arbitrage, ainsi que l’intégralité des frais et honoraires exposés par la société AVME. C’est cette sentence, rendue à Paris, qui a été annulée par le juge français (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.) sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile, au motif que l’un des arbitres avait omis de mentionner, lors de sa nomination en qualité de coarbitre puis au cours de la procédure arbitrale, les liens unissant le cabinet d’avocats dont il était associé et le groupe dont fait partie la société AVME. Entre-temps, SBA avait adressé par acte extrajudiciaire, le 30 octobre 2018, une assignation à l’arbitre concerné par le défaut de révélation afin d’obtenir qu’il soit déclaré contractuellement responsable et condamné au paiement des différentes sommes engagées dans le cadre de l’arbitrage annulé. Le présent jugement en est la continuité avec l’orientation du débat, par l’arbitre concerné, sur le terrain de la compétence du juge français qu’il conteste. À l’évidence, l’apport principal de la décision est le surprenant raisonnement du tribunal judiciaire sur l’application du règlement (UE) 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit Bruxelles I bis (ci-après RBI bis), à l’action en responsabilité contre l’arbitre.

En effet, dans une décision inégalement étayée, le tribunal judiciaire de Paris rejette les arguments de la société SBA qui soutenait la compétence du juge français et retient son incompétence pour connaître du présent litige. Elle renvoie en conséquence SBA à se pourvoir devant la juridiction allemande compétente, en vertu du RBI bis, dont elle fait ici application, après avoir déterminé qu’il s’appliquait bien à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Cela invite donc à réfléchir à deux principales questions :

celle de l’applicabilité du RBI bis à une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ;
 celle ensuite de la mise en œuvre de ce règlement et le choix du critère permettant l’identification de la juridiction européenne compétente pour connaître d’une telle action.

C’est dès lors l’examen détaillé des arguments soulevés et surtout retenus pour justifier une telle décision qui appellera aujourd’hui notre attention en traitant à la fois de l’applicabilité du RBI bis, mais également de son application à une action en responsabilité d’un arbitre dont le manquement à son devoir de révélation a entraîné l’annulation de la sentence à laquelle il a participé.

L’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre

Sur le terrain de l’applicabilité du RBI bis, le tribunal affirme que « le présent litige a pour objet, une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements de [l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties]. Il s’ensuit que, ne portant pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale, il n’entre pas dans le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) n° 1215/2012 et que, dès lors, le choix de la juridiction compétente pour connaître de la présente action doit être déterminé selon les règles énoncées par ce texte ».

Si le résultat ne surprend pas, plusieurs remarques s’imposent néanmoins au regard de la faible motivation du tribunal face à une question qui méritait à n’en point douter des développements plus ambitieux, tant elle chagrine la résolution satisfaisante de la difficile question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage du RBI bis, mais également celle de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison d’un manquement à son devoir de révélation.

Le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du RBI bis

Il paraît utile pour bien traiter cette question de revenir sur l’évolution de la relation entre l’arbitrage et le droit européen. Plus spécifiquement, le point qui nous intéresse ici est celui du domaine de l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du règlement Bruxelles I bis (v. not. sur le sujet H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, spéc. nos 48 s. ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; A. Nuyts, Exclusion de l’arbitrage, JT 2015. 90 ; G. Matray, L’arbitrage et le droit judiciaire européen : aspects pratiques, JDE 2014. 370). Historiquement, cette exclusion n’est pas récente puisque, dès l’adoption de la convention originaire de 1968 (v. not. Rapport Jenard sur la Convention du 27 sept. 1968, JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1), l’arbitrage était du nombre des matières expressément exclues. Cette exclusion fut ensuite maintenue à l’article 1, 2, d, dans les versions refondues du règlement, celle de 2001 (règlement [CE] n° 44/2001 du Conseil du 22 déc. 2000 ; ci-après RBI) et celle de 2012 (préc.). Toutefois, le domaine de cette exclusion a connu d’importantes variations dont nous rappellerons seulement les plus importantes, en nous appuyant notamment sur les deux affaires citées par le tribunal. Il y a tout d’abord la décision Marc Rich qui avait semblé conférer une portée large à l’exclusion de l’arbitrage (CJCE 25 juill. 1991, aff. C-190/89, Marc Rich, Rev. crit. DIP 1993. 316, note P. Mayer ; Rev. arb. 1991. 697, note D. Hascher) en précisant notamment que, « pour déterminer si un litige relève du champ d’application de la convention, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte ». En conséquence, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déduit que « l’exclusion s’étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d’un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l’existence ou de la validité d’une convention d’arbitrage ».

Dans la présente décision, les deux parties conviennent que l’objet du litige est bien l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Elles s’affrontent en revanche sur le point de savoir si cette action est véritablement en lien avec l’arbitrage. Pour l’arbitre, l’objet du litige est sans lien direct avec l’arbitrage, tandis que la société SBA défend l’idée que l’action en responsabilité contre l’arbitre est directement liée « à la contestation de la sentence » et a pour « origine la constitution irrégulière du tribunal arbitral ». L’arbitre relève néanmoins un point très intéressant en faisant valoir que l’appréciation du lien de la procédure avec l’arbitrage doit se faire au regard du critère suivant : la procédure concourt-elle ou affecte-t-elle l’arbitrage ? Sur la première partie de la question, il apparaît évident que l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre ne concoure pas à la réalisation de l’arbitrage, en ce sens qu’elle ne lui est point indispensable pour qu’il se réalise. En revanche, l’on peut encore se demander si cette décision n’est pas de nature à affecter l’arbitrage. En réalité, l’action en responsabilité dirigée semble plus affectée par l’arbitrage qu’elle ne l’affecte, si l’on considère qu’elle est avant tout une conséquence indirecte de l’annulation de celui-ci ; indirecte, car l’annulation de la sentence pour un manquement de l’arbitre à son devoir de révélation ne présume pas du traitement au fond de la question de la responsabilité de l’arbitre. L’inverse tendrait à confondre, notamment en matière délictuelle, le manquement de l’arbitre avec la faute qualifiée telle qu’elle est exigée pour engager la responsabilité de l’arbitre (v. not., sur ce point, P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, Rev. arb. 2017. 1123 ; v. aussi le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017 ; v., pour un compte rendu, JCP 2017. Act. 951 ; TGI Paris, 22 mai 2017, Blow Pack, n° 14/14717, Rev. arb. 2017. 977, note J.-Y. Garaud et G. de Rancourt). Plus loin, l’arbitre fragilise un peu plus le lien entre l’action en responsabilité contre l’arbitre et l’arbitrage en relevant que cette action est nécessairement intentée a posteriori et non a priori comme cela est le cas pour une difficulté afférente à la constitution du tribunal. Ce critère temporel est assez efficace en ce qu’il marque la dépendance unilatérale de l’action en responsabilité vis-à-vis de l’arbitrage. Dans le cas d’espèce, justement, ce sont bien les conséquences financières découlant de l’annulation de l’arbitrage qui conditionnent l’action en responsabilité, sans que celle-ci rayonne en retour sur l’arbitrage. D’ailleurs, cela aurait pu concerner également les frais supplémentaires engagés en raison d’une récusation tardive, imputable à l’arbitre, sans que cela n’entraîne pour autant l’annulation de la sentence. Dans tous les cas de figure, l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre demeure sans effets sur l’existence et le déroulement de l’arbitrage ou même le contenu de la sentence arbitrale. Malheureusement, le tribunal passe à côté de cette discussion en précisant simplement que l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre ne porte pas sur la « constitution du tribunal, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale », sans expliquer en quoi ladite action y échappe. En définitive, la question n’est pas tant celle de savoir si cette action est liée à l’arbitrage, mais comment elle y est liée. De ce point de vue, le critère des effets que la procédure visée projette sur l’arbitrage offre une grille de lecture intéressante pour trancher la question de son inclusion ou exclusion du champ du RBI bis. Le tribunal n’y a pas été aussi sensible.

Passant outre les points précédemment exposés, le tribunal préfère évoquer, dans le prolongement de l’affaire Marc Rich, une autre décision, également citée dans le jugement, qui a restreint l’étendue de l’éviction de l’arbitrage du domaine du règlement. Il s’agit évidemment de la célèbre affaire West Tankers (CJCE 10 févr. 2009, West Tankers, aff. C-185/07, D. 2009. 981 , note C. Kessedjian ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 644, obs. P. Delebecque ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2009. 407, note S. Bollée) dans laquelle la Cour de justice a retenu qu’une anti-suit injunction rendue par le tribunal d’un État membre, au soutien d’une procédure arbitrale, n’était pas compatible avec le Règlement de Bruxelles (RBI). L’arbitrage rentrait donc à nouveau dans le giron du droit européen. Ici, toutefois, le raisonnement du tribunal est affaibli par l’absence de référence à la très importante décision Gazprom (CJUE 13 mai 2015, Gazprom, aff. C-536/13, concl. M. Wathelet, Dalloz actualité, 28 juin 2015, obs. F. Mélin ; AJDA 2015. 1585, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2015. 1106 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2015. 837, obs. L. Usunier  ; Procédures 2015. Comm. 226, note C. Nourissat) qui a renoué, quelques années plus tard, avec une conception large de l’exclusion de l’arbitrage. Dans cette décision, la Cour de justice qui s’exprime après l’entrée en application du RBI bis, mais sous l’empire du RBI, décide que le règlement Bruxelles I « ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre, dans la mesure où ce règlement ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre ». Ainsi, les États membres restent libres, conformément à leur droit national, interne ou international, de régler le sort d’une anti-suit injunction prononcée par un tribunal arbitral. Si l’arrêt Gazprom sauve la décision West Tankers (arrêt Gazprom, préc., pt 39), en notant que l’origine étatique de l’injonction justifie qu’elle tombe sous l’empire du RBI, une partie de la doctrine a néanmoins relevé, prenant acte du refus de la Cour de justice dans l’arrêt Gazprom de se prononcer à la lumière des précisions introduites dans le considérant 12 du RBI bis, comme l’y invitait pourtant l’avocat général (concl. M. Wathelet, préc., pt 91), que la refonte du règlement met fin à la jurisprudence West Tankers (S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979, spéc. p. 983).

En effet, dans le RBI bis, le considérant 12, rappelé par le tribunal dans son jugement, vient éclairer le sens de l’exclusion de l’arbitrage, telle qu’elle figure à l’article 1er, § 2, d. Si le tribunal rappelle la lettre du considérant 12, il ne semble pas tirer de son contenu toutes les conséquences attendues, ou tout du moins la nuance imposant une démonstration particulièrement convaincante pour en modérer la portée. En définitive, le tribunal fournit une liste, négative, des litiges susceptibles d’intégrer le champ matériel du RBI bis, dès lors qu’ils ne portent « pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale ». Il prend soin donc d’exclure le contrat d’arbitre de cette catégorie pour justifier l’application du règlement à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Il semble ici que le tribunal va à l’encontre de la lettre du règlement et de son considérant 12 qui évoque un spectre bien plus large en concevant une liste non exhaustive : « une action ou demande accessoire portant, en particulier, sur la constitution d’un tribunal arbitral, les compétences des arbitres, le déroulement d’une procédure arbitrale ou tout autre aspect de cette procédure ni à une action ou une décision concernant l’annulation, la révision, la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale, ou l’appel formé contre celle-ci ».

Pour les mêmes raisons, le raisonnement du tribunal apparaît friable, dès lors qu’il n’expose pas le ou les critères retenus pour justifier l’inclusion de l’action en responsabilité. Tout au plus, le tribunal s’en tient simplement à l’idée générale selon laquelle l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du RBI bis est nécessairement restrictive puisqu’une décision, certes célèbre, et néanmoins prise en application de la précédente version du règlement, le laisse à penser. Au surplus, le tribunal valide implicitement la thèse de l’arbitre sur le caractère limitatif de la liste fixée par le considérant numéro 12, en proposant une liste plus restrictive encore, à nouveau sans justification.

C’est d’autant plus regrettable que les arguments substantiels ne manquaient pas. Le tribunal aurait ainsi pu relever que si le considérant 12 ne prévoit pas une liste exhaustive, il constitue également la preuve que, par la présence d’une liste illustrative, toutes les actions périphériques à un arbitrage n’ont pas vocation à intégrer le domaine de l’exclusion. Par suite, il eut été certainement plus simple et convaincant de déterminer la raison d’être de la liste non exhaustive du considérant 12 en identifiant de potentiels critères de rattachement au domaine de l’exclusion.

Il faut néanmoins relever, à la décharge du tribunal, que le présent problème n’a jamais été directement traité, ni par les cours nationales ni par la Cour de justice, mais surtout que la question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage est loin d’avoir été clarifiée par le considérant 12 et continue donc de soulever de multiples interrogations (v. not. RTD eur. 2013. 435, spéc. n° 51, obs. H. Gaudemet-Talon et C. Kessedjian  ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; Rev. crit. DIP 2013. 1, A. Nuyts  ; D. 2013. 1014, obs. L. d’Avout ), amenant même certains commentateurs à regretter que l’on n’ait pas précisé une règle matérielle de compétence « propre à centraliser le contentieux au siège de l’arbitrage » (M. Laazouzi, Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale. Champ d’application, J.-Cl. dr. internat., fasc. 584-120, n° 58 ; S. Bollée, « Les questions liées à l’appréciation et aux effets des conventions d’arbitrage », in P. Mayer [dir.], Arbitrage et droit de l’Union européenne, LexisNexis, 2012, p. 15, spéc. nos 9 s.). Le recours à une règle matérielle unique semble d’autant plus justifié que l’identification d’un ou plusieurs critères clairs fait ici défaut au jugement du tribunal, mais aussi à l’analyse proposée. Car il transparaît de la jurisprudence des cours une incompatibilité patente avec des critères simples tels que celui de la temporalité du litige vis-à-vis de l’arbitrage ou de l’influence du litige sur la réalisation de l’arbitrage, c’est-à-dire des effets qu’il est susceptible de produire sur la procédure arbitrale. Il suffit pour s’en convaincre de songer à nouveau à l’inclusion des demandes formées devant le juge d’un État membre aux fins d’obtention d’une mesure provisoire ou conservatoire (CJCE 17 nov. 1998, aff. C-391/95, Van Uden, D. 2000. 378 , note G. Cuniberti ; Rev. crit. DIP 1999. 340, note J. Normand ; ibid. 669, étude A. Marmisse et M. Wilderspin ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti ; RTD civ. 1999. 177, obs. J. Normand ; RTD com. 2000. 340, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 1999. 143, note H. Gaudemet-Tallon), sauf à considérer que ces procédures devraient impérativement intégrer le domaine d’exclusion de l’arbitrage. Il n’en demeure pas moins que cette distribution présente le très grand défaut d’entretenir une confusion et l’avertissement formulé par l’avocat général Darmon sous la décision Marc Rich (M. Darmon, concl., 19 févr. 1991, Rec. CJCE 1991. I. 3865, pt 77) n’en raisonne que plus fort : « en appliquant la convention de Bruxelles aux litiges en matière d’arbitrage, le risque est grand de conduire à des solutions sans doute harmonisées, mais totalement inadéquates aux besoins propres de l’arbitrage international ».

Au fond, sur la question de l’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre, plus que le résultat, c’est la faiblesse de l’argumentation du tribunal qui laisse perplexe. En amenant les décisions du passé au présent, celui-ci ne favorise pas la compréhension de la démonstration. Il paraissait pourtant naturel que l’écart procédural entre l’arbitrage et l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre suffît pour partie à justifier que l’action soit traitée séparément, selon les règles de droit commun, auxquelles appartiennent sans doute, en matière internationale, celles du droit européen. En revanche, la question de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre impose un travail approfondi des cours et, là-dessus, le jugement du tribunal judiciaire de Paris ne rassure pas le lecteur.

La nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre pour manquement à son devoir de révélation

Dans le présent jugement, la question de la nature de l’action engagée à l’encontre de l’arbitre ne semble pas poser de problème particulier et le tribunal énonce d’ailleurs que le litige « a pour objet une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements [de l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties] ». Au surplus, la question n’est pas non plus débattue entre les parties qui se prononcent elles aussi sur le terrain contractuel.

Ce choix paraît d’autant plus justifié que la jurisprudence précise également depuis l’affaire Raoul Duval (TGI Paris, 12 mai 1993 et Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard) que « la faute consistant en un défaut de révélation pouvait engager la responsabilité de l’arbitre, fondée sur sa “faute contractuelle”, selon les règles de droit de la responsabilité civile contractuelle » (v. le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017, préc. spéc. p. 32). Classiquement rattaché aux obligations d’indépendance et d’impartialité, le manquement au devoir de révélation est donc sanctionné selon le droit commun de la responsabilité (T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 932 ; v. aussi, P. Fouchard, note ss Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 327).

Pourtant, il est permis de penser que la question aurait mérité, du fait qu’elle conditionne à la fois l’applicabilité et l’application du RBI bis, de plus amples développements de la part du tribunal, en écartant tout doute eu égard à l’obligation que l’article 12 du code de procédure civile lui fait de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».

En effet, passée l’apparente simplicité, la question de la nature contractuelle ou délictuelle de l’action en responsabilité dirigée contre les arbitres n’a pas livré tous ses secrets et continue d’animer la jurisprudence comme en témoignent de récentes affaires (v. not. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 302, obs. E. Loquin ; v. aussi, sur l’engagement de la responsabilité de l’arbitre pour violation du contradictoire, Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238, Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. L. Jandard ; ibid. 7 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2020. 802, obs. L. Jandard ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ), mais aussi la richesse des écrits doctrinaux sur le sujet (v. not. P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, art. préc. ; v. aussi J.-Y. Garaud et G. de Rancourt, note ss TGI Paris, 22 mai 2017, préc. ; M. Mekki, Le double jeu de l’arbitre et la mise en jeu de sa responsabilité, Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107).

Il faut admettre que l’identification d’un critère clair de distinction entre les deux types de responsabilités est loin d’être simple. Si tous les commentateurs s’accordent pour dire que le manquement de l’arbitre à son obligation de révélation, qui se rapporte à son devoir d’indépendance et d’impartialité, lui-même rattaché à l’exigence de loyauté évoquée par l’article 1464 du code de procédure civile, est susceptible d’engager sa responsabilité civile, la question de la nature de cette action interroge beaucoup plus la logique. Plus précisément, la difficulté refait surface lorsqu’est posée la question des critères permettant de distinguer selon que la responsabilité de l’arbitre est de nature délictuelle ou contractuelle. Pour certains auteurs, la réponse se trouve dans la célèbre affaire Azran du 15 janvier 2014. Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation précise que « la critique […] tendant à remettre directement en cause le contenu des sentences rendues, et partant l’exercice de la fonction juridictionnelle des arbitres, c’est à bon droit que la cour d’appel […] a écarté leur responsabilité en l’absence de preuve de faits propres à caractériser une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » (Civ. 1re, 15 janv. 2014, Azran, n° 11-17.196, Bull. civ. I, n° 1, préc., note 1 ; Dalloz actualité, 23 janv. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 219, obs. X. Delpech ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; RTD com. 2014. 315, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2016. 493, note J.-S. Borghetti ; Cah. arb. 2014, n° 2, p. 299, note L. Aynès ; Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107, note M. Mekki ; ibid., 27-28 juin 2014, p. 18, obs. D. Bensaude). Ainsi, la distinction entre la responsabilité de l’arbitre de nature contractuelle et celle de nature délictuelle repose sur le point de savoir si la demande a trait à l’exercice de la fonction juridictionnelle ou non, c’est-à-dire si celle-ci est susceptible de remettre directement en cause le contenu des sentences rendues (P. Stoffel-Munck, art. préc.). Si l’objet du grief remet directement en cause un motif ou une conclusion de la sentence, alors l’action est nécessairement de nature délictuelle et suppose l’établissement d’une faute spécifique – « une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » – pour évincer la quasi-immunité dont jouissent les arbitres dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle. En revanche, lorsque l’objet du grief n’est pas de nature à influer sur le contenu des décisions des arbitres, alors il faut revenir au droit commun de la responsabilité sur le terrain contractuel, c’est-à-dire à l’examen des manquements aux obligations découlant du contrat d’arbitre qui lie l’arbitre aux parties (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Rev. arb. 1996. 411 [2e esp.], et obs. P. Fouchard, p. 360).

La démonstration semble convaincante et rappelle implicitement que la fonction juridictionnelle elle-même « découle en principe du contrat d’arbitre, même [si elle] […] n’y est pas réductible » (J.-S. Borghetti, note préc., spéc. n° 9). C’est pourtant là que le bât blesse. En effet, d’autres auteurs notent qu’il est naturel d’orienter sur le terrain de la responsabilité délictuelle la sanction des manquements les plus graves dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, tels que la violation des obligations d’indépendance, d’impartialité et de loyauté (v. not. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019., spéc. n° 799 ; M. Henry, L’obligation de loyauté des arbitres envers les conseils, Cah. arb. 2014, n° 3, p. 525, spéc. n° 4). Or, comme exposé précédemment, il n’est pas discuté que le devoir de révélation se rattache précisément aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, si bien qu’il se trouve plus intimement lié à la fonction juridictionnelle qu’au contrat d’arbitre lui-même. C’est si vrai qu’il serait tout à inconcevable de lier cette exigence fondamentale du procès arbitral à la validité du contrat d’arbitre, dès lors que les exigences d’indépendance et d’impartialité sont « de l’essence de [la] fonction juridictionnelle exclusive par nature de tout lien de dépendance à l’égard notamment des parties, et de tout préjugé » (Paris, 28 nov. 2002, Rev. arb. 2003, p. 445, note C. Belloc ; v. aussi Civ. 1re, 16 mars 1999, Bull. civ. I, n° 88).

À l’évidence, notre propos vise ici à anticiper les potentielles divergences entre les cours nationales et européenne sur la qualification de l’obligation de révélation (v. not. sur le choix d’une interprétation autonome de la « matière contractuelle », CJCE 22 mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82, Rec. CJCE p. 987, pt 9 ; v. aussi CJCE 8 mars 1988, Arcado, aff. C-9/87, Rec. CJCE p. 1539) en essayant de déterminer l’origine de celle-ci puisqu’elle constitue le cœur de la responsabilité envisagée. Dès lors, si l’on considère que la distinction entre la nature contractuelle et délictuelle tient à ce que l’action en responsabilité contre l’arbitre ayant manqué à son devoir de révélation n’affecte pas le contenu de l’arbitrage, alors il paraît tout à fait logique de l’exclure du domaine de la fonction juridictionnelle. En ce sens, l’obligation faite à l’arbitre de révéler tous les faits de nature à créer un doute raisonnable quant à son impartialité ou son indépendance trouve potentiellement sa source dans le contrat d’arbitre lui-même. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que le droit européen adhère à cette qualification, constatant simplement l’existence d’un « engagement librement assumé » (CJCE 17 juin 1992, Jacob Handte, aff. C-26/91, Rec. CJCE p. 3967 ; D. 1993. 214 , obs. J. Kullmann ; Rev. crit. DIP 1992. 726, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 1993. 131, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 1992. 709, note P. de Vareilles-Sommières ) entre l’arbitre et les parties. À l’inverse, si l’on prend pour point d’appui de la démonstration celui de savoir si la nullité du contrat d’arbitre entraîne l’effacement de l’obligation de révélation qui incombe aux arbitres, alors la réponse paraît beaucoup moins évidente et semble faire glisser l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison du manquement à son devoir de révélation sur le terrain délictuel. Et pour cause, en l’espèce, l’obligation est susceptible de trouver son origine non pas dans le contrat d’arbitre, mais dans la loi applicable à la procédure et plus spécifiquement dans l’article 1464 du code de procédure civile français qui fait notamment peser sur les arbitres, en matière interne comme en matière internationale, un devoir de loyauté à l’égard des parties.

L’importance de la distinction est de taille pour l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre tant elle influence à la fois le traitement au fond de l’affaire et également l’identification de la juridiction compétente pour en connaître. En effet, les critères de rattachement ne sont pas équivalents selon que l’on considère une action de nature contractuelle ou délictuelle, en droit national comme en droit européen. Au-delà, l’engagement de la responsabilité de l’arbitre est plus difficile à rapporter sur le terrain délictuel que contractuel, puisqu’une faute qualifiée est exigée pour le premier cas de figure. Plus loin, la question de la validité des clauses d’exonération se pose et renforce la nécessité d’une discussion sur le sujet.

La question et celles qui en découlent resteront néanmoins suspendues puisqu’en l’espèce le tribunal s’est laissé convaincre par les parties que l’action était nécessairement de nature contractuelle et la solution était sans doute opportune (en matière délictuelle, les critères semblent particulièrement mal indiqués pour identifier, dans le cadre d’une action en responsabilité contre un arbitre, le lieu « où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » - règl., art. 7, § 2) en prévision de l’application qu’il lui restait désormais à faire du RBI bis.

L’application du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre

Après avoir déterminé que le RBI bis trouvait bien à s’appliquer à l’action en responsabilité contre un arbitre, le tribunal en fait application en s’appuyant là encore sur les arguments soulevés par l’arbitre en opérant une démonstration en deux temps. En premier, il rejette le critère du siège de l’arbitrage, considérant qu’il n’a dans l’acte de mission qu’un « caractère fictif ». En second, le tribunal s’applique à déterminer quel lieu correspond en l’espèce à celui où « les services ont été ou auraient dû être fournis » et tranche en faveur de l’Allemagne.

Là encore, plusieurs critiques peuvent être formulées, et ce d’autant plus que le résultat ainsi que les motivations qui y mènent interpellent. En conséquence et pour bien analyser le jugement du tribunal sur ce point, il est utile de distinguer les deux étapes de son raisonnement qui rejette tout d’abord le siège de l’arbitrage comme critère pertinent de rattachement à la juridiction européenne compétente puis indique que le lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre, déterminé à partir d’un faisceau d’indices, constitue, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), deuxième tiret du RBI bis, le critère le plus adéquat pour désigner les juridictions compétentes.

Le rejet du siège de l’arbitrage comme critère de rattachement à la juridiction européenne compétente en vertu du RBI bis

C’est sans doute l’apport le plus intéressant de la décision du tribunal judiciaire de Paris. En refusant d’appliquer le critère du siège, la juridiction parisienne exprime une évidente réserve à l’égard de l’arbitrage, refusant de reconnaître audit siège une valeur autre que celle d’une simple fiction juridique insusceptible de produire des effets sur les questions de compétences se rapportant à l’action en responsabilité contre un arbitre.

Avant toutefois d’en venir à la mise à l’écart du siège, il faut commencer par relever que le tribunal semble rester relativement indifférent à la discussion se rapportant à la qualification du siège de l’arbitrage en clause attributive de juridiction au sens de l’article 25 du RBI bis. Plus simplement, le tribunal aimante l’application du RBI bis sur l’unique terrain de l’article 7, paragraphe 1, sous b), à la recherche du « lieu de la fourniture principale des services » localisé soit conventionnellement par les parties, soit en considération du second tiret, sous le b) de l’article 7, paragraphe 1, qui évoque « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Or, pour le tribunal, la localisation conventionnelle ne peut correspondre au siège de l’arbitrage dès lors qu’il n’a qu’un « caractère fictif » et qu’il existe en outre d’autres lieux désignés dans le contrat d’arbitre et susceptibles de convenir. Il déduit une équivocité autour de la désignation du siège comme for compétent pour connaître de l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre.

Il y a derrière cette solution un paradoxe intéressant à relever. En effet, le raisonnement pourrait convaincre qu’il y a là l’expression d’une certaine hostilité à l’égard de l’arbitrage, considérant d’ailleurs à raison que la première partie du raisonnement du tribunal donne quelques indices de son rattachement à une approche dite « localisatrice », justifiant que l’arbitrage soit soumis par exemple à l’application des normes européennes, mais ce serait oublier bien vite que même les tenants des thèses les plus « délocalisatrices » de l’arbitrage estiment que l’action en responsabilité échappe à la sphère arbitrale (T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », in S. Bostanji [dir.],Le juge et l’arbitrage, F. Horchani et S. Manciaux, Pedone, 2014, p. 45 : « [si le siège] sert pour la détermination de la loi applicable [lorsque les parties n’ont rien prévu dans le contrat d’arbitre], il ne sert pas pour celle de la juridiction compétente qui sera, par application des règles classiques du droit des conflits de juridictions, celle du lieu du domicile du défendeur, ou d’un co-défendeur en cas de tribunal arbitral plural »). Ainsi, toutes les thèses semblent se rencontrer sur la question, convenant de la faiblesse des effets produits par le siège de l’arbitrage (la jurisprudence française va même jusqu’à valider des clauses attributives de la juridiction compétente en cas de recours en annulation, quel que soit le lieu du siège du tribunal arbitral, réduisant ainsi à peau de chagrin le rôle du lieu de l’arbitrage dans la détermination des recours contre la sentence ; v. not. Paris, 17 juin 2004, D. 2006. Pan. 3026, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2006, p. 161, note T. Azzi).

Pourtant, la réconciliation n’est pas totale pour au moins deux raisons. La première renvoie à l’idée que c’est précisément à l’égard des contrats périphériques à l’arbitrage que le siège conserve le plus d’effets puisque « l’un des derniers intérêts juridiques de l’implantation du siège du tribunal arbitral est qu’il permet de localiser la relation juridique nouée entre l’arbitre et les parties, entre les parties et le centre d’arbitrage, et entre l’arbitre et le centre d’arbitrage. On sait en effet qu’il existe, en plus de la convention d’arbitrage, trois contrats qui unissent les différents protagonistes de l’instance arbitrale : le contrat d’arbitre entre les parties et l’arbitre, le contrat d’organisation de l’arbitrage entre les parties et le centre, et le contrat de collaboration arbitrale entre le centre et l’arbitre » (v. T. Clay, À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; L’arbitre, préf. de P. Fouchard. Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèse », 2001, spéc. nos 587 s.). Ainsi, le siège de l’arbitrage n’est pas une coquille vide et conserve a minima une vitalité pour les contrats « péri-arbitraux » aux fins de régler, notamment, les quelques conflits de lois qui demeurent.

La seconde tient à ce que les conceptions autonomistes de l’arbitrage ne rejoignent pas l’orientation prise par le tribunal qui accorde une valeur juridique équivalente au lieu du siège de l’arbitrage et à celui des audiences. Sur ce point, et malgré le vacillement de plus en plus prononcé de la notion de siège dans l’arbitrage (v. not. sur la désuétude du critère du siège, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 657 s., préf. T. Clay), il demeure évident que le siège se distingue du lieu de tenue des audiences et le supplante juridiquement (A. Panchaud, Le siège de l’arbitrage international de droit privé, Rev. arb. 1966. 2, spéc. p. 8 ; v. aussi, sur la distinction, T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; G. Kaufmann-kohler, Le lieu de l’arbitrage à l’aune de la mondialisation. Réflexions à propos de deux formes récentes d’arbitrage, Rev. arb. 1998. 517, spéc. p. 532 s.). En conséquence, le lieu du siège a nécessairement, du point de vue strictement juridique, un poids supérieur au lieu des audiences et constitue un critère de rattachement valable. D’ailleurs, il est très intéressant de relever que la Commission européenne elle-même avait réfléchi à faire du siège le critère privilégié de désignation du for compétent pour tous les litiges liés à une procédure arbitrale (v. not. art. 29 (4) de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 14 déc. 2010, COM(2010) 748 final 2010/0383).

Toutefois, malgré la valeur juridique évidente du critère du siège, le tribunal a choisi d’écarter toute localisation conventionnelle pour se mettre à la recherche d’autres lieux, plus effectifs et rendant selon lui meilleur compte de la réalité des prestations accomplies par l’arbitre en vertu du contrat d’arbitre. Malheureusement, si l’entreprise visant à identifier le lieu qui correspond géographiquement le mieux à l’endroit où l’arbitre a concrètement effectué ses missions est louable, elle présente des dangers évidents qu’il est nécessaire d’évoquer maintenant.

Le choix du lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre

En relevant que la localisation conventionnelle faisait défaut en l’espèce, laissant à entendre au contraire qu’une équivalence du lieu des audiences et du siège de l’arbitrage aurait permis de désigner de manière non équivoque un for compétent, le tribunal s’est mis quête d’un autre critère de rattachement. Pour ce faire, il considère le second tiret de l’article 7, paragraphe 1, sous b), qui indique que le « lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande » s’entend, dans un contrat de service, du « lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Pour le tribunal, ce lieu correspond, en considération de « la genèse, les objectifs et le système du règlement », au « lieu dans lequel le défendeur a effectivement réalisé, de manière prépondérante, sa prestation intellectuelle d’arbitre ». La démonstration paraît très convaincante, et ce d’autant plus que le cas d’espèce offre sur un plateau une série de faits plaçant en Allemagne le centre de gravité de l’ensemble des prestations accomplies par l’arbitre. Le tribunal considère notamment le lieu de tenue des réunions, des audiences ou encore le lieu des délibérations… tous désignent l’Allemagne ! En opportunité, il semblait donc parfaitement logique d’entraîner la désignation du for compétent vers le pays ayant eu, sur le plan géographique au moins, la très grande faveur des membres du tribunal arbitral, et plus encore de l’arbitre visé par l’action en responsabilité, puisque celui-ci y a même établi sa résidence pendant les deux ans de la procédure.

Pourtant, la solution présente d’importantes limites en cas de généralisation de la règle de désignation du for compétent, pour connaître d’une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ayant manqué à son devoir de révélation, à des hypothèses où les trois lieux précités, d’audience, de réunion et de délibération, sont totalement distincts. À l’inverse, le même constat incline à faire du siège de l’arbitrage le critère privilégié de désignation des juridictions étatiques compétentes, dès lors qu’il est le seul permettant d’unifier le critère de rattachement, sans égard pour la nature de l’action, et d’offrir à l’arbitre un moyen de mieux anticiper, postérieurement à l’annulation de l’arbitrage en raison d’un manquement à l’une des obligations qui lui incombaient, la juridiction susceptible de le condamner à une réparation.

En pratique, cependant, la plus sage des recommandations pour les arbitres serait certainement de devancer plus en amont encore ces difficultés en veillant désormais à négocier dans leur contrat d’arbitre une clause attributive de juridiction en cas d’engagement de leur responsabilité, et ce quel qu’en soit le motif : un manquement au devoir de révélation, au principe du contradictoire, etc. Il pourrait ainsi mieux anticiper dès le départ l’éventualité d’une action dirigée contre eux en bout de procédure arbitrale.

Pour le reste, on ne peut s’empêcher de se demander, au vu des nombreuses difficultés soulevées par la présente affaire, si le tribunal n’aurait pas mieux fait de poser ici une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne…

Une demande subsidiairement fondée sur une pratique restrictive de concurrence, portée devant une juridiction de première instance spécialement compétente, doit nécessairement être discutée, en cas d’appel général, devant la cour d’appel de Paris, y compris lorsque la demande principale avait été accueillie par les premiers juges.

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Auteur d'origine: cspinat

Après avoir confirmé la possibilité de qualifier une situation en convention d’assistance bénévole, la Cour de cassation valide le raisonnement ayant conduit à un partage de responsabilité sur des fondements juridiques différents entre responsabilité contractuelle de l’assisté et responsabilité délictuelle d’un des assistants envers la victime.

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Auteur d'origine: chelaine

L’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 relatif à la compétence territoriale en matière d’action en responsabilité contre le transporteur aérien international édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif.

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Auteur d'origine: Delpech

Le décret n° 2021-537 du 30 avril 2021 vient préciser les modalités d’application des dispositions issues de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 liées à l’isolement et à la contention dans le cadre d’une hospitalisation sous contrainte.

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Auteur d'origine: chelaine
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Ce dossier pose une question très intéressante située au carrefour du droit des pratiques restrictives de concurrence et de la procédure civile. La particularité du droit des pratiques restrictives de concurrence a justifié que le contentieux soit confié à un nombre limité de juridictions de première instance et, en appel, à la cour d’appel de Paris aux termes de l’article D. 442-3 du code de commerce renvoyant à son annexe 4.2.2. Si cette exclusivité de compétence, d’ordre public, ne pose guère de difficulté lorsque le litige porte principalement sur une pratique restrictive de concurrence, la question de savoir quelle est l’incidence d’une demande subsidiairement fondée sur l’une de ces pratiques se pose avec une particulière acuité.

En l’espèce, la société MHCS, une société qui fabrique et commercialise des champagnes, a choisi de diffuser ses produits par l’intermédiaire de Mme de B. dès 1990. En 2014, la société décide de résilier le contrat pour faute grave. Mme de B. saisit alors le tribunal de commerce de Marseille en formulant diverses demandes.

Au principal, et dans l’hypothèse où, comme elle le soutient, le contrat est qualifié d’agence commerciale, elle réclame le paiement de commissions, d’une indemnité de clientèle et d’une indemnité de préavis en application du droit commun des contrats et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.

Au subsidiaire, dans l’hypothèse où la juridiction ne retiendrait pas la qualification souhaitée, elle sollicite des dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5e (devenu l’art. L. 442-1 c. com.). Souvenons-nous effectivement que cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer à l’agence commerciale (v. par ex., Com. 18 oct. 2017, n° 15-19.531). La juridiction accueille la demande principale en sorte que n’est pas statué sur la demande subsidiaire.

La société MHCS interjette alors appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Saisissant cette juridiction de l’entier litige en soutenant que la qualification d’agence commerciale doit être rejetée, elle formule parallèlement une exception d’incompétence au profit de la cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce dans la mesure où le débat subsidiaire porte sur la rupture brutale de la relation commerciale établie. Retenant la qualification d’agence commerciale, la cour d’appel déclare l’appel recevable et confirme le jugement de première instance condamnant la société au paiement des indemnités de clientèle et de préavis. Elle décide que la « recevabilité de l’appel n’aurait pu être examinée qu’une fois tranchée la nature du contrat liant la société MHCS à Mme de B. ».

Le pourvoi formé par la société pose la question de savoir si un moyen subsidiaire, non examiné en première instance mais à nouveau débattu dans le cadre d’un appel général, dont l’examen relève en principe de la compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce, peut être porté, et éventuellement examiné, devant une autre cour d’appel.

La chambre commerciale répond négativement : « la cour d’appel de Paris dispose exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l’article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire ». En d’autres termes, quoique subordonnée au sort réservé à la demande principale, la demande présentée à titre subsidiaire, dès lors qu’elle est dévolue à la connaissance de la cour d’appel, doit pouvoir être examinée par la juridiction qui a reçu exclusivement compétence pour ce faire.

Les arguments au soutien de cette solution sont nombreux. D’abord, elle s’associe harmonieusement avec la jurisprudence récente. Dans un arrêt retentissant du 29 mars 2017, la chambre commerciale a opéré un revirement à la suite d’un important contentieux qui alourdissait inutilement les délais de traitement des dossiers. La question était quelque peu différente : quid de la juridiction d’appel compétente en cas de recours contre un jugement rendu par une juridiction incompétente en matière de pratiques restrictives de concurrence, c’est-à-dire non spécialement désignée pour en connaître. La Cour de cassation a décidé qu’il fallait opérer un distinguo : les appels formés contre les jugements rendus par les juridictions spécialement compétentes sont portés devant la cour d’appel de Paris alors que ceux formés contre les jugements rendus par une juridiction incompétente doivent être portés devant les autres cours d’appel géographiquement compétentes, à charge pour ces dernières de relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction inférieure incompétente (Com. 29 mars 2017, n° 15-17.659, 15-24.241 et 15-27.811, D. 2017. 756 ; ibid. 1075, chron. S. Tréard, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et A.-C. Le Bras ; ibid. 2018. 865, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry ). La demande litigieuse formée devant les premiers juges est alors irrecevable sans que ne se trouve affectée la recevabilité de l’appel (Com. 23 janv. 2019, n° 17-23.271).

La décision commentée est fidèle à ce distinguo dans la mesure où la demande, fût-elle subsidiaire, avait été introduit devant une juridiction spécialement désignée pour en connaître, à savoir le tribunal de commerce de Marseille, et qu’elle devait en conséquence être portée à la seule connaissance de la cour d’appel de Paris. Aucune erreur procédurale liée à l’incompétence n’existait avant la saisine de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, même si le respect de l’article D. 442-3 du code de commerce, dans le cadre de la première instance, résulte sans doute d’un heureux hasard.

Cette solution garantit au demeurant la substance de l’effet dévolutif de l’appel dès lors que doit nécessairement être pris en considération l’ensemble des demandes formulées en première instance pour apprécier, en cas d’appel général, la compétence de la juridiction saisie. C’est ainsi que la Cour de cassation admet, a contrario, c’est-à-dire dans l’hypothèse où une demande fondée sur une pratique restrictive de concurrence est formulée pour la première fois devant une cour d’appel non compétente pour en connaître, que celle-ci puisse opérer une ventilation des demandes en ne statuant que sur celles relevant de sa compétence et déclarer le surplus irrecevable (Com. 7 oct. 2014, n° 13-21.086, D. 2014. 2329 , note F. Buy ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier ; AJCA 2015. 86, obs. M. Ponsard ; RTD civ. 2015. 381, obs. H. Barbier ; RTD com. 2015. 144, obs. B. Bouloc ).

En l’espèce, la demande n’est ni nouvelle, ni additionnelle. Subsidiaire, elle dépend du sort réservé à la demande principale. La cour d’appel d’Aix-en-Provence ne peut statuer sur sa compétence sans se prononcer sur la qualification de la relation unissant les parties retenue par les premiers juges. Même si, en première instance, la demande subsidiaire est devenue sans objet puisque la relation a été qualifiée d’agence commerciale justifiant l’accueil de la demande principale, l’appel a justement pour objet de porter l’entier litige à l’attention de la juridiction d’appel. Il est effectivement possible de considérer que les premiers juges ont au moins implicitement écarté l’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce par suite de la qualification du contrat en agence commerciale. Ainsi, la cour d’appel qui n’a pas été spécialement désignée en matière de pratiques restrictives, n’est pas autorisée à procéder à l’examen de la demande principale et, en cas de rejet de cette demande, à relever une fin de non-recevoir affectant le moyen subsidiaire, la sanction doit être immédiatement prononcée. Les moyens, principal et secondaire, sont dépendants en sorte qu’une demande de disjonction n’aurait même pas pu être envisagée (sur ce point, v. Com. 24 sept. 2013, n° 12-21.089, D. 2013. 2269, obs. E. Chevrier ; ibid. 2812, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2014. 893, obs. D. Ferrier ).

Cet arrêt place néanmoins dans les mains des parties un pouvoir important sur le sort procédural d’un litige dans la mesure où le choix des demandes subsidiaires est susceptible d’avoir une incidence sur la compétence juridictionnelle, y compris lorsque celles-ci ne sont pas étudiées en première instance car devenues sans objet. Le déroulement de nombreux procès est ainsi susceptible d’être déstabilisé.

La convention d’assistance bénévole ne cesse de fasciner les spécialistes du droit des contrats hier comme aujourd’hui (R. Bout, La convention dite d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Pierre Kayser, Aix-en-Provence, PUAM, 1971, p. 157 s. ; A. Sériaux, L’œuvre prétorienne in vivo l’exemple de la convention d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Michel Cabrillac, 1999, Litec, p. 299 s. ; T. Génicon, Variations sur la réalité du consentement : la convention d’assistance bénévole, RDC 2014. 16). Véritable contrat pour les uns, gestion d’affaire pour les autres, l’assistance demeure énigmatique en droit positif tant l’hésitation reste permise. L’une des principales interrogations récurrentes demeure la rencontre de cette figure avec la question de la responsabilité de l’assisté lorsque l’un des assistants subit un dommage. En somme, laquelle des responsabilités contractuelle ou délictuelle doit s’appliquer en pareille situation ? En d’autres termes encore, ceci se résume à savoir si l’assistance bénévole doit s’analyser véritablement en un contrat. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 5 mai 2021 explore cette discussion dans un arrêt original par la rareté de la figure de l’assistance bénévole en jurisprudence.

Plusieurs personnes aident bénévolement une autre personne à trier des affaires au domicile de ce dernier. Lors du rangement, un des participants à l’opération jette un carton de 30 kilogrammes du haut de la fenêtre du deuxième étage. Le problème est le suivant : un autre assistant se trouvait juste en dessous. Il est grièvement blessé par le choc du carton très lourd et projeté à une certaine vitesse. L’assureur de la personne assistée accorde une provision à la victime avant de se retourner contre celui qui a projeté le carton. La cour d’appel de Nancy qualifie la situation entre la victime et la personne ayant bénéficié de l’aide de convention d’assistance bénévole. Elle acte ainsi un partage de responsabilité dans la réalisation du dommage : 70 % pour le donneur de l’ordre (le bénéficiaire du contrat d’assistance bénévole) et 30 % pour celui qui a jeté le carton effectivement du haut de la fenêtre. Selon les juges du fond, le premier avait manqué à un certain devoir de sécurité puisqu’il n’avait pas donné de consignes précises pour jeter les cartons du haut de la fenêtre tandis que le second a bien commis une faute délictuelle en ne faisant pas attention si des personnes se trouvaient en dessous de cette fenêtre. C’est dans ce contexte que l’assureur de la personne assistée se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi qui présentait une argumentation intéressante, à savoir que la faute délictuelle devait empêcher de mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’assisté. En refusant une telle lecture, la Haute juridiction confirme la vigueur de la qualification de la convention d’assistance bénévole tout en validant une répartition de la responsabilité délicate à gérer pour l’assureur se retournant après avoir indemnisé la victime.

La vigueur de la qualification de convention d’assistance

Aucune disqualification de la figure de la convention d’assistance n’apparaît dans cet arrêt. Le raisonnement des juges du fond dans la qualification est purement et simplement insusceptible d’ouverture à cassation pour violation de la loi. Certes, le rattachement à la figure contractuelle peut paraître artificiel mais il n’est pas ici discuté (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 103, n° 88). Dans un article resté célèbre, Roger Bout avait proposé une approche quasi-contractuelle de la question à travers la gestion d’affaires (R. Bout, La convention dite d’assistance, préc.). Mais cette proposition n’a pas emporté la conviction de la Haute juridiction qui n’a jamais véritablement changé de position à ce sujet.

Sur ce point, il faut noter que la vigueur de la qualification, aussi discutable soit-elle, aboutit nécessairement à pouvoir prendre en compte une responsabilité contractuelle de l’assisté. Il aurait fallu que ce dernier prouve avoir donné des consignes strictes de sécurité pour y échapper. Or, les juges fond ont simplement relevé que celui qui a lancé le carton avait crié « Attention » au moment de projeter l’objet à travers la fenêtre. Mais du côté de l’organisateur du rangement ayant profité de l’assistance bénévole, aucune preuve d’une quelconque consigne de sécurité ou, du moins, d’ordres susceptibles d’éviter ce genre d’accidents n’avait été produite. C’est une bien délicate preuve à rapporter puisque les consignes dans ce genre d’évènements sont bien souvent verbales d’autant plus dans le cadre d’une assistance bénévole. Dans un courrier postérieur à l’accident, la personne assistée avait reconnu avoir donné l’ordre de jeter les cartons du haut de la fenêtre ; ce qui a facilité encore plus la reconnaissance de sa responsabilité contractuelle sans qu’il rapporte corrélativement des consignes de sécurité données au moment du rangement.

La difficulté d’une telle qualification repose sur une conséquence directe dans l’affaire étudiée, un partage de responsabilité reposant sur des fondements juridiques différents.

L’originalité du partage de responsabilité

La lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy frappé de pourvoi est très instructive. On peut y lire notamment que « la convention d’assistance bénévole emporte nécessairement l’obligation pour l’assisté de garantir l’assistant de la responsabilité par lui encourue, sans faute de sa part, à l’égard de la victime d’un accident éventuel, que cette victime soit ou non un assistant. […] Il résulte de ces éléments que si M. B. a commis une faute en jetant un carton de trente kilogrammes sans s’assurer préalablement qu’il pouvait le faire sans danger pour les personnes, parmi lesquelles M. V., qui se trouvaient au rez-de-chaussée, M. P. a lui-même, en tant qu’assisté et organisateur des travaux entrepris dans son intérêt, commis une faute en donnant à M. B. un ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour les personnes, et sans l’accompagner d’une quelconque consigne de sécurité. » (nous soulignons).

Tout ceci devait donc aboutir à un partage de responsabilité dont le fondement juridique devait différer nécessairement. Celui qui a lancé le carton engage sa responsabilité délictuelle envers la victime puisqu’il n’existe aucun contrat entre ces deux personnes ayant aidé bénévolement l’assisté. Mais dans les rapports entre ce dernier et la victime, la convention d’assistance impose – non-cumul ou plutôt plus exactement non-option oblige – le recours à la responsabilité contractuelle. En plus d’une qualification délicate à justifier sous l’angle du contrat d’assistance bénévole, la faute repose sur un forçage du contrat puisqu’il s’agit de la violation d’un devoir de sécurité. Le raisonnement du demandeur au pourvoi reposait sur la faute délictuelle de celui qui a projeté le carton qui devait, selon lui, éluder la responsabilité contractuelle de l’assisté qu’il assurait.

La Cour de cassation refuse une telle lecture. C’est un triomphe d’une prise en compte individualisée des rapports d’obligation entre les différents acteurs de cet accident fort malheureux. Puisque sans la convention d’assistance le dommage ne serait pas né, la cour d’appel avait considéré que la faute de l’assisté avait été à l’origine de 70 % de la réalisation du dommage en ce qu’un défaut de sécurité transparaissait tandis que la faute délictuelle de celui projetant le carton n’y avait concouru qu’à hauteur de 30 %. Il reste possible de critiquer une telle lecture de la situation qui fait une part-belle au forçage du contrat et qui fait reposer une grande partie du partage de responsabilité sur la personne ayant été assistée. Mais il faut bien avouer que cette solution reste parfaitement logique à la suite de la qualification contractuelle de l’assistance bénévole ou du moins inévitable en tout état de cause. Il ne resterait plus qu’à, peut-être, envisager une qualification en dehors de la sphère contractuelle. Mais, dans le contexte d’une qualification prétorienne, seule la Cour de cassation peut gérer sa propre création ; à moins de la codifier prochainement.

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En matière de transport aérien de passagers, l’essentiel du contentieux porte – et de très loin – sur des demandes d’indemnisation en cas d’annulation ou de retard important de vol. Peu fréquentes – et c’est heureux – sont les décisions rendues en matière d’accident aérien, qu’il concerne l’aviation de loisir (pour une illustration récente, v. Civ. 1re, 8 avr. 2021, n°[ESPACE19-21.842, Dalloz actualité, 6 mai 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 741 ) ou de ligne. Dans cette dernière hypothèse, l’accident est susceptible d’entraîner plusieurs dizaines, voire centaines de morts. On parle alors volontiers de catastrophe aérienne. C’est ce dont il est d’ailleurs question dans l’arrêt commenté. Les enjeux sont alors souvent considérables. Les responsabilités ne sont jamais faciles à déterminer ; souvent, tant la compagnie aérienne que le constructeur de l’aéronef ont quelque chose à se reprocher. Il est alors de bonne politique, pour les ayants droit des victimes, d’exercer une action en indemnisation à la fois contre le constructeur de l’aéronef et contre la compagnie aérienne.

Dans l’affaire ici jugée, le 28 décembre 2014, un avion, parti d’Indonésie à destination de Singapour, s’est abîmé en mer. Tous les passagers et membres de l’équipage ont malheureusement péri. Le 4 juillet 2016, divers ayants droit des victimes ont alors engagé une action en responsabilité civile à la fois contre la compagnie aérienne (une société indonésienne), le propriétaire de l’avion (une société allemande), le constructeur (une société française) et son fournisseur (une autre société française ; qui semble être un sous-traitant du constructeur auquel il est reproché d’avoir livré une pièce défectueuse), devant le tribunal de grande instance d’Angers, lieu du siège social de cette dernière société. On peut comprendre que les demandeurs, de nationalité française, ont préféré saisir une juridiction française pour obtenir la mise en cause de tous ces acteurs, d’abord par commodité, mais aussi parce que celles-ci sont probablement plus généreuses que les juridictions indonésiennes. Par ailleurs, le fournisseur a formé un recours en garantie contre la compagnie aérienne, également devant le tribunal de grande instance d’Angers. De leur côté, la compagnie aérienne, le fournisseur et le constructeur ont saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence au profit des juridictions indonésiennes.

Malheureusement pour eux, ils n’obtiennent – sur le seul terrain de la procédure – que partiellement gain de cause : la cour d’appel d’Angers déclare, en effet, le tribunal de grande instance d’Angers incompétent pour connaître de leurs demandes à l’encontre de la compagnie aérienne et énonce que l’affaire les opposant à celle-ci devra faire l’objet d’une disjonction d’instance, ainsi que le prévoit l’article 367, alinéa 2, du code de procédure civile. Dans leur pourvoi, les ayants droit ont contesté cette disjonction, estimant qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur a le choix de saisir la juridiction du lieu où demeure l’un d’entre eux. Cette prorogation de compétence a vocation à s’appliquer dans l’ordre international dès lors que les demandes dirigées contre les différents défendeurs sont connexes. Ils ajoutent qu’un accident d’aéronef est un fait unique rendant indivisibles ou, à tout le moins connexes, les demandes présentées à l’encontre des constructeurs et transporteur et justifiant à ce titre, l’application de la prorogation de compétence. En refusant de reconnaître la compétence de la juridiction française pour statuer sur la responsabilité de la compagnie indonésienne, la cour d’appel aurait violé l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, qui prévoit qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux (ici le fournisseur). Il est vrai qu’il a déjà été jugé qu’une telle action en indemnisation peut valablement être intentée à la fois contre le constructeur et le transporteur devant le tribunal du siège du premier car la Cour de cassation a estimé que ces demandes ont entre elles un lien de connexité (Civ. 1re, 26 juin 2019, n° 18-12.541, Dalloz actualité, 26 sept. 2019, obs. X. Delpech).

Devant quelle juridiction et sur quel fondement la compagnie aérienne doit-elle être attraite ? Tout d’abord, les ayants droit des victimes se sont prévalues des règles de compétence issues du règlement (UE) n° 1215/2015 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles 1 bis, et du principe de bonne administration de la justice résultant de ce règlement. En effet, selon eux, ce principe risquerait d’être bafoué s’il y a une incompatibilité entre la décision rendue par une juridiction française retenant la responsabilité du transporteur aérien sur l’appel en garantie exercé contre lui par le fournisseur, constructeur de la pièce défectueuse, et celle – qui serait rendue par une juridiction indonésienne, qui serait alors compétente – écartant toute responsabilité de ce même transporteur sur l’action directement intentée par les ayant-droits des victimes. L’argument est séduisant, mais la Cour de cassation le rejette logiquement, à la suite de la cour d’appel d’Angers, estimant que, dans la mesure où le transporteur aérien étant une société domiciliée dans un État tiers à l’Union européenne, la cour d’appel en a justement déduit que cette société ne pouvait être attraite en France sur la base de l’un des chefs de compétence dérivée du règlement Bruxelles 1 bis. Cette solution se recommande de l’article 6, § 1er, de ce règlement qui énonce que, « [si] le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre ».

Les règles de compétence pour connaître d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien sont en principe déterminées par les conventions internationales en matière de transport aérien. D’ailleurs, l’article 71 du règlement précité énonce que « [le] présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres [dont la France] sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions ». On serait donc tenté de prime abord de solliciter la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international. Pourtant, elle doit être en l’occurrence écartée, car, pour qu’elle s’applique, il faut en principe que le point de départ et le point (prévu) de destination soient deux parties à la Convention (art. 1er, al. 2). Or, à la date de l’accident, l’Indonésie, État du point de départ du vol, n’en était pas encore partie. C’est donc la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dont l’objet est le même que celle de Montréal, qui est applicable. Son article 28 pose les règles de compétence territoriale dans le cadre d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien en cas de transport international. Selon le premier alinéa de cet article, « [l]’action en responsabilité est portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’une des hautes parties contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination ».

Ce texte ne permet en aucun cas d’attraire le transporteur aérien devant une juridiction française. Que l’on retienne l’un ou l’autre des deux chefs de compétence prévus par celui-ci, le transporteur aérien ne pouvait être poursuivi que devant une juridiction indonésienne. La Cour de cassation ajoute que l’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie « édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif, de sorte qu’elle fait obstacle à ce qu’il y soit dérogé par application des règles internes de compétence, et notamment celle de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ». La solution n’est pas nouvelle (v. déjà Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 04-18.644 P, D. 2006. 2055, obs. X. Delpech ; RTD com. 2006. 703, obs. P. Delebecque  ; JCP 2006. Actu. 373 ; 12 nov. 2009, n° 08-15.269, Rev. crit. DIP 2010. 372, note H. Muir Watt ; RTD com. 2010. 456, obs. P. Delebecque  ; JCP E 2010, n° 1789, note F. Letacq). Cette règle de compétence directe signifie que le juge français saisi, amené, au préalable, à s’interroger sur sa propre compétence, est tenu d’appliquer cet article 28 pour apprécier cette compétence, à l’exception de toute autre règle de conflit de juridictions, en particulier la règle française de compétence territoriale.

Qu’en est-il enfin des règles de compétence territoriale s’agissant de l’appel en garantie du fournisseur contre le transporteur ? La cour d’appel a jugé que le tribunal de grande instance d’Angers était compétent à l’égard des demandes en garantie formées par le fournisseur à l’encontre du transporteur. Ce que confirme la Cour de cassation dans sa réponse, qui mérite d’être intégralement reproduite : « L’arrêt retient exactement, d’une part, que la Convention de Varsovie ne s’applique qu’aux parties liées par le contrat de transport et que, par conséquent, l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs ou de son sous-traitant, qui n’exerce pas une action subrogatoire mais une action personnelle, contre le transporteur, ne relève pas du champ d’application de cette Convention et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28, d’autre part, que, conformément à l’article 333 du code de procédure civile, applicable dans l’ordre international en l’absence d’une clause attributive de compétence, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l’appelant en garantie ».

La solution ne saurait surprendre. La Cour de cassation a, en effet, déjà jugé que l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d’application de la Convention de Varsovie et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28 (Civ. 1re, 4 mars 2015, n° 13-17.392 P, Dalloz actualité, 6 mars 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 622, obs. X. Delpech ; ibid. 1294, obs. H. Kenfack  ; JCP 2015, n° 601, note O. Cachard). C’est dire que la détermination de cette compétence relève des règles françaises, en l’occurrence de la règle de prorogation légale de compétence posée par l’article 333 du code de procédure civile sur l’intervention forcée, dont la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que, sauf en présence d’une clause attributive de compétence ou d’une clause compromissoire, il est applicable dans l’ordre international (Civ. 1re, 12 mai 2004, n° 01-13.903, Bull. civ. I, n° 129 ; D. 2004. 1562, et les obs. ; RTD civ. 2004. 553, obs. R. Perrot ). Ainsi, la Convention de Varsovie (et aujourd’hui celle de Montréal) n’est applicable que dans les relations entre le passager et le transporteur aérien. L’arrêt commenté ne surprend donc pas mais réitère opportunément, en les motivant davantage, des solutions complexes qui méritent d’être mieux connues.

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Après l’abrogation de plusieurs textes du code de la santé publique en juin 2020, le législateur a pu élaborer en décembre dernier une nouvelle mouture des dispositions autour de l’isolement et de la contention en matière de soins psychiatriques sans consentement (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Le décret d’application n’était pas encore sorti et de nombreux juges des libertés et de la détention (JLD) s’en inquiétaient notamment pour connaître les modalités pratiques des contrôles et des communications que les nouveaux textes imposent en matière d’hospitalisation sous contrainte. Le contexte reste trouble : nous avons commenté dans ces colonnes il y a quelques semaines la transmission par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ces nouvelles dispositions (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine). Mais la transmission au Conseil constitutionnel ne devait pas empêcher pour autant la publication du décret sur ces dispositions importantes pour les établissements de santé. Si l’incertitude règne pour l’heure sur le devenir des nouveaux textes, il faut donc se réjouir de connaître les modalités pratiques de la réforme partielle entreprise. Ne restera plus qu’à attendre la publication prochaine des instructions de la Direction générale des offres de soins (DGOS) pour que les praticiens de santé puissent s’adapter à ces nouvelles exigences légales dans le cadre des soins qu’ils prodiguent en matière d’hospitalisation sans consentement. Les textes nécessitent, en effet, une parfaite communication entre les équipes médicales et de direction des établissements de santé et le greffe du JLD pour garantir l’équilibre d’une procédure que l’on sait complexe.

Deux séries d’observations seront faites à propos de ce décret publié le 2 mai 2021 notamment sur les modalités d’information du JLD et sur le déroulement de la procédure.

Modalités d’information du JLD

On se rappelle que la clé de voûte du mécanisme issu de l’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 repose sur des conditions de seuils permettant de déclencher l’information du JLD dans le cadre de soins comprenant de l’isolement et de la contention. Auparavant, une incertitude régnait sur la durée de ces soins qui devaient être, certes, d’une durée limitée, mais sans plus de précision. C’est à partir de cette formule jugée ambiguë que le Conseil constitutionnel avait abrogé les dispositions relatives à l’isolement et à la contention.

Rappelons, à ce titre, brièvement que les seuils issus de la réforme de 2020 diffèrent selon la mesure envisagée aux alinéas 1 et 2 de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique :

en ce qui concerne l’isolement, la mesure peut être répétée jusqu’à atteindre quarante-huit heures au maximum quand l’état de santé du patient le nécessite ;
 en ce qui concerne la contention, la mesure ne peut intervenir que pour une durée plus courte, six heures renouvelable jusqu’à atteindre vingt-quatre heures.

Le décret n° 2021-537 vient donc ajouter au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique une section 4 comprenant une sous-section 1 sur les obligations d’information pesant sur les établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sous contrainte. 

L’article R. 3211-31-I prévoit ainsi que l’information à destination du JLD se fait « par tout moyen permettant de dater sa réception ». La difficulté repose sur la masse de travail que cette information supplémentaire peut représenter pour les médecins et les établissements hospitaliers. Mais, en tout état de cause, il s’agit de la seule option viable pour pouvoir informer le JLD dans les meilleurs délais : qui de mieux placé que le médecin ayant choisi l’isolement et la contention pourrait faire ceci ? La souplesse du décret repose sur l’expression « par tout moyen » qui devrait éviter de trop surcharger les établissements concernés par les soins psychiatriques sans consentement. La seule limite consiste à simplement à pouvoir dater avec certitude l’information du JLD par le médecin.

Le décret d’application rappelle que l’information du JLD se fait à chaque renouvellement à titre exceptionnel de l’isolement ou de la contention dans « un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la fin de la mesure précédente ». La computation des renouvellements exceptionnels invite ainsi à éviter que le JLD soit informé que de la mesure initiale dépassant les seuils évoqués : un retour de l’information est exigé à chaque fois que ces renouvellements atteignent à nouveau les délais légaux. Ceci permet de garantir le contrôle éventuel du juge sur ces mesures particulières que ce soit dès leur renouvellement originel ou lors d’un renouvellement secondaire. Plus encore, l’information doit également être délivrée lorsqu’en quinze jours, l’un des paliers est atteint par des mesures d’isolement ou de contention de courte durée mais qui ont été prises en série. Le but reste ici de ne pas faire échapper l’information du JLD au sujet de mesures sérielles même si elles ne sont que de courtes durées.

Le contrôle juridictionnel n’étant qu’éventuel (L. Mauger-Vielpau, Soins psychiatriques sans consentement : une nouvelle loi déjà controversée sur la contention et l’isolement, Dr. fam., n° 3, mars 2021, comm. 45), il reste à voir comment le JLD est saisi de la mainlevée d’une mesure.

Procédure applicable devant le JLD

Le décret n° 2021-537 vient également ajouter au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique dans la section 4 une sous-section 2 sur la procédure judiciaire devant le JLD.

L’article R. 3211-32 du code de la santé publique prévoit diverses généralités bien connues mais toujours utiles à rappeler. À l’instar de la mesure d’hospitalisation sans consentement qui leur sert de support, les procédures judiciaires liées aux mesures d’isolement et de contention dépendent du code de procédure civile. D’apparence ultra spéciale, la procédure liée aux mesures d’hospitalisation sans consentement reste dépendante du droit commun de l’instance, sauf exceptions décrites dans le code de la santé publique. La compétence est celle du JLD du ressort dans lequel est situé l’établissement d’accueil du majeur hospitalisé sous contrainte.

En ce qui concerne l’accès au juge, le décret prévoit pour l’intéressé une possibilité de saisir le JLD par requête. Bien évidemment, les circonstances imposent de préciser comment la requête sera déposée puisque, par définition, le majeur est à l’isolement ou empêché de se déplacer par la contention. La requête est recueillie par le secrétariat d’accueil de l’établissement qui l’horodate avec éventuellement la signature du patient. Si tout écrit est impossible (notamment en raison de la contention ordonnée par le psychiatre), le décret permet au directeur de l’établissement de recueillir une déclaration verbale qui devra être consignée sous la forme d’un procès-verbal remplaçant la requête. L’entourage du majeur peut également demander à ce que le JLD soit saisi d’un contrôle de la mesure, comme nous l’avions déjà étudié dans le commentaire de la loi de 2020. Tout l’intérêt des informations au JLD décrites précédemment trouve un écho dans la possibilité qu’a le juge de se saisir d’office, par le biais de l’article R. 3211-37 du code de la santé publique, par application du troisième alinéa du II de l’article L. 3222-5-1 ou du dernier alinéa du I de l’article L. 3211-12.

L’article R. 3211-34 du code de la santé publique prévoit que la requête ou le procès-verbal de demande d’audition sont transmis au greffe du tribunal compétent dans un délai très court, dix heures avec la même possibilité de communication que dans le cadre des informations décrites précédemment, c’est-à-dire « par tout moyen permettant de dater sa réception ». On connaît l’importance de ces délais qui sont contrôlés de manière stricte par la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2020, n° 19-18.839, Dalloz actualité, 4 sept. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 1465 ).

Le juge dispose alors d’un large panel d’éléments probatoires susceptibles de mieux comprendre la situation dans l’article R. 3211-38 du code de la santé publique : il peut, par exemple, désigner un autre médecin psychiatre pour solliciter son opinion sur la pertinence de la mesure d’isolement ou de contention. Les JLD le savent bien également : ils peuvent se déplacer sur place pour constater l’intérêt de la mesure afin de forger leur opinion. Le décret rappelle cette possibilité plus fréquente hier qu’aujourd’hui.

En ce qui concerne la décision et les voies de recours, on retrouve la rapidité qui est impulsée à toute l’hospitalisation sous contrainte. Le JLD doit rendre sa décision dans les vingt-quatre heures à compter de l’enregistrement de la requête au greffe. Si le JLD n’a pas pu statuer, l’article R. 3211-39 du code de la santé publique prévoit la fin de la mesure d’isolement ou de contention automatiquement ; ce qui incite d’autant plus à une certaine rapidité notamment quand les mesures sont justifiées par le danger que peut représenter le patient pour lui-même ou pour l’équipe médicale.

Quid de la tenue d’une audience ? L’article L. 3211-12-1, I, issu de la loi du 14 décembre 2020 dispense, par exception au principe, de la tenue d’une audience : il s’agit alors d’une procédure purement et simplement écrite. Le JLD peut toutefois décider de recourir à une procédure avec audience. On notera plusieurs dispositions du décret concernant l’audition effective du majeur hospitalisé avec la possibilité de recourir aux moyens de télécommunications (par exemple, une visioconférence) même si l’on sait que beaucoup d’établissements hospitaliers ne disposent pas de l’équipement nécessaire.

Non sans un certain parallélisme, le délai de vingt-quatre heures est également utilisé pour faire courir la possibilité d’interjeter appel. Le majeur tout comme le ministère public disposent de vingt-quatre heures à compter de la notification de l’ordonnance. Mission dédiée au premier président de la cour d’appel compétente, l’examen de la voie de recours se fera également dans le délai très rapide de vingt-quatre heures à compter de sa saisine.

En somme, le décret d’application joue avec des durées d’une rapidité extrême puisque l’isolement et la contention sont désormais limités à des bornes temporelles très strictes. La réponse judiciaire doit alors être rapide et efficace. Si elle n’agit pas à temps, le décret prévoit la fin pure et simple de la mesure. L’équilibre fragile garanti par la loi de 2020 implique d’être particulièrement vigilant à la décision QPC qui sera rendue prochainement par le Conseil constitutionnel pour savoir le devenir de ces règles. Degré supplémentaire de privation de liberté, l’isolement ou la contention nécessitent une attention de tous les instants non seulement pour les médecins mais aussi pour le juge. Reste à savoir comment ces textes seront reçus par les principaux intéressés.

En se bornant à relever l’absence de justification d’une tentative préalable de conciliation, sans examiner si le demandeur, qui avait mentionné, dans sa déclaration au greffe, au titre des démarches entreprises afin de parvenir à une résolution amiable du litige, avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord, justifiait de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, le tribunal d’instance n’a pas donné de base légale à sa décision.

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Auteur d'origine: Dargent
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Un arrêt du 15 avril 2021 est intéressant en ce qu’il se prononce sur la notion récente de « démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». À l’image des nombreuses décisions relatives aux clauses de conciliation ou médiation préalable obligatoire, l’arrêt illustre le paradoxe de l’évolution de notre procédure : les plaideurs sont de plus en plus obligés de recourir aux MARD (modes amiables de résolution des différends ; sur lesquels, v. not., N. Fricero et al., Le guide des modes amiables de résolution des différends 2017, 3e éd) préalablement à la saisine d’un juge ; or l’« amiable » devient lui-même objet de contentieux, car ses contours ne sont pas nets et qu’il faut donc les définir. Même si la réforme Belloubet a changé l’organisation juridictionnelle et la procédure depuis les faits de l’arrêt, la Cour de cassation nous donne ici des indications qui pourront être utiles à l’avenir, sans pour autant éviter d’inévitables discussions : autant dire que le problème de l’encombrement des tribunaux n’est pas résolu mais déplacé, le contentieux ne portant plus sur le fond mais sur la procédure (c’est le cas depuis la réforme Magendie) ou désormais sur des démarches extrajudiciaires…

Un demandeur saisit le tribunal d’instance de Grenoble, par une déclaration au greffe du 12 mars 2019, en vue d’obtenir la condamnation à son profit de la défenderesse.

Le tribunal d’instance prononce d’office l’irrecevabilité de l’acte l’ayant saisi, faute pour le demandeur de justifier avoir rempli l’obligation légale prescrite par l’article 4 (dans sa version alors applicable) de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : à savoir que « la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice ».

Le justiciable se pourvoit en cassation. La troisième branche du moyen, à laquelle la deuxième chambre civile répond seule, reproche au tribunal d’instance un manque de base légale au regard de l’article 4-2° de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.  Il rappelle qu’il existe des exceptions à l’obligation posée à l’article 4, ainsi, « lorsque l’une des parties au moins justifie de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige »  et affirme qu’en l’espèce, de telles diligences avaient bel été bien été entreprises, qui sont relatées par la déclaration au greffe : « pour justifier de la saisine directe du tribunal sans tentative préalable de conciliation, celui-ci a expressément indiqué avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord pour mettre un terme au litige ».

La Cour elle-même vise l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et en rappelle la teneur : principe et exceptions. Elle casse le jugement du tribunal d’instance pour manque de base légale pour les motifs rapportés en chapô.

Rappelons qu’en matière de MARD préalables, le plaideur est soumis à des obligations formelles et d’autres substantielles : celles-ci trouvent leur source dans la convention et la jurisprudence – qui élabore une construction au fil des arrêts (v. les clauses de conciliation préalable obligatoire) –, ou la loi, au sens large du terme – comme celle en question dans l’arrêt.

Obligations formelles

Le pouvoir réglementaire a d’abord imaginé un système purement incitatif – et peu efficace.

Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 a ainsi créé les articles 56, alinéa 3, et 58, alinéas 3, du code de procédure civile (C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la procédure civile (suite et sans doute pas fin). À propos du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, Gaz. Pal. 17-18 avr. 2015, p. 7, spéc. nos 6 s.), qui ont imposé, à compter du 1er avril 2015, une obligation assez formelle, à savoir : « Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation [56], la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance [58] précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». Le non-respect de cet article 56, alinéa 3, pouvait déclencher une réaction du juge, mais il n’était pas, à proprement parler, sanctionné ; il en était de même de l’article 58, alinéa 3 : selon l’article 127 (issu du même décret de 2015), « s’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ». La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer sur le motif légitime tenant à l’ordre public, à propos de cet article 58, alinéa 3 (Soc. 19 déc. 2018, n° 18-60.067, Dalloz actualité, 28 janv. 2019, obs. G. Deharo ; RDT 2019. 123, obs. F. Guiomard ).

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a apporté quelques changements (M.-P. Mourre-Schreiber, Réforme de la procédure civile : simplification des modes de saisine, Dalloz actualité, 18 déc. 2019 ; C. Bléry, Réforme de la procédure civile : prise de date d’audience devant le tribunal judiciaire, Dalloz actualité, 24 déc. 2019 ; Nouveaux modes d’introduction de la procédure et communication par voie électronique, D. avocats 2020. 25  ; D. d’Ambra, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, Dalloz Action, 10e éd., 2021/2022, nos 436.31 s.). C’est désormais l’article 54, commun à l’assignation et la requête, unilatérale ou conjointe, qui reprend l’obligation formelle (v. 5°). Celle-ci change cependant de nature : depuis le 1er janvier 2020, lorsque la demande initiale doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, l’acte introductif d’instance doit préciser les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative. Cette mention existait antérieurement, sans être prescrite à peine de nullité ; c’est désormais le cas, mais elle ne concerne plus que les domaines dans lesquels la demande initiale doit être précédée d’une tentative de mode alternatif de règlement des différends (art. 750-1 ; v. 2). Précisons encore que le décret n° 2020-1457 du 27 novembre 2020 a retouché l’article 127 afin de l’harmoniser avec l’article 750-1 issu du décret Belloubet : il dispose désormais que, « hors les cas prévus à l’article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation » (adde JCP 2020. 1404, spéc. p. 2255, obs. S. Amrani-Mekki).

Obligations substantielles

Le législateur a ensuite prévu un système plus coercitif.

La loi « J21 » n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle, elle, a instauré une véritable sanction dans son article 4, à savoir une fin de non-recevoir que le juge pouvait prononcer d’office. L’hypothèse visée était assez limitée, celle d’une procédure introduite par déclaration au greffe du tribunal d’instance, non précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf trois exceptions (rappelées par la Cour de cassation dans notre arrêt) : « 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; 3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ». Rappelons que :

• la déclaration au greffe était une formule procédurale utilisable pour introduire l’instance devant le tribunal d’instance, à côté, notamment de l’assignation (à toutes fins), lorsque le montant de la demande n’excédait pas 4 000 € : v. C. pr. civ., art. 843, issu du décr. n° 2010-1165, 1er oct. 2010 et abrogé par le décr. n° 20219-1333, 11 déc. 2019) ;

• la réforme Belloubet (loi, ordonnance et décret) a fait disparaître le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance, fusionnés en tribunal judiciaire et les actes introductifs d’instance autres que l’assignation et la requête, au 1er janvier 2020 ;

• la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (art. 3, II) a conditionné la recevabilité de certaines demandes à une tentative de procédure préalable de médiation, de conciliation ou de procédure participative (sur ces MARD, v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, Dalloz, 35e éd., coll. « PRécis », 2020, n° 2366 s. ; L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, nos 889 et 890 ; D. d’Ambra, in Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., n° 436.111 s.) et modifié en conséquence l’article 4 de la loi J21. Il a reconduit la sanction de 2016, mais a élargi les cas de recours à l’amiable qui peuvent être entrepris au choix des parties et a modifié quelque peu les exceptions (v. Précis Dalloz, nos 1600 et 1601).

L’article 4 de la loi J21, modifié et par la loi Belloubet et par l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, dispose ainsi que : « Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf : 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ; 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ; 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. L’article 4 ajoute encore qu’« un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du code de la consommation ».

Le Conseil constitutionnel (décis. n° 2019-778 DC du 21 mars 2019) a imposé d’expliciter les notions de motif légitime et de délai raisonnable. Le décret Belloubet a créé l’article 750-1 du code de procédure civile qui complète et précise ainsi l’article 4 de la loi J21 (G. Maugain, Cas de recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends, Dalloz actualité, 20 janv. 2020). Malgré la place de l’article dans les dispositions communes du tribunal judiciaire, l’article 750-1 ne concerne actuellement que des cas relevant de la procédure orale ordinaire (et non de la procédure écrite).

Si l’article 750-1, alinéa 1er, reproduit le principe de l’obligation et sa sanction tels qu’énoncés à l’article 4 de la loi, il définit plus précisément le domaine de la tentative préalable obligatoire de règlement amiable, afin d’être conforme aux prescriptions du Conseil constitutionnel : il chiffre donc le montant de l’obligation à 5 000 € et renvoie aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire pour les conflits de voisinage (curieusement entendus comme recouvrant les conflits relatifs aux fonds dont les parties sont propriétaires ou occupants titrés et qui relevaient de la compétence du tribunal d’instance). L’article 750-1, alinéa 2, reprend les cas de dispense de l’article 4 de la loi J21, mais développe le 3°.

Notons d’abord, au passage, que si le 1° va de soi, les 2° et 4° laissent « perplexes » (selon le mot des professeurs Cadiet et Jeuland, op. cit.), en matière de contentieux civil. Les auteurs citent, à propos d’un recours préalable au juge (4°), l’article 281-6 du code de procédure civile, en matière de distribution de deniers en dehors d’une procédure de distribution)…

Quant au 3°, il est loin d’être simple : « Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ».

Il a pu être soutenu (v. G. Maugain, art. préc.) que, si la procédure sur requête entrait dans ce 3°, ce n’était pas le cas du référé du fait de l’urgence « manifeste » exigée. Un arrêt de cour d’appel a pourtant jugé que les demandeurs sollicitant devant la juridiction des référés des expertises et formant des demandes provisionnelles au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, et subsidiairement au visa de l’article 145 du code de procédure civile pour les expertises, ces demandes, qui « relèvent donc de la compétence du juge des référés, […] n’entrent pas dans les cas énoncés à l’article 750-1 prévoyant la nécessité de tentative de conciliation ou de médiation ou de procédure participative préalables à la demande en justice (Riom, ch. com., 17 mars 2021, n° 20/01181). Ce qui n’est pas évident…

Par ailleurs, on constate que le cas de dispense en cause dans l’arrêt du 15 avril 2021 (2°) n’est plus mentionné en l’état dans l’article 4 de la loi J21 modifié par la loi Belloubet et qu’il ne l’est pas davantage dans l’article 750-1 du code de procédure civile issu du décret Belloubet. Pour autant, on peut penser que l’ancien 2° se « coule » dans le nouveau 3° de l’article 4 de la loi et de l’article 750-1. Il faut cependant pour se faire admettre que l’existence de « pourparlers » antérieurs et vains constitue un motif légitime. En effet, « le motif légitime peut tenir aux “circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative [de résolution amiable]”. La généralité de cette formule laissera la part belle à l’appréciation souveraine des juges du fond » (G. Maugain, art. préc.). À cet égard, notons un jugement du tribunal judiciaire d’Amiens du 24 juillet 2020 (TJ Amiens, 24 juill. 2020, n° 11-20-000327) : à la suite d’une mise en demeure d’avocat, l’adversaire s’est opposée de façon catégorique aux demandes. Le tribunal judiciaire en déduit que « compte tenu de cette opposition ferme et sans appel, il est manifeste que la résolution amiable du litige était impossible. Dès lors, [le demandeur] justifie d’un motif légitime pour s’exonérer de la tentative de résolution amiable mentionnée à l’article 750-1 du code de procédure civile ».

Si l’on admet cette interprétation (qui nous semble être de bon sens : « MARD sur MARD ne vaut !), l’analyse de la Cour de cassation n’est pas déjà seulement de l’histoire du droit.

Que nous dit-elle ?

Si un plaideur a expressément indiqué avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord pour mettre un terme au litige, les juges devront, même sous l’empire du droit en vigueur depuis le 1er janvier 2020, apprécier si cet élément permet de justifier de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige… Même pour le droit de 2016, l’arrêt ne dit pas que le courrier mentionné par le demandeur « est une démarche » ou « n’est pas une démarche » en vue de parvenir à un accord. En revanche, les juges ne peuvent l’écarter d’un revers de main et doivent l’analyser concrètement, l’examiner pour vérifier si le demandeur justifie de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige… tâche qui prend évidemment du temps, que l’« on » espérait économiser en instituant des obstacles à la saisine du juge.

Notons encore

Il faut donc une nouvelle fois (C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques, D. 2019. 1069 , Modalités d’accréditation des organismes certificateurs des services de MARD en ligne : un système complexe, Dalloz actualité, 13 janv. 2021) constater que le développement des modes amiables des différends, bien qu’à la mode, est un cache-misère de la pauvreté des moyens de la justice traditionnelle et qu’« en outre, il est loin d’être la panacée. D’une part, parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, d’autre part, parce qu’il est source lui-même de contentieux ! »…

Lorsque les parties ont exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat aux mêmes clauses et conditions du précédent bail, sans mention d’aucune réserve, la formule « aux mêmes clauses et conditions » emporte accord exprès et précis sur le prix du loyer du bail, de sorte que la demande ultérieure en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.

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Auteur d'origine: sandjechairi

En application de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, si le juge de l’exécution est compétent pour connaître de la contestation d’une mesure d’exécution forcée, il n’entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant, qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure.

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Auteur d'origine: jdpellier
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En matière de renouvellement du bail commercial, il existe un principe jurisprudentiel constant selon lequel « à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix » (Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125, note B. Boccara ; 14 oct.1987, n° 85-18.132 ; 3 févr. 1988, n° 86-16.158 ; 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier  ; 17 mai 2006, n° 04-18.330, D. 2006. 1818, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; AJDI 2006. 819 , note M.-P. Dumont-Lefrand  ; 19 déc. 2012, n° 11-21.340, Dalloz actualité, 16 janv. 2013, obs. Y. Rouquet ; D. 2013. 79 ; ibid. 1164, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 1794, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2013. 346 , obs. Y. Rouquet ; Loyers et copr. 2013. 50, obs. E. Chavance).

Le renouvellement du bail commercial s’opère donc, en principe, aux clauses et conditions du bail venu à expiration ; à l’exception du loyer qui peut être modifié par le juge des loyers et de la durée du bail renouvelé régie par les dispositions de l’article L. 145-12 du code de commerce. Ce principe de reconduction des clauses et conditions du bail venu à expiration est, depuis le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévu à l’article 1214, alinéa 2, du code civil.

Le montant du loyer renouvelé est à l’origine de la plupart des conflits entre bailleurs et locataires, comme en témoigne l’arrêt rapporté. Néanmoins, le renouvellement du bail peut être acquis sans que les parties aient pu trouver un accord sur le prix. Le renouvellement du bail n’est pas subordonné à la fixation préalable du loyer, même s’il est un élément essentiel du bail (Civ. 3e, 8 juill. 1980, n° 79-11.079, Bull. civ. III, n° 132 ; C. com., art. L. 145-11).

La question du loyer est théoriquement autonome du principe du renouvellement (Civ. 3e, 28 nov. 2006, n° 05-20.436, AJDI 2007. 650 , obs. C. Denizot ). En effet, le principe du renouvellement du bail commercial et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96 ; C. Denizot, Droit et pratique des baux commerciaux, v° Forme du renouvellement, Dalloz action, 2021/2022, n° 362.11) de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement et non sur le montant du nouveau loyer, qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable ou à défaut d’accord, par la voie judiciaire. Cependant, aucune disposition n’interdit aux parties de fixer dès le renouvellement le prix du bail.

Quoi qu’il en soit, à défaut de convention contraire et en l’absence de saisine du juge des loyers, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, de sorte que le loyer stipulé dans le précédent bail s’applique (Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125, note B. Boccara ; 27 févr. 1991, n° 89-18.729, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; RTD civ. 1992. 88, obs. J. Mestre  ; 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier ).

Si la haute juridiction s’était prononcée par le passé sur le principe d’identité de contenu du bail renouvelé, l’arrêt rapporté a conduit la Cour de cassation à préciser le contenu du bail renouvelé en présence d’une demande de renouvellement comportant la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration ». En effet, une telle formule amène à s’interroger sur le loyer applicable au bail renouvelé dans les termes suivants : le prix du bail renouvelé est-il maintenu au prix du bail expiré au même titre que les stipulations contractuelles contenues dans ledit bail ?

En l’espèce, dans le cadre de l’existence d’un bail liant deux sociétés, la locataire a, par acte du 23 novembre 2016, sollicité le renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures ». La bailleresse a exprimé son accord pour un tel renouvellement. À la suite de l’acceptation de la demande de renouvellement par la bailleresse, la locataire a sollicité la fixation du prix du bail renouvelé à un montant bien inférieur à celui du loyer initial. La proposition de loyer a été refusée. La locataire a décidé de saisir le juge des loyers commerciaux.

La cour d’appel Aix-en-Provence (12 sept. 2019, n° 18/15353) a rejeté la demande en fixation du loyer du bail renouvelé au motif que la locataire avait formulé une demande de renouvellement du bail « aux clauses et conditions du précédent bail », sans réserve sur le prix, et que la bailleresse avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures, de sorte que bailleresse et locataire se sont accordées sur le maintien du prix du loyer.

Mais la locataire s’est pourvue en cassation en soutenant que la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » insérée dans la demande de renouvellement traduisait seulement un accord sur le principe du renouvellement du bail et non un accord sur le prix du loyer renouvelé. En effet, il est acquis que le loyer du bail renouvelé doit faire l’objet d’un accord exprès et explicite des parties. Partant, cette formule de style « aux clauses et conditions » du précédent bail était, selon le pourvoi, insuffisante à caractériser un engagement précis, complet et ferme sur le montant du loyer du bail à renouveler.

Au-delà de la formule de style, la locataire soutenait que les circonstances de fait ne pouvaient pas non plus contribuer à caractériser un accord ferme des parties sur le maintien du loyer. Par conséquent, l’engagement précis et ferme de maintenir le prix du loyer ne pouvait résulter du simple fait que la formule d’usage était reprise, sans aucune référence explicite au prix, dans les différents actes échangés entre les parties, ni du fait que le précédent bail était annexé à la demande de renouvellement. Le maintien du prix aurait dû découler d’une volonté expresse. En somme, pour la locataire, les juges du fond ont dénaturé la volonté des parties.

Pourtant, aucun de ces arguments n’emporte la conviction de la Cour de cassation. Exerçant son contrôle, elle estime au regard des éléments relevés par les juges d’appel que ces derniers n’ont pas dénaturé la volonté des parties. Si la cour régulatrice ne vise aucun texte, elle semble faire application du principe de la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1134, al. 1er, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, devenu C. civ., art. 1103).

En effet, l’acceptation du renouvellement « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans aucune réserve sur le prix du bail a permis aux hauts magistrats d’y voir la caractérisation d’un accord exprès des parties sur les conditions et clauses du bail précédent. Dès lors, et dans la mesure où le loyer est une « condition » du bail précédent, ledit bail commercial devait être maintenu intégralement, incluant par conséquent le maintien du prix du loyer. Du reste, à cet égard, et même si la locataire s’est opposée à cet argument, les juges d’appel ont à juste titre considéré que le maintien du prix du loyer était explicitement proposé lorsque la locataire a annexé le bail initial, sans aucune réserve sur le prix, à la demande de renouvellement qui précisait un renouvellement aux mêmes clauses et conditions que le précédent bail. En acceptant sans aucune réserve ce renouvellement aux conditions antérieures, un « nouveau » bail a été conclu entre la bailleresse et la locataire au prix de l’ancien.

La proposition de renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures » acceptée expressément par la bailleresse portait donc sur le principe du renouvellement et sur les conditions financières : les parties se sont, dans le même temps, accordées explicitement sur le principe du renouvellement et sur le prix du bail (l’accord sur le prix n’était pas, en l’espèce, distinct du principe du renouvellement). Les contrats légalement formés tenant lieu de loi à ceux qui les ont faits, le rejet du pourvoi était inévitable.

La locataire aurait été mieux inspirée d’attendre l’expiration de la période triennale pour demander la révision légale du loyer au lieu de s’engager dans une telle procédure, qui a duré cinq années de surcroît, pour finalement voir sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé rejetée.

La solution aurait été probablement différente si la locataire avait proposé à l’occasion de la demande de renouvellement un autre montant.

Le renouvellement d’un bail commercial n’est pas un acte anodin. Il importe donc pour les parties d’y porter une attention particulière notamment sur le montant du loyer du bail renouvelé au moment de la délivrance de la demande de renouvellement ou du congé avec offre de renouvellement au risque de se heurter aux effets d’une formule de style.

On sait que la compétence du juge de l’exécution est clairement délimitée par l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, auquel renvoie d’ailleurs l’article L. 121-1 du code des procédures civiles d’exécution (V. à ce sujet, R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, nos 309 s.). Mais il n’en demeure pas moins qu’elle donne lieu à un certain nombre de difficultés, comme en témoigne un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 15 avril 2021. En l’espèce, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (la CRCAM) de l’Aube et de la Haute-Marne a intenté une action paulienne contre Mme K. et obtenu l’inopposabilité de l’apport d’un immeuble lui appartenant à une société civile immobilière.

Dans le cadre de cette procédure, la débitrice a formé une demande de dommages-intérêts pour manquement de la CRCAM à son devoir de bonne foi et d’information, mais cette demande été rejetée, comme étant prématurée. Par la suite, sur le fondement de deux actes notariés de cautionnement conclus en 1990 et 1991, la CRCAM a fait délivrer le 27 janvier 2010 à Mme K. un commandement valant saisie immobilière sur le bien réintégré dans le patrimoine de celle-ci par l’effet de l’action paulienne. Puis, par jugement du 6 juillet 2010, un juge de l’exécution a déclaré les demandes de la CRCAM irrecevables au fond en raison de la prescription, jugement infirmé par arrêt d’une cour d’appel du 10 mai 2011, disant que l’action de la CRCAM n’était pas prescrite et déboutant Mme K. de sa demande de dommages-intérêts comme ayant été déjà définitivement tranchée par une décision antérieure. S’ensuivirent une série d’arrêts ayant finalement conduit la cour d’appel de Dijon a déclarer irrecevables les demandes indemnitaires présentées à l’encontre de la CRCAM.

Naturellement, cela conduisit Mme K. à se pourvoir en cassation. Mais la Cour...

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La signification destinée à une personne morale doit s’effectuer au lieu de son établissement. Ce n’est que lorsque la personne morale ne dispose pas d’un établissement que la signification peut être délivrée en un autre lieu, entre les mains de l’un des membres habilités de la personne morale.

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Auteur d'origine: Dargent

Dans un arrêt du 15 avril 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur la recevabilité de l’appel contre un jugement d’orientation ordonnant la vente forcée d’un immeuble, dans la circonstance où une seconde déclaration d’appel a été formée pour appeler à la cause des créanciers inscrits omis dans la première déclaration d’appel.

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Auteur d'origine: gpayan

Il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et la signature par l’emprunteur d’une fiche explicative et de l’offre préalable de crédit comportant chacune une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.

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Auteur d'origine: jdpellier
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En l’espèce, des saisies-attributions sont pratiquées à l’encontre d’une banque. Ces saisies sont contestées et le débat se porte sur la régularité de la signification du jugement constituant le titre exécutoire. Formellement, ce jugement avait été signifié à la personne : une employée s’était déclarée habilitée à recevoir l’acte pour le compte de la banque en application de l’article 654, alinéa 2, du code de procédure civile. Cela étant, la banque soutenait que l’employée en cause ne travaillait pas pour elle et que la signification n’avait pas été pratiquée dans l’un de ses établissements mais à l’adresse d’une autre banque, personne morale distincte.

La cour d’appel n’a pas annulé cette signification : elle a considéré que celle-ci était régulière en application de l’article 654 du code de procédure civile, après avoir relevé que les mentions de l’acte, qui font foi jusqu’à inscription de faux, faisaient apparaître comme destinataire la bonne banque et que la signification avait été acceptée par une personne qui s’était déclarée habilitée à la recevoir.

La banque s’est alors pourvue en cassation en arguant que la signification destinée à une personne morale n’avait pas été faite à l’adresse de l’un de ses établissements, comme l’exige pourtant l’article 690 du code de procédure civile.

La situation faisait en effet apparaître un conflit entre deux règles :

d’une part, l’article 654 du code de procédure civile, qui prévoit en son alinéa 2 que « la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l’acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet » ;
 d’autre part, l’article 690 du même code, qui dispose que « la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement. À défaut d’un tel lieu, elle l’est en la personne de l’un de ses membres habilité à la recevoir ».

La Cour de cassation devait donc déterminer si la régularité de la signification au regard des dispositions de l’article 654 du code était suffisante pour purger l’irrégularité tenant au lieu de la signification exigé par l’article 690.

La Cour de cassation répond négativement et casse la décision de la cour d’appel : « en statuant ainsi, sans constater que la banque ne disposait pas d’un établissement où l’acte devait, dans ce cas, lui être notifié en application de l’article 690, alinéa 1er, susvisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

L’arrêt, publié, met en lumière deux précisions importantes quant à l’étendue de l’office de l’huissier significateur en matière de signification à personne morale : l’huissier n’a toujours pas à vérifier l’identité de la personne habilitée qu’il rencontre, mais il doit nécessairement vérifier le lieu où se trouve cette personne, à savoir s’assurer que ce lieu est bien un établissement de la personne morale.

L’huissier n’a pas à vérifier l’identité de la personne habilitée

En l’espèce, pour rejeter la demande d’annulation de la signification, la cour d’appel retenait que l’huissier n’avait pas à vérifier l’exactitude des déclarations de l’employée à qui il avait remis la copie de l’acte et qui s’était déclarée habilitée. Ce raisonnement n’est pas remis en cause par la Cour de cassation, qui ne se situe pas sur ce terrain.

En effet, si l’huissier de justice significateur doit recueillir des renseignements et les consigner dans l’acte, à savoir notamment, « les nom et qualité de la personne à laquelle la copie a été laissée » (C. pr. civ., art. 663), son obligation se limite au recueil des déclarations de la personne. La Cour de cassation décide que « l’huissier de justice qui procède à la signification d’un acte à personne n’a pas à vérifier l’identité de la personne qui déclare être le destinataire de cet acte » (Civ. 2e, 4 juill. 2007, n° 06-16.961, Bull. civ. II, n° 199 ; D. 2007. 2309 ). Il s’agit là d’une jurisprudence constante, et ce pour une raison très simple : « l’huissier de justice n’est pas doté de prérogatives lui permettant de procéder à un contrôle de l’identité » (J.-Cl. Procédure civile, v° Notification des actes de procédure, par N. Fricero, fasc. 600-65, 2019, n° 39).

Cette délimitation stricte de l’obligation de l’huissier a deux conséquences.

D’abord, puisque l’huissier ne vérifie pas l’identité de la personne habilitée, la preuve de l’absence d’habilitation de la personne peut être rapportée sans inscription de faux. En effet, si les mentions portées sur l’acte font foi jusqu’à inscription de faux (Cass., ch. mixte, 6 oct. 2006, n° 04-17.070, Bull. ch. mixte, n° 8 ; D. 2006. 2547, obs. V. Avena-Robardet ), c’est uniquement lorsqu’elles résultent de constatations personnelles de l’officier public. Lorsque les informations déclarées par la personne rencontrée sont inexactes, la sincérité de l’officier public n’est pas en cause : l’huissier a simplement « reçu de bonne foi des déclarations mensongères ou inexactes », de sorte que la preuve de la non-habilitation est possible par tous moyens (Civ. 2e, 12 oct. 1972, n° 71-11.981, Bull. civ. II, n° 244). Il faut cependant convenir que la portée de cette preuve contraire est limitée : elle ne permet pas, en principe, de faire juger que la signification est irrégulière de ce chef (Civ. 2e, 12 oct. 1972, n° 71-11.981, préc.). En effet, là où l’huissier n’a pas d’obligation, il n’y a en principe pas de nullité.

Ensuite, il en résulte que la signification à personne adressée à une personne morale est un processus assez léger. Comme l’écrivent des auteurs, la signification à personne morale présente, par rapport à celle destinée à une personne physique, des « garanties plus limitées » : « le résultat est que l’huissier peut s’adresser à la première personne de la société qu’il rencontre, à l’accueil par exemple, et lui remettre l’acte dès lors que cette personne a déclaré être habilitée à recevoir les actes » (T. Le Bars, K. Salhi et J. Héron, Droit judiciaire privé, LGDJ, coll. « Domat droit privé », 2019, n° 181). C’est pourquoi, afin de favoriser la prise de connaissance effective de l’acte, les textes viennent compenser indirectement cette insécurité en prévoyant des formalités supplémentaires. C’est notamment la raison d’être de la réglementation précise du lieu des notifications (C. pr. civ., art. 690).

En l’espèce, c’est au titre de cette réglementation que la cassation intervient. En effet, si l’huissier n’avait pas l’obligation de vérifier l’identité de la personne habilitée, il devait, au préalable, vérifier que cette personne se trouvait au bon endroit, à savoir au lieu d’un établissement de la personne morale.

L’huissier doit vérifier le lieu où se trouve la personne habilitée

L’article 690, alinéa 1er, du code de procédure civile doit être interprété comme porteur d’une obligation, préalable à toute autre, pour l’huissier : lorsque la personne morale dispose d’un établissement, l’huissier doit se rendre au lieu de cet établissement. De là, deux situations peuvent se poser. Si l’huissier trouve à cet établissement le « représentant légal, [un] fondé de pouvoir de ce dernier ou [une] autre personne habilitée » (C. pr. civ., art. 654), il procède à une signification à personne. S’il ne trouve personne se déclarant habilité, il procède à une signification à domicile (C. pr. civ., art. 655 et 656). L’établissement visé n’est pas forcément le siège social : il peut s’agir d’un autre lieu d’exercice de l’activité s’il entretient un lien avec le litige (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-14.896, D. 2017. 635 , note A. Andorno ; D. avocats 2016. 299, obs. L. Dargent ; 2 sept. 2020, n° 19-15.377). Toutefois, il est de principe que l’huissier n’a pas à tenter une signification en un autre lieu que le siège social (Civ. 2e, 21 févr. 1990, n° 88-17.230, Bull. civ. II, n° 40 ; 6 mai 2004, n° 02-18.443). À ce titre, l’huissier doit penser à consulter les registres légaux avant de signifier afin de s’informer d’un éventuel transfert de siège social (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-14.193, AJDI 2020. 762 ; Procédures 2020. Comm. 220, obs. Y. Strickler ; Loyers et copr. 2020. Comm. 113, obs. E. Chavance). Lorsque l’huissier constate qu’au lieu indiqué comme siège social au registre du commerce et des sociétés il n’y a aucun établissement, il doit dresser un procès-verbal de recherches infructueuses (C. pr. civ., art. 659, al. 4).

Ce n’est que si l’huissier ne trouve ni siège social ni établissement pour la personne morale qu’il peut procéder à une signification à la personne des membres habilités en tout autre lieu (C. pr. civ., art. 690, al. 2). Autant dire que, comme la plupart des personnes morales sont censées avoir un siège social, cette possibilité n’est ouverte que de manière très exceptionnelle (v. déjà en ce sens, R. Morel, Traité élémentaire de procédure civile, 2e éd., 1949, n° 397, note 4).

Cette obligation systématique de se rendre à l’établissement n’existe pas en matière de signification à personne physique : les règles sont même « inversées » dans ce cas (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, coll. « Thémis », 1996, n° 127). Ce qui importe, alors, c’est de délivrer l’acte à la personne physique, où qu’elle se trouve (C. pr. civ., art. 689). Pourquoi en va-t-il différemment pour les personnes morales ? Peut-être parce qu’étant censées être composées d’une pluralité de personnes physiques, le législateur estime plus favorable aux droits de la défense de centraliser les notifications au lieu d’exercice collectif de l’activité plutôt que de permettre de signifier à un membre habilité mais potentiellement isolé.

Cette obligation de l’huissier semble parfois interprétée souplement. Par exemple, la Cour de cassation a admis la validité d’une signification faite, en un autre lieu que l’établissement, à la personne du représentant légal de la société (Civ. 2e, 30 avr. 2009, n° 07-15.582, Procédures 2009. Comm. 185, obs. R. Perrot). La doctrine soutient parfois que cette solution doit probablement s’appliquer à tous les membres habilités (T. Le Bars et a., op. cit., n° 181). Cette interprétation souple prévaut sans doute lorsque la société destinataire a son siège social à l’étranger (Com. 20 nov. 2012, n° 11-17.653, D. 2012. 2811, obs. V. Avena-Robardet ; Rev. sociétés 2013. 154, note J.-F. Barbièri ; J.-Cl. Procédure civile, par N. Fricero, préc., n° 43).

Toutefois, dans un arrêt récent, la Cour de cassation a rappelé la vitalité de la primauté de la signification à l’établissement en cassant, pour manque de base légale, l’arrêt d’une cour d’appel qui avait validé une signification hors établissement pratiquée entre les mains d’un associé minoritaire de la société, qui s’était déclaré habilité, sans avoir constaté que la société était dépourvue d’établissement (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-25.271, AJDI 2021. 305 ; Rev. prat. rec. 2021. 10, chron. Rudy Laher ). Cette dernière solution a été critiquée par un auteur faisant notamment observer que, factuellement, le grief causé par l’irrégularité ne s’imposait pas avec évidence (F. Kieffer, Signification à personne morale : excès de rigorisme injustifié de la Cour de cassation, Dalloz actualité, 7 avr. 2021). Il y a dans cette observation un élément essentiel d’explication : les assouplissements parfois observés semblent moins la marque d’une interprétation extensive de l’article 690 que celle de l’absence de grief dans certaines situations (C. pr. civ., art. 114). De fait, lorsque l’acte est signifié hors établissement mais à la personne du dirigeant, il n’y a aucune entrave aux droits de la défense et donc aucun grief justifiant de prononcer la nullité (v. aussi sur un raisonnement fondé sur le grief, Soc. 22 janv. 2020, n° 18-19.815 ; sur la possibilité (non exclusive) de cette analyse, v. R. Perrot, obs. préc.).

Il n’en demeure pas moins que si le grief est une condition de l’annulation, il ne s’agit pas d’une condition de l’irrégularité. Ainsi, ce qui est reproché aux juges du fond, dans l’arrêt commenté, c’est de méconnaître les étapes du raisonnement. Les juges ne peuvent admettre la régularité d’une signification hors établissement sans constater le défaut d’établissement, constatation qui était absente, d’où le manque de base légale qui justifie la cassation. La question du grief est postérieure : elle suppose que l’irrégularité soit caractérisée et non pas niée. La décision de la Cour de cassation est donc logique. Elle participe de l’objectif louable de ne pas encourager une application aléatoire des règles relatives à la signification et à la nullité pour vice de forme. 

La tenue d’une audience d’orientation et le prononcé du jugement qui en résulte constituent une étape charnière dans la procédure de saisie immobilière (C. pr. exéc., art. 322-15 s.). À cette occasion, le juge de l’exécution vérifie – d’office – que certaines conditions de fond sont bien réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes concernant les différents actes et formalités accomplis jusque-là et détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée.

Conformément à la règle générale consacrée au premier alinéa de l’article R. 311-7 du code des procédures civiles d’exécution, ce jugement d’orientation est en principe susceptible d’appel et ledit appel est formé dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. En revanche, dans un souci de célérité accrue de la procédure, l’appel de ce jugement se singularise en ce qu’il doit être formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe (à peine d’irrecevabilité devant être relevée d’office, Civ. 2e, 22 févr. 2012, n° 10-24.410, Bull. civ. II, n° 37 ; Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. V. Avena-Robardet ; Procédures 2012. Comm. 146, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 13-15 mai 2012, p. 21, obs. C. Brenner), sans que l’appelant ait à se prévaloir...

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Il y a quelques mois, la première chambre civile de la Cour de cassation opérait un revirement de jurisprudence dans le domaine de la preuve de la remise du bordereau de rétractation en matière de crédit à la consommation en considérant, conformément à la jurisprudence européenne (CJUE 18 déc. 2014, aff. C-449/13, CA Consumer Finance c/ Bakkaus (Mme), D. 2015. 715 , note G. Poissonnier ; ibid. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2015. 138, obs. D. Legeais ), « qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.122, Bull. civ. I, n° 7 ; D. 2013. 1329, obs. V. Avena-Robardet , note G. Poissonnier ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2013. 378, obs. H. Barbier ), la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires » (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.971, Dalloz actualité, 16 nov. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 63 , note G. Lardeux ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 932, obs. D. Legeais ). Cette même chambre étend la solution ainsi consacrée à la remise de la fiche explicative (C. consom., art. L. 312-12) et de la notice d’assurance (C. consom., art. L. 312-29) dans un arrêt du 8 avril 2021 (V. déjà en ce sens, s’agissant de la fiche d’information, Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 17-27.066, D. 2019. 1746 , note G. Poissonnier ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). En l’espèce, suivant offre acceptée le 15 mai 2013, une banque a consenti à une dame un prêt dit de « regroupement de crédits » d’un montant de 33 000 €, mentionnant son époux en qualité de coemprunteur. Le 29 octobre 2014, cette dame a été placée sous le régime de curatelle et son époux désigné comme curateur. Après avoir prononcé la déchéance du terme en raison d’échéances demeurées impayées, la banque a assigné en paiement du solde du prêt les coempruteurs, qui ont notamment sollicité la déchéance du droit aux intérêts de la banque. Les demandes formées contre l’époux en qualité de coemprunteur ont été rejetées.

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 12 juin 2018, rejette la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamne l’emprunteur au paiement, en énonçant que celui-ci produit une fiche explicative et l’offre préalable de crédit, comportant chacune une mention pré-imprimée suivie de la signature par laquelle il reconnaît avoir reçu la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance et que ces mentions laissent présumer la remise de ces...

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La durée des procédures est un mal profond de notre justice. Pour réduire les délais des procédures civiles, Éric Dupond-Moretti a annoncé hier 1 000 recrutements en contrat court. Pour aller plus loin, un groupe de travail, présidé par Peimane Ghalem-Marzban, vient de remettre 43 préconisations.

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Auteur d'origine: Bley

La déclaration de saisine après cassation, même lorsque la cassation est partielle, doit contenir le ou les chefs du jugement dont appel, à peine de nullité, pour vice de forme, à charge pour la partie de justifier d’un grief.

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Auteur d'origine: clhermitte

La disproportion manifeste échappe à toute prescription, même quand elle est exercée à titre principal. Le point de départ de l’action en dommages-intérêts pour manquement au devoir de mise en garde se situe au jour où la caution a connaissance qu’elle doit effectivement payer la dette d’autrui.

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Auteur d'origine: chelaine

1 000 sucres rapides pour booster la justice

En 2021, un divorce contentieux met en moyenne vingt-deux mois à être jugé, une procédure en droit du travail plus de quinze mois. Le mouvement social des avocats et la crise sanitaire ont encore aggravé ce problème de lenteur. Le ministère de la Justice veut réduire ces délais à six mois.

Pour y parvenir, Éric Dupond-Moretti a annoncé le recrutement de 1 000 contrats courts pour la justice civile : 500 contrats d’un an en appui des greffes et 500 contrats de trois ans (dont 330 juristes assistants et 170 renforts de greffe). Ces contrats, des « sucres ultrarapides » selon l’expression du ministre, budgétisés à 15 millions d’euros, viendront en plus du schéma d’emploi déjà prévu pour 2021.

Si le budget 2021 promet une hausse importante des crédits pour la justice judiciaire (+ 6 %), les créations d’emploi prévues sont en retrait par rapport à l’année dernière (+ 318 emplois en 2021 contre + 384 en 2020, avec moins de magistrats et greffiers recrutés qu’en 2020). Les durées de formation des magistrats (trente et un mois) et des greffiers (dix-huit mois), dont les écoles sont saturées, font que les recrutements pérennes ne sont pas des réponses rapides. Le ministère préfère donc recourir à des contrats courts. Avec la crainte, pour les syndicats, que les sucres rapides aient un goût d’aspartame et aboutissent à une précarisation de la justice.

Réformer la procédure civile

Mais les recrutements ne suffiront pas à réduire le problème. Le ministre a donc missionné un groupe de travail dirigé par Peimane Ghalem-Marzban, président du tribunal judiciaire de Bobigny, qui lui a remis hier 43 préconisations.

Pour réduire les stocks, le groupe ne recommande pas les procédures de juge unique ou sans audience, expérimentées pendant le confinement. Il privilégie plutôt le recours au juge rapporteur, qui permet la collégialité « tout en allégeant la charge collective ».

Autre point, les modes de règlement amiable. Si la médiation obligatoire connaît ses limites, le groupe souhaite favoriser la procédure participative. Dans certaines juridictions, les dossiers dans lesquels une mise en état conventionnelle est mise en œuvre seraient audiencés prioritairement. Le groupe souhaite également favoriser l’expertise amiable, qui pourrait être considérée à l’égal d’un rapport d’expertise judiciaire. L’audiencement des homologations d’accord serait accéléré et les conventions de procédure participative aux fins de mise en état pourraient être rétribuées au titre de l’aide juridictionnelle.

Sur la médiation, le rapport encourage la formation commune de magistrats et d’avocats sur le sujet et souhaite qu’un référent médiation soit nommé dans chaque juridiction.

Le rapport s’appuie aussi sur une expérimentation menée à Paris par la chambre de la propriété intellectuelle de « césure du procès civil ». Après avoir tranché les points de droit qu’il juge pertinents, le juge propose aux parties de se mettre d’accord sur le reste. Le groupe de travail souhaite aussi encourager la présentation en amont des pièces et des conclusions.

Pour le pénal : CRPC, dématérialisation, participation des avocats

En matière pénale, le groupe souhaite favoriser la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CPRC) (Dalloz actualité, 26 mars 2021, reportage A. Bloch). La CRPC serait possible même si le dossier a fait l’objet d’un renvoi par le tribunal, tant qu’il n’a pas été examiné au fond. Un renvoi en CRPC après une information judiciaire serait possible, même en l’absence d’accord de la partie civile, à condition qu’elle soit informée. Le groupe souhaite créer une CPRC au niveau de l’appel, dès lors que l’appel du condamné ne porte que sur la peine (et pas sur sa culpabilité).

Une piste souvent avancée pour résorber les stocks serait de faire participer les avocats à l’activité juridictionnelle. Mais compte tenu du statut de la magistrature, le groupe de travail propose plutôt la piste de l’intégration d’avocats comme « magistrats à titre temporaire ». Ces derniers sont en effet nommés après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ils pourraient toutefois accéder à plus de missions qu’aujourd’hui.

À noter : contrairement au code de procédure civile (qui est du domaine réglementaire), modifier le code de procédure pénale nécessite souvent de changer la loi. Alors qu’une loi sur les CRPC vient d’être votée, le projet de loi pour la confiance de l’institution judiciaire pourrait être amendé en ce sens.

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Sur pourvoi, la Cour de cassation, par arrêt du 7 septembre 2017, casse partiellement un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, et renvoie devant la même cour d’appel.

La juridiction de renvoi est saisie par déclaration de saisine du 15 janvier 2018, mais sans que l’auteur de la déclaration de saisine ne fasse mention des chefs expressément critiqués.

La « partie adverse » (au sens procédural de l’art. 1037-1) s’empare de cette irrégularité pour conclure à… la « caducité » de la déclaration de saisine. Les juges se laissent convaincre par l’argumentation, mais requalifient la sanction en « nullité », et s’estimant non valablement saisie, déclare la déclaration de saisine… « irrecevable ».

Un pourvoi permet de remettre un peu d’ordre dans ce déballage de sanctions procédurales, qui dénote une incompréhension entre ces multiples sanctions pourtant différentes.

Les chefs critiqués dans la déclaration de saisine : une obligation procédurale réaffirmée

Par cet arrêt, il est réaffirmé que l’auteur de la déclaration de saisine a l’obligation de mentionner dans son acte de saisine les chefs critiqués (Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-14.293 P, Dalloz actualité, 29 janv. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; JCP 2021. 176, note Herman).

Il est précisé ici de quels chefs il s’agit. Ce sont « les chefs critiqués de la décision entreprise », et nous comprenons qu’il s’agit des chefs du jugement dont appel, non ceux de la décision cassée.

L’autre précision apportée par la Cour de cassation est que cette mention obligatoire s’effectue « au regard des chefs de dispositif de l’arrêt attaqué atteints par la cassation », autrement dit que la déclaration de saisine ne doit pas contenir tous les chefs qui auraient dû être mentionnées sur l’acte d’appel, mais uniquement ceux concernés par la cassation.

Au regard des textes, cette exigence s’entend.

Toutefois, il est permis de s’interroger sur l’utilité de ces mentions dans l’acte de saisine alors que, en tout état de cause, la cour sera saisie non au regard des chefs qui seront mentionnés mais en fonction de ce que la Cour de cassation aura tranché (Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-14.293 P, préc.).

Pour la déclaration d’appel, cette exigence peut se comprendre, et elle emporte des conséquences procédurales.

Ainsi l’intimé, à réception de l’acte d’appel, saura précisément sur quoi portera l’appel, lui permettant d’apprécier s’il y a lieu pour lui de se faire représenter, ou s’il peut attendre un éventuel un appel incident pour constituer avocat.

Par ailleurs, la mention des chefs critiqués dans l’acte d’appel a des conséquences importantes quant à la dévolution opérée (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero ; JCP 2020. 1170, note Herman ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, p. 61 note Hoffschir ; ibid. 6 oct. 2020, p. 24, note Fertier ).

Mais pour une déclaration de saisine, cela n’a pas véritablement de sens puisque cette mention est sans la moindre conséquence procédurale, notamment quant à l’étendue de la saisine de la juridiction de renvoi, comme l’a jugé la haute juridiction.

Bien sûr, c’est ce que prévoit l’article 901, 4°, auquel renvoie l’article 1033. Mais à d’autres occasions, la Cour de cassation a su prendre de grandes libertés avec les textes, et nous pouvons nous étonner, et regretter, qu’elle ne l’ait pas fait ici. Ainsi, récemment, elle a réécrit l’article 403 et inventé le désistement ne valant pas acquiescement (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-20.766 P, Dalloz actualité, 6 nov. 2020, obs. C. Lhermitte ; 17 sept. 2020, n° 19-15.254 ; 21 févr. 2019, n° 18-13.467). Le 17 septembre 2020, la Cour de cassation, par une « interprétation nouvelle » des articles 542 et 954, a érigé une nouvelle obligation à la charge de la partie qui doit désormais, à peine de sanction, préciser dans le dispositif de ses conclusions s’il est demandé l’annulation ou l’infirmation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, p. 9, note P. Gerbay ; ibid....

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La Cour de cassation se livre à d’utiles rappels en matière de cautionnement solidaire dans un arrêt de la chambre commerciale rendu le 8 avril 2021, non publié au Bulletin. Ce sont deux thématiques très connues qui sont au centre de gravité de cet arrêt de cassation : d’une part, la disproportion de l’engagement de la caution et d’autre part les dommages-intérêts liés à un manquement au devoir de mise en garde. La situation factuelle ayant mené à cet arrêt reste assez banale. Une banque consent à une société une ouverture de crédit en compte courant. Pour garantir cette opération, la banque demande à ce que le dirigeant de la société se porte caution solidaire, dans un acte notarié du 9 octobre 2009, de l’engagement de la société. Mais quelques années plus tard, cette société est mise en redressement judiciaire. Elle bénéficie d’un plan de redressement. La résolution du plan conduit ensuite à une liquidation judiciaire si bien que la banque fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente à la caution le 28 janvier 2015. Le 10 février 2015, la caution personne physique assigne la banque devant le juge de l’exécution (JEX) en annulation du commandement aux fins de saisie-vente. Elle argue notamment la disproportion de son engagement et le manquement au devoir de mise en garde de la banque. De son côté, la banque excipe la prescription de l’action de son cocontractant. La cour d’appel de Montpellier déclare irrecevable pour tardiveté la caution à opposer la disproportion manifeste de son engagement. Puisque le cautionnement avait été conclu le 9 octobre 2009, l’action de 2015 était donc prescrite pour les juges du fond. Sur la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde, la cour d’appel de Montpellier déclare également la caution irrecevable en se fiant encore une fois à la date de l’engagement. L’action était donc prescrite.

La caution se pourvoit en cassation en regrettant notamment ce point de départ de la prescription concernant les dommages-intérêts liés au manquement au devoir de mise en garde. Elle obtient gain de cause par une double-cassation pour violation de la loi dont une sur un moyen relevé d’office par le jeu de l’article 1015 du code de procédure civile. La Cour de cassation rappelle, d’une part, que la contestation opposée par la caution sur le fondement de la disproportion manifeste échappe à la prescription. D’autre part, elle rappelle sa jurisprudence constante sur le point de départ de la prescription de l’action en demande de dommages-intérêts pour violation du devoir de mise en garde. Concernant cette action, le point de départ est le jour où la caution apprend qu’elle doit effectivement payer la dette d’autrui.

Analysons ces deux axes de cassation aussi intéressants l’un que l’autre.

Engagement disproportionné et absence de prescription

La Cour de cassation commence par relever d’office un moyen concernant la contestation par la caution de son engagement car celui-ci était disproportionné. Rappelons que la caution avait agi en ce sens pour s’opposer à la saisie-vente. La Haute juridiction refuse la lecture faite par les juges du fond qui consistait à raisonner de la manière suivante : puisque la caution avait, dès la conclusion du cautionnement, tous les renseignements nécessaires pour apprécier la portée de son engagement, la contestation de ce dernier par le biais de la disproportion manifeste à ses biens et revenus devait suivre la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce.

La contestation du cautionnement pour engagement disproportionné ne peut donc pas suivre ce délai quinquennal. C’est une bonne nouvelle pour la caution qui peut utiliser ce moyen de défense contre la mesure d’exécution forcée, utilisée certes ici à titre principal puisque c’est cette dernière qui agissait en annulation du commandement. On connaissait déjà la solution pour la défense au fond soulevée par la caution (Civ. 1ère 31 janv. 2018, n°16-24.092). L’originalité de l’arrêt tient donc à ce point très précis sur l’action par voie principale dans un contentieux du JEX. Même dans ce contexte procédural, l’action n’est pas soumise au délai de prescription.

La solution est très intéressante car elle permet d’unifier cette absence de prescription, laquelle se comprend aisément pour une défense au fond. In fine, l’action de la caution avait ici le même but puisqu’elle s’opposait à la mesure d’exécution forcée – la saisie-vente – de la banque après la résolution du plan de redressement. L’insensibilité à la prescription permet d’éviter également que des cautionnements disproportionnés échappent à la sanction prévue par le code de la consommation, i.e. l’impossibilité de se prévaloir de l’acte ; expression qui a pu faire couler de l’encre par sa généralité analysée la plupart du temps comme une déchéance (Rép. civ., v° Cautionnement, par G. Piette, n° 121). L’empire de l’article L. 341-4 du code de la consommation se trouve ainsi renforcé à de nouveaux domaines à travers cette insensibilité à la prescription.

Cette solution favorable à la caution trouve un écho dans le point de départ de l’action pour obtenir des dommages-intérêts à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde.

Point de départ de la prescription et devoir de mise en garde

La seconde question de l’arrêt, qui était celle soulevée par la demanderesse au pourvoi, intéressait le manquement au devoir de mise en garde. Création prétorienne (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, la publicité foncière, Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 184, n° 188), ce devoir permet de faire peser une très lourde charge sur les établissements bancaires notamment. La Haute juridiction se livre, en la matière, à une distinction fine entre obligation d’information et devoir de mise en garde, proprement dit. La question de la prescription de l’action en dommages-intérêts liée au devoir de mise en garde se pose de manière assez récurrente devant la Cour de cassation eu égard à une certaine résistance des juges du fond à sa jurisprudence constante.

Comme nous l’avons mentionné, la cour d’appel de Montpellier avait estimé l’action prescrite en prenant comme point de départ l’acte notarié de 2009. La Cour de cassation rappelle un attendu connu dans lequel elle estime que le point de départ de la prescription est le jour où la caution a pris connaissance qu’elle devait effectivement payer la dette d’autrui. Il s’agit d’une jurisprudence constante (Com. 12 juill. 2017, n° 15-26.155, Rev. sociétés 2018. 175, note N. Martial-Braz ). Toutefois, comme le note Madame Martial-Braz, une telle décision tend nécessairement à rendre la question des points de départ des délais de prescription peu claire notamment par la multiplication des actions ouvertes à la caution (N. Martial-Braz, Confusion en matière de prescription : de la diversité du point de départ de la prescription, Rev. sociétés 2018. 175 ).

En somme, cet arrêt ne précise pas vraiment de solutions nouvelles. Mais il vient confirmer la très grande latitude offerte à la caution pour remettre en cause son engagement – notamment par l’engagement disproportionné qui échappe à la prescription – mais également pour obtenir des dommages-intérêts à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde. Prudence donc sur la question de la prescription !

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L’exception de jeu de l’article 1965 du code civil ne génère pas beaucoup de contentieux devant la Cour de cassation. Aussi, chaque arrêt rendu à ce sujet intéresse assurément la doctrine. Si le texte dispose que « la loi n’accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le paiement d’un pari », la jurisprudence en a précisé les contours. La plupart du temps, les discussions gravitent autour de chèques impayés notamment dans des casinos (P. Le Tourneau et C. Bloch [dir.], Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021-2022, n° 2123.51). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 avril 2021 est l’un de ces arrêts non publiés au Bulletin qui permet de déterminer les frontières exactes de l’exception de jeu. Rappelons-en brièvement les faits pour comprendre l’enjeu de la question.

Un joueur fréquente un casino de la Côte d’Azur entre 2010 et 2012. Toutefois, plusieurs chèques émis par le client sont retournés par la banque pour défaut de provision. Le casino et le joueur concluent alors un contrat en vue du règlement de la coquette somme de 170 000 €, qui correspond aux chèques impayés. Un an et demi plus tard, le joueur n’a pas exécuté ce protocole. Le casino assigne ainsi son cocontractant en exécution du protocole et en dommages-intérêts. Le client invoque l’exception de jeu de l’article 1965 du code civil pour refuser de payer le moindre centime. Le tribunal de grande instance de Grasse fait droit à la demande du casino, mis à part en ce qui concerne les dommages-intérêts. Le client interjette alors appel. La cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement entrepris car il y voit une cause illicite puisque les chèques impayés étaient émis pour couvrir l’avance consentie par le casino. Le protocole ne peut donc pas être exécuté, faute de cause licite. Le casino se pourvoit alors en cassation en regrettant l’application de l’exception de jeu de l’article 1965 du code civil et en mettant particulièrement en avant la conclusion d’un protocole avec le client. Compte tenu de ce lien contractuel, le casino pensait pouvoir faire échec à l’exception de jeu.

Le pourvoi est rejeté. Nous allons essayer de comprendre pourquoi.

Une solution constante : le chèque impayé et l’alimentation du jeu

Le client d’un casino réglementé par les pouvoirs publics ne peut, en tout état de cause, pas se prévaloir de l’article 1965 du code civil sauf si le casino a prêté des deniers au client pour « alimenter le jeu ». Cette solution provient d’une position désormais bien connue de la première chambre civile de la Cour de cassation, citée d’ailleurs dans l’arrêt commenté aujourd’hui (Civ. 1re, 30 juin 1998, n° 96-17.789, Bull. civ. I, n° 229 ; D. 1999. 112 , obs. R. Libchaber  ; 20 juill. 1988, n° 86-18.995, Bull. civ. I, n° 257). Dans son commentaire, M. Libchaber note que cette décision « reflète en effet la crainte très actuelle de l’endettement – particulièrement redoutable dans le cas du jeu, où il se constitue sans laisser au joueur de contrepartie matérielle –, mais ne déresponsabilise pas pour autant les joueurs en les traitant en incapables ». En somme, tout dépend si le joueur à – lors de l’émission du chèque – les deniers nécessaires pour honorer la somme inscrite. Si ce n’est pas le cas, le casino alimente alors le jeu en prêtant des deniers.

Dans tout casino, chaque client peut jouer grâce à son lot de jetons (voire de plaques), ces éléments représentant une certaine valeur monétaire. Une fois que le lot de jetons est écoulé, le client peut raisonnablement se dire qu’il doit soit retirer de l’argent pour reprendre des jetons ou des plaques mais il peut également s’arrêter de jouer faute de liquidités. Le casino qui avance volontairement des deniers à un joueur endetté ne peut donc pas poursuivre le remboursement desdites sommes compte tenu de la jurisprudence de 1998 (v. Rép. civ., v° Jeu – Pari, par F. Guerchoun, n° 73). L’exception de jeu trouve alors une application dynamique où il peut être difficile de savoir quand le casino fait réellement une avance. Cette question probatoire suscite des difficultés devant les juges du fond. 

L’arrêt commenté aujourd’hui commence par confirmer cette position tout en la confrontant à l’originalité de l’espèce, notamment eu égard à la transaction.

Le truchement du protocole transactionnel

Dans l’affaire du 8 avril 2021, l’originalité tient à l’acte conclu entre le casino et son client infortuné aux tables de jeu. Les deux parties étaient liées par un contrat et on pouvait raisonnablement se demander si l’article 1965 du code civil pouvait trouver application en pareille situation. C’était d’ailleurs le terrain d’élection des moyens présentés à la Cour de cassation par le casino. Mais il n’en est finalement rien. La Cour de cassation refuse ce raisonnement et rappelle dans une motivation développée les contours de l’arrêt de 1998. Le travail de la cour d’appel d’Aix-en-Provence était minutieux puisque les juges avaient pu détecter que les chèques impayés n’avaient pas été émis en paiement de jetons mais pour couvrir les avances consenties par le casino. On retrouve alors les traits caractéristiques du domaine de l’exception de jeu en matière de chèques impayés. Le casino perd alors tout recours.

Mais il restait toujours ce contrat conclu entre le casino et le client. La lecture de l’arrêt d’appel est ici utile puisqu’on y apprend que, pour se défaire du lien obligatoire, la cour d’appel a pu juger que « la cause du protocole n’étant pas licite, le casino doit être débouté de sa demande en paiement » (nous soulignons). On comprend aisément que la cause illicite est étroitement liée avec l’exception de jeu de l’article 1965 du code civil. Le contrat étant lié à l’avance pour « alimenter le jeu », son motif impulsif et déterminant n’est pas licite. En ce sens, la solution s’inscrit dans la droite lignée tant de la lettre de l’article 1965 que de la jurisprudence nuancée de 1998.

La force obligatoire des contrats y est ici sacrifiée sur l’autel de la cause, désormais sur le contenu licite et certain depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Mais ce sacrifice se comprend eu égard aux risques générés par la pratique des casinos d’accorder des avances à des clients endettés par le jeu. Le joueur en question dans l’arrêt du 8 avril 2021 se décrivait lui-même devant la cour d’appel comme un « joueur compulsif », ce qu’avait noté l’arrêt d’appel du 2 mai 2019 dans l’exposé des faits. Il n’en reste pas moins que la solution est très sévère pour ces établissements autorisés par la loi. L’exception de jeu les prive de tout recours en exécution d’une telle transaction.

L’article 1965 du code civil n’est donc pas l’un des articles oubliés, inadaptés ou vieillissants du code civil. Il demeure parfaitement utilisable en dépit de la conclusion d’un protocole transactionnel.

Prudence, donc, aux avances consenties aux clients infortunés !

L’indivision est une source intarissable de contentieux qui nous offre une fois encore l’occasion de préciser le régime. Dans cette affaire, deux personnes ont acquis une maison d’habitation et de commerce en commun, sous le régime de l’indivision et ont souscrit conjointement un emprunt bancaire commun. Madame J. réside alors à l’étage de l’habitation et Monsieur M. au rez-de-chaussée de la maison. En janvier 2009, Monsieur M. quitte l’immeuble à la suite d’un litige avec Madame J. né quelques mois plus tôt lorsque son concubin s’est installé avec elle. L’occasion est alors saisie par Madame J., dont le conjoint était magnétiseur et consultait dans le salon, pour réhabiliter un ancien local professionnel du rez-de-chaussée pour redonner à son salon sa véritable fonction. La situation entre elle et Monsieur M. se détériorant, les coindivisaires décident de mettre fin à l’indivision. Après ouverture du partage judiciaire de l’indivision, l’immeuble indivis a été vendu et le solde de l’emprunt, remboursé. Les parties n’ayant pu s’accorder sur la répartition du reliquat du prix, le notaire désigné a, le 18 décembre 2014, dressé un procès-verbal de difficultés.

Le 20 juin 2016, Monsieur M. assigne donc Madame J. afin d’obtenir une indemnité d’occupation pour utilisation privative de l’immeuble mais aussi en paiement de la moitié des sommes dont il a assumé seul le paiement au titre de l’emprunt bancaire. Dans les fait, Monsieur M. ayant payé les échéances de l’emprunt afférent à l’immeuble indivis entre décembre 2001 et mars 2013 inclus, donc même après son départ des lieux. Il demande donc à ce que ces sommes lui soient remboursées selon les modalités des articles 815-13 et 815-17, alinéa 1er, du code civil. Face à ces demandes, la défenderesse s’oppose au requérant sur trois points. D’abord, sur l’indemnité d’occupation,...

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En l’espèce, par un jugement du 16 décembre 2015, le tribunal de commerce de Melun a mis une société en redressement judiciaire et, par un jugement du 17 mai 2017, arrêté le plan de redressement de cette société. Le 6 juillet 2018, un créancier l’a assignée en résolution du plan et en ouverture d’une liquidation judiciaire. Le 23 novembre 2018, la société débitrice a déposé une requête aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime à l’égard du tribunal de commerce de Melun. Or, avant qu’il ne soit statué sur cette requête, le tribunal de commerce de Melun, statuant sur l’assignation délivrée par le créancier, a, par un jugement du 19 décembre 2018, prononcé la résolution du plan et l’ouverture concomitante d’une procédure de liquidation judiciaire. Corrélativement, par une ordonnance du 21 décembre 2018, le premier président de la cour d’appel de Paris a accueilli la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime et renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris.

Le 20 février 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de la société débitrice et l’ouverture de sa liquidation judiciaire.

Devant la cour saisie de l’appel formé contre ce jugement, la société débitrice a notamment demandé, en application du troisième alinéa de l’article 347 du code de procédure civile, que soient déclarés non avenus l’ensemble des jugements prononcés par le tribunal de commerce de Melun : le jugement d’ouverture du 16 décembre 2015, le jugement arrêtant le plan de redressement du 17 mai 2017, ainsi que le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du 19 décembre 2018.

En premier lieu, la cour d’appel va déclarer non avenu « le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2019 ». En second lieu, elle rejette les demandes de la société débitrice tendant à faire déclarer non avenus l’ensemble des jugements rendus par le tribunal de commerce de Melun.

La société débitrice se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Pour la demanderesse, la cour d’appel a d’abord entaché son arrêt d’une erreur matérielle. À cet égard, la société débitrice précise qu’il appartient à la Cour de cassation de la rectifier en application de l’article 462 du code de procédure civile. Effectivement, si la cour d’appel, dans le dispositif de son arrêt, a jugé que le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2019 était non avenu, elle a toutefois retenu, dans les motifs de l’arrêt, que devait être déclaré non avenu le jugement du tribunal de commerce de Melun du 21 décembre 2018, en réalité daté du 19 décembre 2018 (il s’agit du jugement prononçant la résolution du plan et l’ouverture de la liquidation judiciaire).

En outre, pour la société débitrice, la cour d’appel aurait violé l’article 347 du code de procédure civile en retenant que les jugements du tribunal de commerce de Melun, antérieurs à la date du dépôt de la requête en suspicion légitime, ne pouvaient être remis en cause, alors...

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par Antoine Bolzele 29 avril 2021

Civ. 1re, 3 mars 2021, F-P, n° 19-21.384

En l’espèce, un employeur entendait contester l’impartialité de la juridiction prud’homale parce que le président de la juridiction avait distribué trois différents dossiers de licenciement concernant son entreprise devant la même chambre. Il forme donc une requête en suspicion légitime auprès du premier président de la cour d’appel qui rejette cette demande au motif que la décision d’administration judiciaire d’attribuer devant le même bureau de jugement les trois dossiers concernant la même société n’est pas nature « à traduire » une partialité des membres de cette juridiction. Et cela autant au regard de l’article L. 1457-1 du code du travail que de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. L’employeur forme alors un pourvoi en cassation qui sera rejeté pour la raison que le seul fait qu’une chambre pouvait se prononcer dans plusieurs dossiers intéressant la même société n’est de nature à faire présumer sa partialité. La rareté de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la suspicion légitime offre l’occasion de revisiter cette notion.

Associées dans le code de procédure civile dans un même chapitre (chap. II, titre X, livre 1er, art. 341 à 350), les notions de récusation et...

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Un logement avait été mis à la disposition d’une salariée par son employeur (le 13 janvier 1975) à titre d’accessoire à son contrat de travail, conclu le 21 septembre 1962. Le 31 juillet 2004, la salariée a pris sa retraite mais a continué à occuper les lieux. Souhaitant vendre le logement libre d’occupation, son ancien employeur lui a délivré, le 25 juillet 2014, un congé à effet du 31 juillet 2015. L’ancienne salariée a refusé de quitter les lieux en se prévalant d’un bail d’habitation. Elle a alors été assignée en expulsion.

La cour d’appel déclare l’action irrecevable comme prescrite, aux motifs qu’il s’agissait d’une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de droit commun, dès lors qu’elle dérivait d’un contrat. Dans son pourvoi en cassation, l’ancien employeur soutient, au contraire, que son action avait pour objet l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre et qu’elle était, par conséquent, imprescriptible. La cour d’appel aurait donc violé l’article 2227 du code civil (pt 6).

La Cour de cassation casse, en effet, la décision de la cour d’appel pour violation des articles 544 et 2227 du code civil. Elle rappelle que, « selon le premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Selon le second, le droit de propriété est imprescriptible » (pt 7). Or il est de jurisprudence constante que « la revendication est l’action par laquelle le demandeur, invoquant sa qualité de propriétaire, réclame à celui qui la détient la restitution de son bien (Civ. 3e, 16 avr. 1973, n° 72-13.758, Bull. civ. III, n° 297) » (pt 8). Ainsi, « l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription » (pt 11).

Depuis la réforme de 2008, l’article 2227 du code civil affirme expressément le caractère imprescriptible du droit de propriété. « Il consacre ainsi la jurisprudence antérieure, laquelle avait dégagé le principe d’absence de terme extinctif de la propriété en matière immobilière (req. 12 juill. 1905) et mobilière (Civ. 2e, 2 juin 1993, n° 90-21.982, D. 1993. 306 , obs. A. Robert ; ibid. 1994. 582 , note B. Fauvarque-Cosson ) : contrairement aux autres droits réels, le droit de propriété ne se perd pas par le non-usage, ce que propose de préciser plus clairement dans le code civil l’avant-projet de réforme du droit des biens (art. 537, al. 1). La formulation actuellement retenue par l’article 2227 est en effet maladroite car le droit de propriété peut faire l’objet d’une prescription acquisitive (C. civ., art. 2272). Seule la prescription extinctive ne l’affecte pas » (A. Cayol, Le droit des biens en tableaux, Ellipses, 2019, p. 52).

Ceci découle du caractère absolu du droit de propriété (L. Aulagnon, La pérennité de la propriété (Étude de sociologie juridique à propos d’un ouvrage récent), Rev. crit. législ. et jur. 1934. 285 : « Un droit absolu est nécessairement perpétuel » ; V. Bonnet, La durée de la propriété, RRJ 2002, n° 20, p. 286). Espace de liberté, ce dernier offre au propriétaire la possibilité d’utiliser la chose à sa guise et, notamment, de ne pas l’utiliser. Cette abstention ne saurait en aucun cas mettre fin au rapport d’appartenance exclusive qu’il entretient avec la chose.

L’action en revendication vise à assurer la protection du propriétaire contre les immixtions des tiers. Le droit de propriété n’étant pas soumis à la prescription extinctive, l’action en revendication...

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