Annonces ventes aux enchères

Vous pouvez contacter Maître ADJEDJ pour toutes demandes concernant les ventes de saisies immobilières

Peu à peu, par la loi Justice du 21e siècle du 18 novembre 2016, la loi de programmation pour la réforme de la Justice du 23 mars 2019, et tout récemment le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire1, le législateur installe profondément et durablement les modes amiables de règlements des différends dans le paysage juridique et judiciaire français.

À l’automne dernier, le groupe de travail « médiation devant la Cour de cassation », composé de magistrats du siège, de magistrats du parquet général, de la directrice de greffe de la Cour de cassation ainsi que de l’Ordre des avocats aux Conseils, était installé afin de réfléchir à l’opportunité et à la faisabilité de développer la médiation devant la Cour de cassation. Cette question n’est en effet dépourvue d’intérêt ni pratique ni théorique.
La médiation, qui se développe désormais depuis une quinzaine d’années aux côtés d’autres modes de règlements amiables des litiges, est un outil permettant au juge d’assurer sa mission de conciliation des parties, dans un contexte de judiciarisation croissante de la société.

L’intérêt de mettre en place une mesure de médiation au stade de la cassation est évident dans la mesure où un pourvoi en cassation s’inscrit dans un temps judiciaire long qui peut conduire à une forme de lassitude des parties, à plus forte raison dans la perspective d’une éventuelle cassation avec renvoi de l’affaire devant le juge du fond. En outre, les contradictions possibles entre les motifs du jugement et ceux de l’arrêt d’appel peuvent être source de confusion dans l’esprit du justiciable, qui pourra souhaiter se tourner vers une autre voie de règlement de son litige.

Le groupe de travail, prenant ainsi la mesure de la pertinence de la mise en œuvre de la médiation devant la Cour de cassation, a cherché à répondre à plusieurs questions pratiques pour en faire une mesure applicable, efficace et attractive.

Il est ainsi apparu, assez naturellement, qu’à droit constant, la médiation pouvait être mise en œuvre au stade de la cassation. Néanmoins, les réflexions menées ont conduit à considérer, que sur certains points, des réformes de nature réglementaire étaient souhaitables, voire nécessaires afin de rendre la médiation devant la Cour de cassation efficace et pérenne.

La possibilité de recourir à la médiation au stade du pourvoi en cassation

De prime abord, il peut sembler que la Cour de cassation n’est pas la juridiction au sein de laquelle il est possible de proposer la médiation. La Cour de cassation juge en effet en droit et veille à l’harmonisation de la jurisprudence sur l’ensemble du territoire afin d’assurer une égale application de la loi. Le magistrat a certes pour rôle premier de trancher un litige mais aussi d’apaiser les relations sociales et de contribuer ainsi au vivre-ensemble. Or, parfois, trancher un litige n’est pas vecteur de paix sociale, quand la médiation entre les parties permet de rétablir un dialogue jusqu’alors rompu.

Aucune définition de la médiation n’est donnée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qui a consacré la médiation. L’article 22 de ladite loi, concernant l’ensemble des juridictions, dispose que « le juge peut désigner un médiateur judiciaire pour procéder à une médiation en tout état de la procédure, y compris en référé ». La jurisprudence, quant à elle, a présenté la médiation comme « une modalité d’application de l’article 21 du nouveau code de procédure civile tendant au règlement amiable des litiges »2. Or, cet article 21, selon lequel « il entre dans la mission du juge de concilier les parties », figure parmi le Livre Ier du code de procédure civile, relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions, de sorte que cet article est applicable à la Cour de cassation.

Selon Madame Natalie Fricero, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’université de Nice-Côte d’Azur, entendue par le groupe de travail, la désignation d’un médiateur suppose d’apprécier l’opportunité d’une situation et, par conséquent, de procéder à un examen factuel. Or, l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire dispose que la Cour de cassation peut « statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ». Ainsi, la nécessité de procéder à un examen factuel pour apprécier l’opportunité de recourir à la médiation ne constitue pas un obstacle.

Aucune disposition ne restreint le recours à la médiation à la première instance, de sorte que le développement de la médiation au stade de la cassation semble envisageable à droit constant. Toutefois, l’ensemble des membres du groupe de travail ont estimé opportun d’affirmer dans les textes la possibilité de recourir à la médiation à ce stade afin de normaliser et pérenniser le recours à ce mode de règlement amiable devant la Cour de cassation.

Si le recours à la médiation est possible devant la Cour de cassation, les spécificités de la procédure devant la Haute juridiction supposent d’examiner les modalités de mise en œuvre d’un tel mode de règlement des différends à ce stade.

La médiation devant la Cour de cassation : comment ?

Le développement de la médiation au stade du pourvoi en cassation suppose de prendre en considération les spécificités de la procédure devant la Haute juridiction. La Cour de cassation se distingue en de nombreux points des juridictions du fond, d’abord parce que le juge de cassation statue en droit, mais également parce que les avocats qui plaident devant elle sont les avocats aux Conseil d’État et à la Cour de cassation, regroupés au sein d’un ordre spécifique, et disposant de la qualité d’officier ministériel. Ces spécificités inhérentes à la Cour de cassation invitent à penser les modalités propres à la mise en œuvre de la médiation devant la Cour de cassation. Ce sont ainsi les questions relatives aux litiges susceptibles de faire l’objet d’une médiation, aux acteurs de la médiation, mais encore aux délais de la médiation proposée au stade de la cassation qui ont été abordées par le groupe de réflexion.

Quels litiges ?

Il est évident que tous les litiges ne peuvent faire l’objet d’une médiation et ce plus encore que la Cour de cassation dispose, en statuant, d’un véritable pouvoir créateur. Ainsi, il est certain que la médiation ne peut être mise en place que dans un litige au sein duquel elle a une chance d’aboutir, sans priver la Cour de l’opportunité de se prononcer sur une question de droit présentant un caractère nouveau ou sérieux, pour laquelle la décision à intervenir est susceptible de revêtir une véritable portée normative. Trois méthodes d’identification des litiges ont été présentées par le groupe de travail : l’identification des litiges par matière – certaines matières étant propices à la médiation, telles que le droit social, le droit commercial ou encore le droit des contrats, quand d’autres en sont exclues, notamment celles relevant de l’ordre public, comme le droit pénal et certains pans du droit de la famille –, par critères (ex : risque élevé de cassation) ou encore selon le circuit procédural emprunté (circuit court ou intermédiaire)3. Quelque soit le critère choisi, le groupe du travail a souligné tout l’intérêt de préserver la souplesse dans le processus de médiation, condition indispensable de son succès.

Cette identification de l’affaire propice à la médiation peut être effectuée par une diversité d’acteurs, qui, en raison de la connaissance qu’ils ont des dossiers, sont particulièrement qualifiés pour repérer les affaires susceptibles d’être soumises à une médiation. Ainsi, les conseillers pré-orientateurs4, les conseillers rapporteurs, le parquet général ainsi que les avocats aux Conseils peuvent proposer cette mesure.

Le groupe de travail a également abordé la question de la désignation du médiateur.

En ce sens, la décision ordonnant ou renouvelant la médiation étant une mesure d’administration judiciaire, le rapport propose que le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée soit compétent pour ordonner la médiation.

Quel médiateur ?

Un soin tout particulier devra bien sûr être apporté dans le choix du médiateur. À ce titre, les avocats aux Conseils apparaissent tels des candidats privilégiés à la fonction de médiateur. Par le regard neuf qu’ils portent sur l’affaire, ils disposent du recul suffisant pour accompagner les parties dans le cadre d’une médiation. En outre, ils sont à la fois avocats et officiers ministériels, de sorte qu’ils présentent l’avantage de fournir des garanties fortes en matière de déontologie.

Le choix des médiateurs ne peut être le fruit du hasard, aussi le rapport a-t-il proposé de suivre le modèle qui a été celui des cours d’appel, formulant ainsi une proposition de décret relatif à la liste des médiateurs devant la Cour de cassation. En tout état de cause, le rapport retient une condition qui devrait être satisfaite par les médiateurs devant la Cour de cassation, celle de la nécessité de justifier d’une inscription sur une liste dressée par une cour d’appel depuis au moins trois ans. Cette proposition permettrait de favoriser la constitution d’une liste comprenant des médiateurs locaux sur l’ensemble du territoire, géographiquement proches des parties.
La question des délais a également été source de riches débats. Alors que certaines procédures peuvent s’étendre sur dix ans, il ne s’agissait évidemment pas d’augmenter le temps judiciaire. Une attention singulière a dès lors été portée sur la détermination du moment idoine pour proposer la médiation mise en œuvre au stade du pourvoi en cassation. À ce titre, le dépôt des mémoires, ampliatif et en défense est considéré comme éminemment opportun. Ce n’est en effet qu’après avoir déposé les mémoires que les avocats aux Conseils sont à même à prendre position sur le risque de cassation et partant sur l’opportunité de recourir à une médiation. C’est ainsi parfaitement éclairées et conseillées que les parties accepteront de soumettre l’affaire à la médiation.

Le délai s’écoulant entre le dépôt des mémoires et l’audience se révèle de plus suffisamment long pour mettre en œuvre une médiation – d’une durée moyenne de 6,9 mois5 – sans entrainer de retard dans le traitement de l’affaire ni empêcher le pourvoi de poursuivre le circuit de procédure classique. La mesure ne présente ainsi pas l’inconvénient de rallonger la procédure, et permet au justiciable d’envisager sereinement d’y recourir. En outre, il demeurera toujours possible de recourir à la médiation en cas de cassation avec renvoi devant une juridiction du fond, laquelle est invitée à rappeler aux parties la possibilité de régler amiablement le différend qui les oppose, lorsque les circonstances s’y prêtent.

Enfin, la réflexion menée sur la mise en œuvre de la « médiation à la Cour de cassation » a été l’opportunité de proposer à la chancellerie de compléter les dispositions réglementaires relatives à la médiation. Aussi, il apparait nécessaire de clarifier le régime applicable à la médiation. En ce sens, une proposition est émise, visant à préciser que la consignation de la provision – inhérente à la médiation – s’effectue entre les mains du médiateur ou au greffe de la régie. Semblablement, il est proposé de spécifier le point de départ de la durée de la mission de médiation, à savoir de le fixer au jour où le médiateur est informé par le greffe de la consignation ou au jour où la provision est consignée entre ses mains, selon les circonstances de dépôt de ladite consignation. Encore, il est judicieux, dans un même objectif de clarification, de réaffirmer la possibilité qu’ont les parties, quel que soit le stade de la procédure auquel il est fait recours à la médiation, de se faire assister par un avocat ou toute personne habilitée à les représenter devant la juridiction ayant désigné un médiateur. Une dernière proposition est exposée, relative à l’homologation par le juge de l’accord intervenu entre les parties. Si cette homologation a expressément vocation à rendre exécutoire l’accord conclu au terme de la médiation, elle constitue également, de fait, un instrument de contrôle de non-contrariété à l’ordre public d’un tel accord. C’est ce rôle que le groupe de travail propose de clarifier et d’inscrire dans le marbre de la loi.

La volonté du groupe de travail « médiation devant la Cour de cassation » aura été d’inscrire la Cour de cassation dans la dynamique de promotion de la médiation que connaissent déjà les juridictions du fond, en en structurant le procédure, sans la rigidifier, au risque de s’éloigner de ce qui la caractérise en premier lieu : la souplesse. Formons le vœu que les propositions pratiques et concrètes formulées par le groupe de travail assurent un développement pérenne de la médiation au niveau de la cassation et participe ainsi à la promotion des modes amiables de règlement des différends. 

 

1. Le projet de loi prévoit la mise en place d’un Conseil national de la médiation, chargé notamment de rendre des avis dans le domaine de la médiation et de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l’améliorer.
2. Civ. 2e, 16 juin 1993, n° 91-15.332.

Lire la suite
image

Dans une édition de 1994, le quotidien belge Le Soir publia un article qui relatait un accident de voiture ayant causé la mort de deux personnes et blessé trois autres et qui mentionnait le nom complet du conducteur responsable. Ce dernier fut poursuivi et condamné pour ces faits en 2000, il purgea sa peine puis bénéficia d’une décision de réhabilitation en 2006. En 2008, le journal mit en ligne une version électronique de ses archives, accessibles gratuitement. En 2010, le conducteur demanda au journal la suppression de l’article mentionnant son nom, du moins son anonymisation. Le journal refusa de procéder à la suppression de l’article mais demanda à Google de déréférencer celui-ci pour qu’il n’apparaisse plus dans les listes de résultats du moteur de recherche. En 2012, le conducteur assigna en justice l’éditeur du journal pour obtenir l’anonymisation de l’article litigieux, qu’il obtint des juridictions civiles belges. S’estimant victime d’une atteinte à la liberté d’expression, l’éditeur saisit la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête fondée sur la violation de l’article 10 de la Convention.

Constatant une ingérence dans le droit à la liberté d’expression de l’éditeur, la Cour de Strasbourg recherche si celle-ci était bien prévue par la loi, motivée par un but légitime et nécessaire dans une société démocratique, conformément aux conditions de légitimation d’une atteinte à ce droit prévues au paragraphe 2 de l’article 10.

Sur la légalité de l’ingérence, le requérant soutenait que sa condamnation, fondée sur l’article 1282 du code civil belge, qui constitue le droit commun de la responsabilité civile, n’était pas prévisible. La Cour juge au contraire que l’interprétation qui a été faite par les juridictions nationales des dispositions relatives à la protection de la vie privée pour conclure à une atteinte au droit à l’oubli par la reproduction numérique d’un article ancien n’a été ni arbitraire ni manifestement déraisonnable. Rappelant qu’elle a déjà, dans d’autres affaires mettant en jeu l’article 10, considéré comme une base légale suffisamment prévisible une disposition constituant le droit commun de la responsabilité civile (pour l’art. 1382, C. civ. belge, v. not. CEDH 24 févr. 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, n° 19983/92, Rec. CEDH 1997‑I ; AJDA 1998. 37, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1998. 389, obs. R. Koering-Joulin ), elle conclut que l’ingérence était bien prévue par la loi.

L’existence d’un but légitime était évidente et non contestée puisqu’était en cause la protection de la réputation et des droits d’autrui (ici le droit au respect de la vie privée), telle que visée à l’article 10, § 2.

Sur la nécessité de l’ingérence, la Cour devait arbitrer la mise en balance entre, d’une part, le droit du requérant de communiquer des informations au public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée de la personne nommément visée dans l’article. Plusieurs critères trouvaient à s’appliquer, conformément à la jurisprudence européenne : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le mode d’obtention des informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi que la gravité de la mesure imposée (v. not. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c. Allemagne, n° 39954/08, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric ; Légipresse 2012. 143 et les obs. ; ibid. 243, comm. G. Loiseau ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud  ; gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France, n° 40454/07, Dalloz actualité, 27 nov. 2015, obs. J. Gaté ; AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2016. 116, et les obs. , note J.-F. Renucci ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud ; gr. ch., 29 mars 2016, Bédat c. Suisse, n° 56925/08, Légipresse 2016. 206 et les obs. ; RSC 2016. 592, obs. J.-P. Marguénaud ) ; ainsi que plusieurs principes : la nécessité de caractériser un besoin social impérieux à la restriction à la liberté d’expression, ce qui suppose des motifs pertinents et suffisants de la part des juridictions nationales et une atteinte proportionnée au but légitime poursuivi (CEDH 26 avr. 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni [n° 1], n° 6538/74, série A n° 30). En sachant qu’il appartient d’abord aux juridictions nationales d’opérer la mise en balance, la Cour ne substituant son avis à celui de ces dernières qu’en cas de « raisons sérieuses ». Soulignant la spécificité de la mise à disposition d’archives numériques sur internet, qui contribue à la préservation et à l’accessibilité de l’actualité et des informations et constitue une source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques (CEDH 10 mars 2009, Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03 ; 19 oct. 2017, Fuchsmann c. Allemagne, n° 71233/13, Dalloz actualité, 3 nov. 2017, obs. S. Lavric ; ibid. 9 nov. 2017, obs. T. Soudain ; 28 juin 2018, M.L. et W.W. c. Allemagne, nos 60798/10 et 65599/10, D. 2019. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; AJ pénal 2018. 462, note L. François ; Dalloz IP/IT 2018. 704, obs. E. Derieux ; RSC 2018. 735, obs. J.-P. Marguénaud ), elle précise néanmoins que le droit de maintenir des archives en ligne à la disposition du public n’est pas absolu et qu’il doit lui-même être mis en balance avec les autres droits en présence.

Appliquant ces éléments d’appréciation, la Cour estime à six voix contre une qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 dans les circonstances de l’espèce. Les motifs avancés par les juridictions nationales, tenant principalement à l’importance particulière du préjudice subi par l’intéressé du fait de la mise en ligne de l’article quatorze ans après sa première publication et au caractère mesuré de l’anonymisation prescrite au regard de la liberté d’informer (l’anonymisation ne portant pas atteinte à l’intégrité des archives), lui paraissent pertinents et suffisants. Elle valide ainsi la mise en balance opérée par ces dernières et la protection conférée en l’espèce au droit à l’oubli d’une personne qui a été impliquée dans un fait d’actualité par le passé, tout en précisant que la présente solution n’implique pas une obligation générale pour les médias de vérifier systématiquement leurs archives (qui s’inscrirait à contre-courant de la jurisprudence européenne en matière de droit à l’oubli numérique) mais celle de « procéder à une vérification et donc à une mise en balance des droits en jeu […] en cas de demande expresse à cet effet » (§ 134). La solution consacre donc une possible reconnaissance du droit à l’oubli numérique dans de telles circonstances dès lors que l’écoulement du temps a fait disparaître la contribution à un débat d’intérêt général et que l’intéressé (dépourvu de toute notoriété et toujours resté à l’écart des médias) en a fait la demande expresse (évoquant l’émergence d’un tel critère, v. AJ pénal 2018. 462, obs. L. François , à propos de l’arrêt M.L. et W.W. c. Allemagne, préc.).

image

Le propriétaire d’un immeuble traversé par des canalisations des eaux usées au profit d’un autre immeuble avait assigné son voisin pour leur suppression. La cour d’appel avait rejeté cette demande, estimant que la servitude d’écoulement des eaux usées, qui s’exerçait au moyen de ces canalisations, avait été acquise par la prescription trentenaire. Un pourvoi en cassation fut formé contre cet arrêt, soutenant qu’« une servitude d’écoulement des eaux usées […] a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription ». La question posée était donc celle de savoir si la servitude d’écoulement des eaux usées a un caractère discontinu.

La Cour de cassation répond par l’affirmative : « la servitude d’écoulement des eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription ».

Réaffirmation d’une solution constante

Il s’agit d’une simple réaffirmation d’une solution constante sur la servitude d’écoulement des eaux usées : cette servitude a un caractère discontinu, ce qui s’oppose à son acquisition par prescription (Civ. 3e, 8 déc. 2004, n° 03-17.225, Bull. civ. III, n° 234 ; RDI 2005. 213, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck ; 15 févr. 1995, n° 93-13.093, Bull. civ. III, n° 54 ; 9 juin 2015, n° 14-11.400, D. 2015. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2015. 628 ; 2 mai 2012, n° 11-18.455 ; 29 avr. 2002, n° 00-15.629). Le fait que les canalisations servent à évacuer les eaux usées et les eaux de pluie est indifférent (Civ. 3e, 21 juin 2000, n° 97-22.064, Bull. civ. III, n° 127 ; D. 2000. 207 ; 21 janv. 2021, n° 19-16.993, AJDI 2021. 304 ; RTD civ. 2021. 445, obs. W. Dross ; 10 nov. 2009, n° 08-20.446, RDI 2010. 206, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck ).

Cette réaffirmation est l’occasion de rappeler quelques distinctions à faire, car la lettre de l’article 688 du code civil peut causer au moins trois confusions.

Distinction entre la servitude et l’ouvrage constituant son moyen d’exercice

La lettre de ce texte peut d’abord entraîner la confusion entre la servitude elle-même et l’ouvrage par lequel elle peut se manifester et s’exercer. Les exemples qu’il donne facilitent cette confusion. Si, comme l’affirme l’article 688 du code civil, les conduites d’eau et les égouts sont des servitudes continues, la tentation est grande de confondre la servitude d’écoulement des eaux usées avec les canalisations qui peuvent la manifester et qui lui servent de moyen d’exercice. C’est ce qu’ont fait les juges du fond en l’espèce.

Or la servitude est « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire » (C. civ., art. 637). La servitude d’écoulement des eaux usées consiste donc, pour le fonds servant à subir l’écoulement des eaux usées provenant du fonds voisin, et corrélativement, pour le fonds dominant à faire écouler ses eaux usées par le fonds...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Le groupe sculpté Le Baiser de Constantin Brancusi et son socle formant une stèle constituent, avec la tombe, un « immeuble par nature » au sens de la loi, ce qui permet à l’État de l’inscrire aux monuments historiques sans recueillir l’accord de ses propriétaires.

Tania Rachewskaïa est née en 1887 en Russie puis a émigré en France où elle poursuivait des études de médecine. Elle s’est suicidée le 5 décembre 1910, à l’âge de vingt-trois ans, par amour, dit-on, pour son professeur et amant. Elle a été inhumée dans le cimetière du Montparnasse dans une concession funéraire acquise à titre perpétuel par son père. Son professeur était un ami du sculpteur Constantin Brancusi et, à son initiative ou par son intermédiaire, a été installé sur la tombe de la jeune femme un groupe sculpté, Le Baiser. Les descendants de la défunte ont fait valoir leurs droits sur la concession perpétuelle en 2005 et entrepris des démarches pour déposer et exporter la sculpture. L’État s’y est opposé en élevant Le Baiser au rang de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

Un individu a été victime, le 26 octobre 2004, d’une agression. Sa mère avait souscrit un contrat d’assurance garantissant, à elle et ses enfants majeurs à charge, la prise en charge d’accidents.

La victime, représentée par sa mère, a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales (CIVI) aux fins d’expertise et indemnisation. Un accord entre le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) et la victime a été trouvé et a été homologué par la Commission. Ce dernier a fixé l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 503 294,44 €.

La victime a, ensuite, assigné l’assureur pour que le juge ordonne la tenue d’une expertise visant à lui permettre d’obtenir une provision de 10 000 €.

À la suite du décès de la victime et de son représentant légal, le frère de la victime a assigné l’assureur en intervention forcée à l’instance d’appel.

La cour d’appel a confirmé le jugement du 9 décembre 2013 qui donnait acte au FGTI de ce qu’il avait déjà versé la somme 503 294,44 € et condamnait l’assureur à payer à la victime une provision de 10 000 €. Les juges du fond ont surtout confirmé la décision de première instance en ce qu’elle jugeait que l’indemnisation accordée par le FGTI à la victime ne faisait pas obstacle aux demandes dirigées par cette dernière représentée par sa mère contre l’assureur.

L’assureur forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation dont seul le premier moyen est reproduit dans la décision.

Dans la première branche du moyen, l’assureur fait valoir que l’accord intervenu entre le FGTI et la victime – et homologué par la CIVI – privait la victime de tout intérêt et qualité à agir contre l’assureur. Ce dernier explique que le FGTI avait déjà indemnisé la victime et avait été subrogé jusqu’à concurrence de cette indemnité dans ses droits et actions contre les personnes tenues d’assurer la réparation totale ou partielle du préjudice souffert. Dit autrement, la subrogation qui s’est opérée rendait, selon l’assureur, sans effet et sans intérêt la formation d’une action nouvelle de la part du subrogeant.

Dans la deuxième branche du moyen, l’assureur remet en cause le raisonnement de la cour d’appel selon lequel l’indemnisation par le FGTI et celle demandée en application du contrat d’assurance ne reposaient pas sur les mêmes fondements si bien que l’homologation obtenue auprès de la CIVI n’avait pas autorité de la chose jugée dans les rapports entre la victime et l’assureur. Selon ce dernier, ce raisonnement est inopérant, car la subrogation légale a un effet translatif et prive donc de jure la possibilité pour la victime d’intenter une nouvelle action.

Dans la troisième branche du moyen, l’assureur explique que l’action en répétition offerte par l’article 706-11 du code de procédure pénale au bénéfice du FGTI à l’encontre de la CIVI ne concerne que le cas dans lequel la victime a déjà obtenu le paiement de son indemnité par le FGTI et qu’elle obtient, auprès d’un autre organisme, une seconde indemnité relative au chef de préjudice ayant déjà fait l’objet d’une indemnisation. L’assureur tentait de montrer qu’il ne s’agissait pas de ce cas-là mais d’une nouvelle action du subrogeant – la victime – à l’encontre de l’assureur et non, comme cela aurait dû être une action du subrogé – le FGTI –, à l’encontre du tiers débiteur.

La question posée à la Cour de cassation consistait à déterminer si la victime était fondée à intenter une nouvelle action à l’encontre de son assureur pour obtenir une indemnisation dont le principe a déjà été validé par le FGTI et l’accord, homologué par la CIVI.

L’enjeu de la question consistait ainsi à déterminer s’il était possible, pour l’ayant droit, de solliciter auprès de son assureur une indemnisation supplémentaire alors qu’une convention est intervenue concernant un préjudice déjà réparé.

La Cour de cassation effectue un contrôle lourd de l’arrêt d’appel et juge le moyen mal fondé. Elle rappelle, tout d’abord, que le régime de responsabilité des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale est un régime autonome répondant à des règles qui lui sont propres. Elle juge ensuite que la cour d’appel a exactement retenu que la victime avait eu le droit d’agir contre son assureur nonobstant sa qualité de subrogeant. Il en résulte que le FGTI aura la possibilité de demander à la CIVI que la victime rembourse les sommes déjà versées.

Le plus souvent, lorsqu’une personne est victime d’un dommage, et que les conditions de l’article 706-3 du code de procédure pénale sont remplies, elle obtient réparation auprès du FGTI. Le FGTI est alors subrogé, en application de l’article 706-11 du code de procédure pénale, dans les droits de la victime, ce qui lui permet d’être titulaire d’un recours envers le responsable ou envers toute personne tenue à un titre quelconque d’en assurer la réparation.

Ici, la victime a obtenu réparation de son préjudice à hauteur de 503 294,44 € à la suite d’un accord intervenu entre l’ayant droit de la victime et la FGTI, accord homologué par la CIVI. Puisqu’il s’agit d’un accord, il est possible que l’indemnisation n’ait pas été complète même si elle censée être totale (v. C. pr. pén., art. 706-3 ; v. aussi, R. Bigot, Les sommes déductibles du versement par le FGTI, note ss Civ. 2e, 7 mars 2019, n° 17-27.139, Dalloz actualité, 27 mars 2019). La question se posait donc de savoir si, sur le fondement contractuel, l’ayant droit avait la possibilité de demander des sommes supplémentaires, en l’occurrence, une provision de 10 000 €.

Il est vrai qu’en matière de subrogation, le subrogeant se trouve désintéressé par le paiement qui lui a été octroyé. L’ayant droit de la victime a déjà obtenu une somme de la part du FGTI et cette somme faisait l’objet d’un accord homologué par la CIVI. Il est donc légitime de se demander ce qui fondait l’ayant droit à demander une provision de 10 000 € à l’encontre de l’assureur. Puisque le FGTI est subrogé dans ses droits, il deviendrait titulaire de son action et de tous ses accessoires (Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-12.703, D. 2003. 1092 , obs. V. Avena-Robardet ; RDI 2003. 340, obs. H. Heugas-Darraspen ), ce qui aurait pour effet de désintéresser la victime ou son ayant droit. Pour répondre, la Cour de cassation fait bien la distinction entre le fondement contractuel, d’une part, matérialisé par le contrat d’assurance et ses spécificités, et le régime de l’article 706-3 du code de procédure pénale, d’autre part, qui est un régime autonome de responsabilité pour lequel elle rappelle régulièrement qu’il répond à des règles qui lui sont propres (Civ. 2e, 18 juin 1986, n° 84-17.283, Bull. civ. II, n° 93 ; 1er juill. 1992, n° 91-19.918, Bull. civ. II., n° 181 ; RCA 1992. Comm. 407 ; Dr. pénal 1992. Comm. 247, note A. Maron ; 13 oct. 1993, n° 91-21.540, Bull. civ. II, n° 285 ; RCA 1994. Comm. 7 ; 8 déc. 1993, Bull. civ. II, n° 359 ; RCA 1994. Comm. 47 ; Dr. pénal 1994. Comm. 77, note A. Maron ; jur. cités in H. Groutel, J.-Cl., fasc. 20, n° 88).

Dès lors, deux situations peuvent se présenter : si le FGTI est mis en cause dans l’action de l’ayant droit à l’encontre de l’assureur, le Fonds bénéficiera d’une action subrogatoire à l’encontre de la victime pour récupérer les sommes versées afin que cette dernière ne bénéficie pas d’une double indemnisation.

Dans le deuxième cas de figure, si le FGTI n’est pas mis en cause dans l’action de l’ayant droit à l’encontre de l’assureur, le Fonds bénéficiera d’une action en répétition, sur le fondement de l’article 706-10 du code de procédure pénale, qui lui permettra là encore de récupérer les sommes déjà versées à la victime.

Ainsi, les premiers juges ont considéré que le recours contractuel de la victime ne constituait pas une atteinte au principe de réparation sans perte ni profit, car la loi a justement prévu un recours spécifique – l’action en répétition de l’indemnité –, qui permet au FGTI d’obtenir le remboursement de toutes les sommes qui auraient éventuellement déjà été versées. S’il s’agit d’un surplus d’indemnisation, la victime peut la conserver, mais s’il s’agit d’une demande d’indemnisation qui correspond à une somme déjà allouée, le FGTI pourra la récupérer.

Il faut aussi rappeler que le FGTI n’agit pas à titre subsidiaire ce qui justifie que la victime puisse s’adresser à l’un quelconque de ses débiteurs pour demander une indemnisation sans que l’un d’entre eux soit privilégié (Civ. 2e, 23 juin 1993, n° 91-19.791, Bull. civ. II, n° 224 ; 6 nov. 1996, n° 94-17.970, Bull. civ. II, n° 243 ; D. 1996. 268 ; RCA 1997. Chron. 1, obs H. Groutel). Ainsi, le FGTI ne peut renvoyer la demande de la victime ou de son ayant droit sous prétexte qu’il existe un autre débiteur.

Même quand le FGTI exerce son recours subrogatoire sur le fondement de l’article 706-11 du code de procédure pénale, la victime ou son ayant droit est en mesure de saisir le juge pour obtenir une indemnité complémentaire. Cela s’explique par le fait que les deux modes de réparation sont strictement autonomes. La question de l’intérêt et de la qualité à agir n’était pas un obstacle car la Cour de cassation juge que « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action et que l’existence du préjudice invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès » (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-19.827 ; Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-21.535). Appliqué en l’espèce, cela signifie que la victime avait intérêt à agir sur le fondement contractuel, la question de la double indemnisation du préjudice ne pouvant se poser que dans un second temps et il appartiendra alors au FGTI de justifier de l’opportunité de son recours.

C’est aussi l’autonomie du régime, rappelée dans l’incipit de l’attendu de l’arrêt commenté, qui justifie l’exclusion des règles de l’ancien article 1251, 3e, du code civil sur la subrogation et son effet translatif. Le FGTI est un fonds visant à garantir à tous le droit à une indemnisation au nom de la solidarité nationale. À cet égard, il n’est pas tenu avec l’assureur du payement de la dette et n’a pas la qualité de coobligé à une dette commune.

Les deux chambres sont tombées d’accord. Députés et sénateurs ont choisi de lever l’incertitude sur la compétence du tribunal pour les contentieux fondés sur le devoir de vigilance, en votant, dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, en faveur de l’ajout au code de l’organisation judiciaire d’un article qui prévoit qu’« un ou plusieurs tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce ».

Introduites dans le texte par les députés, en accord avec le cabinet du ministre de la Justice, ces dispositions figurent également, à l’identique, à l’article 34 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire (en cours d’examen). Il y a donc peu de doute quant à leur adoption définitive, même si le lobbying des grandes entreprises, plus favorables à la compétence du tribunal de commerce en la matière, parvenait à les faire disparaître d’un des deux textes.

Clarification de la compétence du tribunal

« Il existe aujourd’hui une...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

1. Covid-19 : le confinement général n’était pas une privation de liberté au sens de l’aricle 5, § 1er, de la Convention européenne

La jurisprudence covid de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est enrichie, avec la décision Terhes c. Roumanie du 20 mai 2021 (req. n° 49933/10), d’une pièce importante qui n’a peut-être pas l’éclat auquel on aurait pu s’attendre. Il s’agit, en effet, d’une simple décision d’irrecevabilité de la requête d’un député roumain alléguant que la mesure de confinement général qu’il avait dû lui aussi subir du 14 avril au 14 mai 2020 avait constitué une privation de liberté contraire aux exigences de l’article 5, § 1er, de la Convention européenne. La CEDH, constatant qu’en Roumanie, comme en France à la même époque, le confiné pouvait se rendre à différents endroits au moment de la journée où cela était nécessaire et n’était l’objet d’aucune surveillance individuelle de la part des autorités, a refusé d’assimiler le confinement à une assignation à résidence. Dès lors, il ne s’agissait pas d’une privation de liberté qui est la seule à entrer dans le champ d’application de l’article 5, § 1er. Ainsi, on voit se confirmer l’hypothèse, que laissait clairement entrevoir les arrêts de grande chambre Z.A. c. Russie (req. n° 61411/15, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RTD civ. 2020. 329, obs. J.-P. Marguénaud ) et Ilias Ahmed c. Hongrie (req. n° 47287/15, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RTD civ. 2020. 329, obs. J.-P. Marguénaud ) du 21 novembre 2019 relatifs à la situation des étrangers dans les zones de transit, suivant laquelle l’article qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté, n’est pas le bon instrument conventionnel pour contrecarrer les conséquences du confinement sanitaire. D’autres pistes restent cependant à explorer : celle de l’article 8 consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale et surtout celle de l’article 2 du protocole n° 4 garantissant le droit des personnes se trouvant en situation régulière sur le territoire d’un État d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence que, au grand étonnement de la Cour européenne, le requérant n’avait pas invoqué en l’espèce.

2. L’encadrement de l’interception en masse des communications

Face à la sophistication et au développement des capacités technologiques qui accroissent fortement le volume des communications transitant par internet dans le monde entier et qui accentuent chaque jour un peu plus les menaces de terrorisme international et de criminalité transfrontalière, la surveillance stratégique de masse des communications revêt pour les États une importance déterminante pour la protection de la société démocratique.Cette interception en masse des communications qui se distingue des interceptions ciblées en ce qu’elles sont utilisées non pas dans le cadre d’une enquête pénale interne mais au titre du renseignement extérieur, autrement dit des services secrets, pour détecter de nouvelles menaces provenant d’acteurs connus ou inconnus, recèle à l’évidence un potentiel considérable d’abus susceptibles de porter atteinte au droit des individus au respect de leur vie privée. Dans un premier temps, les États ont obtenu de la Cour de Strasbourg, qui tente de conjurer ces abus spécifiques, de leur laisser en la matière une marge d’appréciation que commanderait la gravité des enjeux. La décision Weber et Saravia c. Allemagne du 29 juin 2006 (req. n° 54934/00) et l’arrêt Liberty c. Royaume-Uni du 1er juillet 2008 (req. n° 58243/00) sont particulièrement représentatifs de cette approche favorable aux États qui subordonne les interceptions en masse des communications à six garanties minimales. Or, constatant qu’à l’évidence, il n’est pas aisé d’appliquer à un régime d’interception en masse les deux premières des six « garanties minimales », à savoir la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception et la définition des catégories de personnes dont les communications sont susceptibles d’être interceptées, la Cour a ressenti la nécessité de préciser l’approche à adopter dans les affaires relatives à l’interception en masse. Elle l’a fait par deux arrêts de grande chambre du 25 mai Big Brother Watch c. Royaume-Uni (req. n° 58170/13, Dalloz actualité, 28 mai 2021, obs. M.-C. de Montecler ; D. 2018. 1916, obs. S. Lavric ; ibid. 2019. 151, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; AJ pénal 2018. 529, obs. A. Taleb-Karlsson ) et Centrum För Rättvisa c. Suède (n° 35252/08). Ils doivent être tenus pour les plus importants de la série mai-juin 2021 eu égard, tout d’abord, à la gravité et à l’ampleur des enjeux de la question qu’ils abordent et surtout parce qu’ils témoignent idéalement des efforts constants de la Cour de Strasbourg pour adapter la protection des droits de l’homme aux évolutions technologiques. En l’occurrence, elle tente d’y parvenir en justifiant des constats de violation de l’article 8 par cette affirmation majeure : afin de réduire autant que possible le risque d’abus du pouvoir d’interception en masse, le processus doit être encadré par des « garanties de bout en bout », c’est-à-dire qu’au niveau national, la nécessité et la proportionnalité des mesures prises devraient être appréciées à chaque étape du processus, que les activités d’interception en masse devraient être soumises à l’autorisation d’une autorité indépendante dès le départ – dès la définition de l’objet et de l’étendue de l’opération – et que les opérations devraient faire l’objet d’une supervision et d’un contrôle indépendant opéré a posteriori. Ces facteurs étant, de l’avis de la Cour, des garanties fondamentales, qui constituent la pierre angulaire de tout régime d’interception en masse conforme aux exigences de l’article 8 (§ 350 de l’arrêt Big Brother Watch et § 264 de l’arrêt Centrum). L’arrêt Big Brother Watch, qui constitue, en quelque sorte, l’épilogue européen des révélations par Edward Snowden, en 2013, sur les méthodes d’interception de masse utilisées par le service britannique de renseignement électronique, vérifie également au regard des exigences de l’article 8, les opérations de réception de renseignements provenant de services étrangers.

3. Clarification des principes généraux applicables aux violences domestiques

2021 sera peut-être l’année du renforcement de la protection des personnes vulnérables et plus particulièrement de celle des enfants. On se souvient sans doute de l’importance de l’arrêt de grande chambre X et autres c. Belgique du 2 février qui mobilise la Convention de Lazarotte sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels. Cette fois, un autre arrêt de grande chambre, Kurt c. Autriche du 15 juin (req. n° 62903/15), a accordé un intérêt soutenu aux violences domestiques, qui ne sont pas seulement d’ordre sexuel, dont ils sont les premières victimes. Dans la mesure où elles font peser les plus graves menaces sur leur droit à la vie, elles relèvent des principes généraux dégagés depuis longtemps par l’arrêt Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998 (req. n° 23452/94, RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin ; RTD civ. 1999. 498, obs. J.-P. Marguénaud ) pour déterminer, au regard de l’article 2 de la Convention, l’ampleur et le contenu de l’obligation positive de prendre les mesures nécessaires à la protection des personnes dont la vie est menacée qui pèse sur l’État. Pour que pareille obligation positive entre en jeu, il doit être établi, selon ce qu’il est convenu d’appeler le « critère Osman », que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’il existait un risque réel et immédiat pour la vie d’un individu donné du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour parer ce risque. Or, pour la première fois, la Cour de Strasbourg a estimé dans l’arrêt Kurt qu’il était devenu nécessaire de clarifier ce qu’implique la prise en compte du contexte particulier et de la dynamique des violences domestiques sous l’angle du critère Osman et plus particulièrement au regard du standard de l’immédiateté sur lequel il repose. Ses réflexions interprétatives n’ont pas conduit à dresser, en l’espèce, un constat de violation de l’article 2. Elles n’en ont pas moins débouché sur d’importantes précisions qu’elle a tenu à résumer de cette manière : les autorités doivent apporter une réponse immédiate aux allégations de violences domestiques ; elles doivent rechercher s’il existe un risque réel et immédiat pour la vie de la ou des victimes qui ont été identifiées et elles doivent pour cela mener une évaluation du risque qui soit autonome, proactive et exhaustive ; elles doivent apprécier le caractère réel et immédiat du risque en tenant dûment compte du contexte particulier qui est celui des affaires de violences domestiques ; s’il ressort de l’évaluation du risque qu’il existe un risque réel et immédiat pour la vie d’autrui, l’obligation de prendre des mesures opérationnelles préventives entre en jeu pour les autorités. Ces mesures doivent alors être adéquates et proportionnées au niveau de risque décelé.

4. Lutte contre les peines et les traitements inhumains ou dégradants

La Cour de Strasbourg étoffe ou consolide régulièrement sa jurisprudence qui mobilise l’article 3 pour lutter contre les formes les plus brutales et les plus insidieuses de traitements inhumains ou dégradants. Ainsi, au cours des cinquième et sixième mois de l’année 2021, elle l’a utilisé pour stigmatiser des États qui n’avaient pas protégé une fille contre les violences sexuelles exercées par son père (22 juin 2021, R.B. c. Estonie, n° 22597/16) ; qui s’étaient révélés incapables de fournir à un condamné des soins adaptés à sa déficience mentale légère (11 mai 2021, req. n° 7373/17, Epure c. Roumanie) ; qui se préparaient à procéder à une extradition sans examen préalable de la santé d’un condamné victime d’un accident vasculaire cérébral (n° 59687/17, Khachaturov c. Arménie) ; qui avaient prononcé des condamnations à des peines perpétuelles sans possibilité de libération conditionnelle (17 juin 2021, req. n° 39734/15, Sandor Varga c. Hongrie). On remarquera aussi, sans grande surprise, une nouvelle application de l’article 3 dans un cas de brutalités policières (Ilevi et Ganvhevi c. Bulgarie du 8 juin, n° 69154/11 et 69163/11). Une place particulière doit être accordée à l’arrêt Adzhigitova c. Russie du 22 juin (req. n° 40165/07) relatif à une opération militaire qui a aussi donné lieu à un constat de violation rarissime de l’article 38 de la Convention parce que les autorités russes n’avaient pas fourni à la Cour toutes les facilités nécessaires pour mener une enquête efficace sur les circonstances de l’affaire.

5. La mise en balance du droit à l’oubli et du droit à la liberté d’expression

Avec les fulgurants développements de la numérisation est venue s’ajouter au rôle principal de la presse une fonction accessoire qui consiste à constituer des archives à partir d’informations déjà publiées et à les mettre à la disposition du public sur internet. Ces archives numériques constituent une source d’autant plus précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites. C’est ce que la Cour de Strasbourg reconnaît depuis son arrêt Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni du 11 mars 2009 (req. n° 3002/03). La mise à disposition du public des archives numériques de la presse expose évidemment de nombreux condamnés à un risque perpétuel de confrontation avec un passé qu’ils ont le plus grand intérêt à oublier et à faire oublier pour pouvoir se réinsérer après avoir payé leur dette envers la société ou un créancier particulier. Aussi en appelle-t-on à la reconnaissance et à la protection d’un droit à l’oubli numérique, également appelé droit à l’effacement, nouvel aspect du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour, qui a pris l’habitude de fournir des critères pour guider vers la meilleure manière de résoudre de tels conflits de droits (v. 7 février 2012, Von Hannover n° 2 c. Allemagne, req. n° 40660/08, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 1040 , note J.-F. Renucci ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2012. 142 et les obs. ; ibid. 243, comm. G. Loiseau ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud ), n’a fait aucune difficulté pour admettre qu’il fallait également chercher à concilier le droit à la liberté d’expression avec cette nouvelle ramification du droit au respect de la vie privée. Seulement, par son arrêt M.L. et W.W. c. Allemagne du 28 juin 2018 (req. n° 60798/10, D. 2019. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; AJ pénal 2018. 462, note L. François ; Dalloz IP/IT 2018. 704, obs. E. Derieux ; RSC 2018. 735, obs. J.-P. Marguénaud ), elle avait pu donner l’impression de vouloir étouffer le droit à l’oubli dans l’œuf en refusant, en toute indifférence aux difficultés de réinsertion des condamnés qui ont purgé leur peine, de constater une violation du droit au respect de la vie privée de deux demi-frères à qui l’on avait refusé l’anonymisation des données continuant de faire apparaître qu’ils étaient les assassins d’un acteur célèbre. Le retour à un véritable l’équilibre semble avoir été réalisé par un arrêt Hurbain c. Belgique du 22 juin (req. n° 57292/16) suivant lequel la condamnation du plus grand quotidien belge à anonymiser, au non du droit à l’oubli, l’identité d’un condamné réhabilité ne violait pas le droit à la liberté d’expression. La Cour a d’ailleurs eu à cœur de clarifier la question en précisant expressément que la conclusion à laquelle elle était parvenue en l’espèce ne saurait être interprétée comme impliquant une obligation pour les médias de vérifier leurs archives de manière systématique et permanente : sans préjudice de leur devoir de respecter la vie privée lors de la publication initiale d’un article, il s’agit pour eux, en ce qui concerne l’archivage de l’article, de procéder à une vérification et donc à une mise en balance des droits en jeu seulement en cas de demande expresse à cet effet.

6. Le printemps du principe de non-discrimination

Depuis le début de l’année 2021, d’importantes applications du principe de non-discrimination procédant à de courageuses combinaisons de l’article 14 avec d’autres articles de la Convention ont été remarquées. Au cours de la période mai-juin, d’autres sont venues s’ajouter pour aider à balayer encore quelques archaïsmes et à repousser quelques phobies. Il s’agit de l’arrêt Yocheva et Ganeva c. Bulgarie du 11 mai (req. n° 18592/15) qui vient au soutien d’un certain type de famille monoparentale en stigmatisant les autorités nationales pour avoir opéré une discrimination à l’égard des familles dans lesquelles l’un des parents est inconnu en décidant qu’une formule prévoyant le versement d’allocations aux familles dans lesquelles il y a un seul parent vivant visait exclusivement celles dans lesquelles un parent est décédé.

Il s’agit aussi de l’arrêt Association ACCEPT c. Roumanie du 1er juin 2021 (n° 19237/16) où la Cour européenne dresse un double constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 et avec l’article 11 parce que les autorités n’avaient pas empêché l’invasion par l’extrême droite d’une salle de cinéma où était projeté un film gay.

L’avancée la plus marquante du principe de non-discrimination aura cependant été réalisée par un arrêt où, dans un souci d’économiser son temps et des moyens, la CEDH ne s’est pas donné la peine d’examiner la question d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 tellement les raisons de dresser un constat de violation du seul article 8 étaient flagrantes. Dans l’arrêt J.L. c. Italie du 27 mai (n° 5671/16), elle a en effet dû déplorer que, pour acquitter sept hommes poursuivis pour violences sexuelles commises en réunion, des juges se soient permis des commentaires sur la vie privée de la plaignante qui véhiculent des préjugés sur le rôle de la femme dans la société italienne et qui sont susceptibles de faire obstacle à une protection effective des droits des victimes de violence de genre. Elle saisit opportunément cette étonnante occasion pour affirmer qu’il est essentiel que les autorités judiciaires évitent de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes, par l’utilisation de propos culpabilisants et moralisateurs, à une victimisation secondaire. Ce n’est pas la première fois, en 2021, que la CEDH s’appuie sur ce concept dont il faudra suivre attentivement les développements de la carrière jurisprudentielle naissante.

7. Confirmation de l’importance du contentieux relatif au droit à la liberté d’expression

Dans chaque chronique bimestrielle, il faut réserver un paragraphe au contentieux de la liberté d’expression qui n’est probablement pas le plus abondant mais qui, porté par les développements technologiques et les habitudes qui se prennent sur les réseaux sociaux est, actuellement, le plus significatif. Pour la période mai-juin 2021 on relève à nouveau des arrêts qui rappellent le caractère relatif du droit garanti par l’article 10. C’est ainsi que les arrêts Kilin c. Russie du 11 mai (req. n° 10271/12) et Milosavljevic c. Serbie du 25 mai (n° 57574/14) ont respectivement refusé d’en assurer le bénéfice à un requérant condamné en raison d’appels au racisme et au nazisme sur un réseau social en ligne très populaire et à un journaliste coupable d’avoir publié un article insinuant qu’un policier finalement acquitté avait violé une jeune fille rom.

Les arrêts qui constatent des violations du droit à la liberté d’expression des journalistes (11 mai 2021, req. n° 44561/11, Rid et Zao c. Russie ; 18 mai 2021, req. n° 42201/17, Ögreten et Kannat c. Turquie ; 8 juin 2021, n° 48329/19, Bulac c. Turquie) ; de parlementaires (4 mai 2021, req. n° 68136, Kerestecioglu Demir c. Turquie) ; de militants politiques (22 juin 2021, req. n° 5869/17, Erkizia Almandoz c. Espagne) ou de simples employés se laissant aller à « liker » certains contenus de Facebook (15 juin 2021, req. n° 35786/19, Melike c. Turquie), sont cependant les plus nombreux. En raison de leur portée plus générale, on attirera surtout l’attention sur l’arrêt Akdeniz et autres c. Turquie du 4 mai (req. n° 41139/15), rendu à la requête d’une journaliste et de deux universitaires et utilisateurs populaires des plateformes des médias sociaux, qui stigmatise une injonction provisoire ordonnée par les juridictions nationales interdisant la diffusion et la publication par tous moyens de communication d’ informations relatives à une enquête parlementaire ; l’arrêt OOO Informatsionoye Agentstvo c. Russie du 18 mai (req. n° 43351/12) qui prend des allures d’arrêt quasi pilote pour encourager la réforme de la législation des médias de façon à leur assurer la liberté et l’indépendance pendant les campagnes électorales et l’arrêt Ömur Cagdas Ersoy c. Turquie du 15 juin (req. n° 19165/15) soulignant avec une particulière insistance que l’esprit de la Convention est d’élargir la liberté d’expression pour faciliter la critique des responsables politiques.

8. L’intensification de l’influence des droits de l’homme sur le droit du sport

Comme on le sait, le mouvement sportif est très attaché à la construction d’un ordre juridique à part, reposant sur la lex sportiva jalousement appliquée par des instances qui n’entendent rendre de comptes à personne, pas même aux juges des droits de l’homme. Jusqu’ici, il avait à peu près réussi à échapper à l’emprise des droits de l’homme substantiels. En revanche, depuis les arrêts Mutu et Pechstein c. Suisse du 2 octobre 2018 (req. nos 40575/10 et 67474/10, Dalloz actualité, 16 oct. 2018, obs. N. Nalepa ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; RTD civ. 2018. 850, obs. J.-P. Marguénaud ) qui ont admis que la responsabilité de l’État où le tribunal arbitral du sport a son siège peut être engagée lorsqu’il en approuve formellement ou tacitement les décisions, il est rapidement rattrapé par les droits procéduraux. La mutation procédurale s’est considérablement amplifiée avec l’arrêt Ali Riza et autres c. Turquie du 28 janvier 2020 (req. n° 30226/10). Il s’agit, en effet, d’un arrêt pilote par lequel la Cour européenne détectant un problème systémique touchant le règlement des litiges dans le milieu du football en Turquie indique à l’État, sur le fondement de l’article 46 de la Convention européenne, qu’il doit prendre des mesures visant à assurer l’indépendance structurelle de la commission d’arbitrage. Or les conséquences de cet arrêt viennent d’être prolongées par trois autres arrêts rendus le 18 mai contre la Turquie : Sedat Dogan (req. n° 48909/14) ; Naki (req. n° 48924/14) ; Ibrahim Tomak (req. n° 54540/16). Ils ne se sont pas contentés de constater de nouvelles violations de l’article 6, § 1er, parce que l’indépendance de la commission d’arbitrage n’était toujours pas assurée. Ils ont aussi et surtout saisi l’occasion offerte par ce dysfonctionnement récurrent pour constater des violations d’un droit substantiel de l’homme sportif, en l’occurrence le droit à la liberté d’expression entravé par des sanctions infligées en raison de messages diffusés sur internet par un arbitre et des joueurs, notamment, dans un cas, pour rendre hommage à Nelson Mandela.

9. Contentieux électoral

L’article 3 du Protocole n° 1 qui consacre le droit à des élections libres n’est pas celui qui réclame le plus souvent l’attention de la Cour. Il ne faut donc pas négliger la décision et les deux arrêts qu’elle vient de lui consacrer. La décision Galan c. Italie (req. n° 63772/16) et l’arrêt Miniscalo c. Italie (req. n° 55093/13) du 17 juin 2021, qui refusent d’en dresser des constats de violation dans des affaires de déchéance de mandats et d’interdiction de se présenter à des élections, sont surtout remarquables parce qu’elles ont permis à la Cour d’affirmer que de telles sanctions ne sont pas des peines au sens de l’article 7 lequel n’ est par conséquent d’aucun secours quand elles sont rétroactives. Quant à l’arrêt Caamano Valle c. Espagne du 11 mai (req. n° 43564/12), il se livre à un inhabituel rappel des principes d’interprétation de la Convention pour mieux pouvoir décider que la privation du droit de vote imposée à une femme handicapée mentale était proportionnée et conforme à l’article 3 du Protocole n° 1. Il y aurait donc des tendances régressives dans le travail interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme…

10. Les arrêts régressifs

L’arrêt de grande chambre Denis et Irvine c. Belgique du 1er juin (req. n° 62819/17, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. H. Diaz) a admis qu’il n’y avait pas de violations de l’article 5, § 1er, et 5, § 4, dans des cas de refus de mettre en liberté des aliénés internés dans un hôpital psychiatrique parce que leurs troubles mentaux persistaient. Or la légalité du maintien de la mesure privative de liberté pouvait faire question dans la mesure où il avait été décidé sans tenir compte de deux conditions supplémentaires ajoutée par la loi depuis la décision initiale d’internement. Autrement dit, selon une interprétation large qui sert le mieux les objectifs de la Convention et qui est généralement adoptée par la Cour, le constat de la persistance des troubles mentaux aurait pu ne pas suffire pour justifier le maintien de l’internement au regard de l’article 5. En retenant une interprétation stricte dénoncée par plusieurs juges dissidents, la Cour semble donc s’être engagée sur une voie régressive parce que la plus hostile au droit à la liberté.

La même tendance régressive se retrouve, au regard de l’article 10, dans l’arrêt Halet c. Luxembourg du 11 mai 2021 (n° 21884/18, Dalloz actualité, 21 mai 2021, obs. S. Lavric ; D. 2021. 960, et les obs. ) qui, dans la célèbre affaire Luxleaks, retient une approche restrictive de la protection des lanceurs d’alerte auxquels l’arrêt de grande chambre Guja c. Moldova (n° 14277/04, AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss ) du 12 février 2008 et Heinisch c. Allemagne (req. n° 28274/08) du 21 juillet 2011 avaient pu laisser entrevoir de meilleures chances de succès.

11. Prolongements de sillons jurisprudentiels

Dans ce paragraphe qui sert un peu de camion-balai, on fera entrer les arrêts M.K. c. Luxembourg (req. n° 51746/18) et Valdis Fjölnisdotir c. Islande (req. n° 71552/17, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. A. Panet ; AJ fam. 2021. 320, obs. A. Dionisi-Peyrusse ) du 18 mai 2021 concluant respectivement à des non-violations de l’article 8 dans une affaire de placement sous curatelle et de refus de reconnaître un couple d’homosexuelles comme les parents d’un enfant né par GPA ; l’arrêt Jessica Marchi c. Italie du 27 mai 2021 (req. n° 54978/17) adoptant la même solution dans un cas de placement d’un enfant accueilli provisoirement ; l’arrêt Nechay c. Russie du 25 mai 2021 (req. n° 40639/17) qui, lui, constate une violation de l’article 8 parce que les contacts entre un père et sa fille avaient été limités à dix heures par an ; l’arrêt S.W. c. Royaume-Uni du 22 juin 2021 constatant une violation du droit au respect de la vie privée d’une assistante sociale appelée comme témoin parce que le juge avait proféré contre elle des accusations de faute professionnelle ; l’arrêt Atima limited c. Ukraine du 20 mai 2021 (req. n° 56714/11) ; l’arrêt Bisar Ayhan c. Turquie du 18 mai (req. n° 42329/12) constatant que le droit à la vie avait été violé au cours d’opérations militaires et le troublant arrêt du 29 juin A.O. Falun Dafa c. Moldova (req. n° 29458/15) concluant aux violations des articles 9 et 11 dans une affaire de dissolution d’une organisation dont le symbole rappelait une croix gammée.

Pour mieux en faire ressortir leur originalité, on évoquera en conclusion l’arrêt Norwegian Confederation of Trade Unions c. Norvège du 10 juin (req. n° 45487) considérant qu’il n’y avait pas de violation de l’article 11 dans une affaire où le boycott d’une compagnie maritime qui employait des dockers en dehors de la convention collective avait été déclaré illégal et l’arrêt Stetsov c. Ukraine du 11 mai (req. n° 5170/15) constatant une violation de l’article 2 du Protocole n° 4 qui consacre la liberté de circulation en raison d’une interdiction de quitter le territoire jusqu’au paiement intégral d’une dette contractuelle.

Pour pouvoir bénéficier de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts en faveur des personnes handicapées, l’héritier, légataire ou donataire doit prouver à la fois l’existence d’une situation de handicap et le lien de causalité entre cette situation et l’empêchement professionnel qu’il a subi.

en lire plus

Auteur d'origine: Delpech

La directive du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, n’est pas applicable à des dispositions nationales en vertu desquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues en vertu dudit contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel.

en lire plus

Auteur d'origine: jdpellier
image

Cet arrêt de rejet se situe au confluent du droit fiscal, du droit des successions et du droit du handicap, mais également du droit de la preuve. Les faits méritent d’être connus. Il est question d’une fratrie composée de deux frère et sœur. La sœur décède en 2010. Son frère, handicapé, en est le légataire. Pour la détermination des droits de succession dont il était redevable, il est fait application de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts en faveur des personnes handicapées. L’administration fiscale ayant remis en cause cet abattement, il l’a assignée en décharge du rappel de droits mis en recouvrement. La cour d’appel de Versailles confirme la solution, déboutant le frère de ses demandes d’annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation contentieuse formée le 10 février 2014, d’annulation de l’avis de mise en recouvrement n° 3926 du 7 juin 2013 et de remboursement de la somme de 88 821 € correspondant aux droits de mutation. L’intéressé forme alors un pourvoi en cassation.

Le texte précité est rédigé en ces termes : « Pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, il est effectué un abattement de 159 325 € sur la part de tout héritier, légataire ou donataire, incapable de travailler dans des conditions normales de rentabilité, en raison d’une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise ». Il est complété par l’article 294 de l’annexe II du code général des impôts : « L’héritier, légataire ou donataire, qui invoque son infirmité, doit justifier que celle-ci l’empêche soit de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle, soit, s’il est âgé de moins de 18 ans, d’acquérir une instruction ou une formation professionnelle d’un niveau normal. Il peut justifier de son état par tous éléments de preuve […] ».

Le Conseil d’État avait eu l’occasion de retenir une interprétation somme toute libérale de ce dispositif, précisant que l’héritier, légataire ou donataire, a droit au bénéfice de l’abattement sur les droits de mutation à titre gratuit « à la seule condition qu’il établisse que son infirmité ne lui permet pas de travailler dans des conditions normales de rentabilité, sans qu’y fasse obstacle le fait qu’il parviendrait néanmoins à satisfaire les besoins de son existence » (CE 5 janv. 2005, n° 261049, Defrénois 2005. 878, note F. Douet). Dès lors bénéficie de l’abattement le légataire en retraite ayant subi une infirmité au cours de sa vie active lorsque cette infirmité l’a empêché de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à une activité professionnelle et, par conséquent, lorsqu’elle a eu une incidence sur le montant de la retraite qu’il percevait au jour de l’ouverture de la succession (Com. 17 juill. 2001, n° 98-13.651, D. 2001. 2724 ). En bénéficie tout autant la personne reconnue invalide à 80 %, dont l’état a eu pour conséquence une mise à la retraite anticipée pour invalidité, de telle sorte que, si elle avait pu poursuivre son activité jusqu’à l’âge légal de la retraite, elle aurait perçu une pension d’un montant plus élevé que celle qu’elle perçoit en réalité (Com. 9 juin 2004, n° 01-16.807).

Le pourvoi prétendait que le frère légataire atteint d’un handicap était bien éligible à l’abattement, car le handicap dont il se prévalait – une nucléation de l’œil gauche – a limité son activité professionnelle, car son avancement a été bloqué ; il est vrai qu’il était demeuré, pendant vingt-six ans, au même poste, au sein de la même entreprise. Le pourvoi ajoute qu’il est présumé avoir été empêché, par son infirmité, de travailler dans des conditions normales de rentabilité. La cour d’appel, pour sa part, a refusé de retenir que le lien de causalité entre la situation de handicap du frère et les limites et blocages professionnels qu’il démontrait avoir rencontrés était présumé. Elle a tout simplement fait application du droit commun de la preuve, laquelle incombe au demandeur. Si l’on comprend bien l’arrêt d’appel, cette preuve est double en réalité. Elle porte à la fois sur la situation de handicap et sur le lien de causalité entre cette situation de handicap et l’empêchement professionnel subi. Cette analyse est pleinement confirmée par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi par un raisonnement en deux temps.

D’une part, selon l’article 294 de l’annexe II du code général des impôts, le légataire qui revendique l’abattement institué en matière de droits de mutation à titre gratuit par l’article 779, II, du même code en faveur des personnes handicapées doit justifier que son infirmité l’empêche de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle. Il en résulte que, pour bénéficier dudit abattement, le redevable doit « prouver le lien de causalité entre sa situation de handicap et le fait que son activité professionnelle a été limitée et son avancement retardé ou bloqué ».

D’autre part, « après avoir constaté que la situation de handicap [du frère] n’était pas discutée, l’arrêt [d’appel] relève que ce dernier justifie d’une carrière stable d’une durée de vingt-six années, comme dessinateur, au sein de la même entreprise, cependant qu’il n’apporte aucun élément établissant qu’il aurait été dans l’impossibilité de poursuivre des études supérieures ou aurait subi une limitation de son activité professionnelle ou un blocage de son avancement en lien avec son état de santé ». L’arrêt d’appel relève encore que l’intéressé « a bénéficié d’un plan de départ en retraite à l’âge de 55 ans, plan qui était propre à l’entreprise et dont il n’a pas communiqué les conditions financières, n’apporte pas la preuve de ce qu’un tel départ, qui, selon lui, aurait nécessairement été anticipé du fait de son infirmité, aurait eu un impact négatif sur ses revenus ». Enfin, s’il « n’a pu, en raison de son handicap, embrasser une carrière dans la marine nationale, il ne démontre pas qu’une telle carrière lui aurait offert des perspectives économiques plus favorables durant sa vie active et sa retraite ». Dès lors, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’en avoir déduit que le frère « ne démontrait pas que son activité professionnelle ne s’était pas déroulée dans des conditions normales de rentabilité et qu’il ne pouvait, dès lors, bénéficier de l’abattement prévu par l’article 779, II, du code général des impôts ».

image

La déchéance du terme est l’occasion pour le prêteur de réclamer à l’emprunteur certaines sommes à titre de pénalité (v. à ce sujet D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 353 et 356). C’est la raison pour laquelle le législateur prend bien souvent la peine de poser des limites. Tel est notamment le cas en droit slovaque, comme en témoigne un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en date du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-192/20, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin). En l’espèce, Le 17 juin 2016, une personne a conclu un contrat de prêt à la consommation auprès de Prima banka Slovensko pour un montant de 5 700 € à un taux d’intérêt de 7,90 %, ce prêt étant remboursable en 96 mensualités. L’emprunteur n’ayant plus procédé au versement des mensualités de remboursement partir du mois de septembre 2017, la banque slovaque a déclaré la déchéance anticipée du terme du prêt, le 28 décembre 2017, et exigé le remboursement immédiat de 5 083,79 € au titre du capital restant dû. En outre, elle a réclamé, sur le fondement des stipulations du contrat de prêt, notamment, le versement d’intérêts moratoires de 5 %, tant sur le principal du prêt que sur les intérêts dus, et ce pour la période allant de la déclaration de déchéance du terme du prêt jusqu’au remboursement effectif de la totalité du capital emprunté, ainsi que le versement des intérêts ordinaires de 7,90 % pour cette période.

Le tribunal de district de Kežmarok a, par jugement du 20 septembre 2019, accueilli le recours de la banque visant à la condamnation de l’emprunteur au versement des intérêts moratoires jusqu’au remboursement complet du capital emprunté. En revanche, il a rejeté ce recours en tant qu’il visait une condamnation au versement des intérêts ordinaires pour cette période, au motif que le droit slovaque ne permettait pas un tel cumul des intérêts. De plus, la juridiction a indiqué qu’une clause d’un contrat de prêt qui prévoit le cumul des intérêts moratoires et ordinaires a déjà été qualifiée d’« abusive » par les juridictions slovaques. La banque a interjeté appel de ce jugement, en faisant valoir qu’il résulte de la jurisprudence européenne que l’emprunteur qui n’a pas honoré ses obligations contractuelles est tenu, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt qu’il a contracté, non seulement au versement des intérêts moratoires, mais également à celui des intérêts ordinaires jusqu’au remboursement du capital emprunté (CJUE 7 août 2018, aff. C-96/16 et C-94/17, D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). La cour régionale de Prešov, saisie de cet appel, considère qu’en vertu des dispositions du droit national, le retard de paiement d’une dette devenue exigible emporte un droit au profit du créancier au versement d’intérêts moratoires, à la réparation du préjudice réellement subi et à l’éventuel versement de pénalités contractuelles. Mais ce droit est toutefois limité dans les contrats conclus par un consommateur, l’article 54, paragraphe 1, l’article 517, paragraphe 2, et l’article 519 du code civil fixant à cet égard un plafond pour le montant de l’ensemble des sanctions applicables et faisant ainsi obstacle à ce que les stipulations du contrat mettent à la charge du consommateur des obligations allant au-delà de la réparation du préjudice réellement subi par le créancier. Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi constate que l’application cumulée des intérêts ordinaires et des intérêts moratoires pour la période allant de la déclaration de déchéance anticipée du terme du prêt jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté entraînerait un dépassement du plafond fixé par la loi et conduirait nécessairement à une aggravation de la situation du consommateur.

C’est dans ce contexte que fut saisie la Cour de Luxembourg, à laquelle il est demandé, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, tels qu’interprétés par la CJUE dans l’arrêt Banco Santander et Escobedo Cortés (préc.), doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues aux termes de ce contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel. Au terme de son raisonnement, la Cour de justice de l’Union européenne affirme qu’« à la différence de ce que semble suggérer Prima banka Slovensko, il ne résulte pas de l’arrêt Banco Santander et Escobedo Cortés que les dispositions de la directive 93/13 devraient être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une législation nationale ne permettant pas au professionnel ayant conclu un contrat de prêt avec un consommateur d’exiger, en cas de déchéance anticipée du terme de ce prêt et sur le fondement des stipulations de celui-ci, le paiement d’intérêts ordinaires, en sus des intérêts moratoires, pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement complet du capital emprunté » (pt 41). Cela lui permet de répondre ainsi à la question posée : « Sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle n’est pas applicable à des dispositions nationales en vertu desquelles le consommateur qui a conclu avec un professionnel un contrat de prêt ne peut être tenu, sur le fondement des stipulations de ce contrat, en cas de déchéance anticipée du terme du prêt, à verser au professionnel les intérêts ordinaires pour la période allant de la déclaration de cette déchéance jusqu’au remboursement effectif du capital emprunté, dès lors que le versement des intérêts moratoires et des autres pénalités contractuelles dues en vertu dudit contrat permet l’indemnisation du préjudice réel subi par le professionnel ».

La solution peut sembler justifiée si l’on raisonne en termes de préjudice : dès lors que le préjudice réel subi par le professionnel est pleinement réparé par le paiement des intérêts moratoires et des autres pénalités prévues par le contrat, il paraît logique de ne pas mettre à la charge du consommateur les intérêts ordinaires. Toutefois, ainsi que l’avait jugé la Cour de justice dans l’arrêt sur lequel la banque s’est appuyée, « les intérêts moratoires visent à sanctionner l’inexécution par le débiteur de son obligation d’effectuer les remboursements du prêt aux échéances contractuellement convenues, à dissuader ce débiteur de prendre du retard dans l’exécution de ses obligations et, le cas échéant, à indemniser le prêteur du préjudice subi du fait d’un retard de paiement. En revanche, les intérêts ordinaires ont une fonction de rétribution de la mise à disposition d’une somme d’argent par le prêteur jusqu’au remboursement de celle-ci » (CJUE 7 août 2018, préc., pt 76). Les intérêts moratoires ont donc une fonction différente de celle des intérêts ordinaires. Dès lors, leur cumul ne semble pas rationnellement impossible. D’ailleurs, on peut considérer que le droit français permet d’aboutir, dans une certaine mesure, à un tel résultat, l’article L. 312-39 du code de la consommation prévoyant à cet égard qu’« en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent les intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application de l’article 1231-5 du code civil, est fixée suivant un barème déterminé par décret ». Il est vrai, cependant, que le montant de l’indemnité que le prêteur peut réclamer est plafonné à 8 % du capital restant dû à la date de la défaillance en vertu de l’article D. 312-16 du même code (v. à ce sujet G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz action, 2020, nos 323.121 s. ; J. Lasserre Capdeville, Le droit du crédit à la consommation. 10 ans après la loi Lagarde, LGDJ, coll. « Les intégrales », 2021, nos 306 s. ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 1792 s.).

La demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail renouvelé à compter du 1er avril 2014, en ce qu’elles sont contraires à l’article L. 145-40-2 du code de commerce, doit être rejetée.

en lire plus

Auteur d'origine: sandjechairi

L’examen du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions prévues par l’article 23 de la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, doit être effectué en tenant compte, non seulement de la disposition adoptée spécifiquement, dans le droit national, pour transposer ladite directive, mais également de l’ensemble des dispositions de ce droit, en les interprétant, dans toute la mesure possible, à la lumière du libellé et des objectifs de la même directive.

en lire plus

Auteur d'origine: jdpellier
image

Le statut des baux commerciaux issu du décret du 30 septembre 1953, aujourd’hui codifié aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, a pour finalité de protéger le locataire dans son activité. Afin de renforcer cette protection, les dispositions essentielles du statut sont d’ordre public. Ces dispositions impératives sont visées aux articles L. 145-15, L. 145-16 et L. 145-45 du code de commerce. Néanmoins, dans l’intérêt du locataire, la Cour de cassation a parfois étendu l’ordre public à certaines dispositions du statut non visées par les articles sus-évoqués (v. not. Cass., ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, D. 2003. 333 , note S. Becqué-Ickowicz ; ibid. 2002. 2053, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2002. 525 , obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2003. 85, obs. J. Mestre et B. Fages ). Toujours dans un souci d’accroître la protection du locataire, notamment au regard des évolutions du commerce, le statut des baux commerciaux a connu quelques modifications. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel », est venue le compléter, dans le dessein de mieux réguler les rapports locatifs entre bailleur et locataire, en y intégrant entre autres de nouvelles dispositions impératives.

À l’exception de ces dispositions impératives, la liberté contractuelle est très présente dans la conclusion d’un bail commercial, particulièrement dans la fixation du loyer. En effet, les baux commerciaux restent l’effet de la volonté des parties, qui fixent elles-mêmes et librement le contenu ainsi que les limites de leurs engagements, même si le statut reste, tout au moins en partie, régulateur de cette liberté contractuelle dont il jugule les excès ou contrarie l’expression (V. Delaporte, La liberté contractuelle et le statut des baux commerciaux, JCP N 1978. I. 169).

L’arrêt rapporté est l’occasion de revenir sur le contenu d’un bail commercial réunissant dispositions impératives et stipulations contractuelles.

Une société civile immobilière (SCI), propriétaire d’un local situé dans un centre commercial donné à bail, a signifié à son locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.

Le locataire a accepté le principe du renouvellement du bail, mais a contesté le montant du loyer proposé.

La bailleresse a saisi le juge des loyers en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.

La cour d’appel de Paris a retenu dans un arrêt du 27 novembre 2019 que la clause du bail commercial, selon laquelle « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut d’accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative », n’instaurait pas de procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge susceptible de faire l’objet d’une fin de non-recevoir. En effet, les juges du fond ont constaté que la clause se bornait à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties.

Les juges d’appel ont retenu également que « les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l’article 6 du décret du 3 novembre 2014, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication dudit décret, soit le 5 novembre 2014 » et qu’en conséquence, les dispositions impératives issues de la loi Pinel relatives à la répartition des charges « ne s’appliquent pas à un bail renouvelé à compter du 1er avril 2014 ».

Le locataire s’est pourvu en cassation reprochant à la cour d’appel de Paris, dans le premier moyen, d’avoir rejeté la fin de non-recevoir qu’elle a soulevée tenant au non-respect de l’obligation faite par les dispositions de l’article 35 du bail relatif au renouvellement du contrat de bail de rechercher une solution amiable préalable. En effet, l’auteur du pourvoi soutenait que l’article 35 du bail stipulait expressément que les parties devaient rechercher un accord amiable avant la saisine du juge et que l’échange des mémoires intervenus avant la saisine du juge, lequel s’inscrit dans la procédure légale de fixation des loyers, ne constituait aucunement la phase de négociation amiable préalable visée par ladite clause.

La locataire reprochait également à la cour d’appel, dans un troisième moyen, d’avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi du 18 juin 2014, dite « loi Pinel ». Le locataire soutenait que la loi Pinel « est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 » ; et que le bail ne pouvait être considéré comme renouvelé avant que le loyer ne fût définitivement fixé par les parties ou par le juge. En conséquence, selon l’auteur du pourvoi, les dispositions relatives à la répartition des charges et au coût des travaux issues de la loi Pinel étaient applicables, de sorte que les clauses du bail, contraires à ladite loi, devaient être réputées non écrites.

Pourtant, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 17 juin 2021, rejette le pourvoi du locataire.

Sur la fin de non-recevoir

La Cour de cassation constate que la cour d’appel a retenu, « sans dénaturation, que l’article 35 du bail commercial, selon lequel “les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles” et, “à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative”, se borne à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties, sans instaurer une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge ».

En matière de renouvellement de bail commercial, le principe du renouvellement et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96, obs. C. Denizot), de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement (comme en témoigne l’arrêt rapporté), et non sur le montant du nouveau loyer qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable (v. not. C. com., art. L. 145-11) ou, à défaut d’accord, par la voie judiciaire (Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-24.231, Dalloz actualité, 7 mai 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2021. 798 ), ce que prescrivent en l’espèce les stipulations du bail commercial.

Par principe, l’action en fixation du loyer renouvelé ne peut être introduite qu’en l’absence d’accord des parties sur le montant du loyer renouvellement, comme le précisent les dispositions de l’article L. 145-33 du code de commerce. Néanmoins, il n’est pas interdit aux parties d’établir conventionnellement les modalités de fixation du loyer du bail renouvelé (l’article L. 145-33 n’étant pas d’ordre public), comme en l’espèce, voire d’insérer à cet égard une clause de conciliation préalable, par laquelle les parties ont une obligation de moyens de parvenir à résoudre à l’amiable leur différend, reconnue comme étant valide par la Cour de cassation (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423, D. 2003. 1386, et les obs. , note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot ). Dans l’arrêt rapporté, le loyer de renouvellement est binaire. La convention des parties énonce que le loyer de renouvellement se compose de deux composantes : un loyer de base égal à la valeur locative du local considéré à la date d’effet du renouvellement du bail et un loyer variable complémentaire fixé au taux convenu aux conditions particulières du bail.

S’agissant du loyer de base, la clause du bail stipule que « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative ». Il ressort explicitement des termes de la clause que les parties sont convenues que le montant du loyer de base du bail renouvelé devait, dans un premier temps, être fixé d’un commun accord entre les parties ; et que ce n’était qu’à défaut d’accord amiable que le montant du loyer de renouvellement serait fixé judiciairement.

La clause, parfaitement claire et précise, n’instaure aucune procédure de conciliation obligatoire préalable dont le non-respect caractériserait une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122 ; Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, préc.). La haute juridiction a très justement constaté qu’il n’était pas permis de considérer que la référence dans le bail d’une fixation amiable du loyer de base du bail renouvelé à la valeur locative exigeait le recours à un mode alternatif de règlement des différends avant la saisine du juge. En effet, selon les termes du bail, les parties n’ont pas contractuellement décidé de faire appel à un tiers pour tenter de régler leur différend. Il est vrai qu’en ce sens la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait jugé qu’instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la violation constituait dès lors une fin de non-recevoir, la clause qui stipule que « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction » (Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-14.464, Dalloz actualité, 3 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 2377 , note V. Mazeaud ; ibid. 2589, obs. T. Clay ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 422, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2016. 621, obs. H. Barbier ). La chambre commerciale, plus sévère, avait jugé, quant à elle, que la clause, selon laquelle, « en cas de litige, les parties s’engagent à trouver un accord amiable avec l’arbitrage de la FEDIMAG. À défaut d’accord amiable, compétence est attribuée au tribunal de commerce de Bobigny nonobstant pluralité de parties », instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable dont le défaut de mise en œuvre constituait une fin de non-recevoir (Com. 30 mai 2018, nos 16-26.403 et 16-27.691, Dalloz actualité, 20 juin 201, obs. M. Kebir ; D. 2018. 1212 ; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2018. 642, obs. H. Barbier  ; Gaz. Pal. 31 juill. 2018, n° 319, p. 52, obs. S. Amrani-Mekki).

Il ressort donc de l’ensemble des décisions rendues en la matière que la qualification de la clause de conciliation obligatoire et préalable repose notamment sur la désignation d’un tiers habilité par les parties à rechercher une solution amiable au différend qui les oppose (V. Mazeaud, art. préc.) ou au moins, selon la chambre commerciale, sur des modalités de désignation prévues (Com. 30 mai 2018, préc. ; 19 juin 2019, n° 17-28.804, D. 2020. 576, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier ). Néanmoins, la clause qui prévoit le recours préalable à un conciliateur ne doit pas être « rédigée de manière elliptique, en des termes très généraux au risque d’être qualifiée de “clause de style” n’instituant pas une procédure de conciliation préalable et obligatoire » (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460, D. 2020. 576, obs. N. Fricero ; AJDI 2019. 919 ).

Dans l’arrêt sous étude, l’article 35 du bail ne peut recevoir la qualification de « clause de conciliation préalable et obligatoire ». En effet, les stipulations du bail ne prévoient pas d’obligation pour les parties de trouver une solution amiable, en se faisant aider par un tiers désigné, avant toute saisine du juge. La clause incitait seulement les parties à un arrangement amiable.

Cependant, il faut admettre que les évolutions en matière de règlement des conflits tendent à l’instauration d’un préalable avant toute saisine du juge. À cet égard, la loi exige de plus en plus des parties qu’elles aient recours à un mode alternatif de règlement des litiges avant de saisir le tribunal ou le juge pour régler leur différend (v. par ex. C. pr. civ., art. 750-1, qui impose une tentative obligatoire de règlement amiable pour les litiges inférieurs à 5 000 € à peine d’irrecevabilité).

Si le rejet de la fin de non-recevoir soulevée par le locataire doit être approuvé en l’espèce, il est cependant permis de penser que la solution aurait été différente si la cour régulatrice avait retenu que la clause du bail devait s’interpréter comme une obligation des parties de recourir à une procédure de conciliation obligatoire. Dans cette hypothèse, le non-respect d’un préalable avant la saisine du juge aurait caractérisé une fin de non-recevoir et la saisine du juge aurait été irrecevable. Les parties auraient alors été contraintes de recourir à une procédure de conciliation obligatoire préalable avant de saisir à nouveau le juge, sous réserve d’une éventuelle prescription.

Il faut donc se montrer particulièrement attentif à l’existence d’une clause relative aux modalités de fixation amiable du loyer du bail renouvelé.

Quoi qu’il en soit, afin de préserver les relations entre bailleur et locataire, il reste préférable pour les parties de tenter une négociation préalable avant toute saisine du juge, et ce même en l’absence de clause de conciliation obligatoire et préalable stipulée dans le bail.

Sur l’application des dispositions de la loi dite « Pinel » au bail renouvelé

Avant la loi Pinel du 18 juin 2014, la répartition des charges et travaux était librement déterminée par les parties dans le contrat de bail, en ce qu’aucun texte ne prévoyait la façon dont les charges, travaux, impôts, taxes et redevances devaient être répartis entre les parties à un bail commercial. Dans un souci de protection du locataire, la loi Pinel a réglementé le domaine des charges locatives et du coût des travaux. Pour ce faire, elle a inséré un nouvel article L. 145-40-2 dans le code de commerce, lequel est d’ordre public. Selon cet article, « tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôt, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ». Le décret d’application du 3 novembre 2014 est venu compléter les dispositions de l’article L. 145-40-2 en créant les articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, lesquels précisent la liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne peuvent plus être imputés au locataire.

Mais l’application dans le temps de la loi Pinel a suscité de vives interrogations. En effet, certaines dispositions de cette loi étaient applicables immédiatement au 20 juin 2014, date de son entrée en vigueur (par ex. C. com., art. L. 145-40-1), d’autres sont applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 (par ex. C. com., art. L. 145-40-2), d’autres encore ne sont applicables qu’aux baux conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret du 3 novembre 2014 au journal officiel, soit le 5 novembre 2014. Les dispositions relatives aux charges, travaux, impôts, taxes et redevances font partie de ces dispositions applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014. Il en résulte dès lors que les baux conclus avant cette date et non encore renouvelés sont soumis à l’ancien régime selon lequel le bailleur est en droit de demander le règlement d’une charge imputable au locataire par une clause expresse du bail commercial.

Dans la mesure où les dispositions de la loi Pinel n’ont pas vocation à s’appliquer aux baux conclus ou renouvelés antérieurement à leur entrée en vigueur, il était important que la Cour de cassation identifie les règles issues du dispositif Pinel sur lesquelles portent le litige afin qu’elle puisse rappeler la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et statuer sur la demande du locataire tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi.

Après avoir identifié que les dispositions contestées étaient celles relatives à la répartition des charges et du coût des travaux, la Cour de cassation a très justement rappelé que les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, et non comme l’a soutenu le locataire aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre.

Dans un bail renouvelé, la date à prendre en compte est la date d’effet du bail renouvelé (C. com., art. L. 145-12) et non la date de signature du bail renouvelé (J.-P. Blatter, Persiste et signe, AJDI 2015. 477 ), lequel souvent peut être signé plusieurs mois après la date de renouvellement mais prend effet rétroactivement, ou la date de fixation définitive du loyer comme semblait le soutenir le locataire, dans la mesure où le nouveau loyer fixé par le juge prendra effet, rétroactivement, à la date d’effet du renouvellement du bail (en ce sens, v. C. com., art. L. 145-57).

Dans l’arrêt du 17 juin 2021 rapporté, le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2014, date qui n’a pas été contestée par les parties. La haute juridiction constate dès lors que la date d’effet du contrat renouvelé est antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce issues de loi du 18 juin 2014, de sorte que les dispositions créées par la loi Pinel et son décret d’application n’ont pas vocation à s’appliquer, et ce même si une procédure de fixation du montant du loyer renouvelé est en cours. La cour d’appel a donc exactement déduit que la demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses de transfert de charges et travaux contraires à l’article L. 145-40-2 du code de commerce doit être rejetée.

On connaît le célèbre triptyque auquel doivent bien souvent satisfaire les sanctions du droit de la consommation au regard de l’Union européenne : celles-ci doivent être effectives, proportionnées et dissuasives (v. à ce sujet, M. Leroux-Campello et C. Dubois in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 423.264). Le droit du crédit à la consommation n’échappe pas à cette exigence, l’article 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs prévoyant à cet égard que « Les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ». Mais l’appréciation de ce triple caractère doit-elle être faite à la lumière de la disposition spécifiquement adoptée afin de transposer cette directive ou faut-il prendre en considération l’ensemble des sanctions du droit national ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C‑303/20, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).

Dans le cadre d’un litige relatif à un crédit à la consommation souscrit en Pologne, l’emprunteur reprochait au professionnel de ne pas avoir, avant la conclusion du contrat, vérifié sa situation patrimoniale, dans la mesure où, au cours de l’entretien préalable à la conclusion dudit contrat, aucune question n’avait été posée au sujet de cette situation, pas plus qu’en ce qui concerne le montant des revenus et des dettes de son ménage. Le tribunal d’arrondissement d’Opatów, en Pologne, a considéré que le droit polonais en vigueur ne garantissait pas le respect...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Viole le principe de la contradiction (C. pr. civ., art. 16) la cour d’appel qui statue sur le fondement d’une exception, prévue dans la clause d’exclusion de garantie opposée par l’assureur, mais dont les assurés ne s’étaient pas expressément prévalus devant la juridiction du second degré, et sur laquelle l’assureur ne s’était, dès lors, pas expliqué.

en lire plus

Auteur d'origine: rbigot

On enseigne traditionnellement qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur requête que si le requérant justifie d’un effet de surprise. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation invite les juges à apprécier le contexte de la demande et fournit quelques éléments qui permettent de déterminer quelles sont les circonstances qui justifient de déroger au principe du contradictoire.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

Pour une fois qu’un texte connaît un processus législatif normal sans procédure accélérée, les deux ans laissés au projet de loi relatif à la bioéthique, qui a été définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021, n’auront pas débouché sur de grandes avancées mais auront cristallisé les désaccords entre les deux chambres. 

en lire plus

Auteur d'origine: pastor

« Le principe du contradictoire est l’âme du procès au point qu’il est dit de droit processuel. Il est, par essence, commun à toutes les procédures » (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie du procès, 2e éd., PUF, 2013, n° 173). Ce principe ne s’impose pas qu’aux relations entre les parties au procès. Comme le rappelle l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2021 (n° 19-22.710), il s’applique également au juge lorsqu’il entend relever d’office un moyen de droit (J. Landel, Le non-respect du principe de contradiction : encore un arrêt sanctionné, Éd. législatives, 18 juin 2021).

En l’espèce, des époux s’absentent de leur domicile du 14 au 16 février 2015. Profitant de leur absence, des cambrioleurs visitent leur maison d’habitation et forcent leur coffre-fort. Le couple avait souscrit un contrat d’assurance contre le vol auprès de la compagnie Groupama (ci-après l’assureur). Cette dernière refuse cependant de prendre en charge le sinistre. Elle considère que les assurés n’avaient pas mis en œuvre les moyens de protection prescrits en cas d’absence de plus de 24 heures : les volets et persiennes n’avaient pas été fermés, facilitant ainsi l’entrée des voleurs, lesquels avaient pu se contenter de briser la porte-fenêtre du premier étage (sur la distinction des clauses de condition de garantie et d’exclusion de garantie, v. A. Cayol, Le principe de détermination conventionnelle des garanties, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 118).

Les époux assignent donc l’assureur en réparation de leurs préjudices. Par un arrêt du 3 juillet 2019, la cour d’appel de Rennes le condamne à prendre en charge, dans le cadre de sa garantie vol, le préjudice subi par les époux (Rennes, 3 juill. 2019), aux motifs que les conditions générales de la police d’assurance précisaient que « ne sont pas garantis les vols ou détériorations survenus alors que les mesures de prévention n’ont pas été observées, sauf en cas de force majeure ou si le non-respect de ces mesures n’a pu avoir d’incidence sur la réalisation des dommages ». Or, les juges du fond retiennent que, « au regard de la détermination du ou des auteurs du cambriolage, caractérisée par le mode opératoire, dont le forcement du...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Comment celui qui sollicite du juge que soit ordonnée une mesure sur requête doit-il caractériser la nécessité de déroger au principe de la contradiction ? L’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte quelques éléments de réponse à cette question devenue classique.

Deux époux s’étaient engagés, aux termes d’un protocole d’accord transactionnel, à verser une certaine somme à une société. Suspectant ses débiteurs d’organiser frauduleusement leur insolvabilité pour échapper au paiement de la dette, la société créancière a saisi le président du tribunal judiciaire afin qu’il ordonne une mesure d’investigation. Le président du tribunal judiciaire a fait droit à cette demande et a ensuite rejeté la demande de rétractation formée par les débiteurs. La cour d’appel a cependant infirmé l’ordonnance du président du tribunal judiciaire : constatant que la société créancière avait déjà recueilli un certain nombre de documents relatifs notamment aux liens entre une société et les opérations réalisées par les époux débiteurs, elle a estimé qu’elle ne parvenait pas à démontrer qu’il y avait lieu d’ordonner une mesure d’instruction sans appeler les parties adverses.

L’arrêt a été censuré par la Cour de cassation au double visa des articles 145 et 493 du code de procédure civile au motif que « [la société créancière] avait exposé de façon détaillée dans sa requête un contexte laissant craindre une intention frauduleuse de la part [des époux débiteurs] afin d’organiser leur insolvabilité en fraude aux droits de leurs créancier, qui ne pouvait ressortir des seuls éléments déjà recueillis auprès de sources légales, et que le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise étaient motivés par référence à ce contexte ».

Chacun sait qu’il ne faut pas se laisser abuser par les termes de l’article 145 du code de procédure civile lorsqu’il prévoit que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Faute d’avancée possible avec l’Assemblée, le Sénat a même adopté une question préalable pour la dernière lecture du projet de loi de bioéthique, ce qui revient à rejeter le texte en abrégeant les débats. La clause de revoyure n’a pas échappé aux dissensions. Depuis 2004, les lois bioéthiques sont révisées tous les sept ans.

Durant les débats, la clause a été ramenée à cinq ans avant de repasser à… sept ans. La mesure phare du texte, la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes, a éclipsé le reste du texte. Les sénateurs s’y sont eux-mêmes perdus. Alors qu’en premier lecture, ils avaient adopté la PMA pour toutes mais en limitant son remboursement par la sécurité sociale aux seuls cas d’infertilité. En seconde lecture, après des tensions autour de la PMA post-mortem, ils ont finalement rejeté...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Un accord transactionnel dérogeant à la répartition du trésor posée à l’article 716 du code civil doit être déclaré nul s’il ne repose pas sur des concessions réciproques. La Cour relève que le texte n’exclut pas la possibilité d’une pluralité d’inventeurs dès lors que la découverte procède directement d’une action collective.

en lire plus

Auteur d'origine: mjaoul

Alors que la question de la détermination du juge territorialement compétent pour ordonner des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile semblait close, voici un arrêt qui remet l’ouvrage sur le métier ! Surtout, il précise l’étendue des mesures qui peuvent être ordonnées par le juge et leur conciliation avec le secret des affaires.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

La Cour de justice se penche sur l’applicabilité du règlement Bruxelles I bis dans un litige opposant un consulat d’un État membre à l’un de ses prestataires demandant la requalification en contrat de travail des contrats de services successivement conclus.

en lire plus

Auteur d'origine: fmelin

Par un arrêt du 10 juin 2021, la deuxième chambre civile fournit des précisions intéressantes suite au remplacement, dans des conditions contestées par l’une des parties, de deux des trois magistrats de la chambre appelée à statuer.

en lire plus

Auteur d'origine: fmelin

Par un arrêt du 10 juin 2021, la Cour de cassation rappelle l’étendue d’une cassation partielle. Lorsqu’un chef de dispositif est cassé, il n’en subsiste rien, de sorte que les juges de la cour d’appel de renvoi doivent à nouveau juger en fait et en droit la disposition annulée.

en lire plus

Auteur d'origine: shortala

Quand on parle de trésor, le lecteur est immédiatement transporté dans de grandes aventures et de vives urgences où les protagonistes affrontent mille périls et reviennent couverts d’or après maintes recherches. Se succèdent alors les images de pirates et de corsaires, celles qu’Hergé a croqué dans Le Trésor de Rackham le rouge (Casterman, 1945), de trésors qui permettent de nourrir des vengeances comme dans Le Comte de Monte Cristo, de chasseurs de trésor comme Indiana Jones ou Sydney Fox ou plus près de nous, du mythe du trésor caché de l’abbé Saunière à Rennes-le-Château (Aude). Mais il n’y a pas que la littérature, le cinéma et l’histoire qui ont à connaître de trésors. Le code civil connaît aussi des trésors ! Ainsi, l’article 716, alinéa 2, définit le trésor comme « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ». Et le texte, dans son premier alinéa, de prévoir que « la propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ». Certes, nous sommes loin des belles images d’aventure mais c’est de cette découverte – invention – de trésor dont il est question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation.

Dans cette affaire, il est donc question de trésor et plus précisément de détermination de son inventeur. Le 21 juillet 2015, au cours de travaux de rénovation immobilière réalisés par une société de rénovation sur un site appartenant au groupement foncier et rural du domaine de Failly (le propriétaire du site), trente-quatre lingots d’or ont été découverts fortuitement. Une semaine plus tard, un accord intitulé « accord transactionnel » est conclu et organise le partage des trente-quatre lingots entre le propriétaire du site obtenant dix-neuf lingots, messieurs T…, N… et Q…, salariés de la société qui effectuaient les travaux, en qualité de coinventeurs, 30,86 % chacun du prix de vente des quinze autres lingots et messieurs S…, Z… et J… respectivement en leur qualité d’employeur, directeur technique et chef d’équipe, chacun un tiers des 7,41 % restants. Cet accord a fait l’objet d’un enregistrement auprès de l’administration fiscale le 5 août 2015. Le 16 septembre 2015, la vente des lingots intervient pour un montant total, hors commission et droits fixes et de partage, de 1 002 376 €. Tenant compte des termes de l’accord transactionnel, le partage est opéré le 3 novembre 2015. C’est alors que monsieur Q…, invoquant qu’il était le seul coinventeur du trésor avec monsieur T…, conteste l’accord. Monsieur Q… assigne en paiement les cosignataires de l’accord. Il soutient à l’appui de sa demande que l’accord transactionnel ne remplissait pas les conditions de l’article 2044 du code civil et qu’en l’absence de concessions réciproques, l’accord devait être écarté au profit des règles de l’article 716 du code civil. Dans le cadre du litige, monsieur T… a sollicité reconventionnellement la nullité de l’accord et le paiement de différentes sommes en soutenant être le seul inventeur du trésor.

Au fond, deux points posaient problème dans cette affaire du trésor. La première visait l’accord transactionnel conclu entre les différents opérateurs de l’affaire. Cet accord aboutissant à une répartition surprenante au vu de l’article 716 du code civil et dont deux des inventeurs visés par elle ont remis la validité en question, ayant le sentiment d’avoir été abusés. La seconde portait sur la question de déterminer qui, parmi les ouvriers, pouvait prétendre au statut d’inventeur du trésor avec le propriétaire du site. La cour d’appel (Orléans, 1er juill. 2019, n° 17/03292) décide alors de déclarer l’accord transactionnel nul et que le trésor, en vertu de l’article 716 du code civil, serait attribué pour moitié au propriétaire du site et pour moitié à celui des ouvriers qui avait découvert le trésor, à savoir monsieur T… (alias La Pelle). Elle souligne que monsieur T… n’avait fait appel à monsieur Q… (alias La Pioche) que pour l’aider à perforer la dalle et à monsieur N… (alias Le Seau) que pour extraire les gravats. Se focalisant sur l’occulis, et sensible à l’argumentaire de l’avocat de monsieur T…, selon lequel le texte ne prévoit pas la possibilité d’une invention collective, la cour d’appel condamne le propriétaire du site et les autres bénéficiaires du pacte de transaction à restituer des sommes à monsieur T… considéré comme seul coinventeur et bénéficiant de la moitié du prix des lingots. Au vu des sommes en jeu, il n’est pas surprenant que le propriétaire du site comme les autres protagonistes aient formé un pourvoi contre la décision.

C’est à la première chambre civile de la Cour de cassation qu’est donc échue la tâche de trancher les débats, tant sur l’annulation de l’accord transactionnel que sur l’exclusivité de la qualification d’inventeur du trésor au profit de monsieur T…. La haute juridiction accueille partiellement le pourvoi – formé par monsieur Q… – et censure la décision de la cour d’appel mais uniquement sur la question de la pluralité d’inventeurs considérant que les juges du fond avaient retenu à bon droit la nullité de l’accord transactionnel.

La Cour de cassation est alors invitée à se prononcer sur la validité de l’accord transactionnel, en premier lieu. Les requérants (messieurs J…, S…, Z…, le propriétaire du site et monsieur N…) considèrent que la cour d’appel ne pouvait pas relever d’office la nullité de l’accord transactionnel et les condamner à verser différentes sommes à monsieur T…. Pour aboutir à cette solution, la cour d’appel avait considéré que la stipulation contenue dans l’accord transactionnel « selon laquelle celui-ci avait été conclu, “après information complète sur les faits, les lois règlements, et jurisprudence et après discussions et concessions réciproques” », constituait une formulation dont la portée était trop générale, voire inexacte, et ne permettait pas de s’assurer de la qualité du consentement de l’inventeur du trésor (notons qu’en l’espèce, le propriétaire du site, lequel était avocat par ailleurs et qui s’était réservé la moitié du trésor plus deux lingots « pour l’organisation », était l’auteur de l’acte litigieux). Elle avait, en outre, relevé que l’acte que les parties avaient elles-mêmes qualifié d’accord transactionnel ne contenait aucune concession réciproque et que la renonciation au bénéfice des dispositions de l’article 716, alinéa 1er, du code civil par l’inventeur ne semblait pas satisfaire aux exigences d’un consentement libre et éclairé. Face à ces deux points, les requérants considéraient que la cour d’appel avait outrepassé sa mission en relevant d’office la nullité du contrat pour vice du consentement en dehors de toute demande en ce sens et de preuve d’un tel vice. Ils invoquent également que l’exigence de concessions réciproques dans une transaction constituait un élément de qualification et non une condition de sa validité. L’argumentaire pourtant abondant n’emporte pourtant pas l’adhésion de la première chambre civile. Dans sa réponse, la Cour de cassation relève que la cour d’appel avait « énoncé à bon droit, par motifs propres et adoptés, qu’il peut être dérogé par convention aux dispositions de l’article 716 du code civil relatives à la propriété du trésor, mais que la validité d’une transaction est conditionnée par l’existence de concessions réciproques » (§ 7). Elle souligne que les juges du fond avaient mis en évidence que l’accord conclu constituait une transaction et que celle-ci ne contenait pas de concessions réciproques. En effet, l’ouvrier par cet accord a renoncé à une grande partie de la valeur marchande du trésor qu’il avait découvert, et ce sans contrepartie puisque le propriétaire du site se trouvait mieux loti que par le jeu de l’article 716 et les autres parties bénéficiaient d’une part quand elles ne pouvaient prétendre à rien en vertu du texte précité. Aussi, la première chambre civile rejette le pourvoi considérant qu’il ne peut être reconnu à cet accord transactionnel de force obligatoire, conformément à l’article 2052 du code civil. L’accord transactionnel annulé, c’est alors l’article 716 du code civil qui trouve à s’appliquer. Encore faut-il savoir entre quels protagonistes !

C’est donc sur la détermination de l’auteur de l’invention que la Cour de cassation se prononce, en second lieu. Monsieur Q… (alias La Pioche) fait alors grief à la cour d’appel de lui nier sa qualité de coinventeur du trésor avec monsieur T… et donc de le condamner au même titre que les autres à lui reverser les sommes qu’il a perçues à la suite de la vente des lingots. Le requérant souligne que lorsque la découverte du trésor procède directement d’une action collective de plusieurs ouvriers, l’article 716 du code civil permet que chacun d’eux puisse être qualifié d’inventeur. Or la cour d’appel avait pour sa part considéré que « l’article 716 figure dans les dispositions générales du livre III de ce code relatif aux différentes manières dont on acquiert la propriété et que, de la même manière que le [groupement foncier] tient ses droits sur ce bien meuble incorporé au fonds dont il est propriétaire par accession, l’inventeur doit être qualifié de tel lorsqu’il a permis à ce bien d’en être dissocié et par conséquent, rendu visible en donnant naissance, ce faisant, à ce droit d’accession ». Elle avait donc retenu pour identifier l’inventeur du trésor la théorie de l’occulis selon laquelle l’inventeur est celui qui découvre le trésor est « celui qui le premier a fait apparaître le trésor, l’a rendu visible, et non pas nécessairement celui qui, le premier, a vu le trésor ou l’a concrètement appréhendé […]. Pour être inventeur, il n’est donc pas nécessaire d’avoir appréhendé concrètement le trésor, ni même de savoir que l’objet mis au jour en était un » (Rép. civ., v° Trésor, par P. Berchon, nos 68 s.). D’ailleurs, dans une ancienne affaire où les faits étaient assez similaires, un tribunal civil avait refusé la qualité de coinventeurs à des ouvriers qui y prétendaient au motif que les travaux étaient faits en commun (T. civ. Villefranche-sur-Saône, 11 févr. 1954, D. 1954. Somm. 60 ; Gaz. Pal. 1954. 1. 401).

La Cour de cassation opère une lecture différente du texte. La première chambre civile rappelle d’abord que selon l’article 714 du code civil, « le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard et s’il est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds » (§ 11). Mais elle continue en expliquant qu’il résulte de ce texte que « l’inventeur d’un trésor s’entend de celui ou de ceux qui, par le pur effet du hasard, mettent le trésor à découvert en le rendant visible et que, lorsque la découverte du trésor procède directement d’une action de plusieurs personnes, chacune d’elles doit être qualifiée d’inventeur » (§ 12). La haute juridiction met alors en avant que pour retenir que monsieur T… était l’unique inventeur du trésor, alors qu’il avait fait appel à monsieur Q… pour perforer la dalle derrière laquelle se trouvait le trésor, la cour d’appel avait considéré que l’article 716 du code civil excluait la possibilité d’une pluralité d’inventeurs. Cette lecture restrictive de la lettre de l’article 716 conduit alors la première chambre civile à censurer la décision rendue par la cour d’appel pour violation du texte et à renvoyer l’affaire devant une autre cour d’appel. Ainsi, la Cour de cassation nous offre une lecture de l’article 716 du code civil que les auteurs de l’exégèse, tel Demolombe abondamment cité par l’avocat de monsieur T… devant la cour d’appel, n’avaient pas crue possible. Cependant, une telle interprétation nous semble répondre à une certaine idée de la justice. Les opportunistes mis hors-jeu de l’attribution du trésor avec la nullité de l’accord transactionnel, il restait à statuer pour ne pas léser celui des ouvriers qui, par son concours actif et nécessaire, a permis de découvrir le trésor. Si l’union fait la force, l’union fait également la qualité de coinventeurs !

image

Les mesures d’instruction préventives, ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, continuent de générer un contentieux abondant, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 juin 2021.

Parce qu’elle se plaignait de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, une société a saisi le président du tribunal de commerce de Lyon afin que celui-ci ordonne des mesures d’instruction qui devaient se dérouler au siège social de diverses sociétés. Mais le requérant n’a pas choisi la simplicité et, plutôt que de rédiger une unique requête visant l’ensemble des sociétés dans les locaux desquelles les mesures d’instruction devaient être exécutées, a déposé pas moins de sept requêtes. Le président du tribunal de commerce a fait droit à ces requêtes en rendant non pas sept mais deux ordonnances aux termes desquelles il a pris le soin de préciser que l’huissier de justice désigné serait constitué séquestre des documents appréhendés et qu’il ne pourrait être mis fin au séquestre qu’après le prononcé d’une décision contradictoire. Les mesures d’instruction ayant été exécutées, a été exercé un référé rétractation qui a été rejeté par le président du tribunal de commerce, puis par la cour d’appel, d’où un pourvoi en cassation qui a soulevé plusieurs difficultés.

La compétence territoriale pour ordonner une mesure d’instruction sur requête

La première difficulté concernait la compétence territoriale du président du tribunal de commerce pour statuer sur l’intégralité des requêtes alors que certaines des sociétés n’étaient pas domiciliées dans le ressort du tribunal auquel il appartenait.

Opportunément, le pourvoi soulignait qu’avaient été introduites plusieurs instances distinctes et autant de procédures, de sorte que la compétence territoriale du juge devait être appréciée au regard de chacune des sociétés visées. Cette analyse pouvait se trouver renforcée par l’article 42 du code de procédure civile : si, en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit à son choix la juridiction où demeure l’un d’eux, rien ne paraît lui interdire de morceler le contentieux en introduisant l’instance devant plusieurs juridictions, quitte à ce que les instances ainsi ouvertes soient ultérieurement réunies.

Cette argumentation est cependant écartée par la Cour de cassation qui porte le regard sur le contenu des actes de procédure. Parce qu’il s’agissait de « requêtes identiques », le juge était compétent pour en connaître dès lors que trois conditions étaient réunies : l’une des sociétés visées dans les différentes requêtes devait être domiciliée dans le ressort du tribunal, les mesures sollicitées devaient être destinées à conserver ou à établir la preuve de faits similaires dont aurait pu dépendre la solution d’un même litige et la juridiction à laquelle appartenait le juge devait être susceptible de connaître l’instance au fond.

Que la Cour de cassation ait exigé que les mesures d’instruction soient destinées à établir la preuve de faits similaires dont aurait pu dépendre la solution d’un même litige paraît parfaitement fondé. Il s’agit de vérifier l’existence d’un lien entre les mesures d’instruction ou leur « connexité » pour reprendre le terme employé dans un précédent arrêt (Civ. 2e, 5 mai 2011, n° 10-20.435, Bull. civ. II, n° 104 ; Dalloz actualité, 8 juin 2011, obs. C. Tahri ; ).

En revanche, qu’il soit nécessaire que l’une des sociétés soit domiciliée dans le ressort du tribunal auquel appartient le juge des requêtes saisi et que ce tribunal soit susceptible de connaître du fond du litige soulève davantage de difficultés. Certes, dans un arrêt, la Cour de cassation avait déjà pu juger que « le président d’un tribunal de commerce saisi, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de requêtes tendant à ce que soient ordonnées des mesures devant être exécutées dans le ressort de plusieurs tribunaux, n’est compétent pour ordonner les mesures sollicitées qu’à la double condition que l’une d’entre elles doive être exécutée dans le ressort de ce tribunal et que celui-ci soit compétent pour connaître de l’éventuelle instance au fond » (Com. 14 févr. 2012, n° 10-25.665 NP ; v. impl. Civ. 2e, 5 mai 2011, n° 10-20.435, préc. ; 30 avr. 2009, n° 08-15.421, Bull. civ. II, n° 105 ; D. 2009. 2321 , note S. Pierre-Maurice ; ibid. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ). Mais des arrêts plus récents avaient laissé entendre que ces conditions n’étaient pas cumulatives, mais bien alternatives, de sorte que « le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées » (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-14.849 P, D. 2020. 2122 ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. O. Cousin, F. Kieffer et Rudy Laher  ; 2 juill. 2020, n° 19-21.012 P, Dalloz actualité, 15 sept. 2020, obs. M. Kebir ; D. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ; Com. 13 sept. 2017, n° 16-12.196, Bull. civ. IV, n° 113 ; Dalloz actualité, 20 sept. 2017, obs. L. Dargent ; D. 2017. 1767 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ contrat 2017. 540, obs. E. Duminy ; Rev. sociétés 2018. 19, note J. Heinich  ; Civ. 2e, 15 oct. 2015, nos 14-17.564 et 14-25.654, Bull. civ. II, n° 233 ; Dalloz actualité, 30 oct. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 2133 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ). Cette dernière solution était d’ailleurs pleinement justifiée : lorsque les mesures ne doivent pas être exécutées au lieu où demeure le défendeur potentiel (par exemple chez un tiers), il est possible que le juge appartenant au tribunal appelé à connaître du fond ne soit pas le même que celui attaché au tribunal dans le ressort duquel les mesures doivent être exécutées.

L’arrêt commenté semble donc opérer une volte-face ! Pour éviter d’y voir la source d’une nouvelle querelle quant à la compétence territoriale du juge en matière de requêtes, il est tentant de s’attacher à la circonstance particulière qu’avaient été déposées plusieurs « requêtes identiques » visant plusieurs sociétés qui n’étaient pas domiciliées dans le ressort du même tribunal. À dire vrai, cela n’aurait pourtant rien dû changer à l’affaire. Car le seul constat que le tribunal fût susceptible de connaître du fond du litige aurait dû permettre au juge de statuer sur l’ensemble des requêtes. L’arrêt commenté est donc la source de nouvelles incertitudes.

L’étendue des mesures pouvant être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile

La seconde question portait sur l’étendue des mesures qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Chacun sait que l’article 145 du code de procédure civile est un peu elliptique : il se borne à souligner que le juge ne peut ordonner que les mesures d’instruction « légalement admissibles » sans davantage en circonscrire l’étendue.

La Cour de cassation dans le présent arrêt rappelle que l’étendue des mesures d’instruction est enfermée entre deux bornes. En premier lieu, parce que les mesures d’instruction ne doivent pas tourner à la « perquisition » (R. Perrot, obs. ss Civ. 2e, 16 mai 2012, RTD civ. 2012. 769 ), les seules mesures légalement admissibles sont celles qui sont « circonscrites dans le temps et dans leur objet ». Cela n’a rien d’une nouveauté (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-14.705 NP, D. 2019. 2374, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra (CDEDEA n° 4216)  ; 11 mai 2017, n° 16-16.966 NP ; 6 janv. 2011, n° 09-72.841 NP). Cela étant dit, il ne faut pas croire qu’il suffit que les mesures d’instruction soient circonscrites pour être légalement admissibles ; encore faut-il qu’elles le soient « suffisamment ». En second lieu, les mesures d’instruction ordonnées doivent être « proportionnées à l’objectif poursuivi » (v. déjà Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309 P, Dalloz actualité, 14 avr. 2021, obs. T. Goujon-Bethan ; ).

Ces deux bornes étant fixées, la Cour de cassation en déduit la conduite que doit tenir le juge : il lui appartient de « vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence » (v. déjà Civ. 2e, 25 mars 2021, préc.). En somme, le temps et l’objet de la mesure doivent être appréciés au regard de la nécessité de ne pas porter une atteinte excessive aux droits d’autrui.

Dans la présente affaire, la cour d’appel avait bien relevé que les mesures d’instruction ne ciblaient ni des documents personnels ni des documents couverts par un secret d’ordre professionnel ou médical et que les fichiers qui devaient être appréhendés étaient identifiés au moyen de mots-clés. Ce faisant, les mesures d’instruction étaient effectivement circonscrites. Cependant, et c’est ce qui est relevé par la Cour de cassation, les mots-clés étaient constitués de « termes génériques » ainsi que des prénoms, noms et appellations des personnes contre lesquelles les mesures d’instruction avaient été sollicitées. Il était donc à craindre que l’exécution des mesures conduise à appréhender bien d’autres fichiers que ceux nécessaires à la preuve des faits de concurrence déloyale et de dénigrement et, plus particulièrement, des documents couverts par le secret des affaires. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation censure l’arrêt pour défaut de base légale : la cour d’appel aurait dû rechercher si les mesures d’instruction étaient « suffisamment » circonscrites et si « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi ».

La cour d’appel de renvoi devra rechercher si des mesures d’instruction dont l’objet aurait été davantage restreint et le temps plus limité n’auraient pas été suffisantes pour assurer l’exercice du droit à la preuve. Deux éléments plaident en faveur d’une réponse affirmative. D’une part, les mesures ne paraissaient pas cibler les seuls documents établis concomitamment aux faits de dénigrement ou de concurrence déloyale. D’autre part, les mots-clés utilisés étaient « génériques » (Google, accord, entente, salarié, avis, Linkedin) : peut-être que l’ajout du nom de la société victime des faits de dénigrement et de concurrence déloyale aurait permis de circonscrire davantage la mesure sans lui faire perdre toute son efficacité. En revanche, il faut noter que l’huissier devait demeurer séquestre des documents saisis jusqu’à ce qu’intervienne une décision de justice contradictoire. Cela n’est pas très différent du mécanisme de placement sous séquestre provisoire institué par le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 (qui n’était pas encore entré en vigueur dans la présente affaire). De la sorte, il est permis de se demander si la mission de l’huissier de justice n’était pas d’opérer un premier tri avant qu’il soit discuté des éléments devant effectivement être remis à la société requérante, ce qui tempérait l’atteinte au secret des affaires et, plus largement, aux droits des sociétés visées par les requêtes (rappr. Com. 17 janv. 2018, n° 15-29.114 NP).

La conciliation du droit à la preuve et du secret des affaires

Dans quelle mesure le droit à la preuve, qui est exercé au travers des mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, peut-il porter atteinte au secret des affaires ?

Cette dernière question n’appelle pas de réponse tranchée. Certes, il est acquis que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle au prononcé d’une mesure d’instruction préventive (Com. 18 oct. 2017, nos 16-15.891 et 16-15.903 NP ; Civ. 2e, 23 juin 2016, n° 15-19.671, Bull. civ. II, n° 170 ; Dalloz actualité, 8 juill. 2016, obs. M. Kebir ; RTD civ. 2017. 482, obs. N. Cayrol ; ibid. 487, obs. N. Cayrol ; Com. 19 mars 2013, n° 12-13.880 NP ; Civ. 2e, 7 janv. 1999, n° 95-21.934, Bull. civ. II, n° 4 ; D. 1999. 34 ), à l’instar du respect de la vie personnelle (Soc. 7 déc. 2016, n° 14-28.391 ; 19 déc. 2012, n° 10-20.526 et 10-20.528, Bull. civ. V, n° 341 ; Dalloz actualité, 18 janv. 2013, obs. M. Peyronnet ; D. 2013. 92 ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; 23 mai 2017, n° 05-17.818, Bull. civ. V, n° 84 ; D. 2007. 1590 , obs. A. Fabre ; Dr. soc. 2007. 951, chron. J.-E. Ray ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot ) ; il en découle que le juge ne saurait rejeter la demande de mesure d’instruction en se bornant à constater qu’elle se heurte au secret des affaires.

Pour autant, le droit à la preuve n’accorde pas un blanc-seing à celui qui prétend l’exercer. La Cour européenne des droits de l’homme a esquissé les principes applicables en la matière lorsqu’il a été argué devant elle qu’un juge s’était fondé sur des éléments portant atteinte à la vie privée. Et elle a raisonné en s’appuyant sur la lettre de l’article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme dont chacun sait qu’elle autorise des ingérences dans le droit dû au respect de la vie privée : elle a ainsi jugé que l’exercice du droit à la preuve, en ce qu’il tend à la protection des droits et libertés d’autrui, poursuit un but légitime permettant de porter atteinte au respect dû à la vie privée ; mais encore faut-il que l’atteinte qui en résulte soit proportionnée au but poursuivi et, partant, nécessaire (CEDH 10 oct. 2006, L.L. c. France, req. n° 7508/02, § 46, D. 2006. 2692 ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser ).

C’est une méthode analogue qu’utilise la Cour de cassation pour concilier le droit à la preuve avec un certain nombre de droits au secret (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309, préc. ; Com. 15 mai 2019, n° 18-10.491 P, Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1595 , note H. Michelin-Brachet ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Soc. 16 nov. 2016, n° 15-17.163 NP ; Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403, Bull. civ. I, n° 48 ; Dalloz actualité, 14 mars 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 884 , note J.-C. Saint-Pau ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser ; ibid. 371, obs. H. Barbier ). Dans l’arrêt commenté, elle en fait application pour concilier le droit à la preuve et le secret des affaires : « si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». Sur ce point encore, l’arrêt rendu par la cour d’appel est censuré pour défaut de base légale. Certes, elle avait bien affirmé qu’il n’y avait aucune atteinte disproportionnée au secret des affaires ; mais elle ne l’avait pas véritablement justifié, sinon en soulignant que les documents couverts par le secret professionnel n’étaient pas visés par la mesure d’instruction ! C’était trop peu et une recherche plus approfondie s’imposait.

Une ressortissante bulgare domiciliée à Sofia fournit, en qualité de prestataire, des services liés à l’activité, en Espagne, du consulat général de Bulgarie à Valence, les prestations concernant la réception de documents dans des dossiers ouverts au consulat par des ressortissants bulgares ainsi que la gestion de ces dossiers.

Elle saisit une juridiction bulgare en vue d’obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, en application du droit bulgare.

La compétence de cette juridiction est toutefois contestée. La Cour de justice est alors saisie d’une question préjudicielle relative à la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Cette question comporte deux aspects.

En premier lieu, elle conduit à déterminer si le règlement est bien applicable, alors qu’il s’applique en matière civile et commerciale et non aux actes commis dans l’exercice de la puissance publique (art. 1)....

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Deux avocats ayant un différend concernant une rétrocession d’honoraires saisirent le bâtonnier du barreau auprès duquel ils étaient inscrits (Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991 organisant la profession d’avocat, art. 179-1). Un appel fut ensuite formé par l’un d’eux contre la décision du bâtonnier (Décr. n° 91-1197, art. 152 et 179-6) puis un pourvoi en cassation.

Deux critiques, peu banales, furent alors soulevées au regard de la composition de la chambre de la cour d’appel ayant statué.

1° En premier lieu, le demandeur au pourvoi fit valoir que la décision avait été rendue par une chambre de la cour d’appel mais que la formation comportait deux magistrats appartenant à une autre chambre, dont la présidente, alors que les parties n’avaient pas été informées de l’empêchement du président de la première chambre et qu’il n’avait pas été justifié de la régularité de son remplacement.

La branche du moyen est sèchement écartée, au motif que « l’affaire pouvait être délibérée par (cette présidente) sans qu’il soit nécessaire de justifier des raisons pour lesquelles elle faisait partie de la composition en remplacement d’un autre magistrat ».

L’arrêt du 10 juin 2021 s’explique aisément, au regard des dispositions du code de l’organisation judiciaire. L’article L. 121-3 dispose que le premier président de la cour d’appel répartit les juges dans les différents pôles, chambres et services de la juridiction. Selon l’article R. 121-1, cette répartition s’effectue par ordonnance, qui peut être modifiée en cours d’année, pour prendre en compte un changement dans la composition de la juridiction ou pour prévoir un service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats, les fonctionnaires et les auxiliaires de justice bénéficient de leurs congés annuels. Enfin, l’article R. 312-3 ajoute que les présidents de chambre sont, en cas d’absence ou d’empêchement, remplacés pour le service de l’audience par un magistrat du siège désigné conformément à l’article L. 121-3 ou, à défaut, par le magistrat du siège présent dont le rang est le plus élevé. En cas d’absence ou d’empêchement d’un conseiller, celui-ci est remplacé par un autre conseiller de la cour.

Il ne résulte pas en effet de ces dispositions qu’il soit nécessaire d’informer les parties des empêchements des magistrats ni des conditions des remplacements des magistrats absents, et ce d’autant plus que l’ordonnance dite de roulement, prise en application de l’article L. 121-3, prévoit habituellement, de manière générale, qu’un magistrat absent ou empêché peut être remplacé par tout magistrat du siège de la cour considérée.

2° En second lieu, le demandeur au pourvoi souleva une autre critique, liée au fait que l’audience avait été tenue, selon l’expression habituelle, à juge rapporteur. On sait en effet que l’article 945-1 du code de procédure civile dispose que « le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries » et qu’« il en rend compte à la cour dans son délibéré ».

Cet article 945-1 est d’application habituelle. Cependant, sa mise en œuvre était ici à l’origine d’une difficulté car si les parties avaient eu connaissance avant l’audience du nom du juge rapporteur, elles n’avaient connu les noms des deux autres magistrats que postérieurement à l’ouverture des débats. Or, cette connaissance différée des noms des magistrats composant la formation était, selon le moyen, problématique car elle n’aurait pas permis d’exercer, le cas échéant, le droit de récusation en temps utile.

Ce moyen est toutefois rejeté en application de l’article 430 du code de procédure civile qui retient que la juridiction est composée, à peine de nullité, conformément aux règles relatives à l’organisation judiciaire (al. 1) et que les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d’irrecevabilité, dès l’ouverture des débats ou dès la révélation de l’irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d’office (al. 2). Il résulte en effet de ces dispositions que si une partie représentée à l’audience a eu connaissance de la composition de la formation de la cour d’appel dès l’ouverture des débats, elle doit la contester devant les juges du fond (par ex. Com. 27 sept. 2017, n° 15-27.369 ; v., sur l’ensemble de la question, N. Fricero, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2021/2022, n° 511.53). En revanche, les contestations demeurent possibles devant la Cour de cassation si la révélation de l’irrégularité a été tardive (par ex. Civ. 2e, 4 janv. 1984, n° 82-12.435, Gaz. Pal. 1984. 1. Pan. 156, obs. S. Guinchard, à propos d’une décision d’appel rendue par une formation composée de deux magistrats, en violation de la règle de l’imparité). C’est que ce qui conduit l’arrêt du 10 juin 2021 à énoncer que « la partie dont l’affaire est examinée par un juge rapporteur et qui n’a pas été mise en mesure de connaître la composition de la juridiction appelée à statuer, au plus tard au moment de l’ouverture des débats, peut (…) invoquer devant la Cour de cassation le défaut d’impartialité des magistrats autres que le rapporteur ». Encore faut-il évidemment que la contestation soit fondée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque le demandeur au pourvoi faisait état d’une atteinte à l’impartialité sans l’établir.

image

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 10 juin 2021 permet de rappeler l’importance du dispositif. Cela est vrai, comme nous allons le voir, tant pour la rédaction du dispositif des arrêts d’appel – les juges du fond devant se garder de faire l’économie d’un dispositif précis et détaillé – que pour la compréhension de l’étendue des arrêts de cassation.

Les faits à l’origine de l’affaire sont les suivants. En 1986, une femme a été victime d’un accident de la circulation. L’assureur du véhicule impliqué a indemnisé ses préjudices en vertu d’une transaction conclue en 1992. Malheureusement, la victime a subi, en 2006, des complications cardiaques entraînant une dégradation de sa santé. Attribuant l’aggravation de son état physique à son accident, elle a alors décidé d’assigner l’assureur en indemnisation de ce préjudice.

La cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 13 septembre 2016, a indemnisé la perte des gains professionnels futurs de la victime sur la base d’une rente viagère tout en lui accordant également une somme au titre de l’indemnisation du préjudice d’incidence professionnelle.

Sur pourvoi formé par la société d’assurance, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, le 13 septembre 2018 (n° 17-26.011, Dalloz actualité, 27 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1807 ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2019. 114, obs. P. Jourdain ), cassé et annulé partiellement l’arrêt rendu par les juges du fond sur le fondement du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. En effet, le cumul de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et de l’incidence professionnelle peut entraîner une double indemnisation notamment lorsque la victime ne...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Dans le cadre de contrats de prêts immobiliers libellés en francs suisses, la Cour de justice de l’Union européenne considère que les clauses prévoyant l’allongement de la durée d’un contrat de prêt et l’augmentation du montant des mensualités sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

en lire plus

Auteur d'origine: jdpellier

Si la péremption confère au jugement force de chose jugée, en l’absence de diligences interruptives de péremption dans le délai de deux ans, cette force de chose jugée n’est acquise que lorsque la décision constatant la péremption de l’instance d’appel est elle-même revêtue de l’autorité de la chose jugée.

en lire plus

Auteur d'origine: clhermitte

L’annulation de l’exclusion d’un étudiant en soins infirmiers implique que ce dernier soit réintégré dans la formation malgré un texte prévoyant la conservation des notes en cas d’interruption des études pendant trois ans seulement.

en lire plus

Auteur d'origine: chelaine

Le testament olographe n’est point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme. Pourtant, le testament qui est rédigé dans une langue que son auteur ne comprend pas ne peut être considéré comme l’expression de sa volonté.

en lire plus

Auteur d'origine: atani
image

La saga des prêts libellés en francs suisses trouvera-t-elle enfin un épilogue heureux pour les consommateurs ? Il est permis de le penser à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-609/19 ; v. égal. CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).

En l’espèce, par acte notarié du 10 mars 2009, un couple d’emprunteurs avait acquis un bien immobilier et souscrit à cet effet auprès de BNP Paribas Personal Finance un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère et dénommé « Helvet Immo ». Ce contrat prévoyait la souscription d’un prêt à un taux de 4,95 %, remboursable, en principe, en 276 échéances fixes, libellé en francs suisses et remboursable en euros, étant précisé qu’au jour de la conclusion dudit contrat, le montant de ce prêt s’élevait à 143 421,53 €, soit à 216 566,51 francs suisses. Ce même contrat prévoyait le remboursement des mensualités à échéances fixes en euros et la conversion de celles-ci en francs suisses afin de contribuer au paiement des intérêts et à l’amortissement du capital, les frais associés au crédit, tels que l’assurance, étant facturés en euros. Il était également prévu que la durée du crédit serait allongée de cinq années, les échéances prévues en euros étant imputées en priorité sur les intérêts lorsque l’évolution des parités augmente le coût du crédit pour l’emprunteur et que si le maintien du montant des règlements en euros ne permettait pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, le montant des mensualités serait augmenté. À la suite de mensualités impayées, la déchéance du terme a été prononcée et le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Libourne (France) a ordonné, le 16 janvier 2015, la vente forcée du bien immobilier concerné. S’ensuivit un litige ayant conduit le tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne à poser aux juges européens une série de questions préjudicielles portant sur le point de savoir si les clauses litigieuses concernaient l’objet principal du contrat et si elles étaient suffisamment claires.

La Cour de Luxembourg considère, en premier lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat ». Sur ce premier point, la Cour de justice respecte à la lettre les termes de l’article 4, § 2, de la directive de 1993, qui prévoit que « l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (v. égal. C. consom., art. L. 212-1, al. 3). On sait en effet que seules les clauses litigieuses ne portant pas sur l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération peuvent en principe faire l’objet d’un contrôle (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n° 100). Or l’une des difficultés du contentieux des prêts en devises réside précisément dans le fait que les clauses litigieuses portent bien souvent sur l’objet principal du contrat (v. CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 2401 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 208 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon  ; comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles  ; v. égal. Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau ; Civ. 1re, 20 févr. 2019, nos 17-31.065 et 17-31.067, Dalloz actualité, 5 mars 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 428 ; AJDI 2019. 708 , obs. O. Poindron et J. Moreau ; Rev. prat. rec. 2020. 23, chron. R. Bouniol ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau  ; 12 déc. 2018, n° 17-18.491, RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau  ; 3 mai 2018, n° 17-13.593, Dalloz actualité, 17 mai 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1355 , note D. Mazeaud ; ibid. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 871 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2018. 284, obs. B. Brignon ; RTD com. 2018. 432, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau  ; comp. Civ. 1re, 29 mars 2017, nos 16-13.050 et 15-27.231, Dalloz actualité, 28 avr. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1893 , note C. Kleiner ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 596 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 278 , obs. B. Brignon ; RTD civ. 2017. 383, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 409, obs. D. Legeais ), même si la thèse inverse a été brillamment défendue (G. Cattalano, Prêts en francs suisses : peu d’espoir pour les emprunteurs, Defrénois, 15 nov. 2018, p. 27, considérant que « l’objet principal du contrat est la mise à disposition des fonds et non la manière dont sont calculées et payées les mensualités de remboursement »).

Toutefois, même dans le cas où la clause porte sur l’objet principal du contrat, il y a toujours une place pour un contrôle de l’abus dans l’hypothèse où ladite clause ne serait pas rédigée de manière claire et compréhensible, hypothèse que le texte précité réserve. À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne estime, en second lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (v. déjà CJUE 20 sept. 2018, aff. C-51/17, Dalloz actualité, 26 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1861 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin ). Elle considère également que « l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses ».

Voilà qui apporte un singulier démenti à la jurisprudence de la Cour de cassation (v. les arrêts préc.), qui devrait sans doute désormais évoluer en faveur des consommateurs. Il est vrai que ces derniers avaient obtenu gain de cause sur le terrain pénal l’année dernière, la banque ayant été reconnue coupable à leur égard de pratiques commerciales trompeuses (T. corr. Paris, 13e ch. corr., 26 févr. 2020, n° 12290076010 ; v. à ce sujet G. Cattalano, Nouvel épisode dans l’affaire Helvet Immo : la banque jugée coupable de pratique commerciale trompeuse, RDC n° 2020/3, p. 90). Dès lors, il serait difficilement acceptable qu’ils ne puissent finalement triompher sur le plan civil.

image

À l’occasion d’un litige concernant un bail à construction, un jugement du 19 septembre 2007 prononce la résiliation du bail avec une expulsion sous astreinte. Le jugement, signifié le 1er octobre 2007, n’était pas revêtu de l’exécution provisoire.

Un appel (suspensif) est formé, le 24 septembre 2007, par le preneur.

Au cours de l’instance d’appel, les parties se rapprochent pour trouver un accord et demandent en conséquence un retrait du rôle, qui est ordonné par ordonnance de mise en état du 5 décembre 2008.

Finalement, aucun accord ne sera trouvé et la commune, bailleresse, assigne le preneur le 16 décembre 2016 devant le juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte qui aurait couru depuis le 5 décembre 2008.

Parallèlement, la commune se prévaut devant la cour d’appel, toujours saisie de l’appel du jugement du 19 septembre 2007, de la péremption de l’instance pour défaut de diligence.

Le 20 juillet 2017, le juge de l’exécution rejette la demande de liquidation. La commune fait appel de ce jugement devant la cour d’appel.

Le 3 avril 2018, le conseiller de la mise en état constate la péremption de l’instance, celle-ci étant acquise depuis le 5 décembre 2010, aucune diligence n’étant intervenue depuis le retrait du rôle.

Sur appel du jugement du juge de l’exécution, la cour d’appel liquide l’astreinte, retenant que le jugement, non revêtu de l’exécution provisoire, du 19 septembre 2007, qui a ordonné l’astreinte, est « définitif » depuis le 5 décembre 2010, c’est-à-dire dans le délai de deux ans du retrait du rôle.

L’arrêt du 22 février 2019 est cassé, la Cour de cassation estimant quant à elle que la date à laquelle le jugement a eu force de chose jugée ne pouvait être celle à laquelle la péremption était acquise.

Un jugement devenu définitif ?

Pour la cour d’appel, « dès lors que le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance dans sa dernière ordonnance rendue le 3 avril 2018 motif pris qu’aucune partie n’avait accompli des actes de procédure depuis le 5 décembre 2008, date de l’ordonnance de retrait du rôle, il est constant que le jugement du 19 septembre 2007 signifié le 1er octobre 2007 est définitif depuis le 5 décembre 2010 » (Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. TGI, 22 févr. 2019, n° 17/01316).

Tout d’abord, le terme « définitif » est inapproprié. Le jugement définitif est, par opposition au jugement provisoire, celui qui tranche le principal (Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 107). Bien souvent, il est dit à tort qu’un jugement est définitif lorsqu’il est irrévocable, c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’un quelconque recours, suspensif ou non (v. aussi Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-15.893 P, Bull. civ. II, n° 352 ; RTD civ. 2004. 775, obs. R. Perrot ). Ici, nous pouvons nous interroger si la cour d’appel le prend au sens de jugement irrévocable ou de jugement ayant force de chose jugée. Quoi qu’il en soit, le terme « définitif » ne signifie ni l’un ni l’autre.

Les juges d’appel considèrent qu’à la date du 5 décembre 2010, le jugement avait force de chose jugée, voire force irrévocable, le point de départ du délai de péremption étant le 5 décembre 2008.

À cet égard, afin qu’il n’y ait pas de méprise, ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle de l’affaire qui constituait le point de départ du délai de péremption. En effet, l’acte interruptif de péremption doit être une diligence de la partie (Civ. 2e, 6 oct. 2005, n° 03-17.680 P, Bull. civ. II, n° 239 ; 26 juin 1991, n° 90-14.084 P, Bull. civ. II, n° 196 ; 21 janv. 1987, n° 85-12.689 P, Bull. civ. II, n° 20 ; 28 nov. 1984, n° 83-14.230 P, Bull. civ. II, n° 182 ; 5 avr. 1993, n° 91-19.976 P, Bull. civ. II, n° 147), de nature à faire progresser l’affaire (Civ. 2e, 17 mars 1982, n° 79-12.686 P, Bull. civ. II, n° 46 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226 P, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 ).

Ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle mais la demande de retrait du rôle qui constitue la dernière diligence des parties (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-20.299, Bull. civ. II, n° 836 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 ). Cette demande de retrait du rôle, à l’instar de la demande en sursis à statuer (Civ. 2e, 17 oct. 2019, n° 18-19.235), est de nature à faire avancer l’affaire, même si l’on peut s’étonner que manifeste une volonté de poursuivre l’instance celui qui en demande la suspension.

Si l’ordonnance de mise en état constatant cette péremption est du 3 avril 2018, cette péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la demande de retrait du rôle, soit après le 5 décembre 2010. C’est donc, pour la cour d’appel, à cette date que le jugement ayant prononcé l’expulsion sous astreinte était « définitif », ou plus exactement qu’avait pris fin l’effet suspensif de l’appel. C’est la force de chose jugée du jugement.

Force de chose jugée et autorité de chose jugée

On comprend tout l’intérêt, en l’espèce, de déterminer le moment où le jugement passe en force de chose jugée.

En effet, cette force de chose jugée produit des effets, et notamment elle fait échapper le jugement à tout effet suspensif. L’astreinte pouvait commencer à courir.

Notons au passage que cette force de chose jugée permet en outre au jugement d’acquérir la force exécutoire qui suppose, à défaut d’acquiescement, une notification (C. pr. civ., art. 504). C’est cette force exécutoire qui fera courir les intérêts majorés de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la force de chose jugée n’ayant pas cet effet. Ainsi, les intérêts majorés sur les condamnations de l’arrêt d’appel – lequel arrêt a force de chose jugée dès son prononcé, le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif (C. pr. civ., art. 579) sauf exception (C. pr. civ., art. 1086, 1087) – courront deux mois après la signification du titre exécutoire.

En application de l’article 390, la péremption en appel confère la force de chose jugée au jugement dont appel, même en l’absence de notification.

La péremption étant acquise le 5 décembre 2010, la cour d’appel retient en conséquence que c’est à cette date que le jugement du 19 septembre 2007 avait acquis force de chose jugée, et que l’astreinte avait commencé à courir. Dans son assignation de 2016, la commune pouvait donc faire courir l’astreinte à compter du 5 décembre 2010, et demander la liquidation en prenant cette date comme point de départ.

A priori, le raisonnement semblait conforme à l’article 390, la péremption étant constatée, et non prononcée, par le conseiller de la mise en état.

Toutefois, le raisonnement ne convient pas à la Cour de cassation.

En effet, même s’il est exact que la péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la dernière diligence interruptive, la date à laquelle est constatée la péremption n’est pas sans conséquence.

Pour la Cour de cassation, cette force de chose jugée conférée au jugement ne pouvait être acquise qu’autant que la décision qui constatait la péremption, donnant force de chose jugée, avait elle-même acquis autorité de chose jugée. Et cette autorité de chose jugée, le jugement l’acquiert dès son prononcé, comme le précise l’article 480 du code de procédure civile, mais pas avant.

C’est donc au moment du prononcé de l’ordonnance de mise en état ayant constaté la péremption, soit le 3 avril 2018, que l’article 390 produit ses effets et donne force de chose jugée au jugement. Il était donc demandé au juge de l’exécution de liquider une astreinte qui n’avait pas commencé à courir.

En conséquence, si une partie peut se prévaloir d’une péremption et souhaite conférer au jugement force de chose jugée, il est conseillé de ne pas attendre avant de demander au juge de constater cette péremption. Plus la partie tardera, plus tard le jugement dont appel sera revêtu de cette force de chose jugée, nécessaire préalable à toute exécution, même si le principe de l’exécution provisoire de droit ôtera une partie de l’intérêt de cette force de chose jugée conférée par la péremption.

Il ressort de cet arrêt de cassation qu’il importe peu que cette péremption soit constatée.

Nous pouvons faire le rapprochement avec la caducité, qui est acquise si la partie n’accomplit pas, dans un délai déterminé, la diligence attendue pour consolider l’acte de procédure. Tant qu’un jugement n’a pas constaté cette caducité, pourtant acquise, la partie est irrecevable pour défaut d’intérêt à réitérer un second acte d’appel (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-18.397 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; ibid. 555, obs. N. Fricero  ; 27 sept. 2018, n° 17-25.857 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; ibid. 555, obs. N. Fricero  ; 11 mai 2017, n° 16-18.464 P, Bull. civ. II, n° 94 ; Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 ). Et, lorsque le jugement qui constate la caducité a autorité de la chose jugée, alors l’article 911-1 trouve à s’appliquer pour sanctionner par l’irrecevabilité la partie ayant essuyé une caducité de son appel.

Même s’il s’agit de constater un état existant, ce n’est que le jugement constatant cet état qui aura autorité de chose jugée et qui produira les effets attachés à ce constat.

Avec un raisonnement similaire, il a aussi été considéré que les effets du commandement de payer visant la clause résolutoire, dont l’acquisition doit être constatée, sont suspendus par l’effet du jugement ouvrant la liquidation judiciaire du locataire dès lors qu’aucune décision passée en force de chose jugée n’a constaté l’acquisition de cette clause avant la liquidation (Civ. 3e, 9 janv. 2008, n° 06-21.499, Bull. civ. III, n° 1 ; Dalloz actualité, 21 janv. 2008, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 291, et les obs. ; AJDI 2008. 288 , obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD com. 2009. 81, obs. F. Kendérian ).

Cet arrêt de cassation aura été l’occasion de s’attarder un instant sur quelques notions procédurales proches mais distinctes, parfois confondues, que sont le jugement définitif, provisoire ou irrévocable, l’autorité de chose jugée, la force de chose jugée et la force exécutoire. Est définitif le jugement qui n’est pas provisoire et tranche le principal. A force exécutoire le jugement qui est déjà revêtu de la force de chose jugée, lequel doit lui-même avoir autorité de chose jugée. Et le stade ultime du jugement sera la force irrévocable de la chose jugée. Ces rappels sont toujours opportuns.

Le contentieux des professions médicales et paramédicales ne peut occulter les difficultés qui peuvent se poser lors de la formation des futurs professionnels de santé. Comme partout, il arrive que certains candidats ayant passé avec succès les étapes pour intégrer une formation sélective fassent l’objet d’une procédure disciplinaire pouvant aboutir à leur éventuelle exclusion. Mais ici comme ailleurs, ces procédures obéissent à des règles qui conduisent parfois à l’irrégularité de la sanction prononcée et, ce faisant, à l’annulation de l’exclusion. C’est précisément dans cette optique que se situe l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 lequel s’intéresse à la formation des infirmiers. Rappelons rapidement les faits pour mieux comprendre la solution.

Une personne est admise à l’Institut de formation en soins infirmiers de Montreuil-sous-Bois administré par la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon. L’étudiante suit la formation à partir de 2009 jusqu’en troisième année. La directrice de l’institut la convoque en mai 2012 et lui indique qu’un conseil de discipline se réunira le 25 mai 2012. L’étudiante régulièrement convoquée par lettre recommandée est exclue à la suite de ce conseil...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

S’il est légitime de rechercher les avantages d’un testament « conseillé », sans les inconvénients supposés du testament « notarié », il faut bien garder à l’esprit qu’en ayant recours à la forme « olographe » avec l’intention de singer la forme « authentique », on court le risque d’en faire une sorte d’ersatz, qui n’est d’ailleurs pas sans danger pour celui qui le conseille (v. B. Beignier et A. Tani, Le notaire et le testament olographe. Modèle fourni et conservation assurée. Possible responsabilité ? Prudence…, Dr. fam. 2018. Étude 12). Bien qu’on loue fréquemment le testament olographe pour sa simplicité et sa gratuité, il ne peut jamais égaler complètement les avantages d’un testament authentique, si injustement délaissé pour son coût (mais n’est-ce pas le prix de la qualité ?) et sa lourdeur (laquelle n’est pas insurmontable). En la cause, l’utilisation d’un testament authentique aurait permis d’éviter bien des déconvenues.

Quelques mois après son installation en France, un Allemand qui ne comprenait pas le français rédigea dans cette langue un testament olographe pour instituer sa sœur légataire universelle ; le tout en prenant soin de respecter les prescriptions de l’article 970 du code civil (écrit, date et signature). Pour pallier sa mauvaise maîtrise de la langue de Molière, il fut jugé utile (sur les conseils de qui ? L’arrêt ne le précise pas, mais on peut imaginer que le testateur, parfaitement étranger aux subtilités du droit français, n’a pas agi de la sorte tout seul…) de mettre à sa disposition un autre écrit, daté du même jour, rédigé cette fois en allemand, et intitulé « traduction du testament ». À son décès, ses trois enfants héritiers réservataires contestaient la validité de l’acte, obligeant sa sœur à les assigner en délivrance du legs universel et en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage.

Le testament rédigé dans une langue que ne maîtrise pas le testateur est-il valable, quand bien même il respecterait les prévisions de l’article 970 du code civil ?

La cour d’appel saisie de l’affaire (Chambéry, 25 juin 2019) avait cru pouvoir déclarer valable le testament litigieux en ce qu’il était écrit, daté et signé de la main du testateur. Au contraire, les héritiers réservataires estimaient à l’appui de leur pourvoi qu’il ne pouvait point en être ainsi puisque le testateur ne maîtrisait pas la langue dans laquelle le testament avait été rédigé. La censure de cette décision paraissait difficilement évitable : l’arrêt d’appel avait probablement accordé trop d’importance au second document faisant office de traduction du testament. Premièrement, les juges chambériens l’utilisèrent pour dépasser le fait que le testateur ne parlait pas le français en retenant que, bien que ce second document ne fût pas de sa main, il lui avait été présenté « pour comprendre le sens du testament ». Deuxièmement, ils s’en servirent pour minimiser les approximations de la traduction liées aux absences d’équivalents linguistiques en affirmant que « les expressions quotité disponible et patrimoine disponible employées ont le même sens, de sorte que les deux écrits ne s’opposent pas, le premier étant simplement plus complet et juridique, sans contredire le second ». L’arrêt d’appel allait même jusqu’à considérer que la seule différence relative à la désignation de la sœur comme exécuteur testamentaire au lieu de légataire universel « n’a pas d’incidence sur l’étendue des droits dévolus à cette dernière » pour mieux en déduire que « le consentement [du testateur] n’a point été vicié ». La Cour de cassation semble s’être bien moins intéressée à ce document auquel il ne fallait à l’évidence pas prêter trop de valeur juridique.

Dans sa réponse, la Cour de cassation s’emploie à rappeler au visa de l’article 970 du code civil que « le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme », pour en conclure que, sitôt que le testateur « avait rédigé le testament dans une langue qu’il ne comprenait pas, […] l’acte ne pouvait être considéré comme l’expression de sa volonté ».

Cette solution invite à formuler au moins deux remarques :

• d’abord, on peut constater que l’arrêt ne fait pas particulièrement état de la résolution d’un quelconque conflit de lois que la présence d’un élément d’extranéité aurait pourtant pu justifier : ainsi, la portée de cette décision est davantage à rechercher dans le droit civil que sous l’angle du droit international privé ;

• ensuite, on pourrait se dire qu’il s’agissait moins ici d’une question de forme que d’un problème de fond. Or il ne faut pas oublier qu’en matière de testament (comme ailleurs), les deux sont étroitement liés puisque la forme est souvent au service du fond, en ce qu’elle participe de la protection de la volonté libérale. Tel était d’ailleurs l’argumentation que faisait justement valoir le pourvoi : « la forme a pour objet de s’assurer que le testament est l’expression authentique de la volonté personnelle de son auteur ».

Si l’élaboration d’un testament olographe est des plus aisées et si la jurisprudence fait désormais montre de souplesse dans l’appréciation de ses conditions (D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (Dix ans de jurisprudences de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuité du droit. Autour de Michelle Gobert, Economica, 2004, p. 449), il ne faut pas perdre de vue que ces règles de forme ont pour vocation d’assurer l’intégrité du consentement de celui qui dispose pour le temps où il ne sera plus (M. Nicod, Le formalisme en droit des libéralités, La Baule : Imprimerie La Mouette, coll. « Doctorat et Notariat », 2000). On retrouve là ce qui fonde la préférence aujourd’hui donnée à un formalisme « raisonné » et « protecteur », dont le non-respect ne peut pas entraîner une sanction absolue et automatique ; attestant de ce que, très tôt, Josserand avait décrit comme une « désolennisation du testament » (DH 1932. Chron. 73). C’est cette primauté d’un formalisme « de bon sens » sur un formalisme « au pied de la lettre » qui rejaillit dans l’appréciation moderne de chacune des conditions de forme du testament olographe :

1. La signature : celle-ci est comme on le sait très libre (paraphe, nom et prénom, initiales, surnom, etc.), pourvu qu’elle soit nécessairement apposée « à la suite de l’acte » (Civ. 1re, 17 juin 2009, n° 08-12.896, D. 2009. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton ; ibid. 2508, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel  ; 22 mars 2005, n° 03-19.907, AJ fam. 2005. 366 ) et « postérieurement à sa rédaction » (Civ. 1re, 24 févr. 1998, n° 96-12.336, Dr. fam. 1998. Comm. 144, note B. Beignier), afin d’attester de l’identité de l’auteur et de marquer son approbation personnelle et définitive du contenu ainsi que sa volonté de s’en approprier les termes (ce faisant, peu importe s’il ne s’agisse pas de la signature habituelle, v. Civ. 1re, 22 juin 2004, n° 01-14.031, D. 2004. 2953 , note M. Nicod ; AJ fam. 2004. 405, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 397, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP 2005. I. 187, obs. R. Le Guidec ; RJPF 2004. 51, obs. J. Casey).

2. La date : elle a pour fonction de vérifier que le testateur était sain d’esprit au moment de la rédaction de l’acte et de permettre de l’articuler avec un éventuel testament contradictoire, de sorte que la jurisprudence admet depuis longtemps que l’on puisse reconstituer une date incomplète ou absente, voire restituer la date véritable lorsque celle-ci était erronée (sur tout ceci, v. les nombreuses références sous C. civ., art. 970).

3. L’écriture : elle se révèle elle aussi assez largement entendue (quant au support, aux moyens d’écriture, aux formules employées, etc.) ; elle doit simplement être manuscrite, et non dactylographiée (ce qui exclut au demeurant le texto, v. TGI Metz, 17 août 2018, n° 17/01794, AJ fam. 2018. 484, obs. I. Corpart ), pour témoigner de la parfaite compréhension du testateur quant à ce qu’il rédige. C’est au fond l’idée qui guide tous les textes exigeant en droit positif l’apposition de mentions manuscrites, notamment en matière de cautionnement : écrire quelque chose de sa main, pour mieux en prendre conscience, s’en approprier les termes et en mesurer la portée.

C’est donc sans ajouter une règle de forme supplémentaire à l’article 970 du code civil – lequel, comme le rappelle opportunément la Cour de cassation, n’est assujetti « à aucune autre forme » – qu’il fallait retenir ici que le testament rédigé dans une langue que son auteur ne comprenait pas ne pouvait en aucune manière constituer l’expression de sa volonté (v. déjà, Paris, 3 mai 2002, n° 2000/20421). Écrire dans une langue qui échappe au scripteur n’est point écrire au sens du formalisme testamentaire ; comme d’ailleurs écrire un texte dont le sens le dépasse par sa trop grande technicité par exemple n’est pas davantage écrire.

C’est au demeurant ce qui explique l’état d’une jurisprudence, aussi constante qu’ancienne, sur la question de la rédaction d’un testament à partir d’un modèle proposé par un tiers ou, comme c’est de plus en plus souvent le cas, chiné sur internet (avec plus ou moins de profit selon les sites consultés). Si l’on admet qu’un testament soit rédigé sur la base d’un modèle (Lyon, 25 mars 1975, D. 1978. 263, obs. B. Dufour ; 4 mars 1970), c’est à la condition stricte que le testateur ait parfaitement conscience de ce qu’il écrit. A contrario est assurément nul le testament élaboré à partir d’un modèle recopié servilement, car il n’est pas l’œuvre intellectuelle de son scripteur et ne peut faire état d’un quelconque animus testandi (nullité du testament d’un illettré surlignant au stylo un texte préécrit par un autre au crayon de papier, v. Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 07-10.599, AJ fam. 2008. 81, obs. L. Pécaut-Rivolier ).

À la différence du testament authentique (acte public) qui doit nécessairement être rédigé dans la langue officielle de la République (Constit., art. 2), rien n’interdit en droit français qu’un testament olographe (acte privé) soit rédigé dans une autre langue, pourvu que le testateur la comprenne. Le testament étant le message que le mort adresse aux vivants (C. Bahurel, Les volontés des morts : vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2014, t. 557, préf. M. Grimaldi), comment celui-ci pourrait-il s’exprimer d’outre-tombe, dans une langue qu’il ne parlait pas lorsque la vie l’habitait encore ? La langue du « testament olographe » ne peut être que celle que son auteur comprend… C’est toute la différence avec le testament authentique qui est rédigé par le notaire, et donc dans la langue dans laquelle il officie (nécessairement le français), sous la dictée du testateur, lequel peut très bien ne pas parler la même langue que lui. Dans cette situation, l’article 972 du code civil prévoit que la dictée et la lecture seront accomplies par un interprète qui veillera à l’exactitude de la traduction ou par le notaire si lui-même et, selon les cas, l’autre notaire ou les témoins parlent cette autre langue. Tel est d’ailleurs le modus operandi qui aurait mérité d’être privilégié dans cette affaire : le recours à un notaire pour rédiger un testament par acte authentique aurait très facilement permis d’anticiper toutes contestations au moment du décès. Si le français est la langue officielle de la République (expliquant, sans interdire la promotion des langues régionales, qu’elle ne puisse pas être marginalisée, v. Cons. const. 21 mai 2021, n° 2021-818 DC, Dalloz actualité, 26 mai 2021, obs. S. Sydoryk ; JCP A 2021, n° 24, 2195, obs. S. Hul), il n’y a évidemment pas d’incompatibilité de principe entre le droit français et les langues régionales ou étrangères…

La première chambre civile de la Cour de cassation vient de transmettre un renvoi préjudiciel pour préciser notamment le régime des clauses abusives en présence d’une contractualisation de l’exigence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme d’un prêt immobilier.

en lire plus

Auteur d'origine: chelaine

Le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens. Tel n’est pas le cas si l’une d’elle estime que l’acte ne préserve pas suffisamment ses intérêts.

en lire plus

Auteur d'origine: qguiguet

Si la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime, c’est à la condition que cette faute n’ait pas seulement aggravé le dommage mais qu’elle y ait également contribué.

en lire plus

Auteur d'origine: ahacene

Le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription et la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n’interrompt pas le délai de forclusion.

en lire plus

Auteur d'origine: Rouquet
image

L’arrêt commenté aujourd’hui exigera une certaine attention dans les mois à venir, renvoi préjudiciel oblige. Le point central de la discussion touche aux clauses abusives dont on sait que le cœur de la réglementation européenne a été la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, notamment ses articles 3 et 4 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 167, p. 184). En droit français, l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation dispose que, « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 a pour objectif d’unifier la jurisprudence française sur les clauses de déchéance du terme dont on sait qu’elles peuvent être des clauses abusives lorsqu’elles sont mal rédigées dans des prêts immobiliers. L’objectif de ce renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est donc de clarifier la réglementation applicable. Un bref rappel des faits est important pour comprendre tout l’enjeu de ce renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Un établissement bancaire consent par acte notarié du 17 mai 2006 un emprunt de 209 109 € remboursable sur vingt ans à une personne physique afin que ce dernier puisse acquérir un immeuble. Le contrat prévoyait des « conditions générales » dans lesquelles un article 16-1 précisait que « les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles, sans formalité ni mise en demeure, dans le cas d’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un terme en principal, intérêts ou accessoires » (nous soulignons). L’échéance exigible au 10 décembre 2012 (904,50 €) n’est pas réglée, pas plus que la suivante de janvier 2013. L’établissement bancaire prononce alors la déchéance du terme le 29 janvier 2013 sans mise en demeure préalable conformément à l’article 16-1 précité du contrat. La banque fait ensuite procéder à une saisie-vente chez l’emprunteur une année plus tard. L’emprunteur saisit alors le juge de l’exécution en octobre 2015 en annulation de la procédure soutenant que le procès-verbal de saisie-vente comportait des irrégularités.

Après un premier arrêt de la Cour de cassation portant sur le point de départ du délai biennal de prescription de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation (Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-21.533, AJDI 2019. 379 , obs. J. Moreau ), l’affaire revient devant la cour d’appel de Versailles. À ce stade, s’ouvre à nouveau le débat du caractère abusif ou non de ladite clause prévoyant l’absence d’une mise en demeure préalable. La cour d’appel refuse de considérer la clause comme abusive si bien que l’emprunteur décide de se pourvoir en cassation en confrontant la jurisprudence française à une décision de la CJUE sur la déchéance du terme, le fameux arrêt Banco Primus (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525 , obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron ). La dispense de mise en demeure décidée conventionnellement serait, pour le plaideur, une clause abusive dans le contrat litigieux eu égard aux critères dégagés par cet arrêt.

La Cour de cassation décide de surseoir à statuer afin de poser plusieurs questions à la Cour de justice de l’Union européenne. Pour faciliter la lecture, nous reproduisons ci-dessous les cinq questions posées à la CJUE :

1. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?

3. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?

4. Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5. Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ?

Les données du problème : la déchéance du terme et la mise en demeure

La Cour de cassation commence par distinguer le cadre européen du cadre interne concernant la législation des clauses abusives (nos 5 à 7 de l’arrêt). Il faut louer l’effort de pédagogie déployé ici par la haute juridiction qui entend continuer son œuvre de motivation « enrichie » des arrêts, notamment lorsqu’ils risquent de précéder un important revirement de jurisprudence en fonction de la réponse de la CJUE au renvoi préjudiciel.

Le point névralgique repose sur l’article 16-1 du contrat litigieux dispensant de mise en demeure l’établissement bancaire pour prononcer la déchéance du terme dès le premier impayé en trente jours. On sait qu’eu égard aux articles 1134, 1147 et 1184 anciens – alors applicables à la cause car antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 –, la mise en demeure est un processus étape pour la mise en jeu, par exemple, de la résolution du contrat. Ce mécanisme a pour principale fonction de permettre l’exécution du contrat par le débiteur défaillant (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 866, n° 805). C’est un sursaut d’exécution provoqué par le spectre d’une sanction. Or, ici, la déchéance du terme pouvait être prononcée avant même toute possibilité de régularisation impulsée par une mise en demeure. C’est ici que l’emprunteur s’arc-boute en postulant que l’article 16-1 de la convention est une clause abusive. Le raisonnement peut tout à fait séduire car ladite clause peut créer un déséquilibre significatif entre le consommateur et son cocontractant professionnel.

La jurisprudence de la Cour de cassation permet toutefois de contractualiser la mise en demeure et la haute juridiction entend bien le rappeler dans l’arrêt commenté au n° 9 (Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-02.020, Bull. civ. I, n° 27 ; 3 juin 2015, n° 14-15.655, Bull. civ. I, n° 131 ; D. 2015. 1677 , note G. Poissonnier ; RTD civ. 2015. 875, obs. H. Barbier ; 22 juin 2017, n° 16-18.418, Bull. civ. I, n° 151 ; D. 2017. 1356 ; AJDI 2017. 859 , obs. L. Lang, J. Moreau et O. Poindron ; AJ contrat 2017. 386, obs. J. Lasserre Capdeville ). La solution admise par le droit français reste centrée sur une certaine liberté contractuelle puisque les parties peuvent renoncer à la mise en demeure préalable à la condition que le consommateur comprenne l’enjeu de la clause laquelle doit être claire, expresse et non équivoque, d’une part, et permettant, d’autre part, d’informer le consommateur des conséquences que peut avoir l’inexécution de ses obligations. Mais il faut bien avouer que l’exception que constitue cette possibilité tend à devenir le principe dans ce type de contrats où la mise en demeure peut être un frein pour l’exigibilité du solde restant dû d’un débiteur défaillant peut-être définitivement.

La Cour de justice a pu s’intéresser aux clauses de déchéance du terme à travers l’arrêt du 26 janvier 2017 Banco Primus SA, précité. Dans cet arrêt, la CJUE a pu avancer, au numéro 67, quatre critères pour vérifier le caractère éventuellement abusif des clauses de déchéance du terme. En voici un bref résumé :

1. La mise en jeu de la déchéance du terme dépend de l’inexécution d’une obligation présentant un caractère essentiel dans le rapport contractuel.

2. L’inexécution en elle-même doit présenter un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.

3. La faculté déroge au droit commun des contrats en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques.

4. Le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier à l’exigibilité du prêt.

Or la question de la renonciation à la mise en demeure préalable à la déchéance du terme vient questionner cette jurisprudence. L’intérêt du renvoi préjudiciel apparaît alors très nettement.

Les solutions au problème : l’intérêt du sursis à statuer

Le sursis à statuer repose donc sur une certaine volonté d’harmonisation les jurisprudences (n° 18 de l’arrêt commenté) entre la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne. Deux grandes difficultés apparaissent alors pour cette unification.

D’une part, la première difficulté tient à la contractualisation même de la mise en demeure, laquelle est un des éléments permettant au débiteur de s’exécuter non spontanément mais sous la menace des mécanismes de l’inexécution dont la déchéance du terme n’est qu’une variété. C’est ainsi la première des questions posées à la Cour de justice, peut-être d’ailleurs la plus originale et la plus importante des cinq. L’arrêt Banco Primus ne s’était pas positionné précisément sur ce point. La réponse semble très nuancée. Nous ne nous risquerons pas à proposer une ébauche de solution. Toutefois, on voit mal comment les parties ne pourraient pas renoncer à un mécanisme protecteur si le consommateur comprend le risque de procéder ainsi ; d’autant plus s’il retire de ce sacrifice un avantage particulier. Plus que la réponse, il faudra sonder sa teneur pour réadapter une pratique qui n’hésite pas à se passer des mises en demeure par le recours de ces clauses de renoncement dont l’article 16-1 du contrat litigieux n’est qu’un exemple parmi d’autres.

D’autre part, la seconde difficulté consiste à mieux comprendre la jurisprudence Banco Primus et ces critères précités. Les quatre critères dégagés dans cet arrêt sont-ils cumulatifs ou alternatifs ? Il s’agit d’une vraie question de méthodologie pour que le juge national puisse vérifier dans les clauses de déchéance du terme si une difficulté supplémentaire vient interférer et rendre la clause abusive. Un critère pourrait être plus important qu’un autre si ceux-ci sont simplement alternatifs. C’est ici que l’on peut raisonner factuellement sur la gravité de l’inexécution, à savoir seulement deux échéances avant la déchéance du terme par l’établissement bancaire sans mise en demeure préalable. Le critère de gravité pourrait donc être étayé.

Aux réponses qu’apportera la Cour de justice viendront se poser de nouvelles interrogations eu égard à l’introduction en droit commun des contrats du déséquilibre significatif à travers l’article 1171 nouveau du code civil (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 385, nos 440 s.). Il faudra alors composer probablement avec une double partition, celle du droit commun et celle du droit spécial, c’est-à-dire le droit de la consommation. Voici donc bien des choses à suivre en perspective : d’une part, la réponse donnée à ce renvoi préjudiciel et, d’autre part, ses effets possibles sur la jurisprudence en droit commun des contrats.

image

« Il n’y a aucun mal à changer d’avis, pourvu que ce soit dans le bon sens », disait Winston Churchill. La première chambre civile de la Cour de cassation fait montre de la même bienveillance dans cet arrêt rendu le 9 juin 2021 en matière de règlement des intérêts patrimoniaux des jeunes divorcés.

Deux époux qui s’étaient mariés en 2003 sans contrat de mariage envisageaient de divorcer et avaient formalisé leur entente sur la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux dans un acte notarié le 7 mai 2016. Alors que l’instance en divorce touchait au but, l’épouse prit conscience, à la faveur d’un changement de conseil, que la convention ne préservait pas suffisamment ses intérêts. La convention en effet n’était pas exempte de critiques : la date de la jouissance divise retenue dans l’acte était trop éloignée du partage et la privait d’une partie de l’indemnité d’occupation ; le compte d’indivision intégrait les dépenses de la vie courante exposées par son mari ; l’actif de communauté était incomplet, etc.

Ainsi revenue à bonne raison juridique, l’épouse tenta de conclure à la non-homologation de l’acte notarié mais ses dernières conclusions furent jugées irrecevables car signifiées postérieurement à l’ordonnance de clôture. Un jugement du 21 juillet 2017 prononça le divorce et homologua l’acte authentique.

L’épouse interjeta appel et, dans un arrêt du 11 octobre 2018, la cour d’appel de Versailles dit n’y avoir pas lieu à homologation de l’acte notarié du 7 mai 2016 et ordonna la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des parties. L’ex-époux intimé, contrarié par ce revirement de situation, forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen unique, il contesta, en vain, la recevabilité et le bien-fondé de l’appel.

La recevabilité de l’appel

Dans la première branche du moyen, le demandeur contestait la recevabilité de l’appel. L’argument semblait imparable : les premiers juges ayant fait droit aux demandes de l’épouse, celle-ci n’avait aucun intérêt à interjeter appel. La cour d’appel aurait ainsi violé les articles 31, 122 et 546 du code de procédure civile (§ 4).

Il est vrai que formellement l’appelante avait obtenu gain de cause, mais sur des demandes adressées avant qu’elle ne change d’avis. La première chambre prit vite la mesure de ce paradoxe et tenta de trouver le moyen de justifier la recevabilité de l’appel. Elle chercha d’abord à privilégier une appréciation globale de l’intérêt à agir et sollicita en ces termes l’avis de la deuxième chambre civile : « Dans le cas d’un appel formé avant le 1er septembre 2017, date d’entrée en vigueur du [décret n° 2017-891 du 6 mai 2017], et limité à certains chefs du jugement critiqué, l’un d’entre eux étant conforme aux prétentions de première instance de l’appelant, les autres ne lui ayant pas donné entière satisfaction, l’intérêt à agir de la partie qui a formé appel doit-il être apprécié globalement, à l’instar de ce qui a été jugé en présence d’un appel général ou séparément chaque chef de jugement critiqué ? » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-10.550, D. 2021. 1133 ).

La deuxième chambre civile répondit qu’« il résulte de la combinaison des articles 32, 122 et 546, alinéa 1, du code de procédure civile que l’intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance ». Dès lors, « la recevabilité de l’appel limité doit être appréciée en fonction de l’intérêt à interjeter appel pour chacun des chefs de jugement attaqués ». Ainsi, « en cas d’appel limité en application de l’article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, sauf indivisibilité de l’objet du litige, l’appel ne défère à la cour d’appel que la connaissance des chefs du jugement attaqué, à l’égard desquels l’appel a été déclaré recevable, et de ceux qui en dépendent » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, préc.).

La première chambre civile ne pouvait donc compter sur une appréciation globale de l’intérêt à agir. Elle semblait contrainte de suivre l’avis de la deuxième chambre civile et de constater que, l’appelante qui ne succombait pas étant dépourvue d’intérêt à agir, son appel était irrecevable. Tel est de prime abord la direction prise dans cet arrêt du 9 juin 2021 qui reprend in extenso les motifs de l’avis du 4 février 2021 (§ 5, 6 et 7).

Le salut vint de l’article 954 du code de procédure civile. Selon ce texte, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Or, en l’espèce, l’intimé n’avait pas saisi la cour d’appel d’une fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions. La cour d’appel n’ayant jamais statué sur la recevabilité de l’appel (§ 9), le moyen ne peut être accueilli (§ 10). En d’autres termes, malgré l’absence d’intérêt à agir, la recevabilité de l’appel ne pouvait (plus) être contestée devant la Cour de cassation.

Le bien-fondé de l’appel

La cinquième branche du moyen contestait le bien-fondé de l’appel. Le demandeur au pourvoi reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir refusé d’homologuer la convention « sans rechercher ni expliquer en quoi l’équilibre entre les intérêts des parties n’y était pas préservé » (§ 11).

Il est vrai que la motivation de la cour d’appel de Versailles paraissait assez légère puisqu’elle s’était bornée à reprendre les moyens des parties pour affirmer que les éléments qu’ils contiennent « sont de nature à affecter l’équilibre de la convention et les intérêts des parties » (§ 11). Le demandeur n’hésita pas à enfoncer le clou, rappelant que la convention de liquidation et partage avait été négociée avec l’assistance d’un avocat et signée devant notaire. Il en résulterait une violation de l’article 268 du code civil selon lequel « les époux peuvent, pendant l’instance, soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce. Le juge, après avoir vérifié que les intérêts de chacun des époux et des enfants sont préservés, homologue les conventions en prononçant le divorce ».

Le pourvoi est pourtant rejeté. La Cour de cassation rappelle dans un attendu de principe l’interprétation qu’elle réalise désormais de l’article 268 du code civil : « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » (§ 12). L’appelante faisant ici valoir que l’acte ne préservait pas suffisamment ses intérêts, « ledit acte ne reflète plus la commune intention des intéressés » (§ 13).

Une telle interprétation est à la fois contraignante et souple. Elle est contraignante pour le juge de l’homologation auquel il est fait interdiction de prononcer l’homologation en l’absence de concordance des conclusions. Elle est souple pour les parties puisqu’il leur suffit de changer d’avis et de solliciter le rejet de la demande d’homologation pour faire obstacle à la convention qu’ils ont pourtant négociée et signée.

Mieux : les raisons de ce revirement importent peu et la partie qui change d’avis n’a pas à se justifier. La Cour de cassation l’affirme très clairement : les seuls motifs tenant à la présence de conclusions discordantes suffisent à justifier le refus d’homologation, abstraction faite des autres motifs, qui paraissent surabondants (§ 14). En d’autres termes, le juge doit procéder successivement à deux vérifications : d’abord s’assurer que les conclusions des parties sont concordantes, ensuite et seulement si tel est bien le cas, contrôler que la convention préserve suffisamment les intérêts des parties. Bref, il suffit aux parties de changer d’avis.

Cette lecture de l’article 268 du code civil avait déjà été énoncée en principe par un arrêt rendu le 12 février 2020, selon lequel la demande d’homologation d’une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce présenté par un époux seul est recevable mais il appartient au juge de tirer les conséquences de l’absence d’accord de l’autre époux sur cette demande (Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-10.088, Dalloz actualité, 3 mars 2020, obs. A. Bolze ; D. 2020. 389 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2020. 307, obs. J. Casey ; RTD civ. 2020. 353, obs. A.-M. Leroyer  ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, n° 383h7, p. 70, obs. M. Bruggeman ; Dr. fam. 2020, n° 68, note A. Boulanger ; LEFP avr. 2020, p. 5, obs. J.-J. Lemouland ; ibid. mars 2020, p. 5, note L. Mauger-Vielpeau). La Cour énonçait alors déjà en attendu de principe que « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens ».

La nécessité de conclusions concordantes est donc le corollaire de la recevabilité d’une demande d’homologation présentée par un seul époux. Dans l’arrêt du 12 février 2020, cette condition apparaissait donc dans une dimension processuelle : peu importe qu’un seul époux sollicite l’homologation si l’autre conclut dans le même sens. Le dépôt d’une conclusion concordante apparaissait alors comme nécessaire pour s’assurer d’une manifestation procédurale suffisante, afin d’être certain que celui qui n’a pas pris l’initiative de l’homologation ne s’est pas totalement désintéressé de la question. Le présent arrêt confirme que la concordance est aussi et surtout une condition substantielle : le consentement des parties doit perdurer après la signature de l’acte, jusqu’au jour où le juge statue (comme en matière de changement de régime matrimonial, v. Civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 09-11.218, Bull. civ. I, n° 97 ; D. 2010. 1087 ; ibid. 2011. 1107, obs. M. Douchy-Oudot ). L’homologation est donc « un véritable élément de formation de la convention » (Y. Puyo, Étude comparative des conventions de divorce, Dr. fam. 2015. Étude 19, spéc. n° 6).

Il en résulte un véritable droit de changer d’avis et une préservation renforcée des intérêts des ex-époux. On ne peut s’empêcher d’y voir aussi une méfiance à l’égard du règlement conventionnel des effets du divorce, au risque d’obliger les parties et le juge à tout reprendre à zéro. Où l’on voit aussi que, pour assurer l’équilibre du contenu conventionnel, le consentement des parties, les conseils des avocats et l’intervention du notaire ne suffisent pas : le juge a le dernier mot et il est parfois impossible de faire entrer une situation contentieuse dans le moule de la matière gracieuse. L’article 268 du code civil est bien un « garde-fou contre le “tout conventionnel” en matière de divorce », d’autant plus nécessaire que « le droit de la famille est, par nature, un droit de personnes inégales, fragiles, où la violence latente est réelle, ce qui impose de conserver un point d’équilibre entre liberté et contrôle judiciaire » (J. Casey, obs. préc.). À l’heure où le législateur accélère la déjudiciarisation, la Cour de cassation utilise le frein moteur.

image

La directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, prévoit que le « producteur est responsable du dommage causé par le défaut de son produit » (art. 1) et précise qu’un « produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment a) de la présentation du produit ; b) de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu » (art. 6).

Cette directive, entrée en vigueur le 30 juillet 1985, a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (C. civ., art. 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17).

Le dispositif mis en place transcende la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle et s’impose, de la même façon, aux juges judiciaire et administratif. Il s’agit d’une responsabilité objective qui ne repose pas sur la faute mais sur le défaut du produit. Elle incombe au fabricant du produit ou à l’importateur et, subsidiairement, au fournisseur s’il n’indique pas l’identité du producteur ou si ce dernier est introuvable (C. civ., art. 1245-5 et 1245-6).

La victime peut agir directement contre le producteur, sans qu’elle ait besoin de passer par une hypothétique chaîne de contrats ni besoin de démontrer une faute de celui-ci. En revanche, elle est tenue de prouver l’existence d’un dommage causé par un produit, le défaut dudit produit et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage (C. civ., art. 1245-8). Par facilité pour la victime, les présomptions sont admises, à la condition qu’elles soient graves, précises et concordantes.

Néanmoins, le législateur a prévu un certain nombre de causes d’exonération au bénéfice du producteur. À ce titre, l’article 1386-13, devenu 1245-12 du code civil précise que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ».

L’article 1245-12 du code civil n’a pas été repris par le projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017. Il n’est fait aucune référence à la faute exonératoire de la victime. Toutefois, il est précisé que l’article 1254 – qui, en droit commun, limite cet effet exonératoire en cas de dommage corporel à la faute lourde – n’est pas applicable en la matière.

C’est précisément sur l’effet exonératoire de la faute de la victime sur la responsabilité du producteur qu’était invitée à se prononcer la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021.

Le 26 février 2012, un incendie a détruit la maison d’habitation d’un couple de propriétaires. Par acte du 31 décembre 2014, après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert judiciaire pour déterminer les causes du sinistre, les victimes de l’incendie et leur assureur ont assigné en responsabilité et en indemnisation la société ERDF, devenue la société Enedis. Cette dernière a été déclarée responsable de cet incendie sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Pour autant, la réparation accordée aux victimes n’a pas été intégrale dans la mesure où les juges du fond ont retenu une faute de leur part qui aurait contribué au dommage. Les propriétaires avaient installé un « réenclencheur » dans les locaux sinistrés, ce qui aurait aggravé le sinistre sans pour autant qu’il soit à l’origine de l’incendie.

Les victimes se sont pourvues en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu une faute de leur part qui limitait la responsabilité du producteur à 60 % des dommages alors « qu’une circonstance ayant pu aggraver un dommage à la faveur d’un incendie n’en constitue pas pour autant la cause, seul l’événement ayant déclenché l’incendie étant à l’origine première et déterminante des entiers dommages ». Les juges du fond auraient violé l’article 1245-12 du Code civil.

Le pourvoi interroge alors la faute exonératoire de la victime en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Il invite concrètement à se prononcer sur l’appréciation du lien de causalité entre cette faute et la survenance du dommage.

Au visa de l’article 1386-13, devenu 1245-12 du Code civil, la deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel.

Elle rappelle que, selon ce texte, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime. En matière de responsabilité du fait des produits défectueux, l’incidence de la faute de la victime sur l’étendue du droit à réparation est la même qu’en droit commun de la responsabilité. Si la faute a contribué à la réalisation du dommage, la victime doit supporter une partie de ce dommage. 

Pour réduire la responsabilité de la société Enedis à hauteur de 60 % du dommage, après avoir retenu que l’élément déclencheur de l’incendie était une surtension survenue sur le réseau électrique imputable à celle-ci, l’arrêt d’appel relève, en se fondant sur le rapport d’expertise, que le couple propriétaire a commis une faute en faisant installer sur son réseau privatif un réenclencheur ne répondant pas aux normes et considéré comme dangereux, dont la présence a été un facteur « aggravant » du sinistre.

En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la faute imputée aux propriétaires de l’habitation n’avait pas causé le dommage et l’avait seulement aggravé, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Autrement dit, selon la Cour de cassation, la faute de la victime n’a d’incidence sur le droit à réparation que si elle a contribué effectivement à causer le dommage, qu’elle a participé à sa survenance. Dans le cas où elle a aggravé le dommage une fois celui-ci survenu par le biais d’une autre cause, en l’occurrence un produit défectueux, elle est indifférente.

En l’espèce, une surtension survenue sur le réseau électrique a rendu l’électricité impropre à son utilisation normale. L’électricité livrée par la société Enedis était donc défectueuse.

Le dommage dont les demandeurs sollicitent la réparation a été intégralement causé par l’incendie de l’immeuble qu’ils occupaient. C’est donc la défectuosité de l’« électricité » livrée par la société Enedis qui est à l’origine de l’incendie puisque, sans elle, il n’y aurait pas eu d’incendie.

La faute imputée aux victimes, consistant en l’installation d’un dispositif non conforme sur le réseau privé, n’a pas été à l’origine de l’incendie. Sans elle, l’incendie se serait produit de la même façon. Elle a simplement aggravé ses conséquences a posteriori, ce qui ne serait pas arrivé sans le problème d’électricité initial. Il y a bien une faute de la victime mais dépourvue de lien de causalité avec la survenance du dommage. 

Contrairement à l’avis des juges d’appel, un rôle aggravant n’est pas un rôle causal pour la Cour de cassation. 

La question est intéressante notamment parce qu’elle invite à se replonger dans les affres de la causalité (P. Esmein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. Chron. 805). L’appréciation du lien causal entre la faute de la victime et la réalisation du dommage est une question complexe, comme toute question en matière de causalité.

On le sait, deux théories causalistes, lesquelles n’ont pas manqué d’animer la doctrine, sont appliquées par le juge judiciaire et le juge administratif sans qu’aucune n’ait été érigée en principe : l’équivalence des conditions et la causalité adéquate.

L’équivalence des conditions invite à retenir toute cause à l’origine de l’intégralité du dommage. Tous les événements sans lesquels le dommage ne se serait pas produit sont considérés comme en étant la cause. Le juge ne hiérarchise pas les événements.

Au contraire, la théorie de la causalité adéquate implique l’identification de la cause qui a provoqué le dommage parce qu’elle le portait normalement en elle. Il s’agit là de ne retenir que la ou les causes efficientes du dommage. Le juge doit donc opérer un tri plus important que lorsqu’il est fait application de la théorie de l’équivalence des conditions.

Quelle que soit la théorie appliquée, qu’il est d’ailleurs difficile d’identifier expressément dans les décisions judiciaires, le rapport de causalité doit être certain et direct. Les juges du fond disposent d’un grand pouvoir d’appréciation, notamment en matière de preuves. Cependant, en tant que notion juridique, le lien de causalité est soumis au contrôle de la Cour de cassation (Civ. 2e, 16 déc. 1970, n° 69-13.893, Bull. civ. II, n° 348 ; 9 juill. 1997, n° 95-20.799).

La faute de la victime, pour être une cause d’exonération, doit être une véritable faute et non un simple fait et doit être rattachée au dommage par un lien de causalité. Autrement dit, même si la victime n’engage pas sa responsabilité envers elle-même, il incombe tout de même au défendeur de prouver les conditions classiques de la responsabilité pour faute pour obtenir une exonération partielle ou totale (sur la faute de la victime et ses conséquences sur le droit à réparation v. J. Moreau, L’influence de la situation et du comportement de la victime sur la responsabilité administrative, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1957 ; C. Lapoyade-Deschamps, La responsabilité de la victime, thèse, Bordeaux, 1977 ; A. Dumery, La faute de la victime en droit de la responsabilité civile, préf. R. Bout, L’Harmattan, coll. « Droit, Société et Risque », 2011 ; J. Fossereau, L’incidence de la faute de la victime, RTD civ. 1963. 7 ; F. Chabas, Fait ou faute de la victime ?, D. 1973. Chron. 207 ; M. Eloi, C. de Jacobet de Nombel, M. Rayssac et J. Sourd, « La faute de la victime dans la responsabilité extra-contractuelle », in Mélanges C. Lapoyade-Deschamps, PU Bordeaux, 2003, p. 47).

En pratique, la faute de la victime est souvent constituée par la méconnaissance des mises en garde formulées par le producteur (Civ. 1re, 11 juin 2008, n° 08-17.313, RCA sept. 2009. Comm. 254) à condition qu’elle ait bien eu accès aux documents contenant les avertissements (Civ. 1re, 21 juin 2005, D. 2005. IR 1663). Toutefois, il arrive fréquemment que le caractère exonératoire ne soit pas retenu par le juge, soit que la faute de la victime ne soit pas caractérisée (Civ. 1re, 7 nov. 2006, n° 05-11.604, Bull. civ. I, n° 467 ; D. 2006. 2950 ; RDI 2007. 94, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 139, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 438, obs. B. Bouloc  ; 4 févr. 2015, n° 13-19.781, Bull. civ. I, n° 31 ; D. 2015. 375  ; 24 sept. 2009, n° 08-16.569), soit que le lien de causalité entre la faute et le dommage ne soit pas démontré (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, Dalloz actualité, 25 nov. 2020, obs. A. Hacene-Kebir ; D. 2020. 2064 ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet ; RTD civ. 2021. 155, obs. P. Jourdain ).

En l’espèce, il apparaît que, pour les juges d’appel, un simple rôle aggravant peut s’analyser en un véritable rôle causal puisque tout en constatant l’aggravation du dommage par la faute de la victime, ils ont retenu malgré tout, son caractère exonératoire au profit du producteur.

Pourtant, à bien y regarder, la position de la Cour de cassation semble nettement plus conforme aux règles en la matière. Elle s’inscrit dans le sens des dispositions de l’article 1245-12 du code civil qui imposent, pour que le caractère exonératoire de la faute de la victime puisse être retenu, une conception plutôt stricte du lien de causalité entre cette faute et le dommage.

Cette exigence se retrouve dans les finalités de la directive du 25 juillet 1985 dont l’objectif est de renforcer la protection des victimes de ces produits au sein de l’Union européenne en mettant à la charge du producteur une responsabilité de plein droit détachée de l’idée de faute.

Cette conception stricte du lien de causalité se trouve également dans la rédaction même de l’article 1245-12 qui dispose explicitement que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ». L’adverbe « conjointement » renvoie à la simultanéité. En ce sens, la défectuosité du produit et la faute de la victime doivent avoir l’une comme l’autre provoqué le dommage. Ce qui signifie, en l’occurrence, que défectuosité et faute devraient être à l’origine de l’incendie.

Or les constatations de la cour d’appel établissent le contraire en ce que la défectuosité de l’électricité est la seule cause de l’incendie, dont la faute de la victime a seulement aggravé les conséquences. Même sans cette faute, le dommage se serait réalisé.

Il n’est donc pas établi que la faute de la victime a été la cause efficiente du dommage au même titre que la défectuosité du produit. Par conséquent, elle ne peut avoir d’effet exonératoire sur la responsabilité du producteur. 

Une partie de la doctrine regrette d’ailleurs l’introduction dans le dispositif du caractère exonératoire de la faute de la victime dont l’effet est le même qu’en droit commun malgré la spécificité du régime (v. J. Julien, « Causes exonératoires », in Droits de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021- 2022, n° 2144.111 ; P. Le Tourneau, Droits de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021-2022, n° 0112.14). Il y aurait là un paradoxe. Le maintien de l’effet exonératoire de la faute dans certains régimes de responsabilités objectives montre la difficulté à se détacher totalement de la faute et de la conception morale qui l’accompagne en droit de la réparation, en dépit du fort mouvement d’objectivation en la matière.

image

« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. » À la lecture de l’arrêt rapporté, il y a tout lieu de se demander si la Cour de cassation n’a pas souhaité trouver une illustration juridique à la triste plaisanterie d’Henri Queuille.

En l’espèce, deux propriétaires avaient confié en 2003 des travaux de réfection d’une terrasse à la société M3 construction. Des désordres étaient toutefois apparus en 2011, lesquels se manifestaient par un écoulement d’eau de ruissellement à partir de la terrasse sur les enduits inférieurs.

Les maîtres d’ouvrage ont alors contacté l’entreprise qui, au gré d’un protocole d’accord signé en 2011, a accepté de procéder aux travaux de reprise nécessaires à la réparation du désordre. Si l’entreprise s’est exécutée, les travaux qu’elle a réalisés n’ont toutefois pas suffi à résorber le problème. Les désordres sont réapparus à compter de 2014, obligeant les demandeurs à assigner l’entreprise en référé expertise.

Sur la foi du rapport déposé en 2015, les requérants ont logiquement assigné la société M3 construction par acte extrajudiciaire du 6 juin 2016 avant que cette dernière n’appelle à la cause la société AXA, son assureur.

Le tribunal d’instance, puis la cour d’appel de Toulouse ont condamné l’entreprise à réparation, considérant également que l’assureur lui devait sa garantie. Ce faisant, les juges du fond rejetaient la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action soulevée devant eux : certes, l’action en responsabilité contractuelle intentée contre l’entreprise et son assureur avait été introduite plus de dix années après la réception des travaux, mais le délai d’action avait été interrompu par la reconnaissance de responsabilité de l’entreprise intervenue en 2011, reconnaissance faisant naître un nouveau délai de même durée.

La Cour de cassation était donc interrogée sur une question inédite : la reconnaissance de responsabilité du débiteur est-elle de nature à interrompre le délai décennal de l’article 1792-4-3 du code civil ?

Les magistrats du quai de l’Horloge répondent par la négative, cela à la faveur d’une jurisprudence innovante dont les conséquences, plus ou moins certaines, pourraient néanmoins s’avérer importantes.

L’innovation

La Cour de cassation profite de cet arrêt pour prendre position sur un débat doctrinal bien connu : celui de la nature du délai décennal posé à l’article 1792-4-3 du code civil.

Il est aujourd’hui acquis que les garanties légales offertes au maître d’ouvrage constituent des délais de forclusion, qu’il s’agisse de la responsabilité décennale, de la garantie biennale ou de la garantie de parfait achèvement. Une telle qualification est également retenue s’agissant de la garantie des vices et défauts de conformité apparents dont est débiteur le vendeur en l’état futur d’achèvement. Toutefois, la Cour n’avait jamais encore été invitée à déterminer la nature du délai dans lequel sont enfermées les actions en responsabilité du maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs ou de leurs sous-traitants lorsque cette action ne relève pas des garanties légales, notamment en cas de mise en jeu de la responsabilité contractuelle du constructeur au titre de désordres dits « intermédiaires » (considérant que l’art. 1792-4-3 C. civ. n’est applicable qu’aux actions du maître d’ouvrage si bien que les recours entre constructeurs restent soumis au droit commun de l’art. 2224, v. Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915, Dalloz actualité, 10 févr. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 466 , note N. Rias ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau ).

Dès après l’adoption de la loi de 2008, deux thèses s’étaient opposées : certains devaient considérer que l’action en responsabilité contractuelle avant réception étant enfermée dans le délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, il n’était pas de raison valable que le délai applicable à l’action en responsabilité contractuelle post-réception soit qualifié de délai de forclusion. À l’inverse, d’autres ne manquaient pas de relever que l’article 1792-4-3 du même code a été inséré à l’occasion de la réforme de 2008 pour aligner le régime de cette action sur celui de la garantie décennale… or, une telle garantie étant enfermée dans un délai de forclusion, il y avait lieu de considérer une telle qualification comme évidente.

Entre ces deux thèses, la Cour de cassation opère donc un choix assumé, « en alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d’épreuve (Civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-22.376 P, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. C. Dreveau ; D. 2020. 2290 ; RDI 2021. 164, obs. M. Faure-Abbad ), le législateur a entendu harmoniser ces deux régimes de responsabilité. Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion ».

Au-delà de ce choix dont il faudra, plus tard, apprécier l’opportunité, on relèvera la tristesse de constater qu’après des siècles de rationalisation et de simplification, il existe encore des distinctions juridiques auxquelles nul n’est en mesure d’apporter la moindre justification. La motivation de la Cour de cassation, fondée sur une analogie de circonstance, témoigne de l’absence de consistance de cette distinction maintes fois décriée entre les délais de prescription, d’une part, et les délais de forclusion, d’autre part. Le débat est ancien. Tout a sans doute déjà été dit. La prescription et la forclusion ne sont pas deux notions distinctes justifiant l’application de régimes juridiques différenciés, mais bien plutôt deux alibis permettant au législateur ou au juge de choisir de manière discrétionnaire un régime de computation des délais plus ou moins rigoureux.

Le rapport Catala avait préconisé, par principe, la suppression de cette distinction. On sait ce qu’il est advenu de cette proposition : le législateur a fait tout l’inverse, gravant dans le marbre de l’article 2220 du code civil une distinction pourtant contre-intuitive.

La Cour de cassation avait donc ici les coudées franches pour qualifier le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre le constructeur. C’est chose faite : il s’agit d’un délai de forclusion. Il reste à apprécier les conséquences de cette qualification.

Les implications

La qualification retenue par la Cour de cassation emporte une conséquence immédiate dont, ici, les maîtres d’ouvrage subiront de plein fouet les conséquences : l’absence de suspension et d’interruption du délai. Mais au-delà, cette qualification pourrait également emporter d’autres effets, plus latents, plus profonds et, ce faisant, plus dévastateurs.

Les conséquences immédiates

La conséquence immédiate de la qualification retenue pas la Cour de cassation est bien connue : le délai de l’article 1792-4-3 du code civil échappe à toutes les causes de report du point de départ, de suspension ou d’interruption du délai de prescription posées aux articles 2233 à 2246 du même code.

En effet, les règles régissant la suspension et l’interruption sont prescrites par les dispositions du titre XX du code civil, dispositions qui, « sauf dispositions contraires prévues par la loi », ne régissent pas les délais de forclusion (C. civ., art. 2220).

Dans l’affaire en cause, les demandeurs font directement les frais de cette nouvelle qualification : si le protocole d’accord signé en 2011 constitue une reconnaissance de responsabilité de la part du débiteur, il reste que cette reconnaissance est insusceptible d’interrompre le délai de forclusion décennal applicable à l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre l’entreprise. En agissant pour la première fois en justice en 2014, alors que la réception des travaux datait de 2003, les maîtres d’ouvrage ont fait preuve d’une inertie dont ils doivent payer les conséquences.

Une autre illustration des conséquences de cette qualification peut être avancée : en cas de référé expertise, l’assignation aura un effet interruptif du délai de forclusion. Toutefois, un nouveau délai recommencera à courir à compter de l’ordonnance désignant l’expert sans que ce délai soit suspendu durant les opérations d’expertise. Les avocats n’oublieront donc pas d’assigner au fond et de demander le sursis à statuer, les diligences accomplies dans le cadre de l’expertise ordonnée en référé n’étant pas de nature à interrompre le délai de péremption de l’instance au fond (Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 18-14.223, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 823 ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2020. 460, obs. N. Cayrol ). Certes, la durée du délai devrait généralement éviter toute mauvaise surprise, mais il arrive aussi, parfois, que l’expertise s’éternise…

Les interrogations légitimes

Si l’arrêt commenté témoigne d’une rigueur juridique incritiquable, il reste que la solution posée n’est pas sans inconvénient.

On remarquera, par exemple, que la méconnaissance de tout effet interruptif à une reconnaissance de responsabilité est de nature à inciter naturellement au contentieux. En effet, le maître d’ouvrage dont le délai d’action arrive à échéance se gardera d’accepter une reprise volontaire de l’entreprise et préservera ses droits en assignant cette dernière en référé expertise, quitte à « protocoler » durant ou après l’achèvement de la mission de l’expert.

Cette situation est aussi paradoxale qu’elle est symptomatique d’un droit désincarné, attaché à la rigueur textuelle plutôt qu’au sentiment de justice.

La justice, justement, ne serait-elle pas d’accorder le bénéfice d’agir à celui qui, attachant une certaine valeur à l’engagement pris par son débiteur, ne croit pas nécessaire d’agir contre lui en justice pour préserver ses droits ?

D’ailleurs, indépendamment de savoir si l’entreprise a reconnu sa responsabilité et, ce faisant, interrompu le délai d’action courant contre elle, l’engagement de réparer qu’elle a formalisé par la rédaction du protocole ne devrait-il pas donner lieu à exécution forcée dans les conditions du droit commun ?

On sait que la Cour de cassation a succombé à l’argument, mais dans un arrêt de 2003 (Civ. 3e, 29 oct. 2003, n° 00-21.597, D. 2003. 2802 ; RDI 2004. 57, obs. P. Dessuet ) antérieur à la réforme de la prescription.

Mais les juridictions du fond sont encore séduites par l’argument, quand bien même pourrait-il venir contrarier la volonté du législateur de 2008 de mettre fin à toute interversion des prescriptions (pour une illustration postérieure à la réforme, v. Paris, pôle 4, ch. 6, 2 juin 2017, n° 15/18711).

Sans doute est-ce là une marque de la justice quotidienne qui, au-delà de la rigueur des textes, cherche toujours à rappeler qu’en droit, les promesses doivent engager aussi ceux qui les formulent.

Il résulte l’article 930-1 du code de procédure civile que, si, dans la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique, l’irrecevabilité sanctionnant cette obligation est écartée lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, l’acte étant en ce cas remis au greffe sur support papier. Viole le texte la cour d’appel qui refuse d’admettre l’existence d’une cause étrangère alors qu’elle a constaté l’intervention d’un informaticien pendant trois jours au cabinet de l’avocat.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

Rares sont les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme en matière d’arbitrage. Ainsi, lorsqu’elles sont susceptibles de bouleverser le recours en annulation, notamment en remettant en question l’exception de notoriété en matière d’obligation de révélation, c’est avec un immense intérêt que l’on y prête attention. 

en lire plus

Auteur d'origine: jjourdan
image

Après une période « foisonnante » en matière de communication par voie électronique (CPVE), la jurisprudence est plus calme, mais pas inexistante – ainsi qu’en atteste l’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la deuxième chambre civile. Sans être révolutionnaire – il n’est d’ailleurs destiné qu’à une « modeste » diffusion –, il contribue à la construction jurisprudentielle relative à la cause étrangère : la panne (informatique) n’est pas seulement un « coup » ni le « coup de grâce » d’une procédure particulièrement longue est tortueuse… mais bien un obstacle à la CPVE (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, Droits interne et de l’Union européenne 2021/2022, 10e éd., S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 2020, nos 273 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, nov. 2018 [actu. déc. 2019] ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 485 s. ; M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2021).

C’est un bail à usage commercial qui est l’origine du litige et du procès, émaillé de pas moins de deux pourvois, deux cassations et deux renvois… C’est la saisine de la seconde cour d’appel de renvoi qui fait difficulté. Le bailleur a en effet remis sa déclaration de saisine sur support papier, le 22 mars 2018, en raison d’une cause étrangère.

La cour d’appel déclare cet acte irrecevable, faute que soit établie l’impossibilité, pour l’avocat du bailleur, d’avoir accès au réseau « professionnel » [privé] virtuel des avocats : en effet, « il n’est fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA, laquelle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères qu’il ne prétend pas même avoir sollicités ». Dans le même temps, la cour d’appel constate de la justification par l’avocat du bailleur, de l’intervention d’une société d’informatique « Xtronique Micro Sud » « durant trois jours, du 19 au 23 mars 2018, aux fins de rechercher la panne touchant son matériel informatique, laquelle rendait impossible la navigation sur internet et avait pour origine la défectuosité du câble RJ 11 de la Livebox ».

Le bailleur se pourvoit, invoquant la violation de l’article 930-1 du code de procédure civile par la cour d’appel, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme : bien qu’une cause étrangère faisant obstacle au dépôt de la déclaration d’appel par voie électronique indépendante de la volonté ou du fait du conseil de l’exposante ait été constatée, la cour d’appel n’a pas admis le retour au papier…

La Cour de cassation casse au visa du seul article 930-1 du code de procédure civile, en rappelant sa teneur (v. chapô). La cour d’appel a violé le texte en refusant d’admettre l’existence d’une cause étrangère alors qu’elle a constaté l’intervention d’un informaticien pendant trois jours au cabinet de l’avocat.

Dans notre arrêt, l’avocat du bailleur devait remettre sa déclaration de saisine par voie électronique. En effet, la Cour de cassation a estimé que certaines transmissions, non visées par l’arrêté technique du 30 mars 2011 – alors en vigueur –, pris pour l’application de l’article 930-1, dans la procédure d’appel lorsque la représentation est obligatoire, devaient être accomplies par voie électronique : il en est ainsi, justement, de la saisine de la cour par voie électronique en cas de renvoi après cassation (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n° 15-25.972 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2016, obs. C. Bléry ; D. 2016. 2523 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; D. avocats 2017. 28, obs. C. Lhermitte  ; 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP).

Notons qu’il en serait de même aujourd’hui avec l’arrêté du 20 mai 2020 (Dalloz actualité, 2 juin 2020), qui a abrogé l’arrêté de 2011 (ainsi que celui du 5 mai 2010 pour les procédures sans représentation obligatoire), a fortiori – le nouvel arrêté étant mieux rédigé et général.

Or l’avocat n’a pas fait usage du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), mais a remis au greffe sa déclaration sur support papier… remède à un dysfonctionnement qu’il invoquait : la cause étrangère.

Rappelons (v. Dalloz Action préc., n° 273.122 et les réf.) que la notion de cause étrangère en matière de communication par voie électronique a été créée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009. Ce décret l’a, d’une part, inséré à l’article 748-7 du code de procédure civile, qui a complété le régime général de la communication par voie électronique issu du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, d’autre part à l’article 930-1, pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel. Les deux envisagent un dysfonctionnement de la communication par voie électronique et un remède. Celui de l’article 748-7 est la prorogation du délai au premier jour ouvrable suivant. Celui de l’article 930-1 est le retour au papier : l’acte est remis sur un tel support ou, par permission du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, adressé par LRAR.

Remarquons au passage que l’article 850 du code de procédure civile, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, prévoit le même remède en procédure écrite ordinaire et à jour fixe devant les tribunaux judiciaires depuis le 1er janvier 2020 : la CPVE est obligatoire, sauf pour les requêtes de l’article 840 ; le texte fait d’ailleurs suite à l’article 796-1, II, issu du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, applicable du 1er septembre 2019 au 31 décembre 2019 devant les tribunaux de grande instance, lorsque la communication par voie électronique y est devenue obligatoire.

Rappelons aussi que, pour heureuse que soit la prévision de la cause étrangère, elle ne résout pas toutes les difficultés, car le code est muet sur le contenu de la notion (v. S. Grayot-Dirx, La cause étrangère et l’usage des nouvelles technologies dans le procès civil, Procédures 2013. Étude 2 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., nos 503 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès en appel, LexisNexis, 2020, nos 789 s.). La Cour de cassation a nécessairement eu à se prononcer sur la cause étrangère – ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas –, le plus souvent au visa de l’article 930-1, comme dans l’arrêt du 10 juin 2021 : ainsi, notamment :

• la deuxième chambre civile a jugé que le retard dans l’installation du raccordement du cabinet de l’avocat au RPVA, par la faute de e-barreau, est constitutif d’une telle cause (Civ. 2e, 15 mai 2014, n° 13-16.132 NP). De même, la territorialité dématérialisée technique du RPVA est une cause étrangère (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.698 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 73, obs. C. Bléry ; 6 sept. 2018, n° 17-18.728 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 75, obs. V. Orif) : actuellement, le RPVA permet seulement aux avocats du ressort d’une cour d’appel de remettre des actes par voie électronique à son greffe, de telle sorte qu’un avocat extérieur ne peut utiliser le RPVA pour ce faire alors même qu’il n’y a pas de territorialité de la postulation en matière prud’homale (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005 P, Dallloz actualité, 9 mai 2017, art. A. Portmann ; ibid. 10 mai 2017, obs. C. Bléry). Le « poids des fichiers » est également une cause étrangère (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864 P, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ) : comme « aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés », l’avocat peut remettre des actes trop lourds sur support papier…

• la même chambre a en revanche refusé – à juste titre – de voir dans la distraction de l’avocat une telle cause étrangère (Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-25.035 NP, Gaz. Pal. 8-10 mars 2015, p. 19, note C. Bléry : l’avocat avait bien préparé la déclaration d’appel mais ne l’a jamais envoyée, ce que révélait une page extraite du RPVA…). Il en est de même du défaut de raccordement, visiblement non sollicité (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 15-28.847 NP, Procédures 2017. Comm. 56, obs. H. Croze). Ne constituent pas non plus une cause étrangère des courriels du greffe concernant des procédures différentes, disant de recourir à la voie papier et alors que les plaideurs ne démontraient pas avoir tenté de saisir la cour d’appel par voie électronique (Civ. 2e, 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP, Gaz. Pal. 31 juill. 2020, p. 69, obs. C. Bléry) : ce qui est très sévère pour les avocats qui doivent suivre l’actualité « technique » des « tuyaux » au sein du ressort de leur cour d’appel. Ou encore, la simple omission d’une diligence n’est pas une cause étrangère (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-20.930 P, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. C. Bléry : D. 2018. 1919 ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; le défaut de restitution de la requête aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe par l’huissier instrumentaire n’est pas une telle cause permettant valablement à l’avocat de remettre l’assignation au greffe sur support papier sans les documents visés à l’article 920 du code de procédure civile, dans le cas d’un jour fixe imposé)…

L’arrêt du 10 juin 2021 vient donc fournir un nouvel exemple de cause étrangère. Il s’inscrit dans le courant plutôt bienveillant de la jurisprudence en matière de CPVE – ce dont on ne se plaindra évidemment pas ! Déjà en 2017, la deuxième chambre civile avait pris soin de distinguer la cause étrangère de la force majeure – cassant l’arrêt de la cour d’appel qui avait assimilé les deux notions – alors que, « si le pouvoir réglementaire avait voulu parler de force majeure, il n’aurait pas mentionné la cause étrangère, plus restrictive » (C. Bléry, notes préc. ; en ce sens, v. aussi, S. Grayot-Dirx, art. préc. n° 14 ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, n° 68). Pourtant, « la question pouvait se poser de savoir si l’impossibilité de remettre les conclusions par voie électronique était bien extérieure à l’avocat. La cour d’appel estimait que non puisqu’il aurait dû les scinder en plusieurs fichiers. La deuxième chambre civile a au contraire considéré que cette obligation ajoutait aux dispositions applicables à la CPVE » (C. Bléry, notes préc.).

Dans notre affaire, la question pouvait tout autant se poser : la panne informatique – récurrente – de l’avocat lui était-elle bien extérieure ? Il lui était impossible de « naviguer sur internet » et c’était le câble de sa Livebox qui s’était avéré défectueux. La cour d’appel précisait (v. moyen annexé) : « le 23 mars 2018, lorsque la panne a été levée aux premières heures de la matinée, il n’existait aucun obstacle à l’utilisation de son propre poste informatique pour assurer la communication électronique de la déclaration de saisine.

D’autre part, la crainte qu’il mentionne, et qui s’analyse comme une préoccupation, ne caractérise pas une impossibilité d’assurer la transmission par voie électronique de la déclaration de saisine.

En effet, il n’est pas établi qu’il a été dans l’impossibilité d’avoir accès au réseau professionnel virtuel des avocats, alors qu’il ne fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA laquelle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères qu’il ne prétend pas même avoir sollicités.

Dans ces conditions, il ne peut être retenu que la déclaration de saisine remise au greffe sur support papier le 22 mars 2018 par le conseil de la SCI Kalam l’a été pour une cause qui [leur] était étrangère ne permettant pas la transmission par voie électronique. »

Certes, « la panne » n’était pas totalement extérieure à l’avocat : celle-ci était au contraire due à un problème de matériel utilisé par l’avocat (le câble) et non à un dysfonctionnement des tuyaux du fournisseur internet (un tiers) – il est vrai que le câble ne lui était peut-être que prêté ou loué avec la box (selon son abonnement). La Cour de cassation retient cependant que l’avocat avait fait intervenir un informaticien pour rechercher les causes de l’impossibilité de se connecter à l’internet – informaticien qui a eu besoin de trois jours pour trouver la cause de la panne… Alors, certes, l’avocat aurait pu solliciter un confrère pendant la durée de la panne, celle-ci a peut-être été détectée tôt le dernier jour du délai (détectée mais pas forcément réparée par le remplacement du câble défectueux…). En toute rigueur, la cour d’appel n’avait pas tort, mais l’appréciation de la Cour de cassation nous semble plus appropriée : l’avocat n’est pas informaticien et, dès lors qu’il justifie de difficultés techniques réelles et prouvées, il ne doit pas être soumis à des exigences excessives.

Cependant, il faut une nouvelle fois (Dalloz actualité, 31 août 2020 ; ibid. 27 nov. 2020, obs. C. Bléry) conclure de manière mitigée et appelant à la prudence : il est permis de se réjouir de la souplesse de la Cour de cassation ou de sa tolérance envers certains « péchés véniels » dans certains arrêts ; « l’ennui est que toute la construction de la Cour de cassation relative à la CPVE est loin d’être aussi tolérante et que les avocats ont toujours au-dessus de leur tête une sorte d’épée de Damoclès […] : la Cour de cassation sera-t-elle tolérante ou pas ? » (Dallloz actualité, 27 nov. 2020, préc.). En matière de cause étrangère, la Cour de cassation semble plus tolérante que les cours d’appel – les arrêts du 16 novembre 2017 et celui du 10 juin 2021 en attestent. Ce dernier, en particulier, rassure : la crainte était que, « dès lors que la communication électronique semble maîtrisée et stabilisée, les exigences quant à la démonstration de la cause étrangère [puissent] s’avérer plus strictes » (P. Gerbay et N. Gerbay, op. cit., nos 800) ; la crainte semble sans fondement. Il appartient toutefois à l’avocat de bien justifier le retour au papier s’il estime être confronté à une cause étrangère : la panne informatique ou de l’internet sera alors jugée extérieure à lui… En outre, et de manière générale, « l’avocat doit se prémunir contre les risques normaux susceptibles d’affecter la communication électronique » (J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 504) : on aurait pu dire que l’avocat doit se conduire en « bon père de famille » en matière de CPVE (ente autres).