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Inefficacité d’un privilège sur un bien commun et responsabilité notariale

Inefficacité d’un privilège sur un bien commun et responsabilité notariale

Le droit des sûretés et le droit des régimes matrimoniaux entretiennent des liens qui ne sont pas toujours aisés à appréhender, y compris pour les notaires qui, pourtant, sont tenus de maîtriser ces interactions. Tenant compte du risque que représente la constitution de sûretés pour le patrimoine des époux, le législateur a posé deux types de règles protectrices dans le régime de la communauté réduite aux acquêts. S’agissant des sûretés personnelles, la protection légale prend la forme d’une restriction du droit de gage général du créancier posée par l’article 1415 du code civil. Celui qui fait souscrire un cautionnement à un époux sans l’accord du conjoint ne peut exercer ses poursuites sur les biens communs. C’est donc sur le terrain du passif provisoire qu’intervient le législateur pour limiter l’étendue du droit de poursuite du créancier. S’agissant des sûretés réelles, la protection, qui ne couvre pas l’intégralité des sûretés, prend la forme d’une restriction des pouvoirs des époux. La loi impose ainsi, à peine de nullité de la sûreté, que les deux époux consentent à la constitution d’une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui (C. civ., art. 1422, al. 2), au transfert d’un bien commun dans un patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 1424, al. 2), ou encore à la constitution de droits réels tels qu’une sûreté sur certains biens communs spécifiquement visés par l’article 1424, alinéa 1er, du code civil (immeubles, droits sociaux non négociables, fonds de commerce…). Seules échappent finalement à ce dispositif protecteur les sûretés réelles portant sur un bien meuble non visé par l’article 1424 et consenties pour garantir la dette de l’un ou l’autre des époux. Dans ce dispositif, quelle est la place faite aux sûretés réelles légales, tels les privilèges assortissant une créance ?

L’arrêt rendu le 5 mai 2021 a donné à la Cour de cassation l’occasion de se prononcer sur cette question. Dans cette affaire, une femme mariée sous le régime légal avait souscrit un emprunt pour l’acquisition d’un immeuble destiné à entrer en communauté. L’emprunt était garanti par un privilège de prêteur de deniers inscrit sur le bien acquis. Toutefois, l’emprunt ayant été souscrit sans le consentement du conjoint de l’emprunteuse, le créancier ne pouvait exercer ses poursuites sur les biens communs. Par l’effet de l’article 1415 du code civil, les biens communs, en ce compris l’immeuble acquis et grevé du privilège, échappaient au droit de gage général du prêteur. C’est la raison pour laquelle le commandement de payer valant saisie immobilière du bien grevé, délivré par le créancier impayé, a été annulé. Le créancier a alors actionné le notaire en responsabilité. Il a obtenu gain de cause devant les juges du fond, qui ont condamné la SCP notariale à indemniser le créancier. Le notaire s’est pourvu en cassation en arguant de la source légale de la sûreté pour faire valoir son efficacité : « le créancier, titulaire d’un privilège de prêteur de deniers constitué de plein droit et par le seul effet de la loi sur le bien qu’il a financé, peut saisir le bien ainsi grevé même s’il est entré en communauté et si l’emprunt a été souscrit par un seul des époux sans le consentement de son conjoint ».

La question posée à la Cour de cassation était donc celle de savoir si la sûreté légale que constitue le privilège de prêteur de deniers peut s’exercer sur un bien qui échappe au droit de gage général du créancier. La Haute juridiction y apporte une réponse négative. Pour ce faire, elle commence par rappeler les conditions du privilège de prêteur de deniers reconnu par l’article 2374, 2°, du code civil : le prêt doit avoir été consenti en vue de l’acquisition de l’immeuble sur lequel porte le privilège ; l’acte de prêt doit avoir été constitué par acte authentique et contenir une double déclaration concernant la destination et l’utilisation des sommes. La Cour de cassation reprend ensuite les règles fixant l’étendue du droit de gage des créanciers d’une personne mariée : par principe, les créanciers d’un seul époux peuvent exercer les poursuites sur les biens communs par application de l’article 1413 du code civil ; par exception, l’article 1415 du code civil prévoit que les cautionnements et les emprunts doivent avoir été conclus avec l’accord des deux époux pour que les biens communs puissent être poursuivis.

L’articulation de ces textes n’est pas évidente, puisqu’il s’agit de combiner le principe selon lequel la créance du prêteur est privilégiée par l’effet de la loi et celui selon lequel l’étendue des droits du prêteur dépend de l’accord donné par le conjoint de l’emprunteur. Reprenant à son compte les affirmations de la cour d’appel, la Cour de cassation déduit de ces différents textes que « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas inefficace, la mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l’emprunt. » La formule est curieuse, en ce qu’elle distingue l’efficacité de l’acte de prêt et la mise en œuvre du privilège.

L’efficacité de l’acte de prêt renvoie-t-elle à la validité du contrat de prêt ? La formule rappellerait alors que la souscription d’un tel contrat n’est pas soumise à une règle de gestion imposant un commun accord à peine de nullité, mais à une règle de passif limitant l’étendue des droits du créancier. Autrement dit, en affirmant que « l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas inefficace », la cour a-t-elle seulement voulu rappeler qu’un époux peut valablement souscrire seul un contrat de prêt sans l’accord de son conjoint ? Ou bien vise-t-elle l’existence du privilège, à travers l’idée d’efficacité de l’acte de prêt ? Elle pourrait alors avoir considéré que le privilège existe bel et bien, parce qu’il naît avec la créance du prêteur, même si le contrat est souscrit par un seul époux. En tant que sûreté légale, il n’a pas besoin de l’accord des deux époux pour être créé, fût-ce sur un bien commun ; il doit seulement de répondre aux conditions posées par l’article 2374, 2°, du code civil pour être attaché à la créance du prêteur.

La référence à l’efficacité de l’acte de prêt est d’autant plus maladroite qu’au paragraphe suivant, la cour de cassation relève que « la SCP avait manqué à son obligation d’assurer l’efficacité de l’acte auquel elle avait prêté son concours ». Il y a donc une certaine contradiction à affirmer, d’abord, que l’acte de prêt n’était pas inefficace et, ensuite, que le notaire n’avait pas assuré l’efficacité de l’acte. En réalité, l’acte était valable, mais inefficace. La Cour de cassation aurait pu retenir l’une ou l’autre des deux formulations suivantes pour sa première proposition : « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas nul » ; « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté donne naissance à un privilège de prêteur de deniers ». En somme, l’acte de prêt souscrit par un seul époux est valable et fait naître au profit du prêteur une créance qui pourra être assortie d’un privilège si les conditions légales sont remplies. La validité de l’acte instrumenté par le notaire n’est donc pas en cause. Le consentement du conjoint de l’emprunteur n’était nécessaire ni pour la validité du contrat de prêt ni pour la validité du privilège de prêteur de deniers. C’est d’ailleurs ce qui ressort des motifs de la cour d’appel, qui avait retenu que « l’acte de prêt n’est pas inefficace dans la mesure où il institue bien une créance du prêteur contre la communauté » et que « le privilège de prêteur de deniers est un privilège légal, qui ne nécessite donc aucun accord (ni celui de l’emprunteur, ni celui de son conjoint) et que (…) dès lors que les conditions en sont remplies, le prêteur dispose de ladite sûreté ».

Toutefois, de jurisprudence constante, le notaire est tenu d’assurer non seulement la validité, mais aussi l’efficacité des actes qu’il instrumente (v. par ex., Civ. 1re, 8 janv. 2009, n° 07-18.780, D. 2009. 228 image ; AJDI 2009. 223 image ; 29 juin 2016, n° 15-17.591, D. 2016. 1498 image ; AJDI 2017. 134 image, obs. J.-P. Borel image ; 3 mai 2018, n° 16-21.872, AJDI 2018. 544 image ; 14 nov. 2018, n° 17-22.069, AJDI 2019. 465 image, obs. J.-P. Borel image ; 11 mars 2020, n° 18-26.407, AJDI 2020. 775 image, obs. J.-P. Borel image). Or, ici, c’est bien l’efficacité de l’acte de prêt qui posait difficulté. En effet, il ressort de la décision que, malgré sa validité, le privilège ne peut pas être mis en œuvre si le conjoint de l’emprunteur n’a pas consenti à l’acte de prêt : « la mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l’emprunt ». Cette solution est la conséquence directe de l’application de l’article 1415 du code civil. Le privilège porte sur un bien commun qui échappe au droit de gage général du créancier parce que le prêt a été conclu du consentement d’un seul époux. Bien entendu, la solution aurait été différente si le bien acquis était resté dans la masse propre de l’emprunteur, puisque le prêteur aurait alors pu exercer ses poursuites sur le bien. C’est pourquoi la Cour de cassation prend le soin de relever que « le notaire savait que les époux étaient commun en biens et que l’achat était fait pour la communauté », de sorte qu’il aurait dû assurer l’efficacité du privilège en recueillant l’accord du conjoint. À défaut de cet accord, même si le privilège existe bel et bien parce qu’il accompagne une créance valable, il ne peut pas être « mis en œuvre », faute pour le créancier de pouvoir exercer ses poursuites sur ledit bien.

Cette notion de « mise en œuvre » aurait mérité d’être précisée. En effet, la solution manque de clarté sur la question du lien qui existe entre le privilège et le droit de gage général du créancier. L’article 2324 du code civil définit le privilège comme « un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d’être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires ». Où l’on comprend que le privilège confère un droit de préférence qui assortit une créance et qui permet au créancier de bénéficier d’une priorité sur la distribution du prix de vente du bien grevé. Pour que ce droit de préférence puisse être « mis en œuvre », c’est-à-dire invoqué lors de la procédure de distribution, encore faut-il que l’immeuble puisse être saisi par le créancier privilégié.

Toute la question est alors de savoir si le droit de poursuite du créancier privilégié se fonde sur le privilège lui-même ou sur le droit de gage général du créancier. Le privilège confère-t-il au créancier un droit de saisir le bien grevé afin d’être préféré aux autres créanciers sur la distribution du prix ? Ou confère-t-il seulement un droit de préférence qui s’adosse au droit de gage général du créancier et au pouvoir de saisie que le créancier détient en qualité de chirographaire ? La solution apportée par le présent arrêt tranche en faveur de la seconde réponse : le privilège apparaît subordonné à l’exercice, par le créancier, de son droit de gage général. Il n’offre qu’un droit de préférence qui, pour s’exercer, doit se combiner avec les prérogatives que détient le créancier en qualité de chirographaire. C’est la raison pour laquelle le privilège ne peut pas être mis en œuvre lorsque le bien sur lequel il porte échappe au droit de gage général du créancier. C’est également ce qui ressort de l’arrêt de la cour d’appel, qui avait retenu que la mise en œuvre du privilège « reste subordonnée à l’exercice préalable d’une poursuite en recouvrement forcé qui seule, permettra ensuite au prêteur de disposer des attributs de son privilège, à savoir, un droit de préférence sur le paiement en cas de vente et également un droit de suite ; que si ce recouvrement forcé peut notamment s’exercer avec la délivrance préalable d’un commandement de saisie immobilière, cette mesure reste soumise aux dispositions de portée générale de l’article 1415 du code civil sus-cité lequel régit la question de l’obligation à la dette et définit les patrimoines susceptibles d’être poursuivis par le prêteur, sans distinction ou limitation quant à la sûreté à l’origine de la poursuite ; qu’il s’en suit qu’elle ne peut porter sur le bien commun lorsque le consentement du conjoint n’a pas été requis pour le prêt souscrit ».

Il faut toutefois nuancer cette solution liant l’efficacité du privilège à l’étendue du droit de gage général du créancier, à la lumière de deux cas de figure que la présente affaire n’offrait pas d’envisager.

En premier lieu, qu’adviendrait-il du privilège si l’immeuble était saisi par un autre créancier ? Le prêteur de deniers pourrait-il faire valoir son privilège lors de la procédure de distribution alors même qu’il n’avait pas le droit de poursuivre lui-même le bien ? Une réponse positive semble devoir être apportée à cette interrogation. Le privilège a pu valablement naître du contrat de prêt. Sa mise en œuvre est seulement neutralisée par l’impossibilité du créancier de déclencher les poursuites contre l’immeuble qui échappe à son droit de gage général. Si, toutefois, des poursuites étaient déclenchées sur une autre initiative que la sienne, il n’y aurait aucune raison de faire obstacle à l’invocation de son privilège lors de la procédure de distribution. Le privilège n’est donc tributaire du droit de gage général du créancier que dans la mesure où ce droit de gage permet de déclencher la saisie au cours de laquelle le privilège a vocation à être invoqué. Si la saisie est déclenchée par ailleurs, le droit de préférence, valablement né par l’effet de la loi, doit pouvoir être invoqué par son titulaire. Cela revient à considérer que le privilège n’est pas systématiquement dépendant du droit de gage général du créancier ; il existe indépendamment de ce droit de gage et peut donc être exercé sur un bien qui lui échappe.

En second lieu, le privilège pourra-t-il être exercé si le bien grevé est revendu par les époux et change ainsi de patrimoine ? Dans cette hypothèse, le bien échappe tout autant au droit de gage général du créancier que lorsqu’il figure dans la masse commune des époux. Pourtant, le droit de suite que l’article 2461 du code civil confère au créancier privilégié comme au créancier hypothécaire permet de suivre le bien en quelques mains qu’il passe. Cela implique la possibilité non seulement de faire valoir un droit de préférence sur le prix de vente du bien, mais aussi d’engager des poursuites sur ce bien, lors même qu’il se trouve dans le patrimoine d’un tiers. Faut-il alors considérer que le droit de diligenter des voies d’exécution est une prérogative attachée au droit de suite, mais non au droit de préférence ?

Ces différentes hypothèses invitent à nuancer la portée de la décision rendue par la Cour de cassation. Le consentement du conjoint de l’emprunteur à l’acte de prêt n’est pas toujours nécessaire pour la « mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers ». Il n’est requis que pour permettre au prêteur de procéder à une saisie de l’immeuble se trouvant encore dans le patrimoine des époux. En revanche, le privilège devrait pouvoir être invoqué à l’occasion d’une saisie immobilière diligentée par un autre créancier, même si le conjoint de l’emprunteur n’a pas consenti à l’emprunt. De même, il devrait permettre au prêteur de poursuivre le bien entre les mains d’un tiers acquéreur, sans que sa mise en œuvre ne soit subordonnée au consentement du conjoint à l’emprunt. Autrement dit, l’absence de consentement du conjoint à l’emprunt ne rendra pas le privilège inefficace en toutes circonstances. Pour autant, il revient au notaire de s’assurer de ce consentement afin de garantir l’efficacité du privilège en toute hypothèse.

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Invité
jeudi 28 mars 2024

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