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Intérim et plateforme numérique de mise en relation : les enjeux des nouvelles formes d’intermédiation

Intérim et plateforme numérique de mise en relation : les enjeux des nouvelles formes d’intermédiation

Notre décennie aura été marquée par de profondes mutations technologiques, revitalisant un débat centenaire sur le progrès technique, ses enjeux et ses écueils. Le droit du travail n’aura pas échappé à ces transformations et fait aujourd’hui partie des nombreux secteurs concernés par la révolution numérique. Pour le plus grand plaisir des optimistes. Au grand regret des plus réticents. Cette métamorphose exponentielle crée de nouvelles perspectives et bouleverse le cadre préétabli, obligeant par là même le législateur à une réaction souvent attendue, parfois controversée.

Le développement des nouvelles technologies d’information et de communication a contribué à l’émergence des plateformes numériques, dont certaines ont progressivement acquis un statut d’intermédiaire sur le marché des biens et des services, mais également sur le marché de l’emploi. Pour preuve, certaines plateformes ont pour objet de mettre en relation des entreprises utilisatrices et des personnes ayant le statut d’auto-entrepreneur pour des missions de courte durée dans des secteurs variés (pour l’exemple des plateformes en ligne d’enseignement de la conduite, CAA Lyon, 1er oct. 2020, n° 19LY00254). Cette pratique n’est pas sans poser quelques difficultés si l’on admet que la mise à disposition de travailleurs est classiquement l’apanage des entreprises de travail temporaire. Témoignage des questionnements générés, un arrêt du 12 novembre 2020 a récemment confronté ces deux modèles d’intermédiation.

En l’espèce, une société de travail temporaire spécialisée dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration (Staffmatch) avait saisi le tribunal de commerce de Créteil d’une demande en référé afin de faire reconnaître l’existence d’un trouble manifestement illicite dès lors que l’un de ses concurrents (Brigad) avait prétendument manqué à la réglementation relative au travail temporaire et fausser le jeu de la concurrence. Cette demande est rejetée faute de violation manifeste d’une règle de droit (T. com. Créteil, ord. réf., 13 mars 2018, Sté Staffmatch France c/ Sté Brigad). Dans un arrêt u 15 novembre 2018 (Paris, 15 nov. 2018, n° 18/06296), la cour d’appel de Paris rappelait l’existence d’une présomption de non-salariat pour les travailleurs indépendants ayant recours à une plateforme numérique et estimait qu’aucun élément manifeste ne permettait de faire tomber cette présomption. Dès lors que la société Brigad exerçait de façon licite une activité d’exploitation de plateforme numérique légalement reconnue, il n’y avait pas lieu de retenir l’existence d’un trouble manifestement illicite. La société Staffmatch formait alors un pourvoi en cassation.

Par un arrêt rendu le 12 novembre 2020, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel. S’appuyant sur les articles L. 7341-1 et suivants du code du travail, la Cour de cassation rappelle la présomption de non-salariat qui couvre les travailleurs indépendants ayant recours, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une plateforme de mise en relation par voie électronique. La chambre sociale valide le raisonnement de la Cour d’appel en ce qu’elle a « constaté l’absence d’indices suffisants permettant avec l’évidence requise en référé de renverser la présomption de non-salariat prévue à l’article L. 8221-6 du code du travail pour les travailleurs indépendants s’y inscrivant ». L’argumentaire développé par l’entreprise de travail temporaire était insuffisant pour caractériser une incompatibilité avérée entre le statut d’auto-entrepreneur des travailleurs employés par la plateforme numérique Brigad et la réalité des missions effectuées. Dès lors que « n’était pas établi avec évidence le fait que la société Brigad exerce de façon illicite une activité d’exploitation de plateforme numérique légalement reconnue », l’hypothèse d’une fraude manifeste à la loi devait être écartée.

En définitive, il était reproché à la société Brigad d’orchestrer la mise à disposition de salariés tout en se soustrayant aux charges et obligations imposées aux entreprises de travail temporaire (C. trav., art. L. 1251-1 s. et art. L. 1251-45 s.). Á cet égard, le raisonnement de la chambre sociale est sans détour : quand bien même ils seraient « recrutés, sélectionnés, contrôlés et sanctionnés directement par la plateforme » et qu’« ils ne gèrent, ni la facturation, ni les démarches administratives », les travailleurs employés par la société Brigad le sont sous le statut d’auto-entrepreneur. Dès lors qu’ils sont immatriculés au registre du commerce et des sociétés, ils « sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription » (C. trav., art. L. 8221-6) et bénéficient par ailleurs des engagements de la plateforme en matière de responsabilité sociale des entreprises (C. trav., art. L. 7342-1). Sous couvert de ces dispositions légales qui ont vocation à encadrer « l’essor des plateformes numériques telles que celle en litige », la cour d’appel avait refusé de voir « une violation évidente de la règle de droit ». Suivant son analyse, l’activité de la société Brigad consisterait avant tout « à identifier des profils d’indépendants inscrits gratuitement sur cette plate-forme sous réserve de justifier de leur expérience dans le domaine de l’hôtellerie et de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés » et à « les mettre en relation avec les entreprises du secteur ayant publié une annonce correspondant à leurs besoins de services occasionnels d’un professionnel ».

La cour d’appel ne nie pourtant pas l’existence de points de friction entre les deux modèles, le tribunal de commerce a d’ailleurs admis que les parties demanderesses et la société Brigad se situaient « sur le même marché […] mais avec des propositions différentes » (T. com. Créteil, ord. réf., 13 mars 2018, préc.). Néanmoins, elle constate que la société Brigad n’a fait que mobiliser l’arsenal juridique existant pour organiser, de manière licite, une activité sensiblement proche de celle des agences d’intérim. Finalement, le cadre légal tel qu’il est établi fait obstacle à la reconnaissance d’un trouble manifestement illicite puisqu’il entérine, par le jeu de la présomption, ce modèle de mise en relation triangulaire.

À première vue, la solution semble à rebours de la ligne jurisprudentielle tracée à l’encre rouge ces derniers mois (v. not. Soc. 28 novembre 2018, n° 17-20.079, Take it Easy, D. 2019. 177, et les obs. image, note M.-C. Escande-Varniol image ; ibid. 2018. 2409, édito. N. Balat image ; ibid. 2019. 169, avis C. Courcol-Bouchard image ; ibid. 326, chron. F. Salomon et A. David image ; ibid. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta image ; AJ contrat 2019. 46, obs. L. Gamet image ; Dr. soc. 2019. 185, tribune C. Radé image ; RDT 2019. 36, obs. M. Peyronnet image ; ibid. 101, chron. K. Van Den Bergh image ; Dalloz IP/IT 2019. 186, obs. J. Sénéchal image ; JT 2019, n° 215, p. 12, obs. C. Minet-Letalle image ; RDSS 2019. 170, obs. M. Badel image ; Soc. 4 mars 2020, n° 19-13.316, Uber, D. 2020. 490, et les obs. image ; ibid. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane image ; AJ contrat 2020. 227, obs. T. Pasquier image ; Dr. soc. 2020. 374, obs. P.-H. Antonmattei image ; ibid. 550, chron. R. Salomon image ; RDT 2020. 328, obs. L. Willocx image). Par plusieurs arrêts largement médiatisés, la Cour de cassation n’avait pas hésité à requalifier le contrat d’un travailleur de plateforme considéré comme indépendant en contrat de travail. Néanmoins, les enjeux de la présente décision étaient ailleurs. Il ne s’agissait pas pour l’agence d’intérim d’obtenir la requalification en contrat de travail mais de démontrer que les modalités de mise en relation via cette plateforme numérique s’inscrivaient dans un cadre frauduleux et portaient atteinte au principe de libre concurrence. En tant que telle, la solution ne fait donc pas obstacle à une action prud’homale en requalification initiée par un travailleur référencé. Celui-ci devra néanmoins démontrer, à la lumière de la jurisprudence de 1996 (Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187, Société Générale, D. 1996. 268 image ; Dr. soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux image ; RDSS 1997. 847, note J.-C. Dosdat image), en quoi la relation qui l’unit à la plateforme est constitutive d’un lien de subordination juridique et économique. Il faudra alors s’en remettre à la casuistique pour savoir si ce « modèle économique » peut perdurer sans pour autant travestir une relation contractuelle susceptible de relever du régime du salariat.

 Finalement, cette position est relativement compréhensible : quand bien même cette cohabitation est discutable, il n’appartient nullement à la Haute juridiction de dépeindre le paysage dans lequel doivent harmonieusement évoluer les sociétés d’intérim et les plateformes numériques de mise en relation. En effet, les changements sociétaux obligent le législateur à une réaction lorsque les schémas traditionnels s’en trouvent largement éprouvés. D’une certaine manière, les juges en appellent à l’intervention étatique pour que soient clarifiées les conditions de mise en concurrence de deux modèles à la fois singuliers et analogues. Cette évolution paraît donc souhaitable, pour autant que l’on admet que les charges et obligations imposées aux entreprises de travail temporaire sont justifiées par la nécessaire protection des droits des travailleurs. Malgré les révisions successives (loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ; loi n° 2019-1428 du 24 déc. 2019 d’orientation des mobilités), le droit n’en n’a donc pas terminé avec la problématique du recours à l’« exosalariat » ou, plus largement, de la « désalarisation ».

Auteur d'origine: Dechriste
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vendredi 29 mars 2024

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