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Justice et intelligence artificielle, préparer demain - épisode III

Justice et intelligence artificielle, préparer demain - épisode III

3 - Un exemple concret : le code du travail numérique

31 - Le concept

Annoncé par l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, le code du travail numérique a pour objectif, selon la loi, de permettre, « en réponse à une demande d’un employeur ou d’un salarié sur sa situation juridique, l’accès aux dispositions législatives et réglementaires ainsi qu’aux stipulations conventionnelles, en particulier de branche, d’entreprise et d’établissement, sous réserve de leur publication, qui lui sont applicables ».

Il s’agit en réalité d’un outil multifonctionnel, à la fois moteur de recherche qui permet, à partir de mots-clés et de quelques renseignements de base (nom de l’entreprise, etc.), de trouver l’article du code du travail qui a vocation à s’appliquer, ainsi que le texte de la convention collective applicable de branche ou interprofessionnelle (au moins pour les cinquante plus importantes d’entre elles qui sont à ce jour dans la base de données), et boîte à outils pour ses utilisateurs (simulateurs, modèles d’actes).

Révolution pour les uns, outil basique et déceptif27 pour les autres, le code du travail numérique est une utilisation de l’IA ayant pour objectif de faciliter l’accès à l’information de tous. Il permet en effet à n’importe quel usager, à partir de mots courants, d’obtenir une réponse accessible et compréhensible par tous basée sur le texte légal et conventionnel qui s’applique à sa situation. Il vise ainsi à rendre « accessible et effectif à tous » le droit du travail, selon les termes de la ministre du travail28, puisque, par l’usage de mots-clés issus du langage courant, on peut trouver le texte adéquat, ce qui, s’agissant du code du travail dont l’épaisseur a souvent été évoquée, est une avancée considérable, mais plus encore lorsqu’il s’agit des conventions collectives, qui constituent pour le salarié ou même l’employeur parfois un dédale complexe.

Concrètement, le code du travail numérique est une plateforme accessible en ligne gratuitement et qui offre actuellement trois services :

• une base de données intégrant les textes du code du travail, celui des principales conventions collectives et des fiches explicatives, permettant à partir de mots-clés de français courant et non nécessairement juridique (vacances, dispute) d’obtenir le renvoi vers les documents apparaissant les plus adaptés ;

• une base de données des conventions collectives permettant de vérifier, cette fois par un système de mots-clés juridiques, une navigation dans leurs dispositions par thème et/ou par mots-clés ;

• une boîte à outils, avec notamment des simulateurs permettant le calcul d’indemnités fréquentes pouvant être calculées facilement à partir de la réponse à quelques données factuelles (indemnités de licenciement, préavis de démission, salaire brut/net, indemnité de précarité et préavis de licenciement), et des modèles de documents.

Le concept s’inscrit d’autant plus dans l’idée d’un service public qu’il prévoit que « l’employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du “code du travail numérique” [soit], en cas de litige, présumé de bonne foi »29. Par conséquent, la consultation de cette base de données offre une sécurité juridique rare à celui qui y recourt. L’enjeu est de taille : les services de renseignement en droit du travail (dans les Direccte) répondent actuellement à plus de 900 000 demandes par an concernant le droit du travail, des questions les plus simples aux cas les plus complexes30. En trois mois, le code du travail numérique a d’ores et déjà suscité près de 420 000 visites31.

Cet outil est donc une base de données intelligente, mais n’a pas vocation à effectuer une analyse juridique. Elle peut donner une correspondance textuelle à un mot-clé, mais non aider à qualifier juridiquement des faits qui lui sont soumis. Elle peut donner le montant de l’indemnité applicable si le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, mais elle ne peut pas dire si, au regard des circonstances, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. C’est, à l’évidence, une aide novatrice considérable pour l’usager, qu’il soit employeur, salarié, ou même juriste. À une question exprimée en mots « de tous les jours », il fait le lien avec le texte juridique qui règle la situation − s’il existe − et le cas échéant avec les sites officiels (par exemple ceux du service public) fournissant des explications utiles, et avec des calculateurs lorsque la demande concerne un montant salarial ou indemnitaire dépendant de données objectives (ancienneté, convention applicable, temps de travail, etc.). Mais il n’analyse pas la situation et ne donne pas de réponse juridique à des cas particuliers, ne serait-ce que parce qu’il n’intègre pas, sauf à la marge dans les calculateurs, la jurisprudence.

32 - La réalisation32

Pour réaliser le code du travail numérique, la Direction générale du travail s’est mise en mode start-up33, réunissant une équipe composée de juristes de la Direction générale du travail ou recrutés spécialement à cet effet et des informaticiens spécialement dédiés, qui ont travaillé ensemble, au sein d’un incubateur, durant près de deux ans. De très nombreux tests ont été organisés grâce notamment à une beta version accessible très tôt en ligne et dont les codes sont publiquement accessibles sur un dépôt Github, reprenant là les usages de la communauté de l’apprentissage automatique. Le site du code du travail numérique propose à l’utilisateur différents outils qui illustrent la distinction entre modèles mécanistes et modèles empiriques faite plus haut.

Les premiers (« boîte à outils ») proposent, par exemple, de calculer la durée d’un préavis à respecter en cas de démission ou d’estimer une indemnité de licenciement. Les mots « calcul » et « estimation » ne doivent pas être entendus au sens statistique ou au sens de l’IA. Au contraire, ces calculs et ces estimations reposent sur une approche parfaitement mécaniste : l’utilisateur est invité à répondre à une série de questions fermées qui orientent itérativement le système. L’algorithme progresse ainsi de façon déterministe au sein des textes juridiques au fur et à mesure que la situation qui lui est soumise est progressivement précisée. Le déroulement de ce processus mime donc le raisonnement juridique pour aboutir à la détermination de la règle de droit applicable en l’espèce et à l’établissement d’une (gamme de) durée ou d’une indemnité prescrite par la loi. Si la situation est particulièrement atypique, le système peut ne pas fournir de réponse et proposer de prendre contact directement avec un service juridique.

Ce travail ne relève pas de l’IA au sens usuel, mais prouve de manière remarquable qu’il est possible d’encoder le processus de décision de façon formelle et de proposer ainsi un avis dont la motivation est fournie par le déroulement même de l’algorithme. Sa réalisation repose cependant sur deux conditions assez rarement réunies dans le domaine juridique (et dans la plupart des problèmes auxquels s’attaque l’IA). Il porte tout d’abord sur un pan du droit du travail qui se prête particulièrement à la formalisation et à l’automatisation. Mais surtout, sa mise en place a demandé un travail de fourmi aux services du ministère pour effectuer l’encodage de toutes ces règles sous une forme se prêtant à un traitement automatique, et demandera de poursuivre ce même travail minutieux dans le cadre des mises à jour permanentes.

Mais le site du code du travail numérique propose également un mode d’interrogation libre (en « français facile ») des textes ayant trait au droit du travail. Il ne s’agit pas là de fournir un avis (et encore moins de rendre une décision) sur une situation ou un contentieux donné, mais, plus modestement, de guider l’utilisateur (employeur ou salarié) vers les textes ou règlements pertinents.

Les mécanismes de l’IA sont complémentaires des mécanismes de recherche traditionnels et des réponses présélectionnées par les experts en droit du travail. Le service repose en effet grandement, pour ce qui concerne son mode non contraint, sur des outils issus de l’IA et notamment des outils de traitement automatique du langage puisqu’il s’agit d’interpréter une requête formulée en langage libre (au contraire de questions fermées). Pour déterminer les textes et règlements les plus probablement pertinents, le système utilisé ici repose sur un algorithme analogue à celui utilisé par le moteur de recherche Google qui se fonde principalement sur des associations statistiques entre mots observées dans une grande base de document. Cet algorithme a, évidemment, dû être entraîné sur une base de données que les textes officiels pouvaient difficilement constituer − tant il est vrai que le langage juridique est, parfois, assez éloigné du « français facile ». Le système proposé repose notamment sur un algorithme de représentation du texte issu des laboratoires de Google et entraîné pour le français via un corpus de documents disponibles sur internet et notamment l’ensemble des pages du site Wikipédia. Le système est donc initialement fondé sur un algorithme d’apprentissage non supervisé, au sens où il propose des textes « proches » de la requête formulée. Son utilisation a, par exemple, permis de mettre en lien les termes « Pass Navigo » et « remboursement des frais de transport par l’employeur ». Le système mis en place améliore même progressivement la pertinence de ses réponses en demandant à chaque utilisateur si la réponse proposée lui a été utile, de façon semblable au processus décrit (§ 1323). Un algorithme supervisé permet alors de discriminer au mieux entre les réponses utiles et celles qui le sont moins.

Ce deuxième outil qui relève de l’IA n’est évidemment pas à l’abri des biais inhérents à tout système d’apprentissage (dépendance vis-à-vis de la base de données d’apprentissage, effet du choix de tel ou tel critère d’ajustement, etc.) mais le caractère non décisionnaire de la réponse qu’il produit réduit évidemment les conséquences de ces biais.

33 - Les perspectives

Faut-il aller plus loin dans le développement du code du travail numérique, comme certains le souhaiteraient ? Si des améliorations documentaires sont évidemment possibles, avec notamment l’accroissement du nombre d’actes types de textes de conventions de branche disponibles, la question peut être posée de la capacité à intégrer dans l’outil la jurisprudence, c’est-à-dire l’interprétation donnée aux textes par la Cour de cassation, voire de répondre, grâce à cette base de jurisprudence, à des questions plus ciblées des utilisateurs (« Puis-je être licencié pour un retard au travail ? »).

Sur le premier point, et sous réserve d’être certain de disposer d’un mécanisme permettant d’actualiser la base jurisprudentielle en temps réel, le service serait à l’évidence décuplé, sans modifier la conception même de l’outil.

Sur le second point, en revanche, la démarche serait totalement différente, qui consisterait à donner au code du travail numérique la capacité de fournir une analyse et une réponse juridique à une situation de fait évoquée par un particulier. Le pas à franchir serait dangereux, surtout à partir d’une série de questions par hypothèse trop élémentaires pour assurer la fiabilité du diagnostic.

L’outil que constitue le code du travail numérique est précieux et unique en termes d’accès à l’information. S’il ne vise pas à proposer une décision, il permet d’orienter un utilisateur non expert dans un domaine dont il n’est pas nécessairement familier, ce qui est déjà beaucoup. Certes, il limite volontairement ses ambitions « prédictives » à un champ particulièrement balisé et quantifiable du droit du travail et repose, pour cela, sur une approche résolument mécaniste, ne faisant donc pas une confiance aveugle aux algorithmes issus de l’IA.

Vouloir élargir son ambition prédictive le dénaturerait et présenterait des garanties nettement moindres.

Conclusion

Dans la conception, il n’y a pas de neutralité, il n’y a que des choix, ne serait-ce que par défaut dans la mise en œuvre, qui nécessitent de s’interroger sur la ligne d’équilibre que l’on veut établir entre réponse sécurisée tout numérique et réponse réellement adaptée dont l’acteur reste encore le meilleur garant. Le concept de loyauté, quoique différemment entendu par les mathématiciens et les juristes, peut aider, voire obliger, à tracer cette frontière.

Il nous faut admettre qu’en matière de justice, l’IA peut considérablement aider dans l’accès à l’information mais ne peut pas remplacer l’intervention de l’homme. Et que, dans ce domaine plus que tout autre, seule une vraie compréhension croisée des données et des enjeux par un dialogue fort entre ceux qui peuvent concevoir et ceux qui peuvent utiliser est fondamental… et possible. Cette interaction sera évidemment facilitée si les professionnels des deux champs sont avertis de ces enjeux dès leur formation initiale, voire qu’une fraction d’entre eux s’y spécialisent.

Prédire n’est pas une fin en soi − sinon la conclusion serait simple : les algorithmes peuvent évidemment permettre de prédire, et mieux que tout humain, mais pourquoi ? − dès lors qu’on ne sait pas comment la prédiction est faite et pourquoi on la souhaite. La motivation de la décision fait partie de la décision elle-même et fonde sa légitimité.

À défaut de replacer le juge dans sa prise de décision, il pourrait être tentant d’accorder aux prédictions algorithmiques la même valeur que celle accordée aux avis d’expert. Mais ce serait, d’une part, sous-estimer l’effet d’intimidation produit par un résultat « mathématique » qui rend difficile de ne pas s’y soumettre le plus souvent. Ce serait, d’autre part, oublier qu’un expert peut être interrogé sur le raisonnement ou la méthodologie qui l’a amené à son avis, interrogations auxquelles un algorithme sera bien en peine de répondre.

À l’inverse, pour les tâches qu’on décide de lui confier, l’IA nécessite une totale maîtrise de sa conception. Aucun espace ne peut être laissé à des choix de conception par défaut, par facilité, par habitude pour l’informaticien. Il va bien falloir que les juristes en aient conscience et s’emparent de l’outil pour que l’IA leur obéisse et non l’inverse.

Pour cela, s’immerger dans la compréhension du fonctionnement est une responsabilité des juristes, et des décideurs du monde judiciaire. Sous cette condition, l’apport de l’IA dans la justice peut être une avancée considérable et un progrès qui ne le sera pas moins.

 

 

Notes

27. P. Januel, Codification, bilan des travaux en cours et perspectives, Dalloz actualité, 26 juin 2018 : « Pour la commission supérieure de codification, l’appellation de code à ce qui n’est qu’un service interactif est impropre. Elle trouve préoccupant le “galvaudage” du label code. »

28. Conférence de presse du 16 janv. 2020 pour le lancement du code du travail numérique.

29. Ord. n° 1387-2017, 22 sept. 2017, art. 1er, al. 2.

30. Source : ministère du travail.

31. Source : ministère du travail.

32. Les auteurs remercient le directeur général du travail, M. Yves Struillou, le directeur adjoint, M. Laurent Villboeuf, et la cheffe de projet à la direction générale du travail, Mme Catherine Lissarague, de leur avoir permis d’observer in situ la conception du code du travail numérique au cours de l’année 2019 et de leur avoir donné accès à tous les documents sur la conception de l’outil.

33. J.-F. Kerléo, « Le service public en mode start-up », AJDA 2020. 83 image.

Auteur d'origine: Bley
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Invité
vendredi 29 mars 2024

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