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L’injuste condamnation des prêts à taux négatif

L’injuste condamnation des prêts à taux négatif

Depuis quelques années, la Réserve fédérale des États-Unis (FED), pour les États-Unis, ainsi que la Banque centrale européenne (BCE), pour l’Union européenne, pratiquent des taux d’intérêt négatifs afin de relancer la croissance. Cette figure n’a pas manqué d’intéresser la doctrine juridique tant il est vrai que le résultat auquel elle aboutit est pour le moins curieux : le prêteur est en effet amené à rémunérer l’emprunteur (v. à ce sujet J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 1644 ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 230 ; v. égal. F. Aucktenthaler, Taux d’intérêt négatif : le monde à l’envers, RD banc. fin. 2016. Étude 33 ; A. Ghozi, Contrat de prêt de somme d’argent : l’intérêt négatif en débat, D. 2017. 965 image ; R. Libchaber, Le travail du négatif en droit : la question de l’intérêt dans le prêt, RDC 2017. 446 ; D.R. Martin, De l’intérêt, Banque et dr., hors-série, 2016-26). Les juges du fond avaient déjà eu l’occasion de se prononcer sur la validité de ce « monstre contractuel », pour reprendre l’expression d’un auteur (R. Libchaber, art. préc.), en se montrant tantôt favorables (v. Chambéry, 2e ch., 6 déc. 2018, n° 17/01697 ; Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 8 mars 2017, n° 16/00309 ; TGI Strasbourg, 5 janv. 2016, n° 15/00764, RTD com. 2016. 825, obs. D. Legeais image ; TI Montpellier, 9 juin 2016, n° 11-16-000424) tantôt défavorables (v. TGI Thonon-les-Bains, 30 nov. 2016, n° 16/00506). C’est à présent la première chambre civile qui se prononce sur cette pratique dans un arrêt du 25 mars 2020. En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux prêts immobiliers, à des taux stipulés variables en fonction de l’évolution du Libor 3 mois. Contestant les taux d’intérêt appliqués par la banque, les emprunteurs l’ont assignée aux fins de voir appliquer aux deux prêts le taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris en cas d’index négatif.

La cour d’appel de Besançon, dans un arrêt du 10 juillet 2018, a considéré que la banque devait appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs. Pour ce faire, elle retient que les deux prêts étant stipulés à un taux d’intérêt initial, l’un de 2,15 % et l’autre de 1,80 % l’an, variables à la hausse comme à la baisse, les parties se sont accordées pour que ces intérêts soient à la charge de l’emprunteur et non du prêteur, et que la banque, en proposant des taux d’intérêt variables à la hausse comme à la baisse, et les emprunteurs en y souscrivant, ont accepté le risque inhérent à cette variation, mais que le respect des contrats litigieux impose que, pour les deux prêts, soit appliqué un tel taux d’intérêt à condition que, sur l’ensemble du remboursement de chaque prêt, les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00 %.

Le raisonnement est censuré par la Cour de cassation, au visa des articles 1902, 1905 et 1907 du code civil, et L. 313-1 du code monétaire et financier : les hauts magistrats considèrent tout d’abord que « constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne. Dans un contrat de prêt immobilier, l’emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n’ont pas entendu déroger aux règles du code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d’une quelconque rémunération à l’emprunteur » (pt 4). Ils en déduisent qu’« en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a admis l’éventualité d’intérêts mensuellement négatifs, alors qu’il résultait de ses constatations que les parties n’avaient pas entendu expressément déroger aux règles du code civil, a violé les textes susvisés ». L’arrêt est donc cassé mais seulement en ce qu’il dit que la banque « doit appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif mensuellement, mais dans la limite de 0,00 % sur l’ensemble du remboursement desdits prêts ».

De prime abord, la solution semble justifiée : d’une part, l’article 1902 du code civil prévoit que « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu ». Or, dans un prêt à taux négatif, l’emprunteur rembourse, par hypothèse, une somme inférieure à celle qu’il a reçue, ce qui est contraire à ce texte. D’autre part, le prêt à intérêts, régi par les articles 1905 et suivants du code civil, est, par définition, un contrat à titre onéreux pour l’emprunteur (comp. G. Cattalano-Cloarec, Le contrat de prêt, préf. G. Loiseau, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 564, 2015). Au demeurant, le code monétaire et financier définit l’opération de crédit comme étant à titre onéreux (il existe pourtant des crédits gratuits auxquels le code de la consommation consacre d’ailleurs certaines dispositions, C. consom., art. L. 312-41 s.). L’essence de ce contrat se trouverait donc contrariée par l’éventualité d’un taux d’intérêt négatif, qui transformerait l’opération en dépôt (v. en ce sens H. Synvet, obs. ss TGI Thonon-les-Bains, 30 nov. 2016, D. 2017. 2178 image : « Si la rémunération est due par celui qui remet l’argent ou la chose, ce n’est plus un prêt, mais un dépôt »). C’est d’ailleurs l’argument qui a fait mouche aux yeux de la Cour de cassation, le moyen énonçant que « le contrat de prêt conclu avec une banque est par nature un contrat à titre onéreux de sorte que le taux d’intérêt ne peut devenir négatif et obliger le prêteur à rémunérer, même temporairement, l’emprunteur ».

Toutefois, comme l’avait parfaitement jugé la cour d’appel de Colmar, « l’appréciation du caractère onéreux du contrat ne peut se faire que sur la durée totale du prêt, et le fait que durant un certain temps le taux d’intérêt soit négatif, n’a pas pour effet d’annuler le caractère onéreux du prêt » (Colmar, 8 mars 2017, préc.). En outre, et plus fondamentalement, la solution retenue par la Cour de cassation est difficilement justifiable eu égard à la liberté contractuelle (C. civ., art. 1102) et à la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1103), qui doivent autoriser les parties à prévoir des clauses d’indexation, celles-ci devant jouer tant à la hausse qu’à la baisse (v. en ce sens R. Libchaber, art. préc.). C’est d’ailleurs ce que décide la Cour de cassation en matière de baux (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681, « est nulle une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse ; qu’ayant relevé, par motifs adoptés, que la clause excluait, en cas de baisse de l’indice, l’ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle en fonction de la variation de l’indice publié dans le même temps, la cour d’appel, qui a exactement retenu que le propre d’une clause d’échelle mobile était de faire varier à la hausse et à la baisse et que la clause figurait au bail, écartait toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l’indexation, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision »). La stipulation d’un plancher est en revanche envisageable, ce que les établissements bancaires ne manquent pas de faire aujourd’hui (v. en ce sens D. Legeais, op. cit., n° 230), raison pour laquelle le contentieux devrait se tarir en la matière.

Auteur d'origine: jdpellier
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jeudi 25 avril 2024

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