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La loi applicable à l’action directe en matière non contractuelle contre un assureur

La loi applicable à l’action directe en matière non contractuelle contre un assureur

L’action directe, découverte très tôt en France dans le domaine de l’assurance, est déjà source de difficultés lorsqu’elle est confrontée au droit interne. À ce titre, Madame Abravanel-Jolly explique que depuis l’intervention de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 « l’action directe est une action légale, conférée à la victime afin de lui permettre d’agir directement contre l’assureur. On la nomme également action directe légale, pour bien la différencier de l’action directe contractuelle octroyée au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui […]. À l’origine, l’article L. 124-3 du code des assurances ne faisait pas référence à l’action directe. Le texte original faisait uniquement référence à un principe d’affectation en vertu duquel l’indemnité devait être affectée à la victime, et c’est la jurisprudence qui en a déduit l’existence d’une action directe dans un arrêt de principe du 28 mars 1939 » (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 83 7; V. aussi, P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 247, qui cite un arrêt plus ancien : Civ. 14 juin 1926, DP 1927. I. 57, note L. Josserand et rapp. A. Collin ; S. 1927.1.25, note C. Esmein ; Lamy Assurances 2020, n° 1584 ; Adde Y. Avril, Chapitre II. Le recours contentieux ; Section 1. L’action directe de la victime contre l’assureur, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, Ellipses, 2020, à paraître).

Le fameux arrêt de la chambre civile en date du 28 mars 1939 révèle la dualité de l’action directe. Elle prend naissance dans le « droit à la réparation de la victime pour le préjudice dont l’assuré est reconnu responsable ; il s’agit d’une action distincte de l’action en responsabilité elle-même. Pour autant, l’assureur n’est tenu vis-à-vis de la victime que dans la limite du contrat d’assurance RC. Sachant que, à l’évidence, l’action directe n’est plus recevable en cas de substitution légale du débiteur de la dette de responsabilité. Au demeurant, la jurisprudence met en évidence les deux facettes de l’action directe : un fondement légal issu du droit à réparation de la victime, mais dont l’exercice est limité par le contrat d’assurance » (ibid.).

La décision originelle énonçait ainsi que « si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur est subordonnée à l’existence d’une convention passée entre ce dernier et l’auteur de l’accident et ne peut s’exercer que dans ses limites, elle trouve, en vertu de la loi, son fondement dans le droit à réparation du préjudice causé par l’accident dont l’assuré est reconnu responsable » (Civ. 28 mars 1939, D. 1939. I. 68, note M. Picard).

Il est souligné, à propos de ce principe, que la jurisprudence française « est si constante et ferme qu’il devient rare de rencontrer des arrêts réitérant ce principe, connu de tous et critiqué par personne » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 749, n° 754, in fine : citant Civ. 1re, 22 juill. 1986, RGAT 1986. 595, note G. Viney), avant de reconnaître que « le droit québécois est moins hésitant : Le montant de l’assurance est affecté exclusivement au paiement des tiers lésés » (C. civ. Q, art. 2500) » (ibid.).

Lorsqu’elle s’inscrit dans le droit international privé de l’Union européenne, le terrain de jeu de l’action directe y est davantage piégé, dans la mesure où il s’agit d’une notion européenne qui amène à considérer l’ensemble du régime, avec l’autonomie des notions-régimes en particulier (F. Mailhé, Entre Icare et Minotaure, les notions autonomes du droit international privé de l’Union, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 1137 s., spéc. p. 1161).

Bien plus restrictivement, la décision commentée rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2019 (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, nos 18-14.827 et 18-18.709) vise le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement et du Conseil du 11 juillet 2007 (JOUE du 31 juill.) sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II.

Dans une perspective historique préalable, en France, la seule jurisprudence traitait auparavant de la question de la loi applicable en matière de responsabilité civile extracontractuelle. On sait ainsi de longue date qu’à l’occasion d’un litige international, la victime d’un accident survenu en France est recevable à exercer, contre l’assureur étranger de l’auteur de cet accident, l’action directe que la loi lui confère dans un intérêt d’ordre public (Req. 24 févr. 1936, DP 1936. 1. 49, note R. Savatier ; RGAT 1936. 558, note M. Picard ; L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-3, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 292 ; B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 13). Il a été subtilement mis en lumière que « ce n’est plus ici simplement l’ordre public qui vient s’infiltrer dans le contrat, c’est ce dernier qui en est réduit à l’état d’instrument du premier. Ainsi comprend-on, non seulement, qu’une police d’assurance ne peut contenir de clause entravant cette action, mais également que les règles de conflits de lois admises par le droit international privé français se verront écartées, au nom de l’ordre public, si jamais leur solution venait à désigner une loi étrangère ignorante du procédé » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, op. cit., p. 749, n° 755).

Par la suite, le champ du droit commun, façonné par la jurisprudence, a été restreint par l’entrée en vigueur de deux conventions internationales, en premier lieu celle du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière, en second lieu celle du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, puis par le droit international privé du droit de l’Union européenne qui n’a avancé que progressivement. Les règles dégagées en matière de conflits de juridictions ont ainsi généré un phénomène de communautarisation du droit international privé.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et son ancêtre la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont d’abord rendu des décisions relatives à la matière délictuelle en rapport avec l’application de la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et, plus tard, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, et du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I refondu. Cette jurisprudence n’a pas manqué « d’avoir des répercussions sur la construction prétorienne alors applicable en France dans le domaine des conflits de lois. Une nouvelle étape du phénomène a été franchie avec l’adoption du règlement » dit Rome II (H. Slim, Responsabilité civile délictuelle en droit international privé, J.-Cl. Resp. civ. assur., fasc. 255, 2016, n° 1 ; Comp. P. Pailler, Manuel de droit européen des assurances, Bruylant, coll. « Droit de l’Union européenne », 2019 ; J. Knetsch, La réparation du dommage extracontractuel en droit international privé, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 979 s).

En effet, le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles est empreint d’un caractère « universel », tout comme l’est son grand frère, le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I. En d’autres termes, « même si la loi à laquelle conduit la mise en œuvre dudit règlement n’est pas celle d’un État membre, elle doit être appliquée par le juge de l’État membre saisi du litige (Règl. Rome II, art. 3). Le règlement Rome II constitue donc le droit commun des États membres de l’Union européenne dans le domaine qu’il régit » (H. Slim, op. cit., n° 2).

Globalement, le règlement Rome II constitue le droit commun et écarte ainsi le droit commun français. Toutefois, le règlement Rome II n’a pas un champ d’application général. Sur le reliquat, la compétence est celle du droit national dit alors résiduel.
Une première application de ce règlement Rome II a été faite par la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 janvier 2018. Il s’agissait déjà d’un contrat pour la livraison et l’installation en France, par une société – étrangère – allemande et assurée en Allemagne, de panneaux photovoltaïques. La Cour de cassation avait ainsi retenu que l’article 18 du Règlement Rome II n’est applicable qu’aux actions directes exercées contre les assureurs de personnes devant réparation en raison d’une obligation non contractuelle, autrement dite délictuelle ou extracontractuelle (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 17-10.959, inédit, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image).

Une seconde application de ce règlement Rome II a été réalisée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2019, pour ce qui a trait à la loi applicable à l’action directe en matière non contractuelle contre un assureur (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

En l’espèce, le propriétaire d’une maison a commandé à une société la réalisation d’une installation photovoltaïque, avec pose en toiture de son habitation de panneaux solaires fabriqués par une société hollandaise et équipés d’un boîtier de connexion d’une autre société hollandaise. Un échauffement de ce composant ayant provoqué l’incendie de l’immeuble, l’acquéreur de l’installation et son assureur ont assigné la société de couverture et son assureur (MAAF), en indemnisation de son préjudice.

La MAAF a appelé en garantie la société d’assurance de la société fabricante des panneaux, ainsi que l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion.
Un jugement a condamné la MAAF sous la garantie solidaire des deux autres assureurs à payer diverses sommes à l’acquéreur et à son propre assureur en réparation du préjudice subi. Par un arrêt partiellement confirmatif du 6 février 2018, la cour d’appel de Limoges a limité aux sommes de 31 627 € et 261 149 €, le montant des indemnités dont l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion doit la garantir, in solidum avec l’assureur de la société fabricante des panneaux et a décidé que l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion prendra ces sommes en charge dans les limites de la proratisation prévue par le droit néerlandais applicable à la police d’assurance pour le cas où le total des indemnités dues aux victimes du sinistre sériel excéderait le plafond de 1 250 000 € de la garantie souscrite, et dans la limite de ce plafond.

L’assureur de la société de couverture a formé un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 18 décembre 2019, l’a principalement rejeté (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

La Haute juridiction a d’abord retenu « que si, en application de l’article 18 du Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 (« Rome II »), en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle, déterminée conformément à l’article 4 du règlement ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi de ce contrat ; que la cour d’appel a décidé, à bon droit, que, si la MAAF pouvait exercer l’action directe, admise par la loi française, loi du lieu de survenance du dommage, elle pouvait se voir opposer la loi néerlandaise à laquelle le contrat d’assurance était soumis, en ce que celle-ci prévoit, en cas de sinistres sériels, une indemnisation des victimes au prorata de l’importance du préjudice subi, dans la limite du plafond de la garantie souscrite par l’assuré » (ibid.).

Elle a ensuite jugé « qu’il ne résulte ni de l’arrêt ni des conclusions de la MAAF que celle-ci ait soutenu que la loi néerlandaise aurait pour effet de vider de sa substance l’action directe de la victime admise par la loi française » (ibid.).

La première chambre civile a encore motivé sa décision en relevant « que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation de la loi néerlandaise, dont il n’est pas prétendu qu’elle en aurait dénaturé la teneur, que la cour d’appel qui n’avait pas à s’expliquer sur les moyens de preuve qu’elle décidait d’écarter, a estimé que la proratisation de l’indemnisation en cas de dépassement du plafond de garantie en présence de sinistres sériels, prévue à l’article 7:954, alinéa 5, du code civil néerlandais, en matière de dommages corporels, s’appliquait également aux dommages matériels » (ibid.).

La Cour de cassation a enfin décidé « qu’en fixant le montant des indemnités dont la société Allianz devait garantie à la MAAF et en précisant que Allianz ne prendrait en charge ces indemnités que dans les limites de la proratisation prévue par le droit néerlandais et du plafond de garantie stipulé dans la police, la cour d’appel a nécessairement considéré, répondant, par-là même, aux moyens prétendument délaissés, que la question de la détermination finale du montant de la contribution d’Allianz ne constituait pas un incident d’exécution mais concernait le fond du droit à indemnité de la victime » (ibid.).

Dès lors, la victime se trouve dans une meilleure situation en matière d’action directe non contractuelle, puisque l’article 18 du règlement Rome II lui confère le droit d’agir « directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non-contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit » (Règl. Rome II, art. 18). Avec les rattachements alternatifs qu’elle envisage, cette règle innove au regard de celle qui était en vigueur avant l’adoption du règlement qui certes présentait l’avantage, « lorsque le délit était commis en France, d’offrir à la victime une action directe contre l’assureur alors que la loi étrangère régissant le contrat d’assurance pouvait l’ignorer. Mais, à l’inverse, lorsque la loi du lieu du délit (par hypothèse étrangère) ignorait une telle action directe, la victime française pouvait se trouver, au moins sur ce terrain, défavorisée, puisqu’elle ne pouvait atteindre l’assureur que par la voie oblique avec le risque de venir en concours sur l’indemnité d’assurance avec les autres créanciers de l’assuré. L’article 18 du règlement Rome II instaure par conséquent une règle nettement plus favorable à la victime que celle issue auparavant du droit prétorien » (H. Slim, op. cit., n° 54).

En 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé que l’article 18 du règlement Rome II « doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans une situation telle que celle au principal, l’exercice, par une personne lésée, d’une action directe contre l’assureur de la personne devant réparation, lorsqu’une telle action est prévue par la loi applicable à l’obligation non contractuelle, indépendamment de ce qui est prévu par la loi applicable au contrat d’assurance choisie par les parties à ce contrat » (CJUE 9 sept. 2015, aff. C-240/14, Eleonore Prüller-Frey c/ 
Norbert Brodnig, Axa Versicherung AG, D. 2015. 1838 image ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; RTD eur. 2016. 664, obs. L. Grard image). La victime
retrouvait ainsi meilleure fortune en pouvant multiplier les possibilités d’action directe. La CJUE a ainsi rappelé le sens de la règle : non seulement un droit d’action est indépendant, mais il convient de bien effectuer la distinction entre ce droit d’action directe et les limites qu’on peut lui opposer. Quant à savoir dans quelles mesures cela peut fonctionner, l’analyse relève d’une autre étude que ces brèves observations.

Peu de temps après cette décision de 2015 émanant de la CJUE, et en amont de l’affaire commentée, la doctrine avait indiqué que « s’il s’applique clairement à la question de l’existence de l’action directe, l’article 18 du règlement Rome II ne précise pas la loi qui régit cette action, notamment l’étendue des obligations de l’assureur. Celles-ci devraient donc rester dans le giron de la loi régissant le contrat d’assurance, laquelle est d’ailleurs la seule dont l’assureur est susceptible de prévoir l’application » (H. Slim, op. cit., n° 54).

Avec l’arrêt du 18 décembre 2019, la Haute juridiction française s’est parfaitement inscrite dans les prédictions voire recommandations de la doctrine. Les magistrats du quai de l’horloge ont en effet maintenu le régime de l’assurance dans le giron de la loi régissant la police. A cet effet, ils ont affirmé que si, en application de l’article 18 du Règlement Rome II, « en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle, déterminée conformément à l’article 4 du règlement ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi de ce contrat » (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

Dès lors, en ce qui concerne le régime juridique de l’action, « à savoir l’étendue de la garantie due par l’assureur et les moyens de défense que ce dernier peut apposer, c’est la loi de la police d’assurance qui s’applique. La juridiction française saisie doit appliquer le contrat dans toute sa plénitude. L’enjeu est de taille pour le tiers lésé qui ne peut plus se prévaloir des règles protectrices du droit national des assurances de responsabilité. À titre d’illustration, il ne pourra plus exciper des articles R. 124-1 à R. 124-4 du code des assurances et, notamment, des dispositions relatives à la déchéance ou à la durée minimale de la garantie subséquente, etc. » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 12). En définitive, le régime juridique de l’assurance, « notamment la détermination des exceptions que peut opposer l’assureur, est soumis à la loi du contrat » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, 14e éd., 2017, n° 775).

On observe toutefois une forme d’harmonisation dans les motifs puisqu’en 2015 la Cour de cassation avait étendu la règle de l’article 18 du règlement Rome II aux victimes de dommages contractuels, avec une formule quasi-identique : « la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit » (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, D. 2015. 1846 image ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1161, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre image ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; AJCA 2015. 472, obs. L. Perdrix image ; Rev. crit. DIP 2016. 119, note S. Corneloup image ; RTD com. 2016. 590, obs. P. Delebecque image ; JCP 2015. 1163, note V. Heuzé ; RGDA 2015. 499, note V. Heuzé ; JCP 2015. 991, note F. Mailhé ; RCA 2015, n° 331 ; ibid. étude 12, note N. Ciron ; v. aussi L. Grynbaum (dir.), Assurances, Droit & pratique, L’Argus de l’assurance éd., 6e éd., 2019/2020, n° 3125). Il s’agissait de deux sociétés françaises ayant assigné une société et son assureur allemands devant le tribunal de commerce de Rodez, où leur semi-remorque, récemment réparé par la société allemande, avait en effet pris feu. Les défendeurs avaient soulevé l’incompétence du tribunal français.

D’une part, l’action directe d’une victime ayant subi un dommage en France, si elle est possible d’après la loi désignée par les règles de conflit du for, est prise en compte par l’article 11, § 2, du règlement Bruxelles I. Ce dernier retient que les dispositions des articles 8, 9 et 10 sont applicables en cas d’action directe intentée par la victime contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. Ce texte a été refondu par le règlement (CE) n° 1215/2012, en conservant le contenu de l’ancien article 11 du règlement Bruxelles I. Le règlement de 2012 n’est cependant applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement ou aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015 (art. 66). D’autre part, en ce qui concerne l’assurance de responsabilité, c’est au règlement dit Rome II qu’il convient désormais de se référer.

La dissymétrie des nouveaux textes européens a semble-t-il incités les juges « à faire une nouvelle fois œuvre normative pour étendre la solution de l’article 18 aux victimes de dommages contractuels. Dans une matière aussi lourde d’enjeux que celle des assurances, peut-être aurait-il fallu interroger la Cour de justice sur ce nouveau problème relatif à l’action directe. On peut sans doute approuver l’opportunité de la solution retenue au fond toutefois : l’assureur qui doit anticiper l’environnement juridique des délits de son assuré devrait a fortiori pouvoir anticiper celui des contrats que ce dernier conclut » (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, JCP 2015. 991, note F. Mailhé).

Certes, cette décision de 2015 avait été rendue sous le visa des articles 9, 10 et 11 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, ensemble l’article 3 du code civil, qu’avait violés la cour d’appel qui, pour rejeter l’exception d’incompétence territoriale soulevée par les sociétés allemandes, avait retenu que le principe de l’applicabilité de l’action directe se trouve régi par la loi du lieu où le fait dommageable s’est produit (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, Dalloz actualité, 21 sept. 2015, obs. F. Mélin ; adde L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-3, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 292 ; B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 13). On peut s’interroger quant à savoir si la Cour de cassation souhaitait, depuis 2018, revenir sur l’arrêt de 2015.

L’arrêt du 24 janvier 2018, qui était dans une configuration similaire en matière de conflit de lois mais non de conflit de juridictions (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 17-10.959, inédit, préc.), pourrait avoir remis en cause cette jurisprudence. Cependant, puisque les domaines demeurent différents, on ne peut pas en être certain.

D’aucuns avaient vu un revirement dans l’arrêt du 9 septembre 2015, s’inquiétant que « cette fois, si la seconde possibilité doit être approuvée, la première demeure critiquée » (J. Bigot (dir.), J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5, Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, Lextenso éd., 2017, p. 708, n° 1721). D’autres ont admis que « dans le silence de la Convention de Rome, et face au champ expressément limité de Rome II, la Cour de cassation se trouvait dans une impasse. Il lui a fallu faire preuve d’une ingéniosité qui confine, il faut l’avouer, à un certain forçage des textes. Cassant l’arrêt d’appel qui s’était fondé sur la loi du délit, la Cour s’est en effet placée « en matière de responsabilité contractuelle » (ce qui est au moins confus puisqu’il s’agissait de qualifier l’action directe elle-même) et a visé, avec le règlement Bruxelles I, l’article 3 du code civil (alors qu’il aurait assurément fallu appliquer la Convention de Rome à ce « contrat »).

Puis, posant une nouvelle règle de conflit de lois ad hoc, elle a reproduit purement et simplement celle de l’article 18 précitée en transformant l’expression « obligation non contractuelle » en « obligation contractuelle » ! » (JCP 2015. 991, note F. Mailhé).
Pour l’explication, c’est dans une jurisprudence de 2000, antérieure aux textes européens, que la formule employée en 2015 « en matière de responsabilité contractuelle » trouve son origine. Avant l’entrée en vigueur du règlement Rome II, la Cour de cassation avait admis que si l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable est régie, en matière de responsabilité contractuelle comme en matière de responsabilité quasi délictuelle, par la loi du lieu du dommage, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi du contrat, notamment en ce qui concerne les exceptions opposables par l’assureur (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-15.546 et n° 98-16.103, Rev. crit. DIP 2001. 682, note V. Heuzé image ; RTD com. 2001. 504, obs. B. Bouloc image ; ibid. 1057, obs. P. Delebecque image ; RCA 2001, n° 132 ; JCP 2001. I. 338, obs. G. Viney ; RGDA 2001. 330, note J. Landel ; ibid. 1065, note V. Heuzé ; Droit et patr., juin 2001, p. 122, obs. J. Monéger). Elle reconnaissait, en d’autres termes, que « seule la recevabilité de l’action directe contre l’assureur était soumise à la loi du délit, les obligations qui incombent à l’assureur relèvent uniquement de la loi applicable au contrat d’assurance » (H. Slim, op. cit., n° 54).

La doctrine avait vivement remis en question cette solution, car elle « n’avait aucun sens : ainsi, et par exemple, il est évidemment déraisonnable de prétendre demander à la loi italienne, du lieu du fait dommageable, si elle accorde à la victime l’action directe que définissent les droits français ou allemand, quand ce sont eux qui régissent le contrat d’assurance. Mais la solution était au surplus injustifiable du point de vue des intérêts de la victime dans tous les cas où la loi du lieu du fait dommageable lui refuse le bénéfice d’une action qui est pourtant prévue par la loi du contrat d’assurance » (V. Heuzé, Rev. crit. DIP 2001. 682 image).

Dorénavant, le principe est unique pour retenir la loi applicable à l’action directe contre un assureur. Qu’il s’agisse de la matière contractuelle ou de la matière non contractuelle, le régime de l’action directe, est dans tous les cas soumis à la loi du contrat d’assurance.

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jeudi 28 mars 2024

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