Une cour d’appel ne saurait débouter la salariée n’ayant pas été réintégrée dans son précédent emploi à l’issue d’un congé parental d’éducation de ses demandes au titre de la discrimination liée à son état de grossesse sans rechercher si, eu égard au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes qui choisissent de bénéficier d’un tel congé, la décision de l’employeur de ne confier à la salariée, au retour de son congé parental, que des tâches d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures de comptable ne constituait pas un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du sexe et si cette décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Il résulte des statistiques nationales datées du mois de mars 2016 qu’en France, 96 % des travailleurs prenant un congé parental sont des femmes (CJUE 8 mai 2019, aff. C-486/18, Praxair, pt. 82 citant les conclusions de l’avocat général de la Cour de cassation à l’origine de la question préjudicielle dans l’affaire Praxair, AJDA 2019. 1641, chron. H. Cassagnabère, P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian
En l’espèce, Mme M…, engagée en qualité de comptable par la société Kiosque d’or, a bénéficié d’un congé parental à temps plein de près de trois ans, du 2 juillet 1998 au 23 avril 2001, date à laquelle elle a repris son travail. Toutefois, lors de son retour de congé parental, celle-ci s’est principalement vue confier des tâches subalternes, d’administration et de secrétariat sans rapport avec ses fonctions antérieures, l’employeur ayant décidé de maintenir le remplaçant de Mme M… à l’unique poste de comptable de l’entreprise. Son contrat de travail ayant été transféré quelques années plus tard, la salariée a fait l’objet d’un licenciement pour motif économique pour avoir refusé sa mutation dans un autre secteur géographique (Soc. 4 juill. 2012, n° 11-17.986, inédit, statuant sur les demandes de la même salariée au titre d’un harcèlement moral). L’ancienne salariée a alors saisi la juridiction prud’homale de plusieurs demandes d’indemnisation à l’encontre de son précédent employeur, auquel elle reprochait, outre des faits de harcèlement moral (arrêt préc. ; Soc. 14 oct. 2015, n° 14-25.773, inédit), une violation de son obligation de réemploi applicable au retour d’un congé parental, qui, d’après Mme M…, était également discriminatoire. À ce titre, elle réclamait pour la première fois devant la cour d’appel de Lyon une indemnisation à hauteur de 30 000 € pour une discrimination liée à son état de grossesse.
Le manquement de l’employeur aux dispositions issues de l’article L. 1225-55 du code du travail ne faisait aucun doute en l’espèce, puisqu’aux termes de ce même article, le salarié, de retour d’un congé parental d’éducation, retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalente (Soc. 19 juin 2013, nº 12-12.758 P, Dalloz actualité, 9 juill. 2013, note C. Fleuriot ; D. 2013. 1629
Plus qu’une exécution déloyale du contrat de travail, le manquement de l’employeur à son obligation de réemploi de la salariée à l’issue de son congé parental ne pourrait-il pas s’analyser comme un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination et, qui plus est, d’une discrimination indirecte en raison du sexe ? En l’espèce, c’est parce que les juges du fond n’ont pas reconnu une présomption de discrimination que l’arrêt rendu en appel est en partie censuré pour défaut de base légale. La solution mérite approbation dès lors que la Cour de cassation avait précisé dans un arrêt antérieur qu’« une discrimination indirecte en raison du sexe est constituée dans le cas où une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un sexe donné par rapport à d’autres personnes » (Soc. 6 juin 2012, n° 10-21.489 P, Dalloz actualité, 5 juill. 2012, obs. B. Ines ; D. 2012. 1619
Ce qui rend l’arrêt du 14 novembre 2019 encore plus remarquable, c’est l’engagement affiché par la chambre sociale de faire respecter l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes au travail, en l’occurrence, lorsqu’une salariée est de retour d’un congé parental. En témoigne la substitution du critère de discrimination illicite fondée sur le sexe opérée en l’espèce par les magistrats alors que la salariée invoquait l’existence d’une discrimination liée seulement à son état de grossesse. L’argument statistique tiré de ce que l’immense majorité des travailleurs ayant fait le choix de bénéficier d’un congé parental sont des femmes pourrait expliquer pareille substitution et, partant, la volonté de faire respecter l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes au travail.
Mais, au-delà des résultats statistiques, l’arrêt du 14 novembre 2019 est une illustration de l’influence qu’exerce le droit communautaire sur la Cour de cassation en matière d’égalité de traitement entre les travailleurs des deux sexes. En témoignent les dispositions citées au visa de l’arrêt. En effet, la haute juridiction s’appuie d’abord sur l’ancien article L. 122-45 du code du travail en vigueur au moment des faits du litige (C. trav., actuel art. L. 1132-1, issu de L. n° 2001-1066, 16 nov. 2001 relative à la lutte contre les discriminations, texte transposant la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000, art. 1), puis sur l’accord-cadre relatif au congé parental figurant à l’annexe de la directive 96/34/CE, du Conseil, du 3 juin 1996, applicable au moment du litige (accord-cadre du 14 déc. 1995 annexé à dir. 96/34/CE, 3 juin 1996, remplacée par dir. 2010/18/UE, 8 mars 2010, l’accord-cadre sur le congé parental ayant été révisé par un accord signé le 18 juin 2009).
La référence à la jurisprudence communautaire en dessous du visa témoigne plus vigoureusement encore de l’engagement de la Cour de cassation en faveur du respect par l’employeur de l’égalité de traitement entre hommes et femmes au travail en particulier, à l’issue d’un congé parental (CJUE 22 oct. 2009, Meerts, aff. C-116/08, pts 35 et 37 ; 27 févr. 2014, aff. C-588/12, pts 30 et 32, RTD eur. 2014. 530, obs. S. Robin-Olivier
Mais le renvoi à la jurisprudence communautaire est également lié à un contexte où les objectifs précités ont été récemment rappelés par la Cour de justice de l’Union européenne à l’égard de la législation française relative au calcul de l’indemnité de licenciement des salariées embauchées à temps plein, mais licenciées durant une période de congé parental à temps partiel. Il en va de même de la référence au nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes parmi les travailleurs ayant fait le choix de bénéficier d’un congé parental (CJUE 8 mai 2019, aff. C-486/18, Praxair, préc.).