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Prescription de l’action publique : respect de la présomption d’innocence et du droit de propriété

La prescription de l’action publique implique le respect de la présomption d’innocence

Dans cette affaire, la requérante exerçait la profession de magistrat en Lituanie. Sur le fondement de l’article 114, § 2, de la Constitution lituanienne, des articles 47, § 3, et 89, § 1, de la loi lituanienne sur les tribunaux, et sur proposition du procureur général, le président de la République de Lituanie, Valdas Adamkus, suspendait sans traitement la requérante (par un décr. du 21 févr. 2006) de ses fonctions et autorisait des poursuites pénales à son encontre pour abus de pouvoir (C. pén. lituanien, art. 228, § 1) et faux en écritures publiques (C. pén. lituanien, art. 300, § 2). Les faits visés par ces incriminations s’inscrivaient dans le cadre d’une affaire jugée par la requérante en juin 2002. Plus précisément, celle-ci était accusée de falsification de documents et d’avoir exercé ses fonctions avec partialité, autorisant la privatisation d’un appartement à des conditions avantageuses au bénéfice d’un particulier.

Le 1er juillet 2011, une cour d’appel lituanienne reconnaissait que, sur le plan matériel, la requérante avait effectivement commis les infractions visées ci-dessus. Cependant, la juridiction ne pouvait condamner la requérante en raison des délais de prescription.

Toutefois, sur le fondement de l’article 90, § 1, 5, de la loi lituanienne sur les tribunaux, le Conseil de la magistrature recommandait le 15 juillet 2011 à la nouvelle présidente de la République, Dalia Grybauskaitė, de révoquer la requérante de ses fonctions pour avoir discrédité le titre de juge. La recommandation du Conseil de la magistrature était fondée sur les conclusions d’une enquête interne diligentée par une commission nommée le 29 mars 2011 par le président du tribunal du troisième district de la ville de Vilnius et sur ordre du Conseil de la magistrature. Ce dernier ajoutait, dans sa recommandation formulée au président de la République le 15 juillet 2011, qu’il avait pris en considération « la qualification juridique par la cour d’appel des actes de la requérante » (abus de pouvoir et faux en écritures publiques, respectivement sur le fondement des articles 228 et 300 du code pénal lituanien).

Sur le fondement des articles 112, § 1, 4 et 5, et 115, § 1, 5, de la Constitution, et de l’article 90, § 1, 5 et 6, de la loi lituanienne sur les tribunaux, le président de la République adoptait, le 18 juillet 2011, le décret n° 1K-764 révoquant sans traitement la requérante de ses fonctions. Le même jour, le bureau du président de la République publiait un communiqué de presse dans lequel était précisé que la requérante avait discrédité le titre de juge et causé un préjudice grave à l’État. Le communiqué ajoutait également que, bien que l’action publique eût été prescrite, les actes de la requérante n’en restaient pas moins constitutifs des infractions d’abus de pouvoir et de faux en écritures publiques prévues aux articles 228 et 300 du code pénal lituanien. Après quoi, afin de prévenir de telles situations, des amendements au code pénal ayant vocation à prolonger les délais de prescription furent adoptés à l’initiative du président de la République.

À la suite de l’arrêt rendu par la cour d’appel, la requérante forma toutefois un pourvoi en cassation en invoquant une violation à son égard de son droit à la présomption d’innocence. Le 8 mai 2012, la Cour suprême, siégeant en séance plénière de seize juges (plenariné sesija), reconnut au même titre que la cour d’appel que l’action publique était prescrite. Elle opéra cependant une rupture avec cette dernière en affirmant que certaines énonciations de la décision de la cour d’appel violaient le droit de la requérante à la présomption d’innocence car elles pouvaient être interprétées comme établissant que cette dernière était coupable d’un crime. En effet, selon la Cour suprême, « lorsque la procédure pénale [est] interrompue en raison du délai de prescription, la question de la culpabilité d’une personne [n’est] pas tranchée. […] Si le tribunal, en mettant fin à la procédure pénale, [déclare] également la personne coupable d’un certain crime, cela [constitue] une violation du principe de la présomption d’innocence, consacré à l’article 31 de la Constitution » en ce qu’il est relatif au droit à un procès équitable (§ 13).

Face à la Cour européenne des droits de l’homme, le gouvernement lituanien fit valoir que, « si exprimer des soupçons concernant l’innocence d’un accusé à la suite d’un acquittement définitif n’était pas admissible dans les cas où la procédure était close ou interrompue sans acquittement, certaines observations sur l’existence de soupçons pouvaient être admises (§ 121 ; CEDH 28 oct. 2003, Baars c. Pays-Bas, req. n° 44320/98, § 26-32, RSC 2004. 441, obs. F. Massias image) ».

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) retient finalement une violation du droit à la présomption d’innocence de la requérante sur le fondement que l’article 6, § 2, de la Convention européenne qui dispose que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

Une solution soulignant la puissance du droit

L’affaire présentée ici offre une matérialité mettant en évidence une culpabilité théorique de la requérante au titre de l’abus de pouvoir et du faux en écritures publiques. Seule la prescription de l’action publique apparaît réellement comme la cause de son irresponsabilité pénale. Une telle situation peut apparaître sur un plan éthique comme contestable. La décision de la CEDH démontre donc la puissance du droit et peut ouvrir la voie à une réflexion : la prescription de l’action publique devrait-elle permettre au juge de statuer en équité plutôt qu’en droit ? En droit français, statuer en équité existe en matière civile et commerciale en cas de recours à l’arbitrage (C. pr. civ., art. 1512).

Le traitement d’un fonctionnaire constitue un bien protégé au titre du droit de propriété

L’abandon de la poursuite pénale à l’encontre de la requérante pour cause de prescription (§ 12) s’est accompagné d’actions de la part de cette dernière dans le but d’obtenir le remboursement de ses traitements impayés pour la période du 21 février 2006 au 18 juillet 2011. Cette demande a été rejetée aussi bien dans le cadre d’une action en réclamation (§ 32-35) que dans le cadre d’une action en réparation (§ 55).

La requérante a donc fait valoir que ses traitements constituaient une « possession ». Aussi bien face aux juridictions internes que face à la Cour européenne, elle fonda sa prétention sur l’article 47, § 3, de la loi lituanienne sur les tribunaux. Selon la version de cette disposition applicable le 21 février 2006, le magistrat est rétabli dans ses fonctions et son traitement remboursé si celui-ci « [a été] déclaré innocent dans le cadre d’une procédure pénale (§ 58). Selon la version applicable le 18 juillet 2011, moment du licenciement de la requérante, le magistrat est rétabli dans ses fonctions et son traitement remboursé s’il « [n’a] pas été reconnu coupable par un jugement de justice dans le cadre d’une affaire pénale » (§ 58).

L’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit de propriété. Il dispose que : « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Devant la CEDH, la question qui se posait était donc de savoir si les traitements de la requérante constituaient des biens au sens dudit protocole, et si la suspension de leur versement était révélatrice d’une ingérence illicite.

Le traitement assimilable à un bien au sens de la Convention européenne des droits de l’homme

La Cour européenne affirme clairement qu’elle « partage l’avis de la requérante selon lequel la version de 2008 de l’article 47, § 3, de la loi lituanienne sur les tribunaux créait l’attente légitime selon laquelle, si elle n’était pas reconnue coupable, la requérante pourrait obtenir son traitement » (§ 96 ; v. CEDH 13 déc. 2016, Béláné Nagy c. Hongrie, req. n° 53080/13, § 72-79, AJDA 2017. 157, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; Dr. soc. 2017. 355, étude G. Raimondi image ; ibid. 955, chron. J.-P. Marguénaud et J. Mouly image). La CEDH conclut ainsi que l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention européenne est applicable. Le refus des autorités nationales d’indemniser la requérante pour son traitement impayé constitue donc, selon la Cour européenne, un « contrôle de l’utilisation » des biens (au sens de l’art. 1, al. 2, du Protocole n° 1 de la Conv. EDH) et donc une ingérence dans son droit à la jouissance paisible de ses biens (§ 96 ; CEDH 2 juill. 2013, R.Sz. c. Hongrie, n° 41838/11, § 31-33).

La privation de propriété : une ingérence illicite en l’absence de prévisibilité de la loi l’autorisant

La Cour européenne rappelle que les conditions de licéité d’une ingérence dans les biens d’une personne physique ou morale sont résumées au sein de ses précédents jurisprudentiels (CEDH 2 juill. 2013, req. n° 41838/11, préc., § 35-37) : l’article 1 du Protocole 1 de la Convention européenne « autorise la privation de biens sous réserve des conditions prévues par la loi. L’existence d’une base juridique en droit interne ne suffit pas, en soi, pour satisfaire au principe de légalité. Celle-ci doit être compatible avec l’état de droit et doit fournir des garanties contre l’arbitraire, en plus d’être conformes au droit interne de l’État contractant, y compris à sa Constitution. Les normes juridiques sur lesquelles la privation de propriété est fondée devraient être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application » (CEDH 8 déc. 2005, Guiso-Gallisay c. Italie, req. n° 58858/00, § 82-83, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss image ; RFDA 2009. 285, note M. Van Brustem et E. Van Brustem image).

La CEDH ajoute qu’« une règle est “prévisible” lorsqu’elle prévoit une mesure de protection contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics (CEDH, gr. ch., 7 juin 2012, Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c. Italie, req. n° 38433/09, § 143). De même, la loi applicable doit prévoir des garanties procédurales minimales proportionnelles à l’importance du principe en jeu (CEDH, gr. ch., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers BV c. Pays-Bas, req. n° 38224/03, § 88, Dalloz actualité, 12 oct. 2010, obs. S. Lavric ; Légipresse 2010. 269 et les obs. image ; ibid. 2011. 157, comm. C. Fruteau image ; RSC 2011. 223, obs. J.-P. Marguénaud image ; 25 oct. 2012, Vistiš et Perepjolkins c. Lettonie, req. n° 71243/01, § 96-98) ».

Ainsi, en l’espèce, la Cour européenne note que, par une décision de cour d’appel du 20 avril 2016 qui faisait référence aux décisions antérieures des juridictions internes dans l’affaire civile de la requérante, était invoqué l’article 47, § 3, de la loi lituanienne sur les tribunaux, tel qu’amendé en 2008 et tel qu’il était en vigueur au moment du licenciement de la requérante (§ 55). Mais, en se référant à la version modifiée de l’article 47, § 3, de la loi sur les tribunaux, le pouvoir judiciaire national a, selon la Cour, « ajouté un élément statutaire supplémentaire qui n’avait jamais fait partie de l’appréciation au regard du droit interne, à savoir que le versement d’une indemnité était conditionné à une suspension déraisonnable de fonctions » (§ 112).

La Cour européenne prit ensuite acte des prétentions de la requérante selon lesquelles « la question de savoir si les pouvoirs d’un juge ont été initialement suspendus de manière raisonnable n’a aucune incidence sur son droit à un traitement, à moins qu’elle ne soit reconnue coupable par un jugement définitif du tribunal » (§ 100 in fine ; § 112).

La CEDH conclut enfin que les arguments des juridictions lituaniennes « manquaient de précision et de cohérence, [que] ces arguments n’étaient pas conformes à la lettre de la loi telle que jugée applicable par la cour d’appel dans son arrêt du 20 avril 2016 [et que] les décisions devraient être considérées comme arbitraires » (§ 112 ; comp. et opposer à CEDH, gr. ch., 28 sept. 2004, Kopecký c. Slovaquie, req. n° 44912/98, § 56, AJDA 2005. 541, chron. J.-F. Flauss image ; D. 2005. 870 image, note C. Bîrsan et J.-F. Renucci image).

La Cour européenne poursuit sa réflexion en mettant en avant dans le cas d’espèce l’absence de base légale qui aurait autorisé une ingérence dans le droit de propriété de la requérante. Elle affirme en effet que, si la requérante n’a pas été rémunérée en raison de sa suspension concomitante à la procédure disciplinaire activée à son encontre, il n’existait cependant, ni en 2006 ni en 2011 (au moment de son licenciement), de base légale autorisant la suspension d’un magistrat durant la procédure disciplinaire dont il faisait l’objet, une telle mesure n’ayant été rendue possible que postérieurement (§ 106).

La CEDH conclut alors que, pour la requérante, il n’était « pas prévisible qu’en l’absence de condamnation, elle se verrait refuser le paiement de son salaire pour la durée de sa suspension pendant la procédure pénale » (§ 115). Dès lors que l’ingérence dans les droits de la requérante au titre de l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention n’avait donc aucun fondement juridique, il n’était pas nécessaire selon la Cour d’examiner si cette ingérence avait un but légitime et si elle était proportionnée » (§ 115).

À cinq votes contre deux, la Cour européenne des droits de l’homme retient l’atteinte au droit de propriété de la requérante par violation de l’article 1 du Protocole 1 de la Convention européenne. Cette dernière se voit ainsi indemnisée à hauteur de 94 390 € au titre de son préjudice patrimonial.

Une solution appliquant une conception non extensive de la notion de « biens »

Sur le plan du droit des biens, les traitements et salaires ne doivent, semble-t-il, pas être assimilés à des notions indépendantes des éléments qui les composent. L’argent versé au titre d’un salaire ou d’un traitement est un élément du patrimoine qui est protégé par le droit de propriété. La conception de la notion de « biens » qui est donc ici effectuée par la Cour européenne ne semble pas devoir être considérée comme extensive.

Auteur d'origine: ccollin
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Invité
vendredi 26 avril 2024

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