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Dans le cadre d’un contrat de partenariat qui le lie à la SNCF Réseau, un groupement d’intérêt économique (GIE) a conclu deux contrats de sous-traitance avec un groupement pour la réalisation de travaux préparatoires de terrassement, d’ouvrage d’art et de rétablissement de communication. Les conditions générales auxquelles se réfère le contrat prévoyaient un arbitrage en amiable composition sous l’égide de l’Association française d’arbitrage.

À la suite de différends entre les parties, un tribunal arbitral annula le contrat de sous-traitance en application de l’article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Il semble en effet qu’en violation de ce texte d’ordre public, le GIE n’avait pas fourni au moment de la conclusion du contrat une copie de l’acte général de cautionnement, seul document donnant au sous-traitant l’assurance de l’existence de la garantie exigée par la loi pour assurer la sécurité financière de l’opération.

Le recours en annulation introduit contre cette sentence par le GIE s’articulait principalement autour de la décision de l’arbitre d’appliquer strictement ce texte alors que le tribunal arbitral aurait méconnu sa mission d’amiable compositeur en refusant d’écarter la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975, un tel refus n’étant justifié, selon le recours, qu’en présence de dispositions d’ordre public de direction et non de protection. Le demandeur soutenait encore que l’interprétation erronée de ce texte constituait une violation d’une règle d’ordre public.

L’arrêt rapporté rejette le recours en jugeant que « l’amiable compositeur qui s’estime tenu de respecter les dispositions d’ordre public de direction agit conformément à sa mission ». En outre, selon la cour d’appel de Paris, « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

En jugeant ainsi, la cour d’appel de Paris précise la mission de l’amiable compositeur vis-à-vis de la règle d’ordre public et le contrôle du juge de l’annulation sur l’application de ces règles.

La mission de l’amiable compositeur confronté à une règle d’ordre public

Le rôle de l’amiable compositeur ne se limite pas à un pouvoir. Il doit être compris comme un devoir d’utiliser ses prérogatives afin d’éliminer l’inéquité (v. E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, Joly, 1980, n° 401, p. 326 ; adde, E. Loquin, note sous Civ. 1re, 1er févr. 2012, ETE c. Gascogne paper, Rev. arb. 2012. 91, spéc. p. 102 ; P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, Bruylant, 2017, nos 203 et 372). Ainsi, l’arbitre qui applique à la lettre la règle de droit sans s’interroger sur le caractère équitable de sa décision ne motive pas sa sentence en équité et méconnaît donc sa mission (Civ. 2e, 18 oct. 2001, Rev. arb. 2002. 361, note C. Jarrosson ; Civ. 2e, 10 juill. 2003, n° 01-16.964, D. 2003. 2474 , obs. T. Clay ; RTD com. 2003. 698, obs. E. Loquin ; ibid. 2004. 252, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2003. 1361, note J.-G. Betto ; Civ. 28 nov. 2007, Rev. arb., 2008. 99, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 1er févr. 2012, Rev. arb. 2012. 91, note E. Loquin ; v. E. Loquin, Pouvoirs et devoirs de l’amiable compositeur, Rev. arb. 1985. 99). Sa sentence encourt donc l’annulation (v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, nos 789 s., p. 502).

Précisément, en l’espèce, le recours en annulation reprochait à l’amiable compositeur d’avoir méconnu sa mission en appliquant l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975.

L’amiable compositeur peut pourtant employer des règles de droit s’il justifie qu’elles aboutissent à un résultat équitable. Surtout, le pouvoir d’éviction de l’arbitre statuant ex aequo et bono n’est pas illimité : « l’amiable compositeur ne peut pas écarter toute règle de droit. Il peut uniquement écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 884 p. 878).

L’amiable compositeur peut donc, en principe, écarter les règles supplétives mais reste tenu d’appliquer les règles auxquelles on ne saurait déroger. Comme le rappelle ici la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, […] sauf lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La sentence et l’arrêt rapporté rappellent à juste titre qu’il convient, même en matière d’amiable composition, d’établir une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection.

Pour justifier l’application stricte de la loi du 31 décembre 2019, le tribunal arbitral avait estimé que « l’ordre public de la loi du 31 décembre 1975 a pour fonction de protéger l’organisation sociale et économique de la société française contre les faillites en cascade résultant pour les sous-traitants et leurs créanciers de la défaillance de l’entrepreneur principal » et que « la loi du 31 décembre 1975 rend indisponible le droit de demander la nullité du contrat de sous-traitance d’une manière absolue, dès lors que, comme paraît l’admettre la jurisprudence, la nullité est une nullité de direction ». Le tribunal en avait conclu qu’« à peine d’un risque d’annulation de la sentence, ses pouvoirs d’amiable compositeur ne lui permettaient pas en l’espèce d’écarter en équité la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975 ».

Ce motif de la sentence fut critiqué par le recours qui soutenait qu’en retenant une solution dictée par des dispositions légales l’arbitre ne s’était pas acquitté de sa mission d’amiable compositeur. L’argument est rejeté par la cour qui juge qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ».

Cette décision, fondée sur la distinction entre ordre public de direction et ordre public de protection, mérite l’approbation mais fait naître une part d’inquiétude.

L’arrêt rappelle à juste titre que l’amiable compositeur ne peut passer outre les règles d’ordre public de direction, quand bien même le recourant se prévaudrait de leur caractère inéquitable. En l’espèce, on doit saluer les efforts de pédagogie de l’arbitre qui, conscient des devoirs que lui impose sa mission, explique les raisons qui le conduisent à retenir la solution dictée par la stricte application de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975. La sentence rappelle que, si ce texte impose quelques obligations de forme, dont la violation ne semble certes pas en équité mériter l’annulation du contrat de sous-traitance, elles ne constituent pas de simples formalités mais visent à « l’assurance pour le sous-traitant de la fourniture effective d’un cautionnement le garantissant de façon certaine en cas de défaillance de l’entrepreneur principal ».

Comme elle poursuit l’objectif d’éviter des faillites en cascade, la loi du 31 décembre 1975 constitue, dans ses dispositions visant à assurer le paiement du sous-traitant, une loi de police (v. M.-E. Ancel, La protection internationale du sous-traitant, Trav. Com. fr. DIP 2010. 225), notion qui recoupe l’ordre public de direction en ce que l’une et l’autre visent respectivement la sauvegarde des intérêts économiques du pays et la préservation de l’intérêt général. Le respect de cette loi ne saurait donc dépendre du bon gré des parties, qui ne peuvent valablement y renoncer. C’est donc à juste titre que l’arbitre, approuvé par la cour d’appel, retient que ses pouvoirs d’amiable compositeur, conférés par des volontés individuelles, ne lui permettent pas d’écarter les dispositions de ce texte.

Doit-on en conclure, a contrario, que les pouvoirs d’amiable compositeur autoriseraient l’arbitre à écarter les règles d’ordre public de protection ? Une telle solution poserait une série de difficultés.

Comme nous l’avons vu, l’amiable composition permet « uniquement [d’]écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit.) ou, comme le dit la cour d’appel, elle trouve sa limite « lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La distinction opérée par l’amiable compositeur entre ordre public de direction préservant l’intérêt général et règles impératives visant à la protection d’intérêts particuliers semble donc à première vue justifiée puisque la volonté individuelle ne peut renoncer qu’aux secondes. Mais peut-on estimer que, par la clause d’amiable composition les parties renoncent valablement aux règles d’ordre public de protection ? Un arrêt récent semble avoir admis, au sujet d’une clause de non-concurrence qu’« en stipulant dans les statuts de la société une clause d’arbitrage en amiable composition, et en réitérant ce choix dans l’acte de mission, les parties ont affranchi le tribunal arbitral du respect des règles d’ordre public de protection » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 292). Une réponse positive n’est pas donc pas exclue d’emblée. Quatre objections doivent néanmoins être soulevées.

Tout d’abord, le principe d’effectivité du droit de l’Union semble conduire la Cour de justice de l’Union européenne à considérer avec réticence la renonciation devant l’arbitre aux règles de protection édictées par l’Union européenne. C’est du moins le cas du droit de la consommation (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Mostaza Claro, Dalloz actualité, 5 déc. 2006, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry  ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb., 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid., n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot).

De plus, la renonciation au bénéfice des règles protectrices comporte une condition temporelle : elle n’est valable que lorsqu’a disparu le motif qui justifiait l’impérativité, soit, le plus souvent, après la naissance du litige. Dès lors, dans la mesure où la clause d’amiable composition est le plus souvent acceptée lors de la signature du contrat, cette condition ne sera que rarement satisfaite (v. M. de Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, Economica, 2013, n° 485, p. 264). Ainsi, selon E. Loquin, « la clause d’amiable composition, insérée dans la clause compromissoire, ne permettra jamais aux arbitres d’écarter les droits des parties protégés par l’ordre public de protection. La renonciation qu’elle manifeste intervient, par hypothèse, à une époque où les parties n’ont pas acquis la libre disposition des droits protégés » (E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 405, p. 331 ; adde, J.-Cl pr. civ., fasc. 1038, spéc. n° 91). Ainsi, l’arrêt du 19 décembre 2017 précité, qui admet que la clause d’amiable composition permet à l’arbitre d’écarter les règles de protection, prend soin de noter que les parties avaient réitéré leur choix dans l’acte de mission.

Surtout, l’amiable compositeur n’est censé écarter la loi que pour des motifs d’équité. Or on conçoit difficilement que les règles conçues pour protéger les plus faibles puissent être jugées inéquitables. Le législateur met en place des règles destinées à venir en aide à certaines catégories réputées faibles en compensant un déséquilibre économique par une faveur juridique. Ainsi sont protégés, parmi d’autres catégories, le consommateur, le salarié, le franchisé ou, comme en l’espèce, le sous-traitant qui, s’il n’est pas toujours en état de faiblesse, se trouve du moins fragilisé du fait des menaces que sa position dans l’opération contractuelle fait peser sur sa rémunération.

On peut admettre que ces règles de protection deviennent inéquitables lorsque la présomption de faiblesse posée par la loi n’est pas justifiée au regard des faits de la cause et/ou lorsque la situation économique des litigants ne correspond pas à la catégorie à laquelle la loi les assigne. Tel serait le cas lorsque, par exemple, le sous-traitant est une grande entreprise à laquelle un modeste maître d’œuvre n’est pas en mesure de dicter ses conditions.

Mais peut-on dire que, par la clause d’amiable composition, la partie réputée faible renonce en connaissance de cause à une mesure protectrice ? Certes, selon la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit » (v. déjà, Paris, 28 nov. 1996, Rev. arb. 1997. 381, note E. Loquin ; 4 nov. 1997, Rev. arb. 1998. 704, obs. Y. Derains). Cependant, selon la théorie générale de l’acte abdicatif, le fait de se départir de ses prérogatives est un acte grave qui, à ce titre, ne se présume pas (v. Rép. civ., v° Renonciation, par F. Dreifuss-Netter, nos 39 s ; Les renonciations au bénéfice de la loi en droit privé, Travaux de l’association Henri-Capitant, 1959-1960, vol. XIII) mais doit résulter d’une manifestation de volonté claire et dépourvue d’ambiguïté (v. not. Paris, 14 mars 1991, Esso c. Sarl Stationnement du Stade, D. 1991. 127 ). Peut-on dire que la partie faible qui demande à être jugée en équité abdique sans équivoque les mesures par lesquelles la compassion du législateur entend secourir sa détresse ?

Une réponse catégorique semblerait bien téméraire. On peut même considérer qu’une telle solution n’est pas sans danger dans le contexte actuel d’extension de l’arbitrabilité ratione personae (réforme de C. civ., art. 2061) et de faveur envers les modes alternatifs de résolution des litiges (v. L. n° 2019-222, 23 mars 2019). L’extension des matières arbitrables aux parties qui ne contractent pas dans le cadre de leur activité professionnelle ne devrait pouvoir s’envisager qu’à la condition d’assurer le respect des règles protectrices prévues par le législateur, quand bien même elles bénéficieraient à de riches consommateurs dans des litiges qui les opposeraient à de modestes commerçants.

Reste à savoir si l’amiable compositeur qui choisirait d’appliquer strictement la loi au motif erroné qu’il s’agit d’une règle d’ordre public de direction exposerait sa sentence à un risque d’annulation. Dans la mesure où ils peuvent mettre leur décision à l’abri de toute critique en se contentant de la déclarer équitable (v. P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, op. cit., n° 377 ; E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 402 p. 327 in fine ; Civ. 2e, 8 juill. 2004, JCP 2004. I. 179, obs. C. Seraglini ; contra Paris, 10 mai 2007, Rev. arb., 2007. 825, note V. Chantebout), il est peu probable qu’un amiable compositeur paresseux use volontairement de cette manœuvre pour méconnaître les devoirs attachés à sa mission. C’est donc sur le fondement de l’ordre public que cette qualification erronée doit être contrôlée. La cour juge à ce sujet que « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ». L’erreur dans l’application d’une règle impérative ne se confond en effet pas avec une violation de l’ordre public.

Le contrôle de la violation de l’ordre public

Le recours reprochait encore à l’arbitre d’avoir violé l’ordre public en retenant une interprétation erronée de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975, ce qui, selon le demandeur, aurait conduit à l’annulation injustifiée du contrat de sous-traitance.

La Cour écarte le grief en jugeant que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne porte que sur la solution donnée au litige, l’annulation n’étant encourue que dans la mesure où cette solution heurte l’ordre public. Mais ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

La Cour confirme ici sa jurisprudence en vertu de laquelle c’est dans la solution du litige et non dans la motivation de la sentence que réside le siège de l’atteinte à l’ordre public (v. J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1998, n° 972, p. 543). Dès lors, la mauvaise application d’une règle d’ordre public, à la supposer établie, ne suffit pas en soi à constituer une violation de l’ordre public justifiant l’annulation d’une sentence arbitrale. Il faut encore que la solution retenue porte atteinte aux objectifs protégés par cette loi.

Violation de l’ordre public et erreur dans l’application d’une règle impérative ne sont en effet pas synonymes. Une telle violation résulte certes le plus souvent d’une mauvaise application d’une règle impérative mais l’erreur de droit peut ne pas donner lieu à une telle atteinte s’il n’en découle pas une solution contraire à l’ordre public.

Ainsi, si un tribunal arbitral estime à tort qu’un contrat licite constitue une entente prohibée, sa solution ne porte pas atteinte à l’ordre public malgré l’appréciation erronée d’une règle impérative dans la mesure où la libre concurrence n’est pas affectée par la sentence (v. P. Mayer, La sentence contraire à l’ordre public au fond, Rev. arb. 1994. 615, spéc. n° 18, p. 631 ; J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, op. cit., n° 977, p. 546 ; P. Fouchard, L’arbitrage international en France après le décret du 12 mai 1981, JDI 1982. 374 ; P. Bellet et E. Mezger, L’arbitrage international dans le NCPC, Rev. crit. DIP 1981. 611, spéc. p. 648).

En l’espèce, l’erreur de l’arbitre, à la supposer établie, aurait consisté en l’annulation injustifiée d’un contrat de sous-traitance faute de caution garantissant le paiement du sous-traitant. La sentence qui annule le contrat n’exposerait pas le sous-traitant à un risque de non-paiement ; l’économie nationale ne serait donc pas confrontée au danger de faillites en cascade. Seul l’intérêt de l’entrepreneur serait lésé alors que sa protection n’est pas l’objectif de la loi du 31 décembre 1975.

Le contrôle du juge de l’annulation n’a en effet pas pour but de protéger les droits des parties au regard des règles impératives mais doit se contenter de contrôler si la solution de la sentence porte atteinte aux objectifs et valeurs que les règles d’ordre public ont pour but de sauvegarder. On peut toutefois penser que l’extension de l’arbitrabilité ratione personae aux parties faibles appelle un infléchissement de la jurisprudence sur ce point.

Curieusement, la cour retient en outre que « l’arbitre n’a pas annulé le contrat de sous-traitance au seul motif de l’absence de remise par l’entrepreneur principal au sous-traitant d’une garantie bancaire au moment de la signature du contrat de sous-traitance, mais a aussi constaté l’absence de toute caution ». Elle se livre ici à un examen approfondi de la motivation de la sentence pour juger qu’au surplus, l’arbitre a retenu une interprétation correcte de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 (pour un ex. récent d’un contrôle étendu de la bonne application par l’arbitre de la loi du 31 déc. 1975, v. Paris, 23 oct. 2018, CMO c. Lavalin, Rev. arb. 2019. 508, note V. Chantebout).

Le bien-fondé et la rectitude du raisonnement de l’arbitre confortent donc la décision de rejet du recours en annulation. On a ainsi vu les cours d’appel se livrer à un contrôle très approfondi de la motivation des sentences lorsqu’un tel contrôle permettait de sauver des sentences qui auraient autrement été compromises (v. V. Chantebout, Le principe de non-révision des sentences arbitrales, thèse Paris II, ss la dir. de C. Jarroson, 2007, spéc. nos 266 s.). Dans la mesure où un tel examen n’était pas nécessaire en l’espèce pour rejeter le recours, il est permis d’y voir le signe que la cour d’appel de Paris entend maintenir à l’avenir l’intensité du contrôle auquel elle se livre en matière d’ordre public depuis 2014 (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 1004, p. 996). La décennie qui s’ouvre nous le dira.

Le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers ont annoncé, hier, que la rencontre avec la garde des Sceaux et le secrétaire d’État en charge des retraites, qui avait eu lieu plus tôt dans la matinée, n’avait donné lieu « à aucune nouvelle proposition » pour la profession d’avocat.

« Les projets de loi restent donc inacceptables », a déclaré le triumvirat dans un communiqué commun (voir documents joints). « Nous avons exigé que des propositions soient formulées, que des garanties solides soient données pour préserver l’autonomie de notre régime et que les avocats ne perdent pas un euro », a résumé Christiane Féral-Schuhl, en sortant de la Chancellerie, place Vendôme.

De son côté, le ministère a évoqué « une réunion de travail constructive » et a confirmé qu’ « un courrier faisant part des pistes de propositions » serait envoyé dans la soirée, hier lundi 13 janvier, ou aujourd’hui, mardi 14 janvier.

« La mobilisation des avocats et leur détermination sont totales », concluent les instances. Les barreaux français ont annoncé maintenir la grève, notamment celui de Lyon où se déroule le procès du prêtre Preynat, qui a dû être renvoyé d’une journée, hier, en raison de la grève et la suspension des robes sur les balustrades du TGI.

Les avocats se mobilisent depuis plusieurs semaines contre le projet de réforme des retraites du gouvernement. « Ce dernier prévoit l’absorption dans le régime universel du régime autonome des avocats, provoquant notamment un doublement des cotisations à 28% et la baisse des pensions », rappelle la profession.

Une partie, bénéficiant d’une procédure de redressement judiciaire, est placée en liquidation judiciaire par le tribunal de grande instance et interjette appel du jugement. Après l’audience de plaidoirie, l’appelant adresse à la cour et aux intimés, par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) et en cours de délibéré, des conclusions de désistement d’appel. La cour d’appel de Dijon annule le jugement et déboute la caisse régionale de mutualité agricole (MSA) de ses demandes de résolution du plan de redressement et de placement de l’appelant en liquidation judiciaire. Celle-ci forme un pourvoi, motif pris qu’un désistement qui ne contient pas de réserves et n’est pas précédé d’un appel incident ou d’une demande incidente n’a pas besoin d’être accepté et peut intervenir à tout moment. Pour la MSA, la cour d’appel ne pouvait donc statuer ainsi sans violation des articles 401 et 403 du code de procédure civile. Reprenant le visa de ces articles, la deuxième chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Dijon, constate le désistement de l’appel et dit n’y avoir lieu à renvoi. Pour la Cour de cassation, les conclusions de désistement, qui n’avaient en l’espèce pas besoin d’être acceptées et étaient parvenues en cours de délibéré, c’est-à-dire avant que la cour d’appel ne rende sa décision, l’avaient donc immédiatement dessaisie.

L’article 401 dispose que « le désistement de l’appel n’a besoin d’être accepté que s’il contient des réserves ou si la partie à l’égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente » tandis que l’article 403 ajoute que « le désistement de l’appel emporte acquiescement au jugement. Il est non avenu si, postérieurement, une autre partie interjette elle-même régulièrement appel ». La procédure d’appel n’est pas la procédure de première instance, et même le désistement obéit à des...

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La présente contribution est la publication en avant-première d’un article à paraître dans le numéro de janvier de la revue Dalloz avocats qui consacre un dossier à la réforme de la procédure civile.

 

L’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 prise en application de l’article 28 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui avait pour ambition affichée de simplifier, clarifier et harmoniser les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires, a soumis les cas de « référé en la forme » à des procédures ordinaires, que ce soit sur requête, en référé, ou selon la voie contentieuse ordinaire (v. Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP 2019. 928 ; S. Mraouahi, La mutation du référé en la forme : bienvenue à la procédure accélérée au fond !, RDT 2019. 651 ). Le but était avant tout de répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens du droit (Y. Strickler, Réforme des procédures « en la forme des référés » : une ordonnance pour répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens du droit, JCP 2019. 829). Dans cette optique, le texte a maintenu une procédure accélérée au fond dans les cas où il est nécessaire d’obtenir un jugement au fond dans des délais rapides. Un décret devait intervenir pour compléter les dispositions légales que prévoyait cette ordonnance. C’est désormais chose faite. Sur le plan formel, ce décret modifie les dispositions relatives à la procédure en la forme des référés devant les juridictions de l’ordre judiciaire et la renomme « procédure accélérée au fond ». Il distingue les procédures qui demeurent des procédures accélérées au fond de celles qui deviennent des procédures de référé, sur requête ou au fond.

Les dispositions du décret s’appliquent aux demandes introduites à compter du 1er janvier 2020, à l’exception des dispositions de l’article 22 modiant le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, entrées en vigueur dès le lendemain de la publication du décret et dont il ne sera pas question dans le présent commentaire.

Le choix des mots

La première chose à relever s’agissant de cette réforme est à la fois la plus visible et la plus anodine si on n’y prête pas attention : c’est le choix des mots qui est loin d’être une question secondaire comme l’avait très justement relevé l’étude d’impact du projet de loi de programmation (Étude d’impact du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, 19 avr. 2018, p. 119). L’ordonnance avait fait le choix d’une nouvelle appellation pour désigner cette procédure en consacrant la « procédure accélérée au fond ». Le but était d’abord de se départir de l’ancien vocable qui entretenait une confusion fâcheuse. La procédure en « la forme des référés » n’a jamais été clairement distinguée de la procédure des référés dont elle était censée être un pastiche. Dans de très nombreux cas, le législateur a prévu que la procédure simplifiée du référé serait applicable devant des juridictions statuant au fond. Il était alors dit que le tribunal était saisi ou qu’il statuait « en la forme des référés », « selon les formes des référés », « comme en matière de référé », etc. (V., sur les variantes terminologiques, M. Foulon et Y. Strickler, Les référés en la forme, Dalloz, 2013.)

Le poids des mots

Il ne fallait cependant pas se tromper. Il ne s’agissait que d’emprunter la procédure de référé pour l’utiliser dans le cadre de procédure au fond. Conformément à l’article 492-1 du code de procédure civile, le tribunal saisi « en la forme des référés » était une juridiction du fond, rendant des décisions au principal et non au provisoire comme c’est le cas en matière de référé. Un « référé au fond » (P. Estoup, La pratique des procédures rapides, 2e éd., Litec, 1998, nos 139 s. ; v. aussi, employant ces termes, Y. Strickler et M. Foulon, De l’hybridation en procédure civile. La forme des référés et des requêtes des articles 1379 et 1380 du code de procédure civile, D. 2009. 2693 ), en somme, ce qui confine à l’oxymore. D’où l’appellation de « faux référé » qui était classiquement utilisée pour désigner les procédures en la forme des référés. En vérité, ces variations de vocabulaire étaient incommodes car elles révélaient « un abus de langage de la part du législateur qui a désigné une procédure définitive en employant un mot désignant son contraire » (Rép. pr. civ., v° Référé civil, par N. Cayrol, n° 29 ; v. aussi G. Wiederkehr, « Le droit et le sens des mots », in Mélanges Goubeaux, 2009, Dalloz-LGDJ, p. 571). Mais il y avait pire encore. Les « référés en la forme » étaient une catégorie hétéroclite recouvrant des vrais faux-référés et des faux faux-référés, c’est-à-dire « un vrai référé, travesti en faux référé » (I. Després, « Référés et requêtes… en droit des libéralités et des successions », in Mélanges Wiederkehr, 2009, Dalloz, p. 226). Autant dire que ce mécanisme procédural recouvrait une situation kafkaïenne à laquelle il devenait urgent de remédier. On le sait, dans les matières techniques comme la procédure civile, le poids des mots est important : « l’imprécision du vocabulaire engendre rapidement la confusion des problèmes » (Rép. pr. civ., v° Action en justice, par N. Cayrol, n° 40).

Déroulement de la procédure

La simplification de la terminologie était une étape indispensable – la première – de cet effort de simplification. Voilà donc consacrée la procédure accélérée au fond (pour un regard critique sur cette appellation, v. Y. Strickler, art. préc., JCP 2019. 928, spéc. n° 3) qui se libère de cette référence trompeuse au référé. Signe de cette évolution, le décret du 20 décembre 2019 abroge purement et simplement l’article 492-1 du code de procédure civile. Le nom a été changé, et c’est heureux, mais la chose demeure, au moins dans son essence. Il s’agit toujours d’une voie procédurale tout entière tournée vers le traitement rapide la prétention qui relève d’un autre juge que le juge des référés. Le décret apporte des précisions sur le déroulement de la procédure accélérée au fond. On notera le découpage qu’il adopte entre, d’un côté, les dispositions relatives au régime général de la procédure accélérée au fond et, de l’autre, les dispositions particulières.

Régime général

Au titre du régime général, le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 crée un article 481-1 au sein du code de procédure civile lui-même inséré dans une sous-section 2 relative aux « jugements en procédure accélérée au fond ». En ce qui concerne l’introduction de l’instance, il est prévu que la demande doit être portée par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet. Il s’agit donc d’une procédure contradictoire dont il est précisé qu’elle est orale. Le juge doit être saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe avant la date fixée pour l’audience, sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance, ou, à défaut, à la requête d’une partie. Le jour de l’audience, le juge doit s’assurer qu’il s’est écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense. Il a en outre la faculté de renvoyer l’affaire devant la formation collégiale, à une audience dont il fixe la date, qui statuera selon la procédure accélérée au fond. À titre exceptionnel, en cas d’urgence manifeste à raison notamment d’un délai imposé par la loi ou le règlement, le président du tribunal, statuant sur requête, peut autoriser à assigner à une heure qu’il indique, même les jours fériés ou chômés. Une fois rendu, le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire dans les conditions prévues aux articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile. La décision du juge peut être frappée d’appel à moins qu’elle émane du premier président de la cour d’appel ou qu’elle ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande. Quant au délai d’appel ou d’opposition, il est de quinze jours. À la lecture de ces nouvelles dispositions, il apparaît que le régime de la procédure accélérée au fond emprunte largement à celui du référé, ce qui montre, comme son (nouveau) nom l’indique, que la célérité est toujours l’objectif premier de cette voie procédurale.

Dispositions particulières

Au titre des dispositions particulières, il faut noter que de nombreux codes sont touchés par le décret (en tout et pour tout neuf codes : les codes de procédure civile, de commerce, de l’expropriation pour cause d’utilité publique, des procédures civiles d’exécution, de la santé publique, de la sécurité sociale, du travail, de l’urbanisme et le code rural et de la pêche). Les modifications consistent, pour les procédures qui n’ont pas été intégrées au domaine du référé, des requêtes ou de la procédure contentieuse ordinaire, à substituer aux termes « en la forme des référés » les mots « selon la procédure accélérée au fond » et, par voie de conséquence, à substituer au terme « ordonnance » les mots « jugement » ou « décision ».

En définitive, l’avenir dira si la nouvelle procédure accélérée au fond permettra de surmonter les difficultés auxquelles se heurtaient les praticiens avec le référé en la forme ou si elle en suscitera elle-même. Pour l’heure, il faut se garder de tout jugement hâtif et, pourquoi pas, se montrer optimistes. La réforme simplifie les choses en adoptant une sémantique plus claire que la précédente ce qui est, en soi, une avancée : bien nommer les choses, c’est déjà les dominer.

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C’est un court arrêt que nous livre la Cour de cassation, le 5 décembre 2019, dans une affaire dans laquelle il était fait reproche à l’appelant de ne pas avoir fait signifier, en même temps que la déclaration d’appel, l’annexe contenant les chefs critiqués.

La Cour de cassation, en quelques mots, casse et annule l’arrêt d’appel qui avait accueilli le moyen de caducité soulevé par l’intimé. Outre qu’il rappelle ce qu’est une déclaration d’appel, et ce qu’elle n’est pas, l’arrêt interroge quant à sa portée réelle ou possible.

« L’annexe contenant les chefs de la décision critiqués »

Il est précisé dans l’arrêt que la déclaration d’appel contenait une annexe. Cela mérite des explications. Quiconque ne pratique pas de manière habituelle la procédure d’appel sera bien en mal de comprendre ce dont il s’agit.

Le code de procédure civile ne contient aucune disposition prévoyant que l’acte d’appel devrait être assorti d’un document annexe qui contiendrait les chefs critiqués. Notamment, il n’est rien dit à ce sujet à l’article 901, au rebours de l’article 85, concernant l’appel en matière d’exception d’incompétence, qui permet de joindre des conclusions à l’acte d’appel si celui-là ne contient pas la motivation de l’appel.

L’annexe dont il est question, et qui contiendrait les chefs expressément critiqués, apparaît dans une circulaire de la chancellerie (circ. du 4 août 2017 : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel. »). Cette possibilité laissée à l’appelant répond aux limites techniques d’un système qui ne permet pas, actuellement, de contenir plus de 4 080 caractères.

Alors que cette possibilité avait vocation à être très isolée, la limite des 4 080 caractères s’avérant amplement suffisante en pratique, force est de constater qu’elle s’est généralisée. Ainsi, de nombreux avocats ont pris l’habitude d’annexer de manière systématique un document joint contenant les chefs du jugement expressément critiqués.

Il faut néanmoins rappeler que cette tolérance provient d’une simple circulaire, qui n’a donc aucune valeur d’obligation (Civ. 2e, 30 mars 2017, n° 15-25.453 P, Dalloz actualité, 27 avr. 2017, obs. M. Kebir ; JA 2017, n° 561, p. 11, obs. J. Marfisi ; RDSS 2017. 572, obs. T. Tauran ).

La question se pose de la possibilité de procéder de cette manière lorsque l’appelant ne démontre pas être dans l’impossibilité de faire figurer les mentions dans la déclaration elle-même, sachant que l’arrêt de cassation ne consacre pas cette pratique.

Les juges, nonobstant la circulaire du 4 août 2017, pourraient retenir que la possibilité de mentionner les chefs critiqués dans un acte séparé n’est ouverte que lorsqu’il est démontré une impossibilité technique de les faire figurer dans la déclaration d’appel elle-même. Cela correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de cause étrangère, lorsqu’il est démontré que le fichier joint excède la taille de 4 Mo et qu’il ne peut en conséquence être envoyé par voie électronique (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864 P, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ; JCP 2017. 1248, obs. Croze ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 54, obs. Herman).

« L’annexe de la déclaration d’appel dans laquelle il avait fait figurer les chefs de dispositif de l’ordonnance critiqués par l’appel »

Il ressort du moyen de cassation que, dans l’annexe, l’appelant avait « fait figurer les chefs de dispositif de l’ordonnance critiqués ». Or l’article 901 impose de mentionner les chefs du jugement, lesquels, selon nous, sont à distinguer des chefs de dispositif.

Nous pouvons douter qu’un simple copié-collé du dispositif du jugement dont il est fait appel réponde à l’objectif du décret du 6 mai 2017 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile), et ce d’autant que le jugement est joint à la déclaration d’appel. La lecture de la déclaration d’appel doit permettre à toute partie, et à la cour, de savoir précisément ce qui sera discuté́ en appel. Mieux, cette lecture devrait déjà dresser un canevas de ce que seront les conclusions en appel.

Nous pensons que la détermination des chefs du jugement critiqués impose un travail intellectuel consistant à examiner ce qui était discuté en première instance, ce qui a été jugé par le jugement dont appel, et ce que sera la discussion en appel (v. Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas Express », n° 317).

« La déclaration d’appel […] avait été signifiée dans le délai requis »

La Cour de cassation rappelle par ailleurs ce qu’est la déclaration d’appel, et ce qu’elle n’est pas. Il ressort que le document annexe n’a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrante de la déclaration d’appel.

Sur le plan procédural, cela est inattaquable. En effet, dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, qui imposent, aux termes de l’article 930-1, de remettre les actes de procédure par voie électronique, c’est l’article 10 de l’arrêté technique du 30 mars 2011 (arr. du 30 mars 2011, art. 10, relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel : « Le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif tient lieu de déclaration d’appel, de même que son édition par l’auxiliaire de justice tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier. ») qui nous dit ce qu’est une déclaration d’appel. Pour former appel, l’avocat envoie un fichier structuré au greffe, lequel envoi génère, après son traitement par les services du greffe, un fichier au format PDF, qui est la déclaration d’appel au sens procédural strict, comme l’a précisé la Cour de cassation (Civ. 2e, 6 déc. 2018, n° 17-27.206 P, Dalloz actualité, 16 janv. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero ).

Or l’arrêté technique qui définit la déclaration d’appel ne connaît pas le document annexe à la déclaration d’appel. Lui donner une valeur procédurale ajouterait à l’arrêté de 2011, mais également au code. Nous comprenons que l’incident de caducité soulevé par l’intimé reposait essentiellement sur la jurisprudence de la Cour de cassation ayant retenu que n’a pas fait diligence l’appelant qui a fait signifier un acte autre que la déclaration d’appel (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-18.212 P, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2192 , note G. Bolard ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ). Pour l’intimé, il s’agissait de soutenir que la déclaration d’appel était constituée du fichier PDF en plus document annexe, de sorte que c’est cet ensemble, indissociable, qu’il fallait signifier pour satisfaire à l’obligation procédurale de l’article 905-1 (ou de l’article 902 en circuit ordinaire).

Mais dès lors que ce document joint n’est pas une partie de la déclaration d’appel, la caducité ne pouvait aboutir pour ce motif.

La cassation s’imposait.

L’arrêt semble donc prendre de la distance avec la circulaire, laquelle n’est au demeurant pas citée alors qu’elle est au centre de la problématique. En effet, la circulaire précisait quant à elle que « cette pièce jointe […] fera ainsi corps avec la déclaration d’appel », ce que l’arrêt semble rejeter en ne lui accordant aucune valeur procédurale.

Mais la question pourrait se poser lorsque la déclaration d’appel n’est pas le document PDF généré par le système RPVA, mais un document papier. Il en est ainsi lorsque l’appel est formé par un défenseur syndical en matière prud’homale, qui n’a pas accès au réseau électronique des cours d’appel (C. pr. civ., art. 930-2), ou par un avocat qui ne peut remettre son acte par voie électronique en raison d’une cause étrangère (C. pr. civ., art. 930-1).

Faudrait-il alors considérer que l’annexe papier ferait partie intégrante de la déclaration d’appel papier ? Rien n’est moins sûr. Dès lors que ce document annexe n’existe pas davantage dans le code, notamment à l’article 901, il ne saurait lui être conféré une quelconque valeur. Mais c’est justement cela qui interroge sur la portée de l’arrêt.

« La déclaration d’appel, dont la nullité n’avait pas été prononcée »

Pour la Cour de cassation, « la déclaration d’appel, dont la nullité n’avait pas été prononcée, avait été signifiée dans le délai requis ». L’arrêt de la Cour aurait certainement été aussi clair, et la solution identique, s’il s’était contenté de dire que « la déclaration d’appel avait été signifiée dans le délai requis ».

Nous doutons que cette précision, selon laquelle « la nullité n’avait pas été prononcée », soit anodine. Mais s’agit-il de souligner que l’intimé n’a pas abordé la problématique sous le bon angle ?

La nullité d’un acte d’appel, en rapport avec la mention des chefs expressément critiqués, renvoie notamment aux trois avis rendus en 2017 par la Cour de cassation (Cass., avis, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036, D. 2018. 18 ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean ), desquels il ressort que la déclaration d’appel ne mentionnant pas les chefs expressément critiqués serait nulle pour vice de forme.

Cette précision de la Cour de cassation pourrait laisser entendre que cette annexe ne satisferait pas à l’exigence de l’article 901 imposant à la partie de mentionner les chefs expressément critiqués dans la déclaration d’appel elle-même. En d’autres termes, cette déclaration d’appel avec document joint ne contiendrait pas les chefs expressément critiqués et encourrait donc la nullité pour vice de forme.

Allant un peu plus loin dans le raisonnement, et oubliant la nullité de l’acte d’appel qui n’est stratégiquement jamais très intéressante à soulever (Procédures d’appel, op. cit., n° 328), cela reviendrait à dire que la cour d’appel, dans un tel cas, ne serait saisie de rien, l’effet dévolutif de l’article 562 du code de procédure civile n’ayant pu jouer (ibid.).

Cet arrêt, avec cette interprétation, ouvre des portes intéressantes et conforte la thèse qui a pu être la nôtre quant au caractère dangereux de mentionner les chefs critiqués dans un document séparé (ibid., n° 326).

Nullité de l’acte ou irrecevabilité des demandes ?

En l’état de cette jurisprudence, il apparaît que l’intimé, en présence d’une déclaration d’appel pour laquelle les chefs critiqués sont mentionnés dans un document séparé, pourrait envisager de soulever la nullité de l’acte d’appel pour vice de forme.

La difficulté, avec le vice de forme, est le grief, quasiment impossible à démontrer. Mais, en l’espèce, l’intimé se voit signifier une déclaration d’appel qui ne lui permet pas de connaître la dévolution. Le grief devient alors évident, tout comme il existe lorsque l’acte d’assignation n’est pas motivé au regard de l’article 56 (v. Civ. 2e, 6 avr. 2006, n° 04-11.737 P, AJDI 2007. 208 , obs. P. Capoulade ).

Mais il apparaît plus efficace, compte tenu de l’effet interruptif de l’article 2241 du code civil en cas de nullité de l’acte d’appel (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 2118 ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; JCP 2014. 1271, note Auché ; 1er juin 2017, n° 16-14.300 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1196 ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ), d’aller sur le terrain de l’irrecevabilité des demandes.

En l’état actuel, cette irrecevabilité des demandes est encore de la compétence de la cour d’appel, mais c’est le conseiller de la mise en état qui pourrait prochainement en être investi s’il récupère, fort logiquement, les nouvelles compétences du juge de la mise en état en matière de fin de non-recevoir (décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, art. 4, I, créant un art. 789, 6°, qui donne compétence au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir).

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Un véhicule appartenant indivisément à deux personnes est incendié. Celles-ci saisissent la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) pour obtenir réparation sur le fondement de l’article 706-14 du code de procédure pénale. La cour d’appel de Bordeaux alloue à chacune des victimes la somme de 4 500 €. Le Fonds de garantie des victimes et des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Il reproche à la cour d’appel de Bordeaux d’avoir alloué deux sommes de 4 500 € aux deux coïndivisaires, ce qui serait contraire aux articles 706-14 et 706-14-1 du code de procédure pénale qui ne prévoiraient que l’octroi d’une seule indemnité.

Lorsqu’elle applique le régime d’indemnisation de l’article 706-14 du code de procédure pénale en présence d’une indivision, la CIVI peut-elle allouer deux sommes à chacun des demandeurs ou doit-elle se contenter de n’en allouer qu’une seule ?

La Cour de cassation, dans un arrêt auquel elle donne de l’importance (FS-P+B+I), rejette le pourvoi et décide que la cour d’appel a eu raison de dire que les deux victimes étaient fondées à solliciter chacune une indemnisation.

L’article 706-14 du code de procédure pénale est indissociable de l’article 706-14-1 qui en est « la déclinaison » pour les véhicules incendiés (C. Béchu et P. Kaltenbach, Rapport d’information n° 107, 2013-2014). L’objectif de ces textes est d’améliorer le sort des victimes dans divers cas précisés par la loi, au nom de la solidarité nationale. L’article 706-14-1 est issu d’une loi du 1er juillet 2008 et établit un régime visant spécifiquement les incendies de véhicules. Le texte prévoit qu’il s’applique « à toute personne victime de la destruction par incendie d’un véhicule terrestre à moteur » tout en se rapportant aux conditions mentionnées dans l’article précédent. Il est donc plus limité en ce qu’il ne concerne qu’un certain type de dommage, mais plus facile à engager en ce qu’il s’affranchit de la condition exigeant que la victime établisse se trouver dans une situation matérielle ou psychologique grave. La deuxième chambre civile rappelle d’ailleurs, en citant l’arrêt de la cour d’appel, que les demandeurs remplissaient bien les conditions spécifiques de ce régime. Parmi ces conditions, le fait d’être titulaire de la carte grise puisque le texte précise que les victimes doivent justifier « au moment des faits avoir satisfait aux dispositions du code de la route relatives au certificat d’immatriculation et au contrôle technique ». On comprend toutefois, à la lecture de l’arrêt, que seul l’un des indivisaires était titulaire de la carte grise et que l’autre est celui qui avait payé le véhicule. Cela semblait suffisant aux juges pour conférer aux deux victimes la qualité de coïndivisaire. Cela signifie-t-il qu’il suffit d’être titulaire de la carte grise d’un véhicule pour s’en voir attribuer une partie de la propriété ? Pourtant, les juges se sont déjà prononcés, au regard de l’article 322-2 du code de la route, pour décider que « le certificat d’immatriculation dit carte grise est un titre de police mais ne préjuge pas de la propriété du véhicule » (Civ. 1re, 25 févr. 1958, Bull. civ. I, n° 114) ou encore que « la carte grise d’un véhicule est une simple pièce administrative qui permet la mise en circulation du véhicule mais qui ne vaut pas titre de propriété » (Paris, 14 sept. 2000, D. 2000. IR 265 ).

En l’espèce, ce ne sont pas tant les conditions du régime qui posent problème que les conditions d’attribution de l’indemnité. Le Fonds d’indemnisation fait valoir que l’existence d’une indivision n’est pas un motif justifiant l’octroi d’une indemnité à chaque indivisaire.

L’enjeu est important. Il est aussi multiple. En effet, le régime prévoit un plafond de ressources qui est d’ailleurs plus élevé que pour le régime de l’article 706-14 du code de procédure pénale. L’article 706-14-1 rehausse le plafond à une fois et demie celui prévu à l’article précédent (v. L. n° 91-647, 10 juill. 1991, art. 4). On comprend que, selon le mode d’attribution, il est possible de dépasser le plafond prévu pour la réalisation du dommage consistant en l’incendie de la voiture. Si on envisage l’indivision comme une entité, la somme attribuée à son profit sera forcément moindre que si on prend en considération les personnes composant l’indivision. Certes, le plafond ne pourra pas être dépassé pour chacune d’entre elles mais cela revient tout de même à multiplier la somme par deux (quand il y a deux indivisaires). Dès lors, cet arrêt questionne la portée de la solidarité nationale et la Cour de cassation affirme qu’elle doit être étendue à toutes les victimes. On comprend, en effet, pourquoi le Fonds rechigne à indemniser les indivisaires plutôt que l’indivision. Sans doute craint-il aussi l’augmentation des demandes, pouvant, pour certaines d’entre elles, s’avérer frauduleuses. Il faut alors rappeler que le texte pose des conditions très strictes et que les indemnités versées par le FGTI, sur le fondement de l’article 706-14-1, ne représentent que 4 % des demandes au regard des deux autres mécanismes – l’article 706-14 et l’article 706-3 du code de procédure pénale – (source FGTI 2011, citée in C. Béchu et P. Kaltenbach, Rapport d’information, op. cit.). La solidarité s’en remettra dans ce cas-là… On est toutefois rassuré de savoir qu’il n’y avait pas des dizaines d’indivisaires.

L’argument du FGTI, pour refuser d’indemniser les deux indivisaires, ne pourrait n’être alors que strictement juridique. Celui déployé dans le moyen par le FGTI est pourtant lacunaire. Il se contente d’affirmer que « la destruction d’un véhicule terrestre à moteur dont plusieurs personnes sont indivisément propriétaires ne peut donner lieu au paiement que d’une seule indemnité […] à répartir entre les coïndivisaires ». On pourra aussi déplorer l’absence de motivation de la Cour de cassation qui semblait pourtant vouloir l’enrichir pour les arrêts les plus importants (v. les travaux de réflexion sur la réforme interne de l’institution, mais aussi P. Deumier, Motivation enrichie : bilan et perspectives, D. 2017. 1783 ou encore C. Jamin, Le Grand Inquisiteur à la Cour de cassation, AJDA 2018. 393 ).

Pour comprendre la décision, il faut peut-être simplement se référer au texte qui vise « toute personne victime de la destruction par incendie d’un véhicule terrestre à moteur ». Or, ici, elles sont deux personnes victimes et chacune d’elle remplit les conditions prévues dans le régime. L’existence d’une indivision et de règles spécifiques relatives à celle-ci ne semble pas être entrée en compte dans la décision de la Cour de cassation. Puisque cette dernière admet la possibilité d’allouer deux indemnités, c’est peut-être qu’elle considère que l’indemnité versée par le FGTI ne se subroge pas au bien détruit, qu’elle ne se divise pas au nom de l’indivision et qu’elle ne fait donc pas partie de l’indivision nonobstant les dispositions de l’article 815-10 du code civil. C’est la nature même de l’indemnité prévue par l’article 706-14-1 du code de procédure pénale qui doit être interrogée (v. J.-Cl. Resp. civ. ass., fasc. 260, par H. Groutel, n° 11). Quant aux préjudices réparés, on comprend, à la lecture des moyens annexes de l’arrêt, qu’il s’agit d’un préjudice d’immobilisation et d’un préjudice matériel : « il est établi que M. A avait acquis ce véhicule au prix de 8 700 € deux mois avant l’incendie et que les appelants subissent en outre un préjudice d’immobilisation, ce qui justifie l’allocation de la somme de 4 500 € à chacun d’eux ». Peut-être la cour d’appel souhaitait-elle faire sauter le plafond d’indemnisation afin de permettre l’indemnisation la plus efficiente possible ? Seul, le propriétaire du véhicule n’aurait vu son préjudice réparé que de moitié mais, à deux, cela a permis une réparation intégrale du préjudice. Une décision justifiée par l’équité ? La Cour de cassation prend soin de s’en défendre : « C’est à bon droit que la cour d’appel […] a décidé qu’ils étaient tous deux fondés à solliciter une indemnisation, dans la limite du préjudice subi par chacun d’eux et du plafond prévu par l’article 706-14-1 du code de procédure pénale ».

L’arrêt de la deuxième chambre civile du 12 décembre 2019, bien qu’il participe à une meilleure indemnisation des victimes au nom de la solidarité nationale, est susceptible d’avoir des conséquences importantes sur la solidarité nationale.

Le règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit le régime de reconnaissance et d’exécution des jugements rendus dans les autres États membres.

Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure, en vertu de l’article 33.

En revanche, une procédure est prévue en ce qui concerne l’exécution : ces décisions sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée, selon l’article 38. Cette requête doit, en France, être présentée devant le directeur de greffe du tribunal de grande instance (devenu le tribunal judiciaire à compter du 1er janv. 2020).

Dans ce cadre, les décisions sont déclarées exécutoires, selon l’article 41, dès l’achèvement des formalités prévues à l’article 53 (notamment la production d’une expédition réunissant les conditions nécessaires à son authenticité), étant précisé que la partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, à ce stade, présenter d’observations.

En application de l’article 42, la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire est portée à la connaissance du requérant et est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée.

L’article 43 précise alors le régime des recours : l’une ou...

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En matière de mesures conservatoires, la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas très abondante, ce qui souligne l’intérêt du présent arrêt.

L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

Pour la mise en œuvre, l’article R. 511-5 du code des procédures civiles d’exécution précise que la demande d’autorisation prévue à l’article L. 511-1 est formée par requête, sans autre précision.

Si bien que, dès les premiers mois de l’application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution et du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution pour l’application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, la question du régime procédural applicable a cette requête s’est posée.

La seule réponse apportée à cette question, résulte, à notre connaissance, d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 2 septembre 1999 qui avait jugé que le décret ne réglant pas les modalités de l’obtention et de la délivrance de cette requête, il convient, pour la procédure à suivre, de se reporter aux textes du nouveau code de procédure civile dont l’application est...

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La haute juridiction continue de construire un régime équilibré des soins psychiatriques contraints (v. sur ce point Civ. 1re, 5 déc. 2019, n° 19-22.930, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, obs. N. Peterka ; D. 2019. 2419 ). Pour ce faire, elle n’hésite pas à osciller entre protection des droits de l’intéressé – par exemple en permettant d’invoquer une exception de nullité en appel – et protection de l’ordre public – en régulant la terminaison de la mesure. Ce n’est pas qu’un jeu subtil de nuances, le but reste de préserver les intérêts en présence (JCP Adm. 2019. 2199, spéc. n° 1, obs. M.-L. Moquet-Anger). Rappelons l’originalité des mesures d’hospitalisation forcée : elles peuvent être ordonnées par l’autorité judiciaire comme par l’autorité administrative (Rép. civ., v° Troubles psychiques – Malades mentaux, par E. Bonis, n° 152). Les deux arrêts étudiés présentent toutefois des différences factuelles importantes. Malgré ceci, elles permettent des interrogations transversales que nous tenterons au moins d’évoquer. À titre préliminaire, rappelons que ces deux arrêts s’inscrivent dans la nouvelle rédaction des décisions de la Cour de cassation, sans attendu et divisés clairement entre faits et solutions.

Dans la première affaire (pourvoi n° 18-50.073), l’hospitalisation forcée se conjuguait avec la fuite de l’intéressé. Un tribunal correctionnel admet, le 29 avril 2015, l’irresponsabilité pénale d’une personne physique alors qu’elle était poursuivie du chef d’agression sexuelle. Le tribunal ordonne également son admission en soins psychiatriques sans consentement par application combinée des articles 122-1 du code pénal et 706-135 du même code. En juin 2015, l’intéressé est en fuite. Le préfet demande la prolongation de la mesure. Le juge des libertés et de la détention la prolonge, à plusieurs reprises, par application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Mais alors que le préfet demande à nouveau une prolongation, le juge ordonne la fin de la mesure en 2018. Pour justifier le rejet de la prolongation, l’ordonnance retient « qu’aucun renseignement n’a été fourni par l’administration sur sa situation actuelle, au point que l’on ignore si le patient se trouve toujours sur le territoire français, est encore en vie, s’il est possible de présumer que sa dangerosité n’a pas disparu ou, au contraire, que...

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Mécaniquement, le principe de libre disposition des gains et salaires prévu par le régime primaire s’en trouve réduit, dans son champ d’application, aux seuls gains et salaires non encore économisés. Par ailleurs, la Cour de cassation exclut la requalification d’un contrat d’assurance-vie mixte en donation malgré l’acceptation du bénéficiaire, par application du critère de la révocabilité de l’acte.

Voilà plusieurs années que l’on attendait la position de la Cour de cassation sur une question d’importance : celle de la validité des donations consenties par un époux marié sous un régime de communauté à l’aide de ses gains et salaires. Si la réponse est on ne peut plus claire, elle n’emportera certainement pas les louanges unanimes de ses commentateurs.

L’arrêt comporte également un autre volet, concernant la requalification d’un contrat d’assurance-vie en libéralité. Sur ce point, la solution rendue est plus classique : elle écarte la requalification en raison de la faculté de rachat laissée au souscripteur malgré l’acceptation par le tiers bénéficiaire de sa désignation. La solution, toutefois, est éminemment liée à l’état des textes antérieurs à la loi du 17 décembre 2007 et ne saurait perdurer sous l’empire du droit en vigueur depuis cette réforme.

Dans cette affaire, un époux marié sous le régime de la communauté universelle avait consenti deux libéralités, puisées sur des comptes en banque ouverts à son nom, à une femme avec laquelle il entretenait une relation adultère. Il avait par ailleurs désigné cette même femme comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie mixte, et elle avait accepté cette désignation. Postérieurement au décès de l’époux, sa conjointe a agi en nullité des libéralités consenties, afin d’obtenir la restitution des sommes. L’action a été poursuivie par le légataire universel de l’épouse, après le décès de cette dernière.

Les juges du fond ont accueilli les demandes en nullité des différentes libéralités, notamment celles résultant des contrats d’assurance-vie mixte requalifiés en donations indirectes. La bénéficiaire des libéralités a formé un pourvoi en cassation.

Dans un premier moyen, elle a contesté la décision rendue au sujet des donations directes en soutenant que ces libéralités portaient, au moins pour partie, sur les gains et salaires de l’époux donateur, lesquels sont soumis à la libre disposition de celui qui les perçoit, dès lors qu’il s’est acquitté de sa part des charges du mariage.

Pour la première fois depuis 1984, la Cour de cassation a donc été amenée à se prononcer sur la validité d’une donation consentie par un époux commun en biens au moyen de ses gains et salaires. Elle a rejeté le moyen du pourvoi en considérant, aux termes d’un attendu de principe limpide dans sa formulation, que « ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ».

Dans un second moyen, la demanderesse au pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir requalifié les contrats d’assurance-vie en libéralités au motif que le fait, pour le souscripteur, de consentir à l’acceptation, par le bénéficiaire, de sa désignation, traduit une volonté de se dépouiller de manière irrévocable au profit du bénéficiaire, dès lors que le souscripteur se trouve privé de toute possibilité de rachat du fait de cette acceptation. Cette solution, qui aurait sans doute été approuvée sous l’empire du droit positif, a été censurée par la Cour de cassation, qui a fait application de l’article L. 132-9 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 décembre 2007.

Aux termes d’un second attendu de principe, la haute juridiction rappelle que, sous l’empire des textes anciens, « en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ». Dès lors, la cour d’appel ne pouvait retenir l’existence d’une libéralité sans constater une renonciation expresse du souscripteur à l’exercice de son droit de rachat.

L’arrêt est donc partiellement cassé, en ce qu’il a requalifié les contrats d’assurance-vie en donations indirectes et prononcé leur nullité, mais il n’est pas remis en cause en ce qu’il a prononcé la nullité des donations directes.

Les deux questions abordées par l’arrêt étant très différentes, il conviendra d’envisager successivement les deux solutions rendues par la Cour de cassation : d’une part, la nullité des donations consenties à l’aide de gains et salaires économisés ; d’autre part, l’éviction de la qualification de donation au sujet des contrats d’assurance-vie mixte.

La nullité des donations consenties à l’aide des gains et salaires économisés

La Cour de cassation fait ici œuvre créatrice en retenant une solution de principe que la lettre des textes n’imposait pas, et qui laisse planer des incertitudes, tant sur sa mise en œuvre que sur ses incidences.

Le principe posé

Par cet arrêt, la Cour de cassation tranche un débat bien connu dont on rappellera brièvement les termes. La difficulté provient d’une contradiction entre deux textes de loi dont les champs d’application, à première vue, se recoupent. D’un côté, l’article 223 du code civil, siège de l’autonomie professionnelle, octroie à chaque époux un droit de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté de sa part des charges du mariage. Une majeure partie de la doctrine en déduit que ce texte soumet les gains et salaires à la gestion exclusive de l’époux qui les perçoit. D’un autre côté, pour les couples mariés sous un régime de communauté de biens, l’article 1422 du code civil pose une règle de cogestion en subordonnant à l’accord des deux époux la validité des donations portant sur des biens communs. Les gains et salaires étant qualifiés de biens communs (Civ. 1re, 8 févr. 1978, n° 75-15.731, Bull. civ. I, n° 53), ils ont vocation à être soumis, en tant que tels, à cette règle de cogestion.

Toute la question est donc de savoir comment doivent s’articuler ces deux textes contradictoires qui ont une égale vocation à s’appliquer, en cas de donation des gains et salaires. La façon la plus simple de résoudre ce conflit eût été de se référer au caractère impératif du régime primaire (arg. C. civ., art. 226), dont relève l’article 223 du code civil. En tant que disposition impérative applicable à tous les couples mariés, quel que soit leur régime matrimonial, l’article 223 aurait très bien pu l’emporter sur l’article 1422, qui relève du régime de la communauté de biens. C’est d’ailleurs ce que soutenait la demanderesse au pourvoi, qui faisait valoir que « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ». De fait, l’article 223 pose un principe de libre disposition sans opérer de distinction selon que l’époux souhaite en disposer à titre gratuit ou onéreux, ce qui autorise à lui conférer une portée large, par application de l’adage ubi lex non distinguit.

Telle n’est toutefois pas la voie retenue par la Cour de cassation, qui a choisi de combiner les deux textes contradictoires, plutôt que de faire primer l’un sur l’autre. Pour ce faire, elle a eu recours à une notion qui ne figure dans aucun des textes en cause : la notion d’économie. Ainsi, il ressort de sa décision que la règle de cogestion de l’article 1422 du code civil s’applique aux gains et salaires à partir d’un certain seuil : le moment où ils ont été économisés. Sont donc frappées de nullité les libéralités consenties par un seul époux, commun en biens, au moyen de sommes économisées provenant de ses gains et salaires. A contrario, il faut en déduire que, tant que les gains et salaires n’ont pas été économisés, ils sont soumis au principe de libre disposition de l’article 223 du code civil, de sorte qu’un époux, quel que soit son régime matrimonial, pourra valablement en disposer à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté des charges du mariage.

La solution n’est pas totalement inédite : elle transparaissait déjà dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 février 1984, dont l’interprétation avait toutefois divisé la doctrine (Civ. 1re, 29 févr. 1984, n° 82-15.712, Bull. civ. I, n° 81 ; JCP 1985. II. 20443, note Le Guidec ; D. 1984. 601, note Martin ; Defrénois 1984, art. 33379, p. 1074, obs. Champenois ; RTD civ. 1985. 721, obs. Rubellin-Devichi ; GAJC, t. 1, 2015, 13e éd., Dalloz, n° 90, p. 503 s., obs. H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette). La haute juridiction avait alors admis la validité de libéralités consenties par un époux au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires, sur le fondement de l’article 224 du code civil (devenu 223 avec la loi du 23 déc. 1985), en retenant précisément la formule invoquée par le moyen du pourvoi dans la présente affaire : « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires, à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ». À époque, le demandeur au pourvoi avait reproché aux juges du fond de n’avoir pas recherché si ces gains et salaires accumulés pendant plusieurs années n’avaient pas le caractère de fonds communs dont un époux ne pouvait disposer en fraude des droits de son conjoint. La Cour de cassation avait balayé cet argument en retenant qu’il n’avait pas été allégué devant les juges du fond que ces sommes auraient été économisées. Autrement dit, les juges n’avaient pas à procéder à une recherche qui ne leur avait pas été demandée. De cette précision incidente, une partie de la doctrine a déduit, par une lecture a contrario, que la solution aurait été différente si les sommes avaient été économisées (v. not. R. Le Guidec, art. préc. ; G. Champenois, art. préc. ; adde P. Malaurie et L. Aynès, Droit des régimes matrimoniaux, 7e éd., LGDJ, 2019, spéc. n° 419, estimant que les économies faites sur les gains et salaires ne peuvent être données sans le consentement des deux époux). Une autre partie de la doctrine, plus circonspecte, se montrait prudente sur l’interprétation de cet arrêt, dont la solution n’avait jusqu’à présent pas été réitérée (v. not. D. Martin, note préc., estimant que le constat de l’irrecevabilité du moyen n’autorise pas à préjuger, au fond, de l’opinion de la Cour de cassation ; F. Terré et P. Simler, Régimes matrimoniaux et statut patrimonial des couples non mariés, 8e éd., Dalloz, 2019, spéc. n° 102, estimant que chaque époux peut disposer de ses gains et salaires sans le consentement de son conjoint et que cette solution doit être admise au sujet des économies faites sur les gains et salaires, tant qu’elles n’ont pas été confondues avec d’autres liquidités ou employées à l’acquisition d’autres biens).

Par le présent arrêt, la Cour de cassation vient de trancher le débat de la manière la plus explicite qui soit : elle consacre très clairement la notion d’économie des gains et salaires, pour régir leur gestion. La position retenue implique que les gains et salaires changent de régime, si ce n’est de nature, à compter du moment où ils ont été économisés. Communs dès leur entrée dans le patrimoine des époux (en ce sens, v. Civ. 1re, 6 déc. 2005, n° 03-13.799, Dalloz jurisprudence), les gains et salaires sont soumis dans un premier temps à un principe de libre de disposition qui déroge aux règles applicables aux autres biens communs. Pour peu que l’on voie dans l’article 223 du code civil une règle de gestion exclusive, la dérogation sera complète puisqu’elle conduira à écarter tant la règle de cogestion posée par l’article 1422 pour la donation de biens communs que le principe de gestion concurrente de l’article 1421 du code civil (qui veut que chacun des époux puisse administrer et disposer seul des biens communs, et aurait donc impliqué qu’un époux puisse disposer des gains et salaires de l’autre, à titre onéreux). Dans un second temps, dès lors qu’ils ont été économisés, les gains et salaires échappent à leur régime dérogatoire et se retrouvent soumis aux règles applicables aux autres biens communs.

Certains auteurs s’interrogent sur le point de savoir si ce changement de régime n’implique pas que les gains et salaires, qui sont, à l’origine, des biens communs « extraordinaires », deviendraient des biens communs « ordinaires » dès lors qu’ils ont été économisés (v. not. J. Antippas, La notion d’économie en droit des régimes matrimoniaux, RRJ 2009. 1275 s., spéc. n° 5 ; évoquant également la notion de biens communs « ordinaires » au sujet des gains et salaires économisés, v. G. Champenois, obs. in Defrénois 1984, art. 33379, p. 1074 s., spéc. p. 1078 ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., Armand Colin, 2001, spéc. n° 431 : « En cas de thésaurisation […] de revenus sur un compte, le capital ainsi constitué est un bien ordinaire » ; adde V. Barabé-Bouchard, Article 1415 c. civ. : de la saisissabilité des comptes de l’époux caution, D. 2003. 2792 , énonçant que, d’après l’arrêt du 29 février 1984, le stade de l’économie transforme les gains et salaires en acquêts ordinaires). Dans l’arrêt commenté, les juges du fond semblent plutôt avoir considéré que les gains et salaires, une fois économisés, avaient disparu en tant que tels pour devenir d’autres biens (« même si certains de ces fonds provenaient des gains et salaires de [l’époux donateur], ils étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires »). La Cour de cassation ne prend pas parti sur cette question de la nature des gains et salaires : elle se contente de juger que « l’arrêt se trouve légalement justifié », sans marquer davantage son approbation du raisonnement tenu, limitant sa prise de position au seul régime applicable aux gains et salaires économisés.

Très clair dans sa formulation, le principe posé n’en est pas moins générateur d’incertitudes.

Les incertitudes subsistant

Deux zones d’ombres demeurent. La première tient à la notion même d’économie consacrée par l’arrêt, la seconde à la portée de la solution, notamment sur le sort des gains et salaires en matière de passif.

La notion d’économie est évoquée par le droit des régimes matrimoniaux à travers l’article 1401 du code civil, qui range parmi les acquêts de communauté les biens acquis grâce aux « économies » faites sur les fruits et revenus des biens propres des époux. En revanche, les textes ne mentionnent pas les gains et salaires économisés. Ils n’en donnent, a fortiori, aucune définition ; l’économie n’est pas définie par la loi. D’où les difficultés présidant à sa mise en œuvre concrète : à partir de quand les gains et salaires doivent-ils être considérés comme économisés ? Faut-il qu’ils soient placés sur un compte bancaire producteur d’intérêts ? Suffit-il qu’un salaire soit stocké pendant un mois sur un compte quelconque pour qu’il soit considéré comme économisé ? Un compte en banque crédité d’un montant supérieur à un mois de salaire doit-il être considéré comme comportant des biens communs ordinaires, au-delà du montant du salaire mensuel ? Cette question avait déjà été soulevée par les commentateurs de l’arrêt du 29 février 1984.

Le présent arrêt n’apporte pas véritablement de réponse à ces interrogations, tant il est évident que l’on était en l’espèce en présence de gains et salaires économisés. On pourrait d’ailleurs se demander s’il s’agissait toujours de gains et salaires ou s’ils n’avaient pas plutôt été transformés en véritables acquêts de communauté. En effet, il ressort des constatations des juges du fond que les sommes utilisées pour la réalisation des donations provenaient, en premier lieu, du rachat d’un contrat d’assurance sur la vie souscrit en cours d’union et, en second lieu, de la liquidation d’un compte-titre ouvert au nom des deux époux. Dans un cas comme dans l’autre, les gains et salaires ont été utilisés pour acquérir un produit d’épargne (versement de primes dans le cadre du contrat d’assurance-vie ; acquisition de titres dans le cadre du compte-titre). Ils ont ensuite été remplacés par le fruit de cette épargne, lors du rachat de l’assurance-vie et de la liquidation du compte-titre. C’est d’ailleurs probablement ce qui a poussé les juges du fond à considérer que les gains et salaires utilisés pour acquérir ces sommes étaient devenus des « économies » et ne constituaient donc plus des gains et salaires.

Au vu des faits de l’espèce, la même solution aurait pu être rendue sans passer par le détour de la notion de gains et salaires économisés, en retenant la qualité d’acquêts des sommes issues du produit du rachat de l’assurance-vie et de la revente des titres. Du reste, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger qu’un compte-titres tout comme un plan d’épargne logement constituent des acquêts, quand bien même ils seraient alimentés exclusivement par les gains et salaires d’un époux (Civ. 1re, 14 janv. 2003, n° 00-16.078, Bull. civ. I, n° 2 ; D. 2003. 2792 , note V. Barabé-Bouchard ; AJ fam. 2003. 109, obs. S. D.-B. ; RTD civ. 2003. 339, obs. B. Vareille ; ibid. 534, obs. B. Vareille ; JCP 2003. II. 10019, concl. Sainte-Rose ; ibid. I. 124, n° 4 ; ibid. 158, n° 9, obs. P. Simler ; JCP N 2003. 1605, obs. Casey ; Gaz. Pal., 8-9 août 2003, obs. Piedelièvre ; Defrénois 2003. 544, obs. Champenois ; Dr. fam. 2003, n° 48 [2e esp.), note Beignier ; RD banc. fin. 2003. 95, obs. Legeais). Elle a alors appliqué à ces acquêts le régime des biens communs ordinaires, et non celui des gains et salaires de l’époux concerné. De même, la Cour de cassation considère que la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie mixte alimenté par des fonds communs représente un actif patrimonial qui doit être intégré dans la masse commune (Civ. 1re, 31 mars 1992, Praslicka, n° 90-16.343, Bull. civ. I, n° 95 ; D. 1993. 219 ; RTD civ. 1992. 632, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 635, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 1995. 171, obs. B. Vareille ; Defrénois 1992, art. 31348, obs. Champenois ; JCP 1992. II. 376, note P. Simler ; RGAT 1993. 137, note Aubert) ; il est possible d’en déduire que, lorsque le contrat d’assurance-vie alimenté par des fonds communs est racheté au cours de l’union, le produit de ce rachat intègre lui aussi la masse commune (en ce sens, v. not. M. Grimadi, Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille, Defrénois 1994. 737, spéc. n° 27). Mais ce produit du rachat représente un nouveau bien issu de la transformation des gains et salaires.

En somme, on perçoit bien, dans la présente espèce, pourquoi il a été jugé que les donations ont été faites à partir de sommes économisées. Au-delà des seuls faits de l’espèce, la logique semble être que le versement sur un compte d’épargne, quel qu’il soit, suffit à caractériser l’économie des gains et salaires. En revanche, la question reste entière de savoir si, et dans quelle mesure, des gains et salaires simplement versés sur un compte de dépôt doivent être considérés comme économisés.

La seconde incertitude que fait naître la solution posée tient à son incidence sur le traitement des gains et salaires en matière de passif, et plus spécifiquement de passif provisoire. On sait que les gains et salaires obéissent à un régime dérogatoire en ce qui concerne les droits de poursuite des créanciers, dans les régimes communautaires. En effet, aux termes de l’article 1414 du code civil, le créancier d’un époux ne peut exercer ses poursuites sur les gains et salaires du conjoint de son débiteur, sauf en cas de dette ménagère solidaire (sur les difficultés d’interprétation posées par ce texte, v. not. J. Antippas, Pour une autre lecture de l’article 1414 du code civil, Dr. fam. déc. 2008, p. 16 s.). À l’inverse, en cas de cautionnement ou d’emprunt (non solidaire) souscrit par un époux sans le consentement de l’autre, le créancier ne peut exercer ses poursuites sur aucun bien commun, sauf les revenus (en ce compris les gains et salaires et les revenus des biens propres) de l’époux qui a souscrit la dette (C. civ., art. 1415). De même en va-t-il pour les dettes propres de chacun des époux, visées par les articles 1410 et 1411 du code civil. La notion et l’identification des gains et salaires des époux sont donc importantes pour délimiter le droit de gage général des créanciers.

La solution rendue dans le présent arrêt, sur une question de gestion, aura-t-elle un impact sur le sort des gains et salaires en matière de passif ? Les gains et salaires, une fois économisés, devront-ils toujours être traités comme des biens communs ordinaires ? Si tel est le cas, il pourrait suffire à un époux ayant souscrit seul un emprunt ou un cautionnement de placer ses salaires sur un compte épargne pour les faire échapper aux poursuites de son créancier. Inversement, pour une dette ordinaire, le créancier pourrait exercer ses poursuites sur tous les comptes épargne, y compris ceux qui sont exclusivement alimentés par les gains et salaires du conjoint non débiteur… S’interrogeant sur cette question, un auteur a parfaitement montré le rôle perturbateur que jouerait la notion d’économie des gains et salaires, à l’égard des règles de passif (J. Antippas, La notion d’économie en droit des régimes matrimoniaux, art. préc., spéc. nos 15 s.).

Faut-il conférer une telle portée à l’arrêt ? Il est vrai que la Cour de cassation ne se prononce que sur une question de gestion et s’en tient à affirmer l’invalidité des libéralités portant sur des sommes économisées à partir des gains et salaires. Mais cette solution repose sur une logique de changement de statut des gains et salaires économisés : originellement biens communs extraordinaires soumis à un régime dérogatoire, ils deviendraient, une fois économisés, des biens communs ordinaires soumis au même régime que les autres biens communs. De là, il n’y a qu’un pas pour considérer qu’une fois économisés, ils doivent être soumis à toutes les règles applicables aux autres biens communs, y compris les règles de passif. À travers cet arrêt, c’est donc tout le régime des gains et salaires qui se trouve remis en question. Si la problématique de la validité des libéralités consenties sur les gains et salaires est assez peu fréquemment soumise aux juges, celle du droit de poursuite des créanciers, en revanche, devrait donner lieu, avant longtemps, à de nouvelles décisions…

L’exclusion de la requalification des contrats d’assurance-vie mixte en libéralités

Sur le volet assurance-vie, l’arrêt commenté offre une solution plus classique au regard de la jurisprudence développée en ce domaine. Commençant par rappeler que la faculté de rachat du souscripteur ne disparaît pas du fait de l’acceptation du bénéfice du contrat, la Cour de cassation en déduit que le contrat d’assurance-vie ne pouvait être qualifié de libéralité, faute d’irrévocabilité.

Le maintien de la faculté de rachat malgré l’acceptation du bénéficiaire

L’article L. 132-23 du code des assurances ménage au souscripteur de certains contrats d’assurance-vie une faculté de rachat ou de réduction. Le souscripteur peut ainsi percevoir, par anticipation par rapport au terme prévu, le montant de la créance qu’il détient contre l’assureur sur la provision mathématique du contrat. Cette faculté de rachat ménagée par la loi permet au souscripteur de conserver une certaine maîtrise sur son contrat d’assurance, instrument de prévoyance et/ou de capitalisation. Or, en parallèle et conformément aux règles applicables à la stipulation pour autrui, l’article L. 132-9 du code des assurances confère un caractère irrévocable au droit du bénéficiaire lorsque celui-ci accepte sa désignation par le contrat d’assurance-vie.

La question s’est donc posée de savoir si la faculté de rachat du souscripteur ne devait pas être neutralisée en cas d’acceptation, par le bénéficiaire, de sa désignation. En effet, l’exercice de la faculté de rachat a pu être assimilé à une révocation de la désignation du bénéficiaire, en ce qu’elle aboutit à la restitution des sommes à l’assuré (en ce sens, v. Com. 25 oct. 1994, n° 90-14.316, Bull. civ. IV, n° 311, affirmant que « la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur d’une police d’assurance sur la vie obtient de l’assureur le versement immédiat du montant de sa créance, par un remboursement qui met fin au contrat, constitue une révocation de la désignation du bénéficiaire »). Le droit conféré au bénéficiaire ne serait donc véritablement révocable que si le souscripteur était privé, une fois l’acceptation intervenue, de sa faculté de rachat.

Dans le silence de textes sur l’articulation entre la faculté de rachat et l’acceptation du bénéfice de l’assurance-vie, la Cour de cassation avait pu laisser entendre qu’elle serait favorable à une neutralisation du droit de rachat du souscripteur en cas d’acceptation du bénéficiaire. Elle retenait en effet que « tant que le contrat n’est pas dénoué, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou modifier le bénéficiaire de la prestation » (v. not. Com. 15 juin 1999, n° 97-13.576, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 27 mai 1998, n° 96-14.614, Dalloz jurisprudence ; 28 avr. 1998, n° 96-10.333, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 1998. 141 ). Bien que la haute juridiction n’en ait pas tiré ces conséquences, cette formule pouvait laisser entendre que l’acceptation du bénéficiaire désigné empêchait non seulement une modification du bénéficiaire mais aussi l’exercice du droit de rachat par le souscripteur.

Le législateur est alors intervenu pour trancher le débat, par la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 : depuis lors, l’article L. 132-9 du code des assurances dispose que, « pendant la durée du contrat, après acceptation du bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ». Autrement dit, l’acceptation du bénéficiaire empêche le souscripteur d’exercer librement sa faculté de rachat, puisqu’il ne peut la mettre en œuvre qu’avec l’accord du bénéficiaire. L’arbitrage a dont été réalisé en faveur d’une irrévocabilité de l’avantage consenti au bénéficiaire acceptant, au détriment de la liberté du souscripteur.

Par la suite, la Cour de cassation, amenée à se prononcer sur cette même question sous l’empire des textes antérieurs à la réforme du 17 décembre 2007, a tranché dans un sens exactement inverse : elle a jugé, par un arrêt rendu en chambre mixte le 22 février 2008, que, « lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit » (Cass., ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934, Bull. ch. mixte, n° 1 ; Dalloz actualité, 28 févr. 2008, obs. J. Speroni ; D. 2008. 691, obs. J. Speroni ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; ibid. 1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ fam. 2008. 172 ; ibid. 114, étude H. Marck et E. Rivé ). Ainsi, sous l’empire des textes anciens, la seule acceptation par le tiers bénéficiaire ne suffisait pas à priver le souscripteur de sa faculté de rachat ; il fallait, pour qu’il en soit privé, qu’il y renonce expressément (pour des exemples de clauses ne valant pas renonciation expresse, v. Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-25.364 ; 4 nov. 2010, n° 09-70.606, Dalloz jurisprudence). La solution rendue par l’arrêt du 20 novembre 2019 n’est donc, à cet égard, qu’une confirmation de la position adoptée depuis 2008, puisqu’il retient « qu’en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ».

Ainsi, selon que l’on se place sous l’empire des textes anciens (comme dans l’arrêt commenté, où l’acceptation avait eu lieu en 2004, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi) ou des textes nouveaux, les incidences de l’acceptation du bénéficiaire sur la faculté de rachat du souscripteur sont différentes : sous l’empire du droit ancien, l’acceptation était sans incidence sur la faculté de rachat, à défaut de renonciation expresse du souscripteur à cette faculté ; sous l’empire du droit nouveau, l’acceptation neutralise par principe la faculté de rachat, sauf accord du bénéficiaire. Pour avoir méconnu cette règle, la cour d’appel est ici censurée : devant statuer sur le fondement des textes antérieurs à la réforme, les juges du fond ont considéré, à tort et en contrariété avec la jurisprudence établie de la Cour de cassation, que le souscripteur qui consent à l’acceptation par le bénéficiaire de sa désignation se trouve automatiquement privé de toute possibilité de rachat. Or seule une renonciation expresse par le souscripteur à sa faculté de rachat était de nature à l’en priver, quand bien même le bénéficiaire aurait accepté sa désignation.

Cette question de l’existence de la faculté de rachat a un impact direct sur le caractère révocable ou irrévocable de l’avantage consenti au bénéficiaire, critère retenu par les juges pour statuer sur la requalification du contrat d’assurance-vie en donation.

L’application du critère de l’irrévocabilité de la donation

La divergence entre les juges du fond et la cour régulatrice ne porte pas sur les critères de qualification de la donation. En effet, sur cette question, les juges du fond ont adopté une position retenue classiquement par la Cour de cassation : celle en vertu de laquelle un contrat d’assurance-vie « peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable » (Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, Bull. ch. mixte, n° 13 ; Dalloz actualité, 10 janv. 2008, obs. G. Bruguière-Fontenille ; D. 2008. 1314 , note F. Douet ; ibid. 218, obs. G. Bruguière-Fontenille ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; AJ fam. 2008. 79, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2008. 137, obs. M. Grimaldi , réitéré par la suite à plusieurs reprises ; v. not. Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-19.550, Dalloz jurisprudence ; Com. 26 oct. 2010, n° 09-70.927, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269, D. 2018. 1279, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ).

Cette formule semble traduire une différence de nature entre le contrat d’assurance-vie et la donation : la « requalification » implique une incompatibilité entre la qualification originelle et la qualification nouvelle. Autrement dit, le contrat d’assurance-vie serait par principe exclusif de toute donation. Cette position serait dictée par l’idée, développée en jurisprudence, suivant laquelle l’aléa chasse la donation. Le raisonnement est le suivant : 1/ toute donation suppose une volonté de se dépouiller irrévocablement au profit d’un tiers ; 2/ or tout contrat d’assurance sur la vie comporte un aléa qui rend incertaine l’identité du destinataire du versement dû par l’assureur ; 3/ donc le contrat d’assurance sur la vie ne peut, en principe, être une donation, à défaut de désignation irrévocable d’un tiers destinataire du versement.

Ce raisonnement est éminemment lié à la position de principe adoptée par la Cour de cassation dans les arrêts du 23 novembre 2004 affirmant que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa […] et constitue un contrat d’assurance sur la vie » puis appliquant ce principe au contrat d’assurance-vie mixte : l’aléa tient alors à ce que le souscripteur ignore qui, de lui ou du bénéficiaire, recevra le capital versé à l’assureur, puisque cette donnée dépend du point de savoir si l’assuré sera vivant ou non lors de la survenance du terme du contrat (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592, BICC 15 févr. 2005, rapp. Crédeville, concl. de Gouttes ; AJDA 2004. 2302 , obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2004. 3191, et les obs. ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; AJ fam. 2005. 70, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi ; GAJC, 12e éd., n° 132 ; JCP 2005. I. 187, n° 13, obs. Le Guidec ; JCP N 2005. 1003, étude Grosjean ; RLDC 2005/12, n° 504, note Leroy ; RDC 2005. 297, obs. Bénabent ; RGDA 2005. 110, note Mayaux ; v. égal. les autres arrêts du même jour, nos 03-13.673, 02-11.352 et 03-13.673).

Toutefois, comme l’ont fait remarquer plusieurs auteurs, la qualification du contrat d’assurance-vie devrait être indépendante de celle de libéralité (en ce sens, v. par ex., H. Lécuyer, Assurance-vie et droit des successions : dyarchie ou symbiose ?, AJ fam. 2007. 414  s., pour qui il ne faut « pas confondre la question de la déqualification de certains contrats qui, faute d’aléa pour l’assureur, ne seraient pas des contrats d’assurance-vie et la question de l’existence d’une libéralité faite, via ces contrats, par le souscripteur au bénéficiaire »), le critère de l’aléa étant étranger à la qualification de donation indirecte (en ce sens, v. F. Douet, Requalification d’un contrat d’assurance-vie en donation indirecte, D. 2008. 1314 ).

Pourtant, plusieurs arrêts opèrent un lien entre l’existence d’un aléa lors de la désignation du bénéficiaire et l’absence de volonté actuelle et irrévocable du souscripteur de se dépouiller (v. not. Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-24.608 ; Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-17.793 ; Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, préc.). Il en ressort que s’il n’est pas certain que le bénéficiaire désigné dans le contrat d’assurance-vie recevra un versement par l’assureur, il ne peut y avoir de donation, faute de dépouillement irrévocable du souscripteur au profit d’un tiers.

Partant, deux analyses de cette jurisprudence sont possibles. D’une part, il peut s’agir d’une véritable requalification. Il aurait alors une incompatibilité entre le contrat d’assurance-vie, empreint d’aléa, et la donation, caractérisée par son irrévocabilité. L’aléa (donc le contrat d’assurance-vie) chasse l’irrévocabilité (donc la donation) ; réciproquement, l’irrévocabilité (donc la donation) est exclusive de tout aléa (donc du contrat d’assurance). Une telle disqualification du contrat d’assurance expliquerait la mise à l’écart des dispositions par lesquelles le code des assurances déroge au droit des libéralités (notamment les art. L. 321-12 et L. 321-13 de ce code) : la donation indirecte prenant appui sur l’assurance-vie serait soumise aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès parce que l’assurance-vie n’en est pas une.

D’autre part, il se peut que la requalification n’en soit pas vraiment une et qu’il s’agisse en réalité d’un cumul de qualifications (en faveur de cette analyse, v. M. Grimaldi, L’attribution du bénéfice d’une assurance-vie peut constituer une donation indirecte passible, comme telle, des droits de mutation à titre gratuit, RTD civ. 2008. 137 ). Le contrat d’assurance-vie, dont la nature n’est pas remise en cause, deviendrait l’instrument d’une donation indirecte. L’absence d’aléa dans l’identité du destinataire des fonds serait de nature à caractériser une donation indirecte, mais pas pour autant à disqualifier le contrat d’assurance-vie (lequel comporte toujours un aléa, à tout le moins quant à la date de la survenance de son terme). Cette adjonction de la qualification de donation indirecte emporterait neutralisation des règles dérogatoires prévues par le code des assurances au droit des libéralités : en principe, le capital versé par l’assureur lors du décès de l’assuré n’intègre pas la succession de l’assuré (C. assur., art. L. 321-12) et, corrélativement, ne doit pas être rapporté par le bénéficiaire à la succession de l’assuré, ni réduit pour atteinte à la réserve héréditaire (C. assur., art. L. 321-13, al. 1er), parce que le contrat d’assurance-vie n’est pas le vecteur d’une libéralité. Par exception, lorsque l’assurance-vie se révèle être l’instrument d’une donation, il convient de le soumettre cumulativement au régime des libéralités et à celui de l’assurance-vie.

Quelle que soit l’analyse retenue, la qualification de donation indirecte aboutit à soumettre la libéralité aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès, en écartant l’application des articles L. 321-12 et L. 321-13 du code des assurances.

Reste à savoir quelles sont les circonstances factuelles de nature à caractériser une donation indirecte, c’est-à-dire la volonté du souscripteur de se dépouiller irrévocablement au profit du bénéficiaire. Un critère, essentiellement, ressort de la jurisprudence : le fait que le souscripteur perde toute possibilité effective d’obtenir la restitution, avant son décès, des capitaux versés sur les contrats d’assurance-vie. Une telle perte peut résulter soit d’une disparition de la faculté de rachat, soit du caractère illusoire de l’aléa sur le destinataire des fonds, au regard notamment de l’âge du souscripteur et de l’imminence de son décès (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269 ; 26 oct. 2011, n° 10-24.608 ; Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-19.550 ; Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, préc.). À l’inverse, lorsque le souscripteur conserve une réelle possibilité d’être destinataire du versement de l’assureur, notamment par le maintien de sa liberté de racheter son contrat, toute donation est exclue, faute d’irrévocabilité du dépouillement (Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-13.515 ; Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-17.793 ; Com. 28 juin 2005, n° 03-18.397, Dalloz jurisprudence).

C’est précisément ce critère de la faculté de rachat, devenu classique dans la jurisprudence, qui est mis à l’œuvre dans l’arrêt du 20 novembre 2019. Dès lors que l’on était sous l’empire du droit antérieur à la loi du 17 décembre 2007, la seule acceptation du bénéficiaire ne privait pas le souscripteur de sa faculté de rachat. Il aurait donc fallu une renonciation expresse du souscripteur à cette faculté pour que soit caractérisée sa volonté de se dépouiller irrévocablement au profit du bénéficiaire. Faute d’avoir constaté une telle renonciation, les juges du fond ont été censurés pour avoir retenu, à tort, la disparition de la faculté de rachat, donc la qualification de donation indirecte.

Tout porte à croire que, sous l’empire des textes nouveaux, la solution serait inversée : désormais, l’acceptation par le bénéficiaire de sa désignation neutralise la liberté, pour le souscripteur, de procéder au rachat de son contrat, puisque le rachat ne peut plus s’opérer qu’avec l’accord du bénéficiaire acceptant. En autorisant le bénéficiaire à accepter sa désignation par le contrat d’assurance-vie, le souscripteur renonce donc à sa liberté de rachat : il s’interdit de révoquer, de quelque façon que ce soit, l’avantage qu’il confère au bénéficiaire. La seule acceptation du bénéficiaire, qui est subordonnée par l’article L. 132-9, II, du code des assurances à l’accord du souscripteur, devrait donc désormais suffire à caractériser une donation indirecte, du fait de la disparition de la liberté de rachat.

Le 12 décembre 2019, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel qui avait admis la possibilité d’allouer autant d’indemnités qu’il y avait de propriétaires indivis d’un véhicule détruit dans un incendie, sur le fondement de l’article 706-14-1 du code de procédure pénale.

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Les représentants de la profession se félicitent depuis lundi d’une « bonne mobilisation » dans un contexte d’exaspération lié à la mise en œuvre de la réforme de la justice.

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En novembre 2017 avaient lieu d’importantes visites et saisies de l’Autorité de la concurrence aux sièges du Conseil supérieur du notariat (CSN). Deux ans plus tard, la cour d’appel de Paris vient de valider ces visites, liées à des suspicions d’entorses au droit de la concurrence. L’Autorité de la concurrence a déjà prononcé une sanction contre une chambre notariale, d’autres pourraient venir.

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Les avocats ont largement répondu à l’appel des instances représentatives à durcir la grève contre la réforme des retraites. De Lyon à Bayonne en passant par Paris, Lille ou Quimper, c’est près de 80 % des barreaux, selon la Conférence des bâtonniers, qui n’assurent aucune audience depuis lundi 6 janvier 2020.

Chacun des 164 barreaux a choisi son mode d’action. Les avocats de Lyon, Bordeaux, Bayonne ou Mayotte ont, par exemple, voté une « grève dure et totale » jusqu’à dimanche. Cela implique notamment un arrêt des désignations d’avocats en matière d’aide juridictionnelle, pour les gardes à vue, les étrangers, les mineurs. Certains barreaux, dont celui du Val-de-Marne, étendent déjà la grève jusqu’à lundi 13 janvier inclus, date de leur prochaine assemblée générale.

À Bordeaux, le bâtonnier Christophe Bayle s’est indigné de « l’absence de dialogue » avec le gouvernement et estime que ce dernier « porte seul la responsabilité des conséquences du mouvement sur le fonctionnement de la justice ».

À la retraite, les avocats perçoivent actuellement au minimum 1 416 € par mois, selon le Conseil national des barreaux. Après la réforme, ce montant tomberait à 1 000 €, alors que les cotisations doubleraient, passant de 14 à 28 % pour ceux qui gagnent moins de 40 000 € par an.

Nicole Belloubet a assuré, le 7 janvier, au micro de BFM TV, que « sa porte restait ouverte ». Elle a notamment indiqué réfléchir à une baisse des autres charges des avocats et une mise en œuvre différée du nouveau régime, afin de « compenser » la hausse des cotisations retraite. Pour l’heure, le collectif « SOS retraites » a appelé à rejoindre les manifestations de samedi contre le projet de réforme.

Le texte a déjà été transmis au Conseil d’État, a annoncé Sibeth N’Diaye, lundi 6 janvier, à l’issue du Conseil des ministres de cette rentrée. Il doit être examiné à l’Assemblée nationale dès le 17 février prochain.

Dans un arrêt du 6 novembre 2019, destiné à une large publication, la Cour de cassation, a été amenée à se prononcer, à l’occasion d’un litige successoral, sur les effets en France d’un jugement d’homologation d’adoption allemand.

Dans cette affaire, un couple marié a donné naissance en France à une petite fille en 1969. Après le divorce en 1972, la femme s’est remariée en 1973 en Allemagne. L’enfant, qui résidait avec sa mère et son nouvel époux, a été adoptée simplement « en qualité d’enfant commun », par contrat d’adoption du 11 septembre 1975, sans le consentement du père. Ce contrat a fait l’objet d’une homologation judiciaire par un tribunal allemand par deux décisions en date des 11 et 25 novembre 1975.

Le père de l’enfant s’est également remarié et a eu une seconde fille en 1980. Il décéda en 2014 en France. L’acte de notoriété, établi après son décès, mentionnait sa seconde fille comme unique héritière, ce que la première fille a contesté. La seconde a alors assigné la première devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin qu’il soit constaté que celle-ci n’avait pas la qualité d’héritière.
Le tribunal de grande instance (TGI Nanterre, 26 janv. 2017, n° 16/02541) a jugé que la première fille venait à la succession en qualité d’héritier réservataire et a rejeté l’ensemble des demandes de la demanderesse.

Par un arrêt du 23 février 2018, la cour d’appel (Versailles, 23 févr. 2018, n° 17/02361) a infirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Un pourvoi a été formé par la première fille. Il était reproché à la cour d’appel d’avoir retenu qu’elle n’avait pas la qualité d’héritière réservataire de son père par le sang, qu’elle devait être tenue pour légataire à titre particulier de certains biens et que sa sœur recevrait l’intégralité de la succession, à charge pour elle de délivrer les legs particuliers. Le pourvoi a été rejeté.

La question posée par l’affaire était simple dans son principe : La première fille a-t-elle ou non la qualité d’héritière réservataire de son père par le sang ? Pour répondre à cette question, il convenait de se demander quel est l’effet du contrat d’adoption homologué en Allemagne sur la succession du de cujus ouverte en France ? Autrement dit, produit-il, en France, les effets d’une adoption simple ou ceux d’une adoption plénière rompant les liens juridiques avec la famille par le sang ? La réponse n’était pas évidente dans la mesure où elle faisait intervenir des considérations de droit international privé. Elle l’était d’autant moins que la loi allemande du 2 juillet 1976 a « converti » de plein droit les adoptions simples en adoptions plénières, et ce même pour les adoptions antérieures à son entrée en vigueur, comme en l’espèce.

Cinq moyens étaient invoqués au soutien du pourvoi.

La demanderesse à la cassation faisait, d’abord, valoir que son adoption ne pouvait produire d’effets en France en l’absence de production par la partie adverse de la décision suppléant le consentement de son père biologique (premier moyen). La Cour de cassation balaie cet argument en approuvant la cour d’appel d’avoir, en substance, considéré que l’existence de cette décision était avérée dès lors qu’elle était visée dans le contrat d’adoption homologué et que seule la régularité internationale de la décision d’homologation – laquelle avait été produite devant la cour d’appel –...

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Comme l’a signalé actuEL Direction juridique, la cour d’appel de Paris a validé, le 11 décembre 2019, les opérations de visite et saisie menées par l’Autorité de la concurrence aux sièges du Conseil supérieur du notariat et du groupe ADSN (activités et développement au service du notariat) (sur ce sujet, v. égal. P. Januel, L’enquête de l’Autorité de la concurrence qui inquiète les notaires, La lettre A).

L’ADSN est composée du bureau du CSN, d’anciens présidents du CSN et de notaires cooptés. Elle fournit des services aux offices notariaux, à travers cinq filiales, qui pesaient en 2018 de 76,7 millions d’euros de chiffre d’affaires et 5,4 millions de résultat net. L’ensemble des bénéfices de l’ADSN sont réinvestis. Mais, si certains de ces produits relèvent d’une activité de monopole (base de données PERVAL, télé@ctes), d’autres sont dans le secteur concurrentiel (magazines, annonces immobilières, sites internet).

Des pratiques contraires au droit de la concurrence ?

Selon les enquêteurs de l’Autorité de la concurrence, « le groupe ADSN ainsi que les instances notariales visées auraient mis en place des agissements illicites visant à préempter et à verrouiller l’accès au secteur des prestations de services à destination des notaires ». Parmi les éléments cités, une confusion serait entretenue par l’ADSN avec les instances officielles notariales. Des instances auraient aussi incité leurs membres à mettre fin à leurs relations commerciales avec des concurrents de l’ADSN, comme le groupe Notariat service.

Autres pratiques suspectées : des ventes liées et la commercialisation de services à des prix artificiellement bas. Une filiale de l’ADSN contrôlant le réseau informatique interne du notariat, le débit des sites hébergés par des entreprises concurrentes aurait été volontairement dégradé. Enfin, le CSN aurait refusé de délivrer des accès à la base Perval à des concurrents.

Ces agissements constituant les « premiers éléments d’un faisceau d’indices laissant présumer l’existence de comportements » d’atteinte au jeu de la concurrence, l’ADLC avait saisi le juge des libertés et de la détention de Paris, afin d’autoriser des visites. Celles-ci se sont déroulées le 17 octobre 2017, dans dix-sept lieux différents, dont les sièges du CSN, de l’ADSN et de plusieurs chambres de notaires, parfois pendant près de vingt-quatre heures.

Des visites validées par la cour d’appel

Pour contester l’ordonnance fondant les visites, le CSN et l’ADSN critiquaient notamment les doubles casquettes de l’Autorité de la concurrence : outre ses missions de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité a, depuis la loi Macron, un rôle clé dans la régulation de la profession notariale. La cour d’appel rejette ce grief, rappelant qu’il « existe au sein de l’ADLC une séparation fonctionnelle stricte entre les services d’instruction placés sous la direction du rapporteur général et le collège de décision » et que le Conseil constitutionnel a validé cette structure (Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Dalloz actualité, 30 oct. 2012, obs. L. Constantin ; AJDA 2012. 1928 ; D. 2012. 2382 ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot )

La cour rejette aussi le grief de violation du secret professionnel des notaires. Ni le CSN ni l’ADSN n’étaient le siège d’une activité notariale. Par ailleurs, l’article 56-3 du code de procédure pénale, qui prévoit la présence obligatoire d’un magistrat lors d’une perquisition dans le cabinet d’un notaire, n’est applicable qu’au pénal. Le 19 juin, la cour d’appel de Paris avait déjà rejeté la demande de transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la constitutionnalité des saisies. Les autres moyens ont été rejetés.

Les suites à venir

Le CSN et l’ADSN peuvent se pourvoir en cassation. Parallèlement à la contestation des visites, l’Autorité de la concurrence poursuit ses investigations au fond. Les 122 000 fichiers saisis sont à la base de plusieurs dossiers, outre le dossier CSN/ADSN. Une première décision a été rendue au mois de juin : l’Autorité a sanctionné un groupement de notaires de Franche-Comté et la chambre interdépartementale de, respectivement, 250 000 et 45 000 € d’amende, pour avoir contourné la libéralisation des tarifs de négociation immobilière prévue par la loi Macron.

Cet été, le CSN a totalement restructuré l’ADSN, qui est passée de cinq à deux filiales commerciales (l’une regroupant les activités de monopole, l’autre celles du secteur concurrentiel). Même si, pour le CSN, cette réorganisation n’est pas liée à la procédure en cours.

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Deux semaines après avoir transmis au Conseil constitutionnel une QPC formulée par un homme qui revendiquait sa paternité à tout prix (Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 19-15.921, D. 2019. 2300 ; AJ fam. 2019. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse ), la Cour de cassation refuse de renvoyer celle d’un homme qui, au contraire, réclame le droit… de ne surtout pas l’assumer !

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 4 décembre 2019 intervient en matière d’action en recherche de paternité, action en justice qui vise l’établissement forcé du lien de filiation d’un père biologique à l’égard de son enfant. Or certains géniteurs n’arrivent pas à s’y résoudre… C’est le cas de M. G., assigné en recherche de paternité par Mme T. au nom de son enfant né quelques semaines plus tôt. M. G., dont la filiation à l’égard de l’enfant a été prononcée par la cour d’appel, a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a formulé la QPC sur laquelle se prononce l’arrêt sous examen.

Rappelons que le mécanisme de la QPC est désormais connu. Pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Comme le relève la Cour de cassation, en l’espèce, les deux premières conditions étaient indubitablement réunies. C’est sur le dernier critère que les juges fondent leur refus. Après avoir affirmé que la question n’était pas nouvelle, ils ont conclu à l’absence de sérieux de celle-ci.

Avant de revenir sur les arguments retenus pour écarter le caractère sérieux, précisons immédiatement que la question n’était pas nouvelle, non seulement au sens auquel ce critère s’entend pour la transmission d’une QPC (question ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application) mais encore parce qu’elle avait déjà été posée à la Cour de cassation ! En effet, la Haute juridiction a refusé par trois fois au moins de transmettre une QPC relative à cet article (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 13-40.001, D. 2013. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2013. 361, obs. J. Hauser ; JPC 2013. Doct. 819, obs. Y. Favier ; RJPF-2013-6/23, note M.-C. Le Boursicot ; Civ. 1re, 11 mai 2016, n° 15-18.312, D. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; Gaz. Pal. 2016, p.70, note M. Courmont-Jamet ; Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-20.547, D. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; RJPF-2017-2/31, obs. T. Garé). Cet élément de contexte précisé, revenons sur les motifs avancés pour ce nouveau refus des juges.

La QPC examinée était ainsi formulée : « L’article 327 du code civil instituant l’action en recherche judiciaire de paternité hors mariage, en ce qu’il empêche tout homme géniteur de se soustraire à l’établissement d’une filiation non désirée, est-il contraire aux principes d’égalité et de liberté constitutionnellement garantis ? ». Comme nous allons le voir, la Cour de cassation dénie tout caractère sérieux à cette question tant au regard du principe d’égalité qu’au regard de celui de liberté.

En ce qui concerne le principe d’égalité, il est analysé par la Cour de cassation sous deux angles différents : le premier est lié à l’égalité hommes/femmes, le second a trait à l’égalité entre tous les enfants qu’ils soient nés en mariage ou non (v. sur ce double aspect, déjà : Civ. 1re, 2 déc. 2015, préc. ; 9 nov. 2016, préc.).

Pour ce qui est de l’égalité hommes/femmes, l’argument reposait sur la différence de traitement entre la femme enceinte, qui a la possibilité d’accoucher sous X, et l’homme… qui ne le peut pas ! Le débat est ancien. Face au fait de la naissance d’un enfant hors mariage, le droit a varié dans sa façon de forcer ses géniteurs à établir leur lien de filiation (pour le détail de cette évolution, M.-C. Le Boursicot, Tant qu’il y aura des hommes… et des femmes, il y aura des pères et des mères, RJPF-2013-6/23 ; v. égal., F. Granet-Lambrechts in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. § 214.70). Pendant longtemps, c’est la mère biologique qui n’a pu échapper à l’établissement de son lien. Outre le fait que la grossesse et...

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Deux propriétaires vendent à un acquéreur professionnel une maison d’habitation, par acte sous seing privé. L’acquéreur exerce la faculté de rétractation stipulée dans l’acte, qui lui a été préalablement notifié. Soutenant que l’acquéreur ne pouvait se rétracter en raison de sa qualité de professionnel, les vendeurs l’assignent en paiement de la clause pénale prévue au contrat. Déboutés au fond, ils forment un pourvoi en cassation.

Ils reprochent à la cour d’appel d’avoir violé les dispositions impératives de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, qui octroient un droit de rétractation à l’acquéreur non-professionnel, qui acquiert ou construit un immeuble à usage d’habitation. Pour les demandeurs, l’intention des parties est sans incidence sur le champ d’application de ce texte, qui devait rester inapplicable à l’acquéreur, en tant que professionnel de l’immobilier. Le rappel dans le corps du contrat des dispositions légales relatives au droit de rétractation constituait, selon...

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Les rapports entre le droit des sûretés et le droit de la consommation n’ont pas encore livré tous leurs secrets. La question des clauses abusives a dernièrement suscité l’intérêt de la doctrine (v. à ce sujet D. Galbois-Lehalle, L’application du droit de la consommation à l’épreuve des opérations triangulaires : la question des clauses abusives, D. 2019. 2362 ; A. Gouëzel, Sûretés et clauses abusives, RDBF mars 2017, étude 9). Mais le problème de l’applicabilité de la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation mérite également une certaine attention, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile le 11 décembre 2019. En l’espèce, M. X s’est porté caution solidaire d’un prêt accordé par une banque et a consenti une hypothèque en garantie de cet engagement. Par la suite, la banque lui a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, avant de l’assigner à l’audience d’orientation. Dans un arrêt du 10 avril 2018, la cour d’appel de Besançon a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale opposée par la caution et a validé en conséquence le commandement de payer valant saisie immobilière. Celle-ci s’est donc pourvue en cassation, estimant qu’en application de l’article 2313 du code civil, elle peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette, comme la prescription de la dette principale. Or, en l’occurrence, la dette principale était soumise à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation s’agissant d’un prêt immobilier accordé à un consommateur ; elle aurait donc pu s’en prévaloir. L’argument est écarté par la Cour de cassation, qui considère que « la cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution ; que le moyen n’est pas fondé ». La Cour de cassation avait déjà jugé qu’ayant relevé que le créancier « avait bénéficié de la garantie personnelle des cautions, sans leur avoir fourni aucun service au sens de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, la cour d’appel en a exactement déduit que la prescription biennale édictée par ce texte était inapplicable à l’action en paiement litigieuse » (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-15.331, Dalloz actualité, 22 sept. 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ Contrat 2017. 496, obs. F. Jacomino ). Elle interdit désormais à la caution de se prévaloir de la prescription biennale pourtant attachée à la dette garantie.

La position exprimée par le présent arrêt peut sembler cohérente au regard du courant jurisprudentiel qui considère, conformément à l’article 2313 du code civil, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui sont inhérentes à la dette, mais pas les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur principal (v. en part. Cass., ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, D. 2008. 514 , note L. Andreu ; ibid. 2007. 1782, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2201, note D. Houtcieff ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; AJDI 2008. 699 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2008. 331, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 585, obs. D. Legeais ; ibid. 835, obs. A. Martin-Serf  ; pour une critique de ce courant, v. D. Houtcieff, La remise en cause du caractère accessoire du cautionnement, RDBF 2012. Doss. 38 ; P. Simler, « Le cautionnement est-il encore une sûreté accessoire ? », in Mél. G. Goubeaux, Dalloz/LGDJ, 2009, p. 497 ; comp....

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Lors d’un transport ferroviaire assuré par la SNCF sur le territoire français, une passagère est victime d’un écrasement du pouce gauche à la suite de la fermeture d’une porte. Elle recherche alors la responsabilité – contractuelle, puisqu’elle était munie d’un billet – de ce transporteur. Une imprudence peut cependant lui être reprochée : malgré des consignes de sécurité répétées par le personnel, elle avait placé son pouce dans l’encadrement de cette porte, du côté des charnières.

La simplicité des faits à l’origine de l’arrêt rendu le 11 décembre 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation promis à toutes les publications tranche avec l’épineuse identification du droit qui leur est applicable. Dans cette quête, deux possibilités s’offraient à la haute juridiction : tribunal puis cour d’appel avaient fait application du droit français de la responsabilité contractuelle pour condamner la SNCF tandis que cette dernière – demanderesse au pourvoi – invoquait le règlement européen du 23 octobre 2007 (règl. CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 oct. 2007, entré en vigueur 4 déc. 2009) sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Instaurant un régime unifié de responsabilité des transporteurs ferroviaires, ce règlement s’applique aux dommages survenus à l’occasion de transports internationaux au sein de l’Union européenne et de transports intérieurs aux États membres survenus à partir du 4 décembre 2009, conditions satisfaites en l’espèce.

Le pourvoi de la SNCF invitait la Cour de cassation à se prononcer pour la première fois sur l’articulation du droit interne et du droit de l’Union européenne (II). En sus de répondre à un souci de rigueur intellectuelle, la désignation du corpus de règles applicables à l’espèce renfermait un enjeu notable puisque ces droits réservent un pouvoir exonératoire différent à la faute de la victime qui ne revêt pas les caractères de la force majeure (I).

L’enjeu : une faute de la victime à l’intensité exonératoire différente

Traditionnellement, si la faute de la victime exonère totalement le défendeur lorsqu’elle présente les caractères de la force majeure, elle l’exonère au moins partiellement dans le cas contraire. Alors que ces principes « de logique élémentaire » (D. 2008. 2894, obs. P. Brun ) sont solidement ancrés en droit français de la responsabilité civile – contractuelle comme extracontractuelle –, la jurisprudence y a récemment dérogé au sujet de la responsabilité contractuelle du transporteur ferroviaire. Par l’arrêt Ibouroi du 13 mars 2008, la Cour de cassation a en effet énoncé que, « tenu d’une obligation de résultat envers un voyageur, [il] ne peut s’en exonérer partiellement et la faute de la victime, à la condition de présenter les caractères de la force majeure, ne peut jamais emporter qu’exonération totale (Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 05-12.551 P, D. 2008. 1582 , note G. Viney ; ibid. 905, édito. F. Rome ; ibid. 2363, chron. P. Chauvin et C. Creton ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2009. 972, obs. H. Kenfack ; RTD civ. 2008. 312, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2008. 843, obs. B. Bouloc ) » (si un arrêt de chambre mixte [Cass., ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307, Bull. mixte, n° 3 ; D. 2009. 461 , note G. Viney ; ibid. 2008. 3079, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 972, obs. H. Kenfack ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 224, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2009. 129, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 434, obs. B. Bouloc ] semblait appuyer cette position en précisant qu’elle valait quelle que soit la gravité de la faute imputable à la victime, la Cour de cassation s’en défend dans son rapport annuel de 2008 en expliquant que ce point n’était pas critiqué par le pourvoi). En définitive, le transporteur ferroviaire se voit depuis privé de toute possibilité d’exonération partielle du fait du comportement de la victime ; son exonération, qui ne peut être que totale, est conditionnée au fait que la faute de la victime présente un caractère irrésistible et imprévisible. Se plaçant sur le terrain du droit national et appliquant ce régime de responsabilité contractuelle des transporteurs ferroviaires tel que façonné par la jurisprudence, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait condamné la SNCF à réparer entièrement les préjudices subis par la victime.

C’est précisément ce qui lui était reproché par le pourvoi du transporteur. Composé d’un moyen unique, il soutenait que sa responsabilité aurait dû être examinée à l’aune du règlement européen du 23 octobre 2007, aujourd’hui expressément repris à l’article L. 2151-1 du code des transports. Or l’article 11 du règlement, qui renvoie à l’article 26-2 de son annexe – parfois désignée sous l’acronyme RU-CIV (règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs. Il s’agit de la reproduction de l’appendice A de la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires [COTIF]) –, prévoit que le transporteur ferroviaire responsable d’un dommage corporel ou psychique puisse être exonéré lorsque « l’accident a été causé par des circonstances extérieures à l’exploitation ferroviaire que le transporteur, en dépit de la diligence requise d’après les particularités de l’espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier » – c’est-à-dire en cas de force majeure –, lorsque l’accident est dû au comportement d’un tiers ou encore lorsqu’il « est dû à une faute du voyageur ». Contrairement au droit français précité, le règlement européen de 2007 organise donc la possibilité pour le transporteur ferroviaire d’une exonération – qui, dans le silence du texte, est partielle ou même totale – fondée sur la faute de la victime alors même qu’elle ne présenterait pas les caractères de la force majeure. Droit français de la responsabilité contractuelle et droit de l’Union européenne s’opposent ainsi quant à l’intensité de l’effet exonératoire de la faute contributive de la victime. La désignation du droit applicable à l’espèce était par conséquent essentielle.

Le dénouement : l’articulation entre droit de l’Union européenne et droit français de la responsabilité contractuelle

Levée d’une difficulté d’interprétation. Si l’articulation du droit français de la responsabilité et du droit européen suscite fréquemment des difficultés (sur l’articulation entre la directive du 25 juillet 1985 et le droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, v. M. Bacache, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, t. 5, 3e éd., Economica, 2016, n° 774.), c’est la première fois que la Cour de cassation était amenée à statuer sur leur articulation en matière de responsabilité des transporteurs ferroviaires. La clef de résolution réside ici dans l’article 11 du règlement européen de 2007 qui précise s’appliquer « sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis ». Malheureusement, l’expression circonscrivant la réserve de compétence des droits nationaux souffre une double ambiguïté. D’abord, on peut se demander si la formulation « sans préjudice de » organise un système de substitution des droits nationaux au droit de l’Union européenne lorsqu’ils se révèlent plus favorables envers la victime. Mais si tel est le cas, en quoi consiste un système octroyant « une plus grande indemnisation » ? S’agit-il d’un système construit autour d’une architecture globale favorisant l’engagement de la responsabilité (par exemple reconnaissant de nombreux faits générateurs, peu de causes d’exonération et prônant une appréciation souple du lien de causalité) ? Est-ce au contraire un système admettant la réparation de préjudices plus nombreux ou avec des seuils et/ou plafonds de réparation plus favorables ?

Comme nombre d’autres juridictions avant et après elle (pour des ex. antérieurs à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 21 déc. 2017, v. Aix-en-Provence, 10 sept. 2015, n° 14/12200 ; 4 févr. 2016, n° 14/14802 ; 2 juin 2016, n° 15/08384 ; pour des ex. postérieurs, v. Angers, 6 mars 2018, n° 16/00131 ; Aix-en-Provence, 5 sept. 2019, n° 18/11198), la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait retenu que l’article 11 prônait une véritable substitution des droits nationaux lorsque leurs principes fondamentaux se montrent plus favorables aux victimes. Le droit de l’Union européenne faisant produire un effet partiellement, voire totalement exonératoire à la faute simple du voyageur, contrairement à l’interprétation jurisprudentielle française, la cour avait retenu qu’il est « de nature à limiter la responsabilité du transporteur et par conséquent à limiter l’indemnisation du voyageur ». Il doit alors être évincé au profit de l’article 1147 du code civil (ancien) et de la jurisprudence s’y rattachant. Partant, la cour d’appel avait ordonné la réparation entière des préjudices.

Mais une interprétation toute différente de l’article 11 était proposée par le pourvoi : il renfermerait une logique de complémentarité du droit national sur le seul plan de l’indemnisation, sans que ses dispositions relatives à l’engagement de responsabilité souffrent jamais aucune concurrence. Autrement dit, si des dispositions du droit national pourraient trouver à s’appliquer, il s’agit uniquement de celles relatives à l’indemnisation qui améliorent le sort des victimes. Ainsi, les dispositions du règlement qui admettent que la responsabilité encourue par le transporteur ferroviaire soit plafonnée (art. 30, 2) pourraient être évincées au profit de dispositions nationales prévoyant un plafond plus élevé voire aucun plafond. En revanche, seules les dispositions du règlement européen gouverneraient l’examen de la responsabilité du transporteur ferroviaire. Puisque les causes d’exonération du responsable se rattachent à l’appréciation de la responsabilité et non pas à l’évaluation de l’indemnisation, ce sont bien les dispositions du règlement qui doivent régir cette problématique et elles seules. D’autres dispositions du règlement que des victimes françaises auraient pourtant tout intérêt à écarter obéiraient d’ailleurs au même traitement. Songeons à la prescription de l’action en réparation : les dispositions européennes s’appliqueront malgré leur rigueur à l’égard des victimes et l’action sera prescrite par trois ans (art. 60, 1), au lieu de dix ans à compter de la consolidation du dommage corporel.

Si quelques cours d’appel s’étaient prononcées en faveur de cette seconde interprétation (Paris, 9 mai 2016, n° 14/20974 ; Douai, 16 nov. 2017, n° 16/05005 ; Limoges, 13 janv. 2016, n° 14/01507 ; Poitiers, 8 avr. 2016, n° 14/04688), le pourvoi a su convaincre la haute juridiction d’en faire de même, entraînant la censure de l’arrêt au visa – pour refus d’application – des articles 11 du règlement et 26 de son annexe I, L. 2151-1 du code des transports et – pour fausse application – de l’article 1147 ancien du code civil. L’analyse consacrée est fondée. D’abord, elle est respectueuse de l’objectif d’harmonisation maximale poursuivi par le règlement européen. Ensuite, nombre de ses dispositions renvoient aux législations nationales au sujet de l’étendue de l’indemnisation (art. 29), notamment quand elles sont plus favorables (art. 30, 2). En toute rigueur, l’arrêt ne constitue pas à proprement parler un revirement de la jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle des transporteurs ferroviaires sur le fondement de l’ancien article 1147 du code civil, revenant à la solution traditionnelle ; il écarte la compétence de cette jurisprudence au profit du règlement européen.

Unification des régimes ? La jurisprudence développée en matière ferroviaire présentait l’inconvénient majeur d’entraîner une disparité des régimes de responsabilité des transporteurs. Les régimes du transport aérien (Conventions de Varsovie et de Montréal), du transport ferroviaire international (Convention de Berne) ou encore du transport maritime (Convention d’Athènes) admettent en effet une exonération de responsabilité partielle lorsque la faute de la victime ne relève pas de la force majeure. Il en va de même pour le transport fluvial ou le transport par tramways circulant sur des voies qui leur sont propres, régis par le droit commun de la responsabilité civile (Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.440 P, D. 2015. 1137 , note D. Mazeaud ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; Just. & cass. 2016. 184, rapp. P. Delmas-Goyon ; ibid. 190, avis P. Drouet ; JT 2015, n° 175, p. 14, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2015. 628, obs. P. Jourdain ). Or il était difficile de comprendre pourquoi le sort des victimes devait être fonction du type de transport qu’elles avaient emprunté. Pis encore, ce sort se jouait parfois à quelques minutes près : on songe évidemment à l’arrêt statuant en matière extracontractuelle – puisque la victime était descendue du train avant de tenter d’y remonter pour récupérer des effets personnels – qui a réaffirmé l’effet exonératoire de la faute simple de la victime (cette hypothèse demeure d’ailleurs régie par le droit de la responsabilité extracontractuelle car le règlement n° 1371/2007 s’applique à la condition que l’accident survienne « pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu’il y entre ou qu’il en sorte »). Dissonant, le revirement Ibouroi avait des allures de l’arrêt Desmares (Civ. 2e, 21 juill. 1982, n° 81-12.850 P), perçu comme une provocation destinée à inciter le législateur à intervenir en matière d’accidents de la circulation. S’agissait-il en 2008 d’inviter le législateur à intégrer les transports ferroviaires internes dans le champ de la loi Badinter ? Quelques mois après l’adoption du règlement européen de 2007, cela apparaissait vain…

Quoi qu’il en soit, l’arrêt commenté neutralise cette jurisprudence. S’il est source d’unification des responsabilités des transporteurs, cet effet est limité par le fait que la responsabilité du transporteur routier de voyageurs en cas de dommages résultant d’un accident de la circulation relève quant à elle de la loi Badinter (et ce, même en cas de transport international car la Convention internationale de 1973 n’a été ratifiée que par de rares pays) : seule une faute intentionnelle ou une faute inexcusable qui a été la cause exclusive de l’accident peut alors être opposée aux victimes non conductrices, la jurisprudence étant de surcroît réticente à caractériser la faute inexcusable.

Cette disparité des régimes de réparation en fonction de la nature du transport se justifie pourtant difficilement. D’abord, dans chacun des transports envisagés, les passagers sont exposés à des risques similaires et la responsabilité est de même type. Ensuite, il est acquis que l’idéologie de la réparation a entraîné un déplacement du centre de gravité de la responsabilité civile depuis le fait générateur vers le préjudice. De ce fait, on eût préféré que « l’émiettement » (D. 2008. 1582, obs. G. Viney ) des régimes applicables aux différents moyens de transport cesse au profit d’une réparation unitaire et encouragée du dommage corporel, par le biais de la mise en place d’une exonération conditionnée à la faute inexcusable inspirée de la loi Badinter ou à la faute lourde de la victime, comme proposé par le projet de réforme de la responsabilité civile. Cela n’est désormais qu’un vœu pieux puisque les régimes présentés sont régis par des conventions internationales et un règlement européen. Il ne reste plus qu’à espérer que le régime français des accidents routiers ne fera pas l’objet d’un démantèlement.

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Au-delà de cette belle ordonnance (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank, v. infra, « Les recours contre la sentence »), la présente livraison s’attarde sur un très grand nombre d’arrêts révélant la diversité des effets de la clause compromissoire. De plus, on signalera tout particulièrement un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), qui soulève des discussions concernant l’indépendance et l’impartialité d’un arbitre ainsi que la conformité de la sentence à l’ordre public.

La clause compromissoire

La clause compromissoire soulève des questions de plusieurs ordres : de validité, d’articulation, de circulation et d’extension.

La validité de la clause

La clause compromissoire par référence

Il n’est pas rare que la clause compromissoire ne figure pas dans le contrat principal, mais dans un document annexe, auquel il est fait référence. La question de la validité de cette clause se pose, aussi bien quant à la forme qu’au fond. Cette question a fait l’objet d’études doctrinales d’ampleur (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551). La jurisprudence est fixée depuis longtemps. Dans l’arrêt Bomar Oil, la Cour de cassation a énoncé qu’« en matière d’arbitrage international, la clause compromissoire par référence écrite à un document qui la contient, par exemple des conditions générales ou un contrat type, est valable, à défaut de mention dans la convention principale, lorsque la partie à laquelle la clause est opposée a eu connaissance de la teneur de ce document au moment de la conclusion du contrat et qu’elle a, fût-ce par son silence, accepté l’incorporation du document au contrat » (Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-15.194, Rev. arb. 1994. 108, note C. Kessedjian ; JDI 1994. 690, note E. Loquin). Depuis, l’exigence d’une « référence écrite » a été supprimée (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-21.548, Rev. arb. 2003. 1341, note C. Legros ; 11 mai 2012, n° 10-25.620, JCP G 2012. Doctr. 1354, n° 4, obs. C. Seraglini ; Rev. arb. 2012. 561, note L. Bernheim-Van de Casteele). Deux conditions seulement subsistent : la connaissance et l’acceptation (sur ce point, v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, nos 255 s. ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 660).

C’est sur une sorte de clause par référence que la Cour de cassation avait à se prononcer (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.176, Priosma). Dans les faits, un contrat avait été conclu en 2011, lequel contenait une clause compromissoire. Deux ans plus tard, un contrat identique est conclu mais une partie est remplacée par une autre. La spécificité du contrat de 2013 tient dans son contenu, qui renvoyait pour une large part au contrat de 2011. La question était donc de savoir si la clause compromissoire contenue dans le contrat de 2011 pouvait s’appliquer au nouveau cocontractant de 2013. C’est une réponse positive qui est apportée par le tribunal arbitral et validée par la cour d’appel de Paris (Paris, 29 mai 2018, n° 16/12944, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation retient que, « le contrat de 2013 étant dépourvu de substance sans sa référence à l’ensemble des stipulations du contrat de 2011, Priosma avait nécessairement eu connaissance de celui-ci, qui fixait seul les droits et obligations des parties ; qu’ayant ainsi fait ressortir l’acceptation par Priosma, lors de la conclusion du contrat, de la clause compromissoire contenue dans celui de 2011, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». La motivation est éclairante. Les deux juridictions ont successivement fait mention de la connaissance et de l’acceptation. Ceci étant, la caractérisation de ces conditions est réduite à sa plus simple expression : ce n’est pas la connaissance effective qui est recherchée, mais la connaissance nécessaire. Dès lors, l’acceptation découle automatiquement de cette connaissance, faute d’opposition à la clause. En définitive, la Cour de cassation confirme une jurisprudence particulièrement favorable à la clause compromissoire par référence. Reste à savoir s’il en ira de même en matière interne avec la nouvelle formule retenue par l’article 2061 du code civil (« la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose », v. not. C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 14 s. ; il faut également combiner, en matière interne, l’article 2061 du code civil avec l’article 1443 du code de procédure civile : « À peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale »). Rien ne semble l’interdire.

Le fondement de la validité de la clause

En matière interne, la validité de la clause est soumise à l’article 2061 du code civil. L’article ayant été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, la question de survie de la loi ancienne aux clauses conclues avant son entrée en vigueur se pose avec acuité. Dès la promulgation de la loi, la doctrine a fait part de ses doutes quant à cette question (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 27). Implicitement, un arrêt de la cour d’appel de Colmar vient d’opter pour la survie de la loi ancienne, qui continue à être applicable aux clauses formées avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02482, Lohr). Cela dit, pouvait-il véritablement en aller autrement dès lors que la sentence contrôlée était antérieure à la réforme ?

Par ailleurs, cet arrêt rappelle que l’article 2061 du code civil n’épuise pas les dispositions relatives à la validité de la clause compromissoire. Celle-ci peut aussi être appréciée à l’aune de l’article L. 721-3 du code de commerce. Mieux, une partie rappelait une chose méconnue : les articles 1025 et 1026 du code de procédure civile local d’Alsace-Moselle sont encore en vigueur. Or le premier prévoit des dispositions dérogatoires concernant la validité de la clause compromissoire (P. Hoonakker, D. d’Ambra et S. Guinchard, « Règles locales de procédure civile en matière contentieuse », in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2017-2018, n° 722.61 ; Rép. civ., v° Alsace et Moselle, par J.-L. Vallens, n° 16 ; Rép. internat., v° Alsace et Moselle. Conflits de juridictions, par J.-M. Bischoff, n° 35). Il énonce que « la convention attribuant à un ou plusieurs arbitres le pouvoir de trancher un litige est valable, en droit, dans la mesure où les parties ont le droit de transiger sur l’objet du litige ». Voilà une formule particulièrement moderne, d’autant qu’elle date de plus d’un siècle. Ceci étant, la cour d’appel de Colmar ne s’embarrasse pas de ces textes spéciaux et évalue la compétence de l’arbitre à l’aune du seul article 2061. Alors que l’arbitre s’était déclaré compétent, elle juge que la convention portait sur une cession à titre patrimonial qui n’était pas intervenue dans le cadre d’une activité professionnelle. Il est toutefois difficile d’évaluer la décision, le défendeur ayant été déclaré irrecevable dans ses conclusions. Un éventuel pourvoi laisse augurer de belles questions d’articulation entre les articles 2061 ancien et nouveau, 721-3 et le droit local !

L’articulation de la clause

La question de l’articulation de la clause compromissoire avec une clause attributive de juridiction peut intervenir à deux moments devant le juge judiciaire. D’une part, lors d’une saisine du juge désigné par une clause préalablement à la constitution du tribunal arbitral ; d’autre part, postérieurement à la reddition d’une sentence, dans le cadre du recours exercé contre celle-ci. Ces deux situations ont fait l’objet de décisions dans la période récente.

D’une part, une partie peut faire état de l’existence d’une clause compromissoire dans une instance où le juge étatique est saisi par la partie adverse. En principe, l’examen du juge est supposé être superficiel en application du principe compétence-compétence. Toutefois, la Cour de cassation ne tient pas toujours parfaitement la ligne – ce que l’on peut regretter pour la lisibilité de sa jurisprudence. Ainsi, dans une affaire déjà examinée sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 1er juin 2017, n° 16-11.487, Procédures 2017. Comm. 201, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2017, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude), partiellement rabattu et rectifié (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 16-11.487), la Cour de cassation était à nouveau saisie (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.395, Russian Satellite Communications Company) d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel (Paris, 29 mai 2018, n° 17/16484, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). En substance, un contrat de cession de titres avait été conclu entre deux sociétés. Finalement, le cédant avait lui-même cédé ses droits par un second contrat. L’un et l’autre de ces contrats contenaient une clause compromissoire. À la suite de cela, un troisième contrat, tripartite cette fois, a été conclu pour fixer les modalités de la cession. Celle-ci stipulait une clause d’élection de for (on a, une fois de plus, la preuve que les rédacteurs d’actes n’ont parfois aucune conscience des conséquences des stipulations contractuelles). Finalement, un litige survient entre le second cessionnaire et le cédant. Le tribunal de commerce est saisi du litige par le second cessionnaire. Le défendeur oppose la clause compromissoire figurant dans les deux premiers contrats. Le premier arrêt d’appel avait accueilli l’exception d’incompétence sur le fondement du principe compétence-compétence (Paris, 19 janv. 2016). Celui-ci était cassé au motif qu’« aucune clause compromissoire ne liait les sociétés [cédante] et [cessionnaire au second degré] et que le contrat tripartite contenait une clause attributive de juridiction ». Le second arrêt d’appel a pris acte de la solution de la Cour de cassation et écarté l’exception d’incompétence. Sans surprise, le pourvoi est rejeté.

On reste sceptique sur la solution. En présence de deux contrats contenant une clause compromissoire et un troisième contrat contenant une clause attributive de juridiction, il est difficile d’identifier le caractère « manifeste » de l’inapplicabilité de la clause (dans le même sens, v. X. Boucobza et Y.-M. Serinet, note ss Paris, 29 mai 2018, RDC 2018. 386). La longueur de la motivation nécessaire pour emporter la conviction est particulièrement révélatrice du doute qui peut subsister sur cette question. Certes, renvoyer à l’arbitre alors que l’incompétence est probable n’est pas sans inconvénient. Il n’en demeure pas moins que le principe compétence-compétence est de droit positif et mérite une application rigoureuse et constante.

D’ailleurs, la cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD) est sur une ligne concurrente, pour des faits voisins, de celle retenue par la Cour de cassation (à l’exception de l’arrêt du 29 mai 2018, mais qui est rendu sur renvoi après cassation. Sans être liée, la cour d’appel était donc fortement incitée à rendre une décision conforme). Elle énonce que « la présence d’une clause attributive de juridiction dans l’un des contrats ne fait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage ». On n’aurait pas dit mieux et les parties sont invitées à mieux se pourvoir. C’est une analyse similaire qui est retenue dans un deuxième arrêt (Paris, 30 oct. 2019, n° 18/27504, Auchan Hypermarché). Des parties, en relation de longue date, avaient pour habitude d’inclure des clauses attributives de juridiction dans leurs conventions, notamment en 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2016. En revanche, en 2015, elles avaient opté pour une clause compromissoire. La cour d’appel de Paris en déduit que, dès lors que le fait générateur est une lettre du 10 décembre 2015, la clause n’est pas manifestement inapplicable et elle renvoie à l’arbitrage. Cela dit, il ne nous semble pas que la date du fait générateur doive être le fait déclencheur de l’incompétence étatique. Ici encore, il suffit de constater l’existence d’un lien entre la clause et le litige, celui-ci n’étant pas uniquement caractérisé par une date.

D’autre part, le juge du recours est susceptible d’examiner l’appréciation faite par l’arbitre de l’articulation de la clause compromissoire avec d’autres clauses relatives au litige. En l’espèce, l’arbitre était confronté à une clause compromissoire contenue dans le contrat principal et une clause attributive de juridiction dans une transaction (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-10.395, Trans World Finances). Celui-ci a retenu sa compétence, au motif que la clause attributive de juridiction, bien que postérieure, avait un objet distinct et que les parties n’y avaient pas renoncé. La cour d’appel de Paris a validé la sentence (Paris, 17 oct. 2017, n° 15/13696). Comme à son habitude, la cour d’appel a réalisé un examen de ce grief en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle commence par identifier le sens du protocole transactionnel. Ensuite, elle examine le champ d’application de la clause d’élection de for contenue dans celui-ci. Il en ressort, selon la formulation de l’arrêt d’appel, que cet accord réservait nécessairement tous les litiges découlant du contrat initial qui porteraient sur des objets distincts de ceux visés par les réclamations. Ainsi coexistaient deux clauses avec un champ d’application distinct : la clause attributive de juridiction pour les litiges découlant de la transaction et la clause compromissoire pour les litiges pouvant toujours survenir dans le cadre de l’exécution du contrat. Il ne restait plus qu’à déterminer dans le champ de quelle clause entrait le litige. Le juge énonce alors que le tribunal arbitral était compétent pour connaître de demandes qui, ne relevant pas du périmètre de la transaction, entraient dans le champ de la convention d’arbitrage. Le raisonnement est parfaitement rigoureux et la solution convaincante. L’arrêt rappelle que la conclusion postérieure d’une clause relative au litige n’entraîne pas ipso facto renonciation à la clause compromissoire. Si les clauses ne sont pas inconciliables, il convient de déterminer leur champ d’application et de vérifier si le litige doit y être soumis.

La circulation de la clause

La clause compromissoire est susceptible de circuler au gré des opérations affectant l’obligation. La subrogation fait partie de ces hypothèses. La question peut alors se poser sous deux angles. Si A est le solvens, B le créancier subrogeant et C le débiteur. La clause peut se trouver, première hypothèse, dans la relation entre le créancier subrogeant B et le débiteur C et, deuxième hypothèse, dans une relation parallèle entre le solvens A et le débiteur C. La question est de savoir si l’action du solvens A contre le débiteur C est soumise à la clause.

Dans la première hypothèse, la réponse ne fait pas de doute. La cour d’appel de Paris le rappelle opportunément en affirmant qu’« il en résulte que l’assureur [le solvens] qui a indemnisé son assuré, en vertu de la police le liant à ce dernier est légalement subrogé dans tous les droits de celle-ci, la créance lui étant transmise avec ses accessoires, ses modalités, ses exceptions ou ses limitations, et notamment avec la clause compromissoire, dont il est dès lors fondé à se prévaloir et qui s’impose à lui » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Cette solution se fonde directement sur le régime général des obligations et ne nécessite pas le recours à des dispositions spécifiques du droit de l’arbitrage. Elle découle simplement de la nature de la subrogation.

La deuxième hypothèse est plus complexe. Dans un arrêt du 6 novembre 2019 (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Aquasea Yachting), la Cour de cassation avait à connaître d’une action exercée par un assuré contre son assureur. Le dommage avait été subi par le salarié de l’assuré. L’assuré avait alors indemnisé le salarié et entendait se retourner contre l’assureur. Afin d’échapper à la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance et saisir les juridictions étatiques, l’assuré faisait valoir qu’il était subrogé dans les droits de la victime et qu’il exerçait l’action directe de cette dernière. Il invoquait l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, la victime étant étrangère à la relation contractuelle entre l’assuré et l’assureur.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 23 nov. 2017) avait accueilli l’exception d’incompétence par une motivation dont les termes nous sont donnés par la Cour de cassation. Elle avait retenu que « la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence, doit pouvoir être constatée lors d’un examen sommaire par le juge étatique, tout contrôle substantiel et approfondi étant exclu, il retient, enfin, que le fait que la société Aquasea Yachting se prétende subrogée dans les droits de la victime n’est pas de nature à écarter la clause compromissoire ». Le pourvoi est rejeté. La motivation retenue par la cour d’appel d’Aix et validée par la Cour de cassation nous paraît convaincante à double titre. D’abord, en dépit des mérites évidents de l’argumentation fondée sur la subrogation personnelle, celle-ci ne peut caractériser une inapplicabilité manifeste, dans la mesure où l’action oppose deux parties à la clause compromissoire. Il revient donc aux arbitres de se prononcer en priorité sur cette question. Ensuite, contrairement à un arrêt récent, le juge ne tranche pas par anticipation la question (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Dr. mar. fr. 2019, n° 810, note P. Delebecque, les faits étaient d’ailleurs tout à fait similaires, si ce n’est que l’action directe était exercée par la victime et non l’assuré subrogé). En effet, dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation avait énoncé que « la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ». Or il ne revient pas au même de dire que la clause n’est pas manifestement inapplicable et de dire qu’elle est opposable à la victime. Il appartient au juge saisi en violation d’une clause compromissoire de préserver la plénitude de la compétence arbitrale et de réserver son examen à un éventuel recours (sur l’ensemble de la question, v. J. Jourdan-Marques, « Action extracontractuelle et arbitrage », Rev. arb. 2019. 685).

L’extension de la clause

La clause peut être étendue à un autre contrat ou à un tiers.

L’extension à un autre contrat

En matière de champ d’application de la clause compromissoire, une question qui se pose fréquemment est de savoir si celle-ci a vocation à s’appliquer, en l’absence d’une quelconque référence en ce sens, à un contrat dans lequel elle ne figure pas. Deux parties avaient conclu deux contrats distincts le même jour : d’une part, des statuts d’une société en participation (SEP) et d’autre part une convention relative à l’attribution de droits sur un immeuble (ci-après « la Convention »). Dans les statuts de la SEP figurait une clause compromissoire stipulant que « toutes les contestations qui s’élèveraient entre les parties à l’occasion de l’interprétation ou de l’exécution des présentes tant au cours de la durée de la société en participation que lors de sa liquidation ». En revanche, la Convention ne contenait aucune clause compromissoire et y figurait une stipulation indiquant qu’« en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente ». La question était de savoir si la clause compromissoire des statuts de la SEP s’appliquait à une action fondée sur la Convention. Le tribunal arbitral a répondu positivement à cette interrogation. Le recours contre la sentence est rejeté et la motivation est particulièrement riche (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). D’abord, la cour d’appel de Paris énonce que « la seule interprétation qu’il convient de donner aux conventions d’arbitrage est celle qui est conforme à la volonté des parties ». Cette formule est, à notre connaissance, nouvelle. C’est aussi une belle formule. Elle rappelle le fondement contractuel de l’arbitrage, qui est la pierre angulaire de l’institution. Ceci étant, il faudra vérifier à l’usage si une telle formule n’est pas riche d’ambiguïtés. En effet, une part du régime de la clause compromissoire révèle parfois une forme de forçage de la volonté des parties (en premier lieu desquels, le mécanisme de transmission de la clause compromissoire). Ensuite, la cour examine la volonté des parties en l’espèce. Elle souligne qu’« il résulte ainsi clairement tant du préambule de la Convention […] que de l’analyse des statuts de la SEP et des termes de la Convention que ces deux derniers actes juridiques, quoique distincts, constituent des contrats liés entre eux, complémentaires et dépendants l’un de l’autre, exprimant la volonté commune des parties de garantir le dénouement convenu de cette opération » puis ajoute qu’« il se déduit dès lors tant de la Convention que des statuts de la SEP et du libellé de cette clause compromissoire qui concerne tant les événements survenant pendant la vie de la SEP qui prend fin à l’acquisition du bien immobilier que lors de sa liquidation, la volonté des parties d’étendre la portée de ladite clause à l’ensemble des contentieux indissociables pouvant survenir au dénouement de l’opération vue dans son ensemble ». Ainsi, la cour donne à la clause une portée maximale. Elle estime que sa rédaction est suffisamment large pour que ses effets s’étendent aux conventions complémentaires et dépendantes. Enfin, elle écarte la clause contenue dans la convention, en énonçant que celle-ci « se borne à indiquer qu’en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente, ne constitue pas une clause attributive de compétence au profit d’une juridiction étatique et ne manifeste pas la volonté des parties de faire échapper leur litige à l’arbitrage, conformément à la clause compromissoire insérée dans les statuts de la SEP ».

La solution mérite d’être remarquée et ne manquera pas de faire l’objet de discussions. Elle s’inscrit dans une longue histoire de faveur à l’efficacité de la clause compromissoire. Il n’en demeure pas moins, en l’espèce, qu’elle conduit à anesthésier une autre clause contractuelle, qui perd toute efficacité.

En revanche, un autre argument est avancé pour justifier la compétence arbitrale, et il laisse plus songeur. Dans la présente affaire, le demandeur avait dans un premier temps saisi la juridiction étatique, laquelle s’était déclarée incompétente (TGI Paris, 19 mai 2015, n° 12/09963). La cour d’appel en déduit que, si elle « annulait la sentence partielle rendue à raison de l’incompétence du tribunal arbitral, lequel est saisi de demandes, fondées sur l’application de la Convention, déjà présentées […] devant le tribunal de grande instance, celui-ci, irrecevable à agir devant le juge étatique, serait privé d’accéder au juge arbitral, ce qui constituerait un déni de justice. Le tribunal arbitral a donc à juste titre retenu sa compétence pour connaître de l’ensemble du litige et le recours en annulation de la sentence arbitrale est rejeté ». La référence au déni de justice paraît séduisante. Pour autant, l’argumentation ne convainc pas ou, à tout le moins, ne doit pas être généralisée, pour deux raisons. D’une part, parce qu’une décision d’incompétence du juge saisi en violation d’une clause compromissoire est – en principe – rendue à la suite d’une application du principe compétence-compétence dans son effet négatif. En conséquence, ce juge ne tranche absolument pas la question de la compétence arbitrale et, par ricochet, de sa propre compétence. Mais, il est aussi vrai que dans le jugement du 19 mai 2015, le juge n’a pas fait application de l’article 1448 du code de procédure civile et a « vidé » la question de la compétence. D’autre part, parce qu’une décision d’incompétence fondée sur une clause compromissoire est une exception de procédure. Elle n’a pas autorité de la chose jugée et n’interdit pas une saisine ultérieure des juridictions judiciaires après une sentence d’incompétence. Cela dit, là encore, le tribunal de grande instance a déclaré la demande irrecevable, ce qui dénote l’utilisation d’une fin de non-recevoir et donc le recours à un moyen de défense erroné. Pour autant, le cumul de ces deux bévues de la juridiction saisie en violation de la clause compromissoire devait-il conduire la cour d’appel à laisser croire que le déni de justice interdit d’annuler une sentence pour incompétence lorsqu’un premier juge a renvoyé les parties devant l’arbitre ? Il nous semble qu’une formule plus circonstanciée aurait, a minima, été préférable.

L’extension à un tiers

L’extension de la clause compromissoire à un tiers est également une question classique du droit de l’arbitrage (sur la question, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 711 et les sources citées). La question est de savoir quels sont les critères permettant de réaliser une telle extension. Dans son arrêt ABS, la Cour de cassation a posé un seul et unique critère : celui de l’implication du tiers. Elle énonce que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP G 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; Cont. conc. cons. 2007. 166, note L. Leveneur). La cour d’appel de Paris ne semble pas être tout à fait sur la même position. Elle retient dans un arrêt récent que « dans le droit de l’arbitrage international, les effets de la clause compromissoire s’étendent aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat dès lors que leurs situations et leurs activités font présumer qu’elles avaient connaissance de l’existence et de la portée de cette clause » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Ce faisant, elle rappelle son attachement à l’extension de la clause, tout en ajoutant une exigence de connaissance. Elle suit en cela l’avis d’une partie de la doctrine (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 325) et reprend une formulation déjà esquissée (Paris, 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). Néanmoins, la divergence entre la cour d’appel et la Cour de cassation ne paraît pas très importante, tant la connaissance paraît découler de l’implication. En revanche, on peut regretter que la cour énonce, au stade préarbitral, qu’« il ne peut être soutenu, comme l’a fait le tribunal, que [la partie] était étrang[ère] à cet accord de classification et qu’elle n’avait pas connaissance de la clause compromissoire ». Cette appréciation revient au tribunal arbitral, qui doit bénéficier d’une plénitude de compétence pour trancher ce point.

Un autre arrêt adopte d’ailleurs une solution plus conventionnelle (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-26.809, Thermador). Un pacte d’actionnaire avait été conclu entre une société et deux de ses salariés. Après le départ de ces derniers chez un concurrent, la société a assigné l’ensemble des protagonistes – anciens salariés et concurrents – devant la juridiction étatique. Les défendeurs ont soulevé l’incompétence de la juridiction étatique en raison de la clause compromissoire stipulée dans le pacte d’actionnaire. L’arrêt d’appel avait rejeté l’exception à l’égard des tiers au pacte d’actionnaire, au motif « qu’il n’existe pas de clause compromissoire applicable à l’action délictuelle en responsabilité fondée sur le grief d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme » (Rennes, 2 oct. 2018, n° 18/02173). Il est cassé au visa de l’article 1448 du code de procédure civile. La motivation est laconique. Il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le litige n’était pas « en relation avec l’inexécution prétendue […] de l’obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d’actionnaire, ce qui était de nature à écarter le caractère manifeste de l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage ». La solution est une application rigoureuse, mais juste, du principe compétence-compétence. En outre, le critère retenu d’une action « en relation » assure un juste équilibre entre la compétence prioritaire de l’arbitre et la nécessité de rechercher un lien entre l’action et la clause (sur ce point, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, op. cit., nos 20 s.).

La sentence arbitrale

L’autorité de chose jugée de la sentence arbitrale

Une affaire soumise à la cour d’appel de Paris soulevait une question d’autorité de la chose jugée d’une sentence arbitrale (Paris, 31 oct. 2019, n° 17/13250, CNER c. Orca Marée). Une sentence arbitrale a été rendue entre, d’un côté, un demandeur et de l’autre, trois défendeurs, dont un auquel la clause compromissoire a été étendue. Devant les juridictions étatiques, le troisième défendeur – celui auquel la clause a été étendue – agissait contre le demandeur. Se posait donc la question de l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale à l’égard des parties. Celle-ci est écartée, au motif que le litige soumis aux juridictions étatiques n’avait pas le même objet que celui tranché par le tribunal arbitral. L’intérêt de l’arrêt réside dans les modalités procédurales de l’examen de cette question. Le défendeur invoquait l’autorité de la chose jugée sous l’angle d’une exception d’incompétence. Il ne nous semble pas qu’il s’agisse du fondement idoine. L’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale, prévue par l’article 1484, alinéa 1er, du code de procédure civile, est identique à celle du jugement étatique. Il en résulte qu’opposer à une partie l’autorité de la chose jugée doit se faire sous l’angle d’une fin de non-recevoir, fondée sur l’article 122 du code de procédure civile, et non d’une exception de procédure. Deux conséquences en découlent. D’une part, l’article 1448 du code de procédure civile relatif à l’effet négatif du principe compétence-compétence est sans objet et, d’autre part, le moyen de défense peut, conformément à l’article 123 du code de procédure civile, être soulevé en tout état de cause.

La confidentialité de la sentence

Comme le remarque la doctrine, les contours exacts de la confidentialité « restent à fixer par la jurisprudence » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 393). Un arrêt de la cour d’appel de Rouen apporte sa pierre à l’édifice (Rouen, 21 nov. 2019, n° 19/01280, Accelonix). L’une des parties produisait dans l’instance judiciaire une sentence partielle rendue dans une procédure parallèle. La confidentialité de la procédure arbitrale était invoquée pour s’opposer à cette production. La cour écarte le moyen, au motif que la procédure d’arbitrage n’étant pas confidentielle dès lors qu’il s’agit de la protection des droits. Néanmoins, le fondement de cette solution se trouve dans l’acte de mission, qui prévoit cette exception à la publicité. On aurait aimé savoir si, à défaut de clause, la confidentialité aurait pu s’opposer à ce que la sentence soit invoquée dans une procédure judiciaire au soutien des prétentions d’une partie.

L’exequatur de la sentence

Il existe, en matière internationale, trois façons différentes pour un créancier bénéficiant d’une sentence arbitrale d’obtenir l’exequatur. La première, connue de tous, est la procédure d’exequatur de l’article 1516 du code de procédure civile. La seconde, est prévue à l’article 1521, qui énonce que « le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut conférer l’exequatur à la sentence ». La troisième, enfin, est issue de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, qui dispose que « le rejet de l’appel ou du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ou à celles de ses dispositions qui ne sont pas atteintes par la censure de la cour ».

Dans une affaire – d’une relative complexité – soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 29 oct. 2019, n° 19/12047, Bouygues bâtiment Île-de-France), il était reproché au conseiller de la mise en état d’avoir rendu une ordonnance d’exequatur, en application de l’article 1521, alors qu’il existait une première ordonnance rendue sur le fondement de l’article 1516. L’ordonnance était donc attaquée devant la cour d’appel.

À ce titre, la cour d’appel constate qu’« il résulte de l’article 916, alinéa 1er, que les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’arrêt au fond, sauf les exceptions prévues par les alinéas suivants du même article dans lesquels elles peuvent être déférées à la cour ». Or, pour la cour, l’ordonnance du conseiller n’était pas de celles pouvant être déférées.

Mais c’était sans compter sur les talents de technicien du demandeur. Celui-ci n’avait pas formé un déféré « classique », mais un « déféré-nullité » en alléguant un excès de pouvoir du conseiller de la mise en état. À ce titre, il soutenait que la fermeture de toute voie de droit permettait justement de se prévaloir de ce recours. Malin.

La cour d’appel ne se laisse pourtant pas séduire et juge le déféré-nullité irrecevable. Elle rappelle que, selon l’article 1524 du code de procédure civile, le recours en annulation emporte de plein droit recours contre l’ordonnance d’exequatur. Il en résulte que le voie du déféré-nullité ne peut pas être ouverte, dès lors qu’il existe bien un recours contre l’ordonnance, recours dont la cour d’appel est déjà saisie, puisqu’il s’agit du recours en annulation en cours d’examen. Encore plus malin.

Tout ça pour quoi ? Si l’arrêt ne le dit pas expressément, il est probable que l’enjeu concerne l’exécution provisoire. En effet, l’article 1526, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit que le recours n’est pas suspensif. Le bénéficiaire peut ainsi faire exécuter la sentence alors que le recours en pendant devant la cour d’appel. On peut alors imaginer l’inquiétude du débiteur s’il estime qu’il a de bonnes chances d’obtenir l’annulation de la sentence. En l’espèce, l’enjeu était tout de même à 18 millions d’euros…

Les recours contre la sentence

Aspects procéduraux des recours contre la sentence

La procédure devant la cour d’appel

C’est la deuxième fois en un peu plus d’un mois (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ) que la cour d’appel de Paris répond à la même question (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04575, Zwahlen & Mayr), preuve que les erreurs en la matière sont très fréquentes (et le conseiller de la mise en état constant dans ses décisions). Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour devait se prononcer sur la régularité de sa saisine dans le cadre d’un recours en annulation. La partie avait formé une « “déclaration d’appel” mentionnant dans la rubrique “Objet/Portée de l’appel : recours en annulation d’une sentence arbitrale” ». La difficulté tenait à ce que l’onglet informatique sélectionné par le requérant indiquait « déclaration d’appel » et non « autres recours à la diligence des parties » (v. égal. Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude ; 28 oct. 2014, n° 13/16871, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 823, note L. Weiller). La cour d’appel considère que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Le recours en annulation est donc recevable, malgré l’erreur dans la sélection de la case sur le RPVA.

L’arrêt de l’exécution provisoire

Si cette chronique nous donne l’occasion de voyager dans toute la France, on a moins souvent la chance de commenter une ordonnance d’un conseiller de la mise en état. Or les questions posées devant celui-ci sont loin d’être dénuées d’intérêt. Dans une affaire opposant une banque ukrainienne à la Fédération de Russie, les juridictions françaises sont saisies du recours en annulation contre une sentence ayant accordé la modeste somme de 1,1 milliard de dollars au demandeur ukrainien. Depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en annulation n’est plus suspensif d’exécution, mais le conseiller de la mise en état peut arrêt ou aménager l’exécution provisoire si elle est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties (C. pr. civ., art. 1526). Telle était la raison de la saisine du conseiller de la mise en état dans ce recours soumis à la nouvelle chambre internationale de la cour d’appel de Paris (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank).

La question est d’autant plus stimulante que, pour réclamer la suspension de l’exécution provisoire, la Fédération de Russie faisait valoir une argumentation ingénieuse. En principe, le critère posé par l’article 1526, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à une analyse casuistique de la situation économique du créancier ou du débiteur (v. I. Michou, « L’exécution provisoire de la sentence internationale », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 119, nos 15 s.). Ce n’est pas l’approche suivie par le plaideur. La Fédération de Russie estime, en substance, que le créancier risque de poursuivre l’exécution de la sentence dans le monde entier, en particulier dans des pays n’offrant pas une protection adéquate de l’immunité d’exécution. En conséquence, il convient au juge français, juge de l’annulation, de suspendre l’exécution provisoire pour empêcher l’exécution de la sentence à l’étranger.

Cette argumentation n’emporte pas la conviction du conseiller de la mise en état. Il estime, d’abord, et la précision n’est pas anodine, que « le texte de l’article 1526 précité ne cantonne pas expressément son bénéfice à une appréciation des seules conséquences économiques d’une exécution de la sentence pour l’une des parties ». Néanmoins, il ajoute que l’opposition à l’exécution ne peut résulter d’un « motif général, abstrait ou hypothétique ». Dès lors, la seule circonstance qu’une exécution de la sentence soit envisagée à l’étranger ne caractérise pas un risque de lésion grave des droits du débiteur, mais est justement conforme à l’objectif du texte. Enfin, il rappelle que l’interruption de l’exécution provisoire appartient aux juridictions de chaque État où l’exécution est demandée.

La motivation est convaincante. D’une part, en dépit de toutes les critiques qui peuvent être adressées à l’exécution provisoire (mais la tendance n’est pas à un retour en arrière, comme le démontre l’instauration d’un principe de l’exécution provisoire de droit par l’art. 3 du décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, réformant la procédure civile), le critère de la lésion grave des droits de l’une des parties ne doit pas être dévoyé. Si le conseiller ouvre la voie à ce que l’appréciation ne soit pas exclusivement économique, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être sérieusement circonscrite. D’autre part, l’argument selon lequel une suspension de l’exécution provisoire par le juge français est sans effet à l’étranger est, juridiquement, imparable. Le moyen paraît même, pour le spécialiste français du droit de l’arbitrage, quelque peu fantaisiste. D’ailleurs, l’article 1526 du code de procédure civile s’applique indifféremment au juge de l’annulation et au juge de l’exequatur, rappelant ainsi que l’absence d’exécution provisoire à l’étranger est indifférente en France. Il n’en demeure pas moins qu’un juge étranger pourrait être sensible à une suspension de l’exécution provisoire par le juge de l’annulation. Ainsi, l’argument était infondé en droit, mais réaliste en faits. Il n’a pourtant pas ému le conseiller de la mise en état.

On peut être certain que l’affaire ne s’arrêtera pas là. Au-delà des aspects financiers, la question de l’exécution pourrait rebondir sur une radiation du recours en annulation si le débiteur n’exécute pas la sentence (C. pr. civ., art. 526). L’enjeu est donc considérable, et on devrait entendre à nouveau parler de cette affaire.

Les pouvoirs du juge d’appel en matière interne

Depuis le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, l’appel est en principe fermé contre les sentences arbitrales internes, sauf volonté contraire des parties. Cette réforme aligne le droit positif sur la pratique, qui prévoyait presque systématiquement des clauses de renonciation à l’appel. Il n’en demeure pas moins que les parties peuvent encore, conformément à l’article 1489 du code de procédure civile, prévoir l’inverse. C’est ce qui est arrivé dans une affaire soumise à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 7 nov. 2019, n° 17/05094, Audit et certification de comptes de sociétés). Rien que pour cela, l’arrêt mérite d’être signalé. Néanmoins, il est également intéressant quant au raisonnement tenu par la cour. Elle énonce que « la voie de l’appel ouverte par les parties dans l’acte de cession du 16 juillet 2013 ne fait pas obstacle à ce qu’il soit conclu à la nullité de la sentence arbitrale sur le fondement de l’article 1492 du code civil ». L’affirmation n’est pas exacte. La cour a peut-être été influencée par l’article 1490, alinéa 1er, du code de procédure civile qui dispose que « l’appel tend à la réformation ou à l’annulation de la sentence ». Pour autant, envisager d’examiner le recours sous l’angle de l’article 1492 du code de procédure civile – spécifique au recours en annulation – dans le cadre d’un appel contre la sentence constitue un contresens. En effet, l’appel remet en cause la chose jugée et emporte un effet dévolutif (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 522). La jurisprudence a depuis longtemps établi que le juge n’est pas tenu par les cas d’ouverture du recours en annulation dans le cadre d’un appel (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 03-18.801, D. 2006. 1329 ; JCP G 2006. I. 148, n° 3, obs. J. Ortscheidt). Or s’il n’est pas formellement interdit de se placer sur le terrain du recours en annulation dans un premier temps, c’est à la condition, quel que soit le résultat, d’examiner le fond dans un second temps. Autrement dit, le passage par les cas d’ouverture du recours en annulation est parfaitement inutile puisque la cour devra quoi qu’il arrive évoquer le fond. Pire, il peut induire en erreur si le juge n’examine pas le fond après avoir constaté que la sentence n’est pas susceptible d’annulation au sens de l’article 1492 du code de procédure civile. La méthode est donc à éviter.

Les pouvoirs du juge de l’annulation en matière interne

L’article 1493 du code de procédure civile prévoit que, « lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». La cour d’appel de Colmar avait à se prononcer sur le sens de la précision « sauf volonté contraire des parties » (Colmar, 30 oct. 2019, nos 15/02482 et 15/02563, Lohr). Elle souligne qu’« il doit être souligné que les dispositions de l’article 1493 du code de procédure civile visent la “volonté contraire des parties”, et non la volonté contraire commune aux parties ou la volonté contraire de toutes les parties. Dès lors, la formulation “volonté contraire des parties” signifie qu’il suffit que l’une des parties s’oppose à ce que la cour statue au fond, pour que cette dernière soit tenue par cette expression de volonté ». En conséquence, elle refuse de statuer au fond face à l’opposition d’une partie. En réalité, la cour se méprend totalement sur le sens de la formule. Il ne s’agit pas d’interdire à la cour d’appel de trancher au fond le litige en cas de désaccord d’une partie, mais bien de lui imposer de trancher au fond en l’absence de volonté contraire de toutes les parties (dans le même sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 554). Pourtant, en remplaçant le pluriel par un singulier (lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire d’une partie), la cour aurait pu constater que son interprétation n’est pas satisfaisante.

Aspects substantiels des recours contre la sentence

L’arbitrabilité du litige

En principe, l’arbitrabilité du litige est fixée par les articles 2059 et 2060 du code civil. Cependant, ces dispositions sont devenues, depuis plus de vingt ans, totalement obsolètes. Il est d’ailleurs navrant que les deux réformes de l’article 2061 du code civil n’aient pas permis de toiletter ces dispositions, qui ne reflètent pas le droit positif et induisent en erreur le justiciable.

Toutefois, un arrêt de la cour d’appel de Paris permet de revenir sur une question assez originale (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). Le demandeur à l’annulation invoquait le caractère inarbitrable de la matière immobilière, en ce qu’elle porte sur l’attribution de droits réels et nécessite le respect de certaines formalités pour rendre la constitution du droit opposable. La réponse de la cour est particulièrement pédagogique. Elle retient qu’« il appartient à l’arbitre, hors les cas où la non-arbitrabilité relève de la matière, de mettre en œuvre les règles de droit impératives, sous le contrôle du juge de l’annulation. Quand bien même le tribunal arbitral attribuerait un droit réel sur les biens immobiliers en cause, […] il appartiendrait alors à la juridiction arbitrale de faire respecter les règles rendant opposables aux parties et aux tiers la constitution de ce droit réel immobilier, la matière en elle-même n’étant pas de celles qui sont inarbitrables, les prétentions ne portant pas sur des droits indisponibles au jour où le tribunal arbitral est saisi et n’intéressant pas l’ordre public au sens de l’article 2060 du code civil ». Trois informations utiles ressortent de cette décision : le cœur de l’inarbitrabilité concerne les « droits indisponibles » ; la matière immobilière – lato sensu – est arbitrable ; le tribunal arbitral doit en faire respecter le formalisme. Seule cette dernière précision pourrait soulever des interrogations, notamment quant à la manière pour l’arbitre de « faire respecter » ce formalisme.

Le délai d’arbitrage

La distinction entre le délai d’arbitrage et le calendrier d’arbitrage n’est pas toujours parfaitement appréhendée (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02563, Lohr). En matière interne (mais les règles sont peu ou prou identiques en matière internationale, sauf le délai de six mois prévu par le code), l’article 1463 du code de procédure civile énonce que, « si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la durée de la mission du tribunal arbitral est limitée à six mois à compter de sa saisine. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé par accord des parties ou, à défaut, par le juge d’appui ». Il en ressort que l’arbitre est tenu par un délai pour rendre sa sentence et qu’il n’a pas le pouvoir de le proroger lui-même. Cette dernière solution vaut aussi bien en matière interne qu’internationale (Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-15.098, Rev. crit. DIP 1994. 680, note D. Cohen ; RTD com. 1995. 406, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 88, note E. Gaillard : « le principe selon lequel le délai fixé par les parties, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage, et dans lequel les arbitres doivent accomplir leur mission, ne peut être prorogé par les arbitres eux-mêmes, traduit une exigence de l’ordre public aussi bien interne qu’international en ce qu’il est inhérent au caractère contractuel de l’arbitrage ») et l’accord des parties ne permet pas d’y déroger (Civ. 2e, 7 nov. 2002, n° 01-10.351, D. 2002. 3241 ; Rev. arb. 2003. 115, note E. Loquin ; JCP G 2003. I. 164, n° 5, obs. J. Ortscheidt). En revanche, le calendrier est distinct du délai. Le calendrier fixe le tempo de la procédure, en particulier les échanges de mémoires et les audiences. Il doit s’inscrire au sein du délai d’arbitrage. Conformément à l’article 1464 et 1509, alinéa 2, du code de procédure civile, le tribunal arbitral peut déterminer la procédure arbitrale. À ce titre, il est libre de modifier le calendrier de la procédure. Ainsi, le tribunal arbitral peut modifier le calendrier, mais pas proroger le délai. Si le calendrier est étendu au-delà du délai d’arbitrage, plusieurs possibilités permettent d’éviter l’annulation de la sentence. Premièrement, demander une prorogation aux parties, à l’institution ou au juge d’appui. Deuxièmement, démontrer une prorogation tacite par les parties, ce qui implique notamment que les deux continuent de participer à la procédure arbitrale sans protester. Troisièmement, établir la renonciation à se prévaloir de cette irrégularité de la partie qui invoque l’expiration du délai. En définitive, les débats relatifs au calendrier ne sont pas pertinents devant le juge de l’annulation. Seuls une prorogation unilatérale du délai par l’arbitre et/ou un dépassement de celui-ci peut entraîner l’annulation de la sentence.

Une question de délai se posait également dans un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera simplement que la cour d’appel considère que, en matière de prorogation de délai, les « énonciations de la sentence arbitrale […] font foi jusqu’à inscription de faux ». Autrement dit, s’il est indiqué dans la sentence que les parties ont accepté une prorogation du délai, celle-ci vaut jusqu’à inscription de faux.

Il peut enfin arriver que deux délais contradictoires coexistent, en particulier dans l’acte de mission. Comment la résoudre ? Pour la cour d’appel de Versailles, à défaut de protestation des parties, c’est la date la plus tardive qui doit être retenue (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). La solution nous paraît tout à fait raisonnable, même si l’on peut regretter qu’un acte de mission fasse naître de telles interrogations…

L’indépendance et l’impartialité des arbitres

Une chronique sans décision relative à l’indépendance et à l’impartialité des arbitres serait un peu fade. Heureusement, la cour d’appel de Versailles nous en offre un beau morceau, et l’on s’en réjouit (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). L’affaire est d’autant plus intéressante qu’elle soulève certaines questions relativement inédites et conduit à revenir sur d’autres déjà envisagées. Il était reproché à l’arbitre d’avoir des liens avec le directeur juridique d’une des parties. En substance, et de façon assez peu subtile, le demandeur soutenait que le directeur juridique avait « proposé la désignation de l’arbitre ». Cela étant, le requérant touche un point sensible. Habituellement, on considère que l’arbitre doit révéler ses liens avec les parties, les conseils et les arbitres (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 500). Cela dit, une vraie question se pose quant à ce qui doit être entendu par « parties » et « conseils ». Par-delà les liens avec la personne morale, qu’en est-il des personnes physiques ? Faut-il révéler les liens uniquement les mandataires sociaux ? Les cadres ? Tous les salariés ? Les stagiaires ? Faut-il envisager uniquement les personnes impliquées dans la résolution du litige, ou la révélation doit-elle être illimitée ? On ne peut pas nier que, parfois, les liens personnels avec les personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales.

La cour d’appel ne s’y trompe d’ailleurs pas et s’engage pleinement dans l’examen du moyen. Il était reproché deux choses à l’arbitre : ne pas avoir révélé qu’il avait participé à un colloque avec le directeur juridique, ne pas avoir révélé que le directeur juridique appartenait à la même unité de recherche que lui, au sein d’une université française. Alors que sur ces deux points, la jurisprudence a déjà considéré que ces éléments étaient indifférents (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, obs. X. Delpech , note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012, comm. 284, note L. Weiller ; JCP G 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012. 3, obs. J. Mestre ; Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques), la cour d’appel de Versailles énonce que « les circonstances invoquées pour critiquer l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre doivent caractériser l’existence de liens matériels ou intellectuels de nature à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur son jugement ». On sera particulièrement attentif à un éventuel pourvoi sur cette question. Ouvrir la voie à un examen des liens intellectuels ne revient-il pas à ouvrir une boîte de Pandore ?

En réalité, chaque fois que l’on parle d’indépendance et d’impartialité, il convient de distinguer rigoureusement trois choses : ce qui doit être révélé, ce qui peut justifier une récusation de l’arbitre, ce qui peut justifier l’annulation de la sentence. Or, quoi qu’on en dise, n’est-il pas perturbant pour une partie de constater que l’arbitre qui lui a signifié n’avoir absolument rien à révéler, a siégé côte à côte avec une partie dans un colloque. À l’inverse, peut-on raisonnablement envisager qu’un arbitre – en particulier lorsqu’il est universitaire – tienne les comptes de tous les intervenants ayant participé aux mêmes ateliers scientifiques que lui, à raison d’une douzaine par an pendant quarante ans de carrière ? Difficile de trancher avec certitude – bien que l’on puisse pressentir l’appréciation (critique) qui sera portée sur ce point par une partie des observateurs.

Face à cette question, l’appréciation de la cour est d’ailleurs particulièrement stimulante. Elle ne recherche pas tant la réalité des faits allégués par le requérant que le rôle joué par l’arbitre dans ces « rencontres intellectuelles ». Elle constate que l’arbitre n’est pas à l’origine de l’intervention du directeur juridique dans le colloque ni dans les formations de son université. Ce point paraît central pour la cour. Il est vrai qu’il est séduisant. N’y a-t-il pas une différence de nature quant au lien entre deux individus qui se côtoient à l’occasion de manifestations scientifiques ou d’activités universitaires et un individu qui sollicite un autre ? Et d’ailleurs, une réponse positive n’impose pas une récusation ou une annulation de la sentence. En tout cas, la question est posée.

Enfin, on remarquera que dans cette procédure, l’arbitre a été interrogé directement. Sans que cela soit clairement explicité, il semblerait que la partie défenderesse ait produit une attestation de l’arbitre dans le cadre du recours en annulation. Il nous semble qu’une telle pratique est vertueuse. Comment traiter sérieusement de ces questions sans que l’arbitre soit jamais interrogé ? C’est une voie qui, selon nous, doit être sérieusement explorée pour renforcer la qualité de l’examen réalisé lors du recours contre la sentence (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 268 s.).

La mission d’amiable compositeur

Une question de respect par l’arbitre de sa mission d’amiable compositeur était invoquée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera seulement que la cour énonce qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ». La réponse est particulièrement importante. La question était de savoir si l’arbitre ayant refusé d’user de ses pouvoirs d’amiable compositeur au motif de la qualification d’ordre public de direction d’une règle, la sentence pouvait être annulée dès lors que l’arbitre se serait trompé sur la qualification de la règle. La cour refuse d’entrer dans ce raisonnement. Elle considère qu’il suffit que l’arbitre se soit cru tenu par une règle d’ordre public de direction pour que le refus de mettre en œuvre les pouvoirs d’amiable compositeur n’emporte pas annulation.

Le respect du contradictoire et de la mission

En principe, en matière de respect du principe de la contradiction, la question de l’intensité du contrôle ne soulève guère de discussion. En effet, l’identification d’une violation par les arbitres de la contradiction justifie de vérifier que tous les éléments de fait ou de droit utilisés par les arbitres ont bien été débattus. En revanche, cela ne nécessite pas une immixtion du juge dans le raisonnement des arbitres.

Il en va en principe de même en matière de contrôle du respect de la mission. Il suffit d’un simple regard sur la sentence et sur les pièces du dossier pour déterminer si l’arbitre a bien respecté sa mission. Qu’en est-il si ce n’est pas le cas ? En principe, la non-révision au fond s’oppose à ce que le juge reprenne intégralement le raisonnement de l’arbitre.

Pourtant, un arrêt de la Cour de cassation envisage une approche bien différente (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 17-20.573, Dresser-Rand). Il rejette le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 28 févr. 2017, n° 15/06036, Gaz. Pal. 2017, n° 27, p. 29, obs. D. Bensaude). Le litige portait sur une cession d’actions. Il s’agissait de savoir si les cédants avaient violé leur obligation de fournir des documents comptables sincères et complets et si le cessionnaire avait eu une connaissance effective de cette violation avant la date de réalisation de la vente.

Les arbitres ont rendu une sentence favorable aux cédants. Il leur était reproché d’avoir méconnu leur mission et le principe de la contradiction en mettant en œuvre un principe issu des règles IBA (International Bar Association) sur la présomption défavorable tirée du défaut de production de pièces, sans consulter préalablement les parties sur l’application de ces règles, sans avoir à aucun moment ordonné la production de ces rapports, ni avoir invité les parties à s’expliquer sur la non-production de ces pièces.

En synthèse, la Cour de cassation valide la sentence en trois temps. Premier temps, elle constate qu’une clause contractuelle interdisait au cessionnaire d’invoquer la garantie s’il avait une connaissance effective des faits ou des circonstances constitutifs d’une violation substantielle par les cédantes de leurs obligations. Deuxième temps, elle réalise un examen approfondi de la motivation du tribunal – ce qu’avait également fait la cour d’appel – pour constater que le tribunal avait établi cette connaissance effective. Troisième temps, elle en déduit que le motif critiqué n’avait pas déterminé, même partiellement, la solution adoptée et était surabondant.

La solution est intéressante par le cheminement suivi. Un examen superficiel aurait pu – sans que cela soit certain – conduire à l’annulation de la sentence en considérant qu’une partie de la solution était fondée sur un moyen n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire. Pour éviter cela, la cour d’appel et – dans une moindre mesure – la Cour de cassation préfèrent reprendre intégralement le raisonnement du tribunal arbitral. Or elles constatent que la sentence est suffisamment motivée par un autre moyen et que le tribunal ne s’est pas fondé sur le motif critiqué. Autrement dit, pour juger surabondant le motif critiqué, elle vérifie l’existence d’une motivation suffisamment solide par ailleurs.

Dès lors, n’y a-t-il pas une révision au fond de la sentence ? Sans doute pas. La cour se contente d’identifier le véritable fondement de la solution du tribunal, sans chercher à en évaluer la pertinence. Toutefois, le juge de l’annulation marche sur un fil, car à suivre cette voie, la révision au fond n’est certainement pas loin.

L’ordre public

• Ce que n’est pas l’ordre public

La détermination du contenu de l’ordre public est une question toujours délicate. Autant, il est parfaitement établi qu’une violation positive de l’ordre public – interne ou international selon le domaine – est susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence, autant, on pouvait s’interroger sur une violation négative. Autrement dit, une règle qualifiée à tort d’ordre public. La réponse de la cour d’appel de Paris est claire sur cette question « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public » (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître).

• L’ordre public de procédure

La fraude procédurale est un cas d’ouverture connu du recours, sur le fondement de l’ordre public procédural. La cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 17/17127, Société nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT]) rappelle à cet égard une formule déjà usitée (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude ; Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques) : « Il résulte de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert contre une sentence internationale rendue en France si la reconnaissance ou l’exécution de cette décision sont contraires à l’ordre public international. La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise ».

En revanche, les modalités de l’examen réalisé en matière de fraude procédurale méritent encore réflexion. Dans son arrêt du 28 mai 2019, la cour avait énoncé qu’« il appartient au juge de l’annulation d’examiner l’ensemble des circonstances susceptibles de caractériser la fraude alléguée, sans que puisse être utilement opposé le moyen tiré de la prohibition de la révision au fond des sentences, dès lors que la contestation porte précisément sur l’altération, par les manœuvres d’une partie, de l’appréciation des faits à laquelle se sont livrés les arbitres ». Pourtant, dans le présent arrêt, la cour retient que « les griefs articulés […] contre ces documents devant la cour sont les mêmes que ceux qu’elle avait développés devant les arbitres. Le caractère prétendument mensonger de ces éléments ayant fait l’objet d’un débat contradictoire au cours de l’instance arbitrale, la décision du tribunal n’a pas été surprise par une fraude mais procède d’une appréciation éclairée de l’exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu’il n’appartient pas à la cour de réviser ». Les solutions peuvent sembler un peu difficiles à concilier. Révision ou pas révision ? Deux choses ne font pas de doutes : d’une part, à défaut de discussion devant le tribunal, la fraude procédurale peut être invoquée devant le juge de l’annulation et l’examen n’est pas limité ; d’autre part, et l’arrêt du 28 mai 2019 l’avait déjà jugé ainsi, un grief de fraude procédurale discuté devant l’arbitre ne peut plus l’être ultérieurement. Cette seconde solution mérite réflexion et maturation. On comprend l’idée de la cour, qui est de considérer que la religion de l’arbitre n’a pu être trompée, dans la mesure où il a pu se prononcer sur la fraude. Mais dès lors, l’attendu de l’arrêt du 28 mai 2019 n’est-il pas mal calibré pour rendre compte de cette retenue du juge de l’annulation ? En outre, est-elle satisfaisante ? En matière de corruption ou de blanchiment, la cour ne s’embarrasse pas de telles considérations : elle substitue son appréciation à celle de l’arbitre, alors même que ce dernier s’est prononcé en toute connaissance de cause (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy). La nature de l’ordre public en jeu – de fond ou procédural – suffit-elle à laisser l’appréciation pleine et entière de cette question à l’arbitre ? C’est une question à laquelle nous nous garderons bien, pour l’instant, de répondre.

• L’ordre public de fond

La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 22 octobre 2019 (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), était également confrontée à une question de violation de l’ordre public. Il s’agissait de savoir si une clause prévoyant un pacte de préférence pouvait être considérée comme contraire au droit de la concurrence. Le tribunal arbitral a tranché négativement cette question. La cour rejette le grief. Elle estime que « les arbitres ont procédé à une analyse in concreto de la validité du pacte de préférence ». Elle en déduit que le demandeur l’invite ainsi à « vérifier la pertinence du raisonnement juridique par lequel les arbitres ont considéré que le droit de préférence […] ne constituait pas une atteinte à la concurrence et n’était notamment pas disproportionné du fait de sa durée, et ce faisant, demande à la Cour d’exercer un contrôle au fond de la sentence, qui échappe au juge de l’annulation ; que la sentence ne peut être déclarée contraire à l’ordre public économique ».

Un pourvoi sur cette question précise serait d’utilité publique. Les spécialistes d’arbitrage le savent, la jurisprudence en matière de contrôle de l’ordre public est à la croisée des chemins. Pour l’instant, la Cour de cassation est largement restée silencieuse. En revanche, la cour d’appel de Paris s’inscrit dans une dynamique bien différente de celle qui a eu cours il y a une dizaine d’années. Le temps n’est plus à rechercher une violation de l’ordre public qui « crève les yeux » (Paris, 18 nov. 2004, n° 02/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529 ; Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c. Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 1684 , obs. X. Delpech ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot  ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train). En effet, depuis quelques années déjà, la cour n’évoque plus le caractère « flagrant, effectif et concret » de la violation, mais son caractère « manifeste, effectif et concret » (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ;  16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). La jurisprudence est donc en train d’opérer un revirement sur cette question – au moins dans les termes choisis – mais aucune certitude n’existe actuellement quant au périmètre de la solution.

La question est désormais de savoir si ce nouvel étalon de contrôle s’applique à l’ensemble des griefs relevant de l’ordre public – national et international (pour un ex. concernant l’ordre public procédural, v. Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) ? C’est en cela que le présent arrêt est doublement marquant. Premièrement, car il oppose au requérant le principe de non-révision au fond pour refuser d’approfondir son examen, ce qui n’est pas nécessairement satisfaisant (pour une reprise des débats sur cette question, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 546 s.). Deuxièmement, car le grief porte sur une violation du droit de la concurrence, qui relève aussi bien de l’ordre public interne qu’international. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation sur cette question représenterait une occasion en or pour répondre à trois questions : le contrôle de l’ordre public doit-il être identique en matière interne et en matière internationale ; le contrôle de l’ordre public doit-il être identique, quelle que soit la nature de l’ordre public en jeu (fond ou procédure ; corruption, blanchiment, concurrence, etc.) ; le contrôle de l’ordre public est-il immunisé contre le principe de non-révision au fond ? C’est une réponse triplement positive que nous sommes tenté d’apporter, et qui nous invite à espérer une cassation de l’arrêt. Affaire à suivre !

La clause ayant pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement du professionnel à l’une de ses obligations est présumée abusive de manière irréfragable.

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Auteur d'origine: MKEBIR

La haute juridiction étend sa jurisprudence Mennesson d’octobre dernier et ordonne, dans une série de quatre arrêts, la transcription totale de l’acte de naissance étranger indépendamment du mode de conception de l’enfant.

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Auteur d'origine: tcoustet

L’exigence d’extériorité du médecin auteur du certificat médical initial vise à garantir le droit fondamental selon lequel nul ne peut être arbitrairement privé de liberté. Il s’en déduit que la méconnaissance de cette exigence porte en soi atteinte aux droits de la personne, ce qui entraîne la mainlevée de la mesure.

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Auteur d'origine: npeterka

Les récents sondages montrent que seulement 43 % des français considèrent que les juges sont indépendants du pouvoir politique. Un constat qui « interroge », selon l’élu, et qui doit permettre de faire la lumière sur la façon dont s’articule « l’équilibre des pouvoirs en France ». 

Les obstacles à l’indépendance « doivent s’analyser sous différents angles », insiste Ugo Bernalicis. Les travaux de cette commission ne se limiteront donc pas seulement à la question de l’indépendance du ministère public et du rôle joué par l’exécutif dans la nomination du parquet.

Ils s’attaqueront à « tous les angles morts », promet l’élu. Le groupe compte, en effet, aborder le biais budgétaire, la formation des juges, leur avancement, la composition du Conseil supérieur de la magistrature, les pressions politiques et médiatiques – dont l’instrumentalisation des faits divers par les hommes politiques –, les fuites dans la presse, ou encore le déroulement des comparutions immédiates.

« Des auditions sont prévues », promet Ugo Benalicis, dont celle du procureur Jean-Yves Leprêtre, récemment mis en cause. Le magistrat avait ouvertement avoué avoir modifié ses déclarations dans l’affaire Geneviève Legay, gilet jaune, pour « ne pas mettre le chef de l’État dans l’embarras avec des divergences trop importantes entre les versions ». 

Pour rappel, le chef de file des députés FI Jean-Luc Mélenchon et cinq de ses proches, dont les députés Alexis Corbière et Bastien Lachaud, a été condamné lundi 9 décembre à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 8 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « rébellion, provocation directe à la rébellion et intimidation envers des magistrats et des dépositaires de l’autorité publique » lors de la perquisition au siège de son mouvement, en octobre 2018. Un « procès politique » pour M. Mélenchon.

La commission d’enquête doit démarrer ses travaux début janvier. Elle a une durée de six mois, au maximum. Elle peut notamment convoquer toute personne dont l’audition sera jugée utile, mais elle ne peut porter sur des faits ayant donné lieu à poursuites.

Le premier ministre a globalement confirmé l’architecture du futur régime de retraites « universel » proposé par Emmanuel Macron pendant la présidentielle 2017 et ébauché dans le rapport Delevoye publié en juillet.

Mais certains points ont également été modifiés, notamment à l’endroit des professions libérales.

Les avocats devront, selon Matignon, rejoindre le régime universel, « à horizon 2035 », un temps nécessaire de « convergence », a-t-il insisté. La réforme propose d’alléger la CSG pour compenser une possible hausse des cotisations vieillesse.

Par ailleurs, le rapport Delevoye proposait qu’une partie des réserves dont dispose la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) soit utilisée au profit du régime universel. Les avocats, et notamment le Conseil national des barreaux (CNB), s’étaient inquiétés d’un possible « hold-up ».

Face à ces craintes, Édouard Philippe a assuré mercredi que « les réserves resteront dans les caisses des professionnels concernés » et pourront notamment « accompagner la transition » de ces régimes vers le futur système, citant le cas des auxiliaires médicaux, des avocats ou encore des médecins. Il n’y aura « pas de siphonage », a-t-il juré.

Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, n’a pas été convaincue par ces annonces. Elle estime ne pas avoir été entendue et regrette que le premier ministre ait repris « point par point le rapport Delevoye ». « L’assemblée générale du CNB » décidera des actions à prendre », a-t-elle indiqué. Cette dernière doit se réunir vendredi 13 décembre.

De son côté, le projet de loi sera présenté le 22 janvier prochain en Conseil des ministres.

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La jurisprudence peine encore à trouver un équilibre satisfaisant entre les devoirs respectifs de l’arbitre et des parties s’agissant de la mise en lumière des circonstances susceptibles d’affecter l’indépendance et l’impartialité de ce dernier. Statuant sur le devoir de révélation qui incombe à l’arbitre et l’ « obligation de curiosité » (E. Loquin, obs. sous Civ. 1re, 15 juin 2017, RTD com. 2017. 842 ) qui est celle des parties, l’arrêt rendu le 3 octobre 2019 par la Cour de cassation illustre à nouveau certaines des difficultés qui se présentent en la matière.

Dans cette affaire, une procédure d’arbitrage a été introduite en février 2013 par la société de droit qatari Saad Buzwair Automotive Co (SBA) contre la société de droit émirati Audi Volkswagen Middle East Fze (AVME) au sujet d’accords de distribution. La sentence arbitrale, rendue le 16 mars 2016, a donné raison à AVME.

C’est cette sentence, rendue à Paris, qui a fait l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 1520-2°, du code de procédure civile. SBA a fait valoir que le tribunal aurait été irrégulièrement composé, l’un des arbitres ayant omis de révéler certains liens existant entre son cabinet d’avocats et des sociétés appartenant au groupe du défendeur, faits qu’elle aurait découverts postérieurement à la reddition de la sentence.

Les circonstances invoquées étaient essentiellement de deux ordres. Tout d’abord, il apparaissait dans l’édition 2010/2011 de l’annulaire allemand des avocats que le cabinet de l’arbitre concerné avait représenté une banque du groupe Volkswagen, auquel appartenait le défendeur à l’arbitrage. Ensuite, l’édition 2015/2016 de cet annuaire mentionnait que le même cabinet avait représenté la société Porsche, elle aussi une entité du groupe Volkswagen, dans le cadre d’un litige en cours.

Pour faire droit à cette demande et annuler la sentence, la cour d’appel a opéré un tri parmi ces éléments (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, Rev. arb. 2019. 522, note L.-C. Delanoy, 1re esp. ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 24 juill. 2018, p. 19, obs. D. Bensaude). D’un côté, elle a estimé que le requérant ne pouvait fonder sa demande d’annulation sur la circonstance de la représentation par le cabinet d’une entité du groupe Volkswagen ayant fait l’objet d’une « publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands » (nous soulignons). C’est donc l’exception de notoriété qui lui a permis de considérer que cette circonstance ne pouvait fonder l’annulation de la sentence. En revanche, elle a estimé que la mission de représentation en cours d’arbitrage d’une société du groupe du défendeur par le cabinet de l’arbitre, circonstance non révélée par ce dernier, fondait quant à elle l’annulation. S’agissant de cette seconde circonstance, la publication de l’information dans une édition postérieure du même annuaire et donc son caractère potentiellement notoire n’ont été d’aucun secours, dès lors que, selon la cour d’appel, « il ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu’elles poursuivent leurs recherches après le début de l’instance arbitrale ». Cette information non révélée a été jugée de nature à susciter un doute raisonnable dans l’esprit des parties quant à l’indépendance et à l’impartialité de l’arbitre, justifiant l’annulation de la sentence.
La cour d’appel a donc posé une limite aux obligations d’investigation des parties, distinguant selon que l’information publique était accessible avant le début de l’arbitrage ou postérieurement à celui-ci.

Cette approche a été contestée par le pourvoi selon lequel l’obligation de révélation de l’arbitre ne concerne pas les faits notoires ou aisément accessibles « ni avant d’accepter sa mission, ni ensuite en cours d’arbitrage ». Par ailleurs, le demandeur au pourvoi a contesté la méthode en vertu de laquelle la cour d’appel avait estimé qu’il existait en l’espèce un doute raisonnable quant à l’impartialité de l’arbitre.

Sur ces deux points, la Cour de cassation a approuvé la solution retenue par la cour d’appel de Paris.

Quant à la question de l’appréciation de l’existence d’un doute raisonnable, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en évoquant l’importance, aux yeux du cabinet de l’arbitre, de l’affaire qui n’avait pas été révélée, importance dont l’appréciation relevait de son pouvoir souverain.

Quant au caractère notoire des informations qui n’avaient pas été révélées par l’arbitre, la Cour de cassation rejette également le pourvoi, estimant que « si l’existence d’un contrat exécuté en 2010 par le cabinet auquel appartient l’un des arbitres pour une société du groupe de l’une des parties doit être regardée comme notoire du fait de sa publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands, en revanche, les parties ne sont pas tenues de poursuivre leurs recherches après le début des opérations d’arbitrage ; il incombe à l’arbitre d’informer les parties de toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité survenant après l’acceptation de sa mission ».

Cette affaire est ainsi l’occasion de revenir brièvement sur les contours du devoir de révélation de l’arbitre et, corrélativement, sur les devoirs qui incombent aux parties. Plus précisément, deux points retiennent l’attention, à savoir, d’une part, la nature des circonstances susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’indépendance ou à l’impartialité de l’arbitre et, d’autre part, les limites de l’exception de notoriété.

Nature des circonstances susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’indépendance ou à l’impartialité de l’arbitre. La question des liens que le cabinet auquel appartient l’arbitre entretient avec des entités du même groupe de l’une parties à l’arbitrage se pose fréquemment en pratique (v. not., dans d’autres circonstances, Civ. 1re, 27 janv. 2016, Fibre Excellence, n° 15-12.363, affaire dans laquelle l’un des arbitres était en pourparlers avec le cabinet qui conseillait l’une des parties à l’arbitrage en vue de son intégration au sein de ce dernier ; Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra Group, n° 09/28537). Nombreux en effet sont les arbitres qui exercent de façon habituelle une activité de conseil au sein de cabinets d’avocats de taille relativement importante, augmentant le risque de conflits d’intérêts indirects. Une telle situation n’est pas toujours facile à appréhender du fait du nombre d’intermédiaires entre les parties à l’arbitrage et l’arbitre en cause. D’une part, le rapport d’affaire visé lie non pas l’arbitre directement, mais le cabinet au sein duquel celui-ci exerce son activité – à divers titres – et d’autre part, ce cabinet n’est pas directement lié à l’une des parties à l’arbitrage, mais à l’une des sociétés du groupe de l’une de ces parties. Il n’en reste pas moins que la situation est susceptible d’attirer légitimement l’attention de l’autre partie. Si de tels liens ne sont pas nécessairement la source d’une réelle partialité ou d’un manque d’indépendance de la part de l’arbitre, ni même nécessairement susceptibles de faire naître un doute raisonnable quant aux qualités exigées de l’arbitre, leur existence doit interpeller quant à l’image qu’ils pourraient projeter (dans le sens d’une appréciation au cas par cas, v. IBA Guidelines on Conflict of Interest in International Arbitration 2014, General Standard 6).

En la matière, la prudence est de mise, même si tous ces liens ne se valent pas. Pour apprécier l’existence d’une obligation de révélation des liens entre un arbitre et le cabinet de l’une des parties ou d’une société du même groupe, la jurisprudence a recours a plusieurs éléments, en particulier, la nature (Paris, 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ société JMB Corporation, n° 11/11153) ou la fréquence des relations d’intérêts (Paris, 9 sept. 2010, Cts Allaire c/ SAS SGS Holding France, n° 09/16182), leur proximité dans le temps avec l’arbitrage ou encore leur importance financière (Paris, 13 nov. 2012, préc.). De telles circonstances sont susceptibles d’être soumises à révélation, dès lors à tout le moins qu’elles présentent une certaine importance et/ou une certaine proximité temporelle avec l’arbitrage en cours.

Pour autant, la jurisprudence n’est pas parfaitement claire et n’exige pas systématiquement un véritable courant d’affaires (sur la caractérisation d’un courant d’affaires entre un groupe de sociétés et un arbitre fréquemment désigné par celui-ci, v. Civ. 1re, 20 oct. 2010, M. Marcel Batard et autre c/ société Prodim et autre, Bull. civ. I, n° 962 ; Paris, 23 juin 2015, Établissement public économique et autre c/ SARL CTI Group Inc. et autres, n° 13/09748), laissant une grande part de casuistique et donc d’incertitudes. A titre d’exemple, dans un arrêt du 10 mars 2011, la cour d’appel de Paris a jugé que devait être révélée la circonstance que l’un des arbitres ait entretenu des liens avec un cabinet d’avocats – ayant été of counsel du cabinet pendant une dizaine d’années, plusieurs années préalablement à l’arbitrage, et ayant ensuite indiqué avoir été depuis consulté deux ou trois fois par ce même cabinet – dès lors que le conseil de l’une des parties était au temps de l’arbitrage collaborateur de ce cabinet (Paris, 10 mars 2011, n° 09/28537).

Dans l’affaire commentée, l’un des éléments pris en considération est l’importance que le cabinet de l’arbitre accordait à sa relation avec la société du groupe du défendeur. La cour d’appel a relevé que le cabinet d’avocats auquel appartenait l’arbitre avait communiqué sur sa représentation de la société Porsche au point de l’inclure dans son « top 5 des affaires les plus importantes d’un point de vue juridique ou pour le développement du cabinet » et que « cette publication par laquelle les cabinets d’affaires mettent en valeur les affaires les plus flatteuses qu’ils ont eu à traiter et les clients les plus convoités qui les ont mandatés est un élément de communication important qui ne saurait être laissé au hasard ». La prise en compte de ces éléments a été contestée sans succès par le pourvoi, la Cour de cassation estimant que les énonciations par lesquelles la cour d’appel a relevé que la mission de représentation de la société Porsche « revêtait une incontestable importance aux yeux » du cabinet procédaient de son pouvoir souverain d’appréciation, et qu’elles lui permettaient de « légalement justifier sa décision sur l’existence d’un doute raisonnable ».

L’apport de l’arrêt n’est pas absolument décisif sur ce point, l’importance de l’affaire n’apparaissant que comme l’un des indices susceptibles de motiver l’existence d’un doute raisonnable. Dans ce sens, la cour d’appel a également relevé « au surplus » l’existence d’une mission de 2010 confiée par la même société Porsche au cabinet de l’arbitre, « mission certes de faible importance, mais non déclarée par l’arbitre et non rendue publique par le cabinet ».

Par ailleurs, outre l’importance de la mission, on relèvera qu’elle était également concomitante à l’arbitrage. Cette proximité temporelle pèse également dans la balance. Rappelons à titre d’exemple que le fait pour le cabinet de l’arbitre d’effectuer une mission pour l’une des parties ou pour une société du même groupe est considéré comme relevant de la liste Orange des IBA Guidelines, c’est-à-dire des circonstances soumises à l’obligation de révélation, même en l’absence de relation commerciale significative entre le cabinet et cette société (si un tel courant d’affaires est caractérisé, les IBA Guidelines considèrent alors que la circonstance tombe dans la « Waivable Red List »). L’appréciation de la cour d’appel ne surprend donc pas.

L’arbitre aurait dû révéler ces faits de façon à permettre aux parties de présenter, le cas échéant, une demande de récusation. L’obligation de révélation présente ainsi une « vertu préventive » (C. Seraglini et J. Orstcheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 745) puisqu’à défaut d’une réaction dans les délais, les parties seront réputées avoir renoncé à se prévaloir du grief et ne pourront plus demander l’annulation de la sentence sur ce fondement.

À cet égard, la lecture du pourvoi permet indirectement d’apprécier la portée d’une telle renonciation, qui ne semble couvrir que la circonstance révélée, à l’exception de circonstances similaires ou comparables.

En effet, à suivre le pourvoi, l’arbitre aurait révélé avoir déjà été nommé en qualité d’arbitre par une société du groupe Volkswagen, ce qui n’avait pas occasionné de réaction ou de réticence de la part du requérant. Selon le demandeur au pourvoi, cette circonstance aurait dû être prise en compte par la cour d’appel pour apprécier si les nouvelles circonstances en cause créaient un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. La Cour de cassation a écarté cet argument au motif de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Sur le fond, il semble justifié de ne pas donner suite à une telle argumentation. Si l’on comprend l’idée qui consiste à tenter de faire usage du caractère subjectif de la notion de doute raisonnable et d’en proposer une interprétation au regard de l’attitude de la partie à laquelle ce doute s’applique, il n’en reste pas moins que poussé l’extrême, le procédé pourrait revenir, de fait, à faire jouer très largement la renonciation de l’article 1466 du code de procédure civile. Or, si la renonciation peut être tacite, il serait préjudiciable aux droits des parties d’admettre qu’elle puisse être équivoque.

Du reste, en l’espèce, il était difficile de prétendre que les liens révélés - à savoir le fait pour l’arbitre d’avoir été désigné comme arbitre dans un autre litige par une société du groupe de l’une des parties - soient semblables à ceux qui ont été découverts par la suite - à savoir le fait de représenter une société de ce même groupe dans un litige, ne serait-ce que parce que, dans le premier cas, l’arbitre agit en toute indépendance et autonomie vis-à-vis de la partie qui l’a désigné.

Contours de l’exception de notoriété. C’est assez naturellement que la cour d’appel – confirmée en cela par la Cour de cassation – a pu estimer que ces faits étaient susceptibles de faire naître un doute raisonnable quant à l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre. La question restait de savoir s’ils n’étaient pas suffisamment notoires ou facilement accessibles pour qu’il appartienne aux parties d’en prendre connaissance, dispensant ainsi l’arbitre d’avoir à les révéler.

Le devoir de révélation de l’arbitre est contrebalancé, par l’obligation des parties de se renseigner, de façon à éviter des manœuvres dilatoires. Pèse donc sur les parties un « devoir minimum d’investigation » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 746). Cette exception de notoriété est désormais classique (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; v. égal., Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra, n° 09/28537, Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen ; Cah. arb., 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011. 19, obs. D. Bensaude ; 10 mars 2011, n° 09/28537, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ société JMB Corporation, n° 11/11153 ; 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013. 18, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2013, n° 11/17672, D. 2013. 2936, obs. T. Clay  ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, § 5, obs. J. Ortscheidt ; D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout). Néanmoins, l’arrêt commenté est une nouvelle occasion de constater les difficultés qui président à sa mise en œuvre, qu’il s’agisse de son contenu ou de ses effets, quant aux obligations respectives des parties et des arbitres.

Certains auteurs ont clairement manifesté leur hostilité à l’égard de l’exception de notoriété (v. not., J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 oct. 2019). En opportunité, on sera moins sévère en ce que, sur le principe, l’exception de notoriété participe d’un assainissement des recours contre les sentences.

Nous rejoignons cependant ceux qui s’émeuvent de l’absence de clarté de ce critère (en ce sens, v. T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, note sous Paris, 12 avr. 2016, n° 14/884, Société J&P Avax c/ société Tecnimont, Cah. arb. 2016. 447, n° 11). La notoriété s’entend de ce qui est « connu d’un grand nombre de personnes » (Larousse, v° Notoriété). S’agissant de faits pouvant affecter l’image de l’indépendance ou de l’impartialité de l’arbitre, la jurisprudence va plus loin et nous enseigne qu’est assimilée à l’information notoire l’information aisément accessible (v. not., Civ. 1re, 15 juin 2017, République de Guinée Equatoriale c/ société Orange Middle East and Africa, n° 16-17.108, Bull. civ. I, n° 746 ; D. 2017. 1306 ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin ), notamment sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, et les arrêts précédents). La question se pose néanmoins au regard des faits de l’espèce : l’information était-elle réellement aisément accessible, dès lors qu’elle figure dans une publication très spécialisée et géographiquement limitée ? L’on rappellera, à l’instar de la cour d’appel, qu’il « ne saurait être exigé […] que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées ».

Elle a néanmoins ajouté que les informations qu’elle qualifie de notoires étaient telles « que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage ». C’est parce qu’il était connu de « tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands » que l’annuaire paraît constituer une source incontournable. On peut ne pas être totalement convaincu (v. not. Paris, 27 mars 2018, n° 17/08354, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ). À cet égard, il est intéressant de relever que l’arbitre avait indiqué ne pas avoir eu connaissance de la représentation de la banque du groupe Volkswagen par son cabinet. Or, si l’on sait que l’argument tiré de l’ignorance par l’arbitre est insuffisant à exonérer celui-ci (la question avait déjà été soulevée dans l’affaire Tecnimont, à la fois par le pourvoi et par un commentateur. V., T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, préc. V. égal. J. Jourdan-Marques, Dalloz actualité, 29 janv. 2019), il peut sembler paradoxal d’affirmer à la fois que l’information est notoire et inconnue de l’arbitre lui-même.

La Cour de cassation adopte une position plus nuancée s’agissant de l’information publiée non plus avant, mais en cours d’arbitrage, estimant que les parties n’ont pas l’obligation de poursuivre leurs investigations postérieurement au début de l’arbitrage. Après l’acceptation de sa mission, c’est sur l’arbitre seulement que pèse l’obligation de révélation. À cet égard, la lettre de l’article 1456 du Code de procédure civile est claire. Il appartient à l’arbitre de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité « avant d’accepter sa mission » ainsi que « toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission » et ce, « sans délai » (V. égal. Paris, 17 févr. 2005, Rev. arb. 2005. 709, note M. Henry (3e esp.) ; 12 févr. 2009, Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay).

Du côté des parties en revanche, l’obligation de mener des investigations sur l’existence d’éventuels conflits d’intérêts cesse « après le début de l’instance arbitrale » (V. déjà, Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen. V. égal. Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen).

Le pourvoi faisait cependant valoir une forme de continuité entre les éditions 2010/2011 et 2015/2016 de l’annuaire professionnel faisant état des liens entre le cabinet de l’arbitre et le groupe du défendeur. Selon le pourvoi, si les informations contenues dans l’édition la plus ancienne étaient notoires, il en allait nécessairement de même des informations contenues dans une édition ultérieure. L’argument n’est pas sans rappeler la solution retenue dans le dernier acte de l’affaire Tecnimont (Civ. 1re, 19 déc. 2018, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; JCP E 2019. 1177, note A. Constant ; Procédures 2019. Étude 8, note L. Weiller). Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait adopté la position de la cour d’appel selon laquelle les informations « ne faisaient que compléter celles dont elle disposait avant le dépôt de sa requête » et « n’étaient pas de nature à aggraver de manière significative ses doutes sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Dans l’affaire commentée, il est permis de se demander si la publication 2015/2016 se présentait comme une information nouvelle de nature à provoquer une aggravation significative au sens de l’arrêt Tecnimont ou si elle s’inscrivait dans la continuité d’informations notoires avant le début de l’arbitrage qu’elles ne font que compléter. Il nous a déjà été donné l’occasion de relever que la ligne n’est pas clairement tracée dès lors que tout lien supplémentaire ou l’augmentation du flux d’affaires est de nature, par effet d’accumulation, à aggraver les doutes des parties, quand bien même certains liens entre l’une des parties et l’arbitre étaient déjà établis (C. Debourg, obs. sous Civ. 1re, 19 déc. 2018, préc.). En l’espèce, on peut se demander si le fait que la source de l’information soit la même, malgré le fait qu’il s’agisse de publications d’années différentes, et que l’attention des parties ait été attirée sur la possibilité que le cabinet représente des sociétés du groupe, n’est pas une circonstance qui aurait dû pousser la partie requérante à enquêter davantage. La Cour de cassation ne le voit pas de cet œil et retient simplement que la partie n’était pas tenue de poursuivre ses recherches. Corrélativement, le poids de la révélation pèse donc sur l’arbitre qui doit donc être appelé à la prudence.

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On le sait, en application de la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire et posant le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est, en principe, seul compétent pour juger les actes de l’administration. Néanmoins, par exception, le juge judiciaire redevient compétent pour sanctionner les actes les plus graves commis par cette dernière à l’égard de personnes privées lorsque l’acte administratif a engendré des conséquences dommageables portant atteinte à une liberté individuelle ou portant extinction du droit de propriété, c’est-à-dire en cas de voie de fait. Le juge judiciaire est alors compétent pour réparer ces conséquences. On se souvient que les contours de la voie de fait avaient été strictement redessinés par une importante décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 (T. confl. 17 juin 2013, n° 3911, Lebon ; AJDA 2013. 1245 ; ibid. 1568 , chron. X. Domino et A. Bretonneau ; D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert ; RFDA 2013. 1041, note P. Delvolvé ; LPA 2 sept. 2013, n° 175, p. 6, note J. De Gliniasty ; JCP 2013. 1057 note S. Biagini-Girard ; RJEP 2013, n° 712, comm. 38, note B. Seiller ; GAJA 2019. 111, p. 896), en rendant, par conséquent, plus exceptionnelle la compétence du juge judiciaire en ce qu’elle devenait plus difficile à retenir que par le passé (comp. par ex. avec l’approche antérieure de la voie de fait initiée dans la décision Action française du Tribunal des conflits concernant la saisie à titre préventif d’un journal, T. confl. 8 avr. 1935, n° 0822, Lebon 1226, concl. Jossn ; GAJA 2013. 92 – décision présente dans l’ouvrage jusqu’à sa 19e éd.). Certains avaient pu écrire que la voie de fait était alors « en voie de disparition de fait » (B. Seiller, note préc. sous T. confl. 17 juin 2013). Cette évolution était toutefois à mettre en parallèle avec le renforcement des prérogatives du juge administratif en matière de référé (J. Schmitz, Le juge du référé-liberté à la croisée des contentieux de l’urgence et du fond, RFDA 2014. 502 ; S. Gilbert, L’immixtion du référé-liberté dans le champ de la voie de fait : vers une perte de sens de la voie de fait, Dr. adm. 2013. Comm. 23, obs. sous CE, ord., 23 janv. 2013, Cne de Chirongui, n° 365262). Depuis cette décision de 2013, tant le Conseil d’État que la Cour de cassation s’étaient ralliés à cette nouvelle approche de la voie de fait et cet arrêt, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 24 octobre 2019, en est une nouvelle illustration concernant une atteinte au droit de propriété et non son extinction, semblant dès lors retenir une large approche de l’atteinte.

Dans cette espèce, il s’agissait d’une haie d’acacias implantée en limite de propriété sur une parcelle bâtie appartenant à un couple d’époux, personnes privées. La commune dans laquelle ce couple résidait leur avait demandé de supprimer cette haie parce qu’elle « était dangereuse pour les passants ». Le couple avait procédé à l’élagage mais la commune estimant que celui-ci était resté insuffisant, avait mis en demeure les propriétaires de procéder à l’abattage des végétaux. En raison de leur inaction, la commune avait elle-même procédé à l’abattage sans prévenir les propriétaires. Ces derniers avaient alors assigné la commune pour voie de fait en « réalisation forcée de travaux de remise en état et paiement de dommages-intérêts ». La cour d’appel avait fait droit à leur demande : retenant la voie de fait, la commune avait été condamnée à « faire enlever les souches des arbres coupés, à replanter des acacias de même taille que ceux abattus, espacés de 50 centimètres, sur la longueur totale du côté » de la parcelle et à « remplacer la clôture endommagée à l’identique » ainsi qu’à « verser la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi ». Le pourvoi formé par la commune est reçu par la Cour de cassation, qui censure l’arrêt d’appel mais sur un moyen relevé d’office en application de l’article 1015 du code de procédure civile.

Au visa de la loi des 16-24 août 1790 portant séparation des autorités administratives et judiciaires et de l’article 76, alinéa 2, du code de procédure civile, la Cour de cassation indique que « l’abattage, même sans titre, d’une haie implantée sur le terrain d’une personne privée qui en demande la remise en état ne procède pas d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’administration et n’a pas pour effet l’extinction d’un droit de propriété » ; c’est pourquoi, « la demande de remise en état des lieux relève de la seule compétence de la juridiction administrative », justifiant de relever d’office, par la Cour de cassation, « l’incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative ».

Cette solution n’a rien d’étonnant depuis la stricte approche de la notion de voie de fait opérée par la décision de 2013 du Tribunal des conflits. En effet, depuis cette dernière, l’administration ne commet de voie de fait, ouvrant la compétence du juge judiciaire, que lorsque l’administration soit a procédé dans des conditions irrégulières à l’exécution forcée d’une décision (même régulière), portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction du droit de propriété, soit lorsqu’elle a pris une décision ayant les mêmes effets d’atteinte à une liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété, et est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. Dans les deux cas de figure, et lorsque la voie de fait concerne la propriété privée, elle n’est donc constituée que lorsque l’action de l’administration aboutit à l’extinction du droit de propriété et non pas à une seule atteinte à ce droit (l’atteinte grave au droit de propriété justifiait auparavant, c’est-à-dire en application de la notion de voie de fait initiée par la décision Action française de 1935, la compétence du juge judiciaire ; v. aussi T. confl. 23 oct. 2000, n° 3227, Boussadar, Lebon ; AJDA 2001....

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L’affaire oppose deux avocats également écrivains. Daniel Soulez-Larivière, avocat au barreau de Paris depuis 1965, a publié en 1982 un essai intitulé L’avocature « Maître, comment pouvez-vous défendre ? », dans lequel il livre ses réflexions sur la profession d’avocat ainsi que sur les mutations de la justice. Réédité une première fois en 1990, l’essai le fut une deuxième fois en 1995 sous le titre L’avocature. Pour Aurore Boyard, la vocation de l’avocature est plus récente. Membre du barreau de Toulon, elle raconte, depuis 2014, les péripéties de Léa Dumas, jeune avocate récemment inscrite au barreau de Paris, dans une trilogie de romans légers. L’un de ces romans s’est intitulé De l’avocation à l’avocature, pour devenir L’avocature. L’avocation. Tome 2 lors de sa réédition en 2018. Manifestement irrité par cet usage du terme « avocature », Me Soulez-Larivière a demandé au tribunal de grande instance (TGI) de Paris le retrait immédiat des ouvrages de Me Boyard commercialisés sous ce titre (v. Dalloz actualité, 23 sept. 2019, art. M. Babonneau). Un avocat le sait, car il doit souvent en convaincre son client, une irritation ne trouve pas toujours une traduction juridique. Dans cette affaire, c’est le TGI de Paris qui se charge de le rappeler à l’avocat.

À l’appui de sa demande, Daniel Soulez-Larivière revendiquait un droit d’auteur sur le titre avocature. Soutenant avoir inventé le terme en 1982 pour le titre de son premier ouvrage, il arguait naturellement de son originalité, condition à la reconnaissance du droit. L’argumentation était assez simple : n’étant pas un nom commun de la langue française d’usage courant et fréquent avant 1982, pas plus qu’un terme juridique, il ne pouvait faire de doute qu’il s’agissait d’un vrai choix arbitraire, d’un parti pris intellectuel et créatif portant l’empreinte de sa personnalité. Cette argumentation s’est toutefois heurtée à la réalité. De l’aveu même du demandeur, l’usage du terme avocature est apparu dès le milieu du XIXe siècle, ce dont la partie en défense n’a pas manqué d’apporter de nombreux exemples. Ne pouvant sérieusement soutenir être l’auteur d’un terme utilisé plus d’un siècle avant lui, Me Soulez-Larivière a complété son argumentation : il n’aurait en réalité pas inventé mais réinventé un mot très peu usité avant lui pour lui donner une portée inédite et ainsi le faire entrer dans la modernité. Mais découvrir n’étant pas créer, l’usage d’un mot sans autre apport créatif ne permet pas, comme le rappelle le TGI de Paris, de bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur.

Me Soulez-Larivière fonde également sa demande de retrait du roman de Me Boyard sur un fait de parasitisme. Le code de la propriété intellectuelle interdit l’usage d’un titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans les conditions susceptibles de provoquer une confusion, et cela même lorsque le titre en question n’est plus protégé par le droit d’auteur. Autrement dit, l’absence d’originalité du titre n’empêche pas que son usage pour un ouvrage du même genre soit de nature à créer une confusion dans l’esprit du public. Selon Daniel Soulez-Larivière, un risque de confusion existait bel et bien entre les deux ouvrages, l’un et l’autre ayant une inspiration commune, celle de la vie des avocats et de la pratique de leur métier. Pour cette seule raison, ils appartiendraient au même genre. Pour autant, un essai n’est pas un roman. En l’espèce, l’un offre une réflexion sérieuse, l’autre appartient à un genre littéraire parfaitement identifié, celui du « roman de poulettes » (chick lit). Au fond, Daniel Soulez-Larivière reprochait à Aurore Boyard d’avoir cherché à s’approprier la notoriété de son ouvrage. Or sa dernière réédition remontant tout de même, au moment des faits, à près de vingt-cinq ans, aucun bilan de vente ne permettant, de plus, de la corroborer, l’existence d’une telle notoriété, notion délicate à appréhender, n’est pas patente. Le succès des romans d’Aurore Boyard est, lui, en revanche, attesté. Après une étude comparée des ouvrages quant à leur forme, quant au public visé ou au réseau de distribution employé, le TGI de Paris a conclu à l’absence de risque de confusion dans l’esprit du public. Aussi, démontrant que le terme avocature était régulièrement employé, Aurore Boyard a pu convaincre le TGI de Paris qu’elle n’avait pas eu la volonté de se placer dans le sillage spécifique de l’ouvrage de Daniel Soulez-Larivière et que les faits de parasitisme ne pouvaient être établis.

Dans cette affaire, ce ne sont pas tant les questions de droit qui interpellent que les motivations d’un avocat expérimenté devant l’évidence du droit. N’étant pas protégé par le droit d’auteur, le terme avocature peut continuer de désigner un roman empreint d’humour comme un essai portant une réflexion sérieuse. Assurément, l’avocature bénéficie d’une belle mise en lumière.

L’acte d’assignation est l’acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître devant le juge. Cet acte introductif d’instance obéit à un formalisme actuellement fixé par les articles 648 et 56 du code de procédure civile. Ainsi, pour désigner le demandeur personne morale, il doit être fait mention de sa forme, de sa dénomination, de son siège social et de l’organe qui le représente légalement. Quant au défendeur personne morale, il doit être désigné par sa dénomination et son siège social. En dépit de la clarté des textes susvisés et des enseignements de la jurisprudence, le contentieux relatif à l’erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale persiste, comme en témoigne l’arrêt rendu le 14 novembre 2019.

En l’espèce, par délibération du 5 avril 2018, il a expressément été donné mandat à Madame X., membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’hôpital René Muret, pour représenter celui-ci en justice à l’occasion des procédures judiciaires pouvant être exercées dans le cadre du recours à l’expertise pour risque grave.

L’assistance publique-hôpitaux de Paris (l’AP-HP) a fait assigner devant le président du tribunal de grande instance de Bobigny le CHSCT afin de voir annuler une délibération désignant un cabinet d’expertise aux...

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La divulgation est le don de l’œuvre au public. C’est parce que l’œuvre est divulguée qu’elle va pouvoir être exploitée et la dévolution successorale de ce droit moral suit un ordre spécifique (CPI, art. L. 121-1 et L. 121-2. V. not. M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins,  4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, nos 476 s.). Aussi, « en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé […], le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée » et « il en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence » (CPI, art. L. 121-3). Se pose alors la question de savoir qui peut agir ?

En effet, le droit commun de la procédure civile prévoit que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » (C. pr. civ., art. 31) tandis que pour l’article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle « le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la Culture ». Or, l’adverbe « notamment » induit une conception libérale selon laquelle « toute personne ayant qualité et intérêt pour agir […], devrait être recevable pour voir sanctionner l’héritier indigne : à la première génération, ami de l’auteur, parent non titulaire du droit...

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L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 novembre 2019 pourrait bien relancer le débat sur l’opportunité de l’accouchement « sous X », régulièrement critiqué (v., par ex., Civ. 1re, 7 avr. 2006, n° 05-11.285, D. 2006. 1177, tribune B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2006. 292, obs. J. Hauser ) notamment pour ses conséquences indirectes mais souvent radicales sur le lien de filiation paternelle.

En l’espèce, une enfant est « née sous X » le 23 octobre 2016. Elle a été immatriculée comme pupille de l’État le 24 décembre suivant. Le Conseil de famille des pupilles de l’État a consenti à son adoption le 10 janvier 2017 et une décision de placement a été prise le 28 janvier. L’enfant a été remise au foyer de M. et Mme B… le 15 février. Quelques jours plus tôt, le père biologique, M. A…, avait entrepris des démarches auprès du procureur de la République pour retrouver l’enfant. Une fois celle-ci retrouvée et identifiée, M. A… l’a reconnue, le 12 juin 2017. M. et Mme B… ont par la suite déposé une requête aux fins de voir prononcée l’adoption plénière de l’enfant et M. A… est intervenu volontairement dans la procédure. La cour d’appel ayant prononcé l’adoption, M. A… a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur lesquelles se prononce l’arrêt sous examen. La Cour de cassation ne transmettra que la première, la seconde concernant une disposition – l’article 353, alinéa 3, du code civil – qui n’était pas applicable au litige.

Rappelons en effet que, pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Concernant la première QPC, qui visait les articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1, du code civil, les deux premières conditions étaient indubitablement réunies. En outre, la Cour de cassation a considéré que la question présentait un caractère sérieux « en ce qu’elle invoque une atteinte aux droits et libertés garantis par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

La QPC renvoyée soutenait précisément que les dispositions de l’article 351, alinéa 2, du code civil – qui prévoient que le placement en vue de l’adoption peut intervenir deux mois après le recueil de l’enfant – et de l’article 352, alinéa 1, du même code – qui indique que « le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine » et que « fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance » – portaient atteinte au droit de mener une vie familiale normale et à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi qu’au respect de la vie privée et au principe d’égalité devant la loi, en ce qu’elles empêchent le père d’un enfant né d’un accouchement anonyme d’établir tout lien de filiation avec lui dès son placement en vue de l’adoption et avant même que l’adoption soit prononcée.

En attendant la réponse du Conseil constitutionnel à cette question, il convient d’exposer sommairement le contexte du débat qui devra se tenir rue de Montpensier. Un débat à l’issue incertaine qui verra s’affronter plusieurs droits – droit d’accoucher dans l’anonymat, droit de l’enfant de connaître ses parents et d’être élevé par eux, droit d’établir son lien de filiation pour le père et respect de sa vie familiale – et intérêts – de la femme qui accouche, du père, de l’enfant, voire des parents adoptifs pressentis – divergents que le droit français s’efforce de concilier (pour une approche institutionnelle de la balance des intérêts en cause, v. F. Terré, C. Goldie-Genicon, D. Fenouillet, Droit de la famille, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, spéc. § 654).

Le contexte trouve son origine dans le droit reconnu à la femme enceinte, par l’article 326 du code civil, d’accoucher dans l’anonymat (autrement appelé « accouchement sous X ») qui est historiquement considéré comme une mesure de protection de la santé de l’enfant ayant pour objectif de limiter les avortements (notamment clandestins) et les abandons « sauvages » de nouveau-nés non désirés (en ce sens, v. E. Poisson-Drocourt, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, D. 2006. 2293  ; pour une analyse des autres fondements possibles, v. F. Terré, C. Goldie-Genicon, D. Fenouillet, op. cit., spéc. § 653). La difficulté est que cet anonymat rend très difficile l’établissement de la filiation paternelle, privant pratiquement le père biologique de toute chance de se voir confier l’enfant, ce que M. A… vivait en l’espèce.

En effet, en cas d’accouchement anonyme, la filiation paternelle repose sur la reconnaissance d’un enfant dont le père biologique ignore souvent la date et le lieu de naissance, ce qui oblige généralement ce dernier à désigner l’enfant par le biais de la femme qui le porte ou le portait. Or, en raison du secret de l’admission et de l’accouchement, cette femme n’a officiellement jamais accouché, ce qui rend l’identification de l’enfant très difficile. Ainsi, l’enfant « né sous X » est le plus souvent déclaré « sans filiation » et, en conséquence, immédiatement recueilli par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Dans le schéma classique, deux mois plus tard, l’enfant sera immatriculé pupille de l’État (CASF, art. L. 224-8, al. 1er, et L. 224-4, 1°). À la suite de cette immatriculation, le Conseil de famille des pupilles de l’État donnera en principe son consentement à l’adoption (CASF, art. R. 224-18, 2°) et l’enfant sera le plus souvent très rapidement placé en vue de cette adoption. Ce placement, qui interviendra donc rapidement mais plus de deux mois après le recueil, conformément à la première disposition critiquée par la QPC (C. civ., art. 351, al. 2), mettra fin à toute possibilité d’établir le lien de filiation biologique, ce qui est prévu par la seconde disposition critiquée (C. civ., art. 352, al. 1). Si le placement se passe bien, l’adoption plénière de l’enfant sera prononcée.

La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur la question de l’articulation d’un accouchement anonyme et d’une reconnaissance paternelle. C’est la fameuse affaire Benjamin (sur laquelle, v., outre les notes sous l’arrêt de la Cour de cassation citées infra, P. Verdier, L’affaire Benjamin : des effets de la reconnaissance paternelle d’un enfant né sous X, AJ fam. 2004. 358  ; P. Salvage-Gerest, Benjamin encore… Une indispensable mise au point, AJ fam. 2005. 18  ; C. Neirinck, L’adoptabilité de l’enfant né sous X, RDSS 2005. 1018 ; P. Salvage-Gerest, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. § 221.162), du prénom d’un enfant reconnu de façon prénatale par son père mais né sous X et placé en vue de l’adoption en vertu du processus décrit plus haut. Dans cette affaire, la Cour de cassation (Civ. 1re, 7 avr 2006, n° 05-11.285, D. 2006. 2293, obs. I. Gallmeister , note E. Poisson-Drocourt ; ibid. 1177, tribune B. Mallet-Bricout ; ibid. 1707, chron. J. Revel ; ibid. 2007. 879, chron. P. Salvage-Gerest ; ibid. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; Just. & cass. 2007. 328, rapp. A. Pascal ; AJ fam. 2006. 249, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 575, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 273, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 292, obs. J. Hauser ; JCP 2006. I. 199, nos 1 s., obs. Rubellin-Devichi ; Defrénois 2006. 1127, obs. Massip ; Gaz. Pal. 2006. 3210, note Guittet ; RJPF-2006-6/38, note Le Boursicot ; LPA 17 juill. 2006, obs. Massip ; ibid. 7 mai 2007, obs. Bourgault-Coudevylle ; RLDC juin 2006, p. 34, note Le Boursicot ; Dr. famille 2006. Comm. 124, obs. P. Murat ; RLDC mai 2006, p. 45, obs. G. Marraud des Grottes) a pu affirmer que, dès lors qu’un enfant avait été reconnu par son père et identifié avant le consentement à l’adoption, le Conseil des familles n’était plus compétent pour donner un tel consentement, ce qui rendait le placement de l’enfant en découlant irrégulier.

La décision a été critiquée pour son imprécision, voire son incohérence au regard des articles du code civil et du code de l’action sociale et des familles (en ce sens, v. C. Neirinck, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, n° 05-11.285, RDSS 2006. 575, art. préc.). Elle semble imposer que l’enfant soit identifié avant le consentement du Conseil de famille, consentement qui intervient en principe en amont du placement mais qui, en l’espèce, était curieusement intervenu après, ce qui a brouillé la portée de l’arrêt (sur les incertitudes quant à la portée de l’arrêt, v. P. Murat, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, Dr. famille 2006. Comm. 124 ; M.-C. Le Boursicot, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, RJPF-2006-6/38 ; J. Massip, obs. sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, LPA 17 juill. 2006, art. préc.). Pourtant, l’arrêt visait l’article 352 du code civil qui, lui, fait du placement de l’enfant en vue de l’adoption l’événement « butoir » faisant obstacle à tout établissement du lien de filiation des parents biologiques.

Pour parfaire ce tableau en clair-obscur, on évoquera également une circulaire d’application de la réforme de la filiation intervenue en 2005 (circ. 30 juin 2006, de présentation de l’ord. n° 2005-759 portant réforme de la filiation) qui a semblé renforcer cette idée qu’il fallait impérativement que l’enfant soit identifié avant le placement et non au moment du consentement à l’adoption.

À ce jour, un certain flou subsiste, notamment dans l’hypothèse où l’enfant aurait été reconnu avant le placement (notamment par une reconnaissance prénatale) mais identifié après (sur cette « distorsion temporelle », v. C. Neirinck, L’adoptabilité de l’enfant né sous X, RDSS 2005. 1018 ; v. égal. J. Massip, obs. sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, LPA 17 juill. 2006) et il pèsera peut-être dans l’analyse de la constitutionnalité des articles visés par la QPC. Cela d’autant que, nonobstant l’obligation des parquets de tout mettre en œuvre pour aider les pères biologiques d’enfants « nés sous X » à identifier ces enfants (C. civ., art. 62-1), dans l’immense majorité des cas, le temps de la procédure compromettra la restitution de l’enfant à son père (dans l’affaire Benjamin, alors que le père s’était démené pour affirmer sa volonté de l’élever avant même sa naissance, l’enfant est resté vivre dans sa famille adoptive qui l’élevait depuis six ans, v. Reims, 12 déc. 2006, RTD civ. 2007. 558, obs. Hauser ; Defrénois 2007. 795, obs. Massip).

En l’espèce, le père, sans conteste mal conseillé compte tenu de la jurisprudence rappelée, n’a pas immédiatement reconnu l’enfant. Il a attendu que celle-ci soit clairement identifiée pour le faire, à un moment où le Conseil de famille avait déjà consenti à l’adoption et où l’enfant était déjà placée en vue de cette adoption. Il se heurtait donc incontestablement aux dispositions de l’article 352, alinéa 1, du code civil et ses chances d’obtenir gain de cause sur le simple fondement des textes semblent nulles. Il lui reste donc deux voies : celle du contrôle de proportionnalité – qu’il a peut-être empruntée aussi mais nous ignorons les moyens de son pourvoi – et celle, radicale, de l’inconstitutionnalité des articles en question, dont il fait usage ici et qui ferait vaciller le château de cartes.

En effet, comme nous l’avons rappelé, les articles visés ne sont que la fin du processus dont le point de départ est l’accouchement de la mère dans l’anonymat. Ainsi, la QPC transmise, en mettant en cause la constitutionnalité des articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1, du code civil pose en réalité la question prioritaire de la constitutionnalité du système entier. Certes, la QPC se garde bien de viser l’accouchement anonyme lui-même mais c’est sans doute parce que son principe a été « validé » par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, JO 17 mai ; AJDA 2012. 1036 ; D. 2013. 1235, obs. REGINE ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 406, obs. F. Chénedé ; RDSS 2012. 750, note D. Roman ; RTD civ. 2012. 520, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2012, n°120, note Neirinck) et même par la Cour européenne des droits de l’homme (à travers les arrêts Kearns, v. CEDH 10 janv. 2008, Kearns c. France, req. n° 35991/04, BICC 15 févr. 2008 ; CEDH, 10 janv. 2008, n° 35991/04, Kearns c/ France, D. 2008. 415, obs. P. Guiomard ; AJ fam. 2008. 78, obs. F. Chénedé ; RDSS 2008. 353, note C. Neirinck ; RTD civ. 2008. 252, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 285, obs. J. Hauser ; Procédures 2008, n°77, obs. Fricero ; RJPF 2008-4/23, obs. Garé ; Dr. fam. 2008, Étude 14, Gouttenoire, et Odièvre, v. CEDH, gr. ch., 13 févr. 2003, Odièvre c. France, req. n° 42326/98, AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 739, et les obs. ; ibid. 1240, chron. B. Mallet-Bricout ; RDSS 2003. 219, note F. Monéger ; RTD civ. 2003. 276, obs. J. Hauser ; ibid. 375, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2003. II. 10049, note Gouttenoire-Cornut et Sudre ; P. Malaurie, La Cour européenne des droits de l’homme et le “droit” de connaître ses origines, JCP 2003. I. 120 ; Gaz. Pal. 2005. 411, note Royant ; RJPF 2003-4/34, obs. Le Boursicot ; Dr. fam. 2003, n°58, note Murat ; Dr. fam. 2003, Étude 14, par Gaumont-Prat ; LPA 11 juin 2003, p. 11, note Roy ; JDI 2004. 696, note Leclercq-Delapierre). Néanmoins, on voit difficilement comment le Conseil constitutionnel pourrait juger les dispositions des articles visés inconstitutionnelles sans obliger le législateur à repenser entièrement l’édifice. Plusieurs auteurs ont déjà souligné combien tout repose sur cette spécificité du droit français qu’ils invitent, pour certains, à supprimer purement simplement (v., not. C. Neirinck, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, RDSS 2006. 575, préc. ; F. Terré, C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, op. cit., spéc. § 654), d’autant que le contentieux montre que le système prive aussi des grands-parents de leurs petits-enfants (v., not., sur le contentieux relatif à l’arrêté d’admission comme pupille de l’État contesté par des grands-parents biologiques, P. Salvage-Gerest, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. § 221.163 et les réf. citées § 221.181 s.).

C’est dire tout l’enjeu de cette question prioritaire de constitutionnalité dont on attend, avec impatience et curiosité, la réponse.

Saisie par le père biologique d’un enfant « né sous X », la Cour de cassation a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC visant les articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1, du code civil relatifs au placement d’un enfant en vue de son adoption plénière et à ses effets vis-à-vis de sa famille d’origine.

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Auteur d'origine: Dargent

Par un premier arrêt publié depuis l’entrée en vigueur du texte, la deuxième chambre civile approuve l’appréciation souveraine d’une cour d’appel qui écarte la force majeure soulevée par une appelante hospitalisée au jour de la déclaration d’appel et de la notification de ses conclusions.

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Auteur d'origine: laffly

Si l’article 815-5-1, alinéa 3, du code civil exige des indivisaires qui détiennent au moins les deux tiers des voies et qui désirent vendre de le signifier dans le délai d’un mois aux autres indivisaires, il n’est pas prévu de sanction. Seul compte le respect du délai d’opposition de trois mois posée à l’alinéa 4 du même texte.

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Auteur d'origine: mjaoul

L’Autorité de la concurrence a formulé, le 2 décembre, de nouvelles recommandations pour favoriser, de manière graduelle, l’installation de nouveaux professionnels. 

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Auteur d'origine: tcoustet

La formation disciplinaire du CSM a tenu son audience ce 4 décembre. Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, Jean-Guy Huglo, le doyen de cette chambre et Laurence Pecaut-Rivolier, conseiller référendaire, sont poursuivis pour défaut d’impartialité dans un dossier qu’ils ont tranché le 28 février 2018. 

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Auteur d'origine: tcoustet

Le titre exécutoire servant de fondement à la saisie-immobilière n’a pas à être remis au débiteur, lequel ne peut contester l’imputation des paiements, enfin, la cour d’appel ne peut statuer sur la vente amiable lorsqu’aucune des parties n’a frappé d’appel ce moyen.

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Auteur d'origine: Dargent

En l’absence de décision du préfet levant toute mesure de soins sans consentement, il appartient au premier président de statuer sur la requête en maintien de la mesure présentée par celui-ci. Le juge peut contrôler la régularité des décisions ayant maintenu le programme de soins qui a été transformé en hospitalisation, à la condition que cette régularité soit contestée devant lui, même pour la première fois en cause d’appel.

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Auteur d'origine: npeterka

L’obligation faite à l’appelant, induite par l’article 902 du code de procédure civile, de notifier la déclaration d’appel à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué, dans le délai d’un mois suivant la réception de l’avis du greffe, n’est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration d’appel.

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Auteur d'origine: laffly

Le délai de trois mois de l’appelant pour conclure court à nouveau à compter de l’arrêt sur déféré infirmant l’ordonnance du conseiller de la mise en état, revêtue dès son prononcé de l’autorité de la chose jugée, qui avait jugé l’appel irrecevable.

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Auteur d'origine: laffly

L’article R. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution, qui interdit toute contestation ou demande incidente formée après l’audience d’orientation à moins qu’elle ne porte sur des actes de procédure postérieurs à celle-ci, s’impose à toutes les parties appelées à l’audience.

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Auteur d'origine: Dargent
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Une mère et ses deux fils relèvent appel le 5 avril 2017 et notifient leurs conclusions le 12 juillet suivant, soit au-delà du délai de trois mois prévu à peine de caducité de la déclaration d’appel par l’article 908 du code de procédure civile. Pour contrer cette caducité, l’avocat des appelants invoque un cas de force majeure lié à la maladie de sa cliente. La cour d’appel de Grenoble, estimant que la force majeure devait revêtir un caractère imprévisible et irrésistible alors que l’appelante avait été en mesure, avec ses deux fils condamnés in solidum, de donner ses instructions à leur conseil commun pour interjeter appel, retient la caducité. La cour constate en effet qu’elle était déjà hospitalisée au jour de l’appel et de la remise des conclusions au fond, le 12 juillet 2017, alors que sa situation restait identique. Au soutien du pourvoi, il était soutenu que l’opération chirurgicale dont l’appelante avait brusquement été l’objet « avait été suivie de soins particulièrement lourds et avait nécessité une hospitalisation complète », que ce n’était qu’après avoir pu entrer en contact avec sa cliente que son conseil avait pu déposer des conclusions le 12 juillet 2017, que la force majeure devait s’apprécier au regard de l’appelante elle-même sans égard à la situation de ses fils, et qu’en refusant d’écarter la caducité, la cour d’appel avait ainsi commis une violation des articles 910-3 et 908 du code de procédure civile.

La réponse de la deuxième chambre civile, constatant que l’article 910-3 était bien applicable au jour où le conseiller de la mise en état avait statué, rejette le pourvoi considérant qu’ayant relevé que, si l’appelante « justifiait de son hospitalisation le 24 mars 2017 au centre hospitalier de Lyon-Sud, puis de son transfert au centre médical spécialisé de Praz-Coutant à Passy le 22 mai 2017, établissement où elle se trouvait toujours le 18 juillet 2017, sa maladie ne l’avait pas empêchée de formaliser une déclaration d’appel en avril 2017, ainsi que des conclusions, bien que tardives, le 12 juillet 2017, la cour d’appel, qui a pu en déduire qu’aucun cas de force majeure n’avait empêché les appelants de conclure dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, a constaté à bon droit la caducité de la déclaration d’appel prévue par ce texte ».

Si l’on peut regretter que l’arrêt, pourtant destiné à une large publicité, ne se risque pas à une définition de la force majeure puisque l’article 910-3 n’en livre aucune non plus (« En cas de force majeure, le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état peut écarter l’application des sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911 »), on y verra au moins l’avantage d’une interrogation nécessaire sur les conditions d’application de la force majeure. On sait toutefois que la haute cour qualifie d’événement de force majeure celui qui présente un caractère imprévisible et irrésistible (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, nos 04-18.902 et 02-11.168, D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister , note P. Jourdain ; ibid. 1566, chron. D. Noguéro ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc ). Et l’on sait aussi que l’article 910-3 était l’une des rares concessions, peut-être même la seule, faite à la profession d’avocat lors de l’élaboration du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile qui avait renforcé les obligations et les sanctions procédurales à la charge des parties devant la cour d’appel. La circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret (circ. 4 août 2017, Dalloz actualité, 11 sept. 2017, obs. R. Laffly), établie sous la forme de fiches pratiques, laissait augurer que cet article n’était qu’un mirage, ce que confirme l’arrêt de la Cour de cassation qui n’a pas entendu voler au secours de la demanderesse au pourvoi. On connaissait aussi la difficulté de faire admettre la « cause étrangère » visée à l’article 930-1 du code de procédure civile en cas d’incident technique lors de la notification d’un acte de procédure, et il est peu dire que les conditions résultant de l’article 910-3 seront bien plus difficiles à réunir.

Si le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 modifiant les modalités d’entrée en vigueur du 6 mai 2017 permettait de conclure que le texte relatif à la force majeure était d’application immédiate aux procédures en cours – et le présent arrêt en est une illustration puisque l’appel avait été formé avant le 1er septembre 2017 –, la généralité de la disposition et l’absence de définition ne pouvaient laisser place à une quelconque souplesse d’appréciation. C’est ainsi que la circulaire précitée avance que la force majeure fait référence à un « événement brutal et imprévisible », à son « caractère incontrôlable » dans sa survenance et ses conséquences. La cour de Grenoble associait quant à elle la force majeure à ses adjectifs habituels mais cumulatifs, elle devait être « imprévisible » et « irrésistible ». Or, en l’espèce, l’appelante n’était pas seule à pouvoir donner des instructions à son avocat, et elle aurait bien pu, selon la cour d’appel, s’y employer par l’intermédiaire de ses deux fils condamnés in solidum et appelants à ses côtés, alors qu’elle était déjà hospitalisée au jour de l’appel. Et, lors de la notification de ses conclusions au fond, tardives donc, sa situation restait la même. Il est fort à parier que l’appelante a « payé » le fait de ne pas être seule comme appelante dès lors que son avocat pouvait tenir ses instructions des coappelants, mais il est à parier aussi que, si elle l’avait été, la solution n’eut pas été différente. L’appelante avait pu valablement donner mandat à son avocat pour interjeter appel et des conclusions avaient bien été, finalement et bien que tardivement, déposées, preuve de la possibilité de conclure quelques jours auparavant. Il n’est pas rare en effet que l’avocat soit en difficulté pour joindre son client à l’approche du dernier jour de son délai pour conclure et, dans pareille hypothèse, il est bien plus osé, d’un strict point de vue de responsabilité, de risquer une caducité que d’anticiper sur les observations de son mandant quant au projet d’écritures qu’il a dû lui faire tenir en amont. Dès lors que les prétentions du client ont été concentrées dans ce même délai de trois mois par application de l’article 910-4 du code de procédure civile, celui-ci aura le temps nécessaire pour apporter les compléments souhaités dans un jeu de conclusions ultérieur, de sorte que courir après une hypothétique démonstration des conditions de la force majeure apparaît hautement plus périlleux.

Si, à la différence de l’article 930-1 visé supra, la cause étrangère doit être extérieure à celui qui accomplit l’acte de procédure, la force majeure ne semble pas distinguer entre le mandant et le mandataire, entre l’avocat et le client. Aussi, l’état de santé, non plus du client mais de l’avocat lui-même, pourrait-il caractériser la force majeure ? Après tout, il s’agit là d’un facteur aggravant et bien plus déterminant encore puisque c’est sur lui seul que repose l’accomplissement des actes de procédure. Mais les premières décisions ne laissent pas plus d’espoirs. Certes sans que le fondement de la force majeure ait été invoqué, mais approuvant la sanction retenue de la caducité de la déclaration d’appel, la deuxième chambre civile a déjà eu l’occasion de juger, par arrêt également publié, que la maladie de l’avocat d’une partie ou le traitement médical que celui-ci devait suivre et conduisant à son inaptitude professionnelle ne sont pas une cause d’interruption de l’instance (Civ. 2e, 13 oct. 2016, n° 15-21.307, D. 2016. 2171 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ). D’ailleurs, la cour d’appel de Riom, la première se penchant sur l’application de l’article 910-3 nouveau et ajoutant sans doute une condition à la construction prétorienne de la force majeure, a estimé que l’état de santé n’est pas un élément « extérieur à la partie tenue du délai », de sorte que, même si de graves problèmes médicaux et des événements particulièrement douloureux survenus dans la vie personnelle de l’avocat (sic) étaient démontrés, ceux-ci ne pouvaient revêtir le caractère de la force majeure (Riom, 18 oct. 2017, n° 17/02129, Dalloz jurisprudence). Sur ce point, notons que l’article 1218 du code civil, qui a le mérite de tenter une définition en matière contractuelle, dispose qu’il y a force majeure lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Point de référence à l’événement extérieur.

L’analyse des quelques décisions de cours d’appel rendues au visa de l’article 910-3, si elles s’affranchissent de ce caractère « extérieur », permet d’observer que la force majeure reste très délicate à démontrer et n’est retenue qu’en cas de conditions extrêmes. Elle a en tout cas plus de chance d’être constatée si l’avocat exerce à titre individuel, ce qui n’est finalement pas illogique, et si est établie, pièces médicales à l’appui, une impossibilité absolue, du fait de la maladie, de notifier des conclusions durant la période impartie pour conclure et au moment même de les notifier.

Il n’y a pas de force majeure dès lors que « les éléments médicaux produits sont postérieurs au dernier jour du délai imparti à l’avocat pour conclure et qu’ils démontrent, s’il était besoin, que le conseil de l’appelante n’est pas le seul avocat travaillant au cabinet » (Paris, 27 sept. 2019, n° 19/04224, Dalloz jurisprudence). Mais une période d’asthénie intense en lien avec une maladie de spondylodiscite qui avait nécessité une hospitalisation puis un arrêt de travail important permet à une cour d’appel de relever que « l’indisponibilité totale de l’avocat survenue au cours d’une crise ayant présenté les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure durant la période à laquelle expirait le délai qui lui était imparti pour conclure, justifie que soit écartée la sanction de la caducité » (Nîmes, 6 nov. 2018, n° 18/04133, Dalloz jurisprudence). De même, l’avocat qui avait indiqué et justifié avoir été victime d’un accident cardiaque dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2018, son état de santé l’ayant mis dans l’impossibilité de transmettre ses conclusions qui étaient prêtes à envoyer, dans la journée du 1er novembre 2018, permet de conclure à un cas de force majeure de nature à écarter la sanction de caducité (Aix-en-Provence, 30 nov. 2018, n° 18/13028, Dalloz jurisprudence).

Enfin, dès lors que la force majeure sera retenue, le juge pourra alors soit fixer un nouveau délai pour conclure à l’appelant ou à l’intimé, soit déclarer recevable l’acte effectué tardivement. Mais on l’aura compris, cela ne sera jamais une mince affaire, ce d’autant que l’article 910-3 ne vise que les délais pour conclure et aucunement le délai de signification d’un mois imposé à peine de caducité par l’article 902 pour signifier la déclaration d’appel ni même celui de l’article 905-1 nouveau du code de procédure civile qui le réduit à dix jours à compter de la réception de l’avis de fixation à bref délai. Pas d’irrésistibilité et d’imprévisibilité en matière de signification. Dans ce cas-là, l’avocat devra toujours résister et prévoir…

par Mélanie Jaoulle 5 décembre 2019

Civ. 1re, 20 nov. 2019, FS-P+B+I, n° 18-23.762

Dans cette affaire, des héritiers reçoivent en indivision la maison de leurs grands-parents, suite aux décès de ceux-ci et de leurs parents. Les consorts X détenant 10/12e des droits indivis font connaître à Michel X leur intention de vendre l’immeuble par un acte notarié du 16 mars 2015. L’acte est alors signifié à Michel X par huissier le 28 mai 2015. Trois mois s’écoulent et, face au silence de l’indivisaire signifié, le notaire dresse un procès-verbal de difficulté en date du 22 septembre suivant. Les consorts X ont alors saisi le tribunal afin de demander l’autorisation de vendre le bien indivis sur le fondement de l’article 815-5-1 du code civil. La cour d’appel fait alors droit à leur demande et ordonne la licitation de l’immeuble indivis avec une mise à prix de 90 000 € avec faculté de baisse du quart puis du tiers à défaut d’enchérisseur. Michel X. forme alors un pourvoi contre la décision lequel est rejeté par la première chambre civile.

Le requérant invitait la Cour de cassation à censurer la décision, notamment en raison de l’absence de respect du délai d’un mois entre la manifestation notariée des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des voix de vendre et sa signification à l’indivisaire minoritaire. Il invoquait également qu’opérer la vente par licitation porterait une atteinte excessive à son droit de propriété. Sur ce dernier point, la Cour de cassation juge le moyen inopérant et se concentre sur...

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La Loi Macron de 2015 a créé la profession de « commissaire de justice » qui résultera à terme de la fusion des commissaires-priseurs et des huissiers de justice. Cette profession doit voir le jour le 1er juillet 2022. Ce qui nécessite,...

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L’affaire a éclaté en avril 2018. À l’époque, le Canard enchaîné révèle que les trois magistrats de la Cour de cassation collaboraient avec les éditions Lamy et Liaisons sociales, alors filiales françaises du groupe de presse néerlandais Wolters Kluwer France (WKF). Des prestations rémunérées d’environ 600 euros net la demi-journée. Or, le 28 février, cette chambre de la Cour de cassation a rendu un arrêt favorable à la direction du groupe WKF en cassant un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui, lui, avait conclu dans un sens favorable aux syndicats de salariés concernant le calcul de la participation. Ces trois juges n’ont pas demandé à être remplacés lors de l’examen du litige opposant désormais l’entreprise aux syndicats de salariés (CGT, CFDT et SNJ).

Une plainte est alors déposée devant le CSM. Les syndicats leur reprochent autant de ne pas s’être déportés du dossier, que de ne pas avoir respecté leurs obligations déclaratives en la matière. La commission d’admission des requêtes, en charge de filtrer les plaintes des justiciables, a décidé en janvier de renvoyer officiellement devant la formation disciplinaire.

Apparence d’impartialité

Ces trois magistrats devaient-ils, par précaution, se retirer du dossier afin de garantir l’apparence d’impartialité dont ils sont tenus par serment ? L’article 7-1 de l’ordonnance statutaire leur fait, en effet, obligation de prévenir toute les situations « de nature à influencer l’exercice de leur fonction ». Cette problématique, délicate, a occupé tout l’espace des débats, devant une formation disciplinaire réunie ce mercredi sous la présidence de Didier Guérin. Mes Basile Ader et Jean-Yves Dupeux ont assuré la défense des magistrats.

Les trois mis en cause, dont « l’itinéraire sans tâche » a été souligné à l’audience, se sont défendu de toute partialité. Ils ont dénoncé « une instrumentalisation » pour « faire pression sur la chambre sociale ». Madame Laurence Pecaut-Rivolier a vu dans cette plainte une atteinte « à ce qui fait notre fierté de juge », a-t-elle exprimée au micro la voix tremblante. « J’ai assuré près de vingt-cinq interventions à l’extérieur cette année-là. Seules trois d’entre elles étaient rémunérées », s’est-elle justifiée.

Certes, Jean-Yves Frouin s’est bien entretenu avec Jean-Guy Huglo à la demande de ce dernier sur la difficulté qui pouvait s’inscrire en creux dans ce dossier. Mais pour lui, le fil rouge ne pouvait pas être franchi. « Peut-on parler de conflit d’intérêt pour des formations indemnisées 600 € en moyenne ? », a-t-il soulevé.

« Il y a peut-être eu une erreur d’interprétation »

« Vous déporteriez-vous aujourd’hui ? », a lancé un membre du CSM. « Sans doute » a reconnu Jean-Guy Huglo, même si « la situation d’aujourd’hui importe peu », a-t-il balayé. La conseillère Laurence Pecaut-Rivolet a concédé qu’« il y a peut-être eu une erreur d’interprétation », même si elle refuse d’accréditer l’idée d’avoir rendu une décision entachée d’une quelconque influence extérieure. Pour elle, la faiblesse de la rémunération, ainsi que la nature de ses interventions, semblaient, à l’époque, ne pas vraiment laisser de place à un doute sur sa neutralité.

Aucune faute disciplinaire selon la Chancellerie

Le directeur des services judiciaires, Peimane Ghaleh-Marzban, n’a pas demandé de sanction disciplinaire à l’égard des trois magistrats. Pour lui, il n’y a pas de « doute raisonnable sur l’impartialité des magistrats visés » mêms s’ils auraient dû faire valoir le « principe de précaution : le doute doit favoriser le déport ». Selon lui, il s’agit tout au plus « d’un mauvais réflexe ». Mais l’absence de déport ne justifie pas une « faute disciplinaire susceptible de sanction ». Pour preuve, la modicité des sommes d’argent. Les montants en cause, 600 € la demi-journée, ne représentaient que 0,61 % du traitement annuel pour le président de chambre, 1,62 % pour le doyen Huglo et 1,44 % pour Laurence Pecaut-Rivolier, a détaillé le représentant de la Chancellerie. Plus encore, l’activité était cantonnée à « présenter la jurisprudence ». De même, selon lui, « l’absence de subordination juridique avec l’éditeur juridique ne fait pas débat ». 

Autant d’arguments qui sont venus abonder dans le sens des plaidoiries de la défense. Basile Ader a invité le CSM à laver l’honneur de ces juges confrontés à « un chemin de croix de dix-huit mois ». « On a laissé entendre durant ce temps qu’ils pouvaient être corrompus », s’est-il indigné.

Nul doute que l’affaire laissera des traces. Jean-Guy Huglo a d’ailleurs lâché qu’il ne tapait même plus son nom sur Google « par peur de voir ce qu’il pouvait y trouver ». Il faut dire que cette procédure a ébranlé la Cour de cassation dans son ensemble. Bertrand Louvel, alors premier président, avait tenté d’éteindre l’incendie, en imposant aux magistrats de la Cour, dans une « note de service » envoyée en catastrophe en juillet 2018, une autorisation préalable à toute intervention « dans les colloques, formations ou articles publiés dans les revues juridiques » (v. Dalloz actualité, 12 sept. 2018, art. T. Coustet ). Si Chantal Arens a supprimé la note à son arrivée, la première présidente de la haute juridiction a engagé depuis une réflexion pour arrêter officiellement les règles en la matière.

Le CSM lui-même a adopté en début d’année de nouvelles règles déontologiques. Désormais, le juge est invité à se dessaisir en cas de « lien avec les parties, un conseil, un expert, ou en cas d’intérêt quelconque à l’instance de nature à faire naître un doute légitime sur son impartialité dans le traitement du litige ». 

Le délibéré est fixé au 19 décembre 2019.

Après l’arrêt de la chambre sociale rendu le 28 février 2018, les syndicats CGT, CFDT et SNJ ont saisi la Cour européenne des droits l’homme pour violation du droit au procès équitable et du devoir d’impartialité.

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La décision sous commentaire est à la fois dense et riche d’enseignements, ce qui justifie sa publication au bulletin et sa diffusion sur le site internet de la Cour de cassation.

Une banque engage à l’encontre d’époux, des poursuites de saisie immobilière sur le fondement de deux actes notariés contenant prêt souscrits en 2003 et 2006.

La même banque, créancier poursuivant, est également créancier inscrit en vertu d’une garantie hypothécaire octroyée par les mêmes époux et d’un engagement de caution de l’épouse pour garantir le remboursement d’un prêt consenti en 2007 à une société (dont l’un des époux est gérant) pour financer une opération immobilière ; à ce titre, elle déclare deux créances.

À l’origine, ce dernier crédit devait être remboursé au fur et à mesure de la vente des appartements issus de l’opération projetée.

Mais, en 2010, alors que le premier crédit accordé en 2007 n’a pas été remboursé, la banque consent un nouveau financement à cette société et cet accord prévoit que le produit de la vente des appartements objets de l’opération financée serait imputé, non plus sur le crédit originaire, mais sur le découvert autorisé du compte centralisateur de l’opération immobilière.

Lors de l’audience d’orientation les saisis élèvent des contestations et forment une demande incidente. Le juge de l’exécution rejette les contestations et autorise la vente amiable.

La cour d’appel, confirme le jugement d’orientation mais déboute les saisis de leur demande de vente amiable.

Les saisis forment un pourvoi et développent trois moyens.

En premier lieu, en se fondant sur les articles 502 du code de procédure civile et R. 321-3 du code des procédures civiles d’exécution, ils reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir retenu leur demande de nullité du commandement de payer valant saisi en soutenant que lors de sa signification, l’huissier de justice aurait dû leur remettre une copie des actes notariés de 2003 et 2006, titres exécutoires servant de fondement à la procédure de saisie immobilière.

Fort logiquement, la Cour de cassation écarte ce moyen en rappelant : « qu’il ne résulte pas de l’article R. 321-3 du code des procédures civiles d’exécution, seul applicable à la signification du commandement de payer valant saisie immobilière, l’obligation pour l’huissier de justice qui signifie cet acte de remettre au débiteur saisi une copie du titre exécutoire sur le fondement duquel la saisie est entreprise ».

En effet, l’article R. 321-3, 2°, dispose que le commandement doit comporter notamment :

« L’indication de la date et de la nature du titre exécutoire en vertu duquel le commandement est délivré », mais pas davantage.

C’est ce que l’arrêt rappelle, ce qui est fort bienvenue pour la pratique quotidienne des huissiers de justice.

En deuxième lieu, en se fondant sur les articles 1134, 1165, 1234, 1235 dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 2288 du code civil, les saisis reprochent à la cour d’appel d’avoir rejeté leurs demandes relatives à l’extinction des créances déclarées par la banque.

Comme cela a été précisé, la banque, créancier poursuivant, avait aussi la qualité de créancier inscrit et avait à ce titre, déclaré deux créances pour lesquelles le débiteur principal était une société, les saisis, garants hypothécaires et l’épouse seule, caution.

Les époux soutenaient que ces créances étaient éteintes car leur engagement était limité à la somme de 1 200 000 euros, or, le produit de la vente des appartements avait permis à la société, débiteur principal, de régler plus de 7 000 000 d’euros à la banque.

Il faut ici rappeler que, depuis un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210, D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais ), il est admis que la sûreté pour autrui qui porte sur un bien immobilier n’est pas un cautionnement : « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui n’est pas un cautionnement », même si l’avant-projet de réforme des sûretés laisse penser que cette position pourrait être bouleversée (G. Pillet, Assimilation du cautionnement réel au cautionnement : nature des choses ou expédient ?, JCP n° 17, 29 avr. 2019. 449).

Aussi, le garant n’est-il pas tenu personnellement à la dette mais propter rem, donc l’argumentation des époux saisis, consistant à démontrer que la créance avait été réglée par le fruit des prix de vente des appartements était fondée, surtout que l’acte de prêt de 2007 le prévoyait.

Cependant, en 2010, à la suite d’un nouveau financement bénéficiant à cette société, il avait été convenu entre la banque et le débiteur principal que le produit de la vente des appartements objets de l’opération financée serait désormais imputé sur le découvert autorisé du compte centralisateur de l’opération immobilière.

L’épouse, caution, qui n’était pas partie à cet acte, soutenait que cette modification ne lui est pas opposable et que sans son accord, le créancier ne pouvait modifier l’imputation des paiements convenue à l’origine.

La Cour de cassation écarte également ce moyen et selon elle, les créances de la banque ne sont pas éteintes car, aux termes de l’article 1253 du code civil (abrogé par l’ord. n° 2016-13 du 10 févr. 2016), le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paie, quelle dette il entend acquitter.

Elle considère que l’accord d’imputation des paiements effectués en 2010 s’imposait au tiers qui s’était porté garant, que celui-ci en ait été informé ou non et cet acte était donc opposable à l’épouse.

La question de l’imputation des paiements a récemment été envisagée dans plusieurs arrêts de la Cour de cassation (Com. 9 oct. 2019, n° 18-15.793, D. 2019. 2037 ; JCP 18 nov. 2019. 1187, note J.-D. Pellier ; Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-21.570, Dalloz actualité, 3 déc. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 2296 ) pour rappeler que si le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer celle qu’il entend acquitter, le créancier peut refuser si le paiement ne permet pas le paiement intégral de la dette.

Pourtant, en contemplation des dispositions de l’article 2290 du code civil « Le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté sous des conditions plus onéreuses », et la position de la Cour de cassation peut sembler sévère ; mais il est vrai que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’est pas un cautionnement (Cass. ch. mixte, 2 déc. 2005, préc.). Cependant, il semblerait à la lecture des faits de l’espèce que l’épouse s’était également engagée personnellement à la dette.

Pour autant, en matière de cautionnement la Cour de cassation a jugé que « la renonciation par le créancier au droit à agir en paiement contre le débiteur principal n’emporte pas extinction de l’obligation principale ni du recours de la caution contre ce débiteur, de sorte que la clause précitée ne fait pas obstacle aux poursuites du créancier contre la caution solidaire » (Com., 22 mai 2007, n° 06-12.196, D. 2007. 1999, obs. V. Avena-Robardet , note O. Deshayes ; ibid. 2008. 2104, obs. P. Crocq ; AJDI 2007. 759 ; RTD civ. 2007. 805, obs. P. Théry ; ibid. 2008. 333, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 833, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 2008. 172, obs. B. Bouloc ), donc, une modification conventionnelle de l’imputation des paiements sans le consentement de la caution est dans le droit fil de cette position.

Pourtant, celle-ci est contestable puisque la caution n’est que garante, et va voir nécessairement son engagement aggravé par cette modification de l’imputation des paiements puisque la dette qu’elle garantit ne sera alors plus diminuée par le fruit des prix de vente des appartements.

Ainsi, dans le même temps, cette modification hors sa présence, va augmenter son risque d’être poursuivie, ce qui peut paraître difficilement conciliable avec l’article 2292 du code civil selon lequel le cautionnement ne peut pas être étendu « au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ».

Il est vrai que la société, débiteur principal, qui a négocié cette modification, avait pour gérant l’époux, ce qui peut aussi expliquer la position de la Cour.

Enfin, en troisième lieu, les saisis reprochaient à la cour d’appel d’avoir infirmé le jugement d’orientation qui avait autorisé la vente amiable.

Sur ce point, la Cour de cassation ne retient pas le moyen développé par les saisis, mais celui développé dans le pourvoi incident soutenu par le créancier poursuivant qui avait simplement rappelé que ce chef du jugement n’était pas critiqué devant la cour d’appel, la Cour de cassation, casse l’arrêt sur ce moyen, au visa de l’article 4 du code de procédure civile en rappelant : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune partie n’avait frappé d’appel le jugement en ce qu’il avait orienté la procédure vers la vente amiable, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Reste à savoir si le compromis de vente signé en avril 2017 aura résisté au temps du procès…

L’arrêt du 21 novembre 2019 est appelé à une diffusion des plus larges, ainsi qu’en atteste la mention F-P+B+I dont il est revêtu. En l’espèce, un homme bénéficiant d’une mesure de tutelle avait fait l’objet d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement, tantôt sous le régime d’une hospitalisation complète, tantôt en soins ambulatoires, sous la forme d’un programme de soins. Le 7 décembre 2018, le préfet a pris une décision de réadmission en hospitalisation complète. Le 11 décembre suivant, en application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, il a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de poursuite de cette mesure.

Le pourvoi, articulé par le patient et son tuteur, reprochait au premier président d’avoir constaté que l’appel était devenu sans objet et que le requérant était irrecevable à contester la régularité de la procédure administrative de soins au motif que, d’une part, un certificat médical en date du 26 décembre 2018, avait demandé la modification de la prise en charge du patient sous une autre forme que l’hospitalisation complète et, d’autre part, il ne lui appartenait pas de contrôler la procédure de programme de soins antérieure. Or, selon le pourvoi, en l’absence de toute décision du préfet sur une éventuelle modification du régime des soins, il appartenait au premier président de statuer sur la requête en maintien de la mesure présentée par le préfet et contestée par le requérant. Le pourvoi faisait valoir, en outre, que les irrégularités de la procédure de soins psychiatriques affectant la décision du juge de la liberté et de la détention, peuvent être contestées pour la première fois même en cause d’appel. La cassation était ainsi sollicitée pour violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ainsi que des articles L. 3211-3, L. 3211-2-1 et L. 3211-11 du code de la santé publique.

La Haute juridiction accueille l’argumentation du pourvoi sur tous ces aspects. Elle rappelle, d’abord, au visa de l’article 4, alinéa 1er, du code de procédure civile, que l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties. Il appartenait, en conséquence, au premier président de statuer sur la requête en maintien de la mesure présentée par le préfet, en l’absence de décision de ce dernier levant toute mesure de soins sans consentement. Le certificat médical de demande de modification de la prise en charge, intervenu depuis la décision administrative, est sans incidence à cet égard. Celui-ci n’est pas, en d’autres termes, de nature à affranchir le juge de sa mission de contrôle des mesures de soins contraints, quelle que soit la forme sous laquelle elles sont mis en œuvre (CSP, art. L. 3211-12 et L. 3211-12-1). L’arrêt censure, ensuite, au visa des articles L. 3211-11, L. 3211-12-1, L. 3216-1 et R. 3211-12 du code de la santé publique, l’ordonnance du premier président au motif que « dans le cas où il est saisi, sur le fondement du deuxième de ces textes, pour statuer sur la réadmission en hospitalisation complète d’un patient intervenue en application du premier, le juge peut contrôler la régularité des décisions ayant maintenu le programme de soins qui a été transformé en hospitalisation, à la condition que cette régularité soit contestée devant lui, même pour la première fois en cause d’appel ». Encourt, dès lors que la cassation l’ordonnance qui, « pour rejeter les conclusions de nullité, (…) retient que, dès lors que le juge des libertés et de la détention a statué dans un délai de douze jours après la décision de réintégration du préfet, il ne lui appartient pas de contrôler la procédure de programme de soins antérieure ».

La solution est parfaitement orthodoxe à l’aune des dispositions de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique. Ce texte reconnaît au juge des libertés et de la détention rationae materiae la compétence la plus étendue pour contrôler la régularité des mesures de soins forcés, qu’il s’agisse de soins ambulatoires ou hospitalisations complètes. Le contrôle judiciaire de la décision administrative de réadmission en hospitalisation complète, intervenu en première instance, ne purge donc pas de son éventuelle irrégularité l’arrêté antérieur de maintien de la mesure de soins contraints sous la forme ambulatoire, lequel doit être communiqué au juge à l’occasion du contrôle de la décision de maintien de la mesure de soins psychiatriques, quelle qu’en soit la forme (CSP, art. R. 3211-12).

Par application combinée des articles 902, alinéa 3, du code de procédure civile et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, et après avoir rendu un avis tant remarqué que remarquable relevant de la même problématique dans les procédures à bref délai (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. R. Laffly), la deuxième chambre civile juge « que l’obligation faite à l’appelant de notifier la déclaration d’appel à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué, dans le délai d’un mois suivant la réception de l’avis que le greffe adresse à l’avocat de l’appelant, n’est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration d’appel ».

La situation d’espèce était celle très classique d’une procédure d’appel ordinaire. Le 28 février 2018, l’avocat de l’appelant reçoit par voie électronique l’avis prévu à l’article 902 du code de procédure civile d’avoir à signifier la déclaration d’appel à l’intimé non constitué et celui-ci constitue avocat devant la cour le 8 mars 2018, c’est-à-dire dans le mois ouvert à l’avocat de l’appelant pour notifier à son confrère la déclaration d’appel, ce qu’il ne fait pas. La cour d’appel de Limoges confirme l’ordonnance du conseiller de la mise en état qui avait constaté la caducité de la déclaration d’appel dès lors que l’article 902 « ne donne pas lieu à interprétation » puisqu’il précise en son alinéa 3 qu’« à peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office, la signification doit être effectuée dans le mois de l’avis adressé par le greffe ; cependant, si, entre-temps, l’intimé a constitué avocat avant la signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat ». La deuxième chambre civile casse et annule sans renvoi l’arrêt rendu et dit que l’affaire se poursuivra devant la cour d’appel de Limoges.

Cette dernière, qui avait jugé que le texte ne souffrait pas d’interprétation, est donc censurée et devra juger l’affaire au fond car, précisément, la rédaction hasardeuse de l’article 902 issu du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 donne lieu à interprétation ! La compréhension de l’alinéa 3 était tout sauf évidente du fait de l’emploi combiné d’un point-virgule censé séparer des propositions indépendantes dans une phrase et de l’adverbe « cependant » qui pouvait se rapporter à la sanction de caducité visée en début de phrase.

En effet, comme en témoigne l’avis précité de la Cour de cassation à propos de l’article 905-1 du code de procédure civile, apparu aussi avec ce même décret pour les procédures à bref délai et qui reprend littéralement la même formule (excepté que le délai de signification d’un mois est de seulement dix jours), il avait fallu l’interprétation de la deuxième chambre civile, par la procédure d’avis, pour éclairer avocats et magistrats sur la sanction réellement encourue.

La division qui régnait dans l’interprétation des articles 902 et 905-1 par les cours d’appel témoignait encore de cette confusion : tantôt la structure générale du texte faisait que l’absence de cette diligence devait entraîner la caducité, tantôt, pour d’autres cours, la sanction ne concernait que le défaut de signification et non celui de notification entre avocats et, pour d’autres enfin, si la notification à l’avocat de l’intimé devait être accomplie à titre informatif, elle ne devait pas l’être nécessairement dans le délai de dix jours.

Au regard de l’avis 12 juillet 2018, la solution de la Cour de cassation était donc attendue et l’on se référera à cet avis très didactique et empreint de sagesse puisque la Cour de cassation avait déjà convoqué les règles générales internes issues du décret du 6 mai 2017 et l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Rappelons une dernière fois cette réponse, sous-jacente à la solution laconique donnée par l’arrêt du 14 novembre 2019 mais tout à fait transposable puisque la haute juridiction faisait déjà référence à l’article 902 : « L’obligation faite à l’appelant, par les articles 902 et 905-1 du code de procédure civile, de signifier cette déclaration d’appel à l’intimé tend à remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite de ce premier avis du greffe, en vue de garantir le respect du principe de la contradiction, exigeant que l’intimé ne puisse être jugé qu’après avoir été entendu ou appelé. L’acte de signification de la déclaration d’appel rappelle donc que l’intimé qui ne constitue pas dans les quinze jours suivant cet acte s’expose à ce qu’un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. Une fois que l’intimé a constitué un avocat, cet objectif recherché par la signification de la déclaration d’appel est atteint.

En outre, l’article 905-1 n’impose pas que la notification de la déclaration d’appel entre avocats contienne d’autres informations, sachant, par ailleurs, que l’avis de fixation à bref délai est transmis par le greffe à l’avocat de l’intimé, dès qu’il est constitué, conformément aux articles 904-1 et 970 du code de procédure civile. Dans ces conditions, sanctionner l’absence de notification entre avocats de la déclaration d’appel, dans le délai de l’article 905-1, d’une caducité de celle-ci, qui priverait définitivement l’appelant de son droit de former un appel principal en mettant fin à l’instance d’appel à l’égard de l’intimé et en rendant irrecevable tout nouvel appel principal de la part de l’appelant contre le même jugement à l’égard de la même partie (C. pr. civ., art. 911-1, al. 3), constituerait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge consacré par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

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Le 29 août 2016, un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes qui l’avait débouté des demandes qu’il formulait à l’encontre de son employeur. Une ordonnance du conseiller de la mise en état du 29 octobre 2016 juge son appel irrecevable et l’appelant la défère à la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Dans le même temps, il interjette un deuxième appel, mais une nouvelle ordonnance du conseiller de la mise en état la juge cette fois caduque, décision devenue irrévocable. Qu’importe, le 17 février 2017, le salarié forme une troisième déclaration d’appel. Par arrêt du 23 mars 2017, la cour d’appel statuant sur déféré infirme la première ordonnance du conseiller de la mise en état qui avait jugé irrecevable l’acte d’appel du 29 août 2016. Le salarié notifie alors ses premières conclusions au fond le 25 avril 2017 et, par un nouvel arrêt sur déféré, la cour juge la troisième déclaration d’appel dépourvue d’effet compte tenu de la première du 29 août 2016 mais juge cette dernière caduque en raison de l’absence de conclusions au fond de l’appelant dans le délai de trois mois de l’article 908 du code de procédure civile.

Le demandeur au pourvoi prétendait que l’ordonnance du conseiller de la mise en état qui avait initialement déclaré irrecevable l’appel avait mis fin à la procédure de sorte que le délai pour conclure était interrompu et que la décision de réformation de cette ordonnance par la cour d’appel avait fait courir un nouveau délai à compter de cette décision. Au visa des articles 914 et 916 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la deuxième chambre civile juge « qu’en statuant ainsi, alors que l’ordonnance du conseiller de la mise en état, qui a prononcé l’irrecevabilité de la déclaration d’appel et était revêtue dès son prononcé de l’autorité de la chose jugée, a immédiatement mis fin à l’instance d’appel, de sorte que l’arrêt infirmatif de la cour d’appel, rendu à l’issue d’une procédure de déféré dénuée d’effet suspensif, s’il a anéanti l’ordonnance infirmée, n’a pu, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique, que faire à nouveau courir le délai pour conclure de l’article 908 du code de procédure civile, qui avait pris fin avec l’ordonnance déférée, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La deuxième chambre civile casse et annule ainsi l’arrêt en ce qu’il avait constaté la caducité de la déclaration d’appel du 29 août 2016, dit n’y avoir lieu à renvoi et que l’instance se poursuivra devant la cour d’Aix-en-Provence.

Errare humanum est, perseverare diabolicum. Le célèbre adage que l’on attribue généralement à Sénèque n’a décidément pas sa place en procédure civile ; l’entêtement, pour ne pas dire l’acharnement procédural, paie parfois et le salarié appelant, auteur de trois déclarations d’appel successives, lui préféra la maxime populaire « jamais deux sans trois ». Chacun sait qu’avant l’entrée en vigueur au 1er septembre 2017 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’appelant pouvait toujours, tant que la signification de la décision n’était pas venue fermer son recours, former un nouvel appel principal alors même que sa première déclaration d’appel avait été jugée caduque (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-14.154 ; 22 sept. 2016, n° 15-14.431, Dalloz jurisprudence), réserve faite en cas d’une seconde déclaration d’appel identique à la première, à l’encontre du même jugement et désignant le même intimé, obligeant alors l’appelant à conclure, à peine de caducité, dans le délai de trois mois à compter du premier acte d’appel, et réserve faite encore qu’un second appel est irrecevable tant que la caducité du premier n’a pas été prononcée (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-28.985, Dalloz actualité, 12 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 263 ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero et 11 mai 2017, n° 16-18.464, Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 ). Depuis le 1er septembre 2017, l’article 911-1 nouveau prive l’appelant d’un nouvel appel à l’encontre du même jugement et de la même partie dès lors que sa déclaration d’appel a été antérieurement frappée de caducité ou d’irrecevabilité.

Il faut, pour comprendre le raisonnement de la deuxième chambre civile, se détacher de ces déclarations d’appel successives et se concentrer sur la déclaration d’appel initiale. Car, in fine, le premier appel était bien recevable. L’appelant, il est vrai, n’avait pas mentionné l’intimé sur son premier acte d’appel et seul le contenu de l’acte était dès lors en cause. L’appel ne pouvait ainsi être jugé irrecevable par le conseiller de la mise en état s’agissant d’une simple nullité de forme, ainsi que le juge depuis longtemps la Cour de cassation en pareille occasion (Com. 24 mars 2009, n° 07-21.692, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 9 juin 2017, n° 15-29.346, D. 2017. 1254 ). Mais pour le savoir, il fallut attendre l’arrêt sur déféré de la cour d’appel, infirmant l’ordonnance de son conseiller de la mise en état. Entre temps, l’appelant avait régularisé deux nouveaux actes d’appel, mais aucun jeu de conclusions !

La situation étonne. En pareille hypothèse, face à une irrecevabilité encourue de son acte d’appel, et indépendamment de savoir s’il convient de formaliser un nouvel appel, il est de bon ton de conclure dans son délai de l’article 908 prévu à peine de caducité de la déclaration d’appel. En effet, l’ordonnance du conseiller de la mise en état n’étant, par définition, pas définitive en cas de déféré engagé dans les conditions de l’article 916, les avocats de l’appelant comme de l’intimé prennent la précaution, minimum, d’interrompre leurs délais pour conclure en cas d’infirmation par la cour statuant sur déféré. Ce n’était pas l’option, à risque, choisie par l’appelant, qui décida d’attendre que son appel du 29 août 2016 soit jugé recevable par la cour le 23 mars 2017, soit sept mois plus tard, pour rendre de premières écritures notifiées le 27 avril 2017, soit huit mois plus tard, ou encore cinq mois après l’expiration de son délai prévu à peine de caducité pour conclure !

La cour d’appel ayant jugé la première déclaration d’appel caduque faute pour l’appelant d’avoir conclu dans le délai de trois mois, le moins que l’on puisse dire est que sa situation était mal engagée devant la Cour de cassation. Mais le salarié – persévérant, on l’aura compris – a soutenu devant la Cour de cassation que son délai pour conclure n’avait commencé à courir qu’à compter de l’arrêt déclarant son appel recevable. Et il a triomphé.

Disons-le, on aurait misé bien peu, ou plutôt rien, sur un succès devant la deuxième chambre civile. Faut-il y voir alors un effet du récent changement de sa présidence ? On ne pariera pas non plus ce point. Toujours est-il que la haute cour a estimé, on se plaît à le redire, qu’alors que l’ordonnance du conseiller de la mise en état, qui a prononcé l’irrecevabilité de la déclaration d’appel et était revêtue dès son prononcé de l’autorité de la chose jugée, a immédiatement mis fin à l’instance d’appel, de sorte que l’arrêt infirmatif de la cour d’appel, rendu à l’issue d’une procédure de déféré dénuée d’effet suspensif, s’il a anéanti l’ordonnance infirmée, n’a pu, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique, que faire à nouveau courir le délai pour conclure de l’article 908 du code de procédure civile, qui avait pris fin avec l’ordonnance déférée, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

L’arrêt est à la fois remarquable et étonnant. Remarquable car l’on peut facilement compter (sur les doigts d’une main) les arrêts publiés de la deuxième chambre civile rendus depuis l’entrée en vigueur des décrets Magendie, qui ont retenu l’article 6 de la Convention européenne pour venir au secours des plaideurs. Ce fut le cas avec l’avis du 12 juillet 2018 à propos de la notification entre avocats de la déclaration d’appel, mais la motivation était moins surprenante puisqu’elle reposait notamment sur l’inutilité d’une obligation sanctionnée par une caducité au regard d’une situation procédurale courante (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1558 ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 570, obs. M. Jean ). L’arrêt surprend en tout cas car, dans une telle situation et comme observé supra, les avocats ont pour habitude de ne pas attendre le sort du déféré pour interrompre leurs délais, certaines dates d’audiencement du déféré permettant à la fois à l’appelant et à l’intimé de conclure au fond. Et quand bien même la même affaire fait l’objet de deux numéros de rôle distincts (l’un au fond, l’autre sur déféré), la notification de conclusions dans les délais des articles 908 et suivants est parfaitement possible. C’est encore le principe de célérité, qui gouverne l’esprit des textes et qui a maintes fois été rappelé par la Cour de cassation elle-même, qui permettait de militer pour l’absence d’effet interruptif. Car il s’agit bien de cela, pour la Cour de cassation, le délai pour conclure de l’appelant était interrompu dans l’attente du sort du déféré, lui ouvrant un nouveau délai de trois mois pour conclure.

On cherchera, mais en vain, une disposition légale permettant en pareil cas de retenir une interruption du délai pour conclure dans le code de procédure civile. La Cour de cassation le savait bien et invoqua ce que l’on qualifierait volontiers de tautologie, le « principe de sécurité juridique ». L’appelant pouvait se permettre d’attendre le sort du déféré, sans conclure au fond. On a cependant du mal à comprendre pourquoi l’ordonnance déférée, ayant autorité de chose jugée dès son prononcée et infirmée ensuite par la cour d’appel, interdirait de conclure au fond et, partant, pourrait être une menace sur la sécurité juridique. Et pourquoi cette autorité de la chose jugée d’une ordonnance qui mettrait fin à l’instance d’appel serait une atteinte à la sécurité juridique alors que, dans le même temps, les parties peuvent exercer un recours contre elle et conclure au fond ? La motivation peut s’avérer d’autant plus déroutante que la haute cour n’avait pas habitué les parties et leurs avocats à tant de mansuétude. On ne compte plus (deux mains n’y suffiraient pas), loin de toute conception de sécurité juridique, les arrêts de la deuxième chambre civile écartant l’application de l’article 6 de la Convention européenne ou bien ceux retenant des sanctions de caducité ou d’irrecevabilité, alors même qu’aucune disposition légale ne les prévoyait. Preuve en est que ces sanctions nées d’une construction prétorienne ont, la plupart du temps, été codifiées avec le décret du 6 mai 2017. La prévisibilité de la norme, dit-on, ressort pourtant, elle, du principe de sécurité juridique…

L’appel était en tout cas antérieur à l’entrée en vigueur de ce décret, et l’on pourrait légitimement se poser la question de la pérennité d’une telle jurisprudence au regard du nouvel article 910-1 du code de procédure civile : « les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées, à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l’objet du litige ». Certes, la position de la Cour de cassation pourrait être maintenue, mais l’idée induite par cette disposition n’était-elle pas de mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui permettait d’interrompre les délais pour conclure au fond par la notification de conclusions d’incident, qu’il s’agisse d’une exception de procédure ou d’un incident de nature à mettre fin à l’instance ou d’une fin de non-recevoir, comme l’irrecevabilité de l’appel ?

Il n’est pas si compliqué de conclure au fond lorsque l’on bataille parallèlement sur incident et il nous semble y avoir bien d’autres hypothèses où la sécurité juridique des parties est mise à mal par nos décrets de procédure successifs.

Attendre le sort de l’incident d’irrecevabilité de l’appel, jusque sur déféré, pour conclure au fond nous paraît en tout cas, toujours, un jeu à risque. Mais, on vient de le voir, la chance sourit parfois aux audacieux. Audaces fortuna juvat. Ce salarié était, décidément, plus adepte de Virgile que de Sénèque.

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Bien que la jurisprudence de la Cour de cassation soit déjà très abondante sur les dispositions de l’article R. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution, qu’elle applique avec une extrême rigueur (Civ. 2e, 11 mars 2010, n° 09-13.312, D. 2010. 771, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2102, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; ibid. 2011. 1509, obs. A. Leborgne ; 14 oct. 2010, n° 09-69.580, D. 2011. 1509, obs. A. Leborgne ; 31 mars 2011, n° 10-13.929, D. 2102. 644, obs. H. Adida-Canac, O. L. Bouvier et  L. Leroy-Gissinger ; 25 juin 2015, n° 14-18.967, D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; 28 juin 2018, n° 17-19.894, Dalloz actualité, 10 juill. 2018, obs. G. Payan ; 28 juin 2018, n° 17-19.894, D. 2019. 1306, obs. A. Leborgne ; 28 juin 2018, n° 17-15.054, Dalloz actualité, 11 juill. 2018, obs. G. Payan ; 6 sept. 2018, n° 16-26.059, Dalloz actualité, 24 sept. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 1761 ; AJDI 2019. 300 , obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2018. 972, obs. N. Cayrol ), la décision commentée (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-21.917) en apporte une nouvelle illustration.

Elle s’inscrit dans la lignée de deux arrêts récents.

Dans le premier (Civ. 2e, 22 juin 2017, n° 16-18.343, Dalloz actualité, 11 juill. 2017, obs. L. Camensuli-Feuillard ; D. 2017. 1370 ; ibid. 2018. 1223, obs. A. Leborgne ), la Cour de cassation évoquait pour la première fois le principe repris dans l’arrêt commenté selon lequel la règle posée par l’article R. 331-5 du code des procédures civiles d’exécution: « s’impose à toutes les parties appelées à l’audience d’orientation », sanctionnant le créancier poursuivant, qui, par laisser-aller, n’avait pas répondu au moyen soutenu par le débiteur tiré de la prescription, ni soutenu l’interruption de celle-ci par une autre procédure, pensant pourvoir le faire devant la cour d’appel. Or, n’ayant pas développé ses moyens à l’audience d’orientation, il était irrecevable à le...

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Si la liberté du débiteur en matière d’imputation des paiements est clairement proclamée par le code civil, cette liberté n’est pas absolue, comme le montre un arrêt rendu par la première chambre civile le 27 novembre 2019. En l’espèce, M. et Mme Y… ont, entre 2000 et 2005, contracté plusieurs prêts en vue de l’acquisition de biens immobiliers situés à Courchevel, Annecy et Cannes, auprès d’un établissement de crédit. À la suite d’incidents de paiement, ce dernier a, par lettre du 7 novembre 2012, prononcé la déchéance du terme des prêts. Après différents règlements partiels effectués par les emprunteurs et de nouvelles défaillances de leur part, le prêteur a, par lettre du 9 octobre 2014, de nouveau prononcé la déchéance du terme des prêts. Puis, suivant actes des 18 mars, 13 avril et 4 septembre 2015, il a délivré aux emprunteurs des commandements de payer différentes sommes emportant saisie des biens immobiliers. Ces commandements étant demeurés sans effet, le prêteur a assigné devant le juge de l’exécution les emprunteurs qui ont, notamment, sollicité l’annulation des commandements de payer pour défaut de décompte sincère et vérifiable en l’absence de respect par le prêteur d’ordres d’imputation des paiements et, à titre subsidiaire, invoqué la prescription de l’action en recouvrement des prêts relatifs aux biens situés à Annecy et Cannes, qui a été écartée. Leur demande ayant été rejetée par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 18 mai 2018, ils se pourvurent en cassation, mais la Cour régulatrice considéra « qu’il résulte...

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Si le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu’il paye, quelle dette il entend acquitter, l’exercice de ce droit implique, sauf accord de son créancier, qu’il procède au paiement intégral de cette dette.

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Auteur d'origine: jdpellier

Présentation du projet de décret relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives qui devrait être publié, selon le garde des Sceaux, avant la fin de l’année.

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Auteur d'origine: babonneau

L’action en nullité de l’article 1427 du code civil, par sa nature patrimoniale, se transmet aux héritiers de l’époux victime du dépassement de pouvoir. Elle joue quand un époux dispose à titre gratuit d’une somme d’argent qui, sans preuve d’une propriété en propre, doit être présumée commune par le jeu de la présomption d’acquêt.

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Auteur d'origine: Dargent

La Chancellerie a rendu public un rapport sur la façon dont les cours d’appel ont digéré les différentes réformes de procédure depuis 2009. La mission fait le constat d’un retard problématique dans le traitement des affaires en cours.

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Auteur d'origine: tcoustet

Le point de départ des délais de vingt-quatre et soixante-douze heures impartis pour constater la nécessité du maintien de la mesure est la date de la décision d’admission, quel que soit le lieu de prise en charge du patient admis en soins psychiatriques contraints.

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Auteur d'origine: npeterka

Une équipe de recherche s’est penchée sur le parcours des magistrats. Malgré une féminisation ancienne, l’accès aux plus hauts postes (chefs de juridiction, grade hors hiérarchie) reste inégalitaire, au détriment des femmes. La faute à un corps qui valorise la mobilité permanente.

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Auteur d'origine: babonneau

Le Conseil d’État rejette les requêtes pour excès de pouvoir présentées à l’encontre du décret du 6 mai 2017 par le Conseil national des barreaux, la Fédération nationale des jeunes avocats, l’Ordre des avocats du barreau de Paris et le Syndicat des avocats de France.

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Auteur d'origine: laffly

Les juges ont ordonné la transcription de l’acte d’état civil californien à l’égard du parent d’intention. « Imposer le recours à l’adoption porterait une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant », ont-ils apprécié.

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Auteur d'origine: tcoustet

Dans une affaire dans laquelle les passagers d’une compagnie aérrienne avaient subi l’annulation puis le report du vol aller et le retard du vol retour, la Cour de justice prend position, à propos de la compétence du juge, sur l’articulation du règlement du 11 février 2004 sur l’indemnisation des passagers, du règlement Bruxelles I bis et de la Convention de Montréal sur le transport aérien.

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Auteur d'origine: fmelin

Cette recherche, soutenue par la mission de recherche Droit & Justice, a été dirigée par Yoann Demoli et Laurent Willemez. Elle s’est appuyée sur le fichier des magistrats en poste au 1er janvier 2018. Ils ont également reçu 1 200 réponses à un questionnaire adressé aux magistrats sur leurs parcours et leurs conditions de travail et ont mené des entretiens individuels. Des données qui permettent d’étudier les carrières et les discours.

Un corps élitiste mais qui s’ouvre timidement

Les magistrats viennent très majoritairement des groupes sociaux les plus favorisés. 63 % avaient un père chef d’entreprise, cadre ou d’une profession intellectuelle supérieure. Mais, si on compare à l’étude menée par Jean-Luc Bodiguel dans les années 1980, le corps évolue. Alors qu’il y a trente ans, 10 % des magistrats avaient un père magistrat, ils ne sont plus que 3,8 %. Par ailleurs, les magistrats sont plus souvent enfant de cadres supérieurs du privé (25 %), « marquant une forme d’ouverture à d’autres groupes sociaux favorisés ».

Ces dernières années, le nombre d’enfant d’ouvrier et employé a légèrement augmenté, même s’il reste limité (14 % des magistrats entrés dans le corps depuis 2006 contre 9 % pour la génération 1975-1990). L’ouverture sociale est particulièrement marquée dans les magistrats issus du deuxième concours, d’autant que ce concours permet à des fonctionnaires de catégorie B d’évoluer.

Pour l’origine géographique, Paris et l’ouest de l’Île-de-France restent fortement surrepresentés et la France méridionale sous-représentée. Autre élément notable, l’endogamie : sur cent magistrats en couple, 21 % sont avec un autre magistrat (un taux qui monte à 30 % pour les hommes magistrats).

Siège ou parquet ?

37 % des magistrat·es ont occupé des fonctions au siège et au parquet (17 % uniquement au parquet et 45 % uniquement au siège). Le parquet apparaît comme une fonction bien plus souvent choisie par les hommes que par les femmes. Selon l’étude, les magistrats ayant fait le choix de la spécialisation parquet valorisent des éléments particuliers liés notamment à la fonction de maintien de l’ordre social, au travail d’enquête et à une préoccupation répressive, ce « qui les rapproche des métiers d’ordre sans pour autant s’y identifier ». Le parquet est un travail collectif : 68 % des parquetiers estiment travailler de manière collégiale, quand la moitié des juges des enfants et des juges placés pensent le contraire.

Deux tiers des magistrats affirment travailler en partie chez eux. Des chiffres élevés montrant un rapport particulier au travail. Par ailleurs, 40 % des magistrats disent travailler en soirée plusieurs fois par semaine et 80 % affirment travailler au moins une fois par mois le week-end (13 % tous les week-ends). Ce sont les juges d’instruction et les juges des enfants qui travaillent le plus en soirée.

Un corps féminisé, mais où les femmes ont de moins bonnes carrières

Quelque 66 % des magistrats sont des femmes et elles sont majoritaires dans presque toutes les tranches d’âge : seuls les plus de 65 ans sont majoritairement des hommes. Mais cette féminisation masque de profondes inégalités : les hommes deviennent chefs de juridiction plus jeunes et bien plus fréquemment. Après 40 ans, les hommes sont deux fois plus souvent chefs de cour que les femmes. Après dix-sept années dans le corps, 42 % des hommes âgés de 56 à 60 ans et seulement 29 % des femmes ont accédé au grade hors hiérarchie.

Pour comprendre ces inégalités, les chercheurs ont étudié les déroulés de carrière. Les personnes entrées par le concours externe occupent plus facilement des hauts postes que celles issues des concours internes. Le passage par la Chancellerie accroît fortement l’accès à la hors-hiérarchie, tout comme un détachement : « pour réussir dans la magistrature, il faut en sortir, au moins provisoirement ». Par ailleurs, une forte mobilité fonctionnelle est corrélée négativement à l’accès aux positions les plus prestigieuses : pour accéder à la hors-hiérarchie, mieux vaut se spécialiser.

Au contraire, la mobilité géographique accroît significativement la chance d’accéder aux hautes fonctions. Les magistrats bougent beaucoup : en moyenne, cinq années de carrière s’accompagnent d’un poste supplémentaire. Pour les chercheurs, la « mobilité est une propriété centrale de l’identité magistrate ». Le passage par de multiples fonctions est souvent valorisé dans les discours. Parce que la mobilité permet de rompre avec les routines. Et parce que la propriété principale du droit que portent la plupart des magistrats c’« est de s’adapter de manière omnibus à toutes les situations, d’être un langage à visée universaliste et de régulation globale de l’ensemble de la société ». D’où une « vision très favorable et optimiste de cette polyvalence ». La mobilité est à ce point ancrée qu’elle est défendue par ceux-là même qui semblent en souffrir le plus, en l’occurrence, les chefs de cour, le turn-over désorganisant les juridictions.

La mobilité géographique est au cœur des stratégies d’ascension, avec pour moment central les « transparences » et les « vœux utiles ». Pour monter, il faut bouger, ce qui est parfois difficilement compatible avec la vie familiale (14 % des magistrats se déclarent « célibataires géographiques »). Et ce sont surtout les femmes qui renoncent à cette mobilité géographique. Les femmes ont parcouru en médiane 788 kilomètres depuis leur entrée en fonction, contre 1 060 kilomètres pour les hommes. Les choses sont néanmoins différentes quand les deux conjoints sont magistrats et peuvent mener de concert des stratégies professionnelles parallèles.

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C’est peu dire que le Conseil national des barreaux (CNB), la Fédération nationale des jeunes avocats, l’Ordre des avocats du barreau de Paris et le Syndicat des avocats de France, rejoints par la Conférence des bâtonniers et l’Ordre des avocats du barreau de Valence, avaient fait feu de tout bois contre le décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile. Ce ne sera finalement qu’un feu de paille, les moyens de légalité développés étant, sans grande surprise, tous rejetés par le Conseil d’État.

Les réponses du Conseil d’État renseigneront en tout cas le lecteur sur ce qu’est devenue la procédure d’appel devant nos cours, la garantie du droit d’accès au juge et au procès équitable, la bonne administration de la justice, son efficacité et sa célérité supposées ou attendues.

Passons sur les moyens d’annulation tenant à la légalité externe du décret. On retiendra simplement que le Conseil d’État constate que le garde des Sceaux avait bien consulté, en octobre 2016, le CNB sur un projet de décret relatif à l’appel en matière civile et que si le projet de décret a été modifié après cette consultation, aucune irrégularité ne pouvait être encourue dès lors que celle-ci n’avait pas un caractère obligatoire…

Quant aux moyens de légalité interne, quasiment tous les articles du décret du 6 mai 2017 étaient attaqués. Et tous, n’est-ce pas déjà un peu trop ?

Il était reproché aux articles 83 à 89 du code de procédure civile, qui ont mis fin au contredit pour instaurer un appel-compétence, de méconnaître l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit. Pour le Conseil d’État, les conditions et modalités des appels d’un jugement statuant exclusivement sur la compétence sont claires et sans ambiguïté. Bien que nécessitant une certaine dextérité procédurale de la part du praticien, on ne peut en effet taxer les articles 83 et suivants d’être inintelligibles… bien que la Cour de cassation elle-même ait déjà dû, par un arrêt et un avis du même jour, mettre fin aux premières divergences des cours d’appel qui n’avaient pas la même interprétation quant au caractère obligatoire des textes au regard de la décision de première instance ! (Civ. 2e, 11 juill. 2019, n° 18-23.617, D. 2019. 1499 ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle  ; avis, 11 juill. 2019, n° 19-70.012, Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. C. Bléry).

 

Étaient également attaqués les articles du décret relatifs à l’effet dévolutif de l’appel, c’est-à-dire les articles 542, 561, 562 et 566 du code de procédure civile. En substance, les requérants critiquaient les dispositions du décret qui viseraient à faire de l’appel une « voie de réformation ». Or, si l’appel reste une voie d’achèvement, et non de réformation, et devient avec le décret du 6 mai 2017 plutôt une « voie d’achèvement maîtrisée » du litige (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, JO 10 mai, Dalloz actualité, 12 mai 2017, obs. N. Fricero ; ibid. 29 mai 2017, obs. M. Kebir), la réponse du Conseil d’État est limpide : « la définition de l’office du juge d’appel, telle qu’elle ressort des dispositions du décret attaqué, ne saurait méconnaître, par elle-même, les stipulations de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantissent le droit à un recours effectif. D’autre part, les dispositions critiquées, qui répondent à un objectif de bonne administration de la justice, ne font pas obstacle à ce qu’un jugement en son entier soit critiqué devant le juge d’appel. Elles n’ont ni pour objet ni pour effet d’empêcher qu’une juridiction puisse connaître des demandes du justiciable qui ne sont pas l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions qu’il a soumises au premier juge ».

La critique du nouvel article 901 du code de procédure civile qui prévoit désormais que l’appelant doit aussi mentionner expressément dans la déclaration d’appel les chefs du jugement de première instance qu’il entend critiquer s’inscrivait dans le même schéma, et, sans surprise là encore, le Conseil d’État estime que cet ajout « permet d’assurer l’information immédiate et précise des parties et de la juridiction d’appel sur les données du litige et concourt, par suite, à la bonne administration de la justice. Une telle obligation, qui est définie de manière suffisamment précise, ne constitue pas une contrainte excessive pour les justiciables et leurs conseils, eu égard au délai dont ils disposent pour former appel. Dès lors, l’article 13 du décret attaqué ne porte d’atteinte excessive ni au droit d’accès au juge ni au principe du respect des droits de la défense et n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ».

La haute cour rappelle enfin qu’aucune disposition du décret « n’impose une limitation formelle de la déclaration d’appel. Par suite, si les requérants soutiennent que la taille limitée des supports offerts par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) pour l’enregistrement de la déclaration d’appel est susceptible de faire obstacle au respect de l’obligation prévue par l’article 13 du décret attaqué, les éventuelles difficultés que pourrait soulever sa mise en œuvre sont également sans incidence sur sa légalité. Au demeurant, l’article 930-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction résultant du décret attaqué, autorise, lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, que cet acte soit établi sur support papier et remis au greffe ou adressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ». La référence à l’article 930-1, dont l’alinéa 2 est souvent invoqué par les praticiens, est parfaitement à propos. On ajoutera d’ailleurs que la circulaire de présentation des dispositions du décret du 4 août 2017 émise par la chancellerie indiquait déjà que, « dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe établie sous forme numérique fera ainsi corps avec la déclaration d’appel » (circ. du 4 août 2017, Dalloz actualité, 11 sept. 2017, obs. R. Laffly). Il n’y avait donc pas vraiment grand-chose à espérer de ce côté-là non plus.

 

C’était encore l’article 902 nouveau du code de procédure civile qui était contesté dans sa légalité. Mais pour le Conseil d’État, « la caducité prévue en l’absence de signification de la déclaration d’appel dans le délai imparti tend à assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel avec représentation obligatoire ». On ne compte plus les arrêts de la Cour de cassation qui ont rappelé que les différentes dispositions prévoyant des sanctions de caducité et d’irrecevabilité, pouvant être relevées d’office, ne sont pas contraires à l’article 6 de la Convention européenne et l’on ne peut être étonné de la réponse : « le pouvoir réglementaire, en prévoyant que la caducité de la déclaration d’appel est relevée d’office par le juge, n’a méconnu aucune exigence découlant de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Quant à la considération selon laquelle l’alinéa 3, qui prévoit que, lorsque l’intimé a constitué avocat avant la signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat, méconnaîtrait l’article 6 précité, le Conseil d’État, parfaitement au fait de la jurisprudence de la Cour de cassation, indique que cette obligation n’est pas prescrite à peine de caducité de la déclaration d’appel (les requérants soulevaient aussi la même critique au regard de la rédaction de l’article 905-1). En effet, par avis du 12 juillet 2018, la deuxième chambre civile avait déjà estimé que le délai de dix jours prévu à l’article 905-1 (pendant exact de l’article 902) n’était pas prévu à peine de caducité (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1558 ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 570, obs. M. Jean ), la deuxième chambre civile réitérant cette position, il y a quelques jours et comme on pouvait le pressentir, précisément au sujet de l’article 902 (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-22.167, Dalloz jurisprudence).

L’article 905 et surtout les articles 905-1 et 905-2 du code de procédure civile étaient, bien évidemment, en débat. Mais le Conseil d’État considère qu’« eu égard au caractère des affaires qui, en application de l’article 905 du code de procédure civile, sont soumises à la procédure à bref délai et aux exigences particulières de célérité qui en découlent, les dispositions de l’article 905-1, en fixant les délais prescrits à l’appelant pour accomplir les actes de signification ou de notification et en prévoyant leur sanction automatique, ne privent pas les justiciables de leur droit d’accès au juge ou à un recours effectif et ne méconnaissent pas, par suite, l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

On revient finalement toujours au principe d’autonomie processuelle des États qui ne prive pas le justiciable d’un accès au droit. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappelle toujours sa jurisprudence constante selon laquelle il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes mais seulement de s’assurer que les États contractants qui ont institué une cour d’appel ont bien mis en place une procédure qui offre les garanties prévues à l’article 6. S’agissant du délai d’un mois laissé aux parties pour conclure à peine de caducité ou d’irrecevabilité, il est jugé que les textes « répondent à l’exigence de célérité de la justice et à la nécessité de garantir le droit à un jugement dans un délai raisonnable au regard de la nature des affaires soumises à la procédure de l’article 905 du code de procédure civile. Ces dispositions, qui laissent à chacune des parties une durée raisonnable pour rédiger ses conclusions, ne méconnaissent ni le droit d’accès à un juge ni le principe de respect des droits de la défense et ne sont pas entachées d’une erreur manifeste d’appréciation ». On objectera que ce n’est pas tant le délai raisonnable pour conclure que le délai raisonnable d’audiencement qui est en cause. Or, si la pratique enseigne que le délai raisonnable est généralement effectif devant les cours d’appel lorsque l’affaire est fixée à bref délai, le justiciable se demandera si, dans une procédure classique, la même réponse peut être apportée au regard de délais parfois supérieurs à deux ans, une fois l’ensemble des délais pour conclure expirés, pour obtenir une date d’audience.

Enfin, au visa de ces mêmes articles, il était contesté la possibilité pour le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président d’impartir aux parties des délais encore plus courts (ce qui arrive parfois notamment en matière de procédure collective). Mais, pour le Conseil d’État, « une telle faculté s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle. Par suite, l’Ordre des avocats au barreau de Paris n’est pas fondé à soutenir que le pouvoir réglementaire, en ne fixant pas un délai minimal, n’aurait pas épuisé sa compétence, aurait entaché son appréciation d’une erreur manifeste et méconnu le droit d’accès au juge ». La réalité objective – qui n’est pas celle de la légalité interne – reste toujours la même : l’acceptation par le justiciable de délais toujours plus courts pour conclure présuppose une date d’audience en corrélation, et à tout le moins fixée dans un délai raisonnable.

 

Le nouvel article 910-1 du code de procédure civile qui dispose que « les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l’objet du litige » était lui aussi attaqué. On sait, notamment à la lecture de la circulaire du 4 août 2017 précitée, que cette disposition visait à mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui permettait d’interrompre les délais pour conclure au fond par la notification de conclusions d’incident, qu’il s’agisse d’exception de procédure ou d’incident de nature à mettre fin à l’instance ou de fin de non-recevoir relevant de la compétence du conseiller de la mise en état. Depuis le 1er septembre 2017, les parties doivent également conclure au fond en respectant leurs délais car dans l’hypothèse où l’incident serait définitivement écarté, leurs conclusions seraient nécessairement tardives. Le moyen n’avait donc que peu de chance d’aboutir et la haute cour estime que « les dispositions critiquées, qui tendent à garantir contre des manœuvres dilatoires la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel, ne portent aucune atteinte au droit d’accès à un juge ».

On sait que l’article 910-3 du code de procédure civile, créé par l’article 22 du décret attaqué, avait été sans doute la seule concession faite aux représentants de la profession d’avocat lors de l’élaboration du décret du 6 mai 2017 qui était venu renforcer les sanctions procédurales devant la cour d’appel. Cet article précise qu’en cas de force majeure, le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état peut écarter l’application des sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 911. Pour le Conseil d’État, « le moyen tiré de ce que cette disposition méconnaîtrait l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté », l’arrêt ajoutant que le CNB n’était pas fondé à soutenir qu’en ne permettant pas au magistrat désigné par le premier président de prendre en compte une exception de force majeure dans la procédure à bref délai, l’article 17 du décret attaqué méconnaîtrait le principe d’égalité entre les justiciables et le droit au recours puisque le magistrat désigné par le premier président peut, comme le premier président, écarter l’application des conséquences prévues à l’article 905-2 en cas de force majeure. Il est en effet toujours possible de soutenir devant un juge la force majeure. La difficulté n’est pas là mais plutôt dans le fait que ce nouvel article ne concerne que les délais pour conclure, et aucunement les délais de signification d’un mois imposé à peine de caducité par l’article 902 pour signifier la déclaration d’appel et, surtout, celui de l’article 905-1 nouveau qui le réduit à dix jours à compter de la réception de l’avis de fixation à bref délai. Aussi, non seulement la force majeure est cantonnée aux délais pour conclure mais elle fait figure de leurre puisqu’elle devra impliquer la preuve d’un « événement brutal et imprévisible », revêtir un « caractère incontrôlable » dans sa survenance et ses conséquences (circulaire visée supra du 4 août 2017), conditions jamais remplies comme en témoignent les premières décisions rendues par les cours d’appel au visa de ce texte ou encore le premier arrêt publié de la Cour de cassation sur le sujet (Civ. 2e, 14 nov. 2019, n° 18-17.839, Dalloz jurisprudence).

Le principe de « concentration des prétentions » tel qu’il résulte de l’article 910-4 du code de procédure civile était soumis, aussi, à la censure de la haute juridiction qui rappelle en premier lieu que « l’obligation pour les parties de présenter l’ensemble de leurs prétentions sur le fond dans leurs premières conclusions, destinée à réduire les échanges de conclusions et, par suite, à diminuer le temps d’instruction des affaires, répond à un objectif de bonne administration de la justice ». On ne peut que souscrire à une telle affirmation, réserve immédiatement faite, justement, au regard du temps d’instruction et d’audiencement des affaires en procédure « classique » devant les cours d’appel.

Rappelant la restriction unique des demandes nouvelles, l’arrêt poursuit en observant qu’il n’y a pas d’obstacle à la faculté pour le justiciable de modifier le fondement juridique d’une de ses prétentions ou de soulever des moyens nouveaux au soutien de cette prétention. Dit autrement, l’appel issu du décret du 6 mai 2017 n’est pas un appel voie de réformation. Ainsi, l’obligation de concentrer ses prétentions dans un délai précis ne méconnaît pas le droit à l’accès au juge et le droit au recours garantis tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que le principe du respect des droits de la défense. De là à dire qu’un appel voie de réformation serait contraire à ces principes…

Était attaqué, bien évidemment, serait-on tenté de dire, l’article 911-1 nouveau du code de procédure civile qui dispose que la partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie et que n’est plus recevable à former appel principal l’intimé auquel ont été régulièrement notifiées les conclusions de l’appelant et qui n’a pas formé un appel incident ou provoqué contre le jugement attaqué dans les délais légaux impartis ou dont l’appel incident ou provoqué a été déclaré irrecevable. Pour le Conseil d’État, cette disposition n’est pas affectée d’une incohérence affectant la légalité et ne déroge pas à l’article 385 du code de procédure civile qui précise que « la constatation de l’extinction de l’instance et du dessaisissement de la juridiction ne met pas obstacle à l’introduction d’une nouvelle instance, si l’action n’est pas éteinte par ailleurs ». L’arrêt ajoute que « les dispositions de l’article 911-1 ne privent pas l’intimé ayant formé un appel incident de la faculté de former un appel principal, dès lors qu’il n’est pas forclos pour le faire, lorsque la déclaration d’appel a été frappée de caducité » et que cet article « concourt, avec les autres dispositions du décret attaqué, à assurer l’efficacité de la procédure d’appel ».

On laissera le lecteur juge de l’efficacité de la nouvelle procédure d’appel mais on relèvera qu’une telle assertion trouve ces limites lorsque, précisément, l’appel incident de l’intimé suit le sort de l’appel principal déclaré caduc lorsque celui-ci n’a pas été en mesure de relever appel principal. C’est le cas par exemple lorsque l’appelant interjette appel en fin de délai, privant de facto l’intimé de la possibilité de régulariser à son tour un appel principal et déjouer ainsi une éventuelle caducité qu’il laisserait rendre, sciemment ou non.

Quant à la disposition de l’article 914 du code de procédure civile selon laquelle « les moyens tendant à l’irrecevabilité de l’appel doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été », cette obligation est considérée comme de nature à concourir à assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel avec représentation obligatoire et, « contrairement à ce qui est soutenu par l’ordre des avocats au barreau de Paris, une telle obligation ne méconnaît pas le droit au recours garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

La nouvelle rédaction sur les exigences formelles des conclusions prévues par l’article 954 du code de procédure civile, qualifiées d’atteinte au droit au recours et au droit d’accès au juge, était également mise en cause par les requérants et l’arrêt indique : « Ces dispositions, qui sont applicables dans toutes les procédures d’appel et poursuivent l’objectif d’intérêt général de bonne administration de la justice, énoncent de simples règles formelles tenant à la présentation et à la structuration des conclusions et qui ne sont pas prescrites à peine d’irrecevabilité de l’appel ». Le constat est d’évidence. Pour autant, si la sanction d’irrecevabilité de l’appel stricto sensu n’est pas de mise, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion, par nombre d’arrêts rendus depuis les décrets Magendie, d’approuver les cours d’appel qui avaient sanctionné les conclusions et les dispositifs défaillants au regard des prescriptions de l’article 954.

Étaient en cause l’article 1034 du code de procédure civile qui a réduit de quatre à deux mois le délai de saisine de la juridiction de renvoi après cassation et l’article 1037-1 du code de procédure civile qui prévoit désormais une procédure à bref délai et des sanctions, qui n’existaient pas auparavant, dans la procédure sur renvoi de cassation. Le Conseil d’État répond sans équivoque que, « d’une part, l’application de la procédure à bref délai dans les conditions prévues à l’article 905 du code de procédure civile aux affaires ayant donné lieu à un renvoi à une cour d’appel après cassation, répond, ainsi qu’il a été dit aux points 26 à 28, à une exigence de célérité de la justice et à la nécessité de garantir le droit à un jugement de ces affaires dans un délai raisonnable. D’autre part, il ne ressort pas des pièces des dossiers que le délai de deux mois imparti à l’auteur de la déclaration de saisine et aux autres parties pour rédiger leurs conclusions respectives serait insuffisant. Enfin, la conséquence procédurale tenant à ce que les parties qui ne respectent pas ces délais sont réputées s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé n’est pas disproportionnée au but poursuivi ». Certes, cette procédure nécessite une vigilance toute particulière du praticien, mais de là à entraîner, une fois encore, une méconnaissance du droit d’accès au juge, voire une erreur manifeste d’appréciation… C’est plutôt la piètre qualité rédactionnelle de l’article 1037-1 qui est source de difficultés. On cherchera en tout cas vainement pour quelle raison aurait été caractérisée une atteinte pour le justiciable qui bénéficie depuis le 1er septembre 2017 d’un délai ramené à deux mois à compter de la signification de l’arrêt de cassation pour saisir la cour de renvoi, et ce d’autant plus lorsqu’il doit accomplir certains actes de procédure, y compris sur renvoi de cassation, dans un délai de seulement de dix jours… Le sujet semblait bien ailleurs.

Étaient enfin en question le principe de sécurité juridique et la légalité du décret en son entier, et l’on citera l’ensemble de la réponse du Conseil d’État :

« L’exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Ces mesures transitoires peuvent résider dans le report de l’entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle ».

« L’article 53 du décret du 6 mai 2017 prévoit que ses dispositions s’appliquent à compter du 1er septembre 2017, à l’exception des articles 38 et 52 qui entrent en vigueur le lendemain de la publication du décret. Il résulte des principes régissant l’entrée en vigueur des règles de procédure civile que, par l’effet de cette disposition transitoire, les dispositions du décret relatives au déroulement de l’instance et à l’accomplissement des actes de procédure sont, en principe, applicables à compter du 1er septembre 2017 et régissent ainsi les actes postérieurs à leur entrée en vigueur, sans priver d’effet ni affecter la validité de ceux régulièrement accomplis sous l’empire des règles anciennes. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions de l’article 53 du décret attaqué, faute de préciser la portée les dispositions nouvelles sur les instances d’appel en cours au 1er septembre 2017, méconnaîtraient le principe de sécurité juridique ».

Et d’ajouter :

« En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 14 que l’ensemble des dispositions du décret qui tirent les conséquences de la nouvelle définition de l’office du juge d’appel ne méconnaissent pas la compétence confiée aux cours d’appel par l’article L. 311-1 du code de l’organisation judiciaire. Les dispositions du décret attaqué confiant au conseiller de la mise en état le soin de relever d’office les nullités, irrecevabilités et caducités n’ont ni pour objet ni pour effet de méconnaître la compétence des cours d’appel pour connaître du fond des affaires et, par suite, ne sont, en tout état de cause, pas davantage contraires à cette disposition législative.

En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les délais et obligations procéduraux prévus par le décret pour former appel rendraient impossible un changement d’avocat entre la première instance et l’appel. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait le principe du libre choix de l’avocat doit être écarté.

En dernier lieu, il résulte de tout ce qui précède que l’ordre des avocats au barreau de Paris n’est pas fondé à soutenir que le cumul de l’ensemble des dispositions critiquées du décret porterait atteinte à la substance du droit d’accès à un juge et entacherait le décret d’une erreur manifeste d’appréciation.

Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret qu’ils attaquent. »

Les moyens de légalité invoqués par les requérants semblaient surtout traduire une incompréhension non pas des textes mais du but recherché par ces réformes successives. À l’heure où un nouveau décret réformant la procédure civile de première instance, inspiré du rapport Agostini-Molfessis de janvier 2018, est actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État (v. interview de J.-F. de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau, par L. Dargent, Dalloz actualité, 22 nov. 2019) et devrait entrer en vigueur en janvier 2020, où la commission Nallet, le 13 novembre, puis l’Inspection générale de la justice, le 21 novembre 2019, viennent de remettre leurs rapports respectifs sur le filtrage des pourvois en cassation et le bilan des réformes de la procédure d’appel, il serait sage, enfin, de ne plus penser les réformes de procédure isolément. Alors que le principe de cohérence, d’origine anglo-saxonne, s’est imposé jusque devant la Cour de cassation, c’est ce même principe qui devrait, toujours, guider le législateur dans ses réformes de procédure. Il en va non seulement de la compréhension des textes mais encore de celle de ses acteurs.

La Chancellerie a informé hier les chefs de cour du report de l’entrée en vigueur de la réforme du divorce. Même chose pour la nouvelle assignation à date. Cette décision fait suite à plusieurs appels du pied en ce sens. Ces nouvelles mesures devaient s’appliquer à partir du 1er janvier prochain.

En outre, lors de son congrès de novembre dernier, l’Union syndicale des magistrats en avait déjà fait la demande, estimant que la réforme « allait entraîner une désorganisation importante des juridictions ». 

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L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 6 novembre 2019 (n° N 19-15.198) témoigne des difficultés que peut rencontrer le parent d’intention dans les couples homosexuels lorsque le couple se sépare alors que ce « parent » n’a pas créé de lien juridique avec l’enfant. En l’espèce, la situation est celle d’un couple homosexuel féminin ayant mené à bien un projet parental après plusieurs années de vie commune. Le couple s’est séparé deux ans et demi après la naissance de l’enfant et la mère, Mme C., ne souhaitait pas son ancienne compagne, Mme F., maintienne des liens avec son enfant. Cette dernière a donc agi en justice pour obtenir le maintien de ces liens. La cour d’appel de Rennes ayant rejeté ses demandes, elle a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel elle a formulé la QPC sur laquelle se prononce l’arrêt sous examen.

Rappelons que le mécanisme de la QPC est désormais connu. Pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Comme le relève la Cour de cassation, en l’espèce, les deux premières conditions étaient indubitablement réunies. C’est sur le dernier critère que les juges fondent leur refus. Après avoir affirmé que la question n’était pas nouvelle, ils sont revenus sur chacun des principes invoqués au soutien de l’inconstitutionnalité du texte pour justifier l’absence de sérieux de la question.

La QPC examinée reposait principalement sur le fait que l’article 371-4 du code civil ne prévoit, pour le parent d’intention ou le parent de fait, selon les expressions utilisées par l’auteur de la QPC, aucune obligation de maintenir des liens avec l’enfant qu’il a élevé, et, symétriquement, ne lui confère pas de droit de visite et d’hébergement de principe. Il s’agissait donc de reprocher implicitement à cet article de ne pas reconnaître à ce « parent » les mêmes droits et devoirs en matière de maintien des relations avec l’enfant qu’il a élevé que ceux reconnu au père ou à la mère dont le lien de filiation a été juridiquement établi.

Trois atteintes différentes justifiaient la QPC selon son auteur : une atteinte à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant garantie par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, une atteinte au principe d’égalité tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et enfin une atteinte au droit à la vie familiale normale de l’enfant et de son parent de fait garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. La Cour de cassation va balayer successivement chacun de ces arguments.

En ce qui concerne l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, il importe de rappeler que si la notion d’intérêt (supérieur) de l’enfant est désormais omniprésente en jurisprudence, l’exigence de protection de cet intérêt n’a été que très récemment consacrée par le Conseil Constitutionnel. Elle résulte en effet d’une décision du 21 mars 2019 (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC, AJDA 2019. 662 ; ibid. 1448 , note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs. , note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire ; Constitutions 2019. 152, Décision ; V. égal., H. Fulchiron, La constitutionnalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant, D. 2019. 709) : « Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ». L’auteur de la QPC faisait donc usage de cette décision récente pour critiquer la constitutionnalité de l’article 371-4 au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’argument était néanmoins très facile à évacuer : l’article 371-4 précise spécifiquement que c’est l’intérêt de l’enfant qui dicte la fixation des modalités des relations entre l’enfant et un tiers, parent ou non, « en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ». Ainsi, depuis la loi sur le mariage pour tous (Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe), le législateur a spécifiquement pris en considération la situation de l’homme ou de la femme qui, sans être lié à lui juridiquement, a contribué à élever un enfant et il a expressément fait de l’intérêt de cet enfant le critère du maintien des liens avec cet homme ou cette femme. On comprend bien qu’il reste une différence substantielle dans le maintien des relations avec l’enfant entre le « parent juridique » et le « parent de fait ». Dans le premier cas, le législateur présume que ce maintien est dans l’intérêt de l’enfant puisqu’il pose le principe du maintien sauf en cas de motifs graves (C. civ., art. 373-2-1 et 373-2-9). Dans le second, le législateur présume le contraire puisqu’il n’impose pas le maintien des relations mais permet simplement ce maintien quand il est dans l’intérêt de l’enfant. Il reste que, dans tous les cas, c’est bien l’intérêt de l’enfant qui est au cœur du maintien des relations et qu’il était donc difficilement soutenable que l’article 371-4 porte atteinte à l’exigence de protection de cet intérêt.

En ce qui concerne un éventuel non-respect du principe d’égalité, il fait référence au principe de l’égalité entre les citoyens exprimé, notamment, à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et peut naturellement être invoqué dans le cadre d’une QPC (Cons. const. 9 juill. 2010, n° 2010-13 QPC, AJDA 2010. 1398 ; ibid. 2324 , note E. Aubin ; D. 2010. 2056, entretien S. Slama ; ibid. 2011. 1509, obs. A. Leborgne ; Constitutions 2010. 601, obs. O. Le Bot ).

Mme F. soutenait que « l’article 371-4 du code civil qui ne prévoit pas d’obligation, pour le parent d’intention, de maintenir ses liens avec l’enfant qu’il a élevé, contrairement à l’enfant issu d’un mariage entre des personnes de même sexe, ayant fait l’objet d’une adoption […] opère ainsi une distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple parental », ce qui constituerait une atteinte au principe d’égalité. La réponse de la Cour de cassation ressemble à une esquive : « ce texte n’opère en lui-même aucune distinction entre les enfants, fondée sur la nature de l’union contractée par le couple de même sexe, cette distinction résultant d’autres dispositions légales selon lesquelles la création d’un double lien de filiation au sein d’un couple de même sexe implique, en l’état du droit positif, l’adoption de l’enfant par le conjoint de son père ou de sa mère ».

Une lecture rapide laisserait penser que la Cour de cassation pourrait admettre qu’il existe une atteinte au principe d’égalité mais que cette atteinte ne résultant pas du texte visé, celui-ci ressort indemne de l’examen. Une telle lecture serait sans doute erronée. On sait que la Cour de cassation a régulièrement rappelé que les couples non mariés se trouvaient dans une situation différente de celle des couples mariés et que cela justifiait une différence de traitement, notamment à l’égard de l’adoption, différence qui n’a été jugée contraire au principe d’égalité, ni par le Conseil Constitutionnel (Cons. const. 6 oct. 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B., n° 2010-39 QPC, AJDA 2011. 705, tribune E. Sagalovitsch ; D. 2010. 2744, obs. I. Gallmeister , note F. Chénedé ; ibid. 2011. 529, chron. N. Maziau ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert ; AJ fam. 2010. 487, obs. F. Chénedé ; ibid. 489, obs. C. Mécary ; Constitutions 2011. 75, obs. P. Chevalier ; ibid. 361, obs. A. Cappello ; RTD civ. 2010. 776, obs. J. Hauser ; ibid. 2011. 90, obs. P. Deumier ; Dr. fam. 2010, Repères 10, obs. V. Larribau-Terneyre) ni par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 15 mars 2012, n° 25951/07, Gas c/ France, AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 1241, obs. I. Gallmeister , note A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 2013. 663, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 220, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 163, point de vue F. Chénedé ; RTD civ. 2012. 275, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 306, obs. J. Hauser ; JCP 2012, n° 589, obs. Gouttenoire et Sudre). Or, cette jurisprudence existait à une époque où les couples homosexuels n’avaient pas la possibilité de se marier, ce qui leur fermait définitivement l’accès à l’adoption conjointe et la possibilité d’adopter l’enfant de l’autre. On peut donc imaginer que la réponse de la Cour de cassation serait la même si la question lui était posée sur le fondement de l’article 343 du code civil (qui réserve l’adoption plénière aux couples mariés) ou de l’article 345-1 du même code (qui prévoit l’adoption plénière de l’enfant du conjoint, réservant par là cette adoption aux couples mariés) alors même que, désormais, les couples de même sexe peuvent se marier et donc adopter ensemble ou adopter l’enfant de l’autre selon les mêmes règles que pour un couple marié hétérosexuel. On ajoutera qu’en réalité, en ce qui concerne le maintien des liens avec l’enfant, la distinction repose plus simplement sur établissement ou non du lien de filiation (v. supra), indépendamment du statut du couple et il paraît difficile de prétendre traiter de la même manière un « parent de fait » et un parent dont le lien de filiation est juridiquement établi, au nom du principe d’égalité.

Concernant enfin le principe du droit de mener une vie familiale normale, fondé sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 – « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires de leur développement » –, il est un fondement classique (en concurrence avec l’art. 8 de la Conv. EDH) des demandes visant à assurer la vie commune d’une personne avec ses enfants et le Conseil constitutionnel a déjà admis qu’il puisse être invoqué au soutien d’une QPC (Cons. const. 6 oct. 2010, préc.).
Pour l’auteur de la QPC, « l’article 371-4 du code civil, qui ne prévoit pas que le parent d’intention ait l’obligation de maintenir ses liens avec l’enfant qu’il a élevé, et symétriquement, qui ne lui confère pas un droit de visite et d’hébergement de principe, et qui permet ainsi la rupture irrémédiable de leur relation, sans qu’un motif grave ne le justifie, méconnaît le droit à la vie familiale normale de l’enfant et de son parent de fait […] ». On aurait pu s’attendre à une discussion sur la notion même de vie familiale normale en l’absence de lien de filiation entre Mme F. et l’enfant. Ce n’est pourtant pas sur ce terrain que se place la Cour de cassation qui répond lapidairement que « l’article 371-4 du code civil, qui tend, en cas de séparation, à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant et le maintien des liens de celui-ci avec l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père, lorsque des liens affectifs durables ont été noués, ne saurait méconnaître le droit de mener une vie familiale normale ». Cela laisse donc entendre qu’il existe bien « un droit de mener une vie familiale normale » entre l’enfant et son parent de fait (en ce sens, implicitement déjà, Cons. const. 6 oct. 2010, préc. § 8) mais que ce droit ne saurait être atteint dès lors que sa mise en œuvre dépend de l’intérêt de l’enfant.

Le refus de transmission de la QPC en question semble donc difficilement contestable. Admettre l’une des atteintes soulevées reviendrait à considérer qu’il ne devrait pas y avoir de différence entre un parent juridique et un parent de fait. Si on souhaite changer les choses, c’est sur la possibilité d’établir un double lien de filiation qu’il faut agir. Le législateur a fait un pas important en ce sens en permettant aux couples homosexuels de se marier et donc de fonder une famille via l’adoption. Il semble d’ailleurs déterminé à aller plus loin en permettant l’établissement d’un double lien de filiation en cas de recours à une procréation médicalement assistée dans les couples de femmes. Le mariage ne serait alors plus la seule voie pour établir un lien de filiation pour ces « parents de fait » qui ont bâti leur projet parental avec la mère de l’enfant.

L’article 371-4 gardera néanmoins toute son utilité, après séparation du couple, pour tous ceux qui n’auront pas établi le lien de filiation avec l’enfant qu’ils auront élevé.

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L’arrêt de cassation rendu par la première chambre civile en date du 6 novembre 2019 (n° 18-19.128) intrigue : pour arriver à une solution pratique plutôt convaincante, les juges ont choisi des fondements théoriques… beaucoup moins convaincants !

En l’espèce, à l’occasion du divorce de M. T. et de Mme M., une ordonnance en la forme des référés avait fixé la résidence de leurs enfants chez cette dernière et mis à la charge de M. T. une contribution à leur entretien et à leur éducation. À peine quelques mois plus tard, le 26 novembre 2014, M. T. a saisi le juge aux affaires familiales d’une demande tendant à ce que soit constatée son impécuniosité et visant, en conséquence, à la suppression de toute contribution. On comprend, à la lecture de l’arrêt, que le juge aux affaires familiales saisi a bien examiné cette demande et qu’un appel a été formé.

Or la cour d’appel, après avoir rappelé que seule la survenance d’un élément nouveau depuis la précédente décision pouvait justifier une nouvelle saisine, a déclaré la demande de M. T. irrecevable aux motifs que les faits invoqués étaient postérieurs au dépôt de la requête et donc impropres à permettre la recevabilité de celle-ci. M. T. s’est pourvu en cassation. La Cour de cassation casse alors l’arrêt d’appel au visa des articles 371-2, 373-2-2 et 1355 du code civil ainsi que de l’article 480 du code de procédure civile. Elle reproche aux juges du fond de ne pas s’être placés au jour où ils statuaient pour apprécier la survenance de circonstances nouvelles.

Pour apprécier la décision de la Cour de cassation, il convient de rappeler rapidement quelques fondamentaux sur l’articulation des articles visés par l’arrêt sous examen. Si les articles 371-2 et 373-2-2 du code civil concernent l’obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et affirment que la fixation de cette contribution dépend des besoins de l’enfant et des ressources des parents, les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile sont quant à eux relatifs à l’autorité de la chose jugée.

En vertu de la théorie de l’effet négatif de la chose jugée, il n’est en principe pas possible de demander à un tribunal de statuer de nouveau sur une « même affaire », celle-ci étant comprise comme une demande fondée sur la même cause, entre les même parties et ayant le même objet (sur cette règle de la « triple identité », v. not., Rép. pr. civ., v° Chose jugée, mars 2018, par C. Bouty, §§ 569 s. ; N. Fricero, Droit et pratique de la procédure civile, S. Guinchard (dir.), Dalloz Action , 2017-2018, spéc. §§ 421.91 s.). Il est toutefois de jurisprudence constante que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée à un plaideur lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice (pour des affirmations récentes, Civ. 2e, 10 juill. 2008, n° 07-14.620, RDC 2008.1289, obs. Serinet ; Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.280, Dalloz actualité, 4 mai 2015, obs. M. Kebir ; Gaz. Pal. 16 juin 2015, p. 20, obs. C. Bléry).

Cela a été très tôt admis pour des pensions alimentaires (Civ. 2e, 27 juin 1985, n° 84-12.673, JCP 1986. II. 20644, note Lindon et Bénabent ; Civ. 1re, 16 juin 1993, n° 91-19.904, RTD civ. 1993. 816, obs. J. Hauser ; LPA 1994, n° 8, p. 18, note Massip ; Defrénois 1993. 1360, obs. Massip : « la décision judiciaire fixant une pension alimentaire ne possède l’autorité de la chose jugée qu’aussi longtemps que demeurent inchangées les circonstances au regard desquelles elle est intervenue, et une demande en révision peut être soumise aux tribunaux dès lors qu’apparaissent des éléments nouveaux »). D’une manière générale, le domaine des « affaires familiales » (exercice de l’autorité parentale, résidence de l’enfant, contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant…), est considéré comme une matière « évolutive » dans laquelle les faits nouveaux susceptibles de justifier la modification d’une mesure déjà prise sont assez courants (en ce sens : C. Bouty, préc., §§ 457 et 628). On notera d’ailleurs que le code civil lui-même affirme dans son article 373-2-13 que les décisions portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale « peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge ».

Il est donc acquis que si les décisions rendues en matière de contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant bénéficient de l’autorité de la chose jugée, une partie peut néanmoins en demander la modification dès lors qu’elle peut se prévaloir de l’existence de faits nouveaux, c’est-à-dire de faits intervenus depuis la décision remise en cause. On pourrait dire que, jusque-là, la cour d’appel et la Cour de cassation sont d’accord…

La difficulté, en l’espèce, était que les faits invoqués devant la cour d’appel pour justifier la demande de modification – la situation de Mme M. s’était améliorée, M. T. avait fondé une nouvelle famille – dataient de 2016 et 2017, c’est-à-dire qu’ils étaient postérieurs à la demande. Pour le dire plus clairement, au moment où M. T. a déposé sa demande, il n’avait, semble-t-il, aucun élément nouveau à faire valoir par rapport à la décision fixant sa contribution. En revanche, ces éléments existaient au moment où la cour d’appel a statué sur cette demande.

C’est ici que les raisonnements de la cour d’appel et de la Cour de cassation divergent.

Pour la cour d’appel, il convenait d’analyser la recevabilité de la requête au moment de son dépôt. À cette date, M. T. n’avait pas de faits nouveaux à faire valoir, sa requête devait donc être déclarée irrecevable.

Pour la Cour de cassation, des éléments nouveaux existaient bien au moment où la cour d’appel a statué ce qui obligeait celle-ci à les prendre en considération et donc à déclarer la requête recevable.

Disons-le tout de suite, d’un point de vue pratique, la solution de la Cour de cassation a du sens. Si les éléments avancés par M. T. sont avérés, ils constituent bien des faits nouveaux justifiant un nouvel examen de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et renvoyer M. T. à recommencer la procédure depuis le début, au bout de cinq ans, aurait quelque chose d’absurde et ferait perdre un temps considérable à l’ensemble des personnes concernées, magistrats compris. Une bonne administration de la justice suffirait donc à justifier une solution d’espèce. Pourtant, la Cour de cassation a opté pour un visa bien fourni et a choisi de donner une large diffusion à son arrêt (F-P+B+I). Il importe donc de tenter de comprendre sa démarche dont, il faut l’avouer, la logique juridique ne nous apparaît pas clairement…

Ce qui interpelle dans le raisonnement de la Cour de cassation c’est que sa solution est rendue aux visas des articles 371-2 et 373-2-2 du code civil d’une part et 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile d’autre part. Comme cela a été rappelé, la combinaison de ces articles justifie pleinement qu’une décision sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant soit rapportable en cas de fait nouveau mais on ne voit pas en quoi elle invaliderait le raisonnement tenu par la cour d’appel.

La question de la recevabilité telle qu’elle était posée aux juges, compte tenu de la chronologie des faits de l’espèce, était la suivante : à quel moment s’apprécie l’existence de faits nouveaux quand il s’agit de décider de la recevabilité de la demande de modification ?
Il nous semble qu’une telle question, à laquelle ne répondent pas les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile, impliquerait plutôt que l’on se tourne vers les articles du code de procédure civile consacrés aux fins de non-recevoir. L’article 122 du code de procédure civile dispose ainsi que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande […] tel […] la chose jugée ».

Or, Mme M. essayait bien ici de faire valoir une telle fin de non-recevoir. En la matière, si le principe – mis en œuvre par la cour d’appel – est que la recevabilité d’une requête s’apprécie au moment de l’exercice de l’action, c’est-à-dire au jour de l’introduction de la demande (en ce sens, Rép. pr. civ., v° Action en justice, Dalloz, juin 2019, et la jurisprudence citée, par N. Cayrol, spéc. § 228) et que les circonstances postérieures sont donc normalement indifférentes (Civ. 2e, 9 nov. 2006, n° 05-13.484, Dr. et pr. 2007. 54 ; Com. 6 déc. 2005, n° 04-10.287, D. 2006. 67 , obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2006. 570, note A. Cerati-Gauthier ; RTD civ. 2006. 604, obs. P. Théry ; RTD com. 2006. 141, obs. P. Le Cannu ), celles-ci doivent toutefois être prises en considération si elles emportent régularisation.

En effet, l’article 126 du même code précise que « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». En l’espèce, la cause de l’irrecevabilité – qui résidait dans l’effet négatif de la chose jugée, faute d’élément nouveau au moment de la demande – avait disparu au moment où la cour d’appel statuait, puisque, à ce moment-là, des faits nouveaux étaient intervenus permettant d’écarter l’effet de la chose jugée.

On constate alors qu’il était possible à la Cour de cassation de casser l’arrêt d’appel sur ce fondement, plus approprié semble-t-il, ce qui aurait abouti au même résultat. L’opportunité lui en était du reste donnée par le pourvoi lui-même qui invoquait la violation de l’article 126 dans la troisième branche de son unique moyen.

Pourtant, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel sur le fondement des deux premières branches qui invoquaient bien une violation des articles 371-2 et 373-2-2 du code civil sans toutefois évoquer les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile. La Cour a donc délibérément refusé d’appliquer l’article 126 du code de procédure civile invoqué par la troisième branche du moyen pour se fonder sur des articles qui n’étaient pas évoqués dans les deux premières branches. On ne trouve trace de l’article 480 du code de procédure civile que dans la décision de la cour d’appel (et, on l’imagine, dans les conclusions de Mme M.), ce qui peut, certes, justifier sa reprise par la Cour de cassation qui casse son arrêt mais il reste qu’il aurait pu (dû ?) être combiné avec l’article 126 du même code.

On a l’impression que la Cour de cassation a surtout voulu réaffirmer le principe selon lequel, en matière de contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, comme dans tous les domaines dans lesquels une décision repose sur les facultés contributives des parties, le juge doit se placer au jour où il statue pour apprécier ces dernières (V. déjà, Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-17.002 ; 7 oct. 2015, n° 14-23.237, D. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 676, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2016. 96, obs. J. Hauser ; 18 janv. 2017, n° 16-10.809). Il n’empêche que fonder la recevabilité de la demande de modification sur les articles choisis donne la désagréable impression de privilégier, inutilement en l’espèce, la discussion au fond sur la rigueur de forme : une sorte de recevabilité à tout prix.

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Cet arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) nourrit la réflexion sur le principe d’impartialité dont les deux versants ont été dégagés par le célèbre arrêt Piersack contre Belgique (CEDH 1er oct. 1982, Piersack c. Belgique, § 30, série A n° 53, AFDI 1985. 415, obs. Coussirat-Coustère ; JDI 1985. 210, obs. Rolland et Tavernier).

D’un côté, le versant subjectif, qui renvoie au parti pris du juge, c’est-à-dire à tout ce qui démontre qu’il ne peut connaître de façon totalement neutre d’un contentieux qui lui est soumis. Il s’agit de s’intéresser à ses prises de position, passées ou actuelles, mais aussi à ses croyances personnelles ou ses convictions.

De l’autre, le versant objectif, qui a trait non aux croyances mais aux apparences. Il s’agit d’une approche organique qui « consiste à dénoncer le “pré-jugement” plutôt que le “préjugé” du juge, à rechercher si l’impartialité est assurée dans le fonctionnement même de la juridiction, indépendamment des convictions personnelles du juge ou de son attitude » (R. de Gouttes, L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité, RSC 2003. 63 ). Il suffit qu’objectivement, un doute puisse naître quant à la faculté du juge de connaître de l’affaire en toute neutralité pour arguer d’un défaut d’impartialité objective.

De quoi était-il question en l’espèce ? D’une querelle entre un juge et un avocat survenue à l’occasion d’une banale affaire civile. Au cours de celle-ci, une partie avait été représentée par un avocat qui arguait que le juge saisi, siégeant seul, avait laissé l’avocat adverse harceler son client et que, lorsqu’il avait essayé d’intervenir, ce juge s’était montré insultant, puis menaçant. Il l’avait finalement condamné pour outrage à magistrat.

Dans le procès-verbal d’audience, il indiquait que le représentant avait insulté l’avocat adverse et qu’il avait eu un comportement perturbateur. Le représentant le contestait fermement et critiquait à son tour le comportement du juge. Au cours de l’audience, il a formé une demande de récusation qui fut rejetée, le jour même, par un autre juge selon qui aucun motif de récusation prévu par le droit interne n’était rapporté. Il avait exercé un certain nombre de recours pour contester ce rejet mais sans succès. Pendant ce temps, la procédure civile s’était soldée par… un règlement amiable.

Ce n’était cependant pas suffisant pour apaiser l’ire du conseil, qui porta l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il invoquait notamment l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et le droit à un procès équitable qu’il consacre. Selon lui, le juge s’était montré partial et avait favorisé la partie adverse.

La réponse de la Cour européenne des droits de l’homme, en anglais, se scinde en plusieurs parties. Elle commence par les fondamentaux. Elle rappelle, d’une part, la nécessité que les tribunaux d’une société démocratique « inspirent confiance ». Partant, s’il existe des raisons légitimes de craindre qu’un juge manque d’impartialité dans une affaire, il lui appartient de se déporter. Elle énonce, d’autre part, que l’impartialité s’apprécie selon une démarche tant subjective qu’objective. Elle poursuit avec les spécificités du cas d’espèce. En l’occurrence, le requérant alléguait que le juge avait manqué d’impartialité en raison de leur altercation (impartialité subjective) et parce que ce magistrat avait porté contre lui des accusations sur lesquelles il avait lui-même statué (impartialité objective).

Pour le premier versant, la Cour européenne observe que le requérant a exercé tous les recours dont il disposait pour contester le manque d’impartialité qu’il reprochait au juge mais sans succès. Les juges ont rejeté les arguments du requérant, sans aucune analyse ou véritable vérification des faits. En particulier, la demande avait été rejetée par un autre juge dont la décision ne comportait aucune observation sur les allégations de partialité et ne mentionnait aucun fait contredisant la version du requérant. En outre, la cour saisie du pourvoi s’était bornée à confirmer la décision de la juridiction inférieure, sans plus de précisions. La CEDH en déduit que, du point de vue d’un observateur extérieur, pareille situation pouvait légitimement susciter des préoccupations quant à un possible manque d’impartialité du juge mis en cause.

En ce qui concerne l’impartialité objective, la Cour européenne souligne que le juge a cumulé les fonctions de procureur et de juge dans la procédure pour outrage à magistrat dirigée contre le requérant. Il n’existait pas de garanties suffisantes pour exclure toute crainte légitime quant aux conséquences d’une telle procédure sur l’impartialité du juge en question.

Il n’en fallait pas plus à la Cour européenne pour conclure à une violation de l’article 6, § 1, s’agissant de l’impartialité du juge querelleur.

La solution adoptée illustre ce qui unit au fond les deux versants de l’impartialité.

Sur la question de l’impartialité objective, la position est très classique. Elle tient au rappel de la méconnaissance de l’impartialité objective en cas de cumul des fonctions de poursuites et de jugement dans la procédure en cause. La Cour européenne proscrit traditionnellement qu’une juridiction exerce à la fois une autorité de poursuite et de jugement dans le cadre de cette affaire. Dès l’arrêt Piersack du 1er octobre 1982, elle a affirmé l’incompatibilité des fonctions du siège et du parquet en se référant à l’exigence d’impartialité organique du juge. Si les juges de Strasbourg refusent une telle confusion, c’est parce qu’ils refusent qu’un doute puisse naître sur la neutralité de l’organe de jugement. Or, lorsqu’après avoir occupé une fonction de poursuite, un même magistrat se trouve saisi de la même affaire en qualité de juge du siège, « les justiciables sont en droit de craindre qu’il n’offre pas suffisamment de garanties d’impartialité » (F. Bussy, Nul ne peut être juge et partie, D. 2004. 1745 ). Il n’est pas question de la faculté réelle du juge à traiter objectivement du dossier mais des apparences de partialité que crée son positionnement. Au fond, cette exclusion n’est rien d’autre que l’application de l’adage nemo judex in causa sua (nul ne peut être à la fois juge et partie). Celui qui poursuit ne peut juger (v. Rép. pr. civ., v° Récusation et renvoi, par S. Ben Hadj Yahia, n° 73). La formule est connue de longue date (v. H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 1999, n° 256) et permet de faire obstacle à l’arbitraire du juge qui, prenant l’initiative de l’introduction de l’instance, est susceptible de nourrir un préjugé sur l’issue de l’affaire dont il aurait à connaître (F. Eudier, « Le juge civil impartial », in Mélanges B. Mercadal, 2002, éd. Francis Lefebvre, p. 36).

S’agissant de l’impartialité subjective, la démarche de la Cour européenne des droits de l’homme est plus intéressante. Celle-ci formule un reproche non pas seulement quant à la façon dont le juge s’est comporté dans la conduite de l’instance – et de l’altercation qui l’a opposé à l’avocat, mais aussi, et surtout, quant à la façon dont le grief soulevé par l’avocat a été traité aux différents stades de la procédure. En particulier, c’est le fait d’avoir confirmé la décision de condamnation sans prendre soin d’énoncer le moindre motif qui conduit la Cour européenne à constater une violation du principe d’impartialité. Cette attitude témoignait d’une trop grande légèreté de la juridiction de recours dans le traitement du reproche que formulait la partie condamnée au juge l’ayant condamnée. Aucune analyse, aucune véritable vérification des faits à l’origine de la querelle, aucun motif justifiant la condamnation. Ainsi appréhendée, la solution adoptée par la Cour européenne s’appuie surtout sur l’impression qu’un tel comportement pouvait avoir sur le plaideur. Elle repose sur l’idée que ce dernier pouvait légitimement douter de la parfaite neutralité du juge. Il n’était pas abusif de mettre en doute l’impartialité subjective de ce dernier. Plus précisément, la CEDH souligne que, du point de vue d’un observateur extérieur, pareille situation pouvait légitimement susciter des préoccupations quant à un possible manque d’impartialité subjective du juge mis en cause. En faisant ainsi référence à ce regard extérieur, elle suggère que ce sont les apparences qui conduisent à retenir un manquement à l’impartialité subjective.

Cela démontre à notre sens deux choses. Premièrement, la difficulté d’appréhension du versant subjectif de l’impartialité. Celle-ci concerne le for intérieur du juge, certes, mais il est bien illusoire de prétendre sonder les reins et les cœurs de chacun d’eux pour mesurer leur degré de neutralité. Le seul moyen de s’assurer de leur impartialité est de s’attacher au visible, c’est-à-dire à ce que le juge laisse transparaître par son attitude. Deuxièmement, c’est parce que l’apparence est toujours le prisme par lequel s’apprécie l’impartialité que la distinction entre impartialité objective et subjective n’a jamais été satisfaisante. La Cour européenne des droits de l’homme avait elle-même admis que la frontière entre ces deux versants était difficilement praticable (CEDH 15 janv. 2008, Micallef c. France, req. 17056/06, AJDA 2010. 997, chron. J.-F. Flauss ; RTD civ. 2010. 285, obs. J.-P. Marguénaud ) en s’orientant vers une distinction davantage centrée sur la fonction, d’un côté - impartialité fonctionnelle -, et la personne, de l’autre - impartialité personnelle - (CEDH 6 juin 2000, Morel c. France, req. n° 34130/96, D. 2001. 339 ; ibid. 328, chron. C. Goyet ; ibid. 1062, obs. N. Fricero ; ibid. 1610, obs. M.-L. Niboyet ; RTD civ. 2000. 934, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD com. 2000. 1021, obs. J.-L. Vallens ).

Cet arrêt rappelle en définitive que c’est à travers le comportement tangible et extériorisé que s’apprécie l’impartialité du juge, qu’elle soit objective ou subjective. La démarche n’est ni anodine ni superficielle car elle conditionne la confiance que peut porter le justiciable en son juge, et donc la légitimité de son intervention : « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (v. aussi CEDH 26 oct. 1984, req. n° 9186/80, De Cubber c. Belgique, § 26).

Le ton se durcit entre la Chancellerie et les organisations professionnelles. L’Union syndicale des magistrats (USM), le syndicat de la magistrature (SM) et la Conférence des bâtonniers ont adressé une lettre conjointe au Conseil supérieur de la magistrature le 15 novembre. Ils s’inquiètent de « la réorganisation judiciaire » et notamment des « critères de suppression » des postes de juges d’instruction.

L’affaire renvoie aux révélations du Canard Enchainé de début novembre. La Chancellerie envisageait, en effet, par courriel, d’ajuster les suppressions en fonction des résultats locaux du parti LREM aux élections municipales.

« La suspicion s’installe donc et il nous est apparu nécessaire que le Conseil supérieur de la magistrature soit officiellement saisi et s’empare de cette difficulté en sa qualité d’organe chargé par la Constitution, notamment d’assister le chef de l’État sans sa fonction de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire », expliquent les auteurs de la saisine.

Le Conseil national des barreaux (CNB) a fait savoir qu’il se joint aux craintes exprimées. L’institution a voté une motion en ce sens le 16 novembre.

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L’arrêt rendu par la première chambre civile le 7 novembre 2019 est déjà largement diffusé. Au-delà même de sa mention P+B+I, il est depuis près de deux semaines l’objet de vives discussions entre professionnels. Il faut dire que l’enjeu est de taille : le domaine ratione materiae du contrôle du juge judiciaire en matière de soins psychiatriques sans consentement.

L’arrêt a ceci de particulier qu’il est très court et ne répond à aucun des deux moyens soulevés par le pourvoi puisqu’il opère par substitution de motifs en application de l’article 620, alinéa 1, du code de procédure civile. Or le rejet par substitution de motifs « s’impose notamment lorsque la Cour veut énoncer une interprétation ou une application nouvelle d’une règle de droit » (G. Pluyette, conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation).

À la suite d’une crise clastique, M. X est conduit par les forces de l’ordre aux urgences d’un centre hospitalier où il est placé à l’isolement. Le lendemain, sur la base d’une demande d’hospitalisation à la demande d’un tiers, une décision d’hospitalisation sans consentement sous forme d’hospitalisation complète est prise par le directeur de l’établissement de santé (CSP, art. L. 3212-1). Le 17 septembre 2018, le directeur saisit le juge des libertés et de la détention (JLD) aux fins de prolongation de la mesure. Le 24 septembre 2018, le juge y fait droit. Cette décision confirmée en appel, le 10 octobre 2018. Le patient, dans son pourvoi, fait valoir que les délais de saisine du JLD n’ont pas été respectés et conteste le refus judiciaire de contrôle des mesures d’isolement et de contention prises dès son admission aux urgences.

La Cour de cassation était donc amenée à répondre à deux questions :

• Quels sont le mode de computation et le point de départ du délai de douze jours dans lequel le juge doit statuer, lorsque le patient a été placé à l’isolement dès son admission aux urgences avant d’être l’objet d’une décision d’hospitalisation sans consentement ?

• Quel est l’office du JLD en matière de pratiques d’isolement et de contention ?

Délai dans lequel le juge doit statuer

Sur le premier point, la Cour de cassation saisit l’occasion pour compléter sa jurisprudence sur les délais de l’hospitalisation sans consentement (v. Dalloz actualité, 20 mars 2019, obs. M. Cottet). La décision déférée, pour valider le délai de saisine du juge, considère que l’admission aux urgences constitue le point de départ théorique du délai de douze jours de saisine systématique du juge mais que, par application des articles 641, alinéa 1er, et 642, alinéa 2, du code de procédure civile, le point de départ de computation en est reporté au premier jour ouvrable. Le pourvoi fait valoir que les dispositions de l’article R. 3211-25 du code de la santé publique ne permettent pas un tel report.

La Cour de cassation ne répond pas au moyen soulevé. Elle s’est en tout état de cause récemment prononcée sur le sujet (Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 17-21.184, Dalloz actualité, 10 déc. 2018, obs. N. Peterka ; D. 2018. 2310 ) en excluant l’application des articles 641 et 642 du code de procédure civile au délai imparti au psychiatre pour examiner de manière périodique un malade qui fait l’objet de soins psychiatriques sous contrainte.

La Cour de cassation, par substitution de motifs, s’attache donc moins au mode de computation qu’au point de départ du délai dit « des douze jours ». L’arrêt, pour rejeter le moyen, énonce que le « jour de l’événement » qui fait courir ce délai de douze jours du contrôle obligatoire de la mesure par JLD, en application de l’article L. 3211-12-1-1 du code de la santé publique, est non pas l’admission en soins – en l’espèce aux urgences psychiatriques – mais la date à laquelle la décision administrative d’admission en soins psychiatriques sans consentement a été prise par le directeur du centre hospitalier : « Il résulte de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique que le délai de douze jours dans lequel le juge des libertés et de la détention doit statuer sur la poursuite d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement se décompte depuis la date du prononcé de la décision d’admission. »

Cette décision nous semble s’inscrire dans la logique de l’arrêt rendu le 5 février 2014 (Civ. 1re, 5 févr. 2014, n° 11-28.564 ; Dalloz actualité, 18 févr. 2014, obs. R. Mésa ; D. 2014. 427 ; ibid. 2021, obs. A. Laude ) : le délai pour que le juge statue sur le bien-fondé de la mesure ne commence à courir qu’à compter de la décision administrative déférée et non à partir de mesures antérieures comme l’arrêté du maire prescrivant des mesures provisoires ou, comme en l’espèce, l’admission aux urgences. La période précédant la décision administrative s’analyserait en une « période conservatoire ».

Est-ce à dire que cette période serait « hors contrôle » ? Ce n’est pas ce qu’induit l’avis n° 16008 rendu le 11 juillet 2016 (Cass., avis, 11 juill. 2016, n° 16-70.006, D. 2016. 1654 ; RTD civ. 2016. 822, obs. J. Hauser ) en vertu duquel cette « période conservatoire » doit être limitée à « ce qui est strictement nécessaire ».

Étendue de l’office du juge judiciaire en matière d’isolement ou de contention

L’ordonnance déférée, pour refuser de contrôler le placement en isolement du patient lors de son admission aux urgences, se fonde sur une compétence liée à la nature de l’établissement décideur : « les garanties légales de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, qui pose les conditions dans lesquelles les mesures d’isolement et la contention sont décidées et suivies, ne s’appliquent que dans les établissements de santé chargés d’assurer les soins psychiatriques sans consentement et non dans les services d’urgence d’un centre hospitalier ».

Le pourvoi conteste une position qu’il n’estime ni conforme à l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique ni à l’article 66 de la Constitution.

Là encore, la Cour opère par substitution de motif. Elle juge qu’il résulte des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique qu’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale, distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement qu’il lui incombe de contrôler. L’ordonnance constate que M. X a été placé sous contention dans une chambre d’isolement d’un service d’urgence. Il s’en déduit que cette mesure médicale échappait au contrôle du juge des libertés et de la détention. Par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l’ordonnance se trouve légalement justifiée.

L’arrêt paraît, au regard des circonstances de l’espèce, susceptible de deux interprétations.

Première interprétation : le juge ne peut contrôler les mesures d’isolement et de contention qui sont des mesures médicales par nature.

En qualifiant, dans sa majeure, les mesures « d’isolement et de contention » de « mesures médicales », la Cour les exclurait, par nature, du contrôle du juge : le juge n’est pas un médecin ! Resterait alors à déterminer si cela induit, outre l’impossibilité d’un contrôle judiciaire de proportionnalité de la mesure de contention et d’isolement, l’interdiction d’un contrôle de sa régularité formelle qui pourrait porter sur les points suivants :

existence et « complétude » du registre dédié ;
 qualité du psychiatre décideur et des personnels désignés pour le suivi ;
 durée « limitée » de la mesure.

Le juge judiciaire serait-il donc cantonné à un « contrôle a posteriori », limité aux demandes d’indemnisation fondée sur une mise en œuvre irrégulière ou fautive d’une telle mesure (Civ. 1re, 17 oct. 2019, n° 18-16.837, Dalloz actualité, 14 nov. 2019, obs. N. Peterka) ?

Deuxième interprétation : le juge ne pourrait contrôler les mesures d’isolement et de contention prises avant la décision administrative qui signent le point de départ dans le temps de son contrôle. Il pourrait donc, a contrario, contrôler celles qui sont décidées après.

La décision d’isolement et de contention ressortant, en l’espèce, d’une décision prise lors de l’admission en soins par le service des urgences psychiatriques, elle échapperait au contrôle du juge comme antérieure à l’acte administratif qui signe le point de départ des délais et de sa mission de contrôle. A contrario, le juge pourrait contrôler la régularité et la proportionnalité de toute mesure de contention ou d’isolement prise dans le cadre d’une hospitalisation sans consentement à partir de la décision administrative qui fait courir le délai de douze jours.

Cette position soulève elle-même plusieurs interrogations :

est-elle cohérente avec la possibilité d’un contrôle, par le juge, du délai « strictement nécessaire » (v. supra, avis du 11 juill. 2016) entre l’admission du patient et la prise de la décision administrative imposant des soins psychiatriques sans consentement, qui porte sur une période antérieure à cette décision ?
 le JLD peut-il contrôler une mesure d’isolement ou de contention décidée « avant » dès lors qu’elle se poursuit au-delà de l’émission de l’acte administratif d’admission en soins sans consentement ? (ce qui correspond peut-être au cas de l’espèce) ;
 quelle est la portée de l’invalidation, décidée par le juge, d’une mesure d’isolement ou de contrainte ? Met-elle un terme exclusivement à la mesure d’isolement ou de contention ? Affecte-t-elle, par capillarité, la mesure d’hospitalisation sans consentement elle-même, en en entraînant la levée ?

En conclusion, force est de constater que de nombreuses incertitudes demeurent.

La Cour de cassation ne devrait pas tarder à préciser les choses en prenant en compte la lettre de la loi, l’intérêt des patients, la pratique médicale, les décisions et avis émanant de diverses autorités internes (Cons. const. 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, Dalloz actualité, 6 déc. 2010, obs. A. Astaix ; AJDA 2011. 174 , note X. Bioy ; ibid. 2010. 2284 ; D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RFDA 2011. 951, étude A. Pena ; RDSS 2011. 304, note O. Renaudie ; Constitutions 2011. 108, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, obs. J. Hauser ; CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, 25 mai 2016 ; Rapport d’information de la commission des affaires sociales, 15 févr. 2017) et internationales (résolution 46/119, Protection des personnes atteintes de maladie mentale et amélioration des soins de santé mentale, Organisation des Nations unies, 17 déc. 1991 ; Rapport 2006 de l’Organisation mondiale de la santé) pour enfin unifier la jurisprudence (Versailles, 24 oct. 2016, n° 16/07393, RDSS 2017. 175, obs. P. Véron ; CRPA, 1er août 2019, art. A. Bitton).

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Notion centrale du régime prévu par la loi du 5 juillet 1985, l’accident n’est pourtant pas défini par le texte. Il est cependant acquis que le caractère accidentel de l’événement dommageable est une condition nécessaire à l’application de la loi Badinter. Du latin accidens, le terme renvoie à la soudaineté. « Enfant de la fatalité » (C. Bloch, in P. le Tourneau [dir.], Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2018-2019, n° 6211.12), il désigne un événement dommageable imprévu. Le caractère accidentel de l’événement (choc, collision, incendie) fait défaut chaque fois qu’en est à l’origine une infraction volontaire. Sur ce point, la jurisprudence est constante (Civ. 2e, 6 déc. 1991, n° 88-19.990, Bull. civ. II, n° 328 ; RTD civ. 1992. 571, obs. P. Jourdain ; RCA 1992, n° 90). La Cour de cassation a affirmé de façon claire que la loi du 5 juillet 1985 n’est applicable qu’aux seuls accidents de la circulation à l’exclusion des infractions volontaires (Civ. 2e, 30 nov. 1994, n° 93-13.399, Bull. civ. II, n° 243 ; RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain ).

L’appréciation de la condition d’accident soulève néanmoins deux interrogations que l’arrêt sous commentaire ne manque pas de rappeler :

• la première porte sur la personne à l’aune de laquelle la condition doit être appréciée parmi le défendeur, la victime, voire un tiers. Plus précisément, faut-il tenir compte du comportement du conducteur ou du gardien du véhicule terrestre à moteur (VTM) impliqué seulement ? Celui d’un tiers et celui de la victime comptent-ils également ?

• la seconde porte sur l’événement à qualifier en lui-même. Pour qu’il soit dépourvu de soudaineté, faut-il être en présence d’un simple fait volontaire ou d’un fait intentionnel ?

En l’espèce, après s’être arrêté pour relever un scooter à terre, un homme a été victime d’une rupture de la portion distale du tendon du biceps droit imputable à cet effort de soulèvement. Il a assigné le propriétaire du véhicule et son assureur pour obtenir réparation de ce dommage sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. Débouté de sa demande et condamné à rembourser la provision perçue de l’assureur par une cour d’appel au motif que sa blessure n’était pas la conséquence d’un événement fortuit et imprévisible mais d’un acte volontaire, il s’est pourvu en cassation.

La deuxième chambre civile était donc invitée à s’interroger sur la présence ou non du caractère accidentel de la blessure et de son origine. Autrement dit, le fait que la victime du dommage ait elle-même pris l’initiative de relever le scooter retire-t-il tout caractère accidentel à la survenance du dommage ?

Au visa de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, la haute juridiction casse la décision des juges du fond. Elle relève qu’il résultait des constatations de la cour d’appel que la victime s’était blessée en relevant un véhicule terrestre à moteur et qu’elle avait ainsi été victime d’un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985. En excluant l’application de cette loi, la cour d’appel a violé le texte susvisé par refus d’application.

La comparaison des motifs de la cour d’appel et de ceux de la Cour de cassation montre que la première se concentre sur la condition d’accident alors que la seconde n’en dit pas un mot. Dans leur décision, les juges du fond donnent explicitement une définition de la notion d’accident, lequel s’entend d’« un événement fortuit et imprévisible » qui s’oppose à tout acte volontaire, quelle qu’en soit la source (initiative personnelle ou demande d’un tiers). Pour la cour d’appel, la démarche volontaire de la victime retire tout caractère accidentel à l’événement. S’il n’y a pas d’accident, une condition nécessaire à l’application de la loi du 5 juillet manque, ce qui empêche sa mise en œuvre. Le raisonnement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence donne lieu à une conclusion a priori implacable.

La Cour de cassation n’est pourtant pas de cet avis. Sans se prononcer expressément sur la présence du caractère accidentel de l’événement, elle se contente d’évoquer le fait que les juges du fond ont relevé que le scooter était un véhicule terrestre à moteur et que c’est en le ramassant que la victime s’était blessée. Ce qui, pour elle, suffit à constater que le dommage subi est bien la conséquence d’un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985.

On comprend que, pour la Cour de cassation, la condition d’accident est bien satisfaite, seulement, on ne sait pas précisément pourquoi. Est-ce parce que la condition d’accident ne s’apprécie pas à l’aune du comportement de la victime ou parce que l’événement qui exclut le caractère accidentel ne doit pas être simplement volontaire mais intentionnel ?

Il est acquis que la condition d’accident s’apprécie à l’aune du conducteur (ou gardien) du VTM impliqué. Cette appréciation à l’endroit du défendeur s’évince directement de la lettre de la loi. En présence d’un accident de la circulation, l’assureur du véhicule impliqué est obligé d’indemniser la victime. C’est en fonction du comportement de l’assuré que la notion d’accident doit s’apprécier. Lorsque le fait dommageable a été recherché par le défendeur, il ne s’agit pas d’un événement fortuit et imprévisible, ce n’est donc pas un accident au sens strict. À plus forte raison, quand l’acte est à la fois volontaire et intentionnel en ce que non seulement le fait dommageable est voulu mais ses conséquences également. La négation du caractère accidentel et l’inapplicabilité de la loi Badinter qui en découle dans ce cas trouvent leur explication dans la technique de l’assurance. L’« antinomie de l’accident et de l’acte volontaire » (RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain, préc.) repose sur l’article L. 113-1 du code des assurances, lequel exclut la garantie de l’assureur en cas de faute intentionnelle de l’assuré. Le régime d’indemnisation des accidents de la circulation étant intrinsèquement lié à l’assurance, il est logique que la faute intentionnelle du conducteur ou du gardien du VTM impliqué empêche l’application de la loi et la garantie de l’assureur puisque c’est à l’aune de l’assuré que cette faute s’apprécie. De ce point de vue, la solution retenue par le juge judiciaire ne peut qu’être saluée.

De façon plus contestable, la Cour de cassation considère également que la condition d’accident peut s’apprécier à l’aune du comportement d’un tiers qui n’est ni le défendeur conducteur ou gardien du VTM impliqué ni la victime. Elle reconnaît que la loi doit être écartée quand le dommage découle du fait intentionnel ou simplement volontaire d’un tiers faute d’accident de la circulation (Civ. 2e, 15 mars 2001, n° 99-16.852, Bull. civ. II, n° 50 ; D. 2001. 1145, et les obs. ; RTD civ. 2001. 606, obs. P. Jourdain ; RCA 2001. 186, obs. H. Groutel ; LPA 6 sept. 2001, note M. Leroy ; 23 mai 2002, n° 00-10.839, Dalloz jurisprudence ; 23 mai 2002, n° 00-10.370, Dalloz jurisprudence ; 12 déc. 2002, n° 00-17.433, Bull. civ. II, n° 282 ; D. 2003. 468, et les obs. ; RCA 2003, n° 66 ; Gaz. Pal. 2003. Somm. 1110 ; 23 janv. 2003, n° 00-21.676, Bull. civ. II, n° 8 ; D. 2003. 605 ; RCA 2003, n° 105, obs. H. Groutel ; 11 déc. 2003, n° 00-20.921, Bull. civ. II, n° 377 ; RTD civ. 2004. 519, obs. P. Jourdain ; RCA 2004, n° 64). Cette solution est discutée par la doctrine qui considère que, parce que l’assureur tenu d’indemniser la victime est celui du conducteur ou gardien du VTM impliqué, c’est uniquement par rapport à l’assuré que la notion d’accident devrait être appréciée. Le comportement du tiers devrait rester indifférent. Du reste, malgré le fait volontaire du tiers, l’événement n’en demeure pas moins fortuit pour le conducteur ou le gardien comme pour la victime.

La question demeure de savoir si la condition d’accident s’apprécie aussi à l’aune du comportement de la victime. Si la cour d’appel d’Aix-en-Provence opte pour cette solution, la Cour de cassation ne l’a jamais fait à notre connaissance. Apprécier la notion d’accident par rapport à l’attitude de victime entre en contradiction directe avec l’alinéa 1, mais surtout avec l’alinéa 3 de l’article 3 de la loi, lequel dispose que « la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi ». Autrement dit, la recherche intentionnelle du dommage par la victime exclut son droit à indemnisation. Si la faute intentionnelle de la victime est rangée au rang des "causes d’exonération", c’est qu’en amont, la loi Badinter s’applique et que toutes ses conditions, y compris celle d’accident, sont réunies. « L’article 3 ne s’appliquant que si la situation relève des dispositions de l’article 1er, il faut en conclure que le fait intentionnel de la victime n’exclut pas la qualification d’accident, alors même qu’il n’y a pas réalisation d’un risque qui normalement justifie l’indemnisation de la victime » (C. Bloch, art. préc. ; v. égal. en ce sens S. Hocquet-Berg, La notion d’accident de la circulation, RCA 2015. Doss. 7, n° 22). À ce propos, F. Chabas considérait que l’article 3 n’avait pas sa place dans le régime parce que la faute intentionnelle de la victime s’opposait à l’existence de tout accident (F. Chabas, Le droit des accidents de la circulation après la réforme du 5 juillet 1985, 2e éd., Litec/Gaz. Pal., 1988, nos 126 et190). Mais puisque la loi est telle, pour éviter une incohérence, la notion d’accident ne doit pas s’apprécier à l’aune du comportement de la victime. À plus forte raison, lorsque celle-ci, comme en l’espèce, a eu une démarche volontaire qui ne constitue pas même une faute simple.

D’ailleurs, la nature de l’événement en cause est la seconde difficulté que soulève la condition d’accident de la circulation. Délicate est la question de savoir si le fait simplement volontaire est exclusif de la qualification d’accident. Si elle n’a jamais précisé de façon claire que l’accident s’entendait de tout fait non volontaire ou de tout fait non intentionnel, la Cour de cassation a retenu les deux possibilités. Pour exclure l’accident, elle a parfois exigé que l’acte en question soit intentionnel (Civ. 1re, 14 oct. 1997, n° 95-18.361, D. 1997. 227 ; RCA 1998. Comm. 37, obs. H. Groutel ; Civ. 2e, 22 nov. 1995, n° 93-21.221, D. 1996. 163 , note P. Jourdain ). D’autre fois, appliquant la loi Badinter de façon plus restrictive, elle a considéré que le fait simplement volontaire, commis sans intention de provoquer le dommage, excluait la présence d’un accident (Crim. 6 févr. 1992, n° 90-86.966, RTD civ. 1992. 571, obs. P. Jourdain ; RCA 1992, n° 207 ; 29 mars 2006, n° 05-82.515, Bull. crim. n° 92 ; AJ pénal 2006. 311, obs. G. Roussel ; Civ. 2e, 2 mars 1994, n° 92-18.818, Bull. civ. II, n° 79 ; RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain ; 30 nov. 1994, nos 93-13.399 et 93-13.485, Bull. civ. II, n° 243 ; RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain ; RCA 1995, n° 18 ; ibid. Chron. 1, obs. H. Groutel ; 15 mars 2001, n° 99-16.852, Bull. civ. II, n° 50 ; D. 2001. 1145, et les obs. ; RTD civ. 2001. 606, obs. P. Jourdain ; RCA 2001, nos 186 et 187, obs. H. Groutel ; LPA 6 sept. 2001, note M. Leroy ; 12 déc. 2002, n° 00-17.433, Bull. civ. II, n° 282 ; D. 2003. 468, et les obs. ; RCA 2002, n° 66, obs. H. Groutel ; Dr. et patr. mai 2003. 109, obs. F. Chabas ; 11 déc. 2003, n° 00-20.921, Bull. civ. II, n° 377 ; RTD civ. 2004. 519, obs. P. Jourdain ; RCA 2004, n° 64 ; 22 janv. 2004, n° 01-11.665, Bull. civ. II, n° 14 ; D. 2004. 1202 , obs. P. Julien ; RTD civ. 2004. 519, obs. P. Jourdain ; 18 mars 2004, n° 03-11.573, Bull. civ. II, n° 130 ; D. 2004. 2324, et les obs. , note B. Beignier ; ibid. 2005. 1317, obs. H. Groutel ; RCA 2004, n° 240).

Cette oscillation entre conception stricte et conception plus libérale de la loi (en ce sens, v. P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 5e éd., LexisNexis, 2018, n° 687, p. 477) devrait être abandonnée. Toujours pour des considérations liées à l’assurance, il conviendrait de limiter l’exclusion de l’accident à la faute intentionnelle de l’assuré conducteur ou gardien du VTM impliqué telle qu’elle résulte du droit des assurances et de la conception qu’en retient la première chambre civile (en ce sens, v. RTD civ. 1995. 132, obs. P. Jourdain ) : « il n’y a faute intentionnelle ou dolosive, au sens de ce texte, que si l’assuré a voulu non seulement l’action génératrice du dommage, mais encore la réalisation de ce dommage lui-même » (Civ. 1re, 10 déc. 1991, n° 90-14.218, RGAT 1992. 507, note Maurice ; RCA 1992. Comm. 109 ; 17 déc. 1991, n° 89-11.344, RGAT 1992. 354, note J. Kullmann ; RCA 1992. Comm. 108 ; G. Brière de l’Isle, La faute intentionnelle, ou cent fois sur le métier…, D. 1993. Chron. 75 ). Seule la faute intentionnelle est inassurable, non le simple acte volontaire. En présence d’un acte volontaire dont les conséquences dommageables ne sont pas voulues, il n’est pas utile d’exclure l’application de la loi puisque l’assureur du conducteur ou du gardien du VTM impliqué reste tenu de garantir une indemnisation à la victime. En l’espèce, la démarche de la victime de relever un scooter à terre est certes volontaire mais il ne s’agit ni d’une faute simple ni d’une faute inexcusable ou intentionnelle. La censure opérée par la Cour de cassation se justifie.

En définitive, à la lecture de l’arrêt, il n’est pas évident de savoir si la Cour de cassation considère que la loi s’applique parce que la condition d’accident ne s’apprécie pas à l’aune du comportement de la victime, qu’il s’agisse d’un acte simplement volontaire ou d’un acte intentionnel, ou si une distinction est à opérer selon que lui est imputable le premier ou le second. Par respect des dispositions de la loi, la logique invite à retenir la première interprétation, mais on peut néanmoins regretter que la portée de cet arrêt ne soit pas plus claire et que la Cour de cassation n’ait pas saisi l’occasion qui lui était donnée de répondre à ces questions maintenant vieilles de trente-quatre ans.

La société Eugenia gestion a été mise en redressement judiciaire le 5 avril 2016 ; que son projet de plan de redressement a été rejeté par le tribunal, lequel, dans la même décision, a arrêté un plan de cession au profit de la société Clinéo. La société Eugenia gestion a formé appel de cette décision, mais son appel a été jugé irrecevable. Elle forme alors un pourvoi. La Cour de cassation se prononce tout d’abord sur la recevabilité de ce pourvoi. Sans surprise, la réponse est positive : « l’article L. 661-1, 6°, du code de commerce ouvre au débiteur tant l’appel que...

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Auteur d'origine: MKEBIR

Le ton se durcit entre la Chancellerie et les organisations professionnelles. L’Union syndicale des magistrats (USM), le syndicat de la magistrature (SM) et la Conférence des bâtonniers ont adressé une lettre conjointe au Conseil supérieur de la magistrature le 15 novembre. Ils s’inquiètent de « la réorganisation judiciaire » et notamment des « critères de suppression » des postes de juges d’instruction.

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Auteur d'origine: tcoustet

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 a fixé le premier cadre légal des « pratiques d’isolement et de contention ». La Cour de cassation semble mettre ici un terme aux divergences jurisprudentielles relatives au contrôle du juge judiciaire sur ces mesures. Pourtant, cette décision, qui n’opère que par substitution de motifs, est déjà sujette à interprétations.

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Auteur d'origine: Dargent

En dépit du fait que sa démarche constitue un acte volontaire, la personne qui se blesse en relevant un véhicule terrestre à moteur est victime d’un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985.

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Auteur d'origine: ahacene

L’appel du jugement qui rejette un plan de redressement et arrête un plan de cession est soumis à la procédure à jour fixe. Est de ce fait irrecevable l’appel formé par le débiteur qui n’a pas recouru aux formes prévues aux articles 917 à 925 du code de procédure civile relatifs à la procédure à jour fixe.

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Auteur d'origine: Delpech

Textes des décrets sur la réforme de la procédure civile et de divorce dans leur version telle que transmise au Conseil d’État.

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Auteur d'origine: babonneau

L’action en revendication de la propriété indivise et en contestation d’actes conclus sans le consentement des indivisaires a pour objet la conservation des droits de ceux-ci et entre dans la catégorie des actes conservatoires que chacun d’eux peut accomplir seul.

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Auteur d'origine: CAYOL

La Cour de cassation, dans un arrêt largement diffusé du 17 octobre 2019, considère que la subrogation réelle de l’article 922 du code civil joue en cas de donation de sommes d’argent ayant permis l’acquisition de la seule nue-propriété d’un bien, sans préciser cependant la valeur à retenir.

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Auteur d'origine: jboisson

Revêtant un caractère indemnitaire, l’allocation personnalisée d’autonomie est déductible du montant total de la réparation dû à la victime. Les préjudices subis par l’aidant résultant du bouleversement dans ses conditions de vie sont déjà réparés lorsqu’une somme a été allouée sur le chef du préjudice d’accompagnement.

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Auteur d'origine: Dargent

Le groupe de travail installé depuis avril dernier a rendu son rapport le 30 septembre dernier. Il propose de renforcer la procédure d’admission à l’image de ce qui existe devant le Conseil d’État. 

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Auteur d'origine: tcoustet

Deux arrêtés du 24 octobre 2019 ont été publiés au JO du 3 novembre 2019.

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Auteur d'origine: Dargent

La mesure d’instruction ordonnée en référé ne suspend pas la prescription de l’action en nullité d’un contrat construction lorsque son objet portait sur les causes et conséquences des désordres de l’ouvrage.

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Auteur d'origine: Garcia

Le juge judiciaire, depuis le 1er janvier 2013, est compétent pour connaître des irrégularités dont serait entachée une décision administrative d’hospitalisation psychiatrique sous contrainte dès lors qu’elle n’a pas été préalablement soumise au contrôle du juge administratif. La réparation du dommage résultant d’une décision illégale n’est pas subordonnée à l’exercice préalable des voies de recours permettant d’en contester la légalité.

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Auteur d'origine: npeterka

L’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir refuser le bénéfice d’une servitude légale de passage au motif que son vendeur a renoncé au droit de passage qui lui avait été consenti. Une telle renonciation ne peut avoir qu’un effet relatif strict.

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Auteur d'origine: dpelet

En application des articles 251 du code civil et 1106 du code de procédure civile, des conclusions déposées postérieurement à la requête en divorce ne peuvent en affecter la régularité, même si elles mentionnent des griefs étrangers aux demandes formulées au titre des mesures provisoires.

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Auteur d'origine: abolze
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L’un autorise la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données personnelles dénommé « PLINE » et « PLEX », l’autre est relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via la plateforme sécurisée d’échange de fichiers « PLINE » et « PLEX ». S’ils semblent apporter des améliorations informatiques, leurs dispositions sont cependant assez mystérieuses et laissent le processualiste bien perplexe.

 

2019 est une année riche, pour ne pas dire foisonnante, en matière de communication par voie électronique. Deux nouveaux arrêtés techniques viennent compliquer un peu plus l’édifice réglementaire. Si l’un des deux évoque la « communication par voie électronique » (CPVE), le lecteur reste perplexe sur l’objet de ces arrêtés. À première vue, il semble s’agir de contributions à la « cyberprocédure civile » – ou communication par voie électronique 2.0 – mais aussi à la CPVE version 1 (C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, JCP 2017. 665 ; « Numérique et échanges procéduraux », in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s.) ; plus généralement, les deux textes paraissent régir toutes sortes d’échanges – et non pas seulement des échanges procéduraux… alors pourtant qu’ils sont pris au visa du titre XXI du livre 1er du code procédure civile, visa curieusement tronqué, puisque limité aux seuls six premiers articles de ce titre, qui en compte neuf, sans que l’on ait compris pourquoi. La procédure pénale est d’ailleurs également concernée mais nous laisserons cet aspect de côté. Tentative de décryptage pour la procédure civile.

Contexte

Rappelons qu’au Journal officiel du 4 mai 2019 a été publié un décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication électronique en matière civile et à la notification des actes à l’étranger. L’essentiel résidait dans une première mise en œuvre concrète de cette « communication par voie électronique 2.0 » (sur cet aspect numérique, v. Dalloz actualité, 24 mai 2019, obs. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, et Communication par voie électronique : publication d’un décret, D. 2019. 1058 ), surtout pour les personnes morales visées à l’article 692-1 du code de procédure civile, mais aussi pour les particuliers : en effet, selon sa notice, le décret « adapte les règles de la communication électronique à l’utilisation d’une plateforme d’échanges dématérialisés utilisée avec les personnes mentionnées à l’article 692-1 du code de procédure civile. Il ouvre aux justiciables qui y consentent la possibilité de recevoir sur le Portail du justiciable du ministère de la justice les avis, convocations et récépissés qui leur sont adressés par le greffe ».

En particulier, le décret a inséré un alinéa 2 nouveau à l’article 748-3. Sans que soit remis en cause l’alinéa 1er prévoyant que les envois, remises et notifications au sens de l’article 748-1 font l’objet d’un avis électronique de réception adressé par le destinataire, un tempérament pour les personnes morales de droit privé ou public (art. 692-1) est désormais prévu. Lorsque les transmissions par voie électronique interviennent par l’intermédiaire d’une plateforme d’échanges dématérialisés, elles font l’objet d’un avis de mise à disposition adressé au destinataire à l’adresse qu’il aura choisie : les actes seraient téléversés à un dossier dématérialisé. Le décret a également modifié l’article 748-6, alinéa 1er, en ajoutant la date de la mise à disposition dans la liste des éléments qui doivent être garantis par un procédé technique défini par arrêté. Avec l’avis de mise à disposition – notion inédite –, le décret s’est détaché de la règle de l’équivalence fonctionnelle qui avait inspiré l’article 748-3, alinéa 1er, tout en précisant que le nouvel avis de mise à disposition tient « lieu de visa, cachet et signature ou autre mention de réception ». Précisons que les arrêtés existant à ce jour ne comportant pas de notion d’« avis de mise à disposition », ils devront probablement être modifiés sur ce point…

Le décret du 3 mai 2019 avait aussi fait subir une modification très importante à l’article 748-8. L’article ne réglemente plus les courriels et les textos transmettant des avis. Il régit désormais le Portail du justiciable (v. Dalloz actualité, 24 mai 2019, obs. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, préc.). Celui-ci est défini comme « une application fondée sur une communication par voie électronique des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles utilisant le réseau internet » (arr. 6 mai 2019, art. 1er), « un système d’information fondé sur les procédés techniques d’envoi automatisé de données et d’éditions » (Arr. 6 mai 2019, art. 2 ; v. aussi arr. 28 mai 2019, art. 1er). Ce portail concerne les justiciables des juridictions judiciaires à l’exclusion de ceux des tribunaux de commerce (disposant de leur propre « tribunal digital », v. Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. C. Bléry et T. Douville) et de la Cour de cassation : c’est ainsi qu’« il permet la communication par voie électronique au justiciable des avis, convocations et récépissés émis par le greffe d’un tribunal d’instance, d’un tribunal paritaire des baux ruraux, d’un tribunal de grande instance, d’un conseil de prud’hommes ou d’une cour d’appel dans les conditions fixées par le présent arrêté » – demain, le justiciable d’un tribunal judiciaire.

C’est d’abord le Portail du justiciable qui a occupé la Chancellerie. Deux arrêtés techniques relatifs à cette plateforme (sur lesquels, v. Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. C. Bléry), qui étaient appelés par l’article 748-8 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret, ont été publiés au Journal officiel du 6 juin 2019, l’un date du 6 mai, l’autre du 28 mai. Nous constations que le Portail ne permet qu’une CPVE assez limitée, à but essentiellement informatif pour le justiciable qui ne peut, notamment, transmettre lui-même des actes de procédure, ce qui constituait pourtant une brique pour la cyberprocédure civile. En effet, l’alinéa 748-8, alinéa 3, nouveau avait intégré la logique plateforme : « la partie est alertée de toute nouvelle communication par un avis de mise à disposition envoyé à l’adresse électronique indiquée par elle qui indique la date et, le cas échéant, l’heure de celle-ci ». « De sorte », disions-nous (C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, art. préc.) « que le courriel reprend du service, mais n’est plus le support de l’acte de procédure lui-même : il est seulement celui de l’information que cet acte est à disposition sur une plateforme […] ». L’article 8 de l’arrêté du 6 mai évoque donc ces courriels adressés via le « Portail du justiciable » : il précise en outre qu’ils « sont formatés par l’application et émis au nom du service compétent par les utilisateurs authentifiés », tandis que l’article 9 redonne de son côté du service aux textos pour rafraîchir la mémoire du justiciable sur le modèle des rappels de rendez-vous chez le médecin ou le dentiste : « les rappels d’audience ou d’auditions sont envoyés au numéro de téléphone portable déclaré par le justiciable ».

Les deux arrêtés du 24 octobre 2019 (ci-après arrêté traitement automatisé et arrêté CPVE) sont d’ores et déjà en vigueur faute de dispositions transitoires. Ils régissent deux plateformes, de telle sorte qu’ils semblent constituer une nouvelle brique pour la cyberprocédure civile. En particulier, l’article 10 de l’arrêté CPVE prévoit que « les envois, remises et notifications [sur lesquels, v. infra] déposés sur les plateformes PLINE et de PLEX provoquent l’envoi automatique d’un avis de mise à disposition au destinataire ». Ils semblent donc liés à l’article 748-3 dans sa version issue du décret du 3 mai 2019, qui a créé cette notion inédite et dépourvue d’équivalence avec la procédure civile papier.

Textes

Il a pu être écrit que « PLEX (plateforme d’échanges externe) est ce système qui va permettre aux avocats et aux greffes de s’adresser des pièces au-delà de 10 mégaoctets, de manière sûre. En pratique, il s’agit d’une plateforme d’échange, hébergée dans les datacenters de la Chancellerie.

PLINE (plateforme d’échanges interne État) est, pour sa part, une version interne à l’État, entre agents du ministère de la justice et agents d’autres ministères, dont l’objectif est de permettre l’échange de pièces entre enquêteurs et greffes » (v. Actualités du droit, PLINE et PLEX, Les plateformes d’échange de documents entre acteurs de la justice bientôt mises à disposition ?, art. G. Marraud des Grottes).

Pour intéressants qu’ils soient, ces éléments d’analyse ne figurent pas dans les arrêtés, qui n’évoquent ni les avocats, ni le RPVA, ni les tailles de fichiers et qui ne semblent pas réserver PLINE aux seuls « enquêteurs »…

Déjà, et de manière générale, et comme pour le Portail du justiciable (C. Bléry, art. préc.), on s’interrogera « sur la pertinence du choix d’édicter deux arrêtés et non pas un seul : la lisibilité des textes en est réduite, dans une matière pourtant déjà assez complexe ! »

Ensuite, on l’a dit, l’objet procédural de ces arrêtés ne nous apparaît pas clairement. En effet, selon l’article 1er de l’arrêté CPVE, « PLINE […] est une plateforme d’échanges sécurisés de fichiers entre les agents du ministère de la justice et les agents d’autres ministères, mise en œuvre par le ministère de la justice » et « PLEX […] est une plateforme d’échanges sécurisés de fichiers entre les agents du ministère de la justice et les personnes extérieures à l’État, mis en œuvre par le ministère de la justice » ; l’article 2, alinéa 1er, du même arrêté précisant que « PLINE sous la forme d’un site intranet [sic ; ne manque-t-il pas un morceau de phrase ?], PLEX se présente sous la forme d’un site internet ». Mais, de son côté, l’article 1er de l’arrêté traitement automatisé dispose qu’« est autorisée la mise en œuvre, par le ministère de la justice, d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé plateforme d’échanges interne État (PLINE) et plateforme d’échanges externe (PLEX), ayant pour finalités la mise en place d’un système d’échanges sécurisés de fichiers entre, d’une part, les agents du ministère de la justice et les agents d’autres ministères et, d’autre part, entre les agents du ministère de la justice et les personnes extérieures à l’État ». Dès lors, PLINE et PLEX sont-elles des plateformes d’échange, de simples traitements automatisés de données personnelles, des sites internet, voire les trois à la fois ? Faut-il considérer que « traitement de données », « plateforme » et « site » sont synonymes ? La fluctuation dans la terminologie des arrêtés le laisse en effet penser. On peut, une nouvelle fois, regretter que la notion de « plateforme » ne soit pas définie (v. déjà, en ce sens, notre art. préc. à propos du décret du 3 mai 2019).

Si la nature des objets PLINE et PLEX interroge, il n’est pas simple de comprendre qui sont les utilisateurs. L’article 1er des deux arrêtés évoque les « agents des ministères » et des « personnes extérieures à l’État ». De son côté, l’article 2, alinéa 2, de l’arrêté CPVE précise que « ces deux plateformes permettent l’échange d’informations entre les acteurs déclarés au préalable et les juridictions judiciaires, à l’initiative de l’une ou l’autre des parties ». Si l’on se fie à la rédaction d’arrêtés précédents (par exemple, ceux du 7 avr. 2009 ou du 5 mai 2010), les magistrats et les greffiers sont englobés dans la notion d’« agents du ministère de la justice ». Quels seront les autres ministères concernés et donc quels agents ? Et qui sont les « personnes extérieures à l’État » ? On peut penser aux greffes des tribunaux de commerce déjà destinataires, via PLEX, des décisions à publier au fichier national des interdits de gérer (FNIG) prononcées par les juridictions répressives, aux personnes morales de l’article 692-1 du code de procédure civile, puisque le décret du 3 mai 2019 a adapté l’article 748-3 pour elles et que l’article 5 de l’arrêté CPVE évoque le rôle des représentants légaux ; y en a-t-il d’autres ? En particulier, nous posons une nouvelle fois la question de savoir si les avocats sont concernés.

Et comment s’articuleront les deux plateformes ? Imaginons que l’État soit partie à un procès civil, il intervient par l’agent judiciaire du Trésor, la CPVE s’organisera à son égard via PLINE et à l’égard des autres parties au procès par PLEX ?

Par ailleurs, si, selon l’alinéa 3 de l’article 2 de l’arrêté CPVE, « la liaison avec le site [PLINE ou PLEX] s’effectue au moyen d’un protocole sécurisé standard et détaillé à l’article 6 », l’article 3 prévoit que « les agents du ministère de la justice y accèdent via le réseau privé virtuel [de la] justice (RPVJ) dont les fonctions sont spécifiées par l’arrêté du 31 juillet 2000 susvisé. Cet accès est contrôlé par un identifiant et l’usage d’un mot de passe strictement personnels », ce qui renvoie à la CPVE version 1. Or il n’existe pas de « tuyaux » (RPVJ) devant toutes les juridictions… Notons également le visa des articles 748-1 à 6. (Où sont passés les articles 748-7 à 9 ?)

Cela veut-il dire que PLINE et PLEX ne sont pas utilisables par tous les « agents du ministère de la justice » ?

À propos de l’identification, l’article 4 de l’arrêté CPVE prévoit une procédure plutôt floue : la vérification est effectuée par le ministère de la justice… mais comment ? Quelle est la nature de ces vérifications. L’alinéa 1er dispose en effet que, « pour les utilisateurs mentionnés à l’article 1er du présent arrêté, l’utilisation de PLINE et de PLEX est conditionnée à la déclaration préalable de leur identité, leur organisation d’appartenance et de leur adresse de messagerie électronique dans l’annuaire de la plateforme. Cette déclaration est effectuée par le ministère de la justice, en lien avec l’organisation du partenaire, après vérification de la fiabilité de ces informations, les données enregistrées permettant d’authentifier l’utilisateur de la plateforme ». Or qu’est-ce que l’organisation du partenaire ? Qui plus est : qui est le partenaire ? Est-ce la personne morale ? Quel est le lien avec cette organisation ?

Quoi qu’il en soit, l’article 4 semble faire supporter au ministère la vérification de la fiabilité des informations, tandis que, de son côté, l’article 5 dispose que « la procédure d’enregistrement, de modification et de désinscription des données d’identification et d’habilitation est effectuée à l’initiative des représentants légaux des utilisateurs visés à l’article 1er et sous leur contrôle ». Il semblerait ici que les représentants légaux des utilisateurs assument le contrôle de la procédure d’enregistrement. N’y a-t-il pas contradiction avec l’article 4 ?

Si l’on considère que le contrôle opéré par le représentant légal d’une personne morale pour l’enregistrement de cette dernière est suffisant, cela paraît revenir à investir du pouvoir de contrôle celui-là même dont les déclarations sont à vérifier…

Pour mémoire, le système de contrôle du lien de représentation légale existant entre une personne physique et une personne morale a été organisé, devant le tribunal de commerce et pour la mise en œuvre de l’arrêté du 9 février 2016 (C. Bléry, Securigreffe : l’identité numérique judiciaire opposable est née, JCP 2016. 256), par le recueil d’une copie de pièce d’identité et le rapprochement de cette identité déclarée avec celle du représentant légal figurant au registre du commerce et des sociétés, laquelle est juridiquement opposable par le jeu de l’article L. 123-9 du code de commerce ; c’est le système dénommé Monidenum (v. https://www.monidenum.fr/).

N’y aurait-il pas intérêt à ce que la vérification du rapport de représentation légale entre une personne physique et une personne morale soit assurée, pour l’accès électronique aux autres juridictions que le tribunal de commerce, selon un mécanisme similaire, voire, puisqu’il existe déjà, le même ? Cela faciliterait les choses…

Selon les alinéas 2 et 3 de l’article 4, « une fois ces identifiants enregistrés dans les plateformes PLINE et de PLEX, l’utilisateur reçoit un courriel l’invitant à se connecter sur celles-ci à l’aide du mot de passe fourni et généré par ces applications puis à changer ce mot de passe » et « l’utilisation de l’adresse de messagerie enregistrée et du mot de passe strictement personnels permet de garantir l’identité des parties concernées, d’authentifier leur qualité et de contrôler leur habilitation à utiliser les plateformes PLINE et de PLEX ». Est-ce à dire que l’authentification de la personne en tant que représentant légal d’une personne morale de 692-1 résulte du simple fait de l’utilisation de l’adresse de messagerie et du mot de passe ? Ici et comme dit supra, le rapprochement de l’identité déclarée avec celle du représentant légal figurant aux registres légaux serait de nature à sécuriser l’authentification de la personne agissant sur PLEX pour le compte d’une personne morale.

L’article 10 de l’arrêté CPVE, précité, suscite aussi des interrogations. Il évoque « les envois, remises et notifications déposés sur les plateformes PLINE et PLEX »… Mais :

• ces envois, remises et notifications, à défaut de précisions, sont-ils ceux de l’article 748-1 ? Visent-ils d’autres transmissions ? La pratique montre en effet que, par exemple, un jugement émanant d’une juridiction pénale et portant interdiction de gérer, est transmis au greffier de tribunal de commerce concerné aux fins d’inscription au fichier national des interdits de gérer via PLEX. Quant aux objets à transmettre, les arrêtés visent des « fichiers » et des « informations » ? Mme Marraud des Grottes (art. préc.) évoque des « documents […]. Il ne s’agirait donc pas nécessairement d’actes de procédure au sens de l’article 748-1 du code de procédure civile ou plutôt, les actes de procédure stricto sensu seraient englobés dans cette notion non procédurale de « fichiers » ou « informations » ? Dès lors, il semble que la CPVE évoquée par l’arrêté ne soit pas celle du code de procédure civile : ni la version 1 ni la version 2, qui sont toutes les deux « de la procédure civile avant tout » (C. Bléry et J.-P. Teboul, La communication par voie électronique, de la procédure civile avant tout !, JCP 2012. 118) ?

• quelle est cette notion de « dépôt », inconnue de 748-1 ? Si le mot « dépôt » est souvent utilisé en pratique pour « remise », il y a ici quelque chose d’étrange : les remises, comme les envois et notifications, sont… déposées ! Un acte (de procédure, de l’article 748-1) peut être déposé – et faire l’objet d’un avis de mise à disposition, mais comment une « transmission » (pour employer un terme générique) peut-elle être déposée ? N’y a-t-il pas d’ailleurs confusion entre CPVE 1 et CPVE 2 (dans la mesure où elles sont bien régies par les arrêtés (?), v. supra) : en effet, on peut imaginer que les actes de procédure sont tous déposés sur une plateforme, mais alors, dans ces conditions, les notions de remise et d’envoi n’ont plus de sens… Si certains actes de procédure sont « déposés », à l’instar de la demande d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, ce n’est qu’en raison de la prévision de ce « dépôt » par un texte, ici l’article R. 621-1 du code de commerce.

Pour le reste, l’arrêté CPVE, comme les autres arrêtés techniques et conformément à l’article 748-6, alinéa 1er, du code de procédure civile, prévoit « les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l’identification des parties à la communication électronique, l’intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d’établir de manière certaine la date d’envoi et, celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire ». Est-il aussi permis de penser que l’alinéa 2 du texte s’applique, qui prévoit que l’identification vaut signature des mystérieux « fichiers », « informations » « déposés »…

(Pour les caractéristiques informatiques, v. Actualités du droit, PLINE et PLEX, les plateformes d’échange de documents entre acteurs de la justice bientôt mises à disposition ?, art. G. Marraud Des Grottes).

Finalement, ces textes sont-ils de la procédure civile ?

Alors que les deux réformes entrent en vigueur pour l’essentiel au 1er janvier 2020, nous vous proposons d’ores et déjà de prendre connaisance des projets de décrets sur la réforme de la procédure civile et de divorce dans leur version telle que transmise au Conseil d’État.

 

V. déjà la présentation de ces deux décrets par M. de Montgolfier, Directeur des affaires civiles et du Sceau.

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L’on sait que la demande en justice, même en référé, est interruptive de prescription en application de l’article 2241 du code civil et le référé-expertise in futurum est suspensif de prescription au sens de l’article 2239 du code civil. Toutefois, nombre de questions afférentes au cours des délais de prescription se posent toujours en droit de la construction depuis la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008 (P. Malinvaud, Les difficultés d’application des règles nouvelles relatives à la suspension et à l’interruption des délais. Code civil, art. 2220, 2233 à 2246, RDI 2010. 105 ; S. Bertolaso, Le contentieux des désordres de construction à l’épreuve de l’article 2239 du code civil, Constr.-Urb. 2012. Étude 4).

En particulier, la décision reproduite interroge sur le fait de savoir si la suspension opère de plein droit après une mesure d’instruction in futurum ou s’il faut que l’action au fond intentée par la suite poursuive le même but que l’action en référé-expertise pour qu’elle bénéficie du mécanisme de suspension de son délai de prescription.

En l’espèce, il s’agissait d’examiner la recevabilité de l’action en nullité d’un contrat de construction de maison individuelle, intentée après une assignation en référé-expertise en vue de déterminer les causes et conséquences de désordres affectant l’ouvrage, avant réception. Le maître d’ouvrage ayant conclu un contrat avec une société de construction en 2006, l’action en nullité se prescrivait en 2011 (délai de prescription de cinq ans en application de l’ancien article 1304 du code civil). Or, avant les opérations de réception, le maître d’ouvrage avait intenté une action en référé-expertise au vu des nombreuses malfaçons affectant la construction afin d’en déterminer les causes et les conséquences. À cet endroit, en vertu de l’application de l’article 2239, alinéa 1er, du code civil, la prescription se trouvait a priori suspendue puisque le juge avait fait droit à une demande de mesure d’instruction in futurum. L’expert judiciaire désigné en 2009 avait déposé son rapport en 2011. Dès lors, en application de l’article 2239, alinéa 2, du code civil, « le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ». En pratique, les deux ans restants sur les cinq initiaux restaient à courir, à compter de la date du dépôt du rapport d’expertise, et menaient la prescription fin 2013 (C. civ., art. 2230 : « la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru »). L’assignation du constructeur par le maître d’ouvrage en 2012, en vue d’obtenir l’annulation du contrat de construction, subsidiairement la résolution ou la réparation des désordres litigieux, semblait donc ne pas être prescrite.

Suivant cette logique, les juges du fond ont fait droit à la demande en nullité du contrat, précisant qu’il ne saurait être ajouté une condition à la suspension du délai de prescription prévue par l’article 2239 du code civil, à savoir, exiger une identité de but des actions successives. Ils ont jugé l’expertise sollicitée en référé utile à l’appréciation de la demande en nullité du contrat, « les conséquences de la nullité étant appréciées au regard de la gravité des désordres et non-conformités affectant la construction ». La cour d’appel a fait le choix audacieux d’articuler les deux actions, considérant que la seconde (au fond) était à défaut de la prolonger, à tout le moins utile, à l’appréciation de la première (en référé). Le maître d’ouvrage pouvait ainsi bénéficier du mécanisme interruptif de prescription.

En ce sens, c’était outrepasser le fait que l’action en nullité se rapporte à la formation du contrat et partant à son anéantissement, alors que l’action en détermination des causes et conséquences des désordres a trait à l’exécution du contrat et davantage à l’éventuelle mise en œuvre de la responsabilité et/ou des garanties des constructeurs (même si la sanction par la résolution reste envisageable).

Au visa de l’article 2239 du code civil, la Cour de cassation a censuré la décision rendue en appel, établissant que la demande d’expertise relative aux désordres ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat. Dès lors, la mesure d’instruction ordonnée n’avait pas suspendu la prescription de l’action en annulation du contrat. Cette dernière était donc en l’espèce, prescrite.

Au gré du renouvellement des questions contentieuses, la Cour de cassation échafaude peu à peu le régime de l’article 2239 du code civil. Il ressort, au-delà de la lettre du texte, quatre enseignements majeurs pour le domaine de la construction.

En premier lieu, la suspension de prescription n’est pas applicable au délai de forclusion (Civ. 3e, 3 juin 2015, n° 14-15.796, Bull. civ. III, n° 55 ; Dalloz actualité, 12 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1208 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; RDI 2015. 400, étude S. Becqué-Ickowicz ; ibid. 414, obs. O. Tournafond et J.-P. Tricoire ; ibid. 422, obs. P. Malinvaud ; 2 juin 2016, n° 15-16.967, Dalloz actualité, 10 juin 2016, obs. Y. Rouquet ; D. 2016. 1254 ; AJDI 2016. 843 , obs. Y. Rouquet ; 10 nov. 2016, n° 15-24.289, Dalloz jurisprudence ; 23 févr. 2017, n° 15-28.065, Dalloz jurisprudence).
 En deuxième lieu, la suspension est applicable aux actions dérivant d’un contrat d’assurance (Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-19.792, Bull. civ. II, à paraître ; Dalloz actualité, 1er juin 2016, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2016. 1133 ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati ; RDI 2016. 418, obs. D. Noguéro ).
 En troisième lieu, la suspension n’opère qu’en cas d’identité du demandeur aux actions (la suspension de la prescription tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité l’expertise durant le délai de son exécution, elle ne joue qu’à son profit: Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 18-10.011, Bull. civ. II, Dalloz actualité, 7 mars 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 254 ).
 En dernier lieu, et c’est l’apport inédit de l’arrêt soumis, qui a sans doute justifié l’importante publicité de la décision (au Bulletin civil des arrêts des chambres civiles, Bulletin d’information et sur le site internet de la Cour de cassation) : une identité de but des actions est requise. Cette exigence ne ressort pas expressément des dispositions de l’article 2239 du code civil mais paraît inhérente à la logique procédurale. La décision du 17 octobre 2019 l’établit clairement.

Si le droit de la construction y gagne en clarté, il n’en reste pas moins en pratique que le maître d’ouvrage victime de nombreuses malfaçons graves lors de l’exécution d’un contrat de construction de maison individuelle (dont un défaut d’implantation altimétrique de 69 cm empêchant l’accès aux personnes à mobilité réduite alors que le maître d’ouvrage a un enfant handicapé) n’est pas suffisamment protégé.

Il semblerait opportun, voire impérieux, au vu du contentieux sans cesse renouvelé en matière de nullité du CCMI, de confier aux notaires le monopole d’établissement de ces actes, à l’instar du régime de la VEFA. À défaut et a minima, une obligation de formation des constructeurs de maisons individuelles et de contrôle de leurs activités, sur le modèle imposé par la loi dite « Hoguet » pour les intermédiaires immobiliers (loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce; plus amplement pour les dernières réformes M. Thioye, « La loi ELAN et l’intermédiation immobilière », AJDI 2019. 54), serait bienvenu.

L’indivision crée une apparente opposition entre la multiplicité des droits individuels et l’unité matérielle du bien indivis. La présence de plusieurs propriétaires devrait conduire à exiger un accord unanime pour réaliser un acte concernant le bien indivis. Afin d’éviter les risques de blocage en résultant, la réforme de 1976 a atténué cette règle. Le principe a même été renversé par la loi du 23 juin 2006, laquelle retient le principe majoritaire dans le but de faciliter la gestion du bien indivis. L’indivision est ainsi « prise en tension entre une conception individualiste qui exalte les droits de chaque indivisaire, et une conception collective qui la rapproche de la société » (R. Libchaber, La recodification du droit des biens, in Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire, Dalloz-Litec, 2004, n° 18 ; J. Patarin, La double face du régime juridique de l’indivision, in Mélanges Holleaux, Litec, 1990, p. 331).

Depuis la loi du 23 juin 2006, l’unanimité n’est plus présentée, à l’alinéa 3 de l’article 815-3 du code civil que comme une dérogation à la règle majoritaire consacrée à l’alinéa 1. Le consentement de tous les indivisaires reste seulement requis concernant les actes les plus graves, c’est à dire « pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition » autre que la vente des biens meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision.

En outre, la possibilité pour un indivisaire de réaliser seul des actes conservatoires sur le bien indivis a été...

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L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 octobre 2019 est appelé à une diffusion des plus larges, ainsi qu’en témoigne la mention FS-P+B+I dont il est revêtu. La Haute juridiction apporte, par cette décision, des précisions cruciales sur l’application dans le temps des dispositions de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 transférant aux juridictions de l’ordre judiciaire le contrôle de la régularité des décisions administratives d’admission en soins psychiatriques contraints et les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant de l’irrégularité de ces décisions (CSP, art. L. 3216-1, al. 3) (1°), ainsi que sur les conditions d’exercice de cette action en réparation (2°).

1. Sur le premier point, le pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir condamné l’Agent judiciaire de l’État à payer à un homme ayant fait l’objet en 2012 de trois décisions irrégulières d’admission en soins psychiatriques contraints une indemnité en réparation du préjudice résultant de sa privation de liberté et à sa compagne une indemnité au titre de son préjudice moral.

Pour contester cette décision, le pourvoi soutenait, dans son premier moyen, « qu’antérieurement au 1er janvier 2013, seul le juge administratif était compétent pour connaître de la légalité externe des arrêtés préfectoraux relatifs à l’hospitalisation sous contrainte ; que, pour cette période, la compétence du juge administratif s’impose, non seulement en cas de recours contre l’arrêté, mais également en cas d’exception d’illégalité soulevée devant le juge judiciaire ; qu’en s’arrogeant le pouvoir de statuer sur la légalité externe d’arrêtés préfectoraux antérieurs au 1er janvier 2013, quand ils étaient tout au plus en présence de questions préjudicielles devant être renvoyées au juge administratif, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 6 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble l’article L. 3216-1 du code de la santé publique entré en vigueur le 1er janvier 2013 ». Il ajoutait « que, si le juge judiciaire peut apprécier la légalité externe d’un acte administratif, notamment dans le cadre d’une exception d’illégalité, c’est à la condition qu’il constate au préalable que l’irrégularité invoquée peut être constatée sur la base d’une jurisprudence établie ; que, faute d’avoir constaté que tel était le cas s’agissant des différentes irrégularités invoquées, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 6 fructidor an III, ensemble le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble l’article L. 3216-1 du code de la santé publique entré en vigueur le 1er janvier 2013 ».

L’arrêt balaie ce raisonnement sur le fondement de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, ainsi que des dispositions de droit transitoire résultant de l’article 18 de cette loi et du principe de la séparation des pouvoirs. Le rejet est parfaitement orthodoxe. Rappelons, en effet, que le premier texte donne au tribunal de grande instance compétence pour statuer sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant des décisions administratives d’admission en soins psychiatriques sous contrainte et lui confère le pouvoir de connaître, à cette fin, des irrégularités dont ces décisions seraient entachées. Le second texte précise, lui, que ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2013, la juridiction administrative étant compétente pour statuer sur les recours dont elle est saisie antérieurement à cette date. Or, en l’espèce, non seulement le juge judiciaire avait été saisi du recours en réparation après le 1er janvier 2013 mais, encore, l’irrégularité des décisions d’admission en soins contraints n’avait pas été soumise au juge administratif. La Haute juridiction en déduit « qu’en retenant la compétence du juge judiciaire, lequel ne statue pas sur une exception d’illégalité, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche inopérante, n’a pas méconnu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ». La solution mérite d’être pleinement approuvée, en ce qu’elle confère un rayonnement maximal aux dispositions de la loi de 2011. Il serait, en effet, incohérent de laisser subsister le système antérieur à cette loi, alors que ce dernier a été censuré par le Conseil constitutionnel comme étant contraire à l’article 66 de la Constitution, lequel érige le juge judiciaire en gardien des libertés individuelles (Cons. const. 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, JORF 27 nov., p. 21119, texte n° 42 ; AJDA 2011. 174 , note X. Bioy ; ibid. 2010. 2284 ; D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RFDA 2011. 951, étude A. Pena ; RDSS 2011. 304, note O. Renaudie ; Constitutions 2011. 108, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, obs. J. Hauser ).

On soulignera enfin que, pour écarter l’argument tiré d’une prétendue méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, l’arrêt prend soin de préciser que le juge judiciaire, appréciant l’irrégularité d’une décision administrative d’admission en soins contraints, ne statue pas sur une exception d’illégalité. Là encore, la solution emporte l’approbation. La décision du juge judiciaire statuant sur l’irrégularité de la décision ou ses conséquences dommageables n’a pas pour objet d’écarter, à l’occasion d’un litige, l’application un acte réglementaire illégal ni d’apprécier la validité d’un tel acte, mais de se prononcer sur le bien-fondé de la mesure de soins contraints au regard des conditions posées par la loi. Il ne s’agit donc pas d’apprécier un acte mais une situation juridique individuelle (A. Darmstädter-Delmas, Les soins psychiatriques sans consentement, LexisNexis, 2017, n° 232).

2. Sur le second point, l’arrêt apporte une double précision.

Il rejette, d’abord, le second moyen du pourvoi lequel reprochait à la cour d‘appel d’avoir retenu la responsabilité de l’État sans avoir recherché si l’intéressé avait exercé devant le juge administratif les recours qui lui étaient ouverts pour faire constater l’illégalité des arrêtés qui le concernaient. La Cour de cassation écarte cet argument sur le fondement de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, au motif que ce texte « ne subordonne pas la réparation des conséquences dommageables d’une décision administrative relative aux soins psychiatriques sous contrainte à l’exercice préalable par l’intéressé des voies de recours lui permettant de contester la légalité de cette décision ».

L’arrêt précise, ensuite, les irrégularités aux conséquences dommageables susceptibles d’affecter une décision administrative d’admission en soins contraints. La cour d’appel avait relevé en l’espèce que, malgré l’annexion d’un certificat médical, les arrêtés préfectoraux étaient rédigés en termes généraux, de telle sorte qu’ils ne permettaient pas de s’assurer que la personne présentait des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public. C’est dire que les conditions du placement sous soins contraints sur décision du Préfet n’étaient pas caractérisées par la décision administrative (CSP, art. L. 3213-1). La mesure de soins contraints s’en trouvait inexorablement entachée d’irrégularité et la privation de liberté qui en était résulté injustifiée.

Cet arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 octobre 2019 porte sur l’interprétation du deuxième alinéa de l’article 922 du code civil. Ce texte vise l’hypothèse de la subrogation réelle dont il doit être tenu compte pour déterminer s’il y a ou non atteinte à la réserve héréditaire lorsque le bien donné a permis d’acquérir un nouveau bien. Selon ce texte, en cas de subrogation, il faut tenir compte de la valeur des « nouveaux biens » acquis au stade de la réunion fictive des donations. Quid alors lorsque l’objet de la donation initiale est une somme d’argent qui a permis l’acquisition non d’un nouveau bien en pleine propriété, mais de la nue-propriété d’un bien ?

Dans l’espèce que la Cour de cassation a eu à connaître, une mère a donné à son fils, par préciput et hors part, une somme d’argent qui a été employée pour acquérir la nue-propriété d’un immeuble. Dans le même temps, la donatrice a acquis l’usufruit du même immeuble. La donatrice décède en laissant pour lui succéder sa fille et son fils donataire, ainsi que son petit-fils, lui-même descendant du donataire, désigné légataire universel de la quotité disponible et légataire à titre particulier de ses parts sociales. Compte tenu des différentes libéralités réalisées, la fille de la de cujus a assigné son frère et son neveu en partage de la succession et réduction des libéralités excessives.

La cour d’appel de Riom rejette partiellement les demandes au titre de la réduction des libéralités. Elle considère, d’abord, que le testament peut recevoir pleine et entière application. C’est déjà considérer que le legs de la quotité disponible s’entend non de la quotité disponible à la date du décès telle que déterminée par application des articles 913 et suivants du code civil, mais de la quotité restante après l’imputation du legs à titre particulier des parts sociales. À défaut, les deux legs seraient nécessairement excessifs et réductibles. La cour d’appel considère, ensuite, que la donation de somme d’argent est réductible à la quotité disponible, mais dans la limite de son montant. Les juges du fond refusent, en effet, de faire application de la subrogation réelle au motif que le donataire n’a pas acquis un bien mais un droit réel sur un bien dont la donatrice était usufruitière et que l’on n’était pas en présence d’une donation déguisée de l’immeuble. À lire la décision de la Cour de cassation comme le moyen annexé à l’arrêt, les juges du fond ont estimé que la somme reçue par donation, bien qu’affectée à l’acquisition de la nue-propriété du bien, n’a pas servi à acquérir un bien.

De prime abord, notons que les juges du fond font complètement fi de l’ordre de réduction des libéralités posé par l’article 923 du code civil en ordonnant la réduction de la donation de somme d’argent et l’exécution pleine et entière des différents legs. Ce texte prévoit pourtant qu’« il n’y aura jamais lieu à réduire les donations entre vifs qu’après avoir épuisé la valeur de tous les biens compris dans les dispositions testamentaires ». L’arrêt d’appel n’est toutefois pas critiqué sur ce point.

Surtout, les juges du fond méconnaissent le jeu de la subrogation réelle. L’arrêt, critiqué sur ce point, est logiquement cassé au regard de la première branche du moyen unique et au visa de l’article 922 du code civil.

Dans un attendu liminaire, la Cour de cassation reprend le contenu ses deux premiers alinéas en précisant que « la subrogation prévue par ce texte inclut toutes les donations, y compris celles de sommes d’argent ». Là n’est pas tant la divergence avec la cour d’appel, à la différence des juges de première instance qui, à en croire le moyen annexé, ont considéré que l’intérêt d’une donation de somme d’argent était d’échapper au valorisme monétaire. La solution rendue sur ce point n’est pas nouvelle (Civ. 1re, 4 juin 2007, n° 06-14.473, Dalloz jurisprudence). Elle comble une lacune importante des textes puisque, bien que la subrogation soit prévue expressément en cas de donation d’une somme d’argent en matière de rapport (C. civ., art. 860-1), rien n’est dit pour la réduction. La haute juridiction suit ici les préconisations de la doctrine qui défend une application des règles par analogie (v. not. M. Grimaldi, Les successions, 7e éd, LexisNexis, 2017, n° 886).

Il faut s’en remettre au dernier attendu qui applique la règle posée à l’espèce en présence pour apprécier véritablement la divergence qui existe entre la cour d’appel et la Cour de cassation. Pour cette dernière, en effet, le donataire « avait employé la somme d’argent donnée par sa mère à l’acquisition de la nue-propriété d’un bien immobilier, ce dont il résultait que c’est la valeur de ce bien au jour de l’ouverture de la succession, d’après son état à l’époque de son acquisition, qui devait être réunie fictivement à la masse de calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible, en vue de déterminer une éventuelle réduction ».

Pour la haute juridiction, la subrogation réelle joue donc bien lorsque la somme d’argent reçue par donation a servi à acquérir la nue-propriété d’un immeuble et non la pleine propriété de celui-ci. Pour défendre cette position, les différentes branches du moyen unique du pourvoi, dont la première sur laquelle la cassation est réalisée, soutenaient que la subrogation réelle devait jouer dès lors que les fonds avaient été donnés « dans le but de permettre cette acquisition ». En ne reprenant pas cette condition psychologique conduisant à faire jouer aux mobiles juridiques ayant conduit à la donation un rôle qui n’est pas le leur, la Cour de cassation écarte implicitement cette condition.

Il reste à déterminer le montant dont il doit être tenu compte dans les opérations de liquidation. L’hésitation est permise entre la valeur de l’immeuble en pleine propriété ou la valeur de la nue-propriété de celui-ci. Sur cette question, l’arrêt n’est pas des plus explicites. La troisième branche du pourvoi invitait pourtant la Cour de cassation à se positionner en défendant que c’est la valeur de la pleine propriété qu’il convenait de retenir puisque l’usufruit s’était éteint à la mort de la de cujus.

La Cour de cassation reprenant scrupuleusement la lettre de l’article 922 du code civil se borne à préciser qu’il fallait réunir fictivement la valeur de l’immeuble au jour de l’ouverture de la succession d’après son état à l’époque de son acquisition. La décision est susceptible de plusieurs lectures.

Selon une première lecture, en visant la valeur de l’immeuble, la haute juridiction retiendrait implicitement – mais nécessairement – celle de la pleine propriété. Deux raisons au moins militent contre une telle interprétation. D’abord, si la Cour de cassation avait voulu retenir la solution défendue par la troisième branche du pourvoi, elle n’aurait pas cassé l’arrêt sur sa seule première branche mais aurait également visé celle-ci. Ensuite, en raison de sa généralité, l’attendu ne paraît pas distinguer, à la différence du pourvoi, selon que l’usufruit est éteint ou non au jour de l’ouverture de la succession (ce qui ne sera pas le cas dans la situation d’une réversion d’usufruit ou lorsque l’usufruit sera constitué au profit d’un tiers toujours en vie). Or il n’est possible de retenir la valeur de la pleine propriété que si celle-ci est véritablement reconstituée à la date du décès.

Selon une seconde lecture, en renvoyant à l’état du bien au jour de l’acquisition, la Cour de cassation viserait l’état de démembrement juridique de celui-ci. Dans ce cas, ce serait la valeur de la nue-propriété du bien qu’il conviendrait de réunir fictivement. Là encore, deux raisons au moins militent contre une telle approche. D’abord, la notion d’état du bien renvoie davantage à un état matériel que juridique. La règle permet surtout de déterminer qui, du donataire ou de la succession, profite ou souffre des plus ou moins-values affectant le bien entre son acquisition et l’ouverture de la succession. Or, à retenir qu’il peut s’agir d’un état de démembrement du bien, celui-ci avait disparu en l’espèce au jour de l’ouverture de la succession. Ce faisant, la plus-value consécutive à la reconstitution de la pleine propriété aurait pour origine un cas fortuit (le décès de l’usufruitier) et devrait donc profiter à la succession, d’où une prise en compte de la valeur de la pleine propriété. Ensuite, ce n’est pas la solution traditionnellement admise en cas de donation de la nue-propriété d’un bien avec réserve d’usufruit au profit du donateur. La Cour de cassation retient, en effet, que c’est la valeur de la pleine propriété dont il doit être tenu compte, qu’il s’agisse des règles de la réduction (Civ. 1re, 14 oct. 1981, n° 79-15.946, RTD civ. 1982. 641, obs. J. Patarin) ou du rapport (Civ. 1re, 5 févr. 1975, n° 72-12.624, D. 1975. 673, note R. Guimbellot ; JCP 1976. II. 18249, note M. Dagot ; 28 sept. 2011, n° 10-20.354, Dr. famille 2011. Comm. 172, obs. B. Beignier). On rétorquera peut-être que la situation n’est pas exactement la même. La différence n’est pourtant que de degré et non de nature. De surcroît, pour motiver deux de ses précédents arrêts, la Cour de cassation retient que « le bien donné [doit] être évalué à la date de la donation, mais compte tenu des droits que l’héritier gratifié possède sur ce bien au jour où il doit en être fait rapport » (Civ. 1re, 5 févr. 1975, préc.) ou « au jour où naîtra le droit à la réserve héréditaire (Civ. 1re, 14 oct. 1981, préc.). Par analogie, une même solution s’impose en cas de subrogation réelle, et ce d’autant plus qu’en l’espèce, au regard du montage réalisé, la de cujus avait souhaité que son fils devienne plein propriétaire d’un immeuble à son décès. On comprend alors la référence par les juges d’appel à une éventuelle donation déguisée de l’immeuble, qu’ils ont néanmoins écartée.

Enfin, on peut encore penser que la Cour de cassation botte en touche et ne se prononce pas sur ce point laissant à la cour d’appel de renvoi le soin d’esquisser sa propre jurisprudence. Que cette dernière statue dans un sens ou dans l’autre, il y a fort à parier que la Cour de cassation sera de nouveau saisie de la question tant la solution retenue aura son importance sur le sort des différentes libéralités réalisées par la de cujus. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, les hauts magistrats auraient pu faire l’économie d’une nouvelle navette en motivant leur décision plus clairement.

Un propriétaire a procédé à la division de son fonds en six parcelles et en a transféré la propriété à trois propriétaires différents. L’un d’eux a volontairement enclavé ses parcelles moyennant rémunération, en renonçant conventionnellement au bénéfice de la servitude légale de passage grevant les autres parcelles, que le propriétaire à l’origine de la division lui avait consentie.

Le propriétaire des parcelles enclavées les cède à un acquéreur, qui se heurte ainsi à l’impossibilité d’accéder à son domicile avec un véhicule automobile. Cela étant, ce dernier assigne les deux autres propriétaires des parcelles issues de la division, aux fins d’obtenir, à titre principal, un passage sur l’une des parcelles et, à titre subsidiaire, la désignation d’un expert chargé d’examiner la possibilité d’un éventuel passage par une autre parcelle.

L’affaire est portée une première fois devant la Cour de cassation (Civ. 3e, 17 nov. 2016, n° 15-23.140, Dalloz jurisprudence), qui casse l’arrêt ayant retenu que l’auteur du demandeur s’était volontairement enclavé, en renonçant conventionnellement à un droit de passage en voiture sur la parcelle voisine. Au visa de l’article 55 du code de procédure...

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À la suite d’une opération chirurgicale, une patiente contracte dans une polyclinique un syndrome infectieux dont elle gardera un lourd handicap. Avant son décès, survenu cinq ans plus tard, son mari, son fils et elle-même assignent en responsabilité et en indemnisation le praticien, la polyclinique, son assureur et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Après le décès de la victime directe, les ayants droit demandent réparation de ses préjudices ainsi que de leurs préjudices par ricochet.

Les juges du fond retiennent le caractère certain et direct du lien de causalité entre l’infection nosocomiale et le décès de la patiente. Ils indemnisent, en outre, le préjudice moral de l’époux de la victime résultant de la vue de la déchéance de son épouse et de ses souffrances, ainsi que le préjudice tenant à la perte de la qualité de vie du fait de l’hospitalisation de celle-ci puis lors de son retour à domicile. Ils indemnisent aussi l’époux de son préjudice d’accompagnement de son épouse jusqu’à son décès. Les mêmes juges refusent, par ailleurs, de relever le caractère indemnitaire de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

L’ONIAM forme alors un pourvoi composé de deux moyens.

Dans le premier, le demandeur reproche aux juges du fond de ne pas avoir relevé le caractère indemnitaire de l’APA. Sur le fondement des articles L. 1142-1-1 du code de la santé publique et L. 232-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles, l’auteur du pourvoi remet en cause la qualification opérée par la cour d’appel en faisant valoir qu’elle contrarie le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

Dans le second moyen, l’ONIAM reproche aux juges du fond d’avoir violé le même principe en ayant accordé des indemnités différentes visant en fait la réparation de mêmes préjudices découlant, en l’occurrence, de l’accompagnement de la victime jusqu’à son décès.

Les arguments développés par l’auteur du pourvoi permettront une cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

L’arrêt a les honneurs de la Cour de cassation et contribuera sans doute à dissiper les incertitudes entourant la qualification de l’APA (v. Riom, 13 nov. 2018, n° 17/00920 ; Paris, 4 sept. 2014, n° 13/21806 dans le sens d’une indemnité déductible ; Versailles, 22 juin 2018, n° 16/08736 ; Chambéry, 17 mars 2011, n° 08/02565, qui qualifient l’APA en prestation d’assistance non déductible). Les juges du droit affirment clairement qu’elle revêt bien un caractère indemnitaire et qu’elle doit être déduite du montant de la réparation totale dû à la victime.

L’arrêt permettra aussi de mieux discerner les chefs de préjudice réparables par la distinction opérée ici entre le préjudice d’accompagnement et ceux résultant du bouleversement des conditions de vie de l’aidant causés par la maladie de la victime.

La qualification problématique de l’APA

Lorsqu’une personne contracte une infection nosocomiale dans un des établissements énumérés par la loi, elle peut demander réparation à l’ONIAM de l’intégralité de ses préjudices. En l’espèce, le principe de la réparation sur le fondement de l’article L. 1142-1-1 ne posait pas de problèmes. Dès lors, l’office a dû adresser à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l’avis, une offre d’indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis....

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L’arrêt rendu par la Cour de cassation, promis à une large diffusion, condamne des pratiques procédurales autoritaires suivies par certains juges du fond. En l’espèce, une requête en divorce est déposée par le mari. Aux termes des dispositions des articles 251 du code civil et 1106 du code de procédure civile, cette requête initiale doit être muette à propos des raisons du divorce, ce qui était le cas en l’espèce. Cependant, dans la perspective de l’audience de tentative de conciliation obligatoire, le mari avait déposé des conclusions dans lesquelles il faisait état de très nombreux griefs à l’encontre de son épouse, lesquels avaient des liens plus ou moins directs avec les mesures provisoires sollicitées. L’épouse soulève alors l’irrecevabilité de ces écritures, ainsi que l’irrecevabilité de la requête initiale. Cette double irrecevabilité est accueillie par le juge aux affaires familiales dont l’ordonnance est confirmée par la cour d’appel. Selon les juges du fond, s’agissant d’une procédure orale, les conclusions doivent être assimilées à la requête et obéir aux mêmes principes. Dès lors que ces conclusions contiennent des griefs étrangers aux mesures provisoires, elles contreviennent aux exigences légales. La Cour de cassation n’est pas d’accord. D’une part, la teneur des conclusions ne pouvait affecter la régularité de la requête. D’autre part, l’interdiction de faire état, dans la requête en divorce, des motifs du divorce ne s’applique pas aux écritures déposées par les parties à l’appui de leurs observations orales lors de l’audience de conciliation. Selon les juges du droit, la solution adoptée par les juges du fond était donc doublement contraire à la loi.

Depuis la loi du 26 mai 2004 et son décret d’application du 29 octobre 2004, la procédure de divorce fait l’objet d’un tronc commun pour les divorces contentieux. Dans un objectif d’accélération de la procédure et de pacification de la séparation, le législateur a souhaité que la requête initiale ne contienne pas les griefs qui justifient la séparation. Par conséquent, la requête doit être neutre (A. Lienhard, La requête initiale unique. Première phase du tronc commun, AJ fam. 2004. 435 ). Il reste que cette volonté de pacification relève souvent de la quadrature du cercle en matière de contentieux familial. En effet, si la requête doit être purgée de tout grief, elle doit être complète et précise en ce qui concerne les mesures provisoires. Or les demandes des parties sur ces mesures provisoires sont parfois difficilement séparables des griefs ayant conduit l’un des époux à saisir le juge. Un mari toxicomane et alcoolique peut-il bénéficier du droit de garde des enfants ? Si l’on doit, dans la requête, présenter à part les motifs exposés au titre des mesures provisoires, il n’en demeure pas moins que, pour espérer les obtenir, certains praticiens n’hésitent pas à développer certains griefs dans leurs conclusions déposées en vue de l’audience de conciliation obligatoire. Dans ces écritures, ils sont amenés d’une manière ou d’une autre à faire état d’éléments de faits qui se présentent naturellement comme des infractions aux règles du mariage. Autrement dit, il arrive que, par le biais des moyens développés à l’appui des demandes formées au titre des mesures provisoires, certaines requêtes ou des conclusions subséquentes viennent à exposer plus ou moins volontairement des griefs laissant clairement apparaître les motifs du divorce. C’est ce glissement subreptice que refusent les juges du fond : la requête doit à tout prix rester neutre car, à ce stade, le juge ne doit pas entrer dans le débat de fond sur l’imputabilité du divorce.

Après l’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004, la question s’était posée de savoir quelle était la sanction en cas de non-respect du principe de neutralité de la requête : nullité de forme, inexistence des mentions relatives aux griefs ou fin de non-recevoir ? Dans le silence de la loi et du décret, une circulaire d’application du ministère de la justice avait opté pour une méthode douce : si la requête contenait des indications qu’elle ne devait pas contenir, il ne fallait pas en tenir compte (n° CIV/16/04, § 2.1.1.1). Pourtant, dans une ordonnance du juge des affaires familiales du 22 novembre 2005, c’est la sanction la plus dure, à savoir celle de l’irrecevabilité, qui avait été choisie (TGI Bordeaux, 22 nov. 2005, RTD civ. 2006. 288, obs J. Hauser ). L’arrêt d’appel censuré par la Cour de cassation témoigne que cette interprétation très stricte est encore présente dans l’esprit de certains magistrats. Peut-on leur en vouloir ? En vérité, cela est difficile si l’on part du constat que la volonté des juges du fond est que l’objectif des textes, celui de prohiber toute motivation sur les causes du divorce, soit parfaitement assuré. Il n’en demeure pas moins que, vis-à-vis du justiciable, dont les intérêts sont en principe censés être défendus par les textes, la requête en divorce sans motif est un objet de perplexité, pour utiliser un euphémisme. L’avocat doit ainsi expliquer à son client qui demande le divorce que l’on ne peut pas raconter l’histoire du couple ni les préjudices subis, pas même à l’appui des mesures provisoires. Il faut se taire pour ne pas cristalliser une atmosphère contentieuse et agressive qui n’est pas de nature à favoriser la conciliation et l’orientation des époux vers un accord. Cet angélisme du législateur est loin des réalités sociales auxquelles sont confrontés les praticiens du divorce. En effet, pour satisfaire à la fois la volonté de leurs clients et respecter les exigences idéalistes de la loi, les avocats sont parfois conduits à contorsionner leurs écritures pour éviter l’irrecevabilité. De plus, le principe conduisant à purger la requête de tout grief ne fait que retarder le moment où, après l’audience de conciliation obligatoire, les époux se jetteront à la figure les pires reproches dans l’assignation en divorce et les conclusions en réponse. Au final, le législateur s’est aperçu que sa logique idéaliste qui passe par un sas de pacification entre les époux était une perte de temps. Il a donc été supprimé par la loi du 23 mars 2019.

La procédure est parfois bien mise à mal pour satisfaire des intérêts confus et contradictoires qui placent le juge et les avocats dans la difficulté. C’est bien le problème de la procédure de divorce qui est orale et partiellement écrite, ce qui engendre de nombreuses complications comme l’illustre l’arrêt commenté. Au fond, la position des juges du fond est rigoureusement conforme aux buts poursuivis par la loi. Sans que la lettre soit aussi explicite, le message peut être compris par certains juges comme une injonction, celle de briser la pratique de certains avocats qui perturbent le bon déroulement de la procédure et sa rapidité. Lors de la requête, rien ne doit transparaître des motifs de la demande en divorce. Les avocats doivent plier, même si cela défie un peu trop le sens commun. En rétablissant celui-ci, la Cour de cassation défend une autre idée de la bonne application de la loi. Pour les juges du droit, il ne faut pas sanctionner outre mesure une pratique qui consiste à déposer des conclusions en vue de l’audience de conciliation. D’autant que la base juridique de la sanction qui consiste à déclarer les conclusions irrecevables et la requête irrégulière est fragile. En effet, déclarer que l’irrecevabilité de conclusions entraîne rétroactivement l’irrégularité d’une requête conforme aux exigences légales reste un raisonnement très discutable. Enfin, aussi condamnable soit-elle, cette pratique est vouée à disparaître en raison de la réforme attendue de la procédure de divorce. Autrement dit, la Cour de cassation suit aussi, à sa façon, la bonne application de la loi. Il ne s’agit donc pas d’une jurisprudence contra legem puisque les positions des juges du fond et de la Cour de cassation peuvent toutes les deux se recommander d’être conformes aux textes. L’autre leçon que l’on peut tirer de l’arrêt est de vérifier le principe qu’il n’existe pas de jurisprudence claire sans texte clair. Si le juge doit appliquer la règle de droit, encore faut-il que son sens soit explicitement énoncé. Lorsque la loi exprime les idées peu lucides du législateur sur les réalités judiciaires et lorsque celui-ci est animé par des motifs électoralistes commodes et complaisants, les praticiens, magistrats et avocats, doivent en permanence s’adapter, ce qui ne facilite pas l’exercice de leur métier. C’est pourquoi on attend avec impatience les nouvelles dispositions qui s’appliqueront à la procédure de divorce, en espérant qu’elles seront plus adaptées aux réalités.

La commission, composée de huit membres, sous la présidence de l’ancien garde des Sceaux en décembre dernier, a rendu ses conclusions. Ce document, intitulé Pour une réforme du pourvoi en cassation en matière civile, fait émerger quatre propositions.

Principalement, le texte prône le « renforcement de la procédure d’admission en instaurant un traitement différencié selon la nature des pourvois ». Concrètement, il s’agirait d’adopter un circuit accéléré pour les affaires « relevant de la fonction unificatrice et disciplinaire de la Cour de cassation », et inversement.

Cette solution « aurait l’avantage d’alléger au maximum la procédure d’admission pour permettre aux membres de la Cour de cassation de se concentrer sur les pourvois ayant une portée normative », retient la commission. L’option s’inspire ici de ce qui vaut pour le Conseil d’État, qui n’examine pas les pourvois « non fondés sur un moyen sérieux de cassation » (COJ, art. L. 136-1).

Ensuite, la commission invite à ne pas « isoler » cette procédure. Elle propose de solliciter de la commission des lois une évaluation de cette procédure renforcée d’admission et de traitement différencié des pourvois et débattre de ses conséquences.

Troisièmement, l’assemblée plénière serait une voie réservée aux seules affaires posant une question de principe.

Et enfin, elle appelle à réformer le statut du parquet général afin d’afficher son indépendance – qui existe déjà mais est mal comprise, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme.

La commission s’écarte ainsi de la proposition, formulée par Bertrand Louvel dès décembre 2014 de soumettre les pourvois à autorisation délivrée par chaque chambre en fonction de son intérêt pour le droit ou l’unification de la jurisprudence.

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Alors que la doctrine s’interroge sur une éventuelle consécration du principe de concentration des moyens dans les textes (A. Donnier, « Faut-il codifier le principe de concentration des moyens dans le Code de procédure civile ? », in I. Pétel-Teyssié et V. Puigelier, Quarantième anniversaire du Code de procédure civile 1975-2015, 2e éd., Éditions Panthéon-Assas, 2016, p. 147), le législateur a préféré jusqu’à présent ignorer ce dernier. La Cour de cassation continue donc d’en dessiner seule les contours. C’est notamment le cas dans l’arrêt du 11 avril 2019 de la deuxième chambre civile (n° 17-31.785), qui durcit le principe en précisant le temps procédural durant lequel la partie doit présenter l’ensemble de ses moyens à l’appui de sa demande.

En l’espèce, deux époux, en juin 2007, consentent au petit-fils de l’épouse une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble, pour un prix de 350 000 € payable pour 130 000 € à titre de bouquet et une rente mensuelle et viagère de 2 377,40 €. En attendant la régularisation de l’acte authentique, les vendeurs donnent à bail l’immeuble à l’acheteur et son épouse. En septembre 2007, le vendeur décède. La régularisation de promesse de vente n’étant pas intervenue, le 5 octobre 2009, la veuve signifie aux locataires un congé pour vente à moins pour eux d’exercer leur droit de péremption pour un prix de 350 000 €. La veuve décède moins de deux semaines plus tard et les locataires assignent les héritiers des bailleurs devant le tribunal d’instance, en nullité du congé pour insanité d’esprit. Dans un premier jugement du 12 décembre 2011, le tribunal d’instance déclare cette demande irrecevable en vertu de l’article 414-2 du code civil : seuls les héritiers de la personne protégée peuvent agir en nullité pour insanité d’esprit. En outre, le tribunal d’instance se déclare incompétent au profit du tribunal de grande instance pour apprécier la validité de la promesse de vente et sursoit à statuer sur la validité du congé. Le tribunal de grande instance et la cour d’appel ayant déclaré la promesse de vente nulle pour insanité d’esprit, l’instance reprend devant le tribunal d’instance. Les locataires font alors valoir l’irrégularité de l’acte de congé qui n’a pas été délivré par l’ensemble des coïndivisaires mais le tribunal les déclare irrecevables à contester la validité du congé en raison de l’autorité de la chose jugée. Ces derniers font appel et la juridiction du second degré infirme le jugement. Les héritiers des bailleurs se pourvoient en cassation.

L’autorité de la chose jugée peut-elle être invoquée quand, dans une même instance, un demandeur fonde sa demande sur un moyen différent de son moyen initial ? Pour répondre, la Cour de cassation reprend le principe de concentration des moyens et précise le temps imparti au demandeur pour présenter l’ensemble de ses moyens.

Le chapeau de l’arrêt rappelle qu’« il incombe au demandeur […] d’exposer l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder [sa demande] ». En l’espèce, la demande des locataires était la nullité du congé délivré par le bailleur. Dans un premier temps, ils ont fondé cette demande sur l’insanité d’esprit de l’auteur du congé, puis, plus tard, sur les modalités de délivrance du congé. C’est cette latence qui est incompatible avec le principe de concentration qui impose aux parties d’invoquer tous les moyens de fait et de droit qui fondent et étayent leurs prétentions dans un même trait de temps. L’idée est de purger le procès de tout stratagème dilatoire qui consisterait à garder en réserve un moyen, en obligeant les parties et leurs conseils à une analyse approfondie de la demande sous tous ses aspects. Ce principe vise à empêcher qu’une partie ne ruine, par un élément révélé tardivement, tout le travail qui a pu être accompli précédemment et aide également le juge dans son office, en lui offrant une approche cohérente et globale de la situation juridique.

Or, jusqu’à présent, la Cour de cassation avait pris l’habitude de préciser que tous les moyens doivent être présentés « dès l’instance relative à la première demande » (Civ. 1re, 9 janv. 2019, n° 18-11.734, Dalloz jurisprudence ; Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 17-14.302, Dalloz jurisprudence ; Civ. 3e, 3 mai 2018, n° 17-16.506, AJDI 2018. 541 ; ibid. 549 ; et autres), ce qui pouvait raisonnablement laisser penser que le « trait de temps » était celui de cette instance. L’arrêt du 11 avril 2019 nuance cette idée : « il incombe au demandeur, avant qu’il ne soit statué sur sa demande, d’exposer l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ». Ce qui importe n’est pas tant la fin de l’instance que le moment où le juge statue sur la demande. En l’espèce, les deux temps ne coïncident pas. Par le jugement du 12 décembre 2011, le juge avait statué sur la demande de nullité du congé des locataires, la déclarant irrecevable, puis avait sursis à statuer. L’instance s’est trouvée ainsi suspendue (C. pr. civ., art. 378) puis a repris. C’est lors de ce second temps que les demandeurs présentent le nouveau moyen au soutien de leur demande. Mais il est trop tard. Toujours dans son chapeau, la Cour de cassation précise que « dans une même instance, une prétention rejetée ne peut être présentée à nouveau sur un autre fondement ». Les parties n’ont pas nécessairement le temps de l’instance pour présenter tous les moyens au soutien de leur demande, mais le temps de la réponse judiciaire. Or, comme elles ne maîtrisent pas ce dernier, on ne peut que leur conseiller, dans la mesure du possible, de soulever tous leurs moyens simultanément. La solution est sévère, d’autant plus qu’en l’espèce, la question qui restait à trancher, à la suite du sursis, était en lien direct avec cette prétention. Les locataires ont succombé à la charge processuelle (H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, Dalloz, p. 87-88, spéc. n° 85) que faisait peser sur eux le principe de concentration des moyens, charge sanctionnée par l’irrecevabilité des moyens négligés (G. Bolard, L’office du juge et le rôle des parties : entre arbitraire et laxisme, JCP 2008. I. 156, spéc. n° 3). Or, si le nouveau moyen est irrecevable, rien n’est nouveau et l’autorité de la chose jugée s’impose.

Le 14 septembre 2017, la cour d’appel de Dijon déclare irrecevable une action en contestation de filiation dans la mesure où l’appelant avait limité son appel au rejet d’une demande d’expertise génétique aux fins de contester sa paternité, sans référence au rejet par le premier juge de sa demande d’annulation de la reconnaissance. Un pourvoi est formé contre l’arrêt et la deuxième chambre civile, au visa de l’article 562, alinéa 1er, du code de procédure civile, casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour de Dijon motif pris qu’en statuant ainsi, alors qu’en déférant le chef du jugement rejetant sa demande d’expertise, l’appelant critiquait implicitement celui relatif à la demande d’annulation de sa paternité, la cour a violé le texte susvisé.

L’arrêt ni les moyens au soutien du pourvoi n’apportent de précision sur la date de l’appel mais, s’agissant d’un arrêt de cour d’appel du 14 septembre 2017, on en déduira volontiers que l’acte d’appel avait été formé avant l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Et cette précision est d’importance et éclaire bien sûr la portée de cette cassation. En effet, dans sa version antérieure, l’article 562, alinéa 1er, du code de procédure civile disposait que « l’appel...

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En l’espèce, des particuliers deviennent propriétaires de parts d’une société civile d’attribution ayant pour objet l’acquisition d’un terrain. Celui-ci est donné à bail à construction, pour une durée de vingt-cinq ans, à une société de HLM, qui s’engage à faire édifier des logements, à les entretenir et à les louer pour la durée du bail, qui expire le 19 juillet 2010. À son terme, les ayants droit des porteurs des parts sociales deviennent propriétaires des trois appartements construits mais ces derniers sont encore occupés par les locataires de la société de HLM. Celle-ci est alors assignée en indemnisation, pour manquement à son obligation de restituer les lieux libres de tout occupant.

À la suite de sa condamnation au fond, la société de HLM forme un pourvoi en cassation. Elle soutient qu’en tant que preneur d’un bail à construction, sa responsabilité n’est susceptible d’être engagée que s’il est rapporté qu’elle a consenti des contrats de location pour une période allant au-delà de l’échéance de son propre bail, sans avertir en temps utile les locataires que leur contrat s’éteindrait à cette date. Or, selon la demanderesse, la cour d’appel n’a pas été amenée à constater qu’elle avait conclu des baux pour une période allant...

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Une défunte laisse pour lui succéder ses seuls neveux et nièces : cinq sont issus de son frère prédécédé, le dernier issu de sa sœur exhérédée par testament olographe. Faisant jouer la représentation en ligne collatérale, le notaire liquidateur règle la succession en divisant celle-ci en deux pour chacune des souches. Au terme du partage amiable, les cinq neveux et nièces issus du frère se répartissent donc cette moitié par tête, soit un dixième chacun. La succession est déclarée à l’administration fiscale sur la base de ce règlement. Les héritiers espèrent alors bénéficier des articles 777 et 779 du code général des impôts. Le premier fixe les droits de mutation dus en ligne collatérale en distinguant entre les frères et sœurs ou leurs représentants (35 % ou 45 % selon la part reçue) et les parents jusqu’au quatrième degré (55 %). Les neveux et nièces venant de leur propre chef à la succession appartiennent à cette seconde catégorie. Le second texte fixe, quant à lui, un abattement pour chacun des frères et sœurs ou leurs représentants et eux seuls. L’administration fiscale estimant que la représentation successorale ne jouait pas, que chacun des héritiers devait venir à la succession de son propre chef, de sorte que la part de chacun aurait dû être fixée à un sixième de la succession, a émis un avis de recouvrement supplémentaire. L’un des héritiers a contesté cet avis, ce qui a donné lieu à l’affaire commentée.

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 1er décembre 2016, fait droit à la demande de l’héritier. Au soutien de leur solution, les juges du fond procèdent à une double interprétation. D’abord, les juges procèdent à une interprétation de l’esprit de la loi (ici des lois n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 et n° 2006-728 du 23 juin 2006) qui fait jouer la représentation pour les indignes et les renonçants. En ayant recours à l’analogie, les juges estiment que « l’indignité successorale s’assimile à une exhérédation légale » de sorte que « l’exhérédation par voie testamentaire ne peut produire pour les enfants de l’exhérédé des conséquences juridiques et fiscales plus sévères que pour les enfants de l’indigne ». Ensuite, les juges versaillais interprètent la volonté de la testatrice de laquelle il ne découlerait pas qu’elle ait souhaité faire peser sur le fils de sa sœur les conséquences de l’exhérédation de celle-ci. La cour d’appel en déduit que le neveu peut venir à la succession de la de cujus par représentation de sa sœur, de sorte que sa souche n’est pas éteinte. Pour la cour d’appel, les conditions de la représentation en ligne collatérale étaient donc remplies dans la mesure où l’on était en présence d’une pluralité de souches (condition sine qua non pour que la représentation joue en matière civile, v. Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-17.556, en ligne descendante, Dalloz actualité, 16 oct. 2013, obs. T. Douville ; D. 2013. 2273 ; ibid. 2014. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 652, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2013. 875, obs. M. Grimaldi ; 14 mars 2018, n° 17-14.583, en ligne collatérale, Dalloz actualité, 5 avr. 2018, obs. F. Sauvage ; D. 2018. 615 ; ibid. 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2018. 305, obs. J. Casey ; RTD civ. 2018. 716, obs. Michel Grimaldi ; contra en matière fiscale pour la seule ligne descendante, v. BOI-ENR-DMTG-10-50-80-20170824, n° 330). Au cas d’espèce, l’abattement et le tarif prévus au profit des représentants des frères et sœurs avaient vocation à s’appliquer.

La Cour de cassation n’est pas de cet avis. L’arrêt est cassé au visa des articles 777 et 779 du code général des impôts, ensemble les articles 751, 752-1, 754 et 755 du code civil relatifs à la représentation successorale. Dans un attendu liminaire, la Cour de cassation affirme que « les dispositions fiscales relatives au calcul des droits de succession dus en ligne collatérale par les frères et sœurs ne s’appliquent à leurs représentants que s’ils viennent à la succession par l’effet de la dévolution légale ». Or, après avoir relevé que la loi ne prévoyait pas la représentation de « l’exhérédé par testament », la Cour de cassation estime que la cour d’appel a violé les textes précités.

La cassation était inévitable bien que l’argument par analogie retenu par la cour d’appel fût séduisant.

La représentation, à l’image de la fente successorale, est conçue par le code civil comme une exception à la règle du degré (C. civ., art. 744, al. 3). Selon cette règle, dans chaque ordre l’héritier le plus proche en degré exclut l’héritier plus éloigné (C. civ., art. 744, al. 1er). Toutefois, les exceptions sont d’interprétation stricte et ne sauraient être étendues au-delà de leur champ d’application. Les textes sont clairs : la représentation joue en ligne directe descendante (C. civ., art. 752) comme dans l’ordre des collatéraux privilégiés (C. civ., art. 752-2). Elle joue lorsque l’auteur commun est prédécès (C. civ., art. 752, 752-2 et 754), renonçant (C. civ., art. 754) ou indigne (C. civ., art. 755). Les cas d’indignité sont clairement identifiés dans la loi (C. civ, art. 726 et 727). Ils sont également d’interprétation stricte (Civ. 1re, 18 déc. 1984, n° 83-16.028).

Au contraire, la représentation ne saurait jouer en cas d’exhérédation testamentaire (par opposition à « l’exhérédation légale » constituée par l’indignité successorale) ou en cas de renonciation d’un légataire ou de son prédécès (en ce sens, v. Civ. 2 juill. 1924, DP 1926. 1. 102).

En l’espèce, les implications de la décision étaient fiscales. Faute de représentation, les héritiers ne pourront profiter de l’abattement prévu à l’article 779 du code général des impôts et seront assujettis au taux de 55 % par l’article 777 du même code. En revanche, civilement, il est trop tard pour remettre en cause le partage amiable que ce soit sur le fondement, à l’admettre, de la nullité pour erreur de droit sur la quotité des droits des copartageants (C. civ., art. 887, al. 2 ; comp. M. Grimaldi, Droit des successions, 7e éd., LexisNexis, 2017, note n° 646 sous n° 1053), qui est enfermée dans un délai de cinq ans (C. civ., art. 2224) ou de l’action en complément de part (ici les enfants du fils prédécédé ont effectivement été lésés de plus du quart) qui se prescrit par deux ans (C. civ., art. 889).

Mais au-delà du cas d’espèce, les conséquences d’une telle décision sont évidemment avant toutes choses civiles. L’exhérédation d’un des successibles conduit à une répartition de la succession totalement différente de ce qu’elle aurait dû être normalement. Dans le cas d’espèce, la représentation était susceptible de jouer que dans une seule souche, la seconde étant considérée comme éteinte faute de représentation possible. L’unicité de souche excluant la représentation, tous les héritiers du même degré (le troisième) auraient donc dû venir à la succession de leur propre chef et se partager la succession par tête (C. civ., art. 744, al. 2), soit un sixième chacun. Avantageuse pour les enfants du frère prédécédé (qui ne pouvait bénéficier que d’un dixième de la succession en cas de représentation), la règle appliquée à la lettre se retourne contre le fils de la sœur exhérédé. L’égalité de souche, pourtant défendue par le législateur, est ici clairement atteinte. On comprend alors la tentation des juges du fond de combler ce qu’ils considèrent comme étant une lacune de notre droit.

La solution pourrait même s’avérer plus radicale. Ajoutons au cas d’espèce une souche supplémentaire. La de cujus laisse pour lui succéder ses cinq neveux et nièces issus de son frère prédécédé, un neveu issu de sa sœur exhérédée et un frère adoptif. On serait alors en présence de trois souches. Dans la souche constituée par le frère prédécédé, ses descendants viendraient en représentation de ce dernier et seraient considérés fictivement comme étant du deuxième degré. Dans la souche constituée par le frère adoptif, ce dernier viendrait de son propre chef au deuxième degré. En revanche, dans la souche constituée par la sœur exhérédée, faute de représentation, son fils serait susceptible de venir à la succession de son propre chef et donc au troisième degré. Par application de la règle du degré, il serait exclu de la succession. De là, on voit que la décision rendue par la Cour de cassation pourrait avoir de lourdes conséquences selon la configuration familiale : l’exhérédation d’un héritier peut aboutir à l’exhérédation de sa souche.

Les testateurs et leurs conseils doivent désormais être vigilants et envisager les conséquences attachées à l’exhérédation expresse d’un héritier présomptif, en prévoyant au besoin une répartition de la succession par souche, mais cette fois par voie testamentaire.

Compte tenu de sa portée, la présente décision aurait sans doute mérité une plus large diffusion.

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C’est une espèce connue que l’on retrouve ici. Le lecteur se souviendra qu’elle avait donné lieu, en 2017, à un arrêt de cassation qui revenait utilement sur la subtile notion « d’implication » d’un véhicule terrestre à moteur (VTAM) en l’absence de contact (Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 16-15.562, Dalloz actualité, 2116-15.562mars 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 902 , note D. Mazeaud ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2017. 671, obs. P. Jourdain ; RCA 2017, comm. 162, H. Groutel). Il semble que l’arrêt rendu sur renvoi (Limoges, 15 févr. 2018) n’ait cependant pas satisfait toutes les parties, obligeant la Cour de cassation à avoir une nouvelle fois à connaître de cette affaire.

Rappelons-nous les faits qui témoignaient, s’il était besoin, des dangers de la route. Alors qu’il circulait, de jour, dans de bonnes conditions de visibilité, sur une route départementale qu’il connaissait bien pour l’emprunter quatre fois par jour pour se rendre et revenir de son travail, un motocycliste aperçut un tracteur du conseil général ; ce dernier était positionné en partie sur sa voie de circulation et en partie sur l’accotement droit, il circulait à allure très réduite et il procédait au fauchage du bas-côté de la route. Tentant de dépasser le tracteur, le motocycliste perdit le contrôle de son engin et chuta lourdement sur la chaussée. L’accident ayant entraîné sa paraplégie, la victime assigna le département et son assureur pour obtenir réparation de ses préjudices.

Les dispositions favorables de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 s’appliquent, selon son article 1er, « aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur » (nous soulignons). Si elle n’est pas légalement définie et si elle fit l’objet d’évolutions dans son interprétation jurisprudentielle (v. la fine étude de F. Leduc, L’évolution de l’implication, RCA 2019. Doss. 8), la notion « d’implication » se distingue à bien des égards de celle de « causalité » : la première est unanimement tenue comme plus large que la seconde (S. Carval, L’implication et la causalité, RCA 2015. Doss. 15 ; P. Jourdain, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, JCP 1994. 3794 ; R. Raffi, Implication et causalité dans la loi du 5 juillet 1985, D. 1994. 158 ). Cependant, à l’instar de la causalité en matière de responsabilité générale du fait des choses (C. civ., art. 1242, al. 1er), l’implication fait l’objet d’un traitement différent selon que le véhicule est entré en contact avec le siège du dommage (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2019, coll. « Précis », p. 1247, 1178 et 1179) ; et l’arrêt du 18 avril 2019 en offre une nouvelle illustration.

La cour d’appel de renvoi avait déclaré le département intégralement responsable des préjudices subis par la victime, puis ordonné une expertise médicale aux fins d’évaluer ces préjudices et enfin condamné solidairement le département et son assureur à payer à la victime la somme de 50 000 € à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive. Le pourvoi formé par le département et son assureur était, en vérité, assez mal formulé et avait, dans ces conditions, bien peu de chances de prospérer. Il tentait de faire valoir que la cour d’appel avait violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 en déduisant l’implication du tracteur de sa seule présence sur la voie de circulation ; tout en reconnaissant – et c’est là ce qui le trahissait – que cette présence avait contraint la victime à une manœuvre de dépassement.

La Cour de cassation ne pouvait que rejeter ce pourvoi. En effet, les juges d’appel avaient déduit l’implication du tracteur non pas uniquement de sa présence sur le lieu de l’accident ; mais du fait que cette présence contraignait nécessairement le motocycliste à opérer un dépassement. C’est ce que confirme très nettement l’arrêt commenté : « ayant retenu par des constatations souveraines qu’il était établi que [le motocycliste] avait perdu le contrôle de sa motocyclette au moment où il se rabattait sur sa voie de circulation et que c’est la présence du tracteur qui, alors qu’il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétant sur la voie de circulation, l’avait contraint à cette manœuvre de dépassement, la cour d’appel a exactement décidé que ce tracteur était impliqué dans l’accident ». Ce faisant, cette décision revient sur l’appréciation de l’implication d’un VTAM dans le cas particulier de l’accident survenu à l’occasion d’un dépassement.

C’est peu dire qu’il est délicat d’établir l’implication d’un VTAM en l’absence de contact avec la victime (ou son véhicule). Autant, s’il est acquis qu’en cas de contact, le véhicule – qu’il soit en mouvement, à l’arrêt ou en stationnement (Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164, RTD civ. 1995. 382, obs. P. Jourdain ; RCA 1995. Comm. 162 ; 12 juin 1996, n° 94-14.600, D. 1996. 175 ; 6 nov. 1996, n° 93-20.318, Dalloz jurisprudence ; 29 avr. 1998, n° 96-18.421, Dalloz jurisprudence ; 30 avr. 2014, n° 13-16.291, Dalloz jurisprudence) – est forcément impliqué, chacun sait qu’il en va différemment en l’absence de contact : dans ce dernier cas, les juges retiennent que la victime doit démontrer que le véhicule « a joué un rôle quelconque dans l’accident » (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-24.112, D. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; 29 mars 2018, nos 17-10.976 et 17-11.198, n° 17-10.976, D. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; 2 mars 2017, n° 16-15.562, préc. ; 19 mai 2016, n° 15-16.714, Dalloz jurisprudence ; 1er juin 2011, n° 10-17.927, Dalloz actualité, 6 juill. 2011, obs. G. Rabu ; D. 2011. 1618 ; ibid. 2150, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et O.-L. Bouvier ; AJCT 2011. 578, obs. É. Péchillon ) ou encore – mais la formule tend à se faire plus rare – qu’il « est intervenu à quelque titre que ce soit dans la réalisation de l’accident » (Civ. 2e, 24 avr. 2003, n° 01-13.017, D. 2003. 1267 ; RTD civ. 2003. 515, obs. P. Jourdain ; 14 nov. 2002, n° 00-20.594, Dalloz jurisprudence ; 11 juill. 2002, n° 01-01.666, Dalloz jurisprudence ; 21 juin 2001, n° 99-15.732, D. 2001. 2243 ; RTD civ. 2001. 901, obs. P. Jourdain ; 25 janv. 2001, n° 99-12.506, D. 2001. 678 ; 18 mai 2000, n° 98-10.190, RTD civ. 2000. 853, obs. P. Jourdain ; 24 févr. 2000, n° 98-12.731, D. 2000. 86 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; 24 juin 1998, n° 96-20.284, Dalloz jurisprudence ; 18 mars 1998, n° 96-13.726, Dalloz jurisprudence ; 24 janv. 1996, n° 94-11.977, Dalloz jurisprudence). On avait pourtant pu être troublé lorsqu’en 2015, la Cour de cassation rendit deux décisions dissonantes : écartant l’implication en l’absence de « manœuvre perturbatrice » (Civ. 2e, 5 févr. 2015, n° 13-27.376, D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; Gaz. Pal. 28 avr. 2015, n° 118, p. 11, M. Ehrenfeld) après avoir, quelques jours auparavant, formulé une solution radicalement opposée en refusant de subordonner l’implication à un « fait perturbateur de la circulation » (Civ. 2e, 15 janv. 2015, n° 13-27.448, D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RCA 2015. Comm. 118, H. Groutel). Malgré ces errements, il semble dorénavant acquis que « l’implication d’un véhicule n’est pas subordonnée à la condition qu’il ait joué un rôle perturbateur » (Civ. 2e, 29 mars 2018, nos 17-10.976 et 17-11.198, D. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RCA 2018. Comm. 165, H. Groutel ; LEDA 2018, n° 6, p. 4, F. Gréau). La Cour de cassation considère désormais que toute autre solution revient à « ajout[er] une condition à la loi » (Civ. 2e, 2 mars 2017, préc. ; cassation de l’arrêt d’appel qui retenait que la victime devait démontrer que le véhicule avec lequel il n’y avait eu aucun contact avait eu un « comportement perturbateur »).

Le cas particulier du dépassement de véhicule n’en est pas moins délicat car on sait que « la seule présence d’un véhicule sur les lieux d’un accident de la circulation ne suffit pas à caractériser son implication » (Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-16.714, Dalloz jurisprudence ; 13 déc. 2012, n° 11-19.696, Dalloz actualité, 11 janv. 2013, obs. I. Gallmeister ; D. 2013. 12, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2013. 390, obs. P. Jourdain ; 17 févr. 2011, n° 10-14.658, Dalloz jurisprudence ; 8 juill. 2004, n° 03-12.323, Dalloz jurisprudence ; 18 mars 1999, n° 97-14.306, Dalloz jurisprudence ; 25 mai 1994, n° 92-19.200, Dalloz jurisprudence). Pour retenir l’implication du véhicule au sens de la loi Badinter, il faut démontrer que celui-ci a joué un rôle quelconque – entendons même non fautif (Civ. 2e, 18 nov. 1987, n° 86-14.701, Dalloz jurisprudence ; retenant l’implication malgré l’absence d’irrégularité du stationnement) – dans la réalisation de l’accident. Ainsi que cela fut relevé, « en cas de dépassement, ce n’est pas seulement la présence du véhicule dépassé qui implique celui-ci, c’est le fait qu’il oblige un autre véhicule à une manœuvre de dépassement » (P. Jourdain, L’implication du véhicule dépassé, RTD civ. 2017. 671 ). Tel est précisément ce que souligne ici la Cour de cassation : ce ne fut pas la présence du tracteur sur les lieux de l’accident qui révélait son implication dans la survenance de l’accident mais son positionnement (empiétant sur la voie de circulation) et sa vitesse (circulant à faible allure), qui obligeaient les autres véhicules à entreprendre un dépassement.

En conclusion, la décision commentée rassure car elle s’inscrit dans une compréhension large de la notion d’implication qui semble – et c’est sans doute heureux – dorénavant prévaloir en jurisprudence. Tout porte finalement à raisonner de manière négative (et non positive) en se demandant, pour établir l’implication d’un véhicule, si, sans lui, l’accident aurait eu lieu : lorsque, comme ici, la réponse est négative, son implication pourra être retenue.

On connaît l’extraordinaire développement du devoir de mise en garde en matière de crédit (V. à ce sujet, D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 641 s.). Mais, pour important qu’il soit, ce devoir demeure étroitement lié à son objet qui réside dans le risque d’endettement de l’emprunteur non averti. Il ne pèse donc pas sur le dispensateur de crédit en l’absence d’un tel risque, comme le montre l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 avril 2019. En l’espèce, par acte du 16 juin 2008, M. et Mme D. ont souscrit, auprès d’une société, un prêt de restructuration d’un montant de 66 000 €, remboursable en 144 mensualités de 781,37 € chacune. Les emprunteurs ayant été défaillants, la société les a assignés en exécution de leur engagement. Cette dernière s’est alors vue opposer un manquement à son devoir de mise en...

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Si l’on dénombre plusieurs règlements européens adoptés dans le domaine de la coopération judiciaire civile (TFUE, art. 81) qui sont à l’origine d’un important contentieux, le règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 n’en fait assurément pas partie. Du moins, les affaires soumises à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (v., cependant, dernièrement, CJUE 14 févr. 2019, aff. C-554/17, Dalloz actualité, 4 mars 2019, obs. F. Mélin ) ou à la Cour de cassation le concernant sont très peu nombreuses. Par contraste, le présent arrêt de la première chambre civile retient donc particulièrement l’attention.

Entré en vigueur le 1er janvier 2009 dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne à l’exception du Danemark, ce règlement a été réformé depuis par le règlement (UE) n° 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 (JOUE n° L 341, 24 déc. 2015, p. 1). Applicable en matière civile et commerciale dans les – seuls – litiges transfrontières, il institue une procédure européenne de règlement des litiges qui n’excèdent pas 5 000 €. Il s’agit d’une procédure contradictoire, écrite, jalonnée de formulaires types multilingues et pouvant être mise en œuvre sans que les parties soient représentées par un avocat ou tout autre professionnel du droit. Bien qu’elle soit présentée comme une procédure européenne uniforme, des renvois – spécifiques ou plus généraux – sont néanmoins opérés aux législations nationales. À cet égard, il est notamment prévu que « sous réserve des dispositions [du règlement (CE) n° 861/2007], la procédure européenne de règlement des petits litiges est régie par le droit procédural de l’État membre dans lequel la procédure se déroule » (Règl. (CE) n° 861/2007, art. 19).

En l’espèce, il est précisément question du respect du droit procédural français et, singulièrement, du principe de la contradiction, à l’occasion de la mise en œuvre en France de la procédure européenne de règlement des petits litiges.

Un ressortissant français avait réservé en ligne un véhicule de location auprès d’une société de droit espagnol. Or, lors de la prise en main du véhicule en Espagne, celui-ci a conclu une assurance complémentaire auprès de cette société. De retour en France, estimant qu’il a été contraint de souscrire inutilement cette assurance afin de pouvoir prendre possession du véhicule loué, il saisit le tribunal d’instance compétent en application de la procédure européenne de règlement des petits litiges. Il réclame à la société de location le remboursement du montant de l’assurance litigieuse ainsi que le paiement d’une certaine somme au titre des frais de procédure. La société de droit espagnol forme, à son tour, une demande reconventionnelle, conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 861/2007. En réponse à cette demande reconventionnelle, son adversaire formule une nouvelle demande, développe des moyens nouveaux et produit des pièces complémentaires.

Dans l’un des moyens de cassation invoqués à l’appui de son pourvoi, avec succès, la société de location fait grief au jugement du tribunal d’instance d’avoir accueilli les demandes de son cocontractant, sans que les éléments nouveaux avancés par ce dernier lui soient préalablement transmis. Le jugement attaqué est ainsi cassé au visa de l’article 16 du code de procédure civile et de l’article 19 (susmentionné) du règlement (CE) n° 861/2007 du 11 juillet 2007.

Selon la Cour de cassation, il « résulte de la combinaison de ces textes que, lorsqu’il applique la procédure européenne de règlement des petits litiges, le juge est tenu de faire observer et d’observer lui-même le principe de la contradiction ». Dans le prolongement de cette affirmation, ils poursuivent en précisant que, « si, répondant à une demande reconventionnelle sur le fondement de l’article 5.6 du règlement précité, l’auteur de la saisine formule de nouvelles prétentions, développe de nouveaux moyens ou produit de nouvelles pièces, il appartient au juge qui envisage de prendre en considération de tels éléments d’en assurer la transmission préalable à la partie adverse ».

La solution retenue emporte l’approbation au regard du nécessaire respect des droits de la défense de la partie contre qui ces nouveaux « éléments » sont invoqués. Plus généralement, elle permet de souligner que l’examen et la mise en œuvre du règlement (CE) n° 861/2007 ne peuvent être envisagés indépendamment des droits procéduraux nationaux. En ce sens, tout comme la procédure européenne d’injonction de payer instituée par le règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 (JOUE n° L 399, 30 déc. 2006, p. 1) et la procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires créée par le règlement (UE) n° 655/2014 (JOUE n° L 189, 27 juin 2014, p. 59), la procédure européenne de règlement des petits litiges s’analyse en réalité en une procédure « semi-uniforme ».

La fréquence et l’importance des renvois aux droits internes des États membres ne sont pas neutres. Elles ont probablement facilité l’adoption des règlements précités, mais rendent indispensable la diffusion d’informations par les institutions européennes – notamment via le Portail e-justice européen – sur les règles procédurales nationales, auprès des justiciables européens.

Pour conclure, il y a lieu d’ajouter que l’arrêt attaqué a également été cassé au visa non seulement de l’ancien article L. 120-1 du code de la consommation (devenu l’article L. 121-1 de ce même code) mais également de l’ancien article 1382 du code civil (devenu l’article 1240 de ce même code), ensemble l’article 700 du code de procédure civile.

Sur le premier de ces fondements, il est reproché à la juridiction de première instance d’avoir retenu l’existence d’« une pratique commerciale déloyale » (du fait notamment des imprécisions du bon de réservation et du contrat de location du véhicule sur la nécessité de verser un dépôt de garantie et sur le caractère obligatoire de l’assurance complémentaire en cas de renonciation à ce dépôt), « sans expliquer, comme il le lui incombait, en quoi [le bon de réservation et le contrat de location] n’étaient pas de nature à éclairer un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ». Autrement dit, en la matière, il convient de raisonner au regard du comportement d’un consommateur moyen et non en prenant seulement en considération le manque supposé de précisions des documents contractuels.

Sur le second de ces fondements, le jugement attaqué encourt la cassation en ce qu’il a condamné la société de droit espagnol à verser au locataire du véhicule une somme d’argent, à titre de dommage-intérêts, en réparation du « préjudice lié aux tracas et frais occasionnés par la procédure qu’il a dû engager pour faire valoir ses droits ». En effet, selon la Cour de cassation, les frais irrépétibles ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et, partant, ne sauraient constituer un « préjudice réparable » pour celui qui les a exposés. Il est à souligner que cette solution – qui est parfois critiquée (v. not. F.-X. Licari, Les frais d’avocat comme dommage réparable, RLDC 2006/31, p. 66) – n’est pas inédite. Elle a déjà été adoptée à l’égard d’honoraires d’avocat (Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 03-15.155, Bull. civ. II, n° 365 ; D. 2004. 2195 ; Dr. et proc. 2005. 29, note F. Vinckel), de frais d’huissier de justice (Soc. 16 sept. 2009, n° 07-45.725, RCA 2010. Comm. 45, obs. S. Hocquet-Berg) ou encore de frais exposés par une partie ayant constitué sa défense devant une juridiction de proximité (v. égal. Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16.10-959, Dalloz jurisprudence). Le régime juridique applicable est d’ailleurs bien différent d’une base juridique à l’autre, dès lors notamment que l’application de l’article 700 du code de procédure civile n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute à la charge de la partie condamnée (Civ. 2e, 21 juill. 1980, n° 78-16.033, Bull. civ. II, n° 189).

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Deux semaines jour pour jour après son arrêt du 3 avril 2019 (Civ. 1re, 3 avr. 2019, n° 18-13.890, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. J. Boisson ), la première chambre civile vient préciser, peut-être malgré elle, les zones d’ombre découlant de son premier arrêt, tout en en créant de nouvelles.

Dans l’arrêt de la Cour de cassation du 17 avril 2019, deux époux, mariés sous le régime légal, avaient consenti à leur fille une donation de la nue-propriété d’un immeuble commun. Ils s’étaient réservé l’usufruit de cet immeuble. Les époux ont ensuite changé leur régime matrimonial et ont adopté la communauté universelle avec attribution intégrale au dernier vivant. En l’espèce, l’épouse est décédée d’abord, suivie quelques années après par son époux. Ce dernier laisse pour lui succéder ses deux enfants, au rang desquels la donataire de l’immeuble. Des difficultés se sont élevées entre les héritiers lors des opérations de liquidation sur la valeur de la donation à rapporter à la succession de leur père. L’hésitation était permise en l’absence de stipulation particulière dans l’acte de donation entre la totalité de la valeur du bien ou une partie seulement de celle-ci.

La cour d’appel de Pau tranche en faveur de la première option. Dans un arrêt du 12 mars 2018, elle estime que le rapport devait se faire à la succession du père pour la totalité de la valeur dans la mesure où il était « attributaire de l’intégralité de la communauté ». Pour justifier leur décision, les juges du fond retiennent qu’en l’absence de stipulation contraire, il résulte des articles 1438 et 1439 du code civil qu’en présence d’une donation conjointe de biens communs comme d’une donation réalisée par un seul époux avec le consentement de l’autre à un enfant issu du mariage, la charge de celle-ci incombe définitivement à la communauté.

La Cour de cassation retient une lecture radicalement différente des articles 1438 et 1439 du code civil. L’arrêt d’appel est donc cassé au visa de ces deux textes et de l’article 850 du même code, que la Cour de cassation vise, par excès de zèle, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006. Pourtant, cette loi (précisément son article 3) n’a pas touché à la rédaction de cet article, mais a simplement modifié le plan et l’intitulé des sections dans lequel celui-ci se trouve. La rédaction de l’article 850 d’hier est celle d’aujourd’hui. La solution retenue a donc vocation à s’appliquer en droit positif. La haute juridiction aurait pu faire l’économie de cette précision qui trouble, sans véritable raison, la portée de la décision.

Dans un chapeau liminaire, la Cour de cassation précise qu’en vertu de l’article 850 du code civil, le rapport des dons et legs ne se fait qu’à la succession du donateur.

Quant aux deux autres articles, il en résulte, pour la haute juridiction, que « la donation d’un bien commun est rapportable par moitié à la succession de chacun des époux codonateurs ».

Appliquant la règle énoncée à l’espèce, la Cour de cassation, constatant l’absence de clause particulière, considère que « seule la moitié de la valeur du bien objet de la donation était rapportable à la succession » du père. L’arrêt est donc cassé sur ce point pour violation de la loi. Par voie de conséquence, la cassation s’étend à la question du rapport des frais afférents à la donation. Ce n’est que l’application de l’article 624 du code civil invoqué par la Cour. Selon ce texte, la censure n’est pas limitée à la portée du moyen en cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

La motivation retenue par la Cour de cassation n’est pas nouvelle. Son visa comme son attendu introductif font strictement écho à une précédente solution (Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 11-12.863, D. 2012. 283 ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2012. 235, obs. E. Buat-Ménard ; RTD civ. 2012. 307, obs. J. Hauser ; ibid. 353, obs. M. Grimaldi ), surtout restée célèbre pour imposer aux juges du fond de caractériser l’intention libérale pour qualifier de libéralité un avantage indirect.

Il est vrai que la solution rendue par la Cour de cassation dans cette espèce paraît constante, ce qui explique sans doute sa faible publicité. La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises qu’il convenait de retenir un rapport par moitié d’une donation conjointe de biens communs dans le régime légal, que ce soit en présence de donations ostensibles (Civ. 1re, 12 juill. 1989, n° 88-13.446), de donations déguisées (Civ. 1re, 22 juin 2004, n° 01-18.030, RTD civ. 2005. 171, obs. B. Vareille ; 4 déc. 2004, n° 01-01.946, AJ fam. 2005. 151, obs. F. Chénedé ) ou encore de donations indirectes (Civ. 1re, 18 janv. 2012, préc.).

Cependant, l’originalité de l’espèce tenait à ce que les époux avaient opté, certes après la date de la donation, pour un régime de communauté avec clause d’attribution intégrale au dernier vivant. La cour d’appel avait ainsi estimé que le rapport n’était dû qu’à la succession du survivant, attributaire de l’intégralité de la communauté. La solution de la cour d’appel est loin d’être fantaisiste. Outre qu’il a déjà été proposé en doctrine de « ne tenir compte dans la succession de chacun [des époux que] d’une proportion de [la valeur du bien] correspondant à leurs droits respectifs dans la communauté » (v. J.-Cl. civ. code, art. 912 à 930-5, par C. Brenner, n° 28), un arrêt du 22 juin 2004 établit expressément un lien entre la charge définitive de la donation et le rapport (Civ. 1re, 22 juin 2004, préc.). Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation considère, en effet, qu’il résulte des articles 1438 et 1439 du code civil que la charge définitive de la donation de biens communs pèse sur la communauté sauf clause contraire de sorte « qu’il s’ensuit qu’à défaut d’une telle stipulation », le rapport se fait par moitié. Il y aurait donc un lien intrinsèque entre le passif définitif et le rapport. Or, en présence d’une clause d’attribution intégrale de la communauté, il ne saurait y avoir de partage du passif définitif.

Ce n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation, sans que celle-ci fournisse d’explications. Cette solution éclaire néanmoins l’arrêt du 3 avril 2019 précité rendu également présence d’une communauté universelle assortie d’une clause d’attribution intégrale. Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation avait insisté sur la date de la donation, comme antérieure au changement de régime matrimonial, et sur le fait que le bien donné n’était pas entré dans la communauté. Elle en déduisait que le rapport de la donation était dû à la succession du conjoint prédécédé, auteur de libéralité. Nous nous étions interrogés sur les raisons de cette insertion et nous nous étions demandé si le rapport aurait été dû également si la donation avait porté sur des biens communs. La Cour de cassation met un terme à l’ambiguïté.

Sa solution est lourde de conséquences. Si la donation de biens communs est rapportable pour moitié à la succession du père de la donataire, c’est qu’elle aurait dû l’être pour l’autre moitié à la succession de la mère prédécédée. Plusieurs conséquences pratiques en découlent. D’abord, les cohéritiers auxquels le rapport est dû ne doivent pas attendre l’ouverture de la succession de l’attributaire de la communauté intégrale mais doivent être vigilants et réclamer le règlement de la succession du prémourant, fût-elle une coquille vide. Ensuite, faute de recevoir des biens dans la succession du prémourant, du fait de la clause d’attribution intégrale (sauf l’existence de biens propres), le donataire ne pourra exercer son rapport en moins-prenant et devra nécessairement une indemnité en nature à ses cohéritiers si l’égalité est atteinte. La solution, concrètement favorable à la donataire dans cette espèce (elle ne rapportera que la moitié de la donation reçue), s’avère abstraitement défavorable au donataire en général.

En précisant que la donation de biens communs est rapportable pour moitié à la succession de chacun des époux, l’arrêt du 17 avril 2019 apporte donc une précision utile malgré un libellé qui porte en lui-même d’inutiles imprécisions. La portée de la décision peine à se révéler, compte tenu des fondements invoqués à son soutien.

La solution est, en effet, rendue sur le fondement des articles 1438 et 1439 du code civil, qui, pour reprendre certains auteurs, « ne sont pas d’une grande clarté » (M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, Dalloz, 2018, n° 312.171). Ces textes sont relatifs à la dot de l’enfant commun et au régime des récompenses qui en découlent. Pour la Cour de cassation, « une donation ne peut être qualifiée de dot qu’à la condition de pourvoir à l’établissement autonome du donataire » (Com. 24 avr. 1990, n° 88-14.365). La Cour de cassation n’impose donc pas que cette donation soit réalisée à l’occasion du mariage d’un enfant commun comme l’entend pourtant la conception traditionnelle de la « constitution de dot » (v. Rep. civ., v° Dot, par A. Colomer et E. Berry, nos 3 et 4).

En l’espèce, la qualification de dot n’était pas dans la cause. Pis, à la lecture des moyens annexés, on apprend que la cour d’appel aurait jugé qu’en l’espèce, la « situation était régie par les articles 1438 et 1439 du code civil, applicables aux donations autres que les dots » (sic). Sans doute la Cour de cassation décide-t-elle que ces textes sont applicables non seulement à la constitution de dot, mais plus largement par analogie dès que la donation adressée à un enfant commun porte sur des biens communs comme une partie de la doctrine le défend (J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 2001, Armand Colin, n° 565, note n° 3). Cela pourrait expliquer l’erreur commise par la cour d’appel de Pau. Une telle interprétation se commande des termes mêmes de l’attendu introductif qui visent, sans distinction, la « donation d’un bien commun » (dans le même sens, v. Civ. 1re, 22 juin 2004, préc. ; comp. Civ. 1re, 18 janv. 2012, préc., où la donation profitait également au gendre des donateurs). L’article 850 du code civil ne suffisait-il pas pour aboutir à une telle solution sans que l’on cherche à dévoyer les articles 1438 et 1439 du code civil (rendu sur le fondement de ce seul texte, v. Civ. 1re, 12 juill. 1989, préc. ; 4 déc. 2004, préc.) ? L’économie des règles relatives aux récompenses contenues dans ces textes révèle pourtant le particularisme de la dot de sorte que ces textes ne devraient pas être étendus au-delà de cette hypothèse (v. C. Brenner, « La donation de biens communs », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 91 s, n° 18)

De surcroît, l’article 850 du code civil est invoqué au soutien de la solution. La Cour de cassation, dans son chapeau, précise que le rapport n’est dû que dans la succession du donateur. Ce faisant, elle se borne à reprendre expressis verbis le contenu de cet article. La précision peut paraître inutile tant elle est évidente. Et pourtant, elle est source d’incertitudes au regard de la qualité de donateur de biens communs.

La cour d’appel de Pau assimile, en effet, la donation de biens communs conjointe et la donation de l’un des époux avec le consentement de l’autre (consentement requis par application de l’article 1422 du code civil) pour les dire rapportables à la succession des deux époux selon les mêmes modalités. Ce faisant, les juges palois s’inscrivent dans la lignée d’une précédente décision de la Cour de cassation (Civ. 1re, 22 juin 2004, préc.) qui retient les mêmes modalités au regard du rapport, sur le fondement des articles 1438 et 1439 du code civil, « lorsque deux époux conjointement, ou l’un d’eux avec le consentement de l’autre ».

Or, en principe, la donation de biens communs à un tiers non conjointe, mais consentie par l’autre, n’est rapportable qu’à la succession du seul époux auteur nonobstant le consentement du second (M. Grimaldi [dir.], op. cit., n° 312.171). Cela s’explique par le fait que le consentement donné par un époux à un acte soumis à cogestion ne le rend pas partie à l’acte – ici codonateur.

La solution est-elle différente sur le fondement des articles 1438 et 1439 du code civil ? Dans l’affirmative, l’exception est-elle limitée à la dot (ce que l’économie des textes imposerait) ou est-elle applicable par analogie à toutes les donations de biens communs à un enfant commun ? La décision de la Cour de cassation, au visa de l’article 850 du code civil répond-elle à la cour d’appel sur ce point ? Faut-il voir dans cette décision un revirement ou un encadrement de la jurisprudence issue de l’arrêt de 2004 ?

À toutes ces questions, il est difficile d’apporter des réponses. On guettera avec intérêt les prochains arrêts de la Cour de cassation en espérant y trouver de nouvelles précisions.

Dès lors qu’en l’absence de répartition des fonds, la procédure de distribution n’a pas produit d’effet attributif à l’égard des créanciers, la survenance d’une procédure collective pendant le cours de la procédure de distribution entraîne sa caducité. L’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance d’homologation du projet de distribution n’empêche pas le mandataire judiciaire d’agir pour faire constater cette caducité et se faire remettre les fonds.

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La Cour de cassation précise que, s’il incombe au demandeur d’exposer l’ensemble des moyens de nature à fonder sa demande, il doit le faire avant qu’il ne soit statué sur sa demande. Ainsi, dans une même instance, une prétention rejetée ne peut être présentée à nouveau sur un autre fondement.

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L’appelant qui limite sa déclaration d’appel à une demande d’expertise afin de contester sa paternité critique implicitement le rejet par le premier juge de sa demande d’annulation de sa paternité.

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Le preneur d’un bail à construction est condamné pour avoir manqué à son obligation de restituer le bien libre de tout occupant à l’expiration du bail. Conformément à l’article L. 251-6 du code de la construction et de l’habitation, dans sa version antérieure à celle issue de la loi ALUR du 24 mars 2014, tous les contrats de location conclus par le preneur d’un bail à construction s’éteignent lorsque le bail arrive à terme. Cette règle fait désormais l’objet d’une dérogation pour les baux d’habitation.

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Auteur d'origine: dpelet

La représentation successorale ne joue pas en faveur des descendants de l’exhérédé par testament. L’exhérédé n’est pas l’indigne. Telle est la règle posée par la Cour de cassation dans cet arrêt du 17 avril 2019. Rendue en matière fiscale, la solution a vocation à s’appliquer en matière civile.

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L’implication d’un tracteur dans la survenance d’un accident est établie dès lors qu’en empiétant sur la voie de circulation et en circulant à une allure très réduite, il contraint nécessairement les autres conducteurs à entamer un dépassement. La Cour de cassation confirme que, même dans le cas du dépassement de véhicule, la notion d’implication est entendue largement.

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Un crédit de restructuration, qui permet la reprise du passif et son rééchelonnement à des conditions moins onéreuses, sans aggraver la situation économique de l’emprunteur, ne crée pas de risque d’endettement nouveau, et n’implique donc pas un devoir de mise en garde.

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Lorsqu’il applique la procédure européenne de règlement des petits litiges instituée par le règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, le juge est tenu de faire observer et d’observer lui-même le principe de la contradiction.

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Auteur d'origine: gpayan

À quelle succession une donation de biens communs doit-elle être rapportée lorsque les deux époux donateurs ont adopté le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au dernier vivant ? À cette question, la Cour de cassation répond dans un arrêt du 17 avril 2019 : en l’absence de clause particulière, à chacune des successions pour moitié.

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Auteur d'origine: jboisson

Cet arrêt de la chambre commerciale se situe aux confins du droit des procédures collectives et de la saisie immobilière. Il statue sur les conditions dans lesquelles la caducité d’une procédure de distribution du prix d’adjudication, en raison de la survenance d’une procédure collective du débiteur saisi, peut être prononcée et, plus particulièrement, sur la notion d’effet attributif de la saisie immobilière.

Les faits étaient les suivants : dans le prolongement d’une procédure de saisie immobilière mise en œuvre à l’encontre d’une société civile immobilière (SCI), l’avocat d’une banque établit le projet de distribution du prix d’adjudication. Quelques jours après, la SCI, débitrice saisie, est placée en redressement judiciaire, de sorte que l’avocat de la banque notifie le projet de distribution au mandataire judiciaire ès qualités.

La procédure de distribution se poursuit sans contestation du mandataire et l’ordonnance d’homologation du projet de distribution rendue par le juge de l’exécution lui est notifiée, là encore sans susciter de réaction de sa part.

Quelques mois plus tard, et alors semble-t-il que les fonds sont toujours entre les mains du bâtonnier séquestre, le mandataire judiciaire (devenu liquidateur judiciaire à la suite de la conversion du redressement judiciaire en liquidation) assigne la banque, le bâtonnier séquestre, l’adjudicataire et le syndicat des copropriétaires (créancier privilégié) devant le juge de l’exécution pour voir déclarer caduque la procédure de distribution du prix de vente et voir ordonner au bâtonnier de lui remettre la totalité du prix.

Le juge de l’exécution déclare ses demandes irrecevables (comme se heurtant à l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance d’homologation, devine-t-on à la lecture de l’arrêt).

La cour d’appel, aux termes d’un arrêt infirmatif, déclare caduque depuis la date du jugement d’ouverture la procédure de distribution et ordonne la remise du prix d’adjudication par le bâtonnier séquestre au liquidateur.

La banque se pourvoit en cassation et soutient, d’une part, que les demandes du mandataire se heurtaient à l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance d’homologation, non frappée de pourvoi en cassation et donc devenue irrévocable et, d’autre part, que l’effet attributif de la saisie immobilière s’étant produit avant le jugement d’ouverture de la procédure collective, la caducité avait été prononcée à tort.

Le pourvoi est rejeté. Les deux moyens soulevés par la banque et la réponse qu’y apporte la chambre commerciale méritent l’attention.

La banque se prévalait donc, en premier lieu, de l’autorité de chose jugée attachée selon elle à l’ordonnance d’homologation du projet de distribution. En effet, dès lors que le mandataire judiciaire, pourtant informé de la procédure de distribution (le projet de distribution et l’ordonnance d’homologation lui ayant été notifiés) ne s’était pas manifesté et n’avait pas formé de pourvoi en cassation contre l’ordonnance d’homologation, la banque estimait que cette dernière était devenue irrévocable et, avec elle, le projet de distribution.

Pour répondre à ce premier moyen, la Cour de cassation fait, si l’on peut dire, un pas de côté : elle ne conteste pas l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du juge de l’exécution homologuant le projet de distribution du prix de vente ni le fait qu’elle soit devenue irrévocable en l’absence de recours exercé par le mandataire judiciaire mais elle considère que cette autorité de chose jugée ne fait pas obstacle à l’exercice, par ce dernier, d’une action dont l’objet et la cause sont distincts comme tendant non à critiquer l’ordonnance d’homologation mais à voir constater, aux conditions des articles L. 622-21, II, et R. 622-19 du code de commerce, la caducité de la procédure de distribution.

Il est vrai que n’a autorité de chose jugée que ce qui est tranché (la matière litigieuse) par une décision et qu’en l’espèce, en l’absence de contestation du projet de distribution comme de l’ordonnance d’homologation, l’autorité de chose jugée ne pouvait être opposée au mandataire. C’est, au fond, une application assez classique de la notion d’autorité de chose jugée.

La question peut en revanche se poser du point de vue de la loyauté et du principe de concentration… N’appartenait-il pas au mandataire de dévoiler ses intentions et de revendiquer le prix d’adjudication pour le répartir dès qu’il a eu connaissance de la procédure de distribution plutôt que de la laisser se poursuivre pour venir ensuite soulever sa caducité ? Mais l’absence d’information sur les circonstances de l’espèce ne permet pas de se prononcer sur cet aspect.

En second lieu, pour défendre sa procédure de distribution, la banque faisait valoir que l’effet attributif de la saisie immobilière s’était produit avant le jugement d’ouverture de la procédure collective, de sorte que la caducité de la procédure n’était pas encourue.

Cette notion d’effet attributif est en effet au cœur des textes qui édictent le principe d’arrêt des procédures d’exécution.

Selon l’article L. 622-21 du code de commerce, le jugement d’ouverture arrête ou interdit toute procédure d’exécution de la part des créanciers antérieurs tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture.

L’article R. 622-19 précise quant à lui que les procédures de distribution du prix de vente d’un immeuble et les procédures de distribution du prix de vente d’un meuble ne faisant pas suite à une procédure d’exécution ayant produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture, en cours au jour de ce jugement, sont caduques. Les fonds sont remis au mandataire judiciaire, le cas échéant par le séquestre qui, par cette remise, est libéré à l’égard des parties.

Quand considère-t-on que la saisie immobilière a produit un effet attributif ? Au jour de la consignation du prix ? de la publication du jugement d’adjudication ? de l’homologation du projet de distribution par le juge de l’exécution ? de la répartition des fonds ?

Pour répondre à cette question, la banque proposait une autre option, s’appuyant habilement sur les dispositions des articles L. 334-1 et R. 334-3 du code des procédures civiles d’exécution.

Selon l’article L. 334-1 du code des procédures civiles d’exécution, si la distribution du prix n’est pas intervenue dans un délai fixé par voie réglementaire (ce délai est fixé à six mois par l’article R. 334-3), son versement ou sa consignation produit, à l’égard du débiteur, tous les effets d’un paiement à hauteur de la part du prix de vente qui sera remise aux créanciers après la distribution.

La banque a cru voir dans ces dispositions le siège de l’effet attributif : elle soutenait que l’effet attributif de la saisie immobilière d’un immeuble dont le jugement d’adjudication a été publié, se produit, au profit des créanciers privilégiés et hypothécaires de l’immeuble saisi, six mois après la consignation du prix d’adjudication par l’acquéreur si bien qu’à cette date, l’immeuble est sorti du patrimoine du débiteur et la procédure d’exécution est opposable aux organes de la procédure collective ouverte postérieurement à l’égard du débiteur saisi.

Au demeurant, à notre sens, la question n’était pas tant de savoir à quelle date l’immeuble était sorti du patrimoine du débiteur.

En effet, nous savons que l’adjudicataire est propriétaire du seul fait de l’adjudication (sous réserve d’une résolution par la surenchère).

La question était, en revanche, de savoir à partir de quelle date la distribution du prix d’adjudication, homologuée par le juge de l’exécution, figeait les droits des créanciers colloqués et ne pouvait plus être impactée par la survenance d’une procédure collective.

Sur ce point, la cour d’appel et la Cour de cassation ne suivent pas la banque dans son raisonnement, estimant que les dispositions des articles L. 334-1 et R. 334-3 du code des procédures civiles d’exécution ne bénéficient qu’au débiteur. C’est en effet la lettre et l’esprit de ces textes qui tendent à éviter que le débiteur saisi soit victime d’une distribution tardive qu’il ne maîtrise pas et, ainsi, de limiter, l’hémorragie du cours des intérêts.

Ainsi, la Cour de cassation approuve-t-elle la cour d’appel d’avoir retenu qu’aux termes mêmes des articles L. 334-1 et R. 334-3 du code des procédures civiles d’exécution, c’est à l’égard du seul débiteur que la consignation du prix d’adjudication par l’acquéreur produit les effets d’un paiement si la distribution du prix n’est pas intervenue dans les six mois, de sorte que les créanciers inscrits ne peuvent se prévaloir de ces dispositions pour soutenir qu’un effet attributif de la procédure de distribution a eu lieu à leur profit avant l’ouverture de la procédure collective ; qu’en conséquence, dès lors qu’elle a constaté que le prix de vente n’avait pas été réparti entre les créanciers avant l’ouverture du redressement judiciaire, la cour d’appel a décidé à bon droit que la procédure de distribution était caduque et que les fonds séquestrés devaient être remis au mandataire judiciaire pour être répartis conformément aux règles de la procédure collective.

Cet arrêt, qui consacre la primauté du droit des procédures collectives, peut avoir des incidences pratiques importantes, par exemple, si un créancier, se croyant « à l’abri » de la procédure collective pour avoir été colloqué dans le projet de distribution homologué (même si les fonds n’ont pas encore été répartis), omet de déclarer sa créance au passif de la procédure collective de son débiteur.

Rappelons en effet que le liquidateur judiciaire qui distribue le prix d’adjudication d’un immeuble ne colloque que les créanciers inscrits admis au passif.

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À quelques pas de l’École nationale de la magistrature (ENM) se dresse le « nouveau » palais de justice de Bordeaux, avec ses curieuses salles d’audience suspendues dans le vide, censées évoquer à la fois « des ruches, des cuves vinicoles et des verres de vin ». Nous y avons justement goûté quelques bons crus, mais surtout suivi une trentaine d’audiences. Dans le couloir recouvert de dessins d’enfants et de fleurs de crépon se côtoient pêle-mêle des « mineurs non accompagnés » sous escorte, des enfants qui trouvent là une occasion de croiser leurs parents… et des parents, justement, rarement ravis de cette intrusion de la justice dans leur vie.

Le juge des enfants au civil

Une première mission du juge des enfants est civile, et consiste à protéger les mineurs en danger ou, disons – moins dramatiquement –, à aider les parents à assumer leur rôle : c’est l’assistance éducative. Illustration dans le cabinet d’une première juge, où Ismaël, âgé d’une douzaine d’années, entre tout seul, comme un grand. C’est classique, et c’est même un principe posé par la Convention de New York de 1990 : « l’enfant qui est capable de discernement est en droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant » (art. 12). Cette juge-ci fixe personnellement le seuil de discernement autour de cinq ans, pour protéger la parole des jeunes comparants : « avant cet âge, les enfants sont une mine d’information, mais ça sort tout seul, un peu dans tous les sens, et je ne veux pas les conduire à rompre la confiance avec leurs parents ».

« Ce n’est pas aux enfants d’être inquiets pour les parents »

Ismaël semble avoir parfaitement compris les raisons de son placement (« maman allait pas bien avec papa ») dans le même foyer que ses deux frères (« on fait un foot de temps en temps »). Il aimerait bien aller chez son père de temps en temps… mais pas chez sa mère, pour une raison qu’il a étonnamment bien intériorisée : « elle a pas de maison », puisqu’elle vit dans la rue ou au mieux dans des squats. Sa sœur Yasmine, quant à elle, n’a « pas trop compris » la mesure de placement et ajoute qu’elle est « inquiète pour maman ». La juge saisit la balle au bond : « ce n’est pas aux enfants d’être inquiets pour les parents. Quand c’est le cas, c’est que les enfants ont besoin d’être aidés et les parents aussi ». La jeune fille sort à son tour, cédant la place aux parents et aux éducateurs. Ces derniers planchent d’abord sur le cas de Yasmine : « dans sa famille d’accueil, elle a été repositionnée à sa place d’enfant, parce qu’au départ, elle était “parentifiée” et voulait tout le temps faire le ménage. Elle a récemment annulé une rencontre avec sa mère pour se rendre à une compétition de gymnastique, ce qui est intéressant, car elle s’individualise. Elle avait cinq caries, qui sont maintenant soignées, et porte enfin les lunettes dont elle a besoin ». Au sujet d’Ismaël, on disserte longuement sur une tentative de défenestration et le référent du foyer explique : « c’était au retour d’une visite compliquée, où madame n’était pas venue. Mais, selon les médecins, il n’avait pas conscience que sauter de cette hauteur mettait sa vie en jeu et n’avait donc pas mesuré son acte ».

À la suite du dernier jugement, l’ensemble de la fratrie (trois garçons, deux filles) rencontre théoriquement chacun des parents une fois par semaine, ce qui ne se passait pas toujours très bien dans les premiers temps : « Monsieur arrivait fréquemment en retard aux visites et laissait les enfants s’autogérer, parce qu’il pouvait par exemple être au téléphone, ou partir brutalement sans donner la moindre explication ». Quant à la mère, au sujet de laquelle les éducateurs parlent pudiquement d’une « irrégularité de disponibilité psychique », elle « parlait beaucoup de ses problèmes à elle, ce qui s’est répercuté sur le bien-être des enfants, et a annulé beaucoup de rencontres ». Sacrément en retard, l’avocate des enfants arrive juste à temps pour plaider un monument de rien, et totalement dans le vide, puisque la juge a déjà discrètement gribouillé sa décision sur un bout de papier. Elle fait dans la dentelle, en renouvelant tous les placements pour un an, avec pour chaque parent un droit de visite mensuel de la fratrie au grand complet, en alternance avec un droit hebdomadaire en tête-à-tête avec chacun des enfants mais aussi avec des rencontres ponctuelles entre enfants sans parents, et entre Ismaël et Yasmine seulement (« les deux aînés ont besoin de temps pour parler ensemble de ce qui s’est passé dans leur enfance »). Une usine à gaz . « Dans les premières semaines, toutes ces rencontres se feront en lieu neutre et en présence d’un tiers pour travailler sur l’histoire familiale. Ensuite, on pourra envisager des sorties et, dans quelques mois, on essaiera peut-être un week-end chez papa, mais je ne vous promets rien, hein. »

« Je te concède que les résultats ne sont pas terribles jusqu’ici »

Dans un cabinet voisin entre Jason, rondouillard, cheveux en brosse, en jeans de la tête aux pieds. Il se hisse sur une chaise installée à trois bons mètres du bureau du juge et balance nerveusement les jambes dans le vide. Placé chez une tante, il passe un week-end sur deux chez son père. L’autre week-end, il est censé voir sa mère, mais ce n’est arrivé qu’une seule fois en presque six mois, pour son anniversaire : « elle sentait l’alcool ce jour-là ? », demande le magistrat. « Je sais pas », rétorque Jason. « Je ne veux pas que tu ailles chez ta mère, parce que c’est trop violent avec son compagnon… mais je ne lui ai jamais interdit de venir te voir », semble se justifier le juge. La tante et les éducateurs arrivent, ainsi que la mère. Le juge commence par s’adresser à elle : « on a parlé de vous évidemment, pour dire qu’il n’y a pas eu beaucoup de rencontres. Il est très loyal là-dessus, il ne dit pas grand-chose, mais je n’ai pas l’impression que vous en parliez beaucoup ». Bien vu : « on répond aux questions qu’il nous pose, c’est tout ». Sentant d’emblée poindre un peu d’agacement, le juge crève l’abcès comme il peut : « et vous, Madame, vous allez comment ? » Il doit se contenter d’un « très bien merci » crispé qui, à l’évidence, veut dire le contraire, alors il insiste un peu : « qu’est-ce que vous pensez de cette mesure ? » Elle ouvre les vannes : « vous voulez vraiment savoir ? Ben c’est tout pourri, on me propose d’aller le voir en point rencontre avec un tiers, et c’est hors de question. Pourquoi son père a le droit de l’avoir, et on me juge moi ? »

On comprend finalement que, si les rencontres n’ont pu avoir lieu, c’est aussi parce qu’aucun technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF) ne s’est rendu disponible pour les médiatiser. L’éducatrice mandatée par le département et la mère se renvoient la balle. « On a vraiment du mal à la rencontrer », lance sèchement la première ; « j’arrive jamais à la joindre, elle est toujours en vacances », rétorque tout aussi sèchement la seconde. Et d’ajouter : « pour vous, je ne vois pas mon fils et je ne m’implique pas, mais comment ça se fait que j’arrive à élever mes deux autres enfants ? » Le juge ne se laisse pas démonter : « Travailler la relation, ce n’est pas impossible, même dans ce cadre-là, sinon Jason va continuer à avoir le même mal-être. Ce n’est pas que de votre faute, il y a des problèmes, notamment de tiers, qui ne sont pas acceptables. Mais si on n’arrive pas à travailler le fond, je vais devoir changer de mesure ! ». À Jason, il explique que « c’est comme si on t’avait découpé en plusieurs morceaux, et moi j’essaie de les réunir pour que tu sois toi-même… mais je te concède que les résultats ne sont pas terribles jusqu’ici ». La mère est en train de bouillir, et quand le juge lui demande pourquoi, elle clôt la discussion d’un tonitruant « j’ai rien à vous dire ! » Il renouvelle la mesure dans les mêmes conditions et expliquera plus tard à quel point il marche sur des œufs dans ce genre de dossier : « la mère est susceptible, narcissiquement c’est une catastrophe, alors, si j’insiste trop, je sais qu’elle ne verra plus du tout Jason. Les services éducatifs aussi se braquent facilement ».

« Votre déménagement confine à l’abandon, c’est un acte manqué »

C’est au tour d’Elena, une blondinette tout de rose vêtue accompagnée non seulement de son avocat, mais aussi de son chien en peluche, qu’elle installe soigneusement contre elle, sur son accoudoir. Le juge rame pour instaurer le dialogue, puis rend les armes : « est-ce que tu veux rester là pendant que je reçois tout le monde ? » Ce n’est pas juste une façon de parler car, dans la cohue, ce sont pas moins de dix personnes supplémentaires qui prennent place en rang d’oignon, dont trois éducateurs et trois avocats de plus. Sans compter Maureen, la petite sœur de la blondinette, qui babille depuis son berceau et donnera donc moins de fil à retordre au juge. D’emblée, rien n’est clair dans ce dossier et dans cette famille, qui semble reposer sur un « trouple » (un couple à trois) : on saisit juste que la femme, lourdement handicapée, aurait porté successivement les enfants de chacun de ses deux compagnons, dont un seul est présent à l’audience. Même le juge est largué : « ce qui me fascine dans votre fonctionnement, c’est toutes ces zones d’ombre, on ne comprend rien ! Il y a quelque chose de vraiment pathologique dans le lien ». Le père le coupe (« qu’est-ce que vous comprenez pas ? »), et le juge cingle : « on va vous faire une liste ! Le vrai problème, c’est que vous ne compreniez pas qu’on ne comprenne pas ». La plus petite des filles ayant vocation à suivre la grande, un peu comme l’accessoire suivrait le principal, c’est sur Elena que vont se concentrer les débats, mais aucun de ses parents biologiques n’est présent : sa mère ne peut se déplacer (« les trajets, ça l’abîme ») et son père est hospitalisé en psychiatrie (« il ne faisait plus rien »). Les deux filles font l’objet d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), une dénomination qui sonne tout de même un brin application des peines : elles ont été placées chez des tiers dignes de confiance (TDC), des tantes vivant en Île-de-France. Pour ne rien simplifier, les polyamoureux présumés ont quitté récemment (et semble-t-il précipitamment) la Gironde pour une bourgade du fin fond de l’Armorique. Ce n’est pas du goût du juge, qui soupçonne une forme de dumping judiciaire, consistant pour les parents à aller voir si, d’aventure, leur mode de vie ne serait pas mieux accepté au nord de l’estuaire de la Loire. Il s’agace aussi du traquenard que représente le fait d’aller s’enterrer dans un coin paumé pour se plaindre ensuite de l’éloignement géographique. Pour lui, ce déménagement sans vraie bonne raison « confine même à l’abandon, quelque chose de l’ordre de l’acte manqué ».

Quoi qu’il en soit, le magistrat sait bien que, plus aucune partie n’ayant sa résidence dans le département, il n’a plus de compétence territoriale (C. pr. civ., art. 1181). Dans la foulée de cette ultime décision, il devra nécessairement se dessaisir au profit d’un collègue, breton ou francilien. En attendant, les liens d’attachement s’effilochent à vue d’œil. Certaines visites partiellement ou totalement médiatisées ont été annulées au dernier moment, en raison des états de santé des uns et des autres. Les deux pères rejettent les moyens de communication classiques, trop ringards : eux aimeraient mieux mailer, textoter, whatsapper, facetimer, ou on ne sait quoi encore. Des outils peu adaptés pour créer une vraie relation… et que la justice, restée au fax, considère même avec de grands yeux ronds. Les parents sont prêts à confier les filles à quasiment n’importe qui n’appartenant pas à cette branche de la famille avec laquelle ils sont brouillés : le père présent propose même comme tiers de confiance une femme dont il peine à déchiffrer le nom dans son bloc-notes. Le juge s’adresse justement à lui : « je considère que la rupture du lien dont vous souffrez, vous en êtes responsable. On peut toujours idéaliser le retour, et au départ c’était mon projet, mais vous avez mis tout ça en échec. Si vous voulez une relation avec ces enfants, ce n’est pas au monde entier de s’adapter à qui vous êtes ». Dans la foulée, il rend sa décision : maintien du placement pour deux ans. Elena la grande pourra aller chez ses parents en Bretagne un week-end par mois, mais pas Maureen la petite (« le trajet est trop long pour elle »). Il se dessaisit au profit d’un tribunal de grande instance de Bretagne, mais prévient à toutes fins utiles : « si vous continuez à déménager comme ça, à un moment, le juge des enfants sera celui du domicile du tiers de confiance, c’est un critère tout à fait possible ».

Le juge des enfants au pénal

Le juge des enfants est aussi (à de rares exceptions près) le seul à pouvoir rendre une décision pénale à l’encontre d’un mineur, seul ou au sein d’un tribunal pour enfants (TPE) : il peut s’agir d’une mesure éducative (admonestation, remise à parents, etc.), d’une sanction éducative (interdiction, mesure de réparation, etc.) ou d’une peine à proprement parler (amende, emprisonnement, etc.). Cette exclusivité (COJ, art. L. 251-1 et L. 252-5) ne date pas de la fameuse ordonnance de 1945, puisqu’elle ressortait déjà d’une série de lois du tout début du XXe siècle, dont on a depuis déduit plusieurs principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (Cons. const., 29 août 2002, n° 2002-461 DC, D. 2003. 1127 , obs. L. Domingo et S. Nicot ; AJDI 2002. 708 ; RSC 2003. 606, obs. V. Bück ; ibid. 612, obs. V. Bück ). Un même juge des enfants n’est pas vraiment censé procéder à l’instruction d’une affaire, puis présider le TPE devant lequel elle serait éventuellement renvoyée (Cons. const. 8 juill. 2011, n° 2011-147 QPC, D. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ fam. 2011. 435, obs. V. A.-R. ; ibid. 391, point de vue L. Gebler ; AJ pénal 2011. 596, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2011. 756, obs. J. Hauser ) mais cela reste assez théorique. Plusieurs astuces permettent même de contourner franchement cette règle, ne serait-ce que les tribunaux de grande instance qui disposent… d’un seul juge des enfants. Bref, toujours est-il que, dans le premier de ces deux rôles, le juge des enfants est une sorte de juge d’instruction… même si chaque tribunal de grande instance a aussi un « véritable » juge d’instruction des mineurs.

« Ce n’est pas si grave, les assurances sont faites pour ça »

Le juge des enfants passe donc son temps à mettre en examen. Ce matin, c’est le sort d’Aymeric qui, avec sa vague moustache, fait connerie sur connerie pour provoquer ses parents séparés. Non sans succès, même si les deux ont encore une fois fait le déplacement pour l’audience (« c’est suffisamment rare pour être souligné », précise le juge à Aymeric). On lui reproche d’avoir volé en réunion une voiturette sans permis, ce qu’il reconnaît. C’est en se baladant avec « des collègues » qu’il a repéré le fier bolide, avec les clés sur le contact. Mais, pendant la virée, ils ont croisé la fille de la propriétaire : elle a prévenu les gendarmes, qui sont arrivés fissa. Le conducteur a paniqué et accéléré, déclenchant une rocambolesque course-poursuite à deux à l’heure, jusqu’au bord d’un ravin. Marche arrière, dans la voiture de gendarmerie ; marche avant, dans un arbre : fin de la balade. « Pas de blessé, c’est l’essentiel, qu’est-ce que tu en penses ? », demande le juge. « Que ce n’est pas malin », répond Aymeric, « mon père, il m’a fâché, parce que la voiture elle appartenait à une vieille dame qui ne peut plus aller faire ses courses. Je la contrains à rester chez elle, du coup je regrette un peu ». Un peu ou beaucoup ? « Ouais beaucoup. » Contre toute attente, le juge lui remonte le moral : « ce n’est pas si grave, les assurances sont faites pour ça » (il se tourne vers la greffière, précisant au cas où : « euh… ce n’est pas la peine de noter ça »).

Déscolarisé depuis plusieurs mois (il s’est introduit dans son lycée pendant une exclusion temporaire, ce qui lui en a valu une définitive), Aymeric a commencé à fumer du shit pour s’occuper. Mais il a du recul sur la problématique : « je pense avoir un problème d’anxiété, depuis tout petit ». Sa mère, qui l’interrompt intempestivement depuis le début de l’audience, confirme un sérieux passif de terreurs nocturnes. Comme les parents ne peuvent plus s’encadrer depuis des années et qu’Aymeric se retrouve souvent pris en étau entre les deux, le juge s’adresse à eux : « vous avez travaillé sur votre rupture ? » Les deux regards interloqués qui lui répondent veulent tout dire, alors il fait un peu de forcing pour une médiation familiale : « je ne suis pas le juge de la rupture, c’est le juge aux affaires familiales, mais au bout de quinze ans, il va quand même falloir faire quelque chose, dans l’intérêt d’Aymeric ». Lequel fait une fois encore preuve d’une maturité déconcertante : « visiblement, vous associez mes colères à mes délits, sauf que ces colères, c’est surtout le résultat de l’accumulation de plusieurs années de non-dits. Elles sont rares quand même, et je redescends vite ». Il n’empêche, pour le juge, « ce trop-plein que tu vides, il faut travailler dessus. Et les stupéfiants, tu t’en sers comme d’un anxiolytique, c’est-à-dire pour calmer tes peurs. La boucle est bouclée ». L’éducateur recommande « une mise au vert », ce que le magistrat envisage « comme prise en charge au pénal, donc coercitive, au moins jusqu’à la rentrée prochaine ».

Aymeric ne veut pas en entendre parler et son avocate résume bien les tiraillements qu’implique la représentation des mineurs : « je dois m’exprimer en fonction de ses intérêts, et j’entends bien qu’il ne veut pas être confié, mais en même temps je trouve que c’est une bonne idée et que, pour retrouver sa place dans sa famille, des fois, il faut prendre un peu de distance. Je rejoins donc votre position ». Le juge part donc là-dessus mais (un peu comme avec une éventuelle « césure pénale » pour un majeur) ne rendra sa décision finale que dans plusieurs mois. Après avoir levé l’audience, il en remet une couche sur la médiation familiale, proposant aux parents d’aller au moins passer une tête à une réunion d’information. Ils font semblant de ne pas avoir entendu.

« Je ne vous cache pas, Maître, que je pense l’accrocher »

Le juge des enfants peut aussi à l’occasion porter une casquette qui ressemble bigrement à celle du juge des libertés et de la détention (JLD). C’est le cas avec la « PIM » ou « présentation immédiate » (ord. de 1945, art. 14-2), à ne pas confondre avec la « comparution à délai rapproché » (art. 8-2). À condition d’avoir des éléments précis de personnalité et un certain quantum d’emprisonnement encouru, le parquet peut demander au juge des enfants une incarcération avant jugement, pour dix jours à deux mois. La procureure concède que « c’est un OVNI procédural. On l’utilise beaucoup pour les sans-papiers mineurs non accompagnés (MNA), parce qu’on n’a pas beaucoup d’autres leviers possibles ». Le parcours de Brahim commence donc par un défèrement. Classiquement, il vit dans un squat avec d’autres « MNA » et commet beaucoup de vols tantôt astucieux, tantôt violents, défoncé au Rivotril ou à l’Erika, une mystérieuse spécialité locale. Tout aussi classiquement, il refuse sans doute une fois sur deux de « palucher ». Aujourd’hui, on lui reproche d’avoir volé en réunion une sacoche contenant un ordinateur portable à la terrasse d’un café. En tout cas, il a été interpellé avec. Il arrive avec une interprète, se laisse lourdement tomber sur la chaise et regarde ailleurs avec un sourire en coin. Ce qui n’est pas du goût de la proc’ : « j’aimerais bien qu’il me regarde dans les yeux, parce que déjà hier en visio, ça m’a saoulée ». Date, lieu de naissance, alias… Il répond aux premières questions en français tandis que l’interprète, au chômage technique, hausse les épaules. « Est-ce que vous reconnaissez les faits, Monsieur ? », demande la magistrate. « Ce n’est pas moi qui ai fait ça, je peux tout vous expliquer depuis le début… », répond Brahim, qui se fait sèchement rabrouer : « alors non, on ne va pas y passer trois heures, vous n’avez pas changé de version, quoi ». La procédure continue dans le bureau du juge. Brahim ne le sait pas, mais le magistrat a d’ores et déjà prévenu son avocat, pendant la remontée du dépôt : « je ne vous cache pas, Maître, que je pense l’accrocher ».

On passe rapidement sur les faits (« vol ou recel, ça ne change pas les choses du tout au tout non plus »), pour se pencher sur la personnalité. Et notamment sur l’enquête sociale rapide (ESR), dont il ressort une déficience intellectuelle : « on dit qu’il a un niveau de compréhension très bas, qu’est-ce qu’il en pense ? » L’interprète ouvre des yeux ronds comme des billes : « vous voulez vraiment que je lui traduise ça ?! » Elle prend finalement tellement de pincettes qu’on n’en saura guère plus. Le juge reste intimement persuadé que Brahim n’est pas un second couteau, mais qu’il dirige son squat : « il a des vêtements neufs, il est propre et il a une coupe et des mèches, ce qui dénote un certain goût ». Cela expliquerait au passage pourquoi, si d’aventure la version de Brahim devait être exacte, le véritable voleur de la sacoche serait immédiatement venu la lui remettre.

La procureure, qui jongle avec la permanence téléphonique, passe une tête pour requérir en vitesse : « ce sont des faits de subsistance, qui pourraient donner lieu à une certaine mansuétude, mais on lui a donné des chances, qu’il n’a pas saisies ». Elle invoque l’absence de garanties de représentation et le risque de renouvellement, puis tourne les talons pour retourner s’occuper de ses officiers de police judiciaire. L’avocat y croit encore : « il ne me semble pas que la détention soit une fatalité. Il conteste les faits et on ne peut tenir pour acquis que l’infraction soit caractérisée. Il a manifestement des capacités intellectuelles très inférieures à la moyenne, nous pourrions débattre d’une irresponsabilité, en raison d’un discernement obéré. Et il a toujours été comparant dans les procédures précédentes ». Lorsqu’on lui pose des questions sur sa santé, Brahim se dit « allergique à la clim’ ». Cela ne devrait pas poser de problème, car il n’y en a pas à la maison d’arrêt : c’était en fait pour remplir la notice de détention et Brahim s’écroule en pleurs lorsqu’il le comprend. La paperasse terminée, le juge lance (à l’attention de l’escorte) une phrase pas très heureuse dans le contexte : « je vais vous libérer ».

« Mes parents, ils sont dans la merde depuis toujours, vous savez pas comment c’est dur »

Beaucoup d’affaires sont jugées en chambre du conseil, mais plus les infractions sont graves et les auteurs âgés, plus les chances de renvoi (par ordonnance) devant un tribunal pour enfants (TPE) sont grandes. C’est en fait le cas dès lors que la réponse pénale envisagée est véritablement répressive (sanction éducative ou peine). Composé d’un président juge des enfants et de deux assesseurs non professionnels, il statue toujours dans le huis clos le plus absolu. On regarde même un peu nos chausures lorsque la présidente refuse l’accès à la sœur de Karim (« je ne laisse entrer que les titulaires de l’autorité parentale »), détenu pour autre cause : « une sorte de braquage correctionnalisé », lâchera-t-elle sans s’attarder. Karim entre donc sous bonne escorte, et entravé, pour être jugé pour deux dossiers de conduite sans permis, remontant à près de deux ans (il est devenu majeur et a passé son code dans l’intervalle). Dans le premier, on lui reproche aussi un usage de stups, un refus d’obtempérer (avec mise en danger) et des violences (sans ITT) sur dépositaire. Il faut remonter au printemps 2018. Après avoir grillé un feu rouge dans le centre-ville, Karim est pris en chasse par deux motards, grille beaucoup d’autres feux, prend plusieurs rues à contresens, percute plusieurs terre-pleins centraux : la voiture fait même des étincelles. Puis il file vers la zone industrielle, qu’il traverse à 140 km/h, et s’engage sur la rocade, où il monte à 170. Il ne s’arrête finalement, au bout de 13 km, que lorsque l’un des motards tire dans sa direction. Karim reconnaît à peu près tout, à l’exception notable des violences, c’est-à-dire de l’intention de faire chuter les policiers : « avec le stress, je ne savais plus ce que je faisais, j’allais à droite et à gauche, mais en aucun cas je ne voulais les faire tomber. Je savais que même pour un simple contrôle d’identité, comme j’étais en contrôle judiciaire, je risquais d’aller en prison, mais je n’ai jamais voulu me servir de la voiture comme d’une arme ». D’ailleurs, Karim affirme avoir fini par s’arrêter volontairement, un point sur lequel son avocate pinaille longuement sans aller nulle part.

La présidente s’agace : « je veux bien que ça colore le dossier mais, après tous ces kilomètres de course-poursuite et ces embardées, je pense que ça n’importe pas beaucoup ». Karim se plaint aussi de violences policières lors de son interpellation : « si vous essayez de minimiser votre conduite, je ne pense pas que ce soit une bonne stratégie. Vous pouvez déposer plainte mais ça ne concerne pas le tribunal. Il y a un avocat obligatoire dès le début de la garde à vue pour les mineurs, et un examen médical ». Pour la seconde conduite sans permis, deux mois plus tard, il a eu la bonne idée de s’arrêter, mais a présenté un permis qui n’était pas le sien : il est donc également poursuivi pour prise du nom d’un tiers. On ne comprend toujours pas bien où compte aller l’avocate de la défense sur les faits : elle reprend longuement les thèses du ministère public, entame de vagues contradictions, mais les conclut invariablement par « bon, dont acte ». Elle fait mieux sur la personnalité, évoquant « un père absent, une mère qui s’est mariée à 13 ans et a eu son premier enfant à 14, qui est massivement dépressive et a depuis longtemps abandonné son rôle éducatif. Ce garçon a déclaré que “la maison est triste depuis toujours”, il vit dans un vide sidéral. Lui qui manquait de maturité en a pris d’un coup, en passant son dix-huitième anniversaire en prison ». Sa plaidoirie, se termine sur le « besoin d’un corset judiciaire » et sur le fait qu’une peine « sans obligations, moi ça me gêne » : sans jamais le formuler clairement, elle demande donc sans doute un sursis avec mise à l’épreuve (SME). Karim écope de six mois, dont quatre de sursis simple « qui seront soit mis à exécution, soit aménagés, mais c’est le juge de l’application des peines qui sera compétent, pas le juge des enfants ». Une peine qui ne lui fait ni chaud ni froid, contrairement aux 1 400 € alloués à chacun des motards. À Karim, qui demande à les devoir lui-même, la juge explique que « vous pourrez les rembourser, mais c’est le principe de la responsabilité civile parentale et un des dommages collatéraux de votre infraction ». Il entre dans une colère noire, se débat lorsque l’escorte l’empoigne, et se met à hurler : « mes parents, ils sont dans la merde depuis tout petit, vous savez pas comment c’est dur pour notre famille ! ». Le père, qui était lui aussi resté impassible au moment du prononcé de la peine d’emprisonnement et qui vient apparemment seulement de découvrir le concept d’autorité parentale, hurle encore plus fort que lui : « normalement, c’est à lui de payer ! »

Pour le dernier dossier de la journée, on se retrouve absolument seuls dans la salle. Pas un badaud en vue, forcément, mais pas non plus de comparant ni d’avocat… même l’huissier a baissé le rideau. Trois « MNA » ont été interpellés alors qu’ils se disputaient un sac, comportant des ordinateurs et des consoles provenant d’un vol. Deux sont majeurs et ont déjà été condamnés depuis en comparution immédiate. Reste donc un mineur, « X, se disant Abdel », également confondu dans l’intervalle par ses empreintes laissées sur le lieu du cambriolage. Pendant le dialogue, un peu artificiel, qui s’installe entre le parquet et le tribunal, on ne peut s’empêcher de se demander comment l’audience se serait déroulée sans nous. Bordeaux oblige, auraient-ils débouché tous ensemble quelques (excellentes) bouteilles, comme ils le firent quelques heures auparavant ? Le parquet requiert essentiellement à notre attention : « on a aussi retrouvé l’ADN d’un autre, jugé en comparution immédiate parce qu’on avait des éléments permettant de le dire majeur. Or il a toujours mis Abdel en cause comme coauteur, y compris en confrontation. On peut se féliciter qu’il ait accepté la signalisation mais, comme d’habitude, il a refusé toutes les mesures d’assistance éducative ». Le délibéré symbolique dure une douzaine de secondes à tout casser et, comme on s’en doutait un peu, on était resté debout au milieu des bancs déserts : reconnu coupable sans surprise, « Abdel » prend deux mois ferme.

Le bénéficiaire d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir ou d’une déclaration préalable doit procéder à l’installation sur son terrain d’un panneau d’affichage conformément à l’article A. 424-15 du Code de l’urbanisme.

Ce panneau doit respecter des dimensions et son contenu est strictement réglementé.

L’article A. 424-16 du Code de l’urbanisme précise les mentions obligatoires telles que le nom du bénéficiaire, le nom de l’architecte, la date de délivrance, la nature du projet et la superficie du terrain, la surface de plancher autorisée, la hauteur de la construction…
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Depuis le 1er janvier 2018, le Forfait Post Stationnement (FPS) a remplacé l’amende de stationnement de 17 € depuis la loi de dépénalisation du stationnement payant.

Ainsi, les automobilistes qui n’ont pas ou insuffisamment payé leur stationnement sont passibles d’un avis de paiement du forfait post-stationnement, dont le montant est variable selon les communes.

La contestation du FPS doit être effectuée dans le délai d’un mois à compter de la date d’envoi de l’avis de paiement.
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La question de l'octroi du bénéfice d'une prestation compensatoire n'est pas aussi simple que cela. Une différence de revenus entre deux époux n'entraîne pas nécessairement le bénéfice d'une prestation compensatoire. Pour pouvoir bénéficier du principe d'une prestation compensatoire, la condition est que la rupture du mariage créée une disparité dans les conditions de vie de l'un ou de l'autre des époux. Si cette conséquence n'existe pas, aucune prestation compensatoire ne sera accordée par le Magistrat. Pour savoir si disparité il y a, il faut prendre en compte les revenus et charges de chaque époux mais aussi l'ensemble du capital détenu par chacun des époux. Mais, là encore, tous les revenus et toutes les charges n'ont pas à être pris en considération pour apprécier le bien fondé ou pas d'une prestation compensatoire. Ainsi, le bénéfice d'une prestation compensatoire ne dépend ni de la durée du mariage, ni de l'âge et de l'état de santé des époux, ni des choix effectués en perspective du développement de sa famille et de l'entretien des enfants…ces critères ne sont pris en considération que dans le cadre de l'évaluation du montant de la prestation compensatoire. Ce n'est pas parce que l'un des époux a consacré une partie de sa vie maritale à l'entretien et à l'éducation de la famille qu'il pourra pour autant prétendre au bénéfice d'une prestation compensatoire.

D'où la nécessité de prendre conseil auprès d'un Avocat compétent, Maître Didier ADJEDJ pratiquant le droit de la famille depuis 25 ans.

Ayant vu le jour avec la loi sur les 35 heures du 19 janvier 2000 avec un seul et unique article inséré dans le Code du Travail, ce dispositif a été considérablement précisé avec la recodification du Code du Travail de 2008 lequel consacre désormais près de 13 articles à ce type de convention (articles L.3121-53 à L.3121-66). Pourtant, cette catégorie particulière de contrat de travail, avantageuse pour le salarié comme pour l'employeur, nécessite une vigilance certaine au moment de sa rédaction et de sa signature. A qui s'adresse-t-elle? La convention de forfait en jours ne s'adresse pas à tout salarié mais à seulement deux catégories de salariés à savoir les Cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'entreprise ainsi que les salariés disposant d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps. Quelles sont les conditions de validité de cette convention de forfait jours? Il faut un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou à défaut une convention ou un accord de branche. Il faut ensuite l'accord exprès du salarié qui doit nécessairement être retranscrit dans le cadre d'une convention écrite. Si ces conditions ne sont pas réunies, la convention est nulle et de nul effet et le salarié peut saisir le juge en paiement d'heures supplémentaires. L'employeur est également tenu, tout au long de la relation de travail, de s'assurer du caractère raisonnable de la charge de travail de son salarié, au risque de se voir condamné au versement d'une indemnité pour non respect de la santé et de la sécurité de son salarié au travail. Il faut donc être très vigilant en qualité d'employeur au moment de la rédaction et au cours de l'exécution d'une convention de forfait en jours. Le salarié, quant à lui, a intérêt à vérifier et à s'assurer que cette convention est convenablement appliquée par son employeur….

D'où la nécessité de prendre conseil auprès d'un Avocat compétent, Maître Didier ADJEDJ pratiquant le droit social depuis 25 ans.

Si vous avez confié à une entreprise la réalisation de travaux de rénovation de votre toiture, ou la réfection totale de cette toiture et si celle-ci a interrompu les travaux en cours alors que vous êtes à jour des paiements.

Vous avez intérêt dans un premier temps, à lui adresser une lettre recommandée avec avis de réception lui faisant sommation de terminer les travaux ou de vous indiquer ce qui s’y oppose.

Faute de réponse de sa part, il faudra saisir le Juge des Référés, par l’intermédiaire d’un Avocat de préférence, pour demander la désignation d’un expert judiciaire, qui sera en charge de déterminer le coût des travaux restant à exécuter.
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L'adultère, encore de nos jours, peut constituer une injure grave.

C'est ce qu'à jugé la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation le 25 octobre 2017 (n°16-21136) en annulant pour cause d'ingratitude la donation au dernier vivant consentie à la belle mère de deux frères, par leur père.
Dans cette espèce, en plus, l'amant était un ami intime du couple et la situation avait fait naitre des ragots dans le village.

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Ces dernières années les clauses sociales d’insertion ont pris une importance grandissante dans les marchés publics. Cet outil contractuel a pour objectif d’inciter les entreprises répondant aux marchés publics à recruter des personnes rencontrant des difficultés à trouver un emploi.

Ce dispositif concerne :

- les bénéficiaires de minima sociaux (RSA, ASS, AAH) ;

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La décision est historique, et place l’Allemagne à l’avant-garde en Europe en matière de reconnaissance des droits des personnes intersexuelles : la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe vient en effet, mercredi 8 novembre, de reconnaître la nécessité de faire figurer dans les registres de naissance, aux côtés des genres masculin et féminin, une troisième case « inter » ou « divers ». Dans ses attendus, la Cour constitutionnelle a donné au législateur jusqu’au 31 décembre 2018 pour légiférer à ce sujet.

À l’origine de la plainte, V…, 27 ans, inscrite dans le registre des naissances sous le genre féminin, est atteinte du syndrome de Turner, une affection génétique rare liée à l’absence totale ou partielle d’un chromosome X. Ne pouvant de ce fait se retrouver dans l’assignation féminine ou masculine, cette personne souhaitait faire modifier son état civil en faisant valoir auprès de l’administration la reconnaissance de son genre sous la dénomination « inter » ou « divers ». Sa demande ayant été refusée et son appel ayant échoué, la question est remontée jusqu’à la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe.

Si, depuis 2013, la législation allemande prévoit la possibilité – selon l’article 22 de la loi relative à l’état civil (Personenstandsgesetz) – de ne pas mentionner de genre sexuel dans le registre des naissances, la Cour constitutionnelle a estimé cette disposition insuffisante : cette définition négative du genre aboutirait à nier purement et simplement leur genre. Ce qui est incompatible avec la loi fondamentale allemande, en particulier de son article 2, qui stipule dans son premier paragraphe que « chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité », et de son article 3, qui précise que « nul ne doit être discriminé ni privilégié en raison de son sexe ».

Or la Cour souligne que « l’un des devoirs du droit de la personnalité consiste à assurer les conditions élémentaires permettant à chaque personne de développer d’elle-même son individualité et de la préserver ». Si elle note qu’il n’est pas pour autant concevable que la loi envisage tous les événements pouvant freiner le libre développement de l’identité de chacun, la Cour relève que la protection offerte par le droit de la personnalité se révèle défaillante « si le développement de la personnalité est spécifiquement menacé ».

Or, « parce que leur identité intersexuelle est non équivoque et durable, [ces personnes] ont droit à une reconnaissance égale de leur genre en tant qu’expression de leur droit personnel global » : « leur assignation de force au genre masculin ou féminin empiète sur leur droit personnel en les contraignant à se placer dans un système binaire qui ne correspond pas à leur sentiment identitaire propre ».

À la différence de la Cour fédérale de justice allemande, qui avait refusé en 2016 cette évolution par crainte de voir l’administration créer un « troisième sexe », la Cour constitutionnelle juge qu’« avec cette catégorie, le législateur ne créera pas nécessairement “un troisième genre” […] mais simplement une désignation générique destinée à toutes les personnes qui ne peuvent être assignés au genre masculin ou féminin, sans pour autant souhaiter être qualifiés de “sans genre” ».

Après l’audition d’un panel d’associations et de représentants de la société civile, allant des associations de défense des droits des personnes intersexuelles aux représentants ecclésiastiques, la Cour souligne par ailleurs que la législation doit tenir compte de l’évolution des connaissances actuelles sur les problématiques d’indétermination sexuelle : « les variantes du développement du genre ne sont pas des maladies. Il est exclu par exemple d’envisager leur “guérison”. Aucune intervention médicale ou psychologique ne pourra changer quoi que ce soit à cette situation d’indétermination en tant que telle. L’enjeu de la place des personnes faisant preuve d’une variante dans le développement du genre relève d’une problématique sociale globale et c’est dans ce cadre précis qu’elle doit être envisagée ».

Le ministère fédéral de l’intérieur, chargé de l’état civil, a d’ores et déjà annoncé son intention de mettre en œuvre les préconisations de la Cour constitutionnelle.

Les faits de l’espèce, à défaut d’être simples, étaient classiques et témoignaient d’une dispute entre des héritiers. Un de cujus, père de deux enfants mineurs issus d’un mariage dissous par divorce, avait confié à sa sœur la gestion des biens revenant à ses enfants. Évoquant un conflit d’intérêts entre la sœur et les enfants, l’ex-épouse, mère desdits enfants, a sollicité la prolongation de la mission du mandataire successoral. Les juges du fond ayant fait droit à sa demande, la sœur s’est pourvue en cassation.

Aux termes de l’article 813-9 du code civil, « le jugement désignant le mandataire successoral fixe la durée de sa mission ainsi que sa rémunération », étant précisé que cette durée peut être prolongée. Le texte précise également que cette « mission cesse de plein droit par l’effet d’une convention d’indivision entre les héritiers ».

À ce propos, rappelons que, dans la mesure où la convention a pour effet de surseoir au partage, le consentement de...

Le législateur a jusqu’au 31 décembre 2018 pour faire évoluer le droit de l’état civil en ce sens.

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Auteur d'origine: babonneau

La signature d’une convention d’indivision par une seule personne, agissant en des qualités différentes alors qu’existe un conflit d’intérêts, ne met pas fin de plein droit à la mission du mandataire successoral.

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Auteur d'origine: nkilgus

En présence d’enfants d’une précédente union du défunt, son conjoint survivant, donataire de la quotité disponible spéciale entre époux, bénéficie de sa vocation légale, augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux.

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Auteur d'origine: Dargent

La combinaison des droits légaux du conjoint survivant et des libéralités reçues par ce dernier soulève des difficultés, exacerbées sans doute lorsque le conjoint survivant se retrouve en concurrence avec un ou plusieurs enfants d’un premier lit. Dans l’espèce jugée par la première chambre civile le 25 octobre 2017, un époux avait fait, par acte notarié, une donation à son épouse de la plus forte quotité disponible. Lors de son décès, des difficultés se sont élevées entre son épouse survivante et ses deux enfants issus d’une première union. Les juges du fond ayant jugé qu’en présence d’enfants issus d’une première union, le conjoint survivant ne peut prétendre qu’à ses droits légaux d’un quart en pleine propriété, sans pouvoir cumuler ces derniers avec la libéralité consentie en application de l’article 1094 du code civil, l’épouse survivante s’est pourvue en cassation. Elle obtient la censure de la décision du fond. Au visa des articles 757, 758-6 et 1094-1 du code civil, dont il résulte qu’en présence d’enfants, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession, de sorte qu’il ne peut recevoir une portion de biens supérieure, soit à la quotité disponible en faveur d’un étranger, soit au quart en pleine propriété et aux trois...

L’action en réduction pouvant être demandée par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause, le cessionnaire des droits successifs de la personne au profit de laquelle la loi fait la réserve, qui constitue son ayant cause, peut soulever l’action en réduction.

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Auteur d'origine: Dargent

L’arrêt rendu par la première chambre civile le 25 octobre 2017 devait se pencher sur la détermination des personnes intéressées à demander la réduction de libéralités excessives. En l’espèce, le de cujus, laissant son épouse, avait institué par testament authentique trois personnes légataires particuliers. De son côté, l’épouse, héritière réservataire d’un quart en vertu de l’article 914-1 du code civil, a, après le décès de son mari, cédé à un tiers ses droits successifs et ses droits dérivant de la liquidation de son régime matrimonial (ce qui ne constituait pas un pacte sur succession future prohibé, dès lors qu’il était réalisé une fois la succession ouverte). Ce dernier a, alors, assigné les trois légataires en réduction de leurs legs en raison de l’atteinte à la réserve héréditaire de la cédante. Les trois légataires se sont opposés, sans...

Une personne morale, qui invoque une publication de données inexactes la concernant sur internet et la non-suppression de commentaires à son égard, peut former un recours tendant à la rectification de ces données, à la suppression de ces commentaires et à la réparation de l’intégralité du préjudice subi devant les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts.

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Auteur d'origine: fmelin

Sous couvert d’une carence dans l’administration de la preuve, le juge ne peut pas introduire dans le débat le moyen tiré de la forclusion sans avoir invité les parties à présenter leurs observations.

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Auteur d'origine: babonneau

L’adultère peut justifier la révocation d’une donation pour injure grave. Précision sur la qualification d’injure grave et le délai applicable à l’action.

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Auteur d'origine: babonneau
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Une société de droit estonien reproche à une société de droit suédois d’avoir publié sur son site internet des données inexactes sur elle. Elle saisit alors un juge estonien pour lui demander de condamner cette société suédoise à rectifier ces données, à supprimer des commentaires et à réparer le préjudice subi.

Se pose dès lors la question de la compétence du juge.

La problématique juridique

Le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale énonce, par son article 7, § 2, qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

En l’espèce, si la société plaignante était estonienne, le site internet était celui d’une société suédoise, diffusé en langue suédoise.

Il est dès lors possible de s’interroger sur le lieu où le préjudice allégué s’est matérialisé. S’agit-il de l’Estonie, en raison de la localisation du siège de la société plaignante dans cet État et en raison de l’accessibilité du site internet sur le territoire de celui-ci ? Ou de la Suède, à partir de laquelle les informations litigieuses ont été diffusées, dans la langue locale ?

À cet égard, il est important de rappeler que l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », utilisée par l’article 7, vise à la fois le lieu de l’événement causal et celui de la matérialisation du dommage (v. par ex. CJCE 7 mars 1995, Shevill e.a., C-68/93, points 20 et 21, D. 1996. 61 , note G. Parleani ; Rev. crit. DIP 1996. 487, note P. Lagarde ; RTD eur. 1995. 605, note M. Gardeñes Santiago ; JDI 1996. 543, note A. Huet) mais qu’en l’espèce, la seule question était de savoir si le juge estonien saisi pouvait être considéré comme compétent au titre du lieu de la matérialisation du dommage allégué : dès lors qu’il était acquis que l’événement causal (correspondant à la diffusion d’informations par un site internet) du dommage allégué était situé en Suède, il n’était pas en effet envisageable de tenter de fonder la compétence du juge estonien en considération du lieu de l’événement causal.

La solution de principe

La solution qu’énonce la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est dépourvue d’ambiguïté : « une personne morale, qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur internet et par la non-suppression de commentaires à son égard, peut former un recours tendant à la rectification de ces données, à la suppression de ces commentaires et à la réparation de l’intégralité du préjudice subi devant les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts ».

Cette approche se situe dans la ligne de celle déjà retenue à propos d’une personne physique qui se plaignait d’une atteinte aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet. La CJUE avait alors posé que la personne qui s’estime lésée doit avoir la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts (CJUE 25 oct. 2011, eDate Advertising e.a., C-509/09 et C-161/10, point 41, Dalloz actualité, 7 nov. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 2662 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1279, chron. T. Azzi ; ibid. 1285, chron. S. Bollée et B. Haftel ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2012. 389, note H. Muir Watt ; RTD com. 2012. 423, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 554, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz ; RLDI nov. 2011. 76, n° 2524, obs. Costes ; JCP 2012. 35, obs. S. Francq).

Il faut par ailleurs souligner le fait que la CJUE prend soin, dans son arrêt du 17 octobre 2017, de préciser que le centre des intérêts de la personne morale correspond au lieu où sa réputation commerciale est la plus établie et doit donc être déterminé en fonction du lieu où elle exerce l’essentiel de son activité économique. Si le centre des intérêts d’une personne morale peut coïncider avec le lieu de son siège statutaire lorsqu’elle exerce, dans l’État membre où ce siège est situé, l’ensemble ou l’essentiel de ses activités et que la réputation dont elle y jouit est, par conséquent, plus importante que dans tout autre État membre, la localisation de ce siège n’est toutefois pas, en soi, un critère décisif dans le cadre d’une telle analyse (arrêt, point 41).

La CJUE déduit de ces éléments que, lorsque la personne morale concernée exerce la majeure partie de ses activités dans un État membre autre que celui de son siège statutaire, cette personne peut attraire l’auteur présumé de l’atteinte au titre du lieu de la matérialisation du dommage dans cet autre État membre.

La délimitation de la jurisprudence antérieure

En revanche, la CJUE considère que la personne morale ne peut pas former un recours tendant à la rectification des données et à la suppression des commentaires devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel les informations publiées sur internet sont ou étaient accessibles.

Cette solution peut, au premier abord, surprendre, compte tenu de la solution adoptée dans une affaire jugée précédemment. La CJUE a ainsi jugé, en 2001, qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts. Et la CJUE avait ajouté que cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, celles-ci étant alors compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.

L’arrêt du 17 octobre 2017 justifie toutefois, par rapport à ce précédent, la solution qu’il consacre. Compte tenu de la nature ubiquitaire des données et des contenus mis en ligne sur un site internet et du fait que la portée de leur diffusion est en principe universelle, une demande visant à la rectification des premières et à la suppression des seconds est une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée que devant une juridiction compétente pour connaître de l’intégralité d’une demande de réparation du dommage (arrêt, point 48).

L’arrêt revient sur les conditions du relevé d’office en matière de droit de la consommation. Dans le cadre d’une procédure de surendettement, le juge d’instance, procédant à la vérification des créances a écarté une créance née d’un crédit à la consommation, se fondant sur la forclusion prévue par l’article L. 311-52 du code de la consommation (act. R. 312-35) qui enferme l’action en paiement dans le délai de deux ans, à compter de l’événement qui lui a donné naissance. La difficulté est qu’en l’espèce, le juge s’est appuyé sur une insuffisance des preuves produites par la banque prêteuse, pour introduire dans le débat le moyen nouveau tiré de la forclusion. Plus précisément, en l’absence d’historique de compte produite par la créancière, le tribunal d’instance a jugé qu’il n’était pas possible de vérifier la forclusion éventuellement encourue, ce qui l’a conduit à écarter purement et simplement la créance de la procédure de surendettement.

On se...

L’article 953 du code civil n’autorise la révocation des donations entre vif que pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d’ingratitude, et pour cause de survenance d’enfants. L’article 955 précise en quoi consiste l’ingratitude : 1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ; 2° S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; 3° S’il lui refuse des aliments.

L’arrêt rendu le 25 octobre 2017 par la première chambre civile de la Cour de cassation illustre l’hypothèse de l’injure grave, et en l’espèce de l’adultère valant injure. De quoi redonner un petit rôle à l’obligation de fidélité,...

En l’absence de contact entre le véhicule et le siège du dommage, les seules déclarations faites par la victime à qui incombe la charge de la preuve sont insuffisantes à établir l’implication du véhicule dans l’accident de circulation.

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Auteur d'origine: ahacene

La régularité de la transmission par la voie électronique d’une déclaration d’appel formée contre un jugement rendu en matière d’expropriation s’apprécie au regard des seules dispositions des articles 748-1 et suivants du code de procédure civile et de l’arrêté pris en application de ces articles par le garde des Sceaux le 5 mai 2010.

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Auteur d'origine: babonneau

En matière de recouvrement des amendes, le juge de l’exécution ne connaissant, en application combinée des articles 530-2 du code de procédure pénale et 9 du décret n° 64-1333 du 22 décembre 1964, que de la régularité en la forme de l’acte de poursuite, il ne peut pas apprécier le respect de l’obligation faite, par l’article R. 49-6 du code de procédure pénale, au comptable public d’envoyer au contrevenant un avis l’invitant à s’acquitter du montant de l’amende forfaitaire majorée.

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Auteur d'origine: gpayan

Les enfants du de cujus qui s’engagent à répartir équitablement la succession de celui-ci à parts égales avec le fils volontairement écarté de l’héritage sont tenus d’une obligation naturelle. L’établissement d’un acte sous-seing privé manifestant cette intention transforme l’obligation naturelle en obligation civile.

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Auteur d'origine: dlouis
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L’arrêt de rejet rendu par la deuxième chambre civile le 26 octobre 2017 présente l’intérêt de mêler l’application de la loi du 5 juillet 1985 aux principes fondamentaux du droit de la preuve. Il apporte de nouvelles précisions sur la caractérisation de la notion d’implication d’un véhicule dans la survenance d’un accident de la circulation.

Les faits d’espèce étaient très simples. En voulant dépasser un véhicule sur l’autoroute, une conductrice avait perdu la maîtrise du sien. La conductrice et les deux passagères furent blessées et indemnisées de leurs dommages par leur assureur. Ensemble, ils assignèrent le conducteur du véhicule dépassé et son assureur en indemnisation de leur préjudice corporel et en remboursement des sommes déjà versées aux victimes.

La cour d’appel de Paris les débouta de leurs demandes au motif que la preuve de l’implication du véhicule conduit par le conducteur assigné n’était pas rapportée.

Ils se pourvurent en cassation, reprochant à l’arrêt d’appel d’avoir violé l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985. Selon le pourvoi, en n’admettant pas que le fait pour le conducteur de s’être déporté sur la gauche sans dépasser la ligne prouvait le rôle du véhicule dans la réalisation de l’accident, les juges du fond exigeraient là la preuve d’un rôle « perturbateur » du véhicule.

La Cour de cassation, amenée à s’interroger sur la preuve de l’implication du véhicule dans l’accident rejette le pourvoi considérant que celle-ci n’est pas établie.

Elle rappelle d’abord que la charge de la preuve de l’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation incombe à celui qui s’en prévaut (Civ. 2e, 28 mai 1986, n° 84-17.330, Bull. civ. II, n° 83 ; D. 1987. 160, note H. Groutel [1re esp.] ; 5 déc. 1990, n° 89-18.935, Bull. civ. II, n° 251 ; RTD civ. 1991. 354, obs. P. Jourdain ; 16 mai 1994, n° 92-17.135, Bull. civ. II, n° 129 [2 arrêts] ; R. p. 362). Cette preuve incombait, en l’espèce, aux trois victimes dont une, seulement, avait la qualité de conducteur.

Elle relève ensuite l’absence de contact entre les deux véhicules. Cette absence de contact, qui n’exclut pas l’implication du véhicule (Civ. 2e, 14 nov. 2002, n° 00-20.594, Bull. civ. II, n° 252), justifie le rappel de la charge de la preuve de l’implication puisque la haute juridiction la considère présumée en cas de heurt entre le véhicule et le siège du dommage (Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164, Bull. civ. II, n° 27 ; GAJC, 11e éd., n° 220-222 [II] ; RTD civ. 1995. 382, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 1995. 1. 315, note F. Chabas ; 29 avr. 1998, n° 96-18.421, Bull. civ. II, n° 129 ; 5 nov. 1998, n° 96-20.243, Bull. civ. II, n° 261 ; D. 1998. 260 ; RTD civ. 1999. 121, obs. P. Jourdain ).

Elle confirme, enfin, que la valeur et la portée des éléments de preuves sont à l’appréciation souveraine des juges du fond à qui ils sont soumis et que l’écart à gauche imputé au conducteur par les victimes mais contesté par celui-ci n’est confirmé par aucun témoin et aucun élément matériel. Il n’est donc pas établi. En conséquence, la preuve du rôle joué par le véhicule dans l’accident de circulation n’est pas rapportée.

Pour justifier la non-application de la loi, la deuxième chambre civile rappelle, d’une part, que ce n’est pas parce que ce véhicule est présent sur la voie de circulation et qu’il a été dépassé qu’il est impliqué dans l’accident (en ce sens, v. déjà Civ. 2e, 13 déc. 2012, n° 11-19.693, Dalloz actualité, 11 janv. 2013, obs. I. Gallmeister ; 8 juin 1994, n° 92-21.687, Bull. civ. II, n° 147). Elle ajoute, d’autre part, que les seules déclarations des victimes non confirmées par des éléments extérieurs (témoins, éléments matériels) sont insuffisantes à démontrer l’implication que le véhicule a pu avoir dans l’accident.

Ces précisions méritaient d’être apportées puisque le législateur ne donne aucune définition de l’implication, laissant une certaine souplesse à la notion et une grande marge de manœuvre au juge. Elle vient remplacer le lien de causalité exigé en droit commun entre la chose et le dommage. Elle se veut plus large en ce qu’un simple lien de causalité éventuel suffit. La causalité ne doit être avérée qu’entre le dommage et l’accident, la Cour de cassation faisant de l’imputabilité du premier au second une des conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 (le conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage, v. Civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 95-14.034, Bull. civ. II, n° 41 ; D. 1997. 384, note C. Radé ; JCP 1998. II. 10005, note P. Brun ; ibid. 1997. I. 4070, n° 32, obs. G. Viney ; RCA 1997, n° 163, note H. Groutel ; cette présomption d’imputabilité du dommage à l’accident ne s’applique toutefois pas quand un certain laps de temps sépare les deux, v. Civ. 2e, 24 janv. 1996, n° 94-13.678, Bull. civ. II, n° 15 ; D. 1997. 30 , obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 406, obs. P. Jourdain ; JCP 1996. I. 3944, n° 25, obs. G. Viney).

C’est au gré des arrêts que la jurisprudence précise ce que recouvre la notion d’implication.

Pour que le véhicule soit impliqué, il doit avoir joué un « rôle quelconque » dans la réalisation de l’accident (Civ. 2e, 15 mai 1992, n° 90-20.322, Bull. civ. II, n° 139 ; JCP 1992. I. 3625, n° 5, obs. G. Viney ; 1er avr. 1999, n° 97-17.867, Bull. civ. II, n° 62 ; D. 1999. IR 119 ; JCP 2000. I. 199, n° 21, obs. G. Viney ; 24 févr. 2000, n° 98-18.448, Bull. civ. II, n° 31 ; D. 2000. 93 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; JCP 2000. I. 243, n° 32, obs. G. Viney ; 11 janv. 2001, n° 98-17.829, RCA 2001. Comm. 81) ou être intervenu « d’une manière ou d’une autre dans l’accident » (Civ. 2e, 28 févr. 1990, n° 88-20.133, D. 1991. 123, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1990. 508, obs. P. Jourdain ; Defrénois 1991. 360, obs. J.-L. Aubert) ou « à quelque titre que ce soit » (Civ. 2e, 16 mars 1994, n° 92-19.089, Bull. civ. II, n° 90 ; D. 1994. IR 96 ; JCP 1996. I. 3944, n° 21, obs. G. Viney ; 25 mai 1994, n° 92-19.200, Bull. civ. II, n° 132 ; D. 1994. IR 173  ; 28 juin 1995, n° 93-20.540, Bull. civ. II, n° 203 ; JCP 1996. I. 3944, n° 20, obs. G. Viney ; 2 avr. 1997, n° 95-13.303, Bull. civ. II, n° 100 ; 18 mars 1998, n° 96-13.726, Bull. civ. II, n° 88 ; RCA 1998. Chron. 14, par H. Groutel ; Civ. 2e, 6 janv. 2000, n° 97-21.360, Bull. civ. II, n° 1 ; D. 2000. 39 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; 24 févr. 2000, n° 98-12.731, Bull. civ. II, n° 30 ; D. 2000. 86 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain ; JCP 2000. I. 243, n° 32, obs. G. Viney ; 18 mai 2000, n° 98-10.190, Bull. civ. II, n° 79 ; RTD civ. 2000. 853, obs. P. Jourdain ; 12 oct. 2000, RCA 2001. Comm. 16, obs. H. Groutel).

En revanche, en refusant que l’implication soit subordonnée à la démonstration du rôle actif du véhicule (Civ. 2e, 4 déc. 1985, n° 84-13.226, Bull. civ. II, no 186 ; 16 déc. 1985, n° 83-15.991, Bull. civ. II, n° 96 ; 14 oct. 1987, n° 86-14.526, Bull. civ. II, n° 192) ou de son « rôle perturbateur » dans l’accident (Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 16-15.562, Dalloz actualité, 21 mars 2017, obs. N. Kilgus ), la Cour a censuré l’audace des juges du fond qui ont essayé de conditionner davantage la notion. Elle distingue, comme le voulait le législateur, la loi du régime de responsabilité du fait des choses.

Si le simple rôle d’un véhicule dans l’accident suffit à caractériser son implication, encore faut-il qu’il en ait véritablement eu un. En l’espèce, on comprend aisément que de simples déclarations faites par les victimes, qu’elles soient conductrices ou non, contestées par le défendeur, ne peuvent suffire à faire la preuve de ce rôle. Certes, la loi est édictée en faveur des victimes mais elle reste, heureusement, soumise au respect du droit de la preuve.

En vertu des articles 6 et 9 du code de procédure civile, il appartient aux parties de prouver les faits qu’elles allèguent. En l’espèce, si les juges avaient admis, sur les simples déclarations de la conductrice et des passagères victimes, que le véhicule dépassé avait joué un rôle dans la survenance de l’accident, le régime d’indemnisation prévu par la loi serait, finalement, automatique en présence de n’importe quel accident de la circulation.

L’intérêt de l’arrêt du 26 octobre 2017 porte sur la matérialisation de l’implication du véhicule dans l’accident. Aussi large soit-elle, l’implication doit être matérialisée. Il revient aux victimes de démontrer matériellement la participation du véhicule à l’accident. Cette conception matérielle du rôle joué par le véhicule est une limite à l’application souple de la loi ; limite qui se comprend facilement au regard du droit de la preuve. L’exigence de la démonstration matérielle de l’implication vient contrebalancer l’absence d’exigence d’un rôle actif ou perturbateur du véhicule.

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Le 19 octobre 2017, la deuxième chambre civile a rendu un nouvel arrêt en matière de communication par voie électronique (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne, S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 9e éd., 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris ; C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s. ; sur l’arrêt du 19 oct. 2017, v. aussi notre note à paraître au Recueil Dalloz). Presque un an après les arrêts du 10 novembre 2016 (Civ. 2e, 10 nov. 2016, nos 14-25.631 et 15-25.431, Dalloz actualité, Dalloz actualité, 6 déc. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 2502 , note C. Bléry ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; ibid. 605, chron. E. de Leiris ; AJDI 2017. 94, étude S. Gilbert ), c’est à nouveau la procédure d’expropriation en appel – procédure sans représentation obligatoire – qui est à l’origine de l’arrêt.

Il serait donc permis de s’étonner que l’arrêt soit destiné à une publication, si son apport n’était autre : pour la première fois, la haute juridiction statue sur la valeur d’un protocole de procédure – ou plutôt sur son absence de valeur – ainsi qu’il résulte du chapeau. Ce dont il y a lieu de se féliciter.

La société Loire Atlantique développement exerce son droit de préemption sur diverses parcelles appartenant à un couple. Faute d’accord entre les parties, la société saisit un juge de l’expropriation. Celui-ci fixe la valeur de ces parcelles par un jugement du 12 mai 2015, signifié le 20 mai 2015. Les propriétaires adressent au greffe de la cour d’appel une déclaration d’appel, le 16 juin 2015, par la voie électronique, réitérée le 25 juin 2015 par lettre recommandée.

La cour d’appel déclare irrecevable le premier appel – celui-ci ayant été refusé pour non-conformité à un protocole – et le second comme tardif, la LRAR n’ayant été adressée qu’après l’expiration du délai d’un mois pour former appel, alors que l’expéditeur avait été immédiatement informé du refus du premier appel. Les propriétaires se pourvoient. La Cour de cassation statue sur la troisième des dix branches du moyen.

Au visa des articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et 1er de l’arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel, la deuxième chambre civile rappelle, dans un attendu de principe, « qu’en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, la déclaration d’appel et les pièces qui lui sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d’appel par la voie électronique par le biais du “réseau privé virtuel avocat” (RPVA) dans les conditions techniques fixées par l’arrêté susvisé » et casse l’arrêt de la cour d’appel de Rennes pour le motif sus-énoncé.

La Cour de cassation fait application, dans l’arrêt commenté, de la jurisprudence mise en œuvre le 10 novembre 2016, à savoir que la communication par voie électronique facultative est – dans une certaine mesure – praticable en matière d’expropriation : l’acte considéré dans l’arrêt commenté est une déclaration d’appel, donc un acte qui pouvait, conformément aux articles 748-1 et 748-6 du code et 1er de l’arrêté du 5 mai 2010, être remis par voie électronique au greffe de la cour d’appel. Et pourtant la cour d’appel a déclaré l’appel irrecevable…

Comment expliquer cette irrecevabilité ? Ce n’est pas de la résistance de la part de la juridiction du second degré. C’est, en revanche, parce que celle-ci a fait application d’un protocole de procédure, ainsi qu’il ressort de la motivation : pour déclarer irrecevable l’appel, la cour d’appel « retient que l’avocat des appelants a envoyé une déclaration d’appel au greffe par la voie de la communication électronique, le 16 juin 2015, que ce message a été refusé, le jour même, au motif qu’il n’était pas conforme aux exigences de la convention relative à la communication électronique (“sans le message structuré, votre enregistrement ne pourra aboutir”), que cette déclaration d’appel n’étant pas conforme au protocole mis en place avec le barreau de Nantes, ce refus était conforme à l’article 5 de la convention passée avec ce barreau (“Lorsqu’une déclaration d’appel est incorrecte et refusée par l’application informatique, il est envoyé à l’expéditeur un accusé de réception négatif dès l’ouverture du message par le greffe au plus tard le jour ouvrable suivant. L’acte rejeté n’est pas pris en compte, n’est pas traité et ne reçoit aucun numéro de DA – déclaration d’appel – ni de RG – répertoire général”) et que l’expéditeur, immédiatement informé de ce refus, n’a adressé sa déclaration d’appel par lettre recommandée qu’après l’expiration du délai d’un mois pour former appel ».

Qu’est-ce qu’un protocole ? (Sur cette notion, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, nos 300.00 s.) C’est une sorte de convention collective de procédure civile, conclue entre la juridiction et ses partenaires, voire entre partenaires, et qui tend à encadrer la mise en état des affaires, ou au moins un aspect de celle-ci – comme la communication par voie électronique –, tant en procédure écrite qu’orale. Sans être totalement nouveau, le phénomène des protocoles se généralise, ce à quoi a contribué – notamment – le déploiement de la communication par voie électronique.

C’est le législateur lui-même qui a incité les acteurs du procès à signer de tels protocoles pour le déploiement de la CPVE. L’article 73 du décret du 28 décembre 2005 a créé les articles 748-1 à 748-7. Or l’article 88 du décret fixait la date du 1er janvier 2009 pour l’entrée en vigueur de l’article 73, sous une réserve : « Toutefois, un arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, peut prévoir une application anticipée de l’article 73 dans le ressort des juridictions et pour les actes de procédure qu’il désigne, après approbation de conventions passées entre le président de la juridiction et une ou plusieurs catégories d’auxiliaires de justice et organisant le recours à la communication électronique dans les conditions prévues par cet article. Ces conventions doivent être approuvées par le garde des Sceaux, ministre de la justice, ou, à défaut, être conformes aux conventions-cadres nationales conclues entre le ministre et les instances représentatives, au niveau national, des auxiliaires de justice de la catégorie considérée ». Cet article 88 a été modifié par l’article 21 du décret n° 2008-484 du 22 mai 2008 relatif à la procédure devant la Cour de cassation supprimant l’exigence de conformité aux conventions-cadres.

De nombreuses conventions ont été signées : « Les praticiens ont ressenti le besoin de sécuriser la communication par voie électronique, en précisant les modalités pratiques de sa mise en place. Par exemple, jusqu’à quelle heure exacte le greffe de la juridiction peut-il admettre un message, sachant que la technique permet de l’envoyer 24 heures sur 24, mais que le greffier est tenu à des horaires précis ? Que peut-on entendre par cause étrangère empêchant de recourir à la communication électronique et justifiant la prorogation du délai ou une élaboration de l’acte sous forme papier (C. pr. civ., art. 748-7 et 930-1) ? » (D. 2013. 269, obs. N. Fricero ).

Si l’article 88 a donné une base textuelle à ces conventions, c’est aujourd’hui de l’histoire du droit, puisqu’il ne s’agissait que de permettre une application anticipée de la CPVE. Pourtant, de telles conventions ont continué et continuent à voir le jour. La convention dont la cour d’appel de Rennes a fait application s’inscrit donc dans cette catégorie de protocoles. Comme nombre de protocoles, elle n’est pas accessible officiellement – ce qui constitue une des critiques qui peuvent leur être adressées.

Quoi qu’il en soit, il résulte de l’arrêt que le protocole a institué une « irrecevabilité-greffe », voire une « irrecevabilité-machine » – c’est-à-dire automatique : le greffe est en effet investi de la mission d’envoyer un accusé de réception négatif pour informer l’expéditeur qu’a été refusé – par l’application informatique – un acte transmis par voie électronique qui ne respecte pas les exigences formelles imposées par la convention ; ceci alors que le code de procédure civile, lui, est muet. C’est là une autre critique récurrente que les protocoles appellent. En effet, si la doctrine s’accorde pour dire que la sanction du non-respect de ces conventions ne devrait pas pouvoir être une nullité ni une irrecevabilité, elle ne devrait être que disciplinaire (contra, L. Mayer, « La maîtrise du procès par les parties et les contraintes procédurales », in L. Flise et E. Jeuland [dir.], Le procès est-il encore la chose des parties ?, IRJS, 2015, n° 15), déontologique (v. H. Croze, Irrecevabilité des conclusions pour violation d’une convention de procédure, obs. sur Reims, 27 nov. 2012, n° 12/02121, JCP 2012. 1394 ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par de E. Leiris, n° 45 ; D. 2013. 269, obs. préc. ; P. Mucchielli, concl. sur Cass., avis, 9 sept. 2013, n° 13-70.005, Bull. avis n° 10), éventuellement engager la responsabilité professionnelle de l’avocat du barreau concerné (N. Fricero, préc.), des protocoles de procédure imposent des conditions pour la communication par voie électronique, sous peine de se heurter à une fin de non-recevoir. Et un arrêt a pu sanctionner par une irrecevabilité le dépôt de conclusions pour violation d’un tel protocole : cette sanction était elle-même inscrite au protocole et la cour d’appel de Reims en a admis la validité (Reims, 27 nov. 2012, n° 12/02121, JCP 2012. 1394, obs. préc.). De même, un arrêt de la cour d’appel de Lyon (Lyon, 30 oct. 2012, n° 11/08437 ; J. Junillon et R. Laffly, Deux ans de jurisprudence, JCP 2013. 249, n° 9 ; N. Fricero, « Les nouvelles sanctions du défaut de diligence des avocats en appel », Procédures 2013. Doss. 6, n° 9) a admis que l’erreur d’indication du numéro de la chambre entraîne l’irrecevabilité des conclusions, par référence au protocole signé entre le barreau et la cour d’appel. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la déclaration d’appel a ainsi été refusée pour ne pas avoir été accompagnée du « message structuré » prévu à l’article 5 de la convention.

Fort heureusement, la deuxième chambre civile vient rappeler à l’orthodoxie : la communication par voie électronique est régie par le code de procédure civile et les arrêtés techniques et eux seuls. Si c’est la première fois que la Cour de cassation est si nette, des arrêts annonçaient la couleur.

Par un arrêt du 24 septembre 2015 (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-20.212, Dalloz actualité, 14 oct. 2015, obs. R. Laffly ; D. 2015. 1960 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ), la deuxième chambre civile a cassé un arrêt d’appel ayant prononcé la caducité de la déclaration d’appel en raison du dépôt tardif des conclusions de l’appelant : la remise initiale, dans les temps, des conclusions avait fait l’objet d’un rejet, semble-t-il automatique, en raison de l’absence de référence du numéro de rôle qui avait été communiqué à l’appelant. Et, « bien qu’inédit, un arrêt du 15 octobre 2015 (Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355, Dalloz jurisprudence) est intéressant en ce qu’il précise, de son côté, que, dès lors que les textes permettent de procéder par voie électronique et que l’intéressé est en possession d’un avis électronique de réception, le greffe ne peut refuser un acte de procédure remis par cette voie : le premier juge (un juge aux affaires familiales) avait prononcé la caducité de l’assignation délivrée par le demandeur au motif que “le placement d’une assignation par voie électronique n’est pour l’heure pas admis devant ce tribunal”. Notons qu’en l’espèce, l’exclusion de la communication par voie électronique devant le juge aux affaires familiales devait résulter d’un protocole ou d’un “règlement” du tribunal de grande instance ; la Cour de cassation a donc, justement, refusé de lui donner une force obligatoire qui aurait été contra legem » (C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère… », préc., n° 15). Le 7 septembre 2017 (Civ. 2e, 7 sept. 2017, nos 16-21.756 et 16-21.762, Dalloz actualité, 19 sept. 2017, obs. C. Bléry ), la deuxième chambre civile avait aussi refusé de suivre le pourvoi en cassation, qui prétendait qu’un formalisme particulier devait être respecté ; sachant que ce formalisme trouvait sa source dans « les recommandations sur le site internet du Barreau de Paris, conseillant en ce cas d’adresser à l’avocat destinataire un acte de notification scanné tel qu’il aurait été signifié par l’intermédiaire des huissiers audienciers ». La Cour de cassation avait « rectifié le tir » : seules les dispositions du code de procédure civile relatives aux notifications et à la communication par voie électronique ont vocation à s’appliquer.

Rappelons, cependant, que, de manière assez osée, la Cour de cassation a estimé que certaines transmissions, non visées par l’arrêté technique du 30 mars 2011, pris pour l’application de l’article 930-1 devant la cour d’appel lorsque la représentation est obligatoire, devaient être accomplies par voie électronique : ainsi de la saisine de la cour par voie électronique en cas de renvoi après cassation (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n° 15-25.972, Dalloz actualité, 14 déc. 2016, nos obs. ; D. 2016. 2523 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; D. avocats 2017. 28, obs. C. Lhermitte ) et du déféré Civ. 2e, 26 janv. 2017, n° 15-28.325, Procédures 2017. Comm. 57, obs. H. Croze ; Civ. 1re, 1er juin 2017, n° 16-18.361, Dalloz actualité, 23 juin 2017, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 70, obs. C. Bléry.

Grâce à l’arrêt du 19 octobre 2017, la valeur des protocoles est désormais clairement précisée : ils ne peuvent imposer des règles de droit dur au-delà du code de procédure civile. Autrement dit, les protocoles n’engagent que ceux qui les respectent ! La question qui se pose désormais est la suivante : quelle sera l’incidence de cet arrêt sur la « mode » des protocoles ? À suivre…


Dans un article de référence consacré au juge de l’exécution (RTD civ. 1993. 31), le Professeur Jacques Normand pointait, dès 1993, une série de « difficultés » inévitables ayant trait à la détermination exacte de la compétence matérielle de cette juridiction spécialisée. Depuis la publication de cette analyse, cette problématique n’a cessé d’enrichir la jurisprudence de la Cour de cassation.

Durant ces derniers mois, les Hauts magistrats ont apporté d’éclairantes précisions sur les principaux chefs de compétence du juge de l’exécution, tels que visés à l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire. Pour ne citer que quelques exemples, a ainsi été explicitée sa compétence pour examiner la validité d’un accord transactionnel homologué (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-19.184, Dalloz actualité, 16 oct. 2017, obs. L. Camensuli-Feuillard ), pour déterminer le montant de la créance litigieuse dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-16.106, Dalloz actualité, 8 juin 2017, obs. L. Camensuli-Feuillard) ou pour constater la résolution de plein-droit de la vente d’un immeuble sur adjudication (Civ. 2e, 23 févr. 2017, n° 16-13.178, Dalloz actualité, 10 mars 2017, obs. L. Camensuli-Feuillard ). À l’inverse, son incompétence...

Par acte sous-seing privé, deux sœurs se sont engagées à verser à leur frère un tiers de la part qu’elles recueilleraient dans la succession de leur père. Leur frère pourrait ainsi bénéficier d’une part dans l’héritage alors que le de cujus l’en avait volontairement privé, conformément au droit canadien applicable à une partie de la succession. Le frère demande alors l’exécution de cette obligation. Les juges du fond accèdent à sa requête décelant une obligation naturelle muée en obligation civile. Les sœurs forment un pourvoi affirmant qu’il ne s’agit nullement d’une telle obligation mais d’une donation nulle en la forme puisque ne revêtant pas la forme authentique. La Cour de cassation refuse cette qualification et confirme la décision des juges du fond aux motifs qu’il existait bien un devoir de justice et donc une obligation naturelle qui, par la signature de l’acte sous-seing privé s’est transformée en obligation civile devant être exécutée.

Le devoir de justice et l’obligation naturelle
La frontière est mince entre donation et obligation naturelle. Pour les distinguer il convient de se rappeler que les premières puisent leur source dans l’intention libérale tandis que les secondes se découvrent, notamment, dans l’accomplissement de devoirs moraux...


Ce n’est pas la première fois que Bertrand Louvel s’interroge sur les évolutions de la justice. Déjà en juin, juillet et septembre 2017, le plus haut magistrat de l’ordre judiciaire français publiait trois tribunes : « Pour l’unité de la procédure civile », « Pour l’unité de juridiction » et « Pour l’unité de la magistrature ». Il ajoute désormais un quatrième texte à son polyptyque sur l’unité.

Créer un « tribunal de première instance »

C’est l’idée phare de ce texte : la création d’une juridiction unique de première instance qui regrouperait notamment les tribunaux d’instance et de grande instance.

Cette proposition de fusion renvoie au récent rapport de Philippe Bas, Cinq ans pour sauver la justice, reprise sous forme législative et adoptée récemment par le Sénat (v. Dalloz actualité, 25 oct. 2017, art. T. Coustet ). Le sénateur y développe l’idée, commune à Bertrand Louvel, d’une institution de première instance, compétente au niveau départemental, qui mutualiserait le traitement à grande échelle du contentieux « de la vie courante ». 

Le haut magistrat souligne les atouts de cette proposition. D’une part, un tribunal unique de première instance aurait le mérite de polariser le débat sur le fond du litige, en évitant de créer un « procès dans le procès » sur les questions préalables de compétence matérielle.

D’autre part, ce tribunal accueillerait l’ensemble du contentieux de proximité, réparti aujourd’hui entre le tribunal d’instance, « juridiction devenue largement obsolète », selon le haut magistrat, et le tribunal de grande instance, qui traite du contentieux général.

Mais Bertrand Louvel va plus loin. Cette nouvelle institution aurait vocation « tôt ou tard » à absorber les tribunaux de commerce, les conseils de prud’hommes et les tribunaux administratifs. Cette formation « à compétence élargie » favoriserait l’harmonisation des décisions et la généralisation de ce qu’il appelle « l’échevinage » des juridictions, c’est-à-dire un système d’organisation qui accueille simultanément des magistrats professionnels et des juges non professionels. 

Au regard du contentieux de proximité et pour la résolution des « contentieux complexes », dont le jugement est « indifférent à la localisation des parties ou du juge », « il faudra imaginer des formes de dématérialisation avancées », concède le haut magistrat.

Pour une nouvelle organisation territoriale

Le premier président de la Cour de cassation appelle à repenser le maillage actuel en conséquence de cette nouvelle organisation, tout en « préservant les sites actuels où les contentieux de proximité les plus volumineux pourront y être traités utilement ».

Un système où la situation des implantations ne serait pas figée mais bien, au contraire, « modulée au rythme de l’évolution locale des contentieux », avec le développement de l’open data judiciaire. Une préfiguration de cette réforme a justement été lancée sous la direction de Loïc Cadiet et son rapport est attendu sous peu (v. Dalloz actualité, interview de Xavier Ronsin, par T. Coustet).

Les cours d’appel ne sont pas en reste. Bertrand Louvel propose de « sectoriser les types de contentieux dans des unités dédiées » et préconise « la reconfiguration des sites actuels » afin d’« épouser la nouvelle organisation administrative ».

Reste à voir si ces propositions feront leur chemin. Les thématiques qui sont abordées, de la numérisation à la réforme territoriale en passant par la mise en œuvre de l’open data, font largement échos aux réflexions lancées par la Chancellerie dans le cadre des « chantiers de la Justice », dont les premiers bilans sont attendus le 15 janvier 2018 (sur le détail, v. Dalloz actualité, 8 oct. 2017, art. T. Coustet ).

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L’article 46 du code de procédure civile offre au demandeur à une action délictuelle une option de compétence qui lui permet de saisir, à son choix, trois juridictions : la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu du fait dommageable, ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. Ce texte général a vocation à s’appliquer aux hypothèses, plus complexes, tenant à la diffusion dommageable de contenu via le réseau internet. Dans ce cas, qui a pu être présenté comme une « matière intrinsèquement internationale » (J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy, D. 2010. 1966 ), le fait dommageable étant « plurilocalisé », se pose naturellement la question de savoir à l’aune de quel critère la compétence territoriale du juge peut être déterminée.

Rendu par la première chambre civile, cet arrêt du 18 octobre 2017 apporte un élément de réponse.

Une association revendiquait des droits d’auteur sur des spectacles mettant en scène des personnages géants déambulant, selon une chorégraphie particulière, dans les rues d’une ville. Elle soutenait qu’un spot publicitaire pour la boisson Coca-Cola, diffusé en décembre 2012 dans divers pays, reprenait les caractéristiques de ces créations originales. Cela constituait selon elle une violation de ses droits d’auteur et des agissements parasitaires. Elle a par conséquent assigné en référé la société Coca-Cola pour obtenir la cessation de la diffusion et la suppression du spot litigieux. Plusieurs sociétés sont intervenues volontairement à l’instance et ont soulevé, avec la société défenderesse, une exception d’incompétence internationale.

Celle-ci fut accueillie par les juges du fond qui ont estimé que les juridictions françaises étaient incompétentes pour connaître du litige. Pour ce faire, ils ont relevé que la publicité en cause était diffusée sur différents sites internet et que les vidéos n’étaient pas à destination du public français, soit parce qu’elles étaient destinées à des publics étrangers, soit parce qu’elles étaient destinées à des professionnels de la publicité et de la communication dans un but d’information. Dès lors, il n’existait pas, selon eux, de lien de rattachement suffisant, substantiel ou significatif entre ces sites, les vidéos postées et le public français.

La décision fait l’objet d’une censure de la part de la première chambre civile. Visant l’article 46 du code de procédure civile, l’arrêt commence par rappeler qu’aux termes de ce texte, en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. Il énonce ensuite que l’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, d’un site internet diffusant le spot publicitaire litigieux suffit à retenir la compétence de cette juridiction, prise comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué, pour connaître de l’atteinte prétendument portée aux droits d’auteur revendiqués par l’association.

Cette décision rappelle que le critère de la localisation du dommage est souvent délicat à saisir. La juridiction du « lieu du fait dommageable » renvoie à celle du lieu d’apparition de l’évènement à l’origine du dommage. Quant à la juridiction « dans le ressort de laquelle le dommage a été subi », elle s’entend de celle du lieu où ce dommage est survenu (Civ. 2e, 28 févr. 1990, nos 88-11.320 et 95-16.580, Bull. civ. II, n° 46), même partiellement (Civ. 2e, 11 juin 1997, Bull. civ. II, n° 171 ; D. Affaires 1997. 899). Cette définition convient aux hypothèses dans lesquelles le lieu d’apparition du dommage est unique et permet, en tant que tel, de fixer un seul et même lieu déterminant la compétence territoriale. Elle n’est pas entièrement satisfaisante en ce qui concerne les dommages qui sont par nature diffus, qui se caractérisent par une pluralité de lieux de révélation. C’est le cas, par exemple, en matière de diffusion de contenu sur l’ensemble d’un territoire, que ce soit à une échelle nationale ou internationale. Dans ces hypothèses, le plus souvent, dès lors que le contenu en question est accessible dans le ressort d’une juridiction donnée, il y a lieu de considérer que le critère tenant à l’apparition du dommage tel qu’il est fixé par l’article 46 est satisfait, quand bien même le dommage se serait également révélé dans le ressort d’une autre juridiction. En ce sens, il a été jugé que, lorsque le dommage tient à la parution dans la presse écrite et à la diffusion par la télévision d’images et que ces images ont été diffusées, notamment dans le ressort du juge saisi, ce dernier est compétent, peu important que le fait dommageable se soit également produit dans le ressort d’autres tribunaux, fût-ce sur l’ensemble du territoire national, (Civ. 2e, 25 oct. 1995, n° 93-10.245, Bull. civ. II, n° 255 ; RDSS 1996. 25, obs. J.-S. Cayla ; Rev. huiss. 1996. 448, note Martin ; v. aussi, en matière de service télématique, Com. 7 mars 2000, n° 97-20.885, Bull. civ. IV, n° 48 ; D. 2000. 251 , obs. B. Poisson ; RTD com. 2000. 648, obs. J. Azéma ).

La Cour de cassation a eu à appliquer cette lecture de l’article 46 du code de procédure civile aux dommages causés, plus spécifiquement, au moyen d’internet. Elle considère classiquement que, lorsqu’un dommage survient sur l’ensemble du territoire national par internet, la juridiction du lieu où celui-ci a été subi est compétente en dépit du fait qu’il se serait également produit dans d’autres ressorts (Com. 7 juill. 2009, n° 08-17.135, Bull. civ. IV, n° 95 ; D. 2009. 2037 ; Procédures 2009, n° 301, note R. Perrot ; ibid. 313, note Nourrissat ; Gaz. Pal. 5-6 févr. 2010. 43, note Brunot). Était ainsi recouru à la théorie dite de l’« accessibilité », selon laquelle un délit propagé par internet, accessible en une multitude de lieux, serait par là même localisé partout où cette accessibilité est possible, fondant ainsi la compétence d’une pluralité de juges (Civ. 1re, 9 déc. 2003, n° 01-03.225, D. 2004. 276 , obs. C. Manara ; Rev. crit. DIP 2004. 632, note O. Cachard ; RTD com. 2004. 281, obs. F. Pollaud-Dulian ; v. aussi Com. 20 mars 2007, n° 04-19.679, D. 2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2008. 322, note E. Treppoz ).

Cependant, la chambre commerciale a semblé, ces dernières années, développer une lecture plus restrictive des critères fixés par l’article 46. Elle a reproché à des juges du fond saisis d’une action en contrefaçon et concurrence déloyale à raison d’une prestation publicitaire sur internet de retenir la compétence des juridictions françaises pour statuer sur les faits dommageables sur l’ensemble des sites en cause, au motif qu’ils étaient accessibles et visibles depuis le territoire national, sans rechercher si les annonces publicitaires litigieuses étaient « destinées au public de France » (Com. 13 juill. 2010, n° 08-13.944, Bull. civ. IV, n° 124 ; D. 2010. 1862, et les obs. ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2011. 908, obs. S. Durrande ; ibid. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; CCE 2011. Chron. 1, obs. M.-E. Ancel ; RLDC 2010, n° 76, p. 61, obs. Raschel). Ce faisant, la chambre commerciale a refusé de faire de la seule accessibilité du site internet un critère de compétence territoriale. Elle a considéré qu’il convenait de rechercher la volonté des diffuseurs du contenu en cause pour privilégier un critère de destination, également nommé, par certains auteurs, critère de « focalisation » (v. D. 2012. 1285, obs. S. Bollée et B. Haftel ). Autrement dit, selon cette conception, la seule accessibilité d’un site internet sur le territoire français n’est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises, prises comme celles du lieu du dommage allégué (Com. 29 mars 2011, n° 10-12.272, D. 2011. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Procédures 2011, n° 195, note R. Perrot ; Gaz. Pal. 22-23 juill. 2011, p. 38, obs. Cantreau et Feuvrier-La Forêt ; 20 sept. 2011, Gaz. Pal. 15-16 févr. 2012, p. 22, obs. Marino ; 3 mai 2012, n° 11-10.508, Bull. civ. IV, n° 89; D. 2012. 1261, obs. C. Manara ; ibid. 1684, point de vue L. Mauger-Vielpeau ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2343, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; ibid. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2014. 326, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ; Rev. crit. DIP 2013. 192, note J. Knetsch ; Gaz. Pal. 2012, p. 2246, note Marino ; JCP 2012. 789, note A. Debet ; ibid. E 2013. 1074, obs. Caron ; CCC 2013. Chron n° 1, note B. Ancel ; RJ com. 11-12/2012. 26, note Berlioz). Cette position est conforme à l’esprit du règlement no 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale, dit « Bruxelles I », qui, dans son article 5, paragraphe 3, propose pour critère de compétence l’existence de circonstances justifiant d’un lien suffisant, substantiel ou significatif avec l’État concerné (Com. 9 mars 2010, n° 08-16.752, Bull. civ. IV, n° 46 ; D. 2010. 1183 , note G. Lardeux ; ibid. 2323, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; 13 juill. 2010, n° 06-20.230, Bull. civ. IV, n° 124 ; D. 2009. 1065 , note I. Gavanon et J. Huet ). La solution est quelque peu différente en matière d’atteintes aux droits de la personnalité commises sur internet, puisque, dans ce cas, la simple accessibilité du site semble être, pour la Cour de justice de l’Union européenne, un critère de compétence territoriale (CJUE 25 oct. 2011, eDate Advertising et Olivier Martinez, aff. C-509/09 et C-161/10, D. 2011. 2662 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2012. 389, note H. Muir Watt ; RTD com. 2012. 423, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 554, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz  ; JDI 2012. 6, note Guiziou;   ; v. T. Azzi, Tribunal compétent et loi applicable en matière d’atteintes aux droits de la personnalité commises sur internet, D. 2012. 1279  et S. Bollée et B. Haftel, Les nouveaux (dés)équilibres de la compétence internationale en matière de cyberdélits après l’arrêt eDate Advertising et Martinez, D. 2012. 1285 ).

C’est ce critère d’accessibilité que retient en l’occurrence la première chambre civile. Pour cette dernière, il « suffit » que le site internet soit accessible pour retenir la compétence du lieu où le dommage est matériellement apparu. Elle fait donc totalement abstraction du lien de rattachement entre les sites en cause et le public français qui était pourtant mis en avant par les juges du fond. Il est par conséquent possible d’en conclure que la première chambre civile fait clairement le choix de rejeter le critère de destination du contenu. Seule importe, pour elle, la localisation de la matérialité du dommage.

Cet arrêt ne manquera pas de faire réagir. D’abord, parce que sa portée est encore incertaine car il conviendra sans doute de suivre les prochaines décisions de la haute juridiction, en particulier de sa chambre commerciale, pour la déterminer précisément ; ensuite, parce qu’il conduit à favoriser le demandeur en lui offrant un choix plus important dans la détermination du juge compétent, ce qu’entendait précisément éviter le recours au critère de destination du site internet à l’origine du dommage. L’éparpillement du dommage induit par l’universalité d’internet conduit à un éclatement des compétences dont semble ici s’accommoder sans mal la première chambre civile. Surtout, le visa utilisé par la première chambre civile démontre que cette dernière n’entend pas traiter la problématique des dommages causés sur internet au moyen d’un droit dérogatoire. Elle tranche la difficulté à l’aune du droit commun de la compétence et procède finalement à une application très basique du critère de localisation du dommage. Dès lors que le dommage a été subi dans le ressort du juge saisi, ce dernier est territorialement compétent, peu important le vecteur utilisé pour la commission du fait dommageable. Dans les contentieux internationaux, la solution peut surtout avoir une conséquence importante : elle conduit à reconnaître systématiquement, dès l’instant que le dommage a pour support le réseau internet, une compétence territoriale au juge français…

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Créée par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), l’article L. 621-42 du code du patrimoine soumet à autorisation préalable du gestionnaire, assortie ou non de conditions financières, l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux.

Fruit d’un amendement sénatorial lors de la discussion de la loi LCAP, cet article est la réponse du législateur à l’affaire du Domaine de Chambord (TA Orléans, 6 mars 2012, n° 1102187, AJDA 2012. 1227 , concl. Jérome Francfort ; D. 2012. 2222 , note J.-M. Bruguière  ; CAA Nantes, 16 déc. 2015, n° 12NT01190, Établissement public du domaine national de Chambord, AJDA 2016. 435 , note N. Foulquier ; ibid. 2015. 2464 ; RDI 2016. 89, obs. N. Foulquier ).

Cet article est uniquement applicable aux six domaines...

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Une société civile immobilière avait conclu une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble d’habitation, avant que l’acquéreur n’exerce son droit de rétractation prévu par l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation. Le vendeur avait demandé l’application de la clause pénale prévue au contrat et la cour d’appel avait rejeté sa demande. À l’appui de son pourvoi, il soutenait d’abord que les conditions d’application du droit de rétractation n’étaient pas réunies. Il contestait ainsi à la fois l’objet de la promesse, qui ne portait pas selon lui sur un immeuble ayant un usage exclusif d’habitation, et la qualité de non-professionnel de l’acquéreur. Il considérait ensuite que la notification de la promesse à l’acquéreur n’était pas entachée d’irrégularité.

Le champ d’application de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation

L’acte de vente portait sur un immeuble à usage d’habitation. Le demandeur considérait que « l’usage d’un immeuble est déterminé par sa destination réelle et effective, et non par les stipulations de l’acte de construction ou d’acquisition qui porte sur lui ». Il reprochait à la cour d’appel de s’être appuyée sur le contrat au lieu de l’usage, déterminé en fonction de la destination réelle et effective de l’immeuble. Les conditions d’application tenant à l’immeuble se sont durcies, comme en atteste l’abandon de l’admission des immeubles à usage mixte (Civ. 3e, 30 janv. 2008, n° 06-21.145, D. 2008. 485, obs. A. Vincent ; ibid. 1224, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; AJDI 2008. 963 , obs. F. Cohet-Cordey ; JCP N 2008. 1231, obs. H. Périnet-Marquet). Mais en vérité, il s’agit seulement, pour les juges, de s’en tenir à la lettre de la loi : l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation évoque « tout acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble...

Bertrand Louvel a publié, le 31 octobre 2017, une tribune intitulée « Pour l’unité de tribunal ». Il y défend l’idée d’une adaptation des juridictions aux besoins nouveaux des justiciables.

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Auteur d'origine: tcoustet

L’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, d’un site internet diffusant un spot publicitaire litigieux suffit à retenir la compétence de cette juridiction, prise comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué, pour connaître de l’atteinte prétendument portée aux droits d’auteur revendiqués par le demandeur.

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Auteur d'origine: MKEBIR

Le Conseil d’État a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L. 621-42 du code du patrimoine.

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Auteur d'origine: pastor

Le fait pour la mère de l’acquéreur d’avoir reçu la lettre attestant la notification de la promesse de vente rend, en l’absence de tout mandat entre eux, une telle notification irrégulière, de sorte que le délai de rétractation prévu par l’article 271-1 du code de la construction et de l’habitation ne court pas.

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Auteur d'origine: Agailliard

Le défaut de convocation de l’un des curateurs, fût-il le tiers ayant demandé l’admission en soins sans consentement, constitue une irrégularité de fond entraînant la nullité de la procédure.

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Auteur d'origine: Dargent
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L’arrêt du 11 octobre 2017 fournit l’occasion de revenir sur l’impact de l’ouverture d’une mesure de protection des majeurs sur la procédure de soins psychiatriques sans consentement. En l’espèce, un homme a été placé sous curatelle. L’exercice de la mesure est confié à deux cocurateurs, dont le fils de la personne protégée. Par la suite, ce dernier demande l’admission de son père en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d’une hospitalisation complète. Le directeur de l’établissement d’accueil saisit le juge des libertés et de la détention, en application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, en vue du maintien de cette mesure. En appel, le premier président autorise le maintien de l’hospitalisation complète et rejette la demande de nullité résultant de l’absence d’information et de convocation du fils de la personne protégée au motif que, s’il n’a certes pas été convoqué à l’audience à la suite d’une erreur, ce dernier n’en est pas moins informé, en qualité de tiers ayant sollicité l’hospitalisation de son père et cocurateur de celui-ci, des données de la procédure dont il n’a pas relevé appel.

La censure était inéluctable. La Cour de cassation rappelle, au visa des articles 468 du code civil et R. 3211-13 et R. 3211-19 du code de la santé publique, ensemble les articles 117 et 118 du code de procédure civile, « qu’il résulte de ces textes que le curateur est informé de la saisine du premier président en charge du contrôle de l’hospitalisation sans consentement de la personne sous curatelle et convoqué par tout moyen, à peine de nullité ». Le fait que le fils de la personne protégée soit informé de la procédure en qualité de tiers demandeur et de cocurateur est impuissant à faire échec à la nullité résultant de l’irrégularité de fond que constitue le défaut de convocation de l’un des cocurateurs, fût-il le tiers ayant demandé l’admission en soins sans consentement.

Rappelant la solution dégagée par l’arrêt 16 mars 2016 (Civ. 1re, 16 mars 2016, n° 15-13.745, Dalloz actualité, 4 avr. 2016, obs. R. Mésa ; D. 2016. 708 ; AJ fam. 2016. 267, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2016. 322, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2016. Comm. 155, obs. I. Maria), la décision est parfaitement orthodoxe tant du point de la procédure de soins psychiatriques sans consentement que de celui du droit des majeurs protégés. S’agissant de la première, les dispositions du code de la santé publique (art. R. 3211-13 et R. 3211-19) imposent de convoquer à l’audience « la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques par l’intermédiaire du chef d’établissement lorsqu’elle y est hospitalisée, son avocat dès sa désignation et, s’il y a lieu, son tuteur, son curateur ou ses représentants légaux ». S’agissant du second, l’article 468, alinéa 3, du code civil requiert l’assistance du curatélaire pour introduire une action en justice ou y défendre. La règle implique que l’assignation soit délivrée tout à la fois au(x) curateur(s) et à la personne protégée et, dans le cadre spécifique des soins psychiatriques sans consentement, que la convocation à l’audience soit adressée tout à la fois au patient et à son curateur ou, en cas d’exercice en commun de la mesure de protection, à chacun de ses cocurateurs (C. civ., art. 447, al. 2). La violation de cette règle constitue une irrégularité de fond sanctionnée par la nullité de la procédure. Sur ce terrain, la Cour de cassation a renoué aujourd’hui avec sa jurisprudence antérieure. Par un arrêt du 8 juillet 2009, elle avait décidé que, sanctionnant un vice de forme, la nullité de la signification ne pouvait être prononcée qu’à la charge pour celui qui l’invoquait de le faire avant toute défense au fond et de prouver un grief (C. pr. civ., art. 114 ; Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 07-19.465, Bull. civ. I, n° 160 ; Dalloz actualité, 29 juill. 2009, obs. V. Egéa  ; D. 2010. 2115, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2009. 351, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RTD civ. 2009. 700, obs. J. Hauser ). Rompant avec la solution traditionnelle retenant la qualification de vice de fond (Civ. 2e, 7 mars 1984, Bull. civ. II, n° 45 ; Civ. 1re,17 déc. 1991, n° 90-15.687, Bull. civ. I, n° 356 ; D. 1992. 373 , note J. Massip ; 6 févr. 1996, n° 93-21.053, Bull. civ. I, n° 65 ; RTD civ. 1996. 361, obs. J. Hauser ; Defrénois 1996. 1005, obs. J. Massip ; 20 déc. 2001, n° 00-17.173, RTD civ. 2002. 272, obs. J. Hauser ; Defrénois 2002. 759, obs. J. Massip), cette analyse conduisait à affaiblir la protection du majeur en curatelle dans le cadre des actions en justice, alors que la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a entendu au contraire renforcer cette protection en étendant la règle de l’assistance à l’ensemble des actions en justice, sans plus distinguer entre les actions à caractère patrimonial et celles à caractère extrapatrimonial.

On ne peut donc que se féliciter que la Cour de cassation soit revenue à une solution plus conforme aux droits du majeur en curatelle (Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 09-13.867, Bull. civ. I, n° 37 ; Dalloz actualité, 7 mars 2011, obs. I. Gallmeister  ; D. 2011. 1265, note R. Loir ; ibid. 2501, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2011. 215, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2011. 324, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2011. Comm. 58, note I. Maria ; Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 11-19.685, D. 2013. 2196, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; Dr. fam. 2013, n° 76, obs. I. Maria ; Civ. 1re, 19 mars 2014, n° 12-28.171, Dr. fam. 2014. Comm. 87, obs. I. Maria ; 18 nov. 2014, n° 13-12.448, Dr. fam. 2015. Comm. 21, obs. I. Maria ; LEFP févr. 2015. 3, obs. G. Raoul-Cormeil ; 8 juin 2016, n° 15-19.715, Dalloz actualité, 1er juill. 2016, obs. V. Da Silva ; D. 2016. 1311 ; ibid. 2017. 1490, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; AJ fam. 2016. 390, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2016. 588, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2016. Comm. 88, obs. I. Maria), notamment à propos des soins psychiatriques sans consentement (Civ. 1re, 16 mars 2016, préc.).

Reste à souhaiter que la pratique judiciaire s’empare de ces exigences procédurales. La protection des droits et libertés du majeur protégé mais, aussi, de celle de son intégrité et d’autrui sont à ce prix. Il convient donc d’éviter que les procédures de soins contraints soient annulées pour défaut de convocation du tuteur ou du curateur.

Après discussion des amendements par la commission élargie (v. Dalloz actualité, 28 oct. 2017, art. T. Coustet ), les députés ont voté, dans la nuit du 31 octobre 2017, les crédits réservés à la Justice dans le budget 2018.

Nicole Belloubet a défendu des crédits en augmentation de 3,9 % par rapport au dernier budget du quinquennat Hollande ou la création de 1 000 emplois. Ce budget atteindra 7,11 milliards d’euros en 2018. La pénitentiaire représentera seule 39 % des crédits, à égalité avec les services judiciaire.

Après discussion des amendements par la commission élargie (v. Dalloz actualité, 28 oct. 2017, art. T. Coustet ), les députés ont voté, dans la nuit du 31 octobre 2017, les crédits réservés à la Justice dans le budget 2018.

Nicole Belloubet a défendu des crédits en augmentation de 3,9 % par rapport au dernier budget du quinquennat Hollande ou la création de 1 000 emplois. Ce budget atteindra 7,11 milliards d’euros en 2018. La pénitentiaire représentera seule 39 % des crédits, à égalité avec les services judiciaire.

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Auteur d'origine: tcoustet

Les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme n’interdisent pas à un État de réserver le « partenariat civil » aux couples homosexuels.

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Auteur d'origine: tcoustet

Porte atteinte à la vie privée la révélation, dans un ouvrage destiné au public, de la filiation adoptive du requérant, peu important que l’acte de naissance de ce dernier ait pu valablement être consulté par l’auteur de l’ouvrage, en application de l’article L. 213-2 du code du patrimoine.

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Auteur d'origine: babonneau
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L’Autriche a instauré un droit à l’union civile en 2010 mais en réserve l’accès aux couples homosexuels. Deux ressortissants autrichiens en couple hétérosexuel depuis des années se sont vu refuser la possibilité de conclure une union civile par le maire de Linz. Les requérants ont contesté la décision en se plaignant d’une discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle.

En 2011, la Cour constitutionnelle autrichienne a rejeté leur recours en s’appuyant sur l’affaire Schalk et Kopf contre Autriche (CEDH 24 juin 2010, req. n° 30141/04, Dalloz actualité, 17 déc. 2010, obs. C. Fleuriot ; D. 2011. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2010. 333 ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; Constitutions 2010. 557, obs. L. Burgorgue-Larsen ; RTD civ. 2010. 738, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 765, obs. J. Hauser ). Par analogie au mariage, la Cour a estimé que la question d’autoriser ou non cette possibilité aux couples homosexuels relève du législateur.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le couple invoquait classiquement la violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination), combiné à l’article 8 (droit a respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne.

Dans sa décision du 26 octobre 2017, la CEDH raisonne en deux temps. Elle estime, d’une part, que les requérants se trouvent dans des situations comparables aux couples homosexuels mais « dans un contexte juridique global régissant la reconnaissance des relations de couple » (pt 31). Les conjoints hétérosexuels bénéficient du mariage et les homosexuels jouissent d’une reconnaissance juridique similaire avec le partenariat de vie commune (pt 34).

Sur ce point, l’arrêt se situe dans le droit fil du précédent Schalk et Kopf qui ne reconnaît pas de droit au mariage pour les couples...

L’ouvrage intitulé Le simili-nobilaire français a pour ambition d’être un dictionnaire d’histoire patronymique, s’intéressant plus précisément à la formation et à la transmission des noms dits « à particule », portés en France au XXe siècle.

La notice relative au nom de famille des requérants – père et fils – révélait que le père avait été adopté. Ces derniers ont alors saisi le tribunal de grande instance de Bobigny afin de voir ordonner la suppression, dans la prochaine édition de l’ouvrage litigieux, de toute mention de leur nom de famille et condamner l’auteur et la maison d’édition à des dommages et intérêts. Ils soutenaient, en effet, qu’une telle publication portait atteinte à leur vie privée.

Si les premiers juges ont débouté les requérants de leurs demandes, la cour d’appel de Paris a, en revanche, considéré que l’auteur et la société d’édition avaient bien porté atteinte à la vie privée du père et les a condamnés à lui verser la somme de 5 000 € de dommages et intérêts.

Devant la Cour de cassation, l’auteur et l’éditeur font valoir, dans un premier moyen, qu’il ne peut y avoir atteinte à la vie privée au regard de l’article 9 du code civil dès lors que l’auteur avait pu consulter et obtenir une copie intégrale de l’acte de naissance du requérant. Ils soutiennent donc que les éléments figurant dans cet acte d’état civil, qui était librement...

La loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a été promulguée le 20 avril 2016. Ce texte a pour objectif principal de renforcer la déontologie des agents. Cette loi concerne tous les agents civils de l'Etat, ceux des collectivités territoriales, ceux du secteur hospitalier mais également les militaires, les agent...
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Le prêt à usage constitue un contrat de service gratuit, qui confère seulement à son bénéficiaire un droit à l’usage de la chose prêtée mais n’opère aucun transfert d’un droit patrimonial à son profit, notamment de propriété sur la chose ou ses fruits et revenus, de sorte qu’il n’en résulte aucun appauvrissement du prêteur.

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Auteur d'origine: deravel

Pour engager la responsabilité du fait des produits défectueux, la seule preuve de l’imputabilité du dommage au produit ne suffit pas, celle de sa défectuosité est indispensable. Ces preuves peuvent être rapportées par présomptions à condition qu’elles reposent sur des indices suffisamment forts pour croire que la défectuosité et la causalité sont avérées mais la présence de ces indices n’impose, en aucun cas, une présomption automatique. 

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Auteur d'origine: ahacene

À travers le prisme du droit des successions, la première chambre civile, dans cet arrêt du 11 octobre 2017, s’interroge sur ce que constitue exactement un prêt à usage, ou encore dit commodat, selon l’article 1875 du code civil, renseignant par là même sur son régime. En l’espèce, était en cause la caractérisation d’un avantage indirect rapportable, dans le cadre d’une succession ayant pris un tour contentieux. Selon l’article 843 du code civil, « tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement […] ». Précisément, en l’espèce, une partie des héritiers (la mère et la fille) entendait que le fils rapporte à la succession un avantage indirect qu’il avait reçu du père. Il s’agissait de la mise à disposition, à titre gratuit et pendant onze ans, d’un appartement à Paris.

En application de...

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Deux nouvelles affaires (Civ. 1re, 12 nov. 2015, n° 14-18.118, Dalloz actualité, 19 nov. 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 2602 , note J.-S. Borghetti ; ibid. 2016. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; 22 sept. 2016, n° 15-20.791, D. 2017. 2097 ) ont récemment replongé la première chambre civile dans les « affres de la causalité » (P. Esmein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. Chron. 205).

Dans la première, un patient avait été vacciné contre l’hépatite B puis diagnostiqué malade de la sclérose en plaques deux ans plus tard. Dans la deuxième, une patiente avait subi de multiples injections du vaccin contre l’hépatite B puis déclaré la même maladie. Chacun avait assigné le fabricant du vaccin en responsabilité sur le fondement des articles 1246 et suivants du code civil (issus de la dir. du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des États membres, transposée en France par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998). Déboutés par les juges du fond de leur demande au motif qu’il n’existait pas de présomptions suffisamment fortes pour établir le défaut du vaccin et le lien de causalité entre celui-ci et la maladie, ils se sont pourvus en cassation. Ils reprochent aux juges du fond d’avoir violé les anciens articles 1386-4, 1386-9 et 1353 du code civil en considérant que tous les indices rapportés en guise de preuves ne constituaient pas de présomptions assez fortes quant à la défectuosité du produit et quant à l’existence d’un lien de causalité entre celle-ci et le dommage, ainsi que de faire peser sur le demandeur une preuve de causalité scientifique en exigeant la preuve de l’imputabilité de la maladie à la vaccination contre l’hépatite B.

La Cour de cassation est donc amenée à s’interroger sur les règles probatoires en cas de doute sur la causalité scientifique entre l’administration d’un produit et la survenance d’une maladie.

Elle a d’abord estimé que l’existence d’un doute scientifique excluait d’emblée l’existence d’une causalité juridique (Civ. 1re, 23 sept. 2003, n° 01-13.063, Bull. civ. I, n° 188 ; R. p. 458 ; D. 2004. 898, et les obs. , note Y.-M. Serinet et R. Mislawski ; ibid. 2003. 2579, chron. L. Neyret ; ibid. 2004. 1344, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2004. 101, obs. P. Jourdain ; JCP 2003. II. 10179, note N. Jonquet, A.-C. Maillols, D. Mainguy et J.-P. Terrier ; ibid. 2004. I. 101, nos 23 s., obs. G. Viney ; JCP E 2003. 1749, note P. Mistretta et O. Faict ; RCA 2003. Chron. 28, par C. Radé ; CCC 2004. Chron. 2, par Paul ; Dr. et patr. janv. 2004, p. 87, obs. F. Chabas ; RLDC 2004/1, n° 9, note S. Hocquet-Berg ; LPA 16 janv. 2004, note A. Gossement ; ibid. 22 avr. 2004, note G. Mémeteau ; Gaz. Pal. 2004. Doctr. 869, étude Pitet), pour finalement admettre qu’elle n’interdisait pas à la victime d’établir un lien de causalité juridique entre le défaut du vaccin et la survenance de sa maladie si des indices graves, précis et concordants étaient démontrés (Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-14.952, Bull. civ. I, n° 147 ; Dalloz actualité, 30 mai 2008, obs. I. Gallmeister ; D. 2008. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDSS 2008. 578, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 200, obs. B. Bouloc ; JCP 2008. II. 10131, note L. Grynbaum ; ibid. I. 186, n° 3, obs. P. Stoffel-Munck ; Gaz. Pal. 22-24 juin 2008, note E. Pierroux ; LPA 22 août 2008, note C. Sintez ; RLDC 2008/51, n° 3058, obs. Pichon ; ibid. 2008/52, n° 3102, note P. Brun et C. Quézel-Ambrunaz ; RDC 2008. 1186, obs. J.-S. Borghetti).

Néanmoins, contrairement à son homologue administratif, la haute juridiction judiciaire laisse les juges du fond apprécier les situations de façon souveraine au cas par cas. Les présomptions de défectuosité et de causalité ne sont pas érigées en règle de droit comme en droit administratif (CE 9 mars 2007, req. nos 278665, 267635, 285288 et 283067, Lebon ; AJDA 2007. 861 , concl. T. Olson ; RDSS 2007. 543, obs. D. Cristol ). La position du Conseil d’État est constante depuis (CE 4 juill. 2008, n° 299832 ; 11 juill. 2008, Ministre de la santé et solidarités c. Consorts Augustin, n° 289763, Lebon ; RLDC, 2008, 53, n° 3146, note V. Pichon ; 11 juill. 2008, Mme Drausin c. Mutuelle générale de l’éducation nationale, req. n° 305685, Lebon ; RLDC 2008, 53, n° 3146, note V. Pichon ; 24 oct. 2008, Mme Mercier, req. n° 305622, RDLC 2009. 57, obs. P.-H. Bugnicourt ; 24 juill. 2009, req. n° 308876, Lebon ; AJDA 2009. 1466 ; RDSS 2009. 962, obs. D. Cristol ; 5 mai 2010, req. n° 324895, LPA 2011, n° 203, p. 6, note C. Estève-Castillon).

Confrontée, une fois de plus, à ce double problème probatoire du défaut du produit et du lien de causalité entre lui et le dommage, la Cour de cassation a sursis à statuer et a procédé à un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne à laquelle elle a posé plusieurs questions sur l’interprétation de l’article 4 de la directive précitée (qui dispose que « la victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage »).

La CJUE a répondu à ces questions dans un arrêt rendu le 21 juin 2017 (CJUE 21 juin 2017, aff. C-621/15, Cts WW c. Sanofi-Pasteur, Dalloz actualité, 28 juin 2017, obs. T. Coustet ; AJDA 2017. 1709, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2017. 1807 , note J.-S. Borghetti ; JCP 2017. 908, note. G. Viney ; RCA 2017, n° 9, p. 3, chron. L. Bloch).

La première question consistait à savoir si, en cas de doute scientifique, l’article 4 s’oppose à l’admission de la preuve du défaut d’un vaccin et de l’existence d’un lien de causalité entre celui-ci et la maladie par présomptions graves, précises et concordantes. À cette question, la CJUE a répondu par la négative en précisant que les juridictions nationales devaient toutefois veiller à ne pas inverser la charge de la preuve ni à porter atteinte à l’effectivité du régime de responsabilité institué par cette directive.

La deuxième question consistait à savoir si ce même article s’oppose à un système de présomptions permettant d’établir le lien de causalité entre le défaut du vaccin et la maladie lorsque certains indices de causalité sont réunis. Question à laquelle la CJUE a répondu par l’affirmative : l’article 4 s’oppose bien à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, en cas de doute scientifique, l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis.

Pour résumer, selon la CJUE, l’article 4 de la directive n’impose pas que causalité scientifique et causalité juridique coïncident. Il permet que la preuve du défaut et de la causalité repose sur des présomptions graves, précises et concordantes. Il interdit toutefois que ces mêmes indices soient érigés ipso facto en présomptions.

C’est à la lumière de ces réponses que la première chambre civile, par une motivation enrichie, a répondu aux questions laissées en suspens dans deux arrêts du 18 octobre 2017. Elle rejette les deux pourvois, estimant qu’au regard des éléments appréciés par les juges du fond, les indices rapportés comme preuves du défaut du vaccin, pour une des affaires, et du lien de causalité entre ce défaut et la maladie, pour l’autre, ne constituent pas de présomptions suffisamment fortes pour que la responsabilité des fabricants soit engagée.

Les deux arrêts se complètent. Dans l’un d’eux, la Cour de cassation met l’accent sur la nécessité de prouver, en plus de l’imputabilité de la maladie au produit, le défaut de ce produit. Elle rappelle qu’il incombe bien à la victime de rapporter une double preuve. Dans le second, elle cite expressément la décision de la CJUE et se concentre davantage sur la preuve de la causalité juridique entre l’administration du produit et la survenance de la maladie.

Sur le fond, les deux arrêts disent essentiellement la même chose. La première chambre civile rappelle que l’article 1245-8 du code civil impose au demandeur d’établir le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre celui-ci et le dommage. Elle ajoute que la seule preuve de l’imputabilité du dommage au produit ne suffit pas et que la preuve de la défectuosité de celui-ci est indispensable ; ces preuves pouvant résulter de simples présomptions à la condition qu’elles soient graves, précises et concordantes. Par conséquent, tant la CJUE que la Cour de cassation admettent que causalité scientifique et causalité juridique peuvent être indépendantes l’une de l’autre.

Si le rappel de la nécessité de prouver la défectuosité en plus de la causalité (v. déjà en ce sens Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738, Dalloz actualité, 12 oct. 2012, obs. G. Rabu ; D. 2012. 2853, obs. I. Gallmeister , note J.-S. Borghetti ; ibid. 2376, entretien C. Radé ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2013. 131, obs. P. Jourdain ; JCP 2012, n° 1061, obs. P. Mistretta ; JCP 2012, n° 1199, note C. Quézel-Ambrunaz ; RCA 2012. Comm. 350, obs. S. Hocquet-Berg ; CCC 2012. Comm. 273, obs. L. Leveneur) est bienvenu, on peut s’interroger sur la pertinence de les déduire des mêmes indices.

Les indices doivent être précis, graves et concordants, c’est-à-dire suffisants et pertinents pour que l’existence de la défectuosité du produit soit l’explication la plus plausible de la survenance du dommage et pour pouvoir admettre que le défaut et le lien de causalité sont raisonnablement avérés.

La Cour de cassation précise également que les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier les éléments de preuve rapportés par la victime et pour constater l’existence des présomptions. Ils sont donc tenus d’observer la situation personnelle de la victime et les circonstances particulières entourant la vaccination et de vérifier l’ensemble des indices rapportés qui, pris isolément, ne peuvent pas suffire. En l’espèce, par exemple, le seul fait pour les victimes d’avoir été en bonne santé avant la vaccination ou de ne pas avoir d’antécédents familiaux ne permet pas de présumer du défaut du produit précisément parce que c’est le cas d’environ 92 à 95 % de personnes atteintes de la maladie, vaccinées ou pas. Concernant le délai entre la vaccination et l’apparition de la maladie, dans une des deux affaires, l’indice est inopérant en raison de la difficulté à dater avec précision la survenance des événements.

La Cour de cassation fait une application stricte de la décision rendue par la CJUE qui affirme que les indices ne sont suffisants que s’ils conduisent le juge à considérer, d’une part, que l’administration du vaccin constitue l’explication la plus plausible de la survenance de la maladie et, d’autre part, que ce vaccin n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Le juge national ne doit pas reconnaître de façon automatique une valeur probatoire à tel ou tel indice. La CJUE condamne le raisonnement du Conseil d’État qui admet une présomption de droit en la matière. Et en faisant une application rigoureuse de sa décision, la Cour de cassation, se maintient à distance de la position du juge administratif. On note également que, comme l’exige la CJUE, elle opère un contrôle sur la motivation des juges du fond dont le pouvoir souverain reste, de ce point de vue, relatif.

En conséquence, il existe un faisceau d’indices qui, selon les situations, permet de reconnaître l’existence d’une présomption suffisamment forte (Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-11.073, Bull. civ. I, n° 73 ; Dalloz actualité, 22 juill. 2009, obs. I. Gallmeister ; D. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; Constitutions 2010. 135, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2009. 723, obs. P. Jourdain ; ibid. 735, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2010. 414, obs. B. Bouloc ), ou non (Civ. 1re, 29 mai 2013, n° 12-20.903, Dalloz actualité, 17 juin 2013, obs. N. Kilgus ; D. 2013. 1717, obs. I. Gallmeister , note J.-S. Borghetti ; ibid. 1723, note P. Brun ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2013. 625, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2013. 797, obs. B. Bouloc ). Les différences de solutions sur un même problème s’expliquent par l’appréciation variable que peuvent avoir les juges du fond sur chaque indice.

Finalement, la CJUE a rassuré la Cour de cassation sur la comptabilité de l’article 4 de la directive avec le mode de preuve national et l’admission de simples présomptions mais ne l’a guère éclairée sur la caractérisation de ces dernières.

Il ressort des ces deux arrêts que, si de simples présomptions peuvent suffire à faire la preuve de la défectuosité du produit et de l’imputabilité du dommage à celle-ci, encore faut-il que ces présomptions reposent sur une probabilité confinant à la certitude.

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Le contentieux lié à la souscription, par une société civile immobilière, d’une sûreté pour garantir la dette d’un associé ou d’un tiers, n’en finit pas (v. E. Schlumberger, « Retour sur la jurisprudence relative aux garanties de la dette d’autrui octroyées par une société », in Mélanges H. Hovasse. L’ingénierie sociétaire et patrimoniale, LexisNexis, 2016, p. 169). C’est sous un autre aspect, plus inhabituel, que la Cour de cassation s’est encore prononcée sur cette question le 18 octobre dernier, dans un arrêt qui fera l’objet d’une publication au Bulletin. Pour résumer un état du droit qui s’est progressivement construit depuis une quinzaine d’années, l’on peut dire que la validité de la sûreté (en pratique, il s’agira du cas fréquent d’une SCI apportant l’immeuble dont elle est la propriétaire en garantie de la dette d’un associé) n’est pas simplement conditionnée à sa conformité à l’objet social. Elle est également dépendante de sa non-contrariété à l’intérêt social (v. par ex., pour les derniers arrêts, Civ. 3e, 13 oct. 2016, n° 15-22.824, D. 2017. 1996, obs. P. Crocq ; AJDI 2017. 54 ; Rev. sociétés 2017. 98, obs. P. Pisoni ; 15 sept. 2015, n° 14-21.348, AJDI 2015. 863 , obs. S. Porcheron ; Rev. sociétés 2015. 744, note A. Viandier ; Com. 23 sept. 2014, n° 13-17.347, Bull. civ. IV, n° 142 ; D. 2015. 140, et les obs. , note D. Robine ; ibid. 996, chron. J. Lecaroz, F. Arbellot, S. Tréard et T. Gauthier ; ibid. 2401, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; AJDI 2015. 217 , obs. S. Porcheron ; Rev. sociétés 2014. 714, note A. Viandier ; RTD com. 2015. 123, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; JCP 2014. 1254, note E. Martinier ; RLDC nov. 2014, n° 120, 5615, p. 34, obs. J.-J. Ansault ; Banque et Droit 2014, n° 175, p. 57, obs. M. Storck ; Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 11-17.948, Bull. civ. III, n° 121 ; D. 2012. 2166, obs. A. Lienhard ; ibid. 2013. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et...

La réduction des donations est une opération qui demeure délicate et qui l’est d’autant plus que la libéralité en cause est assortie d’une charge. Bien que la Cour de cassation soit venue au fil du temps en préciser les règles, leur mise en œuvre demeure malaisée. La Cour de cassation est ainsi conduite à vérifier la justesse de leur application aux faits de l’espèce.

Ainsi en est-il de l’arrêt du 11 octobre 2017. Dans cette affaire, des grands-parents avaient fait don à leur petite fille de la nue-propriété d’un appartement avec charge pour celle-ci de les soigner et de les assister. À la suite du décès du dernier des donateurs, un des héritiers demande la réduction des libéralités portant atteinte à la quotité disponible. La question s’est alors posée du montant de la donation à retenir dans la masse de calcul. La Cour de cassation, rejette le pourvoi car, « lorsqu’une donation est assortie, au profit du donateur, d’une obligation de soins, seul l’émolument net procuré par la libéralité doit être compris dans la...

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En l’absence de rupture du contrat de travail pour un motif illicite il appartient au salarié de démontrer que la fin de la relation de travail intervenue par le seul effet du terme stipulé dans le contrat à durée déterminée (CDD) résulte de la volonté de l’employeur de porter atteinte à son droit d’obtenir en justice la requalification du contrat en CDI (n° 16-20.460).

Par la première décision (pourvoi n° 16-20.270), promise à la plus large diffusion, la chambre sociale indique que « le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée ». En l’espèce, un salarié a accompli plusieurs missions pour accroissement temporaire d’activité. Avant le terme de son dernier contrat, il a saisi en référé la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification de son contrat en CDI et la poursuite de sa relation contractuelle. La formation de référé ordonne la poursuite de la relation de travail, le conseil de prud’hommes statue ultérieurement sur le fond en requalifiant le contrat en CDI. La cour d’appel saisie infirme l’ordonnance de référé. Dans un arrêt postérieur, elle prononce la nullité de la rupture du contrat de mission requalifié en CDI au motif que le salarié a agi en justice avant le terme de son contrat afin de faire respecter la liberté fondamentale au maintien du salarié dans l’emploi à la suite de la violation des dispositions relatives aux conditions restrictives de recours au travail temporaire. La décision est censurée par la chambre sociale.

Dans la note explicative produite par la Cour de cassation, il est rappelé que, dès lors qu’aucun texte n’interdit ou ne restreint la faculté de l’employeur de licencier, la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur n’ouvre droit qu’à des réparations de nature indemnitaire. Il en résulte que le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler le licenciement (Soc. 13 mars 2001, n° 99-45.735, Bull. civ. V, n° 87 ; D. 2001. Actu. 1215http://RECUEIL/IR/2001/0907 ; Dr. soc. 2001. 1117, obs. C. Roy-Loustaunau ). Cette solution s’applique en matière de CDD requalifié en CDI, la sanction indemnitaire est la règle (Soc. 30 oct. 2002, n° 00-45.608, Bull. civ. V, n° 331 ;  Dr. soc. 2003. 134, obs. C. Roy-Loustaunau ).

La présente décision permet à la Cour de cassation de préciser que le droit à l’emploi « qui résulte de l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 n’est pas une liberté fondamentale, mais un droit-créance qui doit être concilié avec d’autres droits ou principes constitutionnels, tels que la liberté d’entreprendre qui fonde, pour l’employeur, le droit de recruter librement ou de licencier un salarié. La définition de cet équilibre entre deux droits de nature constitutionnelle relève du législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. En revanche, un justiciable ne peut pas se prévaloir directement dans le cadre d’un litige d’une violation du droit à l’emploi, sauf à vider de leur substance les autres droits constitutionnels avec lesquels ce droit doit être concilié » (note explicative).

Pour obtenir gain de cause, ce n’est pas le droit à l’emploi qui doit être invoqué par le salarié, mais la violation d’une liberté fondamentale comme la violation du droit du salarié d’agir en justice, par exemple dans le cas de ruptures anticipées de CDD consécutives à la saisine du juge par des salariés pour voir requalifiés leurs contrats en CDI (Soc. 6 févr. 2013, n° 11-11.740, Bull. civ. V, n° 27 ; Dalloz actualité, 27 mars 2013, obs. B. Ines ; D. 2013. Actu. 440 ; RDT 2013. 630, obs. P. Adam ; Dr. soc. 2013. 415, note J. Mouly ). Encore faut-il que la relation de cause à effet entre la fin de la relation de travail et la saisine du juge soit établie.

Dans la seconde décision ici présentée (pourvoi n° 16-20.460), la Cour de cassation vient justement préciser qu’en « l’absence de rupture du contrat de travail pour un motif illicite, il appartient au salarié de démontrer que la fin de la relation de travail intervenue par le seul effet du terme stipulé dans le CDD résulte de la volonté de l’employeur de porter atteinte à son droit d’obtenir en justice sa requalification en CDI ». En l’espèce, un employeur proposait chaque année un CDD à une salariée pour effectuer des tâches d’agent de service thermal. À la suite de la saisine du juge par la salariée afin d’obtenir la requalification de sa relation de travail en CDI, aucun contrat ne lui est proposé. La cour d’appel a constaté que l’employeur ne donne pas d’explication plausible à l’absence de relation de travail et que ses agissements ont pour but de dissuader la salariée – et probablement les autres salariés qui se trouvent dans une situation comparable – de saisir le juge d’une demande en requalification. La chambre sociale censure la décision du juge du fond, car la cour d’appel a posé une présomption de violation du droit du salarié d’agir en justice en cas de non-proposition d’un nouveau CDD à la suite de la demande de requalification en CDI d’un précédent contrat. C’est cette inversion de la charge de la preuve qui est sanctionnée.

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L’arrêt du 11 octobre 2017, promis à une très large diffusion, fournit d’importantes précisions sur le terrain de l’articulation des pouvoirs de l’administrateur légal et de l’obligation d’alerte – ou à tout le moins de vigilance – du banquier dépositaire des fonds d’un mineur. En l’espèce, une femme avait placé les fonds échus à son fils dans le cadre de la succession du père de ce dernier sur un compte ouvert au nom du mineur, en sa qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire. Elle a par la suite prélevé à son profit les deux tiers de ces fonds. Le jeune garçon ayant été placé sous la tutelle du département, l’aide sociale à l’enfance a assigné la banque en versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par l’enfant. La cour d’appel fait droit à sa demande au motif que « les prélèvements effectués par la mère sur le compte de celui-ci […] auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d’une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l’attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s’agissant d’un compte ouvert au nom d’un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire ». Conformément à sa jurisprudence (Civ. 1re, 20 mars 1989, n° 87-15.899, Bull. civ. I, n° 126 ; D. 1989. 406, note J. Massip ; JCP N 1990. II. 33, note Th. Fossier), la Cour de cassation censure les juges du fond pour violation des articles 389-6 et 389-7 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, ensemble l’article 499 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, au motif qu’« qu’il résulte de ces textes que l’administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, a le pouvoir de faire seul les actes d’administration ; qu’il peut, à ce titre, procéder à la réception des capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés ; que la banque n’est pas garante de l’emploi des capitaux ».

La solution montre combien il peut s’avérer délicat de démêler la qualification juridique des actes de l’administrateur, lesquels s’insèrent généralement dans un continuum. La réception des capitaux précède leur retrait puis leur emploi. Ces opérations reçoivent, pourtant, des qualifications différentes. L’annexe I du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, applicable sous l’ancienne administration légale sous contrôle judiciaire par le jeu du renvoi opéré par l’ancien article 389-7 aux règles de la tutelle, qualifie la réception et le retrait des capitaux d’actes d’administration, cependant que leur emploi au-delà du seuil fixé par le juge des tutelles relève de la catégorie des actes de disposition. Or l’ancien article 389-6 ne permettait à l’administrateur légal sous contrôle judiciaire d’effectuer sans l’autorisation du juge des tutelles que les seuls actes d’administration. Celle-ci était en revanche requise pour l’accomplissement des actes de disposition. Se posait, dès lors, la question de la responsabilité des tiers confrontés aux excès ou plus largement, comme en l’espèce, aux détournements de pouvoirs de l’administrateur. L’article 499 du code civil, pareillement applicable à l’ancienne administration légale sous contrôle judiciaire par la vertu de l’ancien article 389-7, règle cette question en mettant obstacle à ce que les fautes de gestion de l’administrateur puissent être reprochées aux tiers. Reprenant les dispositions de l’ancien article 455, l’article 499, alinéa 2, précise, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, que les tiers « ne sont pas garants de l’emploi des capitaux » de la personne protégée. C’est dire, sans ambages, qu’ils ne peuvent être tenus responsables des dysfonctionnements de l’administration légale imputables au(x) parent(s) du mineur.

Doit-on en déduire que la mauvaise gestion de l’administrateur n’emporte jamais de conséquences pour les tiers ? Une telle conclusion serait bien sûr par trop hâtive. En effet, d’une part, l’article 499, alinéa 2, impose aux tiers, et spécialement aux prestataires de l’administrateur (banquiers, notaires, notamment), de dénoncer au juge des tutelles les actes ou omissions qui, à l’occasion de l’emploi des capitaux du mineur, compromettent manifestement ses intérêts. L’un des apports de l’arrêt est de montrer que ces dysfonctionnements doivent être suffisamment caractérisés et apparents pour engager la responsabilité de la banque, laquelle ne peut se voir reprocher un manquement à son devoir de vigilance sur le seul fondement d’actes relevant des pouvoirs de l’administrateur. D’autre part, l’acte effectué par ce dernier en violation de ses pouvoirs est entaché de nullité. Or non seulement celle-ci s’applique tout à la fois à l’acte lui-même et à celui accompli consécutivement à ce dernier mais, encore, elle ne peut être couverte par le recours à la théorie du mandat apparent (Civ. 1re, 17 mai 2017, n° 15-24.840, D. 2017. 1190 ; AJ fam. 2017. 406, obs. G. Raoul-Cormeil ; RTD civ. 2017. 610, obs. J. Hauser ; JCP N 2017. 1235, note M. Storck ; Defrénois 2017. 757, note J. Combret).

Si ces solutions demeurent pour l’essentiel aujourd’hui exactes sous la tutelle, la question se pose de savoir si elles le restent sous l’empire des nouveaux textes gouvernant l’administration légale. L’ordonnance du 15 octobre 2015 a supprimé la distinction de l’administration légale sous contrôle judiciaire et de l’administration légale pure et simple pour les soumettre à un régime unique, applicable à tous les enfants ayant au moins un parent vivant. Désormais, l’administrateur, qu’il soit unique ou conjoint, peut en principe conclure sans autorisation judiciaire tous les actes relatifs aux biens du mineur, y compris les actes de disposition, ce qui semble à première vue réduire les risques de dépassement de pouvoirs. Il convient néanmoins de réserver les actes de disposition les plus dangereux, lesquels demeurent soumis à l’autorisation du juge (C. civ., art. 387-1), ainsi que la nécessité dans l’administration conjointe de recueillir l’accord des deux parents pour la conclusion des actes de disposition (C. civ., art. 382 et 382-1). Surtout, l’article 387-3 confère au juge des tutelles la faculté de mettre en place un contrôle renforcé, en soumettant à son autorisation un acte ou une série d’actes de disposition non énumérés par la loi. Si bien que la fluidification de la gestion du patrimoine du mineur ainsi que la raréfaction des hypothèses de dépassement de pouvoirs font plus figure de trompe-l’œil que de réalité, à tout le moins pour les patrimoines les plus importants.

Sur le terrain de la protection des tiers, la suppression du renvoi aux règles de la tutelle conduit à écarter le jeu des dispositions de l’article 499, alinéa 2, au profit de celles de l’article 387-3. Ce dernier fait peser sur les tiers, « ayant connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d’une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci » un devoir d’alerte du juge des tutelles. Celui-ci conduit à associer les prestataires de l’administrateur à la mise en place du contrôle renforcé du juge afin de parer aux risques d’atteinte aux intérêts de l’enfant. Le texte complète cette disposition en précisant que « les tiers qui ont informé le juge de la situation ne sont pas garants de la gestion des biens du mineur faite par l’administrateur légal ». C’est dire que la responsabilité des tiers ne pourra être recherchée ici, comme sous la tutelle (C. civ., art. 499, al. 2), qu’en cas de carence à leur devoir d’alerte, c’est-à-dire s’ils ont omis de dénoncer une situation manifestement et gravement préjudiciable au mineur. Si la solution est sans doute de nature à rassurer les professionnels de la gestion de patrimoine, elle marque à la lumière de la déjudiciarisation de l’administration légale un net recul de la protection patrimoniale du mineur.

L’action en nullité d’une sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé vise à faire constater une nullité absolue. Sous l’empire des dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008, elle était soumise à la prescription trentenaire.

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Auteur d'origine: deravel

Lorsqu’une donation est assortie d’une obligation de soin, seul l’émolument net doit être compris dans la masse de calcul. Il se détermine en déduisant du montant de la donation le manque à gagner ou les frais que son exécution a générés pour le donataire.

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Auteur d'origine: dlouis

Le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée (CDI) (n° 16-20.270).

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Auteur d'origine: SIRO

La banque n’est pas garante de l’emploi des capitaux échus au mineur par l’administrateur, lequel a le pouvoir de les recevoir et de les retirer du compte sur lequel il les a versés.

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Auteur d'origine: Dargent

Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a rappelé, devant les députés, que son ministère bénéficiera d’une enveloppe de 6,98 milliards d’euros en 2018, soit une hausse « substantielle » de 3,9 %. 

La ministre a, en outre, confirmé la création de 48 postes de « juristes assistants » et 100 postes de magistrats. Par ailleurs, 183 emplois vont également être « redéployés pour faire face à la hausse de l’activité des greffiers et des juges des libertés et de la détention ».

Elle a assuré que les crédits immobiliers, en hausse de 30 %, « permettront la mise en service du tribunal de Paris », mais également « une remise à niveau des tribunaux de province ». 

Sans surprise, les amendements, pour la plupart déposés par l’opposition, ont tous été rejetés à l’image de celui qui visait à réintroduire le timbre judiciaire. Il se fondait sur ce que préconise le rapport de Philippe Bas (v. Dalloz actualité, 20 oct. 2017, art. T. Coustet ), et dont les propositions ont été adoptées par le Sénat le 25 octobre (v. Dalloz actualité, 26 oct. 2017, art. T. Coustet ).

Le jour même, Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, publiait une lettre ouverte afin de voir le « débat parlementaire lever plusieurs incertitudes sur l’affectation du budget » qui est, selon lui, réduit « au seul affichage d’une progression des crédits ». Pas sûr que la séance, dont l’issue était attendue, suffise à taire les interrogations.

Reste le vote en séance publique qui aura lieu le 31 octobre prochain.

L’examen des crédits affectés à la justice par la commission élargie des lois et des finances de l’Assemblée nationale s’est achevé le 25 octobre 2017.

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Auteur d'origine: tcoustet

Dans son arrêt du 16 octobre 2017, l’Assemblée du Palais-Royal rejette le recours en suspension de l’arrêté du 16 septembre 2016 qui prévoit la nomination de 1 650 notaires, avant la révision de la carte au printemps 2018.

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Auteur d'origine: tcoustet

La Cour de cassation saisit la Cour de justice de l’Union européenne de différentes questions relatives à la portée des clauses attributives de juridiction dans le cadre du règlement Bruxelles I.

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Auteur d'origine: fmelin

En matière de communication en ligne, l’exercice du droit de réponse obéit aux modalités prévues par l’article 3 du décret no 2007-1527 du 24 octobre 2007, pris pour l’application de l’article 6, IV, de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui limite la taille de la réponse sollicitée à la longueur du message qui l’a provoquée. En outre, est seul responsable le directeur de la publication, qui doit être précisément identifié.   

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Auteur d'origine: lavric

Pris en application de l’article 52 de la loi « Macron », l’arrêté du 16 septembre 2016 établit 307 zones dont 247 zones « d’installation libre » et 60 zones « d’installation contrôlée ». L’avis de l’Autorité de la concurrence n° 16-A-13 du 9 juin 2016 recommandait « la création de 1 002 offices pour un objectif de 1 650 notaires à partir du 16 novembre 2017, en considération du potentiel d’installation de 3 500 à 4 000 notaires identifiés jusqu’en 2024 ».

Didier Coiffard, président du Conseil supérieur du notariat, avait, dans les Affiches parisiennes le 1er novembre 2016, fustigé une carte « « faite en dépit du bon sens ». Il craignait « une désertification de la profession en zone rurale » (v. aussi, Dalloz actualité, 29 juin 2017, interview...

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L’article 23, § 1, du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, énonce que si les parties à un contrat sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents et cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.

On se souvient que la Cour de Justice a jugé que cet article 23 permet, dans le cas où des dommages-intérêts sont réclamés en justice en raison d’une infraction à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, de ce règlement, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence (CJUE 21 mai 2015, aff. C-352/13, Cartel Damage Claims (CDC) c/ Hydrogen Peroxide SA, Dalloz actualité, 15 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2016. 964, obs. D. Ferrier ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2015. 382, obs. A.-M. Luciani ; RTD eur. 2015. 807, obs. L. Idot ).

Dans ce cadre, la Cour de justice a précisé que :

une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce qui limite la portée d’une convention attributive de juridiction aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l’occasion duquel cette clause a été convenue. Cette exigence a pour objectif d’éviter qu’une partie ne soit surprise par l’attribution à un for déterminé de l’ensemble des différends...

Après la publication, sur le site internet d’une association, d’un communiqué la mettant en cause, une société demanda à exercer un droit de réponse. Ayant essuyé un refus, cette dernière assigna en référé M. X. en sa qualité de directeur de la publication, M. Y. en sa qualité de représentant légal de l’association ainsi que l’association elle-même en sa qualité d’éditeur, aux fins d’obtenir l’insertion forcée de sa réponse. Les juges du fond, pour conclure à l’absence de trouble manifestement illicite au sens de l’article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, relevèrent que la taille de la réponse dépassait manifestement la taille autorisée pour l’exercice du droit de réponse prévu à l’article 6, IV, de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Et ils déclarèrent irrecevable l’action dirigée contre M. Y. et l’association au motif que M. X. était le directeur de la publication au sens de l’article 93-2 de la loi no 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

Saisie du pourvoi formé par la demanderesse, la première chambre civile commence par...

Les deux propositions de loi de rénovation de la justice présentées par Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, ont été adoptées en séance publique dans la nuit du 24 octobre 2017.

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Auteur d'origine: tcoustet

Les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l’organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé, de sorte qu’en l’absence d’une telle décision, la SCI n’était pas débitrice de l’associé et ne pouvait être condamnée aux causes de la saisie pour avoir méconnu son obligation de renseignement.

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Auteur d'origine: Dargent

Le juge doit entendre la personne objet de soins psychiatriques sans consentement, sauf motif médical constaté dans l’avis motivé d’un médecin ou circonstance insurmontable empêchant son audition.

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Auteur d'origine: Dargent

L’installation des boxes vitrés en passe de devenir la norme pour sécuriser les salles d’audience reste une mesure controversée. 

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Auteur d'origine: tcoustet

Si l’avocat de l’appelant n’a pas à signifier la déclaration d’appel à l’intimé lorsque son avocat se constitue dans le mois de l’émission de l’avis émis par le greffe, il ne peut se dispenser de lui notifier ses conclusions à la suite de cette constitution quand bien même celles-ci lui avaient été communiquées antérieurement.

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Auteur d'origine: Dargent

Une liste de médiateurs « en matière civile, commerciale et sociale », avec une rubrique spéciale pour les médiateurs familiaux, devra être établie au sein de chaque cour d’appel.

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Auteur d'origine: tcoustet

La commission des lois du Sénat a adopté mercredi 18 octobre 2017 deux propositions de loi de son président Philippe Bas (LR) sur le redressement de la justice. Une proposition de loi n° 34 d’orientation et de programmation des crédits de la justice pendant cinq ans, et une proposition de loi organique n° 35, réformant en profondeur la justice.

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Auteur d'origine: tcoustet

En cas d’irrecevabilité de l’appel tirée du défaut de paiement du droit d’appel, la décision peut être rapportée par le juge qui l’a prononcée, de sorte qu’un recours ne peut être exercé sans que la demande de rapport n’ait été préalablement formée.

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Auteur d'origine: MKEBIR

Un acte de naissance établi aux Comores ne peut pas produire effet en France s’il n’est pas légalisé par le consul de France aux Comores ou par le consul des Comores en France.

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Auteur d'origine: fmelin

Le droit de préemption  reconnu aux locataires et occupants de bonne foi lorsque leur lot est mis en vente, suite à la division ou à la subdivision de l’immeuble étant susceptible de constituer une limitation au droit de propriété du vendeur, non justifiée par un objectif d’intérêt général, et une méconnaissance du principe d’égalité entre locataires et entre propriétaires, la question soulevée présente un caractère sérieux et doit donner lieu à un contrôle de constitutionnalité.

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Auteur d'origine: dpelet

Les deux propositions de loi de rénovation de la justice présentées par Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, ont été adoptées en séance publique dans la nuit du 24 octobre 2017.

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Les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l’organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé, de sorte qu’en l’absence d’une telle décision, la SCI n’était pas débitrice de l’associé et ne pouvait être condamnée aux causes de la saisie pour avoir méconnu son obligation de renseignement.

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Un acte de naissance établi aux Comores ne peut pas produire effet en France s’il n’est pas légalisé par le consul de France aux Comores ou par le consul des Comores en France.

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.Article juridique - Droit des garanties, des sûretés et des mesures d'exécution Par Me Didier ADJEDJ Tout d'abord, la procédure doit être suivie scrupuleusement à peine de nullité avec de nombreux délais et des rappels de textes qui s'imposent au créancier. Ensuite, il faut que le créancier dispose d'un titre exécutoire (jugement ou acte notarié) ...
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Le droit de préemption  reconnu aux locataires et occupants de bonne foi lorsque leur lot est mis en vente, suite à la division ou à la subdivision de l’immeuble étant susceptible de constituer une limitation au droit de propriété du vendeur, non justifiée par un objectif d’intérêt général, et une méconnaissance du principe d’égalité entre locataires et entre propriétaires, la question soulevée présente un caractère sérieux et doit donner lieu à un contrôle de constitutionnalité.

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Le délai dans lequel la juridiction de renvoi doit être saisie après un arrêt de cassation court à l’encontre de la partie qui notifie même si la notification n’a pas été faite à l’ensemble des parties.

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L’assureur du responsable est tenu d’indemniser les victimes par ricochet du préjudice économique constitué par les frais engagés pour l’adaptation de leur propre logement au handicap de la victime initiale. 

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Si l’irrégularité d’une assignation délivrée au nom d’une personne décédée, laquelle n’affecte pas la validité de l’acte à l’égard des autres parties au nom desquelles il a été également délivré, n’est pas susceptible d’être couverte, il n’en est pas ainsi de l’irrégularité d’une assignation délivrée au nom d’une personne protégée sans celui qui la représente ou l’assiste.

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En application de l’article 265-2 du code civil, la convention conclue entre les époux, avant l’introduction de l’instance en divorce, est nulle dès lors qu’elle porte tant sur la prestation compensatoire que sur le partage de leur régime matrimonial.

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Les litiges visant à déterminer si une personne a été inscrite à juste titre en tant que titulaire d’une marque n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 22, point 4, du règlement du 22 décembre 2000.

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Le conjoint survivant qui refuse intentionnellement de communiquer l’existence de fonds communs est l’auteur d’un recel de communauté à l’exclusion d’un recel successoral, son acte n’étant préjudiciable qu’à l’égard de l’indivision post-communautaire. 

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Si l’absence ou l’irrégularité de la signification d’un jugement a pour conséquence de ne pas faire courir le délai d’appel, elle n’a pas d’incidence sur la recevabilité de celui-ci au regard des règles énoncées aux articles R. 311-7 et R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution.

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La garde des Sceaux est intervenue lors du congrès annuel organisé par l’union syndicale des magistrats (USM) le 13 octobre 2017.

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L’homologation d’un accord transactionnel, qui a pour seul effet de lui conférer force exécutoire, ne fait pas obstacle à une contestation de la validité de cet accord devant le juge de l’exécution.

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Est contraire à l’ordre public international français la loi camerounaise qui retient que l’action en recherche de paternité est irrecevable lorsque, pendant la période légale de conception, la mère a été d’une inconduite notoire ou a eu commerce avec un autre homme.

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La Cour a tranché dans une affaire mettant en rapport la question de l’identité de genre et les droits de l’enfant, sans nécessairement clarifier sur le fond les ambiguïtés de la législation allemande relative aux personnes transgenres.

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Saisie du recours formé à l’encontre du jugement du juge de l’exécution, la cour d’appel n’a pas le pouvoir de réformer ou d’annuler une autre décision de justice.

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À peine de déchéance du bénéfice de sa sûreté pour la distribution du prix de vente de l’immeuble, tout créancier inscrit doit déclarer sa créance, peu important qu’elle ne soit pas exigible et que le décompte de sa créance ne soit pas actualisé au jour même de sa déclaration.

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À peine de caducité de la déclaration d’appel, l’appelant est tenu de notifier ses conclusions au ministère public dans le délai de trois mois de l’article 908 du code de procédure civile dès lors que celui-ci est partie à l’instance.

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La chambre de l’instruction de Nouméa a reconnu que la procureure du tribunal de l’archipel n’était plus habilitée à exercer ce poste. Tous les actes de procédure réalisés en conséquence ont donc été annulés.

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Depuis le 1er janvier 2016, le juge du divorce dispose de véritables pouvoirs en matière de liquidation. Il est en mesure de statuer sur des demandes de liquidation et de partage, lors du prononcé du divorce, en cas d’un rapport notarié sur le fondement de l’article 255, 10°, du code civil , ou d’une déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire, ou en cas de démonstration des désaccords subsistants entre les époux.

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La fin de non-recevoir d’ordre public tirée de la méconnaissance du délai pour former appel incident à l’égard d’un chef du jugement doit être relevée d’office par le juge.

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Invitée par l’USM, dans le cadre du congrès annuel consacré cette année à l’indépendance du ministère public, Nicole Belloubet a déclaré vouloir rénover le statut du parquet, et en a profité pour présenter la future politique des ressources humaines de la magistrature.

Une révision constitutionnelle aux contours incertains

« Si on veut avoir la certitude que nos magistrats soient impartiaux, nous devons leur donner les moyens d’exercer leurs fonctions en toute indépendance ». C’est en ces termes que la ministre a affiché son ambition de réformer le statut du ministère public. L’inscrire dans la loi constitutionnelle, ajoute-t-elle, est « une garantie de l’exigence d’indépendance et un engagement du président de la République ». Sans doute une façon de faire écho à la lettre adressée au garde des Sceaux le 5 octobre dernier par la Conférence nationale des procureurs généraux et la Conférence nationale des procureurs de la République (v. Dalloz actualité, 5 oct. 2017, art. M. Babonneau ), et d’anticiper la réponse à venir du Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité sur l’indépendance du parquet (v. Dalloz actualité, 28 sept. 2017, art. M. Babonneau ).

Il est vrai que cette réforme est attendue et promise depuis vingt ans mais n’a jamais abouti. Là encore, l’ambition affichée de la ministre pourrait prendre des allures de gageure, privée de majorité au Parlement depuis les dernières élections sénatoriales. Afin de parer à cette éventualité, la garde des Sceaux a indiqué qu’elle s’entretenait discrètement « depuis septembre » avec les parlementaires, et qu’elle tenait un calendrier précis. Le 27 octobre prochain, elle recevra à ce titre les syndicats des magistrats.

En revanche, pas question de remettre en cause l’existence du lien hiérarchique avec le garde des Sceaux dans le cadre de l’exécution de la politique pénale. « Je suis très attachée au modèle français du ministère public que je qualifierais de troisième voie. Je veux un parquet dont le lien avec le garde des Sceaux n’est pas complètement coupé », a ainsi tempéré Nicole Belloubet.

Promouvoir une nouvelle dynamique de gestion des ressources humaines

Même si la ministre souhaite placer les réformes sous le sceau de la concertation, la question des moyens cristallise les tensions. D’un côté, Virginie Duval, présidente de l’USM, a affirmé, dans son discours, que la politique de la justice dépend « de beaucoup de la détermination de Bercy ». D’un autre côté, la ministre a indiqué que son ministère fait l’objet d’une augmentation « notable » des moyens de près de 4 %, dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 (soit en 3 ans, une augmentation représentant presque un milliard d’euros).

La modernisation de la justice, chantier lancé le 6 octobre dernier (v. Dalloz actualité, 9 oct. 2017, art. T. Coustet ), semble passer par celui des ressources humaines. La présidente du l’USM n’a pas caché son scepticisme et a ainsi rappelé que la magistrature compte encore moins de juges qu’en 1827 à population égale. En réponse, la ministre a annoncé qu’elle a pour ambition de « dynamiser en profondeur » son attractivité. Le nouveau directeur des services judiciaires (DSJ), M. Peimane Ghaleh-Marzban, qui entrera en fonction le 16 octobre prochain, aura notamment en charge le dossier de la mobilité, en lien avec le récent rapport rendu par le CSM (v. Dalloz actualité, 21 sept. 2017, art. T. Coustet ). Rappelant qu’un quart des mouvements concerne « les magistrats en poste depuis moins de deux ans », la ministre a indiqué que le DSJ devra présenter aux syndicats des propositions qui améliorent la stabilité fonctionnelle et géographique des effectifs.

En parallèle, la fonction devra attirer « tous les talents ». La garde des Sceaux souhaite ainsi revoir – une nouvelle fois – les modalités du premier concours d’accès, pour en « alléger les épreuves », et promouvoir les autres voies d’accès, dont 51 % des magistrats sont issus, afin de faciliter la reconversion professionnelle par « des formations plus adaptées à d’autres profils ».

La transaction a pour particularité d’être un acte de nature contractuelle mais, signée pour prévenir un procès ou pour mettre un terme à une instance, on peut parfois lui prêter des caractères proches d’un acte juridictionnel. Dans cette espèce, le débiteur avait été condamné au paiement d’une créance au profit d’une banque, en sa qualité de caution solidaire d’une société qu’il dirigeait. Les parties ont ensuite conclu un accord transactionnel, sans doute non exécuté volontairement car il a finalement servi de fondement à une procédure de saisie-vente. Le débiteur a contesté cette procédure devant le juge de l’exécution, auquel il a demandé de prononcer la nullité et la rescision de cet accord et l’annulation des actes de saisies subséquents. La cour d’appel saisie de l’affaire a rejeté une telle demande retenant que la transaction avait été homologuée par une ordonnance du conseiller de la mise en état passée en force de chose jugée, ce qui avait pour effet d’interdire toute appréciation de la validité de la transaction par le juge de l’exécution.

Mais c’était méconnaître la portée de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire qui donne pouvoir au juge de l’exécution de statuer sur les contestations relatives au titre exécutoire servant de fondement aux mesures d’exécution forcée, même quand elles...

Une ressortissante camerounaise donne naissance à un enfant en France. Elle assigne ensuite en recherche de paternité un homme de nationalité suédoise. Compte tenu du contexte international de cette affaire, il fallait déterminer la loi applicable à la recherche de paternité. À ce propos, la règle de conflit de lois est fournie par l’article 311-14 du code civil, qui dispose que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant.

La loi camerounaise, loi personnelle de la mère, était donc applicable en principe. Cependant, une difficulté apparut compte tenu de la teneur de cette loi. L’article 340 du code civil du Cameroun énonce en effet que l’action en reconnaissance de paternité ne sera pas recevable s’il est établi que, pendant la période légale de conception, la mère était d’une inconduite notoire ou a eu commerce avec un autre individu. Le défendeur à l’action en recherche de paternité se prévalait de ces dispositions pour soulever l’irrecevabilité de la demande. Cependant, les juges du fond ont retenu que cet article 340 était contraire à l’ordre public international français, qu’il y avait donc lieu d’écarter l’application de la loi camerounaise au profit de la loi française et d’ordonner une mesure d’expertise biologique.

Le pourvoi en cassation formé contre l’arrêt d’appel fut ensuite rejeté par la première chambre civile, selon laquelle « la cour d’appel a exactement retenu que ces dispositions, qui privaient l’enfant de son droit d’établir sa filiation paternelle, étaient...

Le 25 septembre dernier, la Cour fédérale de justice allemande s’est prononcée sur une affaire liant droit et questions de genre. Le point de départ : une personne fait reconnaître sa conversion sexuelle du genre féminin au genre masculin devant le service d’état civil d’une mairie d’arrondissement de Berlin. Cette personne a suivi un traitement hormonal, fait valider sa conversion comme l’y autorise la législation allemande et changer son prénom. Néanmoins, après avoir interrompu son traitement, elle procède à une insémination artificielle (le donneur renonçant contractuellement à faire valoir sa paternité) et accouche d’un enfant. Le service d’état civil chargé de l’inscrire au registre des naissances est confronté à un dilemme : doit-elle reconnaître comme père la personne – officiellement de sexe masculin – qui a donné naissance à un enfant ? Ce que la Cour fédérale, dans son exposé de la décision, résume ainsi : « La mère d’un enfant est, selon le paragraphe 1591 du code civil allemand, la femme qui lui a donné naissance. Le plaignant n’était néanmoins plus, au moment de l’accouchement, le 28 mars 2013, une “femme” au sens du droit, puisqu’à ce moment-là, il était déjà reconnu, depuis une décision du tribunal d’instance rendue le 7 juin 2011, comme appartenant au genre masculin ».

La Cour fédérale de justice a tranché en estimant que cette personne transgenre, en dépit de son changement de sexe, était « juridiquement la mère de l’enfant », ce qui implique que l’acte de naissance la mentionne sous le prénom féminin qu’elle possédait avant son changement de sexe. Pour Jessica Heun, avocate berlinoise spécialisée dans le droit administratif lié aux personnes transgenre, « la Cour fédérale de justice s’est contentée de présenter formellement la législation, dans sa lettre, son esprit et ses fins » : « si d’un côté, selon la loi relative aux personnes transsexuelles, après un changement de nom et d’état civil, il faut appeler cette personne par son nouveau prénom, de l’autre, cela ne vaut pas pour l’acte de naissance de l’enfant. Le législateur a, sur ce point précis, décidé que tout ce que l’on entreprend en matière de changement de nom et d’état civil implique des modifications juridiques dans tous les domaines, à l’exception des droits de l’enfant, qui, eux, doivent demeurer intacts ».

L’Allemagne dispose en effet depuis 1980 d’une loi relative « au changement de prénom et à la détermination de l’appartenance sexuelle dans des cas particuliers » ou loi relative aux personnes transsexuelles (Transsexuellengesetz), qui précise dans son article 11 que « la décision que le requérant doit être considéré comme appartenant à un autre genre que celui qui lui était assigné à la naissance ne modifie pas le rapport juridique entre le requérant et ses parents et entre le requérant et ses enfants ». Comme le souligne Jessica Heun, « si l’on inscrit un père au lieu d’une mère, cela a des conséquences pour l’enfant : dans l’état actuel de la législation, s’il n’existe pas d’autre père reconnu, cela pose par exemple problème en matière du droit de l’enfant à des frais d’entretien. Pour laisser à l’enfant la porte ouverte à ces droits, je dois recourir à cette classification biologique ».

« Un vrai gruyère »

Après s’être longtemps targuée de posséder la législation « la plus humaine et la plus englobante » en la matière, l’avance législative supposée de l’Allemagne avec sa Transsexuellengesetz s’est réduite à peau de chagrin au fil des arrêts de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. À six reprises, celle-ci a déclaré inconstitutionnelles certaines de ses dispositions. En particulier celles posant deux possibilités pour faire reconnaître légalement son changement d’appartenance sexuel : d’un côté, ce que la loi qualifie de « petite solution » – le changement du prénom – et, de l’autre, la « grande solution » (grosse Lösung), qui consiste, elle, en un changement d’état civil complet. Ces deux voies ont en commun de nécessiter un rapport validé par deux personnes qualifiées, mais la seconde exige, outre une infertilité durable, que le requérant « ait subi une opération transformative de ses caractéristiques sexuelles, à travers laquelle il lui a été possible de se rapprocher de manière significative de l’apparence du sexe opposé ». C’est à cette dernière mesure qu’un arrêt de la Cour de Karlsruhe est venu mettre fin en 2011. De quoi faire de la Transsexuellengesetz un « vrai gruyère », selon l’expression de Konstanze Plett, qui enseigne à l’institut de recherche en droit du genre, du travail et droit social de l’université de Brême. « Selon moi, la Cour fédérale fait trop reposer sa décision sur cette loi, car le législateur n’avait pas vraiment pu imaginer des cas comme celui-ci. C’est pourquoi j’ai le sentiment que le dernier mot n’a pas été dit sur cette affaire, et qu’il est possible que celle-ci revienne devant la Cour constitutionnelle. » Plusieurs rapports recommandent d’ailleurs un certain nombre d’aménagements, alors que le nouveau gouvernement est encore loin d’avoir vu le jour, tandis que « le ministère fédéral de la justice n’est guère enthousiaste à l’idée de se lancer dans ce chantier alors que les personnes transgenres n’ont pas encore fait l’objet d’une réflexion juridique complètement aboutie », estime Konstanze Plett.

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Une partie forme appel à l’encontre d’un jugement du tribunal de grande instance statuant en matière de nationalité. L’appelant intime bien sur son acte d’appel le ministère public mais ne lui notifie pas ses conclusions. Confirmant sur déféré l’ordonnance de son conseiller de la mise en état, la cour d’appel de Nancy juge caduque la déclaration d’appel de l’appelant qui n’avait pas notifié ses conclusions au procureur général dans le délai légal.

Le demandeur au pourvoi faisait grief à l’arrêt d’avoir retenu la caducité alors que l’article 911 du code de procédure civile ne prévoit de sanctions que dans l’hypothèse où les conclusions ne sont pas notifiées aux avocats des parties lorsqu’ils sont constitués ou lorsque les conclusions ne sont pas signifiées aux parties dans le mois suivant l’expiration du délai de l’article 908 qui n’ont pas constituées avocat. La Cour de cassation approuve toutefois la cour d’appel et rejette le pourvoi en jugeant que « la disposition de l’article 911 du code de procédure civile qui prévoit que, sous les sanctions prévues aux articles 908 à 910 du même code, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour d’appel, s’applique au ministère public lorsque celui-ci est partie à l’instance d’appel, dès lors que les notifications faites à l’égard de cette partie, qui est dispensée de constituer avocat, ont lieu dans les formes prévues pour les notifications entre avocats ».

Sans véritable explication de texte, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi en estimant que l’article 911 s’applique au ministère public « dans les formes prévues pour les notifications entre avocats ». En réalité, c’est l’arrêté du 30 mars 2011, modifié par les arrêtés des 20 décembre 2012 et 2 avril 2013, relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel, qui lie le sort du ministère public et des avocats et qui précise notamment en son article 2 que : « Sont également effectués par voie électronique les envois et remises au greffe de la cour des déclarations d’appel et des conclusions du ministère public en application de l’article 930-1 du code de procédure civile. Ces actes sont remis au greffe de la cour d’appel par la voie électronique au moyen d’un message électronique acheminé au sein du réseau privé virtuel justice (RPVJ) depuis la boîte électronique dédiée du ministère public, soit pour les parquets près les tribunaux de grande instance du type "" et pour les parquets généraux "". La réception de ce message génère un avis de réception à destination de son expéditeur ».

D’autre part, le décret n° 2014-1633 du 26 décembre 2014 mentionne que l’identification réalisée lors des transmissions électroniques vaut signature pour les auxiliaires de justice comme pour le ministère public. Les articles 748-1 du code de procédure civile règlent par ailleurs la communication par voie électronique, l’alinéa 3 de l’article 748-2 précisant expressément que vaut consentement du destinataire l’adhésion par un auxiliaire de justice, assistant ou représentant une partie, à un réseau de communication électronique.

En l’espèce, s’agissant d’un appel d’un jugement rendu en matière de nationalité, l’avocat de l’appelant avait bien intimé le procureur général qui, certes était dispensé du ministère d’avocat, mais qui avait la qualité de partie à l’instance. Or, les conclusions, notifiées dans le délai de trois mois de l’article 908 au greffe, n’avait fait l’objet d’aucune notification au procureur général. Si l’article 930-1 du code de procédure civile, auquel renvoie l’arrêté du 30 mars 2011, dispose que c’est à peine d’irrecevabilité relevée d’office que les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique, c’est la juridiction qui est visée par cette remise électronique et non les parties ou leurs représentants. Mais encore faut-il que les auxiliaires de justice puissent démontrer que leurs écritures ont bien été notifiées dans les délais légaux. En effet, l’article 911, alinéa 1er, précise que les conclusions sont notifiées « dans le délai de leur remise au greffe de la cour ». C’est ainsi le réseau privé virtuel des avocats (RPVA), du fait de cette exigence de simultanéité, qui permet d’horodater le message d’envoi, le message structuré étant acheminé par le réseau privé virtuel justice (RPVJ), en l’occurrence à l’adresse .

Dans le cas présent, du fait de sa qualité de partie en appel, les conclusions n’avaient pas seulement à être communiquées au ministère public comme en certaines matières, mais devaient donc lui être notifiées dans les délais légaux. La réciproque est d’ailleurs vraie, puisque sous les mêmes sanctions des articles 908 et suivants, le procureur général répond des mêmes obligations, à peine de caducité ou d’irrecevabilité selon qu’il est appelant ou intimé, ainsi qu’ont déjà pu le juger certaines cours d’appel.

Depuis le 1er janvier 2016, le juge du divorce dispose de véritables pouvoirs en matière de liquidation. Il est en mesure de statuer sur des demandes de liquidation et de partage, lors du prononcé du divorce, en cas d’un rapport notarié sur le fondement de l’article 255, 10°, du code civil , ou d’une déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire, ou en cas de démonstration des désaccords subsistants entre les époux.

Dix-huit mois après l’entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, l’AJ famille dresse un bilan.

À titre d’exemple, Côme Jacqmin, magistrat, explique qu’il est encore saisi de nombreuses demandes partielles, qui relèvent incontestablement du champ liquidatif, mais ne comportent pas réellement de demande d’ouverture des opérations de liquidation et partage judiciaire. Pour autant,...

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Par cet arrêt très riche du point de vue procédural, la Cour de cassation rappelle notamment quel doit être l’office du juge en matière de fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des délais pour former recours.

Dans cette affaire, un juge des référés avait condamné, sous astreinte, une société à retirer une rampe métallique qu’elle avait installée en avant du magasin qu’elle exploitait dans des locaux loués à un syndicat de copropriétaires. Par un arrêt du 24 octobre 2013, une cour d’appel a confirmé cette ordonnance en précisant que la condamnation à retirer, sous astreinte, la rampe métallique située à l’entrée du magasin était applicable au retrait d’une plaque métallique aménagée à l’arrière de celui-ci. Le syndicat a saisi un juge de l’exécution d’une demande de liquidation de l’astreinte et a interjeté appel de la décision rendue par ce dernier.

Par un arrêt avant dire droit du 13 mai 2016, une cour d’appel avait ordonné la réouverture des débats en vue d’inviter les parties à présenter leurs observations sur l’absence d’obligation sous astreinte de retirer la rampe métallique en plan incliné se trouvant à l’avant du magasin résultant de l’arrêt de la cour d’appel du 24 octobre 2013.

Par un arrêt au fond du 1er juillet 2016, la cour d’appel a infirmé le jugement entrepris et rejeté les demandes du syndicat tendant à la fixation de nouvelles astreintes définitives.

Le syndicat de copropriétaires a formé un pourvoi à l’encontre des deux arrêts. Examinant d’office la recevabilité du pourvoi formé contre l’arrêt du 13 mai 2016, la Cour de cassation rappelle au visa de l’article 537 du code de procédure civile que les mesures d’administration judiciaires ne sont sujettes à aucun recours. Or la réouverture des débats est une mesure d’administration judiciaire, de sorte que le pourvoi dirigé contre cet arrêt était irrecevable (v. déjà Civ. 2e, 13 mai 2015, n° 14-16.483, Dalloz actualité, 29 mai 2015, obs. F. Mélin  ; D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac et al. ; AJDI 2015. 532 ).

Rejetant un premier moyen, la haute juridiction relève que, dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives, la société ne demandait pas la confirmation du jugement en ce qu’il avait fixé une nouvelle astreinte de 1 500 € par jour de retard assortissant l’obligation d’enlèvement de la rampe métallique et une nouvelle astreinte de 1 000 € par infraction constatée assortissant l’interdiction d’entreposer des conteneurs à déchets.

En revanche, un deuxième moyen convainc la Cour de cassation. Au visa des articles 125 et 909 du code de procédure civile, elle énonce que, selon le premier de ces textes, les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours et, aux termes du second, l’appel incident doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908.

L’arrêt rapporté mérite quelques explications sur ce point. En l’occurrence, la cour d’appel a rejeté la demande de liquidation de l’astreinte relative à l’obligation de retrait de la rampe métallique à l’avant du magasin à la suite d’écritures de la société notifiées le 2 juin 2016 après l’arrêt avant dire droit du 13 mai 2016 et concluant pour la première fois à l’infirmation du jugement.

La Cour de cassation reproche aux juges d’appel de ne pas avoir relevé d’office l’irrecevabilité de l’appel incident tardif formé par la société relativement à ce chef de dispositif. Pour bien comprendre cet aspect de la décision, il convient de démêler cette situation litigieuse pour le moins confuse. En l’espèce, le syndicat a sollicité la réformation du jugement du juge de l’exécution en ce qu’il avait limité à une certaine somme la liquidation de l’astreinte, liquidation qu’il demandait de voir portée à une somme beaucoup plus importante puis de voir la condamnation assortie d’une astreinte définitive de 5 000 € par jour de retard et sans limitation de durée. La société intimée n’avait pas formé appel incident. Elle a demandé dans ses premières conclusions la confirmation du jugement puis, à la suite de l’arrêt avant dire droit prononçant la réouverture des débats, a conclu pour la première fois à l’infirmation du jugement du 18 décembre 2014 en ce qu’il avait liquidé une certaine somme de l’astreinte portant sur le retrait de la rampe métallique à l’avant du magasin.

C’est en l’occurrence à tort que la cour d’appel a répondu à cette demande d’infirmation. Techniquement, il s’agissait d’une prétention formée par l’intimée, par hypothèse, postérieurement à l’appel principal. Par conséquent, cette demande d’infirmation s’analysait comme un appel incident par lequel la société intimée élevait elle-même une critique à l’égard de la décision attaquée. Or, si en principe l’appel incident peut être formé « en tout état de cause », c’est-à-dire sans limitation de temps, conformément aux dispositions de l’article 550 du code de procédure civile, il n’en est pas ainsi en matière d’appel avec représentation obligatoire. Aux termes de l’article 909 du code de procédure civile, tel qu’il résulte des décrets Magendie du 9 décembre 2009 et du 28 décembre 2010, l’appel incident s’inscrit dans de strictes limites temporelles. Il doit être formé dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 du même code, c’est-à-dire celles qui déterminent l’objet du litige (sur la définition de ces conclusions, v. Civ. 2e, 28 mai 2015, n° 14-28.233, Dalloz actualité, 16 juin 2015, obs. M. Kebir  ; D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac et al. ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ). Notons que ce délai a été porté à trois mois par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 pour les appels formés à compter du 1er septembre 2017 (décr. n° 2017-1227, 2 août 2017, art. 1er).

En toute occurrence, l’article 909 prévoit que le délai imparti doit être respecté « à peine d’irrecevabilité relevée d’office ». Il résulte de cette formule que l’irrecevabilité doit être relevée par le juge, y compris lorsque l’appelant s’abstient de lui demander (en ce sens, v. Rép. pr. civ., v° Procédure devant la cour d’appel, par B. Travier, F. Wattremet et R. Laffly, n° 109). Le texte ne le dit pas expressément mais cette obligation résulte, comme le suggère la Cour de cassation dans cet arrêt, de la combinaison de l’article 909 et de l’article 125 du code de procédure, un texte a vocation générale qui a trait aux fins de non-recevoir que le juge doit ou peut relever d’office. Dans la première catégorie se trouvent les fins de non-recevoir d’ordre public, notamment celles qui sanctionnent la méconnaissance des délais impartis pour former un recours (v. par ex. Com. 17 mai 2011, n° 10-16.526, Dalloz actualité, 26 mai 2011, obs. A. Lienhard  ; v. aussi, pour l’absence de voie recours, Com. 17 déc. 2013, nos 12-26.333 et 12-13.460 ; Soc. 15 janv. 2014, n° 12-25.404, Dalloz actualité, 30 janv. 2014, obs. M. Kebir ). Ces fins de non-recevoir comptent parmi les moyens de droit que le juge doit relever d’office pour respecter son office juridictionnel.

À cet égard, il convient de relever que, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir relevé d’office la tardiveté de l’appel incident. Or, dans cette affaire, un conseiller de la mise en état avait été désigné et il disposait, conformément à l’article 914 du code de procédure civile d’une compétence exclusive pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel. Cette compétence exclusive du conseiller de la mise en état ne fait pas obstacle à l’exercice des prérogatives que le juge tient de l’article 125 du code de procédure civile, lequel s’applique de façon générale à tous les juges. C’est ce qui explique que, pour la Cour de cassation, si, aux termes de l’article 914 du code de procédure civile, les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité ou l’irrecevabilité de l’appel après le dessaisissement du conseiller de la mise en état, l’article 125, alinéa 1er, du même code autorise le juge à relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir ou de la chose jugée (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-24.575, Dalloz actualité, 19 nov. 2014, obs. M. Kebir  ; D. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 517, chron. T. Vasseur et al. ; Procédures 2015, n° 7, note Croze ; Gaz. Pal. 24 juin 2014, p. 14, note Mulon). L’arrêt commenté précise qu’il en a même le devoir pour les fins de non-recevoir d’ordre public.

Cette obligation faite au juge de relever l’irrecevabilité de l’appel incident tardif ne fait que renforcer l’exigence qui pèse sur l’intimé. L’article 909 du code de procédure civile lui impose, dans le délai de deux mois (ou trois mois), de répondre aux conclusions de l’appelant et de former, le cas échéant, appel incident. Il en résulte que si, l’intimé ne forme pas appel incident dans ce délai, il est privé de la possibilité de le faire dans des conclusions postérieures. Il ne peut donc faire autre chose que solliciter la confirmation du jugement.

La ratification de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations se précise. Un projet de loi en ce sens, porté par le garde des Sceaux de l’époque Jean-Jacques Urvoas, avait été adopté en conseil des ministres dès le 6 juillet 2016 et déposé le même jour sur le bureau de l’Assemblée nationale. Mais il n’a jamais été examiné par les députés. Aussi ce projet de loi a-t-il été retiré par le Gouvernement nommé à la suite de l’élection présidentielle, pour être ‎redéposé, cette fois sur le bureau du Sénat, le 9 juin 2017.‎ Ce projet de loi, présenté par l’éphémère ministre de la Justice François Bayrou, prévoit une ratification « sèche » de l’ordonnance de 2016, c’est-à-dire sans modification aucune. Il comporte un article unique, ainsi rédigé : « L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est ratifiée ».

Pourtant, même si plusieurs observateurs avisés sont favorables, non sans raison, à un tel mode opératoire (N. Molfessis, Pour une ratification sèche de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, JCP n° 41, 9 oct. 2017, 1045), certaines voix ont suggéré, notamment dans les mileux professionnels, que cette loi de ratification puisse être le véhicule de quelques ajustements du nouveau droit commun des contrats (V. not. Haut Comité juridique de la place financière de Paris, Rapport du 10 mai 2017, Propositions d’amélioration de la rédaction des dispositions régissant le droit commun des contrats). Parmi les propositions formulées, celle visant à procéder à des éclaircissements sur le caractère supplétif et le domaine exact de l’imprévision, introduite par l’ordonnance de 2016.

Il n’est pas impossible que ces suggestions aient été entendues et soient prises en compte par le Sénat, lequel a d’ailleurs procédé à de nombreuses auditions ces dernières semaines dans la perspective de l’examen du projet de loi de ratification. Et le Gouvernement ne semble pas hostile, de son côté, à de tels ajustements. Des modifications profondes du droit commun des contrats semblent toutefois totalement exclues. Nous serons de toute façon fixés rapidement, compte tenu de l’ordre du jour du Sénat au cours de ces prochains jours. Le projet de loi, dans sa version transmise par le Gouvernement, est actuellement en cours d’examen par la commission des lois du Sénat. Le délai limite pour le dépôt des amendements de commission a été fixé ce lundi 9 octobre à 12h. La réunion de la commission des lois pour le rapport et le texte du projet de loi, dans sa version amendée par cette commission, est fixée au 11 octobre. Ces documents devraient être rendus publics dans la foulée. Puis, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance est fixé au lundi 16 octobre, également à 12h. La commission des lois va à nouveau se réunir pour examiner les amendements de séance ce mardi 17 octobre au matin. Puis l’examen en séance publique du projet de loi – comprenant l’examen des amendements de séance – est programmé pour ce même mardi à 14h30 et ne devrait durer que deux heures, ce qui est bien peu. Nous devrions donc être fixés sur la teneur du projet de loi de ratification de l’ordonnance de 2016 version Sénat d’ici une grosse semaine. Même si la chambre haute n’a jamais le dernier mot, sa version du projet de loi nous fournira néanmoins des indications fiables sur l’étendue réelle de la « réforme de la réforme du droit des contrats » et de la fièvre réformatrice de nos parlementaires.

L’articulation entre le droit de l’exécution et celui des entreprises en difficulté ne cesse d’alimenter la jurisprudence et invite souvent les juridictions à préciser les effets attachés à la mise en œuvre des actes ou formalités qui jalonnent les procédures civiles d’exécution. La présente affaire en constitue une nouvelle illustration à propos de la publication – au fichier immobilier – d’un commandement valant saisie immobilière.

En l’espèce, à l’appui de deux actes notariés de prêt, une banque fait délivrer un tel commandement valant saisie immobilière d’un...

La première chambre civile a rendu deux arrêts, le 27 septembre 2017, qui apportent une réponse, inédite et de principe, à une question relative au droit international privé des successions.

Dans les deux affaires, une personne avait vécu et était décédée en Californie, où se trouvait l’essentiel de son patrimoine. La loi applicable était la loi californienne, compte tenu de la localisation du dernier domicile dans cet État. Cependant, cette loi ne connaissant pas l’institution de la réserve héréditaire, les enfants domiciliés en France contestèrent son application, en faisant valoir qu’elle était contraire à l’ordre public international français et qu’elle devait donc être écartée, étant rappelé que l’article 912 du code civil dispose que la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.

Les juges du fond rendirent des décisions remarquées (TGI Paris, 2 déc. 2014, n°...

Les contours de la compétence du juge de l’exécution, et partant, de la cour d’appel saisie d’un recours à l’encontre d’une décision qu’il a rendue, restent la source de nombreux contentieux. En l’espèce, à la suite d’une saisie, une société débitrice a demandé au juge de l’exécution de constater le caractère non avenu du jugement du tribunal de commerce servant de fondement aux poursuites, pour n’avoir pas été notifié dans le délai de six mois prévu par l’article 478 du code de procédure civile, applicable aux jugements rendus par défaut ou réputés contradictoires au seul motif qu’ils sont susceptibles d’appel. Une telle demande n’avait rien de surprenant quand on se souvient qu’il entre dans la compétence du juge de l’exécution de faire une telle constatation (Civ. 2e, 11 oct. 1995, n° 93-14.326, D. 1997. 73 , note F. Ruellan...

À l’occasion d’une procédure de saisie immobilière engagée par un créancier à l’encontre de son débiteur, une banque déclare être titulaire d’une créance inscrite sur le bien saisi. Toutefois, lors de l’audience d’orientation, la validité de cette déclaration de la banque est contestée tant par le créancier poursuivant, que par le débiteur saisi. Tout comme en première instance, la cour d’appel saisie de cette contestation prononce la nullité de cette déclaration. Afin de parvenir à cette solution, par des motifs propres et adoptés, les conseillers d’appel s’appuient sur le fait que la banque (créancier inscrit déclarant) ne justifie pas de l’exigibilité de sa créance et qu’elle ne produit pas un décompte actualisé au jour de la déclaration.

Saisie du pourvoi de...

Les conséquences de cette affaire risquent d’être lourdes. Un décret n° 384 du 22 août 1928 fixait dans les territoires d’outre-mer la « nomenclature des cours et tribunaux ». Son article 56 permettait, à l’époque, de confier l’exécution du service judiciaire à un intermédiaire choisi en dehors du corps judiciaire. C’est dans ce contexte qu’une attachée territoriale de profession a été nommée dès 1990 procureure au tribunal de Wallis et Futuna. Elle a été renouvelée par le parquet général en 2006 sur ce fondement, tandis que l’article 56 était abrogé par décret n° 93-21 du 7 janvier 1993.

Le 18 septembre 2016, la parquetière est saisie d’une action publique à l’encontre d’un chauffeur qui percute un piéton avec son véhicule alors qu’il était sous alcoolémie de 0,82 mg/l – ce dernier ayant reconnu lors de son audition avoir bu « quinze canettes de bière avant son accident ». Le 29 octobre 2016, la victime décède. Le 11 novembre 2016, la procureure délivre un réquisitoire supplétif à son encontre. Le 23 décembre 2016, le conducteur est mis en examen pour homicide involontaire avec circonstances aggravantes. Il est placé à ce titre en détention provisoire.

L’avocat du mis en examen, Me Jean-Jacques Deswarte, a décidé de contester la légalité du décret de nomination de la procureure. Il explique s’être étonné que « la procureure soit toujours en poste alors que la règle de sept ans était normalement acquise ». Le 22 juin 2017, il dépose devant la chambre de l’instruction une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et une requête en nullité.

Le mémoire à l’appui de la QPC soutenait que le décret de 1928 qui servait de base légale à la nomination n’était pas un décret ordinaire mais entrait dans le domaine de la loi définie par l’article 34 de la Constitution. Le texte méritait donc d’être déféré devant le Conseil constitutionnel car les conditions de la nomination, par le parquet général, portaient atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire. L’argument n’a pas prospéré, la chambre d’instruction ayant retenu, par décision du 26 juillet 2017, que la QPC était un mécanisme prévu pour contrôler la constitutionnalité d’une loi et non d’un décret.

Annulation de tous les actes de la procédure

En revanche, la requête en nullité a été accueillie par la chambre de l’instruction de Nouméa par décision du 27 septembre 2017. Me Deswarte plaidait que la procureure avait été nommée à ce poste en raison de vacance d’emplois sur la base du décret de 1928 pourtant abrogé en 1993. Ces conditions imposaient la nomination à ce poste d’un magistrat professionnel.

Pour la chambre, « la procureure en poste n’est pas légalement habilitée à exercer les fonctions du ministère public ». Les juges en ont tiré les conclusions et ont annulé tous les actes qui découlent de la mise en mouvement, dont l’information judiciaire et la mise en examen du prévenu. Ils sont tous privés de base légale pour incompétence fonctionnelle.

Se pose la question du sort des actes accomplis durant vingt-quatre ans par la procureure en poste. La jurisprudence administrative a déjà jugé que la nullité couvre les actes entachés d’incompétence rétroactivitement (CE 11 févr. 1959, Confédération du travail du Tchad, Lebon p. 104 ; 5 mai 2003, Synd. de la juridiction administrative, Dr. adm. 2003, n° 183, obs. R. S.).

Le parquet général a formé un pourvoi. Me Deswarte a indiqué « vouloir reposer la question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de cassation ».

Le Retour à Lemberg de Philippe Sands n’est pas seulement magistral, il est sidérant. De cette sidération qui cloue, une sorte de sidération vertigineuse, vertigineuse parce qu’elle ramène à l’abîme de l’horreur et au gouffre de l’inhumanité. Mais vertigineuse également parce qu’il y a, dans cet épais ouvrage, au-delà d’une réflexion profonde sur la mémoire, une réelle virtuosité. En effet, son auteur parvient à permettre au lecteur, une fois le livre achevé, de comprendre les grands débats intellectuels et théoriques ayant animé l’époque, lors de la mise en place du tribunal de Nuremberg. Par une subtile confrontation, empreinte de délicatesse et de retenue, Philippe Sands convoque l’Histoire et son histoire au terme de ce salutaire retour à Lemberg.

Philippe Sands est lui-même un homme du monde de la justice internationale, intervenant à plusieurs reprises dans des dossiers tragiques qui dévoilent la part véritablement sombre de l’humanité. Aussi n’est-on guère étonné qu’il ait pu s’emparer d’un tel sujet et qu’il se soit intéressé aux origines de cette justice qu’il est amené à fréquenter régulièrement en raison de sa pratique professionnelle. Il reste que son ouvrage dépasse de très loin le strict cadre d’une brillante introduction historique à la justice internationale et c’est précisément ce qui en fait la force. La forme empruntée par l’auteur est inhabituelle et Philippe Sands donne l’impression qu’elle a été dictée par un curieux hasard, une coïncidence dont il s’est rendu compte et qui devait nécessairement aboutir à cet ouvrage qui se lit comme une enquête passionnante. Invité à donner une conférence à Lviv, en Ukraine, Philippe Sands réalise que cette ville, à l’époque au croisement de nombreuses cultures, s’est révélée être celle où ont habité et étudié deux des acteurs majeurs du procès de Nuremberg : Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht, le premier ayant introduit la notion de génocide, le second la notion de crime contre l’humanité. Et c’est dans cette même ville, en 1942, que Hans Frank, « l’avocat préféré de Hitler et désormais gouverneur général de la Pologne occupée, monta les marches de marbre de l’université et prononça un discours dans le grand auditorium où il annonça l’extermination des juifs de la ville » (p. 31). Mais le séjour à Lemberg se fait aussi retour pour Philippe Sands, notamment parce que la famille de sa mère y vivait également, à cette même période. Les familles Lemkin, Lauterpacht et Buchholz ont toutes été les victimes des atrocités nazies orchestrées dans la région par le bourreau Frank.

C’est au destin de quatre personnages qu’il consacre son ouvrage. Son grand-père maternel, Leon Buchholz, occupe la première partie du livre, tandis que Philippe Sands s’intéresse ensuite à Raphael Lemkin, Hersch Lauterpacht et Hans Frank. L’essai d’histoire familial est passionnant. L’écrivain donne de l’épaisseur à son grand-père, il le personnifie. L’avocat enquête, réfléchit. Il se déplace et s’interroge. L’exil de Vienne vers Paris, chez les Buchholz, s’est opéré en trois temps. Leon partit le premier. Quelque temps après, il fut rejoint par sa fille, la mère de l’écrivain, accompagnée par Miss Tilney, à laquelle Philippe Sands fait une ode très émouvante. Elle sera d’ailleurs reconnue comme une Juste. Puis c’est au tour de la femme de Leon de les rejoindre, à la dernière minute, peu avant qu’Eichmann ne referme les portes de l’Autriche. Cet exil à plusieurs niveaux le laisse songeur. Plus généralement, l’avocat parvient « à reconstruire les contours d’un monde disparu à l’aide de quelques documents et photographies qu’il avait gardés » (p. 91). Mais comme le remarque Philippe Sands, « les lacunes dues au silence familial sur cette période pouvaient être comblées par les documents disponibles dans les archives qui offrent des détails macabres, en noir et blanc, sur ce qui allait suivre » (p. 75). En effet, la famille de Leon a été décimée par les nazis. L’arrière-grand-mère de Philippe Sands, Malke, est morte assassinée dans la forêt de Treblinka, le 23 septembre 1942, et c’est ce qui contribuera à « verrouiller » la mémoire de son grand-père, lui qui était si lié à sa mère. Avec cet impressionnant travail d’historien, ayant pour matériau premier la propre mémoire de sa famille, Philippe Sands livre une réflexion profonde et une analyse subtile qui gravent pour longtemps, dans la mémoire du lecteur, le souvenir de ces destins tragiques.

Retourner à Lemberg, pour l’avocat, c’est aussi revenir sur les pas de deux figures majeures du droit international : Raphael Lemkin et Hersch Lauterpacht. Ils ont étudié dans la même université, ont bénéficié des enseignements des mêmes professeurs, à Lemberg. Tous deux se sont intéressés à la conceptualisation de la justice internationale et plus précisément à celle qui allait se mettre en place à Nuremberg, là précisément où Frank sera jugé. C’est l’autre grand tour de force du livre de Philippe Sands. Ainsi parvient-il à exposer les débats de l’époque et les oppositions intellectuelles des deux hommes qui se reflètent d’ailleurs dans une opposition de personnalités. Les deux ne s’appréciaient guère. L’opposition doctrinale est ici clairement présentée. « Malgré leurs origines communes et leur souci partagé de pragmatisme, Lauterpacht et Lemkin étaient profondément divisés sur les réponses qu’ils donnaient à la grande question : comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse ? En protégeant l’individu, répond Lauterpacht ; en protégeant les groupes, répond Lemkin. » (p. 346) Lauterpacht est le promoteur de la notion de crime contre l’humanité tandis que Lemkin a inventé celle de génocide. Les pages que consacre Philippe Sands à cette dernière notion, notamment à partir d’un brouillon des archives de Columbia, sont remarquables. Et l’on comprend, à la lecture de cet ouvrage, combien la notion de génocide, aujourd’hui couramment usitée, a éprouvé des difficultés pour s’installer. Lemkin a beaucoup œuvré pour y parvenir à Nuremberg, mais il n’y réussira pas vraiment. « Il fut dévasté par le silence sur le génocide » (p. 436) conservé par jugement.

Oui, Retour à Lemberg de Philippe Sand est magistral. Il est indispensable. Histoire et mémoire sont habilement entremêlées et permettent de comprendre les grands enjeux de cette justice qui venait à l’époque de se mettre en place.

 

Philippe Sands, Retour à Lemberg, Albin Michel, 2017.

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Soc. 5 juill. 2017, FS-P+B, n° 16-10.841 Employée depuis une dizaine d'années par un particulier afin de s'occuper, à temps partiel, de ses enfants, une salariée avait vu son temps de travail réduit, sans que cette diminution fût formalisée par un avenant au contrat écrit initial. Ce contrat avait par la suite été rompu. En appel, l'employeur fut c...
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Soc. 5 juill. 2017, FS-P+B, n° 16-17.690 Un salarié fut engagé par contrat de travail à durée déterminée (CDD) saisonnier en qualité d'employé polyvalent. Ce contrat contenait une clause instituant un rapport d'indivisibilité avec le contrat de sa conjointe, de sorte qu'à la suite de la rupture de ce dernier contrat, celui du conjoint prit égalemen...
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Civ. 3e, 20 oct. 2016, FS-P+B, n° 15-19.091 L'article 14 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 prévoit que, lors du décès du locataire, le contrat de location peut être transféré au concubin notoire qui vivait avec lui depuis au moins un an à la date du décès. Si le bailleur est un organisme d'habitations à loyer modéré, l'article 40, I, de la loi ...
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Civ. 3e, 3 nov. 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-16.826 Civ. 3e, 3 nov. 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-16.827 En vogue dans les centres commerciaux, le loyer binaire (également appelé « loyer clause-recettes ») se caractérise par l'existence d'un loyer minimum garanti, complété par un loyer variable additionnel calculé sur la base du chiffre d'affaires du preneur....
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Civ. 3e, 17 nov. 2016, FS-P+B+R+I, n°15-25.265Le contentieux portant sur un local à usage mixte professionnel et d'habitation relève de la compétence du tribunal d'instance. Ainsi en a décidé la Cour de cassation dans l'arrêt de cassation rapporté.Dans cette affaire, le locataire d'un bail mixte à usage professionnel et d'habitation avait assigné s...
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Civ. 3e, 10 nov. 2016, FP-P+B, n° 15-25.113 Il existe un empiètement artificiel lorsqu'une construction dépasse sur le fonds adjacent. Le propriétaire de ce dernier peut en exiger la destruction sur le fondement des articles 544 et 545 du code civil, une telle action étant dès lors imprescriptible. Les dispositions de l'article 555 du code civil so...
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Civ. 1re, 16 nov. 2016, F-P+B, n° 15-22.010Un mandat exclusif avait été confié à un agent immobilier afin de vendre un appartement. Le mandant refusa pourtant de conclure une vente aux conditions convenues dans le contrat de mandat et l'agent immobilier l'assigna en paiement de l'indemnité conventionnelle forfaitaire stipulée à titre de clause péna...
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Civ. 3e, 10 nov. 2016, FP-P+B, n° 15-19.561Les faits de l'espèce permettent de découvrir deux propriétés contiguës dont l'une, ayant bénéficié de travaux de surélévation, présente une avancée de toit qui empiète d'une vingtaine de centimètres. La victime de l'empiétement demande tardivement la démolition de la partie de toit litigieuse. L'auteur de...
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Civ. 3e, 1er déc. 2016, FS-P+B, n° 15-27.795 Les logements-foyers sont des établissements à caractère social, destinés au logement collectif à titre de résidence principale de personnes, dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective (CCH, art. L. 633-1). Le contrat con...
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Civ. 3e, 24 nov. 2016, FS-P+B, n° 15-26.226Le permis de construire que les acquéreurs de plusieurs parcelles avaient obtenu pour celles-ci a été révoqué par arrêté municipal pour des motifs de sécurité, le terrain se trouvant « dans un secteur soumis à des risques naturels ». Arguant de l'inconstructibilité du terrain (résultat de l'effet rétroacti...
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Civ. 3e, 24 nov. 2016, FS-P+B, n° 15-26.090Relevant diverses malfaçons et invoquant l'inachèvement des travaux de construction de leur maison individuelle, M. et Mme X., maîtres d'ouvrage, assignèrent l'entrepreneur en indemnisation, après expertise. Ils espéraient voir constatée la réception tacite des travaux ou, à défaut, voir prononcée la ...
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Civ. 3e, 15 déc. 2016, FS-P+B, n° 15-22.416Un propriétaire donna à bail emphytéotique un tènement bâti à une association culturelle pour une durée de 99 ans. Le contrat envisageait l'éventualité de constructions futures réalisées par le preneur, sans pour autant l'autoriser expressément ni, a contrario, subordonner l'acte de construire à ...
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Civ. 3e, 5 janv. 2017, FS-P+B, n° 15-27.290 L'article L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation interdit au prêteur de débloquer les fonds destinés au financement de la construction tant qu'il n'a pas eu communication de l'attestation de garantie de livraison. Or, en pratique, il est fréquent que le maître de l'ouvrage souscrive un em...
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Civ. 3e, 12 janv. 2017, FS-P+B+I, n° 16-10.324Par l'arrêt rapporté, la haute juridiction censure une cour d'appel pour avoir retenu le caractère abusif, car discriminatoire, déséquilibrée et imprécise, d'une clause de solidarité insérée dans un bail d'habitation conclu entre un office public de l'habitat et deux colocataires.Dans cette affaire, l'u...
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Civ. 3e, 26 janv. 2017, FS-P+B+R+I, n° 15-27.580La troisième chambre civile précise, dans cet important arrêt, que « le bail d'habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation, de sorte que la prescription édictée par l'article 7- 1 de cette loi est seule applicable à l'action e...
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Civ. 3e, 5 janv. 2017, FS-P+B, n° 15-12.605 Des époux vendent leur maison avec piscine à un autre couple. Se prétendant victimes de désordres affectant la piscine, les acquéreurs obtiennent en référé la désignation d'un expert, puis assignent au fond leurs vendeurs en vue d'obtenir réparation de leur préjudice. Ils se fondent à cette fin, sur la ga...
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Civ. 3e, 9 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-10.350Il résulte des dispositions de l'article L. 145-7-1 du code de commerce que les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l'article L. 321-1 du code du tourisme sont d'une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l'expir...
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Civ. 3e, 9 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-13.260 Déclarée insalubre, une maison avait été interdite d'habitation de façon immédiate et définitive. Le bailleur avait alors adressé à l'épouse du preneur une proposition de relogement. La cour d'appel a jugé que le bailleur avait bien respecté son obligation de relogement (CCH, art. L. 521-1 et L. 521-3-1...
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CE 22 févr. 2017, req. n° 392998 Saisie d'un litige portant sur un permis de construire délivré par le maire de Baie-Mahault à la société civile immobilière (SCI) Kefras, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait jugé que le permis était entaché de vices susceptibles de régularisation par la délivrance d'un permis de construire modificatif. ...
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Civ. 3e, 2 mars 2017, FS-P+B, n° 15-24.876 Un bail commercial portant sur des locaux à destination de résidence de tourisme avait été signé et un sous-bail avait par la suite été conclu par le locataire. Le bail principal stipulait, d'une part, la suspension du loyer en cas d'évènement exceptionnel affectant la résidence et ne permettant pas une oc...
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Civ. 3e, 2 mars 2017, FS-P+B, n° 15-11.419 Des locaux avaient été donnés à bail pour l'exploitation d'un restaurant. À la suite de la cession du fonds de commerce, un litige survint entre le cessionnaire et le bailleur. Le cédant avait en effet fait édifier des locaux sur un terrain appartenant à la société EDF, avec laquelle le bailleur avait ensu...
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Civ. 3e, 16 mars 2017, FS-P+B, n° 16-12.773 Un organisme d'habitation à loyer modéré (HLM) assigna des locataires en paiement d'une certaine somme au titre d'un arriéré de loyer et de supplément de loyer de solidarité (SLS), ainsi qu'en résiliation de bail et expulsion. La loi prévoit en effet que ces organismes perçoivent de leurs locataires un SL...
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Civ. 3e, 16 mars 2017, FS-P+B, n° 16-13.063 Un bail d'habitation avait été conclu entre un locataire et le mandataire d'une indivision propriétaire de l'immeuble. Ce mandataire ayant délivré un congé pour vendre, le locataire contesta l'inexistence ou la nullité du bail en invoquant l'absence de personnalité morale de l'indivision (il ressort en ef...
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Civ. 3e, 16 mars 2017, FS-P+B, n° 15-12.384 Des concubins avaient fait édifier en 2004 une maison sur un terrain appartenant à la seule concubine. La construction de la maison avait été financée par divers emprunts, parmi lesquels un emprunt souscrit en 2012 pour l'achat de panneaux photovoltaïques. Après la séparation du couple, la propriétaire av...
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Civ. 3e, 30 mars 2017, FS-P+B, n° 15-21.790 Au début des années 1970, le propriétaire d'un terrain avait édifié des bâtiments sur une parcelle dépendant de la « zone des cinquante pas géométriques », c'est-à-dire du domaine public de l'État. Après plusieurs ventes successives, l'Office national des forêts assigna le nouveau propriétaire en expulsio...
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Civ. 3e, 23 mars 2017, FS-P+B+I, n° 16-11.081 En 2008, M. et MmeL… ont bénéficié d'un permis de construire en vue de réaliser un nouveau bâtiment avec pergola, un parking en toiture et des panneaux solaires. Toutefois, leurs voisins ont obtenu l'annulation du permis de construire par le juge administratif, puis ont engagé une action en démolition. ...
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Civ. 1re, 20 avr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-16.983Deux concubins domiciliés en France deviennent propriétaires indivis d'un immeuble situé en Espagne. Consécutivement à leur séparation, la question du partage de l'indivision surgit.Se pose alors le problème du juge compétent pour en connaître, au regard des dispositions du règlement « Bruxelles I » du ...
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Civ. 3e, 30 mars 2017, F-P+B, n° 16-10.366 Une société qui, au moyen de deux contrats de bail, avait donné en location divers locaux commerciaux à une même locataire, délivra à cette dernière deux commandements de payer visant la clause résolutoire insérée dans chaque bail. Elle demanda l'acquisition du bénéfice de ces clauses et l'expulsion de la ...
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Civ. 3e, 13 oct. 2016, FS-P+B+I, n° 16-15.958S'étant vu confier une mission de conception par un maître d'ouvrage, un maître d'œuvre sous-traite l'établissement du dossier de permis de construire à un autre architecte. Le maître d'œuvre principal assigne en paiement le maître d'ouvrage et obtient gain de cause devant les juges du fond.L'arrêt d'app...
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  Download PDF File Here Avant le lancement de son incubateur le 27 Mars, le Barreau de Marseille organisait son premier " Printemps de l'innovation ", l'occasion d'échanger sur l'avenir de la profession avec des avocats et des spécialistes des nouvelles technologies.

Civ. 3e, 11 mai 2017, FS-P+B+I, n° 16-14.339 Un syndicat de copropriétaires qui se plaignait d'infiltrations mit en cause la responsabilité d'un copropriétaire aux fins d'obtenir une indemnisation pour le préjudice subi. Il fut débouté de ses demandes en appel, pour s'être placé sur le terrain du régime jurisprudentiel du trouble anormal de voisina...
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Civ. 3e, 27 avr. 2017, FS-P+B, n° 16-10.753 Le nouveau propriétaire d'un moulin assigna en justice le propriétaire des parcelles sur lesquelles étaient situés les biefs, en vue d'obtenir l'interdiction de faire obstacle à son passage sur les francs-bords du canal dont il revendiquait l'entière propriété afin de pouvoir remettre en fonction l'ouvrag...
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Civ. 3e, 18 mai 2017, FS-P+B, n° 16-16.627 Ayant fait l'acquisition d'un bien en l'état futur d'achèvement auprès d'un promoteur, un couple s'est vu livrer une maison dont les façades n'étaient pas de la couleur attendue. Invoquant l'obligation de délivrance conforme en vertu de laquelle le vendeur en l'état futur d'achèvement (VEFA) est tenu de li...
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CE 24 mai 2017, req. n° 396062 Handicapé à 80 %, M. A. occupait un logement social à Montpellier mais sollicitait, depuis 2002, un nouveau logement à Nice. En août 2012, il présenta devant la commission de médiation des Alpes-Maritimes une demande tendant à se voir reconnaître comme prioritaire et devant être relogé en urgence, au vu de son handica...
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Civ. 3e, 18 mai 2017, FS-P+B+R+I, n° 16-11.203 Il paraissait acquis depuis 2006 que le tiers victime pouvait, en cas de dommage, invoquer une inexécution contractuelle sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Les vents paraissaient favorables à l'assimilation des fautes contractuelles et délictuelles. Pourtant l'arrêt de censure rapporté ...
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Civ. 3e, 24 mai 2017, FS-P+B, n° 16-15.750 Avant la loi Alur du 24 mars 2014, la réévaluation du loyer pouvait en effet être proposée par le bailleur lors du renouvellement du contrat à la condition de rapporter la preuve d'une sous-évaluation manifeste. Depuis la loi Alur, cette faculté est maintenue, mais uniquement hors zone tendue (L. 6 juill. ...
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Civ. 3e, 1re juin 2017, FS-P+B+I, n° 16-14.428 En matière de vente immobilière, le notaire doit procéder aux vérifications utiles et attirer l'attention des parties sur la nature et l'étendue des droits et obligations contractées. Il lui appartient également de les informer sur les risques engendrés par les actes auxquels il va donner la forme auth...
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Civ. 3e, 22 juin 2017, FS-P+B+I, n° 16-22.073 L'article 8, alinéa 1er, du décret du 17 mars 1967 impose au syndic de copropriété de faire droit à une demande de convocation de l'assemblée générale des copropriétaires émanant soit du conseil syndical, soit d'un ou de plusieurs copropriétaires représentant au moins un quart des voix de l'ensemble des...
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Aux termes de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, une autorisation administrative préalable est requise en cas de changement de l'usage de locaux destinés à l'habitation dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Toute c...
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