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Les voies d’exécution ne font pas toujours bon ménage avec les procédures collectives, comme en témoigne un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2021. En l’espèce, M. X. a été déclaré coupable des faits de violence à l’encontre de Mme Y. par jugement d’un tribunal correctionnel du 26 mai 2011. Par la suite, un tribunal de commerce a ouvert, à l’encontre de l’auteur des faits, une procédure de redressement judiciaire le 21 mars 2012 et a adopté un plan de redressement le 21 novembre de la même année. Par jugement du 2 octobre 2014, un tribunal de grande instance a déclaré M. X. responsable des conséquences dommageables de l’infraction et fixé la créance de Mme Y. à certaines sommes. La commission d’indemnisation des victimes d’infraction ayant alloué à Mme Y., le 9 novembre 2016, la somme de 34 705 € à titre de dommages-intérêts, la décision a été signifiée à M. X. le 31 mars 2017 et le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) s’est acquitté de cette somme. Puis, les 5 avril et 20 juin 2017, ce dernier, subrogé dans les droits de la victime, a fait procéder à deux saisies-attributions sur le compte de M. X., que celui-ci a contestées devant un juge de l’exécution qui, par jugement du 23 novembre 2017, a dit que l’action en contestation de la seconde saisie était irrecevable et débouté M. X. de sa demande de mainlevée de la première.

La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 26 juin 2018, rejette les moyens tirés de l’inopposabilité à l’égard de M. X. de la créance de la victime et déboute celui-ci de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution du 20 juin 2017, au motif que le texte même de l’article 706-11 du code de procédure pénale indique bien que le FGTI est en droit d’obtenir auprès de la personne déclarée responsable du dommage le remboursement des indemnisations versées à la victime, que M. X. a bénéficié d’un plan de continuation adopté le 21 novembre 2012, soit antérieurement à la décision fixant le montant précis de l’indemnisation, que l’adoption du plan a mis fin à la période d’observation et a remis le débiteur en capacité de gérer son entreprise sous réserve des mesures imposées par ce plan, que dès lors, les créances nées après l’adoption du plan relèvent du droit commun et doivent être payées à l’échéance.
L’intéressé se pourvut donc en cassation, arguant du fait que le subrogé n’a pas plus de droits que son subrogeant au lieu et place duquel il agit et que Mme Y. n’a jamais eu de créance à son égard dans la mesure où le jugement du 2 octobre 2014, qui sert de fondement à la saisie-attribution du 20 juin 2017, ne prononce aucune condamnation à l’encontre de M. X., en redressement judiciaire à cette date. En outre, Mme Y. n’a déclaré aucune créance indemnitaire au passif de cette procédure collective, de sorte que le Fonds ne pouvait se trouver subrogé dans des droits en réalité inexistants du subrogeant.

La Cour régulatrice se laisse convaincre par l’argument. Elle considère en effet, au visa des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution et 706-11 du code de procédure pénale, que « La décision rendue par une juridiction, qui se borne à constater une créance et à en fixer le montant dans le cadre d’une procédure collective, ne constitue pas un titre exécutoire et ne peut, dès...

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On définit traditionnellement l’astreinte comme une mesure comminatoire de nature judiciaire qui permet d’exercer une pression financière sur le débiteur afin qu’il procède à l’exécution de la décision de justice exécutoire prononcée à son encontre et, pour ce faire, qu’il respecte l’obligation constatée dans ce titre. À cet égard, on la présente comme une mesure de contrainte sur la personne ou une « voie indirecte et exceptionnelle d’exécution » (CEDH 25 janv. 2000, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, req. n° 31679/96, § 111, RTD civ. 2001. 451, obs. J.-P. Marguénaud ). Elle se distingue en cela des saisies (mobilières ou immobilière) qui s’analysent en des mesures in rem.

La question se pose de savoir ce qu’il en est lorsque l’obligation principale, mise à la charge du débiteur dans la décision de condamnation, est finalement exécutée par un tiers. La présente affaire donne l’occasion à la Cour de cassation d’y apporter une importante réponse.

À la suite de désordres apparus dans des locaux d’habitation, un litige survient entre des locataires et leur bailleur. Les premiers obtiennent d’une cour d’appel la condamnation du second à confier, au bureau d’études « structure » de son choix, différentes missions (à savoir, notamment, procéder à la recherche de la descente de charges de l’immeuble entier, en recherchant les poussées latérales sur les murs porteurs). Il s’agit d’une condamnation sous astreinte, laquelle est fixée à 100 € par jour de retard passé un délai de deux mois à dater de l’arrêt, soit à compter du 21 août 2016. Saisie par les locataires, cette cour d’appel a par la suite décidé de liquider l’astreinte à une certaine somme pour la période s’achevant le 22 octobre 2017. En revanche, elle les a déboutés concernant leurs autres demandes tendant à prendre en considération la période subséquente à cette date pour établir le montant de l’astreinte due par le bailleur. Afin d’étayer la solution ainsi retenue, les conseillers d’appel tirent argument de la circonstance que, le 23 octobre 2017, a été conclu un contrat entre un bureau d’études « structure » et le syndic de copropriété. Les locataires forment alors un pourvoi, en faisant notamment valoir que le montant de l’astreinte aurait dû être liquidé au regard du comportement du seul bailleur ; les démarches de la copropriété dont le bailleur fait partie ne devant pas, selon eux, être prises en considération.

Le pourvoi est cependant rejeté. Sur la base des articles L. 131-1 et L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution – dont la violation était excipée par les auteurs du pourvoi –, les hauts magistrats affirment en effet que, « dès l’instant où l’obligation assortie d’une astreinte a été exécutée, fût-ce par un tiers, l’astreinte ne peut plus donner lieu à liquidation pour la période de temps postérieure à cette exécution, sauf si le créancier justifie d’un intérêt légitime à ce qu’elle soit exécutée par le débiteur lui-même » (arrêt, pt 6). En somme, pour établir le montant de l’astreinte due, il a été tenu compte des démarches du tiers (le syndic de la copropriété de l’immeuble) venant pallier le manque de diligence du bailleur.

Cette solution – qui, en l’absence de précision contraire, paraît concerner l’astreinte provisoire, comme l’astreinte définitive – invite à brièvement faire le point sur les prérogatives respectives du créancier, du débiteur et des tiers.

En premier lieu, il convient de noter que si, dans cette affaire, les locataires n’ont pas obtenu gain de cause, les créanciers ne sont pas totalement dépourvus pour autant par le principe ici consacré. Ainsi que l’a indiqué la Cour de cassation, il leur est possible d’alléguer « un intérêt légitime » à ce que l’obligation litigieuse soit exécutée par le débiteur lui-même (arrêt, pt 6). On peut imaginer qu’il pourrait en être ainsi lorsque la bonne exécution d’une obligation – notamment de faire – nécessite un savoir-faire, une aptitude ou des connaissances spécifiques que seul le débiteur détient. Il faudra néanmoins être attentif à l’interprétation et au contrôle que feront les juridictions de cette notion d’« intérêt légitime ». Des clarifications seront bienvenues à l’égard de la façon et du moment où cet intérêt peut être mis en avant. À ce sujet, il faut naturellement éviter que les créanciers fassent un usage dilatoire de cette prérogative.

En deuxième lieu, la prise en compte des diligences du tiers n’est pas subordonnée à la démonstration, par le débiteur, de l’existence d’une « cause étrangère » ou de « difficultés sérieuses rencontrées dans l’exécution » (arrêt, pt 7). Pour rappel, conformément à la lettre de l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, lors de la phase de la liquidation, ces événements permettent respectivement de supprimer – en tout ou partie – l’astreinte (provisoire ou définitive) ou de minorer le montant de l’astreinte (provisoire). Cependant, dans les hypothèses visées par cet article, on considère, dans un premier temps, que l’astreinte est potentiellement due (il s’agit d’un « droit virtuel » pour le créancier : en ce sens, v. R. Perrot et P. Théry, Procédures civiles d’exécution, 3e éd., Dalloz, 2013, spéc. p. 92, n° 87) et, dans un second temps, que les circonstances subies par le débiteur permettent d’en diminuer le taux lors de sa liquidation ou de la supprimer partiellement ou totalement. À l’inverse, l’exécution par un tiers de l’obligation assortie d’une astreinte marque la fin de la période où l’astreinte est due. Pour le dire autrement, s’agissant de la phase postérieure à l’exécution de l’obligation constatée dans la décision de justice, l’astreinte n’a plus lieu d’être. On ne se situe donc pas sur le même plan.

En troisième lieu, la latitude reconnue aux tiers devrait être largement fonction de la nature de l’obligation à exécuter. À ce propos, on relève que, dans le présent arrêt, la Cour de cassation prend soin de préciser que non seulement le bailleur avait pris attache avec un bureau d’études « structure » et n’avait finalement pas signé la proposition d’honoraires établie par ce dernier, mais également que le syndic de copropriété de l’immeuble avait contracté avec ce même bureau à raison du même devis (arrêt, pt 7). Pour l’heure, il est toutefois bien délicat d’en tirer des conclusions définitives et générales sur la prise en compte des diligences des tiers.

On sait que la législation relative aux clauses abusives est (trop ?) protectrice des intérêts du consommateur, mais elle ne saurait dispenser ce dernier de faire preuve de bonne foi, sous peine d’être privé de son bénéfice (rappr. C. consom., art. L. 711-1, al. 1er : « Le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi »). Tel est l’enseignement que l’on peut tirer de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 janvier 2021. En l’espèce, suivant offre acceptée le 30 novembre 2011, une banque a consenti un prêt immobilier à deux emprunteurs. Les conditions générales du contrat prévoyaient à l’article 9-1 une exigibilité du prêt par anticipation, sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l’emprunteur, dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur. Soutenant que les emprunteurs avaient produit de faux relevés de compte à l’appui de leur demande de financement, la banque s’est prévalue de l’article précité pour prononcer la déchéance du terme, puis les a assignés en paiement. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 août 2018, a accueilli cette demande, après avoir exclu le caractère abusif de l’article 9.1 des conditions générales du contrat. Les emprunteurs se sont donc pourvu en cassation, arguant notamment de l’ancien article R. 132-2, 4° (devenu R. 212-2, 4°, nouv.) du code de la consommation, présumant simplement abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable » (cette présomption est toutefois écartée pour certaines opérations en vertu de l’article R. 212-3 du code de la consommation). Mais la Cour de cassation ne se laissa pas convaincre par l’argument, considérant que « l’arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt et ne prive en rien l’emprunteur de recourir à un juge pour contester l’application de la clause à son égard. Il ajoute qu’elle sanctionne la méconnaissance de l’obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt » (pt 4). Elle en conclut que, « de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a implicitement mais nécessairement retenu que la résiliation prononcée, ne dérogeait pas aux règles de droit commun et que l’emprunteur pouvait remédier à ses effets en recourant au juge, a déduit, à bon droit, que, nonobstant son application en l’absence de préavis et de défaillance dans le remboursement du prêt, la clause litigieuse, dépourvue d’ambiguïté et donnant au prêteur la possibilité, sous certaines conditions, de résilier le contrat non souscrit de bonne foi, ne créait pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » (pt 5).

À première vue, la solution peut paraître contraire à l’article R. 212-2, 4°, du code de la consommation, dont elle heurte à l’évidence la lettre. En effet, comme susdit, ce texte fustige la possibilité pour le professionnel de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable (pour une critique de cette référence au caractère raisonnable de la durée du préavis, v. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier et J. Ghestin (dir.), Les contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., 2018, LGDJ, n° 946 ; v. égal. C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 585, 2018, n° 444). A fortiori, l’on doit donc considérer que l’absence pure et simple de préavis tombe sous le coup de cette disposition. Toutefois, l’existence d’un motif légitime peut en réalité justifier la stipulation d’une clause a priori sujette à caution parce que consacrant au profit du professionnel une prérogative unilatérale. D’abord, l’annexe à la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, contenant une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives, permet d’étayer cette considération, tout particulièrement son point g), qui vise les clauses ayant pour objet ou pour effet « d’autoriser le professionnel à mettre fin sans un préavis raisonnable à un contrat à durée indéterminée, sauf en cas de motif grave ». Ensuite, l’étude des recommandations de la Commission des clauses abusives ainsi que de la jurisprudence révèle également que l’existence d’un tel motif peut justifier ce type de clause. Comme l’affirme à juste titre un auteur, citant de nombreuses recommandations et décisions en ce sens, « le caractère injustifié ou justifié de la prérogative unilatérale conférée au professionnel influe sur le caractère abusif ou non de la clause qui l’organise. En effet, dès lors que la stipulation de cette prérogative s’explique par un motif légitime, elle perd ses caractères arbitraire et abusif. Cela ressort, encore une fois, de la pratique […]. L’exemple le plus probant est sans doute celui de la clause de résiliation unilatérale par le professionnel. Elle est abusive dès lors qu’elle peut être invoquée, même sans motif légitime » (C.-L. Péglion-Zika, op. cit., nos 452 et 453).

En l’occurrence, il est évident que la fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt constitue un motif légitime permettant de justifier la clause de résiliation sans préavis. En d’autres termes, l’absence de bonne foi du consommateur permet de légitimer la faculté de résiliation sans préavis stipulée au profit du prêteur.

Certes, les juges du fond avaient jugé la clause litigieuse non abusive sans prendre la peine de constater que la banque avait renversé la présomption posée par l’article R. 212-2 du code de la consommation, alors que ce texte impose précisément au professionnel de « rapporter la preuve contraire » (v. égal. C. consom., art. L. 212-2, al. 5, seconde partie : « en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse » ; sur la notion de clause grise, v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 103). Mais il ne faut pas oublier que l’article R. 632-1 du code de la consommation prévoit, en son alinéa 2, que le juge « écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat » (sur ce relevé d’office, v. J.-D. Pellier, op. cit., nos 112 et 327). Il est possible de considérer, a contrario, nous semble-t-il, que, si les éléments du débat font apparaître que la clause litigieuse ne présente pas de caractère abusif, alors le juge ne doit pas l’écarter. Le professionnel peut donc également être avantagé par ce texte, principalement conçu en faveur du consommateur.

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Simple constatation du désintérêt des plaideurs pour leur cause, forme larvée de désistement voire outil de gestion du rôle, la péremption d’instance peut recevoir de multiples qualifications (C. Atias, La péremption d’instance entre deux eaux : sanction des parties et gestion du rôle, D. 2004. 2874 ). À ces nombreuses appellations s’ajoute un certain nombre de règles. Parmi elles, nous retrouvons celle du premier alinéa de l’article 388 du code de procédure civile : à peine d’irrecevabilité, la péremption d’instance doit être demandée ou opposée avant tout autre moyen. Simple en apparence, le principe suscite un contentieux important et constitue un art que doit maîtriser le plaideur.

Courant 2003, le commandant d’un navire était victime d’un chargement défectueux d’une cargaison de conteneurs par une société de manutention portuaire. Une partie de la cargaison sera perdue en mer et l’autre détériorée sur le pont du navire. Ce sinistre va donner lieu à un contentieux arbitral et judiciaire entre la société de manutention et celle opérant le navire. La société de manutention est assignée en 2003 devant le juge des référés du tribunal de commerce, lequel désignera un expert judiciaire avec pour mission de déterminer les causes du sinistre. En outre, l’assureur de la société opérant le navire – attrait devant les juridictions canadiennes et américaines – a assigné devant le tribunal de commerce la société manutentionnaire en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées. Le tribunal de commerce a sursis à statuer dans l’attente du rapport d’expertise et de l’issue des procédures outre-Atlantique. Par conclusions du 22 septembre 2009, l’assureur a repris la procédure devant le tribunal de commerce et la société manutentionnaire lui oppose la péremption de l’instance. Bien que recevable, cette demande sera toutefois écartée après le constat de diverses diligences interruptives de péremption (ce qui a d’ailleurs donné lieu dans cette même affaire à...

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« Quand le vin est tiré, il faut le boire », dit le dicton populaire, laissant deviner par là qu’il faut aller au bout de ses affaires… mais à condition qu’il soit bon, ce vin, faudrait-il ajouter ! Quand il a un goût de bouchon, il est parfois préférable de faire marche arrière, comme s’efforcera de le faire le viticulteur dans cette affaire.

Un exploitant viticole fait appel à une société afin de filtrer, de dégazer et de procéder à l’électrodialyse de son millésime 2014 avant de le mettre en bouteille. Cette société fait intervenir le fabricant de l’appareil d’électrodialyse pour préparer la machine. Le fabricant procède au traitement de la machine à l’aide de produits – acide nitrique et lessive de soude – qui ont été acquis auprès d’une société tierce. Le lendemain de l’utilisation de ces produits, un « goût de bouchon » est détecté dans les vins. L’exploitant viticole et le fabricant de la machine assignent en responsabilité et indemnisation le fabricant des produits incriminés dans les désordres organoleptiques.

La cour d’appel est saisie, notamment, d’une demande d’indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux (C. civ., art. 1245 s.). Elle rejette les demandes de l’exploitant et du fabricant de la machine. Le premier forme alors un pourvoi principal, le second forme un pourvoi incident. Les demandeurs reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir retenu la défectuosité des produits au motif qu’aucun danger anormal et excessif n’était caractérisé et que la pollution du vin ne pouvait nuire à la santé du consommateur.

Il se posait, devant la Cour de cassation, la question de savoir si des produits utilisés dans une machine visant à effectuer l’électrodialyse d’un vin et responsables de l’altération de son goût pouvaient être considérés comme défectueux au sens des articles 1245 et suivants du code civil.

En réponse au premier pourvoi, la Cour de cassation juge que les juges du fond ont violé l’article 1245-1 du code civil et l’article 1er du décret n° 2005-113 du 11 février 2005. Les juges du droit laissent entendre que les produits mis en cause pouvaient bien être considérés comme défectueux au sens de la loi. Dans le second pourvoi, ils considèrent que les juges du fond ont privé leur décision de base légale. Ils rappellent que la défectuosité du produit s’apprécie au regard de la présentation du produit et de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu. Ils reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir examiné si, au regard des circonstances et notamment de leur présentation et de l’usage qui pouvait en être raisonnablement attendu, les produits dont la défectuosité était invoquée présentaient la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.

Depuis la transposition de la directive 85/374/CEE par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, de nombreuses difficultés d’appréciation ont vu le jour à propos de la responsabilité du fait des produits défectueux. Certaines concernent l’appréciation du caractère défectueux du produit incriminé.

L’article 1245-3 du code civil prévoit à ce propos qu’« un produit est défectueux […] lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Le second alinéa du même article précise que, « dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ». La France a transposé la directive de manière extensive de façon à lui donner une portée plus importante que s’il s’agissait de ne prendre seulement en compte que les vices de fabrication. Ainsi, il est possible de considérer un produit défectueux si le fabricant n’a pas pris les précautions nécessaires pour indiquer la manière d’utiliser le bien, à l’aide d’une notice détaillée par exemple (Civ. 1re, 7 nov. 2006, n° 05-11.604, D. 2006. 2950 ; RDI 2007. 94, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 139, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 438, obs. B. Bouloc ; RDC 2006. 312, obs. J.-S. Borghetti ; 21 juin 2005, n° 02-18.815, D. 2006. 565, obs. A. Astaix , note S. Lambert  ; 22 mai. 2008, n° 06-14.952, Dalloz actualité, 30 mai 2008, obs. I. Gallmeister ; D. 2008. 1544 , obs. I. Gallmeister ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDSS 2008. 578, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 200, obs. B. Bouloc ; JCP 2008. I. 186, obs. P. Stoffel-Munck ; 9 juill. 2009, n° 08-11.073, Dalloz actualité, 22 juill. 2009, obs. I. Gallmeister ; D. 2009. 1968, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; Constitutions 2010. 135, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2009. 723, obs. P. Jourdain ; ibid. 735, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2010. 414, obs. B. Bouloc ). Par ailleurs, les dommages visés peuvent concerner les dommages matériels sur un bien – différent du produit en cause – dont la valeur est supérieure à 500 € (somme...

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Une enfant est née à Paris en 2014 d’une mère marocaine. En avril 2015, la mère, en qualité de représentante légale de sa fille, assigne en recherche de paternité un homme de nationalité française devant le tribunal de grande instance de Meaux.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 18 décembre 2018, a écarté la loi marocaine pour contrariété à l’ordre public international et, faisant application de la loi française, a déclaré recevable l’action en recherche de paternité et ordonné une expertise biologique. Les juges du fond ont estimé que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels par erreur », et n’admet donc pas librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler. La loi marocaine qui ne permet pas l’établissement de la paternité de l’enfant concerné, en l’espèce à l’égard d’un homme qui n’est pas marié à sa mère, est contraire à l’ordre public international français, ce qui justifie sa mise à l’écart et l’application subsidiaire de la loi française.

Le prétendu père se pourvoit alors en cassation. Il soutient que la loi marocaine n’est pas contraire à l’ordre public international puisqu’elle prévoit, ainsi que l’a relevé la cour d’appel, des exceptions qui permettent la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage. Peu importe à cet égard que le droit marocain ne reconnaisse pas le concubinage puisque la loi prévoit bien des dispositions pour établir la filiation paternelle, dans les cas qu’elle énumère, d’un enfant né hors mariage. Enfin, le demandeur au pourvoi estime que les juges du fond ont dénaturé la loi marocaine qui, par des dispositions claires et dénuées d’ambiguïté, prévoit deux hypothèses dans lesquelles la paternité hors mariage peut être établie. La cour d’appel, en écartant la loi marocaine, aurait...

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Les chaînes de contrats sont un laboratoire d’expérimentation particulièrement riche pour les actions en responsabilité. La situation factuelle ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 17 décembre 2020 reste pour le moins assez originale tant les difficultés juridiques se sont superposées. Une célèbre fonderie castelbriantaise confie par deux contrats à une société (la société K…) la livraison, le montage et la mise en route d’un cubilot « à vent chaud », pour remplacer deux cubilots « à vent froid ». Les contrats sont datés respectivement du 6 février 2004 et du 27 mars 2004. La société K… chargée de la livraison et du montage s’approvisionne en tuyères auprès de sa société mère (la société KKG), dont le siège est en Allemagne (ndlr : les tuyères sont des ouvertures permettant de recevoir le bec des soufflets dans une fonderie). La société mère a elle-même commandé ces éléments auprès d’une troisième société également régie par le droit allemand (la société R…). L’installation a été mise en service le 30 août 2004. Le soir venu, de puissantes explosions dans le cubilot interviennent. Le système est arrêté et les tuyères sont changées par celles stockées comme pièces détachées et commandées auprès de la même société. Une autre explosion intervient le 6 septembre de la même année. Le 13 septembre 2004, l’installation a pu redémarrer, après de notables modifications ainsi que par le remplacement pur et simple des tuyères venant maintenant d’un autre fournisseur et d’un modèle antérieur. La fonderie assigne alors la société K…, avec qui elle a conclu le contrat de livraison, et son assurance en indemnisation de son préjudice chiffré à la bagatelle de 4 040 306 € pour son préjudice actuel et certain et à une somme de 10 800 000 € pour son préjudice futur.

Les difficultés sont très nombreuses dans cet arrêt et, pour plus de clarté, nous exposerons les différentes questions les unes après les autres sans rappeler directement l’intégralité de l’économie de la solution. L’arrêt étant long de trente-sept pages, dont dix-sept sans les moyens annexes, cette approche facilitera cette brève observation de la décision. Notons que deux pourvois ont été joints et certains moyens ont donc été analysés par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

L’arrêt insiste tout d’abord sur la portée de certaines clauses. D’une part, une première dans le bon de commande de la fonderie qui prévoyait que « les pénalités de retard sur la date de mise en production (le 30 août 2004) avec une franchise de deux jours, pour des raisons imputables au fournisseur, s’élèvent à 0,5 % du montant global HT de la commande par jour entier de retard jusqu’à un montant maximum de 5 % du montant du marché. Le paiement de ces pénalités est libératoire pour les dommages subis par la fonderie quant aux seules conséquences du retard ». La cour d’appel de Paris a écarté l’application de cette clause car les explosions postérieures à la mise en route ne peuvent pas être assimilées à un retard. Le but recherché par la société K… était évidemment de plafonner le montant de l’indemnisation en assimilant les explosions à un retard dans la mise en service. Certes, l’argument peut se comprendre en ce sens que les explosions ont bien causé une certaine difficulté dans la mise en route. Mais le système a fonctionné : une première fois quelques heures, une seconde quelques jours. Ainsi, la clause ne régit donc pas l’accident en lui-même mais une situation factuelle qui ne s’est pas produite, le retard de la mise en service. Elle reste donc inapplicable au litige et ce moyen n’est pas fondé. Ce n’est pas une solution forcément déterminante : in fine, le retard s’est bien fait ressentir puisque tout le système de tuyères a dû être changé. Il y a donc eu une mise à l’arrêt de quelques jours. Mais la rédaction de la clause ne permettait pas vraiment d’inclure ce raisonnement. La haute juridiction se contente ici de la date de mise en service, fidèle à ce qui avait été prévu initialement. Le conseil à donner aux rédacteurs de ces contrats réside donc dans la précision des situations envisagées pour limiter l’indemnisation.

D’autre part, l’assureur de la société R… – maillon extrême de la chaîne qui livre les tuyères – se prévalait d’une exclusion de garantie, exclusion refusée par la cour d’appel. L’assureur avance devant la Cour de cassation une lecture fidèle à la volonté des parties de la clause d’exclusion de garantie dite « clause de mise à l’épreuve » (Erprobungsklausel). Mais il faut noter la motivation employée par la cour d’appel de Paris, citant le rapport d’expertise précisément : « qu’aucun des moyens couramment employés dans l’industrie ne permettait de détecter le vice interne qui affectait les tuyères avant leur mise en service et que ce vice de construction présentait même un caractère pernicieux en ce sens qu’il ne pouvait être révélé ni par une anomalie de débit de circulation de sortie des tuyères ni par les alarmes de température qui équipaient le circuit ». Ainsi, ce vice interne dans les tuyères n’était pas la conséquence d’un fait de la société R… les ayant livrées. La clause de mise à l’épreuve ne pouvait donc pas s’appliquer, celle-ci étant limitée in fine, « et ce, selon l’état des sciences et de la technique ». Or l’absence de possibilité de détection a été caractérisée par la cour d’appel dans son exercice d’appréciation souveraine. Sur ce point, on ne peut qu’accueillir favorablement cette solution qui permet de faire jouer le rôle véritable de l’assurance. La société R… avait procédé à des vérifications et elle ne pouvait donc pas tomber sous le joug de l’insuffisance des tests de la clause de mise à l’épreuve. À l’impossible, nul n’est tenu !

Mais la société R… n’avait pas pour autant été indemnisée par son assureur en raison d’une interprétation discutable d’une partie du contrat d’assurance. La clause A 15.6 prévoyait, en effet, que les demandes « résultant d’une activité de conception […] pour des dommages aux biens qui ont fait l’objet de cette activité » n’étaient pas assurées. Pour appliquer une telle clause, l’arrêt d’appel se fondait en grande partie là encore sur le rapport d’expertise. Ainsi, elle avait estimé que « certaines libertés prises par le fabricant des tuyères, la société R…, vis-à-vis des instructions communiquées par le concepteur du cubilot et des tuyères ont pu sensiblement accentuer l’effet des vices internes de construction des tuyères ». Mais cette motivation peine à convaincre la Cour de cassation qui insiste sur la clarté de la clause 15.6 citée précédemment qui ne prévoyait pas une exclusion des préjudices liés à la fabrication. Ainsi, sans exclusion expressément prévue, il faut considérer que les contractants n’ont pas voulu inclure ce préjudice précis dans le champ de l’exclusion de garantie. C’est une lecture assez classique de la force obligatoire des contrats qui ne laisse aux juges du fond qu’une marge de manœuvre très réduite dans l’interprétation du contenu contractuel. Quand celui-ci est clair, il convient de ne pas le dénaturer. La violation de la loi est très fréquente sur ce fondement. Mais ici, on peut raisonnablement se demander si la clarté régnait. On peut en douter et la solution voulue par la Cour de cassation ne pourra pas convaincre tous les lecteurs. Il faut probablement y voir une volonté d’éviter une mise en jeu de l’exclusion de la garantie trop aisée.

Un problème s’élevait ensuite sur l’octroi du bénéfice de subrogation à l’assureur de la société K… (celle qui a directement contracté avec la fonderie pour la livraison des cubilots). La cour d’appel avait admis ce bénéfice de subrogation par la présence d’une clause limitative de responsabilité empêchant tout recours subrogatoire dans les droits de l’assuré. Nous passerons volontairement sur le problème sous-jacent de droit international privé puisqu’il n’est pas soulevé par la Cour de cassation, le contrat de livraison des tuyères étant régi par le droit allemand. Rappelons que le bénéfice de subrogation permet à l’assureur d’être déchargé de son obligation si l’assuré commet une faute de nature à compromettre le recours subrogatoire de l’assureur (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, p. 463, n° 656). La règle est fondamentale en ce qu’elle permet de sauvegarder tout l’équilibre de la contribution à la dette et le paiement seulement provisoire du tiers solvens à chaque fois qu’un tel mécanisme est prévu par la loi. Encore fallait-il caractériser cette faute, ce qui faisait défaut dans l’arrêt de la cour d’appel de Paris. La cassation pour défaut de base légale est ici, là encore, très classique : elle intervient à chaque fois que les juges du fond n’ont pas déterminé précisément la faute de nature à mettre en danger le recours subrogatoire. On perçoit également une volonté de préserver l’intérêt de l’assurance par sa mise en jeu. L’octroi trop aisé d’un bénéfice de subrogation conduit nécessairement à réduire l’intérêt de l’assurance. Il ne s’agit que d’un mécanisme exceptionnel permettant de ne pas avoir à subir le poids définitif de la dette et non une porte de sortie pour éluder le paiement. Restait un problème lié aux conséquences de la cassation sur les dépens et les frais irrépétibles. La cassation des chefs de dispositif liés à ces raisonnements intervient également en cascade.

Voici une solution très dense dans laquelle la force obligatoire des contrats occupe une place centrale. L’interprétation des juges du fond est ainsi limitée quand les clauses sont suffisamment claires. Mais il reste tout de même quelques difficultés parfois à connaître le domaine exact de cette clarté contractuelle que la Cour de cassation rappelle ici. On remarquera que la jonction des deux pourvois pour connexité entraîne une décision très dense où l’on peut volontiers confondre les différents assureurs de cette chaîne pourtant très classique de contrats. Il faut donc louer la nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation qui permet de bien se situer dans n’importe quelle partie de l’arrêt. En dépit de ces difficultés, cette solution présente donc toute une série de précisions connues mais toujours utiles à évoquer.

M. G…H…, de nationalité française, et Mme R…, de nationalité russe et américaine, se sont mariés à Paris en 1991 sous le régime de la séparation de biens, par contrat reçu par un notaire en France. Ils se sont ensuite installés aux États-Unis où sont nés leurs deux enfants.

En novembre 2001, l’épouse a saisi la Supreme Court de l’État de New York d’une requête en divorce. Par decision and order du 28 juin 2002, le juge Lobis a rejeté la demande de M. G…H… tendant à voir dire le contrat de mariage français valide et exécutoire, et a écarté l’application de ce contrat. Le juge Goodman a ensuite rendu une trial decision le 3 octobre 2003, puis un judgement of divorce le 9 janvier 2004, lequel a prononcé le divorce aux torts du mari, confié la garde des enfants mineurs à la mère avec un droit de visite et d’hébergement au profit du père, en précisant que la mère devrait consulter le père sur toutes les décisions significatives concernant les enfants mais qu’elle aurait le pouvoir de décision finale, fixé les modalités de contribution du père à l’entretien et l’éducation des enfants, alloué à l’épouse une pension alimentaire mensuelle pendant sept ans et statué sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux. En mai 2005, la cour d’appel de l’État de New York a partiellement réformé la décision sur la liquidation des intérêts patrimoniaux, en disant notamment que l’intégralité du solde du produit de la vente de l’appartement new-yorkais devait revenir à M. G…H….

L’ex-épouse a saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une demande d’exequatur des décisions du 3 octobre 2003 et du...

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Au mois de mai 2013, une personne a subi une intervention chirurgicale à visée exclusivement esthétique, à savoir un lifting cervico-facial. Malheureusement, à cette occasion, elle a développé une infection nosocomiale très virulente dont elle est décédée le 26 mai 2013.

Le 13 juin 2013, les proches de la victime ont assigné en référé la clinique, les médecins, ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie aux fins de voir organiser une expertise et d’obtenir le paiement d’une indemnité provisionnelle. Par ordonnance du 17 juin 2013, le juge des référés a fait droit à la demande d’expertise médicale, mais a rejeté la demande de provision. Les proches de la victime ont ensuite assigné au fond, le 20 juillet 2015, la clinique, les médecins, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et la CPAM en indemnisation de leurs préjudices.

Suivant jugement du 9 juin 2016, le tribunal de grande instance de Nîmes a notamment rejeté les demandes indemnitaires formulées à l’encontre de la clinique et condamné l’ONIAM au paiement de diverses sommes en réparation des préjudices subis.

La cour d’appel de Nîmes, par arrêt du 25 octobre 2018, a infirmé la décision de première instance et a jugé que l’indemnisation des préjudices subis était à la charge de la clinique.

Cette dernière a formé un pourvoi principal en cassation fondé sur deux moyens. Elle faisait valoir, d’une part, que la cour d’appel aurait violé l’article 70, II, de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014. Selon elle, l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique, excluant le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale pour les demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité thérapeutique, n’était pas applicable dès lors que la première demande d’indemnisation des proches de la victime avait été formulée antérieurement à la date d’entrée en vigueur du texte. D’autre part, la clinique soutenait que l’ONIAM n’avait formé aucune demande à son encontre de sorte que la cour d’appel avait statué extra petita, violant ainsi notamment l’article 954 du code de procédure civile.

Deux questions sont ainsi posées à la Cour de cassation.

Les proches de la victime avaient-il formulé, par la saisine du juge des référés, une demande d’indemnisation antérieure au 31 décembre 2014, permettant ainsi d’exclure l’application de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique ?

En l’absence de demande formée par l’ONIAM à l’encontre de la clinique, les juges du fond pouvaient-ils condamner cette dernière au paiement des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la victime et ses proches ?

Finalement, la question de la charge de l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale a soulevé des interrogations de nature procédurale relatives, d’une part, à l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique et, d’autre part, à l’étendue de la saisine de la cour d’appel.

L’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique. L’article 70 de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 a introduit au sein de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique une limitation au dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale. Sont ainsi exclues du champ d’application de ce dispositif, les « demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi ». Cette restriction vise principalement à évincer du champ de l’indemnisation par la solidarité nationale les « dommages, même graves, consécutifs à des actes relevant de pure convenance personnelle » (M. Olivier Véran, député, Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, t. II, « Assurance maladie », 16 oct. 2014, spéc. art. 50 du projet de loi). Ainsi, l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale contractée à l’occasion d’un acte de chirurgie à visée exclusivement esthétique ne peut plus relever de la solidarité nationale.

Toutefois, l’article 70, II, de la loi du 22 décembre 2014 prévoit que les dispositions de l’article L. 1142-3-1 ne sont applicables qu’aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014. Il s’agissait donc, en l’espèce, de fixer la date de la demande d’indemnisation afin de déterminer le régime correspondant. En effet, pour les demandes antérieures au 31 décembre 2014, seul était applicable l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, lequel prévoit une indemnisation par la solidarité nationale lorsque les dommages consécutifs à une infection nosocomiale sont d’une certaine gravité. En l’espèce, la patiente étant décédée, l’ONIAM aurait été tenu à réparation.

Les proches de la victime avaient formulé une demande d’indemnisation au fond en juillet 2015, mais ils avaient également saisi, au mois de juin 2013, le juge des référés aux fins notamment d’obtenir une indemnité provisionnelle. Cette saisine du juge des référés permettait-elle de considérer que la demande d’indemnisation était antérieure au 31 décembre 2014 ?

La Cour de cassation, après avoir rappelé l’évolution du régime d’indemnisation des dommages consécutifs à des actes de chirurgie esthétique (citant, en ce sens, une décision antérieure à la loi du 22 décembre 2014 qui avait ouvert droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale), répond de la manière suivante : « La cour d’appel en a déduit, à bon droit, qu’étaient applicables les dispositions de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique, de sorte que l’indemnisation des dommages subis […] n’incombait pas à l’ONIAM. » Reprenant les motifs des juges d’appel, elle énonce que le juge des référés, en rejetant par ordonnance du 17 juillet 2013 la demande de provision, a été vidé de sa saisine et que la demande d’indemnisation au fond a été formée postérieurement au 31 décembre 2014. La solution n’est pas complètement nouvelle puisque le Tribunal des conflits avait déjà eu l’occasion de statuer en ce sens, retenant que le juge judiciaire, qui s’était prononcé par ordonnance de référé sur une demande de provision, n’avait été saisi d’aucune demande d’indemnisation (T. confl. 28 févr. 2011, n° 3750, M.-C. de Montecler, Juge compétent pour les dommages causés par les transfusions sanguines, Dalloz actualité, 16 mars 2011 ; Lebon ; AJDA 2011. 482 ). La solution est logique dans la mesure où l’allocation de dommages et intérêts impose de statuer au fond, l’attribution d’une provision par le juge des référés pouvant d’ailleurs toujours être remise en cause par la décision du juge statuant au principal (v. not., en ce sens, Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse, Université Robert-Schuman de Strasbourg, 1993, spéc. p. 531 s.).

L’étendue de la saisine de la cour d’appel. La Cour de cassation, au visa de l’article 954 du code de procédure civile, casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes aux motifs que cette dernière « n’était saisie d’aucune demande tendant à mettre à la charge de la clinique l’indemnisation des préjudices subis par les consorts […] ». Les conclusions d’appel des proches de la victime avaient été déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état, de sorte que l’ONIAM et la clinique étaient les seules parties concluantes. Or l’ONIAM, appelante, avait demandé, à titre principal, qu’il soit jugé que l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique n’était pas applicable et qu’il soit décidé, en conséquence, sa mise hors de cause. La clinique, quant à elle, avait demandé que le jugement entrepris soit confirmé en ce qu’il avait mis à la charge de l’ONIAM l’indemnisation des dommages subis par la victime et ses proches. Les parties s’opposaient donc sur le régime d’indemnisation applicable. La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, conclut, comme cela vient d’être exposé, à l’exclusion de l’ONIAM de la prise en charge de l’indemnisation au regard de l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique. Pour autant, la mise hors de cause de l’ONIAM permettait-elle aux juges du fond de statuer consécutivement sur la condamnation de la clinique à la prise en charge de l’indemnisation des victimes ? La Cour de cassation répond par la négative : en l’absence de demande formulée en ce sens par l’ONIAM, les juges du fond ont excédé le champ de leur saisine. La règle selon laquelle « la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance » est appliquée strictement par les juges de cassation. Il était pourtant possible de s’interroger sur l’étendue de la saisine de la cour d’appel. D’une part, l’appel formulé par l’ONIAM était un appel général auquel s’appliquait l’article 562 du code de procédure civile dans sa version antérieure au décret du 6 mai 2017. L’effet dévolutif s’opérait donc pleinement. D’autre part, il était aussi possible de considérer que, quand bien même la déclaration d’appel n’aurait pas critiqué l’ensemble des chefs du jugement, il existait un lien de dépendance suffisant entre la question de la charge de l’indemnisation et celle de la condamnation à réparation du préjudice pour considérer que les juges du fond n’avaient donc pas outrepassé le champ de leur saisine. Ce n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation qui, il est vrai, ne se fonde pas sur l’article 562 du code de procédure civile, mais sur l’article 954 de ce même code. L’étendue de la saisine de la cour d’appel doit donc bien se déterminer au regard de ces deux dispositions. Lorsque l’effet dévolutif est total, les juges d’appel vont juger, à nouveau, en droit et en fait l’entier litige, en considération toutefois des prétentions et moyens que les parties ont formulés au sein des leurs conclusions. Ils ne peuvent se prononcer en l’absence de demande explicitement formulée. En l’espèce, l’ONIAM sollicitait, à titre principal, la réformation totale du jugement sans pour autant demander une quelconque condamnation de la clinique au paiement de dommages et intérêts, se contentant de demander sa mise hors de cause. L’application stricte de l’article 954 du code de procédure civile peut sembler sévère, mais n’est pas dépourvue de cohérence, notamment dans l’hypothèse où il y aurait plus de deux responsables potentiels. En effet, la mise hors de cause de l’un ne suffirait pas à permettre la condamnation d’un autre au bénéfice d’un troisième en l’absence de demande formulée en ce sens. De plus, cette solution s’inscrit également pleinement dans l’application rigoureuse des dispositions relatives à la structuration des conclusions (v. déjà, à ce sujet, antérieurement au décret du 6 mai 2017, C. Bléry, Article 954 du code de procédure civile : questions et réponses, Gaz. Pal. 2014. 29) et notamment de l’alinéa de l’article 954 du code de procédure civile qui prévoit, depuis le décret du 9 décembre 2009, que « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » (v. par ex. Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-11.957, Dalloz actualité, 13 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; Procédures 2014. 139. comm. R. Perrot). En l’espèce, aucune demande de condamnation de la clinique à réparer les préjudices subis n’était formulée par les conclusions d’appel de l’ONIAM, que ce soit au sein des moyens ou du dispositif. La cour d’appel ne pouvait donc, sans excéder ses pouvoirs, statuer au fond dès lors qu’elle n’était saisie d’aucune demande de condamnation à réparation de la clinique. L’étendue de la saisine des juges d’appel questionne ainsi encore et toujours, même pour les litiges auxquels s’appliquent les textes antérieurs à la réforme de 2017 (depuis la réforme de 2017, l’étendue de la saisine des juges d’appel et de l’effet dévolutif interroge également, v., pour un exemple récent, Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol  ; JCP 2020. 336, obs. P. Gerbay ; Procédures 2010, n° 55, obs. H. Croze).

Un jugement américain ne viole pas l’ordre public international, ni en ce qu’il liquide un régime matrimonial sans égard au contrat de mariage reçu en France ni en ce qu’il accorde à la mère la possibilité de prendre seule les décisions relatives à l’autorité parentale.

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Auteur d'origine: apanet

Le jugement de caducité fondé sur l’article 469 du code de procédure civile, qui doit intervenir après un débat contradictoire, ne peut faire l’objet d’un recours en rétractation. La juridiction qui l’admet commet un excès de pouvoir.

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Auteur d'origine: gsansone

L’application des textes relatifs à l’indemnisation de préjudices consécutifs à une infection nosocomiale a été l’occasion, pour la première chambre civile de la Cour de cassation, de répondre, dans un arrêt du 9 décembre 2020, à des questions portant à la fois sur l’application dans le temps de l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique et sur l’étendue de la saisine des juges d’appel.

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Auteur d'origine: Dargent

L’article L. 290-1 du code de la construction et de l’habitation, qui soumet à peine de nullité la conclusion d’une promesse de vente d’une validité supérieure à dix-huit mois à la forme de l’acte authentique, édicte une règle d’intérêt privé. Dès lors, la nullité ne peut être invoquée que par le promettant, seul protégé par la règle, et non le bénéficiaire.

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Auteur d'origine: Agailliard

Le juge chargé du contrôle d’une mesure d’instruction doit respecter le principe de la contradiction et statuer, les parties entendues ou appelées.

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Auteur d'origine: MKEBIR

La Cour rappelle qu’il appartient à la juridiction saisie d’une demande de liquidation et partage de l’indivision existant entre époux séparés de biens de déterminer les éléments actifs et passifs de la masse à partager. Dans cette perspective, elle doit trancher le désaccord des époux quant à l’existence d’une créance à inscrire au passif, peu important le titulaire de celle-ci. À cette occasion, elle se prononce sur la portée de la reconnaissance de cette dette opérée dans le dire envoyé au notaire dans le cadre de la procédure de liquidation.

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Auteur d'origine: mjaoul

En Nouvelle-Calédonie, le délai décennal pour poursuivre l’exécution de titres exécutoires judiciaires est exclu. De tels titres peuvent donc être exécutés dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, c’est-à-dire cinq ans et ce, quelle que soit la nature de la créance constatée par le titre exécutoire.

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Auteur d'origine: jdpellier

Un paiement effectué par l’assureur, substitué à l’assuré, valant paiement de la dette de ce dernier, permet d’écarter l’existence d’un incident de paiement non régularisé.

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Auteur d'origine: jdpellier

Dans le contentieux d’une chaîne de contrats ayant transféré la propriété de bardages en bois, la Cour de cassation rappelle dans un arrêt mêlant procédure civile et contrats spéciaux quelques règles importantes sur l’appel en garantie et ses effets. 

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Auteur d'origine: chelaine

En application des articles 85 et 126 du code de procédure civile, le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé. Cela suppose, en matière de procédure avec représentation obligatoire, le dépôt au greffe de la cour d’appel, avant l’expiration du délai d’appel, d’une nouvelle déclaration régulière. Ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge d’appel au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.

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Auteur d'origine: gsansone

En octobre 1998, Monsieur et Madame X. décident de se marier et optent pour un régime séparatiste. Cinq ans plus tard, ils acquièrent en indivision un appartement au moyen de fonds personnels (et non propres comme on peut le lire dans la décision étant en séparation de biens !) et de divers emprunts. Parmi ces emprunts, un a été accordé par le père de monsieur, à hauteur de 58 000 €, aux fins de financer les frais d’acquisition du bien indivis. Le temps passe mais le mariage n’a pas surmonté le cap de la décennie et, en mars 2008, une ordonnance de non conciliation est émise. La procédure de divorce suit alors un cours classique. Le 5 juillet 2010, le juge de la mise en état a rendu une ordonnance, sur le fondement de l’article 255, 10°, du code civil par laquelle il désigne un notaire afin que soit élaboré un projet de liquidation du régime matrimonial et la formation des lots à partager. Puis, le 2 septembre 2013, un jugement de divorce est prononcé entre les époux. Au terme du jugement, il est ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux du couple.

Un conflit est alors né sur ce dernier point relativement au bien immobilier acquis en indivision. En effet, pendant la procédure de divorce, Madame X. reconnaît, dans le dire adressé au notaire le 20 avril 2012, l’existence de la dette...

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On sait que les titres exécutoires judiciaires sont soumis à un délai de prescription particulier. L’article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution (qui était initialement l’art. 3-1 de la loi n° 91-650 du 9 juill. 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution) dispose en effet, en son alinéa 1er, que « L’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long » (les titres concernés sont plus précisément les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire, les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables, et les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties). Mais cette disposition n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie. L’article 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile prévoit en effet que « La présente loi, à l’exception de son article 6 et de ses articles 16 à 24, est applicable en Nouvelle-Calédonie ». Or, le texte instituant la prescription décennale des titres exécutoires judiciaires est l’article 23 de ladite loi. Cette prescription doit donc être écartée s’agissant de l’exécution des titres judiciaires en Nouvelle-Calédonie. Encore fallait-il déterminer la prescription applicable à ces titres exécutoires, question à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre dans un arrêt du 9 décembre 2020. En l’espèce, suivant acte du 21 février 2006, le Fonds social de l’habitat a consenti à un particulier un prêt destiné à l’acquisition d’un bien immobilier. Par la suite, le 11 janvier 2017, le prêteur a délivré à l’emprunteur un commandement aux fins de saisie immobilière sur le fondement d’un jugement du tribunal de première instance de Nouméa du 8 janvier 2013, devenu irrévocable. Invoquant la prescription de l’action du prêteur, l’emprunteur l’a assigné en annulation du commandement.

La cour d’appel de Nouméa, dans un arrêt du 10 décembre 2018, a déclaré la créance prescrite et a donc fait droit à la demande de l’emprunteur, au motif que « l’article L. 137-2 du code de la consommation ne distingue pas selon le type d’action, et notamment pas entre les actions en paiement en vue d’obtenir un titre exécutoire et celles en recouvrement en vertu d’un tel titre, que ce texte institue un régime de prescription dérogatoire au droit commun applicable à toutes les actions engagées par un professionnel tendant au paiement des sommes dues pour les biens ou les services qu’il a fournis à un consommateur, que le délai de prescription biennal s’applique tant à l’action en vue d’obtenir un titre exécutoire qu’à celle en recouvrement en vertu du titre obtenu et que l’action du prêteur, fondée sur un jugement du 8 janvier 2013, n’a été engagée que le 11 janvier 2017 ».

Le prêteur se pourvut donc en cassation, au motif « qu’en Nouvelle-Calédonie, l’exécution des décisions de justice...

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En matière de crédit à la consommation, les actions en paiement du prêteur sont soumises à une forclusion biennale en vertu de l’alinéa 1er de l’article R. 312-35 du code de la consommation (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 192). L’alinéa 2 du même texte prévoit que « Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l’objet d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l’article L. 732-1 ou après décision de la commission imposant les mesures prévues à l’article L. 733-1 ou la décision du juge de l’exécution homologuant les mesures prévues à l’article L. 733-7 » (la solution est également valable en présence d’un délai de grâce accordé au débiteur sur le fondement de l’art. L. 314-20 c. consom., renvoyant à l’art. 1343-5 c. civ., v. Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-13.790, D. 2015. 1484 ; RTD com. 2015. 735, obs. B. Bouloc ). Encore faut-il s’entendre sur la notion d’incident de paiement non régularisé. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 apporte à cet égard d’utiles précisions. En l’espèce, suivant offres acceptées le 29 janvier 2008, une banque a consenti à un emprunteur deux prêts de 21 000 € et 14 000 € garantis par une assurance. Par la suite, l’emprunteur a fait l’objet d’une procédure de traitement de sa situation de surendettement, qui donné lieu à une décision du 28 février 2013, par laquelle la commission de surendettement a imposé des mesures de redressement à compter du 31 mars de la même année. L’emprunteur n’a alors effectué aucun remboursement et l’assureur a, au titre de la garantie invalidité, réglé à la banque la somme totale de 2 529,75 €. Puis, par acte du 3 août 2015, la banque a assigné l’emprunteur en remboursement du solde des prêts, mais ce dernier lui a opposé la forclusion de l’action.

La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 27 septembre 2018, a déclaré recevable la demande en paiement de la banque et a condamné l’emprunteur au paiement d’une certaine somme. Un pourvoi en cassation fut donc formé par celui-ci, au motif notamment que la régularisation d’un incident de paiement ne peut résulter du paiement fait par l’assureur-emprunteur. Cependant, l’argument ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour régulatrice, qui considère qu’« un paiement effectué par l’assureur, substitué à l’assuré, valant paiement de la dette de ce dernier, permet d’écarter l’existence d’un incident de paiement non régularisé, de sorte qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que la somme de 2 529,75 € avait permis le paiement intégral des échéances des mois d’avril, mai, juin et juillet 2013 et le paiement partiel de l’échéance du mois d’août et que l’échéance du 30 août 2013 constituait le premier incident de paiement non régularisé, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que l’action de la banque était recevable ».
La solution est irréprochable : le code de la consommation n’exige nullement que l’incident de paiement soit régularisé par l’emprunteur lui-même (comp. G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 324.103 : « Par cette expression, il faut entendre le premier défaut de paiement, total ou partiel, qui n’a pas été ultérieurement couvert par l’emprunteur, ou par un accord conclu entre le prêteur et l’emprunteur pour reporter les échéances »), si bien que le paiement de la dette par son assureur permet naturellement une telle régularisation. Il en irait de même si la dette était payée par un codébiteur solidaire, une caution ou même, nous semble-t-il, par un tiers à la dette, l’article 1342-1 du code civil (ayant succédé à l’anc. art. 1236 à la faveur de la réforme opérée par l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016) prévoyant que « Le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier » (pour une application de ce principe dans le domaine des procédure civiles d’exécution, v. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-16.312 : « Il résulte de la combinaison des articles L. 131-1 et L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, que, dès l’instant où l’obligation assortie d’une astreinte a été exécutée, fût-ce par un tiers, l’astreinte ne peut plus donner lieu à liquidation pour la période de temps postérieure à cette exécution, sauf si le créancier justifie d’un intérêt légitime à ce qu’elle soit exécutée par le débiteur lui-même »).

L’emprunteur soutenait également qu’en toute hypothèse, les paiements partiels d’une dette unique s’imputaient d’abord sur les intérêts et que lorsque l’assurance-emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur devaient s’imputer sur chacune des échéances dont il s’agit de garantir le paiement de sorte qu’aucune des échéances dues à partir d’avril 2013 ne pouvait être considérée comme régularisée. Mais la première chambre civile écarte ces arguments, considérant que « l’emprunteur n’a pas soutenu, en cause d’appel, que les paiements partiels devaient être imputés en priorité sur l’intégralité des intérêts impayés avant de pouvoir être imputés sur le capital ni que, lorsque l’assurance emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur doivent s’imputer sur chacune des échéances dont le paiement était partiellement garanti ». Cela est dommage (pour l’emprunteur), car l’argument aurait pu prospérer. On sait en effet qu’en vertu de l’ancien article 1254 du code civil, « Le débiteur d’une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts » (la règle est reprise de manière plus concise par l’art. 1343-1, al. 1er, issu de l’ord. du 10 février 2016 : « Lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts »). Il est vrai, cependant, que cette règle n’est pas d’ordre public (V. en ce sens, sous l’empire des anciens textes, Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-11.958 : « les dispositions des articles 1253 à 1256 du code civil relatives à l’imputation des paiements sont supplétives de la volonté des parties »). Mais, pour l’écarter, une stipulation expresse est nécessaire (V. en ce sens, au sujet de l’anc. art. 1256 c. civ., Civ. 3e, 10 mars 2004, n° 03-10.807, D. 2004. 1283 ; RTD civ. 2004. 512, obs. J. Mestre et B. Fages : « Mais attendu qu’ayant exactement retenu que l’acceptation de prélèvements bancaires n’impliquait pas en elle-même, à défaut de stipulation contractuelle expresse, que les locataires aient entendu renoncer aux dispositions de l’article 1256 du code civil, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à des recherches relatives à la volonté implicite des parties que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que le premier juge avait justement imputé aux loyers les plus anciens les paiements faits sous forme de prélèvements automatiques après le commandement et constaté que les causes de cet acte avaient été réglées dans les deux mois suivant sa délivrance »).

La difficulté des croisements entre procédure civile et droit des contrats spéciaux n’est pas nouvelle. La spécialisation grandissante de la théorie générale des contrats (F. Collart-Dutilleul et P. Delebecque, Droit des contrats spéciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 11, n° 8) implique également et nécessairement des embranchements de plus en plus nombreux avec d’autres matières, dont le droit judiciaire privé. Toutefois, certaines confluences sont plus faciles à manier que d’autres. Celle entre l’opposition, l’appel en garantie et le contentieux des vices cachés reste au moins délicate si ce n’est parfois opaque tant les difficultés peuvent rapidement s’accumuler. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 fait donc partie de ces solutions complexes, non destinées à une publication au Bulletin. Cette absence de publication – peut-être regrettable – ne doit pas nier l’intérêt de la décision pour autant. Quoique connue et plurielle, la solution appelle des remarques brèves mais importantes pour mieux comprendre l’enjeu de la responsabilité et des garanties dans des situations très fréquentes de chaînes de contrats à l’occasion d’un contrat d’entreprise initial. Voie de rétractation par excellence (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 939, n° 1290), l’opposition était ici bien utilisée par le fabricant – maillon extrême de la chaîne – et la Cour de cassation vient utilement rappeler les effets bénéfiques de cette voie de recours dans le contentieux des vices cachés.

Rappelons les faits qui ont donné lieu à une telle affaire. Des particuliers font édifier en 2007 une maison individuelle avec un bardage en bois posé par la société M. L’entrepreneur s’est fourni auprès de la société DMO qui s’est elle-même fournie auprès de la société P. qui a acheté le bardage auprès d’une quatrième société, la société TBN laquelle fabrique ces bardages. Des désordres ont été constatés par les maîtres de l’ouvrage une fois la maison individuelle terminée. Après expertise judiciaire contradictoire, les maîtres de l’ouvrage ont assigné l’entrepreneur et son assureur en responsabilité. Par jugement du 4 avril 2012 rectifié le 16 mai 2012, l’entrepreneur et son assureur ont été condamnés à payer aux maîtres de l’ouvrage la somme de 33 321,12 € en réparation des désordres liés au bardage défectueux. Le maître d’œuvre condamné et son assureur ont assigné la société DMO auprès de laquelle elle s’était fournie. Cette dernière a appelé en garantie la société P. chez qui elle s’est elle-même approvisionnée. Enfin, la société P. a appelé en garantie, à son tour, le fabricant des bardages, la société TBN. Dans un arrêt du 22 février 2018, la cour d’appel de Rennes a notamment condamné le fabricant à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité des condamnations à son encontre. Une opposition du fabricant est formée. Dans un arrêt du 2 mai 2019, la cour d’appel de Rennes était saisie, à nouveau, mais pour une éventuelle rétractation. Les juges du fond ont estimé qu’il n’y avait pas lieu à rétracter la disposition de l’arrêt selon laquelle le fabricant a été condamné à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité du quantum des condamnations à son encontre. Le fabricant se pourvoit ainsi en cassation en arguant devant la Haute juridiction que puisque « l’appel en garantie ne crée de lien de droit qu’entre le bénéficiaire de la garantie et son propre garant, et n’en crée aucun entre ceux-ci et le demandeur à l’instance principale », alors il pouvait opposer à la société qui l’a appelé en garantie le moyen selon lequel il n’avait pas à supporter le coût de la dépose et de la repose du bardage défectueux puisque cette opération n’était due qu’à un manque d’étanchéité dont il n’avait pas à répondre personnellement. Or, la cour d’appel de Rennes n’avait pas examiné ce moyen invoqué pour limiter la garantie du fabricant. Elle s’était limitée à relever la condamnation à garantir le vendeur intermédiaire de l’intégralité de la condamnation. Voici qu’intervient une violation de la loi qui permet à la Cour de cassation de casser et d’annuler l’arrêt entrepris. La réponse est sans équivoque : « En statuant ainsi, sans examiner le bien-fondé du moyen invoqué par le fabricant pour voir limiter sa garantie, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

On sait que l’opposition s’inscrit « en contrepoint de la notion de jugement rendu par défaut » (M.-E. Boursier et E. Boutrel, Rép. civ., v° Opposition, n° 1). Mais, en l’espèce, était-il possible de demander la rétractation d’une disposition d’un arrêt pour le fabricant qui s’était vu condamné à l’intégralité de la condamnation au profit du vendeur intermédiaire ? Tout ceci résultait, ab initio, des appels en garantie successifs des différents maillons intermédiaires de la chaîne jusqu’au fabricant lui-même qui reste le maillon extrême. La réponse de la cour d’appel estimait « qu’en cas de ventes successives, le vendeur intermédiaire condamné à garantir les conséquences du produit affecté d’un vice caché, conserve la faculté d’exercer cette action à l’encontre du fabricant à hauteur de la totalité des condamnations mises à sa charge sur ce même fondement ». C’est précisément là où le bât blesse pour la Cour de cassation. Si le fabricant reste bien responsable in fine du défaut dans le bardage, doit-il supporter le coût de la dépose et de la repose qui n’est pas rendue nécessaire par le défaut dans les bardages fabriqués mais dans un problème d’étanchéité qui ne lui est pas imputable ? La question pouvait légitimement, en effet, se poser puisque le fabricant répond logiquement des défauts de son produit mais pas de ceux qui ne sont pas de son propre fait. En ce sens, l’opposition trouvait un certain sens pour rétracter les dispositions éventuellement inadaptées à la situation du fabricant qui n’avait pas pu faire valoir sa prétention devant les juges du fond. Le reproche adressé à la cour d’appel de Rennes saisie de l’opposition de la société TBN fabricante des bardages réside dans l’assimilation de l’action en garantie à son encontre de la totalité des condamnations. Or, en la matière, dans une telle chaîne de contrats où un vice caché est apparu, le maillon extrême doit pouvoir invoquer des moyens destinés à limiter la condamnation si des éléments extérieurs le démontrent ; appel en garantie oblige. Certes, l’appel en garantie doit permettre la condamnation du tiers contre qui il est formé (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, Domat, 2019, p. 958, n° 1172) mais certaines limites existent quant à l’amplitude de cette condamnation. Voici donc une décision de raison gouvernée par l’adéquation de la contribution à la dette de chacun des acteurs de la chaîne. Le fabricant est condamné à garantir le vendeur intermédiaire pour ce qu’il a vendu. Ni plus, ni moins. En somme, toute la garantie mais rien que la garantie.

Que retenir donc, en résumé, de cette solution ? Deux enseignements majeurs se profilent. D’une part, c’est l’occasion de rappeler que l’appel en garantie ne créée de lien juridique qu’entre l’appelant et l’appelé. C’est une solution connue (F. Ferrand, Rép. civ., v° Appel, n° 534). Nul lien entre le demandeur à l’action principale et l’appelé en garantie (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, op. cit., p. 340, n° 422). Toute la solution formulée par la Cour de cassation repose sur cette idée qui avait été invoquée par le demandeur au pourvoi en appendice de sa démonstration. La distinction des instances est le prérequis de la solution sur la possibilité d’une rétractation. D’autre part, une telle décision permet de ne pas faire peser sur le maillon extrême de la chaîne une condamnation dont le quantum n’est pas adapté à sa responsabilité. S’il doit évidemment s’acquitter de l’indemnisation en raison du vice affectant la chose, le fabricant ne répond pas de ce qui lui est étranger. En l’espèce, c’était précisément le cas du défaut d’étanchéité, lequel était lié à un problème dans la pose mais pas dans celui observé pour les bardages. En somme, la société TBN a été parfaitement conseillée dans sa stratégie de défense : l’opposition était une très bonne idée dans le contentieux visé. Encore faudra-t-il reprendre l’instance au fond par la cour d’appel de renvoi d’Angers et vérifier si ce défaut d’étanchéité permet bien de rétracter la disposition. Seuls les éléments de faits pourront le dire précisément. La Cour de cassation valide un raisonnement subtil, peut-être stratégique, mais qui permet de préserver le rôle de chacun dans la chaîne de contrats.

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Au-delà d’une simple redite

Le 1er septembre 2017 entraient en vigueur les dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 consacrant une nouvelle procédure de contestation des jugements relatifs à la compétence (L. Mayer, Le nouvel appel du jugement sur la compétence, Gaz. Pal. 25 juill. 2017, p. 71 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 521 s., spéc. nos 530 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, 3e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018/2019, nos 234.04 s. ; J. Pellerin, La réforme de la procédure d’appel : nouveautés et vigilance !, Gaz. Pal. 23 mai 2017, p. 13 ; C. Laporte, Appel du jugement sur la compétence : un nouveau jour fixe imposé, Procédures 2017. Étude 29). Arrêts après arrêts, la Cour de cassation vient préciser l’interprétation qui doit être donnée à ces nouvelles dispositions. Après avoir jugé que l’appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat, de la procédure à jour fixe (Civ. 2e, 11 juill. 2019, nos 18-23.617 et 19-70.012, Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1499 ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne ; Gaz. Pal. 5 nov. 2019, p. 53, obs. N. Hoffschir ; JCP 2019. 942, note N. Gerbay ; Procédures 2019. comm. 253. obs. C. Laporte ;  ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624, Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1471 ; Gaz. Pal. 3 nov. 2020, n° 390b3, p. 60, obs. M. Guez), elle a récemment apporté deux nouvelles précisions dans un seul et même arrêt (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-17.630, Dalloz actualité, 5 nov. 2020, obs. C. Lhermitte).

La première concerne l’exigence de motiver la déclaration d’appel dirigée contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence. La déclaration d’appel est motivée dans la déclaration elle-même ou dans les conclusions qui y sont jointes (C. pr. civ., art. 85, al. 1er). Dès lors, les « conclusions au fond annexées à la requête, qui sont adressées au premier président et non à la cour d’appel, ne peuvent constituer la motivation requise ». À vrai dire, il pouvait difficilement en être autrement. Comme il a été justement dit, « le premier président n’est pas la cour d’appel. […] Et sur le plan pratique, la cour d’appel n’est pas destinataire des conclusions contenues dans la requête, et elle n’en a donc pas connaissance. La cour d’appel ne peut donc statuer sur des...

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Quelques rappels procéduraux ne sont jamais inutiles pour une matière aussi subtile que le droit des majeurs protégés. La Cour de cassation se livre, en effet dans ce contexte, à une délicate interprétation des différents textes concernés pour protéger au mieux les droits respectifs des parties au procès. L’année 2020 a ainsi été riche en enseignements notamment en prévoyant que le placement du majeur sous une mesure de curatelle pendant le délibéré d’appel ne remet pas en cause l’architecture du procès (Civ. 1re, 24 juin 2020, F-P+B, n° 19-16.337, D. 2020. 1404 ; AJ fam. 2020. 538, obs. V. Montourcy ) ou encore en rappelant les contours de l’appréciation de l’intérêt du majeur protégé (Civ. 1re, 24 juin 2020, F-P+B, n° 19-15.781, D. 2020. 1406 ; AJ fam. 2020. 537, obs. N. Peterka ; RTD civ. 2020. 855, obs. A.-M. Leroyer ). L’arrêt du 17 décembre 2020 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation n’en reste pas moins important à son tour. Il concerne essentiellement une confirmation de l’abandon de la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » et une lecture stricte mais équilibrée de l’article 468 du code civil. L’originalité de l’arrêt tient peut-être à la situation factuelle qui laissait supposer un problème sous-jacent difficile à dénouer en droit des biens. Exposons-le brièvement. En 1947, une personne physique (le de cujus) acquiert une parcelle de terrain sur l’île de la Réunion. Après son décès, ses héritiers (en l’occurrence, ses petits-enfants) deviennent indivisaires du terrain. Le neveu du de cujus occupe toutefois le bien et il obtient un acte de notoriété acquisitive, institution souvent méconnue du droit des biens issue de la pratique notariale. Rappelons que la notoriété acquisitive « ne constitue pas un titre constitutif, encore moins un titre translatif, et ne vaut pas preuve par conséquent de la propriété » (F. Terré et P. Simler, Droit des biens, 10e éd., Dalloz, 2018, p. 417, n° 526). La publication au service de la publicité foncière ne change d’ailleurs absolument rien à la donne. Voici, dans notre situation d’espèce, donc une simple constatation qui a très certainement été fondée sur des témoignages mais qui a été remise en cause par un jugement définitif en 2012. Les véritables propriétaires ont fait constater leur titre en justice et ils ont obtenu l’expulsion du neveu du de cujus possesseur du bien. Tout ceci n’aurait pu être qu’un conflit plutôt classique à un détail près : le possesseur a donné la propriété du bien à ses deux fils dans un acte du 29 mars 2010. Le 1er juillet 2013, il est ensuite placé sous curatelle et le curateur désigné est l’un des deux donataires. Les indivisaires propriétaires dont le titre a été reconnu en justice agissent en annulation de la donation et en expulsion du possesseur. Le nœud du problème est facile à comprendre. Le curateur du possesseur n’a pas été appelé à l’instance en annulation de la donation. Le juge de première instance prononce toutefois l’annulation. La cour d’appel de Saint-Denis confirme ce jugement. Les donataires se pourvoient en cassation en soutenant que leur père n’avait pas pu être assisté par son curateur pendant l’instance. La cassation pour violation de la loi intervient puisque la cour d’appel de Saint-Denis n’a pas tenu compte de l’absence du curateur. Plusieurs remarques s’imposent tant en procédure civile qu’en droit des majeurs vulnérables.

L’abandon de la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » rappelé

Le Ministère public soulevait l’irrecevabilité du pourvoi car un premier pourvoi avait été déposé et avait donné lieu à une ordonnance de déchéance. La règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » pouvait-elle alors jouer ? Autrement dit, la formation d’un second pourvoi en cassation est-elle possible alors qu’un premier a déjà été introduit par une des parties ? Cette interdiction de réitérer suscite des difficultés (S. Guinchard et C. Fattaccini [sous la dir. de], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2017-2018, n° 553.251). On sait qu’une telle règle a désormais une portée très limitée, si ce n’est inexistante par le jeu d’une lecture nouvelle de l’article 621 du code de procédure civile. La Cour de cassation précise donc assez logiquement que « Cependant, la deuxième chambre civile, chambre de la procédure civile, revenant à une lecture plus littérale de l’article 621 du code de procédure civile, a abandonné récemment la règle prétorienne « pourvoi sur pourvoi ne vaut » (Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 17-28.111 P-B+R+I, D. 2019. 1398 ), suivant ainsi la jurisprudence de l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 06-10.039, AJ fam. 2008. 36, obs. F. Chénedé ) ». Il faut noter que la motivation employée peut surprendre ; la Cour de cassation citant directement des arrêts de principe éclairant la compréhension de son lecteur. Mais une telle rédaction est assurément le fruit de la réflexion sur la motivation dite enrichie des revirements de jurisprudence (Rép. civ., v° Jurisprudence, 2019, par P. Deumier, n° 75). Ici, la motivation citée précédemment vient accompagner le revirement de jurisprudence sur la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » et surtout le confirmer dans le contentieux diversifié de la troisième chambre civile. On ne peut donc qu’accueillir favorablement une telle rédaction assurément pédagogique au sujet de la réitération dans le contentieux de la procédure devant la Haute juridiction. Comme le rappelle M. Chauvin, conseiller référendaire à la Cour de cassation, « l’abandon d’une règle qui va au-delà des conditions posées par un texte clair et dont les excès ont été dénoncés ne peut qu’être approuvé : il peut être raisonnablement pensé qu’à l’avenir il sera généralisé à tous les cas de figure » (P. Chauvin, JCP 12 déc. 2007, n° 5, II.10204). Cet abandon de l’interdiction de réitérer semble donc pertinent dans le déroulement de la procédure devant la Cour de cassation.

L’exigence de l’assistance du curateur précisée

En droit des majeurs vulnérables, la solution nous semble conforme à la lettre de l’article 468 du code civil. Sans l’assistance de son curateur dans le procès en annulation de la donation consentie, le possesseur du bien ne pouvait pas se défendre convenablement ; mesure de protection judiciaire oblige. Certes, dans l’espèce, le curateur avait été appelé à la cause mais seulement en son nom personnel en tant que propriétaire de la parcelle revendiquée. On constate donc l’imbroglio juridique que tout ceci peut provoquer dans l’esprit des indivisaires qui réclamaient l’annulation de la donation de la chose d’autrui. On pourrait se demander d’ailleurs si cette donation peut vraiment être frappée de nullité ; le pourvoi soutenant que seule une action en revendication serait possible dans ce cas. Or, la nullité de la donation de la chose d’autrui est classiquement admise même sans texte précis (M. Grimaldi [sous la dir. de], Droit patrimonial de la famille, 6e éd., Dalloz Action, 2017, n° 314.31). Ainsi, aucune difficulté ne peut s’élever sur la présence du curateur en elle-même dans l’instance en annulation. Mais la situation factuelle était originale : le curateur était aussi le bénéficiaire de la donation (du moins, avec son frère). Les juges de première instance avaient dessiné le motif de la fraude lequel n’était pas retenu par les juges d’appel. Mais la fraude est complexe à retenir dans une telle situation sans preuve supplémentaire amenée par les parties. On constate toutefois la difficulté des indivisaires dans leur situation factuelle : sans assistance du curateur, l’action en annulation est vouée à l’échec. Le conflit sur la propriété s’éternise alors qu’ils avaient vus leur titre reconnu au détriment de celui qui a réalisé la donation et qui se croyait lui-même propriétaire. 

Ces observations très diversifiées confirment l’importance majeure de cet arrêt destiné au Bulletin. Tant en procédure civile qu’en droit des majeurs vulnérables, la solution est conforme à l’état actuel de la jurisprudence. Confirmant l’abandon de la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » et rappelant l’importance de la présence du curateur, l’arrêt s’inscrit comme une solide précision pour un droit positif clair de la curatelle et de ses effets notamment en droit des biens.

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La déchéance du droit aux intérêts règne désormais en seigneur et maître en matière de crédit aux consommateurs, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021. En l’espèce, suivant offre préalable acceptée le 15 juillet 2010, une banque a consenti à un emprunteur un prêt immobilier d’un montant de 320 000 €, réitéré par acte notarié du 17 septembre 2010. Invoquant l’inexactitude du taux effectif global mentionné dans l’offre, l’emprunteur a assigné la banque en annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel, subsidiairement en déchéance du droit aux intérêts conventionnels.

Mais aucune de ces demandes ne trouve grâce aux yeux de la cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 21 septembre 2018, se borne à condamner la banque à payer à l’emprunteur la somme de 21,77 € au titre du calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année de trois cent soixante jours (la fameuse année lombarde). Insatisfait de la solution, l’emprunteur se pourvut en cassation, mais il n’obtint pas plus gain de cause devant la Cour régulatrice. Cette dernière considère, en réponse au premier moyen soutenant la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel, que « La déchéance du droit aux intérêts est la seule sanction encourue en cas d’inexactitude du taux effectif global résultant d’un calcul des intérêts conventionnels sur une autre base que celle de l’année civile » (pt 5) et que « Le moyen, qui postule que la substitution du taux de l’intérêt légal à celui de l’intérêt conventionnel est encourue dans une telle hypothèse, est inopérant » (pt 6).

Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence tendant à promouvoir l’hégémonie de la déchéance du droit aux intérêts. La première chambre civile avait déjà eu l’occasion de considérer que « la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33 du même code, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale » (Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 19-10.875, Dalloz actualité, 6 avr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 859 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2085, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 435, obs. D. Legeais ). On sait désormais qu’il en va également ainsi lorsqu’une telle irrégularité affecte le contrat lui-même.

Au demeurant, la solution est parfaitement logique au regard de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, qui est venue poser le principe selon lequel « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur » (C. consom., art. L. 341-48-1, al. 1er ; v. égal. art. L. 341-34, al. 2, concernant l’offre de prêt immobilier. V. à ce sujet, V. Prevesianos, Une ordonnance fixe les sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, Dalloz actualité, 30 juill. 2019 ; G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D. 2019. 1613 ; X. Delpech, Un nouveau régime de sanctions en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, AJ Contrat 2019. 361 ; TEG : une clarification attendue du régime des sanctions civiles, RLDA oct. 2019, p. 20 ; J. Lasserre Capdeville, L’adoption d’une sanction unique aux manquements...

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Lors du premier confinement, l’autorité de la chose jugée nous avait offert un dérivatif « inoffensif » à la crise du covid-19 (C. Bléry, Retour sur l’autorité de la chose jugée, Le droit en débats, 28 avr. 2020). Ce retour sur l’autorité de la chose jugée était l’occasion de prendre conscience que, alors même que la notion est très ancienne, elle est aussi actuelle. Il s’agissait notamment d’évoquer l’évolution de l’effet positif (qui permet de se prévaloir, dans un autre procès, des éléments d’une précédente décision) de cet attribut du jugement, sous l’influence récente et presque insidieuse de la justice « prédictive » et des algorithmes. Il s’agissait aussi de rappeler que la Cour de cassation est souvent amenée à statuer sur des questions relatives, soit à la notion stricto sensu, soit à une obligation procédurale que la Haute juridiction lui a rattachée depuis 2006 : l’obligation de concentration des moyens – voire des demandes – qui incombe aux plaideurs (v. encore, Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.972, FS-P+B+I et  n° 18-23.370, FS-P+B+I, Dalloz actualité, 24 avr. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 493 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ).

C’est à nouveau le cas, ainsi qu’en atteste un arrêt du 10 décembre 2020, une fois de plus destiné à une large publication. La deuxième chambre civile y rappelle la teneur de la notion telle qu’elle est inscrite (artificiellement) dans l’article 1355 du code civil (reprenant mot à mot l’historique art. 1351) et la façon dont elle doit être, selon elle, être mise en œuvre entre obligation de concentration des moyens et évolution des faits ; elle profite de l’occasion, au détour de l’attendu de principe pour rappeler quelle partie de la décision, selon elle, est revêtue de l’autorité de la chose jugée. La deuxième chambre civile reproche à la cour d’appel d’avoir mal mis en œuvre la notion.

Les faits, à l’origine de l’arrêt, sont assez complexes : ils concernent une opération immobilière qui tourne mal. Un couple acquiert un terrain sur lequel il doit faire construire une maison d’habitation pour la vendre. L’opération est financée par un prêt, sans intérêt : il est stipulé remboursable en une seule échéance au plus tard le 3 juillet 2008, le remboursement devant se faire sur le bénéfice réalisé par la vente de la maison d’habitation, celui-ci étant partagé par moitié entre le prêteur et les débiteurs. Le tout est constaté par acte notarié.

Par la suite, les acquéreurs font édifier la maison et le créancier veut obtenir remboursement, alors que la maison n’est pas encore vendue, sans doute postérieurement à la date butoir. Pour ce faire, le créancier agit devant un tribunal de grande instance. Cette juridiction rejette la demande en paiement de la somme prêtée, la condition préalable de vente de la maison édifiée n’était pas réalisée.

Plus tard, et en dépit du jugement, le créancier engage des poursuites de saisie immobilière à l’encontre des débiteurs, portant sur le bien en cause, sur le fondement de l’acte notarié.

À l’audience d’orientation, les débiteurs s’opposent à la saisie en invoquant, notamment, l’autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de grande instance. Le créancier objecte que les débiteurs empêchent la réalisation de la condition. Il invoque – pour la première fois – l’application de l’article 1178 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et selon lequel la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement ; autant dire qu’il prétend que la condition est potestative.

Le juge de l’exécution rend un jugement d’orientation, dont le perdant interjette appel.

La cour d’appel déclare régulière et valide la procédure de saisie immobilière, ordonne la vente forcée du terrain et renvoie pour le surplus les parties devant le premier juge (le JEX), pour poursuite de la procédure de saisie immobilière.

Pour juger ainsi, et donc pour écarter l’autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de grande instance, l’arrêt « qui constate que la maison n’est pas vendue, retient que cette condition est purement potestative et que [les débiteurs] ne justifient pas de leur volonté d’exécuter de bonne foi les stipulations contractuelles, de sorte que le prêt est devenu exigible, la condition étant réputée acquise ».

Les débiteurs se pourvoient en cassation. Leur moyen est divisé en deux branches, qui reprochent l’une et l’autre à la cour d’appel une violation de l’article 1351, devenu 1355, du code civil. Les deux branches rappellent d’abord l’obligation de concentration qui incombe au demandeur, à savoir « présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci » ; la première branche critique ensuite la cour d’appel d’avoir admis la recevabilité d’un nouveau moyen tiré de l’ancien article 1178 du code civil et la seconde lui reproche de ne pas avoir constaté que l’empêchement de la réalisation de la condition suspensive qu’elle retenait, aurait constitué une circonstance nouvelle postérieure au prononcé du jugement.

Au visa de l’article 1351, devenu 1355 du code civil, la deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel. Comme déjà dit, elle expose la teneur de l’article visé (n° 6) et rappelle de manière très ramassée deux règles qu’elle a elle-même posée à l’occasion d’arrêts (n° 7) : posées à partir des textes : « attachée au seul dispositif de la décision, l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ». Or, en statuant comme elle l’a fait (n° 8), « sur le fondement d’un moyen qui n’avait pas été invoqué devant le juge du fond et sans relever l’existence d’un fait nouveau justifiant d’écarter l’autorité de la chose jugée par le jugement du 25 février 2014, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (n° 9).

La cassation n’est pas très surprenante, tant l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante au regard de l’autorité de la chose jugée, de la concentration des moyens et du fait nouveau. Il est en revanche curieux d’avoir ajouté l’incise qui ne parait pas nécessaire, tenant à la localisation de l’autorité de la chose jugée.

Obligation de...

Rares sont les solutions de première instance pouvant se targuer de posséder leur propre communiqué de presse. C’est précisément le cas du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 6 janvier 2021 (n° 19/03587) rendu dans l’affaire très médiatique de la cagnotte en faveur du « boxeur gilet jaune » selon la dénomination même de la souscription en ligne de janvier 2019. Après de nombreux reportages et articles dans la presse, Dalloz actualité revient sur le versant juridique de cette affaire loin d’être anodine dans son traitement de l’ordre public. Aux confins même de la notion de contrat, la décision nous en apprend plus sur le maintien d’une des fonctions essentielles de la cause, la licéité du but poursuivi.

La récente expansion des cagnottes en ligne pose de nouvelles questions en droit notamment sur l’application de la théorie générale des obligations. C’est également l’occasion de s’éloigner temporairement de la covid-19 pour en revenir à d’autres préoccupations. En 2018 et 2019, le mouvement dit des « gilets jaunes » secouait une France divisée sur la politique du gouvernement. Durant une manifestation début janvier 2019, des vidéos montrent M. Christophe D. – boxeur de profession – frapper plusieurs gendarmes. C’est sur ce fond de tension que, le 6 janvier 2019, une personne crée une cagnotte en ligne sur le site Leetchi intitulée « Soutien au boxeur gilet jaune » pour soutenir M. Christophe D. La cagnotte s’élève assez rapidement à 145 152,46 € en à peine quelques heures. Le 8 janvier 2019, la SA Leetchi décide de suspendre la cagnotte et de réserver son versement à la seule utilisation pour les frais de justice de l’intéressé. Le créateur de la cagnotte demande à ce que les fonds récoltés soient versés à Madame Karine D., épouse de Monsieur Christophe D., dans les plus brefs délais. La SA Leetchi refuse de faire droit à la demande et plusieurs procédures de référés aboutissent à relever qu’une contestation sérieuse existe entre les parties. Deux problèmes d’inégale difficulté étaient posés devant le tribunal judiciaire de Paris : un problème de procédure et un problème de fond que nous allons évoquer tour à tour. Sur le versant procédural, la SA Leetchi déniait l’intérêt à agir de Madame D. car elle n’était pas partie à la cagnotte en ligne et qu’elle n’était pas non plus bénéficiaire. Devant le tribunal, les époux soutiennent que l’objet de la cagnotte a pu évoluer pour désigner l’épouse comme « bénéficiaire potentielle » de la somme. Cette argumentation suffit finalement à écarter la fin de non-recevoir soulevée par la société gérant la cagnotte. Ici, rien à signaler : Madame D. avait bien un intérêt à agir dans le cadre de la procédure devant le tribunal judiciaire en ce qu’elle pouvait in fine recevoir les fonds.

Le problème au fond en droit des contrats reste bien plus délicat. Le but poursuivi par la cagnotte était-il conforme à l’ordre public ? L’article 1162 nouveau du code civil dispose, en effet : « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties ». Ici, le but du contrat doit s’entendre – comme le rappelle le tribunal – comme l’objectif d’affectation des fonds pour la cagnotte. Ce but doit rester licite ; vestige d’une règle essentielle de la théorie de la cause (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations, 2e éd., 2018, p. 82, n° 123.324). Or, en l’espèce, il existait une difficulté d’interprétation sur l’affectation des fonds. Les cagnottes en ligne comprennent généralement d’une part un titre et d’autre part un résumé qui permet de l’étayer. Des difficultés d’interprétation peuvent donc surgir dans des situations où la cagnotte entretient des liens ténus avec le respect de l’ordre public. Tant le titre que le résumé de l’objectif peuvent être d’ailleurs changés par le créateur de la cagnotte. Dans la situation d’espèce, une modification du résumé opérée l’après-midi étayait le but de l’opération : « ce week-end face à la pression, il [ndlr : M. Christophe D.] a pris un risque pour défendre les manifestants. Malheureusement il risque de servir d’exemple. Aidons-le dans ce combat, il ne doit pas être le seul à payer » (nous soulignons). Pour savoir si l’objet de la cagnotte heurte l’ordre public, le tribunal interprète nécessairement le résumé disponible en ligne. En faisant référence notamment au combat dans la citation précédente, le juge estime que « la cagnotte en ligne a donc eu, initialement, pour but de soutenir un combat consistant en l’usage de la violence physique contre les forces de l’ordre afin, toujours selon les termes de l’objet, de défendre les manifestants ». Le tribunal en déduit donc que « la collecte de fonds dans cet objectif heurte suffisamment la moralité et l’ordre public pour être considéré comme un but illicite ». La société Leetchi avait – assez curieusement – opposé une affectation des fonds précise au paiement des frais de justice de Monsieur Christophe D., alors que rien n’indiquait une telle orientation de la cagnotte. Le tribunal estime que cette affectation a d’ailleurs été créée « unilatéralement » par la société.

Que penser de l’argumentation de la solution sur le but illicite ? La difficulté essentielle d’une telle décision repose avant tout sur le nombre limité d’informations disponibles dans l’espace de création de la cagnotte en ligne. Il faut donc se livrer pour le juge à un travail d’interprétation respectueux de la volonté du créateur de la cagnotte. Ici, cet ouvrage passe par l’étude de la dénomination et de la description de cette dernière. La dénomination choisie par le créateur rend assez évident le lien entre l’individu (M. Christophe D. dit « le boxeur gilet jaune ») et l’incident durant la manifestation de janvier 2019. L’objet même de la cagnotte est indivisible de l’événement médiatisé et ainsi des violences sur les forces de l’ordre qui ont été filmées et largement relayées sur les réseaux sociaux et les chaînes d’information. L’ordre public, véritable « borne de la liberté contractuelle » (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 349, n° 403), vient ainsi, pour le tribunal, limiter le devenir juridique de la cagnotte. On peut toutefois se demander si la cagnotte soutenait réellement le « combat » contre les forces de l’ordre ou le « combat » de l’individu en tant que tel dans la défense et la justification (si elles existent) de son acte. Tout dépend de l’interprétation de ce terme sujet à caution dans un descriptif synthétique. Pour le jugement, il semblerait que ces deux aspects soient profondément indivisibles de la violence  contre les forces de l’ordre. Cet aspect symbolique de la cagnotte s’accompagne d’un aspect matériel dans le soutien offert par la souscription en ligne.

L’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 dispose que : « Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle, sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement ». On pouvait donc se demander si d’une manière ou d’une autre, cette cagnotte n’avait pas pour but de prévoir les conséquences pécuniaires d’une éventuelle condamnation future de M. Christophe D. Sur ce point, la loi n’interdit rien pour les condamnations futures. Mais le jugement indique – par une lecture extensive de la disposition précédemment citée – que la cagnotte pourrait avoir pour intérêt de contourner la règle. On peut comprendre cette motivation par le résumé de la cagnotte qui indiquait que Monsieur Christophe D. ne devait « pas être le seul à payer ». Ceci impliquait, selon le tribunal, un éventuel contournement de l’article 40 de la loi de 1881 dans le futur par la mise en place anticipée de la cagnotte avant toute condamnation pénale de l’intéressé alors seulement placé en garde à vue. Sur ce point, le jugement pourra être davantage critiqué par certains auteurs qui défendent une conception littérale de l’article 40. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit peut-être d’une vision pragmatique de la cagnotte qui visait à assurer les arrières des conséquences pécuniaires de la réponse judiciaire aux actes filmés durant la manifestation. 

Les motifs aboutissent ainsi à la conclusion suivante dressée par le tribunal judiciaire de Paris : « quoique pluriel, le but du contrat conclu par M. Alves avec la SA Leetchi ne saurait être considéré comme conforme à l’ordre public en sorte que la nullité du contrat doit être prononcée ». Ce « quoique pluriel » montre la dualité du contournement de l’ordre public d’une part dans son aspect symbolique et d’autre part dans son aspect matériel. On ne pourrait que trop conseiller à l’avenir aux créateurs de cagnotte de limiter l’objet de ces dernières afin d’éviter que la généralité de leur dénomination implique leur annulation pour but illicite sur le fondement de l’article 1162 du code civil. En somme, la décision rendue présente une certaine recherche dans la motivation adéquate pour ce cas complexe de droit des contrats. Reste à voir si, dans le cadre d’un potentiel appel du jugement, la décision sera confirmée ou non par une formation collégiale. Affaire à suivre !

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Mme B. a obtenu l’adoption plénière des trois enfants de son frère, décédé en 2011, par un jugement du tribunal régional hors classe de Dakar le 19 mai 2014. Elle a sollicité en France l’exequatur de ce jugement d’adoption.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt en date du 23 janvier 2018, a rejeté la demande d’exequatur, au motif de la contrariété du jugement sénégalais à l’ordre public français en matière international. Elle a en effet retenu que l’adoption plénière par Mme B. des enfants de son frère conduirait à l’établissement d’un acte de naissance d’enfants nés d’une relation incestueuse entre un frère et une sœur, ce qui heurte les articles 162 et 310-2 du code civil, et méconnaît par conséquent la conception française de l’ordre public international.

Mme B. se pourvoit en cassation, en soutenant que le droit interne français admet l’adoption, par une tante, de ses neveux et nièces, dès lors qu’il ne s’agit pas d’enfants nés d’un inceste. Une telle adoption serait donc par suite conforme à l’ordre public international français.

La Cour de cassation examine la question à l’aune de la Convention de coopération en matière judiciaire entre la France et le Sénégal, signée le 29 mars 1974. Cette Convention prévoit que les décisions rendues par les juridictions française et sénégalaise sont reconnues de plein droit et ont l’autorité de la chose jugée sur le territoire de l’autre État sous réserve que la décision ne contienne rien de contraire à l’ordre public de l’État où elle est invoquée. Reste à déterminer si l’adoption par une tante de ses neveux porte atteinte à l’ordre public international. La Cour de cassation s’appuie sur les dispositions du code civil, notamment les articles 161 et 162, pour rappeler que si le droit français interdit l’établissement, par l’adoption, du double lien de filiation de l’enfant né d’un inceste absolu, il n’interdit pas pour autant l’adoption des neveux et nièces par leur tante ou leur oncle dès lors que les adoptés ne sont pas nés d’un inceste. Dans la mesure où le droit français connaît lui-même l’adoption intrafamiliale (C. civ., art. 348-5), une telle adoption ne peut pas être considérée en elle-même comme contraire à l’ordre public international.

Elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Paris et renvoie les parties devant la même cour d’appel, autrement composée.

L’arrêt sous examen permet de censurer une décision de la cour d’appel de Paris qu’on avait pu qualifier de « déroutante » (L. Dupin, Refus d’exequatur de jugements étrangers ayant prononcé des adoptions intrafamiliales, Dr. fam. 2019. Étude 5). La confusion opérée entre l’adoption intrafamiliale, autorisée par notre code civil, et l’établissement d’un double lien de filiation au profit d’un enfant incestueux, fermement prohibé (v. Civ. 1re, 6 janv. 2004, n° 01-01.600, D. 2004. 362, et les obs. , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 365, note D. Vigneau ; ibid. 1419, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2005. 1748, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2004. 66, obs. F. B. ; RTD civ. 2004. 75, obs. J. Hauser ; Defrénois 2004, art. 37926, p. 594, note J. Massip ; RJPF mars 2004, p. 34, note T. Garé ; adde D. Fenouillet, La filiation incestueuse interdite par la Cour de cassation, Dr. fam. 2004. Comm. 16) est ainsi corrigée par la Cour de cassation : seul l’article 310-2 du code civil paraît à même de rentrer sous la protection de l’ordre public international. Quand bien même une adoption telle que celle prononcée à l’étranger au cas d’espèce consacrerait un inceste « légal » ou « désincarné » (v. sur la question, D. Fenouillet, L’adoption de l’enfant incestueux par le demi-frère de sa mère, ou comment l’intérêt prétendu de l’enfant tient lieu de seule règle de droit, Dr. fam. 2003. Chron. 29, spéc. nos 21 s.) en ce qu’elle lierait dans le couple parental un frère et une sœur, la Cour de cassation estime qu’elle ne heurte pas l’ordre public international.

La solution paraît en outre en conformité avec la jurisprudence européenne : on voit mal ce qui dans les circonstances de l’affaire étudiée permettrait de considérer un refus de reconnaissance comme proportionné au but légitime poursuivi (v. CEDH 3 mai 2011, Negrepontis, n° 56759/08, CEDH, 3 mai 2011, n° 56759/08, D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2011. 817, étude P. Kinsch ; RCDIP 2011, p. 817, chron. P. Kinsch ; JDI 2012. 213, note A. Dionisi-Peyrusse ; JCP 2011, n° 28, p. 839, obs. Favier), puisque les enfants ne sont pas nés d’un inceste, et que le droit français permet bien l’adoption intrafamiliale.

Respectivement publiés au Journal officiel des 29 et 30 décembre 2020, le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles et la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 entreprennent de réformer l’aide juridictionnelle. Tour d’horizon.

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À la suite de la remise du rapport de l’inspection générale de la justice, la Chancellerie travaille à une réforme de la discipline des officiers publics et ministériels. Dalloz actualité a pu consulter les premières propositions de ce texte, qui concernerait les notaires, les commissaires de justice, les greffiers des tribunaux de commerce et les avocats aux conseils.

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Auteur d'origine: Thill

À défaut de mention, dans le mandat, du nom et de la qualité de la personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier, cette convention est nulle.

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Auteur d'origine: Rouquet

Lorsqu’un majeur est placé sous une mesure de curatelle, un organisme de sécurité sociale souhaitant récupérer un indu doit notifier sa demande à la fois au majeur et à son curateur. La Cour de cassation retient une application respectueuse de l’article 467 du code civil en précisant que la lettre recommandée notifiant l’indu débute la procédure contentieuse de recouvrement de l’article R. 133-9-2 du code de la sécurité sociale.

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Auteur d'origine: chelaine

La cour d’appel de Paris ayant procédé à la mise en balance des intérêts en présence et apprécié l’impact du film et des avertissements donnés aux spectateurs au regard de la procédure pénale en cours, elle a déduit, à bon droit, que la suspension de la diffusion de l’œuvre jusqu’à ce qu’une décision définitive sur la culpabilité du demandeur soit rendue constituerait une mesure disproportionnée aux intérêts en jeu.

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Auteur d'origine: lavric

Le droit de l’Union européenne laisse aux États membres la possibilité d’imposer l’étourdissement préalable des animaux dans le cadre de l’abattage rituel. Le cas échéant, pareille mesure fondée sur la promotion du bien-être animal n’est pas contraire aux droits garantis par la Charte des droits fondamentaux.

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Auteur d'origine: Dargent

Le constituant d’une sûreté réelle pour garantir la dette d’un tiers ne s’engage pas à satisfaire à l’oligation d’autrui. De façon contestable, la Cour de cassation en déduit que le bénéficiaire de cette sûreté n’est pas le créancier du constituant, de sorte qu’il ne subit pas l’interdiction des poursuites individuelles en cas d’ouverture d’une procédure collective.

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Auteur d'origine: yblandin

À l’occasion d’une action en constatation de la possession d’état, la Cour de cassation confirme la conventionnalité de principe des délais de prescription prévus par le droit français en matière de filiation. Elle approuve par ailleurs le contrôle de proportionnalité effectué en l’espèce par la cour d’appel et écarte tout atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la demanderesse.

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Auteur d'origine: lgareil

Si un appel sur autorisation est admis, dans des conditions strictement définies, pour faire appel de la décision de sursis à statuer, il n’en est pas de même de la décision qui se prononce sur la révocation du sursis à statuer, laquelle ne peut faire l’objet d’un appel sur autorisation.

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Auteur d'origine: Dargent

L’amant éconduit avait inondé de mails malveillants la sphère professionnelle et amicale de son ancienne maîtresse. Ce dossier, qui a acquis une dimension « ahurissante » avec les outils numériques, vient d’être examiné en chambre correctionnelle avant une nouvelle audience sur la question complexe des dommages et intérêts.

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Auteur d'origine: Bley
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Pour la troisième fois en un peu plus de dix-huit mois, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) devait se prononcer sur les rapports entre bien-être animal et abattage rituel. Ses deux premières décisions relevaient d’une logique d’articulation. D’un côté, le droit de l’Union européenne (UE) peut imposer que l’abattage rituel soit opéré dans des abattoirs agréés dans la mesure où un tel encadrement ne restreint pas la liberté religieuse (CJUE 29 mai 2018, aff. C-426/16, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen VZW e.a. c/ Vlaams Gewest,AJDA 2018. 1603, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; RTD eur. 2019. 395, obs. F. Benoît-Rohmer ). De l’autre, la certification européenne « agriculture biologique », qui inclut des standards élevés en matière de bien-être animal, ne peut être attribuée à la viande issue d’animaux abattus, selon les rituels religieux, sans étourdissement préalable (CJUE 26 févr. 2019, aff. C-497/17, OABA c/ Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Bionoor SARL, Ecocert France SAS, INAO, AJDA 2019. 1047, chron. P. Bonneville, S. Markarian, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2019. 805 , note F. Marchadier ; RTD eur. 2020. 323, obs. F. Benoît-Rohmer ). La dernière décision de la Cour, rendue le 17 décembre 2020, traduit cette fois une logique d’opposition. Les Etats membres souhaitant promouvoir le bien-être animal sont ainsi en droit de supprimer l’exception à l’obligation générale d’étourdissement préalable des animaux normalement accordée pour l’abattage rituel. 

C’est un décret adopté par le gouvernement flamand de Belgique le 7 juillet 2017 qui a transporté la controverse jusqu’aux prétoires. Celui-ci conditionne l’abattage rituel d’animaux à leur étourdissement préalable réversible et non létal. Il met ainsi à profit la possibilité laissée par le règlement (CE) n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, dont l’article 26, § 2 c), permet aux États membres d’adopter des mesures assurant une meilleure protection des animaux. Néanmoins, l’article 4, § 4, du même règlement prévoit explicitement une exception à l’obligation d’étourdissement préalable des animaux pour ce qui concerne la mise à mort réalisée conformément à des préceptes religieux. L’enjeu est donc de déterminer si la marge laissée aux États membres permet d’aller jusqu’à supprimer l’effet de l’exception prévue en matière d’abattage rituel. C’est dans ce contexte que la Cour constitutionnelle de Belgique, saisie par diverses associations juives et musulmanes de plusieurs recours en annulation contre le décret, a décidé de poser à la CJUE trois questions préjudicielles portant respectivement sur l’interprétation de l’article 26, § 2 c), du règlement, le respect de l’article 10, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux garantissant la liberté de religion et le respect des principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique garanties par les articles 20, 21 et 22 de la Charte.

Le bien-être animal, une valeur de l’UE

La Cour, réunie en grande chambre, focalise l’essentiel de sa décision sur les deux premières questions, traitées conjointement. Elle rappelle avant tout que l’obligation d’étourdissement préalable, et plus généralement l’ensemble du règlement n° 1099/2009 soumis à son interprétation, traduisent le fait que le bien-être animal constitue une valeur de l’UE consacrée tant par l’article 13 TFUE que par la jurisprudence (v. not. l’arrêt Liga van Moskeeën préc., §§ 63-64 ; CJUE 23 avr. 2015, aff. C-424/13, Zuchtvieh-Export, § 35). Dès lors, ce n’est qu’à titre dérogatoire et pour assurer le respect de la liberté de religion qu’une exception est prévue pour ce qui concerne l’abattage rituel. À cet égard, compte tenu des disparités de traitement de l’abattage rituel entre les États membres, le législateur européen a entendu assurer un certain « degré de subsidiarité » en leur laissant la liberté d’adopter des mesures plus favorables à la protection des animaux. Dans ces conditions, c’est aux États membres eux-mêmes d’opérer la conciliation entre les deux valeurs protégées par le droit de l’UE. Assez logiquement, l’article 26, § 2 c), du règlement, pris in abstracto, ne porte donc aucune atteinte à la liberté de religion garantie par l’article 10, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux. Un État membre peut adopter des mesures plus favorables au bien-être des animaux au moment de leur mise à mort à la condition, cependant, que pareilles mesures respectent les droits fondamentaux.

Or, le décret adopté par la région flamande, qui relève effectivement, selon la Cour, du champ d’application de l’article 10, § 1er, de la Charte, apparaît limiter l’exercice du droit à la liberté des croyants juifs et musulmans. L’abattage rituel exige en effet que la mort de l’animal découle du seul fait qu’il se vide de son sang, raison pour laquelle, pour s’en assurer, l’étourdissement préalable n’est pas pratiqué. Afin de déterminer si une telle limitation de la liberté de religion est permise, la CJUE procède, en premier lieu, à différents constats. La réglementation nouvelle est bien prévue par la loi et n’aboutit pas à prohiber en tant que tel l’abattage rituel, encore que, sur ce dernier point, l’affirmation paraît un peu rapide et l’on pourrait objecter que l’absence d’étourdissement semble malgré tout en constituer pour les requérants un élément primordial. Le décret litigieux poursuit en outre un objectif d’intérêt général largement exprimé par le législateur flamand et reconnu par le droit de l’Union.

Proportionnalité de l’ingérence dans la liberté de manifester sa religion

En second lieu, la Cour se penche plus longuement sur le respect du principe de proportionnalité, sachant que dans le domaine des rapports entre État et religions, il convient de reconnaître la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités nationales. Le raisonnement des juges procède en deux temps. D’une part, ils constatent que le législateur flamand s’est fondé sur un consensus scientifique établissant que l’étourdissement préalable constitue le meilleur moyen de réduire la souffrance des animaux au moment de leur mise à mort. Le décret adopté satisfait donc à la condition de nécessité. D’autre part, pour établir le caractère proportionné de l’ingérence dans la liberté de manifester sa religion, la Cour souligne que le législateur flamand s’est là encore appuyé sur des recherches scientifiques démontrant que l’étourdissement préalable n’avait aucune conséquence sur le fait que la mort des animaux était entraînée par la saignée. Selon ces études, la technique de l’électronarcose aboutit à un étourdissement réversible et non létal. Par conséquent, c’est l’argument principal au fondement de l’abattage rituel sans étourdissement qui est écarté, c’est-à-dire la crainte que la mort de l’animal soit causée par la technique d’étourdissement et non par la saignée. La Cour aurait sans doute pu s’arrêter là. Elle replace néanmoins le débat dans le cadre d’un conflit de valeurs : « la Charte est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques (…). Or, le bien-être animal, en tant que valeur à laquelle les sociétés démocratiques contemporaines attachent une importance accrue depuis un certain nombre d’années, peut, au regard de l’évolution de la société, être davantage pris en compte dans le cadre de l’abattage rituel et contribuer ainsi à justifier le caractère proportionné d’une réglementation telle que celle en cause au principal » (§ 77). Pour toutes ces raisons, elle conclut au caractère proportionné des mesures adoptées par la région Flandre.

Respect des principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique

Quant à la troisième question préjudicielle qui lui était posée, la Cour considère que la possibilité pour les États membres d’adopter de telles mesures ne contrevient pas aux principes d’égalité, de non-discrimination et de diversité culturelle, religieuse et linguistique protégés par les articles 20, 21 et 22 de la Charte des droits fondamentaux. Les requérants contestaient le fait que les États membres puissent imposer l’étourdissement préalable des animaux lors de l’abattage rituel alors que le règlement n° 1099/2009 ne contient aucune disposition semblable pour les animaux mis à mort lors de manifestations culturelles ou sportives ou dans le cadre d’activités de chasse ou de pêche. Pour les premières, la Cour retient qu’elles n’ont pas vocation à produire des denrées alimentaires autrement que de façon purement marginale. Elles n’entrent donc pas dans le champ de l’article 1er, § 1er, du règlement. Pour les secondes, les juges soulignent, non sans une certaine ironie, que les notions de chasse et de pêche perdraient tout leur sens si elles devaient être pratiquées sur des animaux préalablement étourdis.

Un bien-être animal valorisé

La tension persistante entre bien-être animal et abattage rituel en droit de l’Union européenne méritait bien un traitement à part entière. À ce titre, la décision rendue par la Cour fera date, d’autant qu’elle valorise nettement le bien-être animal en allant à l’encontre des conclusions de l’Avocat général G. Hogan. Elle n’apparaît toutefois pas exempte de critiques.

D’une part, si son raisonnement traduit un appel à faire évoluer les pratiques en matière d’abattage rituel, la Cour ne nomme pas explicitement les choses. Elle se range derrière les avis scientifiques mis en avant par le législateur flamand. Cependant, il faut savoir que le débat sur l’étourdissement préalable des animaux existe au sein même des institutions religieuses et que certaines y sont favorables (v. F. Marchadier, L’abattage, le bien-être de l’animal et la labellisation « agriculture biologique », D. 2019. 805 , spéc. p. 807, citant not., D. Boubakeur, Rapport de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris à propos du sacrifice islamique des animaux destinés à la consommation halal et sur les méthodes internationales récemment admises par les pays musulmans, Revue semestrielle de droit animalier, 2010/2, p. 169 ; A. Peters, L’abattage religieux et le bien-être animal revisités, Cahiers de droit européen, 2020/1, p. 128 citant par exemple une recommandation commune de la Ligue islamique mondiale et de l’OMS datant de 1986). Ce n’est évidemment pas à la Cour de le trancher pour ces dernières. Cela dit, l’évoquer aurait pu montrer que le bien-être animal et la liberté de religion ne sont pas, contrairement à ce que laissent entendre certains points de la décision, deux valeurs parfaitement irréconciliables.

D’autre part, il est permis de s’étonner du constat, partagé par la Commission, selon lequel la Flandre peut bien imposer l’étourdissement lors de l’abattage rituel dès lors que la libre circulation des produits provenant d’autres Etats membres n’est pas entravée et permet en conséquence de se procurer de la viande issue d’abattages rituels réalisés sans étourdissement.

Enfin, il n’apparaît pas inutile de rappeler que la possibilité d’imposer l’étourdissement y compris lors de l’abattage rituel d’animaux intervient dans un contexte où l’effectivité de la législation européenne en matière de bien-être animal est perçue comme laissant à désirer (v. not., C. Maubernard, Conclusions du Conseil de l’Union européenne : le bien-être animal entre consécration de haut niveau et vacuité des considérations matérielles, Revue semestrielle de droit animalier, 2020/1, pp. 131-133 ; Cour des comptes européennes, Rapport spécial n° 31/2018, Bien-être animal dans l’UE : réduire la fracture entre des objectifs ambitieux et la réalité de la mise en œuvre, novembre 2018). Il suffit de renvoyer sur ce point aux images de mauvais traitements dans les abattoirs régulièrement révélées dans les médias. Certes, ce n’est pas une raison pour ne pas adopter de mesures assurant une meilleure protection des animaux. Il faut néanmoins reconnaître qu’une fois ces remarques mises bout à bout et même si la promotion du bien-être animal peut être vue comme un progrès du point de vue d’une grande partie de l’opinion publique, les citoyens touchés par ces mesures n’en doivent pas moins garder un goût amer. 

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S’il est exact que le constituant d’une sûreté réelle pour la garantie de la dette d’un tiers ne s’engage pas à satisfaire à l’obligation d’autrui, il y a un pas de géant pour en déduire que ce constituant n’est pas le débiteur du bénéficiaire, lequel ne serait pas, réciproquement, son créancier. Le Cour de cassation le franchit pourtant allègrement en retenant, au sein de cet arrêt de la chambre commerciale rendu le 25 novembre 2020, que faute d’avoir la qualité de créancier à l’égard du constituant, le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui n’est pas soumis au principe de l’interdiction des poursuites individuelles en cas de procédure collective.

En l’espèce, une société avait hypothéqué un terrain en faveur d’une banque, pour la garantie de prêts souscrits par une autre société. L’emprunteuse ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque s’est prévalue de son « cautionnement hypothécaire » et a initié la réalisation de l’hypothèque. Cependant, en cours de route, la constituante a elle-même été placée en redressement judiciaire, de sorte que l’arrêt des voies d’exécution sur l’immeuble grevé a été sollicité. La cour d’appel ayant fait droit à cette demande, la banque a formé un pourvoi, lequel imposait de préciser le sort du bénéficiaire d’une sûreté réelle garantissant la dette d’un tiers lorsque le constituant est placé en procédure collective. Plus précisément, le bénéficiaire d’une telle sûreté subit-il l’interdiction des poursuites individuelles ou peut-il, à l’inverse, réaliser sa sûreté indifféremment de l’existence de la procédure ?

Au visa des articles L. 621-40 et L. 621-42 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et de l’article 2169 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 23 mars 2006, la chambre commerciale casse l’arrêt d’appel. Ayant rappelé – selon une formule désormais classique – qu’une « sûreté réelle, consentie pour garantir la dette d’un tiers », n’implique « aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui », la Cour de cassation en déduit que « le bénéficiaire […] ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n’est pas son débiteur », de sorte que « n’ayant pas acquis la qualité de créancier, il n’est pas soumis à l’arrêt ou l’interdiction des voies d’exécution ». Par conséquent, le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui peut librement « poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant » sous le coup d’une procédure collective, ce qui constitue un sort particulièrement favorable.

Cette décision inspire de nombreuses réflexions. À titre liminaire, deux sont importantes. D’abord, si l’arrêt se fonde sur l’ancienne numérotation du code civil et du code de commerce, la solution s’applique pareillement à la nouvelle numérotation (C. com., art. L. 622-21-I et art. L. 622-23 ; C. civ., art. 2464), laquelle ne contient pas de modification substantielle. Ensuite, cette décision, quoi que formulée à l’occasion d’une procédure de redressement judiciaire, arbore une portée générale et s’applique à l’ensemble des procédures collectives.

Au-delà de ces remarques liminaires, l’arrêt laisse profondément perplexe. À force de nier toute correspondance de nature entre une sûreté réelle pour autrui et une sûreté personnelle, la Cour de cassation bascule vers un raisonnement juridique contestable, selon lequel le constituant d’une sûreté réelle pour autrui ne serait pas le débiteur du bénéficiaire, qui ne serait pas non plus son créancier. Voilà qui méconnaît la nature même d’une convention constitutive de sûreté réelle, de sorte que cette décision illustre le nécessaire retour à l’orthodoxie juridique quant au traitement des sûretés réelles pour autrui. 

Contestation du raisonnement

La solution débute par la reprise d’une formule constituant, depuis une quinzaine d’années, la boussole de la Cour de cassation quant aux sûretés réelles pour autrui. En effet, la chambre commerciale prend soin de rappeler que la sûreté réelle garantissant la dette d’un tiers n’implique « aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui ». Cette formule a permis d’éviter que les sûretés réelles pour autrui ne tombent dans le giron du droit du cautionnement (v. Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210, D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006....

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L’arrêt de rejet rendu par la première chambre civile le 2 décembre 2020 (n° 19-20.279) est un nouvel exemple du contrôle de proportionnalité admis dans son principe par la Cour de cassation en matière de filiation depuis un arrêt du 10 juin 2015 (Civ. 1re, 10 juin 2015, n° 14-20.790, D. 2015. 2365 , note H. Fulchiron ; ibid. 2016. 857, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1966, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; RTD civ. 2015. 596, obs. J. Hauser ; ibid. 825, obs. J.-P. Marguénaud ; Dr. fam. 2015. Comm. 163, note C. Neirinck). Son originalité tient à ce qu’il concerne, pour la première fois selon nous, une action en constatation de possession d’état et donc la mise en œuvre de la combinaison des articles 321 et 330 du code civil.

En l’espèce, une femme, Mme A., est née le 24 juillet 1971. Ce même jour, l’homme qu’elle prétend être son père, M. C., décède accidentellement, laissant pour héritiers sa sœur et ses neveux. Pour une raison qu’on ignore, Mme A. laisse s’écouler près de quarante-cinq ans avant d’agir en justice afin que soit reconnue l’existence d’une possession d’état à l’égard de M. C.. Ainsi, le 15 avril 2016, elle assigne en justice le procureur de la République de Marseille. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence déclare son action irrecevable comme prescrite. Selon les juges du fond, si Mme A. avait bien jusqu’au 24 juillet 2016 pour agir, elle aurait dû intenter son action contre les héritiers du père prétendu. En conséquence, son assignation délivrée en avril 2016 au procureur de la République n’a pu interrompre le délai de prescription et son action est désormais prescrite.

Le pourvoi de Mme A. contenait deux angles d’attaque.

Le premier consistait, sommairement, à démontrer que son assignation adressée au procureur avait bien interrompu la prescription car elle ignorait l’existence des héritiers. Nous n’insisterons pas sur ce point car la Cour de cassation l’a déclaré irrecevable « comme proposant une argumentation incompatible avec celle que [Mme A.] a développée devant la cour d’appel en soutenant avoir entretenu avec les héritiers de [M. C.] des relations régulières pendant de nombreuses années ».

Le second angle d’attaque, qui découlait de l’échec du premier, reposait sur l’atteinte disproportionnée que la solution retenue portait au droit au respect de la vie privée de Mme A. puisque celle-ci se trouvait ainsi privée du droit d’établir son lien de filiation et du droit de connaître ses origines. C’est là qu’intervient le désormais fameux contrôle de proportionnalité.

La Cour de cassation expose tout d’abord les textes du code civil qui aboutissent à la prescription de l’action en constatation de la possession d’état de Mme A. à l’égard de M. C. Elle rappelle qu’il résulte des articles 330 et 321 du code civil combinés que cette action peut être exercée par tout intéressé...

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Dans le cadre d’un litige opposant une banque à des emprunteurs, une plainte pénale est ouverte, entraînant le sursis à statuer prononcé par le juge de la mise en état du tribunal.

Cette ordonnance de mise en état ne fera l’objet d’aucun recours, les parties n’ayant pas demandé à être autorisé à en faire appel. Toutefois, alors que la procédure pénale ayant conduit à ce sursis était toujours en cours, la banque a estimé que l’affaire devait reprendre son cours. Elle a alors demandé au juge ayant prononcé ce sursis de le révoquer, ce que ce dernier devait refuser. La banque a donc saisi le premier président pour être autorisé à interjeter appel de l’ordonnance de refus de révocation.

Le premier président déclare irrecevable la demande d’autorisation, ce que la Cour de cassation approuve.

L’autorisation d’appel…

Le sursis à statuer, qui est un incident d’instance ne mettant pas fin à l’instance, mais qui la suspend, connaît un régime particulier s’agissant de la voie de recours.

Rappelons que la jurisprudence qualifie ce sursis à statuer d’exception de procédure, de sorte que dans les procédures avec désignation d’un magistrat de la mise en état, c’est ce dernier qu’il faut saisir de la demande de sursis à statuer, conformément aux dispositions de l’article 789 anciennement 776 (Civ. 2e, 25 juin 2015, n° 14-18.288 P).

Tout comme pour l’expertise, avec l’article 272, « la décision de sursis à statuer peut être frappée d’appel sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime » (C. pr. civ., art. 380). Le premier président, saisi selon la procédure accélérée au fond (anciennement en la forme des référés), rend alors une ordonnance par laquelle il autorise l’appel s’il considère qu’il existe un motif grave et légitime. L’appel reste alors conditionné à cette autorisation.

Ces procédures restent relativement rares, et n’alimentent pas vraiment la jurisprudence. Il ne fallait donc pas passer à côté de cette décision, qui au surplus est publiée.

… de la décision de sursis à statuer

Si la décision de sursis à statuer ne fait l’objet d’aucune demande d’autorisation, le sursis à statuer produit son plein effet, jusqu’à l’événement attendu. Dès la survenance de l’évé+nement, la cause de sursis disparaît et l’instance reprend son cours, et le délai de péremption avec.

Mais il peut arriver que l’une des parties, qui ne justifiait pas d’un motif grave et légitime pour faire appel lorsque la décision a été rendue, considère en cours de procédure que le sursis à statuer ne se justifie plus.

Le code a tout prévu, l’article 379, alinéa 2, précisant que « le juge peut, suivant les circonstances, révoquer le sursis à statuer ou en abréger le délai ». Les parties ne sont donc pas enfermées dans un sursis à statuer dont elles n’ont pas fait appel, et qui pourrait retarder inutilement la procédure. C’est le juge qui a ordonné le sursis à statuer qui révoquera le sursis ou en abrégera le délai. Cette procédure est une espèce de rétractation, qui permet au juge de revenir sur ce qu’il a jugé.

En l’espèce, c’est le juge de la mise en état qui avait ordonné le sursis, et c’est à lui que la banque a demandé de révoquer le sursis, ce qui a été refusé.

Mais la décision statuant sur la révocation ou en abrègement de délai de l’article 379, alinéa 2, du code de procédure civile n’est pas une décision ordonnant le sursis à statuer. C’est ce que nous rappelle la Cour de cassation. L’article 380 qui prévoit une autorisation de faire appel par le premier président ne vise que la décision qui ordonne le sursis à statuer, non la décision qui se prononce sur l’alinéa 2 de l’article 379, qu’il soit fait droit ou non à la demande de révocation. La Cour de cassation approuve ainsi le premier président qui a déclaré irrecevable la demande d’autorisation de faire appel. Elle retient que l’autorisation du premier président concerne seulement la décision qui a ordonné le sursis à statuer, sans s’étendre à celle rejetant la demande de révocation de ce sursis. C’est une stricte application des dispositions de l’article 380 du code de procédure civile.

Cet arrêt de rejet complète utilement un précédent arrêt pouvant laisser entendre qu’était ouvert la possibilité de saisir le premier président d’une demande d’autorisation d’une décision ayant refusé la révocation d’un sursis à statuer précédemment ordonné (Civ. 2e, 27 sept. 2018, FS-P+B, n° 17-17.270, Dalloz actualité, 7 nov. 2018, obs. M. Kebir).

Un appel sans autorisation

La Cour de cassation exclut donc toute demande d’autorisation. Au soutien de son pourvoi, le demandeur concluait sur le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. En d’autres termes, se pose la question du recours si celui de l’article 380 est définitivement fermé.

La Cour de cassation rappelle tout d’abord que la décision ordonnant le sursis à statuer était elle-même susceptible d’appel. La partie pouvait donc, si elle considérait que le sursis à statuer ne s’imposait pas, saisir le premier président d’une demande d’autorisation, ce qu’elle n’a pas fait. l n’est pas inutile de souligner que cette autorisation suppose de justifier d’un motif grave et légitime, ce qui constitue indéniablement un obstacle à l’appel. Mais il n’en demeure pas qu’un recours existe, sur autorisation.

La Cour de cassation précise d’autre part que le recours contre la décision de rejet de la demande de révocation n’est pas fermé pour autant puisqu’en effet, il est différé conformément aux dispositions de l’article 776, alinéa 2, du code de procédure civile, aujourd’hui 795, alinéa 2. Cette précision est importante car l’article 379, alinéa 2, ne prévoit quant à lui aucun recours particulier, et la question pouvait se poser de savoir quel était ce recours. L’arrêt de la Cour de cassation éclaire donc sur le recours de la décision de refus.

S’agissant d’une ordonnance de mise en état, c’est un appel différé avec le jugement sur le fond. Il n’y a donc pas, pour la Cour de cassation, une atteinte au droit de recours. Cela étant, cet argument convainc à moitié. En effet, le sursis à statuer n’ayant pas été révoqué, l’instance est suspendue, jusqu’à ce survienne l’événement attendu, tel que fixé dans la décision de sursis à statuer. Ce n’est qu’alors, lorsque le sursis à statuer ne produira plus ses effets, que la juridiction rendra son jugement au fond. Celui qui n’avait pas obtenu la révocation du sursis à statuer pourra alors faire appel de la décision de rejet de la demande de révocation, avec le jugement au fond, le cas échéant en limitant son appel à la seule ordonnance de mise en état si le jugement au fond lui est favorable.

Et c’est alors en terme d’opportunité que la question du recours se posera. Quel intérêt de faire appel pour la partie qui a essuyé un refus d’une demande de révocation, dès lors que l’instance a repris et que le juge a statué au fond ? Si, sur le papier, le droit au recours est conservé, il est en pratique inexistant. Et il plus que probable que les cours d’appel n’auront jamais à connaître de l’appel d’une décision de rejet d’une révocation de sursis à statuer. En excluant que ces décisions puissent, par une espèce de parallélisme des formes, suivre le régime des décisions ordonnant le sursis à statuer, la Cour de cassation a de fait fermé tout recours, même si elle s’en défend par une argumentation dont nous pouvons douter qu’elle ait convaincu personne.

D’un autre côté, est-ce vraiment regrettable que ce recours n’existe pas ? Le juge a ordonné un sursis à statuer, par une décision appelable (sous conditions). Saisi ultérieurement pour qu’il revienne dessus, il refuse de revoir sa position. Après tout, est-il utile d’encombrer les juridictions avec ce type de litige ? Cela n’est pas certain.

Un amant est éconduit par son ancienne maîtresse. Fou de rage, il cherche à se venger de la pire des façons en dévoilant leur relation, une manière, dit-il, de tenter d’entraîner dans sa chute son ancien amour perdu. Lundi, la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris avait à juger un dossier qui a connu un écho singulier grâce à l’utilisation à outrance des possibilités du numérique. « Ce que cette affaire a de particulier, ce sont les moyens utilisés, résume le substitut Barthélémy Hennuyer. C’est ce qui donne à cette malveillance une dimension ahurissante ». « Des proportions, permises grâce à l’informatique et les réseaux sociaux, qui donnent le vertige », ajoute-t-il.

Pendant plusieurs mois, au cours de l’été et de l’automne 2019, Marc* a inondé la sphère professionnelle, amicale et familiale d’Armelle*. En tout, une trentaine de mails ont été envoyés à au moins 900 personnes – le décompte définitif est incertain –, qui connaissaient de près ou pas la victime. Ils sont envoyés à des collègues d’Armelle, à sa paroisse, à ses amis, ou encore à ses parents. Certains des messages, malveillants, sont signés à tort du nom des enfants d’Armelle, d’autres de son nom. Certains sont accompagnés de photos de nus. La rémunération d’Armelle est dévoilée. Un autre message affirme que son époux n’est pas le père de leurs enfants. Un dernier annonce enfin à ses destinataires l’homosexualité du nouveau patron d’Armelle, devenu une victime colatérale de la folie de l’amant éconduit. Ce qui a valu à Marc des poursuites pour usurpation d’identité, violation de la vie privée (la porno-divulgation), dénonciation mensongère et une série d’infractions informatiques pour le piratage de la boîte mail d’Armelle. Une liste trop courte pour la partie civile, qui a plaidé pour retenir des qualifications supplémentaires, de l’envoi de messages malveillants au harcèlement.

« J’ai commencé à dévisser »

Sans cette affaire, Armelle et Marc seraient deux quadra cadres supérieurs à la réussite éclatante. La première, diplômée de Science-Po, est une spécialiste des ressources humaines, aujourd’hui DRH d’un groupe réalisant plus de 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le second a fondé, avec succès, une entreprise de conseil en ingénierie, qui pesait il y a deux ans plus de 120 millions d’euros de chiffre d’affaires. Armelle et Marc s’étaient connus au début des années 2000. Ils se retrouvent en 2015. Cela tombe bien, Marc recherche justement un nouveau responsable des ressources humaines. Leur histoire reprend, d’abord strictement professionnelle. Puis, deux ans plus tard, après un séminaire à Barcelone, les deux amants, qui ont chacun construit leur famille, renouent leur relation. Un temps seulement. Alors qu’ils envisagent l’achat d’un appartement à Neuilly, dans la banlieue cossue de Paris, pour refaire leur vie, Armelle met un point final à cette histoire et annonce qu’elle va changer d’employeur.

« J’ai commencé à dévisser, explique Marc, rouge de honte, à la barre. Je sentais bien que cela m’échappait. J’ai sombré. À la fin de l’été, elle était dure, froide avec moi. Je voulais qu’Armelle partage la douleur que je vivais. C’est là que j’ai eu l’idée de ces mails atroces, horribles. Je savais que cela allait être destructeur mais c’était plus fort que moi. »

— Vous vous rendez compte du nombre de personnes destinataires ?, s’étonne la juge-rapporteure Jehiel. Et vous envoyez vos messages à la terre entière presque, et notamment la terre de madame ?

— Oui, c’est horrible, et j’ai fait cela, répond, contrit, Marc.

Armelle se tient la tête en l’écoutant. « Ce que j’ai vécu, c’est une destruction de l’intérieur, une humiliation profonde de mon image, de mes études, de ce que je suis en tant que mère, femme, une démolition sociale et une profonde déstabilisation de ma vie de famille », avait-elle expliqué auparavant, des sanglots dans la voix, alternant des regards en direction des magistrats et vers le prévenu. « La seule chose qu’il n’a pas réussie, c’est mettre fin à ma vie », ajoute celle qui a pensé, au paroxysme de ce drame, à se jeter dans la Seine. Plus d’un an après ces envois, le couple vit toujours dans la crainte qu’un ancien mail ne refasse surface.

Pour répandre son fiel, Marc épluche le réseau social LinkedIn pendant près d’une trentaine d’heures. Cela lui permet, en ciblant la nouvelle entreprise d’Armelle, de reconstituer un fichier mail – il suffit de connaître l’enchaînement standard entre le prénom et le nom des salariés – des nouveaux collègues de son ancienne maîtresse. Grâce à une redirection automatique des messages du compte mail d’Armelle, piraté, il se constitue également un fichier d’adresses dans le réseau personnel de la famille de la quadragénaire. La déferlante de messages pousse le nouvel employeur d’Armelle à suspendre pendant quarante-huit heures la réception des messages électroniques de ses salariés. « On a dû arrêter la messagerie parce que des collaborateurs recevaient des emails dégueulasses sur des cadres dirigeants, c’est quelque chose que nous avons vécu de manière très violente », explique l’un des patrons de l’entreprise d’Armelle. En filtrant mots-clés et adresses d’expédition, l’entreprise réussit finalement partiellement à stopper le flux nauséabond.

Requêtes aux fins de levée d’anonymat

Si, à l’audience, le prévenu reconnaît sa responsabilité dans l’envoi des mails, l’enquête pour identifier le mystérieux corbeau n’a pas été simple à l’époque. Le conseil d’Armelle, Me Vincent de la Morandière, s’appuyant sur l’article 145 du code de procédure civile, demande à Google et Yahoo de livrer des éléments d’identification relatifs à la vingtaine de boîtes mail utilisées par le corbeau. Deux adresses IP ayant été identifiées à la suite du piratage du mail d’Armelle, Orange est également sommé. Soit dix requêtes aux fins de levée d’anonymat, qui, malgré des refus, vont faire avancer l’enquête et ainsi confondre Marc, placé en garde à vue au début du mois de novembre. La réponse de l’opérateur de téléphonie avait permis de relever que le harceleur s’était connecté depuis son domicile. Quant aux éléments fournis par Google, ils ont montré que les adresses IP de création des nombreux comptes Gmail suivaient Marc dans ses déplacements pour des séminaires professionnels en Europe. Soit, sur le plan pénal, des faits qui justifient, pour le magistrat Barthélémy Hennuyer, trente mois de prison avec sursis probatoire de deux ans.

Reste la question des dommages et intérêts à accorder à Armelle, et à son employeur, qui demande également réparation. Un point où les deux parties sont franchement en désaccord. Le prévenu a envoyé un chèque de 12 000 € à la victime à l’hiver dernier. La simple évocation de la somme fera grimacer l’avocat d’Armelle. Les parties civiles demandent en effet une somme bien plus conséquente, proche du million d’euros. Un chiffre atteint en estimant, mail par mail, en fonction de la qualité des destinataires, le préjudice subi. Une facture, rondelette, à la portée de la bourse de Marc, qui aurait bénéficié d’un confortable parachute doré de plusieurs millions d’euros – le montant est contesté par la défense – à son départ de sa société à la suite du scandale. « Quand on vient en justice pour se venger, on en ressort forcément avec la même douleur et avec de la frustration », avertit, à l’adresse des victimes, Me Sabrina Goldman, l’avocate de Marc. Ce dernier « passe son temps à se plaindre, mais n’a pas su trouver le mot pardon, réparation », regrette au contraire Me Vincent de la Morandière. Le délibéré sur l’action publique est attendu début mars. Quant aux intérêts civils, au vu de leur caractère complexe, ils ont été renvoyés à une nouvelle audience, dans quatre mois, par la cour.

 

* Les prénoms ont été changés

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Le procédurier, entendu comme technicien de la procédure civile et non comme l’amateur de « chicane », avait reçu un « gros Noël » en 2019 avec la réforme « Belloubet », issue principalement des décrets n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et n° 2020-1419 du 20 décembre 2019 (v., parmi d’autres réf., les dossiers publiés sur Dalloz actualité, 20 janv. 2020 et dans D. avocats 2020. 17 s. )… étant rappelé que la réforme « Belloubet » avait commencé bien avant le temps de Noël, avec la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (v. not. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques, D. 2019. 1069 ).

La version 2020 du « Noël » a été moins volumineuse, ce dont le « procédurier » ne s’est pas plaint : il avait en effet dû essayer de comprendre, retenir et appliquer les changements intervenus en 2019 et aspirait à un peu de répit… qui n’a pas été total. En effet, ses « petits souliers » ne sont pas restés vides au pied du sapin. Le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020, précédant le temps de l’avent, a apporté son lot de retouches ou de modifications (not. F.-X. Berger, Réforme de la procédure civile : pas de répit pour les praticiens, Dalloz actualité, 1er déc. 2020 ; C. Lhermitte, Décret du 27 novembre 2020 et appel : une énième réforme qui s’abstient de réformer, Dalloz actualité, 17 déc. 2020 ; C. Bléry, Un juge civil toujours plus lointain… ? Réflexions sur la dispense de présentation et la procédure sans audience, Dalloz actualité, 22 déc. 2020). Puis, pour Noël, le décret n° 2020-1641 du 22 décembre 2020 reportant la date d’entrée en vigueur de l’assignation à date dans les procédures autres que celles de divorce et de séparation de corps judiciaires, et l’arrêté du 22 décembre 2020 modifiant l’arrêté du 9 mars 2020 relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire, sont venus préciser les conditions de mise en œuvre de la prise de date à compter du 1er janvier 2021 (F.-X. Berger, La saga de « l’assignation à date » : fin de la saison 1, Dalloz actualité, 5 janv. 2021).

Un autre texte, tiré de la hotte de la Chancellerie, est sans doute passé plus inaperçu. C’est le décret n° 2020-1682 du 23 décembre 2020 relatif à la procédure d’accréditation des organismes certificateurs délivrant la certification des services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation et d’arbitrage. Il est vrai qu’il s’adresse moins au « procédurier » qu’à ceux qui veulent éviter la procédure habituelle : selon la notice, il concerne « les personnes physiques et morales proposant un service en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage, le Comité français d’accréditation (COFRAC), les organismes certificateurs, les personnes physiques et morales utilisatrices desdits services en ligne ». De fait, il s’inscrit dans le mouvement général de la faveur pour les modes amiables de résolution des différends (MARD) ou de règlement extrajudiciaire des litiges (REL) – pour utiliser deux terminologies actuelles –, qui se combine ici avec une autre tendance favorable, elle, à la dématérialisation.

Le décret du 23 décembre 2020 prend place au sein d’un ensemble de textes en vigueur au 1er janvier 2021.

C’est la loi Belloubet qui a légiféré en matière de MARD en ligne (v. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice…, art. préc.). Bien que n’étant pas la panacée, ne serait-ce que parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, le législateur impose de plus en plus le recours à des MARD et de manière de plus en plus contraignante. L’article 3 de la loi en a été la « parfaite » illustration, pendant que l’article 4 explorait une conception des MARD, qui existe d’ores et déjà, notamment au Québec, et qui est plus novatrice : c’est en effet la possibilité de recourir à un MARD en ligne.

De fait, l’article 4 de la loi n° 2019-222 a inséré les articles 4-1 à 4-7 à la loi JXXI n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : il a innové en réglementant des services en ligne, de conciliation ou de médiation (art. 4-1), d’arbitrage (art. 4-2) ou d’aide à la saisine des juridictions (art. 4-4). L’existence de ces services en ligne a donc été consacrée par la loi du 23 mars 2019, pendant que leur statut était précisé par les articles 4-1 à 4-7 – statut qui leur est plus ou moins commun (v. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice…, art. préc.).

En particulier, les personnes (physiques ou morales, rémunérées ou non) mentionnées aux articles 4-1 et 4-2 peuvent proposer un traitement algorithmique ou automatisé de données à caractère personnel, mais ce traitement ne peut être l’unique fondement du service et il doit en tout état de cause être soumis à information et consentement exprès des parties.

En lien avec notre décret de fin d’année, rappelons que ces mêmes personnes peuvent solliciter une certification délivrée par un organisme accrédité dans des conditions fixées par le décret en Conseil d’État évoqué (art. 4-7, al. 1er et 2) – une telle certification étant en revanche accordée de plein droit aux médiateurs de consommation inscrits sur la liste prévue à l’article L. 615-1 du code de la consommation, des médiateurs ou des conciliateurs de justice (art. 4-7, al. 3). Or « les conditions de délivrance et de retrait de la certification mentionnée au présent article ainsi que les conditions dans lesquelles est assurée la publicité de la liste des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage sont précisées par décret en Conseil d’État » (art. 4-7, al. 4).

En fait, il aurait été plus juste d’écrire « décrets » (au pluriel) puisque, comme trop souvent désormais, deux textes ont, depuis la loi Belloubet, été pris sur le fondement de cet article 4-7, alinéa 4, de la loi JXXI. Ils sont en outre complétés par un arrêté qui leur est commun.

Un premier décret a été publié au JO du 27 octobre 2019, à savoir le décret n° 2019-1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne, étant précisé que « les dispositions du présent décret entrent en vigueur à une date fixée par arrêté du garde des Sceaux et au plus tard le 1er janvier 2021 » (art. 12). Selon l’article 1er de ce décret, « la certification mentionnée à l’article 4-7 de la loi du 18 novembre 2016 susvisée est délivrée par un organisme certificateur sur le fondement d’un référentiel mettant en œuvre les exigences mentionnées aux articles 4-1 à 4-3, 4-5 et 4-6 de la même loi et approuvé par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice ». Les articles 3 à 11 réglementent la procédure de demande de certification effectuée par les services en ligne auprès de l’organisme certificateur : celle-ci suppose un audit, une éventuelle mise en conformité avec les exigences textuelles – notamment celle du référentiel sus-évoqué –, les hypothèses de changements dans la situation des personnes proposant les MARD en ligne, les recours en cas de refus, la publicité des listes (actualisées) des services en ligne (cette liste actualisée des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage certifiés est ainsi publiée sur le site justice.fr)…

Or, d’une part, « la multiplication des interlocuteurs en la matière peut laisser dubitatif » (v. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud, Droit de la consommation janvier 2019 - décembre 2020, D. 2020. 624  : avec Mme Élise Poillot, il est permis de s’interroger : « qui orientera les consommateurs dans la jungle des REL ? Quel contrôle sur l’activité des organismes sera exercé une fois la certification accordée et avec quels moyens ? ») ; et, d’autre part, ce décret de 2019 ne se suffit pas à lui-même puisqu’il prévoit une sorte de mécanisme à double détente, ou un système pyramidal.

C’est ainsi que l’organisme certificateur, qui n’est donc pas unique, doit être lui-même accrédité « par le Comité français d’accréditation [COFRAC] ou par tout autre organisme d’accréditation signataire d’un accord de reconnaissance mutuelle multilatéral pris dans le cadre de la coordination européenne des organismes d’accréditation, conformément à un référentiel d’accréditation publié par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice » (art. 2)… M. Martin Plissonier l’exprime ainsi : « l’accréditation est désormais donnée par le Comité français d’accréditation. Elle peut aussi être donnée par un des organismes eux-mêmes certifiés à certifier » (« Réflexions sur l’incitation au recours aux modes amiables de résolution des différends en matière civile, RLDC 01/10/2020, n° 185, p. 26, n° 8). Même si cela nous semble inutilement compliqué, M. Plissonier (loc. cit.) ajoute que, « dans l’esprit du législateur, cette accréditation est doublement utile : elle encadre le traitement algorithmique du litige et le règlement de petits litiges ».

C’est dans ce contexte que le décret n° 2020-1682 du 23 décembre 2020 a été adopté, pour permettre l’entrée en vigueur annoncée au 1er janvier 2021 de l’article 1er du décret de 2019. Il s’agit cette fois de préciser « les modalités de l’audit d’accréditation, de la suspension et du retrait de l’accréditation ainsi que les conséquences de la cessation d’activité de l’organisme certificateur ». Autrement dit, c’est l’étage supérieur de la pyramide qui est l’objet du décret ; plus exactement, il s’agit d’organiser l’adoubement de l’étage intermédiaire de la pyramide (composé des organismes certificateurs), afin qu’il puisse ensuite adouber lui-même l’étage inférieur (celui des services en lignes) ?

Selon les articles 1er à 4 du décret de 2020, les organismes certificateurs candidats à l’accréditation mentionnée à l’article 2 du décret du 25 octobre 2019 susvisé doivent ainsi déposent un dossier de demande d’accréditation auprès de l’organisme d’accréditation mentionné à ce même article : sont prévus la durée de l’accréditation, des évaluations régulières du fonctionnement des organismes certificateurs accrédités par l’organisme d’accréditation, l’éventuelle suspension de l’accréditation – à l’initiative de l’organisme d’accréditation – et ses modalités, le retrait de cette accréditation, la cessation d’activité de l’organisme certificateur…

L’essentiel réside dans l’article 5 du décret de 2020… qui reprend l’article 2 du décret de 2019 : cet article 5 dispose que « l’accréditation des organismes certificateurs des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage est délivrée sur le fondement d’un référentiel publié par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice ».

Les deux référentiels, celui concernant l’étage supérieur et celui nécessaire à l’étage intermédiaire, sont approuvés et publiés en annexes d’un arrêté du 23 décembre 2020 portant approbation du référentiel d’accréditation des organismes certificateurs et du référentiel de certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage. En annexe 1, figure le référentiel qui s’adresse aux organismes certificateurs souhaitant être accrédités pour délivrer la certification des services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation, ainsi qu’aux services en ligne souhaitant obtenir cette certification. En annexe 2, est publié le référentiel qui « s’adresse aux services en ligne fournissant lesdits services ainsi qu’aux organismes certificateurs délivrant le certificat.
Le premier s’organise en trois parties : domaine d’application du référentiel, références normatives applicables et conditions et critères d’accréditation – les deux premières étant très brèves ; c’est surtout dans la troisième qu’on apprend, par exemple, que pour l’accréditation d’un organisme de certification, une assurance RCP doit être souscrite, que les auditeurs participant aux activités de certification doivent justifier d’une formation et de compétences, dans le domaine de l’audit, de la protection des données personnelles, de la sécurité des systèmes d’information, que l’équipe d’auditeurs peut être renforcée par des experts techniques,… que l’organisme s’engage à communiquer diverses informations en français au ministère de la justice…
Le second comporte deux parties : procédure de certification (qui traite surtout de la durée des audits en un tableau) et critères de certification : ces critères (respect de la réglementation relative à la protection des données à caractère personnel, confidentialité, obligation d’information,…) sont présentés sous forme de tableaux : ceux-ci comportent des colonnes présentant les caractéristiques, les critères et moyens mis en œuvre, les éléments de preuve internes, le contrôle externe. Les tableaux présentent la déclinaison et le contrôle des différents critères, soit pour tous les services : conciliation, médiation et arbitrage, soit pour certains seulement… de manière technique.

Alors que l’idée est de favoriser les MARD en ligne, il est dommage qu’il faille un empilement de normes, prises à des dates diverses et qui opèrent des renvois entre elles, au risque qu’on ne les voit pas… Si le cadre juridique est complexe, le service au justiciable sera-t-il réel ? Rendez-vous dans quelque temps… 

Si le projet de loi initial du ministère de la Justice avait pour objectif premier d’intégrer au droit français le parquet européen qui doit entrer en fonction en mars 2021, les dispositions relatives à la justice environnementale n’ont cessé de prendre de l’importance au fil des discussions. Partant du constat que le traitement actuel des infractions environnementales n’est pas satisfaisant, la loi nouvelle vise à adapter la procédure pénale aux spécificités d’un droit technique qui présente de forts enjeux en termes de réparation du préjudice et à laquelle la société civile prête de plus en plus attention. La loi du 24 décembre 2020 contient également deux innovations majeures en matière de justice pénale environnementale : la création de juridictions spécialisées et la possibilité de conclure une Convention judiciaire d’intérêt public pour les délits issus du code de l’environnement.

Améliorer la répression des infractions environnementales

L’objectif annoncé de la loi du 24 décembre 2020 (tel qu’il ressort de son étude d’impact et du rapport de l’Inspection générale de la justice d’octobre 2019 sur la justice pour l’environnement dont il s’inspire) est de renforcer la réponse pénale apportée aux délits environnementaux. Le contentieux de l’environnement ne constitue qu’une très faible part de l’activité des juridictions pénales, oscillant entre 0,5 % et 1 % des affaires traitées (étude d’impact, p. 142 ; rapport p. 20), un chiffre en baisse continue ces dernières années (rapport, p. 20). En outre, la réponse pénale aux infractions environnementales est constituée à 75 % de mesures alternatives aux poursuites, principalement des rappels à la loi ou des classements sans suite (Une justice pour l’environnement. Mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Inspection générale de la justice, oct. 2019, p. 55). Ainsi, en 2018, 1 993 condamnations ont été prononcées à l’encontre de personnes physiques pour des délits d’atteinte à l’environnement et 193 à l’encontre de personnes morales l’année précédente, pour des quantums d’amende jugés relativement bas par les autorités (étude d’impact, p. 158).

Cette situation résulterait pour partie d’un droit et d’une procédure ne parvenant pas à se saisir de la spécificité de la matière environnementale :

• en premier lieu, la grande technicité du droit pénal de l’environnement, nécessitant souvent la maîtrise de nombreuses données scientifiques, rend le traitement de ces dossiers délicats et conduit souvent les parquets à recourir à des qualifications pénales génériques plus faciles à manier, plutôt qu’aux qualifications prévues par le code de l’environnement (rapport, p. 26-27) ;

• en second lieu, la répression ne serait pas adaptée aux actes de pollution diffuse (utilisation de véhicules polluants, nuisances sonores, dépôts sauvages d’ordure, etc.). Ces actes, nombreux mais souvent isolés et individuels, ont très souvent pour sanction une contravention peu dissuasive alors que les moyens de preuve nécessaires à leur caractérisation sont difficiles à récolter (rapport, p. 28) ;

• enfin, la fragmentation du contentieux environnemental, que se partagent l’ordre administratif et l’ordre judiciaire, porte atteinte à la lisibilité et à l’efficacité de la lutte contre les infractions environnementales (rapport, p. 30).

La création de juridictions spécialisées

Afin d’y remédier, la loi du 24 décembre 2020 prévoit la création, dans le ressort de chaque cour d’appel, d’un pôle régional spécialisé en matière d’atteintes à l’environnement attaché à un tribunal judiciaire (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 15 ; la liste des tribunaux judiciaires concernés sera établie ultérieurement par décret).

Ce pôle spécialisé sera chargé de traiter les contentieux complexes – c’est-à-dire les affaires techniques, celles dans le cadre desquelles le préjudice subi est important ou celles qui s’étendent sur un vaste ressort géographique – qu’ils relèvent du code de l’environnement (étude d’impact, p. 158) du code forestier, de certaines infractions au code minier, du code rural et de la pêche maritime ou encore de certaines infractions non codifiées comme la mise illégale sur le marché de bois ou de produits dérivés de bois (L. n° 2014‑1170, 13 oct. 2014, art. 76).

Ces nouveaux pôles régionaux comprendront une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement dédiées. Les magistrats attachés à ces pôles spécialisés recevront une formation spécifique sur les problématiques environnementales, s’agissant notamment de l’évaluation du préjudice et de la détermination du lien de causalité. Ils exerceront leur compétence sur l’étendue du ressort de la cour d’appel pour les infractions complexes et les infractions connexes.

Les affaires ne présentant pas de gravité particulière ou de complexité continueront d’être traitées par les juridictions locales. À l’inverse, certaines affaires techniques d’ampleur telles que les pollutions de grande échelle liées à un produit réglementé (par exemple, l’accident de l’usine Lubrizol à Rouen) ou le contentieux des catastrophes environnementales et industrielles (telle la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse en 2001) relèveront toujours de la compétence des deux pôles interrégionaux spécialisés de Paris et Marseille dédiés aux questions de santé publique et aux accidents collectifs (C. pr. pén., art. 706-2 et 706-176). De la même façon, les juridictions du littoral spécialisées continueront de traiter les affaires de pollution maritime tandis que les juridictions interrégionales spécialisées feront de même pour les dossiers de criminalité organisée ayant à la fois une grande complexité et une dimension environnementale (C. pr. pén., art. 706-75).

L’objectif du législateur est également que ces nouvelles juridictions, identifiées en tant que pôles de référence en la matière, facilitent la présence au moment de l’audience des agents et fonctionnaires spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale. L’objectif est d’enrichir les débats lorsque des questions techniques se poseront, comme celle de la remise en état des milieux (étude d’impact, p. 153).

Plusieurs amendements déposés par le gouvernement et adoptés lors des discussions parlementaires ont complété ce dispositif en matière civile. La loi prévoit ainsi la création de juridictions miroirs en matière civile chargées des actions relatives à l’indemnisation du préjudice écologique ou des actions en matière de responsabilité civile prévues par le code de l’environnement ou certains régimes spéciaux de responsabilité civile (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 17).

La création d’une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale

Si, à ce jour, les mesures alternatives aux poursuites constituent la réponse pénale principale aux infractions environnementales, les parquets n’ont cependant d’autre choix que d’engager des poursuites judiciaires en présence d’atteintes graves à l’environnement commises par des personnes morales (étude d’impact, p. 151). Si le code de l’environnement prévoit déjà un mécanisme de règlement transactionnel à l’article L. 172-13, celui-ci n’a toutefois pas été pensé pour le traitement des infractions d’une certaine gravité (le code de l’environnement prévoit en effet un mécanisme de transaction pénale à l’article L. 173-12. Celui-ci permet à l’autorité administrative, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, de transiger auprès du procureur de la République avec les personnes morales ou physiques sur la poursuite des contraventions et délits prévus par le code de l’environnement. En échange, celles-ci doivent s’acquitter d’une amende transactionnelle et d’une ou plusieurs autres obligations comme la remise en conformité des lieux. Ce dispositif ne s’applique cependant qu’aux délits punis de moins de deux ans d’emprisonnement et le montant de l’amende se limite au tiers de celle encourue).

Or la complexité et la technicité du droit de l’environnement ont souvent pour conséquence d’allonger les procédures judiciaires liées aux atteintes à l’environnement et de retarder la réparation des dommages subis. L’étude d’impact du gouvernement considère ainsi que ce décalage temporel a pour conséquence le prononcé de sanctions jugées trop faibles par rapport au dommage environnemental causé et à l’éventuel profit qui a pu en être tiré (étude d’impact, p. 151).

C’est donc avec le triple objectif d’apporter une réponse pénale rapide et adaptée aux infractions environnementales les plus graves commises par les personnes morales et de mieux réparer les dommages causés du fait de l’infraction que la loi insère un article 41-1-3 au sein du code de procédure pénale créant une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale (L. n° 2020-1672, 24 déc. 2020, art. 15).

Calquée sur le modèle de la CJIP de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale applicable aux infractions en matière d’atteinte à la probité et en matière fiscale issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II », la CJIP environnementale est une mesure alternative aux poursuites qui permet au procureur de la République de proposer à une personne morale mise en cause pour certains délits environnementaux de bénéficier d’une convention qui éteint l’action publique à son égard en échange de l’acquittement de certaines obligations.

La loi du 24 décembre 2020 adapte toutefois ce mode de règlement transactionnel à la matière environnementale. Ainsi, le texte prévoit que cette nouvelle CJIP, qui ne peut aussi bénéficier qu’aux personnes morales, concernera seulement les délits prévus par le code de l’environnement et les infractions connexes, à l’exception notable des délits du titre II du code pénal. Sont ainsi exclus du champ de la CJIP environnementale les délits d’atteintes aux personnes (notamment les homicides et blessures involontaires).

En échange de l’arrêt des poursuites contre la personne morale, la CJIP pourra imposer à celle-ci les obligations suivantes :

• le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public dont le montant pourra atteindre 30 % du chiffre d’affaires moyen calculé sur la base des trois derniers chiffres d’affaires connus à la date du manquement ;

• la régularisation de sa situation via l’adoption d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans sous le contrôle des services compétents du ministère de l’Environnement ;

• la réparation du préjudice écologique dans un délai maximal de trois ans, toujours sous la supervision des services du ministère de l’Environnement ;

• et, lorsqu’il existe une victime identifiée, la CJIP prévoit également le montant et les modalités de réparation du dommage dans un délai d’un an.

Le nouvel article 41-1-3 du code de procédure pénale met à la charge de la personne morale bénéficiant d’une CJIP l’obligation de mettre en œuvre un programme de conformité. En toute logique, la mise en œuvre de celui-ci ne sera pas supervisée par l’Agence française anticorruption (AFA), comme ce qui est prévu à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, mais par les services du ministère de l’Environnement chargés de la police administrative de l’environnement (étude d’impact, p. 155). Cet élément n’est pas sans soulever quelques interrogations pour les entreprises quant à la nature du programme de conformité et aux modalités de l’évaluation de sa bonne application par les services du ministère. En effet, la loi et les rapports l’accompagnant donnent relativement peu de détails sur ce programme de conformité là où la loi Sapin II et la CJIP en matière d’atteintes à la probité conféraient le contrôle de la mise en œuvre du programme de conformité anticorruption à une entité dédiée, l’AFA, qui a par ailleurs produit des recommandations afin de guider les entreprises sur le sujet (P. Goossens et G. Robert, Justice environnementale : ce qui attend les entreprises, Le Moniteur, 5 mars 2020). Le texte de loi ne renvoie pas non plus à la prise d’un décret ultérieur par le gouvernement sur le contenu d’un tel programme de mise en conformité. Il est cependant probable que cette mission de contrôle échoie aux directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), sous contrôle des préfets de département (M. Pennaforte et J.-N. Citti, Convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale : contrat de confiance ou marché de dupes ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 19 juin 2020).

La spécificité la plus notable de la CJIP environnementale réside sans doute dans la place laissée à la réparation du préjudice. En effet, l’article 41-1-3 du code de procédure pénale prévoit que la CJIP environnementale doit régler la question de l’indemnisation du préjudice de la victime identifiée, mais aussi que la personne morale devra dans un délai maximal de trois ans réparer le préjudice écologique résultant des infractions commises.

En effet, un enjeu important de l’adaptation de la justice pénale environnementale identifié par les autorités réside dans l’obligation de réparation intégrale du dommage et de réparation des milieux affectés par les agissements faisant l’objet de la CJIP. Celles-ci entendent ainsi faire de la CJIP un outil permettant d’accélérer la réparation du préjudice écologique là où il est, à l’heure actuelle, théoriquement nécessaire d’attendre la condamnation judiciaire définitive d’une entreprise mise en cause pour que celle-ci intervienne, soit souvent plusieurs années après la survenance du dommage (étude d’impact, p. 151). Les récentes dispositions du code civil issues de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ayant consacré le préjudice écologique devront également être prises en compte. Se définissant comme une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (C. civ., art. 1247), la notion de préjudice écologique vise à la réparation des atteintes d’une certaine gravité subies par l’environnement en tant que tel. Le régime de responsabilité mis en place accorde la primauté à la réparation en nature (C. civ., art. 1249) en imposant, par exemple, à l’auteur du fait dommageable la dépollution des sols contaminés ou la remise en état des milieux dégradés. Une telle action en réparation est cependant ouverte à un nombre limité de personnes (C. civ., art. 1248) : l’État, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné ainsi que certains établissements publics et associations agréées qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement.

S’agissant des modalités procédurales de mise en œuvre de la CJIP environnementale, rien ne la distingue vraiment de son modèle créé par la loi Sapin II – l’article 41-1-3 renvoyant directement à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale sur ce point. La CJIP peut donc intervenir tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, que ce soit dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire (la loi prévoit à cette fin l’insertion d’un article 180-3 du code de procédure pénale renvoyant directement aux dispositions de l’article 180-2 du code de procédure pénale). Celle-ci doit également faire l’objet d’une validation par le président du tribunal judiciaire ainsi que d’une publication sur les sites internet des ministères de la Justice et de l’Environnement et de la commune sur le territoire duquel a été commise l’infraction ou, à défaut, sur celui de l’établissement public de coopération intercommunale auquel la commune appartient. Comme le relèvent certains commentateurs (M. Pennaforte et J.-N. Citti, art. préc.), la dimension territoriale de la publication de la CJIP environnementale, sur les sites des collectivités locales, mérite d’être soulignée. Non prévue en matière d’atteintes à la probité, cette publicité locale vise à prendre en compte les intérêts des acteurs locaux, riverains ou groupes d’intérêts, qui ont potentiellement subi les conséquences d’une atteinte à l’environnement, en portant à leur connaissance l’existence de la convention conclue et les informant par là de la possibilité de recours judiciaires en rapport avec les faits objet de la CJIP. Enfin, la prescription de l’action publique sera également suspendue pendant l’exécution des obligations mises à la charge de la personne morale sujet de la CJIP. Seule l’exécution entière de ces obligations éteint l’action publique, celle-ci pourra toutefois être mise en mouvement par le procureur dans l’hypothèse d’une mauvaise exécution de la convention.

La loi du 24 décembre 2020 vise ainsi à améliorer la prise en charge du contentieux pénal environnemental, qui semblait jusqu’ici délaissé par les juridictions faute d’outils adaptés. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond impulsé par les pouvoirs publics, en lien avec la Convention citoyenne pour le climat, à la suite de laquelle les ministères de la Transition écologique et de la Justice ont annoncé la création d’un délit d’écocide en novembre dernier (Pas de crime d’écocide, mais un délit pour punir les atteintes à l’environnement, Le Monde, 22 nov. 2020), visant à prévenir et sanctionner les atteintes graves à l’environnement, et d’un délit de mise en danger de l’environnement. Le gouvernement n’a toutefois pas précisé si ces derniers seront inscrits dans le code de l’environnement afin de pouvoir être éligibles à la CJIP environnementale nouvellement créée. L’ouverture de la CJIP aux délits environnementaux présente en outre certains avantages pour les opérateurs économiques, notamment dans les secteurs exposés au risque environnemental (industrie, énergie, BTP, etc.). Comparée à l’aléa et à la longueur de certaines procédures judiciaires, la CJIP offre aux entreprises mises en cause une certaine prévisibilité grâce à une procédure rapide ainsi que la possibilité de réduire l’amende finalement prononcée et un éventuel risque réputationnel en adoptant une démarche de coopération avec les autorités judiciaires.

Le droit de la consommation obéit avant tout au droit commun des contrats, raison pour laquelle les mécanismes les plus classiques ont vocation à s’appliquer aux consommateurs, parfois même à leur détriment, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2020. En l’espèce, une dame a conclu un contrat de fourniture et d’installation d’un kit photovoltaïque avec une société, ce contrat étant financé par un crédit qu’elle a souscrit le même jour avec un coemprunteur auprès d’une banque. Par la suite, les emprunteurs ont assigné le vendeur et la banque en annulation de ces contrats. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 27 septembre 2018, rejette leurs demandes et les déclare tenus de poursuivre l’exécution du contrat de crédit, en considérant, selon les termes de la Cour de cassation, que si « le contrat ne respecte pas les exigences posées à l’article L. 121-23, 4° et 5°, du code de la consommation en ce qu’il ne contient pas la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés, ni les conditions d’exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens ou d’exécution de la prestation de services, il est cependant reproduit au verso du bon de commande, après les conditions générales de vente, les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-24 du code de la consommation, dans des caractères de petite taille mais parfaitement lisibles et que cette obligation légale a pour objet de permettre au...

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Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs occupent une place discrète mais importante dans les différentes protections déployées par le code civil. Au début de l’automne, nous avions pu d’ailleurs observer que le financement de cette mesure peut poser difficulté (Civ. 1re, 30 sept. 2020, F-P+B, n° 19-17.620, AJ fam. 2020. 676, obs. V. Montourcy ). C’est notamment le cas quand rémunération et financement sont confondus : la seconde est exceptionnelle tandis que la première reste de droit. La mission des mandataires judiciaires à la protection des majeurs reste, en effet, à titre onéreux (Rép. civ., v° Majeur vulnérable, par F. Marchadier, n° 25). Le financement de la mesure résulte d’une architecture qui a été rénovée par le décret n°2018-768 du 31 août 2018 qui présente encore aujourd’hui une certaine « opacité » (AJ fam. 2020. 188, obs. V. Montourcy). Les modalités de calcul de cette gratification reposent sur l’article 471-5-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) qui comprend comme points de repères notamment les ressources du majeur vulnérable, son lieu de vie et la charge de travail du mandataire judiciaire. Le but intrinsèque de cette réforme de 2018 était de faire participer le majeur vulnérable à sa propre mesure. Mais le problème résulte de la possibilité réelle de cette participation. En d’autres termes, est-ce que le majeur protégé peut toujours participer à sa propre mesure ?

C’est là où le bât-blesse dans le décret de 2018. Il était prévu initialement que le majeur devait participer quand était dépassé un seuil de ressources globales de l’année précédente,...

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Un vigneron fait l’acquisition d’un matériel agricole. Le lendemain de sa livraison, il est victime d’un accident corporel. Lui et sa société assignent le vendeur en responsabilité et en indemnisation sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil et demandent la résolution judiciaire du contrat de vente en faisant valoir un défaut de conformité du matériel.

La cour d’appel déboute le vigneron et sa société de leur demande formée sur le fondement du défaut de conformité. Elle indemnise toutefois, en partie, le vigneron sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

La société du vigneron forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Dans le troisième moyen de ce pourvoi, elle reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande d’indemnisation au titre de la perte d’exploitation fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux. La société reproche ensuite à la cour d’appel, dans son quatrième moyen, d’avoir rejeté sa demande de fourniture d’une machine de remplacement. Dans les deux moyens, la cour d’appel avait jugé qu’il s’agissait de préjudices économiques consécutifs à l’atteinte à la machine qui n’étaient pas indemnisables sur le fondement des articles 1245 et suivants.

Dans le premier moyen, la société reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de résolution judiciaire de la vente au motif que « le défaut de conformité allégué, tenant à la sécurité du produit ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont la société poursuit la réparation, en lien avec les avaries ».

L’arrêt met en avant deux difficultés liées au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux. La première est relative à la prise en compte du préjudice économique portant sur un bien concerné par la défectuosité. La seconde est relative à la possibilité d’invoquer la résolution du contrat pour non-conformité en sus de la responsabilité du fait des produits défectueux alors que la non-conformité consiste dans le défaut de sécurité.

La Cour de cassation approuvera d’abord la cour d’appel d’avoir considéré que les articles 1245 et suivants du code civil ne s’appliquent pas à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte au produit défectueux lui-même et aux préjudices économiques en découlant. La perte d’exploitation et l’absence de fourniture de machines de remplacement étant imputables à la défectuosité du produit, elles ne pouvaient être considérées comme des préjudices réparables sur le fondement de cette responsabilité spéciale. Elle jugera ensuite que l’application de la responsabilité du fait des produits défectueux ne pouvant s’appliquer, la question du cumul des deux actions ne se posait pas. Sur ce point, il sera possible de proposer une autre interprétation. La Cour de cassation aurait jugé que l’application de la responsabilité du fait des produits défectueux n’empêche pas le demandeur de demander la résolution du contrat, induisant ainsi que la demande de résolution reposait sur un fondement différent de celui prévu aux articles 1245 et suivants du code civil.

Le champ d’application de la loi

La réparation du préjudice économique. Pour engager la responsabilité du fait des produits défectueux, le demandeur doit rapporter la preuve que trois conditions sont réunies. Il faut un produit défectueux, un dommage et un lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage. L’article 1245-1 du code civil prévoit, en effet, que « les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne. / Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ». Il faut ainsi comprendre que tous les dommages peuvent être réparés s’ils rentrent bien dans les conditions prévues par la directive 85/374/CEE. La France a fait le choix de rendre applicable la directive aux biens à usage professionnel quand la directive laissait aux États la possibilité de ne pas étendre à ces derniers le bénéfice du régime.

Il faut aussi, et surtout, comprendre à la lecture de l’article 1245-1 du code civil que le préjudice doit affecter un autre bien que le produit lui-même (une franchise de 500 € s’applique alors, comme édictée par le décret n° 2005-113 ; v. CJUE 5 mars 2015, aff. C-503/13 et C-504/13, D. 2015. 1247 , note J.-S. Borghetti ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2015. 406, obs. P. Jourdain ; JCP 2015. 543, note L. Grynbaum). Pourtant, la victime demandait, outre des dommages et intérêts pour réparer son préjudice corporel, une somme au titre des « préjudices économiques consécutifs à l’atteinte de la machine litigieuse », ainsi qu’au titre de l’absence de fourniture d’une machine de remplacement. Il s’agissait, dans ces derniers cas, de préjudices liés au produit défectueux lui-même et non à un autre bien. Le demandeur aurait sans doute obtenu satisfaction si le produit défectueux dont il avait fait l’acquisition avait explosé et avait brûlé la ferme dans laquelle il était entreposé. Ce n’était pas le cas et le fondement invoqué ne pouvait aboutir. La Cour de cassation a rendu une décision semblable à propos d’un skipper qui demandait réparation des dommages constitués par le coût des travaux de remise en état de son bateau ainsi que ses pertes de loyers et son préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de l’utiliser. Ce dernier ne démontrait pas que la défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à un bien autre que le produit défectueux lui-même (Civ. 1re, 14 oct. 2015, n° 14-13.847, Dalloz actualité, 16 nov. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 2127 ; RTD civ. 2016. 137, obs. P. Jourdain ).

Le cumul des deux fondements ?

La société ayant fait l’acquisition de la machine demandait réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux mais invoquait aussi la résolution du contrat de vente en arguant une non-conformité du produit. La cour d’appel rappelait que les régimes peuvent bien se cumuler mais à condition qu’ils reposent sur des fondements différents de celui tiré d’un défaut de sécurité du produit mis en cause (v. CJUE 25 avr. 2002, Gonzales Sanchez, aff. C-183/00, à propos de la faute et du vice caché constituant deux fondements distincts du défaut de sécurité, D. 2002. 2462 , note C. Larroumet ; ibid. 2458, chron. J. Calais-Auloy ; ibid. 2937, obs. J.-P. Pizzio ; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby  ; JCP 2002. I. 177, note G. Viney ; RDC 2003. 107, obs. P. Brun ; Com. 26 mai 2010, n° 08-18.545, D. 2010. 1483 ; RTD civ. 2010. 790, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2011. 166, obs. B. Bouloc  ; Civ. 1re, 10 déc. 2014, n° 13-14.314, Dalloz actualité, 6 janv. 2015, obs. A. Cayol ; D. 2015. 9 ; RTD eur. 2015. 348-35, obs. N. Rias  ; 11 juill. 2018, n° 17-20.154, à propos du cumul avec la responsabilité du fait des choses, Dalloz actualité, 26 sept. 2016, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1840 , note J.-S. Borghetti ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ contrat 2018. 442, obs. C.-E. Bucher ; RTD civ. 2019. 121, obs. P. Jourdain ). Cependant, pour la cour d’appel, les demandeurs prétextent un défaut de conformité alors qu’ils font plutôt état d’une défectuosité du produit. Pour elle, les fondements étaient donc les mêmes. Les juges du fond ajoutent que le défaut de conformité allégué tient à la sécurité du produit et ne comporte aucun lien de causalité avec les dommages dont les victimes demandent réparation.

Il est possible de proposer deux interprétations de cet arrêt. Dans la première, il ne serait pas question de cumul. La Cour de cassation ne ferait qu’expliquer que la question du cumul n’a pas de sens dans la mesure où la responsabilité du fait des produits défectueux ne trouve pas à s’appliquer. Dit autrement, après avoir jugé que la cour d’appel avait eu raison de refuser de réparer le préjudice résultant d’un dommage causé au produit défectueux lui-même, la Cour de cassation aurait cassé l’arrêt des juges du fond pour obliger la cour d’appel de renvoi à statuer sur la question de la résolution du contrat. À l’appui de cette interprétation, le point n° 13 de l’arrêt : « Cette action en résolution ne tendant pas à la réparation d’un dommage qui résulte d’une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou à un bien autre que ce produit, elle se trouve hors du champ de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 et de la loi du 19 mai 1998 qui l’a transposée, et n’est donc soumise à aucune de leurs dispositions ». Ainsi, le préjudice invoqué ne pouvant être réparé, et la directive et la loi ne pouvant s’appliquer, rien ne devait empêcher la cour d’appel d’examiner la question de la résolution du contrat.

Selon la seconde interprétation, la Cour de cassation se serait prononcée sur la possibilité de cumuler les deux fondements. Dans son arrêt, la Cour de cassation explique (pt 13) que l’action en résolution d’un bien non conforme n’a pas vocation à réparer des dommages qui résultent d’une atteinte à la personne causée par un produit défectueux ou un bien autre que ce produit. Par nature, les deux fondements invoqués sont différents. Ce serait donc à tort que la cour d’appel a jugé que les demandeurs demandaient la même chose en invoquant ces deux régimes. La violation de la loi par la cour d’appel serait caractérisée pour cette raison. En demandant la résolution du contrat pour non-conformité, le demandeur souhaitait compenser ses espoirs déçus nés de son contrat. Sans doute demandait-il la restitution du prix de vente en échange de la restitution du bien non conforme. Il ne demandait pas, sur ce fondement, réparation de ses préjudices résultant de la défectuosité du produit ou de son préjudice corporel (une action fondée sur l’article 1147 aurait alors échoué car il s’agit de responsabilité, v. l’arrêt d’appel, Reims, 18 juin 2019, n° 18/00808 et le n° 2 de l’arrêt de la Cour de cassation qui fait référence au préjudice corporel). La Cour de cassation raisonnerait donc ici principalement sur la finalité des deux actions pour admettre leur cumul.

Il est vrai que les deux actions ne visent pas le même problème. Un produit non conforme est un produit qui ne correspond pas à ce qui avait été prévu dans le contrat. Un bien en parfait état de fonctionnement peut s’avérer non conforme par exemple. Au contraire, un bien défectueux est un bien qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre (C. civ., art. 1245-3, al. 1er). Un produit qui fonctionne mécaniquement peut être défectueux mais il ne fonctionnera pas au sens de la loi car il lui manque une chose (une notice, une information, un problème technique) qui le rend dangereux ou inutile (pour l’inutilité, il faut ici renvoyer le lecteur à la décision de la Cour de cassation rendue le même jour, v. Civ. 1re, 9 déc. 2020, n° 19-17.724).

Si cette interprétation était la bonne, cette solution serait importante car ce serait, à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la possibilité de demander la résolution du contrat consécutivement à l’engagement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cette solution serait raisonnable, car si la Cour de cassation n’avait pas admis que les deux actions puissent se cumuler, cela aurait eu pour effet d’empêcher l’acquéreur d’un bien d’agir sur le fondement de l’inexécution contractuelle toutes les fois que le défaut de conformité aurait reposé sur un défaut de sécurité du produit. Ainsi, la mise en action du régime de responsabilité du fait des produits défectueux visant la réparation d’un dommage corporel causé par le produit ou d’un bien autre que le produit lui-même aurait empêché le demandeur d’agir en résolution du contrat. Cette solution aurait privé le demandeur d’une voie de droit ce qui n’est pas souhaitable justement parce que les deux actions servent des intérêts différents. Il importe peu, à cet égard, que la non-conformité réside dans le défaut de sécurité du produit.

En défaveur de cette interprétation, il faut bien admettre que c’est la société qui forme le pourvoi et non le vigneron. Si la responsabilité du fait des produits défectueux a été engagée en faveur de ce dernier, tel n’est pas le cas pour la société. La question de la résolution du contrat pour défaut de conformité pouvait donc bien se poser consécutivement à l’exclusion d’un débat sur le cumul des deux actions…

La responsabilité du fait des produits défectueux exige que les demandes en réparation concernent des préjudices en lien avec un bien différent du produit accusé de défectuosité. La question du possible cumul entre cette responsabilité et l’action en résolution du contrat pour défaut de conformité se posait devant la première chambre civile.

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Auteur d'origine: Dargent