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Le mécanisme procédural instauré par l’article 526 du code de procédure civile (devenu l’art. 524 du même code depuis le décr. n° 2019-1333 du 11 déc. 2019) a quelque chose d’assez remarquable. Ce texte, bien connu des praticiens, prévoit une sanction procédurale – la radiation – applicable à l’appelant qui ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel. Il s’agit ni plus ni moins d’un outil de réalisation du jugement de premier instance dont il faut préserver toute l’autorité. Il impose une certaine discipline à l’appelant. Pour pouvoir remettre en cause une décision, il faut d’abord lui donner son plein effet. En somme, pour l’appelant, le message clair : exécute d’abord, tu discuteras ensuite.

La clarté du mécanisme s’obscurcie quelque peu lorsque à la sanction de la radiation se double d’une autre, la péremption, bien plus forte puisqu’il s’agit d’une cause d’extinction de l’instance, qui a quant à elle une autre finalité. Par la péremption de l’instance, le code de procédure civile sanctionne l’inaction des plaideurs. Plus précisément, si pendant deux ans, aucune partie n’a accompli de diligence, alors il convient de prendre acte de leur désintérêt pour la cause et d’éteindre l’instance engagée (C. pr. civ., art. 386). C’est de l’imbrication de ces deux sanctions que traite l’arrêt rapporté.

Comme dans toutes les hypothèses de péremption, les dates ont leur importance. Ici, les chiffres aussi. Il s’agissait d’un appel formé à l’encontre d’un jugement ayant déboutés les appelants de diverses demandes et les ayant condamnés à payer à 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.

Les appelants ont conclu, le 16 décembre 2013, puis l’intimé l’a fait à son tour, le 17 février 2014. Le conseiller de la mise en état a prononcé la radiation de l’affaire en application de l’article 526 du code de procédure civile, reprochant aux appelants de ne pas avoir réglé la condamnation prononcée à leur encontre. Ces...

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L’arrêt de la première chambre civile du 3 février 2021 porte sur un nouveau volet de l’affaire Commisimpex, relative à l’immunité de juridiction des missions diplomatiques étrangères.

Pour l’apprécier, il est utile de le mettre en perspective face à de précédents arrêts concernant les mêmes parties. Rappelons néanmoins dès à présent que le litige s’est développé à la suite du prononcé de deux sentences arbitrales au cours des années 2000 et 2013, qui ont condamné la République du Congo à payer diverses sommes à la société Commisimpex, la République du Congo s’étant par la suite prévalue de l’immunité que lui assure le droit international public.

1° Le contexte juridique

Rompant avec la solution adoptée par un arrêt du 28 septembre 2011 (n° 09-72.057, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 2011. 2412 ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2012. 124, note H. Gaudemet-Tallon ; 28 mars 2013, n° 10-25.938 et n° 11-10.450, Bull. civ. I, nos 62 et 63 ; D. 2013. 1728 , note D. Martel ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ; Rev. crit. DIP 2013. 671, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier ), un arrêt du 13 mai 2015 a énoncé que « le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution » (Civ. 1re, 13 mai 2015, n° 13-17.751, D. 2015. 1936, obs. I. Gallmeister , note S. Bollée ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2015. 652, note H. Muir Watt ), alors qu’il était précédemment acquis que la renonciation devait être à la fois expresse et spéciale.

Un arrêt du 10 janvier 2018 a toutefois opéré un revirement de jurisprudence, en retenant que la validité de la renonciation par un État étranger à son immunité d’exécution est subordonnée à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale, cet arrêt ayant été rendu postérieurement à l’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « Sapin II », qui a introduit, dans le code des procédures civiles d’exécution, les articles L. 111-1-1 et suivants, relatifs aux mesures d’exécution forcée sur les biens des États étrangers (Civ. 1re, 10 janv. 2018, n° 16-22.494, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 541 , note B. Haftel ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier ; ibid. 474, obs. P. Théry ; JCP 2018. 157, n° 9, obs. C. Nourissat ; ibid. 294, concl. N. Ancel ; ibid. 295, note M. Laazouzi ; Gaz. Pal. 19 juin 2018. 38, obs. C. Brenner).

Un arrêt du 2 octobre 2019 (n° 19-10.669, Dalloz actualité, 27 oct. 2019, obs . F. Mélin ; D. 2019. 1891 ; RTD civ. 2019. 927, obs. P. Théry ) a dit qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, concernant l’interprétation donnée par cet arrêt du 10 janvier 2018 à l’article L. 111-1-3.

2° L’affaire jugée le 3 février 2021

La première chambre civile a par ailleurs été saisie d’un autre aspect de l’affaire, qui a donné lieu au prononcé de l’arrêt du 3 février 2021.

La société Commisimpex a fait pratiquer une saisie-attribution de différents comptes ouverts auprès d’une banque au nom de la mission diplomatique à Paris de la République du Congo. Cette dernière a alors invoqué son immunité d’exécution et a contesté la validité des mesures, en faisant valoir qu’elle n’avait pas renoncé spécialement...

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L’obligation de délivrance du vendeur est souvent mise en cause, à l’instar de la garantie des vices cachés, comme en témoigne l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 février 2021. En l’espèce, le 21 octobre 2011, la société Mécanique tréportaise a fourni et installé sur un chalutier, appartenant à M. et Mme Y…, un moteur d’occasion qu’elle avait acquis auprès de M. I…, lequel l’avait acheté à la société KJ services. Le bateau ayant subi, le 3 mai 2012, une avarie due à l’inadaptation du moteur de remplacement, destiné à un bateau de plaisance et non de pêche, M. et Mme Y… ont assigné la société Mécanique tréportaise et l’assureur de celle-ci, en invoquant, à titre principal, un défaut de conformité et, à titre subsidiaire, la garantie des vices cachés. La société Mécanique tréportaise a appelé en la cause M. I…, lequel a fait intervenir la société KJ services. M. et Mme Y… ont donc dirigé leurs demandes en réparation de leur préjudice contre ces trois défendeurs.

La cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 14 septembre 2017, a condamné in solidum la société Mécanique tréportaise, l’assureur ainsi que M. I…, dans la limite, en ce qui le concerne, de 50 % du montant des condamnations, à payer à M. et Mme Y…, diverses sommes à titre de dommages-intérêts et à garantir la société Mécanique tréportaise et l’assureur à concurrence de 50 % des condamnations prononcées à l’encontre de celles-ci. Pour parvenir à ce résultat, l’arrêt retient tout d’abord que dans la mesure où le moteur litigieux avait dû être adapté par la société KJ services pour en réduire la puissance et que, même après la livraison, le moteur devait encore faire l’objet de travaux d’adaptation, le procès-verbal d’essais sur banc établi par ladite société devait être considéré comme constituant un accessoire de la chose vendue et que M. I… avait manqué à ses obligations contractuelles en ne le transmettant pas spontanément à la société Mécanique...

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La société General Motors Strasbourg, désormais dénommée PPS, conclut avec la société Sidéo RDT, assurée par la société Allianz IARD, un contrat de fournitures de pièces. La société Sidéo RDT confie le traitement thermique de durcissement de ces pièces à la société Amyot, assurée au titre de sa responsabilité civile auprès de la société Generali IARD. La société PPS assigne en dommages et intérêts la société Sidéo RDT, laquelle appelle en garantie la société Amyot, et forme contre Allianz une demande de garantie. La société Amyot est finalement condamnée à garantir la société Sidéo RDT et son assureur Allianz des condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice de la société PPS.

Le 25 juillet 2013, la société Allianz relève appel du jugement et la société Amyot est placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire en 2014 et 2015. Le 11 mai 2016, la société Allianz assigne la société Generali en intervention forcée, laquelle soulève l’irrecevabilité de cette mise en cause pour la première fois en cause d’appel. La cour d’appel de Colmar, selon arrêt du 14 mars 2018, juge toutefois l’assignation recevable et dit que Generali est tenue in solidum avec la SCP Pascal Leclerc, en qualité de liquidateur en exercice de la société Amyot, de relever et garantir la société Sidéo RDT et la société Allianz de toutes condamnations prononcées à leur encontre. Demanderesse au pourvoi, la société Generali soutenait « que la procédure collective ouverte contre l’assuré mis en cause, postérieurement au jugement de première instance le condamnant avec d’autres, ne constitue pas une évolution du litige permettant l’appel en garantie formé contre son assureur de responsabilité par un coauteur pour la première fois en cause d’appel ». Sans surprise, la deuxième chambre civile, au visa de l’article 555 du code de procédure civile, juge « que l’ouverture, après le jugement, d’une procédure collective à l’égard de la société Amyot n’a pas eu pour effet de modifier les données juridiques du litige et ne constitue pas une évolution de celui-ci, permettant, pour la première fois devant la cour d’appel, la mise en cause de la société Generali, contre laquelle la société Allianz était déjà en mesure d’agir devant le premier juge ». Statuant sans renvoi, la Cour de cassation juge ainsi irrecevable l’appel en intervention forcée de la société Generali par...

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L’illicéité d’une convention fait-elle obstacle au jeu des restitutions consécutives à l’anéantissement de cette convention ? Telle est la question à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation a dû répondre dans un arrêt du 17 février 2021. En l’espèce, une société a confié à un cabinet une mission d’analyse de la tarification du risque accident du travail de l’entreprise, de suivi en temps réel des accidents du travail, d’assistance dans les relations avec l’administration, de réalisation des démarches, de rédaction de réclamations et de recherche d’éventuelles erreurs. À la suite d’un différend entre les parties, ledit cabinet a assigné la société en paiement de ses honoraires puis, invoquant la nullité du contrat, a sollicité une certaine somme au titre de la restitution en valeur des prestations réalisées. La cour d’appel de Grenoble a fait droit à cette demande et a donc condamné la société à payer la somme 25 355,95 € au cabinet, dans un arrêt du 25 juin 2019, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-22.878).

Mécontente de cette décision, la société s’est pourvue en cassation, au motif que la cour d’appel aurait violé l’ancien article 1131 du code civil, en condamnant la société à raison de ce que la règle nemo auditur faisait uniquement obstacle à la restitution de contrats annulés pour cause d’immoralité et non lorsque le contrat est simplement illicite et qu’il lui appartenait au demeurant d’évaluer la valeur réelle de la prestation. Toutefois, la Cour de cassation ne se laisse pas convaincre : d’une part, elle considère qu’« il résulte de l’article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que dans le cas d’un contrat illicite comme ayant été conclu au mépris des règles impératives d’exercice de la profession d’avocat, la restitution en valeur de la prestation effectuée peut être sollicitée par l’avocat [sic] » (pt 4) et qu’« après avoir constaté la nullité du contrat du 23 août 2012 en raison de son illicéité, l’arrêt énonce, à bon droit, que la répétition des prestations peut être réclamée » (pt 5). D’autre part, elle estime qu’« ayant, ensuite, retenu que la demande en paiement formée par le cabinet L… ne correspondait pas au prix des prestations fournies, la cour d’appel a souverainement estimé la valeur de celles-ci » (pt 6).

L’enseignement majeur de cet arrêt réside dans la considération selon laquelle l’illicéité d’une convention n’a pas pour effet de neutraliser les restitutions. La solution est justifiée : certes, en vertu d’un adage bien connu, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (nemo auditur propriam turpitudinem allegans). Mais le domaine de cet adage est traditionnellement cantonné aux contrats annulés pour cause d’immoralité (v. à ce sujet F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 580), ainsi que l’ont justement relevé les juges du fond. Or il n’était point question d’immoralité en l’occurrence, mais « simplement » d’illicéité, la convention litigieuse ayant manifestement été conclue en violation des règles relatives à la profession d’avocat, plus précisément de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Dès lors, et toujours selon les principes les mieux établis, les règles relatives aux restitutions avaient parfaitement vocation à s’appliquer. La restitution en nature d’une prestation de service étant impossible, c’est naturellement une restitution en valeur qui devait donc être effectuée, cette règle étant au demeurant codifiée depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (C. civ., art. 1352-8 : « La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie »).

Pour justifiée qu’elle soit, la solution n’en provoque pas moins un certain malaise, et ce pour deux raisons : en premier lieu, il est délicat de faire le départ entre l’immoralité et l’illicéité (rappr. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, op. cit., n° 580, p. 656 : « Force est de reconnaître, cependant, que la distinction entre l’illicite et l’immoral est contestée et n’est pas rigoureusement respectée »). N’est-il pas, d’une certaine manière, immoral de violer la loi ? En second lieu, le domaine de la moralité a été réduit à peau de chagrin, non seulement par la jurisprudence (v. par ex. Cass., ass. plén., 29 oct. 2004, n° 03-11.238, D. 2004. 3175, et les obs. , note D. Vigneau ; ibid. 2005. 809, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2005. 23, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 104, obs. J. Hauser  : « Attendu que n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère » ; Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-20.114, Dalloz actualité, 22 nov. 2011, obs. G. Rabu ; D. 2012. 59 , note R. Libchaber ; ibid. 840, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2011. 613, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2012. 93, obs. J. Hauser ; ibid. 113, obs. B. Fages : « le contrat proposé par un professionnel, relatif à l’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, du fait qu’il est conclu par une personne mariée »), mais également par le législateur lui-même (la réforme du droit des contrats ayant supprimé la notion de bonnes mœurs, qui, aux dires du rapport au président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, « apparaît en effet désuète au regard de l’évolution de la société, et la jurisprudence l’a progressivement abandonnée au profit de la notion d’ordre public dont elle n’a eu de cesse de développer le contenu »), si bien que le célèbre article 6 du code civil semble demeurer son dernier bastion. En conséquence, le domaine du fameux adage s’en trouve mécaniquement réduit. La Cour de cassation se refusant (une fois de plus) à l’étendre aux hypothèses d’illicéité du contrat (contrairement aux préconisations d’une partie de la doctrine ; v. par ex. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, n° 1056 : « À vrai dire, s’il fallait maintenir la règle selon laquelle nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, il serait sans doute pertinent d’en élargir la portée à des causes d’illicéité ou à la violation des droits et libertés fondamentaux »), il est donc possible de se demander s’il est encore d’actualité. On peut très sérieusement en douter, et ce d’autant plus que les nouvelles dispositions issues de la réforme du droit des contrats n’en font nullement mention, alors même qu’un chapitre entier est consacré aux restitutions au titre du régime général des obligations (C. civ., art. 1352 s.). On serait donc presque tenté d’affirmer (de manière quelque peu provocatrice) que l’on peut désormais bien souvent se prévaloir de sa propre turpitude.

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Les faits sont tristement classiques. Un homme est tué par arme blanche et le coupable condamné pour meurtre en cour d’assise. La fille de la victime obtient réparation de son préjudice par ricochet. Ce qui est moins coutumier, c’est que cette dernière saisit ensuite la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour demander la réparation du préjudice moral subi par sa fille : la petite-fille de la victime conçue mais non encore née au moment de l’accident.

La question se posait donc nécessairement de l’admissibilité de cette réparation qui implique, une nouvelle fois, de s’interroger sur l’existence du lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice, comme de la réalité de ce dernier.

C’est justement sur ces deux difficultés que reposait le moyen invoqué par le Fonds de garantie faisant grief à la décision de la cour d’appel.

La Cour de cassation répond de manière lapidaire et incisive sous forme d’un attendu de principe imprégné, pour l’occasion, des termes de l’article 706-3 du code de procédure pénale : « L’enfant qui était conçu au moment du décès de la victime directe de faits présentant le caractère matériel d’une infraction peut demander réparation du préjudice que lui cause ce décès ». Elle rejette donc le pourvoi et juge que la cour d’appel a bien relevé que la petite-fille de la victime sera privée de la présence d’un grand-père et précise qu’il n’est pas nécessaire de justifier qu’elle aurait entretenu des liens particuliers d’affection avec lui si elle l’avait connu.

Des confirmations

Il existe désormais en comptant celle-ci, et à notre connaissance, trois décisions de la Cour de cassation qui ont admis la possibilité de réparer le préjudice moral d’un enfant simplement conçu lors de la survenance du fait générateur de responsabilité. La première a été rendue par la deuxième chambre civile, dans un arrêt retentissant du 14 décembre 2017 (Civ. 2e, 14 déc. 2017, n° 16-26.687, Dalloz actualité, 10 janv. 2018, obs. A. Hacène ; D. 2018. 386 , note M. Bacache ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; AJ fam. 2018. 48, obs. M. Saulier ; RDSS 2018. 178, obs. T. Tauran ; RTD civ. 2018. 72, obs. D. Mazeaud ; ibid. 92, obs. A.-M. Leroyer ; ibid. 126, obs. P. Jourdain  ; Gaz. Pal. 2018. 214, note M. Dupré ; Lexbase, n° N2094BXT, note H. Conte). La seconde a été rendue par la chambre criminelle le 10 novembre 2020 (Crim. 10 nov. 2020, n° 19-87.136, Dalloz actualité, 15 déc. 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 2288 ; AJ fam. 2020. 679, obs. L. Mary ; AJ pénal 2021. 31, note Y. Mayaud ; RJPF 1er jan. 2020, note M. Dupré ; RCA n° 1, janv. 2021. Comm. 2, note S. Hocquet-Berg). C’est donc, de nouveau, devant la deuxième chambre civile que la question sur le préjudice moral de l’enfant à naître se posait. Néanmoins, il s’agissait ici de l’application de l’article 706-3 du code de procédure pénale qui prévoit que « toute personne […] ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne […] ». Si les conditions de ce régime sont particulières, rien ne semble toutefois empêcher qu’une telle solution soit réitérée lors d’une application future du droit commun.

La question de l’admission de la créance de réparation à l’égard de l’enfant à naître a suscité de nombreux débats en doctrine. Il s’agissait, notamment, de déterminer si les juges du droit font nécessairement application de l’adage infans conceptus pro nato habetur quoties de commodise jus habetur pour admettre la créance de réparation à l’égard de l’enfant. Cet adage hérité du droit romain permet, en effet, de faire rétroagir la personnalité juridique de l’enfant né vivant et viable à la date de sa conception pour lui permettre de bénéficier de droits chaque fois qu’il y va de son intérêt. Nous avons déjà eu l’occasion de soutenir que le recours à ce fondement n’est pas nécessaire pour admettre la créance de réparation car il importe peu qu’il ait existé un laps de temps important entre la survenance du fait générateur et la naissance du droit à la réparation à condition de se trouver dans les limites légales de la prescription (v. H. Conte, Le droit à la réparation du préjudice moral de l’enfant à naître, Lexbase n° 726, 11 janv. 2018, n° N2094BXT). La créance de réparation naît ici au moment de la naissance et, au jour de celle-ci, le nourrisson est bien capable d’être titulaire de cette créance. À l’inverse, le recours à l’adage est parfois défendu comme étant nécessaire pour admettre l’existence du lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice : « Le lien de causalité est de la sorte apprécié à la date du fait générateur, même si le dommage n’apparaît qu’après la naissance de l’enfant » (M. Bacache, Nouveau préjudice moral pour l’enfant conçu au jour du décès accidentel de son père, D. 2018. 386 , n° 11). En appréciant le lien de causalité à la date du fait générateur grâce à l’adage infans conceptus, on empêche des événements (comme la naissance) de s’interposer entre le fait générateur et le préjudice et on redonne au lien de causalité son caractère direct certain. Cependant, est-il, là encore, nécessaire d’user de cet adage pour caractériser l’existence d’un lien de causalité ? La deuxième chambre civile, comme la chambre criminelle, se contente désormais de constater son existence se conformant ainsi à leur politique judiciaire indemnitaire très favorable aux victimes et ne fait d’ailleurs pas référence à l’adage. Il est aussi possible de penser que la Cour de cassation ne considère pas la naissance comme un événement susceptible de rompre la chaîne de causalité et apprécie son lien souplement.

Les auteurs qui voient dans ces arrêts l’application de l’adage infans conceptus le considèrent comme nécessaire car la naissance est la condition de l’existence du préjudice. À cet égard, la question d’une causalité certaine ne se pose que si la naissance n’a pas eu lieu ou que l’enfant n’est pas né vivant et viable. Cependant, comme la question ne peut prendre le chemin du tribunal que lorsque l’enfant est bien né, est-il toujours nécessaire de se poser la question du lien de causalité ? Au train où vont les choses, il ne serait pas étonnant que la boîte de Pandore continue de s’entrouvrir et que l’enfant puisse demander, demain, réparation du préjudice moral éprouvé par l’impossibilité d’avoir pu nouer des relations avec ses beaux-parents ou encore ses cousins.

La confirmation se retrouve aussi dans la reconnaissance d’un nouveau chef de préjudice, celui de ne pas avoir pu nouer des liens affectifs avec un membre de sa famille. Il s’agit d’un préjudice objectif et présumé car le demandeur ne connaîtra jamais la victime directe et n’aura jamais besoin de prouver la réalité de ce préjudice en expliquant la teneur de ses liens affectifs avec elle.

Des extensions. Alors que les arrêts précédents évoquaient explicitement la construction identitaire avec le père, l’arrêt du 11 février évoque la privation « de la présence de son grand-père dont [la victime] avait vocation à bénéficier ». La chambre criminelle, en particulier, s’était attardée sur la motivation de la cour d’appel qui insistait sur les liens entre père et fils : « Les juges retiennent que l’absence de C… Y… auprès de son fils B… sera toujours ressentie douloureusement par l’enfant qui devra se contenter des souvenirs de sa mère et de ceux de ses proches pour connaître son père et construire son identité, et que B… souffrira de l’absence définitive de son père, qu’il ne connaîtra jamais, toute sa vie ». Cela a poussé certains auteurs à penser que la réparation ne serait pas ouverte aux grands-parents du fait, justement, de la nature particulière des liens père/enfant et de leur utilité dans la construction identitaire de ce dernier (v. M. Dupré, Le préjudice de l’enfant à naître : la comparaison est-elle raison ?, RJPF, n° 1, 1er janv. 2021). La Cour de cassation vient ici expliquer qu’il n’en est rien. Soit elle met sur le même piédestal la relation parent/enfant et grand-parent/enfant, soit il s’agit d’un nouveau chef de préjudice qui consiste dans « l’absence définitive d’un parent » (au sens large du terme) et qui côtoiera celui consacré en 2017. L’intérêt de la création d’un chef de préjudice nouveau propre aux grands-parents est de pouvoir indemniser la victime moins largement que s’il s’agissait des parents stricto sensu (père et mère). Puisqu’il s’agit d’un préjudice objectif et présumé, les sommes devraient être toujours les mêmes. En 2017, la somme allouée était de 25 000 €. Il serait raisonnable de ne pas attribuer la même somme dans le cas de la privation de la présence d’un grand-père. Sur ce point, la reconnaissance d’un préjudice de perte de chance de pouvoir nouer des relations avec un membre de sa famille aurait suffi pour limiter l’inflation et le morcellement du préjudice moral. En effet, le préjudice de perte de chance a l’avantage de limiter le montant accordé à la victime. C’est un chef de préjudice qui induit que le lien de causalité n’est pas établi avec certitude comme dans le cas d’espèce. Ici, la perte de chance de pouvoir nouer des relations avec un membre de sa famille est un événement favorable qui existe réellement et il est bien entendu que cette chance a été perdue par le concours du fait générateur. Cela contribuerait ainsi à ne plus le présumer ce poste de préjudice. Il reviendrait alors à la victime de démontrer que le grand-père avait noué une forte relation avec un petit-enfant né auparavant et que rien ne puisse indiquer qu’il n’en aurait pas été de même avec le nouveau-né (cela était invoqué dans les moyens annexes).

Rappelons enfin qu’à moins que le Fonds d’indemnisation parvienne à récupérer les sommes auprès de l’auteur des faits (ce qui n’est pas fréquent), c’est ici la solidarité nationale qui prend la charge de la réparation [ou plutôt la solidarité des assurés]. La décision est donc aussi étonnante sur ce point tant l’on sait les difficultés qu’ont connues les victimes indirectes pour se faire indemniser sur ce fondement. Le Fonds refusait systématiquement l’indemnisation au motif que, reposant sur la solidarité nationale, elle devrait être réservée à la victime directe de l’infraction (v. J.-Cl. pr. pén., par H. Groutel, fasc. 20, art. 706-3 à 706-15, nos 83 s.). Il a fallu que la Cour de cassation intervienne pour « vaincre la résistance du Fonds » (H. Groutel, préc. ; v. les arrêts cités par l’auteur : Civ. 2e, 14 janv. 1998, n° 96-16.255, D. 1998. 52  ; RCA 1998. Comm. 92, note H. Groutel ; Dr. pén. 1998. Comm. 45, note A. Maron ; 14 janv. 1999, n° 96-19.289, Bull. civ. II, n° 11 ; D. 1999. 49 ; RCA 1999. Comm. 69 ; 27 mai 1999, n° 97-19.652, RCA 1999. Comm. 262 ; 7 oct. 1999, n° 98-11.450, RCA 1999. Comm. 361 ; 20 janv. 2000, n° 98-15.359).

L’occasion était donnée une nouvelle fois à la Cour de cassation d’élargir le nombre de victimes susceptibles de pouvoir exiger une indemnisation, ce qu’elle n’a pas manqué de faire.

L’ouverture, postérieure au jugement, d’une procédure collective à l’égard d’une société intimée n’a pas pour effet de modifier les données juridiques du litige et ne constitue pas une évolution de celui-ci, permettant, pour la première fois devant la cour d’appel, la mise en cause de sa compagnie d’assurance contre laquelle la société appelante était déjà en mesure d’agir devant le premier juge.

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Auteur d'origine: laffly

Il résulte de l’article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que, dans le cas d’un contrat illicite comme ayant été conclu au mépris des règles impératives d’exercice de la profession d’avocat, la restitution en valeur de la prestation effectuée peut être sollicitée par l’avocat.

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Auteur d'origine: jdpellier

Décidément, la question de la réparation du préjudice de l’enfant à naître ne cesse de rebondir dans l’actualité jurisprudentielle. La Cour de cassation vient, cette fois, de valider le raisonnement d’une cour d’appel qui a admis la réparation du préjudice moral d’un enfant simplement conçu au moment du fait générateur ayant entraîné le décès de son grand-père.

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Auteur d'origine: hconte
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Cette fois, c’est un arrêt Vidatel qui sera au cœur de cette chronique (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel). Assurément, il sera commenté et fera l’objet d’appréciations divergentes. Que ce soit sur l’obligation de révélation des arbitres ou l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral, il constitue une pierre importante apportée à l’édifice jurisprudentiel. Néanmoins, quelle que soit l’appréciation que l’on peut avoir sur le fond de la solution, on peine à se réjouir qu’elle fasse, une fois encore, voler en éclats les (rares) certitudes sur la question de la constitution du tribunal arbitral. Car à la question, qui devrait être résolument simple, de savoir ce qu’il faut révéler, la seule réponse que nous sommes aujourd’hui en mesure d’apporter est : « je ne sais pas ». Bonne ou mauvaise, il faut à tout le moins espérer que la solution de l’arrêt Vidatel assure un minimum de sécurité aux parties, aux arbitres et aux institutions.

Au-delà de cette décision, la nouvelle année commence par un changement de chambre. La 1-1 est morte, vive la 3-5 ! La cour d’appel de Paris a procédé à une réorganisation interne qui conduit à cette modification. Cependant, tout cela semble bien formel (pour l’instant ?), dès lors que, dans le déménagement, la chambre a emporté avec elle magistrats et greffiers. On peut cependant regretter que ce bouleversement ne se soit pas soldé par une réorganisation plus profonde. En effet, comme le notait Thomas Clay récemment (T. Clay, Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges, D. 2020. 2484 ), l’arbitrage est désormais écartelé entre deux chambres. Si la répartition semble reposer sur un critère logique, l’arbitrage interne pour la 3-5 et l’arbitrage international pour la 5-16, le risque de divergence d’appréciation entre les chambres est grand. Or la différence entre l’arbitrage interne et l’arbitrage international n’est pas de nature mais de (faible) degré.

Quoi qu’il en soit, c’est encore une chronique riche par laquelle nous débutons l’année. On signalera particulièrement un jugement du tribunal administratif de Poitiers dans l’affaire SMAC (Poitiers, 15 déc. 2020, n° 19/00269, SMAC) ainsi qu’un énième épisode dans Tecnimont (Paris, 1-1, 1er déc. 2020, n° 17/22735, Tecnimont), dans lequel un recours en annulation est exercé contre la sentence se prononçant… sur le recours en révision !

I. L’arrêt Vidatel

L’arrêt Vidatel soulève principalement deux questions : celle de l’obligation de révélation et celle de l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral.

A. L’obligation de révélation

L’obligation de révélation est au cœur des arrêts Vidatel, mais aussi des arrêts Carlson Wagonlits Travel (Paris, 3-5, 12 janv. 2021, n° 17/07290, CWT), HOP ! (Paris, 19 janv. 2021, n° 18/04465) et Soletanche (Paris, 15 déc. 2020, n° 18/14864). Avant d’examiner attentivement ces solutions, rappelons-en rapidement les faits.

Dans l’arrêt Vidatel, quatre sociétés actionnaires à 25 % de l’opérateur de téléphonie mobile Unitel ont conclu un pacte d’actionnaires pour régler leurs relations. Cette convention contient la clause compromissoire suivante : « Toute demande, tout différend ou autre question survenant entre les parties en ce qui concerne ou découlant du présent pacte ou de sa violation, sera tranché par voie d’arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les parties ne trouvent pas d’accord, l’arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale. Ledit arbitrage se déroulera conformément au règlement de la Chambre de commerce internationale. Tout arbitrage se déroulera en anglais à Paris. » Nous aurons l’occasion de revenir sur les difficultés posées par la forme originale du tribunal arbitral dans les développements relatifs à l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral. Dans un premier temps, ce sont les déclarations d’indépendance de deux des cinq arbitres qui sont au cœur des débats. L’un a oublié de révéler ses liens avec un actionnaire de la société mère d’une des parties à l’arbitrage ; l’autre a omis de signaler qu’un associé de son cabinet d’avocats a été désigné administrateur d’une des filiales de la société mère de l’une des parties au litige.

Dans l’arrêt CWT, un contrat de partenariat relatif à la vente de voyages a été conclu entre les sociétés CWT et Seitur. Le contrat a été résilié par CWT, qui a conclu dans la foulée un nouveau contrat de partenariat avec la société Polimundo. Dans le cadre de l’arbitrage entre CWT et Seitur, l’un des arbitres n’a pas fait état de son lien de parenté avec la gérante de la société Polimundo.

Dans l’arrêt HOP !, le litige porte sur le Lease Agreement (contrat de location) d’un aéronef. Il est reproché à l’arbitre unique d’avoir omis de révéler de façon complète qu’il siège en qualité de directeur au board de l’ERAA (European regions airline association), aux côtés de plusieurs représentants de filiales d’Air France-KLM, société mère de HOP !.

Enfin, dans l’arrêt Soletanche, l’affaire concerne une construction dans un terminal portuaire. Après la résiliation du marché avec la société Soletanche, la société ACT a confié les travaux à un second prestataire, la société BAM. Dans le cadre du litige entre Soletanche et ACT, il est fait grief à l’arbitre unique d’avoir été l’auteur d’une révélation incomplète de ses liens avec la société BAM, nouvel attributaire du marché.

Ces quatre décisions n’ont pas la même portée. Les arrêts CWT, HOP ! et Soletanche sont classiques et ne bouleversent pas l’état du droit positif. Ils reprennent d’ailleurs un corpus commun de règles, déjà retenu par la jurisprudence. Ils énoncent successivement que « l’arbitre doit ainsi révéler aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance, qui sont l’essence même de la fonction arbitrale » et que « le lien de confiance avec l’arbitre et les parties devant être préservé continûment, celles-ci doivent être informées pendant toute la durée de l’arbitrage des relations qui pourraient avoir à leurs yeux une incidence sur le jugement de l’arbitre et qui seraient de nature à affecter son indépendance ». C’est bien l’arrêt Vidatel qui propose une évolution remarquable. Néanmoins, ces décisions sont l’occasion de revenir sur deux des principales questions de l’obligation de révélation : ce qui doit être révélé et ce qui est considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation.

1. Ce qui doit être révélé

En matière de révélation, il faut distinguer ce qui doit être révélé dès l’origine et ce qui doit être révélé pendant l’instance.

a. La révélation en début d’instance

La question de ce qui doit faire l’objet d’une révélation par l’arbitre est primordiale ; pourtant, elle est celle qui fait l’objet de la plus faible conceptualisation en jurisprudence. En réalité, on peut débattre pendant des heures du point de savoir s’il convient d’adopter une appréciation extensive ou restrictive de l’obligation de la révélation de l’arbitre. En pratique, lorsqu’il est en train de rédiger sa déclaration d’indépendance, l’arbitre a besoin de certitudes. De telles certitudes sont doublement vertueuses : elles sécurisent l’arbitre, qui connaît précisément ce qui doit ou ne doit pas être révélé ; elles font pression sur l’arbitre, qui ne peut se prévaloir d’un flou pour retenir une information.

La pratique s’est engagée dans une démarche d’accompagnement sur cette question, en particulier à travers les IBA Guidelines on conflicts of interest in international arbitration, de 2014, édictées par International Bar Association. En revanche, le code de procédure civile reste silencieux. L’arrêt Vidatel s’en fait d’ailleurs l’écho, en signalant que : « le contenu de l’obligation de révélation n’est pas précisé par l’article 1456 du code de procédure civile ». La jurisprudence est toujours restée mystérieuse sur cette question. Le plus souvent, elle utilise une formule générique selon laquelle « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996, D. 2015. 2588, obs. T. Clay  ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2014. 130, note E. Loquin ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt ; 25 févr. 2020, Dommo, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller). Cette définition est insuffisante, car elle ne permet pas à l’arbitre, seul face à sa déclaration d’indépendance vierge, de déterminer ce qu’il doit coucher sur le papier. On est donc, aujourd’hui encore, contraint de faire des hypothèses sur la nature des liens à révéler ou sur les personnes visées (v., pour une tentative de présentation, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques, préc., v° VI – Vademecum : l’obligation de révélation et le recours contre la sentence). Face à cette incertitude latente, on peut sans doute accueillir les arrêts Vidatel, CWT et Soletanche avec bienveillance et intérêt, en ce qu’ils renouvellent les supports théoriques de la révélation.

• Les aspects théoriques

Les arrêts Vidatel, Soletanche et CWT présentent un point commun : ils font une place particulière aux outils de la Chambre de commerce internationale (CCI) dans leur examen de la révélation. Premièrement, l’arrêt Vidatel fait une référence exhaustive à la récente Guidance Note on conflict disclosures by arbitrators de la CCI, qui figure dans la Note to Parties and Arbitral Tribunals on the Conduct of the Arbitration (ci-après « la Note ») ; deuxièmement, les arrêts Soletanche et CWT font référence au case information sheet de la CCI qui permet d’identifier les « autres entités concernées » par l’arbitrage (à savoir, celles qui ne sont pas parties). L’une et l’autre de ces innovations de la CCI sont cruciales. Elles apportent aux arbitres ce qui leur manque : une certitude sur ce qu’il convient de déclarer aux parties avant le début de l’arbitrage. Dès lors, n’y a-t-il pas toutes les raisons de se réjouir de l’accueil par la jurisprudence française de ces bonnes pratiques ? Notre appréciation sur ce point est tempérée.

La première difficulté est relative aux sources du droit. L’arrêt Vidatel opère un spectaculaire renversement de la hiérarchie des normes. Il faut commencer par lire les paragraphes 104 et 105 de la décision. La cour y rappelle, comme c’est désormais de coutume, les fondements de son raisonnement. D’abord, elle cite l’article 11 du règlement CCI 2012 ; ensuite, elle vise l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile. Certes, on ne dira jamais assez que le code de procédure civile est lacunaire sur ce point. Mais est-ce une raison pour le reléguer au rang de source subalterne ? On pourra avancer qu’il ne s’agit que d’un détail (on ne résiste pas au plaisir de citer France Gall : « c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup »). Un détail qui préfigure un changement d’approche ?

Les conséquences tirées de cette Note par la cour d’appel sont extrêmement importantes. La Note permet de réaliser une distinction entre les faits visés par la liste, qui doivent être révélés, et les faits qui ne le sont pas, qui ne doivent pas être révélés sauf cas particulier (v. infra). Sur le plan des sources, cela conduit à fonder les critères de l’obligation de révélation des arbitres dans une affaire sur ce qui est prévu par le règlement d’arbitrage. Or cela pose en creux une question fondamentale : l’obligation de révélation doit-elle être fixée uniformément par le droit français ou peut-elle être relative et modelée par la volonté des parties (notamment par l’intermédiaire d’un règlement d’arbitrage) ? C’est un débat dont on ne peut plus faire l’économie après l’arrêt Vidatel et la réponse est loin d’être évidente.

En faveur d’une toute-puissance du droit français, on pourra avancer que la question de l’indépendance et de l’impartialité des parties (car elle est indéfectiblement liée à l’obligation de révélation qui est la condition sine qua non de la confiance des parties dans les arbitres) ne peut être laissée à la libre appréciation des parties. On y est d’autant plus réticent qu’une telle solution conduit à une immense diversité du régime applicable à la révélation (un règlement d’arbitrage, un régime). Surtout, des difficultés ne manqueront pas d’apparaître en cas de silence du règlement (ou d’un arbitrage ad hoc) ou de pluralité de sources (règlement d’arbitrage et référence aux IBA Guidelines). Enfin, toutes les institutions d’arbitrage n’ont pas adopté des règles aussi vertueuses que celles de la CCI (et quid d’un règlement volontairement limitatif sur l’obligation de révélation ?).

À l’inverse, les arguments en faveur d’une prééminence du règlement ne manquent pas non plus. Les arbitres bénéficient ainsi de lignes directrices solides au moment de réaliser leur révélation et ne sont pas soumis à une appréciation a posteriori du juge consacrant à l’occasion de l’affaire une règle méconnue antérieurement. En outre, plutôt que d’aller consulter non seulement le droit du siège (qui peut être déterminé après la déclaration d’indépendance), mais également le droit des lieux potentiels d’exécution (car le juge de l’exequatur est également susceptible de contrôler les modalités de constitution du tribunal arbitral !), l’arbitre peut se fier aux seules modalités du règlement.

Pour notre part, nous rechignons (mais ne demandons qu’à être convaincu) à retenir la prééminence de la volonté des parties sur ce point. Si les critères retenus par la CCI sont bons, rien n’interdit à la jurisprudence de se les approprier et de les généraliser, quelle que soit la nature de l’arbitrage. Il en va d’ailleurs de même du case information sheet évoqué dans les arrêts CWT et Soletanche. Nul doute qu’il s’agit d’un outil utile (mais loin d’être infaillible, ce qui conduit la Note de la CCI à préciser en son paragraphe 28 qu’il ne faut pas s’y limiter), qui permettra aux parties de mentionner un certain nombre d’entités qui doivent être prises en considération dans sa révélation par l’arbitre. Mais là encore, si on juge l’outil efficace, rien n’interdit à la jurisprudence d’imposer aux parties d’annoncer aux arbitres, en amont de l’obligation de révélation, la liste des entités qu’elles estiment pertinentes pour l’exercice de la révélation.

Par ailleurs, si tant est que l’on admette que le règlement d’arbitrage constitue le socle de l’obligation de révélation, il convient d’être cohérent et de renoncer à la jurisprudence mortifère sur la notoriété du fait non révélé. En effet, le règlement CCI ne mentionne pas ce critère et impose bien aux arbitres de révéler les faits notoires. Malgré cela, l’arrêt Vidatel y fait encore abondamment référence (v. infra). On ne peut pas, d’un côté, considérer que les arbitres doivent s’appuyer sur le règlement CCI dans le cadre de leur obligation de révélation et, d’un autre côté, les en dispenser pour ce qui concerne les faits les plus significatifs ! De plus, il conviendrait d’aller au bout de la logique et de considérer que les entités mentionnées dans le case information sheet ont un lien direct ou indirect avec le litige. Pourtant, dans l’arrêt CWT, la cour considère, alors même que la société Polimundo est désignée comme « entité concernée », que cette mention ne vaut pas « preuve de l’implication effective » et que la société n’a pas « intérêt, direct ou indirect, dans la résolution du litige arbitral ». En définitive, l’arrêt Vidatel constitue une petite révolution sur le plan des sources et il faudra examiner minutieusement ses suites.

La deuxième difficulté concerne les conséquences tirées de cette nouvelle source de l’obligation de révélation dans l’arrêt Vidatel. C’est à ce stade que l’arbitragiste peut déchirer les notes qu’il a soigneusement confectionnées depuis des années, tentant fébrilement de comprendre la distinction entre ce qui doit être révélé et ce qui peut entraîner l’annulation de la sentence, dès lors qu’il est admis depuis l’arrêt Neoelectra (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c. Sté Tecso, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller) que la carence dans l’exécution de la première obligation n’entraîne pas automatiquement l’annulation. De cette jurisprudence patiemment sédimentée sur une dizaine d’années, il ne reste plus qu’un champ de ruines (sauf si l’arrêt Vidatel demeure isolé).

L’essentiel est désormais résumé aux paragraphes 118 et 119 de l’arrêt, qu’il convient de reproduire : « En dehors de ces cas caractérisant des causes réputées objectives, l’arbitre est dispensé de déclaration sauf à devoir révéler les circonstances qui, bien que non visées dans cette liste, peuvent être de nature à créer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur son indépendance, c’est-à-dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles » puis, « pour être caractérisé, ce doute raisonnable doit résulter d’un potentiel conflit d’intérêts dans la personne de l’arbitre, qui peut être, soit direct, parce qu’il concerne un lien avec une partie, soit indirect parce qu’il vise un lien d’un arbitre avec un tiers intéressé à l’arbitrage. À cet égard, lorsque le potentiel conflit d’intérêts est seulement indirect, l’appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l’intensité et la proximité du lien entre l’arbitre, le tiers intéressé et l’une des parties à l’arbitrage ».

Pour comprendre le régime envisagé, il faut réaliser une première distinction. D’un côté, les « causes réputées objectives », qui sont celles visées par la Note de la CCI et reproduites en français dans l’arrêt (les circonstances qui doivent particulièrement être considérées par l’arbitre sont celles par lesquelles cet arbitre, ou le cabinet d’avocats auquel il appartient : (1) représente ou conseille, ou a représenté ou conseillé, l’une des parties ou l’une de ses filiales ; (2) intervient ou est intervenu à l’encontre de l’une des parties ou de l’une de ses filiales ; (3) entretient une relation commerciale avec l’une des parties ou l’une de ses filiales, ou a un intérêt personnel, de quelque nature qu’il soit, dans l’issue du litige ; (4) appartient, intervient ou est intervenu au nom de l’une des parties ou de l’une de ses filiales, en qualité d’administrateur, de membre du conseil, de dirigeant ou autrement ; (5) a été impliqué dans le litige, ou a exprimé une opinion sur le litige d’une manière susceptible d’affecter son impartialité ; (6) entretient une relation professionnelle ou personnelle étroite avec le conseil de l’une des parties ou le cabinet d’avocats de ce conseil ; (7) intervient ou est intervenu en qualité d’arbitre dans une affaire impliquant l’une des parties ou l’une de ses filiales ; (8) intervient ou est intervenu en qualité d’arbitre dans une affaire connexe ; (9) a précédemment été nommé en tant qu’arbitre par l’une des parties ou l’une de ses filiales, ou par le conseil de l’une des parties ou le cabinet d’avocats de ce conseil »). Pour celles-ci, on comprend à la lecture de l’arrêt que la révélation est obligatoire (sauf si le fait est notoire…) et qu’une défaillance doit probablement entraîner l’annulation immédiate de la sentence (mais l’arrêt est silencieux sur ce point).

Pour les autres causes (subjectives ? non objectives ? relatives ? particulières ? spécifiques ?), les arbitres sont en principe dispensés de révélation. Mais, c’est là que les choses se compliquent, certains faits doivent quand même être révélés, quand bien même ils ne figurent pas parmi la liste précédemment évoquée. Il s’agit des « circonstances qui, bien que non visées dans cette liste, peuvent être de nature à créer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur son indépendance, c’est-à-dire un doute qui peut naître chez une personne placée dans la même situation et ayant accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles ». On retrouve ainsi le critère de Neoelectra, qui n’est plus utilisé comme déclencheur de l’annulation de la sentence, mais comme déclencheur de l’obligation de révélation. Par ailleurs, pour dissiper le flou qui a toujours entouré cette notion de « doute raisonnable », la cour propose une sous-distinction. D’une part, le lien direct avec une partie au litige, d’autre part, le lien indirect, notamment avec un tiers intéressé à l’arbitrage. Dans les deux cas, le doute raisonnable résulte d’un « potentiel conflit d’intérêts ». Toutefois, pour le second, ce potentiel conflit d’intérêts dépend de « l’intensité et de la proximité du lien entre l’arbitre, le tiers intéressé et l’une des parties à l’arbitrage ».

Que penser de ce nouveau régime ? Si l’on accepte qu’il soit fait table rase du passé, on peut avancer plusieurs remarques. D’abord, on ne regrettera pas l’abandon de la distinction entre le fait « à révéler » et le fait « susceptible d’entraîner l’annulation ». D’une part, cette distinction est résolument complexe en théorie et surtout, d’autre part, elle est le plus souvent piétinée dans les faits. Lorsqu’un critère se révèle impraticable, c’est sans doute qu’il doit être revu. Ensuite, si le régime paraît séduisant, il n’en demeure pas moins qu’il ne concerne que les arbitres administrés par la CCI. En effet, c’est bien sa Note qui permet de distinguer les causes objectives des autres causes. Dès lors, il faut admettre que ce nouveau régime ne sera pas transposable ailleurs. Il faudra se demander si le régime antérieur survit ou s’il convient d’en confectionner un autre. Enfin, le régime pourrait n’être simple qu’en apparence. Ainsi, les difficultés d’interprétation ne manqueront pas de surgir. Par exemple, pour les causes objectives, faut-il annuler automatiquement la sentence pour un fait révélé s’il est très ancien ou très peu significatif ? Il ne serait pas étonnant que l’on finisse par réintroduire le critère du doute raisonnable, même au sein des causes objectives. Il faut également souligner que des difficultés apparaîtront certainement quant à la catégorie des tiers intéressés : faut-il considérer que la liste contenue dans le case information sheet est limitative, au risque de voir les parties dissimuler sciemment certaines informations ? Enfin, et surtout, la question du doute raisonnable, condition de la révélation des causes non objectives, est particulièrement délicate à manier pour les arbitres. Bref, autant d’interrogations qui feront l’objet de discussions dans les prochaines affaires et qui sont, déjà, au cœur des débats dans les arrêts sous commentaire.

• Les applications pratiques

Dans l’arrêt Vidatel, les liens entre un coarbitre et une partie au litige sont examinés. Plus précisément, il est reproché à l’arbitre plusieurs liens avec Nelson Tanure (nous citons le nom pour le besoin de la démonstration), actionnaire de la société Oi, qui est elle-même la société mère de la société PT Ventures, partie au litige. Rien n’est dit, dans l’arrêt, sur le point de savoir si monsieur Tanure ou la société Oi ont été désignés « entités concernées » par les parties au litige. En tout état de cause, c’est bien un lien indirect qui est au cœur du raisonnement, qui nécessite donc la preuve d’un doute raisonnable pour justifier une révélation.

Un premier lien, concernant des sociétés tierces détenues par M. Tanure et conseillées par le cabinet du coarbitre, est écarté, au motif de l’absence de tout lien direct ou indirect entre ces sociétés et les parties à l’arbitrage. La cour aurait sans doute pu s’arrêter là. Il n’en est rien et elle ajoute deux informations qui doivent être relevées. D’une part, elle considère que sont notoires les informations publiées dans le Global Arbitration Review (GAR). Cette revue est connue de tous les praticiens de l’arbitrage, mais elle est payante. On en déduit que l’information « librement accessible sur internet » peut figurer derrière un pay wall, ce qui est, à tout le moins, discutable. D’autre part, convoquant les principes de célérité et de loyauté (dont on ne voit pas vraiment l’utilité après dix ans d’existence), pour justifier qu’une partie aurait dû réclamer des précisions aux arbitres. On retrouve ici l’obligation de curiosité ressuscitée après le début de l’instance, comme c’était déjà le cas dans l’arrêt Tecnimont (Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier  ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin et p. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; maintenu par Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24 ; ibid. 2435, obs. T. Clay  ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans ; Rev. arb. 2020. 403, note M. Henry). Toutefois, la motivation de la cour est troublante.

Premièrement, deux des trois éléments déclencheurs de cette obligation de curiosité sont postérieurs à la révélation de l’arbitre. Cela revient, en filigrane, à réintroduire la notoriété après le début de l’instance, la cour énonçant que « la société Vidatel ne pouvait pas ne pas avoir eu connaissance » de ces faits. Pourtant, la cour a clairement rappelé, un peu plus tôt dans l’arrêt, que la notoriété ne s’applique plus pendant le déroulement de l’instance. On finit par s’y perdre : les faits notoires postérieurs au début de l’instance doivent-ils être révélés par l’arbitre ou doivent-ils être connus par les parties et donner lieu à des investigations et, le cas échéant, une demande de récusation ?

Deuxièmement, la cour signale que ce défaut de curiosité est révélateur de ce que « ces circonstances n’étaient pas non plus de nature à créer, dans son esprit, comme dans celui d’une partie placée dans une même situation ayant eu accès aux mêmes éléments d’information raisonnablement accessibles, un doute raisonnable sur l’indépendance de l’arbitre » (§ 129). On ne peut qu’être sceptique face à cette motivation, qui conduit à déduire le doute raisonnable du comportement du créancier de l’obligation de révélation. Comment une partie peut-elle savoir si une information est de nature à générer un doute si elle n’en a pas connaissance ? Une telle position pourrait avoir pour effet – totalement délétère – de pousser les parties à demander systématiquement des précisions pour éviter de laisser penser qu’une information qu’elles n’ont pas en leur possession n’est pas de nature à créer un tel doute. Cela revient, comme pour le critère de la notoriété, à une inversion des valeurs où les parties ne sont plus créancières d’une obligation d’information, mais débitrice d’une obligation d’investigations et de curiosité. Comment peut-on militer pour de bonnes pratiques et, dans le même temps, faire le lit des comportements les plus critiquables ?

Le deuxième lien concerne directement M. Tanure et la société Oi, maison mère de PT Ventures. La cour signale que le lien est notoire. Pourtant, là encore, les faits retenus sont tous postérieurs à la déclaration initiale de l’arbitre. Pourquoi en faire mention, alors même qu’une telle notoriété est supposément indifférente ? Certes, la cour n’en tire pas véritablement de conséquences, mais elle insinue que les parties doivent se tenir informées pendant l’instance. Par la suite, la cour étaye sa motivation et peine, à nouveau, à convaincre. En dépit des termes que la cour utilise elle-même, à savoir que M. Tanure est un actionnaire de la société Oi qui est la maison mère de la société PT Ventures, elle signale que cette présentation est trompeuse et qu’il existe un certain nombre de sociétés intercalées. Ainsi, M. Tanure ne serait pas actionnaire direct de la société Oi, mais le serait par l’intermédiaire de deux autres sociétés successives. De même, la société Oi serait séparée de la société PT ventures par « quatre degrés de personnes morales distinctes ». En résumé, les liens entre M. Tanure et la partie au litige seraient tellement distants qu’ils ne justifieraient aucunement une révélation de la part de l’arbitre de son lien avec le premier. Sur le principe, il est tout à fait admissible de considérer qu’un lien à huit degrés n’a pas à être révélé. Toutefois, pourquoi la cour désigne-t-elle M. Tanure comme un actionnaire de la société Oi et cette dernière comme la société mère de PT Ventures ? De plus, il suffit de consulter la page Wikipedia (en portugais) de M. Tanure pour y constater que sa participation dans la société Oi est loin d’être anecdotique. De même, on trouve de nombreux sites évoquant la cession (en janvier 2020) de la société PT Ventures par la société Oi, voire la cession d’Unitel (la société au cœur du litige) par Oi. Des médias ont même titré sur le fait que c’est Oi qui a remporté l’arbitrage ! Dès lors, la cour d’appel affaiblit considérablement son raisonnement en prétendant que le lien est trop indirect, alors que tout indique qu’il ne l’est pas.

Concernant le défaut de révélation du président du tribunal arbitral, troisième lien examiné, il lui est reproché d’avoir omis de déclarer que l’un de ses associés a été désigné administrateur judiciaire (bankruptcky trustee) d’une filiale de la société Oi. On peut d’abord s’interroger sur l’existence d’un réel conflit d’intérêts avec cette qualité d’administrateur judiciaire, dont la mission est si particulière. La cour ne rentre pas vraiment dans le débat théorique et constate qu’une décision querellée a été prise dans l’intérêt de la société et de ses créanciers et sans lien avec l’arbitrage. La deuxième partie du raisonnement est plus intéressante. La cour constate que le président et l’administrateur judiciaire sont associés de deux cabinets d’avocats faisant partie du « même réseau », le réseau CMS (on précisera quand même, pour le lecteur, que ledit cabinet possède un site internet mondial avec l’ensemble de ses bureaux et que tous les bureaux partagent le même sigle). Pour la cour, « il n’est nullement établi l’existence d’un courant d’affaires » entre les deux cabinets. Elle ajoute que « la seule circonstance qu’un cabinet membre du même réseau que celui d’un arbitre ait eu des liens d’affaires avec une société faisant partie du même groupe qui en comprend plus de quarante que celui auquel appartient l’une des parties, les cabinets étant situés dans deux pays distincts et étant indépendants juridiquement et financièrement, n’oblige pas un arbitre à en faire la déclaration de sorte que [le président] n’était pas tenu de compléter sa déclaration du fait de cette circonstance intervenue en cours d’arbitrage ». Faut-il y voir un revirement avec le premier arrêt Tecnimont (Paris, 12 févr. 2009, Avax c. Tecnimont, Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 44, note M. Henry ; Bull. ASA 2009. 520, note P. Schweizer ; L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c. Tecnimont SPA du 12 février 2009, Cah. arb. 2011. 54), auquel cas les firmes mondiales peuvent d’ores et déjà sabler le champagne ? Plus modestement, s’agit-il d’une simple distinction selon la nature du lien unissant les cabinets, tantôt intégrés, tantôt organisés en réseau ? Cette dernière hypothèse ne risque-t-elle pas de conduire à des distinctions trop subtiles, voire à inciter les cabinets à modifier leur forme sociale pour échapper à la révélation ? De nouveau, on est étonné par la solution, qui ne s’impose en rien et qui jette un trouble sur le périmètre des faits à révéler.

En définitive l’arrêt Vidatel suscite l’incompréhension. La piste théorique qu’il invite à explorer n’est pas nécessairement mauvaise, même si elle doit être évaluée. En revanche, on peine à comprendre ce qui justifie de maintenir, au fil des années, des appréciations complaisantes de l’obligation de révélation, que ce soit par le critère de la notoriété ou par l’examen des faits. On peut, certes, y voir un révélateur de la faveur à l’arbitrage. Toutefois, il nous semble que ce n’est pas faire une faveur à l’arbitrage que de laisser les arbitres signer des déclarations d’indépendance vierges (ce qui est, malheureusement, trop souvent le cas). De plus, il nous semble que la faveur à l’arbitrage, si elle n’a pas disparu, est en recul (dans le même sens, v. J. Ortscheidt, conférence du 13 janv. 2021 du Club des juristes, compte rendu en ligne). La logique de l’arrêt Vidatel est, dès lors, difficilement saisissable.

b. La révélation après le début de l’instance

L’obligation de révélation ne s’épuise pas à sa première exécution et continue de peser sur l’arbitre pendant l’intégralité de la procédure arbitrale.

Dans l’affaire Soletanche, la question de la corruption d’un employé d’ACT par la société BAM, tiers à l’arbitrage, a été soulevée devant le tribunal arbitral. L’arbitre a alors révélé être mandaté par une joint-venture dont l’un des membres est une autre société du groupe BAM. La question du maintien de l’arbitre s’est alors posée et les parties ont renoncé à son remplacement. Pourtant, une fois la sentence rendue, la société Soletanche a tenté d’obtenir l’annulation de la sentence sur ce fondement, arguant notamment de l’omission par l’arbitre de mentionner un certain nombre de réunions ou correspondances avec des membres de la société BAM. La cour écarte l’argument, en retenant que la déclaration de l’arbitre a « clairement mis en évidence la relation professionnelle en cours le liant à une joint-venture incluant une autre entité appartenant au groupe BAM. Les déclarations de l’arbitre ne laissent aucun doute sur le fait que cette relation professionnelle était actuelle et n’était pas achevée et rien dans ce qu’a dit l’arbitre ne pouvait laisser penser à Soletanche que l’arbitre entendait y mettre fin » et ajoute que « les échanges de courriels, les communications téléphoniques, les conseils prodigués, et la rencontre organisée à Perth en présence des représentants de BAM Australie ne modifient pas la nature et l’ampleur de l’intervention ». Il est logique que, lorsque les parties ont accepté cette relation avec un tiers, l’arbitre n’a pas à révéler tous les échanges qui s’en suivent.

En revanche, la mission de l’arbitre avec la société BAM a évolué, puisque la joint-venture a donné lieu à une procédure arbitrale. S’agissait-il d’une nouveauté devant faire l’objet d’une information des parties ? La réponse est négative, la cour retenant que « les questions juridiques sur lesquelles il était conduit à se prononcer dans le cadre de son mandat pouvaient aboutir à un contentieux et qu’il était susceptible de se voir confier la représentation des intérêts de son mandant dans le contentieux qui en résulterait devant une juridiction ». Là encore, la solution est convaincante, dès lors que la nature de la relation entre l’arbitre et le tiers n’est pas transformée par l’apparition d’une procédure contentieuse qui n’a aucun lien avec l’arbitrage en cours.

2. La renonciation

La renonciation se caractérise, en matière de révélation, par l’absence de demande de récusation de l’arbitre. On peut distinguer, pour l’essentiel, deux hypothèses. Celle où le fait est considéré comme notoire, ce qui impose de réaliser la demande de récusation dès le début de la procédure ; celle où le fait est positivement révélé par l’arbitre (ou, plus rarement, lorsque les parties font état, pendant l’instance, d’un fait non révélé), ce qui impose d’agir dès la révélation du fait, que ce soit au début de la procédure ou au moment où les parties en ont connaissance.

Dans l’affaire Soletanche, les parties ont discuté du maintien de l’arbitre et ont expressément renoncé à invoquer l’irrégularité. Il est donc logique que la question ne puisse être à nouveau débattue lors du recours en annulation.

Dans l’affaire HOP !, la révélation a eu lieu au détour d’un email. En effet, dans sa déclaration initiale, l’arbitre a signalé être « legal advisor de l’European Regions Airlines Association ». Lors de l’organisation de l’audience, l’arbitre a sollicité un changement de date en signalant aux parties qu’il souhaitait « participer à l’assemblée générale annuelle et au comité de direction de l’ERAA, la date du 19 ayant été omise dans mon agenda pour une raison inconnue. Comme vous le savez sans doute, je suis un directeur et le conseil juridique de l’ERAA ». Ainsi, les parties ont appris par ce biais que l’arbitre n’est pas seulement conseil de l’ERAA, mais également un de ses directeurs, membre du board, au sein duquel il peut siéger aux côtés de représentants de sociétés du groupe Air France-KLM. Dès lors, en s’abstenant de solliciter la récusation de l’arbitre à ce moment, les parties y ont renoncé.

La révélation des faits pendant la procédure arbitrale soulève néanmoins une interrogation. On peut se demander si le droit de former une demande de récusation est vraiment effectif lorsque la révélation intervient à un stade avancé de la procédure. On peut imaginer sans peine que les parties soient réticentes à s’engager dans une procédure de récusation à ce stade, sous peine de retarder sensiblement l’issue de la procédure arbitrale et au risque de s’aliéner l’arbitre. Il ne faut pas que la révélation tardive anéantisse en pratique la faculté d’une partie d’exercer son droit de récusation de l’arbitre. Il ne faut pas non plus que l’arbitre soit tenté d’aggraver sensiblement sa déclaration au détour d’une conversation et à un moment où les parties ne sont pas véritablement en mesure de le contester.

B. L’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral

L’arrêt Vidatel soulève une deuxième question, qui fera également débat. La difficulté est simple à comprendre : la clause prévoit un arbitrage avec cinq arbitres, les quatre actionnaires ayant la possibilité d’en nommer chacun un. En l’espèce, le litige oppose un actionnaire à ses trois coactionnaires. Les défendeurs prétendent pouvoir nommer chacun un arbitre, ce que conteste le demandeur, sur le fondement de l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral. Saisie de la difficulté, et alors que chaque partie a nommé un arbitre, la cour d’arbitrage de la CCI a écarté la clause et nommé d’office les cinq membres du tribunal arbitral. C’est cette mise à l’écart de la clause qui suscite l’ire du requérant. L’argumentation soulève plusieurs questions connexes, d’inégale pertinence.

En premier lieu, et assez simplement, il est reproché à la CCI de ne pas avoir respecté la clause compromissoire. Il est admis depuis longtemps que les modalités de constitution du tribunal arbitral prévues par les parties dans la clause doivent être respectées sous peine d’annulation (par ex., v. Civ. 1re, 10 mai 1995, n° 92-19.111, D. 1996. 79 , note G. Bolard ; RTD com. 1995. 756, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 605, note A. Hory ; 4 déc. 1990, Rev. arb. 1991. 81, note P. Fouchard). Le demandeur à l’arbitrage motive sa demande de mise à l’écart de la clause par une « collusion […] dans la violation de ses droits » par les trois défendeurs. Dès lors, il invoque une atteinte au principe de l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral. La situation est donc différente de celle visée par l’arrêt Ducto (Civ. 1re, 7 janv. 1992, n° 89-18.708, Dutco, RTD com. 1992. 796, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; JDI 1992. 726, note C. Jarrosson ; Rev. arb. 1992. 470, note P. Bellet ; adde E. Loquin, À la recherche du principe de l’égalité des parties dans le droit de l’arbitrage, Cah. arb. 2011. 115). La question posée dans l’arrêt Ducto était de savoir s’il est possible de contraindre des défendeurs à se mettre d’accord pour désigner un arbitre en commun, là où le demandeur est libre de faire son choix. Dans l’arrêt Vidatel, les parties avaient, en quelque sorte, anticipé ce problème, puisque chacune avait bien la possibilité de désigner un arbitre. En conséquence, la clause n’était-elle pas parfaitement conforme au principe d’égalité des parties ? C’est évidemment ce qu’avance la société Vidatel au soutien de son recours en annulation. À cela, elle ajoute trois arguments qui ne manquent pas de pertinence. Premièrement, elle souligne qu’il n’existe pas d’unité entre les défendeurs, qui ont chacun des intérêts divergents. À cet égard, on peut signaler que le recours en annulation est formé par un seul des défendeurs contre le demandeur et ses deux codéfendeurs (même si un n’est pas comparant et l’autre s’en est remis à la cour). Deuxièmement, il est signalé que l’égalité des parties est maintenue du fait de l’impartialité des arbitres. En effet, contrairement à ce qui est parfois dit dans le langage courant, les parties ne désignent pas leur arbitre, mais un arbitre, qui n’est pas leur représentant. Toutefois, il nous semble que ce second argument, s’il est fort, n’est pas décisif. D’une part, en droit, si l’impartialité des arbitres était suffisante, elle suffirait à écarter totalement la jurisprudence Ducto, l’égalité s’effaçant derrière l’impartialité. D’autre part, et malheureusement, cet argument se heurte à la réalité, qui rappelle trop souvent que certains arbitres ont une vision trop personnelle de l’exigence d’impartialité. Troisièmement, la clause accorde au président un casting vote, ce qui interdit aux trois coarbitres choisis par les défendeurs d’imposer leur volonté aux deux autres.

La cour d’appel reste indifférente à ces moyens et rejette le grief. Deux éléments sont utilisés pour asseoir la motivation (nous en inverserons la présentation pour la clarté du raisonnement). La cour constate (§ 64 et 65) que l’égalité des parties dans la constitution du tribunal ne s’analyse pas de façon identique au jour de la conclusion de la clause et au jour où le litige est né. Or, si la clause peut paraître conforme au principe dans un premier temps, elle peut le heurter dans un second temps. Il convient d’écarter la clause si elle n’est pas en mesure d’assurer des modalités de désignation compatibles avec le principe d’égalité. La solution paraît conforme au principe tel qu’énoncé par la jurisprudence Dutco. La Cour de cassation y a retenu que l’« on ne peut y renoncer qu’après la naissance du litige ». En conséquence, c’est bien à la date du litige, et non à celle de la conclusion de la clause, qu’il faut se situer pour assurer l’égalité des parties. Dès lors que le litige oppose un demandeur à des défendeurs ayant des intérêts convergents (sans que l’on puisse véritablement tenir pour acquis ce constat), il est nécessaire d’écarter la clause sur le fondement du principe d’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral.

Toutefois, il ne suffit pas d’écarter la clause. Il convient également de vérifier la façon dont le tribunal a été constitué. Face à l’opposition des parties, la cour d’appel constate que la cour d’arbitrage de la CCI a proposé aux parties de rechercher un accord, ce à quoi elles ne sont pas arrivées. Confrontée à un échec, la CCI est légitime à mettre en œuvre son règlement et à désigner les arbitres. Ceci étant, le requérant souligne que l’article 12 du règlement d’arbitrage CCI n’envisage pas la possibilité pour la cour d’arbitrage de pallier les difficultés de constitution d’un tribunal arbitral composé de cinq arbitres. Il est vrai que le règlement est lacunaire sur ce point. Cependant, la cour balaie l’argument en retenant que le règlement (et en particulier l’article 41) « autorise ainsi une interprétation utile de ce règlement, c’est-à-dire une interprétation qui lui confère un effet plutôt que celle qui ne lui en fait produire aucun » (§ 59). Elle ajoute que, ce faisant, la CCI a permis « la mise en place d’un tribunal arbitral et ainsi de respecter la volonté des parties ». Là encore, la solution sera abondamment discutée. Elle est néanmoins convaincante. La cour d’arbitrage de la CCI est confrontée à une volonté certaine de recourir à l’arbitrage, mais à une difficulté dans la constitution du tribunal. La résolution de cette difficulté repose soit sur l’institution, soit éventuellement sur le juge d’appui. Cependant, la volonté de confier l’administration de la procédure à une institution d’arbitrage ne fait pas non plus de doute. Dès lors, c’est bien à elle qui revient d’assurer le soutien nécessaire à l’arbitrage, quitte à interpréter de façon utile son règlement. Ceci étant, cette situation met, une nouvelle fois, en lumière les pouvoirs quasi juridictionnels des institutions d’arbitrage.

En deuxième lieu, le requérant invoque une violation du principe compétence-compétence. L’argument est un peu déroutant. En substance, il fait valoir que la cour d’arbitrage de la CCI a outrepassé ses pouvoirs en interprétant la clause d’arbitrage en lieu et place du tribunal arbitral. En creux, la question est de savoir si la difficulté soulevée par la clause est relative à la compétence ou à la constitution du tribunal arbitral et à qui il appartient de la résoudre. Le moyen est écarté sur le fond, la cour considérant qu’il s’agit bien d’un problème de constitution du tribunal et non un problème de compétence. En outre, quand bien même la cour y aurait vu un problème de compétence, on peut douter que la violation du principe compétence-compétence soit constitutive d’un grief susceptible d’emporter l’annulation de la sentence. Au surplus, l’argument soulève des difficultés relatives à la distinction entre compétence-compétence et compétence-investiture : un tribunal arbitral peut-il trancher une question relative à l’égalité des parties dans sa propre constitution ? On peut en douter.

Ceci étant, on signalera avec intérêt le raisonnement de la cour sur la recevabilité de ce moyen. La question porte sur la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité, qui vient de faire l’objet d’une décision remarquée de la Cour de cassation (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ). Dans Vidatel, la cour cherche un équilibre entre les solutions divergentes de l’affaire Schooner, entre l’arrêt d’appel (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Schooner, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont) et celui de la Cour de cassation. Dans un premier temps, elle énonce que la « renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs précisément et concrètement articulés et non des catégories de moyens » (§ 72). Ce faisant, elle reprend à son compte la solution de l’arrêt d’appel. Faut-il y voir un acte de défiance vis-à-vis de la Cour de cassation ? Certainement pas, puisqu’elle enchaîne en retenant qu’il « a été admis que lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments relatifs à la compétence et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ». Elle reprend donc également la solution de la Cour de cassation. Comment concilier les deux ? Tout simplement en distinguant, comme le fait la cour d’appel, le cas d’ouverture relatif à la compétence et celui relatif à la constitution du tribunal arbitral. Cela conduit à retenir une approche extensive de la recevabilité en matière de compétence, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, et une approche restrictive de la recevabilité en matière de constitution du tribunal arbitral, dans la lignée de la solution d’appel ayant fait l’objet d’une cassation.

Si une telle solution répond en partie aux interrogations soulevées par l’arrêt du 2 décembre 2020 (v. J. Jourdan-Marques, obs. ss Civ. 1re, 2 déc. 2020, Dalloz actualité, 15 janv. 2021), il n’en demeure pas moins que la distinction entre les deux cas d’ouverture ne repose sur aucun fondement identifiable. L’explication avancée par la cour d’appel de Paris au soutien de la solution de la Cour de cassation n’y change rien. Elle met en exergue que cette solution « résulte de la faculté pour le juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral statuant sur la compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres ». Cette formule d’origine jurisprudentielle, que l’on retrouve depuis les arrêts SPP c. Égypte et Abela (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.530, Abela, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2442, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero  ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. I. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011, p. 14, obs. D. Bensaude ; Paris, 12 juill. 1984, Égypte c. SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, n° 84-17.274, SPP c. Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman), ne justifie aucunement un contrôle de la compétence au regard de moyens nouveaux. En revanche, la solution désormais retenue constitue une négation de l’article 1465 du code de procédure civile, qui donne au tribunal arbitral une compétence (ou plutôt une priorité) exclusive pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel. On aurait donc aimé voir la cour d’appel résister à la Cour de cassation pour tenter d’infléchir une solution inique. Néanmoins, on peut se réjouir qu’elle n’ait pas, pour l’instant, vocation à être étendue aux autres cas d’ouverture du recours.

En troisième lieu, le requérant se prévaut du non-respect de la clause, qui donne pouvoir au président de la CCI de désigner le président, et non à la cour d’arbitrage de la CCI. Le grief est écarté dès lors que c’est la clause qui, dans son ensemble, n’a pas pu être mise en œuvre, justifiant ainsi une substitution par la cour d’arbitrage. Il est vrai que ce point est discutable. En substance, il s’agit de se demander s’il convient d’écarter l’ensemble de la clause ou seulement les aspects qui font l’objet d’une difficulté. La cour d’appel opte pour la première branche de l’alternative, mais aurait tout aussi bien pu retenir la seconde. Suffisant pour susciter une intervention de la Cour de cassation ? On attend la suite avec impatience !

II. Le principe compétence-compétence

Le principe compétence-compétence soulève toujours autant de difficultés et les réponses qui y sont apportées sont souvent inégales. La présente livraison offre de la jurisprudence aussi bien sur la problématique du champ d’application de la clause que celle de la clause et des procédures collectives.

A. Le champ d’application de la clause

Quelles sont les actions auxquelles la clause s’applique ? La question est souvent complexe et les parties cherchent à en profiter pour contourner la compétence des arbitres et se présenter devant le juge étatique. C’est à ce dernier de faire respecter le principe compétence-compétence en se déclarant incompétent et en renvoyant les parties devant les arbitres. Néanmoins, le juge ne doit pas anticiper la réponse du tribunal arbitral. S’il se déclare incompétent, ce n’est pas nécessairement parce que l’arbitre est compétent, mais seulement parce qu’il est incompétent pour trancher la question de la compétence.

Une parfaite illustration de ce difficile équilibre est proposée par un arrêt Financière de Rosario (Paris, 5-16, 1er déc. 2020, n° 19/03289, Financière de Rosario). La clause compromissoire se situe dans un contrat de vente d’actions d’une société. Le litige porte sur la dissimulation d’une information lors de cette vente. Le demandeur saisit les juridictions françaises, considérant que sa demande d’indemnisation est de nature délictuelle, de sorte qu’elle ne porte pas sur un litige soumis à la clause compromissoire. L’exception d’incompétence du juge étatique au profit d’un tribunal arbitral est accueillie favorablement, dans une formule parfaitement ciselée : « cette demande, qu’elle soit de nature délictuelle ou contractuelle, n’est pas dépourvue de tout lien avec le protocole de cession d’actions litigieux dans lequel est incluse la clause compromissoire de sorte que cette dernière n’est pas manifestement inapplicable étant observé que le tribunal arbitral est prioritairement compétent pour se livrer à une interprétation de cette clause fin de déterminer si l’action précitée porte sur l’interprétation, la validité ou l’exécution de la cession d’action ». La cour dit juste ce qu’il faut : ni trop ni pas assez. Elle caractérise l’essentiel, à savoir un lien entre la clause et l’action. En revanche, elle se refuse à trancher la question de la nature – contractuelle ou délictuelle – de l’action et ne préjuge pas de la compétence des arbitres (sur ces questions, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685).

Dans un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 21 janv. 2021, n° 19/02675, Rohlig), une victime exerce une action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage. Reprenant à son compte une jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; DMF 2019, n° 810, p. 114, obs. P. Delebecque ; RGDA 2019, n° 2, p. 39, note R. Schulz ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude), elle déclare la clause opposable à la victime. Elle ajoute également que la clause s’applique aux « simples demandes ou offres d’assurances » et que la clause n’est pas « illisible ou noyée ». C’est encore aller trop loin dans l’examen de la compétence de l’arbitre et le priver de sa priorité, quand bien même les parties sont renvoyées à mieux se pourvoir.

Enfin, dans un arrêt de la cour d’appel de Lyon (Lyon, 4 févr. 2021, n° 20/02755, Lab), la clause compromissoire figure dans une charte-partie et la question se pose de son application à un contrat de commission de transport. Cette question a déjà fait l’objet d’arrêts de la Cour de cassation (Civ. 1re, 22 nov. 2005, n° 03-10.087, D. 2005. 3031 ; ibid. 2006. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 111, obs. H. Kenfack ; Rev. crit. DIP 2006. 606, note F. Jault-Seseke ; RTD com. 2006. 251, obs. P. Delebecque ; ibid. 764, obs. E. Loquin  ; Com. 21 févr. 2006, n° 04-11.030, D. 2006. 670 ; ibid. 2007. 111, obs. H. Kenfack ; Rev. crit. DIP 2006. 606, note F. Jault-Seseke ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin ; JDI 2006. 622, note C. Legros). En l’espèce, la cour constate que le litige trouve sa source dans la facturation de frais en application de la charte-partie. En conséquence, elle juge que la clause n’est pas manifestement inapplicable et qu’elle prévaut sur la clause attributive de juridiction contenue dans les conditions générales d’achat du destinataire. Elle renvoie donc les parties à l’arbitrage.

B. La clause et les procédures collectives

Il n’est pas rare que l’arbitrage se heurte aux procédures collectives. L’articulation entre les deux est complexe, puisque le régime d’ordre public des procédures collectives peut conduire à écarter le recours à l’arbitrage dans certaines hypothèses, mais permettre son déroulement dans d’autres. Dès lors, il n’est pas rare que les parties saisissent le juge étatique et tentent d’échapper à la clause. C’est souvent le cas en présence d’une action engagée par le liquidateur d’une société. En la matière, il faut distinguer deux situations : d’une part, celle où le liquidateur exerce les droits et actions de la société en liquidation (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.552, Torelli c. StévGFC Construction, Dalloz actualité, 21 avr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 800 ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; RTD civ. 2015. 614, obs. H. Barbier  ; Cah. arb. 2015. 303, note A. Sarah ; Procédures 2015, n° 6, p. 21, obs. L. Weiller ; RLDC 2015, n° 127, p. 17, obs. M. Desolneux ; JCP 2015. 1152, note L. Weiller ; Rev. arb. 2015. 1171, note L. Weiller ; Com. 26 févr. 2020, n° 18-21.810, MJA, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2020, n° 26, p. 35, obs. D. Bensaude ; ibid., n° 35, p. 68, obs. S. Farhi) et, d’autre part, celle où il agit en qualité de représentant des créanciers (Com. 17 nov. 2015, n° 14-16.012, Sté Carrefour proximité France c. Sté Perin Borkowiak, Dalloz actualité, 30 nov. 2015, obs. A. Lienhard ; D. 2015. 2439, obs. A. Lienhard ; AJCA 2016. 43, obs. M. de Fontmichel ; Rev. sociétés 2016. 198, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 334, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 696, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2016. 49, note H. Barbier). Dans la première, il convient de renvoyer le liquidateur devant les arbitres, mais pas dans la seconde.

C’est cette distinction que rappelle la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 2 décembre 2020 (Paris, 2 déc. 2020, n° 20/10174, MJ Synergie). En l’espèce, le liquidateur demande la condamnation d’un franchiseur sur le fondement de la responsabilité délictuelle et agit, selon la cour, comme représentant des créanciers. Néanmoins, la solution est doublement discutable. D’une part, l’action exercée vise à « reconstituer l’actif du débiteur » et donc à obtenir réparation pour un préjudice subi par le débiteur lui-même. Elle se rapproche ainsi d’une action oblique. D’autre part, l’action est exercée sur le fondement de la jurisprudence Bootshop c. Sucrerie de Bois rouge (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, Bull. ass. plén., n° 9 ; D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister , note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295 , obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain  ; JCP 2006. II. 10181, avis A. Gariazzo et note M. Billiau ; ibid. 2007. I. 185, n° 4, obs. P. Stoffel-Munck ; CCC 2007, n° 63, obs. L. Leveneur ; 13 janv. 2020, n° 17-19.963, QBE Insurance c. Sucrerie de Bois rouge, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; ibid., 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 416, et les obs. , note J.-S. Borghetti ; ibid. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 394, point de vue M. Bacache ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJ contrat 2020. 80 , obs. M. Latina ; RFDA 2020. 443, note J. Bousquet ; Rev. crit. DIP 2020. 711, étude D. Sindres ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier ; ibid. 395, obs. P. Jourdain  ; Gaz. Pal. 2020, n° 5, p. 15, obs. D. Houtcieff). C’est une action extracontractuelle où le demandeur se prévaut d’une faute contractuelle. La mise à l’écart de la clause compromissoire est, dans ces circonstances, à tout le moins discutable. D’ailleurs, dans un arrêt Kem One, la Cour de cassation a accepté que, dans une configuration similaire, les parties soient renvoyées devant les arbitres (Civ. 1re, 24 juin 2020, n°[ESPACE19-12.701, Kem One, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Il y a un vrai sujet quant à l’applicabilité d’une clause compromissoire contenue dans un contrat à une action délictuelle se prévalant d’une violation dudit contrat. Un sujet qui doit être tranché par l’arbitre.

Dans un arrêt de la cour d’appel de Toulouse (Toulouse, 2 déc. 2020, n° 19/00056, Airbus Opérations), il est également jugé que l’action du liquidateur est exercée dans l’intérêt des créanciers. Pour autant, la motivation n’est pas parfaitement satisfaisante. En effet, la cour ajoute que le litige porte sur une pluralité de contrats, seuls certains d’entre eux contenant une clause compromissoire. Une telle motivation est insuffisante et n’aurait pas dû permettre d’écarter le principe compétence-compétence.

Enfin, la cour d’appel de Versailles est également confrontée à une question touchant aux procédures collectives (Versailles, 8 déc. 2020, n° 20/01754, ITME). Le litige concerne une action indemnitaire à la suite de la résiliation d’un contrat décidée dans le cadre de la procédure collective et prononcée par le juge-commissaire. Il s’agit de savoir si la clause compromissoire est susceptible de s’appliquer. La cour retient que « la présente action, si elle est une conséquence de la résiliation décidée dans le cadre de la procédure collective, est cependant une action indemnitaire et n’est donc pas née de la procédure collective dans la mesure où il ne s’agit pas d’une action spécifique à cette procédure ». Dès lors, elle estime qu’aucune disposition relative aux procédures collectives ne s’oppose au renvoi des parties devant les arbitres.

III. La notification de la sentence et le point de départ de son caractère exécutoire

Un arrêt de la cour d’appel de Rouen soulève deux interrogations entremêlées, lesquels sont particulièrement stimulantes (Rouen, 7 janv. 2021, n° 20/01665, 2ID). La première concerne la notification de la sentence. L’article 1484, alinéa 3, du code de procédure civile énonce que la sentence « est notifiée par voie de signification à moins que les parties en conviennent autrement ». En l’espèce, il s’agit de savoir si une telle dérogation a été prévue. La clause compromissoire énonce que « les arbitres remettront une copie, sur papier libre de leur conclusion ». À la suite de cela, les arbitres ont rendu une ordonnance de procédure prévoyant que (d’après les termes de la cour) « les sentences rendues dans le cadre de l’arbitrage seraient notifiées par le tribunal auprès de leurs conseils respectifs par voie électronique ». Il en résulte, pour la cour d’appel, que la sentence a valablement été notifiée par les arbitres, conformément à la dérogation prévue par l’article 1484, alinéa 3, du code de procédure civile.

Quel est l’intérêt de ce débat ? En principe, il s’agit de déterminer le point de départ des délais pour exercer les voies de recours. Tel n’est pas le cas dans l’arrêt, d’autant qu’il n’est pas certain que les arbitres aient pris soin d’indiquer les mentions de l’article 680 du code de procédure civile dans leur notification. En effet, la deuxième question est de déterminer le point de départ du « délai d’exécution volontaire ». Ce mécanisme, très original (et pour lequel on peut s’interroger sur la nature : est-ce un aménagement contractuel de la force exécutoire ?), interdit à la partie de réclamer l’exécution forcée de la sentence avant l’expiration d’un délai de quinze jours. D’où l’intérêt de déterminer la date de la notification, point de départ de ce délai. En l’espèce, c’est la date de notification des arbitres qui est retenue, autorisant ainsi les mesures d’exécution forcée à l’expiration du délai de quinze jours.

IV. Le recours en annulation

A. Aspects procéduraux des recours contre la sentence

1. Le recours contre une ordonnance de procédure

L’affaire Maessa est atypique, mais c’est justement pour cela qu’elle est intéressante (Paris, ord., 12 janv. 2021, n° 19/12417, Maessa). Les faits sont importants. Le Consorcio GLP et les sociétés Maessa et Tecsa ont adressé une « notification d’arbitrage » à la République d’Équateur. Dans la foulée, ils ont désigné un arbitre et le défendeur a fait de même. Après une période de flottement, sans doute liée à une volonté de résoudre amiablement le litige, les sociétés Maessa et Semi ont notifié à la République d’Équateur une « requête d’arbitrage ». Il y a donc deux requêtes différentes, avec des demandeurs distincts. Dans la foulée, les coarbitres précédemment choisis ont désigné un président. Finalement, un courrier a été adressé aux arbitres pour préciser que les parties à l’arbitrage ne sont pas celles indiquées dans la notification d’arbitrage (Le Consorcio GLP et les sociétés Maessa et Tecsa), mais celles visées dans la requête d’arbitrage (Maessa et Semi). Dans une ordonnance de procédure, le tribunal arbitral a « décidé » que les parties à l’arbitrage sont Maessa et Semi. Plus tard, il a rendu une sentence sur la compétence.

Le recours est formé par la République d’Équateur contre, non seulement la sentence sur la compétence, mais également l’ordonnance de procédure. Le requérant considère que la décision d’écarter deux des quatre demanderesses est une sentence susceptible de recours. Les défendeurs ont saisi le conseiller de la mise en état d’une irrecevabilité du recours en annulation contre l’ordonnance de procédure (v. déjà, sur ce débat, Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et de l’irrecevabilité du recours à l’égard du Consorcio GLP et de Tesca. Précisons d’emblée que cette compétence du conseiller de la mise en état n’est pas nouvelle, puisqu’elle résulte déjà de l’article 914, alinéa 1er, du code de procédure civile. Il ne s’agit pas d’un des nouveaux pouvoirs du conseiller de la mise en état résultant de la réforme du 11 décembre 2019 (sur ce point, J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : déflagration dans le recours en annulation, Dalloz actualité, 3 mai 2020).

La qualification d’ordonnance de procédure par les arbitres ne lie pas le juge. Il appartient à ce dernier de restituer à l’acte sa réelle qualification. Pour le faire, l’ordonnance rappelle la définition parfaitement connue, et toujours aussi critiquable, de la sentence arbitrale : « Seules peuvent faire l’objet d’un recours en annulation les véritables sentences arbitrales, constituées par les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence, ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance » (v. déjà Paris, 25 mars 1994, Sté Sardisud c. Sté Technip, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). À cela, l’ordonnance ajoute une définition utile de l’ordonnance de procédure, qui porte sur « l’organisation, l’instruction ou le déroulement de la procédure arbitrale ». Partant, le conseiller retient la qualification de sentence, en soulignant notamment que le tribunal arbitral a décidé, après un débat contradictoire et dans une décision motivée, d’écarter certaines parties de la procédure. Par conséquent, elle a mis fin à l’instance arbitrale à l’égard de ces parties, justifiant ainsi la qualification de sentence.

Que faut-il penser de cette qualification ? Il est difficile de se prononcer définitivement, tant les faits sont insuffisants pour se faire une opinion tranchée. On signalera d’ores et déjà deux points : d’une part, le contradictoire et la motivation ne sont pas des critères pertinents, dès lors qu’il s’agit d’éléments relatifs au régime et non à la qualification ; d’autre part, c’est par une contorsion que la décision du conseiller de la mise en état arrive à rattacher l’acte à la définition de la sentence arbitrale. La définition posée par l’arrêt Sardisud vise « la fin de l’instance » et le conseiller ne peut que constater « la fin de l’instance à l’égard de certaines parties ». On peut douter que les deux situations soient équivalentes, ce qui met une fois de plus en lumière les limites de cette définition.

La qualification de sentence devait-elle pour autant être écartée ? Difficile à dire, notamment parce que l’on aurait pu s’interroger sur la nature de la demande des deux parties : s’agit-il d’un désistement d’instance ou d’un désistement d’action ? Ce qui compte réellement est de savoir si les arbitres ont usé de leur pouvoir juridictionnel pour rendre cette décision et donc, par extension, si le défendeur a la possibilité de s’opposer à la mise à l’écart des deux demandeurs.

Quoi qu’il en soit, le conseiller tire les conséquences de sa solution. Puisque l’ordonnance de procédure est une sentence, il est logique que le Consorcio GLP et la société Tecsa soient parties au recours contre celle-ci. En revanche, doivent-elles rester parties au recours contre la seconde sentence ? Pour le conseiller, la réponse est positive. Néanmoins, on peut en douter, puisqu’il est certain qu’elles ne sont pas concernées par cette seconde décision. En décidant autrement, le conseiller de la mise en état ouvre la voie à ce que des tiers à la seconde décision participent à un recours contre une décision qui ne les concerne pas.

En tout état de cause, la décision est intéressante par son originalité. On est toutefois curieux de comprendre l’objectif poursuivi par la République d’Équateur d’attirer au recours ces parties, alors que leur éviction de l’arbitrage paraît, a priori, favorable. De plus, l’affaire met en lumière la question de la mise en place d’un délai butoir dans le cadre des recours contre les sentences, comme le prévoit l’article 528-1 du code de procédure civile. En l’espèce, le recours est exercé deux ans et une semaine après que les arbitres aient rendu l’ordonnance. Est-ce bien raisonnable ?

2. L’utilisation de la voie électronique

La voie électronique s’impose dans les recours contre les sentences. La Cour de cassation a dû le rappeler il y a un peu plus d’un an (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay  ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson). Néanmoins, la question des « cases à cocher » dans le RPVA ne cesse de mettre les plaideurs en difficulté. En principe, c’est l’onglet « autres recours à la diligence des parties » et non celui, trop souvent utilisé, de « déclaration d’appel ». En effet, le recours en annulation n’est pas un appel. Il n’en demeure pas moins que le choix n’est pas du tout intuitif. La question de la sanction d’un recours où le requérant a commis une erreur de sélection se pose donc régulièrement. La cour d’appel de Nîmes vient d’y apporter une réponse rigoureuse (Nîmes, 6 janv. 2021, n° 20/02583, Projets ingénierie actions). Elle considère que l’erreur informatique du demandeur entraîne l’irrecevabilité du recours, malgré le libellé de la déclaration d’appel indiquant que le recours est un « appel nullité de la sentence arbitrale ». Elle écarte par la même occasion le moyen relatif à l’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge. Par cette décision, la cour retient une solution qui a été un temps celle de la cour d’appel de Paris (Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude), mais qui semble depuis abandonnée (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay  ; Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04575, Zwahlen & Mayr, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Dans ces deux arrêts, la cour d’appel de Paris a retenu que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Si l’on ne peut évidemment mettre sur le même plan un arrêt de la cour d’appel de Nîmes et deux arrêts d’une chambre spécialisée de la cour d’appel de Paris, il n’en demeure pas moins que cette divergence appelle une intervention de la Cour de cassation. À cet égard, on rappellera que rien dans le code de procédure civile n’impose à peine d’irrecevabilité de sélectionner le bon onglet dans le RPVA. C’est à l’outil informatique de se soumettre aux règles de procédure civile et pas l’inverse !

B. Aspects substantiels des recours contre la sentence

1. La compétence

On dira simplement un mot d’un arrêt un peu ancien (Paris, 22 sept. 2020, n° 18/17391, Valantille) sur la question de la compétence en matière interne. Le différend porte sur des inexécutions post-contractuelles et la clause compromissoire vise les litiges relevant de « l’exécution du présent contrat ». Le tribunal arbitral est-il compétent pour trancher ce litige ? La réponse est logiquement positive, dès lors que les obligations trouvent leur source dans le contrat.

Dans une autre affaire (Paris, 2 févr. 2021, n° 20/01789, Tok Tokkie Company), les parties sont liées par un accord (letter agreement) contenant une clause compromissoire prévoyant un arbitre unique siégeant à Londres sous l’égide de la LCIA. Le demandeur au recours contre l’ordonnance d’exequatur soutient un raisonnement complexe selon lequel l’arbitre aurait dû déterminer, conformément au règlement Rome 1, la loi applicable au contrat et constater la nullité de celui-ci pour conclure à son incompétence. Autrement dit, le requérant invite la cour d’appel à violer l’intégralité des principes du droit de l’arbitrage établis depuis cinquante ans. La cour n’y fait évidemment pas droit. Les parties n’étant liées par aucun autre accord que celui contenant la clause compromissoire, elle confirme la solution de l’arbitre ayant admis sa compétence pour trancher le litige.

2. Le respect par l’arbitre de sa mission

L’arrêt CWT, déjà évoqué (Paris, 12 janv. 2021, n° 17/07290, CWT) soulève une intéressante question relative à la mission de l’arbitre. En l’espèce, il est reproché au tribunal arbitral d’avoir condamné le débiteur à une astreinte supérieure à celle demandée par le créancier et sans motiver sa décision. L’auteur du recours invoque une violation de sa mission par l’arbitre, au titre d’un ultra petita. La cour rejette le moyen. Elle énonce que « le prononcé d’une astreinte constitue un prolongement inhérent et nécessaire à la fonction de juger pour assurer une meilleure efficacité au pouvoir juridictionnel et ne caractérise aucun dépassement de la mission de l’arbitre. Il n’a pas à faire l’objet d’une motivation spécifique en ce qu’il relève de son pouvoir discrétionnaire ». La solution s’explique sans doute par mimétisme avec la procédure civile. En effet, l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution énonce que « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision ». La doctrine y voit effectivement un pouvoir discrétionnaire (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., 2020, Dalloz, coll. « Précis », n° 471 ; v. égal. Civ. 3e, 3 nov. 1983, Bull. civ. III, n° 219). On pourrait néanmoins ouvrir le débat d’une transposition aussi automatique du principe à l’arbitrage. À moins que ce soit le principe lui-même, d’un pouvoir discrétionnaire et dépourvu d’obligation de motivation, qui doive être discuté…

L’arrêt Soletanche soulève également une problématique relative à la mission des arbitres (Paris, 1-1, 15 déc. 2020, n° 18/14864, Soletanche). La difficulté tient à la forme un peu spécifique de la sentence. Celle-ci est composée d’un corps et de quatre annexes. Or il apparaît que la motivation figure dans les annexes, l’ensemble formant un tout. Malheureusement, les parties se sont vu adresser par le secrétariat de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI une copie de la sentence ne contenant pas les annexes. Le tribunal arbitral a, très rapidement, provoqué une rectification de la sentence pour y ajouter les annexes. Dès lors, il s’agit de savoir si la sentence, amputée de ses annexes, mérite l’annulation, faute d’être motivée. La cour d’appel ne le pense pas et rejette le recours. Ce qui est fondamental, c’est que l’erreur émane de la CCI, qui a omis de communiquer les annexes, quand bien même elle a reçu l’ensemble dès l’origine. Pour la cour, le tribunal arbitral a bien délibéré sur la sentence et les annexes, conformément au règlement et dans les délais prévus. Il en résulte que l’omission matérielle de communication des annexes aux parties n’affecte pas la régularité de la sentence. Ouf !

3. Le principe du contradictoire

Toujours dans l’arrêt CWT, une question relativement proche à celle soulevée sur l’astreinte se pose concernant les intérêts. La partie a sollicité une condamnation à des intérêts, sans préciser le montant souhaité, laissant le soin à l’arbitre de déterminer « le taux qu’il jugera approprié ». Pour la cour d’appel, la question est dans le débat et il appartient à la partie adverse de la discuter. Sur ce point, on ne peut pas donner tort à la cour. Ceci étant, la question des intérêts est un peu délicate. Pendant un temps, elle a été considérée, au même titre que l’astreinte, comme relevant d’un pouvoir discrétionnaire du juge (Paris, 25 mars 2004, Rev. arb. 2004. 671, note J. Ortscheidt ; v. égal. Cass., ass. plén., 3 juill. 1992, JCP 1992. II. 21898, concl. D.H. Dontenwille et note A. Perdriau). Néanmoins, la jurisprudence récente semble s’écarter de cette hypothèse, en imposant aux arbitres de respecter le contradictoire pour la fixation des intérêts (Paris, 22 sept. 2015, n° 14/17200, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 880, chron. P. Giraud ; Paris, 23 oct. 2018, n° 16/24374, RDC 2019. 79, note M. Laazouzi ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 38, obs. D. Bensaude). Implicitement, c’est la solution retenue par la cour, qui retient que la question était dans le débat. Pourtant, ne faut-il pas aller plus loin, en imposant aux arbitres de motiver leur décision sur les intérêts (ce qui n’a pas encore été jugé) et, comme en l’espèce, interdire aux arbitres de pallier la carence des parties dans la fixation d’un taux d’intérêt ? En effet, on comprend mal ce qui justifie d’écarter le grief d’ultra petita pour les intérêts. En somme, comme pour l’astreinte, il semble nécessaire de fixer un régime plus clair et plus encadré sur la question des intérêts.

Le principe de la contradiction est invoqué avec plus de succès dans l’affaire HOP ! (Paris, 19 janv. 2021, n° 18/04465, HOP !). La discussion porte sur un rapport d’expertise sur lequel s’est appuyé le tribunal arbitral pour rendre sa sentence. Ce rapport n’avait toutefois pas été communiqué aux parties avant la sentence. La difficulté est de savoir si les parties ont consenti à ce que la sentence se fonde sur un rapport d’expertise non communiqué. Il n’est pas discuté que les parties ont consenti à ce que l’expert n’assiste pas à l’audience. Fallait-il également y voir un consentement à ce que le rapport ne soit pas communiqué ? Si la cour semble admettre implicitement qu’une telle renonciation puisse exister (« rien dans les échanges des parties avec l’expert ne permet d’affirmer que [la partie] a renoncé à avoir connaissance, préalablement à la sentence, du rapport d’expertise »), elle retient avec force qu’elle ne peut être déduite de l’accord à ce que l’expert soit dispensé de l’audience.

4. L’ordre public

a. L’ordre public interne

Les questions relatives à l’ordre public interne sont relativement différentes de celles relatives à l’ordre public international. Dans l’arrêt Valantille (Paris, 22 sept. 2020, n° 18/17391, Valantille), la question se pose de la qualification de la règle tirée de l’article L. 341-1 du code de commerce, portant sur les clauses restrictives de liberté d’exercice d’une activité commerciale dans les contrats de commerce de détail (franchise notamment). La qualification d’ordre public n’est pas discutée. En revanche, est débattue la question de l’application de ce texte au contrat en cours. Pour retenir une réponse positive, la cour examine l’intention du législateur, les observations du gouvernement devant le Conseil constitutionnel, la décision de ce dernier et son communiqué de presse. Elle constate que la volonté est bien celle d’une application immédiate aux contrats en cours. En conséquence, elle annule la sentence, le tribunal ayant refusé de faire application de ce texte.

Il est difficile de nier que, dans une telle situation, la cour d’appel accomplit une véritable révision au fond (dans le même sens, concernant la corruption, v. J. Ortscheidt, conférence du 13 janv. 2021 du Club des juristes, préc.). L’examen n’est pas réalisé au travers de principes, mais d’une règle dont le défaut de respect scrupuleux par l’arbitre est sanctionné par une annulation immédiate de la sentence. Sans remettre en cause le principe d’un tel examen, on peut faire deux remarques. D’une part, l’étendue du contrôle dépend largement de ce que l’on doit considérer comme relevant de l’ordre public ou n’en relevant pas. Chaque règle supplémentaire pour laquelle cette qualification est retenue entraîne une immixtion croissante du juge dans le travail de l’arbitre et fait glisser le recours en annulation vers un appel. D’autre part, le contrôle est dissymétrique. En effet, il n’est réalisé que dans un sens : s’il ne met pas en œuvre la règle, sa décision sera révisée ; s’il met en œuvre la règle, sa décision ne sera pas révisée.

La combinaison de ces deux constats peut entraîner des conséquences néfastes sur le processus décisionnel de l’arbitre. Prenons un exemple pour le comprendre. L’article 1171 du code civil sanctionne les clauses créant un déséquilibre significatif. Sauf erreur, le caractère d’ordre public de cette disposition n’a pas encore été jugé. L’arbitre peut donc trancher dans un sens ou dans l’autre. Ensuite, s’il qualifie la règle d’ordre public, il peut considérer que les conditions de mise en œuvre de la règle sont réunies et déclarer la clause non écrite ou juger inversement. En somme, il y a deux cas où l’arbitre peut écarter la règle (elle n’est pas d’ordre public ou les conditions ne sont pas réunies) et un cas où l’arbitre peut appliquer la règle (elle est d’ordre public et les conditions sont réunies). Face à ces trois hypothèses, il y en a une seule où l’arbitre est certain que sa sentence ne sera pas révisée et ne fera pas l’objet d’une annulation : celle où il répute non écrite la clause pour déséquilibre significatif. Dans les deux autres hypothèses, l’arbitre prend le risque d’être contredit par le juge et de voir sa sentence annulée. Sachant cela, un arbitre un peu frileux ne sera-t-il pas systématiquement tenté d’opter pour la solution garantissant la survie de sa sentence ? Les dés ne sont-ils pas pipés si l’arbitre est incité à prendre une décision, non pas en fonction des règles de droit, mais en fonction du sort qui sera réservé à la sentence ? Cette question mérite sans doute réflexion, d’autant qu’elle s’applique également concernant l’ordre public international…

b. L’ordre public international substantiel

Il est tentant de se prévaloir d’une violation de l’ordre public international pour inviter subtilement le juge à réviser au fond la sentence. Souvent, la manœuvre est grossière, notamment lorsque le requérant se prévaut d’un grief qui n’est manifestement pas d’ordre public international. En revanche, elle est plus subtile chaque fois que la partie prend soin de rattacher son moyen à un grief pour lequel cette qualification n’est pas contestée. C’est ainsi que, dans une affaire Sahraoui (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/18582, Sahraoui), le demandeur invoque une législation algérienne relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Il n’est pas discuté que de telles préoccupations, exprimées notamment par la convention de Mérida du 9 décembre 2003, sont incluses dans l’ordre public international français (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, Belokon, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin ; ibid. 2020. 283, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy). Néanmoins, dans la présente affaire, les requérants ne mettent pas en doute la régularité d’une transaction au regard de ces dispositifs. Il s’agissait, plus précisément, de critiquer la non-prise en compte par le tribunal arbitral de la loi algérienne prévoyant des mesures de contrôle des transactions.

La cour d’appel commence par rappeler les principes de son contrôle. Elle reprend une formule déjà retenue dans l’arrêt MK Group concernant la définition de l’ordre public international et la prise en compte des lois de police étrangères (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, MK Group, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard). Elle y ajoute une formule définissant plus précisément l’ordre public international matériel, selon laquelle « l’exécution d’une sentence est incompatible avec l’ordre public international matériel lorsqu’ont été violés les principes juridiques fondamentaux au point que le résultat atteint par les arbitres est inconciliable avec le système des valeurs essentielles de notre ordre juridique » (v. déjà, Paris, 11 mai 2006, n° 05/13780, Rev. arb. 2006. 489). Elle ajoute enfin une formule qui, à notre connaissance, est nouvelle, selon laquelle « c’est à la charge des recourants qui allèguent la méconnaissance d’une règle d’ordre public international de rapporter la preuve des éléments factuels et juridiques propres à établir que la solution retenue par la sentence est incompatible avec cette règle ». Un tel attendu traite de la question de la charge de la preuve, sans évoquer celle de la nature de la preuve à apporter, qui peut résulter, selon l’arrêt Belokon, d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants.

En tout état de cause, la cour ne se laisse pas impressionner par l’argument du requérant. En effet, la principale question posée au tribunal arbitral est de savoir si un chèque a été refusé au motif de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ou, de façon plus prosaïque, parce qu’il n’est pas provisionné. La cour constate que, sous couvert d’ordre public international, le requérant cherche à obtenir la révision au fond de la sentence. Il n’y a donc pas lieu de réaliser un examen plus approfondi de la question.

c. L’ordre public international procédural

L’affaire SEGQ (Paris, 17 déc. 2020, n° 18/01504, Société d’entreprise et de gestion – Qatar) est intéressante, car les faits ne manquent pas de sel. Un contrat contient une clause compromissoire selon laquelle in case of dispute a local arbitrator(s) shall be assigned to resolve the conflict. Un différend étant survenu, une partie a introduit une demande d’arbitrage devant le Centre d’arbitrage international du Qatar (QICA). Dès l’origine, la saisine de ce centre est contestée par le défendeur, qui fait valoir l’absence d’accord pour un arbitrage institutionnel. Le défendeur désigne tout de même un arbitre et le tribunal est formé. Rapidement, les arbitres se réunissent au Caire et décident, par ordonnance, d’un arbitrage ad hoc ayant son siège en Tunisie. Le demandeur ayant contesté cette décision, un autre tribunal arbitral est constitué, sous l’égide de la QICA. Il y a donc deux tribunaux arbitraux en parallèle, l’un institutionnel et l’autre ad hoc, après avoir fait sécession avec l’institution. Évidemment, ce qui devait arriver arriva : les deux tribunaux arbitraux rendent des décisions parfaitement contradictoires.

La sentence rendue par le tribunal ad hoc est annulée en Tunisie. C’est tout de même elle qui s’est vu accorder l’exequatur en France. L’ordonnance d’exequatur fait l’objet d’un appel, donnant lieu au présent arrêt. Le grief adressé à la sentence est relatif à la violation de l’ordre public international procédural. Il est reproché au tribunal arbitral d’avoir fixé le siège de l’arbitrage à Tunis (et les audiences au Caire) et d’avoir transformé un arbitrage institutionnel en arbitrage ad hoc sans consulter les parties et sans respecter le règlement QICA. La sentence avait peu de chances de survivre à de tels vices. Des décisions aussi importantes que la fixation du siège ou le choix d’un arbitrage institutionnel ou ad hoc, qui relèvent en principe de la volonté des parties, ne peuvent être soumises à un pouvoir discrétionnaire des arbitres. Il faut, à tout le moins, inviter les parties à débattre de ces questions. Néanmoins, on peut se demander si l’ordre public international procédural est le fondement idoine pour annuler l’ordonnance d’exequatur. Ne fallait-il pas se placer sur le fondement de la compétence (la transformation d’un arbitrage institutionnel en arbitrage ad hoc nécessitant une interprétation de la convention d’arbitrage), du respect de la mission (afin de vérifier si les exigences du règlement QICA ont été respectées pour changer de siège) ou encore du contradictoire ?

5. Le respect du délibéré

L’arrêt Grant Thornton est intéressant sur la question du délibéré (Paris, 26 janv. 2021, n° 18/05543, Grant Thornton). Une fois la sentence rendue, un coarbitre a fait part, dans un courrier adressé aux parties et au tribunal arbitral, de son absence de participation au délibéré. La première question qui se pose est celle d’un fondement pour discuter, devant le juge de l’annulation, de ce grief. La cour le rattache à l’article 1492, 6°, du code de procédure civile, l’arbitrage étant interne. Elle vise aussi, sans y faire plus ample référence, l’article 1492, 5°. En réalité, il semble, avec le professeur Giraud, qu’un tel grief peut être rattaché au cas d’ouverture de l’ordre public (P. Giraud, La conformité de l’arbitre à sa mission, thèse, ss la dir. de C. Jarrosson, Paris 2, 2014, n° 248), ce qui permet d’en vérifier le respect aussi bien en matière interne qu’internationale.

En l’espèce, le recours est fondé sur un courrier du coarbitre, qui se plaint d’avoir été évincé du délibéré. Il prétend, dans un courrier postérieur à la reddition de la sentence, que la mention de son refus de signer la sentence est inexacte. Il soutient qu’il n’a pas pu utilement délibérer. La cour rejette le recours, en estimant qu’aucun élément matériel ne vient corroborer cette version des faits et que l’absence de l’arbitre à la date fixée pour le délibéré est volontaire. La collégialité est donc respectée, dès lors qu’il n’est pas souhaitable de « laisser la volonté de ce seul arbitre décider de la nullité de la sentence ».

La solution est satisfaisante. Pour autant, la discussion n’est-elle pas amputée d’une partie de son intérêt, faute de participation des arbitres au recours ? Il n’apparaît pas dans l’arrêt que les arbitres ont été sollicités, notamment en qualité de témoins. Il est vrai que la jurisprudence se refuse, de façon ancienne, à admettre un tel témoignage (Paris, 29 mai 1992, Époux Rouny c. Société Holding RC, RTD com. 1992. 588, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin  ; Rev. arb. 1996. 408 ; et le comm. de P. Fouchard, Le statut de l’arbitre dans la jurisprudence française, p. 325). Néanmoins, comment ne pas voir qu’un débat sur la collégialité du délibéré est totalement artificiel et biaisé par l’impossibilité de réclamer des explications aux arbitres ? Les obstacles à une participation des arbitres au recours en annulation sont pourtant surestimés (v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay, nos 268 s. ; v. égal., sur cette question, A. Pinna et A. Barrier, L’arbitre et le recours en annulation contre la sentence qu’il a rendue. Approche critique du droit français à la lumière du droit comparé, Cah. arb. 2012. 295). C’est une question qui mériterait d’être à nouveau posée.

6. Le régime des sentences arbitrales internes étrangères

Le 21 mai 2019, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt majeur sur la question des sentences arbitrales internes étrangères (Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850, EGPC, Dalloz actualité, 28 juin 2019, obs. L. Weiller ; ibid. 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 1151, note E. Gaillard ; JDI 2020. 214, note D. Mouralis ; JDI 2020. 811, chron. K. Mehtiyeva). Saisie par l’auteur du recours, la Cour de cassation rejette le pourvoi dans une décision beaucoup moins marquante (Civ. 1re, 13 janv. 2021, n° 19-22.932, EGPC, D. 2021. 86 ). La question est de savoir si la sentence arbitrale interne étrangère est soumise au même régime que les sentences internationales rendues à l’étranger. La réponse apportée par la cour d’appel et confirmée par la Cour de cassation est positive. En conséquence, le régime applicable à l’appréciation de l’efficacité de la clause compromissoire, et en particulier à l’engagement d’une personne publique, est celui de l’arbitrage international. Il en résulte qu’il convient d’écarter les dispositions internes étrangères relatives à l’engagement des personnes publiques au profit des règles matérielles de l’arbitrage international (v. déjà Civ. 1re, 17 oct. 2000, n° 98-11.776, D. 2000. 303 ; RTD com. 2001. 63, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2000. 648, note P. Mayer). En revanche, l’arrêt ne dit rien sur la question de la sentence arbitrale interne annulée à l’étranger, alors que ce point n’a jamais été jugé par la Cour de cassation.

V. Le recours en annulation du recours en révision

Voilà une question intéressante que celle du recours en annulation d’une sentence portant sur un recours en révision. Et pour ne rien gâcher au plaisir, l’arrêt est rendu dans l’affaire… Tecnimont (Paris, 1er décembre 2020, n° 17/22735, Tecnimont) ! Cela dit, pour cette affaire dans laquelle l’arbitrage a commencé alors que nous entrions en première (ni première année de thèse ou première année de licence… mais bien de lycée !), la fin de la série tire en longueur. Un recours en révision a été formé devant le tribunal arbitral, comme le prévoyait déjà, avant le décret du 13 janvier 2011 (l’article 1506, 5°, renvoie à l’article 1502 du code de procédure civile), la jurisprudence Fougerolle (Civ. 1re, 25 mai 1992, n° 90-18.210, Rev. crit. DIP 1992. 699, note B. Oppetit ; RTD civ. 1993. 201, obs. R. Perrot ; RTD com. 1992. 593, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1993. 91 et le comm. de M. de Boisséson, p. 3 ; JDI 1992. 974, note E. Loquin). La demande de révision a néanmoins été rejetée par le tribunal arbitral, faute d’avoir été convaincu par les éléments produits par le requérant au soutien de ses allégations.

Le recours soulève alors une question intéressante : la fraude étant une condition de la réouverture de la juridiction au profit de l’arbitre, s’agit-il d’une question de compétence susceptible de faire l’objet d’un contrôle par le juge de l’annulation ? La réponse de la cour d’appel est négative. En effet, ce n’est pas la compétence du tribunal arbitral qui est en cause, mais le bien-fondé du recours en révision. Juger le contraire reviendrait à donner compétence au juge étatique pour se prononcer sur le recours en révision.

Toutefois, la question peut rebondir sur le fondement de l’ordre public international. Ne peut-on pas considérer que si la première sentence est entachée de fraude, la seconde, qui refuse d’accueillir le recours en révision, est affectée du même vice, par capillarité. La cour ne s’y laisse pas prendre et distingue soigneusement les deux sentences. Elle considère qu’un grief relatif à la fraude ne peut être invoqué que contre la sentence faisant l’objet d’un recours. Autrement dit, il aurait fallu que la sentence sur le recours en révision ait été elle-même surprise par fraude. Tel n’est pas le cas dès lors que le tribunal arbitral a pu trancher en toute connaissance de cause les moyens tirés de la fraude. La solution est cohérente avec la jurisprudence antérieure, qui énonce depuis quelques années que si les documents prétendument falsifiés ont fait l’objet d’un débat contradictoire au cours de l’instance arbitrale, la décision n’a pas été surprise par une fraude. En conséquence, il n’appartient pas au juge de réviser la décision (Paris, 26 nov. 2019, n° 17/17127, Société nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT], Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 30 juin 2020, n° 19/09729, Axon, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). En somme, ce qui compte, ce n’est pas tant l’existence d’une fraude que l’existence d’un débat sur la fraude.

En revanche, l’arrêt Tecnimont contribue à un certain flou sur la question de la motivation. En principe, la jurisprudence se refuse de contrôler le contenu de la motivation, mais accepte de vérifier son existence. Ce n’est pas le cas dans le présent arrêt, puisque la cour énonce que « le défaut de motivation d’une sentence n’est pas un cas d’ouverture du recours en annulation dans le droit français de l’arbitrage international ». Pourtant, la cour d’appel de Paris a énoncé il n’y a pas si longtemps que « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable ; qu’elle est nécessairement comprise dans la mission des arbitres, même si elle ne figure pas dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises » (Paris, 20 nov. 2018, nos 16/10379 et 16/10381, Dalloz actualité, 24 déc. 2018, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid., 11 janv. 2019, obs. P. Giraud ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ). Difficile d’y voir clair. Faut-il y voir un revirement complet ? Une volonté d’inviter les parties à invoquer ce grief sur le fondement de l’ordre public international plutôt que de la motivation (sur ce fondement, v. Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone ; 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont) ? Une erreur de plume, la cour refusant, maladroitement, d’examiner le contenu de la motivation ? Il faudra scruter la jurisprudence à venir, mais on peut d’ores et déjà regretter que de telles questions surgissent alors qu’une réponse simple et intelligible ne paraît pas hors de portée.

VI. Les recours devant le juge administratif

On l’attendait fébrilement. Après les escarmouches entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’État, après les grandes décisions du tribunal des conflits, comment allaient se dérouler les procédures devant le juge administratif concernant les sentences arbitrales ? De premiers éléments de réponse sont apportés par un jugement du tribunal administratif de Poitiers, et pas dans n’importe quelle affaire : il s’agit de la sentence SMAC c. Ryanair (Poitiers, 15 déc. 2020, SMAC, n° 1900269) !

Naturellement, nous nous garderons d’évoquer les aspects de la décision relevant du pur droit administratif, sur lequel nous sommes profondément incompétent. On constatera simplement, d’un point de vue procédural, que la procédure d’exequatur se déroule contradictoirement devant le juge de première instance. Voilà déjà une différence notable avec la procédure judiciaire, qui prévoit que l’exequatur est accordé sur requête et que le débat contradictoire a lieu devant la cour d’appel.

Ensuite, le jugement dresse la liste des différents moyens pouvant être soulevés pour s’opposer à l’exequatur. Ils sont divisés en deux catégories : soit la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières, soit elle est contraire à l’ordre public. En réalité, ces deux catégories se subdivisent. S’agissant de la régularité de la procédure, le juge administratif vise les cas où le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent, s’il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d’indépendance et d’impartialité, s’il n’a pas statué conformément à la mission qui lui a été confiée, s’il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s’il n’a pas motivé sa sentence. Sur l’ordre public, le tribunal mentionne les cas où la sentence arbitrale fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne. Dans l’ensemble, les critères retenus sont ceux esquissés par le Conseil d’État dans sa décision Fosmax (CE 9 nov. 2016, n° 388806, Fosmax, Dalloz actualité, 14 nov. 2016, obs. J.-M. Pastor ; Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 2133 ; ibid. 2368 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 2343, obs. J.-M. Pastor ; ibid. 2589, obs. T. Clay ; ibid. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RFDA 2016. 1154, concl. G. Pellissier ; ibid. 2017. 111, note B. Delaunay ; RTD com. 2017. 54, obs. F. Lombard ; Rev. arb. 2017. 179, note J. Billemont ; ibid. 254, note M. Audit et C. Broyelle ; Cah. arb. 2017. 977, note M. Laazouzi et S. Lemaire ; JCPA 2017, n° 19, p. 25, note O. Le Bot ; JCP 2016. 2148, note S. Bollée ; JCP E 2017, n° 2, p. 43, note C. Seraglini ; Procédures 2017. Comm. 10, obs. L. Weiller). Simplement, dans cette décision, il s’agit d’un recours en annulation. Néanmoins, le Conseil d’État n’a pas fait de mystère de sa volonté de traiter de façon identique les sentences rendues en France et les sentences rendues à l’étranger. Ce n’est d’ailleurs pas le juge judiciaire qui lui fera la leçon sur ce point, dès lors que le contrôle opéré est aussi parfaitement identique.

En réalité, ce qui compte réellement lorsque l’on est en présence d’une demande d’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère, c’est de s’assurer que l’on ne se trouve pas en violation de la convention de New York du 10 juin 1958. Or on ne peut être qu’étonné de l’absence de mention de ce texte dans la décision. Si le jugement cite la convention de Genève du 21 avril 1961, pour constater son inapplicabilité, ce n’est pas le cas de la convention de New York. Pourtant, le juge poitevin décide de relever d’office un moyen tiré de l’illicéité de la convention d’arbitrage. À cet égard, la convention de New York distingue, en son article V, les cas pouvant être relevés d’office par le juge et ceux ne le pouvant pas. Pour ce qui est de l’illicéité de la clause, il y a une hésitation possible entre l’article V.1.a (« ladite convention n’est pas valable ») et l’article V.2.a (« l’objet du différend n’est pas susceptible d’être réglé par voie d’arbitrage »). Il n’aurait pas été superflu de se poser la question, dès lors que seul le deuxième cas peut être relevé d’office.

Pour ce qui est de l’examen lui-même, le tribunal administratif pose un principe d’interdiction de recours à l’arbitrage pour les personnes publiques, sous réserve de dérogations législatives expresses et des conventions internationales. N’identifiant aucune disposition dérogatoire et constatant que l’Irlande n’est pas un État-partie à la Convention de Genève, le juge considère que le recours à l’arbitrage est illégal. Si la solution était prévisible ; il n’en demeure pas moins regrettable que la parole des personnes publiques ait si peu de valeur. Il en résulte que, en France, les personnes publiques étrangères sont soumises à un régime d’indifférence quant à la prohibition interne de compromettre (v. encore l’arrêt EGPC commenté supra), alors que les personnes publiques françaises sont protégées.

Enfin, on signalera que le jugement constate également une violation par la sentence de l’ordre public. En effet, le Tribunal de l’Union européenne a déclaré illégales les aides prévues par le type de convention unissant SMAC et Ryanair. Le motif est sans doute légitime, si ce n’est que le tribunal arbitral ne pouvait anticiper une telle décision lorsqu’il a rendu sa sentence, plusieurs années plus tôt.

En définitive, l’examen réalisé par le juge administratif est conforme à ce que l’on pouvait attendre : protecteur des personnes publiques. Reste à savoir si celui-ci aura un impact durable sur la capacité des personnes publiques à trouver des cocontractants acceptant de s’engager avec des partenaires ayant la possibilité de ne pas respecter la parole donnée.

Voilà dix ans, depuis l’arrêt Tecnimont, que la jurisprudence impose une vision exigeante de l’obligation de révélation de l’arbitre. Dix ans également qu’elle demeure incapable de se fixer sur les contours exacts de cette obligation, nourrissant ainsi un contentieux abondant à l’origine d’une grande insécurité juridique.

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Auteur d'origine: jjourdan

« Dans un acte de procédure, l’erreur relative à la dénomination d’une partie n’affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu’un vice de forme, lequel ne peut entraîner la nullité de l’acte que sur justification d’un grief. »

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Auteur d'origine: gmaugain

Retour utile sur l’étendue des obligations incombant aux tiers entre les mains desquels est pratiquée une saisie conservatoire ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement et sur les causes exonératoires pouvant, le cas échéant, être invoquées.

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Auteur d'origine: gpayan

L’action récursoire du vendeur final contre un vendeur antérieur relève des dispositions de la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980.

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Auteur d'origine: jdpellier

Profitant lâchement des vacances judiciaires, la rédaction de Dalloz actualité s’éclipse quelques jours pour souffler un peu.

Mais promis, vous n’aurez pas longtemps à attendre. Retour dès le lundi 1er mars !

Merci de votre fidélité.

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Auteur d'origine: Dargent

La cour d’appel de Paris examinait, mercredi 17 février, la demande de Karine J…, enfant violée entre 5 et 7 ans par un ami de ses parents. Son avocat demande la confirmation de la reconnaissance du déni de justice et la reconnaissance de la faute lourde de l’État, refusée en première instance. Décision le 14 avril.

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Auteur d'origine: Bley

L’interdiction de la cession des actifs, quel qu’en soit le mode de réalisation, aux dirigeants de la société débitrice ou à ses proches parents et alliés est applicable à l’enchère ou surenchère dans le cadre d’une vente aux enchères publiques.

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Auteur d'origine: bferrari

Le juge saisi par requête doit relever, même d’office, des circonstances justifiant que la mesure sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.

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Auteur d'origine: abolze

Cette disposition, en ce qu’elle réserve le versement d’une indemnité aux locataires de biens ayant fait l’objet d’une expropriation, à l’exclusion de ceux ayant donné lieu à une cession amiable après déclaration d’utilité publique, est susceptible de porter atteinte au principe d’égalité devant la loi et à la liberté d’entreprendre.

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Auteur d'origine: CAYOL

Le premier signalement au parquet eut lieu le 7 décembre 1997, jour de la naissance de Karine J… Le comportement d’Anne-Marie D…P…, la mère de l’enfant, inquiète les personnels soignants. Cette femme a tué son premier nourrisson, né d’un viol en 1983, de 130 coups de couteau et présente une instabilité mentale manifeste au centre hospitalier de Rennes où elle a accouché. Un juge des enfants est saisi en 1998, qui rend un jugement d’assistance éducative. Une expertise psychiatrique d’Anne-Marie D…P… conclue à la nécessité de soins psychiatriques et à une assistance éducative en milieu ouvert, mais au fur et à mesure des rapports (1999, 2000), l’administration constate que la psychothérapie n’est pas mise en place. Malgré cela, le juge des enfants décide en 2000 qu’une « intervention éducative judiciaire en l’état n’est pas nécessaire ».

Le centre départemental d’action sociale (CDAS) fait un nouveau signalement en 2003. Le comportement de Karine J… indique qu’elle est probablement en danger. Livrée à elle-même, amaigrie, elle est un jour tombée dans le plan d’eau alors qu’aucun adulte ne la surveillait. Surtout, elle a un comportement sexualisé anormal. Elle se masturbe en public, commet des attouchements sur des enfants de son âge, fait des fellations à des enfants, et tente d’avoir des relations sexuelles avec ses camarades. Ce signalement conduit le juge des enfants à ordonner une nouvelle mesure d’assistance éducative en milieu ouvert en 2004, Karine étant maintenue au domicile familial. En 2005, le CDAS fait un nouveau signalement, du fait de la présence régulière entre 2002 et 2004 chez les consorts J… de leur ami Roland B…, condamné en 1997 pour agressions sexuelles sur sa fille. En avril 2005, cet homme est auditionné dans le cadre d’une autre procédure pour des abus sexuels sur sa fille, puis placé en détention provisoire. Il sera condamné en 2007. La mesure éducative prend fin en 2006. Peu de temps avant, l’enquête de police ouverte pour d’éventuels abus commis par Roland B… sur la petite Karine est classée sans suite, après une seule audition de l’enfant, préparée à mentir par son père, entendue seule par un brigadier de police.

Un nouveau signalement est réalisé en 2009 et, le 18 mai de cette année, le parquet ouvre une enquête de police, au cours de laquelle les enquêteurs mettent au jour des faits de viols et d’agressions sexuelles commis à l’encontre de Karine J… entre ses 5 et 7 ans, par Roland B… Sa tante et son oncle l’ont prise en charge. L’enquête pénale se poursuit et ce n’est qu’en juillet 2018 que la cour d’assises a condamné Roland B… pour ces faits, à trente ans de réclusion criminelle (la peine maximale encourue).

Les carences de l’État telles que présentées dans cette procédure ont incité l’oncle et la tante de Karine J…, partie civile et tuteurs de Karine J…, à assigner l’État pour déni de justice et faute lourde. Un jugement du 17 septembre 2018 a rejeté la faute lourde, estimant que « la prescription quadriennale fixée par la loi du 31 décembre 1968 est seule applicable en l’espèce et à supposer que Karine J… n’ait été informée de l’instruction en cours que le 3 novembre 2011, instruction qui faisait suite aux signalements, la prescription était acquise le 31 décembre 2015 ». Le tribunal reconnaissait en revanche le déni de justice, ayant calculé qu’un délai de douze mois pour prendre un réquisitoire introductif était un déni de justice à hauteur de dix mois, qu’il consentait à indemniser 12 000 €.

Devant la cour d’appel de Paris, mercredi 17 février, et en l’absence d’un représentant du parquet (qui avait fait savoir qu’il demandait la confirmation), l’avocat de Karine J…, Me Grégory Thuan a réitéré ses demandes. En préambule, il informe la cour que, « dans le droit fil de ce dossier, le 4 juin 2020, la France s’est fait condamner par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir rejeté la faute lourde de l’État », dans un dossier en tout point similaire à celui-ci. « S’agissant de l’affaire Karine J…, dit l’avocat, on est dans un cas de figure bien pire. »

L’avocat estime que la prescription quadriennale, à la supposer applicable, n’était pas acquise. En effet, si le point de départ du délai de prescription est, par principe, la date du fait générateur, la jurisprudence admet que ce point de départ puisse être reporté lorsqu’il y a un empêchement à agir, notamment à la date de connaissance des faits litigieux ou du fait générateur. Le point de départ retenu en première instance (3 novembre 2011) est la date de la convocation des parties civiles, date à partir de laquelle les juges ont considéré que les parties avaient connaissance de l’instruction et, partant, disposaient de tous les éléments pour initier une action en responsabilité sur le fondement de la faute lourde. Or, dit l’avocat, l’enquête de police ne repose que sur les seuls signalements de 2009, qui eux seuls étaient présents au dossier, tout comme ne figuraient que les mesures d’assistances éducatives prises en 2009 et 2010, transmises par la juge des enfants à la juge d’instruction. L’ensemble des dossiers en assistance éducative ne furent joints au dossier qu’à la date du 13 novembre 2013, alors même que Laurence J.… (la tante) faisait tout pour avoir accès à l’intégralité du dossier de Karine J…, allant même jusqu’à saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) (qui répondit favorablement).

L’agent judiciaire de l’État, représenté à l’audience, soutient que Laurence J… ne pouvait ignorer les différents faits générateurs du dommage allégué, ce qui est faux, répond Me Thuan, puisque, si Laurence J… avait bien été à l’origine de trois signalements à compter de 2003, elle ignorait que d’autres eussent été faits auparavant, et n’avait pas connaissance de toutes les mesures d’assistances éducatives prises entre 2002 et 2006. Et, contrairement à ce qu’avance l’État, dit son avocat, ce n’est pas parce qu’elle avait connaissance de l’existence de ces éléments qu’elle connaissait leur contenu.

En outre, le Conseil d’État, dans son arrêt du 5 décembre 2014, a jugé qu’en matière de dommage corporel qui engage la responsabilité des autorités publiques, le point de départ du délai de prescription est le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées, c’est-à-dire la date à laquelle ces dommages ne sont pas susceptibles de s’aggraver. Karine J… présentant à ce jour de très graves séquelles physiques et psychologiques, la prescription quadriennale, estime l’avocat, n’est pas acquise.

« Le parquet a failli à sa fonction de protection de l’enfance »

Enfin, sur la prescription, il estime qu’appliquer la prescription quadriennale est une atteinte au principe d’égalité des armes puisqu’il instaure un déséquilibre entre les parties, tout comme il instaure une différence de traitement injustifiée, car les délais de prescription pour engager la responsabilité civile des particuliers oscillent entre dix et vingt ans, même lorsque l’État est partie à la procédure. Me Grégory Thuan considère que c’est la prescription décennale qui s’applique en l’espèce.

Au fond, l’avocat rappelle que la faute lourde est caractérisée par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, indépendamment de toute appréciation psychologique du comportement individuel des agents. Cette définition de principe émane de l’arrêt que la Cour de cassation a rendu en assemblée plénière, le 23 février 2001, dans l’affaire dite du « petit Grégory ». L’avocat cite plusieurs arrêts de la Cour de cassation, qui, dans différentes affaires, ont retenu la faute lourde de l’État pour une inaction coupable des services judiciaires.

Pour caractériser le fonctionnement défectueux du service public de la justice, l’avocat fait la liste vertigineuse des signalements, l’insuffisance des mesures prises, l’incapacité de la justice à protéger l’enfant. « Le parquet a failli à sa fonction de protection de l’enfance », plaide-t-il. Pour se défendre, l’agent judiciaire de l’État conclut que l’absence de poursuite pénale est due à la dissimulation des faits par l’ensemble de la famille, y compris Karine. « Il est particulièrement aberrant d’invoquer le silence d’une enfant de 7 ans, qui subissait les pressions constantes de ses parents, pour justifier de l’absence de clairvoyance et les défaillances du parquet, d’autant plus dans une affaire où les faits invoqués sont d’une telle gravité », proteste Me Thuan, qui rappelle que les travailleurs sociaux, inquiets, n’ont pas été écoutés.

Le volet « déni de justice » est moins disputé, bien que réfuté par l’État. Les demandeurs estiment qu’en plus de ce qui a été retenu en première instance (délai trop long pour prendre le réquisitoire introductif), les juges devraient considérer que la longueur de la procédure était imputable aux erreurs commises par les autorités judiciaires, erreurs de droit ayant conduit à la cassation du premier arrêt de renvoi, ce qui prolongea de deux ans environ la procédure, qui dura en tout et pour tout neuf ans, pour une affaire sans complexité particulière à partir du moment où le mis en cause a reconnu les faits.

La décision sera rendue le 14 avril prochain.

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Lorsque l’heure n’est plus au redressement de l’entreprise, le débiteur fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Pour mener à bien cette procédure, le liquidateur est tenu de réaliser les éléments composant l’actif du patrimoine du débiteur afin d’en apurer le passif. Le principe s’énonce clairement, mais sa mise en œuvre pratique est plus délicate en raison des nombreuses règles jalonnant la réalisation des actifs en liquidation judiciaire. Parmi elles, nous retrouvons celles s’intéressant à la qualité requise pour acquérir les biens d’une entreprise en difficulté.

Les règles applicables en la matière pourraient se draper dans le manteau de l’injonction : acquéreurs, soyez tiers à l’entreprise ! L’arrêt ici commenté confirme la justesse de ce propos.

En l’espèce, le liquidateur d’une société placée en liquidation judiciaire est autorisé à reprendre une procédure de saisie immobilière engagée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective. L’immeuble saisi a été adjugé à une société tierce, mais les parents du gérant de la société débitrice ont formé une surenchère du dixième. La nullité de cette surenchère est demandée en appel par l’adjudicataire au visa de l’article L. 642-3 du code commerce. Ce texte prohibe la cession des actifs d’une société débitrice au bénéfice de ses dirigeants ou de ses proches parents et alliés. La cour d’appel fait droit à cette demande et les parents du gérant de la société débitrice forment un pourvoi en cassation. Las, ces derniers n’auront pas plus de chance devant la haute juridiction et le pourvoi est rejeté.

Pour la Cour de cassation, l’interdiction de la cession des actifs, par quelque voie que ce soit, aux proches du débiteur est applicable, en l’espèce, aux parents du gérant de la personne morale débitrice lorsqu’ils forment une surenchère dans le cadre de la vente aux enchères publiques des biens de la société en liquidation judiciaire.

Les règles gouvernant la matière concernent tous les modes de réalisation de l’actif. Ainsi, l’interdiction pour les proches parents et alliés du dirigeant d’une société débitrice d’acquérir un bien appartenant à la personne morale s’applique non seulement dans le cadre de la cession totale ou partielle de l’entreprise (C. com., art. L. 642-3), mais également, comme en l’espèce, à la cession d’actifs isolés (C. com., art. L. 642-20).

Reste que ces interdictions ne sont pas absolues, et ce, pour au moins deux raisons (nous ne mentionnerons pas les dispositions relatives aux exploitations agricoles).

D’une part, en matière de plan de cession et sur requête du ministère public, le tribunal peut autoriser, par un jugement spécialement motivé et après avoir recueilli l’avis des contrôleurs, la cession de l’entreprise à une personne pourtant visée par l’interdiction à l’exception des contrôleurs (C. com. art. L. 642-3, al. 2).

D’autre part, en matière de réalisation des actifs isolés, sur requête du ministère public, le juge-commissaire peut autoriser la cession aux dirigeants de la personne morale débitrice ou aux proches parents et alliés, à l’exception des contrôleurs et du débiteur lui-même. En outre, spécialement en matière de cession d’actifs mobiliers, le juge-commissaire peut être saisi par le ministère public, le liquidateur ou le débiteur (C. com., art. R. 642-39) aux fins d’accorder la même dérogation pour les actifs de faible valeur nécessaires aux besoins de la vie courante et/ou faisant partie d’une exploitation agricole, ainsi que pour la vente aux enchères publiques ou par adjudication amiable des autres actifs mobiliers (C. com., art. L. 642-20, al. 2).

Pour être complet, relevons que, de façon exceptionnelle, l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises dans le contexte de la crise de la covid-19 permettait au débiteur ou à l’administrateur judiciaire de présenter directement une requête au tribunal afin de permettre le dépôt d’une offre de reprise. Après avoir été décriée (peut-être, à tort : C. Delattre, Cession d’entreprise à l’ancien dirigeant : beaucoup de bruit pour rien ?, BJE nov. 2020, n° 118e8, p. 1) y compris par la presse économique (M. Kindermans et Y. Duvert, Entreprises en difficulté : le rachat par les dirigeants crée des remous, Les Échos, 22 sept. 2020), la mesure n’a pas été prolongée par l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 et a pris fin le 31 décembre 2020.

Au sein de l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation applique à la cession d’actif par voie d’adjudication le principe de l’interdiction d’acquérir les biens de la société débitrice par les proches du débiteur. Au regard des règles rappelées ci-dessus, la solution paraît classique. Pourtant, elle est pour la première fois, à notre connaissance, affirmée par la Cour de cassation s’agissant d’une surenchère formée dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière. Cette solution se justifie, mais prête le flanc à la critique.

L’application logique du principe de l’interdiction d’acquérir

L’article L. 642-20 du code de commerce rend applicable aux cessions d’actifs isolés le principe de l’interdiction pour les proches du dirigeant d’acquérir les biens de la société débitrice. Plus précisément, ledit texte renvoie notamment aux dispositions de l’article L. 642-18 du même code qui accueille en son sein les différentes modalités de réalisation des actifs immobiliers en liquidation judiciaire : saisie immobilière, vente par adjudication amiable ou cession de gré à gré.

S’agissant, comme en l’espèce, d’une vente par adjudication à la suite d’une procédure de saisie immobilière, la question de l’articulation des règles du code de commerce et de celles du code des procédures civiles d’exécution (CPCE) se pose.

Au vrai, un examen rapide des deux corps de règles peut laisser songeur quant à la justesse de la solution fournie par l’arrêt commenté. En effet, le CPCE prévoit que toute personne peut se porter enchérisseur, à l’exception du débiteur, des auxiliaires de justice intervenus dans la procédure et des magistrats de la juridiction devant laquelle la vente est poursuivie (CPCE, art. L. 322-7 et R. 322-39). Or, puisque les proches du débiteur ne font pas partie des personnes privées du droit d’enchérir, il pourrait être déduit que l’interdiction du code de commerce devrait céder là où le CPCE ne distingue pas.

Las, une telle interprétation omet la lettre du premier alinéa de l’article L. 642-18 du code de commerce, lequel renvoie aux dispositions précitées du CPCE, sous la réserve importante que « ces dispositions ne soient pas contraires à celles du code de commerce ».

Dès lors, les règles du droit des entreprises en difficulté l’emportent sur celles du CPCE. Aussi, quelle que soit la modalité de réalisation de l’actif choisie, le candidat acquéreur présente une offre d’acquisition. Ainsi doit-il justifier d’une certaine qualité : être un tiers à la société débitrice.

Au regard des textes, la solution fournie par l’arrêt commenté semble donc tout à fait logique.

Au demeurant, cette solution peut être rapprochée d’une décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation ayant retenu la violation de l’interdiction posée à l’article L. 642-3 du code de commerce dans une hypothèse où la participation des dirigeants de la société débitrice à l’opération d’acquisition des actifs n’apparaissait pas clairement. En l’espèce, la participation des dirigeants à l’adjudication des actifs avait été masquée par l’interposition d’une personne morale (Com. 8 mars 2017, n° 15-22.987, Bull. civ. IV, n° 35 ; Dalloz actualité, 22 mars 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 566 ; Rev. sociétés 2017. 386, obs. P. Roussel Galle ).

Reste que, si, du point de vue des textes, la solution rapportée nous paraît tout à fait logique, à y regarder de plus près, elle n’est pourtant pas frappée au coin de l’évidence et nécessiterait, peut être, une intervention législative pour pallier ses défauts.

L’application discutable du principe de l’interdiction d’acquérir

Dans le cadre d’un plan de cession totale ou partielle de l’entreprise, le principe d’externalité des offres de reprise est tout à fait compréhensible. Lorsqu’un plan de cession est adopté, ce dernier l’est au détriment du règlement des créanciers, mais cette atteinte est compensée par la promesse de sauvegarde de l’activité et de l’emploi incarnée en la personne du repreneur. C’est dans ce contexte que les interdictions d’acquérir du code de commerce se justifient. Puisque le débiteur personne physique ou les dirigeants de la société cédée n’ont pas été à même de garantir la pérennité de l’entreprise, il faut donc s’assurer qu’ils ne puissent plus exercer d’influence sur celle-ci. En somme, l’objectif de ces interdictions est de moraliser les reprises d’entreprise en privant le débiteur, directement ou par personne interposée, de recueillir l’actif de l’entreprise sans en supporter le passif.

Las, nous peinons à retrouver les mêmes logiques lorsque les interdictions d’acquérir pour les proches du débiteur concernent sans distinction toutes les modalités de cession des actifs isolés.

D’une façon générale, il ne s’agit pas ici d’éviter qu’un proche du débiteur poursuive l’exploitation de l’entreprise en étant déchargé du passif. Au contraire, il faut « simplement » s’assurer, dans cette hypothèse, que l’actif ne soit pas bradé pour que sa réalisation puisse satisfaire l’intérêt collectif des créanciers.

Or, si le principe de l’interdiction d’acquérir pour les proches du débiteur peut se comprendre dans le cadre d’une cession de gré à gré, celui-ci est moins évident, voire contre-productif, lorsque la vente a lieu aux enchères publiques (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1213 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz Action, 2019-2020, n° 561.142).

D’abord, le principe de l’interdiction d’acquérir pour les proches du débiteur est moins évident à comprendre lorsque la réalisation de l’actif se passe par une vente aux enchères publiques. Contrairement à une cession de gré à gré, la question du favoritisme de tel ou tel acquéreur n’a pas lieu d’être posée dans le cadre d’une vente aux enchères, puisque, par essence, le mieux-disant l’emportera.

Ensuite, le principe de l’interdiction d’acquérir pour les proches du débiteur dans le cadre d’une adjudication peut se révéler contre-productif dans la mesure où l’exclusion des personnes, par hypothèse, les plus intéressées par l’actif du débiteur priverait les créanciers de la chance d’obtenir le prix de réalisation de l’actif le plus élevé.

Enfin, selon le professeur Pérochon, il est possible de se demander si la généralité de l’article L. 642-20 du code de commerce ne porterait pas atteinte à la liberté de disposition des destinataires de l’interdiction et à la propriété du débiteur et de ses créanciers en raison de l’incidence sur le produit de la vente d’un plus petit nombre d’enchérisseurs (F. Pérochon, À propos de la réforme de la liquidation judiciaire par l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal., 10 mars 2009, p. 3). Nous souscrivons volontiers à cette critique, mais la Cour de cassation, lors de l’examen de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) contestant la constitutionnalité de l’article L. 642-3 du code de commerce, a jugé que les interdictions visées au texte ne portaient pas une atteinte disproportionnée aux principes d’égalité, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle (Com., QPC, 23 sept. 2014, n° 13-19.713, Dalloz actualité, 1er oct. 2014, note A. Lienhard ; D. 2014. 1935, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2014. 750, obs. P. Roussel Galle ; 7 juill. 2016, n° 14-50.066).

Quoi qu’il en soit, discuter de la rationalité des interdictions d’acquérir dans le cadre particulier d’une vente aux enchères publiques nous paraît important, notamment car, dans un contexte économique dégradé, la situation rapportée par l’arrêt sous commentaire risque de se représenter. Or il nous semble qu’en temps de crise, toutes mesures facilitant la réalisation de l’actif sont bonnes à prendre. Évitons que les créanciers d’aujourd’hui soient les débiteurs en liquidation judiciaire de demain !

Dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 642-20 du code de commerce devraient être modifiées afin que soit assouplie la procédure permettant de déroger aux interdictions de l’article L. 642-3 du même code en matière de vente des immeubles par adjudication.

Une piste possible serait de conférer la possibilité au débiteur et au liquidateur de saisir le juge-commissaire afin qu’il accorde la dérogation à l’interdiction d’acquérir lorsqu’est en cause l’adjudication d’un immeuble. En l’état des textes et en matière de cession d’actif immobilier, seul le ministère public peut présenter une telle demande. Au demeurant, la proposition consisterait « à copier » le régime applicable en matière de cession d’actif mobilier de faible valeur et de vente aux enchères publique ou par adjudication amiable des autres actifs mobiliers (C. com., art. L. 642-20, al. 2). Certes, le système proposé pourrait se voir reprocher le risque d’abus ou de détournement du dispositif. Selon nous, ce risque pourrait être atténué par l’exigence de recueillir l’avis du ministère public avant que ne soit levée l’interdiction.

Affaire à suivre… espérons-le !

Dans cette affaire, un litige opposait deux gestionnaires qui s’étaient succédés pour gérer une copropriété. Le syndic qui avait succédé à son prédécesseur avait été désigné en 2012 en qualité d’administrateur provisoire à la requête de plusieurs copropriétaires. L’administrateur obtient ensuite la désignation d’un expert-comptable avec la mission d’examiner les comptes de l’ancien syndic. Puis, le mandat judiciaire de cet administrateur avait été renouvelé à plusieurs reprises pour une durée de six mois. Profitant d’une erreur commise par l’administrateur judiciaire qui avait demandé à être renouvelé alors que son mandat avait pris fin, l’ancien syndic engage un référé de rétractation en 2014 pour faire annuler le renouvellement de la mission du mandataire judiciaire. Le demandeur à la rétractation est débouté de sa demande et la décision de rejet est confirmée en appel. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation censure l’arrêt pour violation de la loi et manque de base légale. Le pourvoi articulait deux reproches. Le premier est tiré du fait que le mandataire avait tardé à demander le renouvellement de sa mission. Ne l’étant plus au moment du dépôt de sa requête en renouvellement, il avait perdu sa capacité d’ester en justice et son acte introductif d’instance était vicié par une nullité de fond. La cour d’appel a donc commis une violation de la loi au visa de l’article 117 du code de procédure civile. Le second reproche est un manque de base légale. En effet, il était reproché aux juges du fond de n’avoir pas relevé les circonstances justifiant que la mesure sollicitée ne soit pas prise contradictoirement. L’arrêt est donc censuré au visa de l’article 493 du code de procédure civile.

Le premier motif de cassation n’appelle pas de commentaires particuliers. De fait, s’il est parfois permis de régulariser un pouvoir d’agir en justice, il n’est pas toujours possible de valider ex post la capacité d’ester en justice. La condition de pouvoir ester en justice s’appréciant au jour de l’introduction de la demande et la...

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Proclamé solennellement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 comme un « droit inviolable et sacré » (art. 17), le droit de propriété y est présenté parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » dont la conservation est « le but de toute association politique » (art. 2). Il est, en effet, conçu comme une déclinaison de la liberté (A. Cayol, Le droit des biens en tableaux, Ed. Ellipses, 2019, p. 62) : le propriétaire peut « jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » (C. civ., art. 544). Il s’agit ainsi d’un espace de liberté, d’un contenant sans contenu précisément défini (F. Zenati, Pour une rénovation de la théorie de la propriété, RTD civ. 1993. 305 ), permettant de faire tout ce qui n’est pas interdit par la loi ou par les règlements (C. civ., art. 544 in fine).

« Rapport exclusif d’une personne sur un bien » (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens, 3e éd., PUF, 2008, n° 163, p. 259), le droit de propriété est caractérisé par l’exclusivisme (F. Zenati, Essai sur la nature juridique de la propriété. Contribution à la théorie du droit subjectif, Thèse Lyon III, 1981, n° 399, p. 541), lequel permet d’écarter tous les tiers, le propriétaire ayant vocation à profiter seul de toutes les utilités de la chose. Dès lors, nul ne peut, en principe, être privé de sa propriété sans y avoir consenti. Comme l’indique expressément l’article 545 du code civil, reprenant en substance le contenu de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ».

Le législateur a donc étroitement encadré la procédure d’expropriation (W. Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, nos 39 s.). Une première phase, administrative, consiste à vérifier l’existence d’une cause d’utilité publique. À défaut d’accord amiable sur la cession, s’ouvre une seconde phase, judiciaire, laquelle a pour objet de réaliser le transfert de propriété au profit de la collectivité publique et de fixer le montant de l’indemnité.

L’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique précise que, « Après la saisine du juge et sous réserve que l’ordonnance d’expropriation soit intervenue, les propriétaires expropriés qui occupent des locaux d’habitation ou à usage professionnel ainsi que les locataires ou preneurs commerçants, artisans, industriels ou agricoles peuvent, s’il n’y a pas obstacle au paiement et sauf dans l’hypothèse où leur relogement ou leur réinstallation est assurée par l’expropriant, obtenir le paiement d’un acompte représentant 50 % du montant des offres de l’expropriant. Toutefois, lorsque les offres de l’expropriant sont supérieures aux estimations faites par l’autorité administrative compétente, cet acompte est limité à 50 % du montant de ces estimations ». Dans un arrêt du 21 janvier 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation décide du renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant ce texte, lequel serait susceptible de porter atteinte au principe d’égalité devant la loi et à la liberté d’entreprendre.

En l’espèce, un établissement public avait acquis par voie de cessions amiables diverses parcelles nécessaires à la réalisation d’un projet qui avait préalablement été déclaré d’utilité publique. Cet établissement saisit, par la suite, le juge de l’expropriation afin que soient fixées les indemnités d’éviction revenant aux locataires desdites parcelles. La juridiction de l’expropriation a alors transmis une question prioritaire de constitutionnalité visant à s’interroger sur la conformité au principe d’égalité devant la loi et à la liberté d’entreprendre, des dispositions de l’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, « en ce qu’elles ne s’appliquent pas aux locataires occupant un bien ayant fait l’objet d’un transfert de propriété par voie de cession amiable au profit de l’expropriant » (consid. 3).

Issu de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le contrôle a posteriori des lois est entré en vigueur le 1er mars 2010. Depuis lors, tout justiciable peut soulever, à l’occasion d’un litige, une question prioritaire de constitutionnalité afin que le Conseil constitutionnel vérifie la conformité d’une disposition législative au bloc de constitutionnalité. La transmission d’une telle question au Conseil est toutefois subordonnée au passage d’un « filtre » réalisé par les Hautes juridictions des ordres administratif et judiciaire. Le Conseil d’État et la Cour de cassation doivent vérifier la réunion de trois critères cumulatifs. Il est, tout d’abord, nécessaire que la question posée soit directement applicable au litige. Il est, ensuite, requis qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances. Il est, enfin, exigé que la question soit nouvelle ou qu’elle présente un caractère sérieux.

En l’espèce, la troisième chambre civile constate que la disposition contestée est bien applicable au litige et qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution (consid. 4 et 5). Elle considère, en outre, qu’elle présente un caractère sérieux en ce que le versement d’un acompte est « réserv(é) aux locataires d’un bien ayant fait l’objet d’une ordonnance d’expropriation, à l’exclusion des locataires d’un bien ayant donné lieu à une cession amiable consentie à l’expropriant après déclaration d’utilité publique » (consid. 6). Pour la Cour de cassation, l’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique serait donc « susceptible de porter atteinte au principes d’égalité devant la loi et de la liberté d’entreprendre » (consid. 6 in fine).

Le principe d’égalité est le principe constitutionnel le plus souvent invoqué devant le Conseil constitutionnel (F. Mélin-Soucramanien, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Cahiers du Conseil constitutionnel 2010. 89 ). Comme le proclame solennellement l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi « doit être la même pour tous ». Toutefois, l’égalité n’est requise qu’entre deux situations comparables. Ainsi, « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce qu’une loi établisse des règles non identiques à l’égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes ». « L’égalité est toujours relative à quelque chose ou à quelqu’un » (Les grands arrêts du droit des libertés fondamentales, 2e éd., Dalloz, 2019, décis. 46-47, n° 10, p. 375) : elle n’implique pas un traitement uniforme, lorsque les personnes concernées ne se trouvent pas dans une même situation. Il est admis, depuis une décision du 9 avril 1996, que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (Cons. const. 9 avr. 1996, n° 1996-375 DC, consid. 8). Il est toutefois permis de douter que tel soit le cas en l’espèce, l’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique traitant de façon différente les locataires de biens cédés à une collectivité publique dans le cadre d’un projet déclaré d’utilité publique selon que le transfert de propriété a eu lieu à l’amiable ou par une ordonnance judiciaire. On peine à voir l’incidence du caractère amiable ou judiciaire du transfert sur le droit à indemnisation des locataires, dont la situation est bien identique quant à l’obligation qui leur est faite de quitter les biens objets du transfert. Le critère de différenciation ne serait pas ici pertinent au regard de l’objectif poursuivi par le texte.

Par ailleurs, cette disposition serait également susceptible, d’après la troisième chambre civile, de porter atteinte à la liberté d’entreprendre. D’abord consacrée par le législateur lors de la Révolution française (Loi des 2-17 mars 1791, dite « Décret d’Allarde » et loi « Le Chapelier » des 14-17 juin 1791), cette dernière s’est vu reconnaître une valeur constitutionnelle en 1982 dans la décision du Conseil constitutionnel relative aux nationalisations, comme découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre » (Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132 DC, consid. 16). Il s’agit, selon le Conseil constitutionnel, de « la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également (de) la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité » (Cons. const. 30 nov. 2012, n° 2012-285 QPC, consid. 7, AJDA 2012. 2301 ; D. 2012. 2808 ). Certes, « la liberté d’entreprendre n’est ni générale, ni absolue » : « il est loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par l’intérêt général à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la portée » (Cons. const. 4 juill. 1989, n° 89-254 DC, consid. 5, D. 1990. 209 , note F. Luchaire ; Rev. sociétés 1990. 27, note Y. Guyon ; RTD civ. 1990. 519, obs. F. Zenati ). Il importe de vérifier que les limitations prévues par le législateur ne sont pas disproportionnées à l’objectif poursuivi (Cons. const. 16 janv. 2001, n° 2000-439, consid. 14, AJDA 2001. 222, étude E. Fatôme ; D. 2002. 1944 , obs. V. Ogier-Bernaud ). Or il n’est pas certain que tel soit bien le cas en l’espèce concernant l’article L. 323-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Le droit français prévoit la possibilité d’établir un mandat de protection future. L’article 477 du code civil dispose ainsi que toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts, pour l’une des causes prévues à l’article 425, à savoir en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté.

D’autres pays se sont engagés dans la même voie.

L’article 2166 du code civil du Québec énonce que le mandat de protection est donné par une personne majeure en prévision de son inaptitude à prendre soin d’elle-même ou à administrer ses biens.

L’article 408 du code civil italien permet la désignation d’un administrateur de soutien dans la perspective de la survenance éventuelle d’une incapacité.

Le code civil suisse prévoit la possibilité d’un mandat pour cause d’inaptitude. Son article 360 énonce que toute personne ayant l’exercice des droits civils peut charger une personne physique ou morale de lui fournir une assistance personnelle, de gérer son patrimoine ou de la représenter dans les rapports juridiques avec les tiers au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Il ajoute que le mandant définit les tâches qu’il entend confier au mandataire et peut prévoir des instructions sur la façon de les exécuter.

La juxtaposition des différents régimes juridiques nationaux peut être à l’origine de difficultés, par exemple, lorsqu’une personne établit un mandat de protection selon la loi d’un État avant d’établir son domicile dans un autre État où une cause d’inaptitude apparaît. Ces difficultés sont envisagées en droit international privé (par ex., v. M. Revillard, Le mandat de protection future en droit international privé, Défrénois, 30 août 2008, p. 1533 ; Droit international privé et européen : pratique notariale, 9e éd., Defrénois, 2018, nos 873 s.). Par ailleurs, compte tenu de l’importance que revêt ce type de mandat dans les pays dont la population vieillit, la conférence de droit international de La Haye a élaboré la Convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, qui envisage certains de ses aspects (sur cette convention, v., par ex., M. Revillard, « La Convention de La Haye sur la protection des adultes et la pratique du mandat d’inaptitude », in Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005, p. 725 ; Rép. internat., v° Majeur protégé, Convention de La Haye du 13 janvier 2000, par E. Gallant, nos 58 s.).

L’arrêt de la première chambre civile du 27 janvier 2021 porte précisément sur cette problématique.

Une personne, qui résidait habituellement en Suisse, avait stipulé un mandat d’inaptitude soumis aux articles 360 et suivants du code civil suisse et désigné notamment l’un de ses fils en qualité de mandataire. Cette personne avait par la suite fixé sa résidence habituelle en France et son fils a décidé de mettre en œuvre le mandat en le faisant viser par le greffier d’un tribunal d’instance en application des dispositions du code de procédure civile français qui distinguent différents cas et prévoient, par l’article 1258-3, que, si l’ensemble des conditions requises est rempli, le greffier du tribunal d’instance, après avoir paraphé chaque page du mandat, mentionne, en fin d’acte, que celui-ci prend effet à compter de la date de sa présentation au greffe, y appose son visa et le restitue au mandataire, accompagné des pièces produites.

Un frère du mandataire a toutefois contesté cette démarche. La cour d’appel a alors jugé que le mandat n’aurait pas dû recevoir le visa du greffier et a annulé ce visa au motif que le mandat ne prévoyait pas de modalités de contrôle du mandataire, alors pourtant que l’article 1258-2 du code de procédure civile impose au greffier de vérifier, au vu des pièces produites, que les modalités du contrôle de l’activité du mandataire sont formellement prévues.

L’arrêt d’appel est cassé, au motif que la mise en œuvre en France d’un mandat d’inaptitude suisse ne pouvait pas être subordonnée à une condition de validité que la loi suisse n’imposait pas.

Cette solution est énoncée pour la première fois. Elle se justifie au regard des termes de l’article 15 de la Convention du 13 janvier 2000 : « 1. L’existence, l’étendue, la modification et l’extinction des pouvoirs de représentation conférés par un adulte, soit par un accord soit par un acte unilatéral, pour être exercés lorsque cet adulte sera hors d’état de pourvoir à ses intérêts, sont régies par la loi de l’État de la résidence habituelle de l’adulte au moment de l’accord ou de l’acte unilatéral, à moins qu’une des lois mentionnées au paragraphe 2 ait été désignée expressément par écrit. 2. Les États dont la loi peut être désignée sont les suivants : a) un État dont l’adulte possède la nationalité ; b) l’État d’une résidence habituelle précédente de l’adulte ; c) un État dans lequel sont situés des biens de l’adulte, pour ce qui concerne ces biens. 3. Les modalités d’exercice de ces pouvoirs de représentation sont régies par la loi de l’État où ils sont exercés ».

Le mandat avait en effet été soumis aux dispositions du code civil suisse en application de l’article 15, § 2, b, compte tenu de la présence de la résidence habituelle du mandant en Suisse. Ces dispositions s’imposaient donc, sans que l’exigence posée par l’article 1258-2 du code de procédure civile français, tenant à la stipulation des modalités de contrôle de l’activité du mandataire, ait vocation s’appliquer. Cette exigence est en effet prévue dans le cadre du régime français du mandat de protection future, régime qui a été délimité dans la perspective de situations de droit interne. Et si l’article 20 de la Convention réserve l’application des lois de police en prévoyant qu’il ne saurait être porté atteinte aux dispositions de la loi de l’État dans lequel la protection de l’adulte doit être assurée, dont l’application s’impose quelle que soit la loi qui serait autrement applicable, cette exigence prévue par l’article 1258-2 n’a à l’évidence pas le caractère d’une loi de police.

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La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (la « loi Vigilance ») oblige notamment les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés (en leur sein et dans leurs filiales en France) ou 10 000 salariés (en leur sein et dans leurs filiales en France et à l’étranger) à publier un plan de vigilance destiné à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, pouvant résulter de ses activités et de celles des sociétés qu’elle contrôle et de ses sous-traitants ou fournisseurs habituels. Toutes les sociétés par actions sont concernées (SA, SAS et SCA) dès lors qu’elles franchissent les seuils en nombre de salariés en fonction de la localisation des filiales de la société mère. Les risques à prendre en considération, dans le cadre de l’élaboration du plan de vigilance, sont ceux des activités de la société mère et des sociétés qu’elle contrôle, d’une part, et ceux liés aux activités de ces sociétés avec des sous-traitants ou des fournisseurs, d’autre part.

Compte tenu du caractère récent de la loi Vigilance, de nombreuses interrogations subsistent, qu’elles soient processuelles ou qu’elles portent sur le fond du devoir de vigilance (le périmètre des entreprises concernées, les mécanismes de sanction judiciaire prévus, la compétence d’attribution, la compétence territoriale et la loi applicable au litige, l’intérêt à agir, l’appréciation des manquements allégués au devoir de vigilance, etc., feront nécessairement l’objet d’âpres discussions devant les juridictions ; v. P. Métais et E. Valette, Stratégie contentieuse et devoir de vigilance, D. Avocats 2020. 235 ). Sur la question de la compétence d’attribution, si la Cour d’appel de Versailles a récemment donné une solution en la matière, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nanterre, à la lumière d’une décision récente consacrant l’option de compétence d’un demandeur non commerçant dès lors que les faits reprochés sont en lien direct avec la gestion d’une société (Com. 18 nov. 2020, n° 19-19.463, D. 2020. 2342 ), pourrait renverser les certitudes.

Acte I : L’affirmation de la compétence du tribunal de commerce

Dans le cadre de l’une des premières actions judiciaires, initiée le 29 octobre 2019 à l’encontre d’un grand groupe français, plusieurs associations et ONG ont assigné en référé devant le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre la société mère d’un grand groupe français, sur le fondement de la loi Vigilance, pour non-respect de ses obligations en matière de vigilance dans le cadre de projets pétroliers menés en Ouganda et en Tanzanie par une de ses filiales et ses sous-traitants. Plus précisément, les requérantes demandaient que cesse « le trouble manifestement illicite résultant de la méconnaissance par la société T… de ses obligations en matière de vigilance » et que lui soit enjoint « d’établir et publier un ensemble de mesures dans son plan de vigilance […] propres à prévenir les risques identifiés dans la cartographie des risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » dans le cadre des projets pétroliers précités.

Le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé, par deux ordonnances en date du 30 janvier 2020 (TJ Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2010, nos 19/02833 et 19/02833, D. 2020. 970 , note N. Cuzacq ), s’était déclaré incompétent et avait renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Nanterre statuant en référé. La Cour d’appel de Versailles, par deux arrêts attendus du 10 décembre 2020 (Versailles, 10 déc. 2020, nos 20/01692 et 20/01693, Dalloz actualité, 11 janv. 2021, note P. Métais et E. Valette) a confirmé cette lecture en considérant qu’« est caractérisée l’existence d’un lien direct entre le plan de vigilance, son établissement et sa mise en œuvre, et la gestion de la société commerciale dans son fonctionnement, critère nécessaire et suffisant pour que la compétence du juge consulaire puisse être retenue ». Les associations et ONG concernées ont d’ores et déjà annoncé qu’elles entendaient former un pourvoi en cassation.

Acte II : L’affirmation d’une option de compétence entre tribunal judiciaire et tribunal de commerce

Dans le cadre d’une autre action judiciaire initiée le 28 janvier 2020 à l’encontre de ce même groupe français, d’autres associations et des collectivités territoriales sollicitaient du Tribunal judiciaire de Nanterre, sur le fondement des articles L. 225-102-4 du code de commerce et 1252 du code civil qu’il enjoigne à la multinationale de mettre son plan de vigilance en conformité avec la loi et d’aligner sa trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre avec l’Accord de Paris.

Par une ordonnance du 11 février 2021 (TJ Nanterre, ord. JME, 11 févr. 2021, n° 20/00915), le juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire de Versailles a rejeté l’exception d’incompétence matérielle dont il était saisi considérant que « la plénitude de juridiction du tribunal judiciaire combinée à l’absence de prévision d’une compétence exclusive du tribunal de commerce ainsi que l’engagement direct de la responsabilité sociale de la SE T… très au-delà du lien effectivement direct avec sa gestion prise en lien avec la qualité de non-commerçant des demanderesses fondent à leur bénéfice un droit d’option, qu’elles exercent à leur convenance, entre le tribunal judiciaire, qu’elles ont valablement saisi, et le tribunal de commerce ».

Selon le juge de la mise en état versaillais, si « l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance sont en lien direct avec la gestion de la SE T…, critère qui fonde la compétence du tribunal de commerce », pour autant « ce constat ne commande pas à lui seul l’incompétence du tribunal judiciaire, la loi ne précisant pas que la compétence définie par l’article L. 721-3 du code de commerce, en particulier en 2°, soit exclusive […] ».

Et le juge de la mise en état de poursuivre son raisonnement en se référant à l’arrêt Uber rendu par la Cour de cassation le 18 novembre 2020 (préc.) aux termes duquel la chambre commerciale a considéré que, « si la compétence des juridictions consulaires peut être retenue lorsque les défendeurs sont des personnes qui n’ont ni la qualité de commerçant ni celle de dirigeant de droit d’une société commerciale dès lors que les faits qui leur sont reprochés sont en lien direct avec la gestion de cette société, […] toutefois, lorsque le demandeur est un non-commerçant, il dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce et qu’ayant constaté que les demandeurs n’avaient pas la qualité de commerçant, il en déduit qu’ils disposaient d’une option de compétence leur permettant de saisir valablement le juge civil d’une action en concurrence déloyale dirigée contre une société commerciale et deux de ses salariés ».

Le juge de la mise en état applique cette solution aux faits de l’espèce et retient un droit d’option de compétence au profit des demanderesses.

Un appel à l’encontre de cette ordonnance est d’ores et déjà annoncé, de sorte qu’une nouvelle décision de la Cour d’appel de Versailles est attendue.

Il sera observé que ces deux séries de décisions ont toutes été rendues dans le cadre d’actions préventives en cessation de l’illicite, sur le fondement de l’article L. 225-102-4, II, du code de commerce. Une telle action qui peut être mise en œuvre dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure de se conformer aux obligations de vigilance adressée à l’entreprise visée et qui tend à voir enjoindre à cette dernière, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. Ce premier mécanisme judiciaire intervient donc avant l’intervention d’un quelconque dommage.

La loi Vigilance instaure également un second mécanisme, lequel intervient une fois le dommage survenu : l’action en responsabilité, sur le fondement de l’article L. 225-102-5 du code de commerce, qui suppose la démonstration d’une faute (manquement au devoir de vigilance), d’un dommage (conséquence d’« atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ») et d’un lien de causalité entre le non-respect du devoir de vigilance et la survenance du dommage.

En la matière, la Cour d’appel de Versailles, dans ses deux arrêts du 10 décembre 2020 (préc.), relevait « que l’examen du respect de l’obligation d’établissement et de mise en œuvre du plan de vigilance par une société commerciale, qui peut faire l’objet d’une injonction en application du texte litigieux, n’est pas celui de ses manquements éventuels qui ne pourraient être reprochés et appréciés que sur le fondement de la responsabilité de l’entreprise à laquelle se consacre l’article L. 225-102-5, grâce à une action en réparation dont la cour n’est pas saisie. La compétence pour juger chacune de ces deux actions qui répondent à leur propre logique et reposent sur des fondements juridiques distincts, l’une tendant à obtenir une injonction de faire, l’autre tendant à obtenir réparation, peut donc être différente ».

Au-delà de la question de compétence

Au-delà de la question de la juridiction compétente pour connaître des actions préventives et en responsabilité, « tous les recours devront être suivis de près pour en analyser la portée » (rapport du Conseil général de l’économie, évaluation de la mise en œuvre de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères des entreprises donneuses d’ordre, janv. 2020).

En tout état de cause, les enjeux induits par la loi Vigilance – mais également l’obligation de procéder à une déclaration de performance extrafinancière ou encore les préoccupations sociétales et environnementales que la loi Pacte a fait entrer dans le droit des sociétés – se révèlent être à la fois un nouvel outil de communication pour les entreprises et une nouvelle source de responsabilité des acteurs sociaux.

Le législateur européen pourrait par ailleurs donner naissance à une réglementation contraignante sur le devoir de vigilance des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants en matière de droits humains et d’environnement (cette annonce a eu lieu lors d’une conférence en ligne organisée par le groupe de travail du Parlement européen sur la responsabilité des entreprises) d’ici 2021. Le projet d’initiative législative, adopté le 27 janvier 2021, appelle la Commission à présenter de façon urgente une législation européenne exigeant que les entreprises respectent les normes en matière de droits de l’homme et d’environnement dans leurs chaînes de valeur. Le Parlement européen doit se prononcer sur ce sujet lors de la session plénière prévue le 8 mars 2021.

par Cédric Hélainele 17 février 2021

Civ. 1re, 3 févr. 2021, F-P, n° 19-21.046

On connaît la distinction classique de droit des contrats spéciaux entre la délivrance et la livraison ; la première caractérisée par le dessaisissement et la mise à disposition, la seconde par la remise effective de la chose entre les mains de l’acquéreur (P. le Tourneau [sous la dir. de], Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021, n° 336.61). En droit de la vente à distance, la livraison s’entend de la prise de possession physique de l’objet vendu sur le fondement de l’article L. 216-1 du code de la consommation. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation viennent utilement mettre en lumière ces quelques rappels. Après avoir commandé plusieurs biens en ligne auprès d’une société de broderie, un consommateur est étonné de ne pas recevoir le colis contenant ses nouvelles acquisitions. Il assigne devant le tribunal d’instance de Villeurbanne le vendeur en paiement de dommages-intérêts pour ne pas avoir reçu le colis comme convenu. Le juge de première instance décide que « La Poste lui a offert une indemnisation forfaitaire de 16 €, admettant ainsi implicitement une défaillance de ses services dont le vendeur n’est pas responsable, et que l’acheteur ne rapporte pas la preuve d’un manquement de celui-ci à...

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Par son avis rendu le 18 décembre 2020, la Cour de cassation a pris position sur l’épineuse question de l’étendue des pouvoirs du juge commis, désigné pour surveiller les opérations de partage successoral complexes. La question se posait essentiellement en termes de répartition des compétences entre le président du tribunal judiciaire et le juge commis, lorsqu’il en a été désigné un.

Les textes

De fait, les textes organisent de manière très précise les pouvoirs du président du tribunal judiciaire en matière de successions et notamment d’indivision, tout comme les règles procédurales qui président à son intervention. Ainsi, l’article 1379 du code de procédure civile énumère les demandes qui, en matière successorale, relèvent de la compétence du président du tribunal judiciaire statuant sur requête, par contraste avec l’article 1380 du même code qui vise les demandes sur lesquelles le président du tribunal doit statuer suivant les règles de la procédure accélérée au fond (anc. procédure en la forme des référés, sous l’empire du droit antérieur au décr. n° 2019-1419 du 20 déc. 2019).

Parallèlement, et sans que l’articulation entre ces textes ne soit précisée, le code de procédure civile prévoit l’hypothèse dans laquelle l’indivision serait suffisamment complexe pour justifier la désignation, d’une part, d’un notaire pour procéder aux opérations de partage et, d’autre part, d’un juge pour surveiller ces opérations : le juge commis. Les pouvoirs dudit juge sont ensuite précisés par les articles 1365 à 1376 du même code. Pour l’essentiel, le juge se voit confier des missions consistant à débloquer les situations de conflit qui entravent le bon déroulement de la procédure de partage devant le notaire. Il peut ainsi désigner un expert (C. pr. civ., art. 1365), convoquer les parties pour tenter une conciliation (C. pr. civ., art. 1366 et 1373), adresser des injonctions, prononcer des astreintes et procéder au remplacement du notaire commis (C. pr. civ., art. 1371, al. 2), désigner un représentant pour pallier la défaillance d’un héritier lors de l’établissement de l’état liquidatif (C. pr. civ., art. 1367) ou du tirage au sort des lots (C. pr. civ., art. 1376 et 1363), octroyer une prorogation de délai (C. pr. civ., art. 1370), ou encore effectuer un rapport sur les désaccords persistant entre les parties (C. pr. civ., art. 1375). L’ensemble de ces prérogatives semble résumé par l’affirmation de l’article 1371, alinéa 1er, du code de procédure civile, aux termes duquel le juge commis « veille au bon déroulement des opérations de partage et au respect du délai » imparti au notaire pour dresser un état liquidatif. Ce rôle d’appui qui lui est confié dans le cadre des opérations de partage se prolonge dans la fonction de juge de la mise en état que lui confère l’article 1373, alinéa 5, du code de procédure civile.

Tout cela laisse entendre que le rôle du juge commis se cantonnerait à l’encadrement de la procédure de partage, sans aller jusqu’à la prise de décisions de fond concernant les modalités du partage ou la gestion de l’indivision au cours de la procédure de partage. Une disposition, toutefois, laisse planer un doute sur l’étendue de ses pouvoirs : celle de l’article 1371, alinéa 3, du code de procédure civile, qui l’autorise, sans plus de précision, à statuer « sur les demandes relatives à la succession pour laquelle il a été commis ». C’est justement tout l’objet de la demande d’avis soumise à la Cour de cassation, que de solliciter une interprétation de la portée de ce texte.

La demande d’avis

Dans l’affaire ayant donné lieu à la saisine de la Haute juridiction, un notaire désigné pour effectuer les opérations de liquidation partage d’une indivision successorale a saisi le juge commis pour lui demander l’autorisation de procéder, à titre provisionnel, au remboursement de sommes avancées par certains indivisaires pour le compte de l’indivision ainsi qu’au paiement de toutes charges et dettes à venir, par prélèvement sur les prix de vente de biens immobiliers dépendant de l’indivision successorale. La vente desdits biens avait été autorisée judiciairement par une décision précédente.

Or, ce type de demande relève en principe de la compétence du président du tribunal judiciaire, fondée sur les articles 815-6 et 815-11 du code civil.

En effet, l’article 815-6, alinéa 1er, du code civil permet au président de prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun, ce qui peut viser le paiement des dettes et charges de l’indivision par prélèvement sur les fonds...

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Un entrepreneur principal victime de non-conformités et d’exécutions tardives du sous-traitant auquel il avait confié des travaux l’assigne en vue d’obtenir réparation de son préjudice. En défense, le sous-traitant sollicite le paiement de factures impayées (environ 21 000 € sur 85 000). Les juges du fond ont fait droit à cette demande en condamnant l’entrepreneur au paiement des sommes restant dues pour les travaux exécutés et en prononçant la nullité du contrat de sous-traitance.

La question soumise à la Cour de cassation portait sur l’obligation pour l’entrepreneur de fournir une caution au sous-traitant en application des dispositions de l’article 14, alinéa 1er, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance imposant que « les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur d’un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret (…) ». Si d’évidence le défaut de cautionnement constitue un manquement de l’entrepreneur à ses obligations, d’autres situations en pratique ont interrogé, notamment lorsque le cautionnement était produit après la conclusion du contrat. La jurisprudence, appliquant rigoureusement la loi de 1975, avait alors établi dès les années 1990 que la caution devait être présentée dès la conclusion du contrat (v. l’arrêt de principe, Civ. 3e, 30 mars 1994, n° 92-16.535, Bull. civ. III, n° 71), de sorte qu’à défaut, la nullité du sous-traité était prononcée. Cette position prétorienne demeurée constante (Civ. 3e, 17 juill. 1996, n° 94-15.035, Bull. civ. III, n° 192 ; 7 févr. 2001, n° 98-19.937, Bull. civ. III, n° 15 ; RDI 2001. 163, obs. B. Boubli ; 25 mai 2011, n° 09-17.137, Bull. civ. III, n° 84 ; 5 mai 2011, n° 09-17.137, RDI 2011. 619, obs. H. Périnet-Marquet ) a conduit la pratique à instaurer des aménagements.

L’affaire soumise en propose une illustration : le contrat de sous-traitance était assorti d’une condition suspensive d’obtention d’un cautionnement au profit du sous-traitant. En l’espèce, la condition s’était réalisée environ un mois et demi après la signature du sous-traité. La Cour de cassation vient par le présent arrêt sanctionner le contrat litigieux par la nullité, pour fourniture d’un cautionnement postérieure à la conclusion du sous-traité, jugeant qu’il résulte de l’article 14 de la loi de 1975 « que l’entrepreneur principal doit fournir la caution avant la conclusion du sous-traité et, si le commencement d’exécution des travaux lui est antérieur, avant celui-ci ».

L’établissement du cautionnement bancaire postérieurement à la conclusion du sous-traité commande la sanction par la nullité du contrat, l’article 14 de la loi de 1975 étant d’ordre public. Plus largement, rappelons que la jurisprudence est déjà venue préciser le caractère relatif de la nullité, puisqu’elle vise la protection exclusive du sous-traitant (Com. 19 mai 1980, n° 79-10.716, Bull. civ. IV, n° 203) et l’application de la prescription de cinq ans à l’exercice de l’action, à compter de la conclusion du contrat de sous-traitance (Civ. 3e, 11 oct. 1989, Bull. civ. III, n° 189 ; 20 févr. 2002, n° 00-17.406, Bull. civ. III, n° 43 ; D. 2002. 1347 , obs. E. Chevrier ; RDI 2003. 64, obs. H. Périnet-Marquet ).

Par ailleurs, la Cour de cassation précise en l’espèce qu’il importe peu que le cautionnement ait été produit avant l’exécution des travaux, dès lors qu’il est postérieur à l’établissement du contrat : seule une caution antérieure à l’exécution des travaux lorsqu’ils commencent avant la formation du contrat pourrait être recevable. Cela est évidemment une hypothèse rare en pratique. 

Intérêt général de protection du sous-traitant

La décision soumise rappelle que l’obligation de l’entrepreneur « trouve sa justification dans l’intérêt général de protection du sous-traitant ». Où l’on retrouve l’objectif assigné au législateur en 1975 - qui a su mobiliser les mécanismes requis afin de garantir la protection du sous-traitant -, sans cesse poursuivi par la Cour de cassation (pour un rappel exprès à l’égard du cautionnement : Civ. 3e, 10 juin 2014 - QPC, non lieu à renvoi - n° 14-40.020, Bull. civ. III, n° 79). En sanctionnant le défaut de cautionnement par la nullité, le législateur fait de l’établissement d’une caution une condition de validité du contrat de sous-traitance. Partant, un aménagement contractuel en condition suspensive de son obtention ne peut être valable ; la nullité du sous-traité était donc en l’espèce inéluctable. L’article 15 de la loi 1975 apparaît d’ailleurs redondant à cet endroit : « sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ».

Outre l’inefficacité de l’établissement du cautionnement postérieurement au sous-traité, le fait que le contrat ait reçu exécution et que le paiement ait eu lieu ne remet pas en cause l’application de la nullité (Civ. 3e, 12 mars 1997, n° 95-15.522, Bull. civ. III, n° 55 ; 18 juill. 2001, n° 00-16.380, RDI 2002. 56, obs. H. Périnet-Marquet ; Com. 12 juill. 2005, n° 02-16.048, Bull. civ. IV, n° 164). Dans ce prolongement, le sous-traitant pourra obtenir le paiement des travaux réalisés et non intégralement payés, comme ce fut le cas dans la présente affaire. Il en résulte que l’exécution du contrat de sous-traitance n’emporte pas renonciation tacite du sous-traitant à se prévaloir de la nullité. En cela, la jurisprudence ne s’inscrit pas dans l’apport de la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1182, al. 3). La question qui demeure est alors celle de savoir s’il peut y avoir confirmation « expresse » de l’acte nul par le sous-traitant. La réponse, apportée au prisme de la loi de 1975, pourrait être positive si l’on se réfère à l’obligation de contrôle par le maître d’ouvrage, de la délivrance du cautionnement par l’entrepreneur, imposée par l’article 14-1. En effet, l’obligation du maître d’ouvrage n’aurait pas de raison d’être s’il n’était pas possible de régulariser l’acte non valable. Toutefois, une alternative demeure à cet endroit: la régularisation de l’acte pourrait-elle prendre la forme d’une confirmation ou doit-elle consister en l’établissement d’un nouveau sous-traité ? Si, par définition, la nullité relative permet d’envisager la confirmation (C. civ., art. 1181), la seconde branche de l’alternative semble s’inscrire davantage dans la veine de « l’intérêt général de protection du sous-traitant » justifiant l’arrêt du 21 janvier 2021.

Adaptation nécessaire de la pratique

Il reste à souhaiter au plus vite un rayonnement de cette décision dans la pratique. L’on songe en particulier au Guide juridique de la FFB du 11 mai 2020, qui mentionne que la garantie de paiement de l’entrepreneur doit être fournie avant la signature du contrat ou avant l’exécution des travaux si elle est antérieure à la signature mais qui propose aussi, une alternative, en insérant une condition suspensive d’obtention de la garantie (pt 1.5.1). La solution présentée rappelle que ce n’est pas valable.

Par ailleurs, dans une autre mesure, les conditions générales du Contrat type de sous-traitance du BTP de 2018 stipulent que la garantie de l’entrepreneur « est délivrée avant le commencement des travaux » (pt 6-21). Là encore il convient d’adapter les stipulations de ce contrat aux exigences impératives inhérentes à la loi de 1975, rappelées par la décision reproduite. Et ce d’autant plus qu’au-delà de la position judiciaire, si un litige est soumis à une amiable composition, l’arbitre ne saurait passer outre la logique impérative du cautionnement issu de la loi de 1975 (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Dalloz actualité, 14 janv. 2020, obs. V. Chantebout).

Portée juridique

Dans le prolongement de la décision présentée, il convient de s’interroger sur la portée de la réforme du droit des obligations à deux égards.
D’une part, l’entrepreneur pourra-t-il se prévaloir de l’article 1183 du code civil pour obtenir une confirmation du sous-traité via l’exercice d’une action interrogatoire ?
D’autre part, n’y a-t-il pas à craindre que la protection du sous-traitant puisse être malmenée par une nullité conventionnelle (C. civ., art. 1178, al. 1er), dont l’aménagement des effets de la rétroactivité pourrait au pire se solder à la faveur de l’entrepreneur et au mieux déboucher sur un nouveau contentieux ?
Sans doute la Cour de cassation n’a-t-elle pas fini d’être interrogée.

Enfin, bien que la situation du maître d’ouvrage ne soit pas évoquée dans la décision reproduite, rappelons qu’il reste en droit d’engager la responsabilité extracontractuelle du sous-traitant pour les fautes commises lors de l’exécution de ses travaux (Civ. 3e, 14 déc. 2011, n° 10-28.149, Bull. civ. III, n° 213), même si le plus souvent cela reste moins intéressant que de se retourner directement contre l’entrepreneur. S’agissant de ce dernier, outre sa responsabilité qui peut être engagée à l’égard du maître d’ouvrage pour les fautes du sous-traitant, il sera également tenu au paiement du sous-traitant, comme le rappelle l’arrêt, sans que puisse être pris en compte les éventuels retards, malfaçons et non-conformités dont se plaignait en l’occurrence l’entrepreneur principal (Civ. 3e, 5 mars 2020, n° 19-16.407 : « dans le cas où le sous-traité annulé a été exécuté, l’indemnisation du sous-traitant correspond au coût réel des travaux réalisés sans que soit prise en compte la valeur de l’ouvrage » ; 24 mai 2018, n° 16-22.460 ; RDI 2019. 273, obs. H. Perinet-Marquet 13 sept. 2006, n° 05-11.533, Bull. civ. III, n° 175, D. 2006. 2277, obs. X. Delpech, RDI 2007. 420, obs. H. Périnet-Marquet).

Où la question de savoir si l’intérêt général de protection du sous-traitant, constant et transverse, se fait caution de dérives (nombre d’actions en nullité semblent étrangères au but poursuivi par l’article 14 de la loi de 1975, Civ. 3e, 11 oct. 1989, n° 88-11.960, Bull. civ. III, n° 189 ; 14 oct. 1992, n° 90-21.525, Bull. civ. III, n° 273 ; D. 1994. 148 , obs. A. Bénabent ; RDI 1993. 223, obs. P. Malinvaud et B. Boubli  ; 17 juill. 1996, n° 94-15.035, Bull. civ. III, n° 192 ; 12 mars 1997, n° 95-15.522, Bull. civ. III, n° 55) est désormais dénuée d’intérêt.

La Cour de cassation avait d’ailleurs établi à cet égard, au-delà de la finalité poursuivie par le sous-traitant qui sollicite la nullité de son contrat, qu’il ne saurait y avoir abus de droit à exercer son action (Civ. 3e, 21 juin 2018, n° 17-23.909, non publié, RDI 2019. 271, obs. H. Perinet-Marquet ).

L’angle sous lequel s’apprécie la solution de la Cour de cassation est ailleurs : l’entrepreneur principal qui a conclu un marché de travaux à son profit, faisant le choix de recourir à la sous-traitance, doit en supporter la logique tant juridique qu’économique.

Appelants d’un jugement du juge de l’exécution, des époux contestèrent la validité d’un jugement de 2006 sur le fondement duquel avait été pratiqués différents actes d’exécution. Leur contestation relative à la validité de la signification, effectuée selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile, fut rejetée par la cour d’appel de Rennes. Devant la cour de cassation, ils reprochèrent le rejet de leur demande de non avenu de ce jugement et, partant, de nullité des actes d’exécution réalisés en vertu de cette décision. Leurs deux moyens de cassation, développés longuement avec précision, se concentraient sur l’absence de diligences suffisantes réalisées par l’huissier de justice qui avait initialement dressé un procès-verbal de recherches infructueuses alors, notamment, qu’il connaissait l’adresse des requis en poste restante. Rejetant le pourvoi, la deuxième chambre civile juge :
« 5. Il résulte de la combinaison des articles 562 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la partie qui entend voir infirmer le chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation de la validité d’un acte de procédure, et accueillir cette contestation doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d’appel.
6. Il ressort des énonciations de l’arrêt, se référant aux dernières conclusions d’appel déposées pour M. et Mme X…, que, dans le dispositif de leurs conclusions d’appel, ces derniers se bornaient à solliciter l’infirmation du jugement frappé d’appel, sans réitérer la contestation de la validité de la signification du jugement du tribunal de commerce rejetée par ce jugement.
7. Il en résulte que la cour d’appel ne pouvait que confirmer le jugement de ce chef. »

Le lecteur qui, au vu de moyens de cassation relatifs à la signification du jugement, développés sur dix pages, s’attendait à un nouvel arrêt sur les exigences imposées aux huissiers de justice par les articles 653 et suivants du code de procédure civile, restera sur sa faim. Et même sur sa fin car la procédure civile a toujours le dernier...

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Dans le cadre d’un crédit immobilier, les établissements bancaires imposent parfois à l’emprunteur de domicilier ses revenus en leur sein (V., J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., 2019, LGDJ, Précis Domat, n° 278, p. 389, relevant que cette pratique n’est « en réalité pas si courante que cela »). Le législateur avait souhaité encadrer cette pratique en adoptant l’ordonnance n° 2017-1090 du 1er juin 2017 relative aux offres de prêt immobilier conditionnées à la domiciliation des salaires ou revenus assimilés de l’emprunteur sur un compte de paiement (prise en application de l’art. 67, II, de la loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 »), complétée par le décret n° 2017-1099 du 14 juin 2017 fixant la durée pendant laquelle le prêteur peut imposer à l’emprunteur la domiciliation de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement (V. à ce sujet, X. Delpech, Encadrement législatif de la clause de domiciliation des revenus en matière de crédit immobilier, AJ Contrat 2017. 304 ; N. Éréséo, Le nouvel encadrement légal des clauses de domiciliation des revenus in Les nouveaux contentieux en matière de crédit immobilier, LPA, n° spécial, 1er juin 2018, n° 110, p. 9 ; V. Perruchot-Triboulet, Clause de domiciliation de revenus dans les contrats de crédit immobilier régis par le code de la consommation, JCP N 2018, 1262 ; S. Piédelièvre, L’ordonnance du 1er juin 2017, les offres de prêt immobilier conditionnées à la domiciliation des salaires ou revenus, JCP N 2017. Act. 628).

Le dispositif issu de ces textes, entré en vigueur le 1er janvier 2018, ayant suscité un certain nombre de critiques (V. le rapport de la présidente du Comité consultatif du secteur financier remis au ministre Bruno Le Maire en janvier 2019), il fut par la suite abrogé par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », et ce, afin d’encourager la mobilité bancaire (V. à ce sujet, J. Lasserre Capdeville, La remise en cause du droit régissant les clauses de domiciliation par la loi Pacte, RD banc. fin., juill. 2019. Étude 10 ; La remise en cause par le projet de loi PACTE de la clause de domiciliation intéressant les contrats de crédit immobilier, JCP E 2019. 323).

Mais entre-temps, le 9 août 2017, l’Association française des usagers des banques (AFUB) avait saisi le Conseil d’État d’une requête tendant à l’annulation, pour excès de pouvoir, du décret n° 2017-1099 précité. L’AFUB soutenait tout d’abord que les textes français méconnaissaient l’objectif de facilitation de la mobilité bancaire poursuivi par les directives 2007/64, 2014/17, 2014/92 et 2015/2366 et ensuite que le décret litigieux méconnaissait ce même objectif en ce qu’il fixait à dix ans la durée maximale pendant laquelle les établissements de crédit peuvent conditionner l’octroi des avantages individualisés aux consommateurs à une telle domiciliation. Par une décision du 5 décembre 2018, le Conseil d’Etat a cependant sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de Justice de l’Union européenne se soit prononcée sur deux questions ayant trait à la conformité de la législation relative à la domiciliation bancaire au droit de l’Union européenne. La juridiction de Luxembourg s’est prononcée dans un arrêt du 15 octobre 2020 (CJUE 15 oct. 2020, aff. C-778/18, AFUB c/ Minefi, D. 2020. 2004 ; RTD com. 2020. 933, obs. D. Legeais ; JCP 2020. 1394, note J. Lasserre Capdeville ; RDC 2021/1, note J.-D. Pellier, à paraître ; Gaz. Pal., 1er déc. 2020, p. 33, obs. S. Piédelièvre), en considérant notamment que « L’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise le prêteur à imposer à l’emprunteur lors de la conclusion d’un contrat de crédit relatif aux biens immobiliers à usage résidentiel, en contrepartie d’un avantage individualisé, la domiciliation de l’ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement ouvert auprès de ce prêteur, indépendamment du montant, des échéances et de la durée du prêt », en ajoutant que ce même texte « ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle la durée de domiciliation imposée, lorsque celle-ci ne porte pas sur l’ensemble des revenus salariaux de l’emprunteur, peut atteindre dix ans ou, si elle est inférieure, la durée du contrat de crédit concerné ».

C’est donc le fait d’imposer à un emprunteur la domiciliation de l’ensemble de ses revenus au sein d’un même établissement bancaire qui pose problème. En effet, dès lors que la domiciliation bancaire s’analyse en une vente liée au sens de la directive 2014/17/UE (et non en une vente groupée), elle tombe sous le coup de la prohibition de ce type de vente formulée par l’article 12, paragraphe 1, de cette directive. Certes, le paragraphe 2 de ce texte pose des exceptions à cette prohibition, notamment en permettant aux États membres de prévoir que les prêteurs puissent demander au consommateur, à un membre de sa famille ou à un de ses proches d’« ouvrir ou de tenir un compte de paiement ou d’épargne dont la seule finalité est d’accumuler un capital pour assurer le remboursement du principal et des intérêts du prêt, de mettre en commun des ressources aux fins de l’obtention du crédit ou de fournir au prêteur des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement » (a). Mais il n’était pas certain que tel soit bien le cas de l’ancien article L. 313-25-1 du code de la consommation, dont les deux premiers alinéas prévoyaient que « Le prêteur peut conditionner l’offre de prêt mentionnée à l’article L. 313-24 à la domiciliation par l’emprunteur de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement mentionné à l’article L. 314-1 du code monétaire et financier, sous réserve pour ce prêteur de faire bénéficier en contrepartie l’emprunteur d’un avantage individualisé. Cette condition ne peut être imposée à l’emprunteur au-delà d’une durée maximale fixée par décret en Conseil d’État. Au terme du délai prévu par le contrat de crédit, l’avantage individualisé est acquis à l’emprunteur jusqu’à la fin du prêt » (V. égal., C. consom., anc. art. R. 313-21-1 : « La durée maximale de domiciliation des salaires ou revenus assimilés mentionnée à l’article L. 313-25-1 est fixée à dix ans suivant la conclusion du contrat de crédit, ou le cas échéant, de l’avenant au contrat de crédit initial. Cette durée ne peut en tout état de cause excéder celle du contrat de crédit »). C’est en effet la globalité des salaires et revenus de l’emprunteur que ce texte permettait d’attraire au sein du même établissement bancaire.

Dans ces conditions, l’on comprend que le Conseil d’État ait finalement décidé, le 4 février 2021, d’annuler le décret du 14 juin 2017. Pour ce faire, il considère qu’« Il résulte des termes mêmes de l’article L. 313-25-1 du code de la consommation, alors en vigueur, que ce dernier permet aux établissements de crédit de conditionner l’octroi d’un avantage individualisé, dans le cadre d’un contrat de crédit proposé à un emprunteur relatif à un bien immobilier, à l’engagement de domicilier, pendant une période déterminée, l’ensemble des salaires ou revenus assimilés dans cet établissement, indépendamment du montant, des échéances et de la durée d’un prêt, et non uniquement la seule partie des salaires ou des revenus assimilés de l’emprunteur correspondant à ce qui est nécessaire pour rembourser le prêt, obtenir le crédit ou de fournir au prêteur des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement. Il doit ainsi être regardé comme une vente liée, au sens de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014, prohibée par le a) du paragraphe 2 de l’article 12 de cette directive. Il en résulte que l’ensemble des dispositions de l’article L. 313-25-1 du code de la consommation, qui définissent un seul et même dispositif et sont indivisibles, ne sont pas compatibles avec les objectifs de la directive » (consid. 5). Et il poursuit en considérant qu’« Il résulte de ce qui précède que le décret attaqué du 14 juin 2017, qui a été pris en application du deuxième alinéa de l’article L. 313-25-1 du code de la consommation pour fixer la durée maximale de domiciliation obligatoire des salaires ou revenus assimilés, est dépourvu de base légale et doit, pour ce motif, être annulé » (consid. 6).

La solution est en effet irréprochable dès lors que l’ancien article L. 313-25-1 du code de la consommation laissait aux établissements bancaires la possibilité d’imposer la domiciliation de l’ensemble des salaires et revenus de l’emprunteur. Le décret pris sur le fondement de ce texte était donc voué à l’anéantissement.

On sait que le taux effectif global (dénommé taux annuel effectif global dans le cadre des crédits aux consommateurs) est une notion relativement large (V. à ce sujet, J. Chacornac in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, nos 312.60 s. ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, nos 252 s. ; J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 164). En effet, aux termes de l’article L. 314-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation, « Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l’emprunteur et connus du prêteur à la date d’émission de l’offre de crédit ou de l’avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées » (comp. anc. art. L. 313-1, al. 1er : « Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces...

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Alors que des salariés licenciés pour motif économique avaient intenté une action en responsabilité extra-contractuelle à l’encontre d’une banque ayant accordé des crédits ruineux à leur employeur et concouru à leur licenciement, la chambre sociale a eu à se prononcer sur l’objet des indemnités de licenciement déjà perçues par ces salariés – indemnité légale et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – et sur les préjudices réparés par celles-ci.

En l’espèce, une société avait, après un redressement judiciaire, licencié une partie de ses salariés pour motif économique dans le cadre d’un plan de cession partielle, le 29 avril 2004. Certains d’entre eux avaient saisi la juridiction prud’homale pour contester la validité de leur licenciement. Par des arrêts des 29 janvier et 19 mars 2009, la cour d’appel avait considéré que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse au motif que le plan de sauvegarde de l’emploi était insuffisant au regard des moyens de l’actionnaire de la société et que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement.

En parallèle, les commissaires à l’exécution du plan de la société avaient assigné en responsabilité une banque lui ayant octroyé des crédits ruineux et ayant, par conséquent, aggravé les difficultés économiques à l’origine des licenciements. Les salariés licenciés étaient intervenus volontairement à l’instance pour demander la réparation des préjudices, économique (perte de salaire pour l’avenir) et moral, nés de la perte de leur emploi et de leurs conditions de travail ainsi que la perte de chance d’un retour à l’emploi « optimisé ou équivalent ».

Par un arrêt du 2 juin 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel ayant retenu que la responsabilité de la banque était engagée envers les créanciers, mais ayant déclaré irrecevable l’intervention volontaire des salariés (Com. 2 juin 2015, n° 13-24.714, Dalloz actualité, 4 juin 2015, obs. A. Lienhard ; D. 2015. 1970, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; ibid. 2205, chron. S. Tréard, T. Gauthier et F. Arbellot ; Just. & cass. 2016. 211, avis ). La cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi le 21 juin 2018, a déclaré recevable cette intervention tout en déboutant les salariés de leurs demandes au motif que les préjudices allégués avaient déjà été indemnisés et qu’ils n’étaient pas fondés à demander deux fois l’indemnisation des mêmes préjudices.

Les salariés ont formé un pourvoi en cassation. Ils considéraient que leur demande, fondée sur le principe de réparation intégrale, visait à faire condamner la banque, dont la faute avait concouru à la réalisation du dommage, au paiement de dommages-intérêts venant réparer des préjudices distincts de ceux déjà indemnisés. Selon le moyen, les indemnités de licenciement ne les indemnisaient nullement des préjudices distincts dont ils demandaient la réparation dans le cadre de l’action en responsabilité extra-contractuelle intentée à l’encontre de la banque. Ils sollicitaient précisément « une somme équivalente aux rémunérations qu’ils auraient dû percevoir depuis leur licenciement, auxquelles s’ajoutait un montant devant couvrir le préjudice lié à la perte des conditions de travail et d’évolution de leur rémunération en raison de leurs ancienneté et compétences (15 000 €), de laquelle étaient retranchée 24 mois de droits Pôle emploi, outre les dommages et intérêts perçus en suite des arrêts rendus par la chambre sociale de la cour d’appel de Paris ».

Le 27 janvier 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que les juges du fond, « ayant constaté que les salariés licenciés pour motif économique avaient bénéficié d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi et du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement », avaient justement déduit « que les préjudices allégués par les salariés résultant de la perte de leur emploi et la perte d’une chance d’un retour à l’emploi optimisé en l’absence de moyens adéquats alloués au plan de sauvegarde de l’emploi avaient déjà été indemnisés ». Cette solution découle des précisions données par les juges du Quai de l’Horloge sur l’objet des différentes indemnités déjà perçues par les salariés licenciés.

L’indemnité légale de licenciement. La chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la nature de l’indemnité légale de licenciement (C. trav., art. L. 1234-9). Elle a pu préciser que cette indemnité trouvait sa source non dans l’exécution du contrat mais dans sa rupture. N’étant pas la contrepartie de la prestation de travail, elle n’a pas la nature de salaire (Soc. 22 mai 1986, n° 83-42.341 ; 20 oct. 1988, n° 85-45.511) mais de dommages-intérêts (Soc. 14 mars 1991, n° 89-10.366). Cette nature justifie que cette indemnité ne soit pas imposable (CGI, art. 80 duodecies) et soit exonérée de cotisations sociales (CSS, art. L. 242-1).

Pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, « l’indemnité de licenciement versée au salarié est la contrepartie du droit de résiliation unilatérale dont dispose l’employeur » et a « pour cause exclusive la rupture du contrat de travail » (Civ. 2e, 7 avr. 2011, n° 10-30.566, Dalloz actualité, 20 avr. 2011, obs. J. Marrocchella ; D. 2012. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2011. 543, obs. P. Jourdain ). Elle n’a donc pas à être prise en compte, par exemple, pour évaluer la perte des gains professionnels de la victime d’un accident de la circulation dans un contentieux l’opposant à son assureur (Civ. 2e, 11 oct. 2007, n° 06-14.611, D. 2008. 582 , note J. Mouly ; RTD civ. 2008. 111, obs. P. Jourdain ). Dans l’arrêt commenté, la chambre sociale donnait pour la première fois une définition de l’indemnité légale de licenciement, reprenant celle retenue par la deuxième chambre civile : « il résulte de l’article L. 1234-9 du code du travail que l’indemnité de licenciement, dont les modalités de calcul sont forfaitaires, est la contrepartie du droit de l’employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail ».

Cette indemnité est donc la contrepartie directe de la rupture du contrat en tant que décision de l’employeur, faisant usage de son droit de résiliation unilatérale du contrat. Cela justifie que le salarié soit privé de cette indemnité lorsqu’il a commis une faute grave (C. trav., art L. 1234-9), c’est-à-dire lorsque la rupture a pour origine un manquement du salarié rendant impossible la poursuite du contrat de travail (Soc. 27 sept. 2007, n° 06-43.867, Dalloz actualité, 10 oct. 2007, obs. A. Fabre ; D. 2007. 2538 ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta ; RDT 2007. 650, obs. G. Auzero ). La rupture n’apparaît alors plus comme une décision de l’employeur, mais comme une réaction nécessaire aux agissements d’un salarié fautif.

L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La chambre sociale rappelle ensuite l’objet de l’indemnité perçue par un salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse : « il résulte par ailleurs de l’article L. 1235-3 du même code que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi ». Ce faisant, elle s’inscrit dans le prolongement de sa jurisprudence (Soc. 13 sept. 2017, n° 16-13.578, Dalloz actualité, 27 oct. 2017, obs. B. Ines ; D. 2017. 1766 ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Dr. soc. 2017. 1074, obs. J. Mouly ).

Cette définition permet au salarié licencié de demander l’indemnisation de préjudices qui seraient distincts de ceux résultant du licenciement (Soc. 17 juill. 1996, n° 93-46.564). Il peut par exemple prétendre à une indemnisation supplémentaire lorsque le licenciement est prononcé par l’employeur dans des conditions vexatoires (Soc. 27 nov. 2001, n° 99-45.163, D. 2002. 255 ; Soc. 16 déc. 2020, n° 18-23.966, Soc., 16 déc. 2020, n° 18-23.966, D. 2021. 22 ; RDT 2021. 46, obs. D. Baugard ). Il en va de même des préjudices indirectement nés de la rupture, comme la perte du droit de lever des stock-options lorsque ce droit est conditionné à la présence du salarié dans l’entreprise à une date déterminée (Soc. 29 sept. 2004, n° 02-40.027, D. 2004. 2656, et les obs. ; Rev. sociétés 2005. 396, note B. Saintourens ; RTD civ. 2005. 396, obs. J. Mestre et B. Fages ), ou la perte de chance de bénéficier d’un avantage retraite (par ex., une « retraite chapeau », Soc. 31 mai 2011, n° 09-71.350, Dalloz actualité, 24 juin 2011, obs. A. Astaix ; D. 2011. 1623 ).

Les préjudices directement liés à la rupture injustifiée du contrat de travail sont en revanche déjà indemnisés par l’indemnité octroyée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Celle-ci répare notamment « les conséquences de la survenance de la perte injustifiée d’emploi » (Soc. 24 mai 2018, n° 16-18.307). En l’espèce, les salariés demandaient l’indemnisation des préjudices causés par la perte de leur emploi et la perte de chance d’un retour à l’emploi optimisé en raison d’un plan de sauvegarde de l’emploi non proportionné aux moyens financiers du groupe. Pour les juges du fond, dont l’analyse a été confirmée par la Cour de cassation, ces préjudices, directement causés par la rupture du contrat de travail, avaient déjà été réparés par les indemnités perçues.

Principe de réparation intégrale. Dans sa note explicative, la chambre sociale invoque le principe de réparation intégrale obligeant à réparer tout le préjudice subi (Soc. 23 nov. 2005, n° 03-40.826, D. 2005. 3037 ) mais interdisant d’accorder une réparation supérieure au dommage (Soc. 24 mai 2018, n° 16-18.307, préc.) ou d’indemniser deux fois le même préjudice (Soc. 25 sept. 2013, n° 12-20.256, Dalloz actualité, 17 oct. 2013, obs. B. Ines ; D. 2013. 2278 ; Dr. soc. 2014. 79, obs. A. Mazeaud ; hors droit du travail, v. Civ. 1re, 20 nov. 1990, n° 87-19.564, D. 1991. 455 , note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1991. 349, obs. P. Jourdain ). Si les préjudices invoqués par les salariés avaient déjà indemnisés, ces derniers ne pouvaient donc pas demander la mise en jeu de la responsabilité extra-contractuelle de la banque fautive.

Quid des indemnités plafonnées ? Il convient de noter qu’en l’espèce, les salariés avaient été indemnisés sur le fondement des textes antérieurs aux ordonnances du 22 septembre 2017 : l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse était alors calculée en fonction du préjudice effectivement subi par les salariés licenciés et ne pouvait être inférieure aux salaires des six derniers mois. En d’autres termes, le préjudice résultant de la rupture injustifiée du contrat de travail avait déjà été intégralement réparé. Un salarié licencié aujourd’hui dans les mêmes conditions percevrait une indemnité plafonnée en fonction de son ancienneté dans l’entreprise (C. trav., art. L. 1235-3).

Faut-il en conclure que cet arrêt ferme la porte à toute possibilité d’obtenir une réparation intégrale du préjudice subi lorsque celui-ci est plus important que le plafond d’indemnisation fixé par le code du travail ? Une action en responsabilité délictuelle, encouragée par la jurisprudence restrictive sur le coemploi (Soc. 2 juill. 2014, n° 13-15.208 à n° 13-21.153, Dalloz actualité, 18 sept. 2014, obs. B. Ines ; D. 2014. 1502 ; ibid. 2147, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; ibid. 2015. 829, obs. J. Porta et P. Lokiec ; Rev. sociétés 2014. 709, note A. Couret et M.-P. Schramm ; RDT 2014. 625, obs. M. Kocher ; Rev. crit. DIP 2015. 594, note F. Jault-Seseke ), ne pourrait-elle pas être l’occasion pour des salariés licenciés de demander la réparation de la part du préjudice non couverte par l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ? Une telle solution permettrait aux salariés, sans augmenter la charge financière du licenciement pour l’employeur, d’obtenir une réparation adéquate de leur préjudice lorsque des fautes commises par des tiers ont concouru à la rupture de leur contrat.

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par Jean-Denis Pellierle 11 février 2021

Civ. 1re, 20 janv. 2021, F-P, n° 19-20.680

La mise en demeure n’est pas soumise aux dispositions des articles 665 et suivants du code de procédure civile relatifs à la notification des actes en la forme ordinaire. Tel est l’enseignement que l’on peut tirer d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 janvier 2021. En l’espèce, suivant acte sous seing privé du 24 décembre 2008, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs un prêt d’un montant de 114 000 € remboursable en sept échéances annuelles. À la suite d’impayés, la banque a, par lettre recommandée du 24 mars 2014 mis en demeure les emprunteurs de payer la somme de 123 481,26 € et, par acte du 16 mai 2014, assignés ceux-ci en paiement de cette somme. La demande de la banque ayant été accueillie par un arrêt de la cour d’appel de Rennes en date du 17 mai 2019, ces derniers se pourvurent en cassation, arguant du fait que les lettres de mise en demeure étaient revenues à l’expéditeur avec la mention « non réclamé », ce dont il résultait qu’elles...

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Le contentieux post-divorce sur la révocation des donations conjugales est en voie naturelle de disparition. À l’occasion de cet arrêt du 16 décembre 2020, nous assistons sans doute à l’une des dernières représentations d’une pièce de théâtre d’un autre temps. Elle a pour enjeu le caractère révocable ou irrévocable d’une donation entre époux, selon qu’elle revêt ou non une dimension rémunératoire. La question ne se pose plus guère désormais que pour les donations conjugales entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2005, de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004. Autant dire que le spectacle se fera de plus en plus rare (sur ce contentieux v. not., J. Casey, La preuve de la donation rémunératoire et l’avocat « professionnel qualifié », AJ fam. 2016. 603 ; Rép. civ., v° Séparation de biens, par G. Yidririm, nos 429 s. ; sur la notion de donation rémunératoire, notamment son intérêt au regard de l’incapacité de recevoir à titre gratuit à laquelle elle échappe, Rép. civ., v° Donation, par I. Najjar, nos 58 s. ; Rép. civ., v° Donation entre époux, par V. Brémond, nos 27 s. ; C. Goldie-Génicon, Les libéralités rémunératoires, in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard Champenois. Liber amicorum, Defrénois, 2012, p. 347 ; P. Timbal, Des donations rémunératoires en droit romain et en droit français, thèse, Toulouse, 1925).

Lever de rideau

Sur scène, deux époux se déchirent. Mariés depuis plusieurs années sous le régime de séparation de biens, ils ne s’entendent plus. Leur divorce est prononcé par un arrêt du 9 septembre 2008 qui énonce notamment la révocation de tous les avantages matrimoniaux consentis par l’époux, sur le fondement de l’ancien article 267 du code civil. Des difficultés s’élèvent quant au règlement de leurs intérêts patrimoniaux.

Au début du premier acte, l’époux attaque : il entend obtenir la révocation des donations qu’il prétend avoir consenties à son épouse (la révocation des avantages matrimoniaux ne lui suffit visiblement pas). Il affirme lui avoir fourni des sommes par l’intermédiaire d’un compte joint. Ces sommes ont été utilisées pour l’acquisition de divers biens immobiliers : deux en indivision et deux au nom personnel de l’épouse. Or, selon l’ancien article 1096 du code civil : « Toutes donations faites entre époux pendant le mariage, quoique qualifiées entre vifs, seront toujours révocables ». Ce texte est applicable en la cause car les donations auraient été consenties avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, le 1er janvier 2005 (art. 47-III L. n° 2006-728 du 23 juin 2006).

À l’ouverture du deuxième acte, l’épouse se défend. Elle sollicite la qualification de l’opération en donation rémunératoire, ce qui exclurait toute possibilité d’en obtenir la révocation. La cour d’appel de Lyon, par arrêt du 3...

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Le 1er janvier 2021 est devenue effective la possibilité de recourir à des services en ligne de médiation, conciliation ou arbitrage. Ceci grâce à « un empilement de normes, prises à des dates diverses et qui opèrent des renvois entre elles, au risque qu’on ne les voie pas » (C. Bléry, Modalités d’accréditation des organismes certificateurs des services de MARD en ligne : un système complexe, Dalloz actualité, 13 janv. 2021). De manière assez inattendue, le décret présenté du 29 janvier 2021 apporte des modifications au régime de la certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage.

Il modifie certaines dispositions des décrets n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 relatif à la liste des médiateurs auprès de la cour d’appel et n° 2019-1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage en vue de l’établissement des listes de médiateurs par les cours d’appel et de la mise en œuvre de la certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage. Il est complété par un arrêté du 29 janvier 2021 fixant la liste des pièces justificatives à fournir pour l’inscription sur la liste prévue à l’article 22-1 A de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

Services en ligne de médiation, conciliation ou arbitrage

Loi Belloubet

Rappelons sommairement la genèse de cet ensemble (pour plus de détail, v. C. Bléry, art. préc.). L’article 4 de la loi Belloubet n° 2019-222 du 23 mars 2019 a inséré les articles 4-1 à 4-7 à la loi J21 n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : ils réglementent des services en ligne, de conciliation ou de médiation (art. 4-1), d’arbitrage (art. 4-2) ou d’aide à la saisine des juridictions (art. 4-4), précisent leur statut qui leur est plus ou moins commun (v. C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques, D. 2019. 1069 ). Ces services en ligne de médiation, de conciliation et d’arbitrage peuvent faire l’objet d’une certification délivrée par un organisme accrédité dans des conditions fixées par le décret en Conseil d’État évoqué (L. préc., art. 4-7, al. 1er et 2). Or « les conditions de délivrance et de retrait de la certification mentionnée au présent article ainsi que les conditions dans lesquelles est assurée la publicité de la liste des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage sont précisées par décret en Conseil d’État » (art. 4-7, al. 4).

Précisions réglementaires

Deux décrets ont été pris sur le fondement de cet article 4-7, alinéa 4, de la loi J21, ainsi qu’un arrêté commun afin de permettre l’entrée en vigueur de ces services annoncée au 1er janvier 2021.

Chronologiquement, ce fut d’abord le cas du décret n° 2019-1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne, réglementant « la procédure de demande de certification effectuée par les services en ligne auprès de l’organisme certificateur : celle-ci suppos[ait] un audit, une éventuelle mise en conformité avec les exigences textuelles – notamment celle du référentiel susévoqué –, les hypothèses de changements dans la situation des personnes proposant les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) en ligne, les recours en cas de refus, la publicité des listes (actualisées) des services en ligne (cette liste actualisée des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage certifiés est ainsi publiée sur le site justice.fr) » (C. Bléry, art. préc.). Il appelait un arrêté technique : « la certification mentionnée à l’article 4-7 de la loi du 18 novembre 2016 susvisée est délivrée par un organisme certificateur sur le fondement d’un référentiel mettant en œuvre les exigences mentionnées aux articles 4-1 à 4-3, 4-5 et 4-6 de la même loi et approuvé par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice » (art. 1er).

Ensuite, le décret n° 2020-1682 du 23 décembre 2020 est intervenu pour énoncer la procédure d’accréditation des organismes certificateurs délivrant la certification des services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation et d’arbitrage. Il précisait « les modalités de l’audit d’accréditation, de la suspension et du retrait de l’accréditation ainsi que les conséquences de la cessation d’activité de l’organisme certificateur » (notice). Lui aussi renvoyait à « un référentiel publié par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice » (art. 5). Les deux référentiels attendus concernant la procédure de certification des services et la procédure d’accréditation des organismes certificateurs ont été approuvés et publiés en annexes d’un arrêté du 23 décembre 2020.

Dans ce contexte, quelles sont les évolutions apportées par le décret du 29 janvier 2021 ?

Évolutions du décret du 29 janvier 2021

Régime de la certification « de plein droit » qui bénéficie aux médiateurs de consommation

D’abord, le décret présenté modifie le régime de la certification « de plein droit » qui bénéficie aux médiateurs de consommation inscrits sur la liste prévue à l’article L. 615-1 du code de la consommation, aux conciliateurs de justice et aux médiateurs inscrits dans la rubrique des services en ligne fournissant des prestations de médiation (art. 8). Contrairement à ce que prévoyait (curieusement) le décret du 25 octobre 2019 (art. 7), ils sont dorénavant exemptés d’une certification par un organisme de certification, ils en bénéficient automatiquement. S’ils n’ont plus à déposer une demande de certification, ils doivent cependant rendre public le document justifiant de leur qualité. Cette évolution se comprend à la lumière de la révision du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 relatif à la liste des médiateurs auprès de la cour d’appel opérée par le décret commenté. Une rubrique spéciale pour les services en ligne de médiation sur les listes de médiateurs auprès des cours d’appel est créée. Il est précisé que les personnes physiques ou morales proposant de tels services doivent remplir les conditions prévues par la loi Belloubet pour les services en ligne de conciliation et de médiation (art. 4-1 et 4-3 : protection des données à caractère personnel, confidentialité sauf accord des parties, information détaillée sur les modalités de la résolution amiable et interdiction du recours exclusif à un traitement automatisé de données à caractère personnel). Les médiateurs inscrits dans cette rubrique bénéficient d’une certification de plein droit désormais automatique, à la différence des médiateurs inscrits dans l’autre rubrique.

C’est ainsi que deux types de prestataires de services de médiation en ligne certifiés, selon ces nouvelles modalités, coexistent :

• d’une part, ceux qui sont inscrits sur la liste des médiateurs auprès d’une cour d’appel et pour lesquels le conseiller de cour d’appel chargé de suivre l’activité des conciliateurs de justice et des médiateurs a vérifié le respect des conditions prévues pour une telle inscription ainsi que les conditions applicables spécifiquement aux prestataires en ligne de services de conciliation ou de médiation. Pour cela, des pièces justificatives doivent lui être communiquées. Il pourra s’agir par exemple du résultat d’une certification volontaire du service de médiation en matière de données à caractère personnel ou plus généralement du résultat d’une certification comme prestataire de service en ligne de médiation. Finalement, pour être certifié de plein droit, il faut prouver qu’on « mérite » de l’être : pour cela, il sera possible de s’appuyer sur une certification volontaire. C’est le serpent qui se mord la queue. Quoi qu’il en soit, ces prestataires seront certifiés de plein droit ;

• d’autre part, les prestataires de services de médiation qui, n’étant pas inscrits sur la liste des médiateurs d’une cour d’appel, font uniquement l’objet d’une certification par un organisme de certification.

La différence entre ces deux catégories de prestataires tient donc à l’inscription ou non sur une liste de médiateurs auprès d’une cour d’appel et au rôle dévolu à l’organisme certificateur. En toute hypothèse, rappelons qu’il n’existe pas d’obligation pour les prestataires de services de conciliation, de médiation ou d’arbitrage d’être certifiés. L’objectif de la certification est de créer la confiance auprès des justiciables qui peuvent facilement en connaître au moyen d’un logo figurant sur le site du prestataire. Afin d’identifier les prestataires certifiés, la Chancellerie a développé le label « Certilis », qui est « la marque de garantie des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage », qui « garantit que le processus de résolution amiable des différends ou d’arbitrage fourni par le service en ligne respecte les obligations fixées par la loi ».

Procédure de certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage

Ensuite, d’autres dispositions du décret du 29 janvier 2021 complètent la procédure de certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage énoncée par le décret n° 2019-1089 du 25 octobre 2019. Le service en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage doit faire l’objet d’un audit de suivi (entre le 14e et le 22e mois suivant la date d’obtention de la certification), il est réalisé à distance sauf exception. Notons qu’une procédure de transfert d’une certification d’un organisme de certification à un autre est instaurée. Il s’agit de concilier l’exigence de suivi des certifications et la libre concurrence entre les organismes de certification. Par ailleurs, une procédure d’extension d’une certification antérieure est introduite. En cas de refus, de suspension ou de retrait de la certification par l’organisme certificateur, un mécanisme de recours interne est ouvert au prestataire. L’instance de recours interne doit se prononcer dans un délai de quatre mois à compter de la réception de la demande. Étonnamment, aucune garantie n’est prévue quant au statut et au fonctionnement de cette instance comme des exigences d’objectivité ou de diligence. Ce mécanisme de recours interne n’est de toute façon pas exclusif d’un recours judiciaire contre une décision de l’organisme de certification.

Interrogations et regrets persistants

Demeurent quelques interrogations et regrets :

Conformité des dispositions adoptées au droit de l’Union

Une première question n’est pas nouvelle, qui est celle de la conformité des dispositions adoptées au droit de l’Union. Les prestataires de services de conciliation, de médiation ou d’arbitrage sont des prestataires de services de la société de l’information, notion qui désigne « tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services » (dir. [UE] 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, art. 1, b). Les règles techniques les concernant, y compris les règles relatives aux services comme les dispositions administratives, doivent être notifiées à la Commission européenne (dir. préc., art. 5). S’agissant de la loi du 23 mars 2019, du décret du 25 octobre 2019, de l’arrêté du 23 décembre 2020 ou du présent décret, aucune trace d’une notification à la commission ne peut être trouvée. Quelle en serait la conséquence ? Une inopposabilité du dispositif adopté (rappr. s’agissant de la procédure de notification prévue par la directive 2000/31/CE en matière de commerce électronique, v. CJUE, gr. ch., 19 déc. 2019, aff. C-390/18, Airbnb Ireland UC, pt. 80, Dalloz actualité, 21 janv. 2020, obs. M. Thioye ; D. 2020. 11 ; ibid. 2262, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJDI 2020. 458 , obs. M. Thioye ; RDI 2020. 273, tribune Ninon Forster et A. Fuchs-Cessot ; Dalloz IP/IT 2020. 265, obs. A. Lecourt ; JT 2020, n° 226, p. 11, obs. X. Delpech ; JCP E 2020. 1129, note T. Douville et H. Gaudin, p. 48 s.) ? La portée de cette sanction serait toutefois limitée s’agissant de la certification des services de conciliation, de médiation ou d’arbitrage en ligne.

Coût de l’inscription sur la liste de conciliateurs ou médiateurs en ligne

Une autre est celle du coût imposé aux personnes qui voudraient s’inscrire sur la liste de conciliateurs ou médiateurs en ligne : obtenir la certification, même à titre de simple preuve, ne sera pas gratuit. Ce prix à payer, surtout alors que les conciliateurs sont bénévoles, ne sera-t-il pas difficilement supportable, voire carrément rédhibitoire ?

Pourquoi ne pas plutôt permettre une mise en relation des conciliateurs ou médiateurs et des parties via le Portail du justiciable ? Ce serait d’autant plus envisageable et bienvenu que certains tribunaux de commerce offrent un accès aux conciliateurs de justice du décret n° 78-381 du 20 mars 1978 : ces derniers peuvent être saisis sans forme (C. pr. civ., art. 1536), d’où la mise en relation simple, gratuite et efficace, proposée (v. le lien sur le portail des tribunaux de commerce de Versailles ou Bobigny).

Une fois de plus, nous regretterons tant la complexité des textes, accrue par leurs modifications incessantes, que la complexité des procédures qu’ils régissent, alors que le besoin de justice n’est pas suffisamment satisfait…

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L’article 145 du code de procédure civile dispose que, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

L’article 35 du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose quant à lui que « les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ». L’examen de la portée de l’article 35 en droit de l’Union a donné lieu à des études approfondies (M. Nioche, La décision provisoire en droit international privé européen, Bruylant, 2012 ; J.-F. Van Drooghenbroeck et C. De Boe, « Les mesures provisoires et conservatoires dans le règlement Bruxelles I bis », in E. Guinchard [dir.], Le nouveau règlement Bruxelles I bis, Bruylant, 2014, p. 167 ; D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, PUF, t. 1, 2017, nos 150 s. ; G. Payan [dir.], Espace judiciaire européen, Bruylant, 2020, p. 543 s.).

Du point de vue français, on peut se demander si les mesures envisageables en application de l’article 145 peuvent être qualifiées par principe de mesures provisoires ou conservatoires au sens de l’article 35. Il s’agit d’une difficulté récurrente, qui a retenu l’attention de la doctrine (par ex. H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, nos 327 s. ; G. Cuniberti, L’expertise judiciaire en droit judiciaire européen, Rev. crit. DIP 2015. 519 , spéc. nos 14 s.).

Il faut en effet souligner que les « mesures provisoires ou conservatoires » de l’article 35 constituent une notion autonome du droit européen, qui ne doit pas être interprétée au regard des conceptions du droit français et il appartient à la Cour de justice de l’Union européenne d’en déterminer les contours. Or la Cour de justice a développé une approche restrictive de cette notion. Par un arrêt du 26 mars 1992, elle a ainsi retenu qu’il y a lieu d’entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » les mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application du règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond (CJCE 26 mars 1992, aff. C-261/90, Reichert [Cts] c. Dresdner Bank AG, pt 34, D. 1992. 131 ; Rev. crit. DIP 1992. 714, note B. Ancel  ; JDI 1993. 461, obs. A. Huet). La Cour de justice a par la suite, le 28 avril 2005, fourni une illustration de cette approche, en jugeant que ne relève pas de la notion de « mesures provisoires ou conservatoires » une mesure ordonnant l’audition d’un témoin dans le but de permettre au demandeur d’évaluer l’opportunité d’une action éventuelle, de déterminer le fondement d’une telle action et d’apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre (CJCE 28 avr. 2005, aff. C-104/03, St Paul Dairy Industries NV c. Unibel Exser BVBA, D. 2005. 1376 ; ibid. 2006. 1495, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2005. 742, note E. Pataut ; ibid. 2007. 53, étude A. Nuyts ).

Pourtant, la Cour de cassation a paru s’abstraire de la perspective restrictive développée par la Cour de justice. Par un arrêt du 14 mars 2018, elle a ainsi retenu que la cour d’appel avait déduit à bon droit de l’article 35 du règlement, « sans avoir à déterminer la juridiction compétente pour connaître du fond, […] que la juridiction française était compétente pour ordonner, avant tout procès, une mesure d’expertise devant être exécutée en France et destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige » (Civ. 1re, 14 mars 2018, n° 16-19.731, Dalloz actualité, 6 avr. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 623 ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; Rev. sociétés 2018. 526, note M. Menjucq ; Rev. crit. DIP 2019. 186, note G. Cuniberti  ; JDI 2018. Comm. 15, note H. Gaudemet-Tallon ; JCP 2018. 702, note F. Mailhé ; LPA 8 juin 2018, note P. Feng et H. Meur). Cet arrêt du 14 mars 2018 ne s’est pas en effet explicitement référé aux conditions, évoquées par la Cour de justice le 26 mars 1992, concernant la finalité de la mesure, de sorte que l’on a pu croire que pour la Cour de cassation, les mesures de l’article 145 s’insèrent par principe dans le régime de l’article 35.

L’arrêt du 27 janvier 2021 montre que cette interprétation était excessive, dans une affaire dans laquelle un contrat avait été conclu par une société française et une société allemande et prévoyait une clause attributive de compétence au juge allemand. La société allemande avait, par la suite, saisi un président de tribunal de commerce en France aux fins de procéder à des investigations informatiques et à la récupération de données. La cour d’appel avait refusé d’ordonner les mesures sollicitées au motif qu’elles avaient, selon elle, pour but de préparer un procès au fond et avaient donc un caractère probatoire et non pas provisoire ou conservatoire. La décision d’appel est toutefois cassée, faute pour les juges du fond d’avoir recherché si les mesures « n’avaient pas pour objet de prémunir la société [allemande] contre un risque de dépérissement d’éléments de preuve dont la conservation pouvait commander la solution du litige ».

L’arrêt du 27 janvier 2021 renoue ainsi avec une approche plus classique que celle retenue le 14 mars 2018, en imposant de confronter les mesures sollicitées au titre de l’article 145 du code de procédure civile aux critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne à propos de l’article 35 du règlement.

Lorsque l’article 1960 du code civil énonce que « le dépositaire chargé du séquestre ne peut être déchargé avant la contestation terminée, que du consentement de toutes les parties intéressées, ou pour une cause jugée légitime. », qu’entend-il précisément par « parties intéressées » ? Voici une manière de présenter la question au cœur de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 janvier 2021. La fin du séquestre est une question épineuse (Rép. civ., v° Séquetre, par F.-J. Pansier, n° 37). La précision de ses contours reste donc toujours utile pour une technique très utilisée par la pratique contractuelle. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt sont des plus classiques dans le contentieux de la vente immobilière.

Des particuliers concluent un contrat de vente le 6 avril 2007 sur un bien immeuble pour lequel des travaux de dépollution doivent être faits par l’Agence nationale des déchets radioactifs (l’ANDRA). Une somme de 200 000 € a été ainsi prélevée sur le prix de vente et séquestrée auprès du notaire authentifiant l’acte. L’acquéreur et le vendeur ont décidé que la somme sera libérée sur présentation d’une facture de l’ANDRA par la partie la plus diligente. Le 7 avril 2011, les 200 000 € ont été versés aux parties à l’acte de vente, d’un commun accord. L’ANDRA sollicite toutefois en 2015 la libération de la somme restante due au titre...

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M. B… a été, à sa demande, libéré de ses liens avec la France, par décret du 3 août 1977, après qu’il eut acquis la nationalité suisse par naturalisation. Il a adressé au ministre de l’Intérieur, le 10 avril 2019, une demande de retrait de ce décret. C’est le rejet implicite de sa demande qu’il attaque devant le Conseil d’État. Si l’intéressé avait contesté le décret du 3 août 1977 dans le délai de recours contentieux de deux mois ouvert à compter de sa notification ou, à défaut d’une telle notification ou en l’absence d’information sur les voies et délais de recours, dans le délai raisonnable de trois ans suivant sa publication (CE 29 nov. 2019, n° 411145, Dalloz actualité, 10 déc. 2019, obs. T. Bigot ;...

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L’article 75 du code de procédure civile dispose que, « s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l’affaire soit portée ».

En matière interne, cette double exigence, de motivation et de désignation de la juridiction prétendument compétente, est une manifestation de l’exigence de loyauté qui pèse sur la partie contestant la compétence (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, 2020, n° 1572).

Lorsque le litige comporte un aspect international, l’article 75 s’impose également mais il devient nécessaire de déterminer le degré de précision s’imposant à la partie qui soulève l’incompétence de la juridiction française saisie. Doit-elle désigner la juridiction étrangère qui est, selon elle, spécialement compétente en application de la règle de conflit de juridictions et des règles de procédure civile de l’État étranger concerné ? Ou peut-elle se borner à soutenir que les juridictions compétentes sont celles de l’État étranger qu’elle indique, sans autre précision ?

La jurisprudence a longtemps fait application de l’une ou de l’autre de ces deux orientations (Rép. internat., v° Compétence internationale : matière civile et commerciale, par H. Gaudemet-Tallon, n° 212).

Un arrêt de la chambre sociale du 22 janvier 1992 (n° 90-41.599, Rev. crit. DIP 1992. 511, note H. Muir Watt ) a ainsi jugé que la partie qui soulève l’incompétence doit, dans tous les cas et à peine d’irrecevabilité,...

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L’indemnité légale de licenciement est la contrepartie du droit de l’employeur de résiliation unilatérale du contrat, tandis que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte d’emploi. Un salarié ayant déjà perçu ces deux indemnités ne peut demander l’indemnisation de préjudices déjà réparés par ces dernières – préjudices nés de la perte d’emploi et perte de chance d’un retour à l’emploi optimisé en raison d’un PSE insuffisant – dans le cadre d’une action en responsabilité extra-contractuelle.

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Auteur d'origine: lmontvalon