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L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 12 novembre 2020 dans l’affaire H… c. France, a une résonnance particulière après les arrêts rendus le 6 novembre 2019 (Civ. 1re, 24 juin 2020, n° 19-15.198, Dalloz actualité, 21 nov. 2019, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 1405 ; D. 2019. 2182 ; AJ fam. 2019. 648, obs. M. Saulier ; RJPF 1/2020, note I. Corpart) et le 24 juin 2020 (Civ. 1re, 24 juin 2020, n° 19-15.198, Dalloz actualité, 27 juill. 2020, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2020. 1405 ; AJ fam. 2020. 481, obs. J. Houssier ; ibid. 373, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RJPF 7/2020, note I. Corpart ; JCP 2020. 1071, note P. Salvage-Gerest) par la première chambre civile de la Cour de cassation. Dans ces deux affaires, il s’agissait d’appliquer l’article 371-4 du code civil à des femmes qui, après avoir mené à bien des projets parentaux avec leur compagne, se trouvaient « chassées » de la vie de l’enfant qu’elles avaient souhaité et élevé. Dans les deux cas, tout droit de visite et d’hébergement a finalement été écarté.

Dans l’espèce ayant donné lieu à la saisine de la CEDH, la requérante et Mme C…, sa compagne, ont vécu ensemble de 2000 à 2012, en concubinage d’abord puis dans le cadre d’un PACS. Le 15 octobre 2007, après recours à une PMA en Belgique, Mme C… donnait naissance à G…. Quatre mois plus tard, la requérante se mettait en disponibilité, afin d’élever « l’enfant commun » ainsi que son propre fils, né en 1995 et qui vivait avec le couple. Le projet parental commun ne fait aucun doute et est établi par divers éléments. Pourtant, quelques semaines après la rupture du PACS, en mai 2012, Mme C… s’opposait à la poursuite des relations entre G… et la requérante. Cette dernière saisissait alors le juge aux affaires familiales, sur le fondement de l’article 371-4 du code civil, d’une demande de droit de visite et d’hébergement, demande à laquelle il était fait droit.

La cour d’appel de Paris (5 juin 2014, n° 14/01098, JCP 2014. 931, obs. G. Kessler) se prononçait quelques mois plus tard. Se fondant sur de nombreux témoignages et attestations parmi lesquels plusieurs certificats du médecin traitant de l’enfant, les juges refusaient tout droit de visite et d’hébergement à la requérante, dans une décision assez fournie. En effet, après avoir relaté un certain nombre d’événements relatifs aux contacts entre l’enfant et la requérante, la cour concluait que l’enfant, à l’époque âgé de six ans, se trouvait « impliqué bien malgré lui dans un conflit de loyauté à l’égard de sa mère et de son ex-compagne » et manifestait « une hostilité franche au fait de devoir se rendre chez cette dernière dans le cadre d’un droit de visite et d’hébergement ». Les juges relevaient que l’enfant présentait en outre depuis la mise en place de ces rencontres « des manifestations somatiques sévères ». La cour d’appel en avait conclu qu’il n’était « pas de l’intérêt premier de l’enfant de poursuivre ces rencontres trop traumatisantes pour lui quels que soient les liens d’affection légitime que peut nourrir l’ex-partenaire de sa mère à son égard ».

La requérante se pourvoyait alors en cassation en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir répondu à son moyen selon lequel Mme C… instrumentalisait l’enfant et qu’il était en réalité dans l’intérêt de ce dernier de maintenir des liens avec elle. Elle faisait également grief à l’arrêt d’appel de ne pas avoir tenu compte de certaines attestations qu’elle avait fournies et d’avoir refusé d’ordonner une expertise complémentaire qui aurait pu l’éclairer. Elle invoquait en outre une décision du conseil de l’ordre des médecins, intervenue depuis le pourvoi, qui sanctionnait le médecin traitant de l’enfant pour la rédaction biaisée des certificats produits par la mère de l’enfant. D’un point de vue procédural, le pourvoi était fondé sur l’article 455 du code de procédure civile et soutenait, en substance, que l’arrêt de la cour d’appel ne satisfaisait manifestement pas aux exigences de motivation ; la requérante faisait par ailleurs expressément référence dans son mémoire à l’atteinte qui pouvait en résulter au regard du droit au respect de sa vie familiale tel qu’il est garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 octobre 2015, rejetait le pourvoi au motif que le moyen soulevé n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

C’est dans ce contexte que la requérante a saisi la CEDH. Elle se plaignait de ce que le refus de lui accorder un droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant de son ex-compagne, qu’elle avait élevé pendant les premières années de sa vie, avait violé son droit au respect de sa vie familiale tel qu’il est garanti par l’article 8 de la Convention européenne.

Nous n’insisterons pas sur l’aspect procédural de la recevabilité de la demande.

Signalons simplement que l’État français considérait que la requérante n’avait pas épuisé les voies de recours. D’une part, selon le gouvernement, son pourvoi sur le fondement de l’article 455 du code de procédure civile était voué à l’échec et « ne constituait donc pas un recours à épuiser avant de saisir la Cour » (§ 19). D’autre part, il affirmait que la requérante aurait pu saisir de nouveau le juge aux affaires familiales après la décision du conseil de l’ordre des médecins puisqu’il s’agissait d’un fait nouveau qui permettait de rediscuter du droit de visite et d’hébergement (§ 20). Enfin, le gouvernement rappelait que le droit français permet le recours en révision en cas de fraude de l’autre partie ou lorsqu’un jugement a été rendu sur des pièces reconnues fausses ou judiciairement déclarées fausses (§ 21).

En réponse, la Cour européenne des droits de l’homme indique que, « pour pleinement épuiser les voies de recours internes, il faut en principe mener la procédure interne jusqu’au juge de cassation et le saisir des griefs tirés de la Convention susceptibles d’être ensuite soumis à la Cour » (§ 27). Or la Cour constate que, « si le moyen de cassation de la requérante tendait essentiellement à dénoncer l’insuffisance de la motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris au regard des exigences de l’article 455 du code de procédure civile […], la requérante a néanmoins soulevé en substance devant la Cour de cassation le grief tiré de la méconnaissance de son droit au respect de sa vie familiale qu’elle soumet à la Cour » (§ 29). La Cour en déduit que « la requérante a mis la Cour de cassation en mesure de vérifier si l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 5 juin 2014 était conforme aux exigences de la Convention relatives à ce droit » (§ 31). Elle rappelle par ailleurs « qu’en tout état de cause, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès » (§ 32). La Cour en conclut que la requête était donc recevable. Cette recevabilité admise, restait aux juges à se prononcer sur le fond.

Sur le fond justement, on retiendra plusieurs enseignements de cet arrêt.

Tout d’abord, il est désormais bien acquis que le rôle de « parent social » de l’enfant endossé par la compagne d’une femme ayant accouché est parfaitement reconnu par l’État français (§ 35 et 42) et par la CEDH (§ 50 ; v. déjà CEDH, gr. ch., 19 févr. 2013, X et autres c. Autriche, req. n° 19010/07, Dalloz actualité, 26 févr. 2013, obs. I. Gallmeister ; AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 502, obs. I. Gallmeister ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2013. 227, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 329, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 363, obs. J. Hauser ; 31 août 2010, Gas et Dubois c. France, req. n° 25951/07, Dalloz actualité, 8 oct. 2010, obs. I. Gallmeister ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2012. 1241, obs. I. Gallmeister , note A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 2013. 663, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 220, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 163, point de vue F. Chénedé ; RTD civ. 2012. 275, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 306, obs. J. Hauser ) comme créant des liens familiaux entrant dans le champ de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (et même, du point de vue de la Cour de cassation, dans le champ du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, Civ. 1re, 6 nov. 2019, préc.). Il y a donc bien une vie familiale à protéger en maintenant les liens de l’enfant avec la personne qui l’a élevé, en particulier dans le cadre d’un projet parental commun.

Ensuite, cet arrêt était l’occasion de connaître la position de la CEDH sur la conformité de l’article 371-4 du code civil au droit au respect de la vie familiale ainsi constituée, tel qu’il est garanti par l’article 8 de la Convention européenne. On rappellera que la Cour de cassation a récemment dû se prononcer sur la constitutionnalité de cet article puis sur sa conventionnalité. À cette occasion, la première chambre civile a affirmé coup sur coup que « l’article 371-4 du code civil, qui tend, en cas de séparation, à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant et le maintien des liens de celui-ci avec l’ancienne compagne ou l’ancien compagnon de sa mère ou de son père, lorsque des liens affectifs durables ont été noués, ne saurait méconnaître le droit de mener une vie familiale normale » garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Civ. 1re, 6 nov. 2019, préc.) et qu’« en ce qu’il tend, en cas de séparation du couple, à concilier le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés et l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne saurait, en lui-même, méconnaître les exigences conventionnelles résultant des articles 3, § 1, de la Convention de New York et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (Civ. 1re, 24 juin 2020, préc.). La haute juridiction avait en conséquence rejeté la demande aux fins d’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme (ibid.). La décision sous examen constituait donc un moment de vérité pour la jurisprudence de la Cour de cassation.

On peut considérer que l’arrêt de la CEDH « valide » la solution retenue par les juridictions internes même si le raisonnement tenu par les juges européens diffère quelque peu de celui mené par la Cour de cassation. Il faut dire que la question même de la conventionnalité de l’article 371-4 du code civil n’était pas directement soulevée. En effet, la requérante déclarait « ne contester ni la légalité ni la nécessité du critère de l’intérêt de l’enfant tel que visé par l’article 371-4 du code civil » (§ 38). Pour elle, c’est l’application défaillante de cet article par la cour d’appel qui a conduit à l’atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale (ibid.). De son côté, le gouvernement déclarait ne pas contester que « le refus de droit de visite et d’hébergement opposé à la requérante constitue une ingérence dans sa vie familiale » (§ 42). Il estime cependant que « cette ingérence était prévue par la loi – l’article 371-4, alinéa 2, du code civil –, poursuivait un but légitime – l’intérêt de l’enfant – et était nécessaire dans une société démocratique » (ibid.). C’était aborder la question sous l’angle des obligations négatives qui exigent essentiellement des États qu’ils s’abstiennent de toute ingérence dans l’exercice des droits reconnus par la Convention. Or, pour la CEDH, conformément à sa jurisprudence passée (et not. CEDH 27 avril 2010, Moretti et Benedetti c. Italie, req. n° 16318/07, § 60, AJ fam. 2012. 144, obs. M. Rouillard ), il ne s’agit pas ici simplement de « prémunir l’individu contre d’éventuelles ingérences arbitraires des pouvoirs publics » mais plutôt de mettre à la charge des États une obligation positive consistant à permettre le « respect effectif de la vie familiale » (§ 53). Dans cette perspective, la Cour a relevé que le cadre légal français avait « donné à la requérante la possibilité d’obtenir un examen judiciaire de la question de la préservation du lien qu’elle avait développé avec G…, possibilité dont elle a usé » (§ 58). Elle va plus loin en considérant que l’atteinte au droit de la requérante ne résulte pas d’une décision ou d’un acte d’une autorité publique mais est la conséquence de la séparation de cette dernière et de la mère (§ 53). Donc on peut considérer qu’en lui-même le système français qui permet au tiers qui a élevé l’enfant de maintenir des liens avec lui par le biais de l’article 371-4 du code civil est approuvé dans son principe.

Il ne restait plus à la Cour qu’à vérifier si, dans leur application à l’espèce de cet article, les juridictions internes avaient ou non violé l’article 8 de la Convention européenne. La Cour commence par rappeler « qu’en matière d’obligations positives comme en matière d’obligations négatives, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble » (§ 55) et que « les États parties jouissent d’une certaine marge d’appréciation, laquelle est de façon générale ample lorsque les autorités publiques doivent ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention » (§ 55 ; v., parmi d’autres, Moretti et Benedetti c. Italie, préc., § 60 et 63). Elle souligne que tel était bien le cas en l’espèce « dès lors notamment qu’étaient en jeu, non seulement le droit au respect de la vie familiale de la requérante mais aussi le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits de G… au regard de l’article 8 de la Convention ainsi que les droits de C… au regard de cette disposition » (§ 55).

Ainsi, après avoir rappelé que la Cour « n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire » (§ 56), les juges ont donc vérifié si, en l’espèce, l’État français avait ménagé un juste équilibre entre les intérêts en question. À cette occasion, la Cour est très claire sur la « hiérarchie » à opérer entre les intérêts en présence puisqu’elle affirme à plusieurs reprises (§ 57, 60 et 66) et conformément à sa jurisprudence antérieure (v. not. Moretti et Benedetti c. Italie, préc., spéc. § 67), que, dans cette recherche d’équilibre, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer ».

Reprenant l’arrêt de la cour d’appel de Paris, elle relève que celui-ci est « attentivement motivé, notamment en ce qui concerne la caractérisation de l’intérêt supérieur de l’enfant » (§ 60) et elle souligne différents passages (§ 60 et 61) démontrant selon elle que la décision prise par les juges parisiens était bien fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Dès lors, la Cour n’ayant « pas pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de visite et d’hébergement, ne saurait mettre en cause la conclusion que la cour d’appel a tirée de ces constats, selon laquelle il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de poursuivre ses rencontres avec la requérante » (§ 61).

Là encore, c’est une confirmation de la jurisprudence interne récente puisque, dans l’arrêt précité du 24 juin 2020 (préc.), la Cour de cassation avait adopté une démarche similaire. En effet, après avoir écarté l’inconventionnalité de l’article 371-4 du code civil, elle avait repris en détail les différents motifs qui avaient amené la cour d’appel à refuser à la demanderesse tout droit de visite et d’hébergement sur l’enfant. Puis, tout en s’en remettant logiquement à la souveraineté des juges du fond quant à l’appréciation des divers éléments relevés au regard de l’intérêt de l’enfant, elle avait retenu, pour rejeter le pourvoi, que les juges du fond avaient, par une décision motivée, tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, comme elle l’avait fait notamment dans sa décision Moretti et Benedetti c. Italie (préc., spéc. § 27 et renvoyant à CEDH 21 juin 2007, Havelka et autres c. République tchèque, req. n° 23499/06, § 34-35 ; 26 févr. 2002, Kutzner c. Allemagne, req. n° 46544/99, § 56 ; 26 oct. 2006, Wallová et Walla c. République tchèque, req. n° 23848/04, § 47), dans laquelle les requérants mettaient en cause les manquements du processus décisionnel ayant débouché sur l’ingérence et la rupture des liens avec l’enfant, la CEDH se prononce également sur les aspects procéduraux soulevés par la requérante. En effet, celle-ci se plaignait longuement du refus d’ordonner une expertise complémentaire et du fait que la cour d’appel aurait ignoré de nombreuses pièces fournies par elle et ne se serait fondée que sur des pièces produites par la mère de l’enfant. Pour la requérante, ces manquements d’ordre procédural avaient abouti à la priver de son droit de mener une vie familiale normale.

La Cour rappelle alors qu’elle reconnaît aux États parties une très large marge de manœuvre en matière d’administration de la preuve, « sous réserve qu’ils ne se livrent pas à l’arbitraire » et qu’il revient aux juridictions internes d’apprécier la valeur probante des éléments qui leur sont soumis (§ 64). Les juges retiennent ensuite que, compte tenu de la motivation très fournie de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, « rien ne permet […] de considérer que la cour d’appel de Paris aurait omis de prendre en compte les éléments produits par la requérante » et la Cour ne voit donc pas de raison de remettre en cause la démarche de la cour d’appel (ibid.).

La Cour européenne des droits de l’homme en conclut donc l’État français n’a pas méconnu son obligation positive de garantir le respect effectif du droit de la requérante à sa vie familiale et qu’il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention européenne.

On retiendra en conclusion que, même si le système mis en place par le droit français permet en principe aux juges de répondre à l’obligation positive pesant sur l’État français de préserver les liens familiaux créés de facto entre un tiers et un enfant qu’il a élevé, il reste sans doute mal adapté aux hypothèses de projet parental commun des couples homoparentaux. On sait que c’est l’une des raisons pour lesquelles le parlement français réfléchit, en cas de recours à une procréation médicalement assistée dans les couples de femmes, à un système d’établissement d’un double lien de filiation, en amont de la naissance de l’enfant. Cela devrait permettre d’améliorer le respect de la vie familiale des adultes tout en préservant, il faut l’espérer, l’intérêt des enfants concernés…

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par Guillaume Payanle 18 décembre 2020

Civ. 2e, 19 nov. 2020, F-P+B+I, n° 19-17.931

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation rappelle utilement les contours du domaine d’application du sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution.

Pour rappel, la possibilité de demander un sursis à l’exécution, visée à l’article R. 121-22 du code des procédures civiles d’exécution, permet de remédier aux conséquences irrémédiables que pourrait avoir la règle de l’exécution immédiate des décisions prononcées par le juge de l’exécution. En cas d’appel, une telle demande de sursis doit être formée – par assignation en référé délivrée à la partie adverse – auprès du premier président et son auteur doit démontrer qu’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision du juge de l’exécution déférée à la cour d’appel. Le pouvoir réglementaire a entendu conférer d’importants effets à la formulation de cette demande. Ainsi, jusqu’à la date du prononcé de l’ordonnance du premier président, elle suspend les poursuites lorsque la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation. À l’inverse, elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires, lorsque la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la / des mesure(s) litigieuse(s).

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D’emblée l’on doit préciser la portée du rapport sur les professions qu’il vise. Quand on évoque les professions du droit et du chiffre, l’on pense immédiatement à l’expert-comptable (v. par ex. R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle, l’exemple des professions du droit et du chiffre, Defrénois/Lextenso éditions, 2014). Or le périmètre de la mission concerne les professions suivantes : avocats aux conseils, avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers auprès des tribunaux de commerce, commissaires aux comptes, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires.

Tout en soulignant la difficulté d’obtenir des statistiques et leur manque de fiabilité, le rapport relève des insuffisances avérées. On évoquera ici la profession d’avocat car, avec environ 70 000 membres, elle possède l’effectif le plus important, en augmentation constante, avec la responsabilité disciplinaire la plus ancienne (elle date de la restauration du barreau par le décret du 14 décembre 1810). Les derniers chiffres font apparaître cent dix saisines en 2019, chiffre qui baisse d’année en année, comme si les vertus déontologiques des avocats s’accroissaient avec leur nombre : davantage d’inscrits, moins de poursuites. Celles qui proviennent des parquets généraux sont dérisoires quand elles ne sont pas inexistantes. Pour les notaires, avec un effectif moindre, il est vrai (15 720 au 31 octobre 2020), il n’y a eu que soixante-deux poursuites disciplinaires en 2019. Ainsi, il y a des instances disciplinaires, notamment des cours d’appel, qui ne siègent pas une fois par an pour la discipline des professions envisagées.

Le rapport est respectueux des professions et n’emploie pas de mots qui fâchent. Le corporatisme, ce poison, est appelé l’entre-soi, mais son influence, inspirée par la peur du scandale, est parfaitement décrite. Il est aussi nocif en matière disciplinaire qu’en matière de responsabilité civile tant pour l’avocat (Y. Avril, L’assurance obligatoire de l’avocat, D. avocats 2017. 180 ) que pour le notaire (R. Bigot, op. cit., n° 542).

Pour les avocats, des projets de réforme ont été présentés de façon aboutie, mais n’ont jamais connu que le sort des vœux pieux (Observations du Conseil national des barreaux, assemblée générale des 10 et 11 févr. 2012). Le rapport présente un intérêt nouveau : la proposition de créer un droit commun disciplinaire. Cette perspective jusqu’ici n’avait émané que de la doctrine (P. Ancel et J. Moret-Bailly [dir.], Vers un droit commun disciplinaire ?, Publication de l’Université de Saint-Étienne, 2007).

D’un rapport exprimé sur 92 pages, on retiendra la proposition de vingt-cinq mesures. La réforme commencerait par une implication et une surveillance accrue de la Direction des affaires civiles et du Sceau et des parquets généraux avec l’appoint des professions du droit. Un régime commun serait appliqué aux professions du droit, tant pour une déontologie à codifier que pour un régime identique de responsabilité disciplinaire. Dans la procédure, à différents stades, une possibilité d’information et d’intervention serait réservée au public. Des sanctions disciplinaires seraient communes et un fichier national des sanctions tenu par la Direction des affaires civiles et du Sceau avec une typologie détaillée des manquements poursuivis.

Un nouveau pouvoir serait donné aux bâtonniers, celui du rappel à l’ordre, qui viendrait remplacer le parfum désuet de l’admonestation. Il s’exercerait à charge d’en informer le parquet général.

Des services d’enquête seraient formés au niveau de l’instance régionale composée sur le modèle échevinal dans le ressort de chaque cour d’appel. Pour l’appel, une commission nationale serait créée.

Actuellement, l’activité de la Direction des affaires civiles et du Sceau ferait l’objet d’un rapport sur la surveillance et la discipline avec des mesures de publicité adaptée.

Des recommandations sont faites pour une meilleure formation en déontologie qui pourrait être envisagée dans une formation continue régulière et obligatoire.

L’homogénéité des régimes présenterait des avantages pour la crédibilité et la confiance nécessaire des citoyens. Ce souci rejoint l’honneur des professionnels. Une justice de qualité doit être comprise aisément et la simplification y contribuerait. L’unité de juridictions éparses permettrait d’avoir des juges plus expérimentés et des sanctions d’un autre âge disparaîtraient. On pense ici à la censure simple ou à la censure devant la chambre assemblée pour les notaires qui relèvent actuellement de deux juridictions distinctes.

Dotée de telles conditions, une réforme ne relève plus de la compétence du gouvernement. Il sera nécessaire de saisir le législateur, ce que le rapport appelle « un processus légistique ». Les rapporteurs indiquent qu’une réforme d’ampleur suppose de nouveaux moyens, matériels et humains. Ces moyens seront-ils accordés ? Ils sont indispensables.

La réforme intervenue, l’on souffrira moins à la lecture de certaines décisions judiciaires. On pense à la décision récente (Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 19-10.939 P, Dalloz actualité, 14 févr. 2020, obs. D. Landry ; D. 2020. 1509 , note B. Beignier ; D. avocats 2020. 77 et les obs. ; Lexbase avocats, n° 301, 5 mars 2020, note Y. Avril) qui refuse l’honorariat à un avocat, ce qui n’est pas une sanction. Bâtonnier, celui-ci avait prélevé sur des fonds destinés à la Caisse nationale des barreaux français le montant de la liste civile pour ne pas subir une trésorerie insuffisante de l’ordre. Après des années de procédure, l’avocat avait fini par combler des comptes CARPA débiteurs. Il n’a jamais été poursuivi devant l’instance disciplinaire.

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À la lecture de cette décision, le non-juriste ne trouverait rien à redire. Sans doute, saluerait-il une décision de bon sens ou de logique. En se penchant sur cet arrêt, le juriste, en revanche, bondit sur sa chaise tel un cabri qui s’entendrait susurrer d’une voix chevrotante qu’il est en présence d’un arrêt important. Ainsi, le commentateur en quête de nouveautés, épiant les moindres soubresauts de la Cour de cassation et flairant les éventuels revirements devine, immédiatement, les possibles conséquences de cette décision.

Un enfant de onze ans et sa mère sont en visite chez un couple d’amis. Dans la maison, l’enfant s’empare d’un pistolet de défense. En le manipulant, il se blesse grièvement. La mère du mineur assigne le couple d’amis et leur assureur huit ans plus tard sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. Les premiers juges rendent une décision défavorable au jeune homme. Ce dernier, devenu majeur entre temps, interjette appel de la décision. Nous sommes alors déjà le 26 avril 2019, douze ans après les faits, quand la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion rend son arrêt, cette fois, en faveur de la victime. Le couple chez qui s’est déroulé le drame, ainsi que leur assureur, forment un pourvoi devant la Cour de cassation. Le pourvoi est composé d’un moyen divisé en trois branches mais la Cour de cassation ne répondra qu’à la première, jugeant que les autres sont suffisamment motivées ou ne sont pas de nature à entraîner la cassation. Dans la première branche, ils reprochent aux juges du fond d’avoir considéré qu’il n’y avait pas eu transfert de garde du pistolet. Les époux font valoir que le gardien d’une chose est celui qui en a l’usage, le contrôle et la direction et que c’est donc la victime qui était gardienne de l’arme au moment des faits. Ils rappellent, en sus, des éléments de faits propres à corroborer leurs allégations : la victime s’est introduite seule et sans autorisation dans le sous-sol des époux ; elle s’est emparée à leur insu de l’arme et des munitions qui y étaient entreposées, et s’est blessée elle-même sous l’effet de ses manipulations.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en s’appuyant sur les éléments donnés par les juges du fond. Elle procède alors en deux temps qui visent, chacun, à invalider la thèse du transfert de garde. Dans un premier temps, elle rappelle que ce sont les conditions dans lesquelles ont été entreposées l’arme qui ont permis à l’enfant de s’en emparer, peu important que ce dernier ait eu l’autorisation de se rendre dans le lieu où elle s’y trouvait. Dans un second temps, les juges du droit font un parallèle entre l’âge de la victime au moment des faits, onze ans, et son incapacité à être gardien d’une chose.

Le problème du transfert de garde. Être gardien d’une chose signifie en avoir l’usage, le contrôle et la direction. Ces caractéristiques ont été posées dans le célèbre arrêt Franck du 2 décembre 1941 (Cass., ch. réun., 2 déc. 1941, DC 1942. 25, rapp. P. Lagarde et note G. Ripert ; S. 1941. 1. 17, note H. Mazeaud ; JCP 1942. II, n° 1766, note Mihura). Le principal intérêt de cet arrêt est de permettre de reconnaître la qualité de gardien d’une chose à une autre personne que son propriétaire. Dans l’arrêt, Franck, le voleur d’une automobile fut considéré comme le gardien de celle-ci, ce qui empêcha son propriétaire d’être jugé responsable des dommages causés par celui qui s’en était octroyé l’usage, le contrôle et la direction. Ainsi, grâce à cet arrêt, la présomption quasi-légale (v., P. Mimin, Les présomptions quasi-légales, JCP 1946. I, p. 578 ; P. Brun, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, thèse Grenoble II, 1993, p. 106) qui pèse sur les propriétaires de choses peut être renversée en prouvant qu’il y a eu un transfert de garde (V. Req. 12 jan. 1927, DP 1927. I. 145, note R. Savatier ; S. 1927. 1. 129, note H. Mazeaud). Les auteurs parlent alors d’une conception matérielle de la garde – qui se rapporte à celui qui est gardien de fait – et non d’une conception juridique de la garde, qui se rapporte à celui qui est gardien en raison du droit réel qu’il a sur la chose (V. not., A. Bénabent, Droit des obligations, 15e éd., LGDJ, n° 590, 448 ; P. Brun, Droit de la responsabilité civile (Œuvre collective), éd. Wolters Kluwer, n° 260-35 ; P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats (Œuvre collective), Dalloz Action 2018-2019, n° 2221.152).

Malgré la consécration de la conception matérielle de la garde, il n’est pas rare que les juges de la Cour de cassation – qui se réservent le droit de contrôler la notion – (V. Civ. 2e, 21 nov. 1990, n° 89-19.401, Gaz. Pal. 1991. Pan. 61 ; RTD civ. 1991. 345, obs. P. Jourdain ; 9 déc. 1992, n° 91-16.954, Gaz. Pal. 1993. 1. Pan. 126 ; 21 oct. 1999, n° 98-10.945 ; 7 oct. 2004, n° 03-11.498, D. 2004. 2835 ; 26 oct. 2017, n° 16-24.703) rendent des décisions paraissant se conformer à la conception juridique de la garde en validant des arrêts d’appel défavorables aux propriétaires (Civ. 2e, 18 déc. 1967 ; 15 nov. 1978, n° 77-10.152 ; 3 mars 2011, n° 09-69.658, D. 2011. 2694, obs. F. G. Trébulle ). C’est le cas en l’espèce, car il est impossible d’admettre que le propriétaire avait véritablement le contrôle, l’usage et la direction de l’arme alors qu’elle se trouvait dans les mains d’un autre. Les faits de l’espèce montrent, par ailleurs, que la victime s’est emparée du revolver sans l’autorisation de son propriétaire, à son insu, et s’est blessée toute seule. Cet arrêt rend très difficile la possibilité de retenir un transfert matériel de la garde. Il doit être placé dans le contexte d’une décision rendue peu de temps après une autre ayant refusé, elle aussi, d’admettre le transfert de la garde sur le fondement de la responsabilité du fait de l’animal (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 19-14.678, D. 2020. 1704 , note B. Waltz-Teracol ).

Cet arrêt est critiquable en ce qu’il fait peser sur le propriétaire une sorte d’obligation générale de surveillance sur son patrimoine. La décision est rendue, inévitablement, au regard de la nature particulière des faits et notamment au regard de la dangerosité de la chose à l’origine du dommage. Cependant, mal utilisé, un pistolet de défense n’est pas moins dangereux qu’une brique ou une lampe dans les mains d’une personne maladroite. Le propriétaire doit-il veiller et être tenu à la bonne utilisation de tous ses biens alors même que ces derniers ont été empruntés ou, demain, subtilisés ? L’arrêt admet que l’enfant a eu l’usage de l’arme mais ne pouvait en avoir le contrôle et la direction. Pourtant celui qui use de la chose ne peut être que celui qui en a la disposition matérielle. La décision a, en sus, pour conséquence de faire resurgir la faute au sein du régime de responsabilité du fait des choses, car il n’est finalement rien reproché d’autre, au couple, que d’avoir commis une faute de négligence. C’est le sens de l’arrêt quand il fait décision aux « conditions dans lesquelles l’arme était entreposée [qui] ont permis son appréhension matérielle par l’enfant ». À travers les critères de la direction et du contrôle, la faute réapparaît. Toutefois, sur ce point, la responsabilité du fait des choses a souvent été regardée comme une responsabilité pour faute dans la garde…

Le problème de l’âge de la victime. L’âge de la victime entre indéniablement en compte dans la décision prise. La Cour de cassation ne s’en cache pas : « De ses constatations et énonciations, faisant ressortir que l’enfant, âgé de onze ans, ne pouvait être considéré comme ayant acquis les pouvoirs de direction et de contrôle sur l’arme dont il avait fait usage ». Ainsi formulée, il pourrait être avancé qu’un enfant de onze ans n’est jamais en mesure d’acquérir les pouvoirs de direction et de contrôle pour des choses dangereuses. Il ne faudrait pas qu’en généralisant la solution, un enfant ne puisse plus être considéré comme gardien d’une chose. Il faut sans doute plus voir ici une solution d’opportunité qu’un infléchissement de la solution portée par l’arrêt de l’Assemblée plénière du 9 mai 1984 – Derguini – ? Faudrait-il, cependant, admettre que la qualité de mineur est incompatible avec celle de gardien tout comme cette dernière l’est avec la qualité de préposé dans la responsabilité des commettants ? La publicité conférée à cette décision (F-P+B+I) suppose en tout cas un durcissement de l’appréciation de la conception matérielle de la garde.

Il a, pourtant, déjà existé des décisions refusant le transfert de garde à un enfant. Dans un arrêt du 24 mai 1989, la Cour de cassation avait souscrit à l’analyse de juges du fond qui avaient déclaré responsables, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, des grands-parents dont le petit-fils avait décroché sans autorisation un fusil de guerre armé dans la cave de leur maison et blessé accidentellement son frère (Civ. 2e, 24 mai 1989, n° 88-12.558). Le raisonnement opéré était très semblable à celui de de notre espèce puisque, pour juger que les grands-parents étaient restés gardien de la chose, la Cour de cassation avait repris le passage de l’arrêt d’appel qui énonçait que : « cette appréhension matérielle de l’arme par Dominique D… rendue possible par sa position accessible dans une pièce où était rangée la canne à pêche des enfants, ne lui conférait pas les pouvoirs de contrôle et de surveillance sur l’arme ». Dans l’arrêt du 26 novembre 2020, l’expression « appréhension matérielle » est reprise : « les conditions dans lesquelles l’arme était entreposée ont permis son appréhension matérielle par l’enfant ». Il faut toutefois noter que l’arrêt du 24 mai 1989 est un inédit quand celui du 26 novembre 2020 fait l’objet d’une large publication. Au moins un autre arrêt avait quant à lui, admis le transfert de la garde de fusées contre la grêle à un enfant de treize qui se blessa en les utilisant (Civ. 2e, 17 oct. 1990, n° 89-17.008, RTD civ. 1991. 345, obs. P. Jourdain ) et ce dernier était publié. Les remarques d’une partie de la doctrine ne sont sans doute pas pour rien dans la prise en compte de l’âge du civilement responsable. Certains auteurs considérant qu’il n’est sans doute pas opportun de conférer la qualité de gardien à des enfants sans discernement (V. not., P. Brun, op. cit., n° 260-47). Mais si la qualité de gardien devient incompatible avec le jeune âge de l’enfant, quel seuil d’âge retiendra la Cour de cassation ? On peut aussi se demander si le jeune enfant demeurera responsable sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

L’arrêt laisse en tout cas préfigurer l’émergence d’une jurisprudence propre aux choses dangereuses sous la garde d’adultes qui devront être extrêmement vigilants. Cela conduira à une prise en compte plus systématique de la capacité des gardiens à prévenir la survenance du dommage, lorsqu’ils ont en leur possession des biens dangereux, ce qui constituera un critère déterminant pour juger du transfert de la garde. Pour s’exonérer, le propriétaire devra donc prouver qu’il a bien pris toutes les mesures nécessaires propres à éviter que n’importe qui puisse se blesser ou heurter son entourage. Cela peut consister dans la fourniture d’informations précises sur le fonctionnement de la chose par exemple.

Le lecteur juriste ou non s’étonnera en tout cas de l’absence d’un partage de responsabilité. Le régime de la responsabilité du fait des choses offre tout de même la possibilité au gardien de s’exonérer en partie en montrant que la victime a commis une faute ayant contribué à son dommage. Cette cause d’exonération aurait pu alléger le sentiment de sévérité à l’encontre des propriétaires que l’on peut éprouver en lisant l’arrêt. À la lecture des autres banches du moyen et de l’arrêt d’appel, cette absence semble imputable aux conseils des parties.

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Il y a six mois la Cour de cassation avait reconnu qu’une présomption conventionnelle de contribution quotidienne aux charges du mariage est parfois une clause de non-recours ayant la portée d’une fin de non-recevoir pour le passé mais qu’elle ne peut empêcher un recours pour l’avenir (Civ. 1re, 13 mai 2020, FS-P+B, n° 19-11.444, Dalloz actualité, 18 juin 2020, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2020. 1173 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2020. 362, obs. J. Casey ; RJPF 2020/7, p. 23, obs. J. Dubarry ; JCP N 2020. 1171, obs. S. Bernard ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, p. 65 s., obs. S. Deville ; LEFP juill. 2020, p. 6, obs. N. Peterka ; Dr. fam. 2020/9, comm. 120, obs. S. Torricelli ; Defrénois 3 déc. 2020, n° 166j9, p. 34, obs. I. Dauriac ; Gaz. Pal. 6 oct. 2020, n° 388h4, p. 68, obs. É. Mulon ; LPA 20 juill. 2020, n° 154t9, p. 16, obs. E. Rançon). Cette nouvelle lecture de l’aménagement des conventions matrimoniales contraste avec l’arrêt rendu ce 18 novembre 2020, qui réaffirme une solution classique quant à la portée probatoire de cet aménagement controversé de la convention matrimoniale.

Deux époux mariés sous un régime de séparation de biens avaient stipulé une clause libellée en ce termes : « Les époux contribueront aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre ». Au cours du mariage l’épouse avait remboursé sur ses deniers personnels l’emprunt contracté par le couple pour l’édification, sur un terrain appartenant à l’époux, d’une maison devenue par la suite le logement de la famille. À la suite du prononcé du divorce, des difficultés se sont élevées quant au règlement des intérêts patrimoniaux des parties. Dans ce cadre, l’ex-épouse sollicita le remboursement d’une somme de 74 723,19 € au titre d’une créance entre époux, demande qui fut accueillie par la cour d’appel de Nîmes le 20 février 2019. La motivation des juges du fond était cependant maladroite car, tout en reconnaissant le caractère irréfragable de la présomption énoncée par la clause, les magistrats nîmois ont estimé que cela n’empêchait pas un époux « de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives » de sorte que « si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace ». Elle suivait en cela une certaine doctrine selon laquelle le caractère irréfragable empêche uniquement de rapporter la preuve d’une sous-contribution et non celle d’une sur-contribution (v. infra).

Pourvoi est formé en cassation. Le moyen mettait en évidence la portée logique d’une présomption qualifiée d’irréfragable : elle « interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre d’entre eux ne se serait pas acquitté de son obligation » de sorte « qu’un époux ne peut se prétendre créancier de l’autre au titre du remboursement d’un emprunt bancaire contracté pour la construction du logement familial, lequel participe de l’exécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Ainsi la question posée à la Cour de cassation était-elle biaisée. Il ne s’agissait pas tant de s’interroger sur le caractère simple ou irréfragable de la présomption que sur les effets d’une présomption irréfragable. Une présomption conventionnelle irréfragable de contribution aux charges du mariage empêche-t-elle les époux de rapporter la preuve d’une sur-contribution et/ou d’une sous-contribution ?

L’arrêt d’appel est censuré au double visa des articles 214 et 1537 du code civil. En clarifiant la portée d’une présomption irréfragable de contribution aux charges du mariage, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme nécessairement qu’une telle présomption est valable. Les juges du droit auraient pourtant pu saisir cette occasion pour condamner la pratique de telles clauses, qui sont à la fois contraires à l’impérativité de l’article 214 du code civil et à la prohibition des présomptions conventionnelles irréfragable. C’est tout l’inverse.

La Cour rappelle d’abord que les juges du fond sont souverains quant à l’interprétation de la portée de la présomption (v. déjà, Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892, Bull. civ. I, n° 189 ; D. 2013. 2682 , note A. Molière ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 647, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2013. 821, obs. J. Hauser ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille ; ibid. 703, obs. B. Vareille ).

Elle précise ensuite la portée exacte d’une présomption irréfragable de contribution quotidienne aux charges du mariage : « un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution ». Cette solution n’est pas inédite (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.349, D. 2015. 864 ; ibid. 1408, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2094, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2015. 297, obs. J. Casey ; RTD civ. 2015. 362, obs. J. Hauser ; ibid. 687, obs. B. Vareille ; 3 oct. 2018, n° 17-25.858, D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2018. 697, obs. J. Casey ; JCP N 2019. 1174, note A. Karm) mais c’est la première fois que la portée de la clause est décrite avec autant de précisions. La présomption ne porte pas uniquement sur l’exécution de l’obligation mais sur la mesure de celle-ci. Non-seulement les époux sont présumés avoir exécuté leur obligation légale, mais ils sont présumés l’avoir exécutée dans l’exacte mesure que leur impose la loi, c’est-à-dire à proportion de leurs facultés respectives. Aucun d’eux ne peut donc être considéré comme ayant trop ou trop peu contribué.

Outre cette précision qui transcende la distinction entre « sur » et « sous » contribution, la solution est classique, tant sur le pouvoir d’appréciation des juges du fond que sur la possibilité de stipuler une présomption irréfragable. Néanmoins l’on attendait beaucoup mieux de la Cour de cassation au regard notamment des nombreux commentaires doctrinaux de l’arrêt rendu le 13 mai dernier. La réaffirmation de cette solution apparaît problématique à plusieurs égards. Elle contredit l’évolution du droit des contrats sur la preuve (I). Elle sape gravement l’autorité de l’article 214 du code civil qui est pourtant un texte impératif (II). Elle doit être articulée avec la qualification de « clause de non-recours », qui semble pouvoir s’ajouter à celle de « présomption irréfragable » (III).

I - La contrariété au droit des contrats sur la preuve

Selon le nouvel article 1356 du code civil (ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, art. 4), les contrats sur la preuve sont licites mais les parties ne peuvent ni contredire ni établir, au profit de l’une d’elles, de présomption...

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Voici un nouvel arrêt sur les quasi-contrats rendu pour la fin de l’année 2020 (V. égal. Civ. 1re, 16 sept. 2020, FS-P+B, n° 18-25.429, Dalloz actualité, 14 sept. 2020, obs. C. Hélaine). Largement inspirés de Domat, les textes antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 intéressant les quasi-contrats étaient sujets à diverses discussions doctrinales (sur ceci, Rép. civ., v° Gestion d’affaires, par P. le Tourneau, 2019, n° 10). L’une d’entre-elles a été de savoir si celui qui agit en tant que professionnel au titre d’une gestion d’affaires peut prétendre ou non à une rémunération. La réponse a été résolue par la négative déjà par le passé notamment pour les sociétés de généalogie (Civ. 1re, 29 mai 2019, n° 18-16.999, D. 2019. 1979 , note T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ). L’arrêt étudié aujourd’hui en est une exacte confirmation, là-aussi sur une mission de généalogiste retrouvant un héritier refusant de signer un contrat de révélation.

Reprenons les faits pour mieux comprendre tout l’enjeu du problème. À la suite du décès d’une personne, le notaire chargé de sa succession mandate une société de généalogistes associés afin de savoir quels sont les héritiers en rangs utiles, i.e. ceux qui pourront recevoir la succession par le jeu de la dévolution par ordre et degrés. La société généalogiste identifie une seule personne comme héritière. Il faut préciser un silence dans les faits : l’héritier a refusé de signer un contrat de révélation proposé par la société de généalogie, figure connue du droit des successions et des libéralités (L. Leveneur, Une application du concept de bien-information : pour un renouvellement de l’approche du contrat de révélation de succession. Le droit privé français à la fin du XXe siècle – Études en l’honneur de Pierre Catala, Litec, 2001, p. 771 s., spéc. n° 12). Le contrat prévoit alors la rémunération du généalogiste sur une...

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Le premier président de la cour d’appel peut ordonner le sursis à l’exécution de toutes les décisions du juge de l’exécution, à l’exception de celles qui, dans les rapports entre créanciers et débiteurs, statuent sur des demandes dépourvues d’effet suspensif à moins qu’elles n’ordonnent la mainlevée d’une mesure.

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L’inspection générale de la justice (IGJ) a remis au garde des Sceaux son rapport sur La discipline des professions du droit et du chiffre. Les travaux portent sur les métiers du droit et les métiers du chiffre dont le ministère de la justice a la tutelle.

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Un couple qui a fait venir un enfant de onze ans chez lui est responsable du dommage qu’il s’est causé avec une arme leur appartenant, car il n’a pas pris les mesures nécessaires propres à éviter l’appréhension matérielle de cette arme par le mineur. 

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La Cour de cassation réaffirme qu’une présomption conventionnelle de contribution aux charges du mariage peut être irréfragable. Elle empêche alors un époux prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage et l’excès de sa propre contribution. Cette solution classique peut surprendre, tant au regard de l’évolution du droit des contrats sur la preuve que du caractère d’ordre public de l’article 214 du code civil récemment réaffirmé.

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Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans un long processus de discussion. Selon le rapporteur Geoffroy Didier : « Avec ce recours collectif à l’échelle européenne, c’est un changement d’ambition et un changement de dimension que nous proposons à l’ensemble des citoyens de l’Union européenne. »

Une réglementation longuement mûrie et très attendue

Une volonté affirmée de parvenir à un mécanisme européen harmonisé

La mise en place d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs afin de protéger les intérêts collectifs des consommateurs a été mentionnée pour la première fois en décembre 1984 (Mémorandum sur l’accès des consommateurs à la justice de la Commission européenne COM(84)692) avant que la Commission n’annonce en mai 1987 son intention de mettre à l’étude une directive-cadre sur ce sujet. En 2008, la Commission publiait un livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs avant d’organiser en 2011 une consultation publique (« Renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs »).

Dès sa résolution « Vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectifs » du 2 février 2012 (PE, réso., 2 févr. 2012, 2011/2089[INI]), le Parlement européen plaidait en faveur d’un cadre « horizontal » comprenant un ensemble de principes communs garantissant un accès uniforme à la justice au sein de l’Union européenne par la voie du recours collectif et traitant des infractions aux droits des consommateurs, tout en tenant compte des traditions du droit et des ordres juridiques des différents États membres et en prévoyant des garanties afin d’éviter les demandes non fondées ainsi que les abus en matière de recours collectif. Le 11 juin 2013, la Commission publiait une communication (« Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs »), qu’elle accompagnait d’une recommandation (Comm. UE, recomm., 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union : JOUE n° L 201, 26 juill. 2013, p. 60), invitant les États membres à se doter de mécanismes nationaux de recours collectifs s’inspirant de plusieurs principes communs horizontaux (la qualité pour agir en représentation d’entités représentatives susceptibles d’engager des actions en représentation sur la base de conditions d’admission clairement définies, la recevabilité des recours collectifs, la diffusion effective d’informations auprès des demandeurs potentiels, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, le financement de l’action en justice, le traitement des litiges transnationaux) et de principes propres aux recours collectifs en cessation et en réparation. Le suivi de cette recommandation s’est avéré toutefois plutôt limité (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union).

Une nette accélération du processus législatif emportée par la nouvelle donne pour les consommateurs

Plus de trente ans après avoir appelé de ses vœux l’instauration d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs, la Commission faisait le constat amer que des « pratiques abusives de grande ampleur qui ont récemment touché des consommateurs dans l’ensemble de l’Union européenne ont ébranlé la confiance des consommateurs dans le marché unique (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union) et son projet prenait alors un nouvel essor.

Le 11 avril 2018, elle lançait la « nouvelle donne pour les consommateurs » (Comm. UE, 11 avr. 2018, COM (2018) 183 final) et annonçait un « train de mesures législatives » dont la proposition de directive relative aux actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs afin de faciliter les recours pour les consommateurs victimes de la même infraction dans une situation dite de préjudice de masse. La proposition législative ainsi publiée exigeait que l’ensemble des États membres se dotent d’un mécanisme d’action collective en indemnisation se rapprochant de celui de l’action de groupe, « à tout le moins dans le champ du droit européen de la consommation » (L. Usunier, Nouvelle donne européenne pour les consommateurs, RTD civ. 2018. 854 ). La récente publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) de la directive ouvre un délai de vingt jours à l’issue duquel la directive entrera en vigueur. Les États membres auront alors vingt-quatre mois pour la transposer dans leur droit national et six mois supplémentaires pour l’appliquer. Une fois entrée en vigueur, la nouvelle réglementation s’appliquera aux actions représentatives en cours et à venir.

La directive : un changement de paradigme au niveau européen ?

Les principales caractéristiques de l’action représentative issue de la directive

Le champ d’application de la directive est particulièrement vaste puisqu’il couvre les actions en cessation et en réparation à l’encontre des infractions aux droits des consommateurs dans des domaines variés visés dans son annexe 1, tels que le droit de la consommation, la protection des données, les services financiers, le transport aérien et ferroviaire, le tourisme, l’énergie, les télécommunications, l’environnement ou encore la santé (consid. 13, art. 2). La directive propose aux consommateurs un recours supplémentaire à l’encontre des professionnels en cas de violation du droit de l’Union européenne sans préjudice des droits qu’ils détiennent par ailleurs en application du droit européen. Il est précisé que l’exercice de ce nouveau mécanisme s’applique sans préjudice des règles de l’Union consacrées en droit international privé, notamment celles relatives à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’à la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles (consid. 21, art. 2).

Chaque État membre devra désigner à l’avance une ou plusieurs « entités qualifiées » – qui pourront en particulier être des organisations de consommateurs ou des organismes publics (consid. 24) et établir une liste à jour des entités qui sera mise à disposition du grand public (consid. 32, art. 5, § 1er). Les critères d’habilitation des entités diffèrent selon le caractère transfrontalier ou national de l’action envisagée (consid. 23, art. 3). Les entités devront satisfaire, en ce qui concerne les actions transfrontières, à des critères de désignation stricts qui seront les mêmes dans l’ensemble de l’Union européenne – tenant à leurs sources de financement, leur structure organisationnelle, de gestion et d’affiliation, leur objet statutaire, leur solvabilité et leurs activités (consid. 25, art. 4). Elles seront évaluées au moins tous les cinq ans et les États membres pourront, le cas échéant, révoquer leur désignation (consid. 29, art. 5, § 3). En ce qui concerne les actions nationales, les États membres sont libres d’établir les critères de désignation des entités conformément à leur droit national (consid. 26, art. 4, § 5). La possibilité de recourir à des entités ad hoc spécialement constituées aux fins d’une action spécifique est rendue possible pour les actions nationales (art. 4, § 6) mais est exclue pour les actions transfrontières (consid. 28). Cette distinction entre actions nationales et actions transfrontières pourrait donner lieu à un forum shopping en faveur d’actions nationales dans les États membres dont les critères de désignation seraient plus souples (sous réserve que les juridictions de ces États membres soient compétentes pour connaître de telles actions).

Le financement des actions en réparation fait l’objet de développements particuliers (art. 10). La directive entend ainsi réglementer le financement par des tiers (third-party funding) afin de garantir une meilleure transparence et l’absence de conflit d’intérêts (consid. 25 et 52). Les États membres devront faciliter l’accès des entités à la justice (aide juridictionnelle) et veiller à ce que les coûts de la procédure ne soient pas dissuasifs en limitant les frais applicables ou encore en prévoyant un financement public (art. 20).

La directive milite en faveur d’une publicité accrue quant aux actions intentées ou envisagées par les entités (informations concernant l’état d’avancement des actions engagées sur le site internet des entités, mise en place de bases de données électroniques nationales – art. 13 et 14, consid. 61 et 63). Afin d’intenter une action représentative, l’entité qualifiée devra fournir des « informations suffisantes sur les consommateurs concernés par l’action représentative » (description du groupe de consommateurs, questions de fait et de droit à traiter, lieu où le fait dommageable s’est produit, consid. 34 et 49) afin de permettre à la juridiction saisie de s’assurer de sa compétence et de déterminer la loi applicable (art. 7, § 2). Cette rédaction, pour le moins « large », pourrait conduire à des interprétations divergentes des juridictions saisies.

Ces nouveaux mécanismes procéduraux visent ainsi à permettre à une entité qualifiée d’obtenir à la fois la cessation d’une pratique illégale (par le biais de mesures préventives dites « provisoires », de mesures « définitives » et de mesures de publication mises en œuvre après « consultation préalable » du professionnel en infraction afin de lui permettre de mettre fin à la pratique illégale dans les deux mois qui suivent la demande de consultation) et, le cas échéant, de demander réparation contre des professionnels qui enfreignent les dispositions du droit de l’Union européenne (consid. 8). Les États membres seront libres de décider si l’action représentative sera intentée dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou les deux selon le domaine de droit concerné ou le secteur économique concerné (consid. 19).

La directive laisse aux États membres le choix entre un mécanisme de participation (opt in) ou d’un mécanisme de non-participation (opt out) pour les actions représentatives. L’opt in est exclu en ce qui concerne les actions en cessation (art. 8) et la directive n’autorise que des mécanismes opt out qui n’incluent que les consommateurs qui ont leur résidence habituelle dans l’État membre où se trouve la juridiction devant laquelle l’action représentative a été intentée (consid. 45, art. 9). Là encore, on peut craindre une application asymétrique au regard de la diversité des mécanismes nationaux existants dans les États membres.

La directive introduit le principe dit du « perdant payeur » (loser pays principle) en vertu duquel la partie perdante rembourse les frais de procédure nécessaires exposés par la partie gagnante à l’exception des frais qui ont été exposés par le consommateur en raison de son comportement intentionnel ou négligent (consid. 36 et 38, art. 12). Les juridictions saisies d’une action représentative pourront rejeter les affaires « manifestement non fondées » au stade le plus précoce possible de la procédure conformément au droit national (consid. 49, art. 7, § 7). Cette procédure n’est pas sans rappeler la procédure américaine de motion to dismiss (Federal Rules of Civil Procedure [FRCP], art. 12) permettant au défendeur de mettre fin à l’instance de façon anticipée en faisant valoir que l’action initiée à son encontre est manifestement mal fondée (M. Gizardin et L. Moirignot, 3 Questions : Vers une motion du dismiss à la française pour endiguer l’engorgement des tribunaux provoqués par la crise sanitaire, JCP E 2020. 475). La nouvelle réglementation introduit une procédure de discovery pour les actions représentatives en invitant les États membres à donner aux entités qualifiées la possibilité de demander la production d’éléments de preuves (sur injonction des juridictions saisies) en possession du défendeur à l’action ou d’un tiers (consid. 68, art. 18).

Enfin, la Commission devra évaluer l’opportunité de créer une fonction de médiateur européen pour les actions représentatives. Elle présentera un rapport à ce sujet au plus tard le 26 juin 2028 (consid. 73, art. 23).

Vers une intensification des actions de groupe dans l’Union européenne et en France ?

Le rapporteur Geoffroy Didier a déclaré : « Avec cette nouvelle directive, nous avons trouvé un équilibre entre une protection renforcée pour les consommateurs et la garantie pour les entreprises de la sécurité juridique dont elles ont besoin. »

Depuis son introduction en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon), l’action de groupe a été étendue progressivement à la santé (L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 184), la discrimination et les relations de travail, les dommages environnementaux et les données personnelles (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 60 s. ; L. n° 2018-493, 20 juin 2018, art. 25 ; L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 38).

Un rapport d’information, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, a été présenté à la commission des lois le 10 juin 2020 et publié le 11 juin 2020. La mission d’information y fait le constat d’un bilan décevant des class actions à la française (M.-J. Azar-Baud, En attendant un registre d’actions de groupe et autres actions collectives, JCP E 2018. 1637) alors qu’est observée une recrudescence des contentieux sériels, et que des solutions alternatives (médiation de groupe, mise en œuvre d’actions collectives conjointes) émergent (P. Métais et E. Valette, Class action à la française : une promesse séduisante, une application décevante, JCP 2018. 558 ; A. Biard, Sale temps pour l’action de groupe… La nécessaire recherche d’outils alternatifs pour résoudre les litiges de masse, RLDC n° 157, mars 2018, p. 21). Sont ainsi préconisés la création d’un cadre commun pour toutes les actions de groupe, un élargissement des conditions de la qualité à agir (extension de la qualité à agir aux associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte, aux associations composées d’au moins cinquante personnes physiques, aux associations composées d’au moins dix entreprises constituées sous la forme de personnes morales ayant au moins deux ans d’existence et aux associations composées d’au moins cinq collectivités territoriales), une meilleure indemnisation des victimes, un meilleur financement des actions de groupe (une refonte des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, la création d’une sanction civile) et la mise en œuvre de réformes procédurales pour réduire les délais de jugement en matière d’action de groupe (suppression de l’obligation de mise en demeure préalable pour les actions de groupe concernées, une compétence exclusive de certaines juridictions, une communication obligatoire au ministère public pour lui permettre d’intervenir comme partie jointe). Ces principaux axes de réforme sont repris dans une proposition de loi « pour un nouveau régime de l’action de groupe », qui a été déposée le 15 septembre 2020.

Reste à savoir comment la législation française en matière d’action de groupe prendra en considération les orientations de la directive. Alors que la mission d’information regrettait que « l’action de groupe [n’ait] pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs », la directive pourrait lui donner un nouvel élan. La réforme du mécanisme de l’article 700 du code de procédure civile proposée par les parlementaires français afin que les juges prennent en considération les sommes réellement engagées par la partie gagnante, qu’il s’agisse notamment des honoraires d’avocat ou des coûts internes afférents à la procédure s’inscrit dans la logique du « perdant payeur » prônée par la directive. Alors que la mission d’information proposait une réflexion sur l’introduction en France pour la recherche de la preuve dans les actions de groupe de la procédure de discovery présente dans des pays de common law afin de permettre la production de certaines pièces dont la liste serait strictement limitée (comme l’identité des consommateurs lésés), par une décision motivée du juge, ce mécanisme est introduit par la directive. En revanche, la mission d’information propose la condamnation du professionnel au paiement d’une amende civile affectée au Trésor public pour renforcer les sanctions à l’égard des entreprises fautives alors que la directive interdit le recours à des dommages et intérêts à caractère punitif.

Incontestablement, la transposition de la directive va donner une impulsion aux actions de groupe sur le territoire des États membres de l’Union européenne. Certains regretteront que l’initiative de l’action de groupe soit réservée à une « entité représentative » en observant qu’il s’agit précisément d’un frein au développement des actions de groupe qui a été constaté, notamment en France. Mais chaque État membre conserve la possibilité d’élargir les conditions prévues par la directive, sur ce point comme sur d’autres, d’ailleurs. La directive a seulement pour vocation de consacrer un cadre minimal et harmonisé pour les États membres, étant rappelé que les règles de l’Union européenne resteront applicables, notamment pour déterminer la compétence du juge et la loi applicable au litige.

M. X, de nationalité marocaine, a souscrit en 2002 une déclaration de nationalité en raison de son mariage célébré en 2001 avec une ressortissante française. Cette déclaration a été enregistrée en 2003. Les époux se séparent et le divorce est transcrit en 2004 en marge des actes de l’état civil. M. X se remarie alors la même année avec sa précédente épouse marocaine.

Le 27 décembre 2010, le ministère de l’Intérieur a informé le ministère de la Justice du refus d’enregistrement, le 17 mars 2010, de la déclaration souscrite par la seconde épouse marocaine de M. X, en raison de la fraude commise par celui-ci. Le 10 décembre 2012, le ministère public a engagé une action en annulation de l’enregistrement de la déclaration souscrite par M. X.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 12 juin 2018 rendu sur renvoi après cassation, déclare l’action du ministère public recevable, car non prescrite, et annule l’enregistrement de déclaration de nationalité française. En effet, les juges ont considéré que la seule transcription du jugement de divorce ne permettait pas au ministère public de supposer une fraude au seul vu de l’acte, dans la mesure où il ne résultait d’aucune des mentions de l’acte de mariage que l’époux aurait acquis la nationalité française par son mariage. En outre, ils ont estimé que le signalement fait par le service de l’état civil au moment du mariage avec l’épouse marocaine ne concernait que l’absence de titre de séjour de cette dernière, ce qui n’était pas de nature à constituer un indice de fraude dans le cadre de la déclaration de nationalité souscrite par l’époux précédemment.

Monsieur X forme alors un pourvoi en cassation. Il soutient que la transcription d’un divorce en marge des actes d’état civil d’un ressortissant devenu français par mariage porte à la connaissance du ministère public la rupture de la vie commune des époux au sens de l’article 26-4. Ainsi, le ministère public avait été informé de la rupture de la vie commune à compter du 13 juillet 2004, date de la transcription du jugement de divorce en marge des actes de l’état civil.

En outre, au moment du mariage avec l’épouse marocaine, et du signalement fait par les services de l’état civil au ministère public, Monsieur X a dû fournir un acte de naissance, sur lequel était mentionné son acquisition de nationalité par déclaration, et son divorce ultérieur. Le ministère public était donc, dès 2004, en mesure de découvrir la fraude invoquée. L’action était dès lors prescrite en 2006.

La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que l’enregistrement d’une déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans un délai le deux ans de...

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L’arrêt de la Cour de justice du 24 novembre 2020 retiendra à l’évidence l’attention des juristes mais également des acteurs économiques. Le ministère français de l’Économie en a déjà assuré une certaine publicité, en en publiant un commentaire dans la Lettre de la Direction des affaires juridiques du 4 décembre 2020.

Dans cette affaire, une société allemande qui exploite un hôtel a conclu avec la société Booking.com, qui a son siège aux Pays-Bas, un contrat type lui permettant d’apparaître sur son site. Ce contrat prévoit l’acceptation de conditions générales. Par la suite, Booking.com a modifié ces conditions générales à différentes reprises.

La société allemande a contesté l’inclusion de ces conditions générales dans le contrat, en faisant valoir qu’en raison de la position dominante de Booking.com sur le marché des services d’intermédiaires et des portails de réservation d’hébergement, elle n’avait eu d’autres choix que de conclure le contrat. Elle a alors saisi un tribunal allemand d’une action visant à ce qu’il soit interdit à Booking.com de conditionner le positionnement de l’hôtel à l’octroi d’une commission de plus de 15 %.

Booking.com a toutefois contesté la compétence de ce tribunal allemand, en s’appuyant sur la clause attributive de juridiction prévue par le contrat et donnant compétence aux tribunaux néerlandais.

C’est donc uniquement sous l’angle de la détermination du juge compétent au regard des règles de droit international privé que cette affaire se présente, sans que soit directement envisagée la situation de la plate-forme au regard du régime de l’abus de position dominante (sur cette problématique, v. par ex. N. Lenoir et A. Jacquin, Référencement en ligne et abus de position dominante : quelles problématiques pour les plates-formes numériques ?, AJCA 2016. 223 ).

La difficulté concerne ainsi la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Plus précisément, il s’agit d’établir la qualification – contractuelle ou délictuelle – du litige, en vue de déterminer s’il y a lieu d’appliquer l’article 7, point 1, de ce règlement ou l’article 7, point 2. Rappelons que l’article 7, point 1, dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, alors que l’article 7, point 2, énonce qu’en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Il s’agit, comme le relève l’arrêt (§ 25), de délimiter les champs d’application respectifs de ces deux règles, alors que le litige repose sur une violation alléguée du droit de la concurrence et que les parties à la procédure sont liées par un contrat.

L’enjeu de la qualification du litige était important en l’espèce puisque le juge allemand saisi pouvait retenir sa compétence, sur le fondement de l’article 7, point 2, si l’action était de nature délictuelle mais devait se dire incompétent, en application de l’article 7, point 1, en cas de qualification contractuelle.

Par son arrêt du 24 novembre 2020, la Cour de justice se prononce en faveur d’une application de l’article 7, point 2. Elle retient que la question de droit au cœur de l’affaire est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante. Or, pour déterminer le caractère licite ou illicite des pratiques reprochées à Booking.com au regard du droit de la concurrence, il n’est pas indispensable d’interpréter le contrat liant les parties (arrêt, pt 35), ce qui conduit à retenir que l’action litigieuse relève de la matière délictuelle au sens de l’article 7, point 2, du règlement (arrêt, pt 36).

La Cour précise que cette interprétation est conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice poursuivis par ce règlement. Le juge compétent est en effet alors celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué. Or il est le plus apte à statuer sur le bien-fondé de l’action, et cela notamment en termes de collecte et d’évaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard (arrêt, pt 37).

Il n’est pas douteux que la solution qui est ainsi posée suscitera dans les différents États de l’Union européenne le développement d’actions en justice, puisqu’elle permet aux sociétés hôtelières de saisir un juge de l’État où elles exploitent leur établissement, ce qui constitue pour elles un avantage important et pour Booking.com un inconvénient majeur. Peut-être cette solution conduirait-elle d’ailleurs la société Booking.com à réexaminer ses conditions générales et le taux de sa commission, pour éviter une multiplication des contentieux.

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L’article 2224 du code civil fixe le point de départ de la prescription des actions personnelles à la date « où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Mais comment interpréter les notions de « connaissance » et de « fait » à l’aune de l’inexécution d’une promesse synallagmatique de vente ?

L’arrêt sous étude apporte quelques éléments de précision.

Le litige découle de l’inaction du bénéficiaire de la promesse synallagmatique de vente à la date de la réitération de la vente. Le vendeur, qui après plusieurs mises en demeure infructueuses, avait agi en résolution de la vente et en paiement de dommages et intérêt, se heurta à la prescription de son action prononcée par la cour d’appel. En effet, les juges du fond s’appuyèrent sur le point de départ du délai fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentiqué au 30 avril 2010.

Le pourvoi invoqué par le vendeur s’appuyait sur un moyen unique tenant au point de départ du délai de prescription des actions en responsabilité contractuelle, qui ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance (et ce en vertu d’une jurisprudence constante, v. par ex., Soc. 26 avr. 2006, n° 03-47.525, D. 2006. 1250 , pour le préjudice d’un salarié né de la perte de droits correspondant aux cotisations non versées par l’employeur ou encore, Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820, D. 2009. 1960, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2009. 728, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais ; ibid. 2010. 413, obs. B. Bouloc , pour l’octroi d’un prêt malgré une incapacité manifeste de l’emprunteur à faire face au remboursement).

Le demandeur estimait qu’à la date de la réitération de la vente, il appartenait à la cour d’appel, au lieu de se contenter de considérer l’action prescrite, de vérifier si celui-ci avait ou non conscience que le bénéficiaire voulait abandonner la...

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L’action dite « paulienne » a pour objectif « d’éviter que le débiteur ne puisse impunément porter atteinte aux droits de ses créanciers par des actes juridiques frauduleux » (J. François, Traité de droit civil, Tome 4, Les obligations. Régime général, 5e éd., Économica, 2020, n° 407). L’article 1341-2 du code civil dispose ainsi que « Le créancier peut (…) agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude » (déjà anc. art. 1167, al. 1, selon lequel les créanciers pouvaient « aussi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits »). Encore faut-il, toutefois, que le délai de prescription ne soit pas écoulé.

En l’espèce, une action avait été intentée le 4 juin 2010 en vue d’obtenir le paiement de diverses sommes dues en vertu de deux reconnaissances de dette. Faisant droit à cette demande, un arrêt du 23 mai 2013 avait condamné le débiteur au paiement, lequel n’eut jamais lieu en pratique. Dès le 18 juin 2010, le débiteur (depuis lors décédé) céda à son compagnon ses parts dans une société civile immobilière. Considérant que cette cession avait eu lieu en fraude de leurs droits, les créanciers assignèrent ce compagnon sur le fondement de l’action paulienne par acte du 18 octobre 2016. L’action paulienne est, en effet, une action personnelle : elle est dirigée contre l’acte frauduleux d’appauvrissement. Par conséquent, selon la Cour de cassation, « l’action paulienne doit être dirigée contre les tiers acquéreurs », c’est-à-dire en l’espèce le bénéficiaire de la cession (Civ. 1re, 6 nov. 1990, n° 89-14.948, RTD civ. 1991. 739, obs. J. Mestre ).

La demande des créanciers fut, cependant, considérée comme irrecevable, le délai de prescription étant écoulé. Selon les juges du fond, le dépôt de l’acte de cession au greffe du tribunal de commerce avait eu pour effet de porter à la connaissance des tiers et de leur rendre opposable la cession de parts sociales. La publication ayant eu lieu le 2 août 2010, les créanciers étaient en mesure de connaître la cession à cette date, leur action étant donc prescrite le 18 octobre 2016. Les créanciers formèrent alors un pourvoi en cassation, fondé sur une violation de l’article 2224 du code civil et du principe selon lequel la fraude corrompt tout.

Leur argumentation est suivie par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, laquelle, dans un arrêt du 12 novembre 2020, casse l’arrêt de la cour d’appel pour défaut de base...

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Créé par la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001 (art. 53), le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) est régi par le décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001. Il prévoit que les victimes de dommages imputables à une exposition à l’amiante peuvent le saisir pour obtenir une indemnisation. Lorsque le lien entre l’exposition à l’amiante et la pathologie est établi, celui-ci fait une offre d’indemnisation que la victime est libre d’accepter ou de contester.

Si cette dernière conteste l’offre proposée, son action doit être intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle est situé le domicile du demandeur (art. 24) dans un délai de deux mois (art. 25). Ce délai court à partir de la notification, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de l’offre d’indemnisation ou du constat établi par le Fonds que les conditions d’indemnisation ne sont pas réunies (art. 25). Les actions intentées devant la cour d’appel sont engagées, instruites et jugées conformément aux dispositions spéciales du décret du 23 octobre 2001 (art. 26).

Les articles 27 et 28 du décret prévoient le délai pour le dépôt de la demande et des pièces et documents justificatifs. C’est précisément sur la sanction du non-respect de ce délai que porte l’arrêt de cassation rendu le 26 novembre 2020 par la deuxième chambre civile.

En l’espèce, un homme est décédé en mai 2016 des suites d’un cancer du péritoine. Sa fille et sa compagne ont saisi le FIVA d’une demande en réparation de leurs préjudices personnels. L’offre faite par le FIVA ne leur convenant pas, elles l’ont contestée devant une cour d’appel.

Cette cour d’appel a fixé l’indemnisation des préjudices personnels des victimes par ricochet à un certain montant en tenant compte de l’irrecevabilité des pièces et documents justificatifs qui n’avaient pas été produits en même temps que la déclaration ou l’exposé des motifs mais avaient été déposés postérieurement au délai d’un mois prescrit. La cour d’appel ayant été saisie par les victimes le 9 novembre 2017, les pièces, dont l’irrecevabilité est invoquée, auraient dû être déposées au plus tard le 9 décembre 2017.

Les victimes se sont pourvues en cassation invoquant notamment la violation du respect de l’égalité des armes découlant de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du délai auquel elles sont soumises pour déposer des pièces répondant à l’argumentation du FIVA, alors qu’aucune limite de temps n’incombe à ce dernier pour déposer les siennes.

La Cour de cassation était invitée à se prononcer sur le sort des pièces complémentaires...

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La prescription biennale est souvent un enjeu majeur dans le contentieux consumériste en général et en matière de crédit en particulier. On sait que cette dernière matière repose sur l’opposition entre le crédit à la consommation, soumis à une forclusion biennale en vertu de l’article R. 312-35 du code de la consommation, et le crédit immobilier, obéissant quant à lui à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du même code (v. en ce sens Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 11-26.508, Dalloz actualité, 11 déc. 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 2885, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJDI 2013. 215 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD com. 2013. 126, obs. D. Legeais  ; au motif que « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels »). Toutefois, si la question du point de départ de la forclusion est clairement réglée par le code de la consommation, on ne peut pas en dire autant du point de départ de la prescription, dans la mesure où l’article L. 218-2 précité est muet à cet égard. Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré que « le point de départ du délai de prescription biennale […] se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé » (Civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 13-15.511, Dalloz actualité, 4 sept. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1541 ; ibid. 2015. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2014. 675, obs. D. Legeais ). Très favorable aux emprunteurs mais contraire au droit commun de la prescription (en part. C. civ., art. 2233), cette jurisprudence fut par la suite abandonnée par quatre arrêts remarqués en date du 11 février 2016 (Civ. 1re, 11 févr. 2016, nos 14-22.938, 14-28.383, 14-27.143, 14-29.539, Dalloz actualité, 17 févr. 2016, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2016. 870 , note M. Lagelée-Heymann ; ibid. 2305, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 445 , obs. G. Valdelièvre ; RDI 2016. 269, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2016. 364, obs. H. Barbier ), ayant considéré qu’« à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité » (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 207 ; v. égal. A. Gouëzel, Revirement sur le point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier, JCP 2016. 405).

On comprend donc que les emprunteurs tentent de se placer « sous l’empire » de l’ancienne jurisprudence, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 novembre 2020. En l’espèce, suivant acte authentique du 6 juin 2007, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux prêts destinés à financer l’acquisition d’un bien immobilier. À la suite du placement de M. B… en longue maladie, d’échéances demeurées impayées et d’un refus de garantie opposé par l’assureur couvrant les risques décès, invalidité, incapacité, le mandataire de la banque s’est prévalu de la déchéance du terme par acte du 10 juin 2013. Puis, le 28 août de la même année, la banque a fait pratiquer une saisie-attribution contestée devant le juge de l’exécution par les emprunteurs. Par actes des 27 et 28 août 2013, ces derniers ont assigné la banque et le mandataire aux fins de voir constater la forclusion de l’action et ont sollicité l’allocation de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde. Celle-ci a sollicité reconventionnellement le remboursement du solde des prêts.

La cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 21 mars 2019, rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, à l’exception des échéances impayées du 1er décembre 2010 au 1er août 2011 afférentes à un des deux prêts et condamne les emprunteurs à payer diverses sommes à la banque. Ceux-ci se pourvurent en cassation, en avançant divers arguments tenant à la déchéance du terme, au devoir de mise en garde et, surtout, au principe de sécurité juridique ainsi qu’au droit à un procès équitable exigeant, à leurs yeux, qu’ils puissent se prévaloir de la jurisprudence de la Cour de cassation antérieure à son revirement du 11 février 2016, en ce qu’elle décidait, sur le fondement de l’ancien article L. 137-2 du code de la consommation (devenu art. L. 218-2 à la faveur de l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation), que la prescription de l’action en paiement du capital restant dû courait à compter du premier incident de paiement non régularisé. Mais la Cour de cassation ne fut pas convaincue : « la cour d’appel a exactement énoncé que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée. Cette évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit » (pt 5).

De prime abord, la solution s’inscrit dans le droit fil d’une doctrine prétorienne bien établie depuis le début des années 2000 (v. par ex. Civ. 1re, 9 oct. 2001, n° 00-14.564, D. 2001. 3470, et les obs. , rapp. P. Sargos , note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages  : « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée » ; Civ. 1re, 21 mars 2000, n° 98-11.982, D. 2000. 593 , note C. Atias ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 666, obs. N. Molfessis ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc  : « la sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit ») et reposant sur l’idée selon laquelle la...

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Par respect du droit à un procès équitable, les dispositions du décret régissant l’indemnisation par le FIVA n’imposent pas à la cour d’appel d’écarter des débats les pièces produites à l’expiration des délais prévus, lorsqu’il est établi que la partie destinataire de la communication a été mise, en temps utile, en mesure de les examiner, de les discuter et d’y répondre. 

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Auteur d'origine: ahacene

La sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée. Cette évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit.

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Auteur d'origine: jdpellier

Le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre recommandée de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise, c’est-à-dire à compter de son retrait et non de son dépôt.

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Auteur d'origine: laffly

La Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative aux effets du divorce sur les régimes matrimoniaux. La question est jugée sérieuse : les dispositions transitoires de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 « pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

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Auteur d'origine: qguiguet

Le juge de l’exécution peut autoriser l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire sur un bien appartenant à une société dans laquelle le débiteur est associé, car il dispose du pouvoir d’examiner si la société peut être considérée comme fictive.

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Auteur d'origine: Dargent

Les dispositions de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991 ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge d’appel tel qu’il résulte de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.

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Auteur d'origine: Dargent

Par un arrêt du 18 novembre 2020, la première chambre civile décide de soumettre à la Cour de justice une délicate question relative à la mise en œuvre de la règle de compétence subsidiaire énoncée par l’article 10, point 1, du règlement du 4 juillet 2012.

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Auteur d'origine: fmelin

L’arrêt du 18 novembre 2020 porte sur des circonstances que l’on croirait tirées d’un cas pratique universitaire : un coureur cycliste professionnel de nationalité australienne résidant à Monaco est renversé en Italie par un véhicule conduit par une ressortissante française, assurée par une société française. La victime ayant saisi en France le juge des référés, en demandant une expertise et une provision, la question de la loi applicable se pose.

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Auteur d'origine: fmelin

La déclaration d’appel, nulle, erronée ou incomplète, peut néanmoins être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai pour conclure. Dès lors, une seconde déclaration d’appel peut venir étendre la critique du jugement à d’autres chefs non critiqués dans la première déclaration, sans qu’un acquiescement aux chefs du jugement non critiqués dans un premier temps ne puisse être déduit de cette omission.

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Auteur d'origine: Dechriste

À regarder de plus près, les règles de computation de délais en cas de notification d’un acte ou d’une décision peuvent s’avérer infernales. Une caisse d’allocations familiales de La Réunion demande à un assuré social de payer une certaine somme à titre de trop-perçu et celui-ci sollicite le paiement d’un rappel de prestations. Selon jugement en date du 31 août 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale annule la mise en demeure et rejette les demandes de rappel de prestations. Le jugement est notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception le 21 août 2016, et l’assuré social forme appel le 12 octobre 2016. Par arrêt du 30 novembre 2018, la cour d’appel déclare irrecevable l’appel comme tardif. L’appelant saisit la Cour de cassation et développe, au visa de l’article 669, alinéa 3, du code de procédure civile, le moyen selon lequel la date de réception d’une notification faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception est celle qui est apposée par l’administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire tandis qu’il n’avait retiré le pli recommandé lui notifiant le jugement du 31 août 2016 que le 13 septembre 2016, soit moins d’un mois avant d’interjeter appel dudit jugement. La deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion. Au visa des articles 528, 668 et 669 du code de procédure civile, la Cour de cassation donne la solution suivante :
« 6. Il résulte de ces textes que le délai d’appel, à l’égard du destinataire de la lettre de notification du jugement, court à compter de la date à laquelle la lettre lui est remise.
7. Pour déclarer l’appel irrecevable comme tardif, l’arrêt retient qu’il résulte des dispositions de l’article R. 142-28 du code de la sécurité sociale que le délai d’appel est d’un mois à compter de la notification du jugement, qu’en cas de notification à domicile, le délai court à compter du dépôt de la lettre recommandée et non pas de son retrait et qu’en conséquence, l’appel formé le 12 octobre 2016, alors que l’accusé de réception de la notification du jugement était en date du 6 septembre 2016, est manifestement hors délais.
8. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Par application de l’article 528, alinéa 1er, « Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi, dès la date du jugement ». D’autre part, l’article 668 du même code dispose que « Sous réserve de l’article 647-1, la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre ». Enfin,...

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Plus de quinze ans après son entrée en vigueur, la conformité de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 aux droits constitutionnellement garantis est questionnée. Il y a quelques semaines déjà l’article 33-VI de cette loi était considéré comme potentiellement attentatoire aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 en ce qu’il prévoit la possibilité de réviser, suspendre ou supprimer une prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 (Civ. 1re, 15 oct. 2020, FS-P, n° 20-14.584, Dalloz actualité, 13 nov. 2020, obs. L. Gareil-Sutter). C’est à présent au tour des I et II de ce même article 33 d’être soumis au contrôle des Sages, la Cour de cassation pressentant que l’application immédiate des effets du divorce sur les avantages matrimoniaux est peut-être attentatoire à la garantie des droits.

En l’espèce, deux époux mariés en 1983 sous le régime de la communauté légale ont aménagé leur régime matrimonial par convention modificative reçue par notaire le 29 juin 2001. Au terme de cette nouvelle charte patrimoniale, l’épouse réalisait divers apports de biens propres avec dispense de récompense pour un montant total de 45 700 000 €. Le 5 février 2015 la cour d’appel de Versailles prononçait le divorce aux torts exclusifs de l’époux et refusait à l’épouse la possibilité de réaliser une reprise des apports. Le pourvoi formé contre cette décision fût rejeté.

La Première chambre civile de la Cour de cassation considéra en effet, au terme d’un arrêt rendu le 6 juillet 2016, que les dispositions de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 étaient applicables en la cause dans la mesure où l’assignation avait été délivrée après le 1er janvier 2005, conformément à l’article 33 I et II de cette loi : « la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés « (Civ. 1re, 6 juill. 2016, n° 15-16.408 ; notons qu’au titre du rappel des faits, cet arrêt indique que les époux se sont soumis au régime de communauté universelle alors que, dans l’arrêt sous commentaire, il est indiqué qu’il s’agit d’un régime légal avec clause d’apport…).

Ayant épuisé tous les recours internes face à son ex-mari, la demanderesse assigna en responsabilité civile le notaire ayant instrumenté l’acte du 29 juin 2001. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 novembre 2019, fit droit à cette demande en retenant que le défendeur avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, ce qui avait causé une perte d’une chance d’introduire, dans l’acte de changement de régime matrimonial, une clause de reprise des apports. Le défendeur succombant forma alors un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel il sollicita le renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée :

« Les dispositions des I et II de l’article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, en ce qu’elles disposent selon la portée que leur donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que cette loi est applicable aux procédures introduites par une assignation délivrée après le 1er janvier 2005, date de son entrée en vigueur, et qu’en vertu de telles dispositions transitoires, la loi nouvelle a vocation à s’appliquer en toutes ses dispositions concernant les conséquences du divorce pour les époux, y compris celles afférentes au sort des avantages matrimoniaux, peu important la date à laquelle ceux-ci ont été stipulés, méconnaissent-elles la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en remettant en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d’une situation légalement acquise ? ».

Ainsi interrogée sur la réunion des conditions permettant la transmission au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation juge la question sérieuse au motif « qu’en modifiant les conséquences du divorce sur les avantages matrimoniaux consentis avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, les dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, pourraient être de nature à remettre en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l’empire des textes antérieurs et porter atteinte à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

La question ainsi posée invite à préciser les difficultés soulevées par les dispositions incriminées afin d’expliquer en quoi un contrôle de constitutionnalité est ici pertinent (I) avant de s’interroger sur l’issue possible de ce contrôle (II).

I - La pertinence du contrôle

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 16 mai 2004, le sort des avantages matrimoniaux (c’est-à-dire, concrètement, les modalités de liquidation du régime matrimonial) dépendait de la cause du divorce. Si le divorce était prononcé sur demande conjointe, les époux décidaient eux-mêmes du sort des donations et avantages qu’ils s’étaient consentis (C. civ., art. 268 anc.). Lorsqu’il était prononcé sur demande acceptée chacun des époux pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages qu’il avait consentis à l’autre (C. civ., art. 268-1 anc.). S’agissant du divorce pour faute, une logique punitive faisait dépendre les avantages et donations entre époux de la répartition des torts. S’ils étaient partagés, chacun pouvait révoquer tout ou partie des donations et avantages consentis à l’autre (C. civ., art. 267-1 anc.). En revanche, lorsque le divorce était prononcé aux torts exclusifs d’un époux, celui-ci perdait de plein droit toutes les donations et tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis (C. civ., art. 267 anc.). Telle était la situation de la demanderesse en l’espèce. Le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs de son époux, elle aurait pu se prévaloir de la déchéance qu’il subissait pour réaliser une reprise des apports à la communauté, si tant est que l’ancien article 267 du code civil fut applicable en la cause. Il est en effet acquis que l’apport d’un bien propre à la communauté constitue un avantage matrimonial (Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-11.967, Bull. civ. I, n° 179 ; Dalloz actualité, 17 oct. 2013, obs. R. Mésa ; D. 2013. 2273 ; AJ fam. 2013. 635, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2013. 887, obs. B. Vareille ; RJPF 2013, n° 12, p. 27 ; JCP N 2014. Comm. 1169 J. Massip ; de même que l’adoption d’une communauté universelle, Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-70.138, Bull. civ. I, n° 250 ; AJ fam. 2011. 48, obs. S. David ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser ; JCP 2011. 1371, § 10, obs. A. Tisserand-Martin ; JCP N 2011, 17, 35, note J. Massip ; Defrénois, 30 avr. 2011, n° 8, p. 828, obs. J. Massip ; Gaz. Pal. 5 févr. 2011, n° 36, p. 16, note J. Casey ; RLDC 2011, n° 79, p. 56).

Cependant ce système complexe a été supprimé par la loi du 26 mai 2004 qui lui a substitué, aux termes du nouvel article 265 du code civil, un mécanisme très différent. Dorénavant, la cause du divorce importe peu. Une distinction doit être réalisée entre les avantages prenant effet au cours du mariage (qui sont maintenus en cas de divorce) et les avantages prenant effet au décès de l’un des époux ou à la dissolution du régime matrimonial (qui sont révoqués de plein-droit, sauf maintien constaté lors du prononcé du divorce). Or l’apport à la communauté, en ce qu’il modifie l’équilibre des masses, prend effet au jour de l’acte qui le stipule. Contrairement aux clauses liquidatives (préciput, parts inégales, attribution intégrale, etc.), il se réalise bien avant le partage, au seuil de l’entrée en vigueur de la convention matrimoniale : il doit donc être considéré comme maintenu malgré le prononcé du divorce pour faute.

Ainsi la situation de l’épouse apporteuse était-elle bien plus favorable à la veille de la réforme du 26 mai 2004 qu’à son lendemain. L’article 265 du code civil lui interdit désormais de réaliser la reprise, et elle n’avait, en 2001, pas...

L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que : « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire ».

Lorsque le débiteur est titulaire de parts sociales dans une société civile immobilière, il est donc possible de solliciter l’autorisation de prendre un nantissement sur les parts sociales.

En revanche, il ne semble pas possible de prendre une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à la société civile immobilière qui n’est pas débitrice, même si l’un de ses associés est le débiteur…et pourtant.

Les faits de l’espèce sont les suivants : une société civile professionnelle notariale estime qu’elle est créancière de l’un de ses associés.

Ce dernier est propriétaire de parts sociales dans trois sociétés civiles immobilières, elles-mêmes propriétaires de trois biens immobiliers.

À l’encontre de celui qu’elle considère comme leur débiteur, la SCP notariale a obtenu du juge de l’exécution d’un tribunal de grande instance de Montbéliard l’autorisation de pratiquer des saisies conservatoires sur les parts détenues par ce dernier dans la SCP et dans plusieurs sociétés civiles immobilières ainsi que sur les comptes bancaires ouverts par lui auprès de plusieurs...

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Le 20 octobre 2017, un justiciable a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Le 7 novembre suivant, ce dernier a relevé appel d’une ordonnance de référé ayant constaté la résiliation du bail conclu avec une société. Le 17 du même mois, le greffe lui a alors adressé l’avis de fixation prévu à l’article 905-1 du code de procédure civile. Le 13 décembre, l’aide juridictionnelle lui est accordée.

Par ordonnance du 21 décembre 2017, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de sa déclaration d’appel sur le fondement de l’article 905-1 du Code de procédure civile, faute pour l’appelant de ne pas l’avoir signifiée dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation.

Ce dernier a déféré à la cour d’appel l’ordonnance du conseiller de la mise en état.

Le bureau d’aide juridictionnelle a désigné un huissier de justice le 8 janvier 2018.

Par arrêt du 12 juillet 2018 la cour d’appel, statuant sur déféré, a confirmé l’ordonnance de caducité.

La Cour, curieusement, reprochait à l’appelant de n’avoir pas signifié sa déclaration d’appel avant l’expiration du délai de dix jours suivant la désignation de l’huissier de justice, soit le 18 janvier 2018. En d’autres termes, selon la cour d’appel, le délai pour signifier la déclaration d’appel avait commencé à courir lors de la désignation de l’huissier de justice, soit le 8 janvier 2018.

M. X a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Ce dernier reprochait notamment à la cour d’appel d’avoir...

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Le règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen prévoit diverses règles de compétence.

La règle générale de compétence est posée par l’article 4 : sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

L’article 5 prévoit par ailleurs la possibilité d’une élection de for. La compétence peut également être liée, selon l’article 7, au choix de la loi régissant l’ensemble de sa succession ou encore être fondée, au titre de l’article 9, sur la comparution de toutes les parties à la procédure.

Des compétences subsidiaires sont par ailleurs établies par l’article 10. Celui-ci dispose notamment, par son point 1, que « lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où : a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès (…) ».

Cet article 10, point 1, a), permet de fonder la compétence des juridictions...

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La difficulté de détermination de la loi applicable trouve son origine dans l’existence de deux textes qui ont, au premier abord, vocation à s’appliquer en présence d’un accident de la circulation ayant un caractère international.

D’une part, le règlement Rome II n° 864/2007 du du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dispose de manière générale, par son article 4, § 1er, que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. D’autre part, la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière retient toutefois spécifiquement que, sous réserve de diverses exceptions, la loi applicable à un accident est la loi interne de l’État sur le territoire duquel l’accident est survenu (art. 3).

Il s’agit là d’un conflit de textes applicables, qui constitue...

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L’arrêt commenté a eu à trancher une question inédite depuis la réforme de la procédure d’appel introduite par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile : les chefs du jugement critiqués par une première déclaration d’appel peuvent-ils être étendus par une seconde déclaration d’appel ?

La réponse à cette question n’était pas évidente au regard des effets induits par le décret du 6 mai 2017. L’appel général d’un jugement n’est plus autorisé et il appartient à l’appelant de mentionner dans sa déclaration d’appel, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou s’il est indivisible (C. pr. civ., art. 901). L’effet dévolutif de l’appel est désormais limité, l’appel ne déférant à la cour d’appel que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent (C. pr. civ., art. 562). La circulaire du 4 août 2017, prise en application du décret, précise que « la notion de chefs de jugement correspond aux points tranchés dans le dispositif du jugement ».

La rédaction de la déclaration d’appel doit donc aujourd’hui être particulièrement soignée par le praticien, la Cour de cassation jugeant que « seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement. Il en résulte que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués l’effet dévolutif n’opère pas » (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol ). Dans une décision du 2 juillet 2020, la Cour de cassation a notamment sanctionné une déclaration mal rédigée en jugeant que « la cour d’appel, ayant constaté que la déclaration d’appel se bornait à solliciter la réformation et/ou l’annulation de la décision sur les chefs qu’elle énumérait et que l’énumération ne comportait que l’énoncé des demandes formulées devant le premier juge, en a déduit à bon droit, […] qu’elle n’était saisie d’aucun chef du dispositif du jugement » (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-16.954). Il convient ainsi de ne pas confondre le dispositif du jugement qui doit être critiqué dans la déclaration d’appel avec les demandes qui ont été formulées devant le juge qui ne constituent pas les « chefs critiqués du jugement » et qui n’ont pas besoin d’être mentionnées dans la déclaration d’appel.

Mais dans une approche pragmatique, la Cour de cassation admet qu’une seconde déclaration d’appel puisse être formée...

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Attention, arrêt remarqué et remarquable en droit des obligations ! Plus précisément, la solution explore les contours de la force majeure de l’article 1218 nouveau du code civil. Si on sait que ses applications peuvent être jugées parfois « sporadiques » comme le note M. Gréau (Rép. civ., v° Force majeure, par F. Gréau, n° 1), il faut bien rappeler que l’économie de l’article 1218 du code civil avait pour vocation de mettre fin au désordre ambiant autour de la notion même de force majeure (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 563, n° 617). Mais l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 explore une question qui peut encore poser difficultés. Le créancier peut-il invoquer la force majeure quand il ne peut pas profiter de la prestation à laquelle il a droit ? Penchons-nous sur les faits pour comprendre la situation. Un couple marié contracte avec une société de chaînes thermales pour un séjour du 30 septembre 2017 au 22 octobre de la même année pour un montant de 926,60 €. La somme a été payée au début du séjour. Le 4 octobre, l’un des époux est hospitalisé. Son épouse quitte également le lieu d’hébergement le 8 octobre suivant pour l’accompagner. Les contractants assignent la société de chaînes thermales pour obtenir résolution et indemnisation de leur contrat en soutenant que par l’effet de la force majeure ils n’ont pas pu profiter des deux dernières semaines d’hébergement. Le tribunal de Manosque précise que « M. B… a été victime d’un problème de santé imprévisible et irrésistible et que Mme B… a dû l’accompagner en raison de son transfert à plus de cent trente kilomètres de l’établissement de la société, rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat d’hébergement ». Ainsi, la force majeure a été reconnue et le contrat résilié. Mais la société se pourvoit en cassation en arguant que si la force majeure permet au débiteur d’une obligation contractuelle d’échapper à sa responsabilité et d’obtenir la résolution du contrat, c’est à la condition qu’elle empêche l’exécution de sa propre obligation. Ainsi, en ayant versé la somme due, la force majeure ne serait pas applicable puisque l’évènement tiré de l’hospitalisation n’a induit que l’impossibilité de profiter de la prestation dont les époux étaient créanciers. La Cour de cassation casse et annule le jugement entrepris pour violation de l’article 1218 du code civil. La motivation est claire : « le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure ». En somme, la force majeure est un outil destiné au débiteur et non au créancier. Voici une solution assurément importante qui appelle plusieurs précisions.

La Cour de cassation opte pour une lecture littérale de l’article 1218 du code civil, lequel a pour centre de gravité le débiteur seulement et non le créancier. Or ce centre de gravité s’explique par l’utilité de la force majeure en premier lieu. Il s’agit d’un mécanisme de protection du débiteur. Toutefois, dans une étude très remarquée, M. Grimaldi offrait un plaidoyer soutenu pour l’admission de la force majeure invoquée par le créancier (C. Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit, D. 2009. 1298, spéc. n° 17 ). L’auteur notait en 2009, soit onze ans avant cet arrêt : « Pour des raisons d’équité, il nous paraît important de reconnaître au créancier la faculté d’invoquer la force majeure pour obtenir l’anéantissement du contrat. Dans ce cas, par principe, le créancier ne saurait être contraint d’exécuter son obligation, et, s’il l’a déjà fait, il devrait obtenir restitution. Il n’en irait autrement que si le débiteur rapportait la preuve d’un préjudice tel qu’il serait inique de le laisser à sa charge, ou si les parties avaient inséré une clause réglant la charge des risques (sous réserve de sa validité, au regard notamment de la législation sur les clauses abusives) ». La question était donc déjà évoquée avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 mais cette importante position doctrinale n’a pas été suivie, du moins expressément. Gravitant autour du débiteur, la force majeure entretient évidemment des liens étroits avec la théorie des risques et le fameux adage res perit debitori (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, p. 820, n° 759). La solution donnée par la Cour de cassation aura peut-être des effets collatéraux sur des contentieux ultérieurs notamment relatifs à l’épidémie de covid-19 (v. par ex. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 ). On peut se demander si la fréquence des demandes dans ce sens formulées par des créanciers en période de coronavirus ne pourrait pas faire évoluer une telle position ; c’est du moins l’idée avancée par M. Grimaldi il y a quelques semaines dans les colonnes du Recueil Dalloz, citant même le jugement du tribunal de Manosque entrepris dans l’arrêt du 25 septembre 2020 (C. Grimaldi, Quelle jurisprudence demain pour l’épidémie de covid-19 en droit des contrats ?, D. 2020. 827, spéc. n° 10 ). La position de la Cour de cassation reste toutefois claire : la force majeure ne peut pas être invoquée par le créancier qui ne peut pas profiter de la prestation due.

On pourrait objecter à la solution de la Cour de cassation une certaine rigueur pour le créancier ; rigueur qu’elle n’a d’ailleurs pas toujours appliquée selon les circonstances (v. Civ. 1re, 10 févr. 1998, n° 96-13.316, D. 1998. 539 , note D. Mazeaud ; RTD civ. 1998. 674, obs. J. Mestre ; ibid. 689, obs. P. Jourdain , mais qui concerne une hypothèse régie par un texte spécial du code de l’éducation). Il y aurait là une volonté de s’écarter « des termes traditionnellement un peu trop étriqués de la théorie des risques et en mettant l’accent sur l’équilibre des relations entre les parties » (Rép. civ., op. cit., n° 96). Ces plaidoyers restent toutefois, malgré leur caractère très séduisant, peu suivis par la Cour de cassation. La solution analysée aujourd’hui montre que la haute juridiction reste arc-boutée sur la lettre de l’article 1218 du code civil. Texte centré autour du débiteur et non autour du créancier, l’article invite à n’appliquer la force majeure qu’au premier et à la refuser au second. On regrettera évidemment l’absence d’équilibre que tout ceci suggère entre les acteurs de l’obligation notamment dans les contrats synallagmatiques où le créancier d’une prestation est le débiteur d’une autre. Cette restriction dans l’approche de la force majeure permet toutefois de ne pas étendre ce mécanisme à la portée importante à des terres qui lui sont lointaines. Une approche volontairement minimaliste est donc préférée pour le moment. Reste à savoir si cette position peut résister à des demandes massives qui pourraient arriver devant les tribunaux prochainement en raison de l’épidémie de coronavirus. Affaire à suivre.

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par Cédric Hélainele 8 décembre 2020

Civ. 2e, 8 oct. 2020, F-P-B+I, n° 19-17.575

1. Les conditions assez strictes pour opérer une compensation permettent d’éviter d’éteindre simultanément des dettes qui n’ont pas vocation à disparaître immédiatement. Rapprochant ce mécanisme d’un paiement simplifié (Rép. civ., v° Compensation, 2017, par  A-M. Toledo-Wolfsohn, n° 1), le régime général de l’obligation l’intègre comme un mode original d’extinction des obligations. Mais ses conditions sont strictes : hier comme aujourd’hui, sont exigées deux créances certaines, liquides, exigibles et fongibles. Ces prérequis sont justement au centre de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 8 octobre 2020. Le contentieux porté devant la Haute juridiction concernait une créance de 890,50 € que l’URSSAF exigeait par contrainte à un cotisant. La juridiction de sécurité sociale compétente – le tribunal de grande instance de Carcassonne – avait refusé de prononcer la compensation entre des cotisations « employeur au régime général » encore dues par le demandeur au pourvoi et d’autres cotisations « profession indépendante » pour lesquelles l’URSSAF devait un remboursement. Le cotisant se...

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À la suite de la vente d’un immeuble en l’état futur d’achèvement, le notaire déposa une requête tendant à l’inscription du privilège du vendeur. Face au rejet de la requête par le juge du livre foncier de Strasbourg, le notaire forma un pourvoi immédiat contre l’ordonnance du juge. Pour appuyer son rejet, le juge du livre foncier se fondait sur le non-respect du délai de deux mois exigé par l’article 2379, alinéa 1er, du code civil pour l’inscription des privilèges à compter de l’acte de vente.

La cour d’appel de Colmar confirme la décision du juge du livre foncier. Elle considère que le délai prévu par l’article 2379, alinéa 1er, du code civil est applicable au cas d’espèce. Dès lors, le manquement par le notaire à ce délai a pour conséquence de transformer la sûreté en hypothèque légale, qui ne prendra rang à l’égard des tiers qu’à la date de l’inscription (C. civ., art. 2386). Le notaire soutenait au contraire que cette règle n’était pas applicable en s’appuyant sur les dispositions d’Alsace-Moselle.

Le litige portait ainsi sur l’application de la loi dans l’espace. Fallait-il appliquer le droit issu du code civil, ou bien le droit local ? En effet, la loi du 1er juin 1924, qui met en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, contient en son sein un chapitre relatif aux droits sur les immeubles et au livre foncier. Concernant « l’organisation, la constitution, la transmission et l’extinction des droits réels immobiliers et autres droits et actes soumis à publicité », le droit français s’applique « sous réserve des dispositions du présent chapitre » (art. 36-1). Or, l’article 45 prévoit que « la date et le rang de l’inscription sont déterminés par la mention du dépôt de la...

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La Cour de cassation vient préciser que le créancier qui n’a pas pu profiter de la prestation ne peut pas invoquer la force majeure pour demander la résolution du contrat. La force majeure est un outil à la disposition du débiteur et non du créancier.

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Auteur d'origine: chelaine

La Cour vient rappeler que la compensation ne peut se produire qu’en présence de deux créances réciproques qui réunissent les conditions de certitude, d’exigibilité, de liquidité et de fongibilité. Sans preuve d’une éventuelle connexité, l’absence de l’une de ces conditions conduit au rejet de l’utilisation de la compensation.

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Auteur d'origine: chelaine

Les dispositions relatives à l’inscription des privilèges issues de la loi du 1er juin 1924 instituent un régime spécial avec des règles de fond différentes de celles du droit général et continuent donc à s’appliquer dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Dès lors, le délai de deux mois exigé par l’article 237, aliéna 1er, du code civil pour l’inscription des privilèges à compter de l’acte de vente n’est pas applicable. 

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Auteur d'origine: Agailliard

L’intervention volontaire accessoire, qui appuie les prétentions d’une partie, est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

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Auteur d'origine: gsansone

Le ministère de la Justice a demandé jeudi l’abaissement d’un échelon à l’encontre de François-Marie Cornu, ex-juge d’instruction à Bastia, jugé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) notamment pour manquement à son devoir de réserve. Sa défense a sollicité l’abandon des poursuites.

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Auteur d'origine: babonneau

 « Une politique inadaptée au temps de l’enfant », la Cour des comptes qualifie ainsi la protection de l’enfance dans un rapport publié le 30 novembre. 

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Auteur d'origine: pastor

La Cour de cassation confirme que, lorsque l’enfant est issu d’une GPA régulièrement réalisée à l’étranger, la transcription complète de l’acte de naissance indiquant les deux pères d’intention comme parents juridiques est possible (et est désormais la règle ?) dès lors que l’acte est régulier au regard du système juridique étranger.

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Auteur d'origine: lgareil

Une autorisation de visite susceptible d’appel

L’Autorité des marchés financiers (AMF) se voit confier une grande diversité de missions (C. mon. fin., art. L. 621-1). Pour les accomplir, elle dispose de nombreux pouvoirs (v., parmi d’autres, T. Bonneau, P. Pailler, A.-C. Rouaud, A. Tehrani et R. Vabres, Droit financier, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 115, p. 97). Dans le cadre de sa mission de veille et de surveillance des marchés, l’AMF peut notamment mener des contrôles et des enquêtes (C. mon. fin., art. L. 621-9 s.). L’article L. 621-12, alinéa 1er, du code monétaire et financier permet ainsi à son secrétaire général de demander au juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire, dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter, d’autoriser les enquêteurs de l’autorité à effectuer des visites en tous lieux. Longtemps, cette ordonnance du JLD n’a été susceptible que d’un pourvoi en cassation. Sous la menace d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur a finalement permis, au préalable, l’exercice d’un recours devant le premier président de la cour d’appel de Paris (sur cette évolution, v. F. Molinié, Visites domiciliaires de l’AMF et droits fondamentaux : panorama et perspectives au regard de quelques évolutions récentes, Rev. banc. fin. 2018. Étude 5, spéc. nos 8 s.). Or, dans ces contentieux économiques complexes, il n’est pas rare qu’un tiers à la visite intervienne volontairement devant le premier président. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation vient préciser qu’elle doit être la nature de l’intérêt de l’auteur d’une telle demande incidente.

En l’espèce, un JLD a autorisé des enquêteurs de l’AMF, en charge d’une enquête ouverte par son secrétaire général portant sur l’information financière et le marché du titre d’une société, à procéder à une visite au siège social de celle-ci à l’occasion de la tenue de son prochain conseil d’administration. Une fois les opérations effectuées, l’une des représentantes de la société dont les ordinateurs portables et téléphones mobiles ont été saisis a relevé appel de l’ordonnance d’autorisation de visite et exercé un recours contre leur déroulement. Une autre société est intervenue volontairement à l’instance, à titre accessoire.

La visite domiciliaire accordée par l’ordonnance du JLD se limitant au siège social de la première société, le premier président a déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire à titre accessoire de l’autre société. Par ailleurs, il a rejeté la demande tendant à la restitution de l’intégralité des pièces et documents saisis auprès de la représentante de la société. Logiquement, la représentante de la première société et l’autre société intervenue volontairement à l’instance devant le premier président ont formé un pourvoi en cassation. Premièrement, ils font grief au premier président d’avoir déclaré irrecevable la demande d’intervention volontaire accessoire de la société qui n’a pas été visitée. Pour eux, il n’aurait pas dû conditionner cette demande incidente à l’existence d’un intérêt à agir. Deuxièmement, ils dénoncent une atteinte au droit au respect de la vie privée et de la correspondance de la représentante de la société qui n’aurait pas dû être concernée par la saisie de documents dès lors qu’elle n’était que de passage à l’occasion du conseil d’administration.

La chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’ordonnance du premier président. Au visa de l’article 330 du code de procédure civile, elle reproche d’abord au premier président d’avoir privé sa décision de base légale en écartant l’intérêt de la société à intervenir volontairement à titre accessoire. Au visa des articles L. 621-12 du code monétaire et financier et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle lui reproche ensuite de ne pas avoir retenu l’illégalité de la saisie de documents de la représentante de la société. Délaissant volontairement les aspects substantiels, ce commentaire se concentrera sur les aspects procéduraux, et plus précisément la consistance que doit revêtir l’intérêt de l’intervenant volontaire à titre accessoire.

Les deux formes d’intervention volontaire

Les définitions légales permettent « de traiter des ensembles, ou au moins de régler les rapports de mots et des distinctions de concepts » (G. Cornu, Linguistique juridique, 3e éd., LGDJ, 2005, n° 22, p. 106). Le code de procédure civile offre de nombreux exemples de cet exercice de linguistique juridique. Ainsi, après avoir révélé l’existence de deux formes d’intervention volontaire – principale et accessoire (C. pr. civ., art. 328), les rédacteurs du code se sont attachés à en donner une définition. « L’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme » (C. pr. civ., art. 329, al. 1er). Au contraire, l’intervention est « accessoire lorsqu’elle appuie des prétentions d’une partie » (C. pr. civ., art. 330, al. 1er). Tout est dit.

De cette différence de nature doit normalement naître une différence de régime juridique (J.-L. Bergel, Différence de nature (égale) différence de régime, RTD civ. 1984. 255). À l’étude, des différences très nettes apparaissent (v. not. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 35e éd., Dalloz, 2020, nos 357 s., p. 288 s.). L’arrêt commenté permet de rappeler l’une d’entre elles concernant les conditions de recevabilité.

L’intérêt à agir n’est pas l’intérêt à intervenir accessoirement

Reprenons les dispositions du code de procédure civile consacrées à l’intervention volontaire. Après avoir défini la forme principale, l’article 329, alinéa 2, précise qu’elle « n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention » (nous soulignons). Rien d’étonnant à exiger de l’auteur d’une prétention personnelle qu’il ait intérêt et qualité pour le faire ! Quant à la forme accessoire, l’article 330, alinéa 2, précise qu’elle « est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie » (nous soulignons). Que faut-il déduire de ces rédactions quelque peu divergentes ? A priori, pas grand-chose. L’intérêt n’est-il pas une des conditions du droit d’agir en justice ? Le premier président de la cour d’appel en a jugé ainsi. Mais comment expliquer alors que sa décision ait été cassée par la chambre commerciale de la Cour de cassation ? C’est tout simplement parce que l’intérêt de l’article 330, alinéa 2, n’est pas celui de l’article 329, alinéa 2 ! En effet, l’intérêt à « intervenir accessoirement n’est pas identique à celui exigé pour agir » (J.-J. Taisne, J.-Cl. pr. civ., fasc. 600-20, spéc. n° 61). S’il s’agit bien d’un intérêt propre, celui-ci est « atténué » en ce qu’il se réduit à voir la prétention de la partie principale reçue par le juge (v. Rép. pr. civ., v° Intervention, par D. d’Ambra et A.-M. Boucon, spéc. n° 10). L’intervenant à titre accessoire « ne prétend donc à rien pour lui-même ; il prend seulement fait et cause pour l’une des parties originaires » (N. Cayrol, Procédure civile, 3e éd., Dalloz, 2020, n° 856, p. 418). On comprend mieux les raisons de cette cassation de l’ordonnance pour défaut de base légale. En recherchant l’existence d’un intérêt à agir, et non d’un intérêt à intervenir accessoirement, le premier président a manqué de constater une condition d’application de l’article 330 du code de procédure civile. Voilà certainement une nuance subtile, mais une nuance malgré tout !