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L’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 vient apporter des solutions à l’abrogation annoncée de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique annoncée par la décision QPC n° 2020-844. Bref retour sur le rôle accru du juge des libertés et de la détention qui en résulte.

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Auteur d'origine: chelaine

Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles réservé quant à l’extension de la possibilité d’un partage des allocations familiales à l’ensemble des prestations familiales.

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Auteur d'origine: Dargent

En application du règlement Bruxelles I, une personne physique domiciliée dans un État membre qui, d’une part, a conclu avec une société établie dans un autre État membre un contrat pour jouer au poker sur internet et, d’autre part, n’a ni officiellement déclaré une telle activité ni offert cette activité à des tiers en tant que service payant ne perd pas la qualité de « consommateur », même si elle joue à ce jeu un grand nombre d’heures par jour, possède des connaissances étendues et perçoit des gains importants issus de ce jeu.

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Auteur d'origine: fmelin

Il importe peu que l’appelant incident, par ailleurs appelant principal, voie son affaire radiée pour non-exécution, l’intimé étant recevable à former appel incident sur l’appel principal recevable.

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Auteur d'origine: Dargent

La mise en cause d’une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance relève du tribunal de commerce.

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Auteur d'origine: Dargent

Lorsque le litige est indivisible, la seconde déclaration d’appel, formée pour appeler à la cause une partie omise dans la première déclaration, ne crée pas une nouvelle instance.

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Auteur d'origine: Dargent

En matière de crédit affecté, le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute. Tel n’est pas le cas lorsque les emprunteurs ont reçu, sans émettre de réserves, une éolienne en bon état de fonctionnement et que la banque a débloqué les fonds à leur demande.

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Auteur d'origine: jdpellier

En cas de radiation du rôle pour défaut d’exécution, l’affaire ne peut être rétablie que si l’appelant a manifesté la volonté non équivoque d’exécuter la décision de première instance. L’appréciation en est faite en considération de ce qui a été décidé par le premier juge dans le dispositif de sa décision.

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Auteur d'origine: gsansone

L’efficacité de la cession, par certains indivisaires, de leurs droits indivis dans un des biens dépendant de l’indivision successorale, est subordonnée au résultat du partage. La Cour de cassation réaffirme ici les conséquences de l’effet déclaratif du partage à l’occasion d’une indivision complexe.

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Auteur d'origine: qguiguet

À la suite d’une légionellose contractée à l’occasion d’un séjour dans un établissement thermal, la victime a agi en responsabilité contre l’établissement exploitant les installations, la société d’économie mixte d’exploitation du thermalisme et du tourisme (SEMETT). Cette dernière a été condamnée à indemniser la victime, et à payer la créance de l’organisme de sécurité sociale, la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

La société a fait un premier appel, n’intimant que la victime. Puis, une quinzaine de jours plus tard, elle forme une seconde déclaration d’appel pour intimer l’organisme de sécurité sociale.

Dans le cadre de son pourvoi, la société condamnée invoquait des conclusions déposées le même jour, dans le cadre de la seconde instance, et dont la cour d’appel n’aurait pas tenu compte.

Le pourvoi est rejeté au motif qu’en cas d’indivisibilité du litige, permettant à la partie d’appeler les parties omises dans le premier acte d’appel, la seconde déclaration d’appel ne crée pas une instance unique, de sorte que la cour avait bien statué au regard des dernières conclusions de l’appelant.

L’indivisibilité du litige

Un mot doit être dit sur cette indivisibilité du litige, qui permet d’élargir une intimation posée par une première déclaration d’appel.

Pour la Cour de cassation, l’indivisibilité se caractérise par « l’impossibilité d’exécuter séparément les dispositions du jugement concernant chacune des parties » (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-10.126 P). Mais l’imbrication des obligations entre les parties ne suffit pas à créer l’indivisibilité (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-10.269).

Certains litiges sont indivisibles par nature, comme en matière d’admission de créance, ce qui oblige à appeler à la cause, à peine d’irrecevabilité, les organes de la procédure collective (Civ. 2e, 10 janv. 2019, n° 17-27.060). De même, il a été jugé que la péremption est par nature indivisible (Civ. 2e, 3 janv. 1980 ; 28 oct. 1985 ; 11 juin 1997).

Cette indivisibilité a des conséquences sur le plan procédural.

Ainsi, comme le prévoit l’article 529, « Dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l’une d’elles. ». Une partie peut donc se prévaloir d’une signification faite par une autre partie pour soutenir que l’appel est tardif à son égard.
Par ailleurs, il est prévu à l’article 553 que « En cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance; l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance ».

L’indivisibilité oblige donc à ce que toutes les parties soient appelées en cause d’appel, à peine d’irrecevabilité, ce qui se comprend puisque cela pourrait aboutir à obtenir un jugement impossible à exécuter.

En l’espèce, la société avait omis, dans son premier acte d’appel, d’intimer l’organisme de sécurité sociale. Or, dans le cadre d’un litige d’indemnisation d’un préjudice corporel il existe une indivisibilité entre l’auteur, la victime et l’organisme social (par ex., Rennes, 5e ch., 8 nov. 2017, n° 16/09778 ; Orléans, ch. civ., 19 juin 2017, n° 15/04183 ; Chambéry, 30 oct. 2008, n° 08/00794 ; Douai, 3e ch., 1er mars 2018, n° 17/02640).

En conséquence l’appelant, auteur, devait intimer la victime, mais également l’organisme...

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Le crédit affecté, que le Code de la consommation qualifie également de crédit lié, est celui « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique » (C. consom., art. L. 311-1, 11°). Dès lors, le crédit est intimement lié au contrat principal, l’anéantissement du second entraînant nécessairement celle du premier (C. consom., art. L. 312-55 : « En cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur »). L’emprunteur est alors, en principe, obligé de restituer le capital au prêteur, excepté si ce dernier a commis une faute ayant entraîné un préjudice à l’égard de l’emprunteur (la faute de celui-ci pouvant toutefois conduire à un partage de responsabilité. V. par ex. Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-23.529, Dalloz actualité, 16 juin 2020, obs J.-D. Pellier ; D. 2020. 1101 ; RTD com. 2020. 701, obs. B. Bouloc ). Encore faut-il démontrer tous ces éléments, ce qui n’est pas toujours chose aisée, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020. En l’espèce, un couple d’emprunteurs a, le 9 juin 2012, après un démarchage à domicile, acquis une éolienne auprès d’une société, qui a été placée en liquidation judiciaire le 24 octobre 2012. Ils avaient souscrit, le jour de l’acquisition, auprès d’une banque, un prêt destiné à la financer. L’éolienne a été installée le 2 juillet 2012 et la...

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En procédure civile plus qu’ailleurs, « une sanction peut en cacher une autre » (L. Cadiet, La sanction et le procès civil, Mélanges en l’honneur de J. Héron, LGDJ, 2008, p. 125 s., spéc. p. 146. Adde, C. Chainais, Les sanctions en procédure civile. À la recherche d’un clavier bien tempéré, in D. Fenouillet et C. Chainais (dir.), La sanction en droit contemporain, vol. 1, La sanction entre technique et politique, Dalloz, 2012, p. 357 s., spéc. nos 45 s.). La caducité d’une assignation, parce qu’elle prive cet acte de procédure de son effet interruptif des délais (Cass., ass. plén., 3 avr. 1987, n° 86-11.536, Bull. AP, n° 2, p. 3), peut conduire à l’irrecevabilité d’une initiative processuelle devenue prescrite ou forclose. De même, ce qui n’est a priori qu’une sanction dérisoire – la radiation – peut constituer le terreau d’une sanction aux effets bien plus dévastateurs – la péremption.

De la radiation à la péremption de l’instance. La radiation sanctionne dans les conditions de la loi le défaut de diligence des parties (C. pr. civ., art. 381, al. 1er) ; elle est la « sanction bilatérale d’une carence réciproque » (G. Cornu, J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., 1996, n° 172, p. 688). Ainsi, lorsque devant la juridiction désignée les parties sont tenues de se faire représenter, l’affaire est d’office radiée si aucune d’elles n’a constitué avocat dans le mois de l’invitation qui leur a été faite (C. pr. civ., art. 82). Si aucune des parties n’accomplit les actes de la procédure dans les délais requis, le juge peut, « d’office, radier l’affaire par une décision non susceptible de recours après un dernier avis adressé aux parties » (C. pr. civ., art. 470). À cette forme de radiation « défaut de diligences », le pouvoir réglementaire a ajouté il y a quelques années une radiation « défaut d’exécution » qui sanctionne le demandeur qui ne justifie pas avoir exécuté la décision qu’il conteste . Initialement cantonnée au demandeur au pourvoi en cassation (C. pr. civ., art. 1009-1), cette sanction a été étendue à l’appelant lorsque l’exécution est de droit ou a été ordonnée (C. pr. civ., art. 524).

Cette sanction n’a qu’un effet limité : l’affaire est retirée du rôle des affaires en cours (C. pr. civ., art. 381, al. 2), comme « mise en sommeil par le juge » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., 2019, n° 1193, p. 973). L’instance demeure donc, simplement suspendue en raison du désintérêt manifeste des parties. À ce titre, cette sanction paraît être de peu d’importance. C’est une erreur ! En effet, le rétablissement de l’affaire n’est possible que si l’instance ne s’est pas périmée entre temps (C. pr. civ., art. 383, al. 2). La péremption de l’instance advient lorsque « aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans » (C. pr. civ., art. 386). L’instance s’éteint alors (C. pr. civ., art. 385), elle se trouve comme effacée, il n’en reste plus rien. Si elle n’éteint pas l’action par elle-même (C. pr. civ., art. 389), la disparition de l’instance qu’elle entraîne fait disparaître l’acte introductif d’instance, et avec lui son effet interruptif des délais. Le droit se trouve alors pleinement exposé aux effets définitifs du temps… En définitive, « sous des dehors relativement inoffensifs [la radiation] se révèle à la longue comme une main de fer simplement gantée de velours, qui broie leur affaire » (I. Desprès et A. Pic, Les perturbations du lien d’instance (interruption, radiation, péremption, caducité), in L. Flise, E. Jeuland (dir.), Du lien d’instance aux liens processuels 1975-2015, Actes des 6e rencontres de procédure civile, 2016, IRJS, p. 55 et s., p. 70).

Un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. Cette dégénérescence de la radiation en péremption peut heureusement être évitée. En cas de radiation « défaut d’exécution », il faut un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter la décision attaquée (C. pr. civ., art. 524, al. 7 ; art. 1009-2, al. 1er). Attention, pour être efficace, ce remède doit intervenir avant l’expiration d’un délai de deux ans courant depuis la notification de la décision ordonnant la radiation (C. pr. civ., art. 524, al. 7). Illustrant ce risque de « combinaison-aggravation », l’arrêt commenté précise les contours de ce que doit être une diligence interrompant le délai de péremption de l’instance d’appel.

Un résidant monégasque décède. Le de cujus ayant institué un légataire universel, le tribunal de première instance de Monaco l’envoie en possession. La veuve du de cujus assigne le légataire universel devant le tribunal de grande instance de Paris. Par jugement revêtu de l’exécution provisoire, il transmet l’intégralité de la succession à la veuve et condamne le légataire universel à lui payer une somme de 100 000 € en raison d’un manque à gagner. Le légataire universel interjette appel de ce jugement, mais faute d’avoir exécuté celui-ci l’affaire est radiée. Deux jours avant le deuxième anniversaire de la date du jugement, il règle la condamnation de 100 000 € et sollicite la réinscription de l’affaire au rôle. S’opposant à cette réinscription, la veuve soulève la péremption de l’instance. Le conseiller de la mise en état ayant écarté l’incident, la veuve défère l’ordonnance à la cour d’appel.

Les juges infirment l’ordonnance et jugent au contraire l’instance périmée. Selon eux, en cas de radiation de l’appel pour défaut d’exécution du jugement attaqué, seule l’exécution raisonnable de la décision constitue un acte interruptif de péremption. Or, en ne justifiant pas avoir permis à la veuve d’entrer en possession de l’entièreté du patrimoine du de cujus, le légataire universel n’a pas manifesté une volonté raisonnable d’exécuter le jugement. Le légataire universel forme alors un pourvoi en cassation. Pour lui, l’interruption du délai de péremption ne peut être subordonnée à la réinscription de l’affaire au rôle ; une diligence manifestant la volonté de faire progresser l’instance suffit. Non seulement la cour d’appel a inopportunément écarté l’existence d’une volonté d’exécuter le jugement, mais en outre elle a ajouté au dispositif du jugement en exigeant du légataire qu’il réalise « concrètement la transmission du patrimoine successoral ».

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué. Elle rappelle que tout acte d’exécution significative de la décision attaquée manifeste la volonté non équivoque de l’exécuter et constitue, par conséquent, une diligence interrompant le délai de péremption de l’instance d’appel. À ce propos, et c’est là l’apport de l’arrêt, l’appréciation du caractère significatif de l’exécution de la décision frappée d’appel doit être seulement faite en considération de ce qui a été décidé par le premier juge dans le dispositif de sa décision.

L’appréciation du caractère significatif en considération de ce qui a été jugé. Un acte d’exécution de la décision attaquée ne manifeste pas toujours une volonté non équivoque de l’appelant ou du demandeur au pourvoi de l’exécuter. Pour être certain que cette volonté anime le plaideur, il faut qu’il soit l’auteur d’un « acte d’exécution significative ». De toute évidence, l’appréciation du caractère significatif relève du pouvoir souverain des juges du fond. En revanche, il appartient à la Cour de cassation de les rappeler à l’ordre lorsque leur appréciation porte atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée (C. pr. civ., art. 480).

Reprenons les faits. Pour caractériser sa volonté non équivoque d’exécuter le jugement attaqué, le légataire universel a déposé des conclusions au fond, formulé une demande de réinscription de l’affaire au rôle et effectué le règlement de la somme de 100 000 € en exécution du jugement. En vain, puisque la cour d’appel a considéré ces actes d’exécution non significative. Selon elle, le jugement n’a pas été exécuté dans la mesure où le patrimoine n’a pas été transmis à la veuve. En effet, si le jugement n’a pas fixé les modalités de cette transmission, le légataire universel n’en est pas moins tenu de justifier avoir permis à la veuve d’entrer en possession de l’intégralité du patrimoine. Dit autrement, en ne permettant pas de réaliser « concrètement » la transmission du patrimoine successoral, alors qu’il lui appartenait à lui seul de le faire, le légataire universel n’a pas accompli de diligences de nature à faire avancer l’instance. Cependant, en raisonnant ainsi, les juges du fond ont commis une erreur : à aucun moment le dispositif du jugement attaqué n’exige une telle réalisation concrète. Il se borne simplement à dire que l’intégralité de la succession tant immobilière que mobilière du de cujus est transmise à sa veuve ; il n’impartit aucune diligence au légataire à l’effet de permettre à celle-ci d’entrer en possession des biens dépendants de cette succession. La cour d’appel a donc ajouté au dispositif et partant méconnu l’autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu. En définitive, les juges devront se montrer excessivement rigoureux au moment de rédiger leur dispositif s’ils veulent voir l’autorité de leur jugement renforcé par la menace d’une radiation.

Au terme de ce commentaire, on peut émettre un regret. La Cour de cassation n’a pas apporté de réponse à un moyen opportunément soulevé par le demandeur au pourvoi : dans l’hypothèse où l’instance a donné lieu à une mesure de radiation « défaut d’exécution », le rétablissement de l’affaire au rôle est-il le seul moyen pour interrompre le délai de péremption ? C’est ce qu’a jugé, à tort, la cour d’appel. Une impulsion processuelle, quelle que soit sa nature, doit suffire (comp. à propos d’une radiation « défaut de diligences », Civ. 2e, 16 mars 2000, n° 97-21.029, Bull. civ. II, n° 47 ; D. 2000. 128 ; RTD civ. 2000. 398, obs. R. Perrot ; Procédures 2000. Comm. 117, obs. R. Perrot). Que de temps perdu en raison d’une sanction – la radiation « défaut d’exécution » – dont la doctrine a démontré l’inefficacité… (J. Beauchard, La relativité du dilatoire, Mélanges en l’honneur de Jacques Héron, 2009, LGDJ, p. 101 s., spéc. p. 108).

Une indivision complexe était née entre trois sœurs et un frère à la suite du décès de leur mère en 2009. Deux des sœurs étaient en effet déjà en indivision avec leur mère de son vivant sur un appartement situé à Paris, propriété indivise répartie à hauteur de 68 % pour la mère et 16 % pour chacune des filles, Bérénice et Stéphanie. Au décès de la mère, ses droits sur l’immeuble intégrèrent l’indivision successorale entre les quatre enfants. Bérénice et Stéphanie détenaient ainsi, en plus de leurs 16 % sur l’immeuble, une quote-part d’1/4 de l’indivision successorale (en ce compris les 68 % sur l’immeuble). Les deux autres enfants, Jean-Marc et Valérie, ne disposaient quant à eux que d’une quote-part d’un quart de l’indivision successorale (en ce compris les 68 % sur l’immeuble).

Soucieux de simplifier les choses, Bérénice et Jean-Marc avaient cédé à Stéphanie leurs droits sur l’immeuble à la faveur d’un acte authentique daté du 26 décembre 2011, auquel Valérie ne prit pas part, qui précisait que les parties entendaient expressément faire cesser l’indivision successorale sur les parts cédées. Aucune mention ne prévoyait que l’effectivité de la cession serait soumise à l’aléa du partage de l’indivision successorale dans son ensemble.

Une mésentente et des difficultés subsistaient entre les deux sœurs encore titulaires de droits sur l’immeuble. Valérie assigna donc Stéphanie en partage.

Par un arrêt infirmatif du 14 décembre 2018, la cour d’appel de Versailles ordonna le partage de l’indivision entre la demanderesse et la défenderesse au motif qu’il résulte de l’article 883 du code civil que l’effet déclaratif peut s’attacher à un acte qui n’emporte pas attribution de droits privatifs.

Stéphanie, la défenderesse succombante, forma un pourvoi en cassation. Elle reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir violé l’article 883 du code civil en refusant de tirer les conséquences de ce que les droits des cédants étaient subordonnés à l’aléa du partage. Selon la troisième branche du moyen «...

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Le 27 septembre 2016, une salariée interjette appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la cour d’appel d’Orléans et l’employeur relève à son tour appel dès le lendemain. Sur le premier appel, le conseiller de la mise en état est saisi par l’appelante d’un incident d’irrecevabilité de conclusions et d’appel incident de l’intimé et, sur le second, de la caducité de l’appel principal. Les deux incidents étaient donc conduits par la salariée, en qualité d’appelante sur le premier appel et en celle d’intimée sur le second. Le conseiller de la mise en état, après avoir joint les procédures, déboute la salariée de toutes ses demandes et l’appelante défère à la cour l’ordonnance. Par arrêt sur déféré du 18 décembre 2017, la cour d’appel dit n’y avoir lieu à statuer sur la caducité de l’appel et l’irrecevabilité des conclusions. Une fois l’arrêt sur le fond rendu, la salariée et l’Union départementale des syndicats Force Ouvrière d’Indre-et-Loire, qui était intervenante volontaire en cause d’appel, forment un pourvoi contre les deux arrêts. Se prononçant sur l’arrêt rendu sur déféré, la deuxième chambre civile juge :

« Vu les articles 4, 462 et 916 du code de procédure civile :
9. Il résulte de ces textes que lorsqu’elle est saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, ayant statué dans les cas prévus aux alinéas 2 et 3 de l’article 916, la cour d’appel examine, si la demande lui en est faite, les autres demandes soumises au conseiller de la mise en état que celui-ci n’aurait pas tranchées, y compris en raison d’une omission de statuer, dès lors qu’elles étaient formulées dans les conclusions examinées par le conseiller de la mise en état et que celui-ci n’a pas réservé sa décision sur ces demandes.
10. Pour...

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Un contrat de transport fut conclu, en ligne, entre la société Ryanair, de droit irlandais, et un passager pour un vol entre Milan et Varsovie.

Le vol ayant été annulé, le passager pouvait prétendre à une indemnisation en application du règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol.

Ce passager céda ses droits à une société, ayant son siège en Pologne, spécialisée dans le recouvrement de créances. Cette société saisit une juridiction polonaise d’une demande d’indemnisation à l’encontre de la société Ryanair. Cette dernière contesta alors la compétence de cette juridiction, au motif que les conditions générales du contrat de transport stipulaient une clause attributive de compétence désignant les tribunaux irlandais. Selon la société Ryanair, cette clause s’imposait à la société cessionnaire de la créance d’indemnisation du passager.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 18 novembre 2020, rédigé dans un style limpide. Il envisage deux aspects.

Absence d’opposabilité de la clause attributive au cessionnaire du droit à indemnisation

L’article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose que, « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ».

Il s’agit là d’un mécanisme classique du règlement, à propos duquel la Cour de justice est régulièrement appelée à intervenir. Elle a déjà précisé, par exemple, qu’il importe peu que la clause ait été acceptée en ligne, à la suite d’une acceptation par « clic » des conditions générales du contrat (CJUE 21 mai 2015, El Majdoub, aff. C-322/14, Dalloz actualité, 10 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1279 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2015. 370, obs. L. Constantin ; RTD com. 2015. 777, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

La difficulté était en l’espèce de déterminer si la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de transport liant la société Ryanair à un passager pouvait ou non être opposée à une société cessionnaire du droit à indemnisation de ce passager.

À ce sujet, il est acquis qu’en principe (pour une présentation de différentes hypothèses jurisprudentielles, Mémento Francis Lefebvre Procédure civile, 2020/2021, n° 64530), une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat (CJUE 28 juin 2017, Leventis et Vafeias, aff. C-436/16, pt 35, D. 2017. 1370 ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2017. 739, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Rev. UE 2017. 570, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ; Europe 2016, Comm. 335, obs. Idot).

En l’espèce, l’arrêt relève que la société de recouvrement n’a pas consenti à être liée par une clause attributive de juridiction à la société Ryanair, et que cette dernière n’a pas davantage consenti à être liée à cette société de recouvrement par une telle clause (arrêt, pt 44).

Il en déduit que la clause attributive ne peut pas être opposée à la société de recouvrement (arrêt, pt 46). L’arrêt (pt 47) réserve cependant l’hypothèse dans laquelle, conformément au droit national applicable au fond, le tiers aurait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations, auquel cas la clause attributive de juridiction pourrait le lier (v. déjà, en ce sens, CJUE 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, aff. C-352/13, pt 65, Dalloz actualité, 15 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2016. 964, obs. D. Ferrier ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2015. 382, obs. A.-M. Luciani ; Rev. crit. DIP 2019. 786, note L. Idot ; RTD eur. 2015. 807, obs. L. Idot ; JCP 2015. 665, note D. Berlin ; Procédures 2015. Comm. 225, obs. C. Nourissat).

Clause attributive et clause abusive

L’affaire a conduit la Cour de justice de l’Union européenne à se pencher sur une seconde difficulté, cette fois de qualification de la clause attributive de compétence.

Ainsi qu’il l’a été rappelé précédemment, l’article 25, § 1, prévoit la compétence des juridictions d’un État membre désignées par la clause attributive de juridiction, « sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre ».

Ce principe est essentiel en l’espèce.

Puisque la clause attributive désigne les tribunaux irlandais, il conduit à devoir apprécier la validité de cette clause au regard du droit irlandais mais interprété conformément au droit de l’Union, et notamment à la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. On sait en effet que cette directive constitue une réglementation générale de protection des consommateurs, qui a vocation à s’appliquer dans tous les secteurs d’activité économique, y compris dans celui du transport aérien (CJUE 6 juill. 2017, Air Berlin, aff. C-290/16, pt 44, Dalloz actualité, 4 sept. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1468 ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; JT 2017, n° 201, p. 14, obs. X. Delpech ; RTD eur. 2018. 159, obs. L. Grard ; Europe 2017. Comm. 364, obs. Michel ; CCC 2017. Comm. 213, obs. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2018. Chron. 2, n° 11, obs. C. Aubert de Vincelles).

La référence à cette directive est décisive.

En vertu de son article 3, § 1, une clause est en effet considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat concerné.

Or une clause attributive de juridiction, qui est insérée dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le siège de ce professionnel, doit être considérée comme abusive dans la mesure où, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat (CJUE 9 nov. 2010, VB Pénzügyi Lízing, aff. C-137/08, pt 53, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles ).

C’est cette solution que l’arrêt reprend : « le cas échéant, une telle clause, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur, à savoir le passager aérien, et un professionnel, à savoir [la] compagnie aérienne, et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle le siège de celle-ci est situé, doit être regardée comme abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE […] ».

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La qualification des contrats est un aspect fondamental du droit civil (P. Jestaz, La qualification en droit civil, Droits 1993, n° 18, p. 45). Pouvant se définir comme l’opération intellectuelle consistant à classer un contrat concret dans une catégorie (A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 13e éd., LGDJ, 2019, n° 8, p. 23), elle « suppose de rattacher une situation de fait donnée à une catégorie prédéfinie en vérifiant que la première satisfait aux critères d’identification de la seconde » (P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2019, n° 25, p. 33). Ceci requiert donc, dans un premier temps, d’identifier les éléments caractéristiques d’une catégorie contractuelle donnée pour, dans un second temps, vérifier qu’ils peuvent être retrouvés dans le contrat dont la qualification est recherchée. Une telle opération est d’une importance cruciale : elle est, en effet, le préalable nécessaire à la détermination du régime juridique applicable à un rapport contractuel donné (G. Virassamy, note ss Com. 4 juill. 1989, D. 1990. 246 ). Il s’agit donc d’une opération de droit, soumise au contrôle de la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt rendu le 3 décembre 2020, la troisième chambre civile a-t-elle eu l’occasion de préciser que le contrat de séjour est exclusif de la qualification de contrat de louage de chose, le régime spécial de responsabilité du locataire en cas d’incendie ne pouvant dès lors trouver application.

En l’espèce, un contrat de séjour avait été conclu entre une personne âgée et une société exploitant un EPHAD. Un incendie, dont l’origine est demeurée indéterminée, s’étant déclaré dans la chambre de la résidente, l’assureur de cette dernière a été assigné en réparation des dommages causés par le sinistre par la société (et son assureur subrogé dans ses droits) sur le fondement de l’article 1733 du code civil. Aux termes de celui-ci, en présence d’un contrat de louage de chose, le locataire répond de l’incendie, à moins qu’il ne prouve que ce dernier est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction, ou que le feu a été communiqué par une maison voisine. La cour d’appel a fait droit à cette demande, en affirmant, pour faire application du régime du louage de chose s’agissant de la responsabilité du locataire en cas d’incendie, qu’« un EPHAD […] consiste à la fois en une prestation d’hébergement relevant du contrat de louage et en prestations de services et de soins, nécessitant qu’il soit fait une application distributive de régimes différents, les obligations mises à la charge des parties coexistant dans la relation contractuelle ».

L’assureur de la résidente forme alors un pourvoi en cassation. Contestant la qualification de louage de chose, il soutient qu’un contrat de séjour, en raison des prestations à caractère médical, de services et de soins qu’il prévoit, n’est pas, fût-ce pour partie, soumis aux règles relatives au louage de chose. La cour d’appel aurait donc violé les articles 1709 et 1733 du code civil, ainsi que les articles L. 342-1, L. 342-2 et D. 311 du code de l’action sociale et des familles, dans leur rédaction applicable en la cause. La Cour de cassation casse, en effet, sa décision au visa de l’article 1709 du code civil en raison d’une violation, pour fausse application, de ce texte. Rappelant que « le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer », elle affirme clairement que « le contrat de séjour au sens de l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles est exclusif de la qualification de contrat de louage de chose ».

Il peut, certes, être tentant, face à un contrat complexe, d’opter pour une qualification mixte, conduisant à une application distributive des règles propres à chacune des catégories juridiques retenues. Ainsi, un contrat ayant pour objet l’achat d’une pellicule et son traitement a-t-il pu être qualifié pour partie de vente et pour partie de contrat d’entreprise (Civ. 1re, 25 janv. 1989, n° 87-13.640). De la même façon, les juges du fond avaient cru bon, en l’espèce, de retenir la double qualification de contrat de louage de chose (concernant la prestation d’hébergement) et de prestations de services et de soins. Si elle a le mérite de tenter de rendre compte le plus exactement possible de la spécificité du contrat litigieux, une telle qualification distributive conduit cependant à « dépecer le contrat » pour lui appliquer un double régime (A. Bénabent, « L’hybridation dans les contrats », in Mélanges Jeantin, Dalloz, 1999, p. 27 ; F. Labarthe, « Les conflits de qualification », in Mélanges Bouloc, Dalloz, 2006, p. 539). Elle n’est donc que rarement admise par la jurisprudence.

Une qualification unitaire est, en général, préférée. Il s’agit alors de rechercher la prestation caractéristique du contrat (M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, Economica, 2002). Ripert et Boulanger considéraient déjà qu’il est possible de distinguer une prestation, objet d’une obligation, à laquelle se rapportent les autres obligations que le contrat peut créer (G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil d’après le traité de Planiol, t. 2, LGDJ, 1957, n° 241, p. 99). Elle rend compte de la fonction principale du contrat. Prédominante, elle absorbe en quelque sorte l’utilité économique de ce dernier. Les autres obligations, accessoires, ne sont pas prises en compte lors de l’opération de qualification. La règle de l’accessoire conduit en effet à un « procédé de réduction » (expression de P. Voirin, in R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, Cours de droit civil français. Tome 4. Les biens, par P. Voirin, 2e éd., Arthur Rousseau, 1938, p. 110, note 3) permettant de négliger ce qui est secondaire. Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de cassation le même jour que l’arrêt commenté (Civ. 3e, 3 déc. 2020, n° 19-19.670), les juges du fond avaient ainsi qualifié un contrat de séjour de bail, aux motifs qu’il avait « pour objet principal de mettre à la disposition de l’occupante un logement et une cave à titre exclusif en contrepartie d’une redevance couvrant le loyer et les charges de chauffage, d’eau et d’électricité et que les prestations complémentaires portant sur le service des repas, le dispositif d’alarme et les animations [étaient] facultatives et ne présent[ai]ent qu’un caractère accessoire ».

Retenir la qualification de louage de chose présentait, dans les deux espèces, un enjeu de taille : elle permettait, en effet, à la société d’invoquer l’application de l’article 1733 du code civil – propre à ce type de contrat –, lequel fait peser sur le locataire une présomption simple de responsabilité en cas d’incendie.

Bien que le raisonnement suivi par les juges du fond n’ait pas été identique – les premiers retenant une qualification distributive, les seconds une qualification unitaire –, les deux décisions sont cassées par la Cour de cassation pour violation de l’article 1709 du code civil. Selon elle, le contrat de séjour ne peut pas être qualifié (même partiellement) de contrat de louage de chose. La solution n’est guère surprenante au regard de la jurisprudence antérieure. La troisième chambre civile avait déjà précisé que « le contrat de séjour par lequel une maison de retraite s’oblige à héberger une personne âgée et à fournir des prestations hôtelières, sociales et médicales n’[est] pas soumis aux règles du code civil relatives au louage de choses » (Civ. 3e, 1er juill. 1998, n° 96-17.515, D. 1998. 207 ; RDI 1998. 694, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé ; RDSS 1998. 877, obs. J.-M. Lhuillier ). Il semble, en effet, difficile de considérer la mise à disposition d’un local comme la prestation caractéristique d’un tel contrat. Les premiers juges avaient ainsi, en l’espèce, considéré que la résidente et la maison de retraite « étaient liées par un contrat sui generis non assimilable aux dispositions régissant les baux d’habitation dès lors que des services spécifiques étaient proposés aux pensionnaires, dont une prise en charge médicale et paramédicale régie par des dispositions propres issues du code de l’action sociale et des familles ». L’assureur soulignait également, dans son pourvoi, que le contrat de séjour est soumis, soit à un statut (CASF, art. L. 311-4 : « Le contenu minimal du contrat de séjour ou du document individuel de prise en charge est fixé par voie réglementaire »), soit à des dispositions « exclusives de la qualification de louage de chose, au regard du caractère indéterminé de sa durée, du prix du séjour visé par voie réglementaire, du recouvrement des impayés et des modalités de résiliation » (v. moyen annexé à l’arrêt).

Un étranger, en situation irrégulière sur le territoire national, a fait l’objet d’une mesure d’éloignement et a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral du 4 juin 2019

Par ordonnance rendue le 7 juin 2019, le juge des libertés et de la détention de Boulogne-sur-Mer prolonge la rétention administrative. Le ressortissant étranger interjette appel de cette ordonnance de prolongation.

À l’appui de son appel il fait valoir que le contrôle d’identité intervenu le 4 juin 2019 à l’occasion d’une opération d’évacuation d’une immeuble de ses occupants est intervenu uniquement en raison de son apparence ; que son interpellation n’est pas intervenue dans des conditions régulières de loyauté ; que l’arrêt de placement en rétention administrative n’est pas régulier en considération des garanties qu’il présente de représentation puisqu’aux travers des pièces qu’il verse à la procédure il dispose de conditions matérielles d’accueil sur le territoire français et d’un logement stable.

En effet, il précise que préalablement à l’opération d’évacuation, le 27 mars 2019, il avait saisi le juge de l’exécution de Lille pour contester une procédure d’expulsion ordonnée par le tribunal d’instance de la même ville et que par jugement rendu le 6 juin 2019, le juge de l’exécution avait fait droit à sa demande de suspension de son expulsion de son logement pour une durée de trois ans expirant le 6 juin 2022, que de ce fait il...

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C’est un nouveau rappel fort bienvenu de la méthode de calcul de l’indemnité de réduction que réalise ici la Cour de cassation (v. déjà, Civ. 1re, 22 mars 2017, n° 16-15.484, D. 2017. 817 ; AJ fam. 2017. 307, obs. N. Levillain ).

En l’espèce, deux époux avaient réalisé diverses donations à leurs trois enfants. Après leurs décès, des difficultés sont apparues entre les héritiers quant au partage des successions et de la communauté. Il était notamment question de diverses indemnités de réduction. Pour les calculer, le notaire avait retenu les valeurs des immeubles donnés à l’ouverture de la succession et réunis à la masse partageable, suivant en cela les préconisations d’un rapport d’expertise judiciaire. Or, certaines parcelles avaient bénéficié depuis l’ouverture des successions d’une augmentation conséquente de leur valeur en raison d’une évolution de leurs classement. Cela n’a pas empêché les juges du fond d’homologuer le projet de liquidation et partage réalisé par le notaire. La Cour d’appel de Rennes a notamment considéré, dans son arrêt du 30 octobre 2018, que cette méthode était conforme à l’article 922 alinéa 2 du code civil et que « l’application de cet article rendait inutile la discussion qui avait eu lieu entre les parties sur les futures éventuelles modifications de classement et de valeur des parcelles ».

L’un des héritiers forma un pourvoi en cassation au moyen que la Cour d’appel aurait violé l’article 868 du code civil dans sa rédaction applicable au litige.

Dans cet arrêt du 4 novembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation ne tergiverse pas : elle casse l’arrêt d’appel au visa et pour violation de l’ancien article 868 du code civil. Après avoir...

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En France, la difficulté de mettre en œuvre la responsabilité de l’État pour défectuosité du service public de la justice réside dans la preuve d’une carence suffisamment grave constitutive d’un véritable dysfonctionnement de la juridiction (COJ, art. L. 141-1).

C’est ce que nous rappelle l’arrêt de rejet rendu par la première chambre civile le 18 novembre 2020.

En l’espèce, à l’occasion d’une information judiciaire ouverte des chefs de diverses infractions commises au préjudice d’une entreprise de transport maritime de passagers, le juge d’instruction a, notamment, mis en examen le gérant de la société et procédé à la saisie de navires. Par ordonnance, confirmée en appel, il a refusé la restitution des navires et prescrit leur remise au service du Domaine en vue de leur aliénation. Le pourvoi en cassation formé par le gérant a été rejeté en 2007. Par un arrêt partiellement infirmatif rendu en 2011, la cour d’appel l’a condamné pour abus de confiance, abus de biens sociaux, faux, obtention indue de documents administratifs et extorsion de fonds, à deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis, cinq ans d’interdiction de l’activité de transport maritime, a prononcé la confiscation de navires et a ordonné la restitution de cinq navires, dont quatre avaient été vendus entre temps par le service du Domaine. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a une nouvelle fois été rejeté le 5 décembre 2012.

Invoquant un fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant de la décision de saisir les navires, du défaut d’entretien et de gardiennage de ceux-ci ainsi que des ventes réalisées à un prix inférieur à la valeur réelle, le gérant a assigné l’Agent judiciaire de l’État en réparation de ses préjudices, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ).

Par un jugement du 8 juin 2017, le tribunal de grande instance de Marseille a déclaré recevables ses demandes en indemnisation des préjudices liés à la saisie du navire Mistral II et a rejeté la demande d’annulation fondée sur le fonctionnement défectueux du service de la justice. Le 30 avril 2019, la cour d’appel a elle aussi rejeté les demandes et confirmé le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur sa recevabilité à agir relativement au bateau dénommé Mistral II et, statuant à nouveau de ce chef, l’a déclaré irrecevable en sa demande.

Le gérant de la société a formé un nouveau pourvoi en cassation, invitant la première chambre civile à se prononcer sur la présence d’une faute des juges du fond susceptible de traduire l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui incombe et, de fait, d’engager la responsabilité de l’État.

La Haute juridiction rejette le pourvoi en rappelant l’exigence d’une faute qualifiée ou d’un déni de justice pour engager la responsabilité de l’État pour défectuosité du service public de la justice. Elle confirme ensuite que la recherche de cette responsabilité ne peut pas constituer une voie de recours en plus de celles prévues par la loi. Elle reconnaît, toutefois, qu’il en va autrement dans le cas où la juridiction qui se prononce en dernier ressort a méconnu les dispositions du droit de l’Union européenne. 

L’exigence d’une faute lourde 

La Cour de cassation confirme que « la responsabilité de l’État en raison d’un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ne peut être engagée que sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, à l’exclusion des dispositions de droit commun prévues par le...

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Une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de transport conclu entre un passager et une compagnie aérienne ne peut pas être opposée, en principe, à une société de recouvrement à laquelle le passager a cédé sa créance d’indemnisation à la suite d’une annulation du vol. Une telle clause, qui n’a pas été négociée, doit être regardée comme abusive.

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Auteur d'origine: fmelin

Le contrat de séjour, au sens de l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles, est exclusif de la qualification de contrat de louage de chose.

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Auteur d'origine: CAYOL

Le juge des libertés ne peut fonder sa décision en s’appuyant sur une motivation tirée de l’irrégularité d’une procédure d’expulsion, matière qui relève de la compétence exclusive du juge de l’exécution.

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Auteur d'origine: Dargent

S’il est vrai que la proportion dans laquelle les libéralités sont réductibles se détermine en valeur décès, il convient, pour le calcul de l’indemnité de réduction, de retenir la valeur des biens donnés à l’époque du partage.

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Auteur d'origine: qguiguet

Hors le cas d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne par une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, l’action en responsabilité de l’État pour le fonctionnement défectueux du service public de la justice – engagée uniquement sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ) – ne saurait avoir pour effet de remettre en cause une décision judiciaire, en dehors de l’exercice des voies de recours.

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Auteur d'origine: ahacene

Publiés au Journal officiel du 23 décembre 2020, le décret n° 2020-1641 du 22 décembre 2020 reportant la date d’entrée en vigueur de l’assignation à date dans les procédures autres que celles de divorce et de séparation de corps judiciaires, d’une part, et l’arrêté du 22 décembre 2020 modifiant l’arrêté du 9 mars 2020 relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire, d’autre part, viennent préciser les conditions de mise en œuvre de la prise de date à compter du 1er janvier 2021.

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Auteur d'origine: Dargent

En application de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution, saisi de la contestation d’une mesure d’exécution, n’étant tenu de statuer au fond que sur la validité et les difficultés d’exécution des titres exécutoires qui sont directement en relation avec la mesure d’exécution contestée, il n’entre pas dans les attributions de ce juge de prononcer une condamnation à paiement hors les cas prévus par la loi.

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Auteur d'origine: Dargent

Le juge du fond ne saurait, sous le couvert de l’examen des conditions de validité des assignations, porter une appréciation sur la force probante d’allégations.

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Auteur d'origine: MKEBIR

Laurent Dargent, chef des rubriques Droit civil et Avocat, devient rédacteur en chef de Dalloz actualité.

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Auteur d'origine: babonneau

La loi Pinel, en ce qu’elle a modifié l’article L. 145-15 du code de commerce afin de prévoir le caractère non écrit des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 et L. 145-41 du code de commerce, est applicable aux baux en cours. L’action tendant à voir réputer non écrites de telles clauses n’est pas soumise à prescription.

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Auteur d'origine: CAYOL

Une société interjette appel d’un jugement la condamnant au profit d’un salarié. La société appelante dépose des conclusions le 11 juillet 2017 puis notifie de nouvelles écritures le 9 octobre 2018, veille de la clôture. Par arrêt du 14 décembre 2018, la cour d’appel de Toulouse prononce la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur et le condamne à payer au salarié diverses sommes. Demandeur au pourvoi, l’employeur reprochait à la cour d’appel de s’être prononcée au seul visa des conclusions notifiées le 11  juillet 2017 et de s’être abstenue de viser les conclusions du 9 octobre 2018, recevables comme notifiées avant la clôture.

Au visa des articles 455, alinéa 1er, et 954, alinéa 2, du code de procédure civile, la deuxième chambre civile casse inévitablement l’arrêt de la cour de Toulouse et apporte la réponse suivante :

« 4. Il résulte de ces textes que s’il n’expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l’indication de leur date.

5. Pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, puis le condamner à payer au salarié diverses sommes à l’exception de l’indemnité de travail dissimulé, l’arrêt se prononce au visa des conclusions notifiées par la société Bureau de contrôle fédéral le 11 juillet 2017.

6. En statuant ainsi, alors qu’il ressort des productions que la société Bureau de contrôle fédéral avait déposé le 9 octobre 2018 des conclusions développant une argumentation complémentaire portant sur l’examen des fiches horaires établies par Mme X, la cour d’appel, qui n’a pas visé ces dernières conclusions et qui s’est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu’elle les aurait prises en considération, a violé les textes susvisés  ».

La solution, classique, a été rappelée un nombre incalculable de fois par les différentes chambres de la Cour de cassation, et elle dépasse bien sûr le strict cadre de la cour d’appel. Lorsqu’il expose les faits, les moyens et la procédure, ne s’offrent pas au juge beaucoup d’options. S’il ne rappelle pas les prétentions et moyens des parties, il doit expressément viser la date à laquelle ont été déposées les conclusions. L’article 455 du code de procédure civile,...

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2020 s’achève dans quelques jous. Il était temps.

Nous avons de quoi nous féliciter malgré tout, ici, à la rédaction : avec les centaines de questions juridiques posées brutalement par l’apparition de la covid-19, vous avez été encore plus nombreux à nous suivre. 

Merci à vous et merci à l’équipe d’avoir tenu bon.

Allez, c’est l’heure de souffler un peu. 

Nous vous donnons rendez-vous le lundi 4 janvier 2021. Merci de votre fidélité et joyeuses fêtes.

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par Guillaume Payanle 24 décembre 2020

Civ. 2e, 19 nov. 2020, F-P+B+I, n° 19-20.039

Un débiteur saisit le juge de l’exécution compétent afin de faire annuler un nantissement de parts sociales, un commandement de payer ainsi que des saisies-attributions pratiquées à son encontre. Ses demandes d’annulation ayant été déclarées irrecevables en raison de leur – supposée – tardiveté, il interjette appel, en vain. La cour d’appel juge en effet que les contestations soulevées par le débiteur sont irrecevables car elles n’ont pas été formées dans le délai d’un mois prévu à l’article R. 211-11 du code des procédures civiles d’exécution. Ledit débiteur forme alors un pourvoi contre cet arrêt confirmatif et en obtient la cassation.

S’il conteste la validité de plusieurs procédures civiles d’exécution, le débiteur concentre ses griefs...

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Le litige rapporté a conduit la Cour de cassation à préciser les effets et la portée d’une stipulation pour autrui visant une cession de parcelles.

En l’espèce, deux colotis, une personne physique et une personne morale, ont entrepris un échange de parcelles afin de réorganiser la distribution du foncier et permettre à une association syndicale libre (ASL) d’être propriétaire, notamment, de deux parcelles devant accueillir une nouvelle voie de desserte ainsi qu’une aire de jeux. L’ASL n’ayant pas encore été créée, c’est par le biais d’une stipulation pour autrui prévoyant que les terrains « seront cédés » gratuitement par leur propriétaire que l’opération fut envisagée en septembre 1981. Ce n’est qu’en novembre 2005 que l’ASL, créée entre-temps, assigna l’ayant droit du propriétaire initial aux fins d’obtenir la régularisation forcée de la cession.

La discussion porte ici sur la nature du droit qu’est susceptible de transposer une stipulation pour autrui dans le patrimoine du bénéficiaire.

Que ce dernier n’ait pas d’existence au jour où la convention est passée ne saurait être un obstacle. Il faut qu’il puisse être identifié au plus tard au moment où la stipulation doit produire ses effets et qu’en conséquence, l’acte soit suffisamment précis à cet égard. La stipulation à personne future est parfaitement valable et l’ordonnance de 2016 l’a reconnu expressément à...

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Une société a introduit une requête en injonction de payer le 20 février 2015, à l’encontre d’un syndicat des copropriétaires, aux fins d’obtenir le paiement de deux factures liées à la réalisation de travaux. La demande a été partiellement accueillie par le tribunal de grande instance suivant ordonnance du 5 juin 2015, laquelle fut signifiée par la société au syndicat des copropriétaires.

Le 29 juin 2015, ce dernier a formé opposition à l’ordonnance.

À défaut pour la société créancière d’avoir constitué avocat dans le délai prévu à l’article 1418 du code de procédure civile, le juge de la mise en état a constaté l’extinction de l’instance par jugement du 1er février 2016.

Suivant exploit d’huissier du 17 février 2016, la société a assigné le syndicat des copropriétaires en paiement des factures. Un jugement du 28 avril 2017 fait droit aux demandes de la société et condamne en conséquence le syndicat des copropriétaires à verser les sommes dues. Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel dudit jugement.

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 mai 2019, a débouté la société de sa demande pour cause de prescription de son action en paiement. Cette dernière forme conséquemment un pourvoi devant la Cour de cassation.

La société expose que la signification du l’ordonnance d’injonction de payer constituait une citation en justice au sens de l’article 2241 du code civil, interruptive de prescription, peu important que l’ordonnance d’injonction...

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par Cédric Hélainele 24 décembre 2020

Civ. 1re, 25 nov. 2020, FS-P+I, n° 19-14.908

Le contentieux autour du contrat de prêt d’argent peut poser plusieurs difficultés en cas d’annulation ou de résolution. L’une d’entre elles réside dans le remboursement des sommes prêtées, nerf de la guerre de bien des instances liées aux conséquences d’une telle nullité. Les emprunteurs regrettent souvent cette conséquence de la nullité qui aboutit à rembourser des deniers qui ont parfois été dépensés. C’est précisément tout l’enjeu de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020. Des particuliers décident d’acquérir, le 9 juin 2012, une éolienne après un démarchage à domicile. Les acquéreurs souscrivent un prêt auprès d’un établissement bancaire pour financer l’éolienne qui est installée le 2 juillet 2012. La banque verse les fonds au vu d’un certificat signé par un des emprunteurs attestant la livraison et la réalisation des travaux pour l’installation de l’éolienne. La société venderesse est placée en liquidation judiciaire le 24 octobre de la même année. Par acte du 21 octobre 2013, les emprunteurs assignent la banque et le liquidateur judiciaire de la société en annulation des contrats de prêt et de vente, en restitution des échéances payées et en paiement de dommages-intérêts en se prévalant de certaines irrégularités formelles du contrat de vente. L’affaire a été portée devant la Cour de cassation une première fois (Civ. 1re, 31 janv. 2018, n° 16-28.138, RTD com. 2018. 177, obs. D. Legeais ) et la cour d’appel de Paris a été saisie sur...

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C’est une fin d’année chargée à laquelle assistent les spécialistes du droit de l’arbitrage, les trois principales juridictions françaises compétentes pour rendre des décisions en ce domaine – le pôle 1, chambre 1 ; le pôle 5, chambre 16 ; et la première chambre civile – tournant à plein régime. On mettra évidemment à l’honneur la décision rendue par la Cour de cassation dans l’affaire Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, D. 2020. 2456 ), qui modifie considérablement les modalités du cas d’ouverture relatif à la compétence. On évoquera également de façon substantielle, plus loin dans la chronique, les questions de corruption, où les décisions très divergentes retenues dans les arrêts Sécuriport (Paris, 27 oct. 2020, n° 19/04177) et Sorelec (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, D. 2020. 2484, obs. T. Clay ) ne manqueront pas de susciter la discussion. On mentionnera également l’arrêt ITOC, qui admet implicitement, et ce n’est pas banal, un appel-nullité contre une mesure d’administration de l’arbitrage (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231) ou encore l’arrêt Dame de Cœur Vape (Paris, 27 oct. 2020, n° 20/09005, D. 2020. 2484, obs. T. Clay ) qui propose un examen de l’inopposabilité de la clause prévue par le nouvel article 2061 du code civil.

I. L’arrêt Schooner

On doit commencer cette chronique par l’arrêt Schooner de la Cour de cassation du 2 décembre 2020 (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396). D’une part, car il s’agit d’un arrêt de la Cour de cassation qui, s’il n’est pas destiné à figurer au BICC ou au Recueil, a été rendu en formation de section et est destiné à une publication sur internet (FS-P-I). Il n’est donc aucunement anodin ; d’autre part, parce que nous avions pu écrire dans ces colonnes, à propos de l’arrêt d’appel (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2019. 751, note C. Crepet Daigremont) que la cour nous avait offert un « remarquable obiter dictum », au point d’y voir une forme « d’orfèvrerie juridique » (Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Dès lors, la cassation de l’arrêt d’appel sur cet aspect de la motivation ne peut qu’attirer l’attention et inviter à la réflexion.

Dans un litige opposant, d’un côté, un citoyen américain et deux sociétés américaines et, de l’autre, la République de Pologne, le débat s’est, notamment, cristallisé autour de la compétence du tribunal arbitral à connaître de questions relatives à la matière fiscale. La procédure d’arbitrage est engagée par les investisseurs en vertu du Traité relatif aux relations commerciales et économiques entre les États-Unis et la Pologne. Ce traité bilatéral d’investissement (TBI), dans son article VI, exclut la matière fiscale de son champ d’application, sous certaines réserves limitativement énumérées à l’article VI, (2), a), b) et c). Le tribunal arbitral décide que le litige concerne des questions de fiscalité au sens de l’article VI, (2), du TBI et non une obligation relative au respect et à l’exécution d’un contrat d’investissement au sens de l’article VI, (2), c). Il se prononce en faveur de son incompétence pour connaître des demandes fondées sur l’expropriation (art. VII) et sur les transferts de fonds (art. V) en vertu des exceptions prévues par le a) et le b) de l’article VI, (2). Autrement dit, le tribunal arbitral entend de façon très restrictive sa compétence, en excluant du champ de sa compétence une partie des demandes, comme relevant d’une matière exclue du champ d’application du traité. Le recours contre la sentence arbitrale vise à remettre en cause la sentence en ce que l’arbitre s’est déclaré incompétent pour connaître d’une partie des prétentions de l’investisseur.

Pour rejeter le moyen, la cour d’appel de Paris procède en deux temps. D’une part, elle conforte le tribunal arbitral dans son interprétation du TBI, quant à l’exclusion des questions fiscales de son champ d’application. D’autre part, elle refuse d’examiner certains arguments soulevés par le demandeur au recours, au motif que ceux-ci n’ont pas été présentés devant le tribunal arbitral. Pour cela, elle énonce que l’article 1466 du code de procédure civile « ne vise pas les seules irrégularités procédurales, mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation, et soulevés pour la première fois devant lui ». Elle ajoute que « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens. En effet, le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres. Cette portée attribuée à l’article 1466 du code de procédure civile n’est pas incompatible avec la plénitude du contrôle exercé par le juge de l’annulation à l’égard des cas d’ouverture du recours, dès lors qu’en statuant sur des moyens identiques à ceux qui avaient été soumis aux arbitres, il n’est lié ni par leur interprétation des textes ni par leur appréciation des faits ».

C’est le refus de la cour d’appel d’examiner ces moyens nouveaux qui entraîne la censure. Au visa des articles 1520, 1°, et 1466 du code de procédure civile, la Cour de cassation énonce qu’il résulte de ces textes que, « lorsque la compétence a été débattue devant les arbitres, les parties ne sont pas privées du droit d’invoquer sur cette question, devant le juge de l’annulation, de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ». Elle en déduit que l’arrêt d’appel encourt la cassation pour avoir déclaré irrecevables, faute d’avoir été plaidés devant le tribunal arbitral, les moyens tirés, d’une part, de l’usage abusif par la République de Pologne de l’exclusion des questions fiscales par l’article VI du Traité, d’autre part, du bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée stipulée à l’article I du Traité. Nous évoquerons, pour analyser cette décision, son sens (A), son fondement (B) l’appréciation que l’on peut en faire (C) et les alternatives envisageables (D).

A. Le sens de l’arrêt Schooner

Pour comprendre l’arrêt Schooner, il faut distinguer ce qui fait et ce qui ne fait pas l’objet d’une censure par la Cour de cassation.

Ne fait pas l’objet d’une censure la partie de l’arrêt d’appel selon laquelle la renonciation « ne vise pas les seules irrégularités procédurales, mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile et tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait de façon manifeste, effective et concrète l’ordre public international de fond, lesquels, en raison de leur nature, peuvent être relevés d’office par le juge de l’annulation, et soulevés pour la première fois devant lui ». Implicitement, cet aspect de l’arrêt, qui est antérieur dans le raisonnement intellectuel, est conforté par la Cour de cassation. En conséquence, tous les cas d’ouverture peuvent faire l’objet d’une renonciation s’ils n’ont pas été invoqués en temps utile : la compétence ; la constitution du tribunal ; la motivation ; le contradictoire. Pour ce qui est de l’ordre public, il convient d’affiner. L’arrêt d’appel n’évoque que l’ordre public international de fond, seul cas insusceptible de renonciation. Il en résulte deux interrogations : la mention de l’ordre public international de fond exclut-elle l’ordre public international procédural du champ de l’exception à la renonciation ? Convient-il de distinguer ordre public de direction et de protection ? La réponse à ces deux questions a déjà été donnée, puisque la cour d’appel de Paris a retenu quelque temps après que « le principe d’égalité des armes relève de l’ordre public international de protection, de sorte qu’il est loisible à une partie de renoncer à son bénéfice » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques). En conséquence, l’ordre public procédural est susceptible de renonciation, de même que l’ordre public de protection. En définitive, la solution selon laquelle l’ensemble des cas d’ouverture du recours en annulation sont susceptibles de renonciation, à l’exception d’un grief relatif à l’ordre public international de fond (de direction), n’est pas condamnée. On peut même considérer qu’elle est implicitement confirmée.

En revanche, fait l’objet d’une censure la partie de la motivation selon laquelle « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens ». La renonciation voit sa portée limitée. La Cour de cassation considère, à l’inverse de la cour d’appel, que la renonciation vise des catégories de moyens et non des griefs concrètement articulés. Ainsi, dès lors qu’une partie a contesté la compétence devant les arbitres, elle est libre de la discuter de nouveau devant le juge en se prévalant de nouveaux moyens, arguments ou preuves.

B. Le fondement de l’arrêt Schooner

La justification de la solution posée par cet arrêt peine à être identifiée. L’examen de la jurisprudence et des textes ne lui donne aucune assise solide.

1. La jurisprudence antérieure

Au titre de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation ne revient pas seulement sur la solution de l’arrêt Schooner de la cour d’appel. Elle remet également en cause l’arrêt Papillon Group rendu il y a plus de dix ans. La cour d’appel de Paris y énonçait que l’examen du juge s’appuie sur les éléments « tels qu’ils résultent du dossier » soumis aux arbitres (Paris, 26 mars 2009, n° 08/01578, Papillon Group c. République Arabe de Syrie, D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2010. 525, note V. Chantebout ; D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; v. égal. Paris, 22 mai 2008, n° 06/22560, Abela, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2008. 730, note F.-X. Train ; JCP 2008. I. 222, § 7, obs. C. Seraglini ; D. 2008. 3111, obs. T. Clay). Par cet arrêt, la cour d’appel interdit au juge du recours de connaître de pièces n’ayant pas été examinées préalablement par les arbitres. Pire, elle refuse également d’examiner les pièces jugées irrecevables par les arbitres, ce qui lui a valu des critiques doctrinales (V. Chantebout, note ss Paris, 26 mars 2009, art. préc., n° 26).

On pourra objecter que cet arrêt ne fait qu’aligner la solution avec celle qui est retenue pour le consommateur. En effet, la Cour de justice permet au juge de l’annulation de connaître de l’incompétence de l’arbitre alors même qu’elle n’a pas été discutée devant le tribunal (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Elisa Maria Mostaza Claro, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry  ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb. 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid. 2007, n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot ; N. Sauphanor-Brouillaud, Clauses abusives dans les contrats de consommation : critères de l’abus, CCC juin 2006, n° 6, étude 7, p. 5 ; CJCE 6 oct. 2009, aff. C-40/08, Asturcom, D. 2009. 2548 ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron ; ibid. 695, chron. C. Aubert de Vincelles  ; Rev. arb. 2009. 813 note C. Jarrosson ; RDC 2010. 59, note O. Deshayes ; Europe 2009. Comm. 469, note L. Idot ; Procédures 2009. Comm. 400, note C. Nourissat ; JCP 2010. 1201, § 1, obs. C. Seraglini ; LPA 2010, n° 115, p  24, note V. Craponne ; Cah. arb. 2010. 471, note A. Musella et P. Pedone). Cependant, la solution est doublement différente. D’une part, elle se justifie par le statut de consommateur ; d’autre part, et bien plus fondamentalement, elle conduit à écarter totalement la règle de la renonciation en permettant de contester la compétence arbitrale au stade du recours alors qu’elle ne l’a pas été devant l’arbitre.

En revanche, on peut éventuellement identifier des liens de parenté avec la solution retenue il y a peu dans l’arrêt Antrix (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, Dalloz actualité, 4 mai 2020, note J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 608 ; ibid. 2484, obs. T. Clay ; RTD civ. 2020. 617, obs. H. Barbier  ; JDI 2020, note C. Debourg, à paraître ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2020, n° 42, p. 23, note P. Casson). Cette affaire a donné lieu à un imbroglio autour d’une clause compromissoire pathologique. En substance, le défendeur a adopté deux positions distinctes. Dans un premier temps, il a protesté, auprès de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), contre le caractère institutionnel de l’arbitrage. Dans un second temps, il a contesté la compétence du tribunal arbitral en soutenant que la clause compromissoire, en ce qu’elle fait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, est pathologique. Devant le juge du recours, sur le fondement des articles 1520, 1° et 2°, du code de procédure civile, le défendeur s’est prévalu uniquement du premier argument, développé devant la CCI, mais pas devant le tribunal arbitral. La cour d’appel (Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude) a déclaré irrecevable le moyen, sur le fondement de la renonciation. L’arrêt est cassé par la Cour de cassation au motif que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ».

Dans les deux affaires, la Cour de cassation écarte la renonciation. Faut-il y avoir un mouvement de fond, visant à diminuer la surcharge pondérale d’une renonciation devenue obèse ? Sans doute. Et d’une certaine manière, ce n’est pas plus mal. Néanmoins, on peut identifier au moins deux différences fondamentales entre les arrêts Schooner et Antrix. D’une part, dans Antrix, la critique présentée devant la cour d’appel, si elle n’a pas explicitement été formulée devant les arbitres, l’a été devant la CCI. Il ne s’agit pas d’un moyen nouveau, mais d’un moyen présenté devant l’autorité de nomination pour contester sa faculté à désigner un arbitre. D’autre part, la Cour de cassation justifie la recevabilité de l’argument par le lien (« emportait nécessairement contestation de la régularité ») entre ce qui a été débattu devant le tribunal arbitral et le grief invoqué devant la cour d’appel. Autrement dit, à défaut d’un tel lien, l’argument n’est pas recevable. En somme, l’arrêt Antrix favorise une approche concrète (réaliste ?) de la recevabilité. Ce n’est pas le cas de l’arrêt Schooner.

2. Les fondements textuels

On peut se demander si la solution retenue par la Cour de cassation peut trouver un appui textuel. L’arrêt est rendu au visa de l’article 1466 du code de procédure civile. Celui-ci énonce que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». La principale difficulté dans l’interprétation de cet article réside dans l’interprétation de la notion « d’irrégularité ». Malgré les écrits remarquables sur cette question (not. L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, Rev. arb. 1996. 3), le travail de définition du terme « irrégularité », appliqué à l’arbitrage, n’a jamais véritablement été réalisé. Le Vocabulaire juridique Cornu définit l’irrégularité au sens procédural comme un « vice (de forme ou de fond) qui ne peut être soulevé par l’adversaire (au moyen d’une exception de nullité, d’incompétence, de litispendance ou de connexité) ou relevé d’office qu’à des conditions restrictives et qui, s’il est reconnu, a pour effet de faire tomber l’acte ou la procédure » (J. Cornu et Association Henri Capitant [dir.], Vocabulaire juridique, 11e éd., PUF, coll. « Quadrige », 2016, v° Irrégularité). Dans le code de procédure civile, on trouve cette notion dans la sous-section consacrée à la « nullité des actes pour irrégularité de fond » (C. pr. civ., art. 117 à 121). L’on comprend que l’irrégularité est un vice qui affecte la procédure (ou la sentence) et est susceptible d’entraîner sa disparition. Néanmoins, ces définitions sont insuffisamment précises pour l’arbitrage. Dans le cadre d’un recours en annulation, il convient de se demander si l’irrégularité doit être assimilée à un cas d’ouverture du recours (il en existe six en matière interne [C. pr. civ., art. 1492] et cinq en matière internationale [C. pr. civ., art. 1520]) ou à un grief (il existe une multitude de griefs qui, pour être examinés, doivent entrer dans un des cas d’ouverture. Par exemple, le défaut de révélation est un grief invocable au titre du cas d’ouverture relatif à l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral). Toutefois, comme pour l’irrégularité, les notions de cas d’ouverture et de grief ne sont pas définies par le code de procédure civile (et sont parfois utilisées de façon interchangeable en jurisprudence). Dès lors, il convient d’admettre que la Cour de cassation dispose d’une certaine liberté pour interpréter la notion d’irrégularité et de l’assimiler à un cas d’ouverture plutôt qu’à un moyen.

Au soutien de cette analyse, on peut d’ailleurs convoquer la procédure civile. On sait que la clause d’arbitrage est, en droit interne, qualifiée d’exception de procédure (Civ. 1re, 13 mai 2020, n° 18-25.966, Kimmolux, Dalloz actualité, 12 juin 2020, obs. G. Sansone ; D. 2020. 1113 ; ibid. 2484, obs. T. Clay ; Procédures 2020. Comm. 147, obs. L. Weiller ; Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; RDC 2020, n° 3, p. 79, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; LPA 2020, n° 196, p. 19, note S. Akhouad-Barriga). Par conséquent, elle est soumise au régime de ces exceptions de procédure et doit, conformément à l’article 74 du code de procédure civile, être soulevée in limine litis. Dès lors, il est vrai que, à défaut d’avoir invoqué l’incompétence des juridictions étatiques avant tout autre moyen de défense, les parties sont, de façon assez similaire à la règle de l’article 1466 du code de procédure civile, censée y avoir renoncé. Néanmoins, il est également vrai que les parties, dès lors qu’elles ont soulevé l’exception, sont libres de faire évoluer leur argumentation, en particulier entre la première instance et l’appel. Ainsi, l’article 563 du code de procédure civile leur offre la possibilité, « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, [d’]invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ». Le parallélisme est frappant : les parties doivent, devant l’arbitre, discuter de la compétence, sous peine d’y renoncer ; toutefois, elles peuvent avancer de nouveaux moyens et de nouvelles preuves devant le juge de l’annulation au soutien de cette prétention. Exactement comme pour une exception d’incompétence devant le juge étatique. Le raisonnement est séduisant. Il est pourtant dangereux. Il conduit à un glissement du recours en annulation vers un appel.

C. L’appréciation de l’arrêt Schooner

Notre appréciation de l’arrêt Schooner ne sera pas positive. Le recours en annulation n’est pas un appel contre la sentence arbitrale ; il n’est pas le lieu pour faire évoluer le litige. Comme l’a écrit, il y a déjà quelques années, un auteur, le recours en annulation est « une sorte de “recours en cassation en raccourci” » (L. Bernheim-Van de Casteele, Les principes fondamentaux de l’arbitrage, préf. T. Clay, Bruylant, 2012, n° 375). Les parties ont tout loisir pour présenter leur argumentation devant les arbitres et, le cas échéant, discuter ensuite l’appréciation qui en a été faite devant le juge de l’annulation, si tant est qu’elle entre dans un cas d’ouverture du recours. L’arrêt Schooner va plus loin et les excès potentiels d’une telle solution sont facilement identifiables.

Premièrement, prise au pied de la lettre, cette jurisprudence permettra aux parties, non pas de refaire le match, mais de jouer un nouveau match – avec une nouvelle équipe ! – devant le juge de l’annulation. En effet, c’est une chose de permettra au juge de l’annulation d’examiner à nouveau en fait et en droit la question de la compétence, c’en est une autre que d’ouvrir la voie à un examen de nouveaux moyens, nouveaux arguments ou nouvelles pièces. Le droit français de l’arbitrage confie, en principe, à l’arbitre, non pas une primauté, mais une priorité pour examiner les contestations portant sur sa compétence (M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013, n° 8). Or cette priorité est ignorée si les parties sont admises à invoquer devant le juge de l’annulation de nouveaux moyens de droit et de fait ainsi que de nouvelles preuves. Rappelons-le, le cas d’ouverture relatif à la compétence permet de discuter (1) l’existence de la clause, (2) l’applicabilité de la clause, (3) l’arbitrabilité du litige et (4) le délai de l’arbitrage. Telle qu’elle est formulée, la règle n’interdit pas, dès lors que la compétence a été discutée devant l’arbitre, de contester devant le juge de l’annulation l’expiration du délai, quand bien même ce point n’a pas été relevé en cours de procédure. Impensable ? Sans doute. Mais il conviendra à la Cour d’intervenir à nouveau pour limiter la portée de sa solution. Avec des questions qui ne manqueront pas de mettre en lumière la difficulté de réaliser des distinctions : le débat sur l’extension de la clause devant l’arbitre permet-il de discuter la transmission de la clause devant le juge ? L’argument tiré de la validité de la clause permet-il de remettre en cause l’arbitrabilité du litige ? C’est un véritable casse-tête qui s’annonce (mais aussi une source inépuisable de controverses pour les adeptes des manœuvres dilatoires).

Deuxièmement, il faut aller plus loin et se demander si la solution doit être étendue aux autres cas d’ouverture. La lecture de l’arrêt indique que ce n’est pas la volonté de la Cour de cassation, dès lors que l’arrêt est rendu au visa de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile et qu’elle vise explicitement « la compétence ». Néanmoins, encore faut-il justifier une telle discrimination. Dans notre thèse, nous avons souligné que certains cas d’ouverture visent des intérêts publics et d’autres des intérêts privés (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 296 s., préf. T. Clay). Cette distinction justifie un traitement différencié des cas d’ouverture, en particulier en ce qui concerne les intérêts publics. La cour d’appel, dans l’affaire Schooner, a implicitement retenu une telle distinction en distinguant l’ordre public international de fond, seul cas permettant d’examiner le respect des intérêts publics et insusceptible de renonciation. Mais, à partir du moment où les autres cas sont tous relatifs aux intérêts privés des parties, sur quel critère fonder une différence de régime ? On pourra éventuellement souligner que certains cas d’ouverture concernent la légitimité de l’arbitre pour trancher le litige alors que d’autres concernent le respect par les arbitres des règles relatives à la résolution du litige (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit.), ce qui justifierait un traitement spécifique pour les cas d’ouverture prévus à l’article 1520, 3°, et 1520, 4°. En revanche, comment expliquer que la compétence et la constitution du tribunal arbitral fassent l’objet d’un régime distinct ?

Il est d’ailleurs intéressant de comparer la jurisprudence rendue en matière de révélation et celle issue de l’arrêt Schooner. Dans le dernier arrêt Tecnimont (Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24 ; ibid. 2435, obs. T. Clay  ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans ; Rev. arb. 2020. 403, note M. Henry), la Cour de cassation a adopté une position radicale : elle a refusé que soit examiné dans le cadre du recours tout argument qui ne figure pas dans la requête en récusation. C’est donc l’extrême – et l’excès – inverse de la solution retenue dans Schooner, à tel point que nous avions pu nous inquiéter d’une solution qui « conduit à faire peser une obligation de parallélisme des formes entre la requête en récusation et le recours en annulation. Une telle exigence est dépourvue d’un quelconque fondement juridique et interdit aux parties d’affiner leur argumentation, ce qui laisse sceptique » (J. Jourdan-Marques, obs. ss Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont n° 16-18.349, Dalloz actualité, 29 janv. 2019). On pourra toujours dire que, dès lors que les deux griefs ne sont pas examinés au titre du même cas d’ouverture, les deux solutions sont parfaitement compatibles et l’arrêt Schooner ne remet pas en cause l’arrêt Tecnimont. Mais il certain que l’arrêt Schooner sera invoqué pour rouvrir le débat concernant la révélation.

D. L’alternative à l’arrêt Schooner

Les arrêts Schooner, Tecnimont et Antrix invitent à la réflexion et à la recherche d’un juste équilibre. En effet, la renonciation à se prévaloir des irrégularités est une règle qui, si elle est salutaire, peut conduire à des dérives. Il est essentiel de mieux en fixer la portée.

Quelle solution envisager ? Il nous semble que la solution retenue par la cour d’appel selon laquelle « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » est excellente. Autrement dit, il ne devrait pas suffire d’avoir discuté de la compétence (ou d’un autre cas d’ouverture) devant le tribunal arbitral pour pouvoir soulever, devant le juge du recours, « de nouveaux moyens et arguments et à faire état, à cet effet, de nouveaux éléments de preuve ». En revanche, il convient de ne pas imposer aux parties un parallélisme des formes dénué de sens. Ainsi, quel que soit le cas d’ouverture, le débat ne se pose pas dans les mêmes termes au stade arbitral et post-arbitral. Par exemple, pour la compétence, la discussion porte sur la clause alors qu’au stade post-arbitral, elle porte sur la sentence elle-même (la jurisprudence répète inlassablement que « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence »), ce qui est de nature à faire évoluer le débat. Nécessairement, les parties sont invitées à présenter leur recours de façon distincte afin d’insister sur les éléments retenus par le tribunal arbitral pour fonder sa sentence. Autre exemple, de nombreux griefs sont identifiés seulement une fois la sentence rendue : il peut s’agir d’un défaut de révélation découvert tardivement ou d’une violation du contradictoire identifiée dans la sentence. En somme, le débat ne peut être figé au stade arbitral et être simplement transposé dans le recours contre la sentence.

Ceci étant dit, comment faire la part des choses entre une évolution de l’argumentation qui est acceptable et une qui ne l’est pas ? Il faut, à notre avis, garder en tête deux principes directeurs. D’une part, le juge étatique n’a pas vocation à se substituer à l’arbitre (ou à l’institution dans le cadre d’une demande de récusation), lequel doit conserver une priorité pour trancher le litige – y compris la question de la compétence. Dès lors, tout moyen, argument ou preuve qui aurait pu être présenté à l’arbitre et qui ne l’a pas été doit être écarté du débat. D’autre part, l’article 1466 du code de procédure civile est un scalpel, qui permet au juge de distinguer soigneusement ce qui est recevable et ce qui ne l’est pas. Si la compétence arbitrale n’a pas été discutée, c’est le cas d’ouverture qui est fermé ; si un grief n’a pas été soulevé, c’est ce grief qui est irrecevable ; si un moyen relatif à la compétence n’a pas été invoqué, c’est ce moyen qui doit être écarté ; si une preuve n’a pas été présentée, c’est cette preuve qui doit être rejetée. Dès lors, le juge peut apprécier au cas par cas la nature de l’argumentation qui est présentée devant lui et départager ce qui relève d’une évolution admissible de la défense d’une partie et ce qui marque une volonté de soumettre au juge des éléments qui n’ont pas été présentés devant l’arbitre.

II. La clause compromissoire

La présente livraison est très riche sur les problématiques touchant directement la clause compromissoire. Elles concernent aussi bien l’efficacité de la clause, qui est fortement chahutée, que ses effets.

A. L’efficacité de la clause

Comme souvent, des parties tentent d’échapper à la mise en œuvre de la clause compromissoire en contestant son efficacité. Néanmoins, il est beaucoup moins commun de voir des tiers s’attaquer aux clauses contenues dans les contrats : le ministre de l’Économie et des Finances et une association de consommateurs.

1. La validité de la clause

Le tribunal de commerce de Paris a rendu une importante décision dans le cadre de l’action exercée par le ministre de l’Économie et des Finances contre la société Subway dans le cadre des contrats de franchise conclus avec ses franchisés (T. com. Paris, 13 oct. 2020, n° 2017005123, D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; AJ contrat 2020. 543 , obs. J.-C. Roda et F. Buy ; ibid. 543 ). On le sait, le contentieux impliquant la société Subway est récurrent devant les juridictions françaises, de nombreux franchisés essayant de se soustraire à la procédure arbitrale prévue par le contrat (Paris, 15 sept. 2020, n° 18/01360, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 2 juin 2020, n° 17/18900, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) ; ibid. 2484, obs. T. Clay  ; Paris, 11 sept. 2018, n° 16/19913, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; AJ contrat 2018. 491, obs. J. Jourdan-Marques  ; CCC 2018, n° 11, p. 21, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 25, obs. D. Bensaude ; RLDA 2019, n° 145, p. 35, note J. Clavel-Thoraval). Dans ces procédures, les justiciables ont tenté d’obtenir, sans succès, la suspension de l’instance dans l’attente de la décision du tribunal de commerce. Reste à savoir si cette solution, désormais rendue, aura une influence sur les recours à venir.

La question posée au tribunal de commerce, sur le fondement de l’article L. 442-1, 2°, du code de commerce (L. 442-6, I, 2°, au moment de l’action), est celle de la validité de la clause de droit applicable et de la clause compromissoire (ainsi que de l’utilisation de la langue anglaise) dans les contrats de franchise. Inutile de faire durer le suspense, la nullité des deux clauses est prononcée en ce qu’elles créent un déséquilibre significatif. Dans le fond, on est tout à fait prêt à admettre que de telles clauses, dans un contrat de franchise, en ce qu’elles déclarent le droit néerlandais (ou du Liechtenstein) applicable et qu’elles prévoient un arbitrage avec siège à New York, sont déséquilibrées. En revanche, la motivation de la décision est indigente (dans le même sens, v. T. Clay, obs. ss T. com. Paris, 13 oct. 2020, art. préc.).

D’abord, le tribunal signale qu’« il ne saurait être prétendu que les commerçants de détail en France utilisent spontanément ce mode de règlement des conflits ». D’une part, on est gêné par l’utilisation de la formule « il ne saurait être prétendu », qui semble interdire la preuve contraire. D’autre part, on veut bien entendre que le choix de l’arbitrage ne soit pas systématique dans ce type de contrat et qu’il est le plus souvent imposé lorsque le franchiseur est une enseigne étrangère. Est-il pour autant inexistant ? On aurait préféré une affirmation étayée en faits, plutôt qu’une injonction de croire, d’autant que, hasard du calendrier (sans doute), la cour d’appel de Pau a rendu un arrêt dans le cadre d’un contrat de franchise portant sur un commerce relativement proche (v. infra, Pau, 5 nov. 2020, n° 20/01175, Tagli’Apau). De plus, le tribunal ajoute qu’« il ne saurait être prétendu que, dans l’hypothèse où un commerçant français choisirait ou accepterait la clause compromissoire, il proposerait ou accepterait volontiers que la procédure d’arbitrage se déroule à New York ». Il est vrai que la clause prévoit que la phase orale de la procédure se déroulera à l’étranger. Néanmoins, on aurait aimé que le tribunal prenne en considération le caractère facultatif de l’audience, qui n’a lieu que si une partie le demande.

Ensuite, même si cela concerne uniquement la clause d’electio juris, on doit mentionner la motivation retenue pour la condamner. Le tribunal juge qu’il ne « saurait être prétendu qu’un commerçant français, sauf rarissime exception, pourrait spontanément, voire sur demande de son cocontractant, choisir, voire accepter, le droit néerlandais, pays que dans la plupart des cas il n’a pas visité, dont il ne connaît pas la langue et encore moins le droit ». Face à la puissance intellectuelle d’une telle analyse, on ne peut que s’incliner. Nous qui avons cru naïvement pendant des années que le choix d’un droit applicable était guidé par la sécurité juridique apportée par son régime (certes, à une partie plus qu’à une autre, ce n’est pas la question), ce choix serait le fruit des soirées passées à arpenter les rues amstellodamiennes au début de l’été…

Enfin, le tribunal conclut en énonçant que « Subway fait fi tant du bon sens que de la bonne foi dans sa tentative de convaincre le tribunal que ses candidats franchisés français, pour sécuriser juridiquement leur relation avec leur franchiseur, “choisissent” la langue anglaise, le droit néerlandais, la clause compromissoire et le déroulement de la procédure aux États-Unis. L’accumulation et la conjonction de ces contraintes imposées au franchisé, tant sur le plan juridique que culturel […], caractérisent un déséquilibre significatif en défaveur du franchisé ». Cette partie de la motivation suscite trois remarques, dont seule la première est juridique. Premièrement, il ne fait aucun doute que ces clauses sont imposées par Subway. Comme d’ailleurs toute clause contenue dans un contrat d’adhésion, que le cocontractant ne peut qu’accepter ou refuser en bloc. Ce n’est pas pour autant qu’elle crée un déséquilibre, sauf à exiger que, même pour l’achat d’une baguette de pain, les parties négocient l’ensemble des clauses contractuelles de leur contrat de vente. Deuxièmement, on ne peut que s’inquiéter de l’appel au bon sens pour appuyer une motivation, à une époque où cet argument est l’une des armes des mouvements populistes et où l’on attend d’une juridiction de statuer en droit. Troisièmement, on ne peut que savourer la référence à une contrainte « culturelle » prétendument imposée au franchisé, lequel conclut un contrat pour vendre en France la quintessence de la malbouffe venue d’outre-Atlantique. Il est délicieux d’attendre d’une marque qui compte 45 000 restaurants dans 110 pays un contrat de haute gastronomie alors qu’elle vend une nourriture standardisée.

On regrettera d’autant plus cette décision qu’elle évince volontairement ce qui peut justifier en droit sa solution. L’arrêt retient en effet qu’il n’est pas « besoin de rechercher si le coût est ou non supérieur ou inférieur à celui d’une procédure devant les tribunaux français ou à celui d’un mode alternatif de règlement des différends en France ». Pourtant, c’est sans doute là que se trouve le déséquilibre. Les coûts nécessaires pour assurer la défense de leurs intérêts peuvent être particulièrement élevés dès lors que le contrat, tel qu’il est rédigé, nécessite de recourir aux services d’avocats très spécialisés (droit de la franchise, droit néerlandais, droit de l’arbitrage, langue française et langue anglaise). Ne peut-on pas simplement considérer que, par ces coûts, l’accès au juge est menacé ? En tout cas, on en vient à se demander si ce n’est pas de telles décisions que veut éviter la société Subway en intégrant ces clauses dans son contrat de franchise…

Dans le même temps, le tribunal judiciaire de Paris était saisi par l’association UFC - Que Choisir d’une action en suppression des clauses abusives contre Uber (TJ Paris, 27 oct. 2020, n° 16/07290). L’action est fondée sur l’article R. 212-2, 10°, du code de la consommation, qui classifie de clause grise la clause compromissoire dans les contrats de consommation. La principale conséquence de cette qualification est le caractère présumé abusif de la clause, ce qui distingue ce régime de celui prévu par le code de commerce. Le tribunal considère que la clause doit être réputée non écrite dès lors qu’elle ne ménage « aucune liberté à l’utilisateur d’acceptation ou de refus » et qu’elle laisse croire au consommateur que sa « soumission à de telles modalités de règlement extrajudiciaire constitue un préalable voire un substitut obligatoire à l’exercice de son action en justice ». La présence de telles clauses dans le contrat de consommation, en particulier sur les réseaux sociaux ou les plateformes en ligne, est une problématique insuffisamment prise en considération. On peut espérer que ce genre de décision, comme la recommandation récente de la commission des clauses abusives sur les contrats de location de transports individuels en libre-service (recommandation n° 20-01, 30 sept. 2020), incite les professionnels à revoir leurs clauses. Ceci étant, il ne faut pas nécessairement partir du principe que l’arbitrage doit être prohibé en matière de consommation. Rien n’interdit d’inventer un arbitrage adapté à ces litiges, gratuit pour le consommateur et permettant l’obtention rapide d’une décision.

2. L’opposabilité de la clause

En matière interne, la clause est soumise à l’article 2061 du code civil, qui a été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. Il énonce désormais : « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée. Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ». Logiquement, les décisions sur la nouvelle mouture de cet article sont encore rares. C’est donc avec un grand intérêt qu’on lira l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans une affaire La Dame de Cœur Vape (Paris, 27 oct. 2020, n° 20/09005, D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Le contrat, conclu sous la forme authentique postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau texte, porte sur un bail commercial. Rapidement, le preneur délivre congé au bailleur. Ce dernier assigne son cocontractant devant le tribunal judiciaire pour contester la validité du congé. Le défendeur soulève une fin de non-recevoir (sic) tirée d’une clause compromissoire figurant au contrat de bail. Le juge de la mise en état accueille l’argument et renvoie le demandeur à mieux se pourvoir. En conséquence, c’est sur un appel de cette ordonnance que le pôle 1, chambre 1, est saisi. Le débat est doublement intéressant, puisqu’il soulève, d’une part, la question de l’articulation entre le nouvel article 2061 du code civil et le principe compétence-compétence et, d’autre part, la question de la portée de l’inopposabilité fixée par cette disposition.

Le nouvel article 2061, alinéa 2, du code civil pose un principe d’inopposabilité de la clause compromissoire à certaines parties. Pour être efficace, cette disposition ne doit pas être mise en échec par l’article 1448 du code de procédure civile, qui renvoie les parties devant les arbitres, sur le fondement de l’effet négatif du principe compétence-compétence. L’enjeu central est celui de l’articulation du nouvel article 2061 du code civil avec le principe compétence-compétence. En substance, trois réponses sont envisageables : la première consiste à dire que, dès lors qu’il y a une discussion sur la qualité de « non-professionnel » d’une des parties, la clause n’est pas « manifestement inapplicable » et il est fait interdiction au juge judiciaire de se prononcer ; la deuxième invite à laisser le juge examiner la qualité de « non-professionnel », cet examen relevant du caractère « manifestement inapplicable » de la clause ; la troisième conduit à considérer que les questions doivent être traitées dans un ordre chronologique, la mise en œuvre de l’effet négatif du principe compétence-compétence étant conditionnée à l’opposabilité préalable de la clause. Cette troisième approche a notre préférence, en ce qu’elle permet de préserver l’efficacité de la nouvelle solution préconisée par l’article 2061 du code civil tout en évitant les discussions sur ce qui doit être considéré comme « manifeste » dans la qualification de non-professionnel. Ce n’est toutefois pas la solution retenue par l’arrêt, encouragée en cela par la doctrine (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1008, n° 25). Elle énonce que « la SCI Fredema est ainsi mal fondée à soutenir que la convention d’arbitrage à laquelle elle a librement consenti en qualité de bailleur, lui serait manifestement inopposable ou serait manifestement nulle ou manifestement inapplicable au différend des parties ». C’est donc dans une logique de conciliation entre 2061 du code civil et 1448 du code de procédure civile que la cour s’inscrit, avec la consécration d’une éventuelle « inopposabilité manifeste  ». Il faudra attendre quelques arrêts supplémentaires pour déterminer si cette solution constitue la ligne jurisprudentielle tracée par la cour et si sa mise en œuvre convainc.

Reste à savoir comment, en l’espèce, la question de l’inopposabilité est envisagée. L’alinéa 2 de l’article 2061 fait dépendre l’opposabilité de la clause de la qualité de professionnel des parties (sur cette question, v. C. Jarrosson et J.-B. Racine, art. préc., n° 21 ; T. Clay, L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi « Justice du XXIe siècle », JCP 2016. Doctr. 1295, nos 17 s.). En l’espèce, le défendeur est une société civile immobilière formée par des personnes physiques. Pour retenir qu’il a contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la cour d’appel commence, et c’est à signaler, par ne pas faire référence à l’article liminaire du code de la consommation définissant les qualités de professionnel et non-professionnel, alors que le bailleur l’y invitait ! C’est donc indépendamment du code de la consommation que la qualification doit être réalisée. On peut s’en réjouir, car il n’y a pas lieu de soumettre une disposition du code civil à une définition du code de la consommation, d’autant que ce dernier dispose de son régime spécial pour la clause compromissoire. Pour le reste, la cour collecte un certain nombre d’indices pour trancher en faveur d’une clause conclue dans le cadre d’une activité professionnelle : objet social, secteur d’activité, assujettissement à la TVA, soumission à l’impôt sur les sociétés, mise en location par un bail commercial. Elle juge que « ce bail est donc un acte de gestion de l’actif immobilier dont la SCI Fredema est propriétaire, destinée à réaliser la fin pour lesquelles ses associés l’ont constituée, à savoir percevoir des revenus, contracté en conséquence dans le cadre de son activité professionnelle au sens de l’article 2061 du code civil, peu important qu’elle ne soit pas un promoteur immobilier et qu’elle ne soit constituée que d’associés personnes physiques ». Ce faisant, la cour d’appel suit l’opinion doctrinale suivant laquelle, pour les SCI, « la réalisation de leur objet constitu[e] une activité professionnelle » (C. Jarrosson et J.-B. Racine, art. préc., n° 22 ; v. égal., mais moins explicité sur la question de l’opposabilité, T. Clay, L’arbitrage, les modes alternatifs de règlement des différends et la transaction dans la loi « Justice du XXIe siècle », art. préc., n° 16).

3. La clause face à l’impécuniosité d’une partie

L’affaire Tagli’Apau est un peu complexe (et à dire vrai, difficilement lisible dans le résumé des faits), mais soulève, dans une perspective nouvelle, la question de l’impécuniosité des parties à l’arbitrage (Pau, 5 nov. 2020, n° 20/01175). Un contrat de franchise a été conclu en 2011 entre un franchiseur, Tagliatella (ou Pastificio… l’arrêt n’est pas clair) et un franchisé, Taglia’Apau (dans le cadre d’un concept, « Tagliatella », qui fera saliver le lecteur à l’heure du déjeuner). En 2015, le franchisé a sollicité une révision des conditions économiques et un dédommagement à la suite d’une perte de marge. Une procédure collective a ensuite été ouverte à son encontre en 2016, transformée en liquidation en 2018. Finalement, en 2018, le franchiseur a fait délivrer un courrier de résiliation du contrat de franchise pour manquement aux obligations contractuelles.

Le déroulement de la procédure n’est pas non plus parfaitement clair. En avril 2016, le franchisé a saisi la CCI d’une demande d’arbitrage. Néanmoins, le franchiseur a refusé de payer la provision sur les frais de l’arbitrage. En conséquence, en 2018, le liquidateur judiciaire du franchisé a assigné le franchiseur devant le tribunal de commerce. C’est alors que le franchiseur a soulevé l’incompétence du juge judiciaire au profit de la justice arbitrale. En somme, le franchiseur a refusé de payer les frais d’arbitrage pour que puisse se dérouler la procédure arbitrale et s’oppose, dans le même temps, la compétence des juridictions étatiques. Le tribunal de commerce a accueilli l’exception d’incompétence, ce qui a conduit le liquidateur à interjeter appel.

En apparence, la position du franchiseur est intenable : comment refuser, d’un côté, de payer la provision et, de l’autre, s’opposer à la compétence judiciaire ? C’est ce que tente de mettre en lumière le liquidateur. Mais la position du franchiseur n’est pas dénuée de pertinence. Il prétend que les demandes formées devant le tribunal arbitral par le franchisé sont « exorbitantes », ce qui entraîne un calcul de provision pour frais d’arbitrage disproportionné. En somme, le franchiseur estime que ce n’est pas à lui d’assumer des frais d’arbitrage surévalués et que si le demandeur souhaite voir sa demande examinée, il doit, soit réexaminer le montant de ses demandes, soit payer l’intégralité des frais de l’arbitrage. Entre les deux positions, le cœur balance. La cour d’appel ne refuse pas la discussion et offre une belle motivation (bien que décousue et pas toujours facile à suivre).

Elle énonce, d’abord, que le refus du franchiseur « de régler leur part de provision » ne constitue pas « une renonciation irrévocable à la clause compromissoire au regard de l’exception d’incompétence soulevée valablement devant la juridiction de l’État ». La cour ajoute que « la force obligatoire de la clause compromissoire est indépendante de la santé financière de l’une des parties signataires […]. La partie qui fait état de son impécuniosité ne peut donc tirer argument de ce fait pour se soustraire à la compétence arbitrale ». Reste à savoir comment assurer, malgré tout, un accès de l’impécunieux à la justice. Pour la cour d’appel, la réponse ne fait pas de doute : il « appartient au tribunal arbitral de permettre l’accès au juge ». À l’inverse, « les intimées pouvaient valablement ne pas avancer leur quote-part de provision ». En somme, si le droit d’accès au juge doit être assuré, c’est à l’arbitre et, subsidiairement, à l’institution de s’en charger et aucunement au cocontractant. La solution n’est pas dénuée de logique, même si elle ne plaira pas nécessairement aux tenants d’un solidarisme contractuel.

B. Les effets de la clause

1. Le principe compétence-compétence

On ne le dira jamais assez, mais pour mal commencer un arbitrage, rien de tel qu’une clause mal rédigée. Dans une affaire soumise à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (15 oct. 2020, n° 17/11777, SEGIP), le contrat annonçait le pire : « Pour l’exécution des présentes et de leurs suites, les parties conviennent que tout litige relatif aux présentes sera de la compétence que tribunal de commerce de Manosque […]. Aussi, tous litiges auxquels les présentes pourraient donner lieu et notamment tant pour leur validité, leur interprétation, que leur exécution, seront soumis à une procédure d’arbitrage dans les conditions suivantes ». Néanmoins, la contradiction manifeste de cette clause ne fait pas obstacle au renvoi des parties devant les arbitres. La cour rappelle que « la présence dans le même acte d’une clause attributive de compétence et de clause d’arbitrage est insuffisante à elle seule à permettre de conclure que les parties ont manifestement voulu soumettre à la juridiction étatique leur litige et à caractériser la nullité ou l’inapplication manifeste de la clause d’arbitrage. La présence d’une clause attributive de compétence ne se substitue pas à la clause compromissoire et ne fait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage. La contrariété de clauses soulève une difficulté d’interprétation contredisant le caractère manifeste de l’inapplicabilité. Au seul regard de l’apparence ou la vraisemblance de la compétence arbitrale, il appartient au juge étatique de la retenir, sans qu’il puisse être autorisé à procéder à un examen approfondi et substantiel de l’exacte volonté des parties ». Si la formule est un peu longue, elle rappelle opportunément, sans préjuger la question, qu’il appartient au tribunal arbitral de se prononcer en priorité sur sa compétence.

Une autre cour d’appel se distingue par une application remarquable du principe compétence-compétence (Rennes, 20 oct. 2020, n° 20/00963, Thermador). La clause figure dans un pacte d’associés, lequel contient également une clause de non-concurrence et une clause de confidentialité. Reprochant à des sociétés tierces d’avoir débauché plusieurs signataires de ce pacte, le reste des actionnaires assigne ses concurrents et ses anciens associés. La cour d’appel énonce que « les actions de nature délictuelle ne font pas obstacle à l’application d’une convention d’arbitrage, il s’agit d’une question qui relève du champ d’application de la clause d’arbitrage ». Elle ajoute qu’il « apparaît ainsi que le litige est en relation avec l’inexécution prétendue par M. Y et Mme Z de l’obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d’actionnaire. Il en résulte que la convention d’arbitrage n’est pas manifestement inapplicable. Le juge judiciaire est incompétent pour statuer sur sa compétence ». On ne saurait mieux dire. La cour fait une application parfaite du principe compétence-compétence appliqué à une action délictuelle : sans anticiper la compétence arbitrale, elle renvoie les parties devant le tribunal arbitral après avoir caractérisé un lien entre l’action et la clause. Exactement ce qu’il faut faire (en ce sens, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685, nos 12 s.).

Malheureusement, comme trop souvent, cette rigueur n’est pas toujours partagée, même à la cour d’appel de Paris (Paris, pôle 1, ch. 8, 13 nov. 2020, n° 20/10471, Atos). La clause est considérée comme « manifestement inapplicable » au motif qu’« aucune partie ne propose de traduction exhaustive bien qu’elle soit en langue anglaise » et qu’elle « est rédigée de telle manière qu’elle est manifestement inapplicable : en effet, l’article 28.2 du GMSA indique que chaque partie peut soumettre un différend entre elles à l’arbitrage, conformément à ce qui est indiqué être la section suivante, laquelle ne correspond aucunement à l’hypothèse d’un arbitrage. Les parties sont ainsi convenues d’une clause compromissoire inapplicable parce qu’inaboutie ». Aucun des deux arguments ne convainc. S’il est regrettable que les parties n’aient pas traduit la clause, cet incident ne doit pas être de nature à la rendre inapplicable. Par ailleurs, son incomplétude n’est aucunement de nature à la rendre manifestement inapplicable, dès lors qu’il existe, pour pallier cette lacune, un juge d’appui !

2. Le choix des arbitres

a. Le remplacement par la volonté d’une seule partie

En dehors des questions portant sur l’exception d’incompétence, il est assez rare de voir des cours d’appel saisies de litiges portant sur l’arbitrage. Un recours en annulation devant la cour d’appel de Dijon constitue à l’évidence une rareté (Dijon, 12 nov. 2020, n° 18/00617). La question posée ne manque pas d’intérêt. Il s’agit de savoir si, et le cas échéant jusqu’à quelle date, une partie ayant choisi un arbitre peut modifier son choix. Pour la cour d’appel, le remplacement peut intervenir tant que le tribunal, « non encore définitivement constitué, n’avait pas abordé l’examen du fond de l’affaire ». Les textes sont effectivement incertains sur cette question. L’article 1458 du code de procédure civile énonce que « l’arbitre ne peut être révoqué que du consentement unanime des parties ». Néanmoins, il convient de se demander si la règle s’applique seulement après la constitution du tribunal arbitral, prévue à l’article 1456 du code de procédure civile : « Le tribunal arbitral est constitué lorsque le ou les arbitres ont accepté la mission qui leur est confiée ».

Si l’on retient la figure du contrat d’arbitre (contra, L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, thèse ss la dir. de F.-X. Train, Paris Nanterre, 2018), la question est de savoir à quelle date celui-ci est formé et, par conséquent, la date à laquelle l’arbitre, pour être révoqué, doit l’être par la partie plurale. Pour Thomas Clay, « le contrat d’arbitre se forme quand l’acceptation rencontre l’offre, c’est-à-dire quand l’arbitre accepte la mission que les litigants lui proposent » (T. Clay, L’arbitre, préf. P. Fouchard, Dalloz, 2001, n° 646). Quand bien même l’auteur prévoit une réserve, celle-ci n’est pas dirimante : « il existe une condition supplémentaire à la formation du contrat d’arbitre : il ne suffit pas que l’arbitre ait accepté la mission, encore faut-il qu’il puisse l’accomplir. Autrement dit, la formation du contrat d’arbitre est toujours subordonnée à la condition suspensive que le tribunal soit effectivement saisi du litige » (T. Clay, L’arbitre, op. cit., n° 647). En effet, l’existence d’une condition suspensive n’est pas de nature à préserver le droit d’une partie de révoquer l’arbitre. Car ce sont bien les deux parties, ensemble, qui désignent l’arbitre : « il faut du reste distinguer le choix de l’arbitre qui n’est que la proposition d’un nom et la désignation de celui-ci qui procède des litigants conjointement » (T. Clay, L’arbitre, op. cit., n° 625). En définitive, la question soulevée devant la cour d’appel de Dijon peut faire l’objet de discussions et un arrêt de la Cour de cassation ne manquerait pas d’intérêt.

b. La désignation par le juge d’appui

Dans une affaire où les faits sont assez confus, une partie a saisi le juge d’appui afin de voir désigner un arbitre, ce à quoi le juge d’appui a fait droit. D’après l’article 1460 du code de procédure civile, il en résulte qu’aucune voie de recours n’est ouverte dès lors que le juge procède à la désignation. Il faut réserver l’exception de l’excès de pouvoir, qui ouvre la voie à un appel-nullité (v. par ex. Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 787). C’est justement cette question qui est posée à la cour d’appel de Montpellier (19 nov. 2020, n° 19/04956, Vista), avec une situation particulière : dans le cadre de la désignation de l’arbitre par le juge d’appui, toutes les parties n’ont pas été appelées à l’instance. La cour rejette le recours, au motif que « le fait que tous les participants aux actes de cession n’aient pas été appelés à la cause par les parties demanderesses, sans que les défenderesses n’aient jugé utile d’y remédier, ne saurait constituer un excès de pouvoir du juge ». La solution est logique. Il faut néanmoins se demander si le débat ne peut pas rebondir au stade du recours contre la sentence, au motif que l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral n’a pas été respectée. Peu probable, mais la question mérite d’être posée…

III. La sentence arbitrale

A. L’internationalité de l’arbitrage

Les décisions sur le caractère interne ou international de la sentence ne sont pas si fréquentes, sans doute car la plupart du temps, la qualification est évidente. Elle est pourtant posée au conseiller de la mise en état, au détour d’une question sur l’arrêt de l’exécution (provisoire ?) de la sentence (Paris, ord., 1er déc. 2020, n° 20/08033, EPPOF). Le conseiller vise logiquement l’article 1504 du code de procédure civile termes duquel « est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». Il ajoute qu’il « résulte de cette définition exclusivement économique que l’arbitrage revêt un caractère international lorsque le différend soumis à l’arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État, peu important la qualité ou la nationalité des parties, la loi applicable au fond du litige ou à la procédure, ainsi que le siège du tribunal arbitral. Cette qualification ne dépend pas de la volonté des parties ». Rien de nouveau sur le front des principes.

En revanche, l’application aux faits est intéressante, puisque litige oppose des sociétés françaises et concerne un bien immobilier situé à Paris, ce qui peut faire présumer une qualification interne. Cependant, le juge va au-delà de ces apparences et s’intéresse à la réalité du contrat. Il constate que le contrat d’« Advisory Agreement », certes signé entre sociétés françaises, l’est au bénéfice d’un investisseur. Le juge recherche alors l’identité de cet investisseur et constate qu’il s’agit d’une société allemande. Il en conclut que « l’opération d’optimisation convenue, à savoir le rendement locatif de l’immeuble situé en France, pour cet investisseur allemand, le Fonds BTI, est donc une opération d’investissement de nature transfrontalière, qui ne se dénoue pas économiquement uniquement en France, contrairement à ce que soutient la société EPPOF et met dès lors en cause les intérêts du commerce international ». La solution est intéressante et ce refus de se limiter aux apparences paraît conforme à l’esprit de l’article 1504 du code de procédure civile. On s’éloigne néanmoins de la solution retenue dans l’affaire Tapie (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Sté CDR créances c. Sté CDR-Consortium de réalisation, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech ; ibid. 18 déc. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1253 , note D. Mouralis ; ibid. 425, édito. T. Clay ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel  ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry ; Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904 et 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1505 ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2589, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine  ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry), ce qui laisse entendre que l’interprétation restrictive de l’internationalité aperçue dans cet arrêt n’était qu’une parenthèse (politique).

B. L’exequatur de la sentence

Les difficultés relatives à l’exequatur des sentences arbitrales sont assez rares. Cette procédure « coup de tampon » ne suscite pas vraiment l’intérêt de la doctrine. C’est pourtant une très belle question qui est posée à la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 12 nov. 2020, n° 19-18.849, IPSA Holding, D. 2020. 2286 ; ibid. 2484, obs. T. Clay ) à propos d’un arrêt d’appel déjà commenté (Paris, 14 mai 2019, n° 17/09133, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). En l’espèce, la procédure collective a été ouverte après la reddition de la sentence, mais avant son exequatur. Comment, dans ces circonstances, articuler le principe de suspension des poursuites individuelles avec une sentence déjà rendue ?

La Cour de cassation donne deux réponses importantes. La première est assez simple : le principe de l’arrêt des poursuites individuelles des créanciers est à la fois d’ordre public interne et international et l’exequatur ne saurait « sans méconnaître le principe susvisé, rendre exécutoire une condamnation du débiteur à paiement de sommes d’argent ». Pour respecter l’arrêt des poursuites, la sentence ne peut donc être revêtue de la force exécutoire.

Est-ce à dire que l’exequatur ne peut pas être sollicité pour ces sentences ? Ce n’est pas la solution retenue, et c’est le deuxième apport de l’arrêt. À cet égard, la cour énonce que « l’exequatur prononcé dans de telles circonstances ne peut avoir pour objet que la reconnaissance et l’opposabilité en France ». Cela revient à se réapproprier une distinction, déjà connue du droit international privé, entre, d’un côté, la force exécutoire, qui est exclue par l’arrêt des poursuites et, d’un autre côté, l’efficacité substantielle et l’autorité de la chose jugée, qui sont susceptibles d’être accordés par la voie de la reconnaissance (on signalera que, pour l’autorité de la chose jugée, l’article 1484 du code de procédure civile ne la fait pas dépendre de la reconnaissance. Elle n’en demeure pas moins précaire en son absence).

Dans quelle hypothèse cet exequatur « amputé » sera-t-il demandé ? La Cour énonce qu’il s’agit de la situation où la « vérification des créances fait apparaître une contestation à l’égard de laquelle le juge-commissaire n’est pas compétent », afin de permettre au créancier « de faire reconnaître son droit de créance ». En réalité, et si l’arrêt n’est pas parfaitement clair et nécessite des connaissances en procédure collective, il semble que l’hypothèse soit celle où le juge-commissaire est incompétent, sur le fondement des articles L. 624-2 et R. 624-3 et suivants du code de commerce, pour connaître d’une contestation sérieuse portant sur la créance (v. Rép. com., v° Entreprise en difficulté : procédure et organes, par P. Cagnoli, n° 645). En présence d’une telle contestation sérieuse, l’article R. 624-5 du code de commerce prévoit que les parties sont renvoyées à mieux se pourvoir et à saisir la juridiction compétente. Quelle est la juridiction compétente ? Pour une sentence rendue en France, il doit s’agir du juge de l’annulation, qui peut être saisi directement par le débiteur. En revanche, pour une sentence rendue à l’étranger, comme c’est le cas en l’espèce, le juge de l’annulation n’est pas accessible. Or le débiteur n’est pas en mesure de saisir directement la cour d’appel. Pire, s’il demande l’exequatur, il sera privé du droit de faire appel de l’ordonnance, faute d’intérêt à agir (Paris, 10 nov. 1987, Rev. arb. 1989. 669, note A.-D. Bousquet ; Bull. ch. avoués 1988. 1. 5). Afin de trancher cette contestation sérieuse, la Cour de cassation considère donc qu’il convient pour le créancier de demander l’exequatur, ce qui permettra, le cas échéant, au débiteur de faire appel de l’ordonnance. Ainsi, les parties pourront se retrouver devant le juge « naturel » de la sentence, à savoir la cour d’appel saisie d’un recours contre l’ordonnance d’exequatur. À l’issue du débat, la contestation sera tranchée et la créance sera définitivement fixée.

Finalement, la véritable question qui se pose, à la lecture de cet arrêt, est celle de savoir si l’on doit considérer qu’une contestation sur les conditions de reconnaissance en France d’une sentence doit être qualifiée de « contestation sérieuse ». Nous nous garderons de donner une réponse en droit des procédures collectives. Néanmoins, il convient de rappeler que la créance déclarée à la procédure collective a été reconnue par un acte juridictionnel. Or en principe, n’importe quel juge peut, par voie incidente, se prononcer sur la reconnaissance de la sentence dans l’ordre juridique français. N’était-ce pas suffisant pour permettre au juge-commissaire de trancher cette question ? La question est posée.

IV. Les recours contre la sentence

A. Aspects procéduraux des recours contre la sentence

1. L’arrêt de l’exécution de la sentence

Depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en annulation n’est plus suspensif d’exécution, mais le conseiller de la mise en état peut arrêter ou aménager l’exécution si elle est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties (C. pr. civ., art. 1526). En principe, le critère posé par l’article 1526, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à une analyse casuistique de la situation économique du créancier ou du débiteur (v. I. Michou, « L’exécution provisoire de la sentence internationale », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 119, nos 15 s.). Deux ordonnances ajoutent leur pierre à l’édifice jurisprudentielle en la matière.

Dans l’affaire EPPOF (Paris, ord., 1er déc. 2020, n° 20/08033, cité supra), le conseiller de la mise en état fait un rappel complet des principes applicables à l’arrêt de l’exécution contre une sentence internationale (v. déjà Paris, ord., 30 juin 2020, n° 20/04017, Compagnie de sécurité privée et industrielle, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). Prenant appui sur le rapport au Premier ministre relatif au décret du 13 janvier 2011, le juge énonce qu’« il ressort de ces éléments que l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution de la sentence, qui ne peut dépendre du caractère sérieux du recours en annulation, doit être apprécié strictement, sous peine de rendre ineffective l’absence d’effet suspensif du recours en annulation, quand bien même le texte de l’article 1526 précité ne cantonne pas expressément son bénéfice à une appréciation des seules conséquences économiques d’une exécution de la sentence pour l’une des parties ». Il ajoute que « cette interprétation stricte de l’article 1526, alinéa 2, conduit à subordonner le bénéfice de l’arrêt ou de l’aménagement à une appréciation in concreto de la lésion grave des droits que ladite exécution est susceptible de générer, de sorte que ce risque doit être, au jour où le juge statue, suffisamment caractérisé et qu’il ne saurait découler de l’article 1526 du code de procédure civile une faculté pour le juge d’accorder à une partie le droit de s’opposer à l’exécution d’une sentence pour un motif général, abstrait ou hypothétique, voire pour des conséquences manifestement excessives, ce critère n’étant pas identique à la lésion grave des droits requise par l’article 1526, alinéa 2 ». Enfin, il termine l’énoncé des fondements en soulignant qu’il « appartient à la partie qui invoque le bénéfice de l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution de la sentence de produire tous éléments de nature à établir que l’exécution de la sentence mettrait sa situation gravement en péril qu’elle soit économique ou autre, soit que la sentence précarise gravement sa situation, soit qu’il lui soit impossible de recouvrer les fonds en cas de succès du contentieux portant sur le contrôle de la sentence, soit qu’elle engendre toute autre lésion grave de ses droits, qu’il lui appartient de justifier ». En somme, la décision rappelle deux choses : la lésion grave doit être distinguée des conséquences manifestement excessives ; l’analyse se fait in concreto.

Les faits sont en revanche moins significatifs. Pour la première fois, et certainement pas la dernière, le débiteur invoque les circonstances dues au coronavirus pour étayer une situation précaire et un risque de cessation des paiements en cas d’exécution. Pour le juge, ce risque ne suffit pas à établir le caractère « gravement lésionnaire » de l’exécution. Autrement dit, il est insuffisant de plaider un risque ou le caractère inopportun de l’exécution : il faut démontrer concrètement en quoi l’exécution entraîne une lésion grave aux droits d’une partie. Il faut bien admettre que la distinction est fuyante. Elle justifie en l’espèce un rejet de la demande d’arrêt.

Néanmoins, il faut rappeler que la compétence pour trancher la question de l’arrêt de l’exécution incombe soit au premier président, soit au conseiller de la mise en état. Peut-on envisager une stratégie, visant à favoriser la saisine de l’un plutôt que de l’autre ? Difficile à dire. Pour autant, dans une affaire Couach (Paris, ord. prés., 4 nov. 2020, n° 20/09273), la partie a saisi le premier président d’une demande d’arrêt de l’exécution, avec plus de succès. La demande porte sur deux aspects différents : d’une part, sur la libération de fonds séquestrés entre les mains du bâtonnier de Paris ; d’autre part, sur des saisies-attributions sur les comptes bancaires du débiteur. Sur le séquestre, le délégué du premier président ne trouve rien à redire, dès lors qu’il estime que les sommes consignées proviennent du patrimoine du créancier. Il n’y a donc pas lieu d’arrêter la libération de fonds sur lesquels le débiteur ne dispose d’aucun droit. En revanche, sur les saisies-attribution, le juge accepte d’arrêter l’exécution. D’abord, il constate que « la mesure d’exécution n’a pas encore produit ses effets et n’est donc pas consommée » : time is of the essence. Ensuite, il signale la situation économique « très précaire » du débiteur, établie par la production d’une analyse d’un cabinet d’expertise comptable sur sept exercices « tous largement déficitaires ». Enfin, il caractérise le risque de non-restitution des fonds : absence de biens en France et absence d’activité économique réelle du créancier. Surtout, et c’est à signaler, la cour constate l’absence de convention d’entraide judiciaire avec la Turquie et « les relations diplomatiques extrêmement tendues à l’heure actuelle entre la France et la Turquie » pour achever de se convaincre.

2. L’appel-nullité contre une mesure d’administration de l’arbitrage (!)

L’arrêt ITOC est intéressant (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231). Dans le cadre de la procédure arbitrale, les parties s’opposent sur l’audition de certains témoins. En conséquence, le tribunal arbitral a rendu une ordonnance de procédure pour régler cette question et déterminer les témoins susceptibles d’être entendus. Cette décision est-elle susceptible de recours ? Non, selon la cour, qui énonce que « cette décision par laquelle les arbitres se prononcent sur les auditions susceptibles d’être organisées ne tranche en aucune manière tout ou partie du litige au fond qui oppose les parties, la compétence ou bien encore un incident de procédure mettant fin à l’instance ». Par cette réponse, la cour reprend la définition de la sentence arbitrale posée par l’arrêt Sardisud (Paris, 25 mars 1994, Sardisud, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). Elle en conclut que « cette “ordonnance de procédure” ne constitue donc pas une sentence, mais une simple mesure d’administration de l’arbitrage non susceptible de recours ».

En réalité, derrière cette question se cache le débat relatif à la qualification des mesures d’instruction. Le droit de l’arbitrage considère classiquement que les mesures d’instruction relèvent de l’ordonnance de procédure. Cette dernière position est partagée par la jurisprudence judiciaire (en matière d’expertise, v. Paris, 25 mars 1994, Sardisud, préc. ; Civ. 1re, 17 juin 2009, Crédirente, Rev. arb. 2009. 741 [1re esp., 2e décis.], note C. Chainais ; Civ. 2e, 6 déc. 2001, Petit-Perrin, Rev. arb. 2002. 697, note J. Ortscheidt ; Procédures 2002, n° 27, obs. H. Croze) et arbitrale (pour l’audition des témoins, v. ord. CCI rendue dans l’affaire 7170, 1992, JDI 1993. 1082, note D. Hascher ; pour la nomination d’un expert, v. ord. CCI rendue dans l’affaire 5082, 1988, JDI 1993. 1072 [2e esp.], note D. Hascher) ainsi que la doctrine (S. Jarvin, Les décisions de procédure des arbitres peuvent-elles faire l’objet d’un recours juridictionnel ?, Rev. arb. 1998. 611, spéc. p. 617 s. ; F.-X. Train, Reconnaissance et exécution des sentences arbitrales étrangères : le droit français au prisme de la Convention de New York, RIDC 2014. 249, n° 12, François-Xavier Train considère que la qualification d’ordonnance « ne suscite pas de difficulté lorsqu’il s’agit de décisions […] ordonnant une expertise »). Il n’est pas étonnant de voir la qualification de sentence écartée. En l’espèce, elle l’est au profit de la qualification de « mesure d’administration de l’arbitrage » qui fait, à notre connaissance, l’objet d’une première consécration jurisprudentielle après avoir été appelée de ses vœux par la doctrine (P. Duprey et C. Fouchard, note ss Paris, 26 févr. 2013, Rev. arb. 2014. 82, n° 7 ; C. Chainais, note ss Paris, 29 nov. 2007, Civ. 1re, 17 juin 2009 ; Paris, 3 juill. 2008 ; Paris, 25 sept. 2008, Rev. arb. 2009. 741, spéc. p. 759 : l’auteur parle de « mesure d’administration arbitrale » ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 101 s.).

Toutefois, toutes les mesures d’instruction n’ont pas exactement la même portée. Certaines sont susceptibles de léser immédiatement et gravement les droits des parties, à tel point que l’on peut préconiser une qualification de sentence (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 105 s.). Or il est intéressant de constater que, sans retenir une telle qualification, la cour d’appel envisage l’ouverture d’une voie de recours contre cette mesure d’administration de l’arbitrage. Pour cela, elle énonce que, « si en droit français l’existence d’un excès de pouvoir est susceptible de rendre recevable un appel-nullité à l’encontre d’une mesure d’administration judiciaire, encore faut-il que le grief formulé à l’encontre de la mesure querellée permette de caractériser un tel excès de pouvoir », avant de rejeter le recours au motif que « la seule violation du principe du contradictoire ne constitue pas une méconnaissance par l’arbitre de l’étendue de ses pouvoirs de sorte qu’elle ne peut caractériser un excès de pouvoir ». Si le recours est rejeté en l’espèce, il est clair que la cour d’appel l’envisage, sur le fondement de l’excès de pouvoir. C’est donc un « recours en annulation-nullité » qui voit potentiellement le jour avec cette décision. On peut regretter cette porte ouverte, qui pourrait donner lieu à une avalanche de contestations. En réalité, la question véritablement importante n’est pas celle d’un éventuel excès de pouvoir (parfaitement hypothétique), mais celle de l’exercice d’une prérogative juridictionnelle par l’arbitre. Néanmoins, lorsque l’arbitre exerce une prérogative juridictionnelle, c’est une qualification de sentence qu’il faut retenir, et pas seulement un recours en annulation-nullité fondée sur un excès de pouvoir. En revanche, à défaut d’exercice d’une prérogative juridictionnelle, aucune voie de recours ne doit être ouverte.

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle voie de recours posera une double question. Premièrement, comment définir l’excès de pouvoir ? À cet égard, on est tenté de renvoyer vers un précédent arrêt (Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834, Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques), qui a énoncé : « Il est de principe qu’il y a excès de pouvoir lorsque le juge s’arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse ou lorsqu’il refuse d’exercer les compétences que la loi lui attribue. La violation de règles de fond ou de procédure, même lorsqu’il s’agit de la violation d’un principe essentiel de procédure, tel celui du contradictoire ou de la méconnaissance de l’objet du litige, ne constitue pas un excès de pouvoir, mais une simple erreur de droit. Il en est de même en cas d’absence de motivation ou de motivation insuffisante ». Reste à savoir si cette définition sera confirmée. Deuxièmement, quels griefs seront invocables contre la mesure d’administration de l’arbitrage ? A priori, la recevabilité et le bien-fondé du recours sont intimement liés : si le recours en annulation-nullité est recevable, c’est que l’excès de pouvoir est caractérisé et que l’acte doit être annulé. Autrement dit, il ne devrait pas être nécessaire de s’inscrire ensuite dans les cas d’ouverture du recours prévus par les articles 1492 et 1520 du code de procédure civile.

B. Aspects substantiels des recours contre la sentence

1. La compétence

C’était malheureusement à prévoir. L’arrêt Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi) a ouvert une voie d’eau dans le contrôle de la compétence (à laquelle vient désormais s’ajouter celle de l’arrêt Schooner…). La cour d’appel, prise à son propre piège, aura bien du mal, sauf à se dédire, à refermer la porte.

De quoi parle-t-on ? Pour rappel, dans l’arrêt Rusoro, un TBI prévoit un délai pour permettre à l’investisseur de présenter ses demandes devant un tribunal arbitral. Assez simplement, il s’agit de savoir s’il faut retenir une qualification de recevabilité ou de compétence pour cette question. Alors que tout indique qu’une question de prescription doit s’analyser en termes de recevabilité – excluant ainsi un examen par le juge de l’annulation –, la cour d’appel a retenu une qualification de compétence. Certes, on aura pu dire de cet arrêt qu’il doit être lu comme révélant une spécificité de l’arbitrage d’investissements, lié aux modalités des rédactions des TBI. Il n’en demeure pas moins que, dans le recours en annulation, toute faille doit être exploitée lorsque l’on cherche à remettre en cause une sentence.

On est donc à peine étonné de voir un demandeur à l’annulation tenter de forcer le passage pour faire qualifier de compétence ce qui devrait, normalement, être balayé d’un revers de la main (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c. Keppel Seghers Engineering Singapore). En l’espèce, il s’agit d’une banale clause règlement amiable du différend préalable à la saisine du tribunal arbitral, qualifiée de longue date de condition de recevabilité (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude). C’était sans compter l’effet Rusoro. Pour le requérant, « les parties, en stipulant une telle clause, ont entendu limiter le champ d’application ratione materiae de la clause compromissoire et, partant la compétence ratione materiae du tribunal arbitral ». On le voit, la tentation est forte de faire entrer toute exigence contractuelle de recevabilité dans le champ de la compétence (et pourquoi, d’ailleurs, s’arrêter aux exigences contractuelles ?).

Face à cette argumentation, la solution de la cour d’appel est naturellement très attendue. Et force est de constater qu’on est loin d’une réponse ferme.

Les faits de l’espèce sont importants. Les conditions générales contractuelles contiennent une clause dans laquelle on trouve cette procédure préalable applicable aux réclamations. Figure également dans cette disposition une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux du Qatar. La clause compromissoire, quant à elle, a été ajoutée par un amendement aux conditions contractuelles. Pour le demandeur, la convention d’arbitrage s’insère dans la clause de règlement des litiges du contrat principal et exige le passage par la procédure amiable. Or, à cet égard, la cour d’appel écrit noir sur blanc qu’« analysé en ces termes, ce moyen est bien recevable ». Comment, dès lors, ne pas y voir une consécration de la qualification de compétence pour une clause de mode amiable préalable à la saisine d’un tribunal arbitral ? Comment, demain, ne pas s’attendre à une consécration identique pour toute autre clause contractuelle, par exemple, une clause relative à la prescription ? Comment ne pas craindre, après-demain, l’éviction du critère de la clause contractuelle et voir basculer l’intégralité des questions de recevabilité sous l’angle de la compétence ?

Néanmoins, l’analyse de la cour ne s’arrête pas là. Elle constate qu’il y a un doute quant à l’articulation entre la clause issue des conditions générales contractuelles et la clause compromissoire ajoutée par l’amendement aux conditions contractuelles. Elle énonce qu’il n’est « nullement indiqué dans l’accord qui la contient qu’elle aurait vocation à s’insérer dans le descriptif précité et à se substituer au seul article 20.4 des conditions générales ». Elle en déduit que « quand bien même cette clause n’a pas vocation à supprimer le processus mis en place préalablement par les parties […], le non-respect de ce processus ne saurait conduire à limiter, au regard de la généralité des termes de la clause compromissoire, la compétence du tribunal arbitral, sans préjudice de l’appréciation par ce dernier de la recevabilité des demandes ». Autrement dit, c’est uniquement parce qu’il y a un doute dans l’articulation entre la clause de règlement amiable et la clause compromissoire, et grâce à la généralité de cette dernière qu’en l’espèce, la qualification de compétence est écartée. A contrario, c’est une confirmation supplémentaire qu’une clause de règlement amiable préalable articulée avec une clause compromissoire dans un contrat pourra, désormais, entrer dans le périmètre d’examen relatif à la compétence. L’effet Rusoro a donc commencé à détricoter méthodiquement la distinction classique entre compétence et recevabilité.

2. Le respect par l’arbitre de sa mission

a. L’ultra petita

Le grief d’ultra petita n’est pas si fréquemment retenu par la jurisprudence. Pour ce qui est du montant des demandes, il impose simplement aux arbitres de ne pas accorder plus que ce qu’il leur a été demandé. C’est finalement une application de l’article 4 du code de procédure civile à l’arbitrage. Dans l’arrêt Keppel (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, préc.), la situation est particulièrement intéressante, car, parmi de nombreux postes de préjudices dont la réparation est demandée, les arbitres ont accordé, pour l’un, la somme de 2 591 892,98 QAR au lieu de 2 572 826,64 QAR. Ainsi, une somme de 21 000 QAR environ a été accordée en plus de ce qui a été demandé par les parties, ce qui représente environ 1 % de ce poste de préjudice, moins de 0,02 % du montant total de la condamnation et moins de 0,006 % du montant total des demandes.

Pour tenter de sauver la sentence d’une annulation partielle, le défendeur invoque deux arguments : que, malgré la demande chiffrée, il était demandé au tribunal une condamnation « aux sommes qu’il jugerait appropriées » ; que le dépassement du montant ne tombe pas sous le coup de l’ultra petita lorsque le montant ne dépasse pas le montant de la demande globale.

Malheureusement, les deux arguments sont rejetés et la sentence est annulée partiellement. D’une part, la cour juge que la formule invitant le tribunal à une condamnation à des sommes qu’il pourrait évaluer « n’autorise nullement le tribunal à aller au-delà des sommes demandées, mais seulement à accorder le cas échéant une somme différente dans la limite de ce plafond ». D’autre part, elle considère que lorsque la demande est formulée « poste par poste » et que le tribunal tranche « poste par poste », c’est à ce niveau que l’examen de l’ultra petita doit être examiné. L’une et l’autre de ces appréciations sont convaincantes. On ajoutera que le caractère véniel du dépassement, comme c’est le cas en l’espèce, n’y change rien. L’arbitre doit respecter méticuleusement les demandes des parties et ne jamais dépasser, poste par poste, le montant demandé.

b. Le respect des règles procédurales

Lorsque les parties déterminent des règles procédurales applicables, le non-respect de celles-ci entraîne-t-il l’annulation de la sentence ? La jurisprudence l’admet depuis longtemps (Paris, 1er juill. 1999, Sté Braspetro Oil Services [Brasoil] c. GMRA, Rev. arb. 1999. 834, note C. Jarrosson). Cependant, la question qui demeure est de savoir si la seule violation de ces règles est susceptible d’entraîner l’annulation où s’il est nécessaire d’établir un grief ? La doctrine se prononce le plus souvent en faveur de la nécessité d’un grief (A. Pinna, L’autorité des règles d’arbitrage choisies par les parties, Cah. arb. 2014. 9 ; P. Giraud, La conformité de l’arbitre à sa mission, thèse, ss la dir. de C. Jarrosson, Paris 2, 2014, n° 483), mais les décisions ne sont pas fréquentes. Deux arrêts viennent, coup sur coup, confirmer expressément cette solution.

Dans l’arrêt ITOC, il est reproché aux arbitres de ne pas avoir respecté les règles procédurales arrêtées par les parties (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC). De façon tout à fait classique, l’arrêt retient que « le tribunal arbitral s’écarte de sa mission s’il ne respecte pas les règles procédurales qui ont été arrêtées par les parties » (en dernier lieu, v. Paris, 23 juin 2020, n° 18/09652, Ginkgo, Dalloz actualité, 29 juillet 2020, obs. J. Jourdan-Marques). En revanche, l’arrêt ajoute que « cet écart, en ce qu’il porte sur une règle procédurale, ne saurait emporter l’annulation de la sentence que si l’irrégularité procédurale avait été soulevée préalablement devant le tribunal arbitral et s’il est établi qu’il a pu causer à une partie un grief ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige ». C’est une solution globalement identique, bien que rédigée différemment, qui est retenue dans l’affaire Sterling Merchant Finance (Paris, 1er déc. 2020, nos 19/09347, 19/09352, 19/09554 et 19/09725, Sterling Merchant Finance). Le requérant invoque une violation des IBA rules concernant les demandes de production de documents. La cour rappelle qu’« il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de l’annulation de sanctionner une mauvaise application des règles de procédure choisies par les parties, sauf à ce que l’application alléguée comme étant erronée emporte une violation du principe de la contradiction ».

c. L’utilisation de ses pouvoirs par l’arbitre

Dans l’arrêt Keppel (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, préc.), et alors que les arbitres ont reçu mission de statuer en droit, la cour rappelle une définition tout à fait intéressante de l’amiable composition, déjà esquissée précédemment (Paris, 23 janv. 2018, n° 16/12618, D. 2018. 2448, obs. T. Clay  ; Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, Dalloz actualité, 14 janv. 2020, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Elle souligne que « l’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application et les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige ».

Dans l’arrêt Sterling Merchant Finance (Paris, 1er déc. 2020, nos 19/09347, 19/09352, 19/09554 et 19/09725, préc), la cour examine le raisonnement du tribunal arbitral pour vérifier qu’il a bien statué en droit. Après avoir rappelé les principales étapes du raisonnement du tribunal, la cour retient que « loin de statuer en équité pour examiner le principe d’une rémunération variable due, le tribunal arbitral s’est appuyé sur le contrat dont il a interprété les clauses contractuelles pour admettre le droit de la société Sterling au bénéfice d’une telle rémunération, sans nullement modifier l’économie du contrat en substituant aux obligations contractuelles des obligations nouvelles ne répondant pas à l’intention commune des parties ». Elle ajoute que « la République algérienne ne saurait considérer que le tribunal arbitral s’est ainsi comporté en amiable compositeur alors que ce comportement ne saurait à lui seul résulter d’une interprétation du contrat dont elle considère qu’elle n’est pas conforme à sa thèse au risque de sanctionner sous couvert du non-respect de la mission de l’arbitre, une mauvaise appréciation des termes du contrat et donc un mal jugé par le tribunal arbitral ». Pour autant, la sentence est tout de même partiellement annulée. En effet, si le principe de la rémunération a bien été examiné en droit, le montant de celle-ci l’a été en équité. Le tribunal arbitral a notamment jugé que « le tribunal privilégie l’équité, car il serait illogique et injuste d’accorder à la demanderesse la totalité de la rémunération variable pour un résultat qui n’a pas été atteint uniquement grâce à sa contribution ». La cour constate dès lors que « le tribunal s’est délibérément et expressément fondé sur l’équité pour évaluer le montant de la rémunération variable ». L’arrêt rappelle utilement que si le tribunal arbitral est libre d’interpréter le contrat, il ne peut convoquer l’équité pour en modifier le sens.

Dans un arrêt ayant un très faible intérêt (Paris, 24 nov. 2020, n° 18/06448, Bouygues Bâtiment Île-de-France), rédigé de façon inhabituelle pour une décision du pôle 1, chambre 1 (mais en l’absence de sa présidente), il est reproché aux arbitres d’avoir « délégué » leur pouvoir juridictionnel aux experts. On sait en effet que certaines questions sont éminemment complexes et que, en dépit de leurs qualités, les arbitres ne sont pas toujours en mesure d’apprécier certaines données dans toute leur technicité. Ceux-ci peuvent avoir tendance à s’en remettre aveuglément aux experts, ce qui conduit à refuser de mener la mission qui leur est confiée. En l’espèce, le moyen est écarté. La cour constate « le tribunal arbitral n’a pas délégué son pouvoir juridictionnel, mais a procédé à une appréciation des circonstances et des demandes, en prenant en considération les moyens développés par les parties et en faisant siennes les constatations des experts relatives aux travaux supplémentaires, sous réserve des aspects qu’ils n’avaient pas encore analysés, et ce en confrontant la solution retenue aux exigences de l’équité ». La ligne à suivre, équilibrée, semble être la suivante : oui pour s’approprier les conclusions d’un rapport d’expertise, mais à condition d’examiner l’ensemble des arguments des parties et, lorsque c’est la mission qui leur est confiée, confronter la solution à l’équité.

3. Le principe du contradictoire

Dans l’affaire Sterling Merchant Finance (Paris, 1er déc. 2020, nos 19/09347, 19/09352, 19/09554 et 19/09725, préc.), plusieurs griefs relatifs à une violation de la contradiction sont soulevés. La cour rappelle que « le principe de la contradiction fait obstacle à ce qu’une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter. Il est interdit également que des écritures ou des documents soient portés à la connaissance du tribunal arbitral sans être également communiqués à l’autre partie, et que des moyens de fait ou de droit soient soulevés d’office sans que les parties aient été appelées à les commenter ». En l’espèce, il est reproché à une partie d’avoir utilisé, lors de l’audience, un Powerpoint, lequel n’a pas été communiqué à la partie adverse, qui n’est pas comparante. La cour rejette le moyen, aux motifs que la partie a été régulièrement invitée à comparaître, que le document est simplement illustratif et que son utilisation est conforme à l’invitation du tribunal arbitral.

4. L’ordre public international

L’ordre public international ne doit pas devenir le filon pour remettre en cause les sentences arbitrales. La jurisprudence en a bien conscience, et écarte régulièrement des griefs qui ne sauraient être invoqués sur ce fondement. En revanche, lorsque le débat glisse sur le terrain de la corruption, les chances de survie de la sentence sont devenues très faibles.

a. La loyauté procédurale

On signalera simplement, mais ce point est loin d’être dépourvu d’intérêt, que la cour d’appel de Paris reconnaît dans l’arrêt Sécuriport (Paris, 27 oct. 2020, n° 19/04177) que la loyauté probatoire n’est pas un principe d’ordre public international, sauf à ce qu’elle soit constitutive d’une fraude procédurale. Voilà qui vient encore réduire le champ des griefs invocables dans le cadre de l’ordre public international. On peut s’en réjouir, dès lors qu’un contrôle approfondi de l’ordre public international se justifie d’autant mieux lorsque les principes examinés sont limités.

b. La corruption

Depuis quelques années, la corruption dévaste tout sur son passage. Ce sont deux arrêts de la cour d’appel de Paris qui ont été rendus sur cette question, avec des solutions radicalement opposées pour des faits relativement proches. Une étude conjointe est donc intéressante. Elle l’est d’autant plus que ces deux arrêts présentent un point commun qui les distingue du reste de la jurisprudence récente : la corruption n’est pas invoquée dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’intermédiaire (comme dans Alstom ou Samwell, v. Paris, 10 avr. 2018, n° 16/11182, Alstom, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna ; Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09058, Samwell, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ), mais directement dans le cadre d’un contrat conclu avec l’État. L’arrêt est plutôt à rapprocher de celui rendu dans l’affaire République démocratique du Congo c. Customs and Tax Consultancy (Paris, 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin  ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine), voire dans l’affaire Belokon (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin ; ibid. 2020. 283, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy).

Le premier arrêt, d’un point de vue chronologique, a été rendu par la chambre commerciale internationale à la cour d’appel de Paris (CCIP-CA) le 27 octobre 2020 dans une affaire République du Bénin contre Sécuriport (Paris, 27 oct. 2020, n° 19/04177, Sécuriport). Les faits concernent un contrat conclu entre les deux parties pour la mise en place de systèmes de contrôle des passagers aux aéroports. À la suite d’un changement de gouvernement (et moins de six mois après la conclusion du premier contrat), le conseil des ministres du Bénin a décidé de mettre fin au contrat. C’est dans ce contexte qu’un tribunal arbitral a été saisi par Sécuriport. Après avoir écarté les allégations de corruption, le défendeur a été condamné à indemniser le demandeur. Le recours porte sur la question de la conformité de la sentence à l’ordre public international.

Le deuxième arrêt a été rendu par le pôle 1, chambre 1, de la cour d’appel de Paris le 17 novembre 2020 dans une affaire État de Libye contre Sorelec (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Le litige porte sur un contrat conclu en 1979 pour la construction d’écoles et de logements. Plusieurs différends ont émaillé l’exécution du contrat, donnant lieu à la conclusion du plusieurs protocoles, dont un en 2003, fixant une créance au profit de Sorelec. Se référant aux termes de ce dernier protocole, Sorelec a introduit, en 2013, une demande d’arbitrage fondée sur un traité bilatéral d’investissements franco-libyen, pour un montant de 109 238 764 €, outre les intérêts. Au cours de la procédure d’arbitrage, Sorelec a sollicité l’homologation du nouveau protocole d’accord et d’arrangement relatif à la procédure d’arbitrage signée les 27 et 29 mars 2016 avec l’État de Libye, représenté le ministre de la Justice du gouvernement provisoire émanant du parlement. Par ce Protocole, l’État de Libye s’engage à payer à Sorelec la somme de 230 000 000 € dans les quarante-cinq jours de la notification de la sentence et, en cas de non-règlement dans les quarante-cinq jours de la notification de la sentence, prévoit que le tribunal arbitral rendra une sentence finale condamnant le défendeur à payer la somme de 452 042 452,85 €. Par une sentence du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a homologué l’accord et, par une sentence du 10 avril 2018, a prononcé la condamnation de l’État libyen dans les termes prévus par le protocole, faute de paiement de la somme de 230 000 000 €. Les deux sentences ont fait l’objet d’un recours en annulation formé par la Libye. Néanmoins, seule la première sentence est examinée par la cour d’appel. Le recours ne porte pas exclusivement sur la question de la conformité de la sentence à l’ordre public international, mais nous nous y limiterons.

Deux remarques préliminaires peuvent être faites à propos de l’affaire Sorelec.

D’abord, contrairement à l’affaire Sécuriport, les allégations de corruption n’ont pas été formulées devant les arbitres au stade de la sentence partielle. Pire, elles ne l’ont pas non plus été avant la reddition de la sentence finale (le 10 avril 2018), alors que celle-ci a été rendue postérieurement à l’exercice du recours contre la sentence partielle (le 26 janvier 2018). Logiquement, la cour rappelle que le « juge étatique chargé du contrôle [peut] apprécier le moyen tiré de la contrariété à l’ordre public international alors même qu’il n’a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l’ont pas mis dans le débat ». Cette formule n’est pas nouvelle (Paris, 14 juin 2001, Tradigrain, Rev. arb. 2001. 773, note C. Seraglini) et est régulièrement reprise (Paris, 3 juin 2020, n° 19/07261, TCM, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 1970, obs. S. Bollée  ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Elle est logique, dès lors qu’il s’agit d’un grief destiné à s’assurer d’une absence de violation par la sentence d’intérêts publics. On reste néanmoins gêné de voir une partie s’en sortir à bon compte avec de telles manœuvres et d’encaisser, au passage, 150 000 € d’article 700. Certes, on ne peut pas traiter un État souverain comme un opérateur du commerce international classique, mais on espère que d’autres moyens pourront être trouvés pour contrecarrer ces stratégies procédurales.

Ensuite, la configuration de l’affaire Sorelec est particulière. La première sentence est une sentence « d’homologation » du protocole conclu entre les parties. Autrement dit, c’est une sentence d’accord-parties (sur lesquelles, v. P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, nos 1364 s.). Or la question de la qualification d’acte juridictionnel de ces sentences n’est pas certaine. En jurisprudence, la Cour de cassation a rendu une décision ambiguë sur la qualification des décisions d’accord-parties. Elle y affirme que « la simple constatation, dans le dispositif de la décision, de l’accord des parties, sans aucun motif dans le corps de celle-ci, ne peut s’analyser en un acte juridictionnel » (Civ. 1re, 14 nov. 2012, n° 11-24.238, D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; RTD com. 2013. 476, obs. E. Loquin ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 2, obs. J. Ortscheidt ; D. 2012. 2991, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2013, n° 6-8, p. 21, obs. D. Bensaude). En doctrine, les avis sont partagés (en faveur, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 78 s. ; en défaveur, v. E. Loquin, note ss Civ. 1re, 14 nov. 2012, RTD com. 2013. 476 ). On aurait aimé que la cour d’appel soit saisie de cette question, d’autant qu’elle conditionne la recevabilité du recours. En tout état de cause, l’arbitre est censé contrôler le contenu de l’accord avant d’apposer sa signature. Il est néanmoins difficile de savoir si ça n’a pas été fait ou si les arbitres n’ont rien trouvé à redire à l’accord.

Pour le reste, on remarque que les deux arrêts utilisent un appareil normatif proche et qui s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence récente. Les trois premiers paragraphes de la motivation des deux décisions sont identiques et connus (Paris, 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, préc.) : « La lutte contre la corruption est un objectif poursuivi, notamment, par la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, entrée en vigueur le 15 février 1999, et par la Convention des Nations unies contre la corruption faite à Mérida le 9 décembre 2003, entrée en vigueur le 14 décembre 2005. Suivant le consensus international exprimé par ces textes, la corruption d’agent public, qu’il soit national ou étranger, consiste à offrir à celui-ci, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles, en vue d’obtenir ou de conserver un marché ou un autre avantage indu, en liaison avec des activités de commerce international. La prohibition de la corruption d’agents publics est au nombre des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève en conséquence de l’ordre public international ». D’autres passages, sans être rédigés de façon parfaitement semblable, renvoient à des idées similaires. Dans les deux arrêts, il est rappelé qu’il revient au juge d’apprécier si « la reconnaissance ou l’exécution de la sentence viole de manière manifeste, effective et concrète l’ordre public international ». De même, la possibilité d’apporter la preuve par des « indices graves, précis et concordants » est mentionnée par l’une et l’autre des décisions. Néanmoins, on note déjà la formulation opposée sur un point : l’arrêt Sécuriport utilise une formule négative (« l’annulation de la sentence n’est encourue que s’il est démontré par des indices graves, précis et concordants ») alors que l’arrêt Sorelec utilise une formule plus positive (« l’annulation de la sentence partielle en cause est encourue s’il est démontré par un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants »). Faut-il y voir une anticipation du résultat final ou une approche fondée sur des présupposés distincts ? Difficile à dire. Enfin, les deux arrêts expliquent qu’il ne leur appartient pas de réviser au fond la sentence, mais d’examiner les indices qui leur sont soumis pour s’assurer de l’absence d’indices portant sur la corruption. On reste sceptique face à cet exercice d’équilibrisme, qui ressemble à une fausse pudeur. En réalité, il nous semble qu’il faut choisir : soit le juge de l’annulation est juge du contrat, et la sentence est indifférente puisqu’elle n’est même pas examinée ; soit le juge de l’annulation est juge de la sentence, et il faut bien admettre que pour réaliser son examen, il doit s’émanciper du principe de non-révision au fond.

Qu’en est-il des critères de l’examen ? La situation étant trop différente entre un contrat d’intermédiaire et un contrat directement conclu avec l’État, la cour d’appel se retrouve dans l’impossibilité d’appliquer les sept critères posés par l’arrêt Alstom pour caractériser la corruption. Elle est donc dans l’obligation de réfléchir dans le cadre de critères distincts. C’est sur ce point que les arrêts divergent : s’ils s’interrogent sur des critères identiques, ils en tirent des conclusions diamétralement opposées.

On peut d’abord évoquer les éléments considérés comme indifférents.

Dans l’affaire Sécuriport, la cour d’appel considère qu’il importe peu que l’État du Bénin « n’explique pas dans ses écritures la nature de l’avantage dont il aurait été question ni qui en a été le bénéficiaire ». Elle ajoute que « la mauvaise foi de l’État du Bénin est indifférente ». La première réserve se justifie par l’idée selon laquelle la preuve parfaite de la corruption est difficile à établir et que certains éléments peuvent rester occultes, notamment les bénéficiaires de la corruption. La seconde est moins claire et peut renvoyer à une diversité de comportements.

Justement, dans l’affaire Sorelec, la mauvaise foi de l’État libyen prend diverses formes. On a déjà signalé que le moyen tiré de la corruption n’a jamais été présenté devant le tribunal arbitral, même après l’exercice du recours en annulation contre la sentence partielle. Mais l’arrêt va plus loin. En effet, il retient qu’il n’y a pas lieu « eu égard au caractère occulte de cette activité, d’exiger que l’État de Libye ait engagé des poursuites pénales ». On peut considérer que la solution est logique, dès lors que cela équivaut à rappeler la difficulté d’identifier les bénéficiaires. Néanmoins, c’est oublier que, dans l’arrêt, toute l’argumentation est tournée autour du comportement du ministre de la Justice du gouvernement provisoire. Difficile, dès lors, de considérer que la cheville ouvrière de l’acte de corruption n’est pas identifiable. En outre, une telle analyse est à mettre en parallèle avec la jurisprudence antérieure. Dans l’affaire Belokon, la cour d’appel a retenu que « la circonstance que les poursuites engagées par les autorités kirghizes en 2010 n’aient pas encore débouché sur un procès au fond est dénuée de pertinence. Considérant, au demeurant, que la durée de l’instruction n’apparaît pas, en l’occurrence, manifestement disproportionnée, dès lors que les faits de blanchiment donnent lieu, par nature, à des montages opaques et complexes impliquant de multiples sociétés off shore et, qu’en outre, la plupart des personnes poursuivies dans le dossier pénal en cause ont quitté le territoire kirghiz ». Certes, les poursuites n’ont pas abouti, mais elles ont été engagées, ce qui montre, à tout le moins, que l’État ne reste pas les bras croisés chez lui tout en plaidant la corruption pour s’opposer à la sentence arbitrale. C’est une chose de dire que le contrôle du juge français est indépendant des procédures pénales ; c’en est une autre que d’affirmer que l’absence de procédure pénale est parfaitement indifférente, encore plus quand c’est l’État lui-même qui se prévaut de la corruption. Comme le signale Thomas Clay, dans cette situation, l’État gagne à tous les coups (T. Clay, obs. ss Paris, 17 nov. 2020, D. 2020. 2484 ).

Examinons maintenant les éléments utilisés au titre d’éventuels indices. Ils sont, pour l’essentiel, au nombre de quatre : la situation du pays ; la procédure suivie pour la conclusion du contrat ; le caractère précipité de la conclusion du contrat ; les termes du contrat.

Premièrement, dans l’affaire Sorelec, la cour se focalise sur la situation politique de la Libye (aucun argument équivalent ne ressort de l’arrêt Sécuriport, quand bien même la situation de corruption est évoquée par la République du Bénin dans ses prétentions). Cet indice renvoie à celui posé par l’arrêt Alstom, selon lequel il faut tenir compte du fait « que le pays en cause ou certains secteurs d’activités de ce pays soient notoirement corrompus ». Sur ce point, il est vrai que le contrat a été conclu en mars 2016, précisément au moment où la Libye se dotait d’un nouveau gouvernement d’entente nationale. Il est certain que la conclusion d’un protocole d’accord au beau milieu d’une période de transition aussi importante est un indice non négligeable. En revanche, on est plus sceptique sur l’utilisation de données datant de 2013, c’est-à-dire antérieures au début de la deuxième guerre civile libyenne, pour faire état du niveau de corruption en Libye. De même, on peut être étonné par la mention selon laquelle « le secteur public était majoritairement considéré par la population comme corrompu », dont on voit mal la portée probante.

Deuxièmement, la question de la procédure suivie pour la conclusion de ces contrats est posée. Dans l’affaire Sécuriport, c’est une violation du code des marchés publics qui est alléguée. Elle est écartée, au motif que le tribunal arbitral a constaté que la procédure prévue par le code ne s’applique pas au présent contrat et la cour ajoute, non sans ironie, que le successeur de la société Sécuriport a également été choisi sans appel d’offres. De même, l’absence d’autorisation officielle pour la signature du contrat est considérée comme ayant fait l’objet d’une régularisation par une décision officielle du conseil des ministres postérieure. À l’inverse, dans l’arrêt Sorelec, le non-respect de la procédure pour la conclusion du protocole est pris très au sérieux. Sans entrer dans le détail, il est reproché au ministre de la Justice de s’être dispensé de l’avis (consultatif) du « département du contentieux » avant d’approuver la transaction. On est néanmoins un peu étonné par l’importance donnée à cet argument. Dans l’arrêt Customs and Tax Consultancy, la cour d’appel a énoncé, certes pour écarter une qualification de loi de police, qu’« en vertu du principe de bonne foi dans l’exécution des conventions, un État ne peut invoquer devant le juge de l’annulation, afin de se délier de ses engagements contractuels, la violation de sa propre législation ». De plus, le même arrêt a ajouté que « l’inobservation des règles de transparence dans la passation des marchés publics est un indice particulièrement significatif de telles infractions, elle ne saurait être sanctionnée pour elle-même, indépendamment d’une atteinte actuelle à l’objectif de lutte contre la corruption ». Autrement dit, cet arrêt semble rechercher un certain équilibre entre l’absence de vérification des règles internes et une exigence minimale de transparence. Or on est bien en peine pour se laisser convaincre, dans l’affaire Sorelec, par l’absence totale de transparence dans la conclusion de ce protocole, dès lors que les faits figurant dans l’arrêt font état de la désignation d’une commission pour cette négociation, assistée par un conseiller financier désigné par le président du Parlement, d’un rapport de ce dernier au conseil des ministres avant la conclusion du protocole et d’une transmission du protocole au département du contentieux une fois signé. Pour asseoir son raisonnement, la cour d’appel invoque une sentence arbitrale – ce qui est intéressant du point de vue des sources du droit – constatant et condamnant des pratiques similaires au même moment en Libye – ce qui est important –, à ceci près que le bénéficiaire de la transaction est directement impliqué dans les manœuvres – ce qui n’est pas allégué pour Sorelec. Enfin, preuve ultime qu’il s’agit là d’un indice grave, précis et concordant de corruption, la cour d’appel évoque le rôle du représentant de l’État libyen à l’arbitrage, agissant sur instruction du fameux « département du contentieux » (celui dont l’autorité a été contournée), qui a été évincé de la négociation dans la conclusion du protocole. C’est oublié, comme le signale la cour d’appel, que ce représentant est également « conseil assistant » de l’État de Libye dans la procédure pendante devant la CCI et qu’il n’a pourtant jamais soulevé la question de la corruption devant le tribunal arbitral. En somme, on reste un peu perplexe face à l’importance donnée à cet élément qui se focalise étrangement sur le respect des procédures internes sans expliquer vraiment en quoi une autre procédure aurait nécessairement abouti à un résultat radicalement différent.

Troisièmement, la question du caractère « précipité » de la conclusion du contrat en cause est au cœur du raisonnement dans les deux arrêts. Dans l’arrêt Sécuriport, la République du Bénin fustige un « contrat […] signé dans des circonstances soudaines et précipitées ». L’argument est néanmoins rejeté, au motif que l’offre de Sécuriport a été étudiée par les autorités béninoises depuis plusieurs mois. À l’inverse, dans Sorelec, la cour considère que « le défaut de précision ou la brièveté de la durée des négociations comme l’absence ou l’insuffisance de documents, qui ne sont pas compatibles avec un processus sérieux, susceptible d’avoir permis le rapprochement des parties, sont des indices de corruption » (c’est finalement un critère proche de celui retenu dans Alstom qui retient comme indice « l’absence ou l’insuffisance de production de documents – tels que rapports, études techniques, projets de contrats ou d’amendements, traductions, correspondances, procès-verbaux de réunions, etc. – précis et probants et dont l’origine peut être établie avec certitude »). Les arguments pris en compte pour retenir cet indice sont parfois déroutants. Ainsi, les conclusions de l’État de Libye dans la procédure arbitrale sont utilisées pour caractériser une contestation ferme des réclamations de Sorelec. C’est faire fi de la posture contentieuse tenue par les parties devant un tribunal (arbitral ou étatique), laquelle n’est absolument pas incompatible avec des négociations menées en parallèle. Il est également signalé que l’État de Libye n’était pas assisté par un avocat, alors même qu’on voit mal en quoi cela peut faire une différence. Enfin, il est surtout reproché à Sorelec de ne pas apporter la preuve de la véracité de ces négociations, alors qu’elle produit certains éléments (courriers, preuve d’une négociation physique, témoignage), certes probablement insuffisants, mais pas inexistants. Elle en déduit que Sorelec ne « produit aucun compte-rendu ou procès-verbal de réunion, retraçant les positions en présence et l’évolution des discussions, aucun échange écrit entre les parties préparatoire à l’accord ». En définitive, la cour d’appel renverse complètement la charge de la preuve de l’existence d’une négociation. Elle ne s’en cache d’ailleurs pas, puisqu’elle énonce que, « sauf à demander à l’État de Libye d’apporter une preuve négative puisqu’il soutient l’absence de négociations réelles, faute de documents, seule Sorelec était à même de justifier de la réalité et du sérieux desdites négociations ». On comprend la volonté de ne pas faire peser une preuve négative sur une partie. Néanmoins, cela revient à caractériser un indice par l’impossibilité pour une partie de prouver que cet indice n’existe pas.

Quatrièmement, les termes et conditions du contrat sont examinés dans les deux espèces. Sur ce point, l’arrêt Customs and Tax Consultancy a considéré que « le prix serait exorbitant au regard des ressources de la RDC, qui sont impropres à caractériser l’infraction alléguée ». Dans l’affaire Sécuriport, la cour, suivant cette ligne, écarte d’un revers de la main l’argument en énonce que « le fait d’exciper d’un contrat désavantageux pour la République du Bénin n’est pas un indice de corruption suffisamment caractérisé par la seule allégation d’un prix plus élevé que celui de son successeur, aucune information n’étant communiquée sur le prix du marché ni sur les modalités du contrat [avec le successeur] ». À l’inverse, dans l’affaire Sorelec, la cour d’appel procède à sa propre analyse du protocole, estimant qu’il « satisfait à quasiment toutes les prétentions de Sorelec sans contrepartie », ce qui caractérise un « déséquilibre » dont la Libye ne « tirait un quelconque avantage économique ou politique ». Elle va jusqu’à apprécier la stratégie procédurale de l’État de Libye, en retenant qu’« au moment de sa signature, la procédure d’arbitrage était suffisamment avancée pour que cet accord ne lui permette pas de s’épargner la procédure arbitrale et les coûts afférents et qu’il n’ait guère à craindre, compte tenu de ces termes, une décision de la CCI qui lui aurait été plus désavantageuse ». Elle considère enfin la pertinence du protocole au regard de la situation économique du pays, en signalant que la Libye « n’avait aucun intérêt à privilégier l’utilisation de fonds publics dont il avait besoin pour faire face, ne serait-ce qu’à ses dépenses obligatoires, pour régler une société étrangère ».

En définitive, et quand bien même ils sont bien plus riches que ce que nous avons pu décrire, les arrêts Sécuriport et Sorelec révèlent une approche radicalement différente, en fait sinon en droit, des indices de corruption. L’arrêt Sorelec semble avoir totalement enterré la jurisprudence antérieure, en particulier l’arrêt Customs and Tax Consultancy, qui a énoncé que « le juge de l’annulation [n’est] pas le censeur d’éventuelles erreurs de gestion commises par un État ». C’est finalement l’attitude opposée qu’adopte la cour d’appel de Paris. L’appréciation est tellement rigoureuse que l’on en finit par se demander si les contrats conclus par la France résisteraient à l’autopsie de la cour (que penser du contrat sur les droits télévisés du football français signé, pour plus d’un milliard d’euros, entre la ligue de football professionnel, qui exerce une mission de service public, et la société Mediapro, qui ressemble plus à une coquille vide, qui vient d’imploser à l’heure à laquelle nous écrivons ces lignes ? Amateurisme ou corruption ?).

On peut toutefois se demander si la raison d’une telle divergence ne tient pas à une différence d’appréciation du standard imposé par la recherche d’indices suffisamment graves, précis et concordants. Le droit civil français est habituellement gouverné par un raisonnement relativement binaire : soit la personne qui supporte la charge de la preuve l’apporte, et elle est reçue en sa prétention, soit elle échoue, et elle est déboutée. L’admission d’une preuve par faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants perturbe cette habitude. Le 100 % n’est plus exigé. Reste à savoir à hauteur de quel pourcentage il faut être convaincu ? 80 % ? 66 % ? 51 % ? Finalement, la principale différence entre Sécuriport et Sorelec n’est-elle pas la hauteur à laquelle la barre est fixée ? Trop haut dans Sécuriport ? Trop bas dans Sorelec ? C’est à cette réflexion que nous invitent ces arrêts.

V. L’action en responsabilité contre l’institution d’arbitrage

L’action en responsabilité contre les acteurs de l’arbitrage fait désormais partie d’une certaine forme de routine pour le plaideur malheureux. Qu’il s’agisse de l’action exercée contre les arbitres (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 302, obs. E. Loquin  ; Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ), l’institution d’arbitrage (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, préc.) voire de l’avocat (Pau, 7 janv. 2020, n° 18/01797, Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), les exemples récents ne manquent pas. Encore faut-il qu’il y ait un semblant de fondement à l’action exercée. On reste donc perplexe face à l’action en responsabilité exercée contre la chambre de commerce internationale par la société Kraydon, qui a tout du Kraken trumpien (Paris, 10 nov. 2020, n° 18/19033, D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Le demandeur estime que la chambre de commerce internationale peut voir sa responsabilité engagée en raison des fautes commises par l’arbitre unique, notamment eu égard à la violation des obligations d’impartialité et de respect du contradictoire par ce dernier. En somme, la prétention vise à faire supporter par l’institution les éventuels errements de l’arbitre, avec à la clé une demande pour une coquette somme de 38 millions d’euros. On imagine déjà le vent de panique saisir les institutions d’arbitrage si une telle solution devait être retenue. Encore fallait-il, pour donner une once de crédibilité à son action, avoir en parallèle exercé un recours en annulation contre la sentence… Las, le requérant n’a même pas pris cette peine. L’action est évidemment rejetée, la cour en profitant pour poser les jalons d’une très éventuelle responsabilité de l’institution en la matière. Elle énonce que « la CCI, en qualité de centre d’arbitrage, choisi par les parties, a conclu avec celles-ci un contrat d’organisation de l’arbitrage régi par son règlement d’arbitrage. Il ressort de celui-ci que la Cour exerce des fonctions d’organisation de l’arbitrage, la fonction juridictionnelle étant dévolue aux seuls arbitres, la Cour n’ayant aucun pouvoir juridictionnel. Comme le relève la CCI, sa responsabilité ne saurait se confondre avec celle de l’arbitre unique ». C’est donc à l’aune de son règlement que la responsabilité de l’institution est examinée, sachant qu’il faut distinguer les obligations qui lui incombent de celles qui pèsent sur les arbitres. Ainsi, la disposition de l’article 22 du règlement d’arbitrage de la CCI sur le contradictoire ne concerne que ces derniers et ne fait pas peser d’obligations sur l’institution. La cour conclut sa motivation par un constat cinglant, mais lucide, à l’encontre du demandeur, qui ne cherche « qu’à obtenir de la CCI la prise en charge des indemnités dont elle a été déboutée dans la procédure d’arbitrage, alors qu’elle n’a pas exercé la voie de recours qui lui était ouverte contre la sentence ». Pour le Kraken, il faudra repasser…

La rédaction de Dalloz actualité suspend quelques jours la publication du journal. 

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L’application des anciens articles L. 121-21 à L. 121-33 du code de la consommation relatifs au démarchage suppose que le devis ait été accepté au domicile des consommateurs en présence du professionnel.

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Le 4 décembre 2020, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture avec modifications la proposition de loi visant à réformer l’adoption. Le texte a pour double objectif de faciliter et sécuriser le recours à l’adoption et de renforcer le statut de pupille de l’État. Elle ouvre notamment l’adoption aux couples non mariés, abaisse l’âge pour adopter à 26 ans et la durée de vie commune des couples candidats à un an. Elle clarifie les règles de prise du congé d’adoption.

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Ces deux décisions revêtent une grande importance pour la licitation, modalité d’un partage, car elles offrent à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation l’occasion de combler un vide laissé par les auteurs de la réforme du droit des successions, par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2016, et de la procédure de saisie immobilière, par l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et le décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006.

Elles se complètent ; dans la première décision (pourvois nos 19-18.800 et 19-18.801), la Cour de cassation rappelle qu’en vertu du principe posé par l’article 543 du code de procédure civile, la voie de l’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s’il n’en est autrement disposé, aussi, même si aucun texte ne précise la voie de recours attachée à un jugement d’adjudication sur licitation ayant statué sur une contestation, celui-ci est susceptible d’appel.

Dans la seconde (pourvoi n° 19-16.691), elle tire, en toute logique, le constat de la position prise dans la première, pour retenir que le pourvoi, qui a été formé contre un jugement d’adjudication sur licitation ayant statué sur une contestation, n’est pas recevable.

Si ces deux arrêts permettent de combler un vide apparent, leur commentaire est aussi l’occasion d’évoquer les chausse-trapes qui jalonnent la vente sur licitation.

Les faits

En ce qui concerne l’arrêt du 19 novembre 2020, les faits sont les suivants : pour le recouvrement de dettes fiscales, un comptable public obtient un jugement ordonnant le partage d’une indivision et préalablement à celui-ci, la vente sur licitation de bien indivis.

Les biens adjugés lors d’une première vente ont fait l’objet d’une surenchère. À l’occasion de la revente sur surenchère, l’un des indivisaires forme une demande d’annulation rétroactive de la procédure de surenchère qui n’est pas retenue et les biens sont adjugés. L’appel formé par l’indivisaire est déclaré irrecevable, la cour retenant que les dispositions de l’alinéa 2 de l’article R. 322-60 du code des procédures civiles d’exécution, qui dispose que seul le jugement d’adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d’appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, ne sont pas applicables à la vente sur de licitation.

L’indivisaire s’est pourvu en cassation.

En ce qui concerne le second arrêt, un jugement a ordonné la licitation de deux immeubles dépendant d’une succession ; lors de l’audience d’adjudication sur licitation, le tribunal a déclaré non valides les clauses d’attribution et de substitution intégrées au cahier des charges et adjugé les biens immobiliers ; l’une des parties s’est pourvue en cassation...

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Le domaine des dispositions relatives au démarchage suscite encore un certain contentieux, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2020. En l’espèce, le 29 août 2011, un couple a accepté un devis établi par une société portant sur la fourniture et l’installation d’un système de production d’électricité d’origine photovoltaïque au prix de 20 143,56 €. Le 13 décembre de la même année, ils ont souscrit un crédit d’un montant identique auprès d’une banque. Par la suite, les acquéreurs, se plaignant d’un défaut de sécurité de leur installation ainsi que de manquements du professionnel aux dispositions du code de la consommation relatives au démarchage à domicile, ont assigné le vendeur, pris en la personne de son liquidateur judiciaire, et la banque en annulation et, subsidiairement, en résolution des contrats de vente et de crédit.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 4 avril 2019, annule le contrat de vente et le contrat de crédit affecté, prive la banque de sa créance de restitution du capital emprunté et la condamne à restituer les sommes perçues des acquéreurs en fixant à la somme de 20 143,56 € la créance de ces derniers au passif du vendeur. Pour ce faire, les magistrats aixois estiment tout d’abord que le démarchage à domicile est caractérisé par la réception à domicile de propositions commerciales, soit que le vendeur se déplace, soit que le consommateur soit incité à se déplacer pour en bénéficier, à la condition que le lieu ne soit pas un lieu de commerce habituel. Ils constatent, ensuite, que les acquéreurs ont fait l’objet d’une prospection par téléphone ayant abouti à une prise de rendez-vous, à leur domicile, le 24 août 2011, qu’ils ont reçu une estimation de la production d’électricité, datée du 26 août 2011, établie par la société venderesse, et qu’ils ont signé, à leur domicile, le 29 août 2011, un devis, de sorte que la relation commerciale entre les parties a débuté par un démarchage à domicile et que le fait qu’il ait existé par la suite des pourparlers entre les parties ne permet pas d’écarter la législation protectrice du démarchage à domicile.

Insatisfaite de cette solution, la banque se pourvut en cassation, à juste raison puisque l’arrêt aixois est censuré au visa de l’article L. 121-21, alinéa 1er, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 : la haute juridiction rappelle tout d’abord que, « selon ce texte, est soumis aux articles L. 121-21 à L. 121-33 du code de la consommation quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d’une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l’achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d’achat de biens ou la fourniture de services » (pt 4). Elle considère ensuite qu’« en se déterminant ainsi, sans constater que le devis avait été accepté au domicile des consommateurs en présence du professionnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé » (pt 6).

La solution est irréprochable tant il est vrai que les dispositions relatives aux démarchages ont vocation à s’appliquer lorsqu’un contrat a été conclu en un lieu inhabituel en la présence du professionnel (v. à ce sujet N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, « Traité de droit civil », in J. Ghestin [dir.], Les Contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, 2018, n° 541). Certes, la jurisprudence avait adopté une conception plus large du démarchage en admettant d’étendre son empire dans l’hypothèse où la signature du contrat avait été précédée d’une visite au domicile du consommateur, faisant ainsi prévaloir le lieu de rencontre des parties sur la signature du contrat (v. N. Sauphanor-Brouillaud et al., op. cit., n° 542). Mais elle précisera par la suite que cette visite devait avoir donné lieu à un engagement de la part du consommateur (v. Crim. 27 juin 2006, n° 05-86.956, D. 2007. 484 , note E. Bazin ; RSC 2007. 92, obs. C. Ambroise-Castérot , interprété a contrario : « le déplacement d’un professionnel au domicile d’un consommateur pour l’étude des lieux et la prise des mesures nécessaires à l’établissement d’un devis envoyé ultérieurement par voie postale, qui n’a donné lieu à aucun engagement du destinataire, ne constitue pas un démarchage au sens de l’article L. 121-21 du code de la consommation »).

La solution serait certainement la même sous l’empire des dispositions issues de la loi du 17 mars 2014 précitée, transposant la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs. Certes, l’article L. 221-1, I, 2°, du code de la consommation retient une conception particulièrement étendue du contrat conclu hors établissement (cette expression ayant succédé à celle, plus connue, de démarchage). Celui-ci est en effet défini comme « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d’une sollicitation ou d’une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d’une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur ».

Mais il n’en demeure pas moins que la présence du professionnel est nécessaire (que ce soit au moment de la conclusion du contrat ou immédiatement avant celle-ci), ce qui permet d’ailleurs de distinguer le contrat conclu hors établissement du contrat conclu à distance (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, nos 129 et 130). La protection du consommateur trouve donc une limite dans les hypothèses où le désir de contracter prend naissance hors la présence du professionnel. Cela peut s’expliquer par la considération selon laquelle le consommateur, lorsqu’il est seul, ne se trouve plus soumis à la pression du professionnel. Il est donc préférable, pour bénéficier des faveurs du code de la consommation, de s’engager quand le professionnel est à domicile !

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Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin dernier, la proposition de loi visant à réformer l’adoption vient d’être adoptée en première lecture ce vendredi 4 décembre, dans un contexte parlementaire relativement apaisé, jurant avec les protestations acérées émises par une partie de la doctrine (M.-C. Le Boursicot, Une proposition de loi visant à réformer l’adoption… déconcertante et même inquiétante, RJPF 2020-11 ; P. Salvage-Gerest et al., Réforme de l’adoption : une « petite loi » indigne (Adresse urgente à Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs), Forum Famille Dalloz, 17 déc. 2020).

Ce texte succède, pour mémoire, au rapport Limon-Imbert rendu public en octobre 2019 (M. Limon et C. Imbert, Vers une éthique de l’adoption. Donner une famille à un enfant, oct. 2019) et accueilli froidement par l’École et le Palais (P. Salvage-Gerest, Le rapport Limon-Imbert, un coup d’épée dans l’eau, AJ fam. 2020. 350 ). Pour autant, l’essentiel des recommandations formulées dans ce rapport sont reprises dans la proposition de loi, dont l’ambition est clairement affichée dès l’exposé des motifs, à savoir renforcer et sécuriser le recours à l’adoption « comme un outil de protection de l’enfance » (Proposition de loi visant à réformer l’adoption, Ass. nat., 30 juin 2020, p. 4), même si l’on rappellera accessoirement que l’adoption n’est pas réservée aux mineurs (v. infra, art. 4, pour l’adoption plénière), et que près de 88 % des adoptions simples concernaient même, en 2018, des majeurs (Z. Belmokhtar, Les adoptions simples et plénières en 2018, ministère de la Justice, sept. 2020, p. 43)… Quoi qu’il en soit, la proposition de loi s’articule autour de trois axes successifs : faciliter et sécuriser l’adoption conformément à l’intérêt de l’enfant (encore lui !) (titre I), renforcer le statut de pupille de l’État et améliorer le fonctionnement des conseils de famille (titre II), et perfectionner, enfin, plusieurs dispositions relatives au statut de l’enfant (toujours lui) (titre III).

Or, à l’issue de son passage en Commission des lois puis à l’Assemblée nationale, la proposition de loi apparaît, à l’analyse, assez peu modifiée, même si certains points pourront appeler l’attention sur le plan civil (la présente étude limitera l’essentiel de son propos aux dispositions modifiées du code civil, soit au titre 1 de la proposition de loi sous examen).

Réécriture de l’article 364, alinéa 1er, du code civil

Laissé intact par la commission des lois et par la chambre basse, l’article 1er de la proposition de loi étudiée envisage de réécrire l’article 364, alinéa 1er, du code civil, dans le dessein d’insister sur l’originalité de l’adoption simple vis-à-vis de l’adoption plénière. En l’état, cet article énonce en effet que « l’adopté reste dans sa famille d’origine et y conserve tous ses droits, notamment ses droits héréditaires ». Aussi, l’affirmation de l’établissement d’un nouveau lien de filiation envers l’adoptant demeure-t-elle absente de ce texte. C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi lui substitue une nouvelle rédaction ainsi formulée : « L’adoption simple confère à l’adopté une filiation qui s’ajoute à sa filiation d’origine. L’adopté conserve ses droits dans sa famille d’origine ». Selon ses auteurs, cette réécriture refléterait « mieux la réalité juridique de l’adoption simple, puisqu’elle a pour effet de créer une nouvelle filiation qui s’ajoute à la filiation d’origine, et non pas seulement de maintenir la filiation d’origine comme le sous-entend la formulation actuelle de l’article 364. Elle permet par ailleurs, en soulignant que l’enfant « bénéficie » d’un double lien de filiation, de mettre en valeur cette spécificité de l’adoption simple, [en supprimant] la mention spécifique à ses droits héréditaires, [pouvant] laisser penser que le maintien des droits dans la famille se limiterait aux droits héréditaires de l’adopté ou que ces derniers seraient plus importants que les droits extrapatrimoniaux » (M. Limon, Rapport visant à réformer l’adoption [n° 3161], Ass. nat., 23 nov. 2020, p. 14). À l’évidence, cette réécriture du texte pourra être approuvée, en raison de sa clarté assurément préférable à l’actuelle version de l’article 364, alinéa 1er, même si l’on observera avec une auteure que l’établissement d’un double lien de filiation ne vaudra « que si la filiation de naissance [de l’enfant] est établie, ce qui n’est pas toujours le cas » (M.-C. Le Boursicot, art. préc.). Il n’en demeure pas moins que la finalité adjonctive de l’adoption simple en ressortira mieux affirmée, par opposition à la finalité substitutive de l’adoption plénière, clairement exposée, pour sa part, à l’article 356, alinéa 1er, du code civil.

Ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins

Constituant la disposition phare de la proposition de loi sous examen, l’article 2 signe l’ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins, rompant avec plusieurs siècles d’exclusivisme matrimonial. À cette fin, quinze articles du code civil sont un à un réécrits pour tenir compte de cette petite révolution (C. civ., art. 343, 343-1, 343-2, 345-1, 346, 348-5, 353-1, 356, 357, 360, 363, 365, 366 et 370-3) et mettre fin, selon le rapport parlementaire, « à la différence de traitement face à l’adoption entre les couples mariés [et] les couples non mariés – qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent » (M. Limon, rapport préc., p. 19). À cette occasion, la juxtaposition des règles du mariage et du Pacs se poursuit encore, le premier devenant défendu entre « l’adoptant et le conjoint ou le partenaire [de] l’adopté » (C. civ., art. 366 à venir), même si l’on pourra regretter l’absence de prohibition réciproque du Pacs entre ces mêmes individus, dans la mesure où l’interdiction de l’un (le mariage) aurait dû justifier l’interdiction de l’autre (le Pacs).

En outre, certaines des nouvelles dispositions de cet article 2 libéralisent aussi l’accès à l’adoption, ou plus précisément les conditions à remplir par l’ensemble des adoptants : mariés, pacsés, concubins ou même célibataires. Les articles 343 et 343-1 à venir envisagent ainsi de réduire le délai minimum de communauté de vie (et non d’union) entre les adoptants d’un même couple de deux à un an, ou encore d’abaisser l’âge minimum des adoptants de 28 à 26 ans. On pourra d’ailleurs discuter, sur ce point, la réécriture de l’article 343 par l’amendement n° 268, dans la mesure où celui-ci substitue malencontreusement aux termes « époux » celui de « couple marié », au motif que le premier ne serait plus « pertinent au regard de l’évolution de la société[,] un couple marié [pouvant] être constitué d’un homme et d’une femme, de deux hommes ou de deux femmes ». Or, si l’on admettra volontiers la véracité de l’affirmation, l’on observera toutefois qu’il aurait fallu, pour parachever ce pseudo-esprit de rigueur, modifier la mention relative aux « concubins » présente dans le même texte (!), et modifier au passage l’ensemble des dispositions du code civil et des autres codes recourant au terme générique d’« époux ». Espérons donc ici un retour à la version originelle du texte et, à dire vrai, à la raison. À l’inverse, et au risque de distribuer les bons et les mauvais points, l’on saluera assurément l’amendement n° 280 proposant de remplacer, à l’article 365, du code civil, la mention des « père » et « mère » de l’enfant par celle plus exacte « de l’un des parents », dans la mesure où l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes même sexe fêtera bientôt ses sept ans et qu’à la différence de l’article 343, la référence à la dualité des sexes ne pouvait se maintenir ici sans inexactitude (cette référence est d’ailleurs également effacée de l’article 348, alinéa 1er, du code civil par l’article 7 de la proposition de loi).

De surcroît, un dernier regret et une ultime difficulté pourraient successivement être relevés relativement à ce deuxième article de la proposition de loi. Quant au regret, il concernera l’article 353-1 du code civil, malencontreusement réécrit, là encore, par un amendement superfétatoire (n° 509). À ce jour, l’alinéa 1er du texte dispose en effet que, « dans le cas d’adoption d’un pupille de l’État, d’un enfant remis à un organisme autorisé pour l’adoption ou d’un enfant étranger qui n’est pas l’enfant du conjoint de l’adoptant, le tribunal vérifie, avant de prononcer l’adoption, que le ou les requérants ont obtenu l’agrément pour adopter ou en étaient dispensés ». Or, préférant une périphrase censée « simplifier la rédaction de l’article 353-1, en renvoyant à l’ensemble des cas où l’agrément est requis », le texte à venir énonce désormais que, « dans tous les cas où l’agrément est requis, le tribunal vérifie avant de prononcer l’adoption que le ou les requérants ont obtenu cet agrément ou en ont été dispensés ». La modification ôterait donc du code civil toute référence aux différentes hypothèses nécessitant un agrément, en imposant au lecteur de se reporter, péniblement, à l’article L. 225-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF). La simplification présumée serait donc bien incertaine et justifierait là aussi un retour à la version originelle du texte. Quant à la difficulté, celle-ci concernera différemment l’article 370-3 du code civil, prenant acte sur le plan du droit international privé de l’ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins. Le texte à venir posera en effet, à l’issue de la réforme, les principes suivants : « Les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi qui régit les effets de leur mariage, de leur partenariat enregistré ou de leur concubinage […] ». Or, si l’application du texte ne posera guère problème aux époux, la règle demeurant pour eux inchangée, ni même aux partenaires, l’article 515-7-1 du code civil trouvant ici à s’appliquer, sa transposition aux concubins pourra s’avérer plus délicate. Comment conviendra-t-il en effet de déterminer, en ce cas, « la loi qui régit les effets de leur concubinage », alors même que le concubinage n’est pas une union civile et n’est pas « régi » par la loi, tout du moins dans la plupart des États du monde ? Sur ce point, la lettre de l’article 370-3 appellera le débat et, n’en doutons pas, de passionnantes discussions !

Adoption par un célibataire

Introduit par la Commission des lois, l’article 2 bis de la proposition de loi n’appelle pas à d’amples développements. Très simplement, celui-ci prévoit que, « dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la [loi], le gouvernement [remettra] au Parlement un rapport faisant un état des lieux de l’adoption par toute personne célibataire âgée de plus de 26 ans ». Tout au plus pourra-t-on relever qu’une telle précaution n’aurait peut-être pas été utile si la proposition de loi sous examen n’avait pas fait l’objet d’une procédure accélérée, et avait été précédée, comme cela eut été préférable, par une étude d’impact. Mais c’est ici ouvrir un autre débat…

Écart d’âge entre l’adoptant et l’adopté (supprimé)

Plus étonnante est en revanche la suppression (partielle) par l’amendement n° 57 de la condition d’écart d’âge entre les adoptants et l’enfant adopté, préconisée par le rapport Limon-Imbert (recommandation n° 13) et repris par l’article 3 de la proposition de loi initiale. À l’origine, la proposition de loi prévoyait en effet d’insérer, après l’alinéa 1er de l’article 344 du code civil, cette nouvelle condition ainsi formulée : « L’écart d’âge entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’ils se proposent d’adopter ne doit pas excéder quarante-cinq ans. Toutefois, cette règle n’est pas applicable à l’adoption des enfants du conjoint, du partenaire de pacte civil de solidarité ou du concubin ». Or, considérée comme un frein potentiel à « l’adoption en général et à celle des enfants aux besoins spécifiques en particulier » (amendement n° 57), cette condition d’âge a finalement été supprimée des dispositions à venir du code civil… pour réapparaître dans le CASF à l’article L. 225-1, alinéa 2, conditionnant la délivrance de l’agrément à « une différence d’âge maximale de cinquante ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des enfants qu’ils se proposent d’adopter », sauf « justes motifs » (proposition de loi, art. 10, amendement n° 543 et sous-amendement n° 569). Aussi, et par un surprenant jeu de vases communicants, la disposition déchue du code civil est donc promue dans le CASF comme une nouvelle condition de délivrance de l’agrément, limitant le domaine de cette condition aux seules adoptions réclamant ce sésame. Dès lors, l’on ne comprendra plus véritablement le sens même de la suppression de la condition de l’article 344 du code civil, dans la mesure où, précisément, les « enfants aux besoins spécifiques » sont généralement ceux adoptés en dehors du cercle familial… Il n’en demeure pas moins que cette proposition devrait pour une fois faire consensus (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 15), malgré cette étonnante justification.

Adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans

Présenté par le rapport parlementaire comme une mesure de faveur envers « l’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans », l’article 4 de la proposition de loi amendée porte en lui une profonde refonte de l’article 345 du code civil, via l’insertion de nouvelles exceptions au principe de limitation de cette adoption aux seuls mineurs de moins de 15 ans (M. Limon, rapport préc., p. 23). Tout d’abord, le texte prévoit l’allongement du délai durant lequel l’adoption plénière peut être sollicitée à titre dérogatoire, en le portant des 20 aux 21 ans de l’adopté (amendement n° 536). En cela, la proposition de loi offre donc un an de répit supplémentaire aux enfants susceptibles de faire l’objet d’une adoption plénière « de rattrapage ». Ensuite, et par une regrettable rédaction par renvois, le texte dresse la liste des enfants susceptibles de profiter de cette dérogation légale, en ajoutant la possibilité d’adopter en la forme plénière l’enfant du conjoint jusqu’à ses 21 ans, le pupille ou l’enfant déclaré délaissé jusqu’au même âge, outre la possibilité pour le tribunal judiciaire de prononcer une adoption plénière en dehors de ces situations, « en cas de motif grave », ouvrant ici un pertinent point d’appréciation aux magistrats. Aussi l’article 4 de la proposition de loi témoigne-t-il bien d’un mouvement de faveur envers l’adoption plénière, à l’heure où, pourtant, certains la pensaient condamnée.

Placement en vue de l’adoption

D’apparence discrète et rescapé de son passage en Commission et devant l’Assemblée nationale, l’article 5 de la proposition de loi n’en recèle pas moins d’importantes adaptations. En premier lieu, ce texte modifie la lettre de l’article 351 du code civil sur deux points terminologiques. D’une part, en énonçant que le placement en vue de l’adoption n’est plus « réalisé » par la remise de l’enfant aux futurs adoptants mais qu’il « débute » par cette remise, cette modification – bienvenue (contra M.-C. Le Boursicot, art. préc.) – étant destinée à éclaircir le processus du placement et à réduire « les incertitudes quant à la date du début de [cette] période » (M. Limon, rapport préc., p. 28). Et, d’autre part, en corrigeant la référence aux enfants déclarés « abandonnés » pour y substituer, très justement, celle des enfants déclarés « délaissés », et ce « afin de tirer [toutes] les conséquences du remplacement, par la loi [du 14 mars 2016], de la déclaration judiciaire d’abandon par la déclaration judiciaire de délaissement parental » (ibid., p. 29) (correction également opérée, notons-le, par l’article 13 de la proposition de loi s’agissant de C. civ., art. 347, 3°). En deuxième lieu, et l’innovation est plus importante, le même article 351 se voit enrichi d’un alinéa 2 octroyant aux futurs adoptants le pouvoir de « réaliser les actes usuels de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant », et ce dans le dessein de sécuriser et « de clarifier le type d’actes que les futurs parents peuvent accomplir pendant le placement » (ibid., p. 28), ce dont, là encore, l’on pourra se réjouir. En revanche et en dernier lieu, l’article 5 de la proposition de loi surprendra un peu plus par l’élargissement du processus de placement au profit de l’adoption simple qu’il porte (C. civ., art. 361 à venir), sans pour autant renvoyer à l’article 352 relatif aux effets de ce placement vis-à-vis de la famille d’origine et sans se justifier sur le tout (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 5). Or, dans un contexte où, comme nous l’avons dit, 88 % des adoptions simples sont prononcées en faveur de majeurs, la proposition peinera ici à convaincre en son principe comme en sa portée.

Interdiction de l’adoption plénière conduisant à une confusion de générations

Fortement refondu par deux amendements distincts (nos 540 et 571), l’article 6 de la proposition de loi sous examen prévoit désormais d’insérer dans le code civil un nouvel article 343-3, aux termes duquel « toute adoption plénière conduisant à une confusion des générations [serait] prohibée ». À l’origine, le texte initial était à la fois plus large et plus précis, en prévoyant que « l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs [était] prohibée ». Plus large, car le texte n’était pas limité à l’adoption plénière ; mais aussi plus précis dans la mesure où, en lieu et place d’une formule assez absconse (celle de « confusion des générations », très « contrôle de proportionnalité compatible »), le texte limitait la prohibition à la seule ligne directe et à celle collatérale au deuxième degré. Or, si la seconde modification pourra tout de même être approuvée, cette marge d’appréciation judiciaire apparaissant particulièrement bienvenue, la première pourra l’être un peu moins, en ce sens où, si la finalité de l’adoption plénière diffère certes de celle de l’adoption simple, peut-être ne justifiait-elle pas, sur ce point, une telle différence de traitement (l’amendement n° 571 évoque d’ailleurs à cet égard une étrange « mesure de coordination »…).

Consentement des parents à l’adoption de leur enfant

L’article 7 de la proposition de loi réordonne, moyennant deux amendements successifs et un troisième de coordination (nos 76, 512 et 511), les dispositions du code civil et du CASF relatives aux qualités exigées du consentement des parents à l’adoption de leur enfant, que l’adoption soit interne ou internationale. Concrètement, le texte fait en effet remonter à l’article 348-3 du code civil les qualités du consentement à l’adoption jusqu’alors énoncées à l’article 370-5, en posant au premier de ces textes que « le consentement à l’adoption doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ». C’est dire que l’article 7 amendé transposerait donc à l’adoption interne les exigences jusqu’alors imposées à l’adoption internationale, en les précisant un peu plus, et ce afin de mettre en commun « la définition du consentement à l’adoption pour toutes les adoptions », aux dires de la promotrice de ce texte (amendement n° 512). Or, si l’on pourra certainement saluer ici l’effort de construction d’un droit commun de l’adoption, l’on pourra néanmoins regretter, sur la forme, l’incise relative à « l’adoption plénière » contenue dans cette disposition d’ores et déjà située… dans un chapitre relatif à l’adoption plénière (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 11) ! Ou comment illustrer les dangers des amendements de dernière minute, proposés à la hâte et sans recul suffisant.

Adoption du mineur âgé de plus de 13 ans ou du majeur protégé hors d’état de donner son consentement

Exempt de tout amendement parlementaire, l’article 8 de la proposition de loi poursuit en prévoyant de compléter l’article 348-6 du code civil d’un nouvel alinéa permettant au tribunal judiciaire, « lorsque le mineur âgé de plus de 13 ans ou le majeur protégé est hors d’état de consentir personnellement à son adoption, [de] passer outre l’absence de consentement, après avoir recueilli l’avis du représentant légal ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’adopté ». Saluée par certains (M.-C. Le Boursicot, art. préc.) mais contestée par d’autres (P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 12), la portée de cette nouvelle disposition demeure toutefois incertaine. Faudra-t-il en effet en déduire, en présence d’un mineur, que « l’avis  » du représentant légal se substituera seulement au consentement de l’enfant ? Ou faudra-t-il considérer qu’il se substituera, plus largement, à ces deux consentements ? En ce dernier cas, la portée du texte serait tout autre, même si la lecture du rapport parlementaire pourrait bien faire pencher la balance, fort heureusement, dans le sens de la première interprétation (M. Limon, rapport préc., p. 37), dont on souhaiterait peut-être confirmation lors du passage de la proposition de loi au Sénat.

Consentement de l’enfant à son changement de nom et prénom

De façon tout à fait opportune, l’article 9 de la proposition de loi se propose ensuite « d’harmoniser les conditions d’âge relatives aux changements de nom et de prénom [de l’enfant adopté] entre les procédures de droit commun [des] articles 60 et 311-23 du code civil, et celles propres à l’adoption » (ibid., p. 42). Pour ce faire, le dernier alinéa de l’article 357 se verrait complété par l’exigence d’un consentement de l’enfant adopté de plus de 13 ans à son changement de prénom en cas d’adoption plénière, tandis que l’article 363 rendrait la pareille pour son changement de nom en cas d’adoption simple. L’harmonisation serait donc limitée, puisque l’enfant adopté en la forme plénière ne pourrait toujours pas – et naturellement pourrait-on dire – s’opposer à son changement de nom, consubstantiel aux effets mêmes de cette forme d’adoption. C’est pourquoi cette proposition convaincra par sa rationalité et sa juste mesure (contra P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 13).

Rétroactivité de la loi en cas de PMA réalisée à l’étranger

L’article 9 bis de la proposition de loi persuadera en revanche un peu moins le lecteur. Dans le dessein d’anticiper l’ouverture de la PMA aux couples de femmes (M. Limon, rapport préc., p. 42 s) (désormais hypothétique, tant celle-ci ne semble plus être dans les priorités politiciennes – et non politiques – de la majorité), ce nouvel article introduit par la Commission des lois envisage d’insérer un dispositif transitoire relativement discutable. Selon le texte, il deviendrait en effet acquis que, « lorsqu’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la présente loi est issu d’une PMA réalisée à l’étranger dans les conditions prévues par la loi étrangère et dans le cadre d’un projet parental commun de deux femmes, mais que la mère désignée dans l’acte de naissance de l’enfant s’oppose sans motif légitime à l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’autre femme, celle-ci peut, dans un délai de trois ans à compter de la publication de la présente loi, demander l’adoption de l’enfant […] ». Ce texte ambitionnerait donc de résoudre l’hypothèse du refus de la mère de l’enfant de faire établir le lien filiation de celui-ci envers la co-mère, hypothèse certes rare mais non inexistante (rappr. Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-20.560, D. 2014. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 705, obs. G. Vial ; RTD civ. 2014. 106, obs. J. Hauser  ; 13 juill. 2017, n° 16-24.084, D. 2017. 1528 ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2017. 478, obs. M. Saulier  ; 6 nov. 2019, n° 19-15.198, Dalloz actualité, 21 nov. 2019, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2019. 2182 ; AJ fam. 2019. 648, obs. M. Saulier ). Toutefois, l’utilité même du dispositif pourrait sembler superfétatoire au regard de la nouvelle jurisprudence inaugurée en décembre 2019 par la Cour de cassation en matière de transcription des actes d’état civil étrangers en présence de PMA pratiquées à l’étranger (Civ. 1re, 18 déc. 2019, nos 18-14.751 et 18-50.007, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, art. T. Coustet ; D. 2020. 426 , note S. Paricard ; ibid. 506, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1696, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2020. 133, obs. J. Houssier ; ibid. 9, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.-M. Leroyer  ; 18 mars. 2020, n° 18-15.368, Dalloz actualité, 11 mai 2020, obs. F. Mélin ; D. 2020. 822 ; AJ fam. 2020. 311, obs. J. Houssier ). La transcription de ces actes étant désormais de droit en l’absence d’irrégularité et de fraude, le texte ne concernera effectivement que les situations où la co-mère ne sera pas mentionnée dans l’acte de naissance de l’enfant et sera contrainte de recourir à l’adoption. Mais, même en ce cas, le procédé consistant à anticiper l’adoption d’une loi pourra en lui-même prêter à discussion, de surcroît en présence d’un vote désormais bien incertain de la loi concernée (v. égal., en ce sens, P. Salvage-Gerest et al., art. préc., n° 6)…

Autres modifications

Au-delà de ces différentes reprises du code civil, la proposition de loi ambitionne enfin de revoir en profondeur les règles de délivrance des agréments (art. 10) et surtout de refondre le statut des pupilles de l’État (art. 11 à 18), avec plus ou moins de réussite à en croire les auteurs s’étant d’ores et déjà prononcés sur ce point (M.-C. Le Boursicot, art. préc. ; P. Salvage-Gerest et al., art. préc., nos 14 s.). Mais avec plus de quarante amendements à leur actif, on laissera ici le soin à nos successeurs d’étudier, dans le détail, les suites de ces articles amendés en dernière minute !

L’action en justice est le droit d’être entendu par le juge. Derrière la formule abstraite de l’article 30 du code de procédure civile pour définir le droit d’agir, il y a l’élément le plus concret et le plus fondamental du procès : celui de pouvoir prendre la parole et parler à un juge. C’est la dimension démocratique de la procédure, celle de permettre à chacun de saisir une autorité judiciaire pour exposer son problème et recevoir une réponse juridiquement fondée, revêtue de l’autorité, puis de la force, de chose jugée. Ces principes sont d’autant plus impérieux que le justiciable est un enfant de 8 ans qui devient l’objet d’un litige causé par des tensions familiales, alors même que sa mère est décédée. Après son placement décidé par le juge des enfants à la suite d’un signalement, la grande tante maternelle de l’enfant saisit celui-ci pour obtenir un droit de visite et d’hébergement. Manifestement, il existe un conflit, sans doute très ancien, entre les grands-parents de la branche maternelle et paternelle. Ainsi, le grand-père paternel avait indiqué qu’il se désintéresserait de l’enfant si sa grande tante obtenait un droit de visite et d’hébergement. Afin de préserver l’enfant de ces débats, le juge des enfants avait décidé qu’il n’était pas de son intérêt d’être entendu. La demande de la grande tante est donc rejetée. La décision du juge des enfants est confirmée en appel. Un pourvoi est alors formé par la grande tante pour se plaindre du fait que l’enfant n’avait pas été auditionné, ni par le juge des enfants ni par les juges d’appel. La Cour de cassation reçoit la critique et casse l’arrêt au visa des articles 1189, alinéa 1er, et 1193, alinéa 1er, du code de procédure civile : soit l’enfant est entendu et, s’il ne l’est pas, le juge doit en motiver les raisons, à savoir son absence de discernement.

La place du mineur dans les contentieux familiaux le concernant est doublement problématique. En premier lieu, le mineur se trouve au centre du conflit né de la séparation du couple parental. Dans ce cas, l’intérêt supérieur de l’enfant impose de le tenir à l’écart de ce conflit, tout en lui permettant de s’exprimer. En second lieu, dans le conflit entre l’État et les parents qui maltraitent l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant vise à assurer sa protection. Il n’en demeure pas moins que dans les deux cas, l’incapacité juridique du mineur et le fait qu’il est l’objet direct ou indirect d’un litige soulève des questions complexes pour exprimer en règles de procédure cette défense de l’intérêt de l’enfant. Pour ce faire, l’article 388-1 du code civil pose une règle générale, assortie d’une condition, et un principe. La règle générale est le droit pour le mineur d’être entendu dans toute procédure le concernant. La condition est qu’il soit capable de discernement et le principe est que son audition ne lui confère pas la qualité de partie à l’instance. Le droit procédural permet ainsi de mettre en œuvre le droit pour l’enfant d’être entendu par le juge tout en révélant sa nature dans le cadre d’un procès. En effet, il s’agit d’une mesure d’instruction particulière pour assurer la meilleure application qu’il est possible de l’intérêt supérieur de l’enfant. N’étant pas partie, aucune demande de sa part ne peut être formulée, sauf celle d’être auditionné. Le mineur participe à la procédure qui le concerne, il a une qualité à être présent pour prendre part à la procédure, mais il n’a pas d’intérêt à agir car il reste un incapable. La parole de l’enfant reçue sous la forme de son audition se trouve ainsi enchâssée dans le déroulement de procédures déjà longues et complexes (RGDP 1999. 676, obs. A. Goutttenoire-Cornut). Il en ressort une série de difficultés dont l’arrêt commenté est une bonne illustration.

Introduite par la loi du 8 janvier 1993 et renforcée par la loi du 5 mars 2007, l’audition de l’enfant fait l’objet d’une procédure minutieusement organisée aux articles 338-1 à 338-12 du code de procédure civile. En matière d’assistance éducative où l’enfant doit être protégé contre ses parents, la procédure d’audition est fixée par les articles 1181 à 1196 du code de procédure civile. Dans les contentieux de la séparation des parents, ceux-ci se battent autour d’un droit de garde, de visite et d’hébergement. Ces demandes sont parfois perçues par le juge comme des stratégies judiciaires faisant prévaloir des intérêts égoïstes, sans parler du ralentissement de la procédure. Pourtant, le législateur a consacré dans les tous les contentieux le concernant le droit pour le mineur d’être entendu. À l’instar de l’expertise biologique, la demande d’audition par le mineur doté de discernement est une mesure d’instruction de droit. C’est ainsi qu’au cours de ces dernières années, l’audition judiciaire de l’enfant s’est banalisée. Il faut toutefois vérifier que l’enfant soit capable de discernement, notion qui reste le seul verrou permettant au juge de s’épargner l’audition du mineur, lorsque cela ne lui apparaît pas pertinent pour prendre sa décision. La dimension probatoire affleure avec l’idée de la crédibilité de la parole de l’enfant et le juge n’a pas tous les outils pour décrypter le verbe de l’enfant. C’est pourquoi les conditions dans lesquelles se déroule cette audition en font une mesure d’instruction particulière qui n’entre pas dans les catégories prévues par le code de procédure civile. En effet, il est rare que le juge entende directement l’enfant. Les sentiments de celui-ci sont en général recueillis par un avocat spécialisé. De là, il existe des pratiques variées dans la forme et le contenu du procès-verbal d’audition. De même, cette mesure d’instruction n’a pas pour objet d’éclairer le juge sur un élément de fait soumis au débat contradictoire. Sinon, ce serait faire de cette audition un enjeu entre les parties qui s’opposent et l’enfant serait aspiré dans la spirale infernale des contentieux hyperconflictuels. L’enfant ne doit pas devenir responsable de la décision qui sera prononcée par le juge. Pour autant, la Cour de cassation exige que le juge rende compte les sentiments exprimés par l’enfant dans sa décision, sachant que cette audition ne peut servir de fondement à sa décision (Civ. 2e, 10 juin 1998, n° 97-20.905). Rendre compte n’est pas prendre en compte. L’office du juge est d’une rare difficulté.

En effet, en tant que condition pour être entendu en justice, le standard juridique du discernement s’imbrique dans un autre standard, celui de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces deux notions relevant de l’appréciation souveraine du juge saisi. Ces standards figurent parmi les « notions magiques  » qui sont indispensables pour rendre justice face aux cas les plus divers (J. Carbonnier). Elle est en outre transversale puisqu’on la retrouve dans tout le droit des mineurs, y compris en matière de responsabilité pénale. Elle est en revanche exclue en matière de responsabilité civile. La souplesse de la notion l’oppose au critère tiré de l’âge que l’on trouve pour le consentement de l’enfant à son adoption ou à son changement de nom, soit le seuil de treize ans. On retrouve l’antique notion d’infans dont les Romains se servaient pour qualifier l’incapacité d’exercice de l’enfant. Aujourd’hui, son contenu est fixé par les psychologues de l’enfance, Piaget en tête. L’âge civil ne correspond pas toujours avec l’âge mental. Le raisonnement formel, logique et déductif, c’est-à-dire séparé de la vision seulement matérielle des choses, est rare avant 7 ans. À cet âge, on peut raisonnablement douter du libre arbitre de l’enfant. C’est vers 10-11 ans que l’enfant accède au raisonnement lui permettant de concevoir les conséquences de ses préférences et des rapports avec autrui. L’enfant prend alors conscience qu’il pense et peut commencer à orienter sa vie par ses choix ; il est capable de comprendre la relativité des situations dans lesquelles il se trouve. Cette volonté consciente peut alors être interrogée pour apporter au juge les éléments qui permettent de sauvegarder son intérêt supérieur. Il n’en demeure pas moins que la tâche est immense pour le juge, ce qui pourrait l’inciter à l’éviter le plus possible. C’est cette dérive que les juges du droit ne veulent pas voir se développer. En l’espèce, le mineur n’avait pas été entendu, ni par le juge des enfants ni par les juges d’appel. Or ils en ont l’obligation si le mineur le demande. Si la demande d’audition émane d’un tiers, comme en l’espèce, alors il appartient au juge de circonstancier les raisons de refuser l’audition, comme le prévoit l’article 338-4 du code de procédure civile.

Par-delà son allure disciplinaire, la décision commentée laisse quelques questions sans réponse derrière elle. Parmi ces questions, deux méritent d’être posées. La première vient de l’ambiguïté de la voie indiquée par les juges du quai de l’Horloge. Le mode d’emploi livré aux juges du fond n’est pas très clair pour les praticiens. En l’absence d’une demande émanant du mineur, l’office du juge en matière d’assistance éducative est-il d’ordre public ou bien sa mise en œuvre dépend d’une demande d’un tiers intéressé ? Un arrêt de la Cour de cassation assez ancien semble balancer vers la première solution (Civ. 1re, 25 juin 1991, n° 90-05.006). De même, la lettre du texte de l’article 1184, alinéa 2, du code de procédure civile, qui reprend la condition du discernement, milite en ce sens. C’est donc un recul de la liberté du juge d’apprécier si l’audition de l’enfant est nécessaire ou non à sa prise de décision, s’il doit ou non provoquer cette audition. Cela suppose que le juge des enfants doive d’office vérifier le discernement de l’enfant pour savoir s’il doit l’entendre. En visant l’article 1193 du code de procédure civile, la Cour de cassation indique aussi qu’en cas d’appel, cette audition doit être provoquée si elle n’a pas eu lieu devant le juge des enfants. Cela oblige les parties qui n’ont pas obtenu cette audition à faire appel, ce qui devrait mécaniquement donner lieu à l’audition, sous réserve de l’appréciation du discernement du mineur. L’autre question tient à la portée de la décision commentée. Quelle peut être son incidence sur les procédures devant le juge aux affaires familiales ? La notion de discernement varie-t-elle selon les contentieux en cause ? Autour de ces deux questions rôde la nature exacte de l’audition du mineur. Progressivement introduit en droit français sous la pression de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant (CIDE), le statut judiciaire du mineur est devenu très complexe tant les intérêts à protéger sont nombreux. L’intérêt supérieur de l’enfant, c’est avant tout une somme d’intérêts. Le discernement, c’est la conscience de l’enfant de ces intérêts. Après, que valent ces belles définitions dans des procédures où l’enfant sera plus ou moins traumatisé ? Pour lui permettre à la fois d’exercer ses droits en tant que sujet de droit et comme objet de la réalisation des droits de ses parents ou des devoirs de l’État qui décident de son avenir, le droit positif tente de tenir la corde par les deux bouts. D’un côté, il faut éviter la banalisation de l’audition de l’enfant pour les tenir éloignés des lieux de justice, ces lieux du malheur humain, pour reprendre la formule de Robert Badinter. D’un autre côté, il faut entendre les enfants dotés de discernement grâce aux procédures qui se sont petit à petit hissées au rang de principe directeur dans les contentieux qui les concernent. Entre les droits fondamentaux et les exigences concrètes, les règles de procédure impulsent un mouvement vers un véritable statut judiciaire du mineur pour préserver la plus grande richesse de notre société : l’avenir de nos enfants.