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Contexte : du Safe Harbor au Privacy Shield, en passant par les clauses contractuelles types

Par son remarquable arrêt Schrems, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait invalidé le Safe Harbor (décis. 2000/520/CE, 26 juill. 2000), un accord conclu entre la Commission européenne et les États-Unis qui permettait aux entreprises américaines s’y soumettant de transférer les données personnelles des ressortissants de l’Union vers leur territoire (CJUE 6 oct. 2015, aff. C-362/14, AJDA 2015. 2257, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2016. 111 , note B. Haftel ; ibid. 88, point de vue C. Castets-Renard ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; AJ pénal 2015. 601, obs. E. Daoud ; Dalloz IP/IT 2016. 26, étude C. Théard-Jallu, J.-M. Job et S. Mintz ; JAC 2015, n° 29, p. 11, obs. E. Scaramozzino ; JT 2015, n° 180, p. 14, obs. E. Scaramozzino ; RTD eur. 2015. 786, obs. M. Benlolo-Carabot ; ibid. 2017. 361, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 365, obs. F. Benoît-Rohmer ).

À la hâte s’est ainsi conclu le 2 février 2016 le controversé Privacy Shield, ou « bouclier de protection des données », destiné à maintenir au plus vite les accords commerciaux tout en se conformant aux exigences de la CJUE afin d’assurer un niveau de protection suffisant des données à caractère personnel transférées aux États-Unis. À grands traits, l’accord repose sur un mécanisme d’autocertification des organisations américaines qui collectent des données à des fins commerciales (v. not. Dalloz IP/IT 2016. 113 ; ibid. 444 , C. Castets-Renard).

Avant l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 (RGPD), la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 exigeait déjà que le transfert des données à caractère personnel du territoire de l’Union vers un État tiers devait assurer un niveau de protection adéquat (art. 25 à 28). Les articles 44 à 50 du RGPD prévoient désormais qu’un transfert international de données peut s’effectuer soit par une décision d’adéquation par laquelle l’Union reconnaît qu’un territoire présente un niveau de protection équivalent au sien, soit par des garanties appropriées listées par le RGPD, étant précisé que par exception, le transfert est autorisé dans certaines situations particulières, incluant par exemple des « motifs importants d’intérêt public » dont l’absence d’énumération peut laisser entendre un spectre large de dérogations.

Font partie des « garanties appropriées » les clauses contractuelles types qui présentent des garanties suffisantes et qui sont adoptées par la Commission européenne (dir. 95/46/CE, art. 26, § 4 ; RGPD, art. 46, § 1, c). Les clauses encadrant la relation entre responsable de traitement et sous-traitant figurent dans la décision 2010/87/UE de la Commission du 5 février 2010 (décision CPT), modifiée par la décision d’exécution (UE) 2016/2297 du 16 décembre 2016 à la suite de l’invalidation du Safe Harbor par l’arrêt Schrems.

Maximilian Schrems, activiste défendant la protection des données et fondateur de l’association None of Your Business, avait obtenu l’invalidation du Safe Harbor dans un litige l’opposant à Facebook. L’affaire fut ensuite renvoyée devant la haute cour irlandaise. Le Safe Harbor n’étant plus, Facebook se fonde désormais pour le transfert international de données sur les clauses contractuelles types qui viennent d’être présentées. Or, selon M. Schrems, ce fondement ignore également la protection des données à caractère personnel puisque le droit américain autorise notamment la mise à disposition par les opérateurs de télécommunication aux autorités américaines des données personnelles des ressortissants de l’Union européenne. Cette mise à disposition concerne autant les métadonnées que le contenu des communications. Finalement, la validité même des clauses contractuelles types était en cause dans le cadre de ce litige et la haute cour a décidé de saisir la CJUE d’un renvoi préjudiciel.

Propos liminaires

Il est à relever que la Cour de justice de l’Union européenne juge le litige conformément aux dispositions du RGPD, et non de la directive 95/46/CE (pts 77 à 79). Le RGPD est applicable aux transferts de données à des fins commerciales, « nonobstant le fait que, au cours ou à la suite de ce transfert, ces données sont susceptibles d’être traitées par les autorités du pays tiers concerné à des fins de sécurité publique, de défense et de sûreté de l’État » (pts 80 à 89).

La CJUE rappelle également qu’un transfert international fondé sur les clauses contractuelles types de l’article 46, § 2, c, du RGPD doit assurer le « niveau de protection adéquat » figurant à son article 45, § 2, qui renvoie pour la Cour à une appréciation du niveau de protection des droits et libertés fondamentaux substantiellement équivalent à celui garanti par le RGPD, lu à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (pts 90 à 105).

Enfin, sauf décision d’adéquation valablement adoptée par la Commission, les autorités de contrôle nationales sont compétentes pour suspendre ou interdire un transfert international de données qui ne respecterait pas un niveau de protection substantiellement équivalent à celui de l’Union, lorsqu’il est fondé sur des clauses contractuelles types (pts 106 à 121).

Sur la validité des clauses contractuelles types (pts 122 à 149)

La Cour juge que les clauses contractuelles types, telles que prévues par la décision 2010/87/UE de la Commission du 5 février 2010, ne présentent aucun élément de nature à entacher leur validité.

Se posait, d’une part, la question de savoir si le fait que ces clauses ne lient pas les autorités des États tiers affectait leur validité (pts 123-136).

Effectivement, les clauses contractuelles types, contraignantes pour le responsable de traitement et ses sous-traitants, ne sont pas nécessairement opposables au pays destinataire des données. N’ayant qu’une valeur contractuelle et donc un effet relatif, elles peuvent tout à fait être ignorées par un État tiers. Tel est le cas, expose la Cour, « lorsque le droit de ce pays tiers permet aux autorités publiques de celui-ci des ingérences dans les droits des personnes concernées relatifs à ces données » (pt 126). Dès lors, il appartient au responsable de traitement et au sous-traitant de prendre les mesures nécessaires pour compenser l’insuffisance de garanties du pays destinataire. Dans l’hypothèse où le droit du pays destinataire impose des mesures contraires aux clauses contractuelles types, il leur appartient également, ainsi qu’aux autorités nationales de contrôle, de mettre un terme au transfert international de données. Le seul fait que les clauses ne lient pas les autorités des États tiers ne permet donc pas d’invalider les clauses contractuelles types.

Se posait, d’autre part, la question de savoir si les mécanismes permettant d’assurer l’effectivité des clauses contractuelles types pouvaient assurer le niveau de protection adéquat requis par le RGPD et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (pts 137 à 149).

Sur ce point, la Cour juge que les clauses contractuelles types présentent des mécanismes d’effectivité suffisants, en citant notamment les obligations suivantes :

le responsable de traitement et son sous-traitant s’engagent à respecter le RGPD et la Charte des droits fondamentaux de l’UE ;
 les parties doivent au préalable s’assurer que le droit du pays tiers permet d’appliquer pleinement les clauses contractuelles types ;
 le destinataire des données doit informer dans les meilleurs délais de son incapacité à respecter ses engagements, incluant une modification du droit du pays destinataire ;
 si le droit du pays tiers est incompatible avec les clauses types, le responsable de traitement établi dans l’Union doit suspendre le transfert de données et détruire ou restituer les données transférées ainsi que leurs copies ;
 dans ce cas et lorsque sont transférées des données sensibles, les personnes concernées doivent en être informées afin d’exercer pleinement leurs droits qui doivent être assurés ;
 si les parties souhaitent néanmoins poursuivre le transfert, elles en informent l’autorité compétente qui décidera de la poursuite ou de l’interdiction du transfert de données.

En définitive, les clauses contractuelles types ne font que suivre la logique bien connue de responsabilisation des acteurs, ayant trouvé son apogée lors de la consécration du RGPD. Hors du territoire de l’Union, le non-respect de ces clauses pour le destinataire des données restera soumis à l’appréciation du juge du contrat, avec toutes les conséquences que cela implique (par ex. : qualité à agir, effet relatif du contrat, opposabilité de la décision, type de sanction). Au sein du territoire de l’Union, le non-respect de ces clauses sera soit signalé par les parties au contrat dont la sincérité peut s’avérer douteuse, soit révélé à l’issue d’un contrôle ou d’un recours. Néanmoins, ces failles ne doivent pas dissimuler une réalité pratique marquée par une forte circulation des données dont les usages ne sont plus à démontrer. Cloud computing, analyse de données, recherche scientifique ou entraînement d’algorithmes sont autant de techniques qui ne verraient pas le jour si seule la décision d’adéquation de l’article 45 du RGPD était autorisée.

Sur l’invalidation du Privacy Shield (pts 150 à 202)

Les organisations localisées sur le territoire des États-Unis qui adhèrent au Privacy Shield sont réputées garantir un niveau de protection des données adéquat au sens de l’article 45, § 1, du RGPD. Or les décisions d’adéquation prises sur ce fondement sont contraignantes pour les autorités nationales de contrôle, qui ne peuvent en conséquence ni suspendre ni interdire le transfert de données vers une organisation adhérant au Privacy Shield, sauf recours à l’encontre de leur décision devant une juridiction nationale qui saisirait la CJUE d’un renvoi préjudiciel (pts 150 à 158). Au vu des faits de l’espèce, la CJUE est ainsi amenée à se prononcer sur la validité même du Privacy Shield (pts 158 à 162).

Bien que les États-Unis se soient engagés à ce que les organisations adhérant au Privacy Shield assurent un niveau adéquat de protection des données, l’accord prévoit une limitation à cette protection par notamment « les exigences relatives à la sécurité nationale, [à] l’intérêt public et [au] respect de la législation » (pt 164, citant le point 1.5 de l’annexe II). Le considérant 136 du Privacy Shield ajoute que cette ingérence par les autorités publiques américaines au sein des organisations adhérentes est limitée « à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif légitime visé et qu’il existe une protection juridictionnelle effective contre des ingérences de cette nature » (pt 167).

Reprenant notamment son premier arrêt Schrems, la CJUE estime que l’ingérence des autorités publiques américaines porte nécessairement atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union (pts 169 à 171), qui ne sont toutefois pas des « prérogatives absolues » (pt 172). Les limitations de ces droits doivent en conséquence être proportionnées, nécessaires et prévues par la loi, en tenant compte des droits effectifs et opposables dont bénéficient les personnes concernées.

En l’espèce, l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne au regard de ces critères porte sur deux textes. En premier lieu, la Cour juge que l’article 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) n’assure pas un niveau de protection substantiellement équivalent à celui de l’Union en ce que l’habilitation prévue pour son programme de surveillance aux fins du renseignement extérieur ne comporte aucune limitation ni aucune garantie pour les personnes non américaines visées, dont les droits ne sont pas opposables aux autorités américaines devant les tribunaux (pts 178 à 181). En second lieu, la Cour juge que l’Executive Order 12333 (EO 12333) n’assure pas la protection requise en ce qu’il « ne confère pas non plus de droits opposables aux autorités américaines devant les tribunaux » (pt 182). Ces textes, lus en combinaison avec la PPD-28, portent d’autant plus atteinte aux droits et libertés fondamentaux des personnes concernées qu’ils permettent aux services de renseignement une collecte massive de données sans nécessairement l’associer à une cible spécifique, ni l’encadrer par une surveillance judiciaire (pts 183 et 184). Ainsi, ces textes contreviennent au principe selon lequel « dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui » prévu par l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union (pt 185).

Les textes américains contreviennent également à l’article 47 de la Charte garantissant le droit à un recours effectif à accéder à un tribunal impartial. Ainsi qu’il l’a été exposé, le Privacy Shield prévoit que les voies de recours offerts aux personnes peuvent être limitées par les programmes de renseignement et de surveillance, ce qui ne permet pas aux personnes concernées d’opposer leurs droits aux autorités américaines devant les tribunaux (pts 186 à 192). Le mécanisme de médiation mis en place par le Privacy Shield ne compense pas cette insuffisance en raison du fait qu’il n’est pas indépendant car devant rendre des comptes au secrétaire d’État américain, et qu’il n’est pas habilité à prendre des décisions contraignantes à l’égard des services de renseignement (pts 187 à 197).

Il résulte de ces éléments que l’article 1er du Privacy Shield est incompatible avec les exigences d’adéquation posées à l’article 45 du RGPD, lu à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, ce qui entache d’invalidité l’acte en son entier (pts 198 à 201). La Cour ajoute que cette invalidation ne crée pas de vide juridique dans la mesure où il existe d’autres mécanismes, à l’instar des clauses contractuelles types, qui autorisent le transfert international de données (pt 202).

Auteur d'origine: nmaximin
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Le 4 juin 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a rendu un jugement rejetant au fond l’action de groupe de l’association de consommateurs CLCV à l’encontre de BMW France. Introduite le 27 novembre 2015, cette action tendait à obtenir, sur le fondement de la garantie des vices cachés, la réparation des préjudices économiques individuels subis par des consommateurs ayant acquis une moto BMW équipée d’un modèle de suspension ayant fait l’objet d’une campagne de rappel en juin 2014 en raison de la suspicion d’un défaut de qualité.

Ce jugement a été rendu quelques jours seulement avant le rapport d’information du 11 juin 2020 des députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin sur le bilan et les perspectives des actions de groupe (L. Vichnievsky et P. Gosselin, Rapport d’information n° 3085 sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, 11 juin 2020). Les députés relèvent que, depuis 2014, 21 actions de groupe ont été intentées, dont 14 en matière de consommation ; 3 actions ont été transigées ; 5 jugements de rejet ont été rendus sur des moyens de procédure ou de fond (désormais 6, en comptant celui du 4 juin 2020), le reste des actions en étant toujours au stade de la mise en état. Sur la base de ce bilan mitigé, les rapporteurs formulent treize propositions « pour lever les freins au développement des actions de groupe et permettre une meilleure garantie des droits du consommateur » (p. 9), dont l’élargissement de la qualité pour agir (proposition n° 2), l’autorisation de la publicité dès avant l’introduction d’une action de groupe (proposition n° 4) et la réparation intégrale de tous les préjudices (proposition n° 6).

Au-delà de ses enseignements sur les questions de la recevabilité et de la preuve, le jugement du 4 juin 2020 éclaire également les raisons d’un bilan à ce jour mitigé de l’action de groupe en matière de consommation.

Une interprétation large des conditions de recevabilité de l’action de groupe

L’action de groupe a été introduite en droit français par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (L. n° 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation ; C. consom., art. L. 623-1 s). La procédure s’articule autour de deux phases principales. La première est à l’initiative de l’association de consommateurs agréée, dont l’assignation doit exposer les cas individuels présentés au soutien de son action. Au terme de cette phase, le tribunal judiciaire saisi statue sur la responsabilité du professionnel et, le cas échant, sur la définition du groupe, les préjudices indemnisables et les mesures de publicité. La seconde phase permet l’indemnisation des consommateurs ayant rejoint le groupe après l’épuisement des voies de recours et la mise en œuvre des mesures de publicité. Si elle contient des dispositions dérogatoires, la procédure d’action de groupe est pour le reste formée, instruite et jugée selon la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire (C. consom., art. R. 623-4). Le droit commun de la procédure civile en constitue donc le socle, en ce compris les règles sur les fins de non-recevoir.

En l’espèce, BMW France avait soulevé six fins de non-recevoir contestant tant la qualité et l’intérêt à agir de l’association sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile que le respect des conditions spécifiques de l’article L. 623-1 du code de la consommation. Elles ont toutes été rejetées.

Dans le cadre de son analyse, le tribunal a retenu une interprétation large des conditions de recevabilité de l’action de groupe posées par l’article L. 623-1 en jugeant que ces conditions tiennent à :

« l’existence d’une pluralité de consommateurs,
 placés dans une situation similaire ou identique,
 sollicitant réparation de préjudices individuels patrimoniaux résultant d’un dommage matériel,
 ces préjudices ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à une obligation légale ou contractuelle à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ou résultant d’une pratique anticoncurrentielle » (p. 18).

Cette délimitation entre ce qui relève des conditions de recevabilité et des défenses au fond est importante puisqu’elle conditionne le régime juridique du moyen de défense en cause ainsi que le juge compétent pour en connaître. Les pouvoirs publics ont donné un monopole aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions de groupe en matière de consommation (COJ, art. L. 211-9-2), lesquelles sont donc soumises à une phase de mise en état. Or, si le juge de la mise en état avait déjà compétence exclusive pour statuer sur les exceptions de procédure, il est devenu seul compétent, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, pour statuer sur les fins de non-recevoir. L’objectif de ce décret est de purger les questions procédurales au stade de la mise en état.

Cela n’est pas sans conséquence en matière d’actions de groupe dans la mesure où la spécificité et la nouveauté de la procédure soulèvent de nombreuses incertitudes juridiques. Il en est ainsi, par exemple, de l’exception de nullité propre aux actions de groupe, qui exige que « l’assignation expose expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par l’association au soutien de son action » (C. consom., art. R. 623-3). Une exception de nullité a ainsi été soulevée devant le juge de la mise en état dans plusieurs actions de groupe (Versailles, 3 nov. 2016, n° 16/00463, D. 2017. 630 , note B. Javaux ; Civ. 1re, 27 juin 2018, n° 17-10.891, Dalloz actualité, 16 juill. 2018, obs. M. Kebir ; D. 2018. 1380 ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; JA 2018, n° 584, p. 10, obs. X. Delpech ; Paris, 20 avr. 2017, n° 16/09997, RLDC 2017, n° 6388, note B. Javaux). S’il est nécessaire que la jurisprudence précise la portée de cette exception, plusieurs années se sont écoulées avant que des décisions définitives ne soient rendues dans ces affaires. Or il est probable que des fins de non-recevoir soient soulevées dans presque toutes les actions de groupe, ce qui aboutira nécessairement à des procédures plus longues avant que les conditions de recevabilité ne soient clarifiées.

La garantie des vices cachés peut servir de fondement à une action de groupe

Parmi les fins de non-recevoir soulevées, BMW prétendait notamment que la garantie des vices cachés ne pourrait pas constituer un manquement du professionnel à une obligation légale ou contractuelle au sens de l’article L. 623-1 du code de la consommation dès lors qu’elle ne serait pas une action en responsabilité et qu’elle ne supposerait aucun manquement du professionnel. Cette argumentation est rejetée.

Selon le tribunal en effet, l’intention du législateur était de permettre une indemnisation des consommateurs victimes d’un même manquement, « quels que soient la nature et le fondement de ce manquement » (p. 19). Le tribunal prend à cet égard appui sur la circulaire de présentation du 26 septembre 2014, qui cite les pratiques commerciales trompeuses et les défauts de sécurité comme manquements pouvant justifier une action de groupe. Pour le tribunal, le « manquement » au sens de l’article L. 623-1 du code de la consommation est donc plus large que la notion de faute.

Pour ce qui est des obligations légales auxquelles le professionnel doit avoir manqué, le tribunal considère que la garantie des vices cachés « sanctionn[e] l’obligation du vendeur de délivrer au consommateur un produit conforme à sa destination offrant toutes garanties de qualité et de sécurité ». Or, selon le tribunal, « le manquement à cette obligation légale, commis au préjudice d’un groupe de consommateurs, doit de toute évidence pouvoir être sanctionné par la voie d’une action de groupe » (p. 19).

L’association de consommateurs doit prouver l’existence du vice caché affectant les produits objet de la mesure de rappel

L’action de groupe visait à obtenir l’indemnisation des préjudices matériels individuels découlant de l’immobilisation des motos BMW équipées de la suspension litigieuse. Selon l’association, la campagne de rappel et le remplacement gracieux par BMW de l’élément litigieux suffisaient à prouver l’existence d’un vice caché à l’origine de la privation de jouissance dont elle demandait réparation.

L’association est néanmoins déboutée pour défaut de preuve d’un vice caché et du lien de causalité. Le tribunal constate en effet la carence probatoire de l’association, qui n’a produit « aucune expertise ni document technique d’aucune sorte » (p. 25) et qui « ne fait état, à aucun endroit dans ses écritures, de la survenue d’un accident, voire d’un simple dysfonctionnement, en lien avec le vice qu’elle allègue » (p. 26). Or, comme le rappelle à juste titre le tribunal, « des actions strictement préventives ne sont pas de nature à établir à elles seules l’existence du défaut suspecté ni d’un vice caché au sens de l’article 1641 du code civil » (p. 25). Une campagne de rappel n’équivaut donc pas en elle-même à la reconnaissance d’un quelconque manquement par le professionnel.

La solution retenue par le tribunal est équilibrée et opportune en ce qu’elle évite une judiciarisation excessive des relations entre les professionnels et leurs clients. Cette solution illustre aussi que le bilan mitigé des actions de groupe est pour partie la résultante des choix faits par les associations de consommateurs dans l’identification et le traitement des dossiers.

Auteur d'origine: Dargent
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Le jugement de la 18e chambre du tribunal judiciaire de Paris du 10 juillet 2020 nous fournit une première grille de lecture sur l’appréhension par les juridictions du contentieux relatif aux loyers commerciaux impayés durant la période de fermeture administrative imposée afin d’éviter la propagation de la covid-19. Si nous pouvons d’emblée regretter que cette décision ne se prononce pas sur l’effectivité du recours à des notions telles que la force majeure ou l’exception d’inexécution, elle n’en demeure pas moins riche d’enseignements. En effet, ce jugement met en évidence l’exigibilité des loyers commerciaux durant cette période et permet une résurgence remarquable de la bonne foi qui, comme à son habitude, tempère les ardeurs des contractants trop vindicatifs.

En l’espèce, un preneur et son bailleur étaient en procédure depuis 2013 afin de fixer le montant du loyer de renouvellement d’un bail commercial. À la suite d’un arrêt du 29 janvier 2020 de la cour d’appel de Paris, le bailleur a été déclaré redevable envers son preneur d’une certaine somme au titre d’un trop-perçu de loyer durant le cours de la procédure.

N’ayant pas provisionné la somme en question et rencontrant des difficultés économiques à raison de sa cessation d’activité du fait de la pandémie, le bailleur a sollicité tant des délais de paiement pour le solde de sa dette qu’une compensation avec les loyers échus durant la période de fermeture administrative et demeurés impayés par son preneur.

En réponse, le preneur a refusé tout délai de paiement et poursuivi l’exécution de la décision de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020.

Confronté à cette mesure, le bailleur a assigné à jour fixe afin d’obtenir un échelonnement de sa dette et sa compensation avec les créances de loyers impayés du preneur.

Dans son argumentaire, le preneur soutient notamment que la fermeture administrative de son commerce est de nature à le décharger de son obligation de paiement des loyers et qu’en conséquence, toute compensation avec la dette de son bailleur est à exclure. Il soutient plus particulièrement que la période juridiquement protégée a eu pour effet de reporter l’exigibilité des loyers échus et donc qu’aucune compensation ne peut s’opérer.

Après s’être déclaré compétent, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’ayant pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux, mais interdit uniquement l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement, la compensation des loyers impayés à son profit est donc acquise.

De plus, le tribunal retient qu’en application de l’exigence de bonne foi, les parties étaient tenues de vérifier si les circonstances exceptionnelles ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. Le bailleur ayant fait des propositions d’aménagement du paiement des loyers alors que le locataire n’a fait aucune démarche en retour, seul le bailleur avait exécuté ses obligations de bonne foi. Dès lors, le tribunal a fait droit à sa demande de paiement intégral des loyers du deuxième trimestre 2020 par la voie de la compensation.

À la vue de ce jugement, tout un chacun regrettera que le preneur n’ait pas fait le choix de développer des moyens de défense subsidiaires tels que la force majeure, l’exception d’inexécution, la perte temporaire de la chose louée ou encore l’imprévision. Il ressort en effet des débats que ces notions ont été évoquées au cours des échanges intervenus entre les parties avant la délivrance de l’assignation, mais n’ont pas été reprises au cours de l’instance. Dès lors, le juge n’étant pas saisi de ces questions, il ne pouvait pas se prononcer.

Le preneur a préféré contester la seule exigibilité des loyers préférant développer ultérieurement les arguments relatifs au maintien de son obligation de paiement de loyers durant la période protégée.

En tout état de cause, ce jugement n’en est pas moins riche en enseignements tant sur les incidences de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 sur l’exigibilité des loyers durant la période protégée que sur les modalités de leur recouvrement.

En premier lieu, rappelons qu’aux termes de l’article 1347-1 du code civil, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. Or, selon l’article 4 de l’ordonnance précitée du 25 mars 2020, le créancier ne peut recourir à l’exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020. Au demeurant, ce texte n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité des loyers dus par le preneur à bail commercial. Ce dernier peut donc payer spontanément ou régler pas compensation.

Cette solution est parfaitement logique, puisque la suppression de l’exigibilité de loyer aurait eu pour effet de priver de tout fondement les paiements libératoires opérés spontanément par les preneurs diligents. En effet, l’exigibilité est classiquement reconnue à l’obligation arrivée à terme et pour qui l’exécution est attendue. Elle intéresse généralement les voies d’exécution puisqu’elle porte en elle l’idée d’une menace imminente. En ce sens, la doctrine a pu relever que le pouvoir de contrainte est « la composante nécessaire à la notion d’exigibilité » (J.-C. Boulay, Réflexion sur la notion d’exigibilité de la créance, RTD com. 1990. 339 ). Par essence, la créance exigible est celle qui est susceptible d’exécution forcée.

Visiblement, ce n’est plus le cas, puisqu’en application de l’ordonnance du 25 mars 2020, le tribunal dissocie exigibilité et exécution forcée. Le coronavirus aura donc eu pour effet d’amputer la notion d’exigibilité de son pendant coercitif.

Relativisons toutefois le propos en relevant, d’une part, que la politique économique se fait souvent en détriment de la cohérence notionnelle et, d’autre part, qu’il demeure un semblant de pouvoir de contrainte au sein de la notion d’exigibilité puisque le bailleur a pu imposer une compensation de créance sur les loyers impayés à son preneur.

En second lieu, doit être relevée la référence appuyée du tribunal à l’exigence de bonne foi en présence de circonstances exceptionnelles.

En effet, la bonne foi dans l’exécution des contrats est une règle d’ordre public. En application de ce principe, le juge peut sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle sans porter atteinte aux droits et obligations des parties (Com. 10 juill. 2007, n° 06-14.768 P, R., p. 436 ; Com., 10 juill. 2007, n° 06-14.768, D. 2007. 2839, obs. X. Delpech , note P. Stoffel-Munck ; ibid. 2764, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon ; ibid. 2844, note P.-Y. Gautier ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2007. 773, obs. B. Fages ; RTD com. 2007. 786, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; JCP 2007. II. 10154, note Houtcieff ; JCP E 2007. 2394, note Mainguy ; Defrénois 2007. 1454, obs. Savaux ; CCC 2007, n° 294, note Leveneur ; RLDC 2008/46, n° 2840, note Delebecque ; Dr. et patr. 9/2007. 94, obs. Stoffel-Munck ; RDC 2007. 1107, obs. Aynès ; ibid. 1110, obs. D. Mazeaud ; adde, P. Ancel, Mélanges en l’honneur de Daniel Tricot, Dalloz-Litec, 2011, p. 61 ; v. égal. Civ. 3e, 26 mars 2013, n° 12-14.870, D. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2013. 755 , obs. F. Planckeel ; RTD civ. 2013. 606, obs. H. Barbier ).

En l’espèce, il est à relever que les magistrats ont valorisé le comportement du bailleur qui n’a pas exigé immédiatement le paiement des loyers échus durant la période d’urgence sanitaire. Ce faisant, il a adapté les modalités d’exécution des obligations dont il est créancier. Le tribunal en a déduit une exécution de bonne foi justifiant la compensation opérée à son profit.

En somme, cette décision est révélatrice de l’intention des juridictions d’inviter les contractants à aménager eux-mêmes les répercussions économiques de la période de fermeture administrative. Cette position n’est pas surprenante tant au regard de la mouvance contemporaine de la politique judiciaire qui tend à promouvoir les modes alternatifs de règlement des différends qu’au regard de l’encombrement actuel des juridictions que ce contentieux ne ferait qu’aggraver.

Les premières pierres de l’édifice jurisprudentiel lié au coronavirus sont désormais posées. À n’en pas douter, ce jugement ne fait qu’ouvrir une longue voie qui demeure à tracer.

Auteur d'origine: mghiglino
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Voici un arrêt original, au confluent du droit des entreprises en difficulté, du droit des sociétés et du droit de la protection des données personnelles. Les faits de l’espèce méritent d’être brièvement exposés. Par ordonnance du 10 septembre 2018, le juge chargé de la surveillance du registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Nanterre a, sur le fondement de l’article L. 611-2, II, du code de commerce, enjoint au président et unique associé d’une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) de procéder au dépôt des comptes annuels de cette société pour les exercices 2015, 2016 et 2017 dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 100 € par jour de retard à l’encontre du président et de la SASU, tenus solidairement. Selon ce texte : « Lorsque les dirigeants d’une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte ».

Le président-associé unique n’ayant pas déféré à cette injonction, le même juge l’a, par une seconde ordonnance, en date du 21 janvier 2019, condamné in solidum avec la SASU à payer au Trésor public la somme de 3 000 € en liquidation de l’astreinte. Ces ordonnances ayant été rendues en dernier ressort, elles sont toutes les deux directement attaquées par la SASU et son président par la voie du pourvoi en cassation (en réalité la Cour de cassation a précédemment été saisie dans la même affaire, par la voie d’une QPC, et a transmis au Conseil constitutionnel le grief lié à la prétendue inconstitutionnalité de l’article L. 611-2, II, C. com., mais il a rejeté la demande., v. Com. 17 oct. 2019, n° 19-14.098, D. 2020. 1404 ).

Dans leur pourvoi, le président-associé et la SASU invoquent un argument original, tout à fait dans l’air du temps au demeurant : l’atteinte au droit à la protection de ses données à caractère personnel. Précisément, obliger l’associé unique d’une société commerciale, propriétaire d’un unique bien, à déposer les comptes de cette société au greffe du tribunal de commerce a pour effet que des informations d’ordre patrimonial le concernant seront divulguées aux tiers sans y avoir consenti. Or cette divulgation serait de nature à causer une atteinte disproportionnée au droit à la protection de ses données à caractère personnel. En enjoignant l’intéressé à déposer les comptes annuels des exercices 2017, 2016 et 2015 de la SASU au greffe du tribunal de commerce sans solliciter son accord préalable, le président du tribunal de commerce a porté une atteinte disproportionnée à son droit à la protection de ses données personnelles d’ordre patrimonial, violant ainsi l’article 9 du code civil, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 16 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, dit RGPD.

L’argument n’emporte pas la conviction de la haute juridiction, qui rejette le pourvoi, estimant que l’atteinte au droit à la protection de ses données à caractère personnel de l’intéressé est proportionnée au but légitime de détection et de prévention des difficultés des entreprises. La réponse de la Cour de cassation mérite d’être intégralement reproduite (pt 5) : « S’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (gr. ch., 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande, n° 931/13) que les données portant sur le patrimoine d’une personne physique relèvent de sa vie privée, les comptes annuels d’une société par actions simplifiée unipersonnelle ne constituent, toutefois, qu’un des éléments nécessaires à la détermination de la valeur des actions que possède son associé unique, dont le patrimoine, distinct de celui de la société, n’est qu’indirectement et partiellement révélé. L’atteinte portée au droit à la protection des données à caractère personnel de cet associé pour la publication de ces comptes est donc proportionnée au but légitime de détection et de prévention des difficultés des entreprises, poursuivi par les dispositions de l’article L. 611-2, II, du code de commerce ».

En substance, la publication des comptes va permettre de prendre les mesures de prévention adéquates pour permettre à la société, potentiellement en difficulté, de s’en sortir, avant qu’il ne soit trop tard. Par exemple, le président du tribunal de commerce pourra désigner un mandataire ad hoc ou enclencher une procédure d’alerte. Cela justifie une entorse à la préservation du caractère confidentiel des données patrimoniales du président associé unique de la SASU en difficulté.

Auteur d'origine: Delpech
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On sait que la déchéance du droit aux intérêts totale ou partielle est la seule sanction possible en cas d’omission ou d’erreur affectant le TEG au sein de l’offre de crédit (V. Civ. 1re, 12 juin 2020, n° 19-12.984 et n° 19-16.401, Dalloz actualité, 26 juin 2020; obs. J.-D. Pellier), du moins en présence d’une erreur supérieure à la décimale (V. par ex. Civ. 1re, 5 févr. 2020, n° 19-11.939). En revanche, si de tels manquements sont commis au stade du contrat, ils étaient sanctionnés par la nullité de la stipulation d’intérêts et la substitution du taux légal au taux conventionnel, du moins jusqu’à l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global. Cette dernière a en effet harmonisé les sanctions civiles applicables en la matière en érigeant la déchéance du droit aux intérêts en sanction de droit commun (V. à ce sujet, G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D. 2019. 1613 ; F. Clapiès, TEG : une clarification attendue du régime des sanctions civiles, RLDA, oct. 2019, p. 20 ; X. Delpech, Un nouveau régime de sanctions en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, AJ Contrat 2019. 361 ; J. Lasserre Capdeville, L’adoption d’une sanction unique aux manquements liés au TEG/TAEG, JCP E, 12 sept 2019. Act. 574 ; M. Latina, La sanction civile du TAEG est unifiée, L’essentiel Droit des contrats, oct. 2019, p. 2 ; D. Legeais, La fin du contentieux relatif au TEG !, RD banc. et fin. 2019. Repère 5 ; P. Métais et E. Valette, La réforme du TEG adoptée : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur proportionnée au préjudice… RLDC oct. 2019, p. 9 ; J.-D. Pellier, L’harmonisation des sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, CCC déc. 2019, Alerte 43 ; Dalloz actualité 30 juill. 2019, obs. V. Prevesianos ; M. Roussille, Quand le législateur s’en remet à la sagesse du juge… Gaz. Pal. 22 oct. 2019. 43). Plus précisément, l’article L. 341-48-1 du code de la consommation dispose, en son alinéa 1er, qu’« En cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur ».

Un doute subsistait néanmoins sur le point de savoir si cette nouvelle sanction devait s’appliquer aux contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 17 juillet 2019 (le 19 juill. 2019). Le rapport au président de la République relatif à cette ordonnance laissait en effet la porte ouverte à cette possibilité en affirmant que « L’habilitation ne prévoyant pas que le nouveau régime de sanction doit s’appliquer aux actions en justice introduites avant la publication de l’ordonnance, celle-ci ne comprend pas de disposition sur ce point. Il revient donc aux juges civils d’apprécier, selon les cas, si la nouvelle sanction harmonisée présente un...

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Auteur d'origine: jdpellier
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Une société tchèque de production et de diffusion de contenus saisit un juge en France, en référé, à l’encontre d’un professionnel exerçant son activité en Hongrie, en lui reprochant des propos dénigrants diffusés sur plusieurs sites et forums. La société entend, notamment, obtenir la condamnation de cette personne à cesser tout acte de dénigrement et la réparation de son préjudice économique et de son préjudice moral.

Le juge français s’est alors déclaré incompétent au profit du juge tchèque. Rappelons, à ce sujet, que, si l’article 4, point 1, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont, par principe, attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre, l’article 7, point 2, ajoute que ces personnes peuvent également être attraites en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Dans ce cadre, deux difficultés se posaient, que l’arrêt présente avec une très grande pédagogie et une parfaite clarté.

1. En premier lieu, il s’agissait de s’interroger sur la détermination du juge compétent à propos de la diffusion de propos dénigrants sur des forums et donc d’actes de concurrence déloyale.

À ce sujet, la première chambre civile se réfère à la solution dégagée par un arrêt Svensk Handel de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 17 octobre 2017 à propos des atteintes aux droits de la personnalité sur internet (aff. C-194/16, Dalloz actualité, 8 nov. 2017, obs. F. Mélin ; D. 2018. 276 , note F. Jault-Seseke ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2018. 290, note S. Corneloup et H. Muir Watt ; RTD com. 2018. 520, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Procédures 2017. Comm. 306, obs. C. Nourissat ; Europe 2017. Comm. 494, obs. L. Idot). On se rappelle que cet arrêt a énoncé que l’article 7, point 2, du règlement doit être interprété en ce sens qu’une personne morale, qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur internet et par la non-suppression de commentaires à son égard, peut former un recours tendant à la rectification de ces données, à la suppression de ces commentaires et à la réparation de l’intégralité du préjudice subi devant les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts.

La première chambre civile reprend cette approche, en précisant que « cette jurisprudence rendue en matière d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet est transposable aux actes de concurrence déloyale résultant de la diffusion sur des forums internet de propos prétendument dénigrants ».

En l’espèce, les juridictions tchèques étaient donc compétentes, en application de ce principe fondé sur l’article 7, pour ordonner le retrait des commentaires dénigrants, dès lors que le centre des intérêts de la société plaignante était situé en République tchèque. Les juridictions hongroises étaient également compétentes en vertu de l’article 4 du règlement, puisque le défendeur était domicilié en Hongrie.

S’il est vrai que l’arrêt de la Cour de justice du 17 octobre 2017 avait été diversement apprécié, notamment en raison du recours au critère du centre des intérêts de la victime (M.-E. Ancel et B. Darmois, Nouvelles problématiques de compétence internationale en cas d’atteinte à l’e-réputation, CCE mai 2018, Étude 8, spéc. p. 2 et 3), il faut reconnaître que sa transposition par l’arrêt de la première chambre civile du 13 mai 2020 à la question des actes de concurrence déloyale résultant de la diffusion sur des forums internet de propos prétendument dénigrants est bienvenue, car les problématiques soulevées dans les deux hypothèses sont, en définitive, très proches. Surtout, cette transposition permet de donner une prévisibilité et une cohérence aux principes applicables dans la matière des délits commis sur le net.

2. En second lieu, l’affaire devait conduire à déterminer le juge compétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts formée en réparation des préjudices moral et économique résultant des propos dénigrants.

Or résoudre cette question est délicat. L’arrêt de la Cour de justice du 17 octobre 2017 souligne en effet lui-même l’existence d’une discordance entre la solution qu’il retient et celle promue par son arrêt eDate Advertising du 25 octobre 2011 (aff. C-509/09 et C-161/10, Dalloz actualité, 7 nov. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 2662 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1279, chron. T. Azzi ; ibid. 1285, chron. S. Bollée et B. Haftel ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Légipresse 2011. 586 et les obs. ; ibid. 2012. 95, Étude J.-S. Bergé ; Rev. crit. DIP 2012. 389, note H. Muir Watt ; RTD com. 2012. 423, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 554, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz ). Il relève ainsi que : « 47. Certes, aux points 51 et 52 de l’arrêt du 25 octobre 2011 […], la Cour [de justice] a dit pour droit que la personne qui s’estime lésée peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, qui sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie. 48. Toutefois, eu égard à la nature ubiquitaire des données et des contenus mis en ligne sur un site internet et au fait que la portée de leur diffusion est en principe universelle (v., en ce sens, CJUE 25 oct. 2011, eDate Advertising e.a., aff. C-509/09 et C-161/10, pt 46), une demande visant à la rectification des premières et à la suppression des seconds est une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée que devant une juridiction compétente pour connaître de l’intégralité d’une demande de réparation du dommage en vertu de la jurisprudence résultant des arrêts du 7 mars 1995, Shevill e.a. (aff. C-68/93, points 25, 26 et 32), ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (aff. C-509/09 et C-161/10, pts 42 et 48), et non devant une juridiction qui n’a pas une telle compétence ».

Cette discordance constitue une difficulté importante, ce qui explique que la première chambre civile ait décidé de renvoyer la question suivante à la Cour de justice : « Les dispositions de l’article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 doivent-elles être interprétées en ce sens que la personne qui, estimant qu’une atteinte a été portée à ses droits par la diffusion de propos dénigrants sur internet, agit tout à la fois aux fins de rectification des données et de suppression des contenus, ainsi qu’en réparation des préjudices moral et économique en résultant, peut réclamer, devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est ou a été accessible, l’indemnisation du dommage causé sur le territoire de cet État membre, conformément à l’arrêt eDate Advertising (pts 51 et 52) ou si, en application de l’arrêt Svensk Handel (pt 48), elle doit porter cette demande indemnitaire devant la juridiction compétente pour ordonner la rectification des données et la suppression des commentaires dénigrants ? »

Ce renvoi préjudiciel est bienvenu dans ce domaine où on a relevé, avec une grande justesse, que le droit est mal fixé et que la Cour de justice de l’Union européenne procède par des apports ponctuels au regard des litiges qui lui sont soumis (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 233, p. 355), ce qui est un important facteur d’incertitudes. Il est à espérer que la Cour de justice clarifiera sa position avec pragmatisme, sans recourir à nouveau aux notions floues – « nature ubiquitaire des données et des contenus » et « demande […] une et indivisible » – utilisées dans son arrêt du 17 octobre 2017. Une commentatrice de l’arrêt du 17 octobre 2017 a d’ailleurs anticipé l’abandon de l’approche consacrée par l’arrêt du 25 octobre 2011, au moins pour les délits commis sur internet (L. Idot, note préc., in fine).

Auteur d'origine: fmelin

Cet arrêt, qui repose sur un cheminement procédural complexe, se situe au croisement du droit des sociétés, du droit des entreprises en difficulté et du droit des procédures civiles d’exécution. Les faits méritent d’être connus. Par contrat du 26 juillet 2004, la société civile immobilière (SCI) La Brosse a confié à la société Etip l’exécution de travaux de construction d’ouvrage pour le prix de 2 631 200 €. La SCI La Brosse n’ayant procédé à aucun paiement au titre de ce contrat, elle a été condamnée par jugement du 8 décembre 2005, confirmé par un arrêt du 26 juillet 2011, devenu irrévocable, à payer à la société Etip la somme de 800 000 € au titre des travaux exécutés. Une ordonnance du juge de la mise en état du 26 août 2015 a condamné la SCI La Brosse (devenue entre-temps la SARL KM) à payer à la société Etip une provision de 876 000 € au titre des travaux réalisés. Relevons que les créanciers sociaux dont la créance est née antérieurement à la transformation de la société en société à responsabilité limitée bénéficient de l’obligation illimitée aux dettes sociales de l’article 1857 du code civil des associés de société civile.

Le 18 novembre 2015, la SARL KM a été mise en redressement judiciaire. Un arrêt du 17 décembre 2015 a réduit à 800 000 € le montant de la provision allouée à la société Etip par l’ordonnance du 26 août 2015. Le 2...

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Auteur d'origine: Delpech

Une personne a porté plainte et s’est constituée partie civile du chef d’abus de faiblesse à l’encontre de la nouvelle épouse de son père, en raison d’une assurance-vie souscrite par ce dernier et dont a bénéficié la dernière épouse, belle-mère de la plaignante, à raison du jeu d’une clause-type (sur le mécanisme de la clause bénéficiaire, v. K. Buhler, Chapitre 2 - Les assurances-vie, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, à paraître). Elle a exposé que son père était atteint de la maladie d’Alzheimer depuis 2009 et qu’elle avait appris incidemment qu’il avait épousé une nouvelle femme alors que son père lui avait toujours dit ne pas vouloir se remarier. Le juge des tutelles du tribunal d’instance d’Auxerre plaçait le père de la justiciable sous tutelle par jugement du 20 mars 2012 et désignait un mandataire judiciaire en qualité de tuteur. Puis il est décédé.

Au terme de l’information, le juge d’instruction a prononcé un non-lieu. Sa fille a relevé appel de cette décision. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, dans l’information suivie, sur sa plainte contre personne non dénommée du chef d’abus de faiblesse, a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction (Paris, 3e sect., 18 déc. 2018).

Elle a alors formé un pourvoi, aux termes d’un moyen pris de la violation des articles 223-15-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. Elle a soutenu, en premier lieu, « que lorsque la victime d’un abus de faiblesse est une personne particulièrement vulnérable, ledit abus est punissable sans qu’il soit nécessaire que son auteur ait exercé sur cette personne des pressions graves ou réitérées ou des techniques propres à altérer son jugement ; qu’en se fondant, pour dire n’y avoir lieu à suivre, sur la circonstance que si [le de cujus] était en état de faiblesse et que cet état était connu de [son épouse], aucun élément ne venait pour autant démontrer que celle-ci aurait exercé à l’encontre de celui-là des pressions graves ou réitérées ou des techniques propres à altérer son jugement, la chambre de l’instruction a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ».

Elle a souligné, en...

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Auteur d'origine: Dargent
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De très nombreuses publications sont intervenues sur les textes qui ont été établis pendant la crise du coronavirus et que nous continuons de recevoir, à jet continu. Pour résumer les principaux d’entre eux, nous avons d’abord examiné une ordonnance du 27 mars 2020 (Ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, JO 28 mars ; V. notre article, L’adaptation du droit des entreprises en difficulté à la crise du coronavirus, D. 2020. 785 ), suivie notamment par une ordonnance du 20 mai 2020 (Ord. n° 2020-596 du 20 mai 2020, JO 21 mai ; V. notre article, Covid-19 et nouvelles mesures pour les entreprises en difficulté : une tapisserie de Pénélope ?, Gaz. Pal. 2 juin 2020. 19).

Il est impossible ici de faire un inventaire exhaustif de tout ce qui a été publié mais nous pouvons par exemple signaler un commentaire sur le prêt garanti par l’État (M. Roussille, Prêt garanti par l’État, dispositif exceptionnel de soutien aux entreprises face à la crise sanitaire, Gaz. Pal. 9 juin 2020. 81), sur la situation des commissaires aux comptes et la procédure d’alerte (P. Merle, Covid-19, les commissaires aux comptes et l’alerte, D. 2020. 1117 ), et encore sur l’ordonnance du 20 mai 2020 (G. Berthelot, Difficultés des entreprises : une nouvelle ordonnance contre le covid-19, D. 2020. 1168 ).

Nous pouvions espérer en avoir fini mais une importante circulaire est venue préciser, souvent d’une manière très opportune, des obscurités des textes cités. Cette circulaire du garde des Sceaux signée par le directeur des affaires civiles et du Sceau est datée du 16 juin 2020 (D4/009/202030000485 ; NOR : JUSC 2014072C). Il nous paraît utile de relater les dispositions de cette circulaire souvent éclairante, plus rarement obscure car la superposition des délais n’est pas simple et la compréhension de certaines mesures méritait assurément des explications. Nous allons donc reprendre les sujets évoqués :

La délimitation des délais mentionnée par les ordonnances

Nous savions que l’ordonnance du 27 mars 2020 avait fixé la durée d’application dans le temps de certaines mesures avec des délais qui ont ensuite été abrégés par l’ordonnance du 20 mai 2020, ce qui pouvait provoquer des incompréhensions.

Nous savons qu’après avoir indiqué qu’à la durée de l’état d’urgence, il fallait ajouter une durée de trois mois, notamment pour le gel de l’état de cessation des paiements concernant les entreprises qui étaient dans cette situation au 12 mars 2020, il a été décidé en définitive que ce délai serait abrégé au 23 août 2020. En outre, les durées mentionnées par l’ordonnance du 27 mars ont été remplacées par des durées fixes de cinq mois (art. 1er) ou de trois mois (art. 2).

La circulaire donne des exemples concernant la conciliation et la période d’observation. Nous ne reprendrons pas ici les détails de cette circulaire qui explique notamment que la durée d’une procédure de conciliation est prolongée de cinq mois si elle n’a pas pris fin avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 27 mars, ce qui est une précision éclairante. En outre, la prolongation s’applique aux conciliations en cours à la date de l’ordonnance, et à celles ouvertes jusqu’au 23 août.

La circulaire invite à une vigilance particulière pour que la procédure de conciliation ne soit pas anormalement prolongée. Cette précision est surprenante car les ordonnances ont fixé des délais et ceux-ci ne peuvent être dépassés. Cependant, la crise a incontestablement provoqué des retards et il faut bien comprendre qu’en conciliation, il faut tenir compte d’une réalité économique. Or, en juin 2020, est-il raisonnable de penser que des prévisions peuvent être faites dans le contexte d’incertitude que nous connaissons ?

Il paraît prudent d’attendre la rentrée de septembre pour faire des prévisions et ces prévisions sont indispensables pour crédibiliser une conciliation. Il faudra donc bien en tenir compte et la fixation de délais déterminés s’accommode mal avec l’incertitude que crée la poursuite des activités. Si l’activité ne reprend pas, à quoi bon faire des propositions de remboursement qui ne seront pas respectées ? L’autre solution, plus couramment utilisée, consistera sans doute à faire des propositions dont chacun saura qu’il faudra les réévaluer un an plus tard, soit à l’occasion du mandat de suivi de l’exécution de l’accord, ce qui sera une sage précaution, soit à l’occasion de l’ouverture d’une nouvelle mesure de prévention pour renégocier des accords. Nous savons en effet qu’il y aura sans doute « une deuxième couche », notamment après la première échéance des prêts garantis par l’État, dans un an.

En ce qui concerne la période d’observation, entre le 27 mars et le 23 juin, il est indiqué qu’elle est prolongée de plein droit de 3 mois en application de l’ordonnance du 27 mars. Cependant, elle n’est pas incompatible avec un rappel de l’affaire dans un délai normal, ce qui est une sage précaution.

En outre, il convient d’adapter la garantie de l’AGS à ces prolongations de délais et il est rappelé à cette occasion que le montant maximal de la garantie fixée par l’article L. 3253-8, 5°, du code du travail, couvre une durée d’un mois et demi de travail. L’extension de durée prévue par le texte s’applique à cette référence aux 45 jours.

Cette indication est donnée « sous réserve de l’interprétation par les tribunaux », ce qui pose un problème de fond : une circulaire n’a en effet pas vocation à se substituer à l’interprétation des tribunaux, ce qui est le jeu normal de la jurisprudence. Nous relevons cependant que de plus en plus, les rapports joints aux textes des ordonnances et les circulaires ont vocation à suggérer des solutions aux tribunaux ou même à éviter d’y recourir en clarifiant des textes souvent obscurs. Cette technique a ses avantages mais elle a aussi ses inconvénients, le juge devant moduler avec souplesse et disposer pour cela d’un pouvoir d’appréciation. D’une manière générale, nous savons que l’incertitude créée par la durée des procédures est de plus en plus mal acceptée. Peut-on pour autant prétendre à l’avance éviter tout contentieux ? Chacun connaît la réponse.

L’alerte précoce consentie pour une durée limitée aux commissaires aux comptes

Il s’agit en effet, en application de l’ordonnance du 20 mai 2020, de permettre à un commissaire aux comptes de transmettre au président, tous les éléments utiles dès la première information faite au dirigeant, puis à tout moment, sur le critère de l’urgence. Le président du tribunal pourra ensuite immédiatement réagir en convoquant le dirigeant.

La circulaire revient assez longuement sur la possibilité qui a été offerte aux débiteurs par l’ordonnance du 20 mai 2020 de demander la suspension des poursuites ou de demander des délais de paiement en procédure de conciliation. À cet égard, le conciliateur peut proposer de suspendre l’exigibilité d’une ou plusieurs créances pendant la durée de la négociation, ce qui correspond en réalité à un usage bien établi. Précisons qu’usuellement, les créanciers institutionnels que sont notamment les créanciers bancaires, acceptent sans difficulté, à l’annonce de la conciliation, de suspendre l’exigibilité sur une base égalitaire (les banques souhaitent être traitées de la même manière, ce qui est légitime), à tout le moins, jusqu’à ce qu’un audit crédible soit établi dans un délai raisonnable.

Il ne s’agit donc pas d’une réelle nouveauté mais, en l’espèce, il sera possible d’imposer à un créancier d’attendre pendant la conciliation. Il est précisé par la circulaire que l’ordonnance prévoit une suspension des délais impartis à peine de déchéance et non une interruption, les intérêts des créances continuant à courir. Cependant, lorsque le juge décide de reporter les sommes dues, les majorations d’intérêts ou pénalités de retard ne sont pas encourues.

Ces mesures sont ordonnées par décision prise sur requête, ce qui implique que le créancier n’en soit pas immédiatement informé et qu’il n’y ait pas de débat contradictoire. Elles n’ont vocation à prendre effet que jusqu’au terme de la mission confiée au conciliateur, ce qui peut paraître surprenant. En effet, il faudra bien qu’avant la fin de la mission, un accord intervienne car la suspension des délais n’aura plus d’effet à la fin de la mission. Il est précisé que si la procédure fait l’objet d’une prolongation, une nouvelle requête pourra être formée dans les mêmes conditions, ce qui paraît bien lourd. S’il y a une prolongation, ce qui suppose que la mission reste en vigueur, les mesures devraient garder leur effet jusqu’au terme de la mission, comme cela a été prévu. Ce point paraît donc discutable.

Il est encore prévu que l’ordonnance soit communiquée au ministère public qui pourra savoir dans quelles conditions les négociations se sont déroulées, ce qui pourrait « être utile en cas d’échec de la négociation et de demande d’ouverture d’une nouvelle conciliation par exemple ». Il s’agit d’une extension des pouvoirs accordés au ministère public. Il n’est pas bon que dans la phase de négociation, le rôle du ministère public soit trop étendu. Sa capacité d’intervention devrait rester limitée pour que les accords aient le temps de se dessiner et pour favoriser la crédibilité de la prévention ainsi que son attractivité. Il faut donc rester circonspect sur l’utilisation de ces dispositions qui doit rester souple.

La circulaire expose ensuite le fait que jusqu’au 31 décembre 2020 « inclus » la demande du débiteur peut, par dérogation au droit positif, être formée avant toute mise en demeure ou poursuite par un créancier comme l’a prévu l’ordonnance du 20 mai. Il est précisé que c’est la date de saisine du juge qui détermine l’application de ce régime dérogatoire et non le fait que la procédure de conciliation soit en cours au 31 décembre 2020. Nous savons que l’ordonnance du juge peut imposer des délais de paiement allant jusqu’à deux ans « ce qui peut donc excéder le temps de la négociation ». Cette prévision est bienvenue car la rédaction de l’ordonnance du 20 mai 2020 était en effet ambiguë sur la validité des mesures ordonnées pendant la mission du conciliateur.

Les deux séries de mesures de protection peuvent se cumuler. Si le président a accordé des délais de grâce par ordonnance sur requête, ces délais viennent en déduction, le cas échéant, de la limite fixée par l’article 1343-5 du code civil, la circulaire citant à cet égard la jurisprudence sur les délais de grâce (Civ. 1re, 6 juill. 1959, D. 1959. 393). Il est rappelé ensuite que la situation du créancier doit être prise en compte comme le prévoit l’article 1343-5 du code civil.

Comment cela sera-t-il possible, dès lors que cette procédure a lieu sur requête, ce qui suppose l’absence d’un débat contradictoire, le créancier n’ayant ainsi pas la parole ? Il faudrait donc imaginer que le conciliateur viendrait exposer la situation du créancier ou qu’il inviterait le créancier à formuler des explications, mais cela n’est actuellement pas prévu par le texte. On se demande donc comment le juge va pouvoir statuer en considération des besoins du créancier, alors même qu’il s’agit de privilégier le redressement de l’entreprise en conciliation, ce qui est tout à fait contradictoire.

Les conditions d’ouverture des procédures de sauvegarde accélérées

Nous savions que les conditions de seuil ont été supprimées par l’ordonnance du 20 mai. Il est encore précisé par la circulaire que cette procédure de sauvegarde accélérée ou financière accélérée demeure possible même si l’entreprise est déjà en cessation des paiements, ce qui peut paraître antinomique avec la notion de sauvegarde.

D’une manière générale, la déconstruction des critères fixés par la loi devient habituelle, ce qui n’est pas un facteur d’éclaircissement. La circulaire évoque la sauvegarde en cessation des paiements en rappelant le gel de l’état de cessation des paiements au 12 mars, ce qui nous paraît discutable.

En effet, un texte de loi ne peut valablement geler un état de cessation des paiements qui est une notion comptable de trésorerie. Il ne dépend donc pas d’une décision à caractère juridique. En revanche, on peut comprendre que le « gel » de la cessation des paiements suppose le « gel » de la responsabilité du dirigeant. Pour autant, cela ne sauvera pas son entreprise s’il a trop tardé à agir, malgré les délais accordés par le texte de l’ordonnance.

Il est encore indiqué qu’en cas d’échec de la procédure accélérée, il faudra traiter immédiatement cette difficulté par l’ouverture d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire en cas de cessation des paiements. Cette rédaction est peu claire car si on peut ouvrir une sauvegarde accélérée en état de cessation des paiements, ce critère ne devrait pas pouvoir justifier ensuite l’ouverture d’un redressement judiciaire … On comprend cependant que c’est l’échec de la négociation qui provoquera cette ouverture. Les mandataires de justice auront la faculté de saisir le tribunal à cette fin et nous relevons qu’il ne s’agit donc pas d’une obligation.

Pour autant, s’il s’agit d’une sauvegarde, le débiteur devrait rester libre de ses mouvements et en cas d’échec, on constate qu’il s’engage dans une spirale qu’il ne pourra maîtriser. Cela pourrait nuire à l’attractivité de la sauvegarde mais il faut bien en prendre le risque, sans doute.

Il est surprenant que la circulaire précise qu’il ne s’agit pas d’instituer une conversion de la procédure de sauvegarde accélérée ni de prévoir une possible saisine d’office aux fins de conversion. Si l’on demande cependant à des mandataires de justice de faire connaître l’échec et l’état de cessation des paiements, cela pourrait revenir au même …

Sur l’adoption des plans de sauvegarde ou de redressement judiciaire

L’ordonnance du 20 mai avait prévu un raccourcissement du délai de consultation des créanciers à quinze jours, les créanciers pouvant être consultés par tout moyen. La voie dématérialisée est donc possible, comme le précise la circulaire et c’est une bonne chose.

Il est prévu que le silence du créancier vaut acceptation y compris pour les propositions de remise de dettes. Il y a ici une ambiguïté car si le silence permet d’accepter une remise de dette, on comprend mal que dans un dispositif comparable, une solution différente soit choisie, ce que nous évoquerons plus loin.

Puis la circulaire évoque le fait que sur le passif à prendre en compte dans le cadre du plan, un expert-comptable peut établir une attestation comme cela a été prévu par l’ordonnance du 20 mai. Nous avions déjà remarqué que l’ordonnance du 20 mai indiquait qu’il fallait prendre en compte les créances déclarées admises ou non contestées ainsi que les créances identifiables. La circulaire précise qu’il s’agirait de celles dont le délai de déclaration n’est pas expiré comme celle de l’AGS. Or, les créances de l’AGS naissent postérieurement et ne relèvent donc pas de la procédure classique de déclaration des créances, qui naissent antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.

Nous savons à cet égard que le passif AGS ne sera pas inclus dans le plan et fait l’objet, en principe, d’une obligation de paiement immédiat dès la sortie de la procédure par un plan de sauvegarde ou de redressement.

La circulaire précise qu’il s’agit d’une référence au « passif vraisemblable établi notamment à partir des informations comptables ». Comment pourra-t-on demander à un expert-comptable d’évaluer un passif vraisemblable ? Ce point n’est donc pas clair.

Cependant, la circulaire poursuit en indiquant qu’il s’agit de déroger temporairement à la jurisprudence de la chambre commerciale de la cour de cassation, selon laquelle le plan ne peut être arrêté qu’en considération des créances déclarées même contestées, ce que nous avions relevé dans notre commentaire ci-dessus cité.

La circulaire clarifie donc cette question en indiquant bien qu’il s’agit d’une dérogation temporaire pendant sa durée de validité. La question posée est évidemment de savoir si la règle fixée par la Cour de cassation, notamment par son arrêt du 20 mars 2019 (Com. 20 mars 2019, n° 17-27.527, D. 2019. 637 ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; Rev. sociétés 2019. 426, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2019. 493, obs. H. Poujade ; ibid. 762, obs. A. Martin-Serf ) ne devrait pas être revue dans le cadre de la réforme en cours.

Nous savons en effet qu’en pratique, c’est bien le passif vraisemblable qui est pris en compte et pratiquement jamais le montant des créances déclarées qui peuvent être fantaisistes ou ne pas correspondre à la réalité, notamment s’il s’agit de créances auto liquidatives dans le cadre d’un contrat d’affacturage. Cette jurisprudence intransigeante devrait donc être abandonnée (V. not., P. M. Le Corre, La réponse du droit des entreprises en difficultés au covid-19, La lettre juridique n° 819, 2 avr. 2020).

Sur l’exécution des plans de sauvegarde ou de redressement judiciaire

La circulaire rappelle que l’ordonnance du 20 mai a permis de prolonger la durée maximale des plans qui est fixée à dix ans en y ajoutant deux ans. La circulaire précise que l’on pourra même dépasser ce délai de douze ans si l’on tient compte de la prolongation de droit prévue par l’article 2 de l’ordonnance du 27 mars de trois mois avec la possibilité d’aller jusqu’à un an supplémentaire, ces dispositions étant applicables jusqu’au 31 décembre 2020. Il sera donc possible de dépasser la durée de douze ans et pour le détail de ces mesures, nous renvoyons notre lecteur à la circulaire. Il est ensuite précisé que les obligations relatives au premier paiement et le montant minimal des annuités pourront être écartés, ce qui clarifie le sujet. Le tribunal pourra en outre appliquer les trois premiers alinéas de l’article 1343-5 du code civil dans la limite du terme du plan prolongé.

Il faudra prendre en compte les besoins individuels des créanciers. Nous savons qu’il sera, en pratique, bien difficile de les connaître car la consultation dans le cadre d’un plan est assez formelle. Il faudrait donc imaginer qu’en réponse aux propositions formulées, les créanciers expliqueront leurs besoins individuels, ce qui n’est pas particulièrement aisé à mettre en œuvre. Dans cette hypothèse, il faudrait imaginer que le mandataire judiciaire recueille les avis sur les besoins individuels des créanciers, puis les expose au tribunal car les créanciers ne seront pas présents à l’audience. Ce mécanisme apparaît bien lourd et en pratique peu réalisable.

Sur la modification substantielle du plan

Nous savons que la durée maximale du plan peut être portée à douze ans ou à dix-sept ans s’il s’agit d’une activité agricole ou maritime. Il est précisé par la circulaire qu’en cas de cumul des prolongations successives de droit ou décidées hors procédure de modification substantielle, le tribunal pourra dépasser sensiblement les deux ans (par ex., 3 mois puis 6 mois par le président, puis 2 ans par le tribunal).

C’est ici que la circulaire précise que le défaut de réponse des créanciers consultés vaut acceptation des propositions qui leur sont faites « sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital ». Pourquoi cette différence avec la situation exposée ci-avant ? Ne faudrait-il pas prévoir qu’au contraire pour une modification de plan, le défaut de réponse des créanciers consultés pourrait valoir acceptation même en cas de remise de dette (ce qui se pratique actuellement dans de nombreux tribunaux de commerce) ? Cela faciliterait le redressement judiciaire des entreprises en adaptant leur capacité de remboursement à un passif redéfini d’une manière plus réaliste. Les créanciers pourraient y avoir intérêt.

La création du privilège de sauvegarde ou de redressement

Pour encourager le financement des entreprises concernées, il est prévu que ce privilège prend rang notamment après le privilège dit de conciliation et le super-privilège des créances salariales. La circulaire précise l’ordre de paiement en se référant au IIII de l’article L. 622-17 et au III de l’article L. 641-13 du même code après les créances mentionnées au « 1° » de ces dispositions et avant celles mentionnées au 2°. En cas de liquidation judiciaire, ce privilège prime celui attaché aux avances faites par l’AGS en application du 5° de l’article L. 3253-8 du code du travail.

Il est précisé que la finalité des apports exige qu’ils assurent la pérennité de l’entreprise, ce qui n’apparaissait pas clairement dans l’ordonnance. Peut-on ainsi ajouter ce critère ? Cela sera sans doute discuté.

Il est précisé que l’apport en trésorerie permet à celui qui le consent, d’échapper aux remises ou délais qui pourraient lui être imposés dans le cadre d’un plan. En outre, la protection ne s’applique pas au privilège de redressement.

La circulaire évoque ensuite le traitement des entreprises en situation irrémédiablement compromise en évoquant la liquidation judiciaire simplifiée et le rétablissement professionnel. La circulaire se borne ici à exposer ce qui a été prévu par l’ordonnance du 20 mai et nous n’y reviendrons donc pas. Rappelons à cet égard que l’ordonnance avait augmenté le seuil du rétablissement professionnel de 5 000 à 15 000 €.

Sur la cession d’entreprises en plan

La circulaire revient sur l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Rappelons qu’il s’agit de permettre à un débiteur de formuler une requête pour demander à être autorisé à acquérir sa propre entreprise en se débarrassant de son passif. Le but est d’assurer le maintien des d’emplois. Un débiteur fragilisé par les difficultés pourra-t-il conserver valablement un grand nombre d’emplois ? C’est possible, mais pas certain.

Il est indiqué, comme cela était prévu par l’ordonnance, que les débats ont lieu en présence du ministère public qui, jusqu’ici, était seul en capacité de formuler cette requête. Il est précisé qu’en l’absence du ministère public, le jugement sera nul même si l’ordonnance ne le précise pas, ce qui constitue une mise en garde un peu surprenante.

Il est indiqué qu’il convient d’appliquer la jurisprudence sur l’expression à l’audience de la position du ministère public (la circulaire cite un arrêt introuvable, Com. 7 sept. 2017 n° 16-19.549, il s’agit d’un arrêt inédit qui date en réalité du … 27 sept. 2017). Il nous paraît effectivement logique que le ministère public soit présent et puisse formuler un avis. Cet avis pourrait-il être formulé en son absence ? Ce point sera sans doute discuté car les débats devraient logiquement pouvoir l’éclairer.

La circulaire indique que le tribunal devra statuer par un jugement spécialement motivé après avoir demandé l’avis des contrôleurs, ce qui va de soi. Elle ajoute qu’il faudra veiller à ce que le plan de cession « ne soit pas seulement l’occasion pour le débiteur d’effacer ses dettes et de réduire ses effectifs » et ici, la circulaire se réfère à la notion de fraude.

Nous avons eu l’occasion d’écrire que ce dispositif ne paraît pas très satisfaisant. Si l’on peut comprendre que dans des situations relativement exceptionnelles, le débiteur soit autorisé à acquérir, il faut cependant reconnaître que le principe de l’interdiction d’acquérir doit rester valable dans le plus grand nombre de cas. À défaut, cela déséquilibrerait grandement le système en développant un refus de communication et de coopération de certains dirigeants.

Puis, la circulaire évoque le rebond, c’est-à-dire les dispositions de l’ordonnance du 20 mai permettant de réduire à un an le délai de radiation au registre du commerce de la mention du plan de sauvegarde ou de redressement, lorsque ce plan est toujours en cours. Cette disposition est d’application temporaire et il est indiqué qu’elle ne concerne pas les plans déjà arrêtés, ce qui est une précision utile. Pourquoi ne pas pérenniser ce dispositif ?

Sur l’application dans le temps des dispositions nouvelles

Il est indiqué que les dispositions affectant les droits des créanciers et notamment celles qui instituent un privilège nouveau ne s’appliqueront pas aux procédures en cours. En revanche, les dispositions relatives à l’exécution des plans s’appliquent aux plans en cours. Il est rappelé que l’article 10 de l’ordonnance du 20 mai prévoit que certaines dispositions seront applicables jusqu’à la transposition de la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du conseil du 20 juin 2019, sans qu’une date précise soit fixée, ce qui est une précision par rapport aux dispositions de l’ordonnance.

Pour conclure, le terme de tapisserie de Pénélope que nous avions exposé paraît décidément bien correspondre à la réalité, le gouvernement ayant choisi d’œuvrer d’une manière pointilliste, au fur et à mesure de l’évolution des événements, adaptant les textes dans l’urgence. Si l’orthodoxie juridique n’est pas totalement satisfaisante, on peut comprendre que l’urgence a sans doute commandé la rédaction de textes qui ont mérité ensuite des éclaircissements. Pour autant, le travail du juriste n’en est pas facilité mais nous disposons à présent d’éléments nous permettant de mieux comprendre le dispositif fixé.

D’une manière générale, ces dispositions sont plutôt bienvenues mais la véritable question est qu’elles ne seront sans doute pas suffisantes. Demeurent en effet des questions particulièrement entêtantes : comment choisir les entreprises qui pourront raisonnablement survivre et qui auront vocation à bénéficier d’un traitement de faveur si elles sont utiles à notre tissu économique et s’il ne s’agit pas de favoriser la poursuite d’activités déficitaires ?

Comment traiter le problème des TPE qui n’ont ni les moyens financiers, ni le temps d’élaborer des solutions de prévention ? Comment régler le problème du financement ? Certains indiquent qu’il faudra accepter de convertir des créances en parts de capital, ce qui pose de nombreuses questions juridiques. Comment favoriser un traitement fiscal efficace du redressement ? Il faudra bien admettre des abandons de créances pour les créanciers étatiques et les créanciers privés, dans des conditions qui devront être clarifiées.

Si l’on considère que la crise a été si grave que rien ne sera plus comme avant, il faut que ce qui se passe permette d’irriguer les textes en préparation et qu’une réflexion de grande ampleur intègre les enseignements de ce que nous vivons à présent, dans une situation d’incertitude qui n’est certes pas dissipée.

Auteur d'origine: Delpech

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La restauration immobilière est née en 1962 sous la loi Malraux. En dépit de cette ancienneté, la question de son champ d’application ne s’est jamais réellement posée devant le juge administratif avant ces quatre dernières années. L’article L. 313-4 du code de l’urbanisme définit les opérations de restauration immobilière comme « des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles ». La loi Elan du 23 novembre 2018 y a ajouté les travaux d’amélioration de l’habitat concernant le risque incendie. En d’autres termes, la restauration immobilière vise essentiellement à remettre aux normes d’anciens immeubles. L’habitabilité se définissant comme la qualité de ce qui est habitable, l’opération de restauration immobilière semble s’appliquer uniquement à des immeubles ou des ensembles immobiliers dont les locaux sont destinés à l’habitation. Mais qu’en est-il lorsqu’un immeuble (ou un ensemble immobilier) comprend également un ou plusieurs locaux destinés à une activité commerciale ? L’opération de restauration immobilière peut-elle porter sur une partie de l’immeuble seulement ? Peut-elle porter sur un local commercial ? Peut-elle contraindre le propriétaire à transformer en habitation un local commercial ?

Un ou plusieurs locaux

La cour administrative d’appel de Versailles fournit un premier élément de réponse dans son arrêt du 23 juin 2016 (n° 14VE01438) : « Considérant […] que l’expropriation dont fait l’objet...

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Auteur d'origine: pastor
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Selon une jurisprudence constante et désormais bien affirmée, la règle de la renonciation prévue par l’article 1466 du code de procédure civile fait l’objet d’une appréciation restrictive par la cour d’appel, intervenant en qualité de juge du contrôle de la sentence (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2019. 304). Une telle appréciation se conçoit au regard de la ratio legis du texte qui vise bien à assurer l’efficacité de la procédure arbitrale en limitant la possibilité de contester tardivement la sentence. Pour autant, l’application de cette règle ne saurait être démesurée. C’est ce que semble avoir considéré la Cour de cassation dans le présent arrêt commenté (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Procédures juin 2020, comm. 108, obs. L. Weiller). Elle y censure, au visa de l’article 1466, l’arrêt d’appel ayant déclaré irrecevable le moyen tiré de la constitution irrégulière et de l’incompétence du tribunal fondé, selon les juges du fond, sur une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise devant les arbitres (Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude). Si la solution de la Cour de cassation est opportune, sa portée ne doit pas être recherchée au-delà de ce qui y est dit, et qui tient à la spécificité de la pathologie de la clause comme aux circonstances dans lesquelles avait été mis en œuvre l’arbitrage.

À l’origine du litige se trouvait un contrat portant sur la mise à disposition de la bande S, une bande de fréquence du spectre hertzien utilisée notamment pour les radars météorologiques, les satellites de télécommunication ou encore les réseaux sans fil. Il avait été conclu en janvier 2005 entre deux sociétés de droit indien, la société nationale Antrix B Ltd (Antrix), chargée de commercialiser les produits et services de l’Agence spatiale indienne et la société commerciale Devas Multimedia Private Ltd (Devas). Le 25 janvier 2011, Antrix s’est prévalue d’une décision du gouvernement indien de réserver l’usage de la bande S à des activités stratégiques pour notifier à Devas que le contrat prenait fin sans responsabilité de sa part.

Ces événements donneront lieu à pas moins de trois procédures arbitrales internationales dont seul nous intéressera l’arbitrage commercial (sur les autres, v. not. I. Fadlallah, C. Leben et al., Investissements internationaux et arbitrage, Cah. arb. 2019, n° 4, p. 703). Celui-ci fut mis en œuvre par Devas sur le fondement de la clause compromissoire insérée au contrat dont la formulation était au moins incomplète, sinon ambiguë, puisqu’elle stipulait que la procédure d’arbitrage serait conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Elle fixait, en outre, le siège à New Delhi et les modalités de constitution du tribunal, mais ne comprenait aucune précision quant aux modalités de choix entre les deux règlements auxquels il était fait référence. C’est au sujet de cette option ouverte par la clause que s’est élevé le débat.

En effet, Devas avait saisi la CCI, optant ainsi pour un arbitrage administré sous son égide. Antrix a, quant à elle, cherché à s’y opposer à tous les niveaux de la procédure. D’abord auprès de l’institution, soutenant que celle-ci n’avait pas le pouvoir d’organiser l’arbitrage, faute d’accord des parties sur le choix de son règlement. Ensuite, devant le tribunal arbitral dont elle soulevait l’incompétence tirée de ce que la clause compromissoire était inapplicable eu égard à son caractère pathologique. Les arbitres écarteront toutefois cette exception d’incompétence par une sentence rendue à New Delhi en septembre 2015. Enfin, pour s’opposer à l’exequatur de la sentence en France, Antrix a fait valoir que la clause compromissoire organisait un arbitrage ad hoc sans que les organes de la CCI aient été investis d’un pouvoir d’administration de l’arbitrage, ce dont elle déduisait que le tribunal arbitral était irrégulièrement désigné (1520, 2°) et incompétent (1520, 1°). Il aurait dû, selon elle, être désigné par le juge d’appui, d’ailleurs saisi sans succès, en vertu de la loi indienne de 1996 sur l’arbitrage interne.

Cette argumentation n’a cependant pas convaincu la cour d’appel de Paris qui, saisie du recours contre l’ordonnance ayant accordé l’exequatur, considère que le moyen allégué procède d’une « interprétation 
contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres ; que ceux-ci, en effet, ont été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait que le règlement d’arbitrage de la CCI serait divisible et qu’un contrat pour l’administration de l’arbitrage n’aurait pas été conclu ». Pour la cour d’appel, Antrix avait alors « renoncé à se prévaloir des irrégularités qu’elle n’avait pas invoquées devant le tribunal arbitral ». Elle déclare, en conséquence, le moyen irrecevable.

Frappée d’un pourvoi en cassation, cette décision est sèchement censurée par la cour régulatrice dans l’arrêt commenté. Elle retient, au visa des articles 1466 et 1506, 3°, du code de procédure civile, que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI ». Il en résulte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur n’était pas contraire à celle développée devant le tribunal arbitral.

À première vue, la solution que retient cet arrêt est déroutante. La société Antrix était-elle réputée avoir renoncé à se prévaloir, devant le juge de l’exequatur, de l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI dès lors qu’elle s’était bornée à invoquer, devant ce dernier, le caractère pathologique de la clause pour nier a priori exclusivement sa compétence ? Ainsi posée, la question semble spontanément appeler une réponse affirmative tant il est difficile d’imaginer qu’un moyen relevant d’un cas d’ouverture – 1520, 1°– puisse permettre de contourner la règle de la renonciation pour un autre cas d’ouverture – 1520, 2° (J. Jourdan-Marques, obs. ss Civ. 1re, 4 mars 2020, préc.). Pourtant, la Cour de cassation aboutit justement à la réponse contraire à l’issue d’une lecture scrupuleuse de chacun des termes de la question qui, à bien y regarder, étaient d’un maniement plus complexe qu’il n’y paraissait de prime abord. Pour mieux comprendre la solution, reprenons les deux temps de la réponse que la Cour de cassation oppose à l’arrêt attaqué : d’abord, sur l’irrégularité invoquée (I) ; ensuite, sur l’absence de contradiction dans l’argumentation du demandeur valant renonciation à se prévaloir de cette irrégularité devant le juge de l’exequatur (II).

I. L’irrégularité invoquée

Pour retenir qu’Antrix avait nécessairement contesté la régularité de la composition du tribunal, constitué sous l’égide de la CCI, et ainsi identifier le problème (B), la Cour de cassation rappelle les données de celui-ci, à savoir le caractère pathologique de la clause litigieuse (A).

A. Les données du problème : le caractère pathologique de la clause

Clause pathologique

L’arrêt rapporté commence par énoncer qu’Antrix avait bien invoqué devant le tribunal arbitral l’existence d’une clause d’arbitrage pathologique. L’expression, bien connue, permet de dénommer la clause dont la rédaction défectueuse est susceptible d’entraver le bon déroulement de l’arbitrage. Précisément, peut être considérée comme pathologique « toute clause d’arbitrage qui, de par son libellé, ne peut remplir ses fonctions essentielles », telles que « produire des effets obligatoires pour les parties ; écarter l’intervention des tribunaux étatiques dans le règlement d’un différend, tout au moins avant le prononcé d’une sentence ; donner pouvoir à des arbitres de régler les litiges susceptibles d’opposer les parties et permettre la mise en place d’une procédure conduisant dans les meilleures conditions d’efficacité au prononcé d’une sentence susceptible d’exécution forcée » (F. Eisemann, La clause d’arbitrage pathologique, Revista Brasileira de Arbitragem, Kluwer Law Int’l, 2017, vol. XIV, Issue 53, p. 162). En l’espèce, rappelons que la clause prévoyait que le litige serait soumis à un tribunal arbitral composé de trois arbitres et précisait que la procédure d’arbitrage serait « conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI ».

D’emblée, il apparaît que la difficulté portée à la connaissance du tribunal n’était pas relative au principe du recours à l’arbitrage, la volonté des parties à cet égard étant manifestement acquise. Elle tenait, en réalité, à l’ambiguïté de la double référence aux règlements de la CCI et de la CNUDCI. C’est alors dans l’identification de la nature de l’arbitrage que pouvait être décelée la pathologie : arbitrage institutionnel sous l’égide de la CCI ou arbitrage ad hoc suivant le règlement de la CNUDCI, destiné justement à ce type d’arbitrage. En revanche, il était difficilement probable que les parties aient entendu prévoir un arbitrage ad hoc par référence au règlement de la CCI, sans que celle-ci intervienne en qualité d’administrateur de l’arbitrage. La lettre de la clause ne permet pas de l’exclure avec une certitude absolue, mais si le règlement de la CCI n’est parfois qu’une source d’inspiration, c’est davantage au profit des arbitres (notamment pour régler la question du mode d’évaluation et de fixation des honoraires).

Cela étant dit, il faut reconnaître que le mal qui frappait la clause d’arbitrage était de prime abord relativement bénin. Une conception stricte des maladresses de rédaction affectant les clauses pourrait même dénier à la clause litigieuse tout caractère pathologique puisque son défaut n’était relatif qu’« au choix de la politique contractuelle la mieux adaptée pour trancher le litige », c’est-à-dire, en l’espèce, le choix entre arbitrage ad hoc ou institutionnel (H. Scalbert et L. Marville, Les clauses compromissoires pathologiques, Rev. arb. 1988. 117). Quoi qu’il en soit, la pathologie était curable.

Pathologie curable

Contrairement à ce qu’avait soutenu Antrix devant le tribunal arbitral – on y reviendra –, le caractère pathologique de la clause ne suffisait pas à la rendre inapplicable. La jurisprudence de la Cour de cassation est d’ailleurs claire sur ce point : de telles clauses ne sont pas manifestement inapplicables dès lors que n’est pas constatée « une absence de volonté des parties de recourir à l’arbitrage » (v. not. Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 06-14.107, Bull. civ. I, n° 62 ; D. 2007. 734, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2008. 151, obs. P. Théry ; Rev. arb. 2007. 777, note F.-X. Train ; JCP 2007. I. 168, obs. J. Béguin). Dans la présente affaire, la volonté des parties de recourir à l’arbitrage étant, de toute évidence, bien établie dans son principe, seule la mise œuvre de la clause litigieuse supposait que soit résolue une question préliminaire relative à la nature même de l’arbitrage. Cette clause ne suscitait alors qu’une difficulté d’interprétation de laquelle dépendait néanmoins la régularité de la constitution du tribunal arbitral.

B. Identification du problème : la contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral constitué sous l’égide de la CCI

Conséquences de l’invocation du caractère pathologique de la clause devant le tribunal arbitral

Le premier intérêt de l’arrêt rapporté réside dans la formulation des conséquences naturelles de l’invocation, par Antrix, du caractère pathologique de la clause devant les arbitres. Pour la Cour de cassation, cette invocation « emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel ».

En dépit d’un ton quelque peu péremptoire, il convient immédiatement de se montrer prudent quant à la portée de cette affirmation. On ne saurait, en effet, considérer que l’invocation, par une partie, de toute clause pathologique suscitant une difficulté d’interprétation quant à la nature de l’arbitrage revienne à contester la régularité de la constitution du tribunal. Il est, par exemple, tout à fait envisageable que le choix entre arbitrage ad hoc ou institutionnel, tout comme celui entre deux centres d’arbitrage, n’entraîne aucune répercussion sur la constitution du tribunal si les parties s’accordent sur les arbitres (en ce sens, T. Clay, obs. ss Paris, 28 oct. 1999, Rev. arb. 2002. 176). En l’espèce, ce n’était pas le cas. La solution semble alors trouver sa justification à la fois dans les circonstances de l’espèce et dans la pathologie de la clause.

Au premier abord, le raisonnement de la Cour de cassation n’était pourtant pas si évident. On parvient en vérité à en saisir la logique si, comme la Cour régulatrice, l’on fait abstraction des conséquences que tirait Antrix du caractère pathologique de la clause – son inapplicabilité – et que l’on se cantonne à certaines réalités brutes, concrètes. Ce raisonnement peut être exposé en trois temps.

• Premier temps (prémisses). La clause ne remettait pas en cause le consentement des parties à l’arbitrage, mais soulevait un doute ; elle prévoyait un « arbitrage CCI » ou (exclusif) un « arbitrage CNUDCI ». Ce doute était alors réduit à une alternative binaire : deux règlements possibles, l’un institutionnel, l’autre ad hoc. Le tribunal pouvait donc être constitué en application de l’un d’eux.

• Deuxième temps (constat). En l’espèce, le tribunal arbitral a été constitué suivant le règlement de la CCI.

• Troisième temps (conclusion). Selon la Cour de cassation, lorsque l’une des parties invoque le caractère pathologique de la clause devant ce tribunal précis, cela ne peut se comprendre que comme l’invocation de la seule autre option ouverte par la clause, à savoir la soumission de l’arbitrage au règlement de la CNUDCI, soit la mise en place d’un arbitrage ad hoc. En témoignent les motifs de l’arrêt rapporté qui indiquent que « l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel ». Dès lors que le principe de l’arbitrage n’est pas remis en cause, quel est sinon l’intérêt d’invoquer la pathologie de la clause devant le tribunal constitué par référence à l’un des deux règlements possibles, si ce n’est pour soutenir qu’il n’aurait pas dû être mis en place de cette façon, mais suivant l’autre option ?

Pour se convaincre du raisonnement de la cour régulatrice, transposons-le à une clause, tout à fait imaginaire, prévoyant cette fois une alternative ternaire : l’arbitrage sera conduit suivant le règlement de la CCI ou du CMAP ou de la CNUDCI. Dans cette hypothèse, le deuxième temps ne change pas : le tribunal arbitral a été constitué en application du règlement de la CCI. En revanche, la conclusion est nécessairement différente : l’invocation devant ce tribunal du caractère pathologique de la clause ne revient pas à soutenir que l’arbitrage est exclusivement ad hoc dès lors que l’on peut toujours hésiter entre les deux choix restants : un « arbitrage institutionnel, CMAP » ou un « arbitrage ad hoc, CNUDCI ».

Ainsi, la solution paraît bien dépendre des données de la clause litigieuse. Pour la Cour de cassation, l’invocation de la clause pathologique devant les arbitres emportait, implicitement, mais nécessairement, dans son sillage contestation de la composition de ce tribunal constitué sous l’égide de la CCI. Partant, Antrix ne pouvait être réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge chargé du contrôle de la sentence.

II. L’absence de contradiction valant renonciation à se prévaloir de l’irrégularité 

Pour mettre en échec le jeu de l’article 1466 du code de procédure civile (B), les hauts magistrats retiennent que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur n’était pas contraire à celle qui avait été développée devant le tribunal arbitral (A).

A. L’absence d’argumentation contraire

Dénominateur commun des argumentations : le caractère ad hoc de l’arbitrage

À s’en tenir au raisonnement de la Cour de cassation qui vient d’être examiné, il tombe sous le sens que l’argumentation développée par Antrix devant le tribunal arbitral ne pouvait pas être fondamentalement contraire à celle qu’elle avait présentée devant le juge du contrôle de la sentence. En effet, là où le caractère ad hoc de l’arbitrage était implicitement allégué devant le premier, il était explicitement soutenu devant le second que « la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral ». Présentées différemment, les deux argumentations tendent bien à la même fin : établir le caractère ad hoc de l’arbitrage et ses conséquences sur la régularité de la composition du tribunal arbitral constitué par la CCI.

Précisément, il ressort de l’arrêt d’appel qu’Antrix prétendait devant le juge de l’exequatur « que les organes de la CCI – avec laquelle un contrat d’organisation de l’arbitrage n’aurait pas été conclu –, [n’avaient pas] été investis d’un pouvoir d’administration de l’arbitrage ». L’argument, soit dit en passant, n’était pas aberrant. Le secrétariat de la Cour de la CCI avait indiqué aux parties que la clause compromissoire apportait à son règlement une dérogation substantielle quant aux frais de l’arbitrage, à laquelle Antrix avait expressément refusé de renoncer dans sa réponse à la requête d’arbitrage (v. Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, préc.) En présence de dérogations substantielles, le secrétariat de la Cour d’arbitrage de la CCI a d’ailleurs déjà décidé de mettre fin à la procédure (v. par ex. TGI Paris, réf., 22 janv. 2010, n° 10/50604, D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2010. 576, note J.-B. Racine), cette décision s’analysant en un refus de la contre-offre formulée par les parties (v. C. Jarrosson, Le statut juridique de l’arbitrage administré, Rev. arb. 2016. 445, spéc. nos 14 s.).

En tout état de cause, pour la Cour de cassation, le dénominateur commun des deux argumentations d’Antrix résidait bien dans l’invocation du caractère ad hoc de l’arbitrage, lequel excluait nécessairement la possibilité pour la CCI d’organiser l’arbitrage et, donc, de confirmer ou de désigner les arbitres (sauf à intervenir seulement en qualité d’autorité de nomination, ce qui n’était vraisemblablement pas le cas en l’espèce).

Si cette analyse doit être approuvée, il faut admettre qu’elle n’allait pas nécessairement de soi à la lecture, cette fois, de l’intégralité des termes de l’argumentation développée devant le tribunal arbitral.

Maladresses de l’argumentation développée devant le tribunal arbitral

En effet, Antrix avait soutenu en substance « que la clause compromissoire, en ce qu’elle faisait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique, qu’elle était donc inapplicable sans accord préalable des parties, ce qui privait le tribunal de pouvoir juridictionnel ». L’articulation des conséquences qu’Antrix tirait du caractère pathologique de la clause était à l’évidence maladroite. À cet égard, deux remarques peuvent être formulées.

La première tient à l’utilisation de la notion d’inapplicabilité. Celle-ci laisserait entendre que, pour Antrix, la pathologie rendait impossible l’application de la convention d’arbitrage au litige de sorte que les arbitres étaient privés de pouvoir juridictionnel. Cependant, si l’inapplicabilité peut bien recouvrir les éventuelles carences rédactionnelles de la convention d’arbitrage, il ne s’agit que des cas de clauses pathologiques incurables. On a vu qu’en l’espèce ne se posait qu’une difficulté de mise en œuvre de l’arbitrage et ce n’est pas à la lumière d’une telle difficulté que s’apprécie l’inapplicabilité de la clause (F.-X. Train, note sous Civ. 1re, 20 févr. 2007, préc.).

La deuxième remarque, qui découle de la première, tient au moyen par lequel Antrix arguait du défaut de pouvoir juridictionnel des arbitres : une exception d’incompétence. En raison du recours à la notion d’inapplicabilité, tout porte à croire, a priori, que le moyen d’Antrix ne tendait pas à contester la régularité de la constitution du tribunal, mais seulement à décliner sa compétence. La clause n’étant pas inapplicable, parce que curable, les arbitres se sont logiquement déclarés compétents.

Au demeurant, la problématique que cette argumentation cherchait maladroitement à exprimer soulève, à y regarder de plus près, des questions passablement complexes.

C’est d’abord celle de la compétence arbitrale. On est enclin à se demander si Antrix soutenait véritablement qu’aucun tribunal arbitral n’avait reçu pouvoir de trancher le litige. Le doute est effectivement permis dès lors qu’elle ne contestait pas la compétence des arbitres pour réclamer que le litige soit soumis à une quelconque juridiction étatique. En réalité, il semble qu’en invitant le tribunal arbitral à se prononcer sur une clause dont la pathologie ne remettait pas en cause le principe de l’arbitrage, la société Antrix discutait davantage, non la compétence in abstracto du tribunal arbitral, mais sa compétence in concreto.

Compétence in abstracto et compétence in concreto du tribunal arbitral

Suivant une proposition doctrinale à laquelle nous souscrivons, la compétence arbitrale revêt un caractère ambivalent (v. E. Silva Romero, note sous sentence CCI n° 10671, Clunet 2005. 1275). On peut effectivement parler, d’une part, de contestation de la compétence in abstracto du tribunal lorsque l’existence, la validité ou la portée de la convention d’arbitrage est critiquée. Il en va ainsi lorsqu’une partie prétend que le litige est inarbitrable et soutient, par conséquent, que tout tribunal, ad hoc ou agissant sous l’égide de n’importe quelle institution serait incompétent ; seule une juridiction nationale ne pourrait l’être.

On peut parler, d’autre part, de contestation de la compétence in concreto d’un tribunal arbitral lorsqu’une partie allègue, cette fois, « que le tribunal arbitral désigné par une institution d’arbitrage et agissant sous son égide n’était pas compétent pour trancher le litige, mais qu’un autre tribunal arbitral désigné autrement ou agissant sous les auspices d’une autre institution arbitrale serait tout à fait compétent pour en prendre la responsabilité » (E. Silva Romero, note préc.). Dans cette hypothèse, « une objection in concreto à la compétence d’un tribunal arbitral poserait une question de régularité quant à la composition du tribunal arbitral et non pas, stricto sensu, une question relative à sa compétence » (E. Silva Romero, note préc. ; J.-B. Racine, La sentence d’incompétence, Rev. arb. 2010. 729, spéc. n° 36).

En l’espèce, on est tentés de considérer que telle était bien l’objection formulée par Antrix. Sans remettre en cause la vocation du litige à être arbitré, elle contestait, en définitive, la compétence du seul tribunal désigné par la CCI. D’ailleurs, l’arrêt d’appel révèle que, tant dans sa réponse à la requête d’arbitrage que dans l’acte de mission, Antrix formulait bien une problématique qui contenait en germes des objections à la compétence in concreto des arbitres puisqu’elle critiquait la mise en œuvre du processus de constitution du tribunal sous l’égide de la CCI.

On est alors naturellement conduit à s’interroger sur les raisons de l’évolution de son argumentation aux différents stades de la procédure. Des éléments de réponse ressortent de la quatrième branche du moyen unique qui soutenait la cassation pour violation de l’article 1466 du code de procédure civile : « le fait pour une partie de soulever au cours de la procédure d’arbitrage une première argumentation tenant à la mise en œuvre irrégulière du processus de constitution du tribunal arbitral, puis, une fois cette argumentation écartée par l’organe ayant pris en charge ce processus, une seconde argumentation tenant à l’incompétence du tribunal arbitral désigné en raison du caractère pathologique de la clause compromissoire, ne saurait constituer une contradiction valant renonciation à se prévaloir de l’irrégularité de la composition du tribunal, les deux argumentations ayant été présentées de façon successive et complémentaire à deux étapes différentes de la procédure d’arbitrage » (nous soulignons).

En réalité, la Cour d’arbitrage de la CCI n’avait pas à proprement parler écarté la première argumentation d’Antrix mais s’était bornée à appliquer son règlement d’arbitrage qui, au vrai, ne répondait pas à la problématique soulevée. En effet, si l’article 6.2 autorise la Cour d’arbitrage à se prononcer prima facie sur l’existence d’une convention d’arbitrage visant le règlement pour décider que l’arbitrage aura lieu, c’est seulement si le défendeur ne répond pas ou si « l’une parties soulève un ou plusieurs moyens relatifs à l’existence, à la validité ou à la portée de la convention d’arbitrage » ; autrement dit, des moyens relatifs à la compétence in abstracto du tribunal arbitral (en ce sens, v. E. Silva Romero, note préc.). Ensuite, comme la Cour d’arbitrage de la CCI ne peut préjuger de la recevabilité ou du bien-fondé de ces moyens, elle a renvoyé au tribunal, toujours en application de l’article 6.2, le soin « de prendre toute décision sur sa propre compétence », c’est-à-dire encore vraisemblablement sa compétence in abstracto. Ainsi, sans remettre en cause le principe du pouvoir de la Cour d’arbitrage d’apprécier prima facie l’existence de la clause (sur lequel, v. M. Philippe, « Les pouvoirs de l’arbitre et de la Cour d’arbitrage de la CCI relatifs à leur compétence », Rev. arb. 2006. 591), c’est le fondement textuel par lequel elle avait pu le faire qui posait question dès lors que celui-ci est relatif à la compétence in abstracto de l’arbitre, ce que ne discutait pas Antrix. Il y a là, peut-être, des raisons susceptibles d’expliquer que son argumentation devant le tribunal ait pris une orientation différente.

Sur cette première question de la compétence arbitrale se greffait, ensuite, celle de savoir si le tribunal pouvait être compétent pour apprécier les conséquences du caractère pathologique de la clause sur la régularité de sa composition. En d’autres termes, était-il compétent pour statuer sur sa compétence in concreto ?

Compétence du tribunal arbitral pour statuer sur la régularité de sa constitution

C’était alors poser la délicate question de savoir si le principe compétence-compétence permettait aux arbitres de se prononcer sur la régularité de leur investiture. Les dispositions relatives à ce principe prévues par le règlement de la CCI ou par l’Arbitration and Conciliation Acte indien de 1996 (art. 16), dont Antrix invoquait l’application, ne permettaient pas d’y répondre avec certitude. Dans les deux textes, seule est visée la compétence de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence. En droit français, en revanche, c’est précisément en application de ce principe qu’un arbitre a pu interpréter une clause défectueuse qui, comme en l’espèce, suscitait une difficulté dont dépendait la régularité de sa désignation (P. Fouchard, note sous Paris, 7 févr. 2002, Rev. arb. 2002. 417). Il est en effet acquis de longue date que, « dès l’instant où le tribunal arbitral a été désigné et saisi, c’est à lui et à lui seul de dire, lorsqu’il y a sur ce point une contestation, s’il l’a été régulièrement » (P. Fouchard, préc. ; v. aussi TGI Paris, réf., 30 mai 1986, Rev. arb. 1987. 371 ; Paris, 4 mai 1988, Rev. arb. 1988. 657). Cela tient au fait que le champ du principe compétence-compétence, exprimé à l’article 1465 du code de procédure civile, est particulièrement large en ce qu’il prévoit explicitement que « le tribunal est seul compétent pour statuer sur toutes les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel ».

En l’espèce, ni la Cour de cassation ni la cour d’appel ne semblent remettre en cause que le tribunal était bien compétent pour apprécier les conséquences du caractère pathologique de la clause sur la régularité de sa constitution et donc, finalement, sur l’existence de son pouvoir juridictionnel. C’est heureux, car qui d’autre pourrait l’être ? À l’évidence, il ne pouvait s’agir ici du juge d’appui, le tribunal ayant d’ores et déjà été saisi. Le juge étatique de droit commun internationalement compétent ? Seule une analyse de la régularité de l’investiture en termes de validité du contrat d’arbitre pourrait l’y autoriser (v. T. Clay, Code de l’arbitrage commenté, ss. art. 1465, LexisNexis, 2015), ce qui ne paraît pas opportun. À cet égard, les circonstances de l’espèce fournissaient l’occasion d’effectuer un parallèle intéressant avec la célèbre affaire Neftegaz (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-11.320, Bull. civ. I, n° 58 ; Dalloz actualité, 9 avr. 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 929 ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2936, obs. T. Clay ; Rev. arb., 2013.1007, note M. Audit ; JCP E, n° 24, 13 juin 2013, 1345, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal., 24-25 mai 2013, p. 1783-1784, note M. Foulon et Y. Strickler ; Cah. arb. oct. 2013, n° 4, p. 1049, note A. Mourre et P. Pinsole ; RDC 2013, n° 4, p. 1464, note, Y.-M. Serinet et X. Boucobza ; JCP E n° 47, 2013, p. 1648, obs. J. Orthscheidt ; Procédures juin 2013, p. 17, obs. L. Weiller), par laquelle la Cour de cassation s’était prononcée en faveur de la compétence du juge étatique de droit commun pour statuer sur la mise en péril de la désignation de l’arbitre du fait de l’absence de pouvoir du mandataire qui l’avait nommé ; « à charge pour le tribunal arbitral d’en tirer toutes conséquences juridiques sur la régularité de sa composition ».

Finalement, l’analyse des questions sous-jacentes à la problématique que soulevait Antrix aide à y voir un peu plus clair sur son comportement procédural tout au long de la procédure. C’est d’ailleurs à celui-ci que la Cour de cassation s’est, semble-t-il, montrée sensible pour décider que l’article 1466 du code de procédure civile ne pouvait trouver à s’appliquer.

B. La violation de l’article 1466 du code de procédure civile

Outre le raisonnement conduit par la cour régulatrice, l’autre intérêt de l’arrêt réside dans les enseignements qu’il faut tirer du cas d’ouverture sur lequel il est fondé, c’est-à-dire la violation de l’article 1466 du code de procédure civile (« la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir »), applicable à l’arbitrage international par le renvoi de l’article 1506, 3°, du même code. Rappelons qu’en vertu de ce texte, les parties ne peuvent soulever, devant la cour d’appel chargée du contrôle de la sentence (recours contre l’ordonnance ayant accordé l’exequatur ou recours en annulation), aucun moyen qu’elles se sont abstenues d’invoquer devant le tribunal arbitral, sous la réserve des dispositions d’ordre public auxquelles elles ne peuvent renoncer (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, LGDJ, 2e éd., 2019, spéc. n° 951).

Appréciation téléologique des moyens

La lettre de l’article 1466 implique alors une appréciation des moyens développés tant devant le tribunal arbitral que devant le juge de l’exequatur. En l’espèce, celle qu’a adoptée la Cour de cassation apparaît manifestement téléologique : elle retient en effet que, devant le premier comme devant le second, l’argumentation d’Antrix avait pour finalité de contester la mise œuvre d’un arbitrage institutionnel CCI et, partant, la régularité de la composition et la compétence (in concreto) du tribunal arbitral constitué sous l’égide de cette institution. Sans doute une telle appréciation se justifie-t-elle au regard de la sévérité de la sanction instaurée par ce texte et qu’il est convenu de faire entrer dans la catégorie des fins de non-recevoir (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, préc., n° 245 ; L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, Rev. arb. 1996. 3, spéc. n° 34). Il reste que la position prise par la Cour de cassation interroge au regard de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris en matière de renonciation.

Domaine et portée de la renonciation

On se souvient que, par un obiter dictum remarqué, la cour d’appel (Paris, 2 avr. 2019, préc.) a non seulement précisé le domaine de l’article 1466 : « cette disposition ne vise pas les seules irrégularités procédurales, mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences, à l’exception des moyens fondés sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile », mais aussi sa portée : « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens. En effet, le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres ».

Indépendamment de sa relative technicité, cette solution est certainement conforme à la ratio legis du texte. La cour d’appel cherche en effet à éviter que, sous un cas d’ouverture (par ex. 1520, 1°), une partie puisse tirer du grief effectivement soulevé devant le tribunal (par ex. la nullité de la convention d’arbitrage) un autre grief non développé (par ex. l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage), mais qui entrerait dans ce même cas d’ouverture. Autrement dit, l’objectif est d’empêcher que, suivant un raisonnement par catégorie de moyens, ou en quelque sorte de « proche en proche », le recourant puisse, non sans malice, retomber sur le cas d’ouverture soulevé. D’ailleurs, dans l’affaire qui nous occupe, la cour d’appel avait vraisemblablement fait application de cette jurisprudence pour retenir « que c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales, antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il convient d’apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ».

Pour autant, si elle n’est pas discutable dans son principe, cette appréciation de l’article 1466 présente le risque d’être trop rigide dans certaines hypothèses, voire impraticable. Analysant l’obiter dictum de la cour d’appel, un auteur faisait très justement remarquer que « des discussions pourront émerger quant à l’identité d’un grief soulevé devant le tribunal puis le juge du recours. […] Il ne faut pas interdire à une partie d’affiner son argumentation entre les deux instances, sous peine de tomber dans un formalisme dénué de fondement et parfaitement inopportun » (J. Jourdan Marques, obs. ss. Paris, 2 avr. 2019, préc.). Les dangers de cette approche restrictive ont d’ailleurs déjà été observés s’agissant du contentieux de l’obligation de révélation de l’arbitre (v. not. J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : la fin de la saga Tecnimont, Dalloz actualité, 29 juill. 2019 ; C. Debourg, Obligation de révélation de l’arbitre et obligation de s’informer à la charge des parties : un équilibre encore perfectible, Dalloz actualité, 1er févr. 2019).

Ainsi, en s’attachant à considérer la finalité de l’invocation, par Antrix, du caractère pathologique de la clause, la Cour de cassation réintroduit opportunément une certaine souplesse dans l’application de la règle de la renonciation. En effet, il ne faisait pas de doute que, devant le tribunal arbitral comme devant le juge de l’exequatur, Antrix s’était prévalue d’une catégorie de moyens, à savoir ceux « relevant de la légitimité de l’arbitre pour se prononcer sur le litige », qui relèvent soit du cas d’ouverture de l’article 1520, 1°, soit de celui de l’article 1520, 2° (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales, LGDJ, 2017, spéc. nos 400 s.). Toutefois, en l’espèce, une chose était de déceler l’unique cause des griefs invoqués – le caractère pathologique de la clause –, autre chose était de les identifier et de les formuler concrètement. Devant le tribunal, on a vu qu’Antrix avait maladroitement discuté sa compétence (1520, 1°) au travers du grief tiré de l’inapplicabilité de la clause alors même qu’elle ne revendiquait pas la compétence d’une juridiction étatique, mais celle d’un autre tribunal arbitral, en l’occurrence ad hoc. C’est aussi ce qu’elle discutait in fine au travers du grief tiré du non-respect de la volonté des parties quant aux modalités de constitution du tribunal pour soutenir, devant le juge de l’exequatur, l’irrégularité de la constitution de celui-ci (1520, 2°) et, en définitive, sa compétence par rapport à un autre tribunal.

Est-ce à dire que la portée de la solution de la Cour de cassation pourrait dépasser le cadre de l’espèce ? Ce n’est pas certain. La censure intervient, car l’arrêt attaqué poussait la précision du moyen à un degré d’exigence qui était ici démesuré. La règle de l’article 1466, dont la loyauté est le fondement, implique de retenir l’intention et le comportement du plaideur (v. not. Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 03-20.802, Bull. civ. I, n° 369 ; D. 2006. 2052, obs. X. Delpech ). En l’espèce, son application par l’arrêt attaqué sanctionnait sévèrement davantage une argumentation maladroite plutôt qu’un comportement procédural déloyal. Cette censure s’imposait, au moins en opportunité.

Auteur d'origine: Dargent
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L’Autorité polynésienne de la concurrence aura alimenté les chroniques judiciaires à la suite de la découverte d’une attestation remise par le président de cette autorité à un ancien cadre dirigeant d’un groupe de distribution (groupe Wane) pour son dossier prud’homal contre son ancien employeur, alors qu’une affaire d’abus de position dominante contre cette même entreprise était en cours d’instruction à l’APC.

Le président de l’APC a refusé de donner suite à la demande de récusation formée légitimement par l’entreprise. Saisie d’un recours, la cour d’appel de Paris a, tout en adoptant une motivation très réservée sur le manque d’impartialité du président, qui pouvait être interprétée comme un rappel à l’ordre sévère, considéré qu’en l’absence de texte national ou local relatif à cette autorité administrative, le recours en récusation était irrecevable, dès lors que l’APC n’est pas une juridiction (Paris, ord., ch. 1-7, 1er mars 2019, n° 19/02396, L’actu-Concurrence 75/2019, obs. A. Ronzano).

Le président de l’APC, en dépit de cette incitation, a refusé de se mettre en retrait et a participé à la formation conduisant au fond à la condamnation de l’entreprise entraînant des commentaires critiques de la décision (APC, 22 août 2019, n° 2019-PAC-01, Dalloz actualité, 3 oct. 2019, obs. L. Donnedieu de Vabres-Tranié et F. Veverle ; Concurrences n° 4-2019, art. n° 92404, p. 198-201, obs. J.-L. Fourgoux et art. n° 92578, obs. N. Ereséo).

Pendant l’examen du pourvoi par la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris, saisie d’un sursis à exécution, a fait droit à la demande de l’entreprise condamnée par ordonnance du 16 octobre 2019 avec une motivation sans complaisance sur l’implication du président de l’APC : « des éléments précis permettent d’émettre des doutes sur la pleine impartialité du président de l’APC, qu’il est constant qu’il s’est exprimé publiquement et dans les médias et à plusieurs reprises sur la situation du groupe Wane au cours de l’instruction par l’APC en tenant des propos dépourvus de neutralité, qu’il n’est pas contesté qu’il a fourni une attestation écrite dans le cadre d’un litige prud’homal en faveur d’un cadre qui s’opposait au groupe Wane, qu’il a refusé de se déporter lors de l’audience de plaidoirie devant l’APC du 16 juillet 2019, malgré les recommandations du commissaire du gouvernement et la demande du conseil du groupe Wane, qu’une procédure concernant une requête en suspicion légitime le concernant est toujours en cours » (Paris, ord., ch. 5-15, 16 oct. 2019, n° 19/15773, Dalloz actualité, 6 nov. 2019, obs. F. Venayre ; L’actu-Concurrence 114/2019, obs. A. Ronzano).

L’acharnement du président à conserver sous son contrôle un dossier relatif à une entreprise contre laquelle il a manifesté une hostilité et accepté de remettre une attestation laisse songeur et soulève des interrogations. Cette attitude pourrait traduire une incapacité à comprendre le grief qui lui est fait ou trahir un sentiment de toute puissance l’autorisant à matraquer ce qu’il considère comme un adversaire. Dans tous las cas, cette attitude n’est certainement pas le comportement d’un juge impartial. Cette obstination est malheureusement de nature à ruiner les efforts pour que le droit de la concurrence soit compris, accepté et appliqué sur tous les territoires. Pourtant, comme le rappelle Mme Fricéro en matière de suspicion, le contentieux est somme toute assez peu fourni car « le juge peut également éviter qu’une décision soit prise sur l’incident de récusation en s’abstenant de siéger », l’abstention offrant une garantie déontologique (N. Fricéro, Récusation et abstention des juges : analyse comparative de l’exigence commune d’impartialité, NCCC n° 40, Dossier, Le Conseil constitutionnel : trois ans de QPC, juin 2013).

La censure, prononcée par la Cour de cassation au visa de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, est claire et concise. Elle ouvre la porte au contrôle de l’impartialité des membres de l’APC mais elle va bien au-delà du comportement « folklorique » du président de l’APC et marque une avancée dans le respect des droits de la défense devant les autorités administratives.

Le principe d’impartialité impose de pouvoir demander la récusation les membres de l’APC

L’attendu de principe est exempt de tout doute : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation portée contre elle en matière pénale, matière à laquelle sont assimilées les poursuites en vue de sanctions ayant le caractère d’une punition ». Pour la Cour de cassation, lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction, l’APC est une juridiction au sens des articles 6, § 1er, de la Convention européenne et L. 111-8 du code de l’organisation judiciaire (dont le premier alinéa dispose qu’« en matière civile, le renvoi à une autre juridiction de même nature et de même degré peut être ordonné pour cause de suspicion légitime, de sûreté publique ou s’il existe des causes de récusation contre plusieurs juge »), de sorte que, « même en l’absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction ayant à connaître des recours de cette autorité ».

Si la requête en récusation contre le président est recevable et sera examinée par la cour d’appel de Paris sur renvoi, cela signifie que tous les membres de la formation de jugement sont soumis au même contrôle protecteur et, à notre sens, également les services de l’instruction qui décident des investigations nécessaires pour conduire soit à un non-lieu soit à un renvoi devant la formation de jugement.

Une avancée pour le respect des droits de la défense devant toutes les autorités administratives indépendantes qui disposent de pouvoir de sanction

La formulation générale adoptée par la Cour de cassation renouvelle une jurisprudence désormais bien connue rappelant que les autorités administratives indépendantes (AAI) qui prononcent des sanctions, fussent-elles économiques, doivent se conformer à l’article 6, § 1er, de la Convention européenne. C’est sur la base de ces textes que la participation du rapporteur, qui a procédé aux investigations, et du rapporteur général, sous l’autorité duquel l’instruction a été menée, au délibéré de l’ancien Conseil de la concurrence même sans voix délibérative, a été jugée contraire au principe du droit au procès équitable par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 octobre 1999 (Com. 5 oct. 1999, n° 97-15.617, Bull. civ. IV, n° 158 ; D. 1999. 44 , obs. A. M. ; ibid. 2000. 9, obs. M.-L. Niboyet ; RTD civ. 2000. 618, obs. J. Normand ; RTD com. 2000. 249, obs. S. Poillot-Peruzzetto ; ibid. 632, obs. E. Claudel ). Pourtant l’arrêt concernant l’APC n’élève aucune limite sur les AAI concernées et écarte sans hésitation le fait qu’au regard des dispositions organiques, elles ne constituent pas des juridictions.

Néanmoins, certains regrettent encore l’exigence d’une justice équitable au sens de l’article 6, § 1er, notamment sur la question de l’indépendance entre l’instruction et la phase de jugement. Certes, une telle protection rend plus délicate la gestion des dossiers dans lesquels des échanges pourraient faciliter les négociations avec les entreprises (transaction, engagements). La nouvelle exigence d’impartialité ne pourra pas choquer les commentateurs tant l’indépendance et la neutralité des membres d’une autorité semblent indispensables. C’est donc sur la constitution des collèges et des services d’instruction qu’il importera de veiller à la préservation de l’impartialité et que la prévention des conflits d’intérêts soit rigoureusement vérifiée.

Auteur d'origine: Delpech
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La déchéance du droit aux intérêts est la sanction de droit commun en matière de crédit, tout particulièrement en ce qui concerne le taux effectif global (TEG), du moins en présence d’une erreur supérieure à la décimale (v. par ex. Civ. 1re, 5 févr. 2020, n° 19-11.939, Dalloz actualité, 21 févr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 279 ; RDI 2020. 298, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 145, obs. J. Lasserre Capdeville ) et d’un préjudice causé à l’emprunteur (v. par ex. Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-25.034, Dalloz actualité, 1er nov. 2016, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2016. 2165, obs. V. Avena-Robardet ; AJDI 2017. 126 , obs. J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag ; RDI 2017. 32, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier ). Les deux arrêts rendus par la première chambre civile le 12 juin 2020 le rappellent utilement. Les faits étaient similaires : dans les deux espèces, une banque avait consenti des prêts immobiliers à un couple d’emprunteurs. Invoquant le caractère erroné des TEG mentionnés dans l’offre acceptée, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation de la stipulation d’intérêts, substitution de l’intérêt au taux légal et remboursement des intérêts indus. Ces demandes furent rejetées par les juges du fond, ce qui motiva un pourvoi en cassation. Mais la Cour de cassation rejeta celui-ci en rappelant tout d’abord qu’« il résulte des articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, que l’inexactitude du TEG mentionné dans une offre de prêt acceptée est sanctionnée par la déchéance, totale ou partielle, du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge » (pt 4). Elle considère ensuite qu’« après avoir relevé que les erreurs invoquées susceptibles d’affecter le TEG figuraient dans l’offre de prêt immobilier […], la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que la seule sanction encourue était la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts du prêteur et que les demandes des emprunteurs en annulation de la stipulation d’intérêts, substitution de l’intérêt au taux légal et remboursement des intérêts indus devaient être rejetées » (pt 5).

La solution est parfaitement justifiée, les anciens articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation (respectivement devenus les articles L. 313-25 et L. 341-34) prévoient effectivement que l’offre doit mentionner « la nature, l’objet, les modalités du prêt », ce qui implique naturellement...

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Auteur d'origine: jdpellier

Présenté le 24 juin par les députés Valéria Faure-Muntian et Daniel Fasquelle, le rapport part du constat que le marché des plateformes numériques est concentré depuis autour d’acteurs majeurs, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), dont les pratiques ne sont pas ébranlées par le droit commun de la concurrence qui, à leur égard, a atteint ses limites.

Parmi les vingt et une propositions pour compléter les outils du droit de la concurrence, les rapporteurs souhaitent notamment la mise en place d’une régulation ex ante, qui permettrait d’imposer certaines obligations aux opérateurs de plateformes d’importance primordiale (ou structurantes). Selon eux, c’est au niveau européen qu’un tel régulateur serait le plus efficace. La Commission européenne a en effet initié la réflexion autour d’un Digital Services Act (DSA), qui propose notamment une nouvelle définition des marchés pertinents, et éventuellement la révision des seuils de notification pour les opérations de concentration. Ce DSA pourrait prendre la forme d’un règlement d’application directe et concernerait les plateformes de manière transversale : réseaux sociaux, moteurs de recherche, économie collaborative et publicité en ligne.

Désigner une autorité pilote

Sans calendrier, une telle réforme n’est pas prête de voir le jour. Les rapporteurs estiment qu’une autorité pilote doit donc être désignée comme régulateur au niveau national pour assurer cette supervision. Mais ils ne sont pas d’accord sur l’entité dédiée : Daniel Fasquelle plaide pour confier cette mission à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) en renforçant ses pouvoirs tandis que Valéria Faure-Muntian n’écarte pas l’idée d’une nouvelle autorité de régulation. Dans tous les cas, la démarche première consiste à poser une définition des plateformes numériques structurantes, afin de pouvoir leur appliquer une réglementation spécifique. L’ARCEP, l’Autorité de la concurrence mais aussi la direction générale du Trésor ont planché sur la question. Le faisceau d’indices qui a été établi doit, selon les rapporteurs, permettre au législateur de poser les grands principes de cette définition, puis aux autorités compétentes d’établir une liste nominative des plateformes concernées.

Auteur d'origine: pastor
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Un juge anglais prononce, à la demande d’une société allemande, une mesure de gel des avoirs d’un débiteur néerlandais, parmi lesquels se trouvent des immeubles situés en France. Ce débiteur consent par la suite à sa sœur une reconnaissance de dette ainsi que des hypothèques, avant de vendre ces immeubles à une société, constituée peu de temps auparavant et dont sa sœur détenait 90 % du capital. Il obtient, en définitive, en Angleterre, l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité en application du règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.

Le syndic nommé dans ce cadre est alors autorisé par le tribunal anglais à saisir un juge français en vue de demander que la vente des immeubles à la société et les hypothèques soient déclarées inopposables à la masse des créanciers de la procédure collective ouverte en Angleterre.

Par un arrêt du 24 mai 2018 (Bull. Joly sociétés 2018. 651, note F. Jault-Seseke et D. Robine ; GP 9 oct. 2018, p. 62, note G.C. Giorgini), la chambre commerciale de la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de diverses questions préjudicielles concernant la mise en œuvre, dans cette affaire, du règlement du 29 mai 2000.

Par un arrêt du 4 décembre 2019 (CJUE, 4 déc. 2019, aff. C-493/18, D. 2019. 2349 ; Europe 2020. Comm. 86, obs. L. Idot ; RJDA 3/20, décis. 165), la Cour de...

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Auteur d'origine: fmelin

L’applicabilité du droit de la consommation est conditionnée à la présence d’une relation entre un professionnel et un consommateur, et parfois un non-professionnel, au sens de l’article liminaire du code de la consommation. Encore faut-il que l’opération considérée ne soit pas réalisée à des fins professionnelles. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 mai 2020 met en lumière l’importance de ce critère finaliste en matière de crédit. En l’espèce, par acte authentique du 8 septembre 2000, une banque a consenti un prêt professionnel à un couple d’emprunteurs. Par la suite, suivant actes authentiques des 25 août et 2 octobre 2003, la banque leur a consenti une ouverture de crédit par découvert en compte. Se prévalant d’une créance au titre de ces actes, la banque a engagé une procédure aux fins de saisie des rémunérations de Mme M. Cette dernière a soulevé la prescription de la demande en application de l’ancien article L. 137-2 du code de la consommation (la forclusion biennale de l’article R. 312-35 ne devait pas s’appliquer car elle concerne les seules actions en paiement). La cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 8 janvier 2019, a déclaré la demande de la banque prescrite, après avoir constaté que les actes litigieux avaient été conclus pour les besoins de l’activité professionnelle de M. M., viticulteur, et que Mme M. était étrangère à cette activité. Les juges du fond ont donc retenu que celle-ci, intervenue aux actes en tant que consommateur, pouvait se prévaloir des dispositions prévues par l’article L. 137-2 du code de la consommation.

Ce raisonnement n’a pas trouvé grâce aux yeux de la Cour régulatrice, qui censure l’arrêt au visa de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation : elle rappelle tout d’abord qu’« Aux termes de ce texte, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Il en résulte que cette prescription ne s’applique pas aux actions fondées...

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Auteur d'origine: jdpellier
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L’ordonnnance du 17 juin, prise sur le fondement de la loi 290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-1, s’inscrit dans le prolongement de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 qui prévoyait un assouplissement des règles de la commande publique pendant l’épidémie (v. AJDA 2020. 704 ), certainement insuffisant pour faire de cette dernière un « outil de la relance économique » (v. F. Lichère, La commande publique, la crise sanitaire et la relance économique, AJDA 2020. 1105 ). Elle précise...

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Auteur d'origine: pastor

par Xavier Delpechle 24 juin 2020

Décr. n° 2020-757, 20 juin 2020, JO 21 juin

L’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 a créé, pour une durée de trois mois qui peut être prolongée par décret pour trois mois, le fonds de solidarité en faveur en faveur des très petites entreprises (celle dont le chiffre d’affaires annuel constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 1 million d’euros) qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % de chiffre d’affaires. Cette ordonnance a été modifiée à deux reprises, par une ordonnance du 22 avril (Ord. n° 2020-460 du 22 avr. 2020, JO 23 avr.) puis surtout par une seconde du 10 juin, qui a prolongé la durée du fonds de solidarité jusqu’à la fin de l’année 2020 (Ord. n° 2020-705 du 10 juin 2020, JO 11...

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Auteur d'origine: Delpech

Depuis quelques années, le législateur s’est pris de passion pour certains dispositifs juridiques. Avec l’amende civile et les lanceurs d’alerte, l’action de groupe en a fait partie. Mais cette frénésie législative ne s’est pas faite ressentir dans les palais de justice. 

Un bilan décevant

Action de groupe consommation, santé, discriminations, données personnelles, environnement, logement… Pour les députés, « malgré l’élargissement de son champ d’application, le bilan de cette nouvelle procédure est décevant : seules vingt-et-une actions de groupe ont été intentées depuis 2014, dont quatorze dans le domaine de la consommation, et aucune entreprise n’a encore vu sa responsabilité engagée ». Ainsi, sur les quatorze actions de groupe en consommation, seules trois ont obtenu une issue positive. En santé, il n’y a eu que trois actions, les députés notant que dans plusieurs affaires (Levothyrox, prothèses PIP, Mediator), d’autres voies ont été privilégiées.

Pour expliquer ces chiffres, le rapport avance un aspect préventif : certains secteurs ont supprimé des clauses illégales de leurs contrats. Mais il y a une autre raison à ce bilan décevant : les conditions très restrictives prévues par le législateur.

Selon les domaines, l’action de groupe ne peut être engagée que par une association agrée ou existant depuis cinq ans. Pour encourager les solutions négociées, la loi a également prévue de multiples étapes (mise en demeure préalable, jugement sur la responsabilité, règlement des différends, jugement liquidant les préjudices), qui sont autant d’obstacles. Par ailleurs, les préjudices indemnisables varient considérablement en fonction des domaines. Enfin, la diversité des cadres procéduraux ne favorise pas les actions.

Les deux députés notent que « les actions collectives bénéficient, d’une législation plus favorable que celle des actions de groupe ». Résultat, les actions conjointes, actions en représentation conjointe ou contentieux sériels sont favorisés, certains suggérant même d’introduire en droit interne la procédure allemande « de l’arrêt pilote ». « Cette procédure prévoit d’identifier les contentieux sériels, d’appliquer un traitement prioritaire à un dossier "pilote" tout en prononçant le sursis à statuer d’office dans les dossiers similaires dans l’attente de la décision à intervenir dans le dossier "pilote" », note le rapport. Enfin, l’action pénale est parfois préférée, la preuve étant plus difficile à apporter lors d’un procès civil.

Si le cadre des actions de groupe est si contraignant, c’est parce que le législateur français craignait l’importation des « class actions » américaines et de leurs dérives. Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin nuancent ce modèle américain et rappellent que les honoraires d’avocats y sont désormais contrôlés par le juge. Mais, aux États-Unis, les entreprises se prémunissent dorénavant contre les class actions en insérant dans leurs contrats des clauses compromissoires, qui imposent des arbitrages individuels…

Améliorer la loi française via une directive européenne

Pour favoriser les actions de groupe, les députés suggèrent un cadre procédural rénové et allégé, avec une seule action de groupe civile et une administrative. Pour la mission, les actions devraient permettre la réparation intégrale des préjudices. Ils préconisent aussi d’élargir les qualités à agir des associations et réfléchissent aux coûts lourds qu’elles supportent : lancer une action de groupe est fortement déficitaire. Aussi, les députés souhaitent rénover l’article 700 du code de procédure civile.

Autre piste suggérée par les députés : une application de la procédure de Discovery aux actions de groupe, afin de permettre la production de certaines pièces dont la liste serait strictement limitée (comme l’identité des consommateurs lésés), par une décision motivée du juge.

Ces préconisations pourraient être traduites lors de la transposition de la directive européenne à venir sur les actions de groupe. Le 26 mars 2019, le Parlement européen a approuvé, en première lecture, la possibilité pour les consommateurs de disposer d’un recours collectif européen, en plus des dispositifs de recours nationaux. Fin novembre, le Conseil a adopté une proposition différente et le trilogue se poursuit.

L’action de groupe proposée par la Commission est voisine du modèle français, puisqu’il est prévu deux phases (responsabilité puis indemnisation). Un texte qui, pour la mission, permettrait lors de sa transposition, de refondre l’action de groupe française en mettant en place un socle procédural commun.

Auteur d'origine: babonneau
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Dernièrement, le nouveau médiateur de l’assurance émettait l’avis, ce qu’on pouvait apprendre sur son réseau Linkedin le 4 mai 2020, que la clause d’un contrat d’assurance automobile stipulant comme condition de la garantie le vol par effraction (précisément, la clause stipule que « si votre véhicule était retrouvé sans effraction de nature à permettre sa mise en route et sa circulation (forcement de la direction, détérioration des contacts électriques ou de tout système antivol en phase de fonctionnement), la garantie ne serait pas acquise ») consistait en une limitation des moyens de preuve contrevenant aux dispositions du code de la consommation relative aux clauses abusives. 

Il fondait son avis sur un arrêt ancien de la Cour de cassation (Civ. 2e, 10 mars 2004, n° 03-10.154, Peterle c/ Axa Assurances, Bull. civ. II, n° 101 ; D. 2004. 994, et les obs. ; RDI 2004. 337, obs. L. Grynbaum ; RTD civ. 2005. 133, obs. J. Mestre et B. Fages ). Or cette décision était révolue depuis plus de quinze ans, contredite qu’elle était depuis par une jurisprudence constante (par ex., Civ. 2e, 16 déc. 2004, n° 03-18.232, RGDA 2005, p. 182, note J. Kullmann ; 13 oct. 2005, n° 04-13.048, RCA 2005, n° 365 ; RGDA 2006. 197, note M.-H. Maleville ; 5 avr. 2007, n° 06-15.793 ; 22 oct. 2009, n° 08-19.565, inédit, RCA févr. 2010, n° 51, note H. Groutel ; 9 déc. 2010, n° 09-71.669, inédit ; 16 déc. 2010, n° 09-69.829, inédit. – Pourvoi ou cour d’appel reprenant explicitement l’attendu de 2004, Civ. 2e, 24 mai 2006, n° 04-20.804, RCA 2006, n° 253 ; 19 oct. 2006, n° 05-18.185, RCA 2007, n° 33 ; 14 juin 2007, n° 06-15.670, Bull. civ. II, n° 154 ; RCA 2007, n° 289 ; RGDA 2007, p. 906, note S. Abravanel-Jolly ; 30 juin 2011, n° 10- 23.309, RCA 2011, n° 335, note H. Groutel), pour la bonne raison qu’elle était, le mot venant d’éminents spécialistes du droit des assurances, « aberrante » (J. Bigot (dir.), J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5. Les assurances de dommages, 2017, LGDJ, préf. G. Durry, p. 167, n° 370, in fine). L’explication de cette décision ayant pu jeter le trouble quant à la preuve du sinistre et alimentant les commentaires sur les conventions relatives à la preuve tient peut-être à ce qu’en 2004, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, alors novice, venait de récupérer à cette époque le contentieux de l’assurance (D. Noguéro, Droit des assurances et droit de la preuve, bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 1-64, spéc. p. 54).

On a donc pu légitimement s’interroger quant à savoir si le nouveau médiateur de l’assurance ne recherchait pas à « s’instituer en force rayonnante de la protection du consommateur dans l’assurance et forcer ainsi la main de la haute juridiction, voire du législateur, en provoquant un revirement ou une réforme dans la rédaction des conditions de la garantie en matière de vol sans effraction » (R. Bigot, Le nouveau Médiateur de l’assurance : changement de style et changement de ton, Dalloz actualité, Le droit en débats, 25 mai 2020).

Bien qu’on introduisît notre propos en expliquant qu’on appréciait le changement de style et de ton adopté par le nouveau médiateur, il semble qu’on eût été mal compris, au point de recevoir une réaction virulente, non sans une certaine condescendance (R. Rivais, Le médiateur de l’assurance à la rescousse de ceux qui se font voler leur voiture sans effraction, Le Monde (site Web), 6 juin 2020 ; Assurances et vol de voiture sans effraction, Le Monde, 8 juin 2020), ni une certaine connivence (le médiateur diffusant les papiers sur son réseau le jour de leur parution en indiquant « Merci à Raphaële Rivais de ses encouragements … ».

S’il est bienvenu qu’une certaine presse généraliste s’intéresse au rôle de la médiation de l’assurance depuis peu, il est regrettable qu’elle se méprenne sur le rôle de cette médiation sectorielle – le médiateur « exerce sa mission en toute indépendance et impartialité » (P. Casson, « Le recours amiable », in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, à paraître) – et s’ose à conclure « Pauvre médiateur ! Défendre le consommateur face au lobby des assureurs ne sera pas une sinécure » (R. Rivais, préc.). Le médiateur n’est ni un avocat d’une partie, ni une association de consommateur.

Surtout, il est dommage que Le Monde n’ait pas pu suivre l’actualité juridique jusqu’au bout et analyser l’arrêt du 20 mai 2020 rendue par la Cour de cassation (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239) qui confirme pleinement notre analyse technique (R. Bigot, Le droit en débats, 25 mai 2020, préc.). Dans cette récente affaire, on est dans l’hypothèse classique d’une clause « vol par effraction » et, malgré l’avis du médiateur, la Haute juridiction persiste et signe à appliquer cette condition de la garantie comme étant la loi des parties. Si cela n’a rien de surprenant pour le juriste, et même plutôt apaisant, il est à parier que d’aucuns s’étonneront que les hauts magistrats du quai de l’horloge n’aient pas lu Le Monde avant leur délibéré ! Qu’on se rassure tout de même, les hauts magistrats de la Cour de cassation sont guidés par la doctrine la plus autorisée, unanime en la matière, et qui prend aussi le contrepied de l’avis du médiateur. Les papiers du Monde invitent enfin à revenir sur les réels taux de satisfaction de la médiation sectorielle de l’assurance.

La Cour de cassation persiste et signe malgré l’avis du médiateur de l’assurance !

L’acquéreur d’un véhicule a financé son achat au moyen d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit. Il a fait couvrir sa nouvelle voiture auprès d’une société d’assurances. Puis l’assuré a déclaré le vol avec effraction de ce véhicule à l’assureur. Après expertise, l’assureur a versé à la banque, qui la réclamait en sa qualité de créancier gagiste, une indemnité d’assurance de 20 570 €. Cette somme correspondait à la valeur à dire d’expert du véhicule assuré, diminuée du montant de la franchise contractuelle prévue en cas de vol.

La garantie était subordonnée à l’existence d’une effraction. Précisément, l’article 5.2.2 intitulé « La garantie vol ou tentative de vol » des conditions générales du contrat automobile « Amaguiz » liant l’assuré à l’assureur énonce que « Cette garantie couvre, dans la limite de la valeur de remplacement du véhicule assuré, les dommages résultant de la disparition ou de la détérioration du véhicule assuré à la suite d’un vol ou d’une tentative de vol par : - effraction du véhicule ou des organes permettant la mise en route et la circulation de celui-ci, - effraction du garage privatif clos et ferme ou de l’habitation lorsque le garage est contigu à celle-ci, -1 Menace ou violence à l’encontre du conducteur ou de l’un des passagers, -2 Détournement du véhicule à la suite d’un abus de confiance. Dans le cas d’un véhicule assuré volé et retrouvé après versement de notre indemnisation, et s’il apparaît une absence d’effraction sur le véhicule, vous engagez à nous rembourser le montant de l’indemnisation reçue sauf pour les vols par effraction du garage privatif, par menace, violence ou abus de confiance ».

Cependant, le véhicule assuré a ultérieurement été retrouvé en bon état, sans trace d’effraction. L’assureur s’est donc prévalu d’une clause du contrat d’assurance stipulant en ce cas l’engagement de l’assuré de lui restituer l’indemnité d’assurance reçue. À ce titre, l’assureur a demandé au propriétaire assuré de lui rembourser l’indemnité versée à la banque prêteuse.

Contestant la preuve de l’absence d’effraction, l’assuré a refusé de faire droit à cette demande en remboursement. L’assureur l’a alors assigné en paiement, à titre principal, sur le fondement de cette clause contractuelle, à titre subsidiaire, sur le fondement de la répétition de l’indu et de l’enrichissement sans cause de l’acquéreur du véhicule.

Par un arrêt confirmatif du 13 décembre 2018, la cour d’appel de Douai a débouté l’assureur de sa demande de condamnation de l’assuré au remboursement de la somme de 20 570 €. L’assureur a formé un pourvoi en cassation, à l’appui duquel il a invoqué un moyen unique.

L’entreprise d’assurance a ainsi soutenu qu’ « en application du principe général du droit selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement aux dépens d’autrui, celui qui, par erreur, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers a, bien que non subrogé aux droits du créancier, un recours contre le débiteur ; qu’en l’espèce, comme cela résulte des propres constatations de l’arrêt, en sa qualité d’assureur [du propriétaire du véhicule volé], la société [d’assurances] a payé par erreur de ses propres deniers la dette de celui-ci envers la [banque], qui avait financé l’acquisition du véhicule assuré, croyant que ledit véhicule avait fait l’objet d’un vol par effraction, ce qui justifiait alors l’application de la garantie contre le vol ; qu’en l’absence d’effraction finalement établie, elle ne devait donc pas cette indemnité d’assurance de sorte que [l’assuré], qui a été le bénéficiaire du versement de cette indemnité, s’est trouvé en être le débiteur ; que la société [d’assurances] pouvait donc agir directement contre [l’assuré], dont la dette envers la [banque] avait été opportunément éteinte et qui, bénéficiaire du paiement par la société, avait vu ladite dette acquittée par quelqu’un qui ne la devait pas ; qu’en jugeant le contraire, après avoir retenu que la somme de 20 570 euros n’avait pas été reversée par la [banque] à [l’assuré], la cour d’appel a violé ledit principe et l’article 1303 du code civil ».

Par un arrêt en date du 20 mai 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a censuré, en ce qu’il déboute l’assureur de sa demande de condamnation de l’assuré au remboursement de la somme de 20 570 €, l’arrêt rendu le 13 décembre 2018 par la cour d’appel de Douai (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239).

À cet effet, elle a visé l’article 1371 ancien du code civil, applicable à la cause. Ce texte, en vigueur jusqu’en 2016, prévoyait que « Les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ». Anciennement appelé « l’enrichissement sans cause », ce quasi-contrat est codifié depuis la réforme du droit des obligations sous le nom d’enrichissement injustifié, compte tenu de la disparition de la cause du droit des obligations. Le nouvel article 1303 du code civil dispose qu’« En dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ». Dans notre espèce l’assureur ayant effectué le paiement est le solvens ; l’assuré ayant bénéficié du paiement est l’accipiens. Or le patrimoine de l’accipiens connaissait ainsi un enrichissement injustifié, tandis que celui du solvens connaissait un appauvrissement corrélatif. L’article 1303-1 du code civil prévoit que « L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale ». Il précise que la seule circonstance démontrant que l’enrichissement n’est pas justifié est l’absence de ces circonstances.

La Haute juridiction a tout d’abord rappelé, à propos de la décision d’appel, que « Pour rejeter la demande de l’assureur, l’arrêt retient qu’il est acquis que celui-ci a versé à la banque, créancier gagiste ayant financé l’acquisition du véhicule, une somme de 20 570 euros, et que, pour autant, comme cela a été justement relevé par les premiers juges, aucun élément du dossier ne démontre que cette somme aurait été reversée par la [banque] à [l’assuré] » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239).

Puis les magistrats du quai de l’horloge ont jugé qu’« En statuant ainsi, alors qu’elle retenait que l’assureur ne devait pas sa garantie, et constatait que la banque entre les mains de laquelle il avait versé l’indemnité d’assurance était créancière de [l’assuré], en sorte qu’il avait bien acquitté, par erreur, la dette de son assuré auquel il était, dès lors, en droit de demander restitution de ce paiement, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-12.239).

Cette décision du 20 mai 2020 confirme implicitement mais nécessairement comme une évidence sa jurisprudence constante relative aux contours de la condition de garantie, définie comme une modalité affectant l’obligation de couverture du risque qui se distingue d’une exclusion de garantie s’appliquant à l’obligation de règlement du sinistre (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 400 ; Nécessité du maintien de la distinction entre exclusion et condition de garantie en assurance, D. 2012, chron. 962). Par conséquent, « l’assureur peut valablement décliner sa garantie lorsqu’une condition de garantie n’est pas remplie » (A. Cayol et R. Bigot (dir.), op. cit.).

Dans l’arrêt du 20 mai 2020, non seulement les motivations de la Cour de cassation sont enrichies, mais encore la Haute cour ne fait aucunement appel aux clauses abusives. D’ailleurs, si clause abusive il y avait, le juge aurait dû la relever puis l’écarter d’office (C. consom., art. R. 632-1, al. 2). La relation contractuelle en cause n’étant pas perturbée à l’époque par le Covid-19, aucun aménagement n’était donc justifié (sur la question, v. l’excellente étude d’A. Tadros, Le covid-19 et le droit des contrats, RLDC/181, mai 2020, n° 6787, p. 38 s.).

En définitive, seul le scénario indemnitaire change. On est aussi dans un autre schéma que l’utilisation de la subrogation légale en cas de paiement par l’assureur de la dette d’autrui par le versement de l’indemnité d’assurance (A. Astegiano-La Rizza, Paiement de la dette d’autrui par l’indemnité d’assurance et subrogation légale, LEDA juin 2020, n° 112t2, p. 2). L’assureur, ayant versé l’indemnité à tort au créancier de l’assuré – son banquier –, entend en obtenir le remboursement, et cherche à cet effet à faire simplement respecter les clauses du contrat d’assurance conclu avec l’assuré, ni plus, ni moins. Comme les conditions de la garantie exigées par le contrat d’assurance ne sont pas réunies, en « l’absence d’effraction finalement établie », il n’existe donc pas de dette pour l’assureur, du moins elle est « opportunément éteinte ». Par conséquent, la société d’assurance ne devait pas cette indemnité d’assurance. Indûment bénéficiaire du versement de celle-ci, l’assuré s’est trouvé en être le débiteur. En d’autres termes, seul l’état du contrat d’assurance importe, l’assureur a versé ce qu’il n’aurait pas dû verser. Dans ces hypothèses, même la Sécurité sociale agit en remboursement. Si cette décision contrarie l’avis du médiateur, elle s’inscrit, en plus de la jurisprudence constante, dans la pensée unanime de la doctrine la plus autorisée.

L’unanimité de la doctrine la plus autorisée sur la condition de la garantie « vol par effraction »

À l’unanimité, la doctrine la plus autorisée dissocie le droit de la preuve de la condition de la garantie, tout comme elle dissocie cette dernière des exclusions de garanties, dont le régime diffère.

Dans l’exhaustif traité d’assurances dirigé par le professeur Grynbaum, il est rappelé que la garantie vol ou protection contre la disparition du véhicule « a été longtemps le ”casse-tête chinois” des assureurs car elle est le moyen de fraude le plus naturel d’un assuré malhonnête : nos fleuves et nos rivières regorgeraient de véhicules déclarés volés, en réalité ”malencontreusement abandonnés” par leur propriétaires » (L. Grynbaum (dir.), Assurances 2019-2020, 6e éd., L’Argus de l’assurance, Droit & pratique, n° 3561). Il y est ensuite affirmé, à propos de l’éternelle difficulté de l’effraction, que « dans la plupart des contrats, cette garantie est subordonnée à l’existence d’une « effraction » du véhicule. Faut-il alors considérer que « l’effraction » est une exclusion ou une condition de la garantie ? La réponse ne souffre plus de difficulté : c’est une définition de la garantie et non une clause d’exclusion, elle doit donc être prouvée par l’assuré » (L. Grynbaum [dir.], op. cit., n° 3566).

Les professeurs Lambert-Faivre et Leveneur expliquent que « plus la définition de l’aire contractuelle par la détermination positive des risques garantis est précise, et moins il y a ensuite besoin de stipuler des exclusions conventionnelles de garanties qui risquent toujours d’être déceptives pour l’assuré après un sinistre. Par exemple, si l’objet du contrat est directement défini comme la couverture du vol par effraction, il n’y a pas besoin d’exclure le vol sans effraction comme lorsque l’objet est au départ défini plus largement comme portant sur le vol » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., 2017, Dalloz coll. « Précis », n° 465).

Le recteur Beignier et madame Ben Hadj Yahia relèvent encore que « dans la condition de garantie, il y a une garantie avec restriction, soumise à la réunion de conditions et d’obligations. […] Au stade de l’obligation de garantie, tout repose alors sur la précision des conditions de garantie de l’assureur » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., 2018, Lextenso, LGDJ, nos 493 et 545). Il faut traduire, dans notre espèce, que la restriction de la garantie est l’effraction, dont la preuve est libre…

Dans leur notoire Traité du contrat d’assurance terrestre, les professeurs Groutel, Leduc et Pierre confirment que « si la police garantit le vol par effraction, il n’est pas possible de dire que l’absence d’effraction constitue un cas d’exclusion. Dans l’assurance contre les accidents corporels, les circonstances de l’atteinte à la personne de l’assuré doivent présenter certains caractères (extériorité, soudaineté), et le suicide – lequel, par hypothèse, ne présente pas ces caractères – ne peut être traité comme une exclusion. Dans les deux cas, la charge de la preuve n’a pas à peser sur l’assureur » (H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, LexisNexis, Litec, 2008, n° 467).

Les éminents professeurs Bigot, Kullmann et Mayaux indiquent qu’« afin d’éviter la déclaration des sinistres de faux sinistres, la garantie est subordonnée à certaines circonstances du vol. Selon les cas, celui-ci est garanti s’il a été commis par effraction, usage de fausses clefs, escalade, pénétration clandestine, ces conditions étant alternatives » (J. Bigot [dir.], J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5. Les assurances de dommages, 2017, LGDJ, préf. G. Durry, n° 367). Ces derniers ajoutent que « la clause exigeant l’effraction constitue une condition de la garantie et non pas une exclusion de garantie. En son absence, le vol n’est pas garanti » (J. Bigot [dir.], J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., n° 368).

Les professeurs Chagny et Perdrix précisent que le vol sans effraction est une « délimitation positive » et conventionnelle du risque car « de tout évidence, il importe, tout d’abord, de définir les risques couverts, ce qui s’effectue en référence à un événement aléatoire comme l’incendie, le vol, le décès, la responsabilité civile… Il faut, ensuite, préciser les circonstances des risques et leurs conséquences. Il est possible de délimiter étroitement l’objet du contrat en assujettissant la garantie à une condition, notamment en stipulant l’exigence d’une mesure de prévention telle que l’installation d’un système d’alarme » (M. Chagny et L. Perdrix, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, n° 278). Dès lors, la « qualification de condition s’imposerait lorsqu’est ajouté à la définition de l’objet de la garantie « l’accomplissement de prescriptions ou la réalisation de circonstances ayant un caractère général, en rapport avec le risque assuré » (M. Chagny et L. Perdrix, op. cit., n° 283, citant, H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., n° 465).

À propos de l’arrêt de la deuxième chambre civile du 10 mars 2004 sur laquelle s’appuie le médiateur de l’assurance pour fonder son avis, les professeurs Bigot, Kullmann et Mayaux ont relevé, dans leur dernier volume, numéro 5, de leur fameux traité, que « la condition d’effraction a failli être anéantie par une décision aberrante [nous soulignons] de la Cour de cassation qui, se fondant sur l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (sic), avait jugé que la preuve du sinistre étant libre, ne pouvait être limitée par les clauses de la police. C’était à l’évidence confondre la preuve de la réalité du vol, qui est libre, avec les conditions de la garantie. Fort heureusement, cette solution a été rapidement abandonnée par la Cour de cassation. La plupart des polices actuelles ne se limitent plus à l’effraction et ajoutent à la garantie d’autres circonstances du vol » (J. Bigot [dir.], J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., p. 167, n° 370, in fine).

Au sujet de la solution issue de la décision du 10 mars 2004, là où le professeur Kullmann y avait vu un arrêt « inquiétant » (J. Kullmann, De l’aménagement contractuel de la preuve du vol à la liberté de la preuve du sinistre… la Convention européenne des droits de l’homme à l’assaut du contrat d’assurance, RGDA 2004. 561 s.), le professeur Mayaux ajoute, dans le tome 3 ayant trait au contrat d’assurance, du célèbre Traité de droit des assurances, que l’arrêt « est resté isolé » (L. Mayaux, La couverture des risques, in J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances, t. 3. Le contrat d’assurance, 2014, Lextenso, LGDJ, préf. Durry G., n° 1727, p. 864) et que sa pertinence « est douteuse » (ibid., note 932).

De même, dans la lignée du président Durry (G. Durry, La distinction de la condition de la garantie et de l’exclusion de risque, in Etudes offertes à H. Groutel, LexisNexis, 2006, p. 136), le professeur Noguéro avait commenté, dès la publication de l’arrêt du 10 mars 2004, qu’il traduisait « de fait, une indifférence discrète aux conditions de la garantie, cependant claires et précises, accompagnée d’un usage suspect de la liberté de la preuve » (D. Noguéro, Liberté de la preuve du sinistre ou conditions du jeu de la garantie vol (À propos d’un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 mars 2004) ?, RCA 2004, chron. n° 20, spéc. n° 4-5), mais encore dernièrement en confirmant que « dans l’espèce envisagée en 2004, une confusion a été commise par les juges. Pour la petite histoire, pour la garantie vol de l’automobile, le contrat exigeait classiquement la preuve d’une effraction. Il ne faut pas confondre la liberté de la preuve du sinistre et la preuve des conditions du jeu de la garantie. Ici, la garantie ne couvre pas tous les vols indifféremment, mais un certain type de vol, défini par le contrat. L’effraction peut se prouver librement, mais elle doit être établie ! Sur le fondement de cette décision de 2004, de nombreux pourvois ont pu être formés mais la Cour de cassation est revenue très vite à l’orthodoxie. Il existe un principe général du droit selon lequel celui qui réclame le bénéfice d’un droit doit justifier des conditions d’application, et il n’est pas contraire à l’exigence d’un procès équitable. Au-delà, l’assureur peut exiger des preuves mais ses demandes doivent être pertinentes et mesurées dans la coopération pour cerner le sinistre » (D. Noguéro, op. cit., bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 54).

Enfin, Monsieur Frizon, dernier médiateur de la FFSA, avait rappelé à propos du vol par effraction, dans son dernier rapport 2014-2015, qu’« il convient de distinguer la preuve du fait, qui est libre, de celle du sinistre, qui ne l’est pas. Il ne faut pas en effet confondre le fait, le vol, et le sinistre qui n’est autre que le fait dommageable de nature à engager l’assureur. Ainsi, l’assuré devra prouver d’une part, l’existence du fait, par tous moyens, et d’autre part, que ce fait est dommageable et qu’il entre bien dans les prévisions du contrat » (Rapport annuel du Médiateur de la FFSA 2014-2015, p. 11). En outre, « cette exigence de preuve de l’effraction est justifiée au regard des tentatives de fraude de la part des assurés » même si dans mon rapport de 2012, j’avais affirmé que « Force est de constater qu’il y a plus de fraudes soupçonnées que de fraudes avérées » (Rapport, préc., p. 12).

En définitive, le médiateur se positionne seul contre tous, avec néanmoins une journaliste du quotidien Le Monde derrière lui ! Le papier fait un usage suspect des statistiques et en tire des conclusions hâtives, sur lesquelles des précisions méritent d’être apportées.

Retour sur les réels taux de satisfaction de la médiation sectorielle de l’assurance

D’aucuns s’étonneront des chiffres avancés, sans source citée, et qui ne sont pas le reflet de la réalité objectivée.
La journaliste du Monde affirme ainsi que l’ancien médiateur de l’assurance « était considéré, par la Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation, comme trop proche des professionnels, pour avoir, depuis 2017, émis plus de 70 % d’avis favorables au point de vue des assureurs, plutôt qu’à celui des consommateurs (76 % en 2017, 72 % en 2018 et 75 % en 2019). Certes, il n’existe pas de norme en la matière, mais la plupart des médiateurs ont un taux de 60 %, voire 50 % » (R. Rivais, préc.). Soulignons la contradiction de cette dernière phrase : il n’y a pas de norme mais on en cite quand même une en référence, qui plus est, sans source !
On retrouve certes les premiers chiffres de 76 % en 2017, 72 % en 2018 quand on se reporte au rapport de la médiation de 2018 (La Médiation de l’assurance, Rapport d’activité 2018, p. 87) mais aucunement ceux de « 60 %, voire 50 % ». Il est oublié de rappeler, surtout, qu’il est précisé dans ce rapport que « 99,5 % des propositions de solution ont mis fin au litige » (op. cit., p. 88).

D’aucuns pourront être surpris de l’amalgame et des reproches de proximité faits à l’ancien médiateur avec les professionnels, compte tenu du beau parcours du nouveau médiateur, exclusivement chez les professionnels de l’assurance depuis 20 ans : « ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA) et diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il a débuté sa carrière au ministère de l’Économie et des finances où il a beaucoup travaillé sur les questions européennes. Il a notamment été le conseiller de Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius au moment du passage à l’euro. Il entre dans le secteur de l’assurance en 2001 en rejoignant le réassureur SCOR au poste de Secrétaire général et Directeur juridique, puis membre du Comité exécutif de SCOR VIE. En 2006, il devient directeur général adjoint de la MATMUT, supervisant notamment les fonctions juridiques et de gouvernance du Groupe. En juillet 2014, il est nommé Secrétaire général du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA), avant de devenir en juillet 2016, lors de la fusion du GEMA avec la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA), Délégué général de la nouvelle Fédération française de l’assurance (FFA), chargé des métiers et des questions économiques et statistiques » (https://www.mediation-assurance.org/Le+Mediateur). Comparaison n’est pas raison.

Ensuite, pour l’historique des statistiques, on trouvait déjà en 2003 plus de 70 % de sociétaires insatisfaits (Rapport annuel du Médiateur des mutuelles du GEMA 2003, p. 2).

On relève encore dans le rapport du médiateur du GEMA de 2014, avant l’ancien médiateur attaqué pour sa proximité avec les assureurs, les mêmes ordres de grandeur comme l’explication, et jamais 50 % de satisfaction des assurés comme avancé par la pigiste. Ainsi, « au cours de l’exercice 2014, le médiateur a été amené à confirmer la position de l’assureur dans 73% des cas, soit 436 dossiers (contre
75% et 446 dossiers en 2013 et 60%, soit 58 dossiers, en 2005).
Parallèlement, le nombre de dossiers dans lesquels une satisfaction partielle a été donnée à l’assuré s’élève à 102, soit 17% (exactement de même que l’année précédente, et 27%, soit 26 dossiers, en 2005), et une satisfaction totale dans 59 dossiers, représentant 10% des avis rendus (8%, soit 48 dossiers, en 2013, 13%, soit 13 dossiers, en 2005). Depuis la forte augmentation de saisines en 2010-2011, on note également une dégradation de la satisfaction partielle ou globale. Contrairement à ce que peuvent affirmer certains assurés qui ont pourtant recouru à la médiation, avant de voir leur réclamation rejetée, une majorité d’avis rendus en faveur des mutuelles ne signifie aucunement qu’il existe une quelconque collusion entre les assureurs et le médiateur, qui obligerait ce dernier à rendre un certain nombre d’avis avec tel ou tel résultat. Le médiateur rappelle une nouvelle fois sa totale indépendance, et insiste sur le fait que s’il existe une majorité de cas dans lesquels l’assuré ne trouve pas satisfaction, cela reflète une position fondée de l’assureur dans la plupart des cas au regard des règles applicables. Pouvoir faire valoir une réclamation ne signifie pas pour autant qu’elle est systématiquement bien fondée. De tels chiffres sont à examiner sur la durée. Depuis quelques années, on retrouve les mêmes ordres de grandeur. Si la satisfaction totale ou partielle a baissé par rapport à l’origine de la médiation, cela s’explique déjà par le fait que, depuis 1988, les mutuelles se sont organisées et que, dès lors, nombre de réclamations justifiant un accueil favorable sont satisfaites avant toute saisine du médiateur national. Et c’est heureux ! En outre, on peut évoquer la perception de la médiation comme une voie de la dernière chance, y compris avec un dossier particulièrement faible. Et dans ce genre de dossiers le médiateur n’a d’autre choix que de rejeter la demande » (Rapport annuel du Médiateur des mutuelles du GEMA 2014, pp. 23-24).

Du côté de la FFSA, il y a une symétrie des chiffres et de l’explication donnée par le GEMA : « La formalisation d’un avis par le médiateur – 985 en 2014 – implique qu’aucune solution n’a été trouvée, ni dans le cadre des procédures internes à l’entreprise, ni lors de la phase d’instruction du dossier. La plupart des dossiers trouve une issue satisfaisante avec l’assistance des services de la médiation dans une phase de ce que l’on peut appeler pré-médiation, avant que le médiateur ne soit contraint d’adresser un avis formalisé aux parties. Ces règlements avant avis formalisé sont les plus fréquents, et de loin, près de 6 695 cette année. Ils peuvent prendre diverses formes : échanges de courriers, de courriels, échanges téléphoniques, réunions, toutes formules qui permettent au médiateur de faire part de ses préconisations. J’invite alors l’entreprise concernée à concrétiser l’accord intervenu. Ce n’est qu’en cas de persistance du conflit que l’avis formalisé est adressé à chacune des deux parties en cause. L’expédition de l’avis met fin à la médiation, sauf élément nouveau » (Rapport annuel du Médiateur de la FFSA 2014-2015, p. 47). À ce titre, 72 % des avis étaient défavorables au réclamant en 2014, 69 % en 2015 (op. cit., p. 48).

En conclusion, s’agissant du médiateur de l’assurance, son rôle est d’être indépendant et impartial, lorsqu’il émet ses avis, au cas par cas. Il ne peut s’ériger en défenseur de l’une des parties qui lui soumet un litige, même si sa cause est des plus légitimes. Il y a des institutions marquées pour cela, par exemple le défenseur des droits (J.-M. Pastor, Le dernier rapport de Jacques Toubon à la tête du Défenseur des droits, Dalloz actualité, 9 juin 2020 ; V. Brengarth, Le Défenseur des droits, vigie indispensable mais injustement ignoré, Le droit en débats, 25 mars 2019).

En ce qui concerne le problème de la preuve de l’effraction, deux voies de progrès sont envisageables. Cependant, elles ne relèvent pas de la compétence du médiateur, mais plutôt de celle du législateur. Tel que l’avait préconisé Monsieur Frison, « en présence d’un litige qui se cristalliserait autour de la preuve de l’effraction, j’invite les sociétés d’assurance à faire appel à un expert spécialiste des systèmes électroniques qui sera à même, en l’absence de traces apparentes, de déceler une éventuelle effraction électronique des systèmes antivol » (Rapport annuel du Médiateur de la FFSA 2012, p. 21), en premier lieu le législateur serait éclairé en imposant aux assureurs de recourir à des experts qualifiés, inscrits sur des listes agréées, dans de telles situations, voire de recourir à une présomption légale. En second lieu, solution plus radicale, le législateur pourrait imposer une clause-type dans les contrats d’assurance automobile, instituant systématiquement le vol sans effraction, au risque de bouleverser l’économie du contrat d’assurance, de modifier le comportement de l’assuré en l’incitant à la fraude (R. Bigot, La fonction normative
 de la responsabilité civile
et le comportement de l’assuré, RGDA, mai 2020, n° 5, p. 14 s.) et d’augmenter les primes déjà élevées de cette assurance de biens.

Auteur d'origine: Dargent

Parmi les conséquences imprévues de la crise sanitaire liée au coronavirus, figure le nécessaire assouplissement des règles relatives à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer. Ces produits, pour rappel, peuvent bénéficier d’un signe d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) : appellation d’origine protégée (AOP), indication géographique protégée (IGP), label rouge, etc. (C. rur., art. L. 640-2). Or, cette reconnaissance est liée à la soumission à un cahier des charges, élaboré par un organisme de défense et de gestion, nécessaire pour assurer la qualité et l’homogénéité du produit (C. rur., art. L. 642-1). En raison des mesures prises contre la propagation du virus covid-19, les conditions de production du cahier des charges de plusieurs produits bénéficiant d’un SIQO ont été temporairement modifiées.

Une telle modification est d’ailleurs expressément envisagée par le code rural et de la pêche maritime. Selon l’article L. 642-4 de ce code, « [à] titre exceptionnel et pour répondre à une situation de crise économique grave sur le marché et au sein d’une filière, les ministres chargés de l’agriculture et de la consommation ainsi que, le cas échéant, du budget, peuvent, après avis de l’Institut national de l’origine et de la qualité [INAO] et pour une durée déterminée, prendre toute disposition utile modifiant une condition de production d’un produit sous signe d’identification de la qualité et de l’origine de la filière concernée ». L’article D. 641-20-2 du même code ajoute que cette modification est soumise pour adoption au comité national compétent de l’INAO et qu’elle doit être approuvée par un arrêté des ministres chargés de l’agriculture et de la consommation.

Toute une cohorte d’arrêtés a ainsi été publiée dans les Journaux officiels de ces derniers jours. Ils concernent aussi bien des AOP (par ex. le fromage « Valençay » [Arr. 9 avr. 2020, JO 12 avr., texte n° 21] ou la « Volaille de Bresse » [Arr. 9 avr., JO 11 avr., texte n° 17]), des IGP (par ex. l’« Agneau de Sisteron » [Arr. 9 avr. 2020, JO 12 avr., texte n° 32] ou le « Thym de Provence » [Arr. 9 avr. 2020, JO 12 avr., texte n° 35]), que des labels rouges (par ex. les labels rouges n° LA 01/11 « Bar d’aquaculture marine » [Arr. 9 avr. 2020, JO 12 avr., texte n° 30] et n° LA 02/18 « Pomme de terre primeur » [Arr. 9 avr. 2020, JO 12 avr., texte n° 31]). Nul doute que d’autres arrêtés suivront dans les prochains jours.

À titre d’exemple, un arrêté du 9 avril 2020 (JO 12 avr., texte n° 33), pris sur proposition de la commission permanente du comité national des indications géographiques protégées, labels rouges et spécialités traditionnelles garanties de l’INAO, modifie temporairement – à compter du 31 mars 2020 et jusqu’à six mois après la levée des mesures générales prises pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire – le cahier des charges de l’IGP « Bulot de la baie de Granville ». Il prévoit que le délai de première vente à un intermédiaire de la filière (mareyeur ou cuiseur) est fixé pendant la durée qu’il prévoit à 24 heures maximum après la débarque, alors que ce délai, en temps normal, est de 16 heures maximum.

Auteur d'origine: Delpech
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Depuis quelques années, la Réserve fédérale des États-Unis (FED), pour les États-Unis, ainsi que la Banque centrale européenne (BCE), pour l’Union européenne, pratiquent des taux d’intérêt négatifs afin de relancer la croissance. Cette figure n’a pas manqué d’intéresser la doctrine juridique tant il est vrai que le résultat auquel elle aboutit est pour le moins curieux : le prêteur est en effet amené à rémunérer l’emprunteur (v. à ce sujet J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 1644 ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 230 ; v. égal. F. Aucktenthaler, Taux d’intérêt négatif : le monde à l’envers, RD banc. fin. 2016. Étude 33 ; A. Ghozi, Contrat de prêt de somme d’argent : l’intérêt négatif en débat, D. 2017. 965 ; R. Libchaber, Le travail du négatif en droit : la question de l’intérêt dans le prêt, RDC 2017. 446 ; D.R. Martin, De l’intérêt, Banque et dr., hors-série, 2016-26). Les juges du fond avaient déjà eu l’occasion de se prononcer sur la validité de ce « monstre contractuel », pour reprendre l’expression d’un auteur (R. Libchaber, art. préc.), en se montrant tantôt favorables (v. Chambéry, 2e ch., 6 déc. 2018, n° 17/01697 ; Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 8 mars 2017, n° 16/00309 ; TGI Strasbourg, 5 janv. 2016, n° 15/00764, RTD com. 2016. 825, obs. D. Legeais ; TI Montpellier, 9 juin 2016, n° 11-16-000424) tantôt défavorables (v. TGI Thonon-les-Bains, 30 nov. 2016, n° 16/00506). C’est à présent la première chambre civile qui se prononce sur cette pratique dans un arrêt du 25 mars 2020. En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux prêts immobiliers, à des taux stipulés variables en fonction de l’évolution du Libor 3 mois. Contestant les taux d’intérêt appliqués par la banque, les emprunteurs l’ont assignée aux fins de voir appliquer aux deux prêts le taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris en cas d’index négatif.

La cour d’appel de Besançon, dans un arrêt du 10 juillet 2018, a considéré que la banque devait appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs. Pour ce faire, elle retient que les deux prêts étant stipulés à un taux d’intérêt initial, l’un de 2,15 % et l’autre de 1,80 % l’an, variables à la hausse comme à la baisse, les parties se sont accordées pour que ces intérêts soient à la charge de l’emprunteur et non du prêteur, et que la banque, en proposant des taux d’intérêt variables à la hausse comme à la baisse, et les emprunteurs en y souscrivant, ont accepté le risque inhérent à cette variation, mais que le respect des contrats litigieux impose que, pour les deux prêts, soit appliqué un tel taux d’intérêt à condition que, sur l’ensemble du remboursement de chaque prêt, les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00 %.

Le raisonnement est censuré par la Cour de cassation, au visa des articles 1902, 1905 et 1907 du code civil, et L. 313-1 du code monétaire et financier : les hauts magistrats considèrent tout d’abord que « constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne. Dans un contrat de prêt immobilier, l’emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n’ont pas entendu déroger aux règles du code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d’une quelconque rémunération à l’emprunteur » (pt 4). Ils en déduisent qu’« en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a admis l’éventualité d’intérêts mensuellement négatifs, alors qu’il résultait de ses constatations que les parties n’avaient pas entendu expressément déroger aux règles du code civil, a violé les textes susvisés ». L’arrêt est donc cassé mais seulement en ce qu’il dit que la banque « doit appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif mensuellement, mais dans la limite de 0,00 % sur l’ensemble du remboursement desdits prêts ».

De prime abord, la solution semble justifiée : d’une part, l’article 1902 du code civil prévoit que « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu ». Or, dans un prêt à taux négatif, l’emprunteur rembourse, par hypothèse, une somme inférieure à celle qu’il a reçue, ce qui est contraire à ce texte. D’autre part, le prêt à intérêts, régi par les articles 1905 et suivants du code civil, est, par définition, un contrat à titre onéreux pour l’emprunteur (comp. G. Cattalano-Cloarec, Le contrat de prêt, préf. G. Loiseau, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 564, 2015). Au demeurant, le code monétaire et financier définit l’opération de crédit comme étant à titre onéreux (il existe pourtant des crédits gratuits auxquels le code de la consommation consacre d’ailleurs certaines dispositions, C. consom., art. L. 312-41 s.). L’essence de ce contrat se trouverait donc contrariée par l’éventualité d’un taux d’intérêt négatif, qui transformerait l’opération en dépôt (v. en ce sens H. Synvet, obs. ss TGI Thonon-les-Bains, 30 nov. 2016, D. 2017. 2178  : « Si la rémunération est due par celui qui remet l’argent ou la chose, ce n’est plus un prêt, mais un dépôt »). C’est d’ailleurs l’argument qui a fait mouche aux yeux de la Cour de cassation, le moyen énonçant que « le contrat de prêt conclu avec une banque est par nature un contrat à titre onéreux de sorte que le taux d’intérêt ne peut devenir négatif et obliger le prêteur à rémunérer, même temporairement, l’emprunteur ».

Toutefois, comme l’avait parfaitement jugé la cour d’appel de Colmar, « l’appréciation du caractère onéreux du contrat ne peut se faire que sur la durée totale du prêt, et le fait que durant un certain temps le taux d’intérêt soit négatif, n’a pas pour effet d’annuler le caractère onéreux du prêt » (Colmar, 8 mars 2017, préc.). En outre, et plus fondamentalement, la solution retenue par la Cour de cassation est difficilement justifiable eu égard à la liberté contractuelle (C. civ., art. 1102) et à la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1103), qui doivent autoriser les parties à prévoir des clauses d’indexation, celles-ci devant jouer tant à la hausse qu’à la baisse (v. en ce sens R. Libchaber, art. préc.). C’est d’ailleurs ce que décide la Cour de cassation en matière de baux (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681, « est nulle une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse ; qu’ayant relevé, par motifs adoptés, que la clause excluait, en cas de baisse de l’indice, l’ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle en fonction de la variation de l’indice publié dans le même temps, la cour d’appel, qui a exactement retenu que le propre d’une clause d’échelle mobile était de faire varier à la hausse et à la baisse et que la clause figurait au bail, écartait toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l’indexation, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision »). La stipulation d’un plancher est en revanche envisageable, ce que les établissements bancaires ne manquent pas de faire aujourd’hui (v. en ce sens D. Legeais, op. cit., n° 230), raison pour laquelle le contentieux devrait se tarir en la matière.

Auteur d'origine: jdpellier
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Le cadre législatif général relatif aux services numériques, « fournis, par voie électronique, à distance, à la demande de l’utilisateur » contre rémunération (v. dir. [UE] 2015/1535, 9 sept. 2015, art. 1er, b), repose sur la directive Commerce électronique 2000/31/CE du 8 juin 2000. Il est globalement resté inchangé depuis vingt ans, hormis quelques adaptations sectorielles. L’essor des plateformes en ligne l’a rendu obsolète, ou à tout le moins inefficace pour appréhender les problématiques soulevées par ces acteurs économiques. Annoncé par la présidente van der Leyen dans ses orientations politiques (p. 15) et précisé par la Commission européenne dans la communication « Façonner l’avenir numérique de l’Europe » du 19 février 2020, le paquet « Digital Services Act » doit moderniser ce corpus.

La consultation ouverte le 2 juin porte principalement sur les deux piliers du Digital Services Act :

• proposer des règles pour faire face aux risques auxquels sont confrontés les utilisateurs et protéger efficacement leurs droits : quel régime de responsabilité pour les intermédiaires en ligne, quelle gouvernance pour les marchés des services numériques ?

• proposer des règles ex ante pour remédier aux déséquilibres sur ces marchés. Il s’agirait de créer un statut de « gardien » (gatekeeper) visant les grandes plateformes, celles qui fixent les règles du jeu pour les utilisateurs et pour leurs concurrents. À noter que parallèlement, la Commission consulte sur une réforme plus globale du droit de la concurrence.

La consultation sur le Digital Services Act concerne également d’autres questions émergentes : la situation des travailleurs indépendants, la publicité en ligne, les « contrats intelligents ».

Chacun peut contribuer jusqu’au 8 septembre. Des propositions seront publiées d’ici la fin de l’année. Elles compléteront utilement le Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019, applicable à partir du 12 juillet, promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne (v. F. Sabrinni, La notion de plateforme au cœur des nouvelles relations entre professionnels, RTD com. 2020. 215 ).

Auteur d'origine: nmaximin

Les requêtes soulevées jeudi 4 juin devant le juge du référé-suspension du Conseil d’État, en premier ressort car, s’agissant d’actes à portée réglementaire, le tribunal administratif de Paris, d’abord saisi, s’est déclaré incompétent, portent sur trois décisions prises par la ligue de football professionnel (LFP) : l’interruption du championnat de ligue 1 et de ligue 2, la décision de figer le classement après vingt-huit journées de championnat ; la décision de reléguer les deux dernières équipes de ligue 1 en ligue 2, et de promouvoir les deux premières équipes de ligue 2 en ligue 1.

La condition d’urgence ne faisant pas de débat, il a été longuement débattu (trois heures) de la légalité de ces décisions. La première est attaquée uniquement par l’Olympique lyonnais (OL). En préliminaire, l’avocat de l’OL précise que, figé à la septième place du championnat, le club sera privé de compétition européenne pour la première fois depuis vingt-cinq ans. En découle un préjudice financier important, lié au sponsoring et à la perte de droits télévisuels, notamment. En réponse à cette introduction, l’avocat de la LFP souligne que les chances de l’OL de participer à la ligue des champions (LDC) étaient déjà très minces (« combien de championnats se sont joués dans les derniers instants ! », lui sera-t-il répondu), et qu’au vu des contraintes sanitaires, il ne serait pas possible de reprendre le championnat avant mi-juillet, ce qui créerait « un désordre considérable pour l’ensemble du football professionnel. Le remède proposé par l’OL est bien pire que le mal qu’il conteste ». Là-dessus, le président de l’OL, Jean-Michel Aulas, a cité les autres championnats européens en cours de reprise, affirmant que, « oui, c’est possible », après avoir rappelé combien il était un homme avisé, expérimenté, un chef d’entreprise important, au contraire de son interlocuteur de la LFP. C’est donc possible, selon M. Aulas, et ça ne l’est pas, selon son contradicteur.

La décision attaquée : « On a le sentiment, dit le juge, que le conseil d’administration de la ligue a cru devoir acter la fin du championnat, compte tenu des décisions gouvernementales. Quelle est la part de responsabilité de chacun ? » L’avocat de l’OL : « Je ne crois pas qu’une déclaration par un premier ministre, devant l’Assemblée nationale, tienne lieu de décision (dont la portée serait réglementaire) et, si tel est le cas, le vice de compétence est évident. » Le directeur de la LFP, Didier Quillot, a tenu à reprendre les faits ayant conduit à cette décision. Après la déclaration d’Édouard Philippe, disant que les championnats ne pourraient pas reprendre, le conseil d’administration, en date du 28 avril, a décidé d’arrêter les championnats, « à l’unanimité ». Le 30 avril, le diffuseur « prend acte de la déclaration du premier ministre » et décide de « résilier définitivement le contrat ». Le même jour, le conseil d’administration prend la décision de figer le classement, qui désigne un champion (le PSG), ceux qui joueront les coupes européennes, et prononce la relégation d’Amiens et de Toulouse en ligue 2. Didier Quillot explique au juge le déroulé : « C’était la volonté de la ligue de reprendre le plus tôt possible, et nous avions arrêté un calendrier de reprise, mais, la situation sanitaire se dégradant, la reprise a été repoussée, jusqu’à envisager une reprise le 17 juin, pour finir le 2 août. » Pourquoi ne pas commencer la saison suivante plus tard ? « Cela aurait nui aux diffuseurs, car des matchs auraient dû être joués en semaine », ce qui rapporte « moins de public, donc moins d’argent ». Mais ce scénario évolutif a été arrêté par la déclaration du premier ministre, par les éléments de la crise sanitaire », en vigueur à ce moment-là.

« La rétrogradation d’Amiens permet-elle de lutter contre le covid-19 ? »

C’est l’avocate de Toulouse qui ouvre les débats sur la deuxième question : pourquoi avoir décidé d’arrêter le championnat, pourquoi ne pas l’avoir annulé ? Elle dénonce le caractère selon elle « rétroactif » de la décision réglementaire, ce qui est illégal. La LFP met en avant des circonstances exceptionnelles, mais cette théorie, dit-elle, « suppose de ne pas avoir le choix, de ne pas pouvoir prendre une autre décision. Et, selon elle, cette décision ne s’imposait pas : « Quand on a joué 75 % d’un championnat, le championnat n’est pas joué. » L’avocat du club d’Amiens, troisième et dernier requérant, rejoint cette analyse. « En quoi les circonstances exceptionnelles justifient-elles ces mesures ? La rétrogradation d’Amiens permet-elle de lutter contre le covid-19 ? » L’OL abonde : « C’est ce qui a été retenu dans les autres sports. Dès lors qu’on ne peut pas finir dans les règles, on annule tout, car toute autre méthode introduit un biais qui pose un problème d’équité sportive. » L’avocat remet en question la compétence du conseil d’administration pour prendre une telle décision qui, selon sa lecture, porte sur le format du championnat (et non sur le calendrier), et relève donc de la compétence de l’assemblée générale de la LFP. L’avocat de la LFP conteste le caractère rétroactif de la décision. Puis : « En quoi la saison blanche est-elle plus respectueuse de l’application normale des règles du championnat ? », questionne l’avocat, qui estime que, sur le plan de la sécurité juridique, cette décision n’aurait pas été plus satisfaisante que celle qui a été prise.

C’est dans les mêmes termes que le débat sur la troisième question, celle de la relégation (d’Amiens et de Toulouse), a été mené. « Le sport interdit de changer les règles du jeu en cours de championnat », a dit l’avocate du club Toulouse football club. « À l’illégalité de la décision s’ajoute l’injustice », témoigne le président de la métropole d’Amiens, qui a beaucoup investi dans le club, et craint de ne pouvoir maintenir une activité économique à la hauteur de ses investissements. « C’est une décision précipitée, prise sur un motif faible, dans une situation juridique qui est un néant absolu », attaque l’avocat du club d’Amiens. Il plaide la possibilité d’organiser un championnat 2020-2021 dans des conditions différentes, notamment en accueillant les deux promus sans reléguer Amiens et Toulouse, soit une saison à vingt-deux au lieu de vingt. Impossible, dit la ligue, de remettre en cause le format du championnat. Impossible, dit-elle également, de jouer les championnats d’Europe avec les mêmes équipes que l’année précédente, l’UEFA l’interdit. En somme : « On a agi avec pragmatisme et dans le sens de l’intérêt général », dit la LFP.

La décision sera rendue en début de semaine prochaine.

Auteur d'origine: Bley
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La société Marbrerie des Yvelines (société MDY) fabrique et commercialise des plans de travail en marbre, granit et pierre naturelle et en quartz de synthèse. Soupçonnant ce dernier matériau d’être dangereux pour la santé de ses employés, la société MDY a fait réaliser une étude par l’Institut de recherche et d’expertise scientifique de Strasbourg (IRES) qui a rendu deux rapports confirmant la présence de composants dangereux dans le quartz de synthèse. La société MDY a alors publié sur son site internet et sur les réseaux sociaux de son dirigeant (Twitter, blog) les résultats de ces rapports. Mais ce n’est pas tout, puisque la société a également lancé une alerte auprès du magazine 60 millions de consommateurs en affirmant que ce matériau était dangereux pour la santé, non seulement lors du façonnage, mais aussi « lors de l’utilisation quotidienne en cuisine ».

La réaction de l’association World-Wide (W-W) n’a pas tardé. Cette dernière, dont le but est précisément de promouvoir l’utilisation du quartz de synthèse pour réaliser des plans de travail et qui regroupe plusieurs fabricants de pierres agglomérées, a alors mis en demeure la société MDY de cesser cette campagne qu’elle qualifiera expressément de dénigrement. Nul doute que, devant l’immobilisme de la société MDY qui n’a pas réagi à cette mise en demeure, l’association W-W avait bien intérêt à agir au plus vite pour faire cesser les agissements de la société MDY. Invoquant l’existence d’un trouble manifestement illicite et un dommage imminent, c’est tout naturellement qu’elle assigne la société MDY en référé afin d’obtenir, sous astreinte, des mesures conservatoires de retrait et d’interdiction de diffusion des informations relatives aux études menées par l’IRES concernant le quartz de synthèse.

Le juge des référés rejette les prétentions de l’association qui interjette alors appel de l’ordonnance rendue. À hauteur d’appel, l’association est encore déboutée. En effet, les juges d’appel ont estimé que le caractère manifeste du dénigrement reproché à la société MDY n’est pas établi avec l’évidence requise en référé. À l’issue d’une analyse minutieuse des faits de l’espèce, ils retiennent que « la mise en garde publique, par la société MDY, sur un matériau qu’elle a cessé de vendre, convaincue du risque de sa nocivité, en alertant parallèlement la ministre des affaires sociales et de la santé, par un courrier du 1er février 2017, et la direction de l’évaluation des risques de l’ANSES relève de la nécessaire information du consommateur, qui doit être mise en regard avec le droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement reconnu par la loi à toute personne physique et morale qui estime de bonne foi devoir diffuser une information concernant un fait, une donnée ou une action dont la méconnaissance lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement et en déduit qu’au regard de ce droit d’alerte et des interrogations persistantes et légitimes sur la nocivité pour la santé du consommateur du quartz de synthèse utilisé pour les plans de travail de cuisine, le caractère manifeste du dénigrement reproché à la société MDY n’est pas établi avec l’évidence requise en référé ». 

L’association va alors se pourvoir en cassation, estimant notamment que l’acte de dénigrement était caractérisé par la diffusion publique de l’affirmation, sans réserve ni nuance, selon laquelle l’utilisation du produit par le consommateur est dangereuse, tandis qu’une telle dangerosité n’était pas démontrée avec la rigueur scientifique requise. En outre, les assertions portées par la société MDY sont, selon la thèse du pourvoi, de nature à susciter un rejet de ce produit, tandis que les conclusions divergentes des experts ne permettent pas d’affirmer de manière certaine une telle dangerosité, ce qui caractérise dès lors un manquement au devoir de prudence et d’objectivité, de sorte que ce dénigrement du produit caractérisait bien, selon l’association, un trouble manifestement illicite. À la question de savoir si le dénigrement était caractérisé, la Cour de cassation répond par la positive au double visa des articles 1240 du code civil et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile.

Promis aux honneurs du Bulletin, l’arrêt retient dans un attendu de principe que, « même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ». Ce faisant, la Cour de cassation rappelle la définition de l’acte de dénigrement ainsi que le caractère cumulatif de ses critères d’exclusion.

Sur la constitution de l’acte de dénigrement en cas de situation non concurrentielle

Sur l’absence de concurrence entre les deux entités

La cour relève d’abord ce qui pourrait paraître, a priori, antinomique d’une action en concurrence déloyale, à savoir « l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées ». Mais rendu au visa de l’article 1240 du code civil, la précision est toujours superfétatoire. Après tout, ce n’est pas tant la situation de concurrence, qui importe, mais toujours l’existence d’une faute, qui doit être rapportée par celui qui l’invoque, en même temps qu’un préjudice et un lien de causalité les unissant. On sait d’ailleurs que le droit de la concurrence déloyale, d’origine purement prétorienne, a été bâti sur le fondement de l’article 1382 du code civil, devenu 1240 du même code, « disposition-réceptacle » ici et qui n’avait certainement pas cette ambition au départ. Ce qui compte donc, c’est la faute. Car au fondement de l’action, il y a l’article 1240 du code civil et que cette disposition, qui ne vise que la faute, ne se réfère expressément à rien d’autre, et encore moins, à l’éventuelle situation de concurrence des parties.

Cette dernière ne peut donc pas être une condition de l’action, quand bien même, par abus de langage, l’on continuerait à évoquer l’action en concurrence déloyale. Le quantum du dommage en revanche, varie évidemment selon que la situation de concurrence est rapportée ou non. Pour éviter ces confusions, peut-être faudrait-il à retenir ici l’idée simplement d’une action en déloyauté commerciale. Ce serait en même temps risquer de se priver de l’expérience acquise en matière de concurrence déloyale, dont le régime bénéficie d’une véritable autorité d’expérience. Toujours est-il que la solution n’est pas nouvelle, fort heureusement, l’acte de dénigrement ne pouvant être neutralisé, au prétexte dilatoire que les parties ne seraient pas en situation de concurrence (en ce sens, v. Versailles, 9 sept. 1999, D. 2000. 311 , obs. Y. Serra ; Com. 12 févr. 2008, n° 06-17.501, Dalloz actualité, 22 févr. 2008, obs. E. Chevrier ; D. 2008. 2573, obs. E. Chevrier , note Y. Picod ; ibid. 2009. 1441, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; 9 janv. 2019, n° 17-18.350, Dalloz actualité, 23 janv. 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 872 , note J.-M. Bruguière et A. Brégou ; ibid. 1367, chron. A.-C. Le Bras, T. Gauthier et S. Barbot ; ibid. 1578, obs. J.-C. Galloux et P. Kamina ; ibid. 2374, obs. le Centre de droit de la concurrence Yves Serra (CDEDEA n° 4216) ; Légipresse 2019. 72 et les obs. ). Tout comme il a déjà été retenu comme en l’espèce, qu’une association puisse se livrer à du dénigrement (v., pour une association de consommateurs qui, dans un article, évoque de « vrai-faux jus d’orange », Civ. 1re, 30 mai 2006, n° 05-16.437, D. 2006. 1914 ; ibid. 2923, obs. Y. Picod, Y. Auguet, N. Dorandeu, M. Gomy, S. Robinne et V. Valette ).

En l’espèce, il n’y a pas de concurrence directe et effective entre la société MDY qui fabrique des plans de travail en divers matériaux dont le quartz de synthèse et une association dont le but est de promouvoir l’utilisation du quartz de synthèse pour réaliser des plans de travail et qui regroupe plusieurs fabricants de pierres agglomérées. Toutefois, il est évident que la société et l’association en cause sont deux « opérateurs d’un même circuit économique » (v. Rép. com., v° Concurrence déloyale, par Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu, n° 149). En effet, les deux entités sont liées par une chaîne de distribution allant de la production à la distribution de plans de travail en quartz de synthèse. Les interactions économiques sont évidentes entre les deux entités puisque la politique commerciale de la société MDY quant au quartz de synthèse causera nécessairement un préjudice à l’association W-W dont les membres, fabricants de quartz de synthèse, verront leurs ventes fragilisées.

Sur l’acte de dénigrement

La liberté d’expression est un droit dont l’exercice peut être contesté sur le fondement de l’article 1240 du code civil dès lors qu’est en cause un dénigrement de produits ou services (Com. 26 sept 2018, n° 17-15.502, Dalloz jurisprudence). Reste la nécessité impérieuse de préciser la définition du dénigrement, conçue dès lors comme une limite à cette liberté (sur cette question, v. M. Malaurie-Vignal, Le journaliste, le commerçant et le procès, in Mélanges Serra, 2006, Dalloz, p. 247 s. ). Sur ce point, la définition du dénigrement qu’offre à lire la Cour de cassation est désormais tenue pour classique. Elle est ici la « divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre ». Preuve de ce que la définition du dénigrement proposé par le Doyen Roubier reste toujours aussi vivace (Le droit de la propriété industrielle, 1952, Sirey, t. 1, p. 206) attestant une fois encore qu’elle est « la plus simple et la plus claire » (v. Rép. com., v° Concurrence déloyale, préc., n° 143). Les juges du fond ont su enrichir parfois cette définition, sans pour autant la dénaturer, dès lors que le dénigrement a pu être défini comme l’acte qui « consiste à porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise ou d’un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d’arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tout cas de manière à toucher les clients de l’entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l’auteur » (Versailles, 9 sept. 1999, préc.). La Cour de cassation a ici opté pour davantage de brièveté, ce qui ne surprend plus (v. encore, pour une définition identique, Com. 9 janv. 2019, n° 17-18.350, préc.). Le dénigrement suppose donc d’investir l’esprit de la clientèle du commerçant dénigré pour se demander si, par la divulgation de cette information, celle-ci ne sera pas davantage encline à se tourner vers d’autres produits ou services. C’est précisément sur le plan de la distinction à faire entre le dénigrement, fait fautif, et ce qui pourrait apparaître comme le libre exercice du droit de critique, que l’espèce interroge. 

Sur les critères d’exclusion du dénigrement

La Cour de cassation indique que « la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ». Le triptyque est donné et l’exclusion de l’acte de dénigrement n’est possible que si les trois critères rapportés sont tous réunis simultanément.

Sur la base factuelle insuffisante

En l’espèce, c’est la « base factuelle suffisante » des informations litigieuses qui a constitué le principal point d’achoppement. La caractère manifeste du dénigrement était-il établi avec l’évidence requise en référé ? Assurément, selon la Cour de cassation (sur les rapports entre urgence et concurrence déloyale, v. plus généralement, J.-D. Bretzner, E. Duminy, L’urgence, la preuve et la concurrence déloyale, AJCA 2014. 155 ) Il convient de rapporter son raisonnement. Elle indique « qu’en statuant ainsi, après avoir constaté d’un côté [nous soulignons] que le message diffusé publiquement par la société MDY faisait état du danger présenté par les plans de cuisine en quartz de synthèse, qui ont des composants cancérigènes et mutagènes, tel un article intitulé “Alerte de nocivité : les plans de cuisine en quartz de synthèse sont dangereux”, publié le 2 février 2017, relayé dans le magazine 60 millions de consommateurs du 8 mars 2017 par l’affirmation que “cette matière est non seulement dangereuse pour la santé lors du façonnage mais également lors de l’utilisation quotidienne en cuisine”, de l’autre [nous soulignons également] que les rapports de l’IRES, invoqués au soutien de ces affirmations, étaient critiqués tant par les deux experts mandatés par l’association World-Wide que par la [DGCCRF], qui soulignaient que les tests de l’IRES n’avaient pas été réalisés dans des conditions normales d’utilisation par des consommateurs, et que l’IRES lui-même reconnaissait que son étude ne portait pas sur l’évaluation des migrations de substances contenues dans l’air ou les denrées alimentaires en contact avec ce matériau, ce dont il résultait [nous soulignons encore] que l’information divulguée ne reposait pas sur une base factuelle suffisante au regard de la gravité des allégations en cause, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ».

Selon la haute juridiction, il convenait de relever la contradiction, apparente, entre la clarté des messages diffusés par MDY qui alertait sur les dangers sanitaires du quartz de synthèse et la teneur des rapports de l’IRES qui ne permettait pas une telle affirmation. En effet, c’est assez scrupuleusement, au sein d’une motivation élargie, que la Cour de cassation rappelle que les rapports en cause « étaient critiqués tant par les deux experts mandatés par l’association World-Wide que par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui soulignaient que les tests de l’IRES n’avaient pas été réalisés dans des conditions normales d’utilisation par des consommateurs, et que l’IRES lui-même reconnaissait que son étude ne portait pas sur l’évaluation des migrations de substances contenues dans l’air ou les denrées alimentaires en contact avec ce matériau ».

On ne peut que saluer une telle précision sans qu’elle étonne, en même temps, puisque c’est bien ici « la base factuelle suffisante » qui faisait défaut et encore fallait-il s’en assurer. D’autant que la cour d’appel considérait, pour sa part, que l’évidence du dénigrement n’était pas acquise, tant les critiques que l’on pouvait adresser aux rapports en cause étaient contrebalancés par d’autres éléments factuels lesquels plaidaient selon elle pour « une base factuelle suffisante » ou du moins pour qu’aucune évidente insuffisance ne puisse être découverte en la matière.

De tels éléments méritent d’être relevés car ils permettront d’apprécier la portée de la solution de la Cour de cassation. Pour dénier au potentiel dénigrement tout caractère évident, les juges du fond rapportent que les analyses techniques, bien que critiquées dans leur méthodologie, démontrent que le matériau de quartz de synthèse comporte de nombreuses substances potentiellement dangereuses pour la santé, tel le cadmium retrouvé en concentration importante, et que le risque d’un danger pour la santé des consommateurs qui utilisent au quotidien un plan de travail de cuisine en quartz de synthèse ne peut être écarté. En outre, la cour de Versailles indiquait qu’il est, à ce jour, démontré que des salariés de différents pays, qui façonnent et découpent les plaques de quartz de synthèse et les installent chez des particuliers, ont présenté des troubles graves et, pour certains, sont atteints de silicose. Enfin, l’arrêt d’appel relevait que la mise en garde publique, par la société MDY, sur un matériau qu’elle a cessé de vendre, convaincue du risque de sa nocivité, en alertant parallèlement la ministre des affaires sociales et de la santé, par un courrier du 1er février 2017, et la direction de l’évaluation des risques de l’ANSES, relève de la nécessaire information du consommateur, qui doit être mise en regard avec le droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement.

Il n’y avait qu’un pas à franchir donc pour ne plus s’y retrouver et considérer que l’évidence du dénigrement n’était pas acquise. Sauf qu’en rappelant que les critères d’exclusion du dénigrement sont cumulatifs, la Cour de cassation évite toute tentative d’alternative en la matière, ce à quoi semblait se livrer la cour d’appel qui, à en croire le pourvoi développé par l’association, avait trouvé d’autres ressorts pour s’écarter de la thèse du dénigrement « en dépit des critiques dont les rapports sur la dangerosité du quartz étaient l’objet ». Ainsi se retranchait-elle derrière le débat d’intérêt public en jeu ici, ou encore sur le caractère proportionné de l’attitude de la société MDY en la matière.

Mais il a suffi d’une brèche et d’une seule, à la Cour de cassation, pour exercer sa censure. Elle n’avait qu’à se contenter d’une comparaison simple entre deux éléments pour retenir l’évidence du dénigrement. Tandis que le caractère dangereux du quartz de synthèse était affirmé sans nuance par les uns, les rapports sur lesquels ces affirmations reposent étaient discutés par les autres, « ce dont il résultait que l’information divulguée ne reposait pas sur une base factuelle suffisante au regard de la gravité des allégations en cause » comme elle l’indique in fine. C’est cette discordance qui s’avère fautive et qui n’échappe pas au contrôle de la Cour de cassation. Dès lors que la base factuelle pouvait facilement être discutée, en raison des défaillances méthodologiques des rapports invoqués au soutien de la thèse de la simple critique, c’est celle du dénigrement qui devait être retenue.

Sur la rigueur de la solution

Il y a sûrement une confusion à raisonner comme semble le faire ici la cour d’appel. Les arguments déployés par elle pour réfuter la thèse du dénigrement démontrent qu’elle se montrait davantage soucieuse de rechercher si le quartz de synthèse n’était pas « vraiment » dangereux pour la santé, en dépit des critiques dont les rapports pouvaient faire l’objet. Si la Cour de cassation n’a pas directement eu à se prononcer sur ce point, cette affaire est l’occasion toutefois de rappeler que ce n’est de toute façon jamais l’enjeu en matière de dénigrement (excepté en matière de publicité comparative, dont le régime est spécifique). C’est précisément là que le dénigrement se distingue de la diffamation. Point d’exceptio veritatis en la matière. La divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte (Civ. 1re, 5 déc. 2006, n° 05-17.710, Bull. civ. I, n° 532 ; D. 2008. 672 , note V. Valette-Ercole ; CCC févr. 2007. Comm. 54, note M. Malaurie-Vignal ; 24 sept. 2013, n° 12-19.790, Dalloz actualité, 4 oct. 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 2270, obs. X. Delpech ; ibid. 2812, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; Légipresse 2013. 649 et les obs. ). Encore convient-il de relever que la rigueur de la solution est sans doute à la hauteur des moyens employés par la société MDY pour divulguer l’information quant au prétendu danger du quartz de synthèse et du préjudice instantané subi par l’association qui promeut justement l’utilisation d’un tel matériau. En effet, c’est une diffusion par internet, donc maximale et démultipliée, qui a été retenue par la société pour dénoncer les certitudes qu’elle avait alors sur l’utilisation du quartz de synthèse. De cette manière, le danger est de porter préjudice de manière extrêmement rapide et brutale, en l’occurrence, à un pan entier d’un secteur économique donné. On sait d’ailleurs qu’en matière de dénigrement, la jurisprudence consent, contrairement aux hypothèses de confusion et de désorganisation, à présumer le préjudice de la victime et considère que celui-ci s’infère de la seule diffusion du propos dénigrant (Com. 18 avr. 2000, n° 98-12.765 ; Orléans, 16 mars 2006, n° 2006-303311 ; 10 juill. 2008, n° 2008-371142).

Auteur d'origine: Delpech

Dans la nuit du 31 janvier au 1er février 2009, un incendie s’est produit dans un appartement et a provoqué le décès du propriétaire ainsi que d’importants dommages à l’immeuble.

La société Axa France IARD, dont on parle beaucoup actuellement sur un autre terrain du refus de la garantie (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, sous T. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022, Dalloz Actualité, Débats, 28 mai 2020), ici assureur de la copropriété, après avoir indemnisé les frais de réparations, s’est retournée contre la société Macif, assureur du propriétaire décédé, qui a refusé sa garantie au motif que ce dernier s’était suicidé et avait cherché à causer le dommage à la copropriété au prix d’une faute dolosive inassurable. Le 30 janvier 2014, la société Axa France IARD a assigné la société Macif en garantie. Ne serait-il d’ailleurs pas préférable que dans leur politique de déjudiciarisation les assureurs donnent l’exemple, notamment dans leurs rapports entre eux, en sollicitant la médiation et en n’encombrant plus les tribunaux des ces questions relatives aux recours, ce qui accompagnerait d’autant mieux le changement de style voulu par le nouveau Médiateur de l’assurance (R. Bigot, Le nouveau Médiateur de l’assurance : changement de style et changement de ton, Dalloz Actualité, Débats, 25 mai 2020) ?

Sur le fond, « il est vrai que, s’il peut sembler critiquable de faire peser sur l’assureur la charge de l’indemnisation de fautes dolosives, l’exclusion d’assurance a en réalité pour conséquence de faire courir aux victimes le risque de ne pas être indemnisées en cas d’insolvabilité du débiteur. Certains auteurs proposent dès lors de remplacer cette sanction par une simple déchéance de garantie, opposable à l’assuré mais pas aux victimes (S. Pellet, La faute dolosive est inassurable : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation persiste et signe, RDC 2019, n° 1, p. 42). L’extension de la faute inassurable à la faute dolosive pourrait alors être plus facilement admise » (A. Cayol, Les garanties interdites, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préface D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, à paraître).

En l’espèce, par un jugement du 19 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu a fait droit à cette demande en garantie. Cependant, la cour d’appel de Grenoble, par un arrêt infirmatif en date du 5 décembre 2018, a jugé, d’une part, que la faute commise par le propriétaire décédé est une faute dolosive et, d’autre part, que l’exclusion de garantie légale de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances doit s’appliquer. Elle a ainsi débouté la société Axa France IARD de toutes ses demandes (Grenoble, 5 déc. 2018).

La société Axa France IARD, a formé un pourvoi dans le litige l’opposant à la société Macif, défenderesse à la cassation. La demanderesse a invoqué, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

En premier lieu, l’assureur de la copropriété a soutenu que « la faute intentionnelle ou dolosive implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu ; qu’en retenant dès lors que [le propriétaire décédé] avait commis une faute dolosive inassurable après avoir pourtant constaté que sa motivation première était le suicide et non la destruction des biens, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article L. 113-1 du code des assurances ».

En second lieu, la société Axa France IARD a soutenu « qu’à supposer que la faute dolosive soit distincte de la faute intentionnelle, la première implique un comportement de son auteur ayant pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque ; qu’il ne résulte pas des constatations de l’arrêt que la destruction de tout ou partie de l’immeuble était inéluctable lors même que les moyens mis en œuvre dépassaient largement ce qui était nécessaire à la réalisation du suicide de [le propriétaire décédé], puisque celui-ci ne pouvait d’ailleurs apprécier l’importance réelle et définitive des dommages que son comportement occasionnerait ; d’où il suit que la cour d’appel n’a pas caractérisé la faute dolosive et a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 113-1 du code des assurances ».

Par un arrêt en date du 20 mai 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538) a rejeté le pourvoi formé par Axa, assureur de la copropriété, à l’encontre de l’autre compagnie d’assurance, la Macif, assureur du propriétaire décédé, dont l’assuré n’avait pas, selon la Haute juridiction, l’unique intention de se suicider mais entendait provoquer une forte explosion, constitutive d’une faute dolosive non assurable.

Après avoir exactement énoncé que la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire, la cour d’appel a retenu que les moyens employés par [le propriétaire décédé], en installant une cuisinière à gaz et deux bouteilles de gaz dans le séjour, “dépassaient très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider” et témoignaient de la volonté de provoquer une forte explosion et que si l’incendie n’avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l’immeuble, celle-ci était inévitable et ne pouvait pas être ignorée de l’incendiaire, même s’il était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive » (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, point 5).

De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que [le propriétaire décédé] avait commis une faute dolosive excluant la garantie de son assureur et a légalement justifié sa décision (op. cit., point 6).

L’arrêt est important. Il est mis à l’honneur par une publication large, en particulier au Bulletin. Il donne en outre un éclairage majeur sur des débats anciens relatifs à la notion de faute intentionnelle et ses éventuels satellites, ce qui invite à rappeler les évolutions, oscillatoires, de la jurisprudence dans cet univers dangereux de la non-garantie.

La distinction de la faute intentionnelle et de la faute dolosive. L’article L. 113-1 du code des assurances, tel que modifié par la loi n° 81-5 du 7 janvier 1981, dispose que « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».

Ces deux dernières notions prévues à l’aliéna 2 du texte sont exclusives de garantie (Y. Lambert-Faivre, L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, coll. Précis, 14e éd., 2017, no 425). En d’autres termes, « une telle faute supprime l’aléa qui doit être la source de la réalisation du risque. L’absence d’assurance vaut alors « à l’égard de tous » (Civ. 1re, 15 janv. 1985, n° 83-14.742) : toutes les personnes qui auraient pu bénéficier de la garantie de l’assureur s’en trouvent privées. Seule la faute de l’assuré est prise en compte (par ex. le meurtre de l’assuré par un tiers demeure un évènement aléatoire, et donc un risque assurable) » (A. Cayol, op. cit., in A. Cayol et R. Bigot (dir.), op. cit.). Cependant, ni la faute intentionnelle ni la faute dolosive ne sont définies par la loi.

La notion de faute intentionnelle. S’agissant de la faute intentionnelle, si plusieurs flottements ont été observés au sein de la jurisprudence, la Cour de cassation se repose le plus souvent sur la définition restrictive, qu’on qualifie aussi de conception moniste et subjective. En d’autres termes, la faute intentionnelle est celle qui implique la volonté de l’assuré de causer le dommage tel qu’il est survenu (Civ. 2e, 6 févr. 2014, n° 13-10.160, RGDA 2014.214, note M. Asselain ; RCA 2014.174, note H. Groutel. – Civ. 3e, 29 mars 2011, n° 09-16.749, RGDA 2011.696, note J. Kullmann. – Civ. 3e, 2 mars 2011, n° 09-72.744, RDI 2011, p. 288, note D. Noguéro. – Civ. 3e, 30 mars 2010, n° 09-12.652). Dans cette conception étroite, il ne suffit pas de vouloir créer le risque (Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813, RCA 2013.197, note D. Bakouche).

Le problème est qu’en assurance de responsabilité civile, compte tenu de la définition restrictive de la faute intentionnelle, l’exclusion de garantie ne s’applique pratiquement pas faute pour l’assuré d’avoir provoqué le dommage tel qu’il est survenu (J. Bigot (dir.), Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance éd., 35e éd., 2019, sous art. L. 113-1).

Par conséquent, en présence de professionnels, la Cour de cassation concède parfois une légère ouverture à cette conception, voire une acception autonome, qui permet d’englober certaines fautes lucratives (R. Bigot, La faute intentionnelle ou le phœnix de l’assurance de responsabilité civile professionnelle, RLDC 2009/59, no 3406, pp. 72-77 ; Le radeau de la faute intentionnelle inassurable (à propos de Civ. 1re, 29 mars 2018, nos 17-11.886, 17-16.558), bjda.fr 2018, no 57 ; La faute intentionnelle de l’avocat, sous Civ. 2e, 16 janv. 2020, n° 18-18.909, F-D, Lexbase avocats n° 300 du 6 févr. 2020). Dès lors, la conception moniste de la faute inassurable paraissant contestable et l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances visant aussi distinctement la faute dolosive, une analyse dualiste peut ainsi être défendue, en particulier en assurance de responsabilité contractuelle ou professionnelle (A. Cayol, op. cit., in A. Cayol et R. Bigot (dir.), op. cit. – R. Bigot, op. cit., RLDC 2009/59, no 3406, pp. 72-77. – S. Abravanel-Jolly, Notion de faute intentionnelle en assurance : une nécessaire dualité, www.actuassurance.com 2009, n°11).

La notion de faute dolosive. En ce qui concerne la faute dolosive, déjà avant la grande loi d’assurance de 1930, cette faute caractérisée n’avait pas vocation à être assurée. La doctrine indiquait « qu’il s’agisse d’assurance réparation ou d’assurance responsabilité, le dol doit être envisagé dans les rapports de l’assureur et de l’assuré. Toutes les fois que celui-ci aura par son fait volontaire, produit le risque en vue des conséquences qu’il entraîne, il aura agi avec l’intention de se faire payer une indemnité par la compagnie d’assurance. Il n’est pas besoin d’insister plus longuement pour comprendre qu’il ne peut à aucun prix être garanti par le contrat d’assurance. Le premier argument qui se présente à l’esprit pour repousser une telle assurance, c’est que la société a besoin d’être protégée contre les atteintes de ses membres et que tout individu, si l’assurance le protégeait contre son dol, commettrait impunément et sans remords des atteintes aux droits de ses semblables. Admettre l’assurance du dol serait favoriser le développement des haines, ce serait encourager le délit civil, et dès lors, sous prétexte de réparer les sinistres et les accidents, une telle assurance ne ferait qu’en accroître le nombre. […] De plus, dans un contrat d’assurance il doit y avoir un aléa, le contrat disparaît au moment où l’aléa est supprimé. Et si, dans une certaine mesure la faute peut être considérée comme un risque, le dol supposant l’intention détruit le risque puisqu’à l’incertitude dans la réalisation il substitue la certitude » (G. Stefani, De l’assurance des fautes, th. Université de Paris, PUF, 1923, p. 203-204).

Dans sa version moderne, la faute dolosive serait « un manquement conscient de l’assuré, délibéré même, à une obligation à laquelle il était tenu, dont il résulterait la suppression de l’aléa inhérent au contrat d’assurance, même sans intention de rechercher le dommage, surtout dans toute son ampleur » (D. Noguéro, Faute intentionnelle ou dolosive ? Tradition confirmée de la troisième chambre civile de l’exigence du dommage tel qu’il est survenu, RDI 2015, p. 425 (sous Civ. 3, 1er juill. 2015, 2 arrêts, nos 14-19.826 et 14-50.038, inédits ; puis nos 14-10.210, 14-11.971, 14-13.403 et 14-17.230, inédits).

La faute dolosive prise dans les fluctuations jurisprudentielles. Dans la jurisprudence contemporaine, il existe aussi quelques oscillations, lesquelles sont le reflet de nombreuses questions théoriques en suspens (M. Périer, Le cœur de la faute dolosive doit-il battre au rythme de la faute intentionnelle ou la faute lourde doit-elle sortir de sa disgrâce ?, RGDA 2011, p. 931 et s.).

Avant 2010, la Cour de cassation avait une tendance prépondérante à assimiler la faute dolosive à la faute intentionnelle, par exemple en retenant que constituait une telle faute dolosive l’attribution d’un marché à une entreprise en violation délibérée du cahier des charges dressé par l’assuré (Civ. 2e, 22 sept. 2005, RGDA 2005.907, note J. Kullmann).

Depuis une dizaine d’années, on peut observer une rupture, du moins partielle, avec cette assimilation traditionnelle, en particulier venant de la deuxième chambre civile. À ce titre, l’assuré ayant tenté de franchir une route inondée avec un véhicule non adapté à cette fin, et qui n’a pas eu l’intention de provoquer le dommage, est à l’origine d’une faute dolosive (Civ. 2e, 12 sept. 2013, n° 12-24.650, RCA 2013, Etude 8, par D. Bakouche ; JCP G 2014.383, note A. Pélissier). De manière négative, ne commet pas de faute dolosive le professionnel qui n’a pas délibérément outrepassé ses obligations professionnelles (Civ. 2e, 4 févr. 2016, n° 15-10.363, RGDA 2016.162, note A. Pélissier).

Ce mouvement identitaire propre de la faute dolosive (J. Bigot, A. Pélissier et L. Mayaux, Faute intentionnelle, faute dolosive, faute volontaire : le passé, le présent et l’avenir, RGDA 2015, p. 75 et s.) est encouragé par une partie de la doctrine (S. Abravanel-Jolly, Notion de faute intentionnelle en assurance : une nécessaire dualité, www.actuassurance.com 2009, n° 11 ; De la notion de la faute dolosive exclusive du risque, LEDA déc. 2018, no 111q1, p. 2. – J.-D. Pellier, Nouvelle illustration de la faute dolosive exclusive de garantie, Dalloz Actualité, 15 nov. 2018).

Certains arrêts ont montré néanmoins la difficulté à rompre intégralement le lien ombilical avec l’assimilation classique. Par exemple, en 2014, la deuxième chambre civile a décidé que « l’arrêt ayant souverainement retenu qu’il ne résultait d’aucun des documents produits et notamment du rapport de l’expert, que [l’assuré] ait volontairement créé le dommage tel qu’il est survenu et que celui-ci ait pour origine une faute intentionnelle et dolosive de sa part, la discussion relative au caractère alternatif ou cumulatif des fautes intentionnelle et frauduleuse est inopérante » (Civ. 2e, 16 janv. 2014, n° 12-27.484, RGDA 2014.147, note L. Mayaux). La Haute Cour encore pu assimiler, en 2017, la faute dolosive à la faute intentionnelle en jugeant « qu’ayant, dans l’exercice de son pouvoir souverain, retenu que la négligence inacceptable de [l’agence immobilière assurée] qui s’était abstenue d’exercer son devoir de conseil à l’égard des [clients], avait été commise avec la simple conscience qu’elle faisait courir un risque aux acheteurs, la cour d’appel, qui a ainsi exclu le caractère intentionnel ou dolosif du manquement, en a justement déduit que l’assureur était tenu de garantir les conséquences de la responsabilité civile de son assurée » (Civ. 2e, 12 janv. 2017, n° 16-10.042, RGDA 2017.169, note L. Mayaux). Quant à cette reprise de la définition classique de la faute intentionnelle (identifiée à la « volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu »), sans faire aucunement référence à une faute dolosive (à propos par exemple de Civ. 2e, 6 févr. 2014, n° 13-10.160, préc.), la doctrine considère que cela « révèle que la Cour de cassation ne sait pas toujours où aller, préférant le flou à des solutions bien affirmées » (J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances. Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, t. 3, 2014, n° 1651).

Mais même la troisième chambre civile, plus fortement attachée à la conception stricte (Civ. 3, 29 mai 2013, n° 12-20.215 ; Civ. 3, 11 juin 2013, n° 12-16.350 ; Civ. 3, 13 juill. 2016, n° 15-20.512 ; cf. D. Noguéro, Faute intentionnelle ou dolosive ? Tradition confirmée de la troisième chambre civile de l’exigence du dommage tel qu’il est survenu, RDI 2015, p. 425, sous Civ. 3e, 1er juill. 2015, nos 14-19.826 et 14-50.038, D ; puis Civ. 3e, 1er juill. 2015, nos 14-10.210, 14-11.971, 14-13.403 et 14-17.230, D), a pu tendre vers une conception moins stricte (D. Noguéro, Vers une évolution de la troisième chambre civile pour une conception moins stricte de la faute intentionnelle ou dolosive ?, RDI 2017, p. 485, sous Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-14.264 ; Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-18.842).

Pourtant, la faute dolosive s’analyse comme l’action de l’assuré en connaissance des risques potentiels (R. Bigot, La fonction normative de la responsabilité civile
et le comportement de l’assuré, RGDA, mai 2020, n° 5, pp. 14-27, spéc., p. 23, note 119). Elle peut découler ainsi, comme on a pu le voir, de la violation manifestement délibérée d’une obligation contractuelle (Civ. 3e, 7 oct. 2008, n° 07-17.969) ou de la réalisation d’une action dont les risques sont connus de l’assuré (Civ. 2e, 12 sept. 2013, n° 12-24.650, préc.). Selon ce dernier arrêt, la faute dolosive serait caractérisée « par un acte volontaire faussant l’élément aléatoire du contrat. Il ne serait plus nécessaire que cette faute fasse disparaître l’aléa du contrat d’assurance, elle pourrait simplement réduire celui-ci » (L. Perdrix, comm. sous art. L. 113-1, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 74).

Plus récemment, pour la deuxième chambre civile, une faute dolosive exclusive de garantie de l’assurance au titre de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances pouvait être déduite du comportement d’un assuré ayant persisté dans son refus d’entretenir la toiture de son immeuble. Il a manifesté de la sorte « son choix délibéré d’attendre l’effondrement de celle-ci ». Or un tel choix a eu « pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque », selon la Cour de cassation (R. Bigot, La faute intentionnelle et la faute dolosive, des sœurs jumelles ?, sous Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 16-23.103, bjda.fr 2018, no 60). Cette définition de la faute dolosive, certes opportune quant à l’ouverture des cas, ne paraissait toutefois pas pas pleinement appropriée, compte tenu de la référence discutable « à la disparition de l’aléa », car cet élément ne s’éclipse jamais totalement du contrat d’assurance (S. Abravanel-Jolly, op. cit.). Cette conception jurisprudentielle de la faute dolosive tend en outre « à se confondre avec la conception objective de la faute intentionnelle » (L. Perdrix, comm. sous art. L. 113-1, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 74). De ce point de vue, la solution retenue dans l’arrêt du 4 février 2016, sans cette référence superflue à l’aléa, était plus satisfaisante. Est ainsi suffisant, évitant tout complexification, le simple renvoi au manquement délibéré de son auteur « dont il ne peut ignorer qu’il en résultera un dommage » (Civ. 2e, 4 févr. 2016, n° 15-10.363, RGDA 2016.162, note A. Pélissier, préc.). La piste du défaut d’aléa n’est donc intéressante que si toutefois on renonce à faire de l’aléa une notion autonome qui viendrait se substituer à la faute qualifiée. Autrement dit, « l’idée serait que la connaissance par l’assuré du caractère inéluctable du dommage qu’il s’apprête à cause fait présumer l’intention ». Pour ce dommage, le « vouloir » serait remplacé par le « savoir ». Cela évite de se poser la question de ce qu’a recherché l’assuré […]. On devrait poser en principe que chercher à nuire et savoir que l’on nuit sont équivalents » (J. Bigot et alii, op. cit., n° 1654).

Cela correspond aussi à l’approche doctrinale qui y voit « la potestativité de l’événement mis en risque dont la réalisation, quoiqu’incertaine au temps de la souscription, se révèle finalement tributaire de l’assuré » (P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, no 123).


Bien que non caractérisée dans un arrêt récent du 6 février 2020, la faute dolosive ne semble mise en perspective qu’avec cet éventuel manquement délibéré et dommageable. En l’espèce, « ayant retenu par une appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen que la démonstration n’était pas certaine de ce que la faute ayant entraîné la responsabilité du syndic ait eu un caractère volontaire et dolosif, sa carence pouvant aussi bien résulter de sa négligence, de son imprévoyance, de son incompétence personnelle ou organisationnelle au sein de son cabinet, ce qui constituait une faute simple, seule démontrée avec certitude, puis relevé que la preuve n’était pas rapportée d’un scénario prémédité englobant l’abstention volontaire de convoquer l’assemblée générale, dans le dessein préconçu de se faire nommer administrateur provisoire, la cour d’appel a pu en déduire qu’il n’était pas justifié d’une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances » (R. Bigot, Quand tous les moyens sont bons – prescription ou exclusion – pour éviter de garantir, sous Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868, F-PBI, Dalloz actualité, 25 févr. 2020).

L’appréciation de la faute dolosive varie-t-elle lorsqu’elle s’inscrit, comme dans l’arrêt sous commentaire, dans un contexte suicidaire ?

La faute dolosive dans le contexte suicidaire. Les quelques arrêts de la Cour de cassation que l’on trouve sur le sujet se prononcent sur la faute intentionnelle, et non la faute dolosive, mais au cours de la période plus ancienne reniant le dualisme prévu par le législateur.

Rappelons que les juges du fond ont un pouvoir souverain d’appréciation. Toutefois, la Haute juridiction exerce son contrôle sur la manière dont les juges appliquent la définition prétorienne. Si son appréciation est en effet « une question de fait qui, en tant que telle, au pouvoir souverain des juges du fond, son contenu même est une notion de droit. Admettre le contraire le contraire reviendrait à préconiser que la Cour de cassation abandonne tout contrôle sur le contenu des fautes qualifiées » (J. Bigot et alii, op. cit., n° 1638).

Remontons quatre décennies en arrière. En 1980, la Cour de cassation a jugé qu’une cour d’appel avait légalement justifiée sa décision pour retenir, en l’espèce, l’existence d’une faute intentionnelle de l’assurée exclusive de la garantie de l’assureur, après avoir énoncé « qu’en mettant le feu aux effets mobiliers de l’appartement pour périr dans l’incendie ainsi allumé, [l’assurée] a volontairement et intentionnellement provoqué le sinistre, en ayant conscience de son geste et des conséquences dommageables qu’il entrainait » (Civ. 1re, 25 nov. 1980, n° 79-14.409).

En 1996, la Haute juridiction a décidé qu’au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, « la faute intentionnelle qui exclut la garantie de l’assureur est celle qui suppose la volonté de causer le dommage et pas seulement d’en créer le risque ». En l’espèce, une collision s’est produite entre la voiture conduite par un homme et le camion-citerne appartenant à une société. Celle-ci et son assureur ont demandé à l’assureur de conducteur le remboursement des frais exposés pour remédier à la pollution créée par le produit échappé de la citerne lors de l’accident. L’assureur s’y est opposé en invoquant la faute intentionnelle de son assuré. Pour décider qu’il ne devait pas sa garantie, l’arrêt d’appel a retenu que le conducteur a délibérément provoqué la collision en voulant se suicider, que les dommages qui en sont résultés, notamment la pollution causée par le produit transporté dans la citerne, sont la conséquence certaine et prévisible de son geste et que l’assuré ne pouvait donc ignorer les risques qu’il prenait pour lui-même et pour autrui. Pour la Cour de cassation, en se déterminant par des motifs qui ne caractérisent pas la volonté du conducteur de provoquer le dommage dont il était demandé réparation à son assureur, la cour d’appel a violé l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances (Civ. 1re, 10 avr. 1996, n° 93-14.571, Bull. civ. I, n° 172).

Un an plus tard, la Haute juridiction était saisie d’une affaire concernant une personne qui s’était suicidée en immobilisant sa voiture sur une voie ferrée, au passage d’un train, en 1993. La Société nationale des chemins de fer français avait assigné en réparation de son préjudice matériel l’assureur du véhicule. La cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 3 mai 1995, avait condamné celle-ci à garantie. L’assureur avait reproché à la cour d’appel de n’avoir pas répondu à ses conclusions qui faisaient valoir que les faits ayant donné naissance au préjudice causé à la SNCF ne pouvaient être qualifiés d’accident au sens de la police d’assurance, et étaient, en conséquence, exclus de la garantie “ responsabilité civile “. La Cour de cassation a néanmoins considéré que le moyen n’était pas fondé, car la cour d’appel avait retenu que, s’il s’agissait d’un accident de la circulation volontairement provoqué par l’assurée pour se donner la mort, l’assureur n’était pas fondée, néanmoins, à refuser sa garantie sur le fondement de l’article L. 113-1 du Code des assurances, dès lors que le dommage causé à la SNCF ne résultait pas d’une faute intentionnelle au sens de ce texte, la conductrice n’ayant pas eu la volonté de porter préjudice à celle-ci. (Civ. 1re, 14 oct. 1997, n° 95-18.361, Bull. civ. I, n° 272, RCA 1998, comm. 37 ; RGAT 1997, p. 1083, note L. Fonladosa).

Dans un arrêt de 2011, il résultait d’une expertise technique déposée dans le cadre de l’enquête pénale que l’assurée a allumé cinq foyers différents dans la maison. Les premiers rapports médicaux la décrivaient comme confuse et obnubilée. L’analyse de sang à partir d’échantillons prélevés lors de l’accident n’avait cependant révélé que la présence d’une dose thérapeutique de bromazepam bien en-dessous du seuil de toxicité. Dans ses premiers jours d’hospitalisation, l’assurée avait fait des déclarations quant à un conflit conjugal latent, accusant son mari de la dévaloriser, de se mettre en colère et même de lui avoir dit à plusieurs reprises que la maison était sale à y mettre le feu et que l’assurance paierait. Avant de mettre le feu le jour des faits elle avait gardé au domicile l’un de ses enfants au prétexte qu’il était fatigué et avait demandé à une voisine d’aller chercher l’autre à l’école l’après-midi. Ces circonstances, rapprochées de l’hostilité larvée à l’égard de son mari et de son désir de rentrer dans son pays d’origine, au Brésil, n’étaient pas sans évoquer une préparation, voire une préméditation que paraissait confirmer le modus operandi. Si l’hypothèse d’une bouffée délirante au moment des faits ne pouvait être écartée, les éléments d’appréciation récapitulés et ceux fondant la décision des premiers juges ne permettaient pas de la considérer comme démontrée. En définitive, « par ces seuls motifs faisant ressortir la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’était réalisé, la cour d‘appel, procédant à la recherche prétendument omise, a pu déduire que l’assurée avait commis une faute intentionnelle excluant la garantie de l’assureur au titre de la police incendie » (Civ. 2e, 28 avr. 2011, n° 10-17.501).

Une autre décision, qui se rapproche sans doute des faits de l’affaire commentée, remonte à 1993, période du monisme de la faute intentionnelle. En tentant de se suicider, l’assuré avait provoqué une explosion dans son appartement. Des dégâts avaient été causés aux autres parties de l’immeuble ainsi qu’aux immeubles voisins. Il en avait été demandé réparation à l’assuré et à son assureur, lequel avait invoqué, pour contester sa garantie, les dispositions de l’article L. 113-1 du code des assurances aux termes duquel l’assureur ne répondait pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle de l’assuré. Or, « pour décider que la compagnie ne devait pas sa garantie, l’arrêt attaqué énonce qu’en enflammant une allumette après avoir ouvert une bouteille de gaz, [l’assuré] a volontairement et intentionnellement provoqué le sinistre en ayant conscience de son geste et de ses conséquences dommageables, sa tentative de suicide au gaz, à côté d’une fenêtre restée ouverte, ayant eu pour but d’attirer l’attention sur ses déboires conjugaux ; Attendu, cependant, que la faute intentionnelle ou dolosive qui exclut la garantie de l’assureur implique que l’assuré a voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage lui-même ; qu’en se bornant à retenir que [l’assuré] avait eu conscience des conséquences possibles de son geste, sans rechercher s’il avait eu la volonté de causer les dommages dont il a été déclaré responsable, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé (Civ. 1re, 28 avr. 1993, n° 90-16.363, inédit, RCA 1993, comm. 241).

La consécration de l’autonomie de la faute dolosive ou de la théorie du dualisme des fautes volontaires inassurables. La décision du 20 mai 2020 approuve la cour d’appel ayant déduit que l’assuré avait commis une faute dolosive inassurable après avoir énoncé une motivation dont la Haute cour relève l’entière exactitude (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, point 5). Cette motivation, grandement explicative, mérite d’être relevée.

Selon la cour d’appel, tout d’abord, la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1, « sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elles font perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire ». Ensuite, « la faute intentionnelle, qui exclut la garantie de l’assureur, implique que l’assuré a voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage mais encore le dommage lui-même tel qu’il est survenu, avec la conscience des conséquences de son acte ». Or en l’espèce, l’assuré « a expressément voulu mettre fin à ses jours, ce à quoi il est parvenu ». Etant donné que « la motivation première de l’acte incendiaire est donc bien le suicide et non pas la destruction des biens », dès lors, « la faute intentionnelle ne peut pas être retenue quant aux conséquences matérielles de l’incendie ».

Par ailleurs, « la faute dolosive, quant à elle, requiert le même élément intentionnel quant au passage à l’acte premier (incendie) mais ne requiert pas la recherche des conséquences dommageables telles qu’elles en ont résulté de l’acte intentionnel initial ». En outre, « la prise de risque en ayant manifestement conscience de commettre un dommage suffira à caractériser la faute dolosive ».

En l’espèce, « s’il est exact que l’incendie n’avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l’immeuble, il n’en demeure pas moins qu’une telle destruction était inévitable et ne pouvait être ignorée de l’incendiaire, même s’il lui était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive ». Or les procès-verbaux d’enquête ont mis en évidence les éléments matériels suivants : - l’assuré « s’est suicidé dans son appartement, en s’y enfermant et mettant le feu à des carburants (super et gas-oil) ;
- il est décédé de brûlures pulmonaires et sur l’ensemble du corps, ces lésions étant incompatibles avec une survie ; - dans l’appartement calciné ont été retrouvées deux bouteilles de gaz avec une cuisinière à gaz au milieu du salon ;
- sur le palier se trouvaient des sacs poubelles, partiellement calcinés contenant des bouteilles vides sentant l’essence ; - les vitres de l’appartement ont été partiellement soufflées par une explosion ».

Ainsi, « ces éléments démontrent qu’en se suicidant par asphyxie avec les gaz de combustion et par brûlures sur le corps », l’assuré « avait également l’intention d’incendier tout l’immeuble ». Par conséquent, « les moyens qu’il a déployés dépassent très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider ». Il a été rappelé que l’assuré « a installé une cuisinière à gaz et deux bouteilles de gaz dans le séjour, qu’il a déversé des carburants et y a mis le feu ; que l’utilisation de bouteilles de gaz pendant un incendie témoigne de la volonté de provoquer une forte explosion dont les conséquences destructrices ne peuvent pas être banalisées, étant rappelé que l’immeuble est habité majoritairement par des personnes âgées à mobilité réduite ». En définitive, la faute de l’assuré « sera qualifiée de dolosive et les conditions requises pour l’application de l’exclusion légale prévue par l’article L. 113-1 du code des assurances réunies » (CA Grenoble, 5 déc. 2018).

À la question posée, « l’article L. 113-1 repose-t-il sur un monisme des fautes, un dualisme des fautes voire sur un pluralisme des fautes ? » (B. Beignier, S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, LGDJ, Lextenso éd., coll. « Précis Domat », 3e éd., 2018 no 512), à l’évidence la Cour de cassation consacre au cas présent le dualisme, redonnant sa plénitude à la lettre du texte avec, d’une part, une faute intentionnelle qui implique que l’assuré a voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage mais encore le dommage lui-même tel qu’il est survenu, avec la conscience des conséquences de son acte, et, d’autre part, une faute dolosive qui requiert le même élément intentionnel quant au passage à l’acte premier mais n’exige pas la recherche des conséquences dommageables telles qu’elles en ont résulté de l’acte intentionnel initial. En d’autres termes, pour caractériser la faute dolosive, il suffit d’établir que l’assuré a pris un risque en ayant manifestement conscience de commettre un dommage. Cette approche a vocation à s’appliquer bien au-delà des circonstances d’un suicide, en particulier en assurance-construction ou en assurance de responsabilité professionnelle.

Auteur d'origine: Bley
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La décision n° 2020-841 QPC du 20 mai 2020 était attendue car les dispositions contestées avaient été jugées conformes à la Constitution en 2009.

Elle fait suite à la saisine du Conseil constitutionnel par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dirigée contre les trois derniers alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle (CPI), dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009. Ils prévoient les pouvoirs des agents de la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) pour mettre en œuvre la procédure dite de « réponse graduée » (CPI, art. L. 331-25). Rappelons que le titulaire d’un accès à internet doit veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de contrefaçon des droits de l’auteur ou d’un droit voisin (CPI, art. L. 336-3).

Lorsqu’ils sont saisis d’un manquement à cette obligation, les membres de la Haute Autorité peuvent, pour réaliser leur mission, demander aux opérateurs de communications électroniques « notamment […] l’identité, l’adresse postale, l’adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l’abonné » (CPI, art. L. 331-21, al. 5). Ils sont également en droit de réclamer la communication et la copie de « tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données conservées et traitées » (CPI, art. L. 331-21, al. 3 et 4). Ces données de connexions sont listées dans l’annexe au décret n° 2010-236 du 5 mars 2010.

Plusieurs associations soutenaient que ces dispositions méconnaissaient le droit au respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel et le secret des correspondances. Le Conseil constitutionnel leur donne en partie raison.

Recevabilité et changement de circonstances de droit

Le Conseil constitutionnel se prononce tout d’abord sur la recevabilité puisque la question qui lui est soumise n’est pas nouvelle. En 2009, à l’occasion de l’examen de la loi du 12 juin 2009, il avait jugé, dans les motifs et le dispositif de sa décision, que les trois derniers alinéas de l’article L. 331-21 étaient compatibles avec le droit au respect de la vie privée (Cons. const., 10 juin 2009, n° 2009-580 DC, Dalloz actualité, 11 juin 2009, art. J. Daleau ; AJDA 2009. 1132 ; D. 2009. 1770, point de vue J.-M. Bruguière ; ibid. 2045, point de vue L. Marino ; ibid. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; Dr. soc. 2010. 267, chron. J.-E. Ray ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 97, obs. H. Périnet-Marquet ; ibid. 293, obs. D. de Bellescize ; RSC 2009. 609, obs. J. Francillon ; ibid. 2010. 209, obs. B. de Lamy ; ibid. 415, étude A. Cappello ; RTD civ. 2009. 754, obs. T. Revet ; ibid. 756, obs. T. Revet ; RTD com. 2009. 730, étude F. Pollaud-Dulian ). Sous l’influence du droit européen (v. CJUE 8 avr. 2014, aff. C-293/12, Digital Rights Ireland Ltd, AJDA 2014. 773 ; ibid. 1147, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1355, et les obs. , note C. Castets-Renard ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; Légipresse 2014. 265 et les obs. ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 2015. 117, étude S. Peyrou ; ibid. 168, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 786, obs. M. Benlolo-Carabot ; 21 déc. 2016, Télé 2, aff. C-203/15, Dalloz actualité, 2 janv. 2017, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2016. 2466 ; ibid. 2017. 1106, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère, C. Gänser et P. Bonneville ; D. 2017. 8 ; ibid. 2018. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; Dalloz IP/IT 2017. 230, obs. D. Forest ; JAC 2017, n° 43, p. 13, obs. E. Scaramozzino ; RTD eur. 2017. 884, obs. M. Benlolo-Carabot ; ibid. 2018. 461, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2017. 178, étude F.-X. Bréchot ), les Sages sont revenus sur leur analyse. En 2015, ils ont refusé d’accorder un droit de communication des données de connexion, analogue à celui prévu pour la HADOPI, à l’Autorité de la concurrence (Cons. const. 5 août 2015, n° 2015-715 DC, AJDA 2015. 1570 ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Constitutions 2015. 421, chron. A. Fabre ; RTD com. 2015. 699, obs. E. Claudel ). Cette jurisprudence a été confirmée en 2017 pour l’Autorité des marchés financiers (Cons. const. 21 juill. 2017, n° 2017-646/647 QPC, AJDA 2017. 2234 ; D. 2017. 1527 ; Rev. sociétés 2017. 582, note N. Martial-Braz ; RSC 2018. 496, obs. J.-M. Brigant ) puis en 2019 pour les agents des douanes et ceux de la sécurité sociale (Cons. const. 15 févr. 2019, n° 2018-764 QPC, D. 2019. 311, et les obs. ; Dalloz IP/IT 2019. 447, obs. O. de Maison Rouge ; Constitutions 2019. 115, chron. O. Le Bot ; ibid. 149, décision et Cons. const., 14 juin 2019, n° 2019-789 QPC, AJDA 2019. 1257 ; D. 2020. 68 , note M. Lassalle ; Constitutions 2019. 308, décision ). Selon l’expression consacrée, ce « changement de circonstances de droit » justifie un réexamen de l’article L. 331-21.

Droit de communication portant sur les informations d’identification de l’abonné

Sur le fond, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il « incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la propriété intellectuelle et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis », parmi lesquels « figure le droit au respect de la vie privée protégé par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Il considère ensuite que le législateur a assorti le droit de communication portant sur l’identité, les adresses postales et électroniques ainsi que les coordonnées téléphoniques de l’abonné de garanties assurant cet équilibre. Il retient en particulier que ce droit ne s’accompagne pas d’un pouvoir d’exécution forcée, qu’il est réservé à des agents publics habilités, assermentés, soumis au secret professionnel et que les informations obtenues présentent un lien direct avec la procédure mise en œuvre par la HADOPI. Elles sont nécessaires pour adresser aux auteurs des manquements la recommandation qui leur rappelle le contenu de leur obligation, leur enjoint de la respecter et leur indique les sanctions auxquelles ils s’exposent (CPI, art. L. 331-25 ; décis. n° 2020-841 QPC, pts 7, 10 et 11). Par conséquent, le dernier alinéa de l’article L. 331-21 est conforme à la Constitution, à l’exception du mot « notamment ».

Droit de communication portant sur d’autres informations et sur les données de connexion

Le Conseil constitutionnel poursuit en jugeant contraire à la Constitution ce terme « notamment » ainsi que les troisièmes et quatrièmes alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle. Ils permettent aux agents de la HADOPI de se procurer « tous documents, quel qu’en soit le support », y compris les données de connexion. Les Sages reprochent à la loi de ne pas préciser les personnes auprès desquelles ce droit de communication s’exerce. Ils en déduisent que ce dernier n’est pas limité dans son champ d’exercice et qu’il permet aux agents de la HADOPI de se procurer des documents sans lien direct avec la violation de l’obligation visée à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, précité. Le Conseil insiste également sur le fait que cette communication s’étend à « toutes » les données de connexions détenues par les opérateurs. Or elles fournissent « sur les personnes en cause des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée » qui ne « présentent pas non plus nécessairement toutes de lien direct avec le manquement à l’obligation énoncée à l’article L. 336-3 ». Dans ses conditions, le législateur n’a pas entouré la procédure permettant d’obtenir ces informations « de garanties propres à assurer une conciliation qui ne soit pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ». Enfin pour éviter des « conséquences manifestement excessives », l’abrogation de ces dispositions interviendra le 31 décembre 2020.

La HADOPI a déclaré dans un communiqué du 25 mai 2020 que le Conseil constitutionnel avait ainsi validé « le fonctionnement actuel de la procédure de réponse graduée et la poursuite de sa mise en œuvre par la Commission de protection des droits ». Finalement, rien ne change pour la Haute Autorité qui admet n’avoir jamais utilisé les options offertes par les alinéas censurés, seules les données d’identification de l’internaute étant utiles pour mener à bien sa mission. On peut néanmoins supposer que l’examen à venir du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique sera l’occasion d’adapter le code de la propriété intellectuelle (Ass. nat., texte n° 2488, spéc. art. 22-X).

Auteur d'origine: nmaximin
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Près de deux mois après l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 adaptant temporairement les règles relatives aux difficultés des entreprises à l’urgence sanitaire (v. notre commentaire, Dalloz actualité, 1er avr. 2020), une nouvelle ordonnance vient la compléter afin de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises et les exploitations agricoles. Si l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 constituait une « première réponse aux difficultés immédiates » des entreprises (rapport au président de la République), celle du 20 mai va plus loin dans les solutions à leur apporter. D’abord, elle répond aux incertitudes liées à l’application des délais de l’ordonnance du 27 mars 2020. Celle-ci est en effet modifiée par l’article 9 de la nouvelle ordonnance pour tenir compte de dates précises, en remplacement de la référence à la durée de l’état d’urgence sanitaire tel que déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 (dont le terme est, lui, fixé au 10 juillet 2020, v. L. n° 2020-546, 11 mai 2020, prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, JO 12 mai). Ces dates correspondent à celles identifiées « lors de la publication de l’ordonnance du 27 mars, à savoir le 23 juin (inclus), lorsque le délai d’application des dispositions de cette ordonnance était celui de l’expiration des deux premiers mois de l’état d’urgence sanitaire prolongés d’un mois, et le 23 août (inclus) lorsque la prolongation était de trois mois » (rapport au président de la République). Notamment, l’état de cessation des paiements est apprécié selon la situation du débiteur au 12 mars 2020, ce jusqu’au 23 août 2020 inclus ; l’audience « intermédiaire » prévue à deux mois en cas de redressement judiciaire n’a pas à être tenue jusqu’au 23 juin 2020. Cette clarification est heureuse car les délais de l’ordonnance du 27 mars devenaient incohérents au regard de la période juridiquement protégée dont le terme est fixé au 23 juin 2020 et au regard de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (modifiée par l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire, JO 14 mai 2020).

Mais surtout, la nouvelle ordonnance du 20 mai 2020 permet de renforcer l’efficacité des procédures amiables et collectives par des mesures qui, pour certaines, constituent une sorte de pont avec les modifications à venir dans le cadre de la transposition de la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité (JOUE L 172, 26 juin). L’article 10 de l’ordonnance opère ainsi un distinguo entre les dispositions dérogatoires applicables jusqu’au 31 décembre 2020, et des dispositions transitoires applicables jusqu’au 17 juillet 2021, date qui correspond à celle de l’échéance pour la transposition de la directive européenne.

Les dispositions dérogatoires en vue de faire face aux conséquences de l’épidémie

Les dispositions dérogatoires visées sont applicables aux procédures en cours à compter du 22 mai 2020, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, jusqu’au 31 décembre 2020. Notons que cette échéance correspond également à celle permettant de demander un prêt garanti par l’État (L. n° 2020-289, 23 mars 2020, art. 6, I, JO 24 mars). Les dispositions visées sont celles relatives à la prévention des difficultés des entreprises, aux plans et à la cession de l’entreprise.

Les dispositions relatives à la prévention des difficultés des entreprises

Dans le prolongement de l’ordonnance du 27 mars, l’ordonnance du 20 mai 2020 vise à améliorer la détection précoce des difficultés des entreprises en renforçant le rôle du commissaire aux comptes dans le cadre de la procédure d’alerte et en favorisant le recours à la procédure de conciliation.

Le rôle renforcé du commissaire aux comptes dans le cadre de la procédure d’alerte

Pour une détection plus précoce des difficultés des entreprises, l’article 1er de l’ordonnance renforce le rôle du commissaire aux comptes dans le cadre de la procédure d’alerte prévue par les articles L. 234-1, L. 234-2 et L. 612-3 du code de commerce. Si celui-ci estime que « l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou propose des mesures que le commissaire aux comptes estime insuffisantes », le commissaire aux comptes pourra « informer le président du tribunal compétent dès la première information faite, selon le cas, au président du conseil d’administration ou de surveillance ou au dirigeant » (art. 1, II). On relève toutefois une incohérence dans le texte lorsque la procédure s’applique à la société anonyme, puisqu’il semble que c’est plutôt le président du directoire et non le président du conseil de surveillance qui devrait être visé ici. La « première information » est en effet d’abord destinée au président du conseil d’administration ou du directoire, selon le cas (v. C. com., art. L. 234-1, al. 1er). Ce n’est que si la réponse n’apparaît pas satisfaisante ou qu’il n’y a pas de réponse que le commissaire aux comptes invite, dans une deuxième phase, les dirigeants sociaux à faire délibérer le conseil d’administration ou de surveillance (C. com., art. L. 234-2, al. 2), délibération qui correspond alors à une deuxième information, communiquée au tribunal. Par ailleurs, on ne peut manquer ici de relever ici une certaine incohérence législative dans le sens où le dispositif renforce le rôle du commissaire aux comptes comme acteur de la prévention un an après que la loi Pacte du 20 mai 2019 a réduit son champ d’intervention auprès des entreprises (v. L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 20, JO 23 mai).

Les mesures destinées à favoriser le recours à la procédure de conciliation

Apparaissant comme l’une des dispositions phares de l’ordonnance, l’article 2 permet au débiteur de demander au président du tribunal ayant ouvert une procédure de conciliation d’ordonner des mesures produisant sensiblement les mêmes effets que l’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’un créancier qui « n’accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure ». Le débiteur peut ainsi demander d’interrompre ou d’interdire toute action en justice de la part de ce dernier tendant à la condamnation au paiement d’une somme d’argent (art. 2, II, 1°) ou demander d’arrêter ou d’interdire toute procédure d’exécution sur les meubles ou les immeubles (art. 2, II, 2°). Ces mesures de protection font écho – dans une certaine mesure seulement – au règlement amiable agricole prévu aux articles L. 351-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime. L’article L. 351-5 de ce même code permet, en effet, au président du tribunal de décider la suspension provisoire des poursuites, pour une durée de deux mois, renouvelable une seule fois. Il faut toutefois noter que le règlement amiable agricole est d’effet collectif et plus contraignant pour les créanciers, en ce qu’il organise un véritable « gel du passif » et qu’il interdit tout paiement d’une créance née antérieurement au règlement amiable agricole. Au demeurant, les adaptations apportées à la procédure de conciliation par l’article 2 de l’ordonnance restent notables au regard de l’articulation des règles applicables aux procédures préventives et aux procédures judiciaires du livre VI du code de commerce (le rapport au président de la République souligne à cet égard que sont préservées « la confidentialité liée à l’absence de toute publicité et les caractéristiques du mandat de justice confié au conciliateur, qui doit rester aussi neutre que possible et ne pas intervenir comme une partie à la procédure »).

Trois observations doivent ici être formulées. D’abord, la mesure de l’article 2 est plus simple et plus rapide (ordonnance sur requête) que la mesure classique de l’article L. 611-7 du code de commerce qui nécessite une mise en demeure ou une poursuite de la part du créancier ; l’article 2 suppose juste un refus, implicite ou explicite, du créancier à la demande du conciliateur. Ensuite, cette mesure est plus large que l’article L. 611-7 du code de commerce, car elle dépasse le seul traitement de l’action en recouvrement d’une somme d’argent et suspend notamment l’action visant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. Enfin, en pratique, si le débiteur en conciliation peut solliciter unilatéralement cette mesure, le conciliateur pourra, quant à lui, s’appuyer sur cette disposition pour tenter de faire revenir le créancier récalcitrant à la table des négociations. Ce créancier, qui n’aura pas mis en demeure ni poursuivi son débiteur en conciliation, pourra se voir imposer les délais de l’article 1343-5 du code civil quant au paiement de sa créance. Pour éviter ce traitement, le créancier aura donc peut-être intérêt à négocier le traitement de sa créance plutôt que de la subir.

Les dispositions relatives aux plans

Augmentation ou prolongation de la durée des plans

Plusieurs dispositions de la nouvelle ordonnance s’inscrivent dans le prolongement de l’ordonnance du 27 mars en augmentant ou en prolongeant la durée des plans.

Il en est d’abord ainsi de l’article 9 de l’ordonnance qui précise certaines durées fixées par les dispositions du livre VI du code de commerce. Les extensions visées s’ajoutent aux durées des procédures en cours ou mises en œuvre pendant la période d’application de l’ordonnance du 27 mars 2020. Les plans sont prolongés automatiquement de trois mois (ord. 27 mars 2020, art. 2 mod.). Sur décision du président du tribunal, saisi au plus tard le 23 août 2020 inclus, ils peuvent être prolongés d’une durée de cinq mois (sur requête du commissaire à l’exécution du plan) ou d’un an (sur requête du ministère public). Enfin, sur décision du tribunal saisi à compter du 24 août 2020 et jusqu’au 23 février 2021 (six mois), par le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public, ils peuvent être prolongés d’une durée maximale d’un an (ord. 27 mars 2020, art. 1er mod.). Selon le rapport au président de la République, ces extensions sont justifiées par « l’impossibilité pratique de respecter les contraintes habituelles » que ce soit dans l’organisation des juridictions, les études des praticiens, ou dans le fonctionnement des entreprises concernées.

Ensuite, l’ordonnance du 20 mai ajoute deux nouvelles modifications au dispositif érigé par l’ordonnance du 27 mars :

• « Sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan, le tribunal peut prolonger la durée du plan arrêté […] pour une durée maximale de deux ans, s’ajoutant, le cas échéant à la ou aux prolongations prévues au III de l’article 1 et au II de l’article 2 de l’ordonnance du 27 mars » (art. 5, I). Selon cette disposition, il apparaît que l’allongement de deux ans maximum est susceptible a maxima de porter la prolongation globale à quatre ans et trois mois (trois mois de plein droit, cinq mois [sur requête du commissaire à l’exécution du plan] ou un an [sur requête du ministère public] par le président du tribunal, un an par le tribunal [v. supra] ; deux ans par le tribunal résultant de l’ordonnance du 20 mai).

• « La durée maximale du plan arrêté par le tribunal […] est portée, en cas de modification substantielle, à douze ans ou, lorsque le débiteur est une personne exerçant une activité agricole […], dix-sept ans » (art. 5, II).

Une certaine ambiguïté apparaît ici dans l’articulation des I et II de l’article 5 de la nouvelle ordonnance. En effet, si l’allongement du plan apparaît comme un simple report accordé par le président du tribunal (I), la possibilité de prolonger la durée du plan jusqu’à douze ou dix-sept ans, selon le cas (II), semble réservée aux cas de modifications substantielles du plan, ce qui implique de nouveaux échanges contradictoires avec les créanciers. Cette articulation soulève la question de savoir si l’extension apportée par le I est enfermée dans le délai prévu au II de l’article 5 de l’ordonnance. Dans une interprétation stricte des dispositions, nous pensons que, si le président du tribunal peut adapter les délais au regard de l’allongement de la durée du plan telle que prévue au I sans respecter la procédure de modification substantielle, alors la durée du plan n’est pas limitée à ce qui est prévu au II, soit douze ans ; limite qui ne s’applique qu’en cas de modification substantielle nécessitant une consultation des créanciers.

Par ailleurs, les modalités du plan, et notamment les dividendes, peuvent être modifiées pour tenir compte de la nouvelle durée du plan. L’ordonnance du 20 mai apporte un changement important dans les modalités d’exécution du plan ainsi allongé : la possibilité pour le président du tribunal, ou le tribunal, de déroger au dividende annuel minimum de 5 % à partir de la troisième année d’exécution du plan, et la possibilité de reporter, jusqu’à deux ans, le paiement des sommes dues (C. civ., art. 1343-5). Il s’agit là de la possibilité d’octroyer une, voire deux années blanches que nous appelions de nos vœux lors de notre précédent commentaire (v. notre comm., préc.). Cette possibilité est bienvenue afin de permettre à chaque entreprise de consacrer ses capacités financières à absorber les conséquences de l’état d’urgence sanitaire, à financer le redémarrage de l’activité et au besoin, à répondre à des besoins d’investissements. Cette disposition apparaît d’autant plus nécessaire pour les entreprises qui bénéficient d’un plan que l’accès au crédit bancaire est restreint, y compris en pratique l’accès au prêt garanti par l’État (PGE) pour lequel une entreprise bénéficiant d’un plan n’est pas par principe exclu (v. Dalloz actualité, 15 mai 2020, obs. X. Delpech).

La disposition permet aussi au juge qui adapte les modalités de paiement, de prendre en considération l’intérêt particulier d’un créancier, ce qui est novateur par rapport l’application collective des propositions de plans. Cette disposition semble justifiée par la nécessité de prendre en compte l’impact que peut avoir la modification sur la situation économique d’un créancier, lui-même impacté par les conséquences de l’état d’urgence sanitaire. Enfin, pour accélérer la procédure, l’article 5, III de l’ordonnance précise que, « lorsque la demande de modification substantielle du plan prévue par l’article L. 626-26 du même code porte sur les modalités d’apurement du passif, le défaut de réponse des créanciers intéressés à la lettre recommandée prévue par le troisième alinéa de l’article R. 626-45 vaut acceptation des modifications proposées, sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital ».

Délais raccourcis et allègement des formalités de consultation des créanciers

Afin d’accélérer la procédure d’examen et d’adoption de plans de sauvegarde ou de redressement judiciaire, l’article 4 de l’ordonnance prévoit trois mesures, correspondant aux trois alinéas dudit article.

La première permet de raccourcir le délai de consultation des créanciers de trente à quinze jours, sur ordonnance du juge-commissaire au vu d’une requête de l’administrateur judiciaire ou du mandataire judiciaire.

La deuxième prolonge cet objectif en indiquant que « les propositions pour le règlement des dettes ainsi que les éventuelles réponses à ces propositions peuvent être communiquées par tout moyen permettant au mandataire judiciaire d’établir avec certitude la date de leur réception ». Ces deux mesures n’appellent pas d’observations particulières.

La troisième mesure doit davantage retenir notre attention. En effet, à rebours de la jurisprudence de la Cour de cassation (v. Com. 20 mars 2019, n° 17-27.527, Dalloz actualité, 10 avr. 2019, obs. X. Delpech[https://www.dalloz-actualite.fr/flash/conversion-du-redressement-en-liquidation-judiciaire-inutile-d-attendre-l-intervention-du-juge#results_box] ; D. 2019. 637 ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; Rev. sociétés 2019. 426, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2019. 493, obs. H. Poujade ; ibid. 762, obs. A. Martin-Serf ), l’alinéa 3 prévoit que des propositions de plan peuvent être établies au regard « des créances déclarées admises ou non contestées, ainsi que sur les créances identifiables, notamment celles dont le délai de déclaration n’est pas expiré ». Cette disposition permet de retraiter le passif déclaré qui intègre bien souvent, au moment de l’établissement provisoire du passif, des montants de créances contestées, car déclarées à titre provisionnel (créances fiscales et sociales), déclarées par prudence (loyers à échoir d’un contrat poursuivi en période d’observation) ou encore déclarées par erreur. Elle présente un intérêt certain en présence d’un important passif social et/ou fiscal contesté. Cette solution est d’autant plus opportune qu’elle permet d’éviter d’attendre la procédure de vérification de créance et l’admission définitive des créances pour circonscrire le passif déclaré et soumettre les propositions d’apurement au tribunal. Sur attestation du commissaire aux comptes ou de l’expert-comptable, les engagements du débiteur pourront porter sur un passif prévisible et suffisamment vraisemblable pour permettre au tribunal d’apprécier le caractère sérieux et fidèle du projet de plan.

Les dispositions relatives à la cession de l’entreprise

L’article 7 de l’ordonnance adapte deux mesures applicables dans le cadre d’une cession de l’entreprise.

En premier lieu, l’alinéa premier de l’ordonnance prévoit que la requête que le ministère public, prévue au deuxième alinéa de l’article L. 642-3, doit adresser au tribunal pour que ce dernier examine un projet de reprise présenté notamment par le dirigeant de l’entreprise défaillante puisse être formée par le débiteur ou l’administrateur judiciaire. Cette disposition est intéressante à un double titre. D’une part, elle permet de faciliter la reprise de l’entreprise dans le cas où l’intuitus personae du dirigeant est très important pour l’environnement économique de l’entreprise, de sorte que le dirigeant semble la personne la mieux disposée – voire la seule – à assurer la pérennité de l’activité. D’autre part, l’ordonnance déplace la responsabilité de la décision du ministère public vers le tribunal, sous réserve que ce dernier soit présent lors de l’audience. Ce changement procédural permet d’accélérer la procédure en supprimant l’examen préalable obligatoire de la demande de dérogation par le ministère public. L’avis du ministère public et l’examen de la demande seront réalisés au cours de l’audience d’examen des offres de reprise. Le rapport au président de la République souligne à ce titre que « le tribunal et le ministère public veilleront à ce que le plan de cession ne soit pas seulement l’occasion, pour le débiteur, d’effacer ses dettes et de réduire ses effectifs en présentant lui-même, ou par personne interposée, une offre de reprise ». L’avis du ministère public et la motivation du tribunal sont donc deux garde-fous importants dans la mise en œuvre d’un tel dispositif.

En second lieu, l’alinéa 2 de l’article 7 réduit de quinze à huit jours le délai de convocation des créanciers bénéficiant de sûretés et des cocontractants dont le contrat fait l’objet d’une demande de transfert par le candidat à la reprise (C. com., art. R. 642-7). Cette disposition est heureuse en ce qu’elle permet d’accélérer les cessions et facilite une reprise rapide de l’activité par le repreneur.

Les dispositions transitoires dans l’attente de la transposition de la directive européenne

Les dispositions transitoires visées par l’ordonnance s’appliquent aux procédures ouvertes entre le 22 mai 2020 (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance) et la date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance prévue par l’article 196 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, et au plus tard jusqu’au 17 juillet 2021 inclus. Elles visent les procédures accélérées, le privilège de new money en période d’observation ou au soutien d’un plan, ainsi qu’aux mesures facilitant le rebond de l’entrepreneur.

L’ouverture des recours aux procédures accélérées

Mêlant l’aspect préventif à l’accélération de l’adoption d’un plan de sauvegarde préparé en conciliation (mais non adopté amiablement par tous), l’article 3 de l’ordonnance permet d’élargir le champ d’application de la sauvegarde accélérée (C. com., art. L. 628-1) et financière accélérée (C. com., art. L. 628-9) à des sociétés non éligibles habituellement au regard des seuils imposés par l’article D. 628-3 du code de commerce (à noter ici la coquille dans le premier alinéa de l’article 3 de l’ordonnance puisque les conditions de seuils sont mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 628-1, et non au « quatrième alinéa » dudit article). Le rapport au président de la République précise que la fiabilité de la comptabilité du débiteur doit être compatible avec les conditions de mise en œuvre de ces deux procédures. Cette disposition constitue également un levier supplémentaire de négociation pour maintenir un ou plusieurs créanciers dans la procédure de conciliation et finaliser un accord dans ce cadre amiable, en évitant le recours à une procédure plus contraignante pour le ou les créanciers récalcitrants. Dans ce prolongement, l’alinéa 2 de l’article 3 prévoit, en cas d’échec de l’adoption du plan via le mécanisme de la sauvegarde accélérée ou financière accélérée, la possibilité, pour le débiteur, l’administrateur, le mandataire judiciaire, ou le ministère public, de solliciter, sans délai, une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire (en fonction de la situation du débiteur), permettant, par exemple, la mise en œuvre rapide d’un process de cession de l’entreprise.

L’instauration d’un privilège de new money en période d’observation ou pour faciliter un plan

L’instauration d’un privilège de new money en période d’observation ou pour faciliter un plan est une autre disposition phare de l’ordonnance destinée à inciter des personnes à consentir un « apport en trésorerie » (art. 5, IV). Nous savons qu’il existe depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 un privilège de new money dans le cadre de la procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-11). Avec la nouvelle ordonnance apparaît un privilège de new money dans le cadre d’une procédure collective inspiré en partie de l’article 17 de la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019. Ce nouveau privilège reçoit deux cas d’application.

Le premier cas concerne l’« apport de trésorerie » en période d’observation en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité. Un tel dispositif n’est pas inconnu, il est déjà permis par l’article L. 622-17 du code de commerce s’agissant notamment de prêts effectués dans la limite nécessaire à la poursuite de l’activité pendant la période d’observation. Ce nouveau privilège s’applique à tout apport de trésorerie octroyé par un partenaire contractuel de la société (établissement bancaire, fournisseur, client). Les associés peuvent également faire un apport en trésorerie sous la forme d’une avance en compte courant. Le juge-commissaire devra alors bien spécifier que cette avance ne pourra être convertie en capital social afin qu’il puisse bénéficier du privilège de new money. Le dernier alinéa de l’article 5 précise en effet, à l’instar de ce qui est prévu dans le cadre de la conciliation, que les apports – entendus ici au sens d’apport en capital – consentis par les actionnaires et associés dans le cadre d’une augmentation de capital ne peuvent être garantis par le privilège de sauvegarde ou de redressement (art. 5, IV, al. 6). Ce privilège a toutefois une assiette plus large puisque l’apport doit permettre d’assurer non seulement la poursuite d’activité (comme le prêt de l’art. L. 622-17 C. com.) mais également sa pérennité. Une nouveauté tient également à son rang. La créance bénéficiant du privilège sera réglée selon l’ordre prévu au III de l’article L. 622-17 et au III de l’article L. 641-13 du code de commerce et vient s’intercaler entre, d’une part, les créances de salaire dont le montant n’a pas été avancé telle que définie au 1° du III de l’article L. 611-17 et, d’autre part, les créances définies au 2°. Au demeurant, son paiement interviendra après le règlement des créances primant celles de l’article L. 622-17 du code de commerce. Tout comme le privilège de new money de l’article L. 611-11, le créancier dont la créance est couverte par ce nouveau privilège ne peut se voir imposer des remises et délais dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement. Cette disposition est importante dans le cadre du financement de la période d’observation. Si l’entreprise faisant l’objet d’une procédure collective à compter du 1er janvier 2020 n’est pas exclue du PGE, celle dont la procédure collective a été ouverte au plus tard le 31 décembre 2019 (inclus) demeure en revanche exclue du PGE, ce qui pose un sujet important de financement de la période d’observation pour une entreprise qui subit les mêmes conséquences de l’état d’urgence sanitaire. Cette nouvelle disposition participe à la réponse concernant le financement de l’entreprise en difficulté exclue du PGE.

Le second cas concerne l’apport de trésorerie visant à permettre l’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement arrêté ou modifié par le tribunal. Le dispositif est nouveau et favorisera l’adoption de plan en donnant une certaine garantie à ses financeurs, d’autant que le jugement qui arrête ou modifie le plan mentionnera chaque privilège ainsi constitué et précisera les montants garantis.

L’accélération du rebond du dirigeant

Deux dispositions de l’ordonnance permettent d’accélérer le rebond du chef d’entreprise dans le contexte d’état d’urgence sanitaire.

D’abord, l’article 6 de l’ordonnance modifie les seuils d’application du rétablissement professionnel et de la liquidation judiciaire simplifiée. Pour celle-ci, l’ordonnance écarte les conditions de seuils pour les personnes physiques dont le patrimoine ne comprend pas de biens immobiliers. Une dérogation est toutefois prévue si le nombre de salariés du débiteur au cours des six mois précédant l’ouverture de la procédure est supérieur à cinq. Quant au rétablissement professionnel, l’actif maximum du débiteur est désormais porté à un montant inférieur à 15 000 €. Cette élévation du seuil s’inscrit dans le droit fil de la volonté du législateur de favoriser l’ouverture d’un rétablissement professionnel afin que le débiteur poursuive son activité sans voir son patrimoine réalisé au profit des créanciers de l’entreprise, tout en effaçant son passif.

Ensuite, l’article 8 de l’ordonnance baisse de deux ans à un an le délai de radiation au registre du commerce et des sociétés des événements liés à une procédure collective (dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement) ; article applicable aux procédures en cours (art. 10, III). Au-delà du rebond facilité pour l’entrepreneur, cette mesure lui permettra également de retrouver plus rapidement la confiance et l’encours financier dans l’environnement économique de l’entreprise (client et fournisseur). Reste que, s’agissant du financement bancaire par exemple, la cotation crédit de la Banque de France reste un indicateur classifiant souvent de manière défavorable une entreprise ayant eu à connaître une procédure collective (cotation 5 en cas de plan de sauvegarde, ou 6 en cas de plan de redressement).

Finalement, l’augmentation du seuil pour le rétablissement professionnel, l’annihilation des critères de la liquidation judiciaire simplifiée (à l’exception du patrimoine immobilier) ou la réduction du délai de radiation démontrent bien la volonté du législateur d’accélérer le droit au rebond dans un contexte où la pandémie sanitaire fait progressivement la place à une pandémie économique.

Auteur d'origine: Delpech
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Le coronavirus perturbe le droit des assurances (v. J. Monnet, Assurance : doit-on envisager un régime d’indemnisation des catastrophes sanitaires ?, Cercle K2, 22 mars 2020). À peine les premières réclamations formulées par des entreprises pour leurs pertes d’exploitation, en pleine crise sanitaire, que d’importants assureurs ont tenté de créer la diversion. Avec un tapage médiatique qui véhicule la peur et inhibe la pensée, l’épouvantail du risque de faillite sériel des compagnies a été agité. On est loin d’une entrée en négociation sincère et loyale (J.-E. Robiou du Pont, S’inspirer de L’Art de la guerre de Sun Tzu pour mettre en œuvre l’obligation d’engager des négociations sincères et loyales, Dalloz actualité, Le droit en débats, 2 juill. 2019). Si nous ne connaissons pas encore l’issue du spectacle auquel se livrent certains assureurs, les premières scènes sont jouées et l’ordonnance rendue par M. Rain, président du tribunal de commerce de Paris, le 22 mai dernier, est le premier acte judiciaire, avec une solide argumentation, qui, s’il ne constitue qu’un référé et non une décision au fond tout en ne portant que sur un type de contrat d’assurance et non sur l’ensemble des contrats, permet de planter le décor et la trame du théâtre indemnitaire et contentieux de l’assurance pertes d’exploitation, dans un contexte politique dont il est difficile de faire abstraction.

Acte I – Le martèlement médiatique de l’inassurabilité du risque pandémique

Scène 1 – Au secours la solidarité nationale !

L’enjeu économique de l’indemnisation des pertes d’exploitations dans le contexte pandémique avoisinerait les 50 milliards d’euros (A. Pélissier, Les pertes d’exploitation dans tous leurs états, RGDA n° 5, mai 2020, 117k3, p. 29). Très tôt, il a été avancé que la profession ne pourrait s’en sortir seule, sa survie dépendant de la solidarité nationale. La création d’un « régime d’assurance pandémie » a ainsi été proposée par le PDG d’AXA. En cas de crise, les assureurs paieraient jusqu’à deux à trois fois le montant des primes, l’État prenant le relais au-delà » (N. Thouet, Coronavirus : Thomas Buberl (AXA) favorable à la création d’un régime d’assurance pandémie, L’Argus de l’assurance, 6 avr. 2020 ; H. Rousseau, AXA propose un « régime d’assurance pandémie », Le Figaro, 5 avr. 2020 ; Après la crise du coronavirus, le PDG d’AXA veut créer un « régime d’assurance pandémie », Le Monde, 5 avr. 2020). Traduction, une indemnisation forfaitaire, très limitée pour les assureurs – permettant d’inhumer le principe indemnitaire –, et le reste, l’essentiel, à la charge de l’État. À la suite d’un communiqué de la présidente de la FFA, un groupe de travail associant les assureurs et le ministère des finances a été lancé (V. Chocron, Coronavirus : Bercy et les assureurs travaillent à un régime d’assurance pandémie, Le Monde, 14 avr. 2020).

Scène 2 – Ne pas scier la branche sur laquelle on est assis

Les assureurs sont relayés par des membres de leurs réseaux (« Elle intervient ainsi notamment en droit la construction pour des compagnies d’assurance […] ») affirmant que « les assureurs ne pourront pas être les seuls débiteurs » et qu’« en pratique, très peu de contrats d’assurance prévoient une telle garantie et sont donc susceptibles d’être mis en œuvre » (C. Létang, Coronavirus : « Les assureurs ne pourront pas être les seuls débiteurs », Le Monde, 30 avr. 2020 ; comp. B. Néraudau, Les conséquences économiques de la crise sanitaire covid-19 sur le secteur de l’assurance, bjda.fr, 2020, n° 68).

Cette capacité au martèlement médiatique n’est pas nouvelle. Les assureurs avaient déjà inventé, par exemple, la « pseudo-bombe » du risque médical en 2002 – démentie depuis par les statistiques qu’enregistre l’Observatoire des risques médicaux – pour « récolter davantage de primes à l’avenir et laisser à la solidarité nationale la prise en charge du risque le plus lourd » (C. Rodet et R. Bigot, « Les enjeux de la pandémie sur l’assurance », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, 1re éd., Ellipses, 2020).

Scène 3 – La mise en œuvre de diversions

Des diversions à l’éventuelle application de contrats d’assurance en cours ont été mises en œuvre. S’attribuant le bon rôle, d’aucuns ont annoncé des mesures qui sortent du champ des engagements contractuels tels que la suspension de l’envoi automatique des mises en demeure en cas de retard de paiement des primes (S. Acedo, Coronavirus : AXA et MMA prennent des mesures spéciales pour les entreprises, L’Argus de l’assurance, 20 mars 2020). L’illusion des pseudo-gestes commerciaux est éphémère cependant. Le retour à une réalité, plus juridique que médiatique, a laissé apparaître les prémices de scissions au sein de la profession.

Scène 4 – Les prémices de scissions

AXA semble résister judiciairement pour obtenir une décision de principe qui lui soit favorable à propos d’une police d’assurance identique qu’elle aurait distribuée auprès de 6 000 entreprises, notamment de restauration (N. Thouet, Coronavirus : AXA assigné en justice pour refus d’indemnisation des pertes d’exploitation, L’Argus de l’assurance, 16 avr. 2020). Or, en France, « d’autres assureurs proposeraient des garanties avec une extension pour les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative. Dans un communiqué daté du 14 avril, le groupe Covéa indique ainsi avoir mobilisé 300 millions d’euros pour les garanties contractuelles directement mobilisées en réponse à la crise pandémique » pour des restaurateurs et hôteliers (ibid. ; S. Acedo, Coronavirus : un assureur accepte d’indemniser des restaurateurs, L’Argus de l’assurance, 20 avr. 2020). Chez BPCE IARD, 4 000 polices « sont éligibles à une garantie en cas de fermeture administrative liée à une épidémie » (ibid.).

Acte II – L’entrée en scène du régulateur de l’assurance

Scène 1 – Attention aux engagements !

L’ACPR a constaté, en début de crise, que malgré l’ampleur des effets de celle-ci, « les assureurs ont pu l’absorber grâce aux marges de sécurité dont ils disposaient en entrant dans la crise. Tout doit être mis en œuvre pour que le secteur reste, quelles que soient les circonstances, à même de faire face à l’ensemble des engagements qu’il a pris vis-à-vis de ses assurés » (ACPR, L’ACPR appelle les organismes d’assurance sous sa supervision à s’abstenir de distribuer un dividende, Communiqué de presse, 3 avr. 2020).

Scène 2 – Doucement sur les dividendes !

L’ACPR a appelé les organismes d’assurance sous sa supervision à s’abstenir de distribuer un dividende pour faire face à ses engagements (ibid.).

En parallèle, en comparaison avec l’information économique disponible, tout un chacun peut observer les montants astronomiques des bénéfices et des dividendes distribués par certaines de ces grandes compagnies ces dernières années (AFP, Les entreprises du CAC 40 ont dégagé près de 80 milliards d’euros de bénéfices en 2019, 6 mars 2020 ; comp. P. Jacqué et D. Gallois, Les entreprises du CAC 40 ont gagné 91,15 milliards d’euros en 2018, Le Monde, 8 mars 2019).

Scène 3 – Un œil sur les pratiques

L’ACPR a encore rappelé que « les assureurs ont, dans cette crise inédite, un rôle essentiel à jouer auprès de leurs clients et doivent accorder une attention particulière à la qualité du règlement des sinistres couverts par les contrats et à leurs pratiques commerciales » (ACPR, L’ACPR appelle les organismes d’assurance à porter une attention soutenue aux relations avec leurs clients, Communiqué de presse, 21 avr. 2020). Pratiques qui posent problème, puisqu’il a été relevé dans une branche que « plus d’un tiers » des acteurs détournaient leurs obligations (R. Bigot, Les offres publicitaires en assurance-vie avec versements sur des unités de compte sous la haute surveillance de l’ACPR, bjda.fr, 2020, n° 68). Dans une décision récente, la Commission des sanctions de l’ACPR a visé expressément l’article L. 113-5 du code des assurances avant d’interdire la commercialisation des contrats d’assurance pendant deux ans par la société d’assurance concernée (ACPR, Comm. des sanctions, 25 nov. 2019, procédure n° 2019-01, Elite Insurance Company Limited, consid. 7 à 10).

Scène 4 – Lancement d’une enquête officielle sur les garanties en pertes d’exploitation

Dans la continuité, « un certain nombre de secteurs économiques connaissent des chutes d’activité importantes dont certaines pourraient être couvertes par des garanties de perte d’exploitation vendues par des assureurs », l’ACPR a donc diligenté une enquête pour « établir un état des lieux des principaux contrats commercialisés sur le marché français dans le cadre de l’exercice de ses missions de supervision prudentielle et de suivi des pratiques commerciales. Les premiers enseignements tirés de cette analyse seront soumis au collège de l’ACPR dans les prochaines semaines de juin et juillet » (ACPR, L’ACPR lance une enquête thématique sur les garanties en perte d’exploitation, Communiqué de presse, 6 mai 2020).

En l’attente, l’ordonnance rendue le 22 mai 2020 par le tribunal de commerce de Paris plante un nouveau décor, avec des projecteurs tournés vers une police type, qui invite à un entracte dans les coulisses des polices pertes d’exploitation.

Entracte – Les coulisses des polices pertes d’exploitation

Le champ des polices pertes d’exploitation

Plusieurs obstacles successifs se présentent au restaurateur souhaitant être indemnisé par l’assurance privée de ses pertes d’exploitations. Il doit avoir souscrit, primo, une garantie pertes d’exploitation, laquelle n’est que facultative dans les polices multirisques entreprise. Secundo, cette garantie pertes d’exploitations doit pouvoir s’appliquer sans dommage matériel préexistant. Tertio, aucune exclusion relative à un fait générateur du type épidémie ou pandémie ne doit figurer dans la police. Le cas échéant, « à condition que cette clause d’exclusion soit formelle et limitée (C. assur., art. L. 113-1, al. 1) et figure en caractères très apparents dans la police (C. assur., art. L. 112-4, al. 3), ce qui reste encore à apprécier pour certaines clauses ayant circulé pendant la crise sanitaire, les pertes d’exploitation ne seront pas garanties » (A. Pélissier, art. préc.). Il est de jurisprudence constante qu’une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée (Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 99-10.849, D. 2001. 2778 , note B. Beignier ; ibid. 2002. 2115, obs. J. Bonnard ; RDI 2001. 488, obs. G. Durry ). Tel est le cas lorsqu’il y a une ambiguïté.

En d’autres termes, en la matière, « le sur-mesure est sans doute plus marqué que pour les autres garanties » et « la configuration de l’assurance des pertes d’exploitation est largement commandée par la pratique contractuelle : il n’existe pas en effet de disposition spécifique qui lui soit consacrée dans le livre premier du code des assurances » (M. Robineau, « L’assurance des pertes d’exploitation », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], op. cit.). Par conséquent, envisager l’indemnisation liée à cette garantie consiste à s’en remettre aux termes de chacun des contrats d’assurance (P.-G. Marly, L’assurance face au coronavirus, LEDA, avr. 2020, p. 1 ; Covid-19, Assurance-0 ? Libre propos sur la couverture des pertes d’exploitations liées à la crise sanitaire, bjda, 2020, n° 68 ; Pertes d’exploitations et pandémie : l’interview de Pierre-Grégoire Marly, L’Argus de l’assurance, 29 avr. 2020). Quand les conditions sont réunies, « sauf à occulter son métier d’assureur, il lui serait difficile de prétendre ne pas avoir accepté d’assumer le risque » (ibid.).

La Cour de cassation a jugé dernièrement qu’un assureur devait les pertes d’exploitation résultant de l’arrêt d’une centrale hydroélectrique en raison de la rupture de la courroie par suite d’un défaut de conception du multiplicateur imputable à l’assurée, écartant la clause excluant les dommages immatériels non consécutifs résultant de l’inaptitude du produit livré à atteindre des critères techniques contractuellement définis (Civ. 3e, 14 mai 2020, n° 18-22.160, Dalloz jurisprudence).

La méthode indemnitaire

Lorsque le sinistre est couvert vient le temps de l’indemnisation des pertes d’exploitation consistant, selon le principe indemnitaire, à replacer l’entreprise dans la situation financière qui aurait été la sienne en l’absence d’événement dommageable et d’interruption d’activité. Elle s’appuie sur la notion de marge brute qui « représente la part de chiffre d’affaires non absorbée par les achats et frais variables qui, par hypothèse, disparaissent avec l’activité. La marge brute est calculée en application des règles du droit comptable et est quantifiée sous la forme d’un pourcentage. Il en résulte un taux de marge brute, qui est identique avant et après le sinistre » (M. Robineau, préc.). En toute hypothèse, il faut se reporter aux termes du contrat.

Acte III – Le changement de décor : projecteurs sur le tribunal de commerce de Paris

Scène 1 – L’assignation

Un restaurateur parisien a sollicité, le 29 avril 2020, du président du tribunal de commerce de Paris une ordonnance l’autorisant à assigner en référé d’heure à heure son assureur AXA France IARD, afin de faire juger, d’une part, que l’obligation de l’assureur d’indemniser le restaurateur de son préjudice constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative de son restaurant n’est pas sérieusement contestable et, d’autre part, que la situation actuelle du demandeur présente un caractère d’urgence, pour, en conséquence, ordonner à l’assureur de lui verser une provision s’élevant à la somme de 72 878,33 € sous astreinte de 1 000 € par jour de retard. À cet effet ont été notamment visés les articles 1103 et 1104 du code civil aux termes desquels « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » et « doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », de même que les articles L. 113-1, al. 1, et L. 113-5 du Code des assurances. À ce titre, « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». En outre, « lors de la réalisation du risque ou à l’échéance du contrat, l’assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà ».

A été demandé, en outre, la désignation d’un expert avec la mission d’évaluer non seulement le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d’indemnisation, mais aussi le montant des frais supplémentaires d’exploitations pendant la période d’indemnisation (T. com. Paris, 22 mai 2020, n° 2020017022, p. 2).

Scène 2 – Les conclusions en réponse de l’assureur

L’assureur, dans ses conclusions en réponse, a opté, suivant sans doute son conseil, pour la méthode, à tiroirs, des moyens « subsidiaire », « plus subsidiaire » et « infiniment subsidiaire », qui affaiblissent fortement le moyen principal mais préservent l’avocat d’une éventuelle action en responsabilité pour manquement au principe de concentration des moyens.

Il a ainsi été soutenu, à titre principal, l’incompétence du juge des référés pour interpréter le contrat d’assurance (ord. préc., p. 3) et le renvoi devant le juge du fond, de même que le débouté de toutes les demandes de son assuré. Selon le défendeur à l’action, l’assuré ne démontrait pas l’urgence nécessaire à une action en référé et il existait des contestations sérieuses s’agissant de l’obligation de garantie de l’assureur en raison d’un litige entre les parties nécessitant l’interprétation du contrat d’assurance qui les lie.

À titre subsidiaire, l’assureur a sollicité que, « si par extraordinaire le juge des référés se déclarait compétent : juger n’y avoir que le risque relatif aux pertes d’exploitation consécutives à une pandémie est inassurable, en l’état par un mécanisme d’assurance privé, raison pour laquelle ce risque n’est pas garanti par AXA en l’espèce ; en conséquence, rejeter les demandes formulées à l’encontre d’AXA » (ord. préc., p. 3).

À titre plus subsidiaire, l’assureur a invoqué que, si ce risque était déclaré assurable, « l’arrêté du 14 mars 2020 n’a aucunement ordonné la fermeture des restaurants et que la fermeture du Bistrot d’à côté Flaubert résulte donc de la seule décision volontaire et non contrainte de la société Maison Rostang » et que cet arrêté « ne constitue pas une décision de “fermeture administrative” » (ord. préc., p. 3, in fine).

À titre infiniment subsidiaire, le défendeur a demandé, au cas où les garanties d’AXA étaient mobilisables en l’espèce, la réduction de l’indemnisation réclamée jusqu’au 15 juillet 2020 au motif que « le gouvernement a annoncé que la réouverture des restaurants devrait intervenir début juin », le préjudice sur la période s’étalant de début juin 2020 au 15 juillet 2020 étant incertain (ord. préc., p. 4).

Scène 3 – D’une ordonnance juridiquement motivée au premier restaurateur judiciairement indemnisé

Par suite d’une audience du 12 mai 2020, le prononcé de l’ordonnance a été remis le 22 mai 2020. Les juges du référé ont pris soin de donner une motivation fournie. En même temps, ils ont écarté l’objection mais ont répondu, par anticipation, du fond.

À ce titre, en premier lieu, le tribunal de commerce de Paris s’est prononcé sur la recevabilité de l’action et a relevé que l’urgence était établie. La juridiction a retenu que l’assuré « démontre, attestation de son expert-comptable à l’appui, que sa situation financière est gravement obérée et se traduit à date par un déficit de trésorerie de 201 413 € qui s’aggravera au 29 mai de 49 903 €, montant de l’avance d’indemnité d’activité partielle pour la totalité des équipes des deux établissements composant la Société » (ord. préc., p. 4, in fine).

En deuxième lieu, le tribunal a déclaré l’action en référé recevable, avec un raisonnement qui attire l’attention et qui est le cœur du problème assurantiel : « AXA France IARD explique le caractère inassurable du risque pandémique tant au plan économique que juridique. Ce débat, pour intéressant qu’il puisse être et sur lequel les avis divergent ne nous concerne pas. Nous avons à nous prononcer sur l’application d’un contrat d’assurance précis comportant conditions générales, conditions particulières et intercalaire SATEC le tout constituant la loi des parties et ceci, sans avoir à trancher des contestations sérieuses » (ord. préc., p. 5).

Le tribunal a relevé, d’une part, que l’assureur « ne s’appuie sur aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie, il incombait donc à AXA d’exclure conventionnellement ce risque. Or ce risque n’est pas exclu du contrat signé entre les parties » et, d’autre part, qu’il « prétend que l’application de la clause fermeture administrative doit avoir pour fait générateur la réalisation préalable d’un événement garanti au titre de la perte d’exploitation. Cette affirmation n’est étayée par aucune référence contractuelle. Les conditions particulières (pièce 8) et l’intercalaire SATEC (pièce 9) mentionnent la fermeture administrative comme une extension de la perte d’exploitation au même titre par exemple que “meurtres ou suicides dans l’établissement”. Aucun préalable n’est exigé contractuellement, ainsi cette allégation fantaisiste sera écartée » (ibid. ; nous soulignons).

De même, alors que l’assureur « avance que la fermeture administrative qui était visée dans le contrat était celle qui est prise par le préfet du lieu où est situé l’établissement et non par le ministre de la santé », le juge commercial a retenu : « Que ce soit le préfet ou le ministre, en droit français, il s’agit dans les deux cas d’une décision administrative et aucune exclusion contractuelle ne vise le ministre. Cette contestation sera donc également écartée comme non sérieuse » (ord. préc., p. 5).

L’assureur mentionne en outre que « l’arrêté du 14 mars 2020 n’impose pas la fermeture de l’établissement mais seulement de ne plus recueillir du public et que celui-ci est autorisé à maintenir son activité à emporter et de livraison et d’en conclure que l’établissement n’a été fermé que par la décision du chef d’entreprise qui n’a pas voulu se lancer dans la vente à emporter ». Néanmoins, sur ce point, le tribunal a constaté que le restaurant « n’a jamais pratiqué la vente à emporter ni la livraison et que donc la mise en place d’une telle activité n’était pas autorisée. À supposer que cette activité fut possible, le fait de n’y avoir pas recouru ne supprime pas l’interdiction de ne plus recevoir du public ce qui est fondamental pour un restaurant traditionnel. La marge que procurerait cette activité de vente à emporter pour autant qu’elle en procure devrait être prise en compte dans la détermination du montant garanti. L’interdiction de recevoir du public est bien une fermeture administrative totale ou partielle du restaurant. Cette contestation sera donc également écartée comme non sérieuse » (ord. préc., p. 5, in fine).

En troisième et dernier lieu, le tribunal a jugé la demande de provision justifiée dans son principe, au titre d’indemnisation du préjudice constitué par les pertes d’exploitations résultant de la fermeture administrative, compte tenu de la situation financière de la société assurée et l’absence de contestation sérieuse. Les magistrats ont relevé que « la partie défenderesse ne soulève pas d’objection à ce stade quant à la marge mensuelle garantie mais déclare le préjudice incertain entre le 1er juin et le 15 juillet, la décision de fermeture ou de réouverture sur cette période n’étant pas encore connue. Nous disons cette remarque fondée et réduirons la provision allouée en conséquence (2,5/4) » (ord. préc., p. 6). Le tribunal a ainsi ordonné le versement d’une provision de 45 000 €, équivalant à deux mois et demi sur la marge brute, et a estimé nécessaire de l’assortir d’une astreinte de 1 000 € par jour à compter de la signification de la présente ordonnance.

La lecture de la décision, qui n’est certes que de référé, et non encore du fond, insistons, mais dont la motivation pourra être transposée, a suscité de vives émotions chez les parties, immédiatement reprises dans les médias.

Côté restaurateur, « aujourd’hui, c’est un grand moment pour tous les petits et les grands patrons qui souffrent, qui m’ont donné l’énergie de me battre. AXA a mis des moyens démesurés pour nous anéantir. Nous avons affronté une multinationale, et nous avons gagné » (Le tribunal de commerce ordonne à AXA d’indemniser un restaurateur parisien, Le Figaro, 22 mai 2020 ; V. Chocron, Un restaurateur sinistré par le coronavirus remporte une première victoire face à l’assureur AXA, Le Monde, 22 mai 2020). La compensation ordonnée pour l’un de ses quatre établissements lui laisse espérer l’indemnisation des autres, qu’il estime à plus d’un million d’euros (S. Acedo, Pertes d’exploitation : AXA France condamné à indemniser un restaurateur, L’Argus de l’assurance, 22 mai 2020).

Côté assureur, AXA ne semble y voir qu’une première étape de procédure et se projeter dans un long chemin judiciaire, affirmant que ce désaccord « fera l’objet d’un débat sur le fond » (Le Figaro, 22 mai 2020, art. préc.). Dans la foulée, l’assureur entend jouer, à nouveau, la carte marketing, envoyant comme porte-parole son directeur de la communication, lequel s’est contenté de balayer, d’une courte phrase artificielle, l’entier débat : « évitons les confusions et la démagogie » (E. Lemaire, directeur de la communication, de la marque AXA France, Pertes d’exploitation : évitons les confusions et la démagogie, L’Argus de l’assurance, 22 mai 2020). Mais, si confusion il y a, l’assuré pourra bénéficier de l’interprétation in favorem de l’article 1190, in fine, du code civil, le contrat d’adhésion s’interprétant contre celui qui l’a proposé. Si l’interprétation se pose à l’avenir, ce texte s’applique aux professionnels.

Épilogue

Si les tribunaux de commerce font régulièrement, et de longue date, l’objet de vives critiques, la présente ordonnance paraît, du point de vue de la technique juridique et de sa motivation en droit des contrats et des assurances, solide. On ne peut que se féliciter d’un retour à la juste rigueur juridique et que la bataille ne se gagne pas toujours hors des prétoires. Certes, la décision est déjà frappée d’appel.

Il n’a pas été prononcé d’amende civile – « sorte de police de l’action sanctionnant celui qui soumet une prétention à un juge de manière abusive » (Rép. pr. civ., v° Action en justice, par N. Cayrol, n° 166) – pour une résistance abusive en référé, ce qui aurait été peu commun. Pourquoi le tribunal a-t-il néanmoins qualifié les allégations de l’assureur de « fantaisistes » ? N’anticipe-t-il pas une résistance judiciaire au fond ? À tout le moins, le tribunal a renvoyé ces « allégations fantaisistes » au monde ou à l’hypothèse du non-droit (J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., LGDJ, 2001, p. 25 s.), rappelant que, dans le monde du droit, ici de l’assurance, seul compte le contrat, rien que le contrat mais tout le contrat d’assurance ! La formule de M. Rain fera date dans le contentieux de l’assurance, elle mériterait d’être citée dans Les grands arrêts du droit de l’assurance (par J.-C. Berr et H. Groutel, Sirey, 1978), version nouvelle.

Un auteur livre son analyse du mouvement en cours : « Quant à la règle contractuelle, qui est censée dresser une digue contre l’indemnisation des pertes d’exploitation sans dommage et des dommages causés par des épidémies ou des micro-organismes, on pouvait penser que le danger viendrait du juge qui aura à se prononcer sur la validité ou l’interprétation de telle ou telle clause (car toutes les polices du marché ne sont pas rédigées de la même manière). Mais, sans attendre que les prétoires rouvrent, la digue est emportée sous l’action de certains assureurs qui font fi de leur propre loi en prétendant indemniser leurs assurés au-delà de ce qu’elle prévoit. Par-delà les inévitables soupçons de comportements opportunistes (et intéressés, s’il s’agit, en fait, de minimiser des engagements au contenu mal circonscrit), il faut dénoncer cette prise de distance par rapport au contrat, alors qu’il est indispensable à l’opération d’assurance, à son équilibre et à sa sécurité. C’est un bien mauvais signal que l’on donne ainsi à l’opinion publique et aux juges qui sauront s’en souvenir le jour où les mêmes assureurs voire d’autres – malheur à eux ! – voudront se retrancher derrière une loi contractuelle ainsi démonétisée. C’est d’autant plus regrettable qu’il y a bien d’autres manières pour une profession, désormais éclatée, de contribuer à l’effort de solidarité nationale » (L. Mayaux, Le droit à l’épreuve du coronavirus, Éditorial, 117j8, p. 1 ; Coronavirus et assurance, JCP 2020, n° 11, 295 ; Pertes d’exploitation : le contrat d’assurance dans une zone de turbulences, L’Argus de l’assurance, 5 mai 2020). Toutes les opinions font l’objet d’une joute (S. Acedo, Pertes d’exploitation : l’affaire Crédit Mutuel prend un tournant politique, L’Argus de l’assurance, 30 avr. 2020). La présente décision alimentera nécessairement les commentaires.

Présentement, le risque majeur, qu’on percevait des siècles avant J.-C. dans une fable d’Ésope, avec un jeune berger ne trouvant plus aucun secours à force d’avoir crié au loup, en l’absence de danger, est la rupture de confiance, qui est pourtant l’essence de la mutualisation assurantielle.

Auteur d'origine: Bley

Trublion de la distribution de chaînes et services de télévision freemium, Molotov a vu ses contrats avec M6 puis TF1 successivement rompus peu de temps avant l’annonce de la création de la plateforme Salto. Tandis que Molotov s’exprimait sur l’opération dans le cadre du contrôle des concentrations, elle a décidé de saisir l’Autorité de la concurrence au fond et dans le cadre d’une demande de mesures conservatoires pour contester ces ruptures au motif qu’elles seraient anticoncurrentielles.

Dans sa saisine, Molotov a manifestement fait feu de tout bois en soutenant que ces ruptures constituaient un abus de position dominante collective de la part des groupes TF1 et M6, un abus de dépendance économique, ainsi qu’une entente anticoncurrentielle.

L’Autorité a rejeté de manière cinglante ces prétentions pour défaut d’éléments suffisamment probants, ce qui ne semble pas émouvoir le saisissant qui a d’ores et déjà annoncé qu’il reviendrait à la charge. Sur le plan théorique, la décision de rejet apporte un éclairage troublant sur les conditions dans lesquelles la rupture d’une relation commerciale à la faveur d’un projet de concentration non encore abouti n’entre pas dans la qualification de pratiques anticoncurrentielles. Elle interroge également sur la ligne de démarcation qui s’opère entre le droit des pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des concentrations.

Sauf preuve du contraire, le comportement des parties à un projet de concentration n’est pas collectif.

En rejetant comme elle l’a fait la saisine de Molotov pour défaut d’éléments de preuves suffisants, l’Autorité entendait-elle dégager une présomption d’absence de collectivité comportementale préalable à une concentration ? Probablement pas. Peut-être entendait-elle rejeter uniquement sur le terrain de la preuve sans plus ample débat de fond les seuls arguments qui lui ont été présentés.

Ce sont quelques questions que l’on peut se poser à la lecture de la décision de rejet. En effet, par trois fois, l’Autorité rejette les arguments de Molotov en s’appuyant sur l’impossibilité d’appréhender les comportements des fondateurs de Salto comme un comportement collectif en dépit du projet qui était manifestement en cours d’élaboration.

Sur la position dominante collective d’abord, l’Autorité rejette l’éventualité d’une telle collectivité en s’appuyant sur l’absence de liens structurels, capitalistiques ou juridiques entre TF1, M6 et France TV. Elle considère en effet que la détention commune de la chaîne Série Club par TF1 et M6 n’est pas suffisante pour qualifier une telle position et ajoute que Salto n’existait pas au moment des faits. Sur le caractère éventuellement dominant, l’Autorité examine à peine la définition de marché proposée par Molotov dès lors que le critère des liens n’est pas constitué.

Sur la dépendance économique ensuite, l’Autorité considère que la situation dans laquelle se trouvait Molotov ne pouvait être appréhendée de manière collective à l’époque des faits mais uniquement de manière bilatérale. Or, de ce point de vue et en l’absence de données fournies sur la part de chiffre d’affaires que représente chacune des défenderesses, l’Autorité considère que la dépendance économique n’est pas constituée. On peut regretter que l’Autorité se réfère quasi uniquement à cette absence de donnée sur le chiffre d’affaires pour rejeter l’argument, tant la situation de dépendance économique résulte normalement de la conjonction de plusieurs facteurs. Est-ce à dire que ce critère parmi tous les critères est le plus déterminant ?

Sur l’entente enfin, si l’Autorité admet un certain parallélisme de comportements, elle relève que les négociations étaient bilatérales entre Molotov et M6, d’une part, et Molotov et TF1, d’autre part, et émaillées de manquements contractuels de la part de Molotov. Elle relève également que le timing des ruptures n’a pas été le même, la première rupture est en effet intervenue peu de temps avant l’annonce du projet Salto, tandis que la seconde rupture est intervenue pendant le processus de notification de Salto au titre du contrôle des concentrations. L’Autorité retient que Molotov n’apporte pas la preuve d’un accord de volonté et écarte donc cette allégation. Là encore, on peut regretter que l’Autorité n’ait consacré aucun développement sur le point de savoir si des discussions préalables à une concentration n’étaient pas susceptibles de permettre une telle concertation.

Rejetant ces arguments sur le terrain de la preuve et non du fond, l’Autorité nous plonge ainsi dans une grande frustration.

Des interrogations et des doutes quant à l’application du contrôle des concentrations

La solution aurait-elle été différente si l’Autorité avait considéré que le projet Salto existait si ce n’est juridiquement du moins structurellement avant qu’il ne soit autorisé au titre du contrôle des concentrations ? La prise en compte d’un tel projet comme un fait aurait-elle pu rendre plausible la possibilité d’une concertation et conduire à des conclusions différentes sous l’angle du droit des pratiques anticoncurrentielles ? Si oui, le rejet de cette hypothèse par l’Autorité doit-il nous conduire à considérer que, jusqu’à preuve du contraire, les parties à une future opération de concentration sont libres de réaménager leurs relations commerciales sans encourir le risque d’une infraction, même lorsque le projet de concentration envisagé va réunir des opérateurs qui représentent ensemble une part significative de certains marchés (TF1, M6 et France TV représentent 70 % de l’audience de la télévision gratuite en France) ?

Si l’Autorité n’a pas entendu dégager de tels principes et si le rejet de toutes les allégations se fonde uniquement et strictement sur l’absence de preuve, la question se pose tout de même de savoir pourquoi, alors qu’un processus de concentration était en cours, ni Molotov ni l’Autorité n’ont entendu évoquer le contrôle des concentrations, en particulier la possibilité d’une qualification de gun jumping, même si, là encore, elle avait probablement peu de chances d’aboutir.

Dans un contexte différent, la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion d’indiquer dans l’affaire EY/KPMG Denmark (CJUE 31 mai 2018, aff. C-633/16) que les opérations qui ne sont pas nécessaires pour parvenir au changement de contrôle ne relèvent pas de l’obligation de suspension de la concentration. Dans cette affaire, il s’agissait de la résiliation d’un contrat d’appartenance à un réseau. À l’évidence, les contrats conclus entre Molotov et TF1 et M6 n’étaient pas nécessaires à l’opération Salto, du moins pas dans une mesure telle qu’elle aurait conduit l’Autorité à adopter une position différente de celle de la Cour de justice.

Néanmoins, dans des circonstances différentes, l’Autorité aurait pu adopter une conclusion différente. Et, en tout état de cause, on ressent au fil de la lecture de la décision de rejet que la question du caractère préparatoire de ces ruptures à la concentration à venir était centrale. Alors même que l’Autorité admet dans sa décision Salto qu’il existe des risques de verrouillage des intrants par les fondateurs de Salto vis-à-vis d’opérateurs tels que Molotov, compte tenu de leur capacité et des incitations à le faire, il paraît très étonnant qu’une ligne de démarcation aussi claire soit faite entre le processus concentratif et les accusations de pratiques anticoncurrentielles.

Une telle démarcation est d’autant plus surprenante que, de son côté, Molotov a d’ores et déjà indiqué examiner les recours possibles et surtout ne pas exclure d’agir sur le terrain du respect des engagements pris devant l’Autorité de la concurrence, en particulier les engagements FRAND. Cette action n’apparaît donc que comme l’une des déclinaisons d’un positionnement stratégique plus global de Molotov vis-à-vis de Salto, en véritable frenemy. L’affaire est donc à suivre…

Auteur d'origine: nmaximin

L’ordonnance du 7 mai 2020 vise, selon le rapport au président de la République qui accompagne sa publication au Journal officiel, « à prendre diverses mesures en matière bancaire dans le contexte de crise sanitaire ». Deux mesures seulement, à la vérité, sont instituées par ce texte.

Relèvement du plafond de paiement par carte bancaire sans contact (art. 1er)

Les gestionnaires de système de cartes de paiement opérant en France (GIE CB, Visa, Mastercard) ont, en accord avec le gouvernement, décidé le 17 avril dernier du relèvement du montant unitaire maximum d’une opération de paiement par carte bancaire sans contact de 30 à 50 €, afin de limiter les contacts physiques entre clients et commerçants (communiqué de presse, 17 avr. 2020). Or une mise en œuvre rapide de cette décision se heurtait – outre à un problème technique d’adaptation des terminaux de paiement qui a été résolu – à un obstacle juridique. En effet, l’article L. 314-13, IV, du code monétaire et financier impose une notification au client de toute modification du contrat-cadre de service de paiement, sur un support durable avec un préavis de deux mois. C’est pourquoi, par dérogation temporaire au droit commun, l’ordonnance du 7 mai 2020 autorise les prestataires de service de paiement à augmenter le plafond de paiement sans contact par carte de paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, à condition qu’il n’y ait aucuns frais pour l’utilisateur de services de paiement et de l’informer par tout moyen de communication avant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Mais deux garde-fous ont été institués en faveur du client. D’abord, lorsque ce dernier n’a pas été informé de la modification de la convention de compte de dépôt ou du contrat-cadre par la fourniture d’un projet de modification sur support papier ou sur un autre support durable (comme cela est exigé par le droit commun), les établissements de crédit et les autres prestataires de service de paiement y procèdent avant l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Ensuite, si l’utilisateur refuse cette modification, il a le droit de demander, à tout moment et sans frais, la désactivation de la fonctionnalité de paiement sans contact ou de résilier la convention de compte de dépôt ou le contrat-cadre.

Favoriser l’utilisation des canaux dématérialisés en matière de crédit aux entreprises (art. 2)

Comme l’explique le rapport au président de la République, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, les établissements bancaires sont forcés de recourir à des canaux à distance (courrier postal, fax, etc.) pour la transmission de documents ou d’informations avec leur clientèle. Bien que l’utilisation des canaux dématérialisés soit prévue par la loi, que ce soit pour la mise à disposition ou remise d’informations ou documents (C. mon. fin., art. L. 311-7 à L. 311-13) ou pour le recueil du consentement (C. civ., art. 1366 et 1367), il s’avère que les établissements sont réticents à y recourir dans le contexte actuel en raison de l’incertitude juridique qui peut peser, en cas de contentieux, sur l’appréciation portée par le juge sur ces canaux dématérialisés.

Ces réticences poussent les établissements à privilégier l’échange de documents sur support papier, ce qui ralentit des procédures considérées comme urgentes (octroi de prêts garantis par l’État [PGE], report d’échéance de crédits) et pèse sur les délais de financement des entreprises qui sont déjà très tendus. Afin de réduire cette incertitude juridique, l’ordonnance du 7 mai 2020 prévoit qu’« aucune nullité ne peut être opposée aux établissements de crédit et aux sociétés de financement à raison du moyen utilisé pour transmettre les informations ou les documents et pour recueillir le consentement de l’emprunteur personne morale ou personne physique agissant pour ses besoins professionnels », cela uniquement lorsqu’ils octroient un report de remboursement de crédits sans pénalité ni coût additionnel ou un prêt garanti par l’État (PGE). Le dispositif ne concerne pas, en revanche, les crédits aux particuliers.

L’ordonnance étend également cette sécurisation, pour les seuls cas de reports d’échéance sans pénalités ni coût additionnel prévus par un engagement de la Fédération bancaire française (FBF) du 15 mars 2020 pour les crédits aux entreprises, aux actes et formalités visant à préserver les assurances, garanties ou sûretés afférentes au contrat de crédit concerné (communiqué de presse, 15 mars 2020). Comme le précise le rapport, cette disposition a des implications en matière de droit des sûretés, en ce qu’elle autoriserait notamment, pour ces cas de reports d’échéance, la dématérialisation des actes sous seing privé relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, contrairement à ce qui est prévu à l’article 1175 du code civil. Cette disposition ne modifie toutefois pas les obligations de contenu de ces différents actes ni le régime de la preuve applicable au consentement.

Ce dispositif, dans son double volet, est limité dans le temps à la durée de l’état d’urgence sanitaire. Il a même vocation à s’appliquer rétroactivement afin de couvrir tous les reports d’échéance sans pénalités ni coût additionnel prévus par l’engagement précité de la FBF et les PGE accordés depuis le début de l’état d’urgence sanitaire.

Auteur d'origine: Delpech

Le dispositif du prêt garanti par l’État (PGE) semble particulièrement prisé par les entreprises, à tout le moins celles privées d’activité – et donc de chiffre d’affaires – compte tenu des mesures de confinement imposées par les pouvoirs publics liées à la crise sanitaire du covid-19. À la date du 7 mai les banques avaient consenti des PGE à hauteur de 66,5 milliards d’euros, comme l’a révélé la dernière livraison du très utile tableau hebdomadaire publié par Bercy ().

Le ministre chargé de l’économie vient de prendre deux nouveaux arrêtés engageant l’État en qualité de garant, un tel arrêté supposant que l’entreprise bénéficiaire du PGE emploie, lors du dernier exercice clos, au moins 5 000 salariés et qu’elle dégage un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros). Ces arrêtés concernent les PGE consentis aux enseignes spécialisées dans la distribution d’articles de bricolage Castorama France SAS et Brico Dépôt SAS, à hauteur de 600 millions d’euros (Arr. du 11 mai 2020, JO 12 mai, texte n° 12) et à la compagnie de transport maritime CMA CGM SA, à hauteur de 1,050 milliard d’euros (Arr. du 12 mai 2020, JO 13 mai, texte n° 17).

Le cadre législatif et réglementaire du PGE – il résulte de la loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 (art. 6) et d’un arrêté du 23 mars 2020 (JO 24 mars, texte n° 10) – ayant été élaboré dans l’urgence, il n’est pas étonnant qu’il ait déjà fait l’objet d’ajustements (L. n° 2020-473 du 25 avr. 2020, art. 16, JO 26 avr., texte n° 1 ; Arr. du 17 avr. 2020, JO 21 avr., texte n° 6). Il s’agissait surtout de rassurer les banquiers, soucieux de faire prévaloir l’exigence d’automaticité dans la mise en œuvre de la garantie (en d’autres termes, il fallait, en creux, et coûte que coûte, écarter la qualification de cautionnement, car bien trop protectrice du garant). Deux nouveaux arrêtés modificatifs de l’arrêté du 23 mars 2020 viennent d’être publiés.

Un arrêté du 2 mai prévoit qu’il pourra être dérogé aux dispositions des articles 6 et 7 de l’arrêté du 23 mars, lorsque la garantie de l’État est accordée sur la base d’un arrêté du ministre de l’économie. Ces deux articles concernent respectivement le régime (assiette, mise en œuvre, etc.) et la rémunération de la garantie. Il s’agit là d’une simple faculté pour l’État. En fonction de ce qui est négocié entre ce dernier et les établissements prêteurs, ces articles – ou un seul des deux – pourront ainsi être écartés, conservés, ou encore adaptés.

Un arrêté du 6 mai, plus conséquent, adapte l’arrêté du 23 mars 2020 pour tenir compte du fait que la loi du 25 avril 2020 avait étendu le champ de la garantie de l’État aux prêts intermédiés par des intermédiaires en financement participatif (ce dispositif n’est donc plus réservé aux établissements de crédit et aux sociétés de financement). Puis il élargit le champ des entreprises éligibles au PGE. En étaient exclues à l’origine, entre autres, les sociétés civiles immobilières (SCI), sans doute parce que ce ne sont pas à proprement parler des entreprises, mais des structures de gestion du patrimoine, notamment familial. L’arrêté du 6 mai ouvre le dispositif du PGE à certaines SCI, probablement en raison de leur utilité sociale : SCI de construction-vente, SCI dont le patrimoine est majoritairement constitué de monuments historiques classés ou inscrits et qui collectent des recettes liées à l’accueil du public, enfin, SCI dont le capital est intégralement détenu par des organismes de placement collectif immobilier, ou par des sociétés civiles de placement immobilier, ou encore par des organismes professionnels de placement collectif immobilier.

S’agissant de la situation financière des entreprises éligibles au PGE, l’arrêté du 6 mai ramène l’exclusion des entreprises sous procédures collectives, aux seules procédures ouvertes avant le 31 décembre 2019 (inclus) et non encore closes au moment de l’octroi d’un prêt. Le PGE est donc désormais ouvert aux entreprises « qui, au 31 décembre 2019, ne faisaient pas l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ou de rétablissement professionnel s’agissant de personnes physiques, ou n’étaient pas en période d’observation d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, sauf à ce qu’un plan de sauvegarde ou de redressement ait été arrêté par un tribunal avant la date d’octroi du [PGE] ».

Enfin, l’arrêté du 6 mai explicite le fait que la garantie de l’État reste attachée au prêt : 1) en cas de cession de celui-ci par le banquier prêteur à une autre filiale ou entité affiliée au groupe bancaire auquel il appartient ; 2) en cas de mobilisation de celui-ci dans le cadre d’opérations de politique monétaire du Système européen des banques centrales (SEBC). En d’autres termes, la garantie de l’État constitue bien un accessoire du prêt dont il suit le sort s’il venait à être cédé par l’établissement qui l’a consenti. Voilà une précision qui va contribuer à faciliter la circulation du prêt et le refinancement des établissements qui consentent des PGE.

Auteur d'origine: Delpech

À côté du prêt garanti par l’État (PGE), le mécanisme du fonds de solidarité constitue le principal dispositif financier mis en place par les pouvoirs publics au bénéfice des entreprises dont l’activité a été frappée de plein fouet par les mesures de confinement décidées pour endiguer la propagation du virus du covid-19. Il a été institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, laquelle a été complétée par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 modifié par le décret n° 2020-433 du 16 avril 2020. Le décret du 30 mars vient d’être modifié une nouvelle fois, par un décret du 12 mai.

Si les conditions d’éligibilité au PGE sont très larges, le fonds de solidarité, qui prend la forme d’une subvention d’un montant de 1 500 €, constitue en revanche un dispositif plus ciblé, puisque seules peuvent en bénéficier les très petites entreprises et à condition qu’elles aient fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, ou qu’elles aient subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 (Décr. 30 mars 2020, art. 2 mod.). Le fonds devait prendre fin à la fin du mois de mars. Il a été prolongé une première fois jusqu’à fin avril par le décret du 16 avril (art. 5). Il l’est une nouvelle fois, jusqu’à fin mai (et même jusqu’au 15 juin 2020 pour les associations, les artistes auteurs et les associés des groupements agricoles d’exploitation en commun), par celui du 12 mai (art. 4 et 7 ; Décr. 30 mars 2020, art. 3 mod. et 3-3 nouv.).

Ce décret du 12 mai, au-delà de la prolongation du dispositif, apporte également des modifications assez substantielles au décret du 30 mars. En particulier, s’agissant des associations, qui sont des éligibles aux aides du fonds dès lors qu’elles exercent une activité économique, ce nouveau décret précise l’application du dispositif à leur situation particulière. Deux précisions essentielles sont apportées : elles doivent être assujetties aux impôts commerciaux ou employer au moins un salarié ; pour la détermination de leur chiffre d’affaires ou de leurs recettes nettes, il n’est pas tenu compte des dons et subventions perçus par elles (art. 2 ; Décr. 30 mars 2020, art. 1er mod.).

Par ailleurs, le décret étend, à compter des pertes du mois d’avril, le bénéfice du fonds aux entreprises créées en février 2020. Jusque-là, le fonds bénéficiait uniquement aux entreprises ayant débuté leur activité avant le 1er février 2020. Il étend également le bénéfice du fonds aux entreprises dont le dirigeant a perçu moins de 1 500 € de pension de retraite ou d’indemnités journalières durant le mois considéré (art. 5 ; Décr. 30 mars 2020, art. 3-1 mod.).

Enfin, le décret du 12 mai ouvre le deuxième volet du fonds – celui financé par les aides des régions et autres collectivités locales – aux entreprises ayant fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public qui n’ont pas de salarié et ont un chiffre d’affaires annuel supérieure à 8 000 € (art. 8 ; Décr. 30 mars, art. 4 mod.).

Auteur d'origine: Delpech

Il est peu de dire que la décision rapportée était attendue …

Elle fait suite à un renvoi de QPC par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui avait jugé sérieuse la question de la constitutionnalité du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce issu de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite « Pinel » sous l’angle de l’atteinte au droit de propriété du bailleur (Civ. 3e, QPC, 6 févr. 2020, n° 19-19.503 P, D. 2020. 335 ).

On rappellera qu’aux termes de ce texte, « en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ».

Si la haute juridiction de l’ordre judiciaire a considéré la question de la constitutionnalité de cet alinéa sérieuse, c’est en ce que ces dispositions « sont susceptibles de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur ».

Devant les juges de la rue de Montpensier, les demandeurs ont soutenu :

que les dispositions querellées portent atteinte au droit de propriété du bailleur sans pour autant être justifiées par un motif d’intérêt général ;que la limitation de l’augmentation du loyer de renouvellement pourrait avoir pour effet d’imposer un niveau de loyer fortement et durablement inférieur à la valeur locative du bien, entraînant ainsi une perte financière importante pour le bailleur ;que si ces dispositions, qui ne relèvent pas de l’ordre public, peuvent être écartées par les parties, leur application aux baux en cours, conclus avant leur entrée en vigueur mais renouvelés postérieurement, conduit dans ce cas à priver, en pratique, les bailleurs de la possibilité d’y déroger.

Ils n’ont pas été suivis par le juge constitutionnel, lequel a décidé que le lissage du déplafonnement tel qu’envisagé par la loi Pinel du 18 juin 2014 (et qui emprunte beaucoup à ce qui prévaut de longue date en matière de loyer de renouvellement d’un bail d’habitation en et hors zone tendue) ne contrevient pas à la Constitution.

Sur le premier grief, le Conseil constitutionnel justifie l’atteinte au droit de propriété par la poursuite d’un objectif d’intérêt général consistant à « éviter que le loyer de renouvellement d’un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales ».

Sur le deuxième grief (perte financière importante et durable pour le bailleur), les neuf sages remarquent que ce lissage va tout de même permettre au bailleur d’enregistrer tous les ans une hausse des revenus locatifs de 10 % et, à terme, d’obtenir l’application de la valeur locative.

Enfin, sur le caractère facultatif du lissage, mais rendu de facto obligatoire aux baux en cours, conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme mais renouvelés après cette date, il est remarqué que les dispositions contestées n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas les appliquer, soit au moment de la conclusion du bail initial, soit au moment de son renouvellement. Il est ajouté que, pour les baux conclus avant la date d’entrée en vigueur de ce dispositif et renouvelés après cette date, l’application du lissage ne résulte pas du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce, issu de l’article 11 de la loi Pinel du 18 juin 2014, mais de ses conditions d’entrée en vigueur déterminées à l’article 21 de la même loi.

Ainsi, le juge constitutionnel considère que le législateur de 2014 n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Comme par ailleurs le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, il est déclaré conforme à la Constitution.
 

Auteur d'origine: Rouquet

Comme pour les voyagistes, des conditions dérogatoires de résolution des contrats dans les secteurs de la culture et du sport ont été prévues. L’ordonnance n° 2020-538 du 7 mai 2020, prise en application de la loi dite d’urgence sanitaire du 23 mars 2020, permet aux entrepreneurs de spectacle vivant, organisateurs ou propriétaires des droits d’exploitation d’une manifestation sportive et exploitants d’établissements d’activités physique et sportives, qui auront dû mettre fin à leurs contrats de vente de titres d’accès entre le 12 mars et le 15 septembre 2020, de proposer des avoirs à leurs clients.

L’organisateur du spectacle doit proposer directement ou par l’intermédiaire de distributeurs autorisés, une nouvelle prestation permettant l’utilisation de l’avoir. La prestation proposée doit être de même nature et de même catégorie que la prestation prévue par le contrat résolu, son prix ne doit pas être supérieur à celui de la prestation prévue par le contrat résolu et ne donnait lieu à aucune majoration tarifaire.

La proposition est faite dans un délai de douze mois pour les contrats d’accès à une ou plusieurs prestations de spectacles vivants, et dix-huit mois pour les contrats de vente de titres d’accès donnant l’accès à une ou plusieurs manifestations sportives. Mais si à l’expiration de la période de validité de celui-ci, il n’y a pas eu de contrat relatif à une nouvelle prestation, l’entrepreneur de spectacle vivant, l’organisateur ou propriétaire des droits d’exploitation d’une manifestation sportive procède ou fait procéder au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre des prestations non réalisées du contrat résolu.

Auteur d'origine: pastor

Dalloz actualité publie trois ordonnances présentées en conseil des ministres aujourd’hui. D’autres sont à venir.

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Auteur d'origine: babonneau

Les règles européennes de concurrence ne s’adressent pas toutes aux mêmes destinataires : tandis que les unes s’appliquent aux entreprises, les autres s’adressent aux États membres, notamment à travers le contrôle des aides d’État.

Ces règles ont été récemment infléchies pour permettre aux États de répondre à la crise du covid-19 : on le sait, la Commission a adopté, le 19 mars 2020, une communication visant l’encadrement temporaire des aides d’État (v. Dalloz actualité, 26 mars 2020, obs. C. Collin), texte modifié le 3 avril 2020 pour permettre aux États membres d’exploiter pleinement la flexibilité prévue par les règles en matière d’aides d’État et ainsi soutenir l’économie dans le contexte épidémique. Trois premières aides visant à supporter l’économie française ont été autorisées dans les 48 h suivant l’entrée en vigueur de l’encadrement temporaire, une seconde décision d’autorisation concernant le régime français de « Fonds de solidarité » ayant été délivrée le 30 mars. La dernière soumission d’aide concernait le régime de garantie français pour les petites et moyennes entreprises dont les activités d’exportation pâtissent de la pandémie de coronavirus : celui-ci a également été autorisé, le 24 avril 2020, par l’autorité de contrôle. La Commission a en effet constaté que le régime notifié par la France était conforme aux conditions énoncées dans l’encadrement temporaire. En particulier, i) il couvre des garanties sur des crédits de fonctionnement dont la durée et le volume sont limités ; ii) il est limité dans le temps ; iii) il limite le risque pris par l’État à un maximum de 90 % ; iv) il prévoit une rémunération minimale des garanties ; et v) il contient des garde-fous suffisants pour que les banques réservent effectivement l’aide aux bénéficiaires qui en ont besoin. La Commission a conclu que la mesure était nécessaire, appropriée et proportionnée pour remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre, conformément à l’article 107, paragraphe 3, point b), du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et aux conditions énoncées dans l’encadrement temporaire.

Accordée sous la forme de garanties d’État sur les prêts, l’aide sera accessible à toutes les entreprises exportatrices françaises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 1,5 milliard d’euros. Le régime devrait permettre de mobiliser 150 millions d’euros, et il vise à limiter les risques liés à l’octroi de crédits aux entreprises exportatrices les plus durement touchées par les répercussions économiques de la pandémie de coronavirus, et à garantir ainsi la poursuite de leurs activités.

Règles applicables aux entreprises

Les entreprises n’ont pas été oubliées puisque la Commission européenne a publié le 23 mars, conjointement avec l’Autorité de surveillance AELE et les autorités nationales de concurrence formant ensemble le réseau européen de la concurrence, une déclaration commune sur l’application des règles antitrust pendant la crise covid-19 ; elle a également mis en ligne, le 30 mars, un site internet destiné à aider les entreprises qui souhaitent collaborer licitement, une adresse électronique dédiée ayant été créée pour accueillir les demandes de conseils informels sur des initiatives spécifiques. Enfin, elle a publié, le 8 avril, une communication mettant en place un « cadre temporaire pour l’appréciation des questions d’ententes et d’abus de position dominante liées à la coopération entre entreprises dans la réponse aux situations d’urgence découlant de l’actuelle épidémie de covid-19 ».

Selon la Commission, l’épidémie est une grave urgence de santé publique et a produit un choc majeur affectant l’ensemble de l’économie par différents canaux et de différentes manières : choc général de l’offre résultant de la rupture des chaînes d’approvisionnement, combiné à un choc asymétrique de la demande causé, soit par une baisse brutale de la demande des consommateurs pour certains produits et services, soit par une forte augmentation de la demande pour d’autres, notamment liés au secteur de la santé (en lequel sont inclus les sociétés pharmaceutiques, les producteurs d’équipements médicaux et leurs distributeurs). Ces circonstances exceptionnelles peuvent conduire les entreprises à coopérer entre elles afin de surmonter, ou du moins d’atténuer les effets de la crise au bénéfice ultime des citoyens. Elles peuvent ainsi assurer la fourniture et la distribution adéquate de produits et services essentiels rares pendant l’épidémie de covid-19, partant, remédier aux pénuries de ces biens essentiels : par exemple, les médicaments et les équipements médicaux utilisés pour tester et traiter les patients infectés, ou nécessaires pour atténuer et éventuellement surmonter l’épidémie.

Des nouveaux critères d’évaluation

Compte tenu de ces objectifs, la Commission propose à titre exceptionnel et temporaire de nouveaux critères d’évaluation « antitrust ». Dans le secteur de la santé en particulier, la coopération entre entreprises – qui peut d’ailleurs avoir été imposée, encouragée et/ou coordonnée par l’autorité publique – pourrait ainsi se présenter sous différentes formes, parmi lesquelles la coordination de la réorganisation de la production, dès lors qu’elle permettrait aux producteurs de satisfaire la demande de médicaments dont il y a un besoin urgent dans tous les États membres. Cette coopération peut en outre nécessiter des échanges d’informations commercialement sensibles et une certaine coordination quant au site qui produit tel ou tel médicament, de sorte que toutes les entreprises ne se concentrent pas sur un ou quelques médicaments, pendant que d’autres restent en sous-production.

Ces comportements sont évidemment problématiques et normalement condamnables au regard des règles européennes de concurrence ; il est en effet acquis qu’elles prohibent toute coopération ou échange d’informations entre opérateurs économiques, chacun devant déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché. Mais les circonstances exceptionnelles actuelles les autorisent et ne donnent pas lieu à une priorité d’application pour la Commission, sous réserve qu’ils soient limités dans le temps et répondent aux principes de nécessité et de proportionnalité – en tant qu’ils sont objectivement nécessaires, mais n’excèdent pas le strict nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à remédier à la pénurie d’approvisionnement ou à l’éviter.

Mieux encore, l’autorité encourage la coopération pro-concurrentielle visant à relever ces défis, notamment en réponse aux situations d’urgence liées à l’actuelle épidémie de covid-19. Cependant, elle est bien consciente que l’auto-évaluation de leurs accords par les entreprises, de principe depuis l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, pourrait ne pas suffire à assurer leur sécurité juridique, notamment au regard de nouvelles dispositions totalement contraires aux évaluations concurrentielles habituelles ; elle s’engage donc à fournir des orientations et un soutien en matière d’antitrust pour faciliter la mise en œuvre correcte et rapide de la coopération nécessaire pour surmonter la crise, dans l’intérêt ultime des citoyens, les entreprises étant encouragées à documenter tous les échanges et les accords conclus entre elles et à les mettre à la disposition de la Commission sur demande.

La lettre de confort adressée à Medecine for Europe

La première lettre de compatibilité – ou de confort– de la Commission accordée sur le fondement de ce texte a été prise le 8 avril, puis rendue publique le 28 avril suivant. Elle répondait au projet de coopération entre producteurs pharmaceutiques présenté par Medecine for Europe (qui représente les industries pharmaceutiques européennes génériques), visant à remédier au risque de pénurie de médicaments hospitaliers critiques pour les patients infectés par le covid-19. Medecine for Europe (MFE) se propose ainsi de modéliser la demande de certains médicaments – sédatifs profonds, bloqueurs neuromusculaires, analgésiques puissants, vasopresseurs, antibiotiques et adjuvants – pour coordonner à travers toute l’Europe et identifier les moyens d’optimiser l’utilisation des capacités de production et les ressources disponibles ; il s’agit ainsi, lorsque les médicaments sont sous ou sur approvisionnés, de rééquilibrer et d’adapter l’utilisation des capacités de production et d’approvisionnement (y compris éventuellement la distribution).

Voilà qui rejoint les conclusions de la Commission, qui elle aussi a identifié le risque de pénurie avec le soutien de l’Agence européenne des médicaments. Elle reconnaît donc que cette coopération est nécessaire, dans le cadre de crise actuel, pour améliorer l’approvisionnement en médicaments covid-19 dans l’Union européenne ; elle ne soulève donc pas de préoccupations de concurrence au titre de l’article 101 du Traité. MFE accepte cependant de mettre en place certaines garanties, la première étant le caractère ouvert de la coopération à tout fabricant pharmaceutique désireux d’y participer. Par ailleurs, des procès-verbaux de toutes les réunions seront établis et conservés, des copies des accords conclus entre les entreprises participantes – dans le cadre de cette coopération – devant être communiqués à la Commission, laquelle y apportera sa contribution, de même que l’Agence européenne des médicaments et des systèmes nationaux de santé. S’agissant des échanges d’informations commerciales confidentielles entre les fabricants, ils seront limités à l’indispensable pour atteindre efficacement les objectifs indiqués. Enfin, la coopération sera limitée dans le temps jusqu’à ce que le risque de pénurie soit surmonté.

La Commission précise encore que la lettre de confort ne couvre aucune discussion de prix ni aucune autre possibilité de coordination sur des questions qui ne sont pas strictement nécessaires pour atteindre efficacement les objectifs fixés dans le projet. Elle est également soumise à la condition que les entreprises coopérantes n’augmentent pas indûment les prix au-delà de ce qui est justifié par d’éventuelles augmentations de coûts. D’où le rappel des principes selon lesquels les conduites consistant à chercher à exploiter la crise de façon opportuniste et de s’en servir comme « couverture » pour adopter des comportements collusifs non nécessaires continueront de ne pas être tolérés par la Commission.

Auteur d'origine: ccollin
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L’évolution de la relation entre Google et les éditeurs de contenus en ligne est historiquement marquée par une série de renversements sur lesquels l’Autorité a eu l’occasion de se pencher notamment dans deux avis (Aut. conc. 6 mars 2018, n° 18-A-03 et 14 déc. 2010, n° 10-A-29, D. 2011. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ) relatifs au fonctionnement de la publicité en ligne et l’instruction de procédures relatives à des pratiques commises sur ce même volet publicitaire.

L’Autorité est désormais amenée à examiner le versant éditorial de la relation entre Google et les médias en analysant le comportement adopté par Google à l’aune des nouveaux principes et modalités de partage de valeur issus de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins et la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 venant la transposer en France.

Entre Google et les médias, le partage de valeur est une question de concurrence

L’avènement de l’ère numérique et de ses conglomérats surpuissants tels que Google ou Facebook ainsi que les bouleversements observés dans l’économie des médias ont donné lieu à de très nombreux travaux d’analyse, de multiples rapports et de plus en plus de décisions sous l’angle du droit de la concurrence. La Commission européenne a récemment annoncé un futur changement de paradigme par l’adoption à moyen terme d’outils réglementaires pour rééquilibrer les forces. Inexorablement, le droit de la concurrence est amené à s’adapter.

Il est désormais établi que la valeur générée par les revenus publicitaires en ligne est captée pour une part très significative par les GAFA, ce dont ils risquent d’abuser. L’inégalable qualité et quantité de données détenues par ces opérateurs, leur capacité à les croiser (cross-plateformes) et à en extraire un niveau de pertinence non réplicable, les ont rendus incontournables et surpuissants. Ces constats ont pu être opérés sur le terrain des revenus publicitaires grâce aux instructions et enquêtes sectorielles récentes menées notamment par l’Autorité de la concurrence.

Lorsque la directive instaurant un droit voisin au profit des éditeurs pour la reprise de leurs contenus protégés a été adoptée et transposée en droit français dans le but de permettre un meilleur partage de valeur, Google a répliqué avec force et fracas.

Du bon usage du multilatéralisme pour rééquilibrer les forces

Un mois avant l’entrée en vigueur de la loi de transposition, Google a informé les éditeurs et agences de presse qu’elle n’entendait plus afficher les extraits d’articles, les photographies et les vidéos au sein de ses différents services (Google Search, Google Actualités et Discover), sauf à ce que les éditeurs lui accordent une licence à titre gratuit. Contraints et forcés, les éditeurs ont dans leur grande majorité, non seulement accordé une licence gratuite à Google mais également un droit de reprise plus large que celui dont elle bénéficiait auparavant puisque lesdites licences n’imposaient pas de limite de longueur aux extraits.

Ce contexte insatisfaisant a été le terreau de l’alliance qui s’est avérée fertile entre les différents éditeurs. Les 15 et 19 novembre 2019, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale, le Syndicat de la presse quotidienne nationale, le Syndicat de la presse quotidienne régionale, le Syndicat de la presse quotidienne départementale et le Syndicat de la presse hebdomadaire régionale et l’Agence France-Presse ont respectivement saisi l’Autorité de pratiques mis s en œuvre par Google dans les secteurs de la presse, des services de communication au public en ligne et de la publicité en ligne. Parallèlement à leurs saisines au fond, les saisissants ont sollicité le prononcé de mesures conservatoires visant à enjoindre Google d’entrer de bonne foi dans une négociation avec chacun des éditeurs qui le souhaite.

Le contournement de la loi : un abus de position dominante comme les autres ?

Il est reproché à Google d’avoir mis en œuvre des conditions de transaction inéquitables, discriminé les éditeurs et agences en traitant de manière identique des opérateurs pourtant placés dans des situations différentes, d’avoir imposé des conditions plus défavorables que celles qui prévalaient jusqu’ici, alors – et c’est là le point le plus intéressant de la décision, qu’une loi venait précisément d’introduire de nouveaux droits plus favorables aux éditeurs et agences, ce dont il découlait que Google avait contourné la loi, si ce n’est dans sa lettre du moins dans son esprit. L’Autorité précise que Google paraît par son seul comportement en capacité de priver la loi sur les droits voisins d’une grande partie de son effectivité, tant le trafic provenant de son site de recherche généraliste est déterminant pour les médias.

Sans surprise, l’Autorité réaffirme la position dominante de Google, mais laisse néanmoins ouverte la question de savoir si les médias se trouvent eux en situation de dépendance économique vie à vis de Google. S’agissant de l’abus, s’il n’existe aucune liste limitative de cas susceptibles de caractériser un abus de position dominante, celui consistant en un contournement de la loi apparaît particulièrement intéressant. Il s’agit là, dans la pratique décisionnelle française d’un cas si ce n’est inédit, du moins excessivement rare. Dans cette décision l’Autorité use de son pouvoir d’interprétation de la loi dans le cadre d’une saisine contentieuse et non dans le cadre d’une saisine pour avis, et de surcroît au soutien de mesures conservatoires. Elle s’appuie sur un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne en 2012 dans l’affaire Astra Zeneca (CJUE 6 déc. 2012, aff. C-457/10, pts 129 à 14, RSC 2013. 167, chron. L. Idot ), pour soutenir qu’une entreprise en position dominante peut commettre un abus lorsque sans violer formellement la loi, elle en détourne les finalités sans justification objective.

On peut d’ores et déjà faire l’hypothèse (ou former le vœu) qu’au fond, de même que dans l’analyse qu’effectuerait éventuellement la cour d’appel de Paris statuant sur un recours contre la décision infligeant les mesures conservatoires, la notion de justification objective fera l’objet de riches débats. L’Autorité a motivé cette qualification en tenant compte du fait que Google aurait érigé un principe systématique et générique de non-rémunération là où la loi visait au contraire une exception de reprise limitée et gratuite et ce, sans aucune possibilité de négociation, laquelle serait attestée notamment par un refus de communiquer les facteurs déterminants d’une rémunération.

Il faut noter que ce n’est pas la première fois qu’une autorité de concurrence européenne admet un possible abus de position dominante de la part d’un opérateur numérique résultant du contournement de l’esprit d’une loi conférant de nouveaux droits et de l’imposition de conditions de transaction inéquitables. Toutes choses égales par ailleurs, l’autorité allemande de concurrence a eu l’occasion d’appréhender un raisonnement proche dans l’affaire récente contre Facebook et l’utilisation de données cross-platform qui fait l’objet d’un contentieux en cours.

Des mesures provisoires avant de trancher le nœud gordien ?

L’Autorité a considéré que l’objectif de la loi n° 2019-775 est de redéfinir le partage de la valeur en faveur des éditeurs de presse, et ce ajoute-t-elle dans un cadre négocié. Ce serait donc le refus de négocier qui constituerait un abus ? Par conséquent, saisie de demandes de mesures conservatoires, l’Autorité a décidé d’imposer une négociation sous son contrôle entre Google et chacun des éditeurs qui le souhaite afin de déterminer une rémunération.

Une négociation contrainte de tendre vers une rémunération FRAND

Si l’Autorité relève la possibilité d’un abus dans le refus de négocier, elle n’impose qu’un cadre délimité par la nécessité d’une bonne foi dans la négociation, une conduite des négociations dans les trois mois suivants la demande d’un éditeur et la neutralité des négociations quant aux classements et autres indexations de contenus ainsi qu’aux autres prestations commerciales. La négociation devant tendre vers une rémunération équitable, raisonnable et non-discriminatoire, ce dont Google devra rendre compte directement à l’Autorité.

Google devra en effet fournir chaque mois à l’Autorité un rapport sur la manière dont elle se conforme à la décision, en indiquant notamment (i) tout élément de calcul permettant l’évaluation de la proposition de rémunération faite par Google aux éditeurs et agences de presse ; (ii) tout élément permettant d’apprécier le caractère objectif, transparent et non-discriminatoire de cette proposition ; (iii) tout élément permettant d’apprécier le caractère objectif, transparent et non-discriminatoire des rémunérations sur lesquelles Google et les éditeurs et agences de presse se sont accordés, assorti des contrats afférents ; (iv) tout élément relatif aux difficultés de négociation rencontrées avec les éditeurs et agences de presse ainsi que les échanges correspondants.

On peut s’interroger sur le point de savoir si le seul fait pour un éditeur de vouloir négocier n’impliquerait pas de considérer qu’il n’accepte pas ipso facto la gratuité d’une reprise des contenus, mais dès lors cela reviendrait à imposer à Google de verser une rémunération chaque fois qu’un éditeur lui demande d’entrer en négociation. L’Autorité précise que la négociation peut conduire à une rémunération nulle. Il s’en déduit que ce serait le caractère systématique, générique et absolu du prix nul déterminé par Google jusqu’à présent qui poserait problème et non, l’existence d’un prix nul en soi. Si la multitude de négociations individuelles devait conduire à un prix nul quasi généralisé, cela pourrait-il être encore reproché à Google ?

En décidant de surveiller, sans déterminer précisément ni les paramètres de la négociation, ni les termes devant faire l’objet d’un accord, l’Autorité semble adopter une approche prudente, proportionnée et la moins intrusive possible. Le précédent australien qui a conduit le gouvernement à demander très récemment à l’autorité de concurrence de déterminer faute d’accord, les termes d’un code de conduite pour la négociation entre Google et les médias, laisse présager qu’une plus grande intrusion s’avérera peut-être nécessaire. Un appel a été fait en ce sens par les médias au Canada, soulignant que la crise du covid-19 a un effet désastreux sur les revenus publicitaires des médias de sorte qu’il est éminemment urgent de forcer des opérateurs tels que Google et Facebook à payer leur « fair share ».

Une décision inédite marquant le point de départ d’une longue bataille

La notion de temps dans cette affaire est un autre aspect intéressant et un signe distinctif d’une détermination forte de l’Autorité de la concurrence à agir de manière effective sur le cours des événements. Les affaires européennes de Google ont montré combien face à la puissance de son avancement technologique, le temps long des procédures de concurrence ne pouvait rien ou presque. L’Autorité fait ici usage de mesures conservatoires, comportementales et fondées sur ce que les opérateurs qui subissent les comportements allégués sont en mesure d’identifier comme des mesures efficaces.

Cette décision – même si elle est exécutoire – est susceptible de recours devant la cour d’appel de Paris, dont le calendrier chargé est passablement perturbé par la crise sanitaire exceptionnelle actuelle. Pendant ce temps suspendu, Google reste contraint par la décision de l’Autorité de mener les négociations. Google n’en restera pas moins en mesure de débattre contradictoirement du bien fondé et de la proportionnalité des mesures conservatoires, mais le temps aura peut-être pour cette fois joué en faveur des saisissants. Sauf remise en cause judiciaire, les mesures provisoires resteront en vigueur jusqu’à l’adoption de la décision au fond de l’Autorité de la concurrence. 

Auteur d'origine: nmaximin

Ce texte contient des demandes d’habilitation à légiférer par ordonnances sur des sujets très divers.

Le premier article vise notamment à permettre le report ou la prolongation de nombreuses mesures qui devaient entrer en vigueur (loi Économie circulaire) ou qui devaient expirer (loi Renseignement, SILT) dans l’année 2020. Les mandats, sauf issus d’élections politiques, pourront tous être prolongés, tout comme la durée de mandat des conseillers de prud’hommes.

Sur la justice, deux nouvelles ordonnances sont prévues : une en matière criminelle (extension de l’expérimentation des cours criminelles départementales), l’autre en matière délictuelle et contraventionnelle (permettant aux procureurs de la République de réorienter les procédures).

Le texte prévoit aussi des ordonnances pour assouplir l’activité partielle ou le recours aux CDD (par convention d’entreprise). Il contient également des mesures faisant suite à l’annulation des saisons sportives. Le dernier article est consacré aux conséquences du Brexit et de l’accord transitoire.

Auteur d'origine: babonneau

C’était annoncé (G. de Calignon, Coronavirus : la France va renforcer le contrôle des investissements étrangers, Les Echos, 29 avr. 2020). C’est fait. Un arrêté du 27 avril 2020 du ministre de l’Économie et des finances complète la liste des secteurs dits « sensibles » dans lesquels les investissements étrangers en France sont soumis à autorisation préalable. Il y ajoute les « biotechnologies ». Faute de précision, ce texte est d’application immédiate. Bruno Le Maire avait annoncé qu’il s’agirait d’une mesure transitoire et qui prendrait fin le 31 décembre prochain. Mais l’arrêté ne fixe aucun terme à son application. Pour qu’il ne s’applique pas au-delà de cette date, il devra par conséquent être abrogé le moment venu.

Formellement, cet arrêté complète l’article 6 de l’arrêté du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France, qui comprenait une liste de sept « technologies critiques » (cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, etc.), lesquelles, en application de l’article R. 151-3, III, 1°, du code monétaire et financier, issu du décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France, et de l’article L. 151-3, I du même code dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « Pacte » (art. 152). Ce dernier article soumet à autorisation préalable du ministre chargé de l’Économie les « investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève [entre autres des] activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ». On devine aisément que les biotechnologies, dans le contexte de la recherche d’un vaccin anti-covid-19 et du souci de protéger les « pépites » françaises participant à ce défi, se rattachent à la sécurité publique.

Relevons également que la notion d’investissement vise la prise de contrôle ou le franchissement, directement ou indirectement, seul ou de concert, du seuil de 25 % de détention des droits de vote dans une entité – essentiellement une société – de droit français, ainsi que l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une telle entité (C. mon. fin., art. R. 151-2). Quant à l’investisseur étranger, le droit français a une conception large de celui-ci, puisqu’il y inclut, entre autres, la personne physique de nationalité française qui n’est pas domiciliée en France (C. mon. fin., art. R. 151-1). Il n’inclut pas, en revanche, les investisseurs des pays de l’Union européenne.

Reste à savoir ce qu’il faut entendre par « biotechnologie ». Le terme est flou et pourrait susciter des controverses si, par exemple, le ministre de l’Économie n’est pas saisi d’une demande d’autorisation en présence d’un projet d’investissement en France de la part d’un investisseur étranger dans une entreprise française dont l’activité se situe au carrefour de la biotechnologie et d’un autre secteur (agriculture, par ex.). Si l’on se réfère à la définition communément admise, à savoir celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), bien qu’elle soit un peu ancienne (2005), il faut regrouper sous ce terme, toute « application de la science et de la technologie à des organismes vivants ou à leurs composantes, produits ou modélisations dans le but de modifier des matériaux, vivants ou inertes, à des fins de production de connaissances, de biens ou de services ». La définition est vaste, mais il est important de définir le terme avec rigueur, car le champ d’application du dispositif d’autorisation des investissements étrangers en dépend. On serait tenté de croire, dans la mesure où l’arrêté du 27 avril a été pris dans le contexte de la crise du covid-19, qu’il devrait s’appliquer uniquement dans l’hypothèse d’un investissement étranger dans une entreprise de biotechnologie en lien avec le domaine de la santé. A priori il n’en est rien compte tenu de la rédaction de l’arrêté ; l’autorisation devrait ainsi, être requise, par exemple, en cas de tentative de prise de contrôle d’une semencier français qui développe un nouveau type d’organisme génétiquement modifié (OGM).  

Auteur d'origine: Delpech

« Voici donc le moment où nous devons dire à la France comment notre vie va reprendre »

Après deux mois de confinement et de couacs, le début de l’intervention d’Édouard Philippe est attendu. Il est effectivement rare qu’un discours parlementaire soit retransmis en direct sur TF1 et M6 (même si l’arrêt de tournages des téléfilms rend nécessaire la recherche de contenus nouveaux et gratuits). Le Premier ministre souligne d’abord la réussite du confinement, le nombre de personnes en réanimation est passé de 7 100 à 4 600. Puis, il fait ses annonces. Le retour à la normale dépendra de la situation locale (il y aura des départements verts, oranges et rouges), les classes rouvriront très progressivement, les déplacements seront limités à 100 km et la plupart des commerces seront autorisés.

Édouard Philippe annonce aussi, qu’enfin, il y aura des masques et 700 000 tests par semaine. Les personnes testées positives devront s’isoler « en quatorzaine », chez elles (confinant ainsi tout leur foyer), ou dans des hôtels réquisitionnés. Des brigades seront chargées de faire des enquêtes épidémiologiques. Le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui sera au Parlement dès la semaine prochaine, précisera cela.

Ce discours d’Édouard Philippe a lieu dans un climat particulier. Au départ, les députés ne devaient débattre que de l’application StopCovid. Puis, cela s’est élargi à la stratégie de déconfinement. Puis, il y a eu un débat pour savoir s’il fallait ou non un vote. Puis un débat sur la date du vote (juste après le discours de Philippe ou plus tard ?). Confusion supplémentaire, selon la presse, Emmanuel Macron aurait appelé des journalistes pour leur dire, en off, qu’il n’était pas d’accord avec le format choisi par le Premier ministre, puis, durant le conseil des ministres, il a démenti « très fermement » toute rumeur de friction. Un démenti qui évidemment relancé les rumeurs de frictions, selon les quelques observateurs qui suivaient encore.

Devant les députés, Édouard Philippe défend la procédure choisie : « Nous avons choisi de réserver à l’Assemblée nationale ces annonces et de lui permettre de réagir, de critiquer et d’interroger le Gouvernement. […] En ces temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux mais très colériques, d’immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes les questions d’intérêt national ». Et, poursuit-il, « j’ai été frappé, depuis le début de cette crise, par le nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait fallu faire selon eux à chaque instant. La modernité les a souvent fait passer du café du commerce à certains plateaux de télévision. Les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas, je le crains, le débat public. Les députés ne commentent pas. Ils votent. »

« Ce que vous voulez, ce n’est pas notre avis, mais notre confiance »

Le débat se déroule dans le cadre de l’article 50-1 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire une déclaration, « qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité. » Une procédure curieuse, un débat sans amendement et sans enjeu, dont les gouvernements ont d’ailleurs fait un usage modéré depuis sa création, en 2008, la cantonnant aux sujets trop techniques pour passionner (programme de stabilité, fiscalité écologique). Car, que se passerait-il si l’Assemblée votait contre la déclaration gouvernementale ? La Ve République s’est toujours méfiée des questions de confiance cachées qui ont miné les républiques précédentes. Mais cette confiance sera le cœur du débat.

Le député communiste Stéphane Peu « après nous avoir convié à débattre cet après-midi d’une application qui n’existe pas, voilà que vous devons participer à un débat bâclé, sur un plan de déconfinement que les parlementaires n’ont pas eu le loisir de découvrir ni d’amender. En réalité, ce que vous voulez, ce n’est pas notre avis, mais notre confiance. Mais elle vous est moins que jamais acquise ». Damien Abad, président du groupe LR : « Comme plus de 6 Français sur 10 nous n’avons pas confiance, nous n’avons plus confiance. » Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « Ne demandez pas de nous accorder une confiance que jusqu’ici vous ne méritez pas. »

L’opposition dénonce les multiples volte-face du gouvernement, le manque de masques, de tests et de respirateurs. Le président du groupe Modem, Patrick Mignola défend le gouvernement : « On a beaucoup glosé et sur la prétendue impréparation du gouvernement. Mais depuis trois ans que suis parlementaire, je n’ai jamais entendu, ni sur le terrain, ni ici, que nous devions voter des demandes d’achat massif de masques pour reconstituer les stocks ou relocaliser leur production. »

« Monsieur le Premier ministre, si vous étiez une infirmière, auriez-vous confiance ? »

Le drame du débat parlementaire français est que les parlementaires français ne veulent jamais débattre. Ce qui compte, c’est le discours. Quand, à la chambre des communes britannique les interventions fusent, le parlementaire français doit faire long. Mais, les orateurs n’ayant que 15 minutes de pause après l’intervention d’Édouard Philippe pour se préparer, les discours de réaction ont tous été écrits la veille. Résultat, entre les députés trop tendus pour décoller leur nez de leur feuille et ceux qui n’ont pas modifié une ligne d’un texte déjà périmé, l’exercice est ennuyeux.

Certains arrivent à sortir du cadre. Le jeune député LR Aurélien Pradié, « sur les masques, vous n’avez pas donné de garantie solide et vos explications ressemblaient davantage à des excuses. » « Aujourd’hui avons-nous confiance ? Monsieur le Premier ministre, si vous étiez une infirmière qui s’est protégée plusieurs semaines durant avec des sacs poubelles comme blouse de fortune, auriez-vous confiance en Emmanuel Macron et en votre propre gouvernement ? Si vous étiez un médecin libéral qui a attendu de longues semaines des masques qui ne venaient pas, si vous étiez une aide-soignante qui les attend encore, auriez-vous confiance ? Si vous étiez un parent d’élève inquiet de voir la reprise de l’école, voir les ordres et les contre ordres, auriez-vous confiance ? »

En réponse, Édouard Philippe insiste : « La partie que nous devons jouer ensemble est redoutable C’est une partie difficile, c’est une partie risquée, mais nous ne réussirons à rien si nous ne sommes pas confiants. Mais la confiance n’est ni l’inconscience, ni la béatitude. C’est simplement la certitude que notre pays a en lui-même les ressources exceptionnelles pour affronter cette partie difficile ». Au final, 368 députés votent pour la déclaration, 100 contre et le reste s’abstient. Presque toute la majorité a soutenu. Les groupes LR, PS et UDI sont très hésitants. Comme le pays.

Auteur d'origine: babonneau
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Le droit de la consommation, plus que toute autre matière, exige une certaine clarté dans les contrats (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 84). La Cour de justice de l’Union européenne y veille scrupuleusement, comme en témoigne en arrêt rendu le 26 mars 2020 (CJUE 26 mars 2020, aff. C-66/19, D. 2020. 712, obs. G. Poissonnier ). En l’espèce, un consommateur a souscrit, en 2012, un crédit garanti par des sûretés réelles d’un montant de 100 000 €, au taux débiteur annuel de 3,61 % fixe jusqu’au 30 novembre 2021. Il est prévu que l’emprunteur dispose de quatorze jours pour se rétracter par écrit et que ce délai commence à courir après la conclusion du contrat mais pas avant que l’emprunteur n’ait reçu toutes les informations obligatoires mentionnées à l’article 492, paragraphe 2, du BGB (code civil allemand). Toutefois, ledit contrat ne contient pas ces informations, qui déterminent pourtant le point de départ du délai de rétractation. Il se limite en effet à renvoyer à une disposition du droit allemand qui, elle-même renvoie à d’autres dispositions du droit allemand. Par la suite, début 2016, l’emprunteur a déclaré à la banque qu’il exerçait son droit de rétractation. Celle-ci considère cependant qu’elle l’avait dûment informé et que le délai pour exercer ce droit a déjà expiré. Le tribunal régional de Sarrebruck, saisi par l’emprunteur, se demande donc si celui-ci a été correctement informé de la période durant laquelle il peut exercer son droit de rétractation, ce qui l’amène à saisir la Cour de justice afin qu’elle interprète la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs.

Se posait un premier problème, relatif à la compétence de la Cour pour se prononcer au regard de cette directive dans la mesure où celle-ci ne s’applique pas « aux contrats de crédit garantis par une hypothèque, par une autre sûreté comparable communément utilisée dans un État membre sur un immeuble, ou par un droit lié à un bien immobilier » (art. 2, § 2, a). Ces contrats relèvent en effet de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 193). Or, en l’occurrence, le crédit était précisément garanti par des sûretés réelles, raison pour laquelle, le Gouvernement allemand soutenait que la Cour n’était pas compétente pour répondre aux questions posées. Toutefois, ce prétendu obstacle est écarté par la Cour au motif que, conformément à la possibilité offerte par le considérant 10 de la directive de 2008, « le législateur allemand a (…) décidé d’appliquer le régime prévu par la directive 2008/48/CE à des contrats tels que celui en cause » (pt 27). La Cour rappelle également qu’elle « s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits en cause au principal se situaient en dehors du champ d’application de celui-ci et relevaient dès lors de la seule compétence des États membres, mais dans lesquelles lesdites dispositions du droit de l’Union avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (CJUE 12 juill. 2012, SC Volksbank România, aff. C-602/10, pt 86 et jurisprudence citée, D. 2012. 1949 ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud , ) » (pt 28). La demande de question préjudicielle fut donc, à juste titre, déclarée recevable.

Une fois cette question de compétence réglée, encore fallait-il se prononcer sur les trois questions formellement posées à la Cour (seules les deux premières questions reçurent une réponse, la Cour ayant estimé que compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question). Cette dernière a considéré, en premier lieu, que « L’article 10, paragraphe 2, sous p), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que, au titre des informations à mentionner, de façon claire et concise, dans un contrat de crédit, en application de cette disposition, figurent les modalités de computation du délai de rétractation, prévues à l’article 14, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive ». La solution est fondée au regard de l’article 10, paragraphe 2, sous p) de la directive de 2008, qui vise « l’existence ou l’absence d’un droit de rétractation, la période durant laquelle ce droit peut être exercé et les autres conditions pour l’exercer (…) ». Afin d’étayer son raisonnement, la Cour rappelle que « l’exigence consistant à mentionner, dans un contrat de crédit établi sur un support papier ou sur un autre support durable, de façon claire et concise, les éléments visés par cette disposition est nécessaire afin que le consommateur soit en mesure de connaître ses droits et ses obligations (CJUE 9 nov. 2016, Home Credit Slovakia, aff. C-42/15, pt 31, D. 2017. 328 , note F. Boucard ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais ) » (pt 35). Elle rappelle également que « cette exigence contribue à la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2008/48/CE, qui consiste à prévoir, en matière de crédit aux consommateurs, une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de domaines clés » (pt. 36). Or, le droit de rétractation revêt, pour le consommateur, « une importance fondamentale » (pt. 37). Cette considération montre, une fois de plus, à quel point le droit de rétractation est une pièce essentielle de la protection des consommateurs (V. déjà CJUE 23 janv. 2019, aff. C-430/17, spéc. pt 46, D. 2019. 196 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDC 2019, n° 116a4, p. 66, note J.-D. Pellier, ayant considéré en matière de contrat conclus à distance, que « Compte tenu de l’importance du droit de rétractation pour la protection du consommateur, l’information précontractuelle concernant ce droit revêt, pour ce consommateur, une importance fondamentale et lui permet de prendre, d’une façon éclairée, la décision de conclure ou non le contrat à distance avec le professionnel »). À cet égard, le droit français se montre relativement exemplaire : non seulement le contrat de crédit doit comporter, entre autres informations, « l’existence du droit de rétractation, le délai et les conditions d’exercice de ce droit » (C. consom., art. L. 312-28 et R. 312-10, 5°, b), sous peine de déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4, al. 1er), mais , en outre, l’article L. 312-21 du code de la consommation prévoit, également sous peine de déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4, al. 1er) mais aussi d’une contravention de la 5e classe (C. consom., art. R. 341-4), qu’« Afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L. 312-19, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit », l’article R. 312-9 précisant que « Le formulaire détachable de rétractation prévu à l’article L. 312-21 est établi conformément au modèle type joint en annexe au présent code. Il ne peut comporter au verso aucune mention autre que le nom et l’adresse du prêteur ». Or, le modèle type visé par ce texte contient les informations relatives à la computation du délai de rétractation (encore qu’il pourrait être précisé, conformément à l’article L. 312-20, que le délai de rétractation « court à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit comprenant les informations prévues à l’article L. 312-28 ». Comp. C. consom., anc. art. L. 312-20, qui prévoyait des modalités de computation beaucoup plus précises).

En second lieu, la Cour de justice considère que « L’article 10, paragraphe 2, sous p), de la directive 2008/48/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un contrat de crédit procède, s’agissant des informations visées à l’article 10 de cette directive, à un renvoi à une disposition nationale qui renvoie elle-même à d’autres dispositions du droit de l’État membre en cause ». La Cour fonde notamment son raisonnement sur la considération selon laquelle « la connaissance et une bonne compréhension, par le consommateur, des éléments que doit obligatoirement contenir le contrat de crédit, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48/CE, sont nécessaires à la bonne exécution de ce contrat et, en particulier, à l’exercice des droits du consommateur, parmi lesquels figure son droit de rétractation » (pt 45). Là encore, la solution est parfaitement justifiée au regard de l’exigence de clarté qui imprègne le droit de la consommation. Cependant, le droit français, cette fois-ci, ne se montre pas aussi exemplaire, sur un plan plus général, puisque l’on sait que nombreuses sont les dispositions renvoyant à d’autres dispositions, opérant elles-mêmes un renvoi (le renvoi est même devenu le principe s’agissant des sanctions depuis l’ordonnance n° 2016-301 relative à la partie législative du code de la consommation, ce qui n’améliore guère la lisibilité du droit. V. à ce sujet, J.-M. Brigant, Recodification du code de la consommation : SOS d’un pénaliste en détresse, RLDA oct. 2016, p. 14). En somme, renvoi sur renvoi ne vaut, tel est le message prodigué par la Cour de Luxembourg.

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La Cour de justice de l’Union européenne apporte d’intéressantes précisions sur la notion de coût du crédit hors intérêts dans un arrêt du 26 mars 2020. En l’espèce, deux affaires étaient à l’origine de la saisine de la Cour : un consommateur polonais avait conclu deux contrats de prêt avec des banques différentes, ces contrats étant assortis de frais et commissions. À la suite de la défaillance de l’emprunteur, celui-ci fut poursuivi devant deux juridictions nationales. Suite à un appel interjeté par ledit consommateur, la juridiction saisie relève que les coûts du crédit hors intérêts dans les deux contrats en cause au principal ont été calculés sur la base de la formule établie par la législation nationale et ne dépassent pas le montant maximum permis. Mais des doutes sont émis par cette juridiction, tout d’abord quant à la conformité avec la directive 2008/48 d’une législation nationale qui introduit une notion de « coût du crédit hors intérêts », qui n’est pas prévue par ladite directive et quant à l’applicabilité de la directive 93/13 en présence de clauses respectant les dispositions nationales concernant le coût maximal permis. C’est dans ce contexte que furent posées deux questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg.

S’agissant, en premier lieu, de la conformité à la directive de 2008, la Cour affirme que « L’article 3, sous g), l’article 10, paragraphe 2, et l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit une méthode de calcul portant sur le montant maximal du coût du crédit hors intérêts pouvant être imposé au consommateur, à condition que cette réglementation n’introduise pas d’obligations d’information supplémentaires portant sur ce coût du crédit hors intérêts, qui s’ajouteraient à celles prévues audit article 10, paragraphe 2 ». La Cour se montre donc relativement clémente quant à la notion de coût du crédit hors intérêts, alors même que celle-ci est inconnue de la directive de 2008, dont l’article 3, sous g) vise seulement le « coût total du crédit pour le consommateur », défini comme « tous les coûts, y compris les intérêts, les commissions, les taxes, et tous les autres types de frais que le consommateur est tenu de payer pour le contrat de crédit et qui sont connus par le prêteur, à l’exception des frais de notaire ; ces coûts comprennent également les coûts relatifs aux services accessoires liés au contrat de crédit, notamment les primes d’assurance, si, en outre, la conclusion du contrat de service est obligatoire pour l’obtention même du crédit ou en application des clauses et conditions commerciales » (la CJUE rappelle dans le pt 39 qu’elle retient une définition large de la notion de coût total du crédit pour le consommateur. V en ce sens, CJUE 26 févr. 2015, aff. C-143/13, pt 48, D. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; du 8 décembre 2016, Verein für Konsumenteninformation ; CJUE, 8 déc. 2016, aff. C-127/15, pt 45, D. 2016. 2564 ; AJ contrat 2017. 80, obs. F. Boucard et CJUE 11 sept. 2019, aff. C-383/18, pt 23, D. 2019. 1710 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Pourtant, on aurait pu penser qu’une notion inconnue de la directive se trouverait condamnée eu égard à l’objectif d’harmonisation totale poursuivi par l’Union européenne en la matière, l’article 22, paragraphe 1, de la directive disposant à cet égard que « Dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire dans leur droit national d’autres dispositions que celles établies par la présente directive ». Mais il n’en est rien, ce qui peut néanmoins s’expliquer au regard de la considération selon laquelle « ledit "coût du crédit hors intérêts" constitue une sous-catégorie du "coût total du crédit"C, au sens de l’article 3, sous g), de la directive 2008/48, ce dernier coût englobant tous les coûts, y compris notamment les intérêts », comme le rappelle la Cour (pt 40). La Cour rappelle également que « ladite directive procède à une harmonisation complète en ce qui concerne les éléments qui doivent être obligatoirement inclus dans le contrat de crédit (CJUE 5 sept. 2019, aff. C-331/18, pt 50, D. 2019. 1710 ) » (pt 45) et qu’« en l’occurrence, il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour que les dispositions nationales concernant le coût du crédit hors intérêts se bornent à établir un plafond et une méthode de calcul de ce coût, ainsi que les conséquences du non-respect de ce plafond » (pt 47). On peut donc considérer, en définitive, que la législation polonaise est malgré tout conforme à la directive. Encore convient-il de veiller à ce qu’aucune obligation d’information supplémentaire ne vienne s’ajouter à la liste, déjà impressionnante (tout l’alphabet y passe presque !), des informations devant être fournies au consommateur prévue par l’article 10, paragraphe 2, de la directive. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de le vérifier (pt 47).

Le droit français, pour sa part, ne s’embarrasse pas de la notion de coût du crédit hors intérêts, l’article L. 311-1, 7°, du code de la consommation visant, à l’instar de la directive, le coût total du crédit pour l’emprunteur, défini de manière analogue (l’art. L. 311-1 vise également, en son 9°, le montant total dû par l’emprunteur, défini comme « la somme du montant total du crédit et du coût total du crédit dû par l’emprunteur », le montant total du crédit étant quant à lui appréhendé par le 10° comme « le plafond ou le total des sommes rendues disponibles en vertu d’un contrat ou d’une opération de crédit ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz cours, 2019, n° 164, spéc. n° 5).

Il restait à répondre, en second lieu, à la question de l’applicabilité de de la directive sur les clauses abusives. La Cour de Luxembourg affirme à ce sujet que « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que n’est pas exclue du champ d’application de cette directive une clause contractuelle qui fixe le coût du crédit hors intérêts dans le respect du plafond prévu par une disposition nationale, sans nécessairement tenir compte des coûts réellement encourus ». À cet égard, il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que « Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive » (la Cour rappelle, dans le point 54, qu’« Une telle exclusion a été justifiée par le fait qu’il est légitime de présumer que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, équilibre que le législateur de l’Union a explicitement entendu préserver (CJUE 21 mars 2013, aff. C-92/11, pt 28, D. 2013. 832 ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles ; 3 avr. 2019, aff. C-266/18, pt 33, D. 2019. 756 ; AJ contrat 2019. 349, obs. M. Combet »). Un doute a pu naître à ce sujet dans la présente affaire compte tenu du fait que le coût du crédit avait été calculé sur la base d’une formule établie par la législation polonaise. La Cour rappelle cependant que deux conditions doivent être réunies pour qu’une clause échappe au domaine de la directive de 1993 : « D’une part, la clause contractuelle doit refléter une disposition législative ou réglementaire et, d’autre part, cette disposition doit être impérative (CJUE 7 nov. 2019, aff. C-349/18 et C-351/18, pt 60, D. 2019. 2181 ; JT 2019, n° 225, p. 12, obs. X. Delpech , ainsi que CJUE 3 mars 2020, aff. C-125/18, pt 31, D. 2020. 484 ) » (pt 50). Or, selon la Cour, « il n’apparaît pas qu’une clause contractuelle qui se borne à mettre en œuvre une méthode pour calculer le plafond du coût du crédit hors intérêts « reflète », à proprement parler, la disposition nationale considérée (v. en ce sens, arrêt C-266/18, préc., pts 35 et 36) » (pt 56). La Cour, afin d’étayer son raisonnement ajoute que « ladite disposition ne paraît pas, en elle-même, déterminer les droits et les obligations des parties au contrat, mais se limite à restreindre leur liberté de fixer le coût du crédit hors intérêts au-dessus d’un certain niveau et n’empêche nullement le juge national de contrôler le caractère éventuellement abusif d’une telle fixation, même en-dessous du plafond légal » (pt 57). Dont acte. Mais l’on ne peut s’empêcher de poser la question de savoir si la clause relative à la fixation du coût du crédit, fût-il hors intérêt, ne concerne pas l’objet principal du contrat, auquel cas une telle clause ne saurait être contrôlée par le juge hormis dans l’hypothèse où elle serait rédigée de manière obscure. Il faut en effet rappeler que l’article 4, paragraphe 2, de la directive de 1993 prévoit que « L’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (cette exigence est reprise, en France, au sein de l’art. L. 212-1, al. 3, c. consom. : « L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 100). En général, la Cour veille scrupuleusement au respect de cette règle (V. par ex., au sujet des prêts libellés en franc suisse, CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 2401 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2018. 208 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon . Comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler c/ OTP Jelzálogbank Zrt, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles ). On peut donc s’étonner qu’elle ne l’ait pas rappelée en l’occurrence.

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Après le décret du 13 janvier 2011, c’est donc celui du 11 décembre 2019 qui réforme le droit de l’arbitrage. Pourquoi ? Tout simplement parce que, par l’effet de l’article 789, 6°, du code de procédure civile, applicable au conseiller de la mise en état, le recours est désormais scindé en deux : d’un côté, les questions relatives à la recevabilité des griefs, de l’autre, celles concernant leur bien-fondé. Ainsi, quelques mois après le schisme entre arbitrage interne et arbitrage international (réparti entre le pôle 1 – ch. 1 et le pôle 5 – ch. 16), on assiste à celui entre conseiller de la mise en état et formation de jugement. Il n’y a plus, en droit français (à l’exclusion des hypothèses – rarissimes – où le siège est fixé en dehors de Paris), un juge du recours contre la sentence, mais quatre !

Au-delà de cette problématique, la présente chronique est évidemment perturbée par la pandémie de coronavirus. Les juridictions judiciaires voient leur activité réduite, alors qu’elle était déjà ralentie par la grève des avocats. Pour autant, plusieurs décisions sont à signaler. L’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818, n° 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; JCP 2020, note M. de Fontmichel, à paraître) est le premier grand arrêt de la CCIP-CA (après la modeste décision, Paris, 7 janv. 2020, n° 19/07260, République démocratique du Congo c/ Divine Inspiration, Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), la nouvelle chambre compétente en matière d’arbitrage international. Hasard du calendrier – ou pas – il traite d’une des questions les plus sensibles de la dernière décennie : l’obligation de révélation des arbitres ! Cette thématique est devenue tellement complexe que, au-delà du commentaire de cet arrêt, nous proposerons en fin de chronique un « vademecum » du recours contre une sentence en ce domaine. On évoquera également une décision Antrix (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, D. 2020. 608 ) sur les modalités de la renonciation. Enfin, cette chronique vaudrait-elle vraiment la peine d’être publiée sans quelques réflexions sur l’impact du coronavirus sur les procédures arbitrales ?

I – Les aspects procéduraux du recours en annulation

A - La répartition des compétences entre CME et formation de jugement

Nous reviendrons plus en détail sur l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.) dans la suite des développements. Il faut consulter les paragraphes 39 et 40 de l’arrêt. À première lecture, ils sont insignifiants. La cour d’appel y déclare irrecevable une prétention du défendeur : la fin de non-recevoir tirée de la renonciation à se prévaloir de la constitution irrégulière du tribunal arbitral. Reprenons : le demandeur au recours sollicite l’annulation de la sentence, motif pris des lacunes dans la révélation ; le défendeur invoque l’irrecevabilité du grief, le demandeur n’ayant pas exercé son recours dans les délais prévus par le règlement d’arbitrage ; le demandeur soulève l’irrecevabilité de l’irrecevabilité (!) et obtient satisfaction. À ce stade, rien de problématique : la renonciation est qualifiée de fin de non-recevoir depuis bien longtemps, mais elle est elle-même susceptible d’être frappée d’une irrecevabilité.

Le véritable intérêt porte sur le motif de l’irrecevabilité. La cour d’appel énonce que l’irrecevabilité « n’a pas été formulée dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions, mais figure uniquement dans des moyens développés ». Prenons le temps d’examiner cette motivation. Lorsque le défendeur se prévaut de l’irrecevabilité du grief (ou du recours en annulation), il formule une prétention qui doit apparaître de façon distincte dans le dispositif des conclusions, conformément à l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile. Très concrètement, cela signifie que le défendeur au recours, lorsqu’il discute la prétention du demandeur sur l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral, doit prendre la peine de distinguer dans son argumentation ce qui relève de l’irrecevabilité et ce qui relève du bien-fondé.

L’arrêt Dommo ne dit rien de plus. Pourquoi alors est-ce si important ? N’est-ce pas une simple exigence formelle, imposant aux parties – notamment le défendeur – de distinguer dans les moyens relevant d’une fin de non-recevoir et ceux relevant du fond et de les faire apparaître distinctement dans le dispositif des conclusions ? En réalité, il faut aller au-delà de cette exigence formelle, comme l’a parfaitement démontré le Professeur Debourg (Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg).

Pour le comprendre, il faut se rappeler deux choses : d’une part, en arbitrage, la distinction des moyens de défense relevant de l’irrecevabilité et ceux relevant du fond est rarement réalisée avec rigueur ; d’autre part, et cela explique le premier point, les discussions sur la recevabilité et celles sur le fond sont le plus souvent intimement liées. L’exemple de l’obligation de révélation est éclairant. La question de la notoriété du fait non révélé est une question de fond, puisqu’elle vient atténuer l’obligation de révélation de l’arbitre. Mais le seul et unique intérêt de la notoriété est de déterminer le point de départ du délai offert aux parties pour exercer une demande de récusation. Autrement dit, la recevabilité du recours – l’exercice d’une action en récusation de l’arbitre – dépend d’une question de fond – la notoriété du fait non révélé.

Naturellement, la difficulté ne concerne pas que la révélation : elle concerne tous les cas d’ouverture. Prenons l’exemple du principe de non-révision au fond. Ce principe présente deux dimensions : d’une part, il vise à écarter un grief n’entrant pas dans les cas d’ouverture du recours ; d’autre part, il conduit à limiter l’examen du juge et lui interdit de réviser le fond de la sentence. Dans le premier cas, le grief est irrecevable. Dans le second, il est mal-fondé. Mais la frontière est loin d’être imperméable, et on peut d’ores et déjà prédire des maux de tête lorsqu’il conviendra de déterminer ce qui relève de l’un ou de l’autre, notamment dans le cadre de l’examen du respect de sa mission par le tribunal.

Alors, ne suffit-il pas, par précaution, d’invoquer chaque grief sous l’angle de la recevabilité et du bien-fondé, et de les faire figurer distinctement dans le dispositif des conclusions ? Ce serait malheureusement trop simple. En effet, il convient de mettre en perspective cette solution avec le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Les pouvoirs du juge d’appui ont été considérablement modifiés par cette réforme. Désormais, l’article 789.6° du code de procédure civile donne compétence à ce dernier pour statuer sur les fins de non-recevoir. Or cette disposition est applicable en procédure d’appel. En effet, l’article 907 renvoie aux articles 780 à 807 du code de procédure civile, et donc à l’article 789. En conséquence, pour les actions formées depuis le 1er janvier 2020 (conformément à la disposition dérogatoire de l’art. 55, II, du décret du 11 déc. 2019), c’est au conseiller de la mise en état qu’il convient de soumettre le moyen tiré de la renonciation. Cela impose notamment aux parties de saisir le conseiller de la mise en état par des conclusions qui lui sont spécialement adressées (C. pr. civ., art. 791 et 914). Cette distinction entraîne un morcellement du recours : le conseiller de la mise en état est compétent pour se prononcer sur la recevabilité, la cour sur le bien-fondé. Il y a bien deux juges compétents pour examiner le recours ! À cela, il faut ajouter que si le conseiller de la mise en état statue sur cette question, celle-ci devrait être susceptible de faire l’objet d’un déféré, quand bien même l’article 916 du code de procédure civile n’a pas été modifié en ce sens.

Comme évoqué précédemment, l’examen de cette fin de non-recevoir entraîne le plus souvent que soit tranchée au préalable une question de fond. Dès lors, conformément à l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, il paraît opportun de renvoyer la question à la formation collégiale (à la demande d’une partie ou d’office). Non seulement cela permet d’écarter le déféré (même si aucun texte ne le prévoit), mais surtout cela évite un morcellement du recours. Il serait judicieux d’adapter procéduralement le recours pour répondre de façon satisfaisante à des questions qui seront, le plus souvent, indissociables. Il faut voir, à l’usage, s’il est envisageable de joindre la fin de non-recevoir au fond et de permettre à la cour de trancher les deux questions dans sa décision finale.

Reste à savoir si des recours se gagneront ou se perdront sur cette question. Les irrecevabilités font désormais l’objet d’une concentration procédurale devant le juge/conseiller de la mise en état, à rebours de l’article 123 du code de procédure civile. C’est ce qui ressort des articles 789, alinéa 4 et 914, alinéa 2, du code de procédure civile. Autrement dit, les parties ne sont plus recevables à invoquer l’irrecevabilité de l’irrecevabilité au stade de l’audience. En principe, une partie aura toujours le temps de former sa demande devant le conseiller de la mise en état avant la clôture de l’instruction. En revanche, le juge peut-il le relever d’office ? Apparemment, non. L’article 789 ne semble pas le permettre, et l’article 914 vise de façon limitative « l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ». Reste à savoir si, dans l’intérêt de tous, les parties peuvent s’entendre tacitement, avec la bénédiction du conseiller de la mise en état, pour laisser cette question à la formation de jugement. Pour un contentieux ultra concentré comme l’arbitrage, avec deux chambres et une poignée de cabinets, ce n’est pas totalement à exclure.

B - La renonciation

La renonciation devrait donc relever désormais de la compétence du conseiller de la mise en état. La renonciation est en train de prendre une place démesurée dans le recours contre la sentence. Une étude sérieuse sur la question serait sans doute révélatrice, car il semble qu’une bonne part des recours se focalise désormais autour de cette seule et unique question. Le phénomène est renforcé par le fait que la renonciation, prévue par l’article 1466 du code de procédure civile, est susceptible de concerner tous les cas d’ouverture, à l’exception de l’ordre public de direction (v. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2019. Doctr. 1349, obs. J. Ortscheidt). Trois arrêts, d’inégale importance, se prononcent sur ce moyen.

1 - L’arrêt Uzuc

Commençons par l’arrêt le plus simple. L’affaire Uzuc porte sur l’application de la renonciation en matière de compétence (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc). Le litige soumis au tribunal arbitral portait sur deux bons de commande. L’une des parties a uniquement contesté l’application de la clause à l’un des deux bons de commande. Le tribunal arbitral s’est reconnu compétent uniquement à l’égard du second. Lors du recours, la partie conteste la compétence du tribunal pour connaître du litige portant sur ce bon de commande. La question était de savoir si elle avait renoncé à se prévaloir de cette incompétence.

Le raisonnement est purement factuel et ne présente pas grand intérêt. En revanche, la cour d’appel forge l’essentiel de sa conviction sur la transcription d’une audience, dont elle reproduit plusieurs passages dans sa décision. Lorsqu’elle existe, cette transcription peut en effet se révéler une pièce utile. La preuve d’un fait juridique pouvant être établie par tous moyens. Les parties sont invitées à se prévaloir plus souvent de cet élément de preuve. La cour constate que la partie a exprimé son absence d’objection à l’égard de la compétence du tribunal lors de l’audience et rejette le recours.

2 – L’arrêt Antrix

L’arrêt Antrix a été rendu par la Cour de cassation (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, préc.). Il est destiné à une publication au bulletin et est rédigé sous la nouvelle forme des arrêts de cassation. En l’espèce, cette nouvelle rédaction n’aide absolument pas à l’intelligibilité de la décision et il faut s’y reprendre à plusieurs fois (ou lire l’arrêt d’appel, Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude) pour comprendre les faits. Cet arrêt sera abondamment commenté, non pas pour sa solution, mais pour les enjeux théoriques qu’il soulève.

Dans cette affaire, la clause compromissoire était mal rédigée, puisqu’elle prévoyait que la procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Cette alternative a cristallisé les débats, le demandeur ayant saisi la CCI et le défendeur s’y opposant. Afin de faire valoir sa position, le défendeur a adopté deux positions distinctes. Dans un premier temps, il a protesté, auprès de la CCI, contre le caractère institutionnel de l’arbitrage, en invoquant notamment que le choix d’un tel arbitrage ne pouvait être réalisé par le seul demandeur. En dépit de ses objections, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI a procédé à la désignation des arbitres. Dans un second temps, il a contesté la compétence du tribunal arbitral en soutenant que la clause compromissoire, en ce qu’elle faisait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique. À défaut d’accord préalable des parties, elle était donc inapplicable, ce qui privait le tribunal de pouvoir juridictionnel. Le tribunal arbitral n’y a pas fait droit.

Pour s’opposer à l’exequatur de la sentence arbitrale, la société Antrix s’est limitée à sa première argumentation. Elle allègue que le règlement CCI serait inapplicable à la constitution du tribunal. Les arbitres auraient dû être désignés par le juge d’appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la Cour internationale d’arbitrage de la CCI.

La cour d’appel de Paris ne s’est pas laissée séduire. Elle a considéré que « ce moyen procède d’une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres ; que ceux-ci, en effet, ont été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait que le règlement d’arbitrage de la CCI serait divisible et qu’un contrat pour l’administration de l’arbitrage n’aurait pas été conclu ». En conséquence, elle juge que la société Antrix a renoncé à se prévaloir de ce moyen. Elle précise que « c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il convient d’apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ». Elle conclut à l’irrecevabilité du grief.

L’arrêt est cassé. La Cour de cassation énonce que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ».

Ni l’arrêt d’appel ni l’arrêt de cassation ne nous paraissent convaincants.

S’agissant de l’arrêt d’appel, la cour a retenu une appréciation restrictive de l’article 1466 du code de procédure civile. Pour établir la renonciation, la cour considère que l’irrégularité doit être invoquée devant le tribunal arbitral. En conséquence, tout ce qui se passe ailleurs que devant le tribunal arbitral est indifférent. Cette interprétation est séduisante et strictement conforme au texte. Elle est toutefois contraire au droit positif tel qu’il existe depuis plusieurs années. On en veut pour preuve que le contentieux de la récusation est totalement extérieur au tribunal arbitral et pourtant, l’exercice de cette action est la condition de la recevabilité du recours. Ainsi, considérer que toute irrégularité qui n’aurait pas été dénoncée devant le tribunal arbitral emporte renonciation constitue une interprétation dénaturant l’esprit de l’article 1466 du code de procédure civile (cela dit, rien n’interdit d’opérer un revirement sur ce point !).

Pour autant, les motifs de la cassation ne sont pas beaucoup plus satisfaisants. En effet, la Cour considère que la contestation de la compétence du tribunal arbitral emportait nécessairement contestation de la régularité de sa composition. Là aussi, une telle solution est pour le moins discutable. D’ailleurs, dans un arrêt récent, la cour d’appel de Paris a énoncé que « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, préc.). Il est donc d’autant plus difficile d’admettre qu’un moyen relevant d’un cas d’ouverture permette de contourner la renonciation pour un autre cas d’ouverture.

Reprenons la problématique depuis le début. La question de savoir si un tribunal constitué en violation des règles prévues par les parties est un cas d’annulation de la sentence n’est pas discutée. C’est ainsi qu’une sentence a pu être annulée, car l’arbitre avait été désigné par le tribunal de commerce de Paris statuant en formation ordinaire, alors que la clause prévoyait qu’il devait statuer en référé (Civ. 1re, 10 mai 1995, n° 92-19.111, D. 1996. 79 , note G. Bolard ; RTD com. 1995. 756, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 605, note A. Hory ). La même solution a été retenue pour une désignation par la Cour d’arbitrage de la CCI alors que les parties avaient confié cette mission aux juridictions argentines (Civ. 1re, 4 déc. 1990, Rev. arb. 1991. 81, note P. Fouchard). La difficulté n’est pas là : le non-respect des modalités prévues par les parties pour la constitution du tribunal arbitral emporte l’annulation de la sentence sur le fondement des articles 1492, 2° ou 1520, 2°, du code de procédure civile.

En revanche, il s’agit de savoir si le tribunal arbitral est compétent pour connaître de l’irrégularité. Derrière cette interrogation se cache le débat relatif à l’existence d’un principe compétence-investiture. L’origine du problème n’est en effet pas la compétence du tribunal arbitral, mais son investiture par une autorité dépourvue de ce pouvoir. Or, durant la procédure, consciemment ou non, la société Antrix a discuté devant la CCI de son pouvoir de désigner l’arbitre et elle a discuté devant le tribunal arbitral de sa compétence. Implicitement (ou maladroitement), elle a considéré que le tribunal était dépourvu du pouvoir de se prononcer sur son investiture, faute de principe compétence-investiture. Ce faisant, loin d’avoir renoncé à se prévaloir de l’irrégularité dans la constitution du tribunal arbitral, il n’était pas impossible de considérer que la société Antrix avait soulevé le grief devant le seul organe susceptible d’en connaître : la CCI, lorsqu’elle était sur le point de désigner les membres du tribunal. Sur ce terrain, le débat aurait pu prendre une dimension différente. Reste à espérer que la cour d’appel de renvoi s’en saisira.

3 - L’arrêt International Business Corporation

L’affaire International Business Corporation (IBC) met aux prises un nombre incalculable de parties (Paris, 25 févr. 2020, International Business Corporation, n° 16/22740). Cette société a été constituée en 1993 par Len Holding avec pour objet la distribution d’aciers industriels et la construction métallique au Cameroun. Dans la perspective de la création d’une nouvelle usine, IBC a recherché des partenaires. Le 18 septembre 2007, un pacte d’actionnaires a été conclu avec la Société Nationale des hydrocarbures (SNH), établissement public à caractère industriel et commercial dépendant de la République du Cameroun. Il prévoyait que la SNH et son personnel recevraient 61 % du capital d’IBC, le reste étant détenu par la société Len Holding et ses actionnaires.

À la suite de différends entre les parties, la société IBC et ses actionnaires fondateurs (la société Len Holding et certaines personnes physiques) ont engagé une procédure d’arbitrage sous l’égide de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). L’affaire suscite un certain nombre de difficultés procédurales qui ne nous intéressent pas.

L’intérêt de l’arrêt porte sur la récusation – ou plutôt l’absence de récusation – d’un des arbitres. Le 28 août 2012, la SNH et son personnel ont désigné comme arbitre un « fonctionnaire camerounais au service de l’État du Cameroun ». Or, la SNH est « un démembrement extrêmement puissant » de l’État du Cameroun. En conséquence, les demandeurs ont écrit au secrétariat général de la CCJA pour s’opposer à la désignation de l’arbitre. Par la suite, le secrétariat général de la CCJA a informé l’arbitre de sa désignation par les défendeurs au recours ainsi que de l’opposition des demandeurs au recours à sa confirmation. Il a invité l’arbitre, conformément à l’article 4.1 du Règlement d’arbitrage, à notifier à la Cour son acceptation et lui faire connaître, le cas échéant, les faits ou circonstances susceptibles de mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties. L’arbitre a transmis à la CCJA sa déclaration d’acceptation et d’indépendance et il a été confirmé dans ses fonctions. À la suite de cette confirmation, les demandeurs n’ont pas formé de demande en récusation.

La sanction de la cour d’appel est immédiate. Conformément à une jurisprudence désormais bien établie (v. infra, le vademecum sur la révélation), l’absence de demande de récusation caractérise une renonciation, au sens de l’article 1466 du code de procédure civile. À défaut de réaction, la partie est irrecevable à se prévaloir du grief devant le juge du recours. La solution semble d’une parfaite rectitude et était prévisible. Pourtant, elle est troublante.

L’article 1466 du code de procédure civile ne vise aucunement l’exercice d’un recours en récusation devant l’institution (v., justement, pour une appréciation restrictive, l’arrêt Antrix, préc.). C’est par construction que la jurisprudence en est arrivée à imposer, sur ce fondement, un devoir de réaction aux parties à peine d’irrecevabilité du recours. Or on peut se demander si la demande en récusation doit être l’alpha et l’oméga de cette réaction. En l’espèce, les liens reprochés entre l’arbitre et l’État étaient connus et ont fait l’objet de protestations antérieurement à sa désignation. La révélation réalisée par l’arbitre n’a aucunement modifié la situation, puisque les faits étaient connus (notoires ?).

Conformément à l’article 4.1, alinéa 4, du Règlement d’arbitrage de la CCJA, la partie a fait connaître ses observations, avant la confirmation de l’arbitre par la cour. Pourtant, en dépit de ses protestations, l’arbitre a été confirmé par la Cour. On peut très sérieusement s’interroger sur l’intérêt pour la partie d’exercer une demande en récusation, dès lors que l’arbitre a été confirmé en dépit de ses protestations. Cette demande n’aurait-elle pas été fondée sur les mêmes moyens et rejetée de façon identique par la CCJA ? Cela ne revient-il pas à encourager un contentieux parasite ?

Enfin, on ajoutera que l’irrecevabilité du grief prive le juge de la possibilité de se prononcer sur une épineuse question. Pour mémoire, il était reproché à l’arbitre d’être fonctionnaire de l’État du Cameroun, dont une partie était un démembrement extrêmement puissant. Or il est une question sur laquelle la jurisprudence française n’a jamais eu l’occasion de se prononcer : existe-t-il des liens faisant radicalement obstacle à la nomination d’une personne en qualité d’arbitre ? Dans les IBA Guidelines on parle notamment de « Non-Waivable Red List ». Autrement dit, le lien de dépendance entre une partie et l’arbitre peut être tel qu’il conduit à priver la sentence de sa qualité de décision de justice. Si de telles situations existent, doivent-elles être ignorées, au motif que les parties ont renoncé à s’en prévaloir ? C’est une question qui ne serait pas inutile de se poser (quitte à le faire sur le fondement de l’art. 1520, 5°, c. pr. civ.). Cela dit, rien n’indique qu’en l’espèce la qualité de fonctionnaire faisait radicalement obstacle à la nomination d’arbitre dans le litige.

II – Les cas d’ouverture du recours en annulation

A - La compétence du tribunal arbitral

La concentration des moyens et des demandes a déjà fait l’objet de décisions en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-14.123, D. 2012. 1132 ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 121, note Y. Strickler ; Procédures 2012. Comm. 180, obs. L. Weiller ; v. égal. pour la concentration des demandes, mais la solution a été abandonnée, Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266, D. 2008. 1629, obs. X. Delpech ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD civ. 2008. 551, obs. R. Perrot ; RTD com. 2010. 535, obs. E. Loquin ; JCP 2008. Actu 411, obs. J. Béguin ; ibid. 2008. I. 164, n° 3, obs. J. Béguin ; ibid. 2008. II. 10170, obs. G. Bolard ; Rev. arb. 2008. 461, obs. L. Weiller). Ce n’est toutefois pas une question très fréquente. Elle est directement posée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 3 mars 2020, n° 18/05766, Francis Alexander Investments). Lors d’une procédure arbitrale, une partie a présenté tardivement un certain nombre de demandes. Le tribunal arbitral les a déclarées irrecevables dans sa sentence. En conséquence, la partie a introduit une nouvelle procédure d’arbitrage pour faire juger ces demandes. Celles-ci sont déclarées recevables et le tribunal arbitral y fait droit.

Devant le juge du recours, l’annulation de la sentence pour incompétence du tribunal arbitral est demandée. Selon le demandeur au recours, son adversaire aurait dû présenter ses prétentions dès l’instance arbitrale ayant abouti à la première sentence, en raison du principe de concentration des moyens et des demandes. Il ajoute que l’autorité de la chose jugée attachée à la première sentence qui avait déclaré ces demandes irrecevables s’opposait à ce que le tribunal puisse en connaître de nouveau.

Le recours est rejeté, mais la motivation est contestable. La cour énonce que « s’il incombe au demandeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à justifier celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ». On reconnait ici parfaitement l’état du droit positif en procédure civile, dessiné depuis la jurisprudence Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ; Procédures 2006. Comm. 201, note R. Perrot ; JCP 2007. II. 10070, note G. Wiederkehr ; Dr. et proc. 2006, p. 348, obs. N. Fricero ; Bull ch. avoués 2007-1, p. 3, obs. M. Bencimon ; R. Martin, Les détournements de la procédure judiciaire, RTD civ. 2007. 723 ). Toutefois, la véritable question est de savoir si ce grief entre dans un des cinq cas d’ouverture du recours en annulation. Pour la cour d’appel, la réponse est positive, puisqu’elle rejette le recours au fond. Pourtant, la jurisprudence développe depuis quelques années une distinction entre compétence et recevabilité. Le juge du recours n’est susceptible de connaître que les griefs relatifs à la compétence, pas ceux relatifs à la recevabilité. En effet, la présence d’une clause compromissoire, comme en l’espèce, suffit à fonder la compétence du tribunal arbitral. La question est en revanche de déterminer si les demandes formées dans le cadre de la seconde procédure peuvent être portées devant ce tribunal. Or il a déjà été jugé que les questions relatives à l’autorité de la chose jugée ne sont pas contrôlées dans le cadre du recours contre la sentence (Paris, 9 sept. 2010, n° 09/13550, Marriott, Rev. arb. 2011. 970, note C. Debourg ; Cah. arb. 2011. 413, note P. Mayer), de même que l’obligation de concentration des moyens (Paris, 17 nov. 2011, n° 10/14948, Rev. arb. 2011. 1104). En conséquence, la cour ne pouvait se permettre de vérifier si le tribunal avait bien respecté l’autorité de la chose jugée de la première sentence ou s’il existait une obligation de concentration des moyens ou des demandes. Elle aurait dû simplement constater que ces questions relèvent de la recevabilité de la demande et ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours. Au surplus, on rappellera qu’il n’est pas tout à fait identique d’imposer une obligation de concentration des moyens entre deux procédures arbitrales consécutives ou entre une procédure arbitrale suivie d’une procédure judiciaire. Or c’est bien dans ce second domaine qu’a été rendu l’arrêt du 12 avril 2012.

Il en va seulement différemment, et c’est ce que la cour rappelle, au cours de la même instance : « l’autorité qui s’attache à la chose jugée par la juridiction arbitrale n’est pas d’ordre public. Seule est d’ordre public, l’autorité qui s’attache à la chose jugée au cours de la même instance ». La solution n’est pas nouvelle (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Paris, 29 mai 2018, n° 15/23187, Rev. arb. 2018. 478 ; RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). On peut se demander si le fondement idoine ne devrait pas être le dessaisissement du tribunal (C. pr. civ., art. 1485) et être sanctionné, cette fois, sur le fondement de la compétence (un tribunal dessaisi d’une partie du litige n’est plus compétent pour le trancher).

B - La constitution du tribunal

Les règles relatives à la contestation d’une sentence pour violation de l’obligation de révélation sont devenues tellement complexes qu’il nous a semblé pertinent de faire un bilan plus global sur la marche à suivre pour contester la sentence sur ce point. Nous proposons donc, en fin de chronique, un « vademecum » de l’annulation de la sentence pour défaut de révélation. L’ensemble des références jurisprudentielles seront réunies à ce stade.

Pour ce qui concerne l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.), les faits sont relativement simples. Dans le cadre d’un arbitrage, il est reproché à un arbitre une déclaration d’indépendance lacunaire. Plus spécifiquement, il aurait omis de déclarer un lien d’intérêt entre un cabinet partenaire de son ancien cabinet et un actionnaire d’une des parties au litige. La question de la renonciation ayant été exclue à titre liminaire (v. supra), la cour raisonne en deux temps. Elle distingue, d’un côté, les faits devant faire l’objet d’une révélation et, d’un autre, les conséquences de ce défaut de révélation sur la pérennité de la sentence arbitrale.

1 - L’étendue de l’obligation de révélation

Deux questions successives se posent, même si elles sont liées : ce qui doit être révélé (a) et ce qui est notoire (b).

a - Les éléments à révéler

La cour d’appel de Paris commence par poser les critères de l’obligation de révélation. Après avoir rappelé la définition de l’article 1456 du code de procédure civile, elle énonce que « ces circonstances peuvent être variées et porter sur d’éventuels conflits d’intérêts, sur des relations d’intérêts ou sur un courant d’affaires que l’arbitre a pu avoir avec les parties ou des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (§ 42). Elle ajoute que « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (§ 43).

L’intention de définir le contenu de l’obligation de révélation est salutaire. Il est indispensable que la jurisprudence pose de façon précise les critères de l’obligation de révélation. Malheureusement, la définition de la cour d’appel ne satisfait pas à cette exigence. Il est difficile de lui en vouloir : la cour se contente de reprendre des formules déjà usitées en jurisprudence. Il est en effet classique d’affirmer que l’obligation de révélation doit « s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 18 mai 2013, n° 11/17672, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt  ; 1er avr. 2014, n° 12/15479 ; 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Newsletter du CMAP, nov. 2014, p. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; 18 déc. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 41, obs. D. Bensaude) ou, comme dans le présent arrêt, d’ajouter une référence au lien avec le litige (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996 ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude).

Malheureusement, ces critères contribuent à maintenir une confusion entre, d’une part, ce qui doit être révélé par l’arbitre et, d’autre part, les faits susceptibles d’entraîner l’annulation de la sentence arbitrale. Pourtant, sur la forme, cette distinction est parfaitement réalisée par la cour dans le présent arrêt. Simplement, sur le fond, au niveau des critères de la révélation, le flou est entretenu. Les références au « lien avec le litige » et à l’« incidence sur le jugement de l’arbitre » sont de nature à induire en erreur. L’arbitre devrait révéler des faits indépendamment de leur lien avec le litige et de leur incidence sur son jugement. En effet, ce n’est pas à lui de se faire juge de son impartialité pour trancher le litige, mais aux parties, à l’institution d’arbitrage ou au juge d’appui et au juge du recours. La même remarque peut être formulée des indications données sur les circonstances (§ 42, préc.). La référence au « courant d’affaires » est particulièrement révélatrice de l’équivoque. C’est précisément ce critère qui permet à la jurisprudence de considérer que le fait non révélé provoque un doute raisonnable dans l’esprit des parties et justifie l’annulation de la sentence (v. vademecum).

Une telle confusion pouvait se comprendre au stade de la saison 1 de la jurisprudence Tecnimont, puisque toute lacune dans l’obligation de révélation conduisant à l’annulation de la sentence (Paris, 12 févr. 2009, Avax c/ Tecnimont, Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 44, note M. Henry ; Bull. ASA 2009, p. 520, note P. Schweizer ; L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c/ Tecnimont SPA du 12 févr. 2009, in Les Cahiers de l’arbitrage, ss la dir. d’A. Mourre, éd. A. Pedone, vol. V, 2011, p. 54). Dès lors, il était logique d’assortir l’obligation de révélation d’éléments subjectifs. Néanmoins, avec le revirement réalisé par l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c/ Sté Tecso, D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), il est possible de distinguer les deux étapes et d’assortir la révélation de critères uniquement objectifs.

Il est désormais temps de poser un critère simple et intelligible, condition sine qua non de la sécurité juridique de la procédure arbitrale. Ces exigences doivent concerner (i) le type de lien et (ii) les personnes entre qui celui-ci doit exister demeurent excessivement floues.

Sur le premier point, il convient de déterminer si tous les liens matériels, même les plus infimes, doivent être révélés (une invitation au restaurant), et si les liens intellectuels (participation à un colloque) et personnels (amitié, inimitié, etc.) sont concernés. Sur cette question, les rares décisions qui se prononcent expressément sur l’absence d’obligation de révélation d’un fait concernent les liens intellectuels, qui n’ont le plus souvent pas à être révélés (v. vademecum).

Sur le second point, la question est de savoir jusqu’où il faut remonter dans la constellation de personnes physiques et morales autour des arbitres et des parties. Sur ce point, il faudra bien finir par poser des critères intelligibles, ce que ne fait pas la cour, alors même que le lien n’était pas direct entre l’arbitre et la partie.

En somme, on regrettera particulièrement la rédaction de ces paragraphes 42 et 43. Sans doute, dans l’esprit du juge, cette motivation ne portait aucunement à conséquence. D’ailleurs, depuis la jurisprudence Tecso, il est rarissime que la jurisprudence rejette le recours au motif que le fait n’a pas à être révélé. La cour embraie directement sur l’examen de la notoriété du fait et son incidence sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre.

b - Les éléments notoires

La notoriété est justement un des éléments de nature à limiter l’obligation de révélation de l’arbitre. Cette exception a été maintes fois critiquée, et nous continuons à considérer qu’elle est illégitime et contra legem. Toutefois, on peut se réjouir d’en voir les limites mieux cernées. La cour énonce que « seules des informations publiques aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre ». Telle n’est pas le cas en l’espèce. À travers une vérification détaillée (§§ 49 et s.), la cour retient que l’information n’est accessible « qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter le contenu l’un après l’autre des publications auxquelles il a contribué ». En conséquence, elle écarte le caractère notoire de l’information.

On reste insatisfait par l’imprécision des critères de la notoriété. La décision se focalise sur la consultation du site internet de l’arbitre. Est-ce à dire qu’il s’agit là du seul site à examiner ? Très concrètement, quels sont les sites qui doivent être systématiquement visités avant le procès ? Le site des parties ? C’est en tout cas ce qui est retenu dans l’arrêt Tecnimont (v. le vademecum). Les annuaires d’avocats ? C’est en tout cas la solution de l’arrêt Volkswagen (v. le vademecum). Les réseaux sociaux (LinkedIn ? Facebook ? Twitter ?) ? La presse juridique ? Toutes les références trouvées par Google ? Une fois de plus, un travail de précision s’impose.

2 - Les conditions à l’annulation de la sentence arbitrale

De façon particulièrement claire, la CCIP-CA rejoint la position désormais retenue par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation : une lacune dans la révélation de l’arbitre n’entraîne pas l’annulation automatique de la sentence. La cour adhère à cette solution à travers une formule on ne peut plus claire : « Il convient de rappeler que la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que ces éléments soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre, l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce » (§ 53). Ainsi, la sentence n’est annulée qu’à condition que l’élément soit de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre.

On pourrait reprocher au critère, là encore, d’être fuyant. Toutefois, il y a une différence fondamentale entre les critères de la révélation et ceux de l’annulation. Les critères de la révélation doivent être les plus simples et les plus explicites possible, car ils doivent mettre l’arbitre dans la situation de pouvoir facilement connaître ce qu’il doit communiquer aux parties. La réponse doit être la plus binaire possible : le fait doit ou ne doit pas être révélé. L’arbitre doit savoir à quoi s’en tenir. En revanche, au stade de l’annulation, cette exigence est moins impérieuse, puisqu’on sait d’ores et déjà que l’arbitre n’a pas respecté son obligation de révélation (une appréciation différente pourrait être envisageable lorsque l’arbitre a parfaitement respecté son obligation de révélation, mais que l’annulation est tout de même demandée). La seule question est de savoir si la lacune est trop grave pour préserver la sentence. Il n’est donc pas illégitime de laisser une marge de manœuvre au juge, afin d’avoir une appréciation concrète de la difficulté.

En l’espèce, la cour rejette le recours. C’est une sorte de faisceau d’indices disculpant qui permet de préserver la sentence. Le lien est qualifié d’indirect, puisqu’il n’unit pas l’arbitre à la partie, mais le cabinet partenaire de l’ancien cabinet avec l’actionnaire de la partie au litige (arbitre → ancien cabinet → cabinet partenaire → actionnaire → partie au litige). La temporalité du lien est également utilisée, celui-ci ayant cessé deux ans et demi avant le début de l’arbitrage. Surtout, la cour constate qu’il n’est pas établi que l’arbitre « ait à un quelconque moment conseillé, représenté ou assisté les actionnaires ». En définitive, le demandeur au recours n’établit pas qu’« il ait eu un lien direct ou indirect, matériel ou intellectuel, avec lesdits actionnaires ou leurs filiales, que ce soit par l’intermédiaire du cabinet Dr. Saud Al-Ammari, ou du cabinet Blakes, ou qu’un courant d’affaires ait existé entre l’arbitre et ces actionnaires ».

Le raisonnement est convaincant. Quand bien même la révélation doit être la plus large possible, l’annulation ne doit pas être aveugle. La diversité des facteurs pris en compte est gage d’une solution équilibrée. Néanmoins, on peut s’interroger sur la présence de la notion de lien « intellectuel ». Pourquoi le lien intellectuel, le plus souvent considéré comme indifférent au stade de la révélation, réapparaît au stade de l’annulation ? Il appartiendra à la nouvelle CCIP-CA de nous éclairer !

C - Le respect de sa mission par le tribunal

Les développements de l’arrêt Uzuc sur la question de la mission de l’arbitre sont stimulants (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc). La question portait sur le choix du droit applicable au fond par les arbitres. Les parties au litige se prévalaient, pour l’une, de la loi roumaine et, pour l’autre, de la loi indienne. Le tribunal arbitral n’a retenu ni l’une ni l’autre et a jugé que les Principes d’UNIDROIT 2010 constituaient les règles de droit applicables au litige conformément à l’article 21.1 du règlement de la CCI ainsi qu’à l’article 1511 du code de procédure civile. Ce choix est validé par la cour d’appel. Elle énonce notamment qu’« il est un principe bien établi que les tribunaux arbitraux, disposent d’un large pouvoir d’appréciation et peuvent appliquer des règles de droit directement, sans effectuer d’analyse de conflit de lois ». Cette solution est acquise depuis longtemps en doctrine et appliquée régulièrement par les arbitres. Il n’en demeure pas moins que la voir inscrite aussi clairement dans un arrêt est de nature à rassurer. La solution est d’autant plus marquante que le choix des arbitres s’est tourné vers des règles non étatiques, alors que les parties se prévalaient l’une et l’autre de règles étatiques, bien que différentes.

La cour ajoute deux éléments intéressants concernant le respect de la mission. D’une part, elle rappelle qu’il n’appartient pas au juge du recours de contrôler la dénaturation des documents contractuels par les arbitres (dans le même sens, Civ. 1re, 20 déc. 1993, Sté Fougerolle c/ Sté Butec Engineering, Rev. arb. 1994. 126, note P. Bellet). D’autre part, elle valide la sentence en ce que les arbitres, après avoir constaté que le préjudice réel d’une partie était supérieur à ce qu’elle avait demandé (!), limitent la réparation au montant exact sollicité. Ce faisant, l’arbitre ne statue pas ultra petita, mais, bien au contraire, respecte scrupuleusement les limites de sa mission.

D - La conformité de la sentence à l’ordre public international

On ne cesse de rappeler à longueur de chroniques que la question de l’intensité du contrôle de l’ordre public international est encore incertaine. En effet, les jurisprudences Thales (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thales Air Défense c/ Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529) et SNF (Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c/ Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot  ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train) doivent-elles être réservées définitivement aux ouvrages d’histoire du droit ? L’interrogation est légitime. Depuis plusieurs années, la cour d’appel de Paris a considérablement fait évoluer sa jurisprudence, en intensifiant son examen (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Ce revirement se traduit par la substitution de l’adjectif « manifeste » à l’adjectif « flagrant ». Néanmoins, la question qui demeure est celle de la portée exacte de la nouvelle solution. En effet, la Cour de cassation n’a, pour l’instant, jamais donné son assentiment à cette (r)évolution, quand bien même les occasions n’ont pas manqué. En outre, la cour d’appel n’a jamais indiqué si la solution devait être étendue à tous les griefs relevant de l’ordre public – interne ou international, procédural ou substantiel. La décision Uzuc est-elle celle tant attendue (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc, préc.) ? Peut-être. En tout cas, la cour d’appel retient cette fois une formule tout à fait générale et énonce que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international ». Ce motif est d’autant plus marquant que l’on est loin des griefs classiquement examinés sous l’angle de l’ordre public international : corruption, blanchiment, fraude ou encore ordre public procédural. Cette fois, ce sont les dommages-intérêts punitifs qui sont discutés. Autant dire que, avec cet arrêt Uzuc, l’idée selon laquelle l’intégralité du contrôle de l’ordre public a fait l’objet d’un changement de paradigme prend un peu plus d’épaisseur.

Par ailleurs, l’arrêt reprend mot pour mot l’attendu de l’arrêt Fountaine Pajot : « le principe d’une condamnation au paiement de dommages-intérêts punitifs n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public international français. Il en est autrement si le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur » (Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-13.303, Sté Fountaine Pajot, D. 2011. 423, obs. I. Gallmeister , note F.-X. Licari ; ibid. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2011. 93, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 2011. 122, obs. B. Fages ; ibid. 317, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2011. 666, obs. P. Delebecque  ; JCP 2011, n° 6, 140, note J. Juvénal ; Gaz. Pal. 2011. 1. 849, note F. Bérard ; RJ com. 2011. 293, note O. Boskovic). En l’espèce, le grief n’est absolument pas caractérisé, puisqu’il n’est même pas établi que la condamnation est constitutive de dommages-intérêts punitifs.

III – La clause compromissoire

A - La clause (pathologique) et l’autorité de chose jugée de la sentence

La lecture des arrêts de cours d’appel non spécialisées en arbitrage est souvent l’occasion de tomber sur des clauses dont on espère sincèrement qu’elles n’ont pas été rédigées par des professionnels du droit. Un arrêt de la cour d’appel de Montpellier en offre un exemple particulièrement croustillant (Montpellier, 5 mars 2020, n° 15/08584). Voici l’objet du délit : « les parties conviennent, à titre de déclaration d’intention, de faire trancher tous les litiges concernant l’exécution et l’interprétation des présentes par un arbitre, désigné d’un commun accord et, à défaut d’entente, par le tribunal de grande instance de Montpellier. L’arbitre statuera, dans le délai convenu entre les parties, comme amiable compositeur et ce, après avoir entendu les parties et reçu leurs pièces. En cas de désaccord sur la décision de l’arbitre, les parties conserveront toute possibilité de se pourvoir devant le tribunal de grande instance ». Rien ne va dans cette clause. Son champ d’application matériel est, à lui seul, susceptible de provoquer des maux de tête. Mais c’est la nature de la clause qui est finalement au cœur du litige : s’agit-il d’une clause compromissoire ou d’une forme de clause de conciliation préalable ?

Ce qui rend la décision particulièrement intéressante, c’est le stade auquel se déroule cette discussion. En effet, l’arbitrage a bien eu lieu, après notamment que l’arbitre ait été désigné par le juge d’appui. Une sentence a été rendue et a même fait l’objet d’un recours en annulation rejeté. Et c’est à ce stade qu’intervient l’arrêt, puisqu’une partie mécontente de la sentence a saisi, conformément à la clause, le tribunal de grande instance de Montpellier pour que celui-ci tranche le fond du litige. Il soutient que la clause contractuelle était une simple clause de conciliation préalable et qu’il était libre de saisir le juge de première instance. Le défendeur oppose, quant à lui, l’autorité de chose jugée de la sentence.

Le raisonnement de la cour est particulièrement didactique. Pour retenir la qualification de clause compromissoire, et donc l’autorité de chose jugée de la sentence, elle constate que le juge d’appui a désigné l’arbitre sans contestation et que le c’est le demandeur lui-même qui a exercé le recours en annulation. Le comportement des parties conduit la cour à opter en faveur de la qualification d’arbitrage. Ceci étant, ce passage par un contrôle de la compétence ne manquera pas d’être discuté. La cour avait-elle la possibilité de réaliser ce contrôle, alors qu’une sentence avait été rendue et le recours en annulation rejeté ? Une autre façon d’appréhender la situation aurait été de considérer que le rejet du recours en annulation ayant conféré à la sentence l’exequatur, celle-ci a intégré l’ordre normatif français. De ce fait, elle est, dans cet ordre, une décision de justice ayant autorité de chose jugée, indépendamment de la clause.

B - La clause et les lois de police

Les solutions les mieux établies méritent d’être régulièrement rappelées. C’est à ce titre que nous mentionnerons un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 12 mars 2020, n° 19/07463), dans une affaire où l’essentiel de la discussion est purement fantaisiste. Pour s’opposer au renvoi devant un tribunal arbitral, un demandeur ayant saisi les juridictions étatiques soulignait que le litige mettait en cause des règles d’ordre public, notamment une loi de police. La cour rejette sèchement l’exception d’incompétence, en rappelant que « le fait d’invoquer l’application au demeurant contestée d’une loi de police au litige […] est inopérante pour écarter la mise en œuvre de la clause compromissoire ». Ce faisant, la cour reprend une jurisprudence de la Cour de cassation, qui retient que l’existence d’une loi de police ne fait pas obstacle à la mise en œuvre d’une clause attributive de juridiction (Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823, Sté Monster Cable Products Inc c/ Sté Audio marketing services, D. 2009. 200 , note F. Jault-Seseke ; ibid. 2008. 2790, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 684, chron. A. Huet ; ibid. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2009. 1, étude D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2009. 646, obs. P. Delebecque  ; JDI 2009. 599, note M.-N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train ; JCP 2008. II. 10187, note L. d’Avout ; Rev. crit. DIP 2009. 1. Etude D. Bureau et H. Muir Watt) ou d’une clause compromissoire (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Sté Doga c/ Sté HTC Sweden AB, Dalloz actualité, 20 juill. 2020, obs. X. Delpech ; D. 2018. 2884, note M. Audit et O. Cuperlier ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2011. 667, obs. P. Delebecque ; ibid. 2012. 525, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2010. 514, note R. Dupeyré ; ibid. 2011. 191, note Y. Strickler).

C - La clause et le liquidateur judiciaire

Un arrêt de la chambre commerciale est l’occasion d’un bref rappel des règles applicables en matière de procédure collective (Com. 26 févr. 2020, n° 18-21.810, MJA). Un contrat de franchise contenant une clause compromissoire a été conclu. L’une des parties a été mise en liquidation judiciaire. Son liquidateur, indiquant agir en qualité de représentant des créanciers, a assigné le cocontractant devant le tribunal de commerce de Paris pour voir prononcer la nullité pour dol ou erreur du contrat de franchise. Le défendeur a soulevé une exception d’incompétence fondée sur la clause compromissoire. Elle est accueillie par la cour d’appel de Paris (Paris, 26 juin 2018, n° 17/11231, Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude ; LEDICO oct. 2018, n° 9, p. 3, obs. A.-C. Benoit) et le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation énonce qu’« après avoir constaté que le liquidateur demandait, à titre principal, l’annulation du contrat pour dol ou erreur et, à titre subsidiaire, sa résiliation aux torts exclusifs du franchiseur, puis relevé que la demande indemnitaire était présentée comme une conséquence de ces prétentions, l’arrêt retient à bon droit que le liquidateur exerce les droits et actions du débiteur dessaisi sur le fondement du contrat et que la clause compromissoire n’est en conséquence pas manifestement inapplicable au litige ».

La solution ne surprend pas. Il est acquis que l’application de la clause compromissoire à une action du liquidateur dépend de la nature de l’action. Soit le liquidateur exerce les droits et actions de la société en liquidation et la clause n’est pas manifestement inapplicable (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.552, Torelli c/ StévGFC Construction, Dalloz actualité, 21 avr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 800 ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; RTD civ. 2015. 614, obs. H. Barbier ; Cah. arb. 2015. 303, note A. Sarah ; Procédures 2015, n° 6, p. 21, obs. L. Weiller ; RLDC 2015, n° 127, p. 17, obs. M. Desolneux ; JCP 2015. 1152, note L. Weiller ; Rev. arb. 2015. 1171, note L. Weiller) ; soit le liquidateur agit en qualité de représentant des créanciers et la clause est manifestement inapplicable au litige (Com. 17 nov. 2015, n° 14-16.012, Sté Carrefour proximité France c/ Sté Perin Borkowiak, Dalloz actualité, 30 nov. 2015, obs. A. Lienhard ; AJCA 2016. 43, obs. M. de Fontmichel ; Rev. sociétés 2016. 198, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 334, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 696, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2016. 49, note H. Barbier). En l’espèce, le liquidateur tentait de faire passer son action pour une action dans l’intérêt collectif des créanciers pour contourner la clause compromissoire. La cour d’appel et la Cour de cassation ne s’y sont pas laissées prendre et les parties sont renvoyées devant les arbitres.

IV – Le juge d’appui et l’excès de pouvoir

La question de l’excès de pouvoir du juge d’appui revient régulièrement en matière d’arbitrage (v. par ex., Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). Les décisions du juge d’appui, selon l’article 1460 du code de procédure civile, font l’objet de voies de recours asymétriques. En principe, aucun recours n’est ouvert, sauf lorsque le juge déclare n’y avoir lieu à désignation pour une des causes prévues à l’article 1455. Toutefois, comme chaque fois qu’aucun recours n’est ouvert, il y est dérogé en cas d’excès de pouvoir. Mais qu’est-ce qu’un excès de pouvoir ? C’est ce que la cour d’appel de Paris (chambre non spécialisée) nous précise (Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834) : « Il est de principe qu’il y a excès de pouvoir lorsque le juge s’arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse ou lorsqu’il refuse d’exercer les compétences que la loi lui attribue. La violation de règles de fond ou de procédure, même lorsqu’il s’agit de la violation d’un principe essentiel de procédure, tel celui du contradictoire ou de la méconnaissance de l’objet du litige, ne constitue pas un excès de pouvoir, mais une simple erreur de droit. Il en est de même en cas d’absence de motivation ou de motivation insuffisante ». Nous n’avons pas trouvé de trace d’une telle définition en jurisprudence ni après un rapide examen des manuels. On peut évidemment discuter de la restriction du domaine de l’excès de pouvoir, qui écarte notamment les violations du contradictoire. Il n’en demeure pas moins que la définition paraît robuste et qu’elle pourrait faire florès. Dans le cas d’espèce, l’irrégularité invoquée à l’encontre de la décision du juge d’appui tenant au défaut de motivation, le recours est logiquement rejeté.

V – L’arbitrage et le coronavirus

Nous ne dirons que quelques mots sur la problématique du coronavirus, car les questions qui peuvent se poser sont multiples et il est difficile de les identifier sans y être confronté.

La première question qui se pose est naturellement celle des délais. Il convient de distinguer les délais pré-arbitraux, les délais de l’instance arbitrale et les délais post-arbitraux.

Le principal délai pré-arbitral est la prescription. À cet égard, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que « tout […] action en justice […] prescrit par la loi ou le règlement à peine de […] prescription […] qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Cette disposition devrait s’appliquer sans difficulté à l’arbitrage interne français. En revanche, en matière d’arbitrage international, elle pourrait donner lieu à de savoureux débats. En effet, encore faut-il que cette disposition soit applicable à l’action en justice internationale. Il s’agit alors de savoir si la prescription relève du fond du droit ou de la procédure, si les parties ont choisi le droit applicable ou encore quelle méthode l’arbitre entend retenir pour déterminer ce droit applicable. Afin de simplifier les choses, la découverte dans le droit étranger d’une disposition équivalente permettrait de rassurer le demandeur.

Cependant, l’ordonnance n’est pas applicable aux délais de la procédure arbitrale elle-même. Elle ne permet pas à une partie de se prévaloir d’une quelconque interruption du délai imparti pour conclure. Néanmoins, l’arbitre est tenu d’assurer le respect du contradictoire. Il paraît judicieux de prendre en considération les difficultés auxquelles les parties sont confrontées pendant cette période et d’accorder les éventuels délais nécessaires. Toutefois, et on touche ici à la principale difficulté, ces délais supplémentaires accordés à une partie peuvent mettre à mal le respect du délai d’arbitrage. Or seuls les parties, l’institution ou le juge d’appui sont susceptibles de le proroger, à l’exclusion des arbitres eux-mêmes. À défaut d’accord des parties et de décision de prorogation de l’institution ou du juge d’appui, il convient pour les arbitres de prendre des mesures adaptées. La plus simple pourrait être le sursis à statuer, prévu par l’article 1472 du code de procédure civile, applicable en matière internationale. La période actuelle constitue une raison légitime pour un tel sursis. À la fin de la période de confinement, le tribunal arbitral reprend l’instance, conformément aux articles 1474 et 1475 du code de procédure civile (qui ne sont pas applicables en matière internationale). Pendant la période de sursis, les délais sont suspendus (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 715). En matière interne, le tribunal arbitral peut même envisager une prorogation pour un délai max de six mois, selon 1475, alinéa 2, du code de procédure civile.

Dans la phase post-arbitrale, les principaux délais sont ceux relatifs à l’exercice du recours et aux différents échanges en procédure d’appel. Là encore, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 s’applique sans difficulté. Par ailleurs, une autre ordonnance, l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, est susceptible d’entraîner une modification de la procédure en cours, notamment en ce qui concerne les échanges d’écritures et les audiences.

Au-delà des délais, les principales questions qui se posent concernent l’incapacité des parties et/ou des arbitres à se réunir pendant cette période (v. sur ces questions). Cela peut évidemment conduire à un report des audiences et/ou à des réunions sous forme dématérialisée. Surtout, la question de la conclusion des différents actes se pose (acte de mission, ordonnance de procédure, sentence arbitrale). Cela peut être l’occasion pour les praticiens de se saisir de la faculté offerte par l’article 1366 et de recourir à l’écrit électronique. On en profite pour signaler que l’article 4-2 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit que « la sentence arbitrale peut être rendue sous forme électronique, sauf opposition de l’une des parties ». Reste à savoir si cette disposition est applicable au-delà de l’arbitrage en ligne prévu par ce texte. Selon nous, peu importe, l’article 1366 du code civil étant suffisant pour envisager une signature électronique de la sentence (dans le même sens, T. Clay, D. 2019. 2435 ). De plus, il faudra que, dans le cadre de la procédure d’exequatur, l’exigence d’une communication de « l’original de la sentence » soit interprétée souplement. Comme le signale déjà Thomas Clay, «  la vraie réforme eût été de permettre l’exequatur des sentences électroniques, ce qui eût supposé une modification du code de procédure civile […]. On s’en sortira peut-être en soutenant qu’il n’y a que des originaux ou que des copies, mais il n’en demeure pas moins que la formulation employée dans ces articles, inspirée de la Convention de New York de 1958 (art. IV, § 1er, b), est obsolète et devrait être toilettée » (D. 2019. 2435, obs. T. Clay ).

VI – Vademecum : l’obligation de révélation et le recours contre la sentence

Ce croquis et ces développements ne se comprennent qu’au stade du recours contre la sentence. Ils visent à permettre à une partie ou au juge du recours de déterminer si l’annulation ou le refus d’exequatur de la sentence est encouru. Il convient de mettre systématique en parallèle le croquis et les développements, afin de ne suivre que les étapes indispensables.

(Cliquer sur le croquis pour accéder à une version haute résolution.)

1. Le fait doit-il être révélé ?

La question du fait à révéler est, que ce soit au stade de sa déclaration d’indépendance par l’arbitre ou du recours contre la sentence, la première question à se poser. Elle devrait en principe donner lieu à une réponse simple et compréhensible par tous. Pour cela, il est nécessaire de fixer des critères entre ce qui doit être révélé et ce qui ne doit pas l’être. En effet, il faut distinguer les omissions indifférentes de celles susceptibles de conduire à une annulation de la sentence.

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile n’apporte qu’un mince éclairage. Il énonce qu’« il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité ». Il ne permet pas d’identifier un quelconque critère. Il existe, en dehors du droit français, des sources qui peuvent opportunément être consultées par les arbitres. Il en va ainsi des IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration de 2014, édictées par International Bar Association. Malheureusement, elles ne sont jamais visées par la jurisprudence française. C’est donc au juge qu’il appartient de donner, au fil de l’eau, les critères de ce qui doit être révélé.

Le plus souvent, la jurisprudence utilise la formule générique suivante : « L’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996 ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2014. 130, note E. Loquin ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt ; Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818, n° 19/15819, préc.). La notoriété est à réserver pour la suite du raisonnement. Pour ce qui concerne les deux autres critères, ils ne permettent pas de véritablement identifier ce qui doit être révélé et procèdent d’une confusion avec les conditions d’annulation de la sentence.

À dire vrai, si la jurisprudence n’a jamais ressenti le besoin de préciser sa définition, c’est qu’elle n’écarte presque jamais le moyen à ce stade. Le plus souvent, elle enchaîne immédiatement sur l’examen de la notoriété ou la recherche d’un doute raisonnable quant à l’impartialité ou l’indépendance de l’arbitre. On peut toutefois essayer d’esquisser les grandes lignes. Deux questions principales peuvent se poser : quel lien ; avec qui ?

* Quel lien ?
De façon synthétique, on peut distinguer trois types de liens : les liens matériels, les liens intellectuels et les liens personnels.

Le lien matériel est le plus critique. La récurrence de ces liens matériels est liée à l’activité habituelle des arbitres, qui en leur qualité d’avocats ou de professeur de droit peuvent avoir eu préalablement une relation d’affaires avec une partie au litige. Dans son état le plus récent, la cour d’appel de Paris énonce que les « circonstances [devant faire l’objet d’une révélation] peuvent être variées et porter sur d’éventuels conflits d’intérêts, sur des relations d’intérêts ou sur un courant d’affaires que l’arbitre a pu avoir avec les parties ou des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). Cependant, cette appréciation paraît restrictive. La question est de savoir si n’importe quel lien matériel doit être révélé (une invitation au restaurant) ou si celui-ci doit être suffisamment significatif. La jurisprudence demeure incertaine.

Le lien intellectuel est sujet à discussions et semble devoir faire l’objet d’un régime distinct (en ce sens, T. Clay, obs. ss. Civ. 1re, 4 juill. 2012, D. 2012. Pan. 2991, spéc. p. 2998 . L’auteur évoque également la possibilité de distinguer les liens patrimoniaux et les liens extrapatrimoniaux, T. Clay, D. 2014. 2541, spéc. p. 2549 s.  ; v. égal., Le coarbitre, in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 133). En effet, la jurisprudence estime que l’appartenance à une communauté scientifique (Paris, 1er juill. 2011, Sorbrior, LPA 2011, n° 225-226, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 761, obs. D. Cohen ; D. 2011. Pan. 3023, obs. T. Clay ; 1er juill. 2011, SA Emivir c/ SAS ITM Entreprises, D. 2011. Pan. 3023, obs. T. Clay ), la participation à un colloque (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Sté CSF, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012. Comm. 284, note L. Weiller ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012, p. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012, p. 3, obs. J. Mestre) ou un congrès (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 41, obs. D. Bensaude) n’entrent pas dans le champ du devoir de révélation. Néanmoins, il n’est pas certain que cette solution soit généralisable. Dans un arrêt Elisa Distribution (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), la cour est confrontée à des liens intellectuels : participation à un colloque et participation à une formation universitaire. Si l’annulation n’est pas encourue en l’espèce, la cour n’exclut pas que celui puisse être le cas. Il est d’ailleurs vrai que certains liens intellectuels peuvent faire l’objet d’une appréciation particulière. Est-il véritablement indifférent qu’il y ait eu une relation professeur/élève ? Est-il indifférent qu’une personne ait invité une autre à participer à une manifestation scientifique ? Si ces liens ne justifient pas nécessairement l’annulation de la sentence, leur révélation pourrait s’avérer vertueuse.

Le lien personnel doit également être scruté avec attention. La jurisprudence française est silencieuse sur cette question. Pourtant, la filiation, l’amitié, l’amour, l’intimité voire la haine ne sont-ils pas des liens méritant de faire l’objet d’une révélation ? L’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire – qui ne s’applique pas aux arbitres – y fait explicitement référence, bien qu’il paraisse lacunaire. Les IBA Guidelines y sont également attentifs. De tels liens entre personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales. Il n’est donc pas exclu que leur révélation soit requise.

* Avec qui ?

Lire la suite

L’effort financier consenti dans le cadre de la première loi de finances rectificative pour 2020 n’a pas été suffisant (Loi n° 2020-289, 23 mars 2020, JO 24 mars). D’où le vote d’une deuxième loi de finances rectificative, qui repose sur une hypothèse de contraction du PIB plus élevée que celle initialement prévue, soit une baisse de 8 % pour 2020. Cela s’explique par la révision à la hausse du coût économique de la mise à l’arrêt de certaines activités économiques et du confinement de la population, ainsi que par l’éloignement de l’hypothèse d’un retour rapide à la normale à l’issue, incertaine, de la crise sanitaire. Les aspects de droit des affaires de cette seconde loi de finances rectificative, en date du 25 avril 2020, sont présentées dans les lignes qui suivent.

I - Fonds de solidarité des très petites entreprises

Ce fonds a été institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 (JO 26 mars) et son régime a été précisé quelques jours plus tard par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 (JO 31 mars). Les travaux parlementaires ont révélé que, à la date du 15 avril 2020, 900 000 entreprises avaient fait appel à ce dispositif, 514 000 d’entre elles ayant d’ores et déjà reçu un versement. Les critères d’éligibilité aux aides versées par ce fonds ont été élargis une première fois par le décret n° 2020-394 du 2 avril 2020 (JO 3 avr.), puis une seconde fois par le décret n° 2020-433 du 16 avril 2020 (JO 17 avr.), lequel a, de plus, prolongé jusqu’au 15 mai 2020 ce dispositif qui devait prendre fin initialement. Ces décisions expliquent la nécessité d’augmenter – et même de manière même considérable - la dotation budgétaire en faveur de ce fonds. De fait, la loi du 25 avril 2020 la fait passer de 1 milliard à 6,750 milliards d’euros (art. 8).

Par ailleurs, cette même loi décide que, du point de vue des entreprises bénéficiaires, les aides versées par le fonds de soutien ne seront pas soumises à imposition. Précisément, elles « sont exonérées d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur le revenu et de toutes les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle ». Elles ne sont pas non plus prises en compte pour l’appréciation de limites conditionnant le bénéfice de certains régimes, par exemple les limites de chiffre d’affaires prévues à l’article 302 septies A bis du code général des impôts, en deçà desquelles les entreprises peuvent relever du régime réel simplifié en matière d’imposition des bénéfices dans la catégorie des BIC et être dispensées de bilan. D’après les travaux préparatoires, le coût de cette « neutralisation fiscale » est estimé à près de 1 milliard d’euros, l’impact portant essentiellement sur l’exercice 2021.

Il est, en outre, précisé que l’entrée en vigueur de cette mesure est subordonnée à leur conformité avec la réglementation européenne en matière d’aides d’État, imposant la notification du dispositif à la Commission européenne. Cette entrée en vigueur, qui se fera à une date fixée par décret, ne pourra être postérieure de plus de quinze jours à la réception de la réponse de la Commission (art. 1er).

II - Assurance-crédit

La loi du 25 avril 2020 rehausse le plafond d’encours maximal de réassurance publique d’opérations d’assurance-crédit export de court terme (dispositif Cap Francexport). La première loi de finances rectificative du 23 mars 2020 avait déjà étendu l’application de Cap Francexport, d’abord, en couvrant les opérations d’exportation vers tous les pays étrangers (alors que jusque-là 17 pays seulement étaient concernés), puis en doublant le plafond de la garantie de l’État sur les encours pouvant être réassurés. Ce plafond, d’un montant initial d’un milliard d’euros, a été porté à 2 milliards d’euros. La loi du 25 avril 2020 le porte aujourd’hui à 5 milliards d’euros.

Comme le précisent les travaux préparatoires, l’objectif de cette montée en charge est « de faire de Cap Francexport un outil de soutien de l’activité des assureurs, susceptibles de se retirer massivement du marché de l’assurance-crédit en raison de la crise économique actuelle. En permettant au marché de l’assurance-crédit de rester fonctionnel, l’activité d’exportation des entreprises françaises est protégée, dans un contexte où le taux de défaillance des clients pourrait augmenter sensiblement » (art. 15).

III - Prêts bancairess garantis par l’État

C’est également la première loi de finances rectificative du 23 mars 2020 qui a instauré le mécanisme garantie de l’État, plafonné à 300 milliards d’euros, sur les prêts octroyés aux entreprises par les établissements bancaires. Un arrêté du même jour a fixé le cahier des charges des prêts éligibles à cette garantie et précisé les conditions d’octroi de celle-ci (JO 24 mars). Il a été modifié par un arrêté du 17 avril 2020 (JO 21 avr.), lequel qui a notamment précisé les conditions de mise en œuvre de cette garantie. Cette fois, c’est le cadre législatif du dispositif qui subit un lifting, assez substantiel d’ailleurs (art. 16, I). Son application est, en outre, étendu à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna (art. 16, II).

A - Champ d’application

La loi du 25 avril 2020 modifie le champ d’application rationae personae du dispositif, autrement dit redéfinit les entreprises éligibles à celui-ci aussi bien pour consentir que bénéficier de prêts garantis par l’État.

* S’agissant d’abord des prêteurs, ce sont désormais, outre les établissements de crédit et les sociétés de financement, les intermédiaires en financement participatif agissant pour le compte des prêteurs (art. 16, I, 1°). Cela peut paraître dangereux d’ouvrir le financement participatif à ce type de crédit, mais la loi nouvelle instaure un garde-fou : si les vérifications de Bpifrance conduisent à constater que le prêt ne remplit pas les conditions définies dans le cahier des charges, la responsabilité de l’intermédiaire sera engagée, au titre d’un manquement à ses obligations professionnelles en matière de règles de bonne conduite et d’organisation prévues à l’article L. 548-6 du code monétaire et financier, vis-à-vis des prêteurs qui peuvent obtenir un dédommagement à hauteur de la perte que la garantie de l’Etat aurait couverte si le cahier des charges avait été rempli (art. 16, I, 7°, c).

* En ce qui concerne ensuite les emprunteurs, étaient visées dans le texte initial les seules « entreprises non financières immatriculées en France ». Désormais ce sont les « entreprises immatriculées en France autres que des établissements de crédit ou des sociétés de financement », ce qui permet d’inclure les établissements de paiement (proposant par exemple des cartes prépayées, sans autre service de type bancaire) et les entreprises du domaine des fintechs (art. 16, I, 2°).

En ce qui concerne la situation financière des entreprises emprunteuses, la loi du 25 avril supprime la disposition indiquant que la garantie « ne peut être accordée à des prêts bénéficiant à des entreprises faisant l’objet de l’une des procédures prévues aux titres II, III et IV du livre VI du code de commerce ». Il s’agit des entreprises en procédure collective (redressement, rétablissement, sauvegarde, liquidation, etc.). Selon l’exposé des motifs, cet aménagement se justifie notamment par la lecture des lignes directrices temporaires de la Commission européenne, permettant d’aménager l’application des règles relatives aux aides d’État. Ces lignes directrices, adoptées le 19 mars 2020, précisent que la garantie de l’État sur les prêts des entreprises peut porter sur des entreprises en difficulté, à condition qu’elles ne l’aient pas été avant la date du 1er janvier 2020. En creux, il s’agit d’ouvrir le bénéfice d’une telle garantie aux entreprises qui sont en difficulté du fait de la propagation du Covid-19, ce que ne pouvait pas prévoir le cadre fixé par la première loi de finances rectificatives, qui était sur le point d’être adoptée le 19 mars dernier. Mais comme le précisent les travaux préparatoires, la mesure qui vient d’être adoptée n’empêchera pas l’arrêté d’application qui va prochainement être édicté d’exclure du bénéfice de la garantie de l’État les entreprises qui étaient en difficulté le 31 décembre 2019 – c’est-à-dire entrées en procédure collective –, et qui le seraient encore au moment de la demande d’octroi de la garantie (art. 16, I, 5°).

La loi du 25 avril veut également mettre fin à une incertitude pour les entreprises qui sollicitent des prêts de faible montant. Elle prévoit, en effet, que « [tout] refus de consentement d’un prêt de moins de 50 000 euros qui répond au cahier des charges […] doit être notifié par écrit à l’entreprise à l’origine de la demande de prêt ». Certes, elle ne va pas jusqu’à instituer, en présence de ce type de prêt, un « droit au crédit » en faveur des entreprises, mais elle souhaite à tout le moins que ces dernières soient clairement fixées sur leur sort si elles essuient un refus de prêt.

La même loi énonce enfin que, jusqu’au 31 décembre 2020, les prêts garantis par l’État « octroyés à des très petites entreprises ou à des petites entreprises prennent la forme de prêts participatifs […] afin de renforcer leurs fonds propres et d’assurer la pérennité de leur activité et des emplois associés ». Le prêt participatif est, en effet, assimilé à des fonds propres – on parle volontiers de quasi-fonds propres –, de telle sorte que l’octroi de tels prêts concourt à améliorer la situation financière de l’entreprise qui en bénéficie. Cette qualification est tout de même quelque peu forcée car le prêt participatif est toujours un prêt à moyen ou à long terme (en général d’une durée minimale de cinq ans) alors que le dispositif de garantie institué par la loi du 23 mars a vocation à s’appliquer à des prêts de trésorerie, donc à des prêts à court terme (art. 16, I, 8°).

B - Relations financières entre l’État et Bpifrance

La loi explicite les relations financières de l’État et de Bpifrance dans la gestion du mécanisme de garantie. Rappelons que la loi du 23 mars 2020 avait chargé cette banque publique, agissant pour le compte et au nom de l’État, de l’administration du dispositif, cette mission étant assurée à titre gratuit. Bpifrance doit donc reverser à l’État les primes de garantie (laquelle est, en effet, toujours rémunérée) qu’elle perçoit de la part des établissements prêteurs, lesquels les ont collectées sur le coût du crédit supporté par l’emprunteur (l’entreprise), ce qu’explicite la loi du 25 avril. Cette loi énonce, en effet, que Bpifrance doit reverser à l’État toutes les « recettes liées à la gestion du dispositif », notamment les commissions de garantie (art. 16, I, 7°, a). Cette formulation plus large permet d’intégrer des recettes diverses comme des reversements de trop-perçus par les prêteurs à Bpifrance. Par ailleurs, selon le mécanisme prévu, en cas de défaut de l’emprunteur sur le prêt garanti, la garantie est appelée par l’établissement prêteur. Le régime issu de loi du 23 mars prévoit que Bpifrance procède au paiement des sommes dues au prêteur, puis se fait rembourser par l’État. La loi du 25 avril précise le circuit financier de ce remboursement : Bpifrance effectuera par appels de fonds auprès de l’État, ce qui a pour effet que l’État pourra effectuer de tels versements de façon anticipée ; Bpifrance disposera donc déjà des sommes nécessaires au paiement des prêteurs ayant fait appel de la garantie. Comme le précisent les travaux préparatoires, « [le] double avantage de cette disposition est de ne pas exposer financièrement Bpifrance et de confirmer le caractère direct de la garantie de l’État ».

Enfin, la loi du 23 mars a mis en place un comité de suivi placé auprès du Premier ministre qu’il avait chargé de veiller au suivi de la mise en œuvre et à l’évaluation des deux principales mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de covid-19, garantie de l’État et le fonds de solidarité aux très petites entreprises. La loi du 25 avril étend les missions du comité de suivi aux autres mesures exceptionnelles de soutien des entreprises : réassurance publique des assureurs-crédit gérée par la caisse centrale de réassurance pour le volet « domestique » et Bpifrance Assurance Export pour le volet « export », dispositif d’activité partielle ;prêts et avances remboursables octroyés par le fonds de développement économique et social (FDES). Elle renforce également l’information de ce comité afin que ce dernier puisse efficacement accomplir sa mission de contrôle (art. 16, I, 9°).

Auteur d'origine: Delpech

Alors que des grands bailleurs privés et des collectivités territoriales se sont montrés favorables à l’annulation des loyers des commerces fermés pour cause de covid- 19, la seconde loi de finances rectificative pour 2020 (L. n° 2020-473, 25 avr. 2020, JO 26 avr.) donne un cadre légal aux abandons de loyers commerciaux.

Aux termes de la loi nouvelle, lorsqu’un bailleur abandonne des loyers ou renonce à ceux-ci au profit de l’entreprise locataire entre le 15 avril et le 31 décembre 2020, ces éléments de revenus ne sont considérés comme un revenu imposable ni au titre des revenus fonciers (CGI, art. 14 B nouv.) ni à celui des bénéfices non commerciaux (CGI, art. 92 B, nouv.).

À noter, en matière de la fiscalité des revenus fonciers, que lorsque l’entreprise locataire est exploitée par un ascendant, un descendant ou un membre du foyer fiscal du bailleur, le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la condition que le bailleur puisse justifier par tous moyens des difficultés de trésorerie de l’entreprise.

Par ailleurs, la loi nouvelle précise que les abandons de créances de loyer et accessoires afférents à des immeubles donnés en location à une entreprise n’ayant pas de lien de dépendance avec le bailleur consentis dans la même période, sont déductibles du bénéfice net dans leur intégralité (CGI, art. 39 en matière de bénéfices industriels et commerciaux ; rappr., CGI, art. 93 pour les bénéfices des professions non commerciales).

Il en ira de même des charges correspondant aux éléments de revenus ayant fait l’objet d’un abandon ou d’une renonciation (CGI, art. 14 B nouv.).

Enfin, concernant l’application de l’article 209-I, alinéa 3, du code général des impôts (qui prévoit qu’en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d’un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant), il est dit que pour les sociétés auxquelles sont consentis des abandons de créances, la limite de 1 000 000 € est majorée du montant de ces abandons de créances.

Exception faite des règles afférentes aux revenus fonciers, les dispositions ci-dessus s’appliquent aux exercices clos à compter du 15 avril 2020.

Auteur d'origine: Rouquet
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Très attendue par les observateurs, la jurisprudence naissante de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris s’enrichit d’une série d’arrêts, rendus le même jour et dans la même affaire. Cette chambre nous livre ainsi son analyse de la délicate question de l’obligation de révélation des arbitres et des circonstances susceptibles de générer un doute quant à leur indépendance et leur impartialité.

Le litige à l’origine des sentences contestées s’est élevé à l’occasion des relations d’affaires de plusieurs sociétés brésiliennes, liées par un accord d’exploitation commune pour la réalisation d’un projet pétrolier offshore : les sociétés Dommo Energia SA, Barra Energia do Brasil Petróleo e Gás Ltda, ainsi que la société Queiroz Galvão Exploração e Produção SA, devenue Enauta Energia SA.

Un désaccord s’étant élevé entre elles, la société Dommo a introduit une demande d’arbitrage à l’encontre des sociétés Barra et Enauta devant la London Court of International Arbitration (LCIA). Rapidement, les arbitres désignés de part et d’autre ont transmis leurs déclarations d’indépendance respectives en novembre 2017.
Une fois constitué, le tribunal arbitral, siégeant à Paris, a rendu une série de sentences (sentence intérimaire du 21 févr. 2018 sur la bifurcation de la procédure, sentence « Phase I » du 24 sept. 2018, sentence du 24 déc. 2018 sur les frais de l’arbitrage, sentence corrective du même jour, sentence du 24 janv. 2019 mettant fin à la sentence intérimaire sur la bifurcation, sentence partielle « Phase II » du 28 janv. 2019). Ce sont ces sentences qui ont fait l’objet de recours en annulation devant la cour d’appel de Paris (nos 19/07575 ; 19/15816 ; 19/15817 ; 19/15818 ; 19/15819), à l’initiative de la société Dommo.

Il était reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé les liens qui l’unissaient indirectement à l’une des parties. En effet, la société Dommo a fait valoir qu’en cours d’arbitrage, elle aurait eu fortuitement connaissance du fait que, de 2012 à 2015, soit deux ans et demi avant le début de l’arbitrage, l’arbitre nommé par les défenderesses avait travaillé pour un cabinet saoudien, lui-même affilié à un cabinet dont étaient clientes deux sociétés actionnaires de celles-ci, les fonds d’investissement First Reserve Corporation et Riverstone Holdings.

La demande de récusation présentée à la LCIA en janvier 2019 ayant été rejetée, c’est dans le cadre du recours en annulation contre les sentences déjà rendues que la société Dommo a réitéré le grief devant la cour d’appel de Paris, donnant à la chambre commerciale internationale une première occasion de nous livrer ses vues quant au devoir d’indépendance et d’impartialité des arbitres et quant à l’obligation de révélation qui leur incombe.

Le principe est bien établi : afin de garantir l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile impose à ce dernier « de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité » et ce, avant d’accepter sa mission ou en cours d’arbitrage, si une telle circonstance survenait alors.
Les difficultés de mise en œuvre de cette obligation sont bien connues également. Les textes étant silencieux sur le contenu de la révélation, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu d’en préciser les critères, source d’un important contentieux.

L’arrêt commenté ajoute ainsi sa pierre à un édifice qui, par effet d’accumulation dans une matière très casuistique, ne se caractérise pas par sa clarté. L’apport de la chambre commerciale internationale, s’il recèle d’intéressantes précisions, ne va pas non plus sans soulever des interrogations.

De façon très pédagogique, la Cour prend soin de rappeler le cadre de l’obligation de révélation (§§ 41-43). Elle envisage notamment la dimension temporelle de cette obligation et rappelle, conformément à la formule de l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, qu’elle s’étend dans le temps et dure tout le long de l’arbitrage, avant et après l’acceptation de la mission « selon que les circonstances incriminées préexistent ou surgissent après ladite acceptation » (§ 42).

Par ailleurs, après avoir brièvement présenté la nature de liens devant être révélés – et sur lesquels nous reviendrons – la Cour précise que cette obligation s’apprécie « au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre ».

Ces deux critères – le premier, négatif, de la notoriété et le second, positif de la pertinence des informations – marquent les deux temps du raisonnement de la Cour. D’abord, se pose la question de savoir si l’arbitre avait bien l’obligation de révéler les liens, eu égard à leur prétendue notoriété (I). À cet égard, la réponse est positive. Ensuite, se pose la question de savoir si la situation critiquée entretenait des liens avec le litige et était de nature à influencer l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre (II). Après analyse, la Cour estime que les liens entre l’arbitre et la société Barra sont trop ténus pour donner lieu à l’annulation de la sentence.

I - Exception de notoriété

À la question de savoir si les liens autrefois entretenus par l’arbitre avec le cabinet d’avocats qui représentent les actionnaires de la société Barra étaient notoires et, partant, s’ils pouvaient être exclus de l’obligation de révélation, la cour d’appel répond par la négative. En conséquence, ces liens auraient dû être révélés par l’arbitre.

Un tel recours à l’exception de notoriété s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. L’exception est désormais classique (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; v. égal., Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra, n° 09/28537, Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen  ; Cah. arb. 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011. 19, obs. D. Bensaude ; Paris, 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ Sté JMB Corporation, n° 11/11153, D. 2012. 2991, obs. T. Clay  ; Paris, 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013. 18, obs. D. Bensaude ; Paris, 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, n° 5, obs. J. Ortscheidt ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; Rev. arb. 2020, note L. Jaeger, à paraître) : l’arbitre n’est pas tenu de révéler les informations le concernant dès lors que celles-ci sont notoires.

Si elle permet de prévenir des techniques dilatoires et s’inspire d’un louable esprit de loyauté procédurale, le recours à la notoriété n’est pas exempt de critiques, notamment au regard de son critère (A) et de ses enjeux (B) (v. not, J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 oct. 2019 ; T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, note sous Paris, 12 avr. 2016, n° 14/884, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, Cah. arb. 2016. 447, n° 11 ; L.-C. Delanoy, Les obligations respectives des arbitres et des parties en matière d’indépendance de l’arbitre, note sous Paris, 29 mai 2018 et Paris, 27 mars 2018, Rev. arb. 2019. 522, spéc. n° 17-19).

A - Les critères de la notoriété

La notion pèche tout d’abord par la difficulté qu’il y a à en arrêter les critères. À cet égard, l’arrêt rendu le 25 février 2020 apporte d’utiles précisions.

Bien que l’on sache désormais que la notion de notoriété est employée dans une acception large, incluant les informations aisément accessibles (v. not. Civ. 1re, 15 juin 2017, République de Guinée Equatoriale c/ Sté Orange Middle East and Africa, n° 16-17.108, Bull. civ. I, n° 746 ; D. 2017. 1306 ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin ), beaucoup d’incertitudes demeurent quant à ce qui caractérise concrètement une information facile d’accès.

En particulier, les juges ont déjà eu l’occasion d’admettre le caractère notoire des informations disponibles sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, préc. ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, D. 2019. 24 ; ibid. 2435, obs. T. Clay  ; Cah. arb. 2019. 401, note T. Clay ; Procédures 2019. Etude 8, obs. L. Weiller ; JCP E 2019.177, note A. Constans ; et les arrêts précédents). Il ne paraît toutefois pas saugrenu de se demander, à l’instar du demandeur au recours, si le simple fait qu’une information soit disponible sur internet doive nécessairement conduire à affirmer qu’elle est aisément accessible.

Ainsi que la jurisprudence a eu l’occasion de le rappeler, il « ne saurait être exigé […] que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées » (Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc.). Cette position est également celle de la chambre commerciale internationale qui prend soin, au moyen d’une analyse détaillée, d’apporter des précisions à cet égard.

À en croire le défendeur au recours, dans l’affaire commentée, l’information litigieuse était disponible au moyen d’une consultation du site internet de l’arbitre. L’affirmation est exacte, mais la Cour ne s’en contente pas. Elle s’intéresse de façon très concrète aux opérations nécessaires pour accéder à l’information à partir du site en question (§§ 49-52). À cet égard, elle relève que « l’accès à cette information sur internet n’est possible qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter le contenu l’un après l’autre des publications auxquelles il a contribué » (§ 51). En d’autres termes, pour la Cour, « l’accès à l’information nécessite plusieurs opérations successives qui s’apparentent à des mesures d’investigation » (§ 52), en conséquence de quoi elles ne peuvent être considérées comme aisément accessibles et donc notoires (dans le même sens, mais sans autant de détails, v. Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela, où le juge de l’annulation relève que la recherche sur internet était « d’une grande simplicité » ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, préc., où il est question d’« une simple consultation de sites internet librement accessibles »).

La Cour en conclut donc que l’information ne pouvant « être considérée comme notoire, […] l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration » (§ 52).

En ce qu’elle identifie ainsi le critère de la notoriété, la solution mérite l’approbation. Bien qu’il ne soit pas rare que les conseils des parties se livrent à de véritables enquêtes concernant les arbitres nommés dans la procédure, il n’est pas nécessaire, ni même sain, d’exiger de leur part qu’elles s’adonnent à de telles recherches approfondies.

Dans le même esprit, on notera par ailleurs que la Cour fait sienne une formule de la jurisprudence antérieure, à savoir que les informations notoires sont celles « que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage » (§ 45 ; v. égal. Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc. ; Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen. V. égal. Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen). Bien que cette question n’ait pas été en débat dans la présente affaire, la Cour semble ainsi admettre, à l’instar des juges du pôle 1 – chambre. 1, et à juste titre, que le « devoir de curiosité » (E. Loquin, Autour de l’obligation de révélation, note sous Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 234) des parties est limité dans le temps et que ces dernières ne sont pas tenues de poursuivre leurs investigations postérieurement au début de l’arbitrage. La Cour donne en outre indirectement des indices sur ce qui aurait permis que les informations soient considérées comme notoires dès lors qu’elle constate que le « site ne mentionne nullement de manière claire, évidente et transparente une quelconque collaboration de l’intéressé avec un cabinet d’avocats ».

Pour autant, toute incertitude quant au critère n’est pas levée. On se souviendra par exemple qu’en octobre 2019, la Cour de cassation a considéré que l’information figurant dans un annuaire spécialisé et de portée géographique limitée devait être considérée comme notoire (sur nos réserves à cet égard, v. C. Debourg, obs. sous Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc.). En comparaison, l’information figurant sur le site de l’arbitre lui-même, mais nécessitant une analyse minutieuse du site pouvait sembler nécessiter moins d’investigations. Il faudra attendre d’autres décisions pour apprécier s’il s’agit là d’une réelle divergence de vues entre les deux chambres.

B - Les enjeux de la notoriété

Des précisions quant au critère de la notoriété sont d’autant plus attendues que l’exception de notoriété est chargée d’enjeux importants ; elle est susceptible de jouer contre les parties, faisant peser sur elles une obligation particulièrement lourde, alors même qu’elles sont initialement « créancières de l’information et non pas débitrices » (T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, préc., n° 14. En ce sens, v. égal. M. Henry, note sous Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 949 ; L.-C. Delanoy, Les obligations respectives des arbitres et des parties en matière d’indépendance de l’arbitre, note sous Paris, 29 mai 2018 et Paris, 27 mars 2018, Rev. arb. 2019. 522 et nos obs. sous Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont : obligation de révélation de l’arbitre et obligation de s’informer à la charge des parties : un équilibre encore perfectible, D. 2019. 2435 ).

Bien que cela ne soit pas expressément énoncé par la cour d’appel, qui aborde la question de la notoriété du point de vue de l’arbitre et de son devoir de révélation (§§ 41-43 ; § 45 : la notoriété d’une situation est « susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre » ; § 52 : « l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration »), l’exception de notoriété n’a pas seulement pour effet de dispenser l’arbitre de révéler l’information. Elle a également un effet essentiel sur les obligations des parties, notamment sur ce qu’il est désormais courant d’appeler leur devoir de réaction et en particulier sur la nécessaire célérité de ce dernier.

C’est là le véritable enjeu de l’exception de notoriété. L’information notoire étant réputée connue des parties, elle fait courir le délai dans lequel celles-ci peuvent présenter leur demande de récusation. La sanction du non-respect de ce délai est particulièrement vigoureuse. La partie qui tarderait à réagir sera réputée avoir renoncé à se prévaloir du grief tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, en application de l’article 1466 du code de procédure civile (V. égal., antérieurement au décret du 13 janv. 2011, Civ. 1re, 31 janv. 2006, Bull. civ. I, n° 37 ; 20 mai 2003, Rev. arb. 2004. 312 (1re esp.) ; Paris, 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004. 312 (3e esp.)). Ainsi, s’il n’a pas été présenté en temps utile au cours de la procédure arbitrale, le grief sera considéré comme irrecevable.

Le mécanisme est d’autant plus sévère que le délai à respecter s’entend aussi bien du délai légal de récusation que de celui prévu par le règlement d’arbitrage d’une institution. Ainsi, « la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation » (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c/ J&P Avax (Sté), D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay).

L’article 10.3 du règlement de la LCIA applicable en l’espèce prévoit que la demande de récusation doit être présentée dans un délai de 14 jours à compter de la constitution du tribunal arbitral ou à compter de la découverte du grief affectant le tribunal, si celle-ci est postérieure à sa constitution. La question se posait donc de savoir si ce délai avait été respecté, dès lors que la société Dommo avait attendu le mois de janvier 2019, près d’un an après le début de l’arbitrage, pour introduire sa demande de récusation. En d’autres termes, n’avait-elle pas agi trop tard pour être recevable à présenter à nouveau le grief ?

L’enjeu est là et figure expressément dans l’argumentation des défendeurs telle qu’elle ressort de l’arrêt (v. § 34 : la société Barra faisait valoir que la demande de récusation avait été faite hors délai, tandis que la société Enauta arguait d’un manquement de la société Dommo à son devoir de réaction, § 35). Le demandeur, quant à lui contestait « qu’il puisse lui être fait grief de ne pas avoir demandé la récusation de [l’arbitre] dès sa nomination » et « conteste tout caractère tardif de sa demande en récusation » (§§ 27-28).

Pour autant, dès les premiers motifs de la décision, la cour d’appel énonce fermement qu’elle n’a pas été saisie d’une demande d’irrecevabilité de la demande d’annulation « au motif que la contestation de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre serait tardive » (§ 39), car cette demande n’a pas été formulée dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions.

Ainsi qu’indiqué plus haut, l’argument avait bien été invoqué mais, précise la Cour, uniquement dans des moyens développés au fond (§ 39). En application de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, en vertu duquel « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion », la Cour refuse donc de se prononcer sur la question de la tardiveté de la demande.

En l’absence d’information sur les conclusions effectivement déposées, cette affirmation de la cour d’appel est d’interprétation délicate. À suivre la Cour, l’une des interprétations possibles serait que la question de la renonciation au grief s’analyse non pas un simple moyen destiné à obtenir le débouté du recours en annulation, mais comme une question de recevabilité qui doit figurer dans le dispositif des prétentions, semble-t-il en tant que fin de non-recevoir.
L’analyse bénéficie du soutien de la jurisprudence antérieure qui a énoncé à de maintes reprises que faute de l’avoir soulevé en temps utiles, les parties renonçaient au grief, ce dernier étant alors irrecevable devant le juge de l’annulation. On sait par ailleurs que la catégorie des fins de non-recevoir est une catégorie souple qui admet des créations jurisprudentielles (v. not., Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003,  n° 00-19.423, Bull. civ. n° 1 ; D. 2003. 1386, et les obs. , note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot  ; Rev. arb., 2003. 403, note C. Jarrosson). Il n’est pas rare de parler ainsi de fin de non-recevoir s’agissant de l’article 1466 du code de procédure civile (en ce sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 245 ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, n° 208. V. aussi, cependant, l’intéressante analyse des « fausses fin de non-recevoir » dans l’ouvrage de MM. J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 150).

On ne saurait ainsi que trop suggérer aux parties de faire preuve de la plus grande précaution dans la rédaction de leurs conclusions : l’argument de tardiveté du devoir de réaction et de renonciation au grief tiré du défaut d’indépendance ou d’impartialité semble devoir figurer dans le dispositif des prétentions, faute de quoi il ne sera pas examiné, la cour d’appel ne le soulevant pas d’office. Par ailleurs, il faut rappeler que le champ d’application de l’article 1466 du Code de procédure civil ne se limite pas aux questions d’indépendance de l’arbitre ; potentiellement ce sont tous les griefs non soulevés en temps utiles qui sont concernés par ce rappel des formes que doit prendre l’argument.

Cela étant, la décision du 20 février 2020 recèle d’autres interrogations sur ce point.

Il est tout d’abord permis de s’interroger sur le véritable objet de l’irrecevabilité invoquée. Dans l’arrêt commenté, dans une partie portant sur « la recevabilité de la contestation » (nous soulignons), la cour d’appel énonce que « l’irrecevabilité de la demande d’annulation » (nous soulignons) n’est pas évoquée dans le dispositif des conclusions des parties pour en déduire qu’elle n’a pas été saisie d’une demande « d’irrecevabilité du recours en annulation » (nous soulignons), alors même que celui-ci ne paraissait pas pouvoir encourir la critique, ayant été exercé dans les temps. Du reste, si l’irrecevabilité du recours avait été invoquée, elle aurait sans doute dû être présentée devant le conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art. 914, par renvoi de l’art. 1527 c. pr. civ.), ce qui soulève d’autres questions complexes.

Même en admettant qu’il s’agisse ici d’un raccourci de langage, il faut reconnaître que le vocabulaire est pour le moins flottant. Traditionnellement, c’est davantage l’irrecevabilité du moyen qui est visée par la jurisprudence rendue en matière de renonciation (v. not. Paris, 21 oct. 2010, Me Patrick Dunaud c/ Sté SPRLU Agnès Maqua et autre, n° 09/16174, en somm. in Rev. arb. 2010. 975 ; Paris, 10 sept. 2019, Sté Gemstream c/ Sté Visionael Corporation Inc., n° 17/10639, en somm. in Rev. arb. 2019. 993, pour une renonciation au moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral) ou encore l’irrecevabilité des griefs (v. par ex., Paris, 28 nov. 2017, M. Sheikh Mohamed Bin Issa Al Jaber c/ M. Sheikh Salah Inbrahim Al-Hejailan, en somm. in Rev. arb. 2017. 289 ; Paris, 2 avr. 2019, M. Vincent J. Ryan, Sté Schooner Capital et Atlantic Investment Partners LLC c/ République de Pologne, n° 16/24358, en somm. in Rev. arb. 2019.304 qui précise que la renonciation présumée par l’article 1466 code de procédure civile « vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » et que « le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres »). Là encore, le raccourci entre recevabilité du grief et recevabilité de la demande d’annulation est compréhensible, dès lors qu’il semble que seul le grief relatif à la constitution du tribunal arbitral était ici invoqué. Toutefois, l’incertitude concernant le vocabulaire employé soulève des doutes quant à la mise en œuvre de l’exception de notoriété.

En particulier, dans une démarche prospective, on peut s’interroger sur le point de savoir à qui la question devra être posée, au regard de l’extension des pouvoirs accordés à ceux qui sont chargés de la mise en état. Devant la cour d’appel, elle relève du conseiller de la mise en état, lequel, depuis la réforme Magendie, a le pouvoir de statuer sur l’irrecevabilité de l’appel (C. pr. civ., art. 914). Toutefois, dans la mesure où le décret du 11 décembre 2019 accorde au juge de la mise en état une compétence exclusive pour connaître de l’ensemble des fins de non-recevoir (C. pr. civ., art. 789-6°) et que les pouvoirs du CME semblent devoir être calqués sur ceux du JME en vertu de l’article 907 du code de procédure civile, il est envisageable que le CME soit compétent pour connaître de l’argument de renonciation au grief, étant précisé que ces dispositions sont applicables pour les actions introduites à compter du 1er janvier 2020. On peut être réservé quant à l’opportunité de scinder ainsi des questions de fond entremêlées, même s’il apparaît qu’il est de la volonté générale d’évacuer au plus tôt le plus grand nombre possible d’arguments, y compris s’ils touchent au fond (v. not. C. pr. civ., art. 789-6°). Il est néanmoins douteux que les rédacteurs du décret – adopté dans une relative urgence – aient eu en tête le cas spécifique du recours en annulation d’une sentence arbitrale à laquelle on oppose une fin de non-recevoir tirée de l’article 1466 du code de procédure civile. Reste à espérer alors que le CME fasse usage de sa faculté de renvoyer la question à la formation collégiale.

Ensuite, alors même que la cour d’appel indique expressément ne pas avoir été saisie d’une demande d’irrecevabilité pour tardiveté de la contestation, à laquelle il est donc prétendu que le demandeur aurait renoncé, elle s’engage dans une discussion relative à l’exception de notoriété, dont l’un des effets essentiels en pratique est précisément d’évaluer si la contestation a été ou non tardive. Sans doute la Cour ne fait-elle que répondre aux points soulevés dans le débat,  les parties s’opposant sur le caractère notoire de ces informations » (§ 44).

Néanmoins, le fait que la Cour consacre de longs développements à cette question pourrait sembler en contradiction avec celui de présenter la renonciation comme une question de recevabilité, si ce n’est qu’au terme de ces développements, elle n’adopte aucune position sur le caractère tardif de la demande de récusation ou sur l’existence d’une renonciation à se prévaloir du grief. La Cour se contente d’affirmer que l’arbitre aurait dû révéler ces liens qui n’étaient pas notoires (§ 52).

Si ce n’est à titre d’obiter dictum, au demeurant fort bienvenu, l’objectif de toute cette analyse n’est pas clair. En effet, mis à part l’hypothèse où elle est utilisée pour établir une renonciation au grief en raison d’une réaction tardive, question dont la Cour estime ne pas être saisie, l’exception de notoriété est essentiellement utile dans deux autres situations, mais qui ne sont pas caractérisées en l’espèce.

Dans la mesure où elle permet de délimiter le contenu de l’obligation de révélation de l’arbitre, elle pourrait tout d’abord servir à engager la responsabilité de l’arbitre qui aurait manqué à cette obligation en omettant de révéler des faits non notoires, si tant est qu’une telle action soit envisageable sur ce fondement (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999, n° 1, p. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Raoul Duval, Rev. arb. 1996, n° 3, p. 411, note P. Fouchard ; Civ. 1re, 4 juill. 2012, CSF c/ M. J.-F. T., en somm. Rev. arb. 2012. 682. Sur cette responsabilité, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 246 ; T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 398 et n° 941). La question fait débat, dès lors que la nature de l’obligation de révélation n’est pas parfaitement établie (V. not., Rapport du Club des juristes. La responsabilité de l’arbitre. Commission Ad Hoc [Prés. J.-Y. Garaud], juin 2017, p. 32 ; L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, Thèse dactyl., Paris Nanterre, 2018, dir. F.-X. Train, spéc. nos 328 s.). En tout état de cause, la demande présentée au juge en l’espèce ne concernait en rien la responsabilité de l’arbitre, généralement invoquée postérieurement à l’annulation de la sentence et par ailleurs refusée en l’espèce.

L’on pourrait encore imaginer que la non-révélation ait une incidence directe sur la caractérisation d’un défaut d’indépendance et d’impartialité, c’est-à-dire que l’on déduise d’un défaut de révélation un défaut d’indépendance. Toutefois, l’absence de lien direct entre défaut de révélation et défaut d’indépendance, déjà retenu par la jurisprudence (v. infra), est réaffirmée en l’espèce (§ 53), à juste titre. La Cour se contente d’affirmer que l’arbitre aurait dû révéler les liens, sans en tirer de conséquences concrètes immédiates.

Ainsi, pour se prononcer sur l’existence d’un défaut d’indépendance ou d’impartialité, la Cour examine les liens des informations litigieuses sur le litige et leur incidence sur le jugement de l’arbitre.

II - Appréciation de la situation critiquée au regard de l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre

Une fois traitée la question de savoir si les informations invoquées bénéficiaient ou non de l’exception de notoriété, la cour d’appel s’est attelée à une seconde question, celle du « lien de la situation critiquée avec le litige et son incidence sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Sur ce point encore, il nous semble que la solution de fond retenue par la Cour doive être approuvée : les liens étaient en l’espèce trop ténus pour susciter un doute raisonnable (B). En revanche, l’articulation des questions par la cour d’appel pourrait prêter à confusion (A).

A - Articulation des questions

La présentation faite par la cour d’appel de ce qui est l’objet de son examen n’est pas parfaitement claire et semble osciller entre la délimitation des contours de l’obligation de révélation et l’appréciation d’un éventuel défaut d’indépendance justifiant l’annulation de la sentence.

En effet, dans les paragraphes d’introduction de ses motifs, la Cour énonce ainsi les critères de l’obligation de révélation : « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (§ 43). Elle semble alors placer l’exception de notoriété et le lien de l’information avec le litige ainsi que son influence sur le jugement sur le même plan, celui de l’obligation de révélation.

Par la suite cependant, lorsqu’aux paragraphes 53 et suivants, elle s’interroge sur le lien de la situation avec le litige et le jugement de l’arbitre, l’objet de l’analyse ne semble plus être l’obligation de révélation, mais bien le motif d’annulation tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de la part d’un membre du tribunal arbitral. Pour autant, il est à nouveau fait référence au défaut de révélation qui serait susceptible de permettre « d’éveiller un doute raisonnable » (§ 56).

Cela étant, la Cour coupe rapidement court aux incertitudes, rappelant que « la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité ».

Là encore, la chambre commerciale internationale prend position en faveur de ce qui semble être le dernier état de la jurisprudence. Après avoir souvent semblé associer la défaillance de l’arbitre quant à son obligation de révélation et son défaut d’indépendance ou d’impartialité, susceptibles de provoquer l’annulation de la sentence, les parties ayant été privées de leur droit de récusation (v. not., Paris, 12 févr. 2009, Rev. arb., 2009.186, note T. Clay, et les références citées), la jurisprudence dissocie désormais plus fermement obligation de révélation et indépendance de l’arbitre (v. not. Civ. 1re, 10 oct. 2012, Tecso c/ Neoelectra, Rev. arb. 2012. 129, note C. Jarrosson ; v. déjà, Paris, 12 janv. 1996, Qatar c/ Creighton, Rev. arb. 1996. 428, note P. Fouchard. Sur cette question, v. not. C. Jarrosson, note sous Paris, 21 févr. 2012, Rev. arb. 2012. 587 ; note sous Civ. 1re, 10 oct. 2012, Tecso c/ Neoelectra, Rev. arb.  2012. 129 ; L.-C. Delanoy, note sous Paris, 27 mars 2018 et 29 mai 2018, Rev. arb. 2019. 522, spéc. n° 21 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 245). La solution mérite selon nous d’être approuvée en ce qu’elle est conforme à la nature de l’obligation de révélation, qui se présente comme « un moyen quand l’indépendance et l’impartialité sont une fin » (M. Henry, note sous Paris, 2 nov. 2011, Rev. arb. 2011. 112, spéc. n° 7). En opportunité, par ailleurs, elle limite considérablement les risques qu’une sentence soit annulée au prétexte d’un oubli mineur. La Cour s’inscrit ici dans ce courant : le défaut de révélation de certains éléments ne signifie pas défaut d’indépendance ou d’impartialité, il faut expliquer en quoi « ces éléments so[nt] de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre » (§ 53). Ce sont donc ces liens et leur incidence sur le jugement de l’arbitre qu’elle entend examiner.

B - Appréciation des liens litigieux

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile dispose que doit être révélée « toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité », suscitant un contentieux extrêmement important quant à la caractérisation de telles circonstances. L’arrêt de la cour d’appel est instructif à cet égard.

Dès les premiers paragraphes des motifs, la Cour donne un contenu très large à l’obligation de révélation et rappelle le caractère varié des circonstances devant être révélées (§ 42), faisant écho à la formule de l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, qui vise « toute circonstance ». La Cour identifie ainsi trois formes de circonstances, dont il ne semble pas exclu qu’elles puissent se recouper : celles qui portent sur d’« éventuels conflits d’intérêts », des « relations d’intérêts » et des « courants d’affaires ». Il est par ailleurs précisé que ces liens peuvent être entretenus par l’arbitre avec les parties, mais aussi avec « des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (§ 42). Il faut reconnaître que cette formule n’est pas particulièrement éclairante.

Plus loin dans les motifs, et en dépit de la confusion exposée supra, la question n’est plus celle du critère de la révélation, mais celle du critère du défaut d’indépendance. Une fois de plus, la cour d’appel embrasse le principe retenu par la jurisprudence antérieure et le critère du doute raisonnable, « l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce » (§ 53).

C’est ainsi à une analyse détaillée des circonstances de l’espèce que se livre la Cour.

La situation visée ici est celle d’un potentiel conflit d’intérêts indirect, c’est-à-dire d’une situation faisant intervenir un certain nombre d’intermédiaires entre l’arbitre et l’une des parties. En l’espèce, ce lien est indirect à un double titre.
D’abord, il est indirect si on l’observe du point de vue de la partie concernée, puisque le lien invoqué concernerait l’arbitre et deux sociétés actionnaires de celle-ci. À juste titre, ce point ne semble pas poser de difficulté à la Cour d’appel qui s’intéresse directement aux liens entre l’arbitre et les actionnaires de Barra (en ce sens, v. not. les IBA Guidelines on Conflict of Interest in International Arbitration, 2014, not. General Standard n° 7). Ainsi il semble acquis pour la cour d’appel que les liens avec des sociétés de contrôle d’une partie sont douteux.

Ensuite, et c’est là que se présente le plus grand nombre de difficultés, il est indirect si on l’appréhende du point de vue de l’arbitre, puisqu’il n’existe aucun lien direct entre lui et les actionnaires de la société Barra. Le lien allégué est le résultat de l’appartenance de l’arbitre à un cabinet lié aux actionnaires de la société Barra, ou pour être précis, à un cabinet affilié à celui qui représente les intérêts des actionnaires de la société Barra. Le rapport d’affaires ne vise pas directement l’arbitre, mais le cabinet au sein duquel il exerce et, plus spécifiquement encore en l’espèce, un cabinet affilié au cabinet au sein duquel il a exercé.

Sur ce point, l’apport de la cour d’appel de Paris est important, car la situation dans laquelle le cabinet ou l’ancien cabinet d’un arbitre entretient des liens avec des entités proches de l’une des parties est extrêmement fréquent en pratique. Il n’est en effet pas rare que les professionnels exerçant comme arbitres exercent de façon ponctuelle ou habituelle au sein de cabinets d’avocats ayant un important volume d’affaires auprès de nombreuses sociétés (et d’États) se trouvant au cœur de réseaux, d’alliances et de groupes d’une grande complexité (sur ces questions, v. not. F.-X. Train, Mode d’exercice de l’activité d’arbitre et conflits d’intérêts, Rev. arb. 2012. 725. V. égal. Civ. 1re, 27 janv. 2016, Fibre Excellence, n° 15-12.363 ; Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra Group, n° 09/28537, préc.).

À cet égard, la Cour affirme que, pour qu’ils soient susceptibles « d’éveiller un doute raisonnable sur son impartialité ou son indépendance, encore faudrait-il que cette activité ait généré [des] […] liens avec les actionnaires de la société partie au présent arbitrage et ait été à l’origine d’un courant d’affaires entre l’arbitre et ces sociétés ou qu’il ait eu ou ait encore un quelconque intérêt avec le cabinet les représentant, susceptible de créer un conflit d’intérêt » (§ 56).

En premier lieu, la Cour s’intéresse aux liens entre l’arbitre et la partie et son actionnariat, plutôt qu’aux relations du cabinet avec ce dernier. Ainsi, l’analyse présentée est d’abord personnalisée. La Cour recherche des « liens, directs ou indirects, matériels ou intellectuels » entre l’arbitre et les actionnaires qui soient « à l’origine d’un courant d’affaires » entre eux (§ 56). De tels liens ne sont pas établis en l’espèce, la Cour ajoutant que l’arbitre ne les a pas « conseillé[s], représenté[s] ou assisté[s] » (§ 57).

Elle réserve également l’hypothèse où l’arbitre « [a] eu ou [a] encore un quelconque intérêt avec le cabinet [des actionnaires], susceptible de créer un conflit d’intérêts » (§ 56). La formule est assez vague, et large, puisqu’elle vise « un quelconque intérêt ». À cet égard, le fait qu’il s’agisse d’un lien doublement indirect, c’est-à-dire qu’il s’exerce par l’intermédiaire d’un autre cabinet d’avocats, tout comme la dimension temporelle – ancienne – de ce lien ont pu jouer un rôle dans la décision de la cour d’appel d’estimer qu’une telle hypothèse n’était pas non plus établie en l’espèce.
La rédaction de la décision doit inviter à la prudence quant aux tentatives d’interprétation que l’on pourrait formuler. En effet, la Cour semble évoquer l’existence d’un cabinet intermédiaire, ainsi que le fait que l’ancienneté des rapports de travail de l’arbitre avec ce cabinet, à titre supplémentaire, presque d’obiter dictum.

Elle énonce ainsi que les circonstances ne « permettent pas d’établir l’existence de lien quelconque entre [l’arbitre] et les actionnaires […] ni qui soient de nature à créer un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité, d’autant plus que les liens [entre l’arbitre et le cabinet des actionnaires] étaient indirects, par l’intermédiaire [d’un autre cabinet] » (nous soulignons).

Elle ajoute que ces liens « avaient cessé deux ans et demi avant le début de l’arbitrage, ce qui pourrait ne pas être une durée suffisante en cas de défaut de révélation de lien direct ou d’une information susceptible d’affecter l’impartialité de l’arbitre, mais qui en l’espèce est sans incidence dès lors que rien ne permet d’établir qu’il y ait pu y avoir des connexions entre [l’arbitre et les actionnaires] à l’époque où [l’arbitre] travaillait pour le [cabinet saoudien] ni après ». Les faits de l’espèce ne permettent pas d’apprécier pleinement la portée de cette formule. L’on regrettera à nouveau la référence au « défaut de révélation » qui ne nous semble pas devoir être un critère d’appréciation plus sévère de la proximité dans le temps des liens litigieux. Il faut souhaiter qu’il ne s’agisse ici que d’une erreur de plume, survivante de la confusion que nous évoquions supra et pourtant balayée par la cour d’appel au paragraphe 53.

Ainsi, si l’on approuvera la cour d’appel, au regard des faits de l’espèce, dans la mesure où le lien entre l’arbitre et l’une des parties à l’arbitrage était trop indirect et tenu et aussi dans la mesure où l’activité de l’arbitre auprès du cabinet était à la fois de courte durée et ancienne, l’arrêt soulève des questions quant à l’articulation des critères à retenir.

La remarque ne se limite pas à la question de l’appréciation du doute raisonnable. Les solutions retenues au fond par la Cour, qu’il s’agisse d’une exception de notoriété délimitée ou de l’appréciation raisonnable de l’intensité minimale des liens des liens de nature à créer un doute quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, doivent également être approuvée en ce qu’elles participent l’une comme l’autre, à la sécurité des procédures arbitrales et à l’équilibre entre les exigences légitimes d’indépendance des arbitres et de loyauté des parties. En revanche, on regrettera que la Cour passe un peu facilement de l’étendue du devoir de révélation à la caractérisation d’un défaut d’indépendance, alors même qu’elle énonce expressément que la seconde ne dépend pas de la première, entretenant une confusion qui n’est pas souhaitable.

Auteur d'origine: Dargent
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L’office du juge est devenu une question centrale en droit de la consommation. Une protection effective des consommateurs suppose en effet que le juge ait un rôle actif, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 mars 2020. En l’espèce, un consommateur tchèque avait conclu à distance un contrat de crédit renouvelable. N’ayant pas honoré les échéances dues, la banque a saisi le tribunal de district d’Ostrava afin d’obtenir sa condamnation au paiement d’une certain somme, augmentée des intérêts légaux. Il ressort cependant de la décision de renvoi que, au cours de la procédure au principal, la banque n’aurait pas affirmé, et encore moins apporté la preuve, que, avant la conclusion du contrat de crédit en cause, elle avait évalué la solvabilité de l’emprunteur. Par ailleurs, le consommateur n’aurait pas excipé de la nullité du contrat découlant de ce fait, cette nullité ne pouvant être prononcée qu’à sa demande en vertu du droit tchèque. La juridiction de renvoi estimant qu’une telle règle va à l’encontre de la protection du consommateur, telle que garantie par la directive 2008/48/CE, elle a donc saisi la Cour de Luxembourg afin qu’elle se prononce sur cette question. Celle-ci considère que « Les articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent à une juridiction nationale d’examiner d’office l’existence d’une violation de l’obligation précontractuelle du prêteur d’évaluer la solvabilité du consommateur, prévue à l’article 8 de cette directive, et de tirer les conséquences qui découlent en droit national d’une violation de cette obligation, à condition que les sanctions satisfassent aux exigences dudit article 23. Les articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE doivent également être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime national en vertu duquel la violation par le prêteur de son obligation précontractuelle d’évaluer la solvabilité du consommateur n’est sanctionnée par la nullité du contrat de crédit, assortie de l’obligation pour ce consommateur de restituer au prêteur le principal dans un délai proportionné à ses possibilités, qu’à la seule condition que ledit consommateur soulève cette nullité, et ce dans un délai de prescription de trois ans ».

La Cour de Luxembourg poursuit ainsi son œuvre d’harmonisation de l’office du juge en imposant à celui-ci de relever d’office les dispositions protectrices des consommateurs, cette obligation reposant sur des considérations tenant à l’effectivité de la protection de ces derniers (pts 23 et 24), peu important qu’il existe des sanctions d’une autre nature, en l’occurrence une amende d’un montant allant jusqu’à 20 millions de CZK (environ 783 000 €), dans la mesure où « de telles sanctions ne sont pas à elles seules de nature à assurer de manière suffisamment effective la protection des consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité recherchée par la directive 2008/48/CE (…) » (pt 38).

Cette obligation faite au juge d’assurer une protection effective des consommateurs était initialement cantonnée aux clauses abusives (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 , note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais . V. déjà CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry . V. égal. CJUE 17 mai 2018, aff. C-147/16, D. 2018. 1068 ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2018. 333, obs. V. Legrand ; RDC 2018, n° 115q3, p. 588, note J.-D. Pellier, spéc. nos 2 et 3. V. à ce sujet, J. -D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz coll. « Cours », 2019, n° 112). La Cour va même plus loin en considérant que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause entre dans le champ d’application de la directive 93/13/CEE et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause (CJUE 9 nov. 2010, aff. C-137/08, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles . V. égal. CJUE 7 nov. 2019, aff. C-419/18 et C-483/18, D. 2019. 2132 ). Elle s’est par la suite peu à peu étendue à d’autres matières. La CJUE avait en effet déjà consacré une telle obligation en matière de crédit à la consommation (CJUE 21 avr. 2016, aff. C-377/14, D. 2016. 1744 , note H. Aubry ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud , au sujet de l’obligation d’information prévue par l’article 10, paragraphe 2, de la directive du 23 avril 2008) et en matière de garantie de conformité (CJUE 4 juin 2015, aff. C-497/13, D. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Encore convient-il d’observer que cette obligation est limitée à l’objet du litige, qui détermine donc les contours de l’office du juge (V. en ce sens, en matière de clauses abusives, CJUE 11 mars 2020, aff. C-511/17, Dalloz actualité, 30 mars 2020, obs. J.-D. Pellier).

Le droit français, quant à lui, est en retard, du moins sur le plan textuel. L’article R. 632-1 du code de la consommation (texte qui a été délégalisé par l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et le décr. n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du code de la consommation) dispose en effet que « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ». En dehors du domaine des clauses abusives, le juge a donc simplement la faculté de soulever d’office les dispositions du (seul) code de la consommation (sur l’insuffisance de ce texte, v. J.-D Pellier, op. cit., n° 327). Mais la jurisprudence s’est quelque peu affranchie de cette règle, issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et complétée, s’agissant des clauses abusives, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « Hamon » (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651 : « Attendu que si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées », D. 2017. 1800, communiqué C. cass. , note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau . V. égal. Civ. 1re, 19 févr. 2014, n° 12-23.519, ayant censuré un jugement qui avait considéré que la vente d’un chiot n’entrait pas dans le champ d’application de la garantie légale prévue par le code de la consommation : « Qu’en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la vente avait été conclue entre un vendeur agissant au titre de son activité professionnelle et un acheteur agissant en qualité de consommateur, en sorte qu’il lui incombait de faire application, au besoin d’office, des dispositions d’ordre public relatives à la garantie légale de conformité, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ». V. dans le même sens, au sujet d’un chat, Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-28.819, D. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Comme l’affirme le Professeur Carole Aubert de Vincelles, « il faut donc en conclure que désormais, quel que soit le domaine de protection des consommateurs, l’effectivité de celle-ci justifie que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le respect des exigences découlant des normes de l’Union en matière de droit de la consommation » (C. Aubert de Vincelles, La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droit de la consommation in Le droit européen de la consommation, dir. Y. Picod, Mare et Martin, 2018, p. 35, n° 21. V. égal. en ce sens, J.-D. Pellier, op. cit., n° 327 ; Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., 2018, Sirey, n° 359 ; G. Raymond, Droit de la consommation, 5e éd., LexisNexis, 2019, n° 118 ; N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, op. cit., nos 1265 et 1266. Rappr. J. Calais-Auloy, H. Temple H. et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., 2020, Dalloz, n° 637 ; J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 236).

Il convient cependant d’observer que l’office du juge est susceptible de se heurter à deux obstacles, l’un étant certain et l’autre, sujet à caution : en premier lieu, on sait qu’en matière de clauses abusives, la Cour considère que le consommateur peut préférer le maintien de la clause, ce qui empêche le juge de la supprimer. La Cour affirme à ce sujet que « S’agissant d’une sanction telle que la nullité du contrat de crédit, assortie de l’obligation de restituer le principal, il y a lieu de préciser que, lorsque le consommateur émet un avis défavorable à l’application d’une telle sanction, cet avis devrait être pris en compte (V., par analogie, CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, Sté Pannon GSM Zrt c/ Mme Erzsébet Sustikné Gyorfi, EU:C:2009:350, pt 33, D. 2009. 2312 , note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais , et CJUE, 21 févr. 2013, aff. C-472/11, Banif Plus Bank Zrt c/ Csaba Csipai, EU:C:2013:88, pt 35, D. 2013. 568 ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles ) ». Cette considération mérite d’être saluée, dans la mesure où le procès civil demeure la chose des parties. Le consommateur, pour des raisons qui lui sont propres, peut préférer opter pour le maintien du contrat. À cet égard, la sanction prévue par le droit français est peut-être plus appropriée : en cas de violation du devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur posé par l’article L. 312-16 du code de la consommation, le prêteur est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge en vertu de l’article L. 341-2 du même code. À première vue, la sanction fulminée par le droit tchèque est plus sévère à l’endroit du prêteur puisqu’elle aboutit, s’agissant d’une nullité, à la perte de ses droits au paiement des intérêts et des frais convenus (comme le rappelle la Cour dans le point 29 de l’arrêt commenté). Mais elle est aussi plus radicale pour l’emprunteur, en ce qu’elle l’oblige à restituer au prêteur le capital prêté dans un délai proportionné à ses possibilités …

En second lieu, il existe un doute sur le point de savoir si le juge peut indéfiniment soulever d’office la déchéance du droit aux intérêts, sanction fréquente en matière de crédit à la consommation, ou si son pouvoir se heurte à une limite temporelle (mais la réflexion peut être généralisée). La jurisprudence française est divisée à cet égard, mais une certaine tendance veut que le pouvoir du juge soit borné par la prescription quinquennale (Paris, 11 janv. 2018, n° 16/12948, D. 2018. 238, obs. G. Poissonnier ; RTD civ. 2018. 904, obs. H. Barbier : « la prescription quinquennale était applicable à toutes les actions relatives à ce contrat », de sorte que « le tribunal ne pouvait sans méconnaître cette règle relever d’office une irrégularité qui aurait affecté les offres de prêts ». Contra TI Montluçon, 4 juill. 2018, n° 11-18-000056, D. 2018. 1485, obs. G. Poissonnier ; RTD civ. 2018. 904, obs. H. Barbier ). Cette jurisprudence est cependant critiquable : aux termes de l’article 2224 du code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (sous la réserve du délai butoir prévu par l’article 2232 du même code. V. à ce sujet J.-D. Pellier, Retour sur le délai butoir de l’article 2232 du code civil, D. 2018. 2148 ). Or, le juge n’agit pas au sens de ce texte lorsqu’il soulève une déchéance. Son pouvoir s’apparente plus à un moyen de défense soulevé au profit du consommateur, raison pour laquelle il devrait pouvoir le faire indéfiniment. Une question préjudicielle a d’ailleurs été posée à la CJUE par le tribunal d’instance d’Épinal (TI Épinal, 20 sept. 2018, n° 11-18.000406, D. 2018. 2085, obs. G. Poissonnier ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau ; CCC 2018, n° 205, obs. Bernheim-Desvaux : il lui est demandé de dire si la directive n° 2008/48/CE, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, s’oppose « à une disposition nationale qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat de crédit conclu entre eux, interdit au juge national, à l’expiration d’un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à compter de la conclusion du contrat, de relever et de sanctionner, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, un manquement aux dispositions (…) protectrices des consommateurs prévues par ladite directive »).

Affaire à suivre …

Auteur d'origine: jdpellier
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L’affaire à l’origine de cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne est issue de nos juridictions françaises et fait suite au renvoi préjudiciel de la Cour de cassation par une décision du 26 septembre 2018 (Com., 26 sept. 2018, n° 16-28.281, D. 2019. 453, obs. J.-P. Clavier et N. Martial-Braz ; RTD eur. 2019. 416, obs. A. Jeauneau ).

Le titulaire d’une marque doit en faire un usage sérieux en l’absence duquel il peut encourir la déchéance de ses droits. Au niveau national, l’article L. 714-5, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle dispose, en effet, qu’encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l’enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d’État. Ce principe est également posé au plan européen par le biais de l’article 10 de la directive 2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques.

Ces dispositions font l’objet d’une jurisprudence fournie et continuent de susciter des interrogations. Il s’agissait ici de savoir si le titulaire d’une marque frappée de déchéance pouvait invoquer l’atteinte à ses droits, en cas de prétendue contrefaçon, sur une période antérieure au prononcé de la sanction. Ou en d’autres termes, une marque inexploitée revêt-elle la même force qu’une marque faisant l’objet d’un usage sérieux ?

En l’espèce, la marque semi-figurative en question, SAINT GERMAIN, a été enregistrée le 12 mai 2006, pour des produits et services relevant des classes 30, 32 et 33 (en substance, pour des boissons alcoolisées). En 2012, le titulaire de cette marque a assigné, devant le tribunal de grande instance de Paris, les fabricants et distributeurs d’une liqueur dénommée « St-Germain ». Cette action a été menée en parallèle d’une autre action engagée, elle, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, qui, par jugement du 28 février 2013 a prononcé la déchéance de la marque SAINT GERMAIN à compteur du 13 mai 2011, confirmée par la cour d’appel de Versailles le 11 février 2014. À la suite de cette décision, devenue irrévocable, le titulaire de la marque a maintenu ses demandes en contrefaçon par imitation pour la période antérieure au 13 mai 2011. Tant en première instance qu’en appel, ces demandes furent rejetées, les juges du fond considérant que le requérant ne pouvait justifier de l’exploitation de sa marque et qu’il n’était, de ce fait, porté atteinte ni à la fonction d’origine de la marque ni à sa fonction d’investissement.

Saisie du pourvoi du titulaire déchu de ses droits, la Cour de cassation a posé à la Cour de justice la question préjudicielle suivante : le titulaire d’une marque déchu de ses droits à l’expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve-t-il le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque ?

La Cour de justice précise que le législateur européen a laissé toute latitude au législateur national pour déterminer la date à laquelle la déchéance d’une marque pouvait produire ses effets. Elle note que le législateur français a fait le choix de faire produire les effets de la déchéance d’une marque pour non-usage à compter de l’expiration d’un délai de cinq ans suivant son enregistrement. Le titulaire peut se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées, au cours de ce délai, au droit exclusif conféré par cette marque, même si ce titulaire a été déchu de ses droits sur celle-ci. Toutefois, cette absence d’exploitation, si elle n’est pas contraire à l’action en contrefaçon, pourra certainement jouer dans la décision relative à la réparation du préjudice subi. En effet la Cour de justice ajoute, et c’est là la clé de la décision, que « si l’absence d’usage d’une marque ne fait pas obstacle, par elle-même, à une indemnisation liée à la commission de faits de contrefaçon, cette circonstance n’en demeure pas moins un élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».

La cour de renvoi, si la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris au regard de la décision du 26 septembre 2020, devra, par conséquent, s’attacher à évaluer ce préjudice au regard, notamment, des pistes données par la Cour de justice de l’Union européenne.

Auteur d'origine: Daleau