Annonces ventes aux enchères

Vous pouvez contacter Maître ADJEDJ pour toutes demandes concernant les ventes de saisies immobilières

image

Un accident de la circulation survient en Pologne. La victime cède alors sa créance à l’encontre de l’assureur du responsable, assureur dont le siège est situé au Danemark. Le cessionnaire de cette créance cède lui-même par la suite sa créance. Le second cessionnaire, de droit polonais, ayant saisi une juridiction polonaise de demandes dirigées contre l’assureur, la question de la compétence de cette juridiction se pose, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Les dispositions visées

Ce règlement énonce des règles de compétence spécifiques à la matière des assurances.

Pour la clarté du propos, il est utile de les rappeler :

• Art. 10 : En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice notamment de l’article 7, point 5 ;

• Art. 11, § 1 : « L’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait : a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ; b) dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile ; ou c) s’il s’agit d’un coassureur, devant la juridiction d’un État membre saisie de l’action formée contre l’apériteur de la coassurance » ;

• Art. 12 : « L’assureur peut, en outre, être attrait devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit s’il s’agit d’assurance de responsabilité ou d’assurance portant sur des immeubles […] » ;

• Art. 13 : « 1. En matière d’assurance de responsabilité, l’assureur peut également être appelé devant la juridiction saisie de l’action de la victime contre l’assuré, si la loi de cette juridiction le permet. 2. Les articles 10, 11 et 12 sont applicables en cas d’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. […] ».

Il est également utile de rappeler la teneur de l’article 7, points 2 et 5, dont l’application était en l’espèce discutée. Selon l’article 7, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre que celui de son domicile :

• § 2 : « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » ;

• § 5 : « s’il s’agit d’une contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, devant la juridiction du lieu de leur situation ».

Les difficultés

Au regard de ces différentes dispositions, l’affaire soumise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) soulevait deux difficultés.

En premier lieu, il s’agissait de déterminer les règles de compétence pertinentes au regard de l’interrogation suivante : sachant que les articles 10 et suivants du règlement visent à protéger le contractant – considéré comme une partie faible – de l’assureur, ces articles ont-ils vocation à s’appliquer lorsque le litige oppose un assureur de responsabilité civile à un professionnel ayant acquis une créance détenue, à l’origine, par la victime ? Ou faut-il faire application des règles de l’article 7 ?

La CJUE répond que l’article 13, § 2, ne s’applique pas dans une telle hypothèse et ne fait pas obstacle à ce que la compétence juridictionnelle soit fondée, le cas échéant, sur l’article 7, § 2, ou sur l’article 7, § 5.

Cette solution se justifie par l’idée qu’aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances (arrêt, pt 40), puisqu’aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre (CJUE 31 janv. 2018, Hofsoe, aff. C-106/17, pts 39 et 42, Dalloz actualité, 12 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2018. 247 ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2018. 609, note S. Corneloup ; Procédures 2018. Comm. 108, obs. C. Nourissat). Elle se situe dans la ligne de précédents arrêts, qui ont exclu, en substance, du bénéfice des règles protectrices spécifiques aux contrats d’assurance un organisme de sécurité sociale, cessionnaire légal des droits de la personne directement lésée dans un accident de voiture, engageant une action directe contre l’assureur établi dans un autre État membre, du responsable (CJUE 17 sept. 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, aff. C-347/08, pt 43, RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; Procédures 2009. Comm. 387, obs. C. Nourissat ; Europe 2009. Comm. 387, obs. L. Idot), ainsi qu’une personne qui exerce une activité professionnelle dans le domaine du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance, en qualité de cessionnaire contractuel (CJUE 31 janv. 2018, pt 43, préc.).

La conséquence de cette solution est alors simple : puisque les articles 10 et suivants n’ont pas vocation à s’appliquer en l’absence de partie faible, la compétence du juge doit être déterminée en application de l’article 7 même s’il s’agit d’un litige en matière d’assurance.

En second lieu, l’arrêt admettant l’application de principe de l’article 7, il prend soin de préciser les notions de succursale, d’agence ou d’établissement utilisées par l’article 7, § 5. En l’espèce, l’assureur danois n’opérait pas en effet directement en Pologne mais par le biais d’une société.

Rappelons que la Cour de justice a déjà jugé que l’existence d’une succursale, d’une agence ou d’un établissement suppose un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère et que ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère. La Cour a également précisé un autre critère de définition : le litige doit concerner soit des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale, soit des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère, lorsque ces derniers doivent être exécutés dans l’État où cette succursale est située (CJUE 19 juill. 2012, Mahamdia, aff. C-154/11, pt 48, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; RDT 2012. 588, chron. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2013. 217, note E. Pataut ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti  ; 11 avr. 2019, Ryanair, aff. C-464/18, pt 33, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 895 ; RTD com. 2019. 787, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; BJS 2019. 28, obs. T. Mastrullo ; JCP 2019. 432, obs. D. Berlin).

Dans l’affaire qui lui était soumise, la CJUE a notamment relevé que l’assureur danois avait mandaté une société polonaise pour liquider le sinistre, que celle-ci disposait d’une existence juridique indépendante, qu’elle était pourvue d’une direction, qu’elle était habilitée à procéder au traitement complet des demandes d’indemnisation et à agir au nom et pour le compte de l’assureur et que ses décisions produisaient des effets juridiques à l’égard de l’assureur, de sorte qu’elle devait être regardée comme étant un centre d’opérations se manifestant d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère (arrêt, pts 54 à 56). La Cour a également retenu que le litige concernait des engagements pris par cette société polonaise au nom de l’assureur danois (arrêt, pt 39).

Au regard de ces éléments, l’arrêt énonce, de manière générale, que l’article 7, § 5, du règlement doit être interprété en ce sens qu’une société qui exerce, dans un État membre, en vertu d’un contrat conclu avec une entreprise d’assurances établie dans un autre État membre, au nom et pour le compte de cette dernière, une activité de liquidation de dommages dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile automobile doit être considérée comme étant une succursale, une agence ou tout autre établissement lorsque cette société se manifeste de façon durable vers l’extérieur comme le prolongement de l’entreprise d’assurances et est pourvue d’une direction et est matériellement équipée de façon à pouvoir négocier avec des tiers, de sorte que ceux-ci sont dispensés de s’adresser directement à l’entreprise d’assurances.

L’arrêt du 20 mai 2021 prolonge ainsi la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en fournissant une nouvelle illustration des critères que le juge doit mettre en œuvre en ce domaine.

(Original publié par fmelin)
image

La société Sogiphar, titulaire de la marque Libeoz pour désigner notamment des produits pharmaceutiques, a formé opposition en 2016 à la demande d’enregistrement de la marque Libz déposée par la société Biogaran. À la suite du rejet de cette opposition par le directeur de l’INPI, la société Sogiphar a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Douai. Cette dernière a déclaré le recours irrecevable par une décision du 8 février 2018.

En effet, selon l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle (en vigueur avant le 1er avr. 2020), le recours contre une décision du directeur de l’INPI devait comporter un certain nombre de mentions à peine d’irrecevabilité prononcée d’office. En particulier, pour une personne morale, ce recours devait indiquer l’organe qui la représentait légalement. Or, en l’occurrence, la société Sogiphar s’était contentée de former un recours « prise en la personne de ses représentants légaux », mention qui ne suffisait pas, selon la cour d’appel, à identifier l’organe la représentant légalement.

La société Sogiphar a contesté la décision d’irrecevabilité devant la Cour de cassation en s’appuyant sur le droit à l’accès au juge protégé par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour devait donc décider si les mentions obligatoires imposées à peine d’irrecevabilité par l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle portaient une atteinte disproportionnée au droit du justiciable d’accéder à la justice.

Les règles de procédure applicables au recours à l’encontre d’une décision du président de l’INPI

Cette affaire posait également en creux la question des règles de procédure applicables aux recours en annulation formés contre les décisions du directeur de l’INPI. Il s’agit en effet d’une procédure inhabituelle en ce qu’elle soumet un acte administratif individuel, la décision du directeur de l’INPI, au contrôle du juge judiciaire (Com. 31 janv. 2006, n° 04-13.676, Bull. civ. IV, n° 26 ; Dalloz actualité, 5 mars 2006, obs. J. Daleau ; D. 2006. 581, obs. J. Daleau  ; ibid. 2319, obs. S. Durrande ; CCE 2006, n° 59, note C. Caron). Des interrogations ont donc pu être soulevées quant à la question de savoir si les règles de procédure civile devaient s’appliquer.

Plus particulièrement, dans cette affaire, la Cour de cassation devait examiner la possibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance. En effet, selon l’article 126 du code de procédure civile, dans le cas où une situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. Cependant, selon une jurisprudence constante (Com. 7 janv. 2004, n° 02-14.115 ; 17 juin 2003, n° 01-15.747, Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 2003. 2633, et les obs. , obs. S. Durrande ), l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle était considéré comme une « disposition spécifique » qui excluait l’application de l’article 126 du code de procédure civile. Lors d’une procédure de recours contre une décision du directeur de l’INPI, il n’y avait donc aucune possibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance.

Un clair revirement de jurisprudence

Dans cette décision particulièrement explicite et pédagogique, la Cour de cassation effectue un revirement de jurisprudence.

Elle note d’abord que les mentions imposées par l’ancien article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, et en particulier l’obligation pour une personne morale d’indiquer l’organe qui la représente légalement, répondaient à un objectif légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique. La Cour relève ainsi que « l’obligation pour la personne morale de mentionner l’organe la représentant permet au juge et à la partie défenderesse de s’assurer que le recours est formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale » (§ 9).

Dans un second temps, la Cour estime qu’en revanche, l’impossibilité de régulariser un défaut de mention en cours d’instance n’est pas justifiée. Une régularisation en cours d’instance ne porterait pas atteinte aux intérêts de la partie défenderesse et n’affecterait pas les objectifs de bonne administration de la justice et d’accès au juge (§ 12). Ainsi, la Cour de cassation en conclut que « l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a jusqu’à présent été interprété, n’assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d’accès au juge » (§ 13) et qu’« il apparaît donc nécessaire d’abandonner la jurisprudence précitée et d’interpréter désormais l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du code de procédure civile » ouvrant ainsi la possibilité d’une régularisation en cours d’instance (§ 14).

La Cour note par ailleurs qu’en l’espèce, ce revirement de jurisprudence ne « saurait […] être [opposé] à la société Sogiphar, pour lui reprocher de ne pas avoir procédé à la régularisation de la situation ». La société n’aurait en effet pas pu procéder à une régularisation en cours d’instance « dans la mesure où la jurisprudence antérieure excluait toute possibilité de régularisation » (§ 15).

La décision d’irrecevabilité dont a fait l’objet le recours formé par la société Sogiphar portait donc une atteinte disproportionnée au droit de cette société à l’accès au juge et l’arrêt de la cour d’appel est cassé.

Un revirement cohérent avec les développements récents 

Le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation n’est pas surprenant en ce qu’il va dans le sens de la jurisprudence récente qui tend à reconnaître la pleine application des règles de procédure civile à la procédure de recours contre une décision du directeur de l’INPI (v. not. Com. 13 mars 2019, n° 17-10.861, Dalloz actualité, 28 mars 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 583 ; ibid. 2020. 451, obs. J.-P. Clavier  ; RTD com. 2019. 370, obs. J. Passa ).

Cette décision, bien que rendue sous l’empire des précédentes dispositions du code de la propriété intellectuelle, s’inscrit également dans la lignée de la réforme issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 et du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, et entrée en vigueur le 1er avril 2020. Cette réforme prévoit en effet, dans un nouvel article R. 411-20 du code de la propriété intellectuelle, que les recours à l’encontre d’une décision du directeur de l’INPI « sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de procédure civile ». À cet égard, l’abandon par l’arrêt commenté de l’exception procédurale prévue par l’ancienne interprétation de l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle est en parfaite cohérence avec cette évolution réglementaire.

(Original publié par nmaximin)

Cet arrêt de cassation revient sur une institution très ancienne du droit maritime : la copropriété de navire. L’originalité de celle-ci tient à ce que, selon la jurisprudence, elle est dotée de la personnalité morale (Com. 15 avr. 2008, n° 07-12.487, Dalloz actualité, 13 mai 2008, obs. X. Delpech ; ). Elle donne dès lors lieu à l’émission de parts de copropriété, dénommées quirats, qui représentent les droits de chaque copropriétaire (ou quirataire) sur le navire. Elles sont cessibles tout comme les parts sociales ou actions de société. Encore faut-il, pour que cette cession soit efficace, que les formalités de publicité requises pour que celle-ci soit opposable aux tiers aient été correctement accomplies. Tel n’était précisément pas le cas dans l’arrêt commenté.

Les faits sont les suivants. Par un acte du...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Delpech)

L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 12 mai 2021, ses conclusions dans une affaire qui viendra poser une première pierre à l’édifice jurisprudentiel à propos du règlement (CE) n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant, dit « loi de blocage de l’UE ». La future décision de la CJUE, très attendue, pourrait même pousser le législateur de l’Union à repenser le fonctionnement des règles actuelles qui placent les entreprises européennes devant un choix extrêmement difficile : se conformer aux mesures américaines et faire face aux conséquences pour avoir violé la loi de blocage de l’UE, ou respecter cette loi mais prendre le risque de perdre l’accès aux marchés des États-Unis.

En novembre 2018, le fournisseur de services de télécommunication allemand, Telekom Deutschland, a notifié à une banque iranienne, disposant d’une succursale à Hambourg, la résiliation de tous leurs contrats portant sur les services de télécommunications, avec effet immédiat. Cette résiliation est intervenue quelques jours à peine après l’entrée en vigueur des nouvelles sanctions américaines à l’encontre de sociétés et autres entités iraniennes, dont l’application avait été suspendue en 2015. Leur rétablissement découlait en effet de la décision de mai 2018 du président américain de l’époque, Donald Trump, de se retirer, au nom des États‑Unis d’Amérique, de l’accord sur le nucléaire iranien.

Selon la banque, la résiliation de ses contrats était motivée uniquement par le souci de Telekom Deutschland, qui réalise environ 50 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, de se conformer à la réglementation américaine interdisant aux entreprises non américaines d’entretenir des relations commerciales avec des entités iraniennes visées par des sanctions primaires et prévoyant des sanctions secondaires à l’encontre des entreprises non américaines en cas de violation de cette interdiction. Elle estime que l’opérateur allemand a enfreint la loi de blocage de l’Union européenne dont l’article 5, § 1, interdit aux sociétés européennes de se conformer aux mesures extraterritoriales américaines. Telekom Deutschland se fonde, en revanche, sur la note d’orientation de la Commission, pour soutenir que le premier alinéa de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE ne modifie pas son droit à une résiliation ordinaire, qui ne dépend pas d’un motif de résiliation, étant donné que cet article lui permet de mettre un terme à sa relation commerciale avec la requérante à tout moment et quels que soient ses motifs.

Remarque : une distinction est faite en droit américain entre les sanctions « primaires », applicables aux « US Persons » relevant de la juridiction des États-Unis, et les sanctions « secondaires » qui ciblent les entités étrangères qui feraient des transactions avec les pays ou entités visés par les sanctions. Ces sanctions « secondaires » peuvent donc être extraterritoriales.

Dilemmes impossibles

Dans cette affaire, le Hanseatische Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne) a saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles portant sur l’interprétation du premier alinéa de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE, qui prévoit qu’« aucune personne visée à l’article 11 ne se conforme, directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères, fondées directement ou indirectement sur les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant ». L’avocat général propose d’y répondre à la seule lumière de la loi de blocage de l’Union européenne et du droit primaire, à l’exclusion de la note d’orientation de la Commission et du règlement d’exécution (UE) 2018/1101 de la Commission du 3 août 2018 établissant les critères pour l’application de l’article 5, deuxième alinéa, de la loi de blocage de l’UE. Mais, avant toute chose, il regrette que « les sociétés européennes [soient] confrontées à des dilemmes impossibles – et très injustes – causés par l’application de deux régimes juridiques différents et directement opposés ». Il estime par conséquent que « le législateur de l’Union pourrait avantageusement revoir la manière dont cette loi opère actuellement ».

Entrant ensuite dans le vif du sujet, l’avocat général relève que l’alinéa premier de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE s’applique même lorsqu’un opérateur se conforme à la législation mentionnée à l’annexe de cette loi sans avoir préalablement reçu une injonction en ce sens de la part d’une administration ou d’un organe judiciaire étrangers. Cette interprétation est confortée par le libellé, l’objectif et le contexte de l’interdiction contenue dans la loi de blocage. L’avocat général observe, à cet égard, qu’en pratique de nombreuses grandes sociétés ont déjà mis en place des départements de compliance pour s’assurer que leurs actions sont conformes au régime de sanctions américaines, même en l’absence de toute instruction à cet effet.

Reconnaissance d’un droit de recours au profit des entreprises de pays tiers

L’avocat général considère, en outre, qu’une entreprise européenne cherchant à résilier un contrat normalement valable conclu avec une entité iranienne visée par les sanctions américaines doit démontrer, et convaincre la juridiction nationale, qu’elle ne l’a pas fait par souci de se conformer à ces sanctions. À cet égard, il relève que si la loi de blocage de l’UE ne vise pas à protéger les entreprises de pays tiers directement visées par les mesures américaines, elle leur confère néanmoins un droit de recours. Si tel n’était pas le cas, la mise en œuvre de la politique exprimée dans le premier alinéa de l’article 5 de cette loi reposerait uniquement sur la volonté des États membres et, indirectement, sur la Commission. Selon l’avocat général, la loi de blocage impose même une obligation de fournir une justification à la résiliation d’une relation commerciale avec une personne visée par des sanctions primaires. En effet, les objectifs poursuivis par cette loi seraient compromis si une entité pouvait discrètement donner effet à la législation américaine en gardant un silence opaque ne permettant pas de connaître ses motifs ni de contrôler ses méthodes. En l’espèce, l’avocat général estime qu’il appartient à Telekom Deutschland d’établir qu’il existait une raison objective, autre que le fait que la banque iranienne en cause était visée par des sanctions primaires, pour résilier les contrats en cause et qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier la véracité de tels motifs. Il précise que c’est l’intention de l’opérateur économique de se conformer aux sanctions qui importe, indépendamment du point de savoir s’il est effectivement préoccupé par leur application. Il admet toutefois qu’une entité puisse démontrer qu’elle est activement engagée, de manière cohérente et systématique, dans une politique de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), qui l’oblige notamment à refuser de négocier avec toute société ayant des liens avec le régime iranien.

Absence de violation de la liberté d’entreprise

Enfin, l’avocat général considère qu’en cas de non‑respect, par une entreprise de l’Union, de l’interdiction faite par la loi de blocage de l’UE de se conformer à la législation américaine prévoyant des sanctions secondaires, la juridiction nationale saisie par une partie contractante visée par des sanctions primaires est tenue d’enjoindre à l’entreprise de l’Union de maintenir ces relations contractuelles. Selon lui, le premier alinéa de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE n’est pas en soi contraire à la liberté d’entreprise protégée par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, d’autant plus que les opérateurs économiques peuvent demander à la Commission à être autorisés à déroger à l’interdiction prévue par cette loi dans la mesure où, notamment, un autre comportement léserait gravement leurs intérêts ou ceux de l’Union.

La balle est désormais dans le camp de la CJUE, qui, dans la grande majorité des cas, suit les conclusions de l’avocat général.

 

Éditions Législatives, édition du 26 mai 2021

(Original publié par Bley)

« La solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette. Le paiement fait par l’un d’eux les libère tous envers le créancier » (C. civ., art. 1313 ; déjà, ancien art. 1200). Susceptible d’augmenter les obligations d’un codébiteur, amené à payer la part des autres dans la dette et à supporter leur insolvabilité, une telle solidarité « ne se présume pas » (C. civ., art. 1310 ; déjà, ancien art. 1202, al. 1), sauf en matière commerciale (Com. 19 févr. 1991, n° 89-17.839). Elle résulte de la loi ou de la volonté des parties. Tel était le cas dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 20 mai 2021 : des époux avaient solidairement conclu deux contrats de prêt immobilier assortis, chacun, d’un contrat d’assurance emprunteur souscrit par le seul mari afin d’assurer sa propre défaillance.

« Cette forme d’assurance présente un double intérêt. L’emprunteur se protège des conséquences patrimoniales d’évènements susceptibles d’altérer la bonne exécution du contrat de prêt souscrit auprès de l’établissement de crédit : l’assureur sera substitué à l’emprunteur dans le remboursement des mensualités ou du solde du crédit en cas de décès, d’invalidité ou de perte d’emploi de l’emprunteur. Pour le prêteur, l’assurance emprunteur lui permet de transférer les risques d’impayés sur son client, lequel paie les primes d’assurance, tout en le mettant à l’abri des difficultés de recouvrement dans le cadre de procédures de réalisation de sûretés en cas de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par rbigot)
image

Depuis plusieurs années déjà, les difficultés auxquelles est confrontée la société Commissions Import Export (Commisimpex) pour mettre à exécution deux sentences arbitrales condamnant l’État du Congo à lui verser près d’un milliard d’euros alimentent les chroniques judiciaires. Il faut dire que la Commisimpex bénéficie d’un atout dans son jeu qui lui donne quelques raisons d’espérer recouvrir son dû : un acte du 3 mars 1993 au terme duquel la République du Congo a renoncé définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d’exécution. Certes, cet acte n’a pas permis à la société de saisir des biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État congolais car la renonciation y étant contenue ne revêt pas un caractère « spécial » (Civ. 2e, 10 janv. 2018, n° 16-22.494 P, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 541 , note B. Haftel ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier ; ibid. 474, obs. P. Théry ). Mais la société pouvait légitimement espérer utiliser cette renonciation pour saisir d’autres biens.

C’est ainsi qu’elle a fait pratiquer deux saisies-attributions entre les mains du contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l’Économie et des Finances, sur les comptes ouverts au nom de la Banque des États de l’Afrique centrale. En sa qualité de tiers saisi, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l’Économie et des Finances devait déclarer l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur (C. pr. civ., art. L. 211-3 et R. 211-4) et, en cas de déclaration inexacte ou mensongère, s’exposait à être condamné au paiement de dommages-intérêts (C. pr. civ., art. R. 211-5). Il a déclaré qu’il ne pouvait individualiser dans ses comptes aucune somme appartenant à la République du Congo et que les comptes dont il était fait mention dans le procès-verbal de saisie-attribution lui étaient inconnus. Ces déclarations n’ont pas convaincu la société Commisimpex qui a assigné l’agent judiciaire du Trésor, en qualité de tiers saisi, afin de le voir condamner au paiement de dommages-intérêts.

Pour échapper au paiement de ces dommages-intérêts, l’agent judiciaire du Trésor s’est abrité derrière l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution qui prévoit que « ne peuvent être saisis les biens de toute nature […] que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l’État ou des États étrangers dont elles relèvent », sauf à ce que le juge de l’exécution autorise une telle saisie sur les biens qui font partie d’un patrimoine que la banque centrale ou l’autorité monétaire étrangère affecte à une activité principale relevant du droit privé. La cour d’appel a fait droit à cette argumentation et la société Commisimpex a formé un pourvoi en cassation. Son pourvoi s’est essentiellement organisé autour de sa carte maîtresse : cet acte de 1993 dans lequel l’État du Congo avait renoncé à toute immunité d’exécution. La société a notamment fait valoir que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’État du Congo n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution, que l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, qui ne prévoit aucune faculté de renonciation du débiteur, est contraire aux articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 1er, alinéa 1, de son protocole additionnel n° 1 et qu’en tout état de cause, le tiers saisi ne pouvait se prévaloir de l’immunité.

Le pourvoi invitait ainsi la Cour de cassation à répondre à plusieurs questions.

La conventionnalité des dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier

Les dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier sont-elles conformes à celles de l’article 6, § 1, de la Convention européenne et de l’article 1er de son protocole additionnel n° 1 ? Telle est la question centrale posée à la Cour de cassation. Et elle n’est pas tout à fait nouvelle. Dans un précédent arrêt, la Cour de cassation avait pu juger que ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences du droit à un procès équitable car elles « s’inscrivent dans les principes posés en matière d’immunité d’exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens » (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-10.661 NP, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ). Dans l’arrêt commenté, la conclusion ne diffère pas et la conventionnalité de l’article L. 153-1 n’est pas remise en cause. Mais l’argumentation est tout autre ! Nulle trace de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ou de la nécessité de respecter le droit international coutumier : la Cour de cassation juge en effet que l’insaisissabilité de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier est « instituée, en raison de la nature des biens concernés, afin de garantir le fonctionnement de ces banques et autorités monétaires, indépendamment de l’immunité d’exécution reconnue aux États étrangers ». En insistant sur la nature des biens concernés et leur fonction, la haute juridiction indique, en filigrane, que l’article L. 153-1 n’instaure pas une immunité d’exécution (même indépendante de l’immunité dont bénéficient les États), mais une « simple » insaisissabilité (sur cette distinction, v. L. Lauvergnat, L’insaisissabilité, thèse, Nanterre, 2020, ss la dir. de S. Amrani-Mekki, nos 45 s.). Ce changement de perspective, qui a des conséquences (v. infra), ne suffit naturellement pas pour conclure à la conventionnalité des dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier. Parce que l’insaisissabilité qui découle de ce texte constitue une ingérence dans l’exercice du droit à l’exécution et du droit de propriété du créancier, sa conformité aux dispositions de la Convention de sauvegarde suppose qu’elle poursuive un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (v. par ex. CEDH 21 nov. 2001, req. n° 37112/97, Fogarty c. Royaume-Uni, § 33). La Cour de cassation juge que tel est bien le cas. Pour dire que l’atteinte est légitime, elle souligne qu’elle « vise à préserver le fonctionnement d’institutions qui concourent à la définition et à la mise en œuvre de la politique monétaire et à prévenir un blocage des réserves de change placées en France ». Et, pour admettre qu’elle est proportionnée, elle ne se fonde pas sur le second alinéa de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, qui offre au créancier la possibilité de solliciter du juge de l’exécution de pratiquer une saisie s’il établit que les biens font partie d’un patrimoine affecté par la banque centrale ou l’autorité monétaire étrangère à une activité principale relevant du droit privé (Civ. 1re, 11 janv. 2018, n° 16-10.661, préc.), mais sur le simple constat que l’insaisissabilité prévue par ce texte « ne s’applique qu’aux valeurs ou biens détenus en France ». Les créanciers sont invités à frapper aux portes des autres États !

La Cour de cassation n’appréhende ainsi plus l’article L. 153-1 du code monétaire et financier comme le prolongement d’une immunité d’exécution reconnue au profit des États par le droit international coutumier. Cela n’est guère surprenant. Car, si la Cour européenne des droits de l’homme a admis que certaines dispositions de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 reflètent le droit international coutumier (CEDH, gr. ch., 29 juin 2011, req. n° 34869/05, Sabeh El Leil c. France, § 49 s., Dalloz actualité, 1er sept. 2011, obs. C. Demunck ; D. 2011. 1831, et les obs. ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; 23 mars 2010, req. n° 15869/02, Cudak c. Littuanie, § 57 s., AJDA 2010. 2362, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ), c’est essentiellement pour souligner que le respect de ce droit peut légitimer les restrictions du droit au juge découlant d’immunités d’exécution protégeant les États (CEDH 23 mars 2010, req. n° 15869/02, préc., § 60). Or l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, en ce qu’il n’envisage aucune renonciation à l’immunité d’exécution, ne se borne pas à refléter la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 (art. 19 et 21) : il porte plus profondément atteinte au droit au juge, ce qui, sous cet aspect, fait douter de sa conventionnalité (en ce sens R. Bismuth, Débat autour de la conventionnalité de l’immunité spéciale des biens des banques centrales étrangères en France, note ss Versailles, 16e ch., 1er oct. 2015, n° 14/05200, JCP 2016. 442). Cela explique le radical revirement argumentatif opéré par la Cour de cassation. Mais en opérant de la sorte, la Cour de cassation fait un saut dans l’inconnu. Car la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais jugé que la préservation d’institutions qui concourent à la politique monétaire constitue un motif légitime de porter atteinte au droit au juge. Surtout, énoncer que le droit d’accès au juge n’est pas méconnu car l’insaisissabilité prévue par ce texte « ne s’applique qu’aux valeurs ou biens détenus en France » paraît critiquable.

Une fois résolu ce problème central, la Cour de cassation en tire les conséquences.

L’inefficacité de la renonciation de l’État du Congo à son immunité d’exécution

La Cour de cassation juge que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si l’État du Congo n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution. D’une part, l’insaisissabilité issue de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier étant indépendante de l’immunité reconnue aux États, l’État du Congo ne pouvait y avoir renoncé dans son acte de 1993 au terme duquel il renonçait à se prévaloir de toute immunité d’exécution. D’autre part, l’article L. 153-1 du code monétaire ne prévoit aucune faculté de renonciation, de sorte qu’il importe peu que la Convention des Nations unies (qui n’est d’ailleurs pas entrée en vigueur) l’envisage.

La possibilité pour le tiers saisi de se prévaloir de l’insaisissabilité

La haute juridiction juge que le tiers saisi pouvait se prévaloir de l’insaisissabilité découlant de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier. Assurément, une autre conclusion s’imposerait si l’insaisissabilité issue de l’article L. 153-1 découlait de l’immunité d’exécution protégeant les États : une telle immunité constitue en effet un moyen de défense personnel au débiteur dont le tiers saisi ne doit pas pouvoir se prévaloir (J.-P. Mattout, « La saisie des avoirs de banques centrales étrangères et le tiers saisi », in H. de Vauplane et J.-J. Daigre [dir.], Droit bancaire et financier. Mélanges AEDBF-France V ; Rev. Banque 2008. 305, spéc. nos 13 s.), ce qu’a d’ailleurs admis la Cour de cassation (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-13.323, Bull. civ. I, n° 64 ; Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1728 , note D. Martel ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier ; v. égal., à propos d’une immunité de juridiction, Civ. 1re, 30 juin 1993, n° 91-21.267, Bull. civ. I, n° 234). Mais parce que le texte instaure une simple insaisissabilité, la Cour de cassation croit pouvoir en déduire que le tiers saisi peut s’en prévaloir. S’il est vrai que le tiers saisi a « un intérêt à se prévaloir des causes d’inefficacité de la saisie » (Cass., avis, 21 juin 1999, n° 09-90.008, Bull. avis. n° 5 ; D. 1999. 206 ; JCP 1999. II. 10160, note H. Croze et T. Moussa), il n’est pourtant pas certain qu’il puisse se prévaloir d’insaisissabilités (H. Croze et T. Moussa, art. préc., n° 8 ; v. égal. Civ. 1re, 24 févr. 1993, n° 91-15.032, Bull. civ. I, n° 89 ; D. 1993. 279 , obs. P. Julien ). En rejetant le moyen de ce chef, la Cour de cassation laisse ainsi entendre que le tiers saisi peut se prévaloir des insaisissabilités qui affectent les biens qui font l’objet de la mesure d’exécution pour échapper à toute sanction, ce qui serait un apport considérable…

(Original publié par Dargent)

Le 5 mai 2021, lors de l’examen du projet de loi antipiratage en commission, son rapporteur, le sénateur Jean-Raymond Huguonet avait commencé par citer les vers de Jean de La Fontaine, immortalisant la fable de la Montagne qui accouche d’une souris si les principales mesures n’étaient pas confirmées.

Le sénateur évoquait par là la concision du texte (21 articles) examiné – comparé au texte réformant l’audiovisuel initialement porté par Franck Riester, alors ministre de la Culture.

Le projet de loi a donc été amendé en commission et présenté dans une version plus musclée pour être discuté en séance publique, même sur la question de la mise en œuvre de mesures de blocage de sites massivement contrefaisants (i) notamment sportifs (ii) les modifications ont été minimes (sur le projet de loi initial, v. art. Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. N. Maximin).

À titre liminaire, il convient de rappeler que les textes applicables en droit français en matière de blocage de sites résultent pour l’essentiel de la transposition de l’article 8.3 de la directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

Cette directive a été transposée dans deux articles de la loi pour la confiance dans l’économie numérique dite « LCEN » (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, art. 6-I, 8 et 8), dont l’un a été modifié par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet pour devenir l’actuel article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle.

À notre connaissance, l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle a été utilisé systématiquement comme fondement pour demander aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de bloquer l’accès à des sites internet massivement contrefaisants de droits d’auteur et droits voisins et à demander à des moteurs de recherche de déréférencer lesdits sites.

Depuis 2010, la jurisprudence s’est donc construite sur le fondement de cet article et a progressivement posé les bases d’une réponse efficace en matière de lutte contre les sites massivement contrefaisants généralement opérés et hébergés depuis l’étranger.

Ce dispositif n’est toutefois pas parvenu à se parer contre la réapparition de sites contrefaisants – normalement bloqués – sous de nouveaux noms de domaine, les « sites miroirs ». Or, en pratique, il est lourd et coûteux pour les titulaires de droits de revenir devant le juge chaque fois qu’un nouveau nom de domaine est créé pour l’inclure dans une ordonnance de blocage.

Dispositions en vigueur relatives à la lutte contre le piratage et leur évolution projetée

De ce constat, diverses pistes – ayant pour facteur commun de permettre au juge l’actualisation des décisions de justice – ont été envisagées parmi lesquelles la consécration des injonctions dynamiques et l’introduction d’une procédure particulière pour demander au juge l’actualisation des décisions.

Dans le projet de loi initial, l’éventualité d’une consécration des injonctions dynamiques en droit français avait été écartée avant de revenir lors des débats en commission.

Un amendement de commission notamment porté par la sénatrice Catherine Morin-Desailly et le sénateur Claude Kern allait en effet dans le sens de la consécration des injonctions dynamiques, d’ailleurs similaire à celui de la sénatrice Laure Darcos. Comme les ayants droit et praticiens l’appellent de leurs vœux, il est censé permettre au tribunal judiciaire de prévoir – « dès sa décision initiale » – une extension de l’effet de la décision en cas de continuation de la contrefaçon, par un même service autrement accessible ou autrement localisé. Dans un tel cas – et c’est nouveau –, le périmètre de sa décision pourra être étendu à l’ensemble des autres accès à ce même service continuant la contrefaçon, y compris les « sites miroirs ». En pratique, cette avancée serait très utile si elle est bien organisée, elle est aussi pratiquée dans d’autres pays démocratiques.

Autrement dit, l’intérêt des injonctions dynamiques réside dans la possibilité, pour le juge, d’ordonner des injonctions visant des sites sur lesquels des atteintes sont constatées mais également applicables aux sites identiques qui viendraient à être créés ou découverts après le prononcé de l’injonction initiale et sur lesquels les mêmes atteintes seraient ainsi constatées.

Pour l’heure, alors que les deux amendements cités ont été, le 4 mai dernier, respectivement « retiré » et « rejeté », la lutte contre les sites miroirs est limitée – selon la mouture du projet de loi voté en séance publique – à l’introduction d’une procédure spécialement dédiée à la lutte contre les sites miroirs.

Ainsi, dès lors qu’une décision judiciaire « passée en force de chose jugée » a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne en application du code de la propriété intellectuelle, la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, issue de la fusion entre la Hadopi et le CSA), saisie par un titulaire de droits – « partie à la décision judiciaire » –, peut demander à toute personne visée dans la décision d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service visé par ladite décision. Et ce, pour une durée qui ne peut excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge. Il faut noter que l’arbitrage fait en séance publique semble avoir restreint la liste des personnes auprès desquelles les mesures de blocage peuvent être demandées. En effet, le projet de loi initial prévoyait une liste plus ouverte au terme de laquelle les FAI et autres fournisseurs d’accès à des services de communication au public en ligne (v. LCEN, art. 6-I, 1) et tout fournisseur de noms de domaine pouvaient être sollicités.

Dans les mêmes conditions, l’Arcom peut également demander à tout exploitant de moteur de recherche, annuaire ou autre service de référencement de faire cesser le référencement des adresses électroniques donnant accès à ces services de communication au public en ligne.

Le projet de loi prévoit en outre que l’Arcom peut demander aux services de se justifier lorsqu’il n’est pas donné suite à sa saisine.

Par ailleurs, le projet de loi institue que l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux services contrefaisants – sans préjudice de la saisine prévue dans le code de la propriété intellectuelle (v. art. L. 336-2).

Les mécanismes précités sont censés apporter une réponse à la problématique soulevée par les sites miroirs, et notamment l’actualisation rapide des décisions de justice. Ils multiplient, en tout état de cause, les voies pour lutter contre la contrefaçon en ligne – la voie administrative venant s’ajouter à la voie judiciaire – et incarnent une avancée, dont il faudra accompagner l’efficacité pratique.

Dispositions particulières relatives à la lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives

Dans le domaine sportif, en particulier, les titulaires de droits sont confrontés à la difficulté de lutter contre le live streaming illicite. Il consiste à retransmettre en direct des manifestations et compétitions sportives sans autorisation.

Pour lutter contre ce phénomène, le projet de loi opte pour une forme de consécration des injonctions anticipatrices/préventives – qui a l’intérêt de permettre le blocage d’un site ou d’un flux sur la base d’une atteinte future concernant une œuvre ou un programme pour lequel aucune atteinte n’a été constatée par le passé.

Ainsi, lorsqu’ont été constatées des atteintes graves et répétées (a) au droit d’exploitation audiovisuelle prévu à l’article L. 333-1 du code du sport, (b) au droit voisin d’une entreprise de communication audiovisuelle prévu à l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, dès lors que le programme concerné est constitué d’une manifestation ou d’une compétition sportive, (c) ou à un droit acquis à titre exclusif par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle d’une compétition ou manifestation sportive, occasionnées par le contenu d’un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives, et afin de prévenir ou de remédier (souligné par nous) à une nouvelle atteinte grave et irrémédiable à ces mêmes droits, le titulaire de ce droit peut saisir le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ou en référé, aux fins d’obtenir toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.

Il s’agit d’une action attitrée qui peut être exercée dans les mêmes conditions par :

• une ligue sportive professionnelle, dans le cas où elle est concessionnaire de la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle de compétitions sportives professionnelles, susceptibles de faire l’objet ou faisant l’objet d’une atteinte grave et répétée ;

• l’entreprise de communication audiovisuelle, dans le cas où elle a acquis un droit à titre exclusif, par contrat ou accord d’exploitation audiovisuelle, d’une compétition ou manifestation sportive, que cette compétition ou manifestation sportive soit organisée sur le territoire français ou à l’étranger, dès lors que ce droit est susceptible de faire l’objet ou fait l’objet de l’atteinte grave et répétée.

Ces dispositions permettent de consacrer la possibilité d’obtenir des injonctions préventives, c’est-à-dire de bloquer à l’avance l’accès à des contenus contrefaisants. Il s’agit d’une forme de révolution puisque, jusqu’à présent, de telles injonctions se heurtaient à des obstacles procéduraux – notamment le fait que pour pouvoir agir en justice, le demandeur doit disposer d’un intérêt à agir né et actuel.

En outre, le président du tribunal judiciaire peut ordonner, au besoin sous astreinte, la mise en œuvre, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, dans la limite de la durée de la saison sportive mentionnée à l’article L. 333-1 [du code du sport], de toutes mesures proportionnées, telles que des mesures de blocage ou de déréférencement, propres à empêcher l’accès à partir du territoire français, à tout service de communication au public en ligne identifié ou qui n’a pas été identifié à la date de ladite ordonnance diffusant illicitement la compétition ou manifestation sportive, ou dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la diffusion sans autorisation de la compétition ou manifestation sportive. Les mesures ordonnées par le président du tribunal judiciaire prennent fin, pour chacune des journées figurant au calendrier officiel de la compétition ou de la manifestation sportive, à l’issue de la diffusion autorisée par le titulaire du droit d’exploitation de cette compétition ou de cette manifestation.

En matière de diffusion des compétitions de football, par exemple, cette consécration permettra la préservation du modèle économique. En effet, le football et les médias entretiennent un lien consubstantiel sur la question du financement : les médias ont besoin du football pour générer des taux d’audience élevés – sources de retombées publicitaires importantes – et le football a besoin de ces derniers pour se financer – les droits audiovisuels représentant plus de 50 % du budget de la plupart des clubs professionnels de football français.

Finalement, le projet de loi antipiratage – même s’il pourrait aller plus loin – rajeunit les procédures pour les rendre plus adaptées au contexte numérique et à l’économie mondialisée. Il a la particularité de proposer, en plus de la voie judiciaire, une voie administrative alternative incarnée par la nouvelle autorité de régulation – l’Arcom – dont les missions sont élargies et s’aligne de facto sur les systèmes juridiques étrangers, notamment anglo-saxons.

(Original publié par nmaximin)
image

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre, coup sur coup, deux arrêts interprétant l’article 3 de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 263, p. 11), concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs.

Dans un premier arrêt, rendu le 29 avril 2021 (aff. C-383/19), la CJUE a précisé que l’article 3, alinéa 1, de la directive « doit être interprété en ce sens que la conclusion d’un contrat d’assurance de la responsabilité civile relative à la circulation d’un véhicule automoteur est obligatoire lorsque le véhicule concerné est immatriculé dans un État membre, dès lors que ce véhicule n’a pas été régulièrement retiré de la circulation conformément à la réglementation nationale applicable ». La Cour de Luxembourg avait déjà jugé, trois ans auparavant, qu’un véhicule apte à circuler et non retiré officiellement de la circulation doit néanmoins être couvert par une assurance responsabilité civile automobile même si son propriétaire, qui n’a plus l’intention de le conduire, a choisi de le stationner sur un terrain privé (R. Bigot, La couverture obligatoire d’un véhicule stationné sur un terrain privé, sous CJUE 4 sept. 2018, aff. C-80/17, Dalloz actualité, 18 sept. 2018 ; D. 2018. 1693 ; RTD eur. 2019. 149, obs. L. Grard ).

Dans un autre arrêt du 20 mai 2021, la demande de décision préjudicielle était présentée dans le cadre d’un litige opposant le propriétaire d’un véhicule à l’assureur du conducteur responsable au sujet d’une demande de remboursement des frais de stationnement en Lettonie et de remorquage vers la Pologne d’un véhicule et d’une semi-remorque endommagés à la suite d’un accident de la circulation survenu en Lettonie (aff. C-707/19).

Précisément, le 30 octobre 2014, un accident de la circulation est survenu dans une ville de Lettonie, au cours duquel un véhicule et sa semi-remorque, immatriculés en Pologne, ont été endommagés. Le véhicule et la semi-remorque ont, en raison des dommages subis, été évacués vers un parking aux fins de stationnement puis remorqués vers la Pologne. Les frais de stationnement en Lettonie se sont élevés à environ 1 292 € et les frais de remorquage vers la Pologne à environ 7 054 €.

À la suite d’une demande de remboursement introduite par le propriétaire du véhicule, la compagnie d’assurances garantissant la responsabilité civile de l’auteur de l’accident, lui a versé une indemnité d’environ 964 € au titre des frais de remorquage en Lettonie. En revanche, l’assureur a refusé de verser toute indemnité au titre des frais de stationnement en Lettonie et de remorquage en dehors du territoire letton. Le 23 janvier 2017, le propriétaire a saisi le tribunal d’arrondissement de Łódź (Pologne) d’un recours aux fins de voir condamner l’assureur à lui payer, avec intérêts de retard, la somme totale d’environ 6 124 € au titre des frais de remorquage en dehors du territoire letton et la somme d’environ 1 292 € au titre des frais de stationnement en Lettonie.

Dans ces circonstances, le tribunal d’arrondissement de Łódź a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions préjudicielles. En premier lieu, l’article 3 de la directive [2009/103] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre de « toutes les mesures appropriées », chaque État membre doit veiller à ce que l’assurance de responsabilité civile concernant les accidents de la circulation couvre l’intégralité des dommages, y compris les conséquences du sinistre tenant aux besoins de remorquer le véhicule de la victime vers le pays d’origine de celle-ci et les frais liés à la nécessité de stationner les véhicules ? En second lieu, en cas de réponse affirmative à cette question, la législation des États membres peut-elle limiter, d’une quelconque manière, cette garantie ?

Avant de répondre à ces questions, la CJUE a rappelé le droit de l’Union. Les considérants 2 et 20 de la directive 2009/103/CE énoncent que « l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (l’assurance automobile) revêt une importance particulière pour les citoyens européens, qu’ils soient preneurs d’assurance ou victimes d’un accident. Elle présente aussi une importance majeure pour les entreprises d’assurances, puisqu’elle représente une grande partie des contrats d’assurance non-vie conclus dans [l’Union européenne]. L’assurance automobile a, par ailleurs, une incidence sur la libre circulation des personnes et des véhicules. Le renforcement et la consolidation du marché intérieur de l’assurance automobile devraient donc représenter un objectif fondamental de l’action [de l’Union] dans le domaine des services financiers. […] Il y a lieu de garantir aux victimes d’accidents de la circulation automobile un traitement comparable, quels que soient les endroits de [l’Union] où les accidents se sont produits ».

En outre, l’article 3 de cette directive, intitulé « Obligation d’assurance des véhicules », dispose que « Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa. Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que le contrat d’assurance couvre également : a) les dommages causés sur le territoire des autres États membres selon les législations en vigueur dans ces États ; […] L’assurance visée au premier alinéa couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels ».

La CJUE a, tout d’abord, jugé que cet article 3 doit être interprété en ce sens qu’il « s’oppose à une disposition d’un État membre en vertu de laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs ne couvre à titre obligatoire les dommages constitués par les frais de remorquage du véhicule endommagé que dans la mesure où ce remorquage a lieu sur le territoire de cet État membre. Cette constatation est sans préjudice du droit dudit État membre de limiter, sans recourir à des critères tenant à son territoire, le remboursement des frais de remorquage ».

La CJUE a, ensuite, décidé que cet article 3 « ne s’oppose pas à une disposition d’un État membre selon laquelle cette assurance ne couvre à titre obligatoire les dommages constitués par les frais de stationnement du véhicule endommagé que si le stationnement était nécessaire dans le cadre d’une enquête dans une procédure pénale ou pour toute autre raison, à la condition que cette limitation de couverture s’applique sans différence de traitement en fonction de l’État membre de résidence du propriétaire ou du détenteur du véhicule endommagé » (aff. C-707/19).

La décision s’inscrit dans la continuité de la politique législative et jurisprudentielle de l’Union tendant à assurer la protection accrue des victimes d’accidents causés par les véhicules automoteurs (v. en ce sens, CJUE 4 sept. 2018, Juliana, aff. C-80/17, EU:C:2018:661, pt 47, préc.), l’assurance de la responsabilité civile automobile facilitant « la libre circulation des personnes et des véhicules ». La Cour veille à garantir un traitement comparable des victimes des accidents causés par ces véhicules, quels que soient les endroits de l’Union où les accidents se sont produits (CJUE 23 oct. 2012, Marques Almeida, aff. C-300/10, EU:C:2012:656, pt 26 ; 20 juin 2019, Línea Directa Aseguradora, aff. C-100/18, EU:C:2019:517, pt 33, D. 2019. 1336 ; RTD eur. 2020. 404, obs. L. Grard ), ce que rappelle la décision du 20 mai 2021 une nouvelle fois.

L’étendue de l’obligation d’assurance en droit interne français, prévue à l’article L. 211-4 du code des assurances et imposant à l’assureur d’accorder les règles de couverture les plus favorables, ne devrait pas contrarier ce mouvement (v. A. Cayol, L’assurance automobile, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 374), malgré l’échec de l’harmonisation européenne du droit du contrat d’assurance automobile (P. Pailler, Manuel de droit européen des assurances, Bruylant, 2019, n° 130). À ce titre, en contrepartie du paiement d’une prime unique, l’assureur doit prendre en charge le risque de l’indemnisation des victimes d’un éventuel accident impliquant un véhicule, et ce quel que soit l’Etat membre sur le territoire duquel ce véhicule est utilisé et où cet accident se produit (CJUE 26 mars 2015, aff. C-556/13, RCA 2015. Étude 8, obs. N. Ciron). En outre, « le responsable de l’accident va bénéficier de la garantie la plus étendue, soit celle du lieu de l’accident, soit celle figurant dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit » (Lamy Assurances 2020, n° 2846 ; sur les règles de circulation internationale, nos 3072 s.). La doctrine souligne cependant que « la jurisprudence accorde une importance excessive à cette disposition. En effet, cette dernière a été prévue pour que les victimes bénéficient de la meilleure des garanties, celle du lieu de survenance de l’accident ou celle bénéficiant au responsable par le contrat qu’il a souscrit. Or, la jurisprudence considère également que l’on doit apprécier les conditions de garanties au regard de la législation étrangère » (ibid.).

En définitive, la CJUE tente de maintenir un subtil équilibre, acceptant que le champ de l’obligation d’assurance automobile soit limité à condition qu’il n’en résulte aucune discrimination. 

(Original publié par rbigot)

Les sociétés civiles de construction-vente (SCCV) sont des sociétés civiles disposant d’un statut particulier établi aux articles L. 211-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Il est remarquable que le premier texte de droit spécial les concernant fut historiquement un texte fiscal : l’article 28 de la loi n° 64-1278 du 23 décembre 1964 les excluant du champ d’application de l’impôt sur les sociétés.

C’est justement une question fiscale qui est à l’origine de l’affaire présentée devant la troisième chambre de la Cour de cassation le 12 mai 2021 opposant des associés d’une SCCV sur la fréquente question de la responsabilité civile du dirigeant.

Faits et procédure

L’associé majoritaire avait été désigné gérant, puis liquidateur amiable de la société courant 2007. Lorsque l’administration fiscale a notifié une proposition de rectification portant sur les revenus imposables de 2007 et 2008, les deux associés en ont été destinataires. Considérant que le redressement était la conséquence des manquements du gérant, l’associé minoritaire l’a assigné en réparation de son préjudice personnel.

La cour d’appel a accueilli favorablement cette demande. Elle a en effet considéré que le préjudice allégué ne se confondait pas avec celui de la société, condamnant le dirigeant à payer, à titre de dommages et intérêts, 33 998 € en réparation d’un préjudice financier et 5 000 € en réparation d’un préjudice moral.

Le gérant a naturellement formé un pourvoi contre cette décision arguant que l’action individuelle en responsabilité dont disposent les associés à l’encontre des dirigeants ne peut concerner que la réparation d’un préjudice personnel distinct de celui subi par la société. Selon le moyen, le préjudice subi en l’espèce par l’associé et son épouse n’est que le corolaire de celui atteignant la société et ne s’en distingue donc pas. Dès lors, il estime qu’ont été violés l’ancien article 1382 et l’article 1843-5 du code civil.

Il était donc demandé à la Cour de cassation de statuer sur l’existence d’un préjudice personnel distinct de celui de la société au cas d’un redressement fiscal frappant l’associé d’une société causé par les manquements du gérant devenu liquidateur

La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que l’associé a bien subi un préjudice personnel, constitué par l’application de pénalités et intérêts de retard et la nécessité de trouver un financement pour faire face au redressement fiscal. Elle relève en outre que ce préjudice est en lien direct avec les fautes du gérant.

L’arrêt est l’occasion de revenir sur des marottes tant du droit fiscal que du droit des sociétés.

Sous l’angle du droit fiscal

Le régime fiscal de la SCCV est particulier. En dépit de son activité de construction d’immeubles en vue de leur revente qui s’apparente à une opération de type commerciale, elle échappe à l’article 206, 2°, du code général des impôts qui soumet à l’impôt sur les sociétés les sociétés civiles qui se livrent à une activité commerciale. La SCCV relève en effet de l’article 239 ter du code général des impôts. Ainsi, elle est soumise au même régime que la société en nom collectif. Elle n’a pas la qualité de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Rouquet)
image

Encore une demande d’indemnisation d’un passager contre une compagnie aérienne sur le fondement du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 ! Une fois n’est pas coutume, le passager n’obtient pas gain de cause. La Cour de justice de l’Union européenne vient, en effet, de juger que le simple déroutement d’un vol vers un aéroport proche n’ouvre pas droit à indemnisation. La solution adoptée, justifiée juridiquement mais également dictée par le bon sens, mérite être approuvée, même si elle n’allait pas totalement de soi, car la Cour de cassation française a rendu il y a peu une solution divergente (Civ. 1re, 17 févr. 2021, n° 19-21.362, D. 2021. 421 ).

Les faits de l’espèce méritent d’être relatés. Un passager de la compagnie Austrian Airlines réclame à celle-ci une indemnisation forfaitaire de 250 €, en raison du déroutement de son vol au départ de Vienne (Autriche) et à destination de Berlin (Allemagne). Ce montant est celui prévu par l’article 7, § 1er, sous a) du règlement (CE), n° 261/2004 en cas d’annulation (ou de retard important, soit trois heures ou plus à l’arrivée) de vol de 1 500 kilomètres ou moins. En effet, alors que ce vol devait initialement atterrir à l’aéroport de Berlin Tegel, ce vol a finalement atterri à l’aéroport de Berlin Schönefeld avec presque une heure de retard. Austrian Airlines n’a pas proposé au passager de transport complémentaire ni de prendre en charge les frais de transfert entre ces deux aéroports. Alors que l’aéroport de Berlin Tegel est situé dans le Land de Berlin, l’aéroport de Berlin Schönefeld est situé dans le Land voisin du Brandebourg. Austrian Airlines fait valoir que le simple déroutement vers un aéroport proche n’ouvre pas droit, comme une annulation ou un retard important à l’arrivée (trois heures ou plus), à l’indemnisation forfaitaire prévue par l’article 7, § 1er, du règlement. De plus, toujours selon cette compagnie aérienne, le retard était dû à des circonstances extraordinaires, à savoir des problèmes météorologiques importants survenus lors de l’antépénultième rotation de l’avion. Or, si le transporteur aérien établit l’existence de pareilles circonstances, il est dispensé de verser, en application de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Delpech)
image

On sait que la motivation dite « enrichie » des arrêts de la Cour de cassation accompagne les revirements de jurisprudence (Rép. civ., v° Jurisprudence, par P. Deumier, n° 75). Le contexte des arrêts rendus le 19 mai 2021 par la première chambre civile est celui d’une véritable fresque jurisprudentielle, laquelle repose sur plusieurs revirements en droit administratif, en droit civil et en droit pénal prenant comme point de départ un sujet original, l’épilation définitive par lumière pulsée. Rappelons-en brièvement le contexte, comme l’a d’ailleurs fait de manière très pédagogue la Cour de cassation dans les arrêts commentés. La pratique de l’épilation est, en tout état de cause, normalement réservée aux médecins depuis 1962 (art. 2, 5°, de l’arr. du 6 janv. 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins) sauf pour l’épilation à la pince et à la cire. Mais de nouveaux modes d’épilation définitive sont apparus à la fin du XXe siècle, notamment l’épilation laser et par lumière pulsée. Ce dernier mode consiste à ce que la lumière dirigée sur un poil brûle sa zone de croissance et empêche sa repousse. On comprend donc que le geste n’est pas forcément anodin et les médecins dermatologues ont alors défendu l’idée qu’il s’agissait d’un véritable acte nécessitant des connaissances aiguës de santé qu’ils étaient les seuls à posséder. Voici donc le point de départ de toute cette question puisque l’article L. 4161-1 du code de la santé publique implique que toute personne pratiquant l’un des actes professionnels prévus par l’arrêté susmentionné sans être titulaire du diplôme exerce illégalement la médecine.

Dans ce cadre, la Cour de cassation a pu déduire que la pratique de l’épilation au laser et à la lumière pulsée était un cas d’exercice illégal de la médecine (Crim. 8 janv. 2008, n° 07-81.193, Lebon ; AJDA 2020. 713  ; 13 sept. 2016, n° 15-85.046, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2017. 353, obs. P. Mistretta ). Tout ceci n’était pas une difficulté tant que le Conseil d’État admettait que ces actes d’épilation étaient réservés aux médecins (CE 28 mars 2013, M. C…, req. n° 348089, Lebon ). Toutefois, le Conseil d’État a ensuite annulé la décision de refus implicite du ministre des Solidarités et de la Santé d’abroger les dispositions de l’article 2, 5°, de l’arrêté précédemment cité réservant aux médecins la possibilité d’épiler au laser et à la lumière pulsée (CE 8 nov. 2019, M. Z… et SELARL Docteur Dominique Debray, req. n° 424954, Lebon ; AJDA 2020. 713 ). La Cour de cassation a alors pu retenir que les personnes pratiquant de telles épilations sans être médecins ne pouvaient pas être condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, Dalloz actualité, 14 mai 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 881 ; RSC 2020. 387, obs. P. Mistretta ). Sur le plan pénal, tout était réglé par cet important revirement de jurisprudence accueilli de manière bienveillante par la doctrine. Mais sur le plan civil, subsistait une question : pouvait-on toujours annuler les contrats ayant pour objet de telles épilations pour objet illicite ? L’interrogation pouvait subsister même si la négative semblait l’emporter.

C’est dans ce contexte que les deux arrêts commentés interviennent, lesquels ont le même point de départ. Une personne souhaitait ouvrir un institut d’esthétique pour pratiquer notamment des épilations. Elle a ainsi conclu un contrat de franchise avec la société D…, laquelle proposait des méthodes d’épilation par lumière pulsée. Le droit d’entrée s’élevait à 28 400 € dans la première espèce, 52 800 € dans la seconde. Coup de théâtre : le franchisé décide d’attaquer le franchiseur pour nullité du contrat pour objet illicite et indemnisation du préjudice subi. En réalité, la demande de nullité était liée à un problème de financement que le franchisé n’avait pas pu obtenir. La nullité était un moyen de sortir du lien contractuel. Dans la première affaire (pourvoi n° 19-25.749), le tribunal de commerce de Nice refuse de faire droit à la demande, si bien que le franchisé interjette appel de ce jugement. La cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse d’annuler le contrat à son tour. Le franchisé se pourvoit alors en cassation en s’appuyant sur l’article L. 4161-1 du code de la santé publique. Dans la seconde affaire (pourvoi n° 20-17.779), la même cour d’appel annule les contrats de franchise intéressés par ce mode d’épilation au motif « qu’en 2014, l’épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, tout mode d’épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins ». C’est donc la société D… qui se pourvoit en cassation en l’espèce.

Dans une longue motivation, dite enrichie, la Cour de cassation confirme sa nouvelle position en refusant d’annuler les contrats de franchise pour objet illicite, alignant ainsi les jurisprudences civiles et pénales eu égard au revirement de jurisprudence intervenu en mars 2020 applicable aux contrats en cours. Elle rejette, ce faisant, le pourvoi n° 19-25.749 et elle casse et annule l’arrêt des juges du fond dans l’affaire n° 20-17.779. Les solutions convergent vers une nouvelle ligne directrice, source de clarté pour le droit positif des franchises en matière d’épilation définitive par lumière pulsée.

L’alignement opportun des jurisprudences en matière civile et pénale

La société D… – présente dans les deux arrêts – avec laquelle la personne physique exploitant l’institut d’esthétique a conclu son contrat de franchise était la même société qui avait été demanderesse au pourvoi dans l’important revirement de jurisprudence en matière pénale cité précédemment (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, préc.). En décidant qu’« il y a lieu de revenir sur la jurisprudence antérieure et de considérer que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) [art. 49 et 56, ndlr] », la chambre criminelle avait fondé sa motivation sur la liberté d’établissement et la libre prestation des services. Un auteur avait pu noter qu’« il faut certainement saluer la clairvoyance et le réalisme ayant animé les magistrats de la chambre criminelle qui permettent enfin de redéfinir un tant soit peu les contours d’une incrimination très complexe et tarabiscotée » (P. Mistretta, Exercice illégal de la médecine et épilation au laser : un revirement à rebrousse-poil, RSC 2020. 387 , dernier paragraphe). Bien évidemment, la solution n’avait rien d’évident à l’époque et un revirement était essentiel pour clarifier la question remise en cause jusqu’au niveau de l’exécutif qui envisageait un décret pour encadrer la pratique de telles épilations par des instituts d’esthétique. L’exercice illégal de la médecine était donc bien éloigné du sujet. 

La solution retenue dans ces deux arrêts rendus par la première chambre civile du 19 mai 2021 tire les constats sur le plan civil en refusant d’annuler les contrats passés dans l’optique de la pratique de telles épilations par des personnes qui ne sont pas médecins. En refusant l’annulation du contrat de franchise, la Cour de cassation aligne ainsi de manière opportune les jurisprudences en tirant toutes les conséquences de son revirement de jurisprudence antérieur. L’objet du contrat – ou son contenu – n’est pas illicite puisqu’aucune infraction d’exercice illégal de la médecine n’est constituée en l’état eu égard à la jurisprudence de mars 2020. La lecture de l’arrêt d’appel dans la première affaire est instructive sur le refus de la nullité demandée par le franchisé. L’un des piliers de l’argumentation des juges du fond était que, « d’ailleurs, de nombreux centres d’épilations à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » (nous soulignons). L’argumentation sur l’objet illicite était donc très difficile à tenir dans ce cadre précis, en dépit d’une notion d’objet du contrat « protéiforme » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 586, n° 505).

Le droit des contrats s’en trouve alors précisé puisque cette nouvelle interprétation s’applique immédiatement aux contrats en cours.

Application aux contrats en cours de la licéité de l’opération

Dans le paragraphe n° 11 commun aux deux affaires, l’arrêt rendu par la première chambre civile précise ainsi que « cette évolution de jurisprudence s’applique immédiatement aux contrats en cours, en l’absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d’un droit d’accès au juge » (nous soulignons). On reconnaît l’expression de plusieurs arrêts désormais bien connus du droit privé (Civ. 1re, 9 oct. 2001 n° 00-14.564, D. 2001. 3470, et les obs. , rapp. P. Sargos , note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages  ; 21 mars 2000, n° 98-11.982, D. 2000. 593 , note C. Atias ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 666, obs. N. Molfessis ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc  ; plus récemment, Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-16.964, Dalloz actualité, 14 déc. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 2284 ; RDI 2021. 143, obs. H. Heugas-Darraspen ). Véritable profession de foi de la Cour de cassation (Rép. civ., v° Jurisprudence, art. préc., n° 120), l’expression permet de justifier l’application aux contrats en cours du revirement posé par la haute juridiction. Ceci explique notamment la présence de l’article 6, § 1er, de la Convention dans le visa de l’arrêt de cassation commenté. C’est une solution bienvenue puisque le contentieux opposant les cocontractants, dont l’un agit en nullité pour objet illicite, sait depuis l’acte introductif d’instance que l’hésitation est telle qu’un revirement était tout à fait envisageable par la Cour de cassation tant le fondement juridique de l’exercice illégal de la médecine était discuté.

L’absence d’annulation par les juges du fond pour objet illicite était ainsi clairvoyante dans la première affaire de ce changement de position inéluctable pour aligner les solutions entre le droit administratif et le droit civil, puis entre le droit pénal et le droit privé. Il faudra un certain temps toutefois pour purger le droit des situations où une demande de nullité avait été introduite antérieurement aux revirements intervenus, comme c’est le cas dans la seconde espèce. Quand la Cour de cassation voyait dans ces pratiques un cas d’exercice illégal de la médecine, la nullité pour objet illicite du contrat de franchise était tout à fait pertinente, dans le même esprit d’harmonisation des jurisprudences. L’application immédiate permettra d’aligner les solutions en la matière, ce qui est garant d’un droit interprété de manière uniforme. L’uniformité de la jurisprudence est, en ce sens, un des rôles de la Cour de cassation (M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier et J. Buk Lament, La technique de cassation, 9e éd., Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2018, p. 113).

On sait qu’antérieurement à l’ordonnance n° 2016-131, l’objet et la cause étaient les instruments du contrôle de la licéité de l’opération contractuelle désormais assuré par l’article 1162 nouveau (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018, p. 68, n° 123.193). Avant ou après la réforme, la solution sera donc la même en dépit du remplacement de vocables précisant les contours de la notion (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Hors collection », 2018, p. 348, n° 402). Voici donc une solution commune qui permet de sauvegarder des conventions et donc leur force obligatoire en l’absence de toute violation d’une norme légale. Bien évidemment, la solution inverse aurait été maintenue si l’exercice illégal de la médecine était toujours de mise. Tout est ici une question d’équilibre, quelque peu délicat à maintenir compte tenu des enjeux d’une question sujette à controverse entre les médecins et les instituts d’esthétique. Sur le plan du droit, toutefois, ces solutions sont garantes d’uniformité.

(Original publié par chelaine)
image

La loi n° 2019-775 a déjà transposé l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 en créant un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (v. comm. de T. Azzi, Dalloz IP/IT 2020. 61 ). À moins d’un mois de la date limite de transposition, fixée au 7 juin 2021, la présente ordonnance, prise en application de l’article 34 de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) du 3 décembre 2020, introduit au sein du code de la propriété intellectuelle d’autres dispositions phares du texte européen.

Contrefaçon : responsabilité des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne

Les articles 1er à 3 de l’ordonnance du 12 mai reprennent le très controversé article 17 de la directive aux termes duquel les « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » peuvent être responsables des contenus contrefaisants téléversés par leurs utilisateurs (v. F. Pollaud-Dulian, Téléversement et responsabilité des prestataires de services de l’Internet : encore et toujours l’article 17 de la directive n° 2019/790, RTD com. 2021. 77  ; P. Sirinelli, Le nouveau régime applicable aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, Dalloz IP/IT 2019. 288  ; C. Alleaume, L’article 17 de la directive [UE] 2019/790 : une [fragile] responsabilité des fournisseurs de service de partage en ligne de contenus protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin, Légipresse 2019. 530 ).

Notion de « fournisseur de services de partage de contenus en ligne »

Le fournisseur d’un service de partage de contenus en ligne est, selon la définition de l’article 2.6 de la directive reprise au nouvel article L. 137-1 du code de la propriété intellectuelle, « la personne qui fournit un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public accès à une quantité importante d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par ses utilisateurs, que le fournisseur de service organise et promeut en vue d’en tirer un profit, direct ou indirect ». Le critère de « quantité importante » sera précisé par un décret en Conseil d’État.

Sont expressément exclus :

les encyclopédies en ligne à but non lucratif ;
 les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif ;
 les plateformes de développement et de partage de logiciels libres ;
 les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 ;
 les fournisseurs de places de marché en ligne ;
Lire la suite
image

En l’espèce, une banque a consenti à une société des prêts garantis par plusieurs cautionnements. Las, le 3 avril 2015, la société débitrice est placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire par un jugement de conversion du 15 juillet 2015. La banque a, par la suite, assigné les cautions en paiement et a obtenu gain de cause en première instance et en appel.

Pour la cour d’appel, si la déclaration de créance de la banque était irrégulière pour défaut de pouvoir, la condamnation des cautions au paiement était néanmoins justifiée. En effet, selon les juges du fond, la défaillance du créancier dans la déclaration n’a pas pour effet d’éteindre la dette, mais simplement d’exclure le créancier des dividendes et des répartitions dans le cadre de la procédure collective. Or, cette exclusion des répartitions et dividendes ne constitue pas une exception inhérente à la dette susceptible d’être opposée par la caution pour se soustraire de son engagement.

Les cautions ont formé un pourvoi en cassation en se prévalant notamment de l’irrégularité supposée de la déclaration de créance de la banque, laquelle emporterait, selon les demanderesses au pourvoi, l’extinction de la créance et donc de la sûreté qui la garantissait.

Cette argumentation ne convaincra pas la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. La Haute juridiction rappelle d’abord que le juge du fond, qui statue dans l’instance en paiement opposant le créancier à la caution du débiteur principal à l’égard duquel a été ouverte une procédure collective, ne fait pas application de l’article L. 624-2 du code de commerce. Il en résulte que la décision par laquelle le juge du cautionnement retient que la déclaration de créance est irrégulière ne constitue pas une décision de rejet de cette créance, entraînant, dès lors, l’extinction de celle-ci et la libération de la caution.

Cela étant, si le pourvoi est rejeté, la Cour de cassation opère par une substitution de motifs à ceux attaqués par les cautions. Le procédé est louable. Si la solution à laquelle aboutissait la cour d’appel devait être conservée, le raisonnement employé par les juges du fond était, quant à lui, critiquable. Pour la Haute juridiction, la cour d’appel s’est prononcée à tort sur la régularité de la déclaration de créance en la jugeant irrégulière pour défaut de pouvoir. Or, en l’espèce, s’il n’existait pas de décision du juge-commissaire admettant la créance, il n’existait pas davantage de décision de ce juge la rejetant, dont la caution eût pu se prévaloir. Dès lors, puisque le juge compétent ne s’était pas prononcé sur la régularité de la déclaration de créance, la condamnation en paiement des cautions était légalement justifiée sans qu’il fût besoin d’en rechercher d’autres fondements.

Compétence exclusive du juge-commissaire pour statuer sur la régularité de la déclaration

Ce dernier aspect de la décision ne mérite pas plus de développements. Nous savons que le juge-commissaire a compétence exclusive pour connaître des discussions portant sur la régularité des créances déclarées (Com. 26 mars 2013, n° 11-24.148 NP, D. 2013. 2363, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ). Or, si la créance n’a pas été rejetée par le juge-commissaire, celle-ci ne peut être éteinte par la décision d’un autre magistrat, en l’occurrence, le juge du cautionnement, s’étant octroyé à tort une compétence qui n’était pas la sienne.

L’une des formules employées par la Cour de cassation au sein de l’arrêt ici rapporté retiendra plus particulièrement notre attention.

Il s’agit de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par bferrari)

D’ici un mois, les demandes de clémence déposées par des opérateurs ayant participé à une pratique anticoncurrentielle devront se conformer aux exigences imposées par le décret publié le 12 mai dernier (v. notre brève). Principaux éléments à retenir.

À qui faut-il adresser sa demande ?

Soit au directeur de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), soit au rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, mentionne le décret. La demande peut être adressée :

par LRAR ;
 via « une plateforme d’échanges sécurisés de documents électroniques ;
 oralement ;
 ou par tout autre moyen approprié prévu par l’administration ou par l’Autorité de la concurrence ».

Un accusé de réception faisant figurer la date et l’heure effectives de cette réception est adressé au demandeur (C. com., art. R. 464-5).

Quelles sont les conditions à remplir pour obtenir une exonération ?

Elles sont nombreuses. Tout d’abord, l’opérateur doit cesser sans délai et au plus tard immédiatement après avoir déposé sa demande sa participation à la pratique litigieuse. Participation qu’il doit bien entendu révéler à l’Autorité ou à l’administration.

Comment obtenir l’exonération totale ?

Pour obtenir une exonération totale, il est nécessaire en plus d’être le premier… Le décret évoque alors deux cas de figure. L’opérateur doit fournir ainsi, avant d’autres entités, des éléments d’information qui :

• soit permettent, au moment où la DGCCRF ou l’Autorité de la concurrence reçoivent sa demande, « de procéder à des opérations de visite et de saisie ou à des perquisitions dans le cadre d’une procédure pénale en rapport avec la pratique en cause ». Attention, ce critère ne sera pas rempli si ces autorités étaient « déjà en possession des éléments d’information qu’elles estiment suffisants pour permettre de procéder à de telles opérations de visite et de saisie » ou que de telles opérations ont déjà eu lieu,

• « soit sont suffisants pour permettre à l’Autorité de la concurrence d’établir l’existence de la pratique en cause ». Si, au contraire, la DGCCRF ou l’Autorité de la concurrence ont déjà en leur possession des éléments d’information leur permettant d’établir l’existence de la pratique litigieuse et qu’un autre demandeur remplit déjà les conditions de l’exonération totale, elle ne sera pas accordée (C. com., art. R. 464-5-1).

Et l’exonération partielle ?

Quant à l’exonération partielle d’amende, l’Autorité ou l’administration attend du demandeur qu’il fournisse « des éléments d’information qui comportent une valeur ajoutée significative afin d’établir l’existence de la pratique en cause, par rapport à ceux qui se trouvent déjà en [leur] possession ». Élément important, « lorsqu’un demandeur est le premier à fournir des éléments d’information décisifs permettant à l’Autorité d’établir des éléments de fait supplémentaires conduisant à une augmentation des sanctions pécuniaires infligées aux participants à la pratique en cause par rapport à celles qui auraient été infligées en l’absence de ces éléments, l’Autorité de la concurrence ne le prend pas en compte pour déterminer le montant de la sanction infligée au demandeur ayant fourni ces éléments d’information » (C. com., art. R. 464-5-2).

Il est possible de demander à l’Autorité ou à l’administration d’établir une place dans l’ordre d’arrivée en vue de bénéficier de ces exonérations totales ou partielles. Le rapporteur ou le directeur de la DGCCRF donne dans ce cas un délai au demandeur pour fournir les informations requises, informations qui seront ensuite considérées comme ayant été déposées au jour de la réception de la demande (C. com., art. R. 464-5-3).

Y a-t-il d’autres conditions ?

Le décret liste encore plusieurs conditions de coopération avec les autorités de concurrence ou d’absence de destruction, de falsification de documents ainsi que de révélation de la démarche engagée pour obtenir la clémence (C. com., art. R. 464-5-4).

Enfin est envisagé le cas de la demande adressée à l’Autorité de la concurrence lorsque la même démarche a aussi été faite à la Commission européenne, en cas de pratique anticoncurrentielle couvrant le territoire de plus de trois États membres de l’Union européenne. Dans ce cas, une « demande sommaire » peut être envoyée à l’Autorité française (art. R. 464-5-5).

Les dispositions du décret entrent en vigueur le 12 juin 2021.

 

Éditions Législatives, édition du 19 mai 2021

(Original publié par Bley)

L’article L. 643-11, I, du code de commerce dispose que « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur » (v. à ce sujet P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, nos 1276 s.). Il existe toutefois des exceptions à ce principe, l’une des plus évidentes étant celle prévue par le II du même texte qui dispose, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, que « les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s’ils ont payé à la place de celui-ci » (comp. anc. art. L. 643-11, II : « Toutefois, la caution ou le coobligé qui a payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci » ; sur l’évolution de ce texte, v. J.-D. Pellier, La poursuite de la construction d’un régime des sûretés pour autrui. À propos de la modification de l’article L. 643-11 du code de commerce par l’ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014. 1054 ). On sait en effet que la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif n’affecte pas la dette, mais seulement le droit de poursuite du créancier à l’égard du débiteur principal. Le créancier peut donc toujours poursuivre le garant (v. en ce sens Com. 8 juin 1993, n° 91-13.295 : « Mais attendu que, si, en application de l’article 169 de la loi du 25 janvier 1985, les créanciers ne recouvrent pas l’exercice individuel de leur action contre le débiteur dont la liquidation judiciaire a fait l’objet d’une clôture pour insuffisance d’actif, ils conservent, la dette n’étant pas éteinte, le droit de poursuite à l’encontre de la caution du débiteur ; qu’il en est ainsi quoique le droit, subsistant, de la caution à subrogation, ne puisse s’exercer, sauf dans les cas prévus aux articles 169, alinéa 2, et 170 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel a exactement décidé que, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de la société pour insuffisance d’actif, Mme X était tenue envers la banque en vertu du cautionnement par elle contracté ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé »). En conséquence, il est logique (et juste) de permettre au garant solvens d’exercer un recours contre le débiteur, et ce que le paiement soit intervenu antérieurement ou postérieurement à l’ouverture de la procédure collective et qu’il s’agisse d’un recours personnel ou subrogatoire (v. en ce sens Com. 28 juin 2016, n° 14-21.810, Dalloz actualité, 22 juill. 2009, obs. X. Delpech : « Mais attendu qu’ayant exactement énoncé que l’article L. 643-11, II du code de commerce, qui autorise la caution qui a payé à la place du débiteur principal à le poursuivre, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de celui-ci pour insuffisance d’actif, ne distingue pas selon que ce paiement est antérieur ou postérieur à l’ouverture de la procédure collective, ni suivant la nature, subrogatoire ou personnelle, du recours exercé par la caution, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la société Interfimo remplissait les conditions prévues par ce texte »). Comme l’a justement souligné une éminente doctrine, « il serait en effet injuste que celui-ci [le garant] supporte définitivement le poids d’une dette qui n’est pas originellement la sienne alors que le débiteur serait revenu à meilleure fortune » (P. Le Cannu et D. Robine, op. cit., n° 1290). Toutefois, le domaine de cette exception doit être strictement limité au recours que peut exercer le garant solvens à l’encontre du débiteur et de lui seul, du moins en principe, ainsi que nous l’enseigne le chambre commerciale dans un arrêt du 5 mai 2021. En l’espèce, une banque a consenti des prêts à une société civile immobilière (SCI), pour lesquels se sont rendus cautions M. et Mme R…, ainsi qu’une société. Les 14 décembre 2010 et 17 janvier 2012, la liquidation judiciaire qui avait été prononcée à l’égard d’une autre société le 26 octobre 2010 a été étendue à M. R… puis à la SCI débitrice. Après l’admission au passif de la liquidation des créances de la banque, la société caution a réglé à cette dernière la totalité des sommes garanties. Puis, à la suite de la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire étendue, la caution solvens a déposé une requête auprès du président du tribunal de la procédure pour obtenir un titre exécutoire contre M. R…, en application de l’article L. 643-11, II, du code de commerce.

La cour d’appel d’Angers déclare cette demande irrecevable dans un arrêt du 28 janvier 2020, au motif qu’« elle ne peut soutenir agir sur le fondement de l’article L. 643-11, II, contre le cofidéjusseur qui ne constitue pas le débiteur pour qui elle a réglé en conséquence de l’engagement de caution consenti. Le fait que M. C… ait été par extension en liquidation judiciaire avec la SCI California n’a pas eu pour conséquence de faire disparaître la personnalité juridique de chacun des débiteurs et l’action fondée sur l’article L. 643-11, II, ne peut davantage être engagée à l’encontre de M. C…, qui reste distinct du seul débiteur au regard de ce texte : la SCI California » (Angers, 28 janv. 2020, n° 18/00214). Naturellement, la caution s’est pourvue en cassation, mais en vain, la cour régulatrice considérant que « l’article L. 643-11, II, du code de commerce, qui autorise les coobligés et personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à poursuivre le débiteur après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, s’ils ont payé à la place de celui-ci, ne permet pas à la caution qui a acquitté la dette principale d’exercer dans les conditions prévues par ce texte un recours contre un cofidéjusseur, en application de l’article 2310 du code civil, à moins que le patrimoine de celui-ci soit confondu avec celui du débiteur principal, ce qui n’est pas le cas » (pt 6) et qu’en conséquence, « le moyen qui postule le contraire n’est donc pas fondé » (pt 7).

La solution repose sur une interprétation littérale de l’article L. 643-11, II, du code de commerce. Aux termes de ce texte, c’est en effet « le débiteur » que le garant solvens peut poursuivre et non son cofidéjusseur (sur cette notion, v. J. Mestre, Les cofidéjusseurs, Dr. et patr., janv. 1998, p. 66 et avr. 1998, p. 64). Il est certes fait exception à ce principe, comme le précisent les hauts magistrats, dans l’hypothèse où le patrimoine de ce dernier se confondrait avec celui du débiteur principal (sur la confusion des patrimoines, v. F. Reille, La notion de confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures collectives, préf. P. Pétel, Litec, coll. « Bibliothèque de droit de l’entreprise », t. 74, 2007 ; v. égal. A. Bézert, Les effets de l’extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines, préf. P. Pétel, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté », t. 21, 2021). Mais tel n’était manifestement pas le cas en l’occurrence (on suppose donc que l’extension de la procédure résultait de la fictivité de la personne morale).

La solution est toutefois sévère à l’endroit du garant (qu’il s’agisse de la caution, comme en l’espèce, ou d’un autre garant, personnel ou réel). Le recours de celui-ci à l’égard du débiteur principal est en effet bien souvent illusoire (v. en ce sens P. Le Cannu et D. Robine, op. cit., n° 1290). L’empêcher de l’exercer à l’égard d’un cofidéjusseur peut dès lors paraître injuste. Au demeurant, sur le plan technique, l’argument avancé au soutien du pourvoi n’était pas dénué de pertinence, tant s’en faut. Il était soutenu « qu’indépendamment de la confusion des patrimoines, le caractère accessoire du cautionnement implique que la notion de débiteur au sens de l’article L. 643-11, II, du code de commerce, soit dans le cadre d’une poursuite engagée au terme d’une procédure de liquidation judiciaire, inclue la caution du débiteur principal ; qu’au cas présent, la cour d’appel a déclaré irrecevable la demande de paiement de la CEGC [Compagnie européenne de garanties et cautions] aux motifs qu’à défaut de démontrer la confusion des patrimoines de la société California et de M. R…, ce dernier ne pouvait être considéré comme le débiteur au sens de l’article L. 643-11 du code de commerce ; qu’en ayant exclu cette qualification en dépit du caractère accessoire du cautionnement dont il résulte une unicité de la dette, la cour d’appel a violé les articles L. 643-11 et R. 643-20 du code de commerce et l’article 2306 du code civil » (pt 5). Abstraction faite de la référence au caractère accessoire du cautionnement, qui nous semble contestable, il est en effet possible de soutenir que les cofidéjusseurs sont tenus, aux côtés du débiteur principal, de la même dette (sur l’unicité de la dette en matière de cautionnement, v. J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation. Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 539, 2012, nos 157 s.). Par conséquent, le paiement de cette dette devrait permettre au solvens d’agir non seulement contre le débiteur principal, mais également contre ses cofidéjusseurs, et ce en dépit de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. Un tel recours serait d’ailleurs mesuré puisque l’article 2310 du code civil prévoit, en son alinéa 1er, que, « lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion » (comp. avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 décembre 2020, art. 2316 : « En cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part »).

(Original publié par jdpellier)

On se souvient que la cour d’appel de Grenoble avait rendu un arrêt au fond le 5 novembre 2020 (Grenoble, 5 nov. 2020, n° 16/04533, Dalloz actualité, 4 déc. 2020, obs. M. Pagès et S. Torrent), mais dans le contexte très particulier d’une résidence de tourisme et avec une motivation pour le moins succincte : « le bailleur n’a pas manqué à ses obligations contractuelles » qui avait laissé les commentateurs sur leur faim.

Il aura fallu attendre plus de six mois pour qu’une nouvelle décision de cour d’appel intervienne au fond, mais l’attente est récompensée. La cour d’appel de Versailles a rendu le 6 mai 2021 un arrêt important, même s’il intervient aussi dans le contexte particulier d’une procédure collective (Versailles, 12e ch., 6 mai 2021, n° 19/08848). Ce n’est pas tant par le rejet de la force majeure, inapplicable à « une obligation contractuelle de sommes d’argent », dit la cour, ou par celui de l’exception d’inexécution, « la délivrance du local par le bailleur n’étant pas contestée et l’impossibilité d’exploitation étant sans lien avec le local lui-même » que cet arrêt se distingue.

Non, si cet arrêt est remarquable, c’est en ce qu’il écarte le jeu de l’article 1722 du code civil, qui prévoit la destruction en totalité ou partiellement de la chose louée pendant la durée du bail aux motifs qu’« il n’est pas contesté qu’en l’espèce le bien loué n’est détruit ni partiellement ni totalement ; il n’est pas davantage allégué qu’il souffrirait d’une non-conformité, l’impossibilité d’exploiter du fait de l’état d’urgence sanitaire s’expliquant par l’activité économique qui y est développée et non par les locaux, soit la chose louée en elle-même. L’impossibilité d’exploiter durant l’état d’urgence sanitaire est de plus limitée dans le temps, ce que ne prévoit pas l’article 1722 du code civil, lequel ne saurait être appliqué en l’espèce ».

Ainsi, les juges d’appel rendent une décision qui fera date, car très motivée et en opposition complète avec les dernières décisions, en référé ou devant le juge de l’exécution, rendues sur le moyen de la perte de la chose louée.

La même Cour, le même jour, mais dans sa formation des référés, jugeait au contraire que « l’interdiction de recevoir du public dans son établissement en raison de cette situation de force majeure est aussi susceptible d’être assimilée à une perte partielle de la chose louée pendant les périodes susvisées au sens de l’article 1722 du code civil dès lors qu’il n’est pas contesté par [le bailleur] que son preneur était alors dans l’impossibilité d’y exercer son activité conformément à la destination prévue au contrat » (Versailles, réf., 6 mai 2021, n° 20/04284).

Sa voisine, la cour d’appel de Paris, vient aussi de rendre deux arrêts au même motif que « la destruction de la chose louée peut s’entendre d’une perte matérielle de la chose louée mais également d’une perte juridique, notamment en raison d’une décision administrative et que la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose. En l’espèce, il est constant qu’en raison de l’interdiction de recevoir du public la société (preneuse) a subi une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l’absence de toute faute du bailleur étant indifférente » (Paris, réf., 12 mai 2021, nos 20/16820 et 20/17489, étant précisé qu’un troisième arrêt n° 20/14094 est intervenu le même jour, cette fois en faveur des bailleurs, faute pour le preneur d’avoir invoqué ce moyen ; v. déjà, dans le même sens, TJ Paris, JEX, 14 mai 2021, n° 20/81457).

En réalité, toutes ces jurisprudences se contredisent sur une ligne de fracture qui peut se résumer ainsi :

• soit la chose louée est vue dans son état exclusivement physique, matériel et il est alors clair que cet état n’a pas été affecté par la crise sanitaire. Il n’y a donc aucune raison de ne pas payer le loyer, contrepartie à la mise à disposition qui est bien assurée de ce local,

• soit cette chose louée est davantage appréciée en considération de sa finalité, de sa destination, et il est alors tout aussi logique que, faute pour le preneur d’exercer cette destination, son activité, il n’en assume pas la contrepartie qui est ce loyer.

Est-ce que la Cour de cassation adoptera le même cheminement qu’en matière d’obligation de délivrance où elle est passée de la mise à disposition d’une chose conforme à un état convenu, à la mise en capacité du preneur à exercer son activité économique (v. M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, L’Harmattan, 2021) pour donner raison aux preneurs ? Rien n’est moins sûr tant son approche par exemple de la commercialité d’une galerie marchande est traditionnellement fixée sur les seules caractéristiques matérielles de la chose louée.

Ce qui est certain, en revanche, est que la schizophrénie des juges va se poursuivre tant que notre haute juridiction n’aura pas tranché ce point fondamental du droit des baux commerciaux.

Il reste enfin la question du caractère temporaire de cette perte, qui anime aussi les débats, alors qu’elle a pourtant été tranchée depuis longtemps par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 29 novembre 1965 (Civ. 1re, 29 nov. 1965, Bull. civ. I, n° 655), elle a approuvé les juges du fond d’avoir décidé « qu’en vertu de l’article 1722 du code civil, [le preneur] était en droit d’exiger [du bailleur] le remboursement d’une partie du prix de la location parce qu’à la suite d’un arrêté municipal, il avait été “dans l’impossibilité d’utiliser [la chose louée] pendant une certaine période” ».

(Original publié par Rouquet)
image

Faits litigieux et procédure

La société Moulinsart, détentrice des droits d’auteur patrimoniaux d’Hergé, avait constaté qu’un artiste-peintre, monsieur Xavier Marabout, offrait à la vente et commercialisait sur son site internet des peintures reproduisant et adaptant des personnages de l’œuvre Les aventures de Tintin, dans une ambiance « hopperienne », et ceci sans aucune autorisation.

Estimant que ces actes constituaient des faits de contrefaçon, la société Moulinsart avait mis en demeure ce dernier de cesser ses agissements, mais en vain, celui-ci ayant notamment invoqué l’exception de parodie.

Par conséquent, la société Moulinsart, aux côtés de laquelle est intervenue la titulaire des droits moraux d’Hergé, a donc assigné M. Marabout en contrefaçon et subsidiairement en concurrence déloyale et parasitaire.

Questions liminaires

Afin de savoir si l’exception de parodie, qui est une exception au monopole du droit d’auteur peut trouver à s’appliquer en l’espèce, encore faut-il qu’il y ait des droits d’auteur.

Il paraît donc tout à fait naturel que le tribunal commence par rechercher si le personnage de Tintin et les autres personnages tels que le capitaine Haddock ou Milou, pris en tant qu’œuvres séparables de l’œuvre originelle, sont originaux au sens du droit d’auteur. La deuxième chambre civile considère à bon droit que ces personnages bénéficient de la protection du livre premier du code de la propriété intellectuelle.

Dans le même sens et à juste titre, le tribunal rejette l’exception d’irrecevabilité et juge que la société demanderesse a qualité à agir en contrefaçon en l’état de la cession à son profit des droits d’auteur patrimoniaux d’Hergé (notamment des droits de reproduction, d’adaptation et de représentation de l’œuvre Les aventures de Tintin, à l’exclusion de l’édition des albums).

Définition de l’exception de parodie

Le défendeur à la présente action invoque, « essentiellement » pour reprendre la terminologie employée par les juges rennais, l’exception de parodie qui est définie par le dictionnaire Le Robert comme une « imitation burlesque ».

En droit, l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : / […] / 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : / […] / 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».

Pour faire jouer cette exception au droit d’auteur, les magistrats analysent méthodiquement son élément matériel, d’une part, et son élément intentionnel, d’autre part.

Élément matériel de l’exception de parodie

Tout d’abord, la deuxième chambre civile rappelle avec rigueur dans le présent jugement que la parodie doit évoquer l’œuvre préexistante parodiée. La Cour de cassation écrivait ainsi en 1988 qu’« il est dans les lois du genre de la parodie […] de permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée » (Civ. 1re, 12 janv. 1988, D. 1988. 206, obs. C. Colombet ; D. 1989. 1, note P.-Y. Gautier).

La parodie doit également présenter des différences significatives perceptibles avec l’œuvre parodiée. Elle prend alors appui sur une œuvre protégeable dont elle forcit le trait pour s’en éloigner.

L’exception de parodie révèle ici son caractère schizophrénique, oscillant entre la nécessité d’une ressemblance et l’exigence d’une différence. C’est ainsi que la cour d’appel de Paris le 18 février 2011, à propos de la publication de romans parodiant des éléments tirés de l’œuvre d’Hergé, a énoncé que « le propos parodique doit être perçu sans difficulté ce qui suppose à la fois une référence non équivoque à l’œuvre parodiée et une distanciation recherchée qui vise à travestir ou à subvertir l’œuvre dans une forme humoristique, avec le dessein de moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou sourire » (Paris, 18 févr. 2011, n° 09/19272, Légipresse 2011. 141 et les obs. ; ibid. 142 et les obs. ; ibid. 233, comm. P. Vilbert ; CCE 2012, n° 1, note C. Caron ; Propr. intell. 2011, n° 39, p. 187, obs. A. Lucas ; RLDI avr. 2011, n° 2299, note L. Costes ; JCP E 2011, n° 1596, § 6, obs. A. Zollinger ; Propr. intell. 2011, n° 39, p. 187, obs. J.-M. Bruguière).

Sur la référence non équivoque à l’œuvre parodiée, M. Marabout ne conteste pas qu’il reproduit les éléments principaux d’œuvres protégées.

Sur la distanciation et le travestissement de l’œuvre préexistante, il soutient qu’il fait évoluer Tintin dans un contexte différent de son monde d’origine, en le mettant en scène dans des situations de désarroi ou bien encore en l’associant à des personnages féminins, jusqu’alors quasiment absents de son univers naturel, et ce sans tomber dans le dénigrement, l’avilissement, le vulgaire ou le pornographique, comme le relève justement le tribunal. Au contraire, la « poésie », la « délicatesse et la subtilité » dont fait preuve l’artiste-peintre lui évitent d’être condamné pour atteinte au respect de l’œuvre au sens de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle.

De surcroît, à l’instar de ce qu’argue M. Marabout, les juges rennais ajoutent que la composition des tableaux de M. Marabout « évoque » l’univers du peintre américain du XIXe siècle, Edward Hopper, reconnu pour ses toiles austères représentant des scènes urbaines, excluant ainsi de son travail toute référence au mouvement belge initié par Hergé dit de la « ligne claire ». Les magistrats comparent minutieusement à cet égard les œuvres de Hopper à celles du défendeur pour en déduire que « la première source d’inspiration est celle du peintre américain » et que « l’inspiration artistique tient toujours compte des œuvres précédentes, avec parfois des imitations, des reproductions, lesquelles ne peuvent être interdites par principe ».

Dans le même sens, la juridiction rennaise note précisément que l’œuvre protégée d’Hergé se fond dans cet ensemble et ne peut pas être considérée comme « dominante ». Ceci fait écho à la théorie de l’accessoire qui est une limite au monopole de l’auteur, dont l’appréciation est de facto plus souple que celle de l’exception (Civ. 1re, 12 mai 2011, n° 08-20.651, Dalloz actualité, 26 mai 2011, obs. J. Daleau ; D. 2011. 1875, obs. J. Daleau , note C. Castets-Renard ; ibid. 2012. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2011. 335 et les obs. ; ibid. 627, comm. C.-E. Renault ; RTD com. 2011. 553, obs. F. Pollaud-Dulian  ; CCE 2011, n° 62, note C. Caron ; JCP 2011. 814, note M. Vivant ; Légipresse 2011. 627, note C.-E. Renault ; RIDA juill. 2011. 341, note P. Sirinelli) et suivant laquelle on pourrait estimer que les personnages des aventures de Tintin sont des inclusions fortuites n’appartenant pas à l’axe d’attraction de la nouvelle œuvre créée.

En sus de la juxtaposition d’univers différents auxquels M. Marabout rend hommage, la différence de genre (toiles acryliques grand format pour le défendeur et petites vignettes de bandes dessinées pour Hergé) élimine tout risque de confusion du public.

En outre, la signature de M. Marabout sur ses tableaux empêche l’« observateur même très moyennement attentif » de se méprendre sur l’origine du travail de ce dernier et, donc, de le confondre avec l’œuvre parodiée.

Il est observé que le public attiré par les œuvres d’Hergé, féru de bandes dessinées, n’est pas le même que celui qui achète les tableaux du défendeur, plutôt amateur d’art fréquentant les galeries, comme le relève légitimement le tribunal sur le terrain de la concurrence déloyale, notamment.

Il en résulte que l’élément matériel de l’exception de parodie est rempli, mais qu’en est-il de l’élément intentionnel ?

Élément intentionnel de l’exception de parodie

La parodie a pour but de faire rire ou sourire sans porter atteinte au respect de l’œuvre, à l’honneur ou à la réputation de l’auteur parodié.

Si les demanderesses estiment que le travail de M. Marabout « ne fait pas rire ni même sourire », ce dernier soutient au contraire qu’il a adapté l’œuvre d’Hergé dans une forme humoristique et critique pour la transposer dans des décors inspirés de Hopper.

Comme l’énonce pertinemment le tribunal, « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin […] cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ».

Les témoignages des journalistes que M. Marabout rapporte font foi à l’égard de la deuxième chambre civile qui admet même « ressentir » (comme l’écrivent les juges !) cette intention humoristique.

Une intention humoristique d’autant plus avérée que le nom des œuvres se veut parodique, Moulinsart au soleil pour n’en citer qu’un seul.

Il est intéressant de noter ici que les magistrats rennais distinguent rigoureusement l’intention humoristique du but critique, lequel se manifeste clairement ici dans les interrogations que suscite l’œuvre d’Hergé. Tintin est un héros qui ne montre jamais ses émotions ni même encore son attirance sexuelle, et c’est justement tout le contraire que met en scène M. Marabout, ainsi qu’il a été dit.

Ce faisant, les lois du genre sont respectées en l’absence de dénaturation de l’œuvre originale par la reproduction parodique. L’exception de parodie est de ce fait accueillie et l’action en contrefaçon rejetée.

La balance des intérêts entre la liberté d’expression, fondement de l’exception de parodie et les droits de l’auteur parodié

Certaines exceptions au droit d’auteur, telles que la copie privée, sont fondées sur des raisons pratiques tandis que d’autres, comme l’exception de parodie, reposent sur des droits fondamentaux.

Le tribunal rappelle avec pertinence le fondement de l’exception de parodie dans la liberté d’expression, qui est une liberté fondamentale appartenant au bloc de constitutionnalité et à laquelle il ne peut être fait exception que de manière restreinte.

La nature fondamentale du droit d’auteur en tant que propriété incorporelle ne fait aussi aucun doute (v. not. Cons. const. 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, D. 2006. 2157, chron. C. Castets-Renard ; ibid. 2878, chron. X. Magnon ; ibid. 2007. 1166, obs. V. Bernaud, L. Gay et C. Severino ; RTD civ. 2006. 791, obs. T. Revet ; ibid. 2007. 80, obs. R. Encinas de Munagorri ).

En conséquence, il appartient aux juridictions de faire respecter « un juste équilibre entre, d’une part, les intérêts et les droits des personnes visées aux articles 2 et 3 de cette directive [2001/29 sur le droit d’auteur et les droits voisins] et, d’autre part, la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée » (CJUE 3 sept. 2014, Deckmyn c. Vandersteen, aff. C-201/13, D. 2014. 2097 , note B. Galopin ; Légipresse 2014. 457 et les obs. ; ibid. 604, comm. N. Blanc ; JAC 2014, n° 17, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2014. 815, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2016. 358, obs. F. Benoît-Rohmer ).

À la lumière de la jurisprudence de l’Union européenne, les juges rennais recherchent alors s’il n’y a pas une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes des ayants droit d’Hergé.

Ils mettent pour cela en balance l’œuvre d’Hergé, « largement divulguée et entrée dans une postérité majeure » et les « 23 tableaux, reproduits à vingt exemplaires » de M. Marabout réalisés pour un bénéfice « de moins de 40 000 € ».

Ils en concluent souverainement que la violation alléguée est « de faible ampleur » et qu’elle « n’entraîne qu’une perte financière minime, voire totalement hypothétique pour les ayants droit ».

La liberté d’expression artistique triomphe ainsi des « simples intérêts financiers des titulaires de droit » de l’œuvre parodiée, conformément à la jurisprudence constante en la matière.

Rapport étroit entre l’exception de parodie et le parasitisme

Par ailleurs, la deuxième chambre civile rejette les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire, présentées tant à titre principal qu’accessoire.

Il est en effet jugé qu’il n’y a pas de faits distincts entre ceux servant de support à la contrefaçon et ceux relatifs au parasitisme.

Le tribunal précise surtout que, « sauf à vider de toute portée l’exception de parodie dont il a été rappelé qu’elle procédait de la liberté d’expression, les mêmes reprises que celles stigmatisées au titre de la contrefaçon ne peuvent pas caractériser un comportement fautif parasitaire », reprenant la motivation d’une décision précitée de la cour d’appel de Paris qui avait confirmé le jugement déféré en ce qu’il avait retenu l’exception de parodie mais infirmé en ce qu’il avait retenu le parasitisme (v. supra Paris, 18 févr. 2011).

En l’occurrence, si les juges rennais avaient effectivement estimé que M. Marabout s’était rendu coupable de parasitisme, ils lui auraient retiré ce qu’ils lui avaient donné sur le terrain de l’exception de parodie et se seraient par là même contredits.

Il est vrai que les notions de parodie et de parasitisme ont tendance à s’entrechoquer au sein d’une même action. Le détournement d’une œuvre préexistante n’est généralement possible que parce que l’œuvre parodiée est connue. Dans la négative, qui parviendrait à déceler qu’il s’agit bien d’une parodie ? Il y a donc nécessairement une utilisation de la notoriété de l’œuvre originelle, ce qui sur le terrain du parasitisme peut être analysé comme la volonté condamnable de se mettre dans le sillage de l’autre sans bourse déliée. La frontière est donc ténue.

Aussi, l’action aurait vraisemblablement pu se fonder exclusivement sur la concurrence parasitaire et donc sur le droit commun (C. civ., art. 1240) et en défense M. Marabout aurait certainement invoqué la liberté d’expression.

Mais la voie du droit spécial s’est trouvée privilégiée dans le cas présent et l’on ne peut que se satisfaire de l’application de l’adage latin specialia generalibus derogant.

Ouverture

Enfin, au-delà de voir ses diverses demandes rejetées, la société Moulinsart est condamnée à verser des dommages et intérêts à M. Marabout pour dénigrement fautif, car elle a sans précaution adressé des courriers à des galeries d’art en portant une appréciation péjorative et en jetant le discrédit sur le travail que le parodiste commercialisait, provoquant ainsi le retrait immédiat des œuvres litigieuses. Tel est pris qui croyait prendre !

Cette décision juste et mesurée, mais néanmoins sévère à l’égard de la société titulaire des droits d’auteur patrimoniaux des personnages de la série Les aventures de Tintin n’est pas une première ainsi qu’il a été dit, Tintin étant coutumier des sagas judiciaires. À titre d’exemple, en 2006 il s’agissait de la vente de vêtements reproduisant des marques enregistrées de la société Moulinsart et des éléments d’œuvre, effectuée hors contrat (Lyon, 18 mai 2006, n° 05/02075, Propr. ind. 2007, n° 10, note A. Giquel-Donadieu). En 2007, il était question de vignettes reproduites dans un catalogue de ventes aux enchères sur Internet destiné à informer les potentiels acheteurs (Paris, 14 mars 2007, n° 06/03307, PIBD 2007. III. 443). Et encore en 2009, il s’agissait de la polémique autour de Tintin au Congo marqué par les représentations coloniales qui caractérisaient l’époque d’Hergé (Rép. min. à la question n° 58516 : JOAN Q 15 déc. 2009, p. 11990).

On finira en dernier lieu par se rappeler quelques autres décisions intéressantes rendues en matière d’exception de parodie, comme celle qui concernait le magazine Entrevue parodié par un autre magazine intitulé Fientrevue (Paris, 21 sept. 2012, n° 2010/11630, PIBD 2012. III. 804), celle relative à la reproduction humoristique du CHE d’Alberto Korda avec une manette de jeu sur un tee-shirt portant la mention « Che was a gamer » (Versailles, 7 sept. 2018, n° 16/08909, Propr. ind. 2019. Étude 7 par G. Goffaux-Callebaut, S. Legrand, V. Magnier et M. Malaurie-Vignal) ou bien encore très récemment, celle niant à Jeff Koons le bénéfice de l’exception de parodie pour sa sculpture en faïence exposée au Centre Pompidou (Paris, 23 févr. 2021, n° 19/09059, Dalloz actualité, 12 mars 2021, obs. O. Wang).

En conclusion, il s’agit d’une décision qui paraît adaptée, pour ne pas dire ad hoc !

(Original publié par nmaximin)

Le contrat d’affrètement, que l’on rencontre dans tout type de transport, est surtout développé en matière de transport maritime. C’est le contrat conclu entre le fréteur, le plus souvent propriétaire du navire, et l’affréteur, par lequel le fréteur « met à disposition » son navire à l’affréteur, moyennant rémunération (C. transp., art. L. 5423-1). Il existe plusieurs variétés d’affrètement : au voyage (mise à disposition du navire à l’affréteur par le fréteur pour un ou plusieurs voyages déterminés, d’un port donné vers un autre), à temps (le navire est mis à disposition pour une période déterminée), coque nue (mise à disposition du navire pour un temps précis, d’un navire sans armement, c’est-à-dire sans équipage ni équipement, ou avec un armement ou un équipement incomplet ; v. C. tranp., art. L. 5423-8). L’affrètement coque nue, dont il est question dans l’arrêt commenté, qui s’apparente à une location de navire, constitue souvent l’instrument d’une opération de financement de l’acquisition d’un navire (P. Delebecque, Droit maritime, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 665). Dans l’affrètement coque nue, tant la gestion nautique que la gestion commerciale du navire sont transférées à l’affréteur, considéré comme armateur, le fréteur ne conservant que la gestion financière du navire.

Dans cet arrêt, l’enjeu est de savoir quand prend fin le contrat d’affrètement, dans le contexte de la procédure collective ouverte contre l’affréteur, avec comme toile de fond, ce qui est loin d’être indifférent, un conflit social dans lequel les salariés de celui-ci sont impliqués, exerçant un véritable droit de rétention sur les navires affrétés, sans doute comme moyen de pression pour faire valoir leurs droits. Les faits de l’espèce méritent d’être exposés de manière détaillée. Par des contrats du 29 juin 2012, les sociétés Euro-Transmanche et Euro-Transmanche 3BE (les sociétés Euro-Transmanche), les fréteurs, ont conclu, chacune, avec la société Seafrance, l’affréteur, un contrat d’affrètement coque nue, portant respectivement sur les navires Rodin et Berlioz, pour une durée de trois ans renouvelable, à compter de la livraison du navire, les contrats pouvant être dénoncés au moins trente jours avant leur terme. Par un jugement du 10 avril 2015, la société Seafrance a fait l’objet d’une procédure de sauvegarde. Le 27 mai 2015, les fréteurs ont mis fin aux contrats avec effet au 1er juillet 2015, à minuit. Par des jugements des 11 juin et 31 juillet 2015, la société Seafrance a été mise en redressement puis liquidation judiciaire. Par une ordonnance du 29 juin 2015, le juge des référés d’un tribunal de commerce a dit n’y avoir lieu d’ordonner la suspension des effets de la résiliation des contrats d’affrètement coque nue. Faisant valoir qu’à compter du 2 juillet 2015, la société Seafrance avait perdu la qualité d’affréteur et d’armateur des navires dont la garde juridique avait été transférée aux sociétés Euro-Transmanche qui en étaient propriétaires, le liquidateur a assigné l’administration des douanes et les sociétés Euro-Transmanche en restitution de la consignation constituée pour garantir le paiement des contributions indirectes et des droits de port pour la période du 2 juillet 2015 au 13 septembre 2015. Selon le premier alinéa de l’article R. 5321-1 du code des transports, « [le] droit de port est dû à raison des opérations commerciales ou des séjours des navires et de leurs équipages effectués dans le port ». Pour les navires de commerce, le droit de port comprend, entre autres, la redevance de stationnement. La cour d’appel de Douai rejette la demande de la société Seafrance de condamnation de l’administration des douanes à lui payer la somme de 249 126 €, à laquelle viennent s’ajouter les intérêts. Elle forme alors un pourvoi qui est également rejeté.

Pour la Cour de cassation, il résulte des articles R. 5321-19 du code des transports (anc. C. ports mar., art. R. 212-2) que la redevance de stationnement est à la charge de l’armateur, c’est-à-dire de « celui qui exploite le navire en son nom, qu’il en soit ou non propriétaire ». Après avoir exactement énoncé que l’armateur s’entend de l’affréteur en cas d’affrètement coque nue (tel est d’ailleurs l’opinion unanime de la doctrine, v. not. P. Delebecque, op. cit., n° 668), l’arrêt d’appel constate d’abord que les contrats d’affrètement litigieux ont été dénoncés par les sociétés Euro-Transmanche avec effet au 1er juillet 2015 à minuit, que, postérieurement à cette date, les navires sont restés occupés par des salariés de la société Seafrance et des tiers non déterminés et qu’aux termes d’un protocole de sortie de crise du 31 août 2015, les représentants des salariés de la société Seafrance se sont engagés à libérer les navires au plus tard le 2 septembre 2015. Il relève ensuite que la société Seafrance était tenue contractuellement de restituer les navires à la date d’expiration des contrats et, en cas de retard, de payer une indemnité et retient que les parties avaient prévu que la date d’expiration du contrat et celle de la restitution du navire pussent ne pas coïncider. Il en déduit justement que les contrats expirés ont continué à produire des effets et que la société Seafrance, qui avait conservé « la garde de la structure et du comportement » – pour reprendre la terminologie de Boris Starck – des navires jusqu’à leur restitution, n’avait perdu sa qualité d’armateur qu’à la date de cette restitution.

La Cour de cassation ajoute qu’après avoir constaté que les parties avaient prévu que la restitution des navires serait matérialisée par un procès-verbal de restitution dûment signé, auquel serait annexé le rapport d’expertise contradictoire des navires, que les expertises contradictoires n’avaient pu intervenir que les 2, 3, 4 et 7 septembre 2015 et que, le 12 septembre 2015, les sociétés Euro-Transmanche avaient pris acte de la redélivraison non conforme des navires, l’arrêt d’appel en déduit justement qu’en dépit de la conclusion par les sociétés Euro-Transmanche de nouveaux contrats d’affrètement prévoyant une mise à disposition des navires le 2 juillet 2015, date à laquelle les navires auraient dû leur être restitués, la restitution n’a eu lieu que le 12 septembre 2015, de sorte que la société Seafrance restait redevable des droits de port jusqu’à cette date.

Bref, dans l’affrètement coque nue, c’est la date de la restitution effective du navire au fréteur qui marque la fin de la qualité d’armateur de l’affréteur.

Auteur d'origine: Delpech

Institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020, à destination des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la crise sanitaire, le fonds de solidarité est une nouvelle fois actualisé. Si le champ d’application du fonds, les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, le montant des aides ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds sont précisés par le décret d’application n° 2020-371 du 30 mars 2020, ce dernier ne cesse d’être modifié. Il l’est une nouvelle fois par le décret du 5 mai 2021.

Reconduction du dispositif au titre du mois d’avril 2021 avec différentes adaptations

Le fonds de solidarité est reconduit pour le mois d’avril...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: ladmi
image

Figure célèbre du droit des entreprises en difficulté, la responsabilité pour insuffisance d’actif constitue la source d’un important contentieux. Elle suppose la démonstration d’une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la personne morale en liquidation judiciaire et doit avoir été commise par un dirigeant de droit ou de fait (C. com., art. L. 651-2).

Habituellement, les difficultés suscitées par la matière se concentrent sur la détermination de la notion de faute de gestion (Com. 3 févr. 2021, n° 19-20.004 P, Dalloz actualité, 9 mars 2021, note B. Ferrari ; D. 2021. 285 ; LEDEN mars 2021, n° 114c0, p. 5, note O. Maraud ; BJS avr. 2021, n° 121x5, p. 57, note E. Mouial-Bassilana ; LPA 23 avr. 2021, n° 160n4, p. 16, note M.-L. Dinh ; APC 2021/6, n° 74, note M. Diesbecq) ou sur celle de direction de fait (Paris, 5-8, 19 mai 2020, n° 17/14557, LEDEN oct. 2020, n° 113s9, p. 6, note R. Azevedo). Aux côtés de ces deux « armes fatales » de la matière (P.-M. Le Corre, note ss. Com. 8 avr. 2021, n° 19-23.669 NP, Lexbase hebdo, éd. affaire, n° 674, 29 avr. 2021), l’identification de la notion de dirigeant de droit semble plus aisée.

En principe, les dirigeants de droit sont ceux qui, tenant leur fonction de la loi ou des statuts, assurent la direction et la gestion de la société. Dans la majorité des cas, ils sont également investis d’un pouvoir de représentation de la personne morale, sans que la qualité de représentant légal soit automatiquement liée à celle de dirigeant de droit (O. Maraud, Les associés dans le droit des entreprises en difficulté, LGDJ, t. 22, 2021, n° 456). Cette dernière réserve illustre la diversité potentielle des situations visées par la notion de dirigeant de droit, ce dont témoigne l’arrêt ici rapporté. La Cour de cassation y tranche notamment la question de savoir si le directeur général délégué d’une société anonyme peut être qualifié de dirigeant de droit au sens de l’article L. 651-2 du code de commerce.

L’exigence de l’existence d’une insuffisance d’actif certaine

En l’espèce, plusieurs sociétés appartenant au même groupe ont été mises en redressement judiciaire le 2 mars 2009, puis en liquidation judiciaire le 28 janvier 2010. Le 28 janvier 2013, le liquidateur a assigné deux directeurs généraux délégués, en leur qualité de dirigeant de droit, en responsabilité pour insuffisance d’actif. La cour d’appel fait droit à cette demande et l’un des deux dirigeants se pourvoit en cassation.

Pour le demandeur, en condamnant le dirigeant à verser une certaine somme sans constater aucun passif, et donc aucune insuffisance d’actif concernant l’une des sociétés du groupe, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 651-2 du code de commerce.

Cet argument convainc la Cour de cassation. Pour elle, la condamnation d’un dirigeant en responsabilité sur le fondement du texte précédemment cité dépend de l’existence d’une insuffisance d’actif certaine. Seule cette dernière peut déterminer le montant maximal de la condamnation susceptible d’être prononcée. Or, en l’espèce, la cour d’appel s’était bornée à relever l’existence de fautes de gestion et la qualité de dirigeant de la personne condamnée. Dès lors, à défaut d’avoir précisé le montant de l’insuffisance d’actif, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Cet aspect de la solution ne surprend guère. L’obligation faite au juge, condamnant un dirigeant en responsabilité pour insuffisance d’actif, de constater, au jour où il statue, le montant de l’insuffisance d’actif a plusieurs fois été rappelée par la Cour de cassation (Com. 30 juin 2004, n° 03-12.816 NP ; 30 oct. 2007, n° 06-15.247 NP, Gaz. Pal. 24 janv. 2008, n° 24, p. 69 ; 30 juin 2015, n° 13-27.317 NP, Com., 27 juin 2014, n° 13-27.317, D. 2014. 1446 ; ibid. 2196, chron. J. Lecaroz et F. Arbellot ).

Le directeur général délégué, un dirigeant de droit

Si l’arrêt d’appel est cassé, cette cassation n’est en revanche que partielle. En effet, le demandeur faisait également valoir que le directeur général délégué, dont les pouvoirs, leur étendue et leur durée sont déterminés par le conseil d’administration en accord avec le directeur général, exerce une fonction d’auxiliaire de ce dernier auquel il est subordonné et n’a donc pas la qualité de dirigeant de droit. Or la Cour de cassation rejette cet argument et énonce qu’au regard des articles L. 225-53 et L. 225-56-II du code de commerce, le directeur général délégué d’une société anonyme, qui est chargé d’assister le directeur général et dispose de pouvoirs dont l’étendue est déterminée par le conseil d’administration, a la qualité de dirigeant de droit au sens de l’article L. 651-2 du même code. Par conséquent, il engage sa responsabilité pour les fautes de gestion commises dans l’exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués.

Dès lors, si en l’espèce la responsabilité pour insuffisance d’actif n’est pas retenue et qu’il appartient à la cour d’appel de renvoi de se prononcer, nous savons désormais, aux termes de l’arrêt ici rapporté, qu’un directeur général délégué peut engager sa responsabilité pour insuffisance d’actif en sa qualité de dirigeant de droit.

Sans encore entrer dans les détails, la jurisprudence a déjà été amenée à trancher la qualité de dirigeant de droit de certains des organes de la société anonyme dans le contexte d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Ainsi, la Cour de cassation avait-elle jugé que l’administrateur était un dirigeant de droit et qu’à ce titre, des fautes de gestion commises dans l’exercice de ses prérogatives pouvaient lui être imputées, peu important l’étendue des pouvoirs du président-directeur général (Com. 28 janv. 2004, n° 02-16.774 NP). Au contraire, la haute juridiction a estimé que les membres du conseil de surveillance n’étaient pas des dirigeants de droit, mais pouvaient éventuellement être qualifiés de dirigeants de fait à condition d’en remplir les conditions (Com. 12 juill. 2005, n° 03-14.045, Bull. civ. IV, n° 174 ; D. 2005. 2071 , obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2006. 162, note F.-X. Lucas  ; Gaz. Pal. 5 nov. 2005, n° 309, p. 28, note D. Voinot ; comp. Com. 8 janv. 2020, n° 18-23.991 P, D. 2020. 640 , note T. Favario ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 2033, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2020. 197, obs. L. C. Henry ; ibid. 417, note L. Godon ; RTD com. 2020. 665, obs. J. Moury  ; BJE mars 2020, n° 117q8, p. 52, note J. Lasserre-Capdeville ; BJS mars 2020, n° 120p8, p. 33, note J.-B. Perrier ; Gaz. Pal. 23 juin 2020, n° 381p7, p. 77, note C. Barillon ; Dr. sociétés 2020/3, comm. 37, note J.-F. Hamelin ; RPC 2020/3, comm. 77, note A. Martin-Serf).

À notre connaissance, la haute juridiction n’a jamais eu à se prononcer sur la qualité de dirigeant de droit d’un directeur général délégué de société anonyme. Certes, nous retrouvons traces de précédents condamnant des directeurs généraux délégués en responsabilité pour insuffisance d’actif. Toutefois, il s’agissait d’espèces où la qualité de dirigeant de droit n’était pas discutée (Com. 10 mai 2012, n° 10-28.689 NP ; 17 juin 2020, n° 18-11.737, Bull. civ. IV, à paraître ; D. 2020. 1358 ; Rev. sociétés 2020. 632, note F. Reille  ; BJE sept. 2020, n° 118c9, p. 39, note T. Favario ; Gaz. Pal. 22 sept. 2020, n° 387m1, p. 27, note V. Mazeaud ; BJS oct. 2020, n° 121f2, p. 41, note M. Laroche ; RDC 2020, n° 117e4, p. 23, note S. Pellet ; APC 2020/14, n° 181, note P. Cagnoli).

Ce dernier élément nous permet d’avancer que la solution portée par l’arrêt sous commentaire est inédite, en ce qu’elle affirme clairement qu’un directeur général délégué est un dirigeant de droit au sens de l’article L. 651-2 du code de commerce permettant d’engager à son encontre une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Pour aboutir à une telle solution, la Cour de cassation se réfère aux articles L. 225-53 et L. 225-56 du code de commerce. Le dernier de ces textes prévoit en son deuxièmement que le pouvoir de direction du directeur général délégué est subordonné au pouvoir hiérarchique du directeur général et du conseil d’administration. Toutefois, l’article poursuit et indique que le directeur général délégué dispose des mêmes pouvoirs à l’égard des tiers que ceux du directeur général visés au premièrement de l’article L. 225-56 du code de commerce : il représente la société dans ses rapports avec les tiers.

Une solution justifiée

Pour certains auteurs, la qualité de dirigeant de droit conférée au directeur général délégué semble être une évidence (B. Dondero et P. Le Cannu, Droit des sociétés, 8e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 808 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, n° 921.131). Pourtant, une analyse très intuitive de sa situation permet d’en douter : ce dernier n’a-t-il pas essentiellement vocation à assister le directeur général (C. com., art. L. 225-53) ?

En réalité, bien que le pouvoir de direction du directeur général délégué soit subordonné à celui du directeur général et du conseil d’administration, sa faculté d’engager la société à l’égard des tiers ne pâtit pas de cette limite (D. Gibirila, Sociétés anonymes. Direction générale, J.-Cl. com., fasc. 1381, 2019, n° 72).

Du reste, s’il est permis d’élever le directeur général délégué au rang des dirigeants de droit d’une société anonyme, c’est qu’il dispose des mêmes pouvoirs que le directeur général à l’égard des tiers (C. com., art. L. 225-56-II). Autrement dit, vis-à-vis des tiers, le directeur général délégué incarne un organe directorial et il dispose à cet égard du pouvoir de représenter la société. Ceci permet d’expliquer que, sur le plan procédural, un directeur général délégué n’ait pas à justifier d’un pouvoir spécial pour agir en justice au nom de la personne morale qu’il représente (Cass., ass. plén., 18 nov. 1994, n° 90-44.754, Bull. ass. plén., n° 4 ; D. 1995. 101 , concl. M. Jeol , note D. Cohen ; Rev. sociétés 1995. 296, note P. Merle ; RTD com. 1995. 127, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 145, obs. B. Petit et Y. Reinhard ). Surtout, ce pouvoir de représentation de la société à l’égard des tiers du directeur général délégué ne peut être écarté sur décision du directeur général (Com. 3 mars 2004, n° 00-13.027 NP).

Au vrai, la situation du directeur général délégué au sein d’une société anonyme est comparable à celle d’une personne exerçant la même fonction au sein d’une société par actions simplifiée (SAS). En la matière, la jurisprudence estime que les tiers peuvent se prévaloir à l’égard d’une SAS des engagements pris pour le compte de cette dernière par une personne portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué (Cass., ch. mixte, 19 nov. 2010, n° 10-10.095, Bull. ch. mixte, n° 1 ; Dalloz actualité, 23 nov. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 344, obs. A. Lienhard , note F. Marmoz ; ibid. 123, chron. V. Vigneau ; ibid. 314, point de vue A. Outin-Adam et M. Canaple ; ibid. 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney ; ibid. 2758, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2011. 34, note P. Le Cannu ; Dr. soc. 2011. 382, note A. Coeuret et F. Duquesne ; RTD com. 2011. 130, obs. B. Dondero et P. Le Cannu  ; RDC 2011, n° 1, p. 184, note C. Neau-Leduc ; Com. 9 juill. 2013, n° 12-22.627, Bull. civ. IV, n° 125 ; D. 2013. 2503, et les obs. , note Faroudja Ait-Ahmed ; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau  ; Gaz. Pal. 7 sept. 2013, n° 146h8, note A.-F. Zattara-Gros ; BJS oct. 2013, n° 110q0, note N. Ferrier).

Selon nous, l’ensemble de ces éléments justifie la solution adoptée par la Cour de cassation au sein de l’arrêt ici rapporté. Puisque le directeur général délégué représente la société dans ses rapports avec les tiers, il est corrélativement doté d’une autonomie suffisante pour être personnellement responsable des décisions de gestion prises dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Il peut donc faire l’objet d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif lorsque les conditions de cette action sont réunies, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Auteur d'origine: bferrari
image

Le présent jugement du tribunal judiciaire de Paris n’est autre que le prolongement de l’affaire Volkswagen (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin ) qui avait enrichi l’« interminable » débat relatif, en matière d’arbitrage, au devoir de révélation de l’arbitre et la fameuse « obligation de curiosité » (E. Loquin, obs. ss Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. X. Delpech ; RTD com. 2017. 842 ) qui incombe, quant à elle, aux parties.

Concernant les faits, rappelons brièvement qu’en l’espèce, deux sociétés, l’une de droit émirati (Audi Volkswagen Middle East Fze [AVME]), l’autre de droit qatari (Saad Buzwair Automotive Co [SBA]), étaient entrées en relation commerciale pour que la première fournisse à la seconde des véhicules, selon les termes de deux accords conclus en 2007 qui contenaient des clauses compromissoires prévoyant l’organisation d’un arbitrage CCI, avec application du droit allemand au fond du litige. Plus tard, une lettre-avenant avait précisé que ces deux accords étaient conclus pour une durée indéterminée. En 2011, toutefois, AVME décide de ne pas renouveler ces deux conventions au-delà du 30 juin 2012.

En réaction, SBA introduit en février 2013 une procédure arbitrale contre AVME. Une sentence définitive est rendue le 16 mars 2016 et rejette les demandes d’indemnisation de la société SBA pour rupture abusive des relations commerciales et condamne celle-ci à supporter les frais d’arbitrage, ainsi que l’intégralité des frais et honoraires exposés par la société AVME. C’est cette sentence, rendue à Paris, qui a été annulée par le juge français (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.) sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile, au motif que l’un des arbitres avait omis de mentionner, lors de sa nomination en qualité de coarbitre puis au cours de la procédure arbitrale, les liens unissant le cabinet d’avocats dont il était associé et le groupe dont fait partie la société AVME. Entre-temps, SBA avait adressé par acte extrajudiciaire, le 30 octobre 2018, une assignation à l’arbitre concerné par le défaut de révélation afin d’obtenir qu’il soit déclaré contractuellement responsable et condamné au paiement des différentes sommes engagées dans le cadre de l’arbitrage annulé. Le présent jugement en est la continuité avec l’orientation du débat, par l’arbitre concerné, sur le terrain de la compétence du juge français qu’il conteste. À l’évidence, l’apport principal de la décision est le surprenant raisonnement du tribunal judiciaire sur l’application du règlement (UE) 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit Bruxelles I bis (ci-après RBI bis), à l’action en responsabilité contre l’arbitre.

En effet, dans une décision inégalement étayée, le tribunal judiciaire de Paris rejette les arguments de la société SBA qui soutenait la compétence du juge français et retient son incompétence pour connaître du présent litige. Elle renvoie en conséquence SBA à se pourvoir devant la juridiction allemande compétente, en vertu du RBI bis, dont elle fait ici application, après avoir déterminé qu’il s’appliquait bien à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Cela invite donc à réfléchir à deux principales questions :

celle de l’applicabilité du RBI bis à une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ;
 celle ensuite de la mise en œuvre de ce règlement et le choix du critère permettant l’identification de la juridiction européenne compétente pour connaître d’une telle action.

C’est dès lors l’examen détaillé des arguments soulevés et surtout retenus pour justifier une telle décision qui appellera aujourd’hui notre attention en traitant à la fois de l’applicabilité du RBI bis, mais également de son application à une action en responsabilité d’un arbitre dont le manquement à son devoir de révélation a entraîné l’annulation de la sentence à laquelle il a participé.

L’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre

Sur le terrain de l’applicabilité du RBI bis, le tribunal affirme que « le présent litige a pour objet, une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements de [l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties]. Il s’ensuit que, ne portant pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale, il n’entre pas dans le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) n° 1215/2012 et que, dès lors, le choix de la juridiction compétente pour connaître de la présente action doit être déterminé selon les règles énoncées par ce texte ».

Si le résultat ne surprend pas, plusieurs remarques s’imposent néanmoins au regard de la faible motivation du tribunal face à une question qui méritait à n’en point douter des développements plus ambitieux, tant elle chagrine la résolution satisfaisante de la difficile question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage du RBI bis, mais également celle de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison d’un manquement à son devoir de révélation.

Le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du RBI bis

Il paraît utile pour bien traiter cette question de revenir sur l’évolution de la relation entre l’arbitrage et le droit européen. Plus spécifiquement, le point qui nous intéresse ici est celui du domaine de l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du règlement Bruxelles I bis (v. not. sur le sujet H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, spéc. nos 48 s. ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; A. Nuyts, Exclusion de l’arbitrage, JT 2015. 90 ; G. Matray, L’arbitrage et le droit judiciaire européen : aspects pratiques, JDE 2014. 370). Historiquement, cette exclusion n’est pas récente puisque, dès l’adoption de la convention originaire de 1968 (v. not. Rapport Jenard sur la Convention du 27 sept. 1968, JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1), l’arbitrage était du nombre des matières expressément exclues. Cette exclusion fut ensuite maintenue à l’article 1, 2, d, dans les versions refondues du règlement, celle de 2001 (règlement [CE] n° 44/2001 du Conseil du 22 déc. 2000 ; ci-après RBI) et celle de 2012 (préc.). Toutefois, le domaine de cette exclusion a connu d’importantes variations dont nous rappellerons seulement les plus importantes, en nous appuyant notamment sur les deux affaires citées par le tribunal. Il y a tout d’abord la décision Marc Rich qui avait semblé conférer une portée large à l’exclusion de l’arbitrage (CJCE 25 juill. 1991, aff. C-190/89, Marc Rich, Rev. crit. DIP 1993. 316, note P. Mayer ; Rev. arb. 1991. 697, note D. Hascher) en précisant notamment que, « pour déterminer si un litige relève du champ d’application de la convention, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte ». En conséquence, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déduit que « l’exclusion s’étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d’un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l’existence ou de la validité d’une convention d’arbitrage ».

Dans la présente décision, les deux parties conviennent que l’objet du litige est bien l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Elles s’affrontent en revanche sur le point de savoir si cette action est véritablement en lien avec l’arbitrage. Pour l’arbitre, l’objet du litige est sans lien direct avec l’arbitrage, tandis que la société SBA défend l’idée que l’action en responsabilité contre l’arbitre est directement liée « à la contestation de la sentence » et a pour « origine la constitution irrégulière du tribunal arbitral ». L’arbitre relève néanmoins un point très intéressant en faisant valoir que l’appréciation du lien de la procédure avec l’arbitrage doit se faire au regard du critère suivant : la procédure concourt-elle ou affecte-t-elle l’arbitrage ? Sur la première partie de la question, il apparaît évident que l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre ne concoure pas à la réalisation de l’arbitrage, en ce sens qu’elle ne lui est point indispensable pour qu’il se réalise. En revanche, l’on peut encore se demander si cette décision n’est pas de nature à affecter l’arbitrage. En réalité, l’action en responsabilité dirigée semble plus affectée par l’arbitrage qu’elle ne l’affecte, si l’on considère qu’elle est avant tout une conséquence indirecte de l’annulation de celui-ci ; indirecte, car l’annulation de la sentence pour un manquement de l’arbitre à son devoir de révélation ne présume pas du traitement au fond de la question de la responsabilité de l’arbitre. L’inverse tendrait à confondre, notamment en matière délictuelle, le manquement de l’arbitre avec la faute qualifiée telle qu’elle est exigée pour engager la responsabilité de l’arbitre (v. not., sur ce point, P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, Rev. arb. 2017. 1123 ; v. aussi le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017 ; v., pour un compte rendu, JCP 2017. Act. 951 ; TGI Paris, 22 mai 2017, Blow Pack, n° 14/14717, Rev. arb. 2017. 977, note J.-Y. Garaud et G. de Rancourt). Plus loin, l’arbitre fragilise un peu plus le lien entre l’action en responsabilité contre l’arbitre et l’arbitrage en relevant que cette action est nécessairement intentée a posteriori et non a priori comme cela est le cas pour une difficulté afférente à la constitution du tribunal. Ce critère temporel est assez efficace en ce qu’il marque la dépendance unilatérale de l’action en responsabilité vis-à-vis de l’arbitrage. Dans le cas d’espèce, justement, ce sont bien les conséquences financières découlant de l’annulation de l’arbitrage qui conditionnent l’action en responsabilité, sans que celle-ci rayonne en retour sur l’arbitrage. D’ailleurs, cela aurait pu concerner également les frais supplémentaires engagés en raison d’une récusation tardive, imputable à l’arbitre, sans que cela n’entraîne pour autant l’annulation de la sentence. Dans tous les cas de figure, l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre demeure sans effets sur l’existence et le déroulement de l’arbitrage ou même le contenu de la sentence arbitrale. Malheureusement, le tribunal passe à côté de cette discussion en précisant simplement que l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre ne porte pas sur la « constitution du tribunal, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale », sans expliquer en quoi ladite action y échappe. En définitive, la question n’est pas tant celle de savoir si cette action est liée à l’arbitrage, mais comment elle y est liée. De ce point de vue, le critère des effets que la procédure visée projette sur l’arbitrage offre une grille de lecture intéressante pour trancher la question de son inclusion ou exclusion du champ du RBI bis. Le tribunal n’y a pas été aussi sensible.

Passant outre les points précédemment exposés, le tribunal préfère évoquer, dans le prolongement de l’affaire Marc Rich, une autre décision, également citée dans le jugement, qui a restreint l’étendue de l’éviction de l’arbitrage du domaine du règlement. Il s’agit évidemment de la célèbre affaire West Tankers (CJCE 10 févr. 2009, West Tankers, aff. C-185/07, D. 2009. 981 , note C. Kessedjian ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; ibid. 644, obs. P. Delebecque ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2009. 407, note S. Bollée) dans laquelle la Cour de justice a retenu qu’une anti-suit injunction rendue par le tribunal d’un État membre, au soutien d’une procédure arbitrale, n’était pas compatible avec le Règlement de Bruxelles (RBI). L’arbitrage rentrait donc à nouveau dans le giron du droit européen. Ici, toutefois, le raisonnement du tribunal est affaibli par l’absence de référence à la très importante décision Gazprom (CJUE 13 mai 2015, Gazprom, aff. C-536/13, concl. M. Wathelet, Dalloz actualité, 28 juin 2015, obs. F. Mélin ; AJDA 2015. 1585, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2015. 1106 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2015. 837, obs. L. Usunier  ; Procédures 2015. Comm. 226, note C. Nourissat) qui a renoué, quelques années plus tard, avec une conception large de l’exclusion de l’arbitrage. Dans cette décision, la Cour de justice qui s’exprime après l’entrée en application du RBI bis, mais sous l’empire du RBI, décide que le règlement Bruxelles I « ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre, dans la mesure où ce règlement ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre ». Ainsi, les États membres restent libres, conformément à leur droit national, interne ou international, de régler le sort d’une anti-suit injunction prononcée par un tribunal arbitral. Si l’arrêt Gazprom sauve la décision West Tankers (arrêt Gazprom, préc., pt 39), en notant que l’origine étatique de l’injonction justifie qu’elle tombe sous l’empire du RBI, une partie de la doctrine a néanmoins relevé, prenant acte du refus de la Cour de justice dans l’arrêt Gazprom de se prononcer à la lumière des précisions introduites dans le considérant 12 du RBI bis, comme l’y invitait pourtant l’avocat général (concl. M. Wathelet, préc., pt 91), que la refonte du règlement met fin à la jurisprudence West Tankers (S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979, spéc. p. 983).

En effet, dans le RBI bis, le considérant 12, rappelé par le tribunal dans son jugement, vient éclairer le sens de l’exclusion de l’arbitrage, telle qu’elle figure à l’article 1er, § 2, d. Si le tribunal rappelle la lettre du considérant 12, il ne semble pas tirer de son contenu toutes les conséquences attendues, ou tout du moins la nuance imposant une démonstration particulièrement convaincante pour en modérer la portée. En définitive, le tribunal fournit une liste, négative, des litiges susceptibles d’intégrer le champ matériel du RBI bis, dès lors qu’ils ne portent « pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale ». Il prend soin donc d’exclure le contrat d’arbitre de cette catégorie pour justifier l’application du règlement à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Il semble ici que le tribunal va à l’encontre de la lettre du règlement et de son considérant 12 qui évoque un spectre bien plus large en concevant une liste non exhaustive : « une action ou demande accessoire portant, en particulier, sur la constitution d’un tribunal arbitral, les compétences des arbitres, le déroulement d’une procédure arbitrale ou tout autre aspect de cette procédure ni à une action ou une décision concernant l’annulation, la révision, la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale, ou l’appel formé contre celle-ci ».

Pour les mêmes raisons, le raisonnement du tribunal apparaît friable, dès lors qu’il n’expose pas le ou les critères retenus pour justifier l’inclusion de l’action en responsabilité. Tout au plus, le tribunal s’en tient simplement à l’idée générale selon laquelle l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du RBI bis est nécessairement restrictive puisqu’une décision, certes célèbre, et néanmoins prise en application de la précédente version du règlement, le laisse à penser. Au surplus, le tribunal valide implicitement la thèse de l’arbitre sur le caractère limitatif de la liste fixée par le considérant numéro 12, en proposant une liste plus restrictive encore, à nouveau sans justification.

C’est d’autant plus regrettable que les arguments substantiels ne manquaient pas. Le tribunal aurait ainsi pu relever que si le considérant 12 ne prévoit pas une liste exhaustive, il constitue également la preuve que, par la présence d’une liste illustrative, toutes les actions périphériques à un arbitrage n’ont pas vocation à intégrer le domaine de l’exclusion. Par suite, il eut été certainement plus simple et convaincant de déterminer la raison d’être de la liste non exhaustive du considérant 12 en identifiant de potentiels critères de rattachement au domaine de l’exclusion.

Il faut néanmoins relever, à la décharge du tribunal, que le présent problème n’a jamais été directement traité, ni par les cours nationales ni par la Cour de justice, mais surtout que la question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage est loin d’avoir été clarifiée par le considérant 12 et continue donc de soulever de multiples interrogations (v. not. RTD eur. 2013. 435, spéc. n° 51, obs. H. Gaudemet-Talon et C. Kessedjian  ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; Rev. crit. DIP 2013. 1, A. Nuyts  ; D. 2013. 1014, obs. L. d’Avout ), amenant même certains commentateurs à regretter que l’on n’ait pas précisé une règle matérielle de compétence « propre à centraliser le contentieux au siège de l’arbitrage » (M. Laazouzi, Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale. Champ d’application, J.-Cl. dr. internat., fasc. 584-120, n° 58 ; S. Bollée, « Les questions liées à l’appréciation et aux effets des conventions d’arbitrage », in P. Mayer [dir.], Arbitrage et droit de l’Union européenne, LexisNexis, 2012, p. 15, spéc. nos 9 s.). Le recours à une règle matérielle unique semble d’autant plus justifié que l’identification d’un ou plusieurs critères clairs fait ici défaut au jugement du tribunal, mais aussi à l’analyse proposée. Car il transparaît de la jurisprudence des cours une incompatibilité patente avec des critères simples tels que celui de la temporalité du litige vis-à-vis de l’arbitrage ou de l’influence du litige sur la réalisation de l’arbitrage, c’est-à-dire des effets qu’il est susceptible de produire sur la procédure arbitrale. Il suffit pour s’en convaincre de songer à nouveau à l’inclusion des demandes formées devant le juge d’un État membre aux fins d’obtention d’une mesure provisoire ou conservatoire (CJCE 17 nov. 1998, aff. C-391/95, Van Uden, D. 2000. 378 , note G. Cuniberti ; Rev. crit. DIP 1999. 340, note J. Normand ; ibid. 669, étude A. Marmisse et M. Wilderspin ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti ; RTD civ. 1999. 177, obs. J. Normand ; RTD com. 2000. 340, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 1999. 143, note H. Gaudemet-Tallon), sauf à considérer que ces procédures devraient impérativement intégrer le domaine d’exclusion de l’arbitrage. Il n’en demeure pas moins que cette distribution présente le très grand défaut d’entretenir une confusion et l’avertissement formulé par l’avocat général Darmon sous la décision Marc Rich (M. Darmon, concl., 19 févr. 1991, Rec. CJCE 1991. I. 3865, pt 77) n’en raisonne que plus fort : « en appliquant la convention de Bruxelles aux litiges en matière d’arbitrage, le risque est grand de conduire à des solutions sans doute harmonisées, mais totalement inadéquates aux besoins propres de l’arbitrage international ».

Au fond, sur la question de l’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre, plus que le résultat, c’est la faiblesse de l’argumentation du tribunal qui laisse perplexe. En amenant les décisions du passé au présent, celui-ci ne favorise pas la compréhension de la démonstration. Il paraissait pourtant naturel que l’écart procédural entre l’arbitrage et l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre suffît pour partie à justifier que l’action soit traitée séparément, selon les règles de droit commun, auxquelles appartiennent sans doute, en matière internationale, celles du droit européen. En revanche, la question de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre impose un travail approfondi des cours et, là-dessus, le jugement du tribunal judiciaire de Paris ne rassure pas le lecteur.

La nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre pour manquement à son devoir de révélation

Dans le présent jugement, la question de la nature de l’action engagée à l’encontre de l’arbitre ne semble pas poser de problème particulier et le tribunal énonce d’ailleurs que le litige « a pour objet une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements [de l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties] ». Au surplus, la question n’est pas non plus débattue entre les parties qui se prononcent elles aussi sur le terrain contractuel.

Ce choix paraît d’autant plus justifié que la jurisprudence précise également depuis l’affaire Raoul Duval (TGI Paris, 12 mai 1993 et Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard) que « la faute consistant en un défaut de révélation pouvait engager la responsabilité de l’arbitre, fondée sur sa “faute contractuelle”, selon les règles de droit de la responsabilité civile contractuelle » (v. le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017, préc. spéc. p. 32). Classiquement rattaché aux obligations d’indépendance et d’impartialité, le manquement au devoir de révélation est donc sanctionné selon le droit commun de la responsabilité (T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 932 ; v. aussi, P. Fouchard, note ss Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 327).

Pourtant, il est permis de penser que la question aurait mérité, du fait qu’elle conditionne à la fois l’applicabilité et l’application du RBI bis, de plus amples développements de la part du tribunal, en écartant tout doute eu égard à l’obligation que l’article 12 du code de procédure civile lui fait de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».

En effet, passée l’apparente simplicité, la question de la nature contractuelle ou délictuelle de l’action en responsabilité dirigée contre les arbitres n’a pas livré tous ses secrets et continue d’animer la jurisprudence comme en témoignent de récentes affaires (v. not. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; RTD com. 2020. 302, obs. E. Loquin ; v. aussi, sur l’engagement de la responsabilité de l’arbitre pour violation du contradictoire, Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238, Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. L. Jandard ; ibid. 7 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2020. 802, obs. L. Jandard ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ), mais aussi la richesse des écrits doctrinaux sur le sujet (v. not. P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, art. préc. ; v. aussi J.-Y. Garaud et G. de Rancourt, note ss TGI Paris, 22 mai 2017, préc. ; M. Mekki, Le double jeu de l’arbitre et la mise en jeu de sa responsabilité, Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107).

Il faut admettre que l’identification d’un critère clair de distinction entre les deux types de responsabilités est loin d’être simple. Si tous les commentateurs s’accordent pour dire que le manquement de l’arbitre à son obligation de révélation, qui se rapporte à son devoir d’indépendance et d’impartialité, lui-même rattaché à l’exigence de loyauté évoquée par l’article 1464 du code de procédure civile, est susceptible d’engager sa responsabilité civile, la question de la nature de cette action interroge beaucoup plus la logique. Plus précisément, la difficulté refait surface lorsqu’est posée la question des critères permettant de distinguer selon que la responsabilité de l’arbitre est de nature délictuelle ou contractuelle. Pour certains auteurs, la réponse se trouve dans la célèbre affaire Azran du 15 janvier 2014. Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation précise que « la critique […] tendant à remettre directement en cause le contenu des sentences rendues, et partant l’exercice de la fonction juridictionnelle des arbitres, c’est à bon droit que la cour d’appel […] a écarté leur responsabilité en l’absence de preuve de faits propres à caractériser une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » (Civ. 1re, 15 janv. 2014, Azran, n° 11-17.196, Bull. civ. I, n° 1, préc., note 1 ; Dalloz actualité, 23 janv. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 219, obs. X. Delpech ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel ; RTD com. 2014. 315, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2016. 493, note J.-S. Borghetti ; Cah. arb. 2014, n° 2, p. 299, note L. Aynès ; Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107, note M. Mekki ; ibid., 27-28 juin 2014, p. 18, obs. D. Bensaude). Ainsi, la distinction entre la responsabilité de l’arbitre de nature contractuelle et celle de nature délictuelle repose sur le point de savoir si la demande a trait à l’exercice de la fonction juridictionnelle ou non, c’est-à-dire si celle-ci est susceptible de remettre directement en cause le contenu des sentences rendues (P. Stoffel-Munck, art. préc.). Si l’objet du grief remet directement en cause un motif ou une conclusion de la sentence, alors l’action est nécessairement de nature délictuelle et suppose l’établissement d’une faute spécifique – « une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » – pour évincer la quasi-immunité dont jouissent les arbitres dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle. En revanche, lorsque l’objet du grief n’est pas de nature à influer sur le contenu des décisions des arbitres, alors il faut revenir au droit commun de la responsabilité sur le terrain contractuel, c’est-à-dire à l’examen des manquements aux obligations découlant du contrat d’arbitre qui lie l’arbitre aux parties (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Rev. arb. 1996. 411 [2e esp.], et obs. P. Fouchard, p. 360).

La démonstration semble convaincante et rappelle implicitement que la fonction juridictionnelle elle-même « découle en principe du contrat d’arbitre, même [si elle] […] n’y est pas réductible » (J.-S. Borghetti, note préc., spéc. n° 9). C’est pourtant là que le bât blesse. En effet, d’autres auteurs notent qu’il est naturel d’orienter sur le terrain de la responsabilité délictuelle la sanction des manquements les plus graves dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, tels que la violation des obligations d’indépendance, d’impartialité et de loyauté (v. not. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019., spéc. n° 799 ; M. Henry, L’obligation de loyauté des arbitres envers les conseils, Cah. arb. 2014, n° 3, p. 525, spéc. n° 4). Or, comme exposé précédemment, il n’est pas discuté que le devoir de révélation se rattache précisément aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, si bien qu’il se trouve plus intimement lié à la fonction juridictionnelle qu’au contrat d’arbitre lui-même. C’est si vrai qu’il serait tout à inconcevable de lier cette exigence fondamentale du procès arbitral à la validité du contrat d’arbitre, dès lors que les exigences d’indépendance et d’impartialité sont « de l’essence de [la] fonction juridictionnelle exclusive par nature de tout lien de dépendance à l’égard notamment des parties, et de tout préjugé » (Paris, 28 nov. 2002, Rev. arb. 2003, p. 445, note C. Belloc ; v. aussi Civ. 1re, 16 mars 1999, Bull. civ. I, n° 88).

À l’évidence, notre propos vise ici à anticiper les potentielles divergences entre les cours nationales et européenne sur la qualification de l’obligation de révélation (v. not. sur le choix d’une interprétation autonome de la « matière contractuelle », CJCE 22 mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82, Rec. CJCE p. 987, pt 9 ; v. aussi CJCE 8 mars 1988, Arcado, aff. C-9/87, Rec. CJCE p. 1539) en essayant de déterminer l’origine de celle-ci puisqu’elle constitue le cœur de la responsabilité envisagée. Dès lors, si l’on considère que la distinction entre la nature contractuelle et délictuelle tient à ce que l’action en responsabilité contre l’arbitre ayant manqué à son devoir de révélation n’affecte pas le contenu de l’arbitrage, alors il paraît tout à fait logique de l’exclure du domaine de la fonction juridictionnelle. En ce sens, l’obligation faite à l’arbitre de révéler tous les faits de nature à créer un doute raisonnable quant à son impartialité ou son indépendance trouve potentiellement sa source dans le contrat d’arbitre lui-même. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que le droit européen adhère à cette qualification, constatant simplement l’existence d’un « engagement librement assumé » (CJCE 17 juin 1992, Jacob Handte, aff. C-26/91, Rec. CJCE p. 3967 ; D. 1993. 214 , obs. J. Kullmann ; Rev. crit. DIP 1992. 726, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 1993. 131, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 1992. 709, note P. de Vareilles-Sommières ) entre l’arbitre et les parties. À l’inverse, si l’on prend pour point d’appui de la démonstration celui de savoir si la nullité du contrat d’arbitre entraîne l’effacement de l’obligation de révélation qui incombe aux arbitres, alors la réponse paraît beaucoup moins évidente et semble faire glisser l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison du manquement à son devoir de révélation sur le terrain délictuel. Et pour cause, en l’espèce, l’obligation est susceptible de trouver son origine non pas dans le contrat d’arbitre, mais dans la loi applicable à la procédure et plus spécifiquement dans l’article 1464 du code de procédure civile français qui fait notamment peser sur les arbitres, en matière interne comme en matière internationale, un devoir de loyauté à l’égard des parties.

L’importance de la distinction est de taille pour l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre tant elle influence à la fois le traitement au fond de l’affaire et également l’identification de la juridiction compétente pour en connaître. En effet, les critères de rattachement ne sont pas équivalents selon que l’on considère une action de nature contractuelle ou délictuelle, en droit national comme en droit européen. Au-delà, l’engagement de la responsabilité de l’arbitre est plus difficile à rapporter sur le terrain délictuel que contractuel, puisqu’une faute qualifiée est exigée pour le premier cas de figure. Plus loin, la question de la validité des clauses d’exonération se pose et renforce la nécessité d’une discussion sur le sujet.

La question et celles qui en découlent resteront néanmoins suspendues puisqu’en l’espèce le tribunal s’est laissé convaincre par les parties que l’action était nécessairement de nature contractuelle et la solution était sans doute opportune (en matière délictuelle, les critères semblent particulièrement mal indiqués pour identifier, dans le cadre d’une action en responsabilité contre un arbitre, le lieu « où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » - règl., art. 7, § 2) en prévision de l’application qu’il lui restait désormais à faire du RBI bis.

L’application du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre

Après avoir déterminé que le RBI bis trouvait bien à s’appliquer à l’action en responsabilité contre un arbitre, le tribunal en fait application en s’appuyant là encore sur les arguments soulevés par l’arbitre en opérant une démonstration en deux temps. En premier, il rejette le critère du siège de l’arbitrage, considérant qu’il n’a dans l’acte de mission qu’un « caractère fictif ». En second, le tribunal s’applique à déterminer quel lieu correspond en l’espèce à celui où « les services ont été ou auraient dû être fournis » et tranche en faveur de l’Allemagne.

Là encore, plusieurs critiques peuvent être formulées, et ce d’autant plus que le résultat ainsi que les motivations qui y mènent interpellent. En conséquence et pour bien analyser le jugement du tribunal sur ce point, il est utile de distinguer les deux étapes de son raisonnement qui rejette tout d’abord le siège de l’arbitrage comme critère pertinent de rattachement à la juridiction européenne compétente puis indique que le lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre, déterminé à partir d’un faisceau d’indices, constitue, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), deuxième tiret du RBI bis, le critère le plus adéquat pour désigner les juridictions compétentes.

Le rejet du siège de l’arbitrage comme critère de rattachement à la juridiction européenne compétente en vertu du RBI bis

C’est sans doute l’apport le plus intéressant de la décision du tribunal judiciaire de Paris. En refusant d’appliquer le critère du siège, la juridiction parisienne exprime une évidente réserve à l’égard de l’arbitrage, refusant de reconnaître audit siège une valeur autre que celle d’une simple fiction juridique insusceptible de produire des effets sur les questions de compétences se rapportant à l’action en responsabilité contre un arbitre.

Avant toutefois d’en venir à la mise à l’écart du siège, il faut commencer par relever que le tribunal semble rester relativement indifférent à la discussion se rapportant à la qualification du siège de l’arbitrage en clause attributive de juridiction au sens de l’article 25 du RBI bis. Plus simplement, le tribunal aimante l’application du RBI bis sur l’unique terrain de l’article 7, paragraphe 1, sous b), à la recherche du « lieu de la fourniture principale des services » localisé soit conventionnellement par les parties, soit en considération du second tiret, sous le b) de l’article 7, paragraphe 1, qui évoque « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Or, pour le tribunal, la localisation conventionnelle ne peut correspondre au siège de l’arbitrage dès lors qu’il n’a qu’un « caractère fictif » et qu’il existe en outre d’autres lieux désignés dans le contrat d’arbitre et susceptibles de convenir. Il déduit une équivocité autour de la désignation du siège comme for compétent pour connaître de l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre.

Il y a derrière cette solution un paradoxe intéressant à relever. En effet, le raisonnement pourrait convaincre qu’il y a là l’expression d’une certaine hostilité à l’égard de l’arbitrage, considérant d’ailleurs à raison que la première partie du raisonnement du tribunal donne quelques indices de son rattachement à une approche dite « localisatrice », justifiant que l’arbitrage soit soumis par exemple à l’application des normes européennes, mais ce serait oublier bien vite que même les tenants des thèses les plus « délocalisatrices » de l’arbitrage estiment que l’action en responsabilité échappe à la sphère arbitrale (T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », in S. Bostanji [dir.],Le juge et l’arbitrage, F. Horchani et S. Manciaux, Pedone, 2014, p. 45 : « [si le siège] sert pour la détermination de la loi applicable [lorsque les parties n’ont rien prévu dans le contrat d’arbitre], il ne sert pas pour celle de la juridiction compétente qui sera, par application des règles classiques du droit des conflits de juridictions, celle du lieu du domicile du défendeur, ou d’un co-défendeur en cas de tribunal arbitral plural »). Ainsi, toutes les thèses semblent se rencontrer sur la question, convenant de la faiblesse des effets produits par le siège de l’arbitrage (la jurisprudence française va même jusqu’à valider des clauses attributives de la juridiction compétente en cas de recours en annulation, quel que soit le lieu du siège du tribunal arbitral, réduisant ainsi à peau de chagrin le rôle du lieu de l’arbitrage dans la détermination des recours contre la sentence ; v. not. Paris, 17 juin 2004, D. 2006. Pan. 3026, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2006, p. 161, note T. Azzi).

Pourtant, la réconciliation n’est pas totale pour au moins deux raisons. La première renvoie à l’idée que c’est précisément à l’égard des contrats périphériques à l’arbitrage que le siège conserve le plus d’effets puisque « l’un des derniers intérêts juridiques de l’implantation du siège du tribunal arbitral est qu’il permet de localiser la relation juridique nouée entre l’arbitre et les parties, entre les parties et le centre d’arbitrage, et entre l’arbitre et le centre d’arbitrage. On sait en effet qu’il existe, en plus de la convention d’arbitrage, trois contrats qui unissent les différents protagonistes de l’instance arbitrale : le contrat d’arbitre entre les parties et l’arbitre, le contrat d’organisation de l’arbitrage entre les parties et le centre, et le contrat de collaboration arbitrale entre le centre et l’arbitre » (v. T. Clay, À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; L’arbitre, préf. de P. Fouchard. Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèse », 2001, spéc. nos 587 s.). Ainsi, le siège de l’arbitrage n’est pas une coquille vide et conserve a minima une vitalité pour les contrats « péri-arbitraux » aux fins de régler, notamment, les quelques conflits de lois qui demeurent.

La seconde tient à ce que les conceptions autonomistes de l’arbitrage ne rejoignent pas l’orientation prise par le tribunal qui accorde une valeur juridique équivalente au lieu du siège de l’arbitrage et à celui des audiences. Sur ce point, et malgré le vacillement de plus en plus prononcé de la notion de siège dans l’arbitrage (v. not. sur la désuétude du critère du siège, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 657 s., préf. T. Clay), il demeure évident que le siège se distingue du lieu de tenue des audiences et le supplante juridiquement (A. Panchaud, Le siège de l’arbitrage international de droit privé, Rev. arb. 1966. 2, spéc. p. 8 ; v. aussi, sur la distinction, T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; G. Kaufmann-kohler, Le lieu de l’arbitrage à l’aune de la mondialisation. Réflexions à propos de deux formes récentes d’arbitrage, Rev. arb. 1998. 517, spéc. p. 532 s.). En conséquence, le lieu du siège a nécessairement, du point de vue strictement juridique, un poids supérieur au lieu des audiences et constitue un critère de rattachement valable. D’ailleurs, il est très intéressant de relever que la Commission européenne elle-même avait réfléchi à faire du siège le critère privilégié de désignation du for compétent pour tous les litiges liés à une procédure arbitrale (v. not. art. 29 (4) de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 14 déc. 2010, COM(2010) 748 final 2010/0383).

Toutefois, malgré la valeur juridique évidente du critère du siège, le tribunal a choisi d’écarter toute localisation conventionnelle pour se mettre à la recherche d’autres lieux, plus effectifs et rendant selon lui meilleur compte de la réalité des prestations accomplies par l’arbitre en vertu du contrat d’arbitre. Malheureusement, si l’entreprise visant à identifier le lieu qui correspond géographiquement le mieux à l’endroit où l’arbitre a concrètement effectué ses missions est louable, elle présente des dangers évidents qu’il est nécessaire d’évoquer maintenant.

Le choix du lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre

En relevant que la localisation conventionnelle faisait défaut en l’espèce, laissant à entendre au contraire qu’une équivalence du lieu des audiences et du siège de l’arbitrage aurait permis de désigner de manière non équivoque un for compétent, le tribunal s’est mis quête d’un autre critère de rattachement. Pour ce faire, il considère le second tiret de l’article 7, paragraphe 1, sous b), qui indique que le « lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande » s’entend, dans un contrat de service, du « lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Pour le tribunal, ce lieu correspond, en considération de « la genèse, les objectifs et le système du règlement », au « lieu dans lequel le défendeur a effectivement réalisé, de manière prépondérante, sa prestation intellectuelle d’arbitre ». La démonstration paraît très convaincante, et ce d’autant plus que le cas d’espèce offre sur un plateau une série de faits plaçant en Allemagne le centre de gravité de l’ensemble des prestations accomplies par l’arbitre. Le tribunal considère notamment le lieu de tenue des réunions, des audiences ou encore le lieu des délibérations… tous désignent l’Allemagne ! En opportunité, il semblait donc parfaitement logique d’entraîner la désignation du for compétent vers le pays ayant eu, sur le plan géographique au moins, la très grande faveur des membres du tribunal arbitral, et plus encore de l’arbitre visé par l’action en responsabilité, puisque celui-ci y a même établi sa résidence pendant les deux ans de la procédure.

Pourtant, la solution présente d’importantes limites en cas de généralisation de la règle de désignation du for compétent, pour connaître d’une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ayant manqué à son devoir de révélation, à des hypothèses où les trois lieux précités, d’audience, de réunion et de délibération, sont totalement distincts. À l’inverse, le même constat incline à faire du siège de l’arbitrage le critère privilégié de désignation des juridictions étatiques compétentes, dès lors qu’il est le seul permettant d’unifier le critère de rattachement, sans égard pour la nature de l’action, et d’offrir à l’arbitre un moyen de mieux anticiper, postérieurement à l’annulation de l’arbitrage en raison d’un manquement à l’une des obligations qui lui incombaient, la juridiction susceptible de le condamner à une réparation.

En pratique, cependant, la plus sage des recommandations pour les arbitres serait certainement de devancer plus en amont encore ces difficultés en veillant désormais à négocier dans leur contrat d’arbitre une clause attributive de juridiction en cas d’engagement de leur responsabilité, et ce quel qu’en soit le motif : un manquement au devoir de révélation, au principe du contradictoire, etc. Il pourrait ainsi mieux anticiper dès le départ l’éventualité d’une action dirigée contre eux en bout de procédure arbitrale.

Pour le reste, on ne peut s’empêcher de se demander, au vu des nombreuses difficultés soulevées par la présente affaire, si le tribunal n’aurait pas mieux fait de poser ici une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne…

Auteur d'origine: Dargent
image

Ce dossier pose une question très intéressante située au carrefour du droit des pratiques restrictives de concurrence et de la procédure civile. La particularité du droit des pratiques restrictives de concurrence a justifié que le contentieux soit confié à un nombre limité de juridictions de première instance et, en appel, à la cour d’appel de Paris aux termes de l’article D. 442-3 du code de commerce renvoyant à son annexe 4.2.2. Si cette exclusivité de compétence, d’ordre public, ne pose guère de difficulté lorsque le litige porte principalement sur une pratique restrictive de concurrence, la question de savoir quelle est l’incidence d’une demande subsidiairement fondée sur l’une de ces pratiques se pose avec une particulière acuité.

En l’espèce, la société MHCS, une société qui fabrique et commercialise des champagnes, a choisi de diffuser ses produits par l’intermédiaire de Mme de B. dès 1990. En 2014, la société décide de résilier le contrat pour faute grave. Mme de B. saisit alors le tribunal de commerce de Marseille en formulant diverses demandes.

Au principal, et dans l’hypothèse où, comme elle le soutient, le contrat est qualifié d’agence commerciale, elle réclame le paiement de commissions, d’une indemnité de clientèle et d’une indemnité de préavis en application du droit commun des contrats et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.

Au subsidiaire, dans l’hypothèse où la juridiction ne retiendrait pas la qualification souhaitée, elle sollicite des dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5e (devenu l’art. L. 442-1 c. com.). Souvenons-nous effectivement que cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer à l’agence commerciale (v. par ex., Com. 18 oct. 2017, n° 15-19.531). La juridiction accueille la demande principale en sorte que n’est pas statué sur la demande subsidiaire.

La société MHCS interjette alors appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Saisissant cette juridiction de l’entier litige en soutenant que la qualification d’agence commerciale doit être rejetée, elle formule parallèlement une exception d’incompétence au profit de la cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce dans la mesure où le débat subsidiaire porte sur la rupture brutale de la relation commerciale établie. Retenant la qualification d’agence commerciale, la cour d’appel déclare l’appel recevable et confirme le jugement de première instance condamnant la société au paiement des indemnités de clientèle et de préavis. Elle décide que la « recevabilité de l’appel n’aurait pu être examinée qu’une fois tranchée la nature du contrat liant la société MHCS à Mme de B. ».

Le pourvoi formé par la société pose la question de savoir si un moyen subsidiaire, non examiné en première instance mais à nouveau débattu dans le cadre d’un appel général, dont l’examen relève en principe de la compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce, peut être porté, et éventuellement examiné, devant une autre cour d’appel.

La chambre commerciale répond négativement : « la cour d’appel de Paris dispose exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l’article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire ». En d’autres termes, quoique subordonnée au sort réservé à la demande principale, la demande présentée à titre subsidiaire, dès lors qu’elle est dévolue à la connaissance de la cour d’appel, doit pouvoir être examinée par la juridiction qui a reçu exclusivement compétence pour ce faire.

Les arguments au soutien de cette solution sont nombreux. D’abord, elle s’associe harmonieusement avec la jurisprudence récente. Dans un arrêt retentissant du 29 mars 2017, la chambre commerciale a opéré un revirement à la suite d’un important contentieux qui alourdissait inutilement les délais de traitement des dossiers. La question était quelque peu différente : quid de la juridiction d’appel compétente en cas de recours contre un jugement rendu par une juridiction incompétente en matière de pratiques restrictives de concurrence, c’est-à-dire non spécialement désignée pour en connaître. La Cour de cassation a décidé qu’il fallait opérer un distinguo : les appels formés contre les jugements rendus par les juridictions spécialement compétentes sont portés devant la cour d’appel de Paris alors que ceux formés contre les jugements rendus par une juridiction incompétente doivent être portés devant les autres cours d’appel géographiquement compétentes, à charge pour ces dernières de relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction inférieure incompétente (Com. 29 mars 2017, n° 15-17.659, 15-24.241 et 15-27.811, D. 2017. 756 ; ibid. 1075, chron. S. Tréard, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et A.-C. Le Bras ; ibid. 2018. 865, obs. D. Ferrier ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry ). La demande litigieuse formée devant les premiers juges est alors irrecevable sans que ne se trouve affectée la recevabilité de l’appel (Com. 23 janv. 2019, n° 17-23.271).

La décision commentée est fidèle à ce distinguo dans la mesure où la demande, fût-elle subsidiaire, avait été introduit devant une juridiction spécialement désignée pour en connaître, à savoir le tribunal de commerce de Marseille, et qu’elle devait en conséquence être portée à la seule connaissance de la cour d’appel de Paris. Aucune erreur procédurale liée à l’incompétence n’existait avant la saisine de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, même si le respect de l’article D. 442-3 du code de commerce, dans le cadre de la première instance, résulte sans doute d’un heureux hasard.

Cette solution garantit au demeurant la substance de l’effet dévolutif de l’appel dès lors que doit nécessairement être pris en considération l’ensemble des demandes formulées en première instance pour apprécier, en cas d’appel général, la compétence de la juridiction saisie. C’est ainsi que la Cour de cassation admet, a contrario, c’est-à-dire dans l’hypothèse où une demande fondée sur une pratique restrictive de concurrence est formulée pour la première fois devant une cour d’appel non compétente pour en connaître, que celle-ci puisse opérer une ventilation des demandes en ne statuant que sur celles relevant de sa compétence et déclarer le surplus irrecevable (Com. 7 oct. 2014, n° 13-21.086, D. 2014. 2329 , note F. Buy ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier ; AJCA 2015. 86, obs. M. Ponsard ; RTD civ. 2015. 381, obs. H. Barbier ; RTD com. 2015. 144, obs. B. Bouloc ).

En l’espèce, la demande n’est ni nouvelle, ni additionnelle. Subsidiaire, elle dépend du sort réservé à la demande principale. La cour d’appel d’Aix-en-Provence ne peut statuer sur sa compétence sans se prononcer sur la qualification de la relation unissant les parties retenue par les premiers juges. Même si, en première instance, la demande subsidiaire est devenue sans objet puisque la relation a été qualifiée d’agence commerciale justifiant l’accueil de la demande principale, l’appel a justement pour objet de porter l’entier litige à l’attention de la juridiction d’appel. Il est effectivement possible de considérer que les premiers juges ont au moins implicitement écarté l’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce par suite de la qualification du contrat en agence commerciale. Ainsi, la cour d’appel qui n’a pas été spécialement désignée en matière de pratiques restrictives, n’est pas autorisée à procéder à l’examen de la demande principale et, en cas de rejet de cette demande, à relever une fin de non-recevoir affectant le moyen subsidiaire, la sanction doit être immédiatement prononcée. Les moyens, principal et secondaire, sont dépendants en sorte qu’une demande de disjonction n’aurait même pas pu être envisagée (sur ce point, v. Com. 24 sept. 2013, n° 12-21.089, D. 2013. 2269, obs. E. Chevrier ; ibid. 2812, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2014. 893, obs. D. Ferrier ).

Cet arrêt place néanmoins dans les mains des parties un pouvoir important sur le sort procédural d’un litige dans la mesure où le choix des demandes subsidiaires est susceptible d’avoir une incidence sur la compétence juridictionnelle, y compris lorsque celles-ci ne sont pas étudiées en première instance car devenues sans objet. Le déroulement de nombreux procès est ainsi susceptible d’être déstabilisé.

(Original publié par cspinat)
image

En matière de transport aérien de passagers, l’essentiel du contentieux porte – et de très loin – sur des demandes d’indemnisation en cas d’annulation ou de retard important de vol. Peu fréquentes – et c’est heureux – sont les décisions rendues en matière d’accident aérien, qu’il concerne l’aviation de loisir (pour une illustration récente, v. Civ. 1re, 8 avr. 2021, n°[ESPACE19-21.842, Dalloz actualité, 6 mai 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 741 ) ou de ligne. Dans cette dernière hypothèse, l’accident est susceptible d’entraîner plusieurs dizaines, voire centaines de morts. On parle alors volontiers de catastrophe aérienne. C’est ce dont il est d’ailleurs question dans l’arrêt commenté. Les enjeux sont alors souvent considérables. Les responsabilités ne sont jamais faciles à déterminer ; souvent, tant la compagnie aérienne que le constructeur de l’aéronef ont quelque chose à se reprocher. Il est alors de bonne politique, pour les ayants droit des victimes, d’exercer une action en indemnisation à la fois contre le constructeur de l’aéronef et contre la compagnie aérienne.

Dans l’affaire ici jugée, le 28 décembre 2014, un avion, parti d’Indonésie à destination de Singapour, s’est abîmé en mer. Tous les passagers et membres de l’équipage ont malheureusement péri. Le 4 juillet 2016, divers ayants droit des victimes ont alors engagé une action en responsabilité civile à la fois contre la compagnie aérienne (une société indonésienne), le propriétaire de l’avion (une société allemande), le constructeur (une société française) et son fournisseur (une autre société française ; qui semble être un sous-traitant du constructeur auquel il est reproché d’avoir livré une pièce défectueuse), devant le tribunal de grande instance d’Angers, lieu du siège social de cette dernière société. On peut comprendre que les demandeurs, de nationalité française, ont préféré saisir une juridiction française pour obtenir la mise en cause de tous ces acteurs, d’abord par commodité, mais aussi parce que celles-ci sont probablement plus généreuses que les juridictions indonésiennes. Par ailleurs, le fournisseur a formé un recours en garantie contre la compagnie aérienne, également devant le tribunal de grande instance d’Angers. De leur côté, la compagnie aérienne, le fournisseur et le constructeur ont saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence au profit des juridictions indonésiennes.

Malheureusement pour eux, ils n’obtiennent – sur le seul terrain de la procédure – que partiellement gain de cause : la cour d’appel d’Angers déclare, en effet, le tribunal de grande instance d’Angers incompétent pour connaître de leurs demandes à l’encontre de la compagnie aérienne et énonce que l’affaire les opposant à celle-ci devra faire l’objet d’une disjonction d’instance, ainsi que le prévoit l’article 367, alinéa 2, du code de procédure civile. Dans leur pourvoi, les ayants droit ont contesté cette disjonction, estimant qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur a le choix de saisir la juridiction du lieu où demeure l’un d’entre eux. Cette prorogation de compétence a vocation à s’appliquer dans l’ordre international dès lors que les demandes dirigées contre les différents défendeurs sont connexes. Ils ajoutent qu’un accident d’aéronef est un fait unique rendant indivisibles ou, à tout le moins connexes, les demandes présentées à l’encontre des constructeurs et transporteur et justifiant à ce titre, l’application de la prorogation de compétence. En refusant de reconnaître la compétence de la juridiction française pour statuer sur la responsabilité de la compagnie indonésienne, la cour d’appel aurait violé l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, qui prévoit qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux (ici le fournisseur). Il est vrai qu’il a déjà été jugé qu’une telle action en indemnisation peut valablement être intentée à la fois contre le constructeur et le transporteur devant le tribunal du siège du premier car la Cour de cassation a estimé que ces demandes ont entre elles un lien de connexité (Civ. 1re, 26 juin 2019, n° 18-12.541, Dalloz actualité, 26 sept. 2019, obs. X. Delpech).

Devant quelle juridiction et sur quel fondement la compagnie aérienne doit-elle être attraite ? Tout d’abord, les ayants droit des victimes se sont prévalues des règles de compétence issues du règlement (UE) n° 1215/2015 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles 1 bis, et du principe de bonne administration de la justice résultant de ce règlement. En effet, selon eux, ce principe risquerait d’être bafoué s’il y a une incompatibilité entre la décision rendue par une juridiction française retenant la responsabilité du transporteur aérien sur l’appel en garantie exercé contre lui par le fournisseur, constructeur de la pièce défectueuse, et celle – qui serait rendue par une juridiction indonésienne, qui serait alors compétente – écartant toute responsabilité de ce même transporteur sur l’action directement intentée par les ayant-droits des victimes. L’argument est séduisant, mais la Cour de cassation le rejette logiquement, à la suite de la cour d’appel d’Angers, estimant que, dans la mesure où le transporteur aérien étant une société domiciliée dans un État tiers à l’Union européenne, la cour d’appel en a justement déduit que cette société ne pouvait être attraite en France sur la base de l’un des chefs de compétence dérivée du règlement Bruxelles 1 bis. Cette solution se recommande de l’article 6, § 1er, de ce règlement qui énonce que, « [si] le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre ».

Les règles de compétence pour connaître d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien sont en principe déterminées par les conventions internationales en matière de transport aérien. D’ailleurs, l’article 71 du règlement précité énonce que « [le] présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres [dont la France] sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions ». On serait donc tenté de prime abord de solliciter la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international. Pourtant, elle doit être en l’occurrence écartée, car, pour qu’elle s’applique, il faut en principe que le point de départ et le point (prévu) de destination soient deux parties à la Convention (art. 1er, al. 2). Or, à la date de l’accident, l’Indonésie, État du point de départ du vol, n’en était pas encore partie. C’est donc la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dont l’objet est le même que celle de Montréal, qui est applicable. Son article 28 pose les règles de compétence territoriale dans le cadre d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien en cas de transport international. Selon le premier alinéa de cet article, « [l]’action en responsabilité est portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’une des hautes parties contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination ».

Ce texte ne permet en aucun cas d’attraire le transporteur aérien devant une juridiction française. Que l’on retienne l’un ou l’autre des deux chefs de compétence prévus par celui-ci, le transporteur aérien ne pouvait être poursuivi que devant une juridiction indonésienne. La Cour de cassation ajoute que l’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie « édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif, de sorte qu’elle fait obstacle à ce qu’il y soit dérogé par application des règles internes de compétence, et notamment celle de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ». La solution n’est pas nouvelle (v. déjà Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 04-18.644 P, D. 2006. 2055, obs. X. Delpech ; RTD com. 2006. 703, obs. P. Delebecque  ; JCP 2006. Actu. 373 ; 12 nov. 2009, n° 08-15.269, Rev. crit. DIP 2010. 372, note H. Muir Watt ; RTD com. 2010. 456, obs. P. Delebecque  ; JCP E 2010, n° 1789, note F. Letacq). Cette règle de compétence directe signifie que le juge français saisi, amené, au préalable, à s’interroger sur sa propre compétence, est tenu d’appliquer cet article 28 pour apprécier cette compétence, à l’exception de toute autre règle de conflit de juridictions, en particulier la règle française de compétence territoriale.

Qu’en est-il enfin des règles de compétence territoriale s’agissant de l’appel en garantie du fournisseur contre le transporteur ? La cour d’appel a jugé que le tribunal de grande instance d’Angers était compétent à l’égard des demandes en garantie formées par le fournisseur à l’encontre du transporteur. Ce que confirme la Cour de cassation dans sa réponse, qui mérite d’être intégralement reproduite : « L’arrêt retient exactement, d’une part, que la Convention de Varsovie ne s’applique qu’aux parties liées par le contrat de transport et que, par conséquent, l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs ou de son sous-traitant, qui n’exerce pas une action subrogatoire mais une action personnelle, contre le transporteur, ne relève pas du champ d’application de cette Convention et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28, d’autre part, que, conformément à l’article 333 du code de procédure civile, applicable dans l’ordre international en l’absence d’une clause attributive de compétence, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l’appelant en garantie ».

La solution ne saurait surprendre. La Cour de cassation a, en effet, déjà jugé que l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d’application de la Convention de Varsovie et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28 (Civ. 1re, 4 mars 2015, n° 13-17.392 P, Dalloz actualité, 6 mars 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 622, obs. X. Delpech ; ibid. 1294, obs. H. Kenfack  ; JCP 2015, n° 601, note O. Cachard). C’est dire que la détermination de cette compétence relève des règles françaises, en l’occurrence de la règle de prorogation légale de compétence posée par l’article 333 du code de procédure civile sur l’intervention forcée, dont la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que, sauf en présence d’une clause attributive de compétence ou d’une clause compromissoire, il est applicable dans l’ordre international (Civ. 1re, 12 mai 2004, n° 01-13.903, Bull. civ. I, n° 129 ; D. 2004. 1562, et les obs. ; RTD civ. 2004. 553, obs. R. Perrot ). Ainsi, la Convention de Varsovie (et aujourd’hui celle de Montréal) n’est applicable que dans les relations entre le passager et le transporteur aérien. L’arrêt commenté ne surprend donc pas mais réitère opportunément, en les motivant davantage, des solutions complexes qui méritent d’être mieux connues.

(Original publié par Delpech)
image

Bienheureux est le lecteur qui se plonge dans la thèse du professeur Alain Bénabent, portant sur La chance et le droit, lorsqu’il essaye d’apprivoiser la notion d’aléa. L’auteur met en exergue un paradoxe. Les progrès de la probabilité « ont été l’“accélérateur” des contrats aléatoires. On remarque en effet une constante dans l’évolution de chacun des contrats qui se sont développés : c’est que son nombre croît au fur et à mesure qu’il devient moins aléatoire pour l’une des parties. En d’autres termes, plus l’un des contractants parvient à réduire son aléa dans un contrat, plus celui-ci se développe. Le contrat d’assurance en est bien entendu la première illustration. C’est parce qu’il ne présente aucun risque pour l’assureur, qui, ainsi, offre une très grande sécurité aux assurés, qu’il a pu se multiplier comme on sait » (A. Bénabent, La chance et le droit, ss la dir. de J. Carbonnier, LGDJ, 1973, nos 178-179). Malgré cette assertion, « il est acquis que le contrat d’assurance est un contrat aléatoire : la loi le dit, la jurisprudence le répète et la doctrine l’approuve » (F. Leduc, in H. Groutel et a., Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 161). En bref, « pas d’aléa, pas d’assurance » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, 2018, n° 186), ce que rappelle la deuxième chambre de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 mai 2021.

Le rappel du principe « pas d’aléa pas d’assurance »

En l’espèce, une personne acquiert un véhicule au moyen d’un contrat de location avec option d’achat, souscrit le 20 septembre 2012. Quelques mois plus tard – le 25 mai 2013 –, l’acquéreur adhère à un contrat d’assurance garantissant notamment l’incapacité totale de travail et affecté au contrat de location avec option d’achat. Il s’agit là d’une assurance de personnes, dite « non-vie ». En particulier, « l’assurance contre les accidents corporels – aussi appelée, selon le contexte, « prévoyance », « assurance incapacité-invalidité décès », voire « assurance emprunteur » – a pour objet le versement ponctuel ou récurrent (rente) d’une somme d’argent en cas de réalisation du risque. Cette somme d’argent doit compenser l’apparition d’un besoin précédemment identifié, tels le manque financier procédant du décès d’un proche, l’obligation de rembourser un prêt souscrit pour acquérir un bien immobilier à la suite d’un arrêt de travail prolongé, ou la nécessité de l’aide d’une tierce personne à la suite d’une situation d’invalidité. L’assurance est alors forfaitaire. Elle peut aussi avoir pour objet de compenser, totalement ou partiellement, une perte de revenu provoquée par un arrêt forcé du travail : l’assurance est alors indemnitaire » (V. Roulet, « Les assurances de personnes non-vie », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 526 s., spéc. p. 528).

L’acquéreur assigne, par la suite, le vendeur et l’assureur en paiement d’une somme représentant les mensualités du crédit réglées durant sa période d’arrêt de travail. La cour d’appel de Nancy fait droit à sa demande, aux motifs que l’assuré, souffrant d’une entorse du genou droit, a bénéficié d’un arrêt de travail à compter du 18 février 2013, que cette pathologie a été consolidée le 11 septembre 2014 et que l’assuré a été de nouveau en arrêt de travail à compter du 12 septembre 2014. Les juges du fond rappellent que, pour s’opposer à la garantie, l’assureur fait valoir que le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l’assuré sait déjà réalisé. Ils ajoutent cependant que l’assureur n’a pas sollicité la nullité du contrat d’assurance, de sorte que la cour n’est pas saisie de cette demande.

L’assureur forme un pourvoi en cassation, dans lequel il soutient « que le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l’assuré sait déjà réalisé ; que pour retenir la garantie de la société [d’assurance] qui la déniait en faisant valoir que [l’assuré] ne pouvait être indemnisé de l’arrêt de travail qui était en cours et dont il avait connaissance au jour de son adhésion à l’assurance, la cour d’appel a considéré que cet assureur ne pouvait pas invoquer l’absence de garantie d’un risque que l’assuré savait déjà réalisé dès lors qu’il ne sollicitait pas la nullité du contrat d’assurance de ce chef ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel qui a méconnu son office en ne tirant pas les conséquences légales de la situation invoquée a violé les articles 1964 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige, L. 121-15 du code des assurances, ensemble l’article 12 du code de procédure civile ».

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 6 mai 2021, censure intégralement la décision des juges du fond. Visant l’article 1964 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause, elle rappelle qu’« aux termes de ce texte, le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tel est le contrat d’assurance » (pt 4). La deuxième chambre civile en conclut qu’en statuant comme elle l’avait fait, « alors qu’en l’absence d’aléa, au jour de l’adhésion, concernant l’un des risques couverts par le contrat d’assurance, la garantie y afférente ne pouvait être retenue, la cour d’appel, qui relevait que le premier arrêt de travail avait débuté le 18 février 2013, avant la date de l’adhésion, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations » et a violé l’article 1964 (ancien) du code civil (pt 6).

L’explication du principe « pas d’aléa pas d’assurance »

Le droit des contrats a été fortement renouvelé par l’ordonnance du 10 février 2016. Avant cette réforme – période contractuelle à laquelle est assujettie la présente affaire –, le code civil traitait du contrat aléatoire aux anciens articles 1104 (le contrat aléatoire procure « une chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d’après un événement incertain ») et 1964 (« Le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain »). Il existait un problème d’articulation entre ces deux textes, car le second laisse entendre que l’incidence de l’événement sur les avantages et pertes attendus peut ne concerner qu’un seul contractant. Dans ce conflit de normes, l’article 1104 primait.

Ainsi, la figure du contrat aléatoire était généralement identifiée au moyen de deux traits distinctifs, à savoir, d’une part, un aléa événementiel – par l’insertion d’un événement incertain dans l’économie du contrat par les parties – et, d’autre part, un aléa économique réciproque consistant en ce que chacun des contractants court une chance de gain et un risque de perte – autrement dit l’un comme l’autre s’exposent à réaliser une bonne ou une mauvaise affaire – (v. J. Bigot, Pour une modernisation du Code des assurances, JCP 2011. Étude 1370, n° 8 ; J. Kullmann, L’aléa, condition de l’assurance ?, in RCA 2014. Doss. 4 « Aléa et contrat d’assurance »).

Le professeur Yves-Marie Laithier a souligné que, « traditionnellement, il n’y a pas d’aléa, au sens du droit des contrats, sans un risque de perte. Ce risque de perte, qui suppose l’existence d’une mise, doit être réciproque » (Y.-M. Laithier, « Aléa et théorie générale du contrat », in L’aléa, Association Henri-Capitant, Journées nationales, t. XIV, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010, p. 7-31, spéc. p. 12) et « ce que perd l’un des contractants, l’autre doit le gagner » (Y.-M. Laithier, art. préc., p. 13). Néanmoins, en matière d’assurance sur la vie, la Cour de cassation a accepté « qu’un événement incertain suffise à qualifier un contrat d’aléatoire, indépendamment de son incidence sur l’équilibre économique de l’opération et, par suite, sans qu’existe nécessairement un risque de perte corrélé à une chance de gain » (Y.-M. Laithier, art. préc., p. 14-15).

De 1804 à 2016, l’article 1964 du code civil classait expressément le contrat d’assurance parmi les contrats aléatoires. L’ordonnance de 2016 a supprimé cette précision. Néanmoins, la solution était empreinte d’une grande tradition puisque, dès 1681, l’ordonnance de la marine de Colbert exigeait que le contrat d’assurance maritime soit aléatoire, en plus d’être indemnitaire et de bonne foi.

À l’instar de l’affaire commentée, la jurisprudence a plusieurs fois rappelé que le contrat d’assurance est par nature aléatoire (Civ. 2e, 11 sept. 2014, n° 13-17.236 : « Le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne pouvait garantir un risque que les assurés savaient déjà réalisé avant sa souscription » ; 15 avr. 2010, n° 08-20.377 : même attendu ; Civ. 1re, 4 nov. 2003, n° 01-14.942 : même attendu de principe dans un chapeau, D. 2003. 2867 ). Le courant doctrinal majoritaire est également en ce sens.

Il est vrai, cependant, qu’aucun article du code des assurances ne traite expressément de l’aléa, au point que d’importants auteurs ont pu douter du caractère aléatoire du contrat d’assurance (H. Groutel, Le contrat d’assurance, 2e éd., Dalloz, 1997, p. 5 : « On dit habituellement que le contrat d’assurance est un contrat aléatoire. Rien n’est moins certain »).

Cette incertitude est particulièrement forte concernant les contrats dits d’assurance placement, pour lesquels la Cour de cassation a maintenu en 2004, au prix d’un certain forçage conceptuel, la qualification de contrats d’assurance. On peine, en effet, à y déceler un véritable aléa (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, 4 arrêts, Bull. ch. mixte, n° 4 ; RGDA 2005. 110, note L. Mayaux ; v. les conclusions du premier avocat général de la Cour de cassation ; J. Ghestin, La Cour de cassation s’est prononcée contre la requalification des contrats d’assurance vie en contrats de capitalisation, JCP 2005. I. 111 ; F. Leduc et P. Pierre, Assurance placement : une qualification déplacée à propos des arrêts de chambre mixte du 23 novembre 2004, RCA 2005. Étude 3 ; A. Maurice, Les sanctions fiscales de dénouement par décès d’un contrat d’assurance vie, JCP N 2005, n° 15, p. 739 ; B. Beignier, La poule d’eau est-elle de la viande ou l’assurance vie de placement est-elle une libéralité ?, D. 2005. 1905  ; J.-L. Aubert, Le caractère aléatoire du contrat d’assurance sur la vie, Defrénois 2005, art. n° 38142, n° 11 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles d’une longue vie à l’assurance vie, Dr. fam. 2005, étude n° 6). Dans ces contrats, en contrepartie du versement d’une prime (unique ou périodique), l’assureur s’engage à verser – soit au souscripteur (s’il est encore en vie à la date fixée au contrat), soit à un tiers bénéficiaire désigné –, un capital égal à la valeur de l’épargne constituée au jour du dénouement du contrat. Il est donc certain que le capital sera versé par l’assureur. Le montant versé correspond aux primes, avec les intérêts, les frais de gestion déduits. Si la durée de la vie humaine (événement incertain) est bien intégrée au contrat, il permet seulement de déterminer à qui l’assureur versera la prime. Il ne génère toutefois aucun aléa économique bilatéral ou même unilatéral (aucune chance de gain ou de perte pour l’assuré comme pour l’assureur).

En dehors de cette figure particulière, la matière contractuelle assurantielle ne saurait être amputée de l’aléa – du moins de l’aléa événementiel –, qui est consubstantiel au contrat d’assurance : un risque doit exister et être assurable. Au moment de la conclusion du contrat, les assurances terrestres sont régies par l’article L. 121-15 du code des assurances, lequel énonce expressément, en son alinéa 1er, que « l’assurance est nulle si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri ou ne peut plus être exposée aux risques ». Le risque est en effet un événement incertain.

Une difficulté surgit parfois concernant l’assurabilité du risque putatif, c’est-à-dire du risque qui s’est déjà réalisé mais dont personne n’avait connaissance au moment de la conclusion du contrat. On distingue alors entre prise en compte objective ou subjective de l’aléa.

Certains textes particuliers (par ex. C. ass., art. L. 172-4 : « Toute assurance faite après le sinistre ou l’arrivée du navire transporteur est nulle, si la nouvelle était connue, avant la conclusion du contrat, au lieu où il a été signé ou au lieu où se trouvaient l’assuré et l’assureur » ; C. ass., art. L. 172-5 : « L’assurance sur bonnes ou mauvaises nouvelles est nulle s’il est établi qu’avant la conclusion du contrat, l’assuré avait personnellement connaissance du sinistre ou l’assureur de l’arrivée des objets assurés ») optent pour la prise en compte de l’aléa de manière subjective, notamment en matière d’assurances maritimes. « Par le contrat d’assurance, l’assuré se prémunit contre des risques possibles, et l’assureur l’en garantit. Si les risques sont déjà réalisés ou si l’expédition s’est déjà achevée heureusement au moment où le contrat est conclu, il manque à ce contrat un élément fondamental : l’aléa. La nullité s’exprime aujourd’hui dans deux textes, les articles L. 172-4 et L. 172-5, qui ne sont pas impératifs » (P. Delebecque, « Les assurances maritimes », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 428 s., spéc. p. 478). Dans le second texte, « les parties ont prévu que le risque pouvait être déjà survenu ou qu’il n’était plus à craindre. La loi maintient néanmoins le contrat si l’intéressé n’en avait pas personnellement connaissance. Lorsque, en matière de polices flottantes, on admet que l’assureur couvre le risque déjà couru au moment où l’assuré a envoyé sa déclaration d’aliment, on ne fait pas application des règles qui viennent d’être indiquées. La police a été conclue avant l’événement » (P. Delebecque, art. préc.).

En droit commun, l’article L. 121-15 du code des assurances ne précise rien. Après avoir été favorable à une conception objective de l’aléa (M. Planiol et G. Ripert, Traité de droit civil. Tome XI. Contrats civils, LGDJ, 1954, n° 1253 ; M. Picard et A. Besson, Les assurances terrestres, t. I, LGDJ, 1982, n° 23), la doctrine tend désormais majoritairement vers une conception subjective (J. Bigot, Traité de droit des assurances. Tome 3. Le contrat d’assurance, LGDJ, 2002, n° 106 ; J. Kullmann, Lamy Assurances, 2008, n° 108 ; obs. ss Civ. 1re, 4 nov. 2003, RGDA 2004. 338 ; L. Mayaux, note ss Civ. 1re, 30 mars 1994, RGDA 1994. 1205).

La jurisprudence semble également en ce sens. Le sinistre est garanti lorsque le fait dommageable (pourtant survenu avant la conclusion du contrat) n’était pas connu. En d’autres termes, le passé inconnu est assurable, dans la mesure d’un « aléa subjectif » (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-14.661 : « La seule circonstance que le fait dommageable soit antérieur à la prise d’effet de la garantie ne suffit pas à exclure sa mise en œuvre. Il convient encore d’établir que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie »).

Au contraire, le contrat d’assurance ne peut pas porter sur un risque que l’assuré sait s’être déjà réalisé (v. par ex., à propos d’un véhicule détruit avant la formation du contrat d’assurance, Crim. 11 déc. 2007, n° 07-81.665). Ainsi, un aléa doit exister « dans l’assurance de responsabilité et la réalisation du sinistre. Elle est dès lors entachée de nullité dans deux situations privées d’aléa : 1° si, à l’entrée en vigueur de la couverture, le risque garanti s’est déjà réalisé ; 2° si, lors de la souscription du contrat, le souscripteur/assuré a connaissance de la survenance proche et inéluctable du sinistre » (R. Bigot, « Les assurances de responsabilité », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], op. cit., Ellipses, 2020, p. 260).

À signaler, tout de même, l’existence de pratiques de transfert des risques, par des clauses de run-off, qui correspondent à la reprise en gestion, par un autre assureur, du passé connu (G. Parléani, Le run-off, RGDA févr. 2021, n° 118f3, p. 48 : « On peut définir le run-off comme l’organisation financière de la liquidation progressive d’un portefeuille lorsque l’assureur a cessé de conclure des polices d’assurance (le terme anglais évoque aussi l’écoulement avec le temps). Le run-off est en conséquence à la fois l’extinction d’un portefeuille de contrats d’assurance, et un moyen de liquider les actifs qui étaient requis pour respecter les règles prudentielles. Il est fréquent que ces actifs puissent receler des plus-values latentes, qui pourraient être opportunément dégagées, que ce soit pour le profit du groupe auquel appartient l’entreprise d’assurance, ou pour celui de ses actionnaires. Le run-off est progressivement devenu un véritable business, avec ses propres techniques »).

Enfin, il convient de noter que, depuis la réforme du 10 février 2016, le contrat aléatoire est désormais défini par le nouvel article 1108, aux termes duquel le contrat « est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ». Le texte ne précise pas que l’incidence de l’événement sur les avantages et pertes attendus doit se manifester à l’égard des deux contractants. Un auteur considère que la réforme opérerait ainsi un changement par rapport au droit positif : l’aléa économique pourrait désormais être bilatéral ou unilatéral (F. Leduc, Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats et le caractère aléatoire du contrat d’assurance, RDC 2015/4, p. 895 ; comp. J. Bigot, « L’ordonnance portant réforme du droit des contrats, des obligations et de leur preuve et le contrat d’assurance », in Libres propos sur la réforme du droit des contrats, LexisNexis, 2016, p. 167 ; M. Robineau, Le Code civil, l’aléa, le contrat d’assurance : libres propos sur l’abrogation de l’article 1964 du Code civil, bjda.fr 2017. Doss. n° 2 ; P. Casson, Risque et Code civil. Quelques réflexions sur l’aléa dans le contrat d’assurance, bjda.fr, doss. n° 1 ; V. Nicolas, « Nouvelle définition du contrat aléatoire et contrat d’assurance : pour un rattachement au droit des affaires », in Mélanges Neau-Leduc, LGDJ, 2018, p. 745).

Cette idée apparaissait déjà dans les travaux préparatoires du code civil, sous la plume de Portalis, selon lequel les contrats aléatoires « sont le produit de nos espérances ou de nos craintes. On veut tenter la fortune ou être rassuré contre ses caprices » (Fenet, Recueil… T. 14, Videcoq, 1836, p. 535). Tantôt le contrat aléatoire a pour but de spéculer sur le hasard ; tantôt, au contraire, le contrat a pour but de procurer la sécurité contre le hasard. Dans le premier cas, comme le souligne Portalis, « chacune des parties court un risque à peu près égal » (Fenet, art. préc., p. 536) : il y a réciprocité de l’aléa économique. Au contraire, dans les seconds, Portalis souligne qu’« une seule des parties contractantes s’expose à un risque au profit de l’autre partie, moyennant une somme que celle-ci donne pour prix de ce risque » (ibid.). On retrouve ici le contrat d’assurance, classiquement défini comme le contrat dans lequel une des parties (l’assuré) cherche à se prémunir contre un risque, et paie son cocontractant (l’assureur) afin de lui transférer le poids du hasard. La chance de gain et le risque de perte n’affecteraient alors qu’une partie (l’assureur) : l’aléa économique serait unilatéral.

(Original publié par rbigot)
image

En matière de renouvellement du bail commercial, il existe un principe jurisprudentiel constant selon lequel « à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix » (Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125, note B. Boccara ; 14 oct.1987, n° 85-18.132 ; 3 févr. 1988, n° 86-16.158 ; 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier  ; 17 mai 2006, n° 04-18.330, D. 2006. 1818, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; AJDI 2006. 819 , note M.-P. Dumont-Lefrand  ; 19 déc. 2012, n° 11-21.340, Dalloz actualité, 16 janv. 2013, obs. Y. Rouquet ; D. 2013. 79 ; ibid. 1164, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 1794, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2013. 346 , obs. Y. Rouquet ; Loyers et copr. 2013. 50, obs. E. Chavance).

Le renouvellement du bail commercial s’opère donc, en principe, aux clauses et conditions du bail venu à expiration ; à l’exception du loyer qui peut être modifié par le juge des loyers et de la durée du bail renouvelé régie par les dispositions de l’article L. 145-12 du code de commerce. Ce principe de reconduction des clauses et conditions du bail venu à expiration est, depuis le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévu à l’article 1214, alinéa 2, du code civil.

Le montant du loyer renouvelé est à l’origine de la plupart des conflits entre bailleurs et locataires, comme en témoigne l’arrêt rapporté. Néanmoins, le renouvellement du bail peut être acquis sans que les parties aient pu trouver un accord sur le prix. Le renouvellement du bail n’est pas subordonné à la fixation préalable du loyer, même s’il est un élément essentiel du bail (Civ. 3e, 8 juill. 1980, n° 79-11.079, Bull. civ. III, n° 132 ; C. com., art. L. 145-11).

La question du loyer est théoriquement autonome du principe du renouvellement (Civ. 3e, 28 nov. 2006, n° 05-20.436, AJDI 2007. 650 , obs. C. Denizot ). En effet, le principe du renouvellement du bail commercial et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96 ; C. Denizot, Droit et pratique des baux commerciaux, v° Forme du renouvellement, Dalloz action, 2021/2022, n° 362.11) de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement et non sur le montant du nouveau loyer, qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable ou à défaut d’accord, par la voie judiciaire. Cependant, aucune disposition n’interdit aux parties de fixer dès le renouvellement le prix du bail.

Quoi qu’il en soit, à défaut de convention contraire et en l’absence de saisine du juge des loyers, le renouvellement du bail commercial s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, de sorte que le loyer stipulé dans le précédent bail s’applique (Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125, note B. Boccara ; 27 févr. 1991, n° 89-18.729, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; RTD civ. 1992. 88, obs. J. Mestre  ; 6 mars 1991, n° 89-20.452, D. 1992. 364 , obs. L. Rozès ; AJDI 1991. 834 et les obs. ; RDI 1991. 395, obs. G. Brière de l’Isle et J. Derruppé ; RTD civ. 1992. 137, obs. P.-Y. Gautier ).

Si la haute juridiction s’était prononcée par le passé sur le principe d’identité de contenu du bail renouvelé, l’arrêt rapporté a conduit la Cour de cassation à préciser le contenu du bail renouvelé en présence d’une demande de renouvellement comportant la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration ». En effet, une telle formule amène à s’interroger sur le loyer applicable au bail renouvelé dans les termes suivants : le prix du bail renouvelé est-il maintenu au prix du bail expiré au même titre que les stipulations contractuelles contenues dans ledit bail ?

En l’espèce, dans le cadre de l’existence d’un bail liant deux sociétés, la locataire a, par acte du 23 novembre 2016, sollicité le renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures ». La bailleresse a exprimé son accord pour un tel renouvellement. À la suite de l’acceptation de la demande de renouvellement par la bailleresse, la locataire a sollicité la fixation du prix du bail renouvelé à un montant bien inférieur à celui du loyer initial. La proposition de loyer a été refusée. La locataire a décidé de saisir le juge des loyers commerciaux.

La cour d’appel Aix-en-Provence (12 sept. 2019, n° 18/15353) a rejeté la demande en fixation du loyer du bail renouvelé au motif que la locataire avait formulé une demande de renouvellement du bail « aux clauses et conditions du précédent bail », sans réserve sur le prix, et que la bailleresse avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures, de sorte que bailleresse et locataire se sont accordées sur le maintien du prix du loyer.

Mais la locataire s’est pourvue en cassation en soutenant que la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » insérée dans la demande de renouvellement traduisait seulement un accord sur le principe du renouvellement du bail et non un accord sur le prix du loyer renouvelé. En effet, il est acquis que le loyer du bail renouvelé doit faire l’objet d’un accord exprès et explicite des parties. Partant, cette formule de style « aux clauses et conditions » du précédent bail était, selon le pourvoi, insuffisante à caractériser un engagement précis, complet et ferme sur le montant du loyer du bail à renouveler.

Au-delà de la formule de style, la locataire soutenait que les circonstances de fait ne pouvaient pas non plus contribuer à caractériser un accord ferme des parties sur le maintien du loyer. Par conséquent, l’engagement précis et ferme de maintenir le prix du loyer ne pouvait résulter du simple fait que la formule d’usage était reprise, sans aucune référence explicite au prix, dans les différents actes échangés entre les parties, ni du fait que le précédent bail était annexé à la demande de renouvellement. Le maintien du prix aurait dû découler d’une volonté expresse. En somme, pour la locataire, les juges du fond ont dénaturé la volonté des parties.

Pourtant, aucun de ces arguments n’emporte la conviction de la Cour de cassation. Exerçant son contrôle, elle estime au regard des éléments relevés par les juges d’appel que ces derniers n’ont pas dénaturé la volonté des parties. Si la cour régulatrice ne vise aucun texte, elle semble faire application du principe de la force obligatoire des contrats (C. civ., art. 1134, al. 1er, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, devenu C. civ., art. 1103).

En effet, l’acceptation du renouvellement « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans aucune réserve sur le prix du bail a permis aux hauts magistrats d’y voir la caractérisation d’un accord exprès des parties sur les conditions et clauses du bail précédent. Dès lors, et dans la mesure où le loyer est une « condition » du bail précédent, ledit bail commercial devait être maintenu intégralement, incluant par conséquent le maintien du prix du loyer. Du reste, à cet égard, et même si la locataire s’est opposée à cet argument, les juges d’appel ont à juste titre considéré que le maintien du prix du loyer était explicitement proposé lorsque la locataire a annexé le bail initial, sans aucune réserve sur le prix, à la demande de renouvellement qui précisait un renouvellement aux mêmes clauses et conditions que le précédent bail. En acceptant sans aucune réserve ce renouvellement aux conditions antérieures, un « nouveau » bail a été conclu entre la bailleresse et la locataire au prix de l’ancien.

La proposition de renouvellement du bail « aux mêmes clauses et conditions antérieures » acceptée expressément par la bailleresse portait donc sur le principe du renouvellement et sur les conditions financières : les parties se sont, dans le même temps, accordées explicitement sur le principe du renouvellement et sur le prix du bail (l’accord sur le prix n’était pas, en l’espèce, distinct du principe du renouvellement). Les contrats légalement formés tenant lieu de loi à ceux qui les ont faits, le rejet du pourvoi était inévitable.

La locataire aurait été mieux inspirée d’attendre l’expiration de la période triennale pour demander la révision légale du loyer au lieu de s’engager dans une telle procédure, qui a duré cinq années de surcroît, pour finalement voir sa demande en fixation du loyer du bail renouvelé rejetée.

La solution aurait été probablement différente si la locataire avait proposé à l’occasion de la demande de renouvellement un autre montant.

Le renouvellement d’un bail commercial n’est pas un acte anodin. Il importe donc pour les parties d’y porter une attention particulière notamment sur le montant du loyer du bail renouvelé au moment de la délivrance de la demande de renouvellement ou du congé avec offre de renouvellement au risque de se heurter aux effets d’une formule de style.

(Original publié par sandjechairi)
image

Cet arrêt se rattache à une affaire bien connue, qui concerne la faculté ou non, pour l’administration fiscale, d’utiliser un fichier répertoriant des clients français titulaires de comptes non déclarés auprès de la filiale suisse d’un établissement de crédit sino-britannique (le fameux « fichier HSBC »), dans le but d’échapper à l’impôt en France, ce fichier étant détenu par un ancien salarié de cet établissement. Cette affaire a déjà donné lieu un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui avait été défavorable à l’administration fiscale, puisqu’elle avait jugé, au nom du principe de loyauté de la preuve, qu’un listing volé à une banque ne peut être utilisé par le fisc (Com. 31 janv. 2012, n° 11-13.097, Bull. civ. IV, n° 22 ; D. 2012. 496 ; Rev. sociétés 2012. 389, note C. Lopez ; RTD com. 2012. 419, obs. P. Neau-Leduc : dès lors que les documents produits par l’administration fiscale comme fondement d’une perquisition ont une origine illicite, en ce qu’ils proviennent d’un vol, cette perquisition doit être annulée, peu important que l’administration ait eu connaissance de ces documents par la transmission d’un procureur de la République ou antérieurement. V. égal. sur cette affaire le rapport de C. Eckert relatif au traitement par l’administration fiscale des informations contenues dans la liste reçue d’un ancien salarié d’une banque étrangère, Doc. AN, n° 1235, 10 juill. 2013).

Ce nouvel arrêt est cette fois bien plus favorable aux intérêts de l’administration fiscale. Cette dernière, à laquelle un procureur de la République avait transmis, en application de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales (LPF), des informations laissant supposer que deux personnes mariées étaient, par l’intermédiaire d’une société, titulaires d’un compte bancaire ouvert dans les livres d’une banque établie en Suisse a, le 17 décembre 2010, déposé plainte contre eux du chef de fraude fiscale. Parallèlement, l’administration fiscale a, après le décès du mari, notifié à son épouse, le 19 janvier 2015, une proposition de rectification portant sur la réintégration à l’actif taxable à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), acquitté par elle au titre des années 2006 à 2011, les sommes détenues sur un compte ouvert auprès de cette banque. Le 15 juin 2015, l’administration fiscale a émis un avis de mise en recouvrement et, après rejet de sa contestation, l’épouse l’a assignée aux fins d’annulation de la décision de rejet de sa réclamation ainsi que de décharge des sommes réclamées. On ignore en que sens ont statué, mais ce que l’on sait est que, au stade l’appel, la cour d’appel de Paris a rejeté les demandes de la contribuable tendant à l’annulation de la décision de rejet du 22 janvier 2016, ainsi qu’à la décharge des impositions supplémentaires d’ISF auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2011, tant en droits simples qu’en pénalités.

L’intéressée forme alors un pourvoi dans lequel elle invoque logiquement un argument d’ordre procédural : si l’administration peut utiliser, dans le cadre d’une procédure de contrôle autre que les visites domiciliaires des renseignements d’origine illicite, c’est à la condition qu’ils aient été régulièrement portés à sa connaissance en application, notamment, de son droit de communication ; en particulier, le ministère public ne pouvait communiquer les dossiers à l’administration fiscale qu’à l’occasion d’une instance devant les juridictions civiles ou criminelles. Les renseignements sur lequel l’administration fiscale a procédé à son redressement ne provenant ni d’une instance civile, commerciale ou pénale, ni d’une information judiciaire, ils lui ont donc été irrégulièrement communiqués.

Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation commence par rappeler l’état du droit. Selon l’article L. 101 du LPF, dans sa rédaction alors applicable, l’autorité judiciaire doit communiquer à l’administration des finances toute indication qu’elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu’il s’agisse d’une instance civile ou commerciale ou d’une information criminelle ou correctionnelle, même terminée par un non-lieu. La Cour ajoute qu’« il ne résulte pas de l’énumération des situations dans lesquelles l’autorité judiciaire est susceptible de transmettre de telles informations que le législateur ait entendu exclure du champ d’application de ce texte les éléments recueillis et transmis par un procureur de la République dans le cadre d’une enquête pénale ». Elle fonde cette interprétation sur l’objectif poursuivi par ce texte, tel qu’il ressort des travaux parlementaires de la loi du 4 avril 1926, dont les dispositions de l’article L. 101 du LPF sont issues : « l’objectif du législateur était de permettre à l’administration fiscale d’être informée, autant que possible, de présomptions de dissimulations ou d’évasions fiscales, quelle que fût la procédure en cause. À la lumière de l’évolution des règles de procédure pénale existant à la date des transmissions en cause, une interprétation contraire méconnaîtrait cet objectif ».

La chambre commerciale ajoute que, en application de l’article L. 10-0 AA du LPF, en matière de procédures de contrôle de l’impôt, à l’exception de celles relatives aux visites en tous lieux, même privés, les pièces issues de la commission d’un délit ne peuvent être écartées au seul motif de leur origine dès lors qu’elles ont été régulièrement portées à la connaissance de l’administration fiscale par application, notamment, de l’article L. 101 du LPF et que les conditions dans lesquelles elles lui ont été communiquées n’ont pas été ultérieurement déclarées illégales par un juge.

La chambre commerciale poursuit en énonçant que, avoir constaté que les données informatiques versées au soutien de la plainte de l’administration fiscale contre la contribuable dont des extraits ont été transmis à l’appui des propositions de rectification, avaient été dérobées par un ancien salarié de la banque suisse dans les livres de laquelle elle avait ouvert un compte, et relevé que ces pièces ont été obtenues à l’occasion de la perquisition légalement effectuée au domicile de ce dernier le 20 janvier 2009, en exécution d’une commission rogatoire internationale délivrée par les autorités judiciaires helvétiques, l’arrêt d’appel retient que les documents ont fait l’objet d’une communication régulière à l’administration fiscale les 9 juillet 2009, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions de l’article L. 101 du LPF. Ce même arrêt d’appel relève encore qu’il n’est pas établi que l’administration fiscale aurait confectionné les pièces litigieuses ni participé directement ou indirectement à leur production, le regroupement et le décryptage des données informatiques ne pouvant s’analyser comme une confection d’éléments de preuve par une autorité publique. Il en déduit que ces données ne peuvent pas constituer des preuves illicites. En d’autres termes, loin d’avoir participé à la confection de la preuve, l’administration fiscale n’a fait que recueillir une preuve existante.

Elle en conclut que, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que les pièces, obtenues à l’occasion de l’exécution d’une commission rogatoire internationale, dans des conditions qui n’ont pas ultérieurement été déclarées irrégulières par un juge et dont elle a elle-même examiné la régularité, avaient fait l’objet d’une communication régulière par le procureur de la République à l’administration fiscale en application de l’article L. 101 du LPF. Il est peu douteux que cet arrêt devrait permettre une issue favorable pour l’administration fiscale des nombreuses procédures de rectification qu’elle a initiées sur la base de ce fameux fichier. D’autant que le même jour et toujours dans l’affaire du « fichier HSBC », la même formation a rendu un autre arrêt qui a également donné raison à l’administration fiscale (Com. 14 avr. 2021, FS-P, n° 19-23.230). 

(Original publié par Delpech)

À l’occasion d’un tragique accident aérien, la Cour de cassation revient sur le régime de responsabilité applicable au transport aérien à titre gratuit. Les faits de l’espèce méritent d’être brièvement relatés. Un aéronef appartenant à un aéroclub ayant le statut d’association s’est écrasé, provoquant la mort de son pilote et de ses passagers. La fille d’un passager a assigné en indemnisation l’association, dont la responsabilité a été écartée, ainsi que la veuve du pilote, en sa qualité d’héritière de celui-ci (laquelle a appelé en garantie l’assureur du pilote). Elle obtient gain de cause devant la cour d’appel de Bordeaux, mais son arrêt est cassé. Cette censure est, à la vérité, des plus logiques.

En effet, la cour d’appel s’est fondée, pour condamner la veuve à verser à la fille de la victime diverses indemnités, sur le droit commun de la responsabilité. Plus précisément, elle a mené un raisonnement en deux étapes. Elle a d’abord considéré que le vol litigieux ne pouvait être qualifié de « transport aérien » au sens de l’article L. 6400-1 du code des transports aux motifs qu’il n’avait pas pour objet d’amener des passagers d’un point de départ vers un point de destination et qu’il ne s’agissait pas non plus d’un baptême de l’air ni d’un vol à titre onéreux. Elle a ensuite estimé que la responsabilité du pilote, en l’absence de faute de sa part, devait être retenue sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, devenu 1242 du code civil, siège de la responsabilité du fait d’autrui.

L’arrêt d’appel est censuré au visa de l’article L. 322-3 du code de l’aviation civile, devenu l’article L. 6421-4 du code des transports. Pour la Cour de cassation, « il résulte de ce texte qu’une promenade aérienne effectuée par un particulier à titre gratuit, avec un point de départ et d’arrivée identique, constitue un transport aérien soumis aux seules dispositions de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 et que la responsabilité de ce particulier ne peut être engagée que si la victime prouve qu’il a commis une faute ». On relèvera que, depuis le 28 juin 2004 (Décr. n° 2004-578 du 17 juin 2004), c’est la Convention de Montréal du 28 mai 1999 qui est en vigueur en France, laquelle a succédé à la Convention de Varsovie, mais cela ne change rien à la solution adoptée, même si le nouveau texte international n’est pas tout à fait de la même teneur que l’ancien puisqu’il supprime tout plafond d’indemnisation à la charge du transporteur en cas d’accident (sur ce débat, V....

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Delpech)
image

Il y a quelques mois, la première chambre civile de la Cour de cassation opérait un revirement de jurisprudence dans le domaine de la preuve de la remise du bordereau de rétractation en matière de crédit à la consommation en considérant, conformément à la jurisprudence européenne (CJUE 18 déc. 2014, aff. C-449/13, CA Consumer Finance c/ Bakkaus (Mme), D. 2015. 715 , note G. Poissonnier ; ibid. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2015. 138, obs. D. Legeais ), « qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.122, Bull. civ. I, n° 7 ; D. 2013. 1329, obs. V. Avena-Robardet , note G. Poissonnier ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2013. 378, obs. H. Barbier ), la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires » (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.971, Dalloz actualité, 16 nov. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 63 , note G. Lardeux ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 932, obs. D. Legeais ). Cette même chambre étend la solution ainsi consacrée à la remise de la fiche explicative (C. consom., art. L. 312-12) et de la notice d’assurance (C. consom., art. L. 312-29) dans un arrêt du 8 avril 2021 (V. déjà en ce sens, s’agissant de la fiche d’information, Civ. 1re, 5 juin 2019, n° 17-27.066, D. 2019. 1746 , note G. Poissonnier ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). En l’espèce, suivant offre acceptée le 15 mai 2013, une banque a consenti à une dame un prêt dit de « regroupement de crédits » d’un montant de 33 000 €, mentionnant son époux en qualité de coemprunteur. Le 29 octobre 2014, cette dame a été placée sous le régime de curatelle et son époux désigné comme curateur. Après avoir prononcé la déchéance du terme en raison d’échéances demeurées impayées, la banque a assigné en paiement du solde du prêt les coempruteurs, qui ont notamment sollicité la déchéance du droit aux intérêts de la banque. Les demandes formées contre l’époux en qualité de coemprunteur ont été rejetées.

La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 12 juin 2018, rejette la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamne l’emprunteur au paiement, en énonçant que celui-ci produit une fiche explicative et l’offre préalable de crédit, comportant chacune une mention pré-imprimée suivie de la signature par laquelle il reconnaît avoir reçu la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance et que ces mentions laissent présumer la remise de ces...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par jdpellier)

Entre le 1er janvier 2014 et le 31 octobre 2016, une société a importé dans l’Union de l’acide sulfurique technique produit en Biélorussie et acheté auprès d’un intermédiaire.

Pour chaque transaction, un contrat supplémentaire a été conclu, précisant un prix spécifique dit « rendu frontière », correspondant à l’incoterm DAF, en vertu duquel il était convenu entre les parties que l’intégralité des frais de transport des marchandises importées était à la charge du producteur jusqu’au lieu de livraison à la frontière.

La valeur en douane des marchandises déclarée par l’importateur indiquait pour chaque importation le montant effectivement payé par l’importateur tel qu’indiqué sur la facture émise par l’intermédiaire.

À l’occasion d’un contrôle, les autorités douanières lituaniennes ont constaté que les valeurs ainsi déclarées étaient inférieures aux frais supportés par le producteur pour le transport de ces marchandises jusqu’au point de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Thill)

Quatre ans après la promulgation de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, une incertitude devrait être prochainement levée. Le 17 avril dernier, lors de l’examen du projet de loi Climat en séance publique à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté des amendements qui prévoient l’ajout au code de l’organisation judiciaire d’un article L. 211-21 ainsi rédigé : « Un ou plusieurs tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce ».

Des premières décisions contradictoires

Destinée à lever l’incertitude sur la compétence du tribunal pour les contentieux fondés sur le devoir de vigilance, cette clarification intervient alors que des exceptions de compétence soulevées dans des affaires visant le groupe Total ont donné lieu à des jurisprudences contradictoires :

d’un côté, les associations à l’origine des actions en justice, qui ne veulent pas que soient confiées aux tribunaux de commerce des questions d’atteintes aux droits de l’homme et de l’environnement ;
 de l’autre, la multinationale, qui estime que le plan de vigilance est un document qui relève de l’organisation et du fonctionnement internes de l’entreprise.

Avec le soutien du gouvernement

Des amendements similaires, portés et âprement défendus par les députés Dominique Potier et Matthieu Orphelin, avaient déjà été présentés lors de l’examen du projet de loi relatif au Parquet...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Bley)

À la suite de la suppression du Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC) en juin 2020, la première présidente de la Cour de cassation, dans un communiqué de presse du 21 avril 2021, informe les premiers présidents de cours d’appel de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Thill)

En l’espèce, un cabinet de soins dentaires (la société SELARL Sourire et santé) s’est fourni en matériel dentaire, pendant de nombreuses années, auprès d’un laboratoire (le laboratoire BC) puis a décidé, par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juillet 2014, de rompre toute collaboration sans respecter de préavis. Sur assignation du laboratoire BC, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a condamné le cabinet dentaire pour rupture brutale d’une relation commerciale établie. En appel, la cour qui a préalablement rappelé l’incompétence de la juridiction de première instance sur le fondement de l’article D. 442-3 du code de commerce (disposition fixant un nombre limité de juridictions compétentes en matière de pratiques restrictives de concurrence), fait usage de son droit d’évocation pour prononcer elle-même la condamnation du cabinet dentaire au versement de 33 077,09 € de dommages-intérêts pour réparer le préjudice résultat d’une rupture brutale de la relation commerciale qui s’était établie pendant six ans.

Devant la Cour de cassation, le laboratoire, auquel s’associe volontairement l’ordre des chirurgiens-dentistes, agit sur le fondement d’un moyen unique au terme duquel l’ancien article L. 442-6, I, 5e, du code de commerce (devenu, avec plusieurs changements, l’art. L. 442-1) est inapplicable à la profession de chirurgien-dentiste laquelle « demeure une profession libérale qu’il est interdit de pratiquer comme un commerce » selon les termes de l’article R. 4127-215 du code de la santé...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par cspinat)

L’histoire ne se répète pas toujours. L’Union européenne devrait rester souveraine en matière de reporting extra-financier alors qu’elle ne l’est plus pour la comptabilité des groupes cotés sur un marché réglementé. C’est en tout cas le souhait de la Commission européenne manifesté la semaine dernière par une ambitieuse proposition de directive en ce sens.

Double matérialité

La première nouveauté majeure de ce texte consiste donc à imposer à certaines entreprises des normes européennes communes de qualité en matière de développement durable. Aujourd’hui, le cadre européen n’en impose pas, ce qui conduit à un résultat insatisfaisant notamment parce que l’information produite est insuffisamment pertinente, fiable et comparable. Ce standard, qui reste à construire, devrait satisfaire au principe de la double matérialité, c’est-à-dire que les informations, qui seraient présentées dans le rapport de gestion des entreprises, doivent permettre de comprendre 1) les impacts de l’entreprise sur le développement durable et 2) comment le...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par Thill)
image

En période d’urgence sanitaire et finalement, d’urgence économique, la pratique semble guidée par un paradigme renouvelé. Aussi, les décisions qui sont actuellement rendues par les juridictions en matière d’impayés locatifs, s’agissant de baux soumis au statut – et de manière générale, de baux d’activité –, tendent toutes à répondre à la même question : la covid-19 justifie-t-elle la suspension des échéances locatives, alors que la réglementation précise, dans le même temps, que les loyers restent exigibles, ce que les juridictions rappellent désormais de manière habituelle (en dernier lieu, s’agissant de l’ord. n° 2020-316, v. Pau, ch. 2, sect. 1, 13 avr. 2021, n° 20/02704) ?

C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon, saisie de l’appel d’une décision rendue le 8 septembre 2020 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon, s’est prononcée dans le cadre d’un litige relatif à un impayé de loyer commercial.

Pour contextualiser la solution apportée par la juridiction lyonnaise, qui a envisagé un grand nombre de fondements juridiques, il importe de préciser les faits d’espèce.

Tout d’abord, le locataire exploitait un restaurant au terme d’un bail commercial renouvelé en 2012, antérieurement à la réforme du droit des obligations, ce que la juridiction a justement rappelé, s’agissant de la mise en œuvre par le locataire de dispositions qui n’étaient pas applicables à la signature du contrat de bail. Ensuite, le bailleur avait intenté une action en paiement des loyers d’avril, mai, juin et juillet 2020, le locataire ayant unilatéralement suspendu le règlement de ses loyers « durant les mesures de confinement dans l’attente d’une réouverture ». Par ailleurs, le quantum des sommes appelées par le bailleur n’était pas contesté par le locataire, qui s’opposait uniquement à leur exigibilité. En conséquence, et ce n’est pas toujours le cas, la dette locative correspondait en totalité à des arriérés accumulés durant cette période, alors même que rien ne précisait l’éventuelle exploitation d’un espace extérieur ou d’une activité de vente à emporter.

La question était donc de savoir si le locataire opposait des contestations sérieuses de nature à faire obstacle au règlement de ses échéances locatives exigibles entre le mois d’avril et de juillet 2020.

S’agissant de la procédure, le président du tribunal judiciaire de Lyon a considéré que le règlement de ses arriérés de loyers par le locataire ne se heurtait à aucune contestation sérieuse, le condamnant ainsi à régler l’arriéré locatif des mois d’avril, mai, juin et juillet 2020 avec intérêt mensuel de retard de 1,5 %, la somme de 8 833,45 € de pénalité contractuelle outre 3 000 € d’article 700 du code de procédure civile et les dépens d’instance. Le locataire, succombant en première instance, interjetait appel de la décision rendue, le 30 septembre 2020. Cependant, la juridiction d’appel rejetait d’une manière particulièrement nette les arguments du locataire, pour confirmer la condamnation en principal, relative au règlement des loyers. Néanmoins, le juge requalifiait en clauses pénales le taux d’intérêt de retard (1,5 % par mois) et la pénalité contractuelle (8 833,45 €), ceux-ci lui paraissant « manifestement excessifs ». La juridiction a ainsi considéré que la demande de règlement des provisions afférentes se heurtait à une contestation sérieuse relevant des pouvoirs du juge du fond.

En droit, le locataire a appuyé son argumentation sur une multitude de fondements qu’il convient d’appréhender dans l’ordre dans lequel ils ont été envisagés, relevant que certains arguments ont été rejetés par la juridiction, qui considérait avoir été saisie d’un fondement légal erroné. Dans un souci de catégorisation des moyens, nous pouvons considérer que le locataire se réfère à trois d’entre eux de manière habituelle (force majeure, perte de la chose et exception d’inexécution), qu’il argue de la bonne foi d’une manière pour le moins originale et qu’un moyen peu envisagé devant juges des référés est évoqué : celui de l’absence de cause.

La force majeure – encore – mise en échec pour défaut d’irrésistibilité ?

Le locataire prétendait que la pandémie, qui caractérisait un événement de force majeure, le dispensait d’avoir à régler ses loyers. Si la cour d’appel de Lyon approuve le locataire en ce que la pandémie est « par essence imprévisible » – même si, selon nous, le caractère imprévisible de l’événement s’appréhende notamment à la date à laquelle les parties ont conclu le contrat de bail –, son irrésistibilité faisait défaut, nécessitant l’appréciation de sa situation financière et comptable, exposé dont ce dernier avait semble-t-il fait l’économie, alors même que le bailleur prétendait qu’il était « partie du groupe Bocuse », valorisé à « 100 millions d’euros » (v. Riom, 2 mars 2021, n° 20/01418, Dalloz actualité, 26 mars 2021, obs. P. de Plater).

De plus, la cour rappelle que l’obligation pécuniaire est toujours susceptible d’être exécutée (v. par ex. TJ Paris, 17 juill. 2020, n° 20/50920), relevant que de « simples difficultés d’exécution provisoires » ne relèvent pas du régime de la force majeure.

En somme, les deux obstacles habituels à la caractérisation de la force majeure sont bien réunis : d’une part, la force majeure n’est pas invocable s’agissant du règlement de ses loyers par le locataire et, d’autre part, le locataire ne justifie pas du caractère insurmontable de la situation.

Perte des lieux loués : une approche restrictive 

L’article 1722 du code civil est un fondement sérieux, que plusieurs juridictions ont récemment mis en œuvre au profit des locataires (v. not. Versailles, 14e ch., 4 mars 2021, n° 20/02572). En l’espèce, la juridiction lyonnaise adopte une posture particulièrement stricte, se limitant à la conception matérielle de la destruction de l’immeuble.

Pour la cour, « l’impossibilité d’exploitation ne [peut] aucunement être assimilée à une destruction sauf à détourner de leur sens les dispositions précitées », avant d’ajouter que le locataire ne peut pas, d’une part, prétendre à la destruction temporaire de ses locaux et, d’autre part, mettre à profit la période de fermeture contrainte de son établissement pour totalement rénover « les terrasses et l’intérieur d’une partie des locaux loués ».

La juridiction paraît considérer que l’utilisation effective des lieux par le locataire, serait-ce pour y réaliser des travaux liés à la destination des locaux, ferait en quelque sorte obstacle à toute perte des lieux loués au titre de l’article 1722 du code civil.

Cette solution s’oppose à certaines décisions rendues dans le cadre de la covid-19, qui ont d’ores et déjà admis qu’une décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation d’un commerce équivalait à la perte de la chose louée (TJ La Rochelle, 23 mars 2021, n° 20/02428, Dalloz actualité, 14 avr. 2021, obs. J.-D. Barbier ; rappr. TJ Paris, JEX, 11 mars 2021, n° 20/81669 ; v. sur ce point G. Teilliais, Perte de la chose louée et baux commerciaux, AJDI 1998. 105  ; a contrario TJ Strasbourg, 19 févr. 2021, n° 20/00552).

En conséquence, la juridiction lyonnaise ne semble pas souscrire à la lecture de l’article 1722 du code civil consistant à assimiler destruction de l’immeuble et impossibilité d’exploiter.

Bonne foi contractuelle : la présomption s’impose 

Le locataire considère que son bailleur aurait agi de mauvaise foi en sollicitant le règlement d’arriérés locatifs, conformément aux engagements qu’il avait pourtant pris au titre du bail. Et que cette prétendue mauvaise foi faisait obstacle aux demandes de règlement formulées devant le juge des référés. Rappelons sur ce point que le bailleur ne remettait pas en cause le lien contractuel, pour se limiter à une demande en paiement. Dans ces conditions, l’on comprend que le locataire souhaitait se prévaloir du courant jurisprudentiel qui considère que certaines circonstances exceptionnelles peuvent nécessiter l’adaptation par les parties des modalités d’exécution de leurs obligations contractuelles (v. réc. TJ Rennes, 12 mars 2021, n° 20/00829).

La juridiction lyonnaise rejette ses arguments, selon nous, pour deux raisons majeures.

Tout d’abord, si les parties à un contrat doivent se comporter de bonne foi, la mauvaise foi ne se présume pas. En d’autres termes, le fait de solliciter judiciairement l’application d’un contrat valable n’est pas répréhensible. D’autant plus que les loyers restent exigibles au terme de la loi.

La seconde raison s’attache aux faits d’espèce. Il s’avère que le locataire a unilatéralement, dès le 18 mars 2020, notifié la suspension du règlement de ses loyers, sans prendre attache avec le bailleur pour évoquer la situation et éventuellement entamer une négociation en vertu d’éléments objectifs – et notamment, d’éléments comptables – justifiant les difficultés rencontrées. En d’autres termes, et bien que la juridiction n’en fasse pas expressément état, celle-ci a pu considérer que c’était finalement le locataire qui avait agi de mauvaise foi en imposant à son bailleur une modification de ses obligations contractuelles, sans rapprochement préalable.

En conséquence, il est préférable pour les locataires de ne pas suspendre unilatéralement le règlement de leurs loyers, sauf à être dans l’incapacité de se prévaloir des règles de la bonne foi.

Absence ou disparition de la cause ?

S’il existe un moyen qui n’est pas habituellement mis en œuvre devant le juge de l’évidence, il s’agit bien de l’absence de cause, fondée l’ancien article 1131 du code civil. De manière surprenante, la juridiction appréhende le moyen avant de le rejeter, au motif que le contrat court depuis 1997 et que le fonds est exploité depuis cette date, le locataire ayant par ailleurs rénové les locaux « durant la période de confinement ». Ainsi, l’obligation du locataire est régulièrement causée. La prétendue absence de cause arguée par le locataire ne constitue pas une contestation sérieuse de nature à faire échec au règlement de ses loyers, même si l’on peut s’interroger sur le fait de savoir si le locataire évoquait une absence de cause ab initio, ou une disparition de la cause en cours de contrat, point qui n’a pas été soulevé par la juridiction.

Défaut de délivrance, exception d’inexécution et maintien dans les lieux

Le locataire prétendait que le bailleur n’avait pas satisfait à son obligation de délivrance et qu’il pouvait dès lors se prévaloir du mécanisme de l’exception d’inexécution pour ne plus régler les loyers afférents à la fermeture contrainte du restaurant. L’on relèvera que des décisions récemment rendues ont pu rejeter les demandes des locataires sur ce point, justifiant parfois leur position par l’absence de faute commise par le bailleur (Pau, 13 avr. 2021, préc. ; sur la place de la faute dans le mécanisme de l’exception d’inexécution, v. J.-D. Barbier, Loyers commerciaux et covid : l’attente de la consécration du droit, Dalloz actualité, 14 avr. 2021, préc. ; J.-D. Barbier, Le drame des restaurateurs : covid et locaux vides, Gaz. Pal. 23 févr. 2021, n° 8, p. 48 ; F.-X. Testu, La dette de loyers commerciaux pendant la période de fermeture ordonnée par le gouvernement, D. 2020. 885 ).

Pour rejeter les demandes qui lui ont été soumises, la juridiction rappelle que le locataire était toujours en possession des lieux, qu’il les occupait effectivement, les ayant « rénovés durant la période de confinement ». La cour ajoute que l’impossibilité temporaire d’exploitation ne résultait pas du fait du bailleur, mais des « décisions politiques » prises pour lutter contre la crise sanitaire, « sur lesquelles le bailleur n’a aucune prise ». Bien que les magistrats lyonnais ne l’évoquent pas expressément, nous pouvons raisonnablement considérer que le terme de « décisions politiques » se rapporte à la réglementation d’urgence sanitaire qui a ordonné la fermeture des restaurants.

Il conviendrait alors rapprocher cet arrêt de la décision rendue le 25 février 2021 (n° 18/02353, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. J. Monéger ; D. 2021. 728 , note F. Kendérian ; AJDI 2021. 210 , obs. J.-P. Blatter ) par le tribunal judiciaire de Paris, qui avait considéré que le bailleur n’était pas responsable d’un défaut de délivrance, en ce que le contenu de cette obligation essentielle ne porte pas sur « la stabilité du cadre normatif » (v. aussi TJ La Rochelle, 23 mars 2021, préc. ; F. Kendérian, Les limites de l’exception d’inexécution en matière de paiement des loyers commerciaux pendant la crise sanitaire, D. 2021. 728  ; J. Delvallée et A. Reygrobellet, Les baux commerciaux, malades de la covid-19 ?, JCP N 2021. 1151).

En conclusion

En conclusion, s’il reste difficile de dégager quelconque ligne directrice de la présente décision commentée, l’on relèvera néanmoins trois éléments d’importance.

Tout d’abord, le locataire a tout intérêt à justifier de sa situation économique, en soutien à ses demandes. En effet, en l’absence de production d’éléments comptables ou de trésorerie, les juridictions pourraient considérer que les difficultés dont il est fait état devant elles ne sont pas acquises dans leur principe ou dans leur ampleur.

Ensuite, rappelons que le rôle principal du juge n’est pas de modifier le contrat et que la bonne foi contractuelle impose, avant toute chose, de l’appréhender comme tel. La loi ne conditionnant pas l’exigibilité des échéances locatives, c’est un véritable dialogue qui doit s’imposer entre les parties. Dialogue que chacune serait bien avisée d’accepter d’engager, avant toute initiative unilatérale. En effet, si la bonne foi est présumée, le locataire qui suspendrait ses loyers motu proprio risquerait de se voir opposer sa mauvaise foi. De la même manière, le bailleur qui se refuserait à engager un échange préalable avec son locataire pourrait manquer à son obligation de bonne foi.

Enfin, et ce dernier aspect est primordial, aucune ligne directrice ne pourra être tirée des décisions « covid » relatives aux loyers d’activité, sans une prise en compte de la destination contractuelle des locaux, de la date de conclusion des baux, des éventuels aménagements conventionnels convenus entre les parties, s’agissant des dispositions supplétives de volonté – dont la majorité des dispositions du code civil –, de la période concernée par les incidents locatifs et de la typologie des locataires en cause (ceux-ci étant différemment considérés par les dispositions spéciales de la réglementation sanitaire). Partant de ce constat, une étude précise des décisions rendues reste selon nous nécessaire.

(Original publié par Rouquet)

La nullité des assemblées générales occupe une part non négligeable du contentieux sociétaire. En effet, son prononcé permet à l’associé insatisfait du contenu d’une délibération ou des conditions dans lesquelles celle-ci a été adoptée de ne faire produire aucun effet à la délibération litigieuse et/ou d’en obtenir réparation. Cependant, la nullité d’une assemblée générale ne relève pas d’un automatisme puisque la Cour de cassation subordonne son prononcé à la caractérisation, au cas d’espèce, d’un abus de droit. Les faits de l’espèce méritent d’être rappelés. Il est question d’une SARL dont le siège social est situé à Baie-Mahault (Guadeloupe) et dont le capital est réparti – pas tout à fait à égalité, mais presque – entre deux frères, tous deux co-gérants de la société. L’associé majoritaire détient 50,04 % du capital, tandis que le minoritaire n’en détient que 49,96 %. Par une assemblée (convoquée par le gérant majoritaire), l’associé majoritaire décide la révocation du gérant minoritaire, ainsi que l’allocation d’une prime exceptionnelle pour le gérant majoritaire. Le gérant révoqué conteste alors ces résolutions et assigne tant la société que son gérant majoritaire en annulation de l’assemblée. Il estime que la convocation de l’assemblée en un lieu distinct de celui du siège social, pour la première fois, est de nature à entraver sa participation aux décisions collectives. À l’appui de son action en nullité, il conteste également sa révocation en invoquant les stipulations statutaires. L’intéressé les interprète comme ne permettant pas à un seul associé, même majoritaire, de procéder seul à la révocation d’un gérant. Enfin, il conteste la décision allouant une prime exceptionnelle à l’autre gérant au motif que celle-ci devait être soumise à la procédure d’approbation des conventions réglementées. 

Ses demandes sont écartées par les juridictions du fond. Puis, par cet arrêt du 31 mars 2021, la Cour de cassation rejette son pourvoi. D’abord, la Haute juridiction pose un principe de libre détermination du lieu d’une assemblée des associés de SARL par l’auteur de la convocation, sous réserve d’un abus de droit. Ensuite, elle indique que la révocation d’un gérant peut être prononcée par un seul associé dès lors qu’il...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par ladmi)

En l’espèce, par un jugement du 16 décembre 2015, le tribunal de commerce de Melun a mis une société en redressement judiciaire et, par un jugement du 17 mai 2017, arrêté le plan de redressement de cette société. Le 6 juillet 2018, un créancier l’a assignée en résolution du plan et en ouverture d’une liquidation judiciaire. Le 23 novembre 2018, la société débitrice a déposé une requête aux fins de renvoi pour cause de suspicion légitime à l’égard du tribunal de commerce de Melun. Or, avant qu’il ne soit statué sur cette requête, le tribunal de commerce de Melun, statuant sur l’assignation délivrée par le créancier, a, par un jugement du 19 décembre 2018, prononcé la résolution du plan et l’ouverture concomitante d’une procédure de liquidation judiciaire. Corrélativement, par une ordonnance du 21 décembre 2018, le premier président de la cour d’appel de Paris a accueilli la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime et renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris.

Le 20 février 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de la société débitrice et l’ouverture de sa liquidation judiciaire.

Devant la cour saisie de l’appel formé contre ce jugement, la société débitrice a notamment demandé, en application du troisième alinéa de l’article 347 du code de procédure civile, que soient déclarés non avenus l’ensemble des jugements prononcés par le tribunal de commerce de Melun : le jugement d’ouverture du 16 décembre 2015, le jugement arrêtant le plan de redressement du 17 mai 2017, ainsi que le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du 19 décembre 2018.

En premier lieu, la cour d’appel va déclarer non avenu « le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2019 ». En second lieu, elle rejette les demandes de la société débitrice tendant à faire déclarer non avenus l’ensemble des jugements rendus par le tribunal de commerce de Melun.

La société débitrice se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Pour la demanderesse, la cour d’appel a d’abord entaché son arrêt d’une erreur matérielle. À cet égard, la société débitrice précise qu’il appartient à la Cour de cassation de la rectifier en application de l’article 462 du code de procédure civile. Effectivement, si la cour d’appel, dans le dispositif de son arrêt, a jugé que le jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2019 était non avenu, elle a toutefois retenu, dans les motifs de l’arrêt, que devait être déclaré non avenu le jugement du tribunal de commerce de Melun du 21 décembre 2018, en réalité daté du 19 décembre 2018 (il s’agit du jugement prononçant la résolution du plan et l’ouverture de la liquidation judiciaire).

En outre, pour la société débitrice, la cour d’appel aurait violé l’article 347 du code de procédure civile en retenant que les jugements du tribunal de commerce de Melun, antérieurs à la date du dépôt de la requête en suspicion légitime, ne pouvaient être remis en cause, alors...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

(Original publié par bferrari)

Contexte

Les activités de courtage d’assurance et d’intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) sont des activités réglementées (C. assur., art. L. 511-1 s. ; C. mon. fin., art. L. 519-1 s.). Les courtiers en assurance et les IOBSP sont immatriculés et inscrits dans un registre unique national, tenu par l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS). L’intermédiation en assurance consiste à fournir des recommandations sur des contrats d’assurance ou de réassurance, à présenter, proposer ou aider à conclure des contrats ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion, ou encore à contribuer à leur gestion ou leur exécution (C. assur., art. L. 511-1). Quant à l’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, elle consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation (C. mon. fin., art. L. 519-1).

En 2018, les courtiers en assurance et les IOBSP représentaient respectivement 24 470 et 32 557 personnes en France (ORIAS, rapp. annuel, 2019). Ces deux catégories d’intermédiaires avaient pour point commun de ne pas être soumises à un contrôle permanent de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). D’ailleurs, le rapport annuel de 2019 de l’Autorité pointait des dysfonctionnements dans l’exercice de la profession. C’est dans ce contexte que la présente loi intervient.

Portée par la députée Valéria Faure-Muntian, la proposition de loi visant à la régulation du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement est devenue la loi n° 2021-402 du 8 avril 2021. Le texte prévoit une régulation des activités de courtage d’assurance et en opérations de banque et en services de paiement. L’exposé des motifs indique que l’intervention législative vise, par la régulation de ces activités, à instaurer une meilleure protection des consommateurs et une responsabilisation des acteurs économiques. La loi du 8 avril 2021 a conduit à...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: ladmi

S’il a pu être affirmé au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 que le Trésor public était, dans le contexte d’une procédure collective, un créancier comme un autre (B. Lagarde, Le Trésor public : un créancier comme les autres, Gaz. Pal, 10 sept. 2005, n° F6975, p. 28), la substance de certains arrêts rendus par la Cour de cassation témoigne du contraire. L’arrêt ici rapporté fait partie de cette catégorie. Il se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur le sort de la cotisation foncière des entreprises (CFE) en procédure collective.

En l’espèce, le 26 novembre 2013, une société a été mise en redressement judiciaire. Un plan de cession a été arrêté le 6 février 2014, et la liquidation judiciaire prononcée, avec autorisation de poursuite d’activité jusqu’au 6 mai 2014, prorogée par la suite jusqu’au 6 août de la même année. Le 6 novembre 2014, le comptable du service des impôts des entreprises territorialement compétent, auquel le liquidateur avait demandé le remboursement d’un crédit de TVA, en a conservé une partie. Le 29 octobre 2015, le liquidateur a reçu deux avis à tiers détenteur portant sur certaines sommes se rapportant à la CFE due au titre de l’année 2014 par la société débitrice. Le mandataire a saisi le tribunal d’une demande de mainlevée des avis à tiers détenteur et a obtenu gain de cause en appel.

Les juges d’appel ont notamment retenu que la CFE n’était pas la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant la période d’observation, que si elle était liée aux locaux utilisés, elle n’était cependant ni utile à la conservation de ceux-ci ni inhérente à l’activité de la société. Par conséquent, le comptable ne pouvait invoquer le caractère « utile » ou « méritant » de ses créances postérieures afin d’échapper à l’arrêt des poursuites individuelles.

Le comptable chargé du recouvrement du service des impôts des entreprises forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Le demandeur reproche à la cour d’appel d’ordonner la mainlevée des avis à tiers détenteur et de dire que les créances fiscales seraient portées sur la liste des créances pour vérification, alors qu’il s’agissait, selon lui, de créances postérieures éligibles au traitement préférentiel. Pour fonder son argumentation, il souligne que ces créances ont une origine légale et sont liées aux locaux utilisés pour l’exploitation de l’entreprise en difficulté. Dès lors, et contrairement à ce qu’affirmait la cour d’appel, pour le demandeur, la CFE était utile à la conservation des locaux et inhérente à la vie de la société, ce qui emportait la qualité de créance postérieure méritante.

La haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: bferrari

La Commission vient d’annoncer avoir accepté la requête formulée par l’Autorité de la concurrence, à laquelle se sont joints plusieurs États membres de l’Espace économique européen (Belgique, Grèce, Islande, Pays-Bas et Norvège), lui demandant d’examiner le projet d’acquisition de Grail par le groupe Illumina sur le fondement de l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004.

Illumina est une entreprise américaine spécialisée dans le séquençage génétique. Grail, dont le siège se trouve également aux États-Unis, est une start-up développant un test de détection précoce du cancer. Le projet de concentration entre les deux entreprises n’atteint pas les seuils de notification fixés par le règlement (CE) n° 139/2004 sur les concentrations, et il n’a été notifié dans aucun État membre. Pour autant, l’article 22 de ce règlement permet à une autorité nationale de concurrence de renvoyer à la Commission européenne une opération de concentration qui ne serait pas de dimension européenne, mais qui affecterait le commerce entre États membres et menacerait...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: Thill

On sait que la notion de caractéristique essentielle du bien ou du service est d’une importance considérable en droit de la consommation. L’article L. 111-1 du code de la consommation prévoit en effet que le professionnel doit communiquer au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations relatives aux caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné (cette notion étant toutefois définie par l’article L. 121-2, 2°, b), au titre des pratiques commerciales déloyales, visant « ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 25). Le législateur a souhaité davantage de précisions dans le domaine particulier du crédit à la consommation en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des informations essentielles devant être fournies à l’emprunteur (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 186). En effet, l’article L. 312-28 du même code prévoit que « Le contrat de crédit est établi sur support papier ou sur un autre support durable. Il constitue un document distinct de tout support ou document publicitaire, ainsi que de la fiche mentionnée à l’article L. 312-12. Un encadré, inséré au début du contrat, informe l’emprunteur des caractéristiques essentielles du crédit. La liste des informations figurant dans le contrat et dans l’encadré mentionné au premier alinéa est fixée par décret en Conseil d’État ». Et c’est au sein de l’article R. 312-10 que l’on trouve cette fameuse liste d’informations que le prêteur doit communiquer à l’emprunteur sous peine de déchéance du droit aux intérêts, en vertu de l’article L. 341-4 (l’art. R. 312-10 prévoit également que « Le contrat de crédit prévu à l’art. L. 312-28 est rédigé en caractères dont la hauteur ne peut être inférieure à celle du corps huit ». V. à ce sujet, D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 1758). Il n’en demeure pas moins que certaines questions se posent encore, en dépit de la précision de cette liste, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 avril 2021. En l’espèce, suivant offre acceptée le 12 janvier 2013, une banque a consenti à deux emprunteurs un crédit à la consommation. À la suite de la défaillance de ces derniers, la banque a prononcé la déchéance du terme et les a assignés en paiement.

La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 19 septembre 2019, prononce la déchéance de la banque de son droit aux intérêts et rejette sa demande en paiement de l’indemnité conventionnelle. Pour parvenir à ce résultat, les juges du fond énoncent que le montant de l’échéance qui doit figurer dans...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: jdpellier
image

En l’espèce, une banque a consenti à une société civile un prêt. En raison d’incidents de paiement, l’établissement de crédit a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure la société de régler le solde du prêt, avant de l’assigner en paiement de sa créance, le 30 mai 2012, devant le tribunal de grande instance. Le 27 septembre 2012, la société est placée en liquidation judiciaire et la banque déclare sa créance avant de la céder à un fonds de titrisation. Le 24 octobre 2013, la liquidation judiciaire est clôturée pour insuffisance d’actif. Or, dans le cadre de l’instance pendante devant le tribunal de grande instance, le fonds de titrisation est intervenu volontairement en exposant venir au droit de la banque. Las, par un jugement du 22 mai 2014, le tribunal déclarera le fonds irrecevable en sa demande de fixation de la créance au passif.

Parallèlement, le fonds de titrisation assigne les associés de la société civile en paiement de la dette sociale à proportion de leurs parts dans le capital social et obtient gain de cause en première instance. Les associés interjettent appel de cette décision en soutenant, notamment, que le jugement du 22 mai 2014 s’analysait en une décision de rejet entraînant l’extinction de la créance à l’égard de la société débitrice et par voie de conséquence à leur égard. La cour d’appel ayant rejeté cette demande, les associés ont formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation indique, d’abord, que le juge qui statue dans une instance en cours reprise conformément à l’article L. 622-22 du code de commerce ne fait pas application de l’article L. 624-2 du même code. Par conséquent, la Haute juridiction en déduit que la décision par laquelle le juge du fond déclare irrecevable la demande d’un créancier tendant à la fixation du montant de sa créance ne constitue pas une décision de rejet entraînant l’extinction de la créance. La Haute juridiction précise, ensuite, que quand bien même le jugement du tribunal de grande instance a déclaré la demande de fixation de la créance irrecevable au motif que la liquidation judiciaire emportait la dissolution de la société débitrice, la dette de cette dernière n’était pas éteinte. Dès lors, le fonds conservait son droit de poursuite contre les associés de la société civile tenus des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social (sur cet aspect de la décision, C. Lebel, note ss. Com. 10 avr. 2021, n° 19-22.395, Bull. civ. IV, à paraître ; LXB hebdo éd. affaires, 25 mars 2021).

La première partie de la décision retiendra notre attention. Par cet arrêt, la Haute juridiction semble poser le principe selon lequel l’irrecevabilité n’équivaut pas au rejet de la créance dans le cadre de la reprise d’une instance en cours au jour du jugement d’ouverture.

Si nous souscrivons volontiers à cette affirmation, elle n’est toutefois pas frappée au coin de l’évidence.

L’article L. 622-22 du code de commerce prévoit notamment que les instances en cours au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Après mise en cause des organes de la procédure, elles sont reprises de plein droit, mais ne tendent uniquement qu’à la constatation des créances et à la fixation de leur montant (Com. 11 mai 1993, n° 91-11.951, Bull. civ. IV, n° 182 ; RTD com. 1995. 202, obs. A. Martin-Serf ). Au plan procédural, la reprise d’une instance en cours ôte au juge-commissaire tout pouvoir de se prononcer sur l’admission ou sur le rejet de la créance (Com. 8 avr. 2015, n° 14-10.172, Bull. civ. IV, n° 64 ; D. 2015. 862  ; BJE juill. 2015, n° 112k5, p. 243, note J.-P. Sortais ; Gaz. Pal. 21 juill. 2015, n° 233u5, p. 15, note N. Fricero ; Rev. proc. coll. 2015/6, comm. 185, note O. Staes ; Act. proc. coll. 2015/9, n° 144, note P. Cagnoli).

D’une façon générale, la décision de la juridiction saisie de l’instance en fixation de la créance va se substituer intégralement à l’ordonnance d’admission du juge-commissaire et être ensuite portée sur l’état des créances (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2021-2022, 11e éd., nos 623.411 s.).

Cette logique de substitution du juge-commissaire par le juge de l’instance en cours devrait conduire à reconnaître au second les mêmes prérogatives que le premier. Or, l’article L. 624-2 du code de commerce prévoit notamment que le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet de la créance, et donc, dans ce dernier cas, de son extinction (Com. 10 mai 1966, n° 63-12.878, Bull. civ. IV, n° 237).

Intuitivement, dans le cadre de la reprise...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: bferrari
image

Le contentieux relatif à l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement est d’une ampleur considérable, certainement comparable à celui relatif aux mentions manuscrites. Malheureusement, la jurisprudence n’est pas toujours, en la matière, d’une grande cohérence (v. à ce sujet, P. Simler, De quelques incohérences dans l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement, JCP 2021. Doctr. 332).

La première chambre civile nous apporte cependant deux utiles précisions dans un arrêt du 24 mars 2021. En l’espèce, par acte du 7 mars 2009, une banque a consenti à une société un prêt de 160 000 €. Le même jour, M. et Mme M… se sont portés cautions solidaires, à concurrence de 52 000 €, des engagements de la société à l’égard de la banque. La débitrice ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné les cautions en paiement et celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement. La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 20 juin 2019, considère que les engagements des cautions étaient manifestement disproportionnés à leurs patrimoines et revenus et prononce en conséquence la déchéance du droit de la banque de se prévaloir de ces engagements (et la condamne au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l’art. 700 C. pr. civ.).

La banque se pourvut donc en cassation, en reprochant, d’une part, aux juges du fond de n’avoir pas pris en considération un certain nombre de biens immobiliers appartenant aux cautions sous prétexte qu’ils étaient grevés de sûretés et, d’autre part, d’avoir pris en compte le fait que les cautions s’étaient déjà engagées, l’une et l’autre, à concurrence de 214 500 € auprès d’une autre banque moins de cinq mois avant les engagements litigieux alors que cette information ne figurait pas dans la fiche de renseignements remplie par les cautions au moment de leur engagement (parce qu’elle n’avait pas été demandée par la banque).

L’arrêt palois est censuré sur les deux points : en premier lieu, la Cour régulatrice considère, au visa de l’article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation (la règle figure curieusement en double au sein de l’art. L. 343-4 du même code), qu’« Il résulte de ce texte que pour apprécier la proportionnalité de l’engagement d’une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l’engagement de la caution » (pt 4). Elle en conclut qu’« En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens qu’elles grevaient, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (pt 6).

La solution est justifiée : les biens grevés de sûretés n’en demeurent pas moins pourvus d’une certaine valeur, sauf à ce que celle-ci soit entièrement absorbée par la créance garantie par lesdites sûretés. Au demeurant, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens (v. par ex., Com. 4 juill. 2018, n° 17-11.837, dont la formule est identique à celle du présent arrêt ; v. égal., Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.782, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si le fait que les biens d’une SCI aient été donnés en garantie du remboursement de plusieurs prêts contractés auprès d’une banque, n’était pas de nature à affecter la consistance du patrimoine de la caution). Il reste que la constitution de sûretés réelles par la caution pourra lui permettre de réduire à bon compte la valeur de son patrimoine. En outre, le créancier pourra également s’inquiéter des sûretés judiciaires et légales (fort nombreuses pour ces dernières), qui peuvent diminuer d’autant la consistance du patrimoine de la caution.

En second lieu, la première chambre civile considère, cette fois-ci au visa des articles L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation et 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu’« Il résulte de ces textes que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier » (pt 8). Et d’en conclure qu’ « En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 10). Là encore, la solution est justifiée et s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la chambre commerciale (v. Com. 4 juill. 2018, préc. : « lorsque la caution a déclaré à la banque, lors de son engagement, les éléments relatifs à sa situation financière, la banque n’est pas, sauf anomalie apparente, tenue de vérifier l’exactitude et l’exhaustivité des renseignements qui lui ont été ainsi transmis, peu important que la caution lui ait remis un document dans lequel elle donnait l’autorisation à son notaire de lui communiquer toute information concernant ses biens, ce qui ne conférait à la banque qu’une simple faculté et n’emportait pas pour elle l’obligation de requérir cette information » ; v. égal. Com. 14 déc. 2010, n° 09-69.807 : « Mais attendu que l’engagement de caution conclu par une personne physique au profit d’un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude ; qu’ayant relevé que, dans la fiche de renseignements, M. X avait fait figurer son ancienne situation et son ancien salaire et avait indiqué à la banque qu’il possédait des valeurs mobilières pour un montant de 40 000 €, la cour d’appel a pu décider, peu important que cette fiche n’ait pas été remplie par la caution, dès lors qu’en la signant, elle en a approuvé le contenu, que la banque avait pu légitimement considérer qu’un cautionnement limité à 20 000 € n’était pas disproportionné ; que le moyen n’est pas fondé »). Il y a là une application élémentaire de la bonne foi dans l’exécution du contrat (celle-ci étant aujourd’hui consacrée de manière générale par l’article 1104 du code civil : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ». Comp. anc. art. 1134, al. 3 : ce texte disposait que les conventions « doivent être exécutées de bonne foi ».). Si les autres engagements de caution doivent naturellement être pris en considération dans l’appréciation de la proportionnalité (v. par ex., Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 13-23.489, D. 2015. 204, obs. V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2015. 183, obs. P. Crocq ; Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812, D. 2013. 1340, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; RTD civ. 2013. 607, obs. H. Barbier ), encore faut-il que le créancier soit à même de connaître lesdits engagements et il doit pouvoir se fier, à cet égard, aux déclarations de la caution.

Le banquier a donc naturellement intérêt à demander à celle-ci de remplir une fiche de renseignements (v. en ce sens, D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, 13e éd., LGDJ, 2019, n° 175 : « Le créancier a donc tout intérêt à se faire communiquer par la caution une fiche patrimoniale lui révélant l’état de ses ressources, de son endettement et de son patrimoine »), même s’il ne s’agit pas pour lui d’une obligation (v. en ce sens, Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294, considérant que l’article L. 332-1 du code de la consommation « ne lui impose pas de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu’elle l’invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus », D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2017. 494, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018. 23, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2018. 182, obs. P. Crocq ). Il pourra alors sans peine se prévaloir, par la suite, des déclarations de la caution, sauf en présence d’une anomalie apparente (encore faudra-il caractériser cette dernière, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence, contrairement à ce que les juges du fond avaient retenu, v. Com. 24 janv. 2018, n° 16-15.118, D. 2018. 1884, obs. P. Crocq ).

Quoi qu’il en soit, l’imminente réforme du droit des sûretés ne devrait pas mettre fin à ce contentieux, l’article 2299 de l’avant-projet d’ordonnance, dévoilé le 18 décembre 2020, maintenant à cet égard le principe de l’exigence d’une proportionnalité de l’engagement de la caution à ses biens et revenus en étendant son empire à tous les créanciers et en aménageant la sanction de la disproportion : « Si le cautionnement souscrit par une personne physique était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager. Toutefois, la caution demeure tenue de la totalité de son engagement lorsqu’elle est en mesure d’y faire face au moment où elle est appelée » (pour une critique de cette nouvelle sanction, v. A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 ).

Auteur d'origine: jdpellier

Les risques maritimes connaissent une grande diversité, voire intensité. Dans ce domaine, le professeur Delebecque l’a affirmé : « inutile de souligner l’importance des assurances maritimes. Du reste, l’idée même d’assurance est née dans le monde maritime (la taverne de Lloyd’s). Le commerce maritime qui représente 90 % des échanges dans le monde, ne se conçoit pas sans assurance. Les risques auxquels sont exposés les armateurs sont tels qu’ils ne peuvent pas ne pas être assurés. Il va de même pour les chargeurs. Il faut ajouter que le droit de l’assurance maritime est un droit de professionnels et conçu pour les professionnels, ce que ne sont pas les plaisanciers. La plaisance relève donc de l’assurance terrestre » (P. Delebecque, Les assurances maritimes, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 428 s., spéc. p. 428). À ce titre, « la qualité de l’assuré justifie le recours à l’assurance terrestre, jugée plus protectrice des intérêts de l’assuré » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, 2018, n° 34). S’agissant des dommages liés à la plaisance, le code des transports et les conventions internationales s’en mêlent – pour ne pas dire s’emmêlent – ce que confirme une affaire jugée dernièrement par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

À l’occasion d’un stage de voile à bord du voilier « Pido » auquel il était à bord avec ses parents et une quatrième personne, un jeune homme a été blessé le 7 août 2005 lors d’un empannage. Le voilier était placé sous la responsabilité de l’association Centre nautique Les Glénans (l’association Les Glénans), en sa qualité de propriétaire du bateau. La victime de l’accident a recherché, avec ses parents, la responsabilité de l’association propriétaire du voilier. À cet effet, ils ont assigné, à bâbord, l’association et son assureur (les sociétés MMA IARD), en réparation de leur préjudice et mis en cause la caisse primaire d’assurance maladie (la CPAM). À tribord, la Mutuelle assurance des instituteurs de France (la MAIF), assureur de la victime, est intervenue volontairement à l’instance. L’association nautique et son assureur ont invoqué la limitation légale de responsabilité du propriétaire de navire en application de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (dite « LLMC ») dans sa rédaction d’origine tandis que la victime a demandé l’application de celle fixée par le Protocole modificatif du 2 mai 1996. En cours d’instance, l’association a été autorisée à constituer un fonds de limitation de responsabilité dont le montant, initialement fixé conformément à la Convention, a été porté, à la demande de la victime dans le cadre d’un référé-rétractation, à celui prévu au Protocole modificatif du 2 mai 1996.

Les juges du fond, par un arrêt confirmatif, ont condamné le centre nautique et son assureur (MMA) à payer à la MAIF la somme de 10 671,39 € au titre de son recours subrogatoire, ont dit que le plafond d’indemnisation concernant le sinistre du 7 août 2005 s’établit à la somme de 166 500 DTS, soit la somme de 197 595,54 €, et qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, de cumuler ce plafond avec celui établi pour les créances ne concernant pas des lésions corporelles. Ils ont condamné in solidum le centre nautique et son assureur à payer à la victime les sommes de 20 845,19 € pour le préjudice patrimonial et 82 111,76 € pour le préjudice extrapatrimonial, à ses parents la somme de 2 084,79 € pour leur préjudice matériel, à sa mère la somme de 2 000 € pour son préjudice moral et à son père la somme de 2 000 € pour son préjudice moral, le tout en deniers ou quittance, sous réserve des recours de la CPAM en cause pour la part soumise à ceux-ci, et avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt. Ils ont enfin condamné in solidum le centre nautique et son assureur à payer à la CPAM la somme de 126 483,74 €, avec intérêts au taux légal à compter de la première demande (Paris, 7 sept. 2015).

À la suite d’un premier pourvoi du centre nautique et de son assureur, par un arrêt rendu le 14 juin 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation a visé les articles 9.3 et 11 du Protocole du 2 mai 1996 modifiant la Convention LLMC, et son décret de publication n° 2007-1379 du 22 septembre 2007 ensemble l’article de la loi du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et rappelé qu’il résulte des deux premiers textes susvisés, auxquels renvoie le troisième, que les limitations de responsabilité en matière de créances maritimes fixées au Protocole modificatif du 2 mai 1996, ne sont applicables qu’aux créances nées d’événements postérieurs au 23 juillet 2007, date de son entrée en vigueur en France. Ce premier épisode de l’affaire Pido devant la Cour de cassation a permis de mettre en lumière que violait le décret n° 2007-1379 du 22 septembre 2007 introduisant en droit interne le protocole du 2 mai 1996 modifiant la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, l’arrêt qui retient que le fonds de limitation de responsabilité est régi par la loi en vigueur, non pas à la date où les dommages ont été causés par l’événement de mer à la suite duquel il a été constitué, mais à la date de l’ordonnance ouvrant la procédure de constitution du fonds (Com. 14 juin 2017, n° 16-12.904, Voilier Pido).

Cette décision Pido du 14 juin 2017 s’inscrit, sur la question de la date d’entrée en vigueur du Protocole de 1996, dans la continuité de l’arrêt Motus rendu quelques mois plus tôt (Com. 8 mars 2017, n° 15-23.220, Voilier Motus, S. Miribel, Régate, assurance et limitation de responsabilité, DMF n° 793, 1er juill. 2017, p. 596 s. ; JCP E 2017, n° 1479, obs. Siguoirt) tout en créant une jurisprudence nouvelle en ce qui concerne l’application des textes...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: rbigot

Avant d’aborder les nombreux dossiers qui vont rythmer cette fin de quinquennat, la rédaction de Dalloz actualité profite d’une semaine de « vacances unifiées » pour savourer pleinement le confinement printanier. Retour lundi 26 avril.

À très vite.

Auteur d'origine: Dargent

Nous indiquions, lors d’une dernière publication, que les avances sur rétributions versées par l’État dans le cadre de l’aide juridictionnelle (AJ) devaient, au regard des règles de la comptabilité de caisse, être comptabilisées en produits au cours de l’exercice du versement. S’agissant d’un produit, le résultat fiscal de cet exercice 2020 augmenterait, l’impôt dû aussi.

Cette opinion était renforcée par le fait que ces avances n’étaient visées ni par l’article 1er de la loi de finances rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020 exonérant les aides versées par le fonds de solidarité ni par la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 exonérant les aides versées par le CNBF ni par le décret. De même, le décret n° 2020653 du 29 mai 2020 instituant ces avances sur AJ restait muet sur leur régime fiscal.

L’inconvénient était une imposition de l’avance totale perçue sur l’exercice de perception (2020) pour les avocats soumis à la comptabilité de caisse (la question ne se posait pas pour les confrères soumis à la comptabilité de caisse du fait de la règle du rattachement des créances et des dettes) ; ceci alors que le remboursement pouvait s’étaler jusqu’au 31 décembre 2022.

L’UNCA voyait la situation d’un autre œil et avait proposé de comptabiliser ces avances comme des prêts en mobilisant un compte de tiers et non un compte de produits au moment de la perception de l’avance. De cette façon, les aides versées en 2020 n’étaient pas imposées au cours de cet exercice, mais au cours des exercices suivants en fonction des remboursements effectués par prélèvements. L’avantage était que l’imposition des avances était étalée sur la période de remboursement, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2022. L’impact sur le résultat était alors éventuellement réparti sur deux exercices (sauf évidemment si l’avocat, du fait de paiements de rétribution élevés, rembourse finalement la première année. Mais, même dans ce cas, l’imposition aura lieu en 2021 et non en 2020, dont on peut espérer qu’il restera l’exercice le plus périlleux pour les confrères).

Afin de sécuriser sa position, l’UNCA a adressé une demande de rescrit à l’administration fiscale. Le 2 avril, la réponse tombait, les avances versées sur les rétributions d’AJ devaient être considérées non comme de simples paiements d’avance, mais comme des avances remboursables. Par conséquent, l’avance ne devait pas être considérée comme un acompte mais plutôt comme un prêt. Dès lors, elles ne devaient pas être considérées comme des produits rattachés à l’exercice au cours duquel elles ont été perçues.

L’administration fiscale se fonde sur un arrêt du Conseil d’État du 26 février 2012 concernant des avances faites par des adhérents à une association. Dans cette affaire, les avances n’étaient liées à aucune prestation. En outre, l’association concernée était soumise à l’impôt sur les sociétés et donc à la comptabilité d’engagement et non de caisse. La situation était par conséquent radicalement différente, mais peu importe.

Faut-il voir dans cette décision de l’administration un positionnement chargé de mansuétude ? C’est bien possible, mais seul le résultat compte. En outre, cette décision nous renvoie au vieil adage « qui ne tente rien n’a rien ». L’UNCA l’a tenté et l’a obtenu. C’est une très bonne nouvelle puisque ces avances ne seront pas imposées en 2020 et que, par ailleurs, elles n’impacteront pas à la hausse l’assiette des charges sociales.

Concluons en adressant nos félicitations à l’UNCA pour son heureuse initiative.

Auteur d'origine: Dargent
image

par Xavier Delpechle 16 avril 2021

Com. 31 mars 2021, F-P, n° 18-25.923

L’industrialisation de nombreux pays en développement ainsi que la spécialisation technique qui l’accompagne ont pour effet qu’il est de plus en plus fréquent qu’une entreprise d’un État membre de l’Union européenne expédie hors du territoire de celle-ci des marchandises qu’elle a produites afin que celles-ci y subissent divers traitements constituant, au sens douanier du terme, des perfectionnements, avant qu’elles ne soient réintroduites sur le territoire de l’Union. Ainsi, le régime du perfectionnement passif permet d’exporter temporairement des marchandises communautaires en vue de les faire œuvrer, monter, transformer, ou réparer dans un pays tiers puis réimporter les produits compensateurs en exonération totale ou partielle des droits à l’importation. L’octroi du régime est conditionné au fait que les marchandises communautaires exportées soient identifiables dans la composition du produit compensateur et que l’octroi de l’autorisation ne porte pas atteinte aux intérêts essentiels des transformateurs...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: Delpech

La problématique de la prescription de l’action d’un créancier ayant conservé le droit d’agir sur un immeuble insaisissable s’est plusieurs fois présentée au cours de ces dernières années (comp. Paris, 5 sept. 2019, n° 19/01158, Gaz. Pal. 14 janv. 2020, n° 368g4, p. 60, note B. Ferrari). L’arrêt sous commentaire intéresse une nouvelle fois cette thématique et affine un peu plus les règles en la matière.

En l’espèce, par un acte notarié du 31 octobre 2006, une banque a consenti à un débiteur un prêt destiné à l’acquisition d’un immeuble constituant sa résidence principale. Corrélativement, la banque a inscrit sur l’immeuble un privilège de prêteur de deniers publié le 7 décembre 2006. Par un acte du 2 mars 2012, le débiteur a procédé à une déclaration notariée d’insaisissabilité de l’immeuble acquis au moyen du prêt.

Les 3 septembre et 20 octobre 2013, le débiteur a été mis en redressement, puis en liquidation judiciaire. Le 18 septembre 2013, la banque a déclaré au passif sa créance au titre du solde du prêt. Le 12 septembre 2017, la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif, sans que soit rendue une décision d’admission de la créance de la banque, en l’absence de vérification du passif.

Le 28 février 2018, la banque a fait délivrer au débiteur un commandement de payer valant saisie immobilière portant sur l’immeuble financé par le prêt, avant de l’assigner à l’audience d’orientation du juge de l’exécution le 15 juin 2018.

Devant le juge de l’exécution, le débiteur a soulevé la prescription de l’action de la banque et a obtenu gain de cause. La banque interjette appel de la décision, mais la cour d’appel déclare également son action prescrite.

Pour aboutir à cette solution, les juges du fond ont d’abord relevé que le délai de prescription applicable était celui de deux ans prévu par l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation avec pour point de départ la déchéance du terme du prêt intervenue le 29 octobre 2013. En outre, la DNI était inopposable à la banque eu égard à sa date. Dès lors, pour la cour d’appel, la banque, qui n’était pas dans l’impossibilité d’agir sur l’immeuble lorsqu’elle a déclaré sa créance, ne peut bénéficier de la prolongation de l’effet interruptif de la déclaration de créance jusqu’à la clôture de la procédure collective, à défaut de décision d’admission de sa créance résultant de l’absence de vérification du passif.

La banque se pourvoit en cassation contre cet arrêt. Pour la demanderesse, lorsqu’un créancier poursuivant n’est pas dans l’impossibilité d’agir sur un immeuble, au sens de l’article 2234 du code civil, l’effet interruptif de prescription de sa déclaration de créance prend fin à la date de la décision ayant statué sur la demande d’admission. Dès lors, cet effet interruptif se prolonge aussi longtemps qu’il n’est pas statué sur la demande d’admission. Or, pour la banque, puisqu’aucune décision d’admission n’était intervenue, elle bénéficiait de l’effet interruptif de prescription attachée à la déclaration de créance, et ce, jusqu’à la clôture de la procédure.

La Haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel au visa des articles L. 521-1, alinéa 1 et L. 622-24 du code de commerce.

La Cour de cassation rappelle qu’un créancier à qui est inopposable la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble appartenant à son débiteur peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, mais conserve également la faculté de procéder à la déclaration de sa créance au passif de la procédure collective. Auquel cas, le créancier bénéficie de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: bferrari
image

Le contentieux de la recevabilité de la tierce opposition du créancier contre les jugements rendus en matière de droit des entreprises en difficulté est récurrent. Entre pure technique procédurale et respect des impératifs de célérité liés au traitement de l’insolvabilité, les problématiques suscitées par cette voie de recours exceptionnelle sont nombreuses et l’arrêt sous commentaire en témoigne.

En l’espèce, une société anonyme (SA) a été mise en redressement judiciaire. L’un des associés a formé tierce opposition à l’arrêt rendu par une cour d’appel, le 30 novembre 2017, ayant adopté le plan de redressement de la société débitrice. Le 5 mars 2018, l’assemblée générale de la société a alors, conformément à ce plan, décidé la réduction du capital à zéro et l’augmentation de capital réservée à un unique actionnaire (C. com., art. L. 631-9-1).

Las, la tierce opposition de l’associé a été déclarée irrecevable en appel (Caen, 2e ch. civ., 20 sept. 2018, n° 16/4823, LEDEN nov. 2018, n° 111y4, p. 1, note F.-X. Lucas). Pour les juges du fond, les moyens invoqués par l’associé ont tous été soulevés par la société débitrice dans le cadre de l’instance ayant abouti à l’arrêt du 30 novembre 2017. Aussi ces moyens étaient-ils communs à tous les actionnaires et donc soutenus et défendus en tant que tels par la société débitrice. Il en est déduit que l’associé n’était donc pas le seul à pouvoir les invoquer et, qu’en conséquence, il ne s’agissait pas de moyens propres au sens des dispositions de l’article 583 du code de procédure civile.

L’associé a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Pour le demandeur, la représentation des associés par le représentant légal de la société est limitée aux hypothèses où l’atteinte aux droits ou au patrimoine des associés n’est que la conséquence indirecte de l’atteinte aux droits ou au patrimoine de la société. En revanche, l’atteinte à la qualité même d’actionnaire s’analyse en une atteinte directe aux droits ou au patrimoine de l’associé. Par conséquent, en décidant que l’associé avait été représenté, s’agissant de la perte de sa qualité d’associé et de son droit préférentiel de souscription, par le représentant légal, quand ces deux points s’analysaient en une atteinte directe à ses droits, les juges du fond auraient violé l’article 583 du code de procédure civile ainsi que l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH).

La Haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel au seul visa de l’article 583 du code de procédure civile.

Pour la Cour de cassation, si en principe l’associé est représenté dans les litiges opposant la société à des tiers par le représentant légal de la société, il résulte de l’article 583 du code de procédure civile que l’associé est néanmoins recevable à former tierce opposition contre un jugement auquel la société a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen propre.

En l’espèce, l’atteinte à la qualité d’associé et au droit préférentiel de souscription s’analysait en un moyen propre, quand bien même l’ensemble des autres associés disposait d’un tel droit, de sorte que la tierce opposition ne pouvait être déclarée irrecevable.

L’arrêt ici rapporté constitue un changement de cap remarquable en matière de recevabilité d’une tierce opposition exercée par un associé d’une société en difficulté. Avant de s’intéresser à cet aspect de la décision, revenons d’abord sur les règles applicables en la matière.

L’article 583 du code de procédure civile dispose qu’est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque. En revanche, la personne « représentée » au sens du texte précité retrouve le droit de former tierce opposition si elle invoque une fraude à ses droits ou des moyens qui lui sont propres (par ex., Com. 15 nov. 2017, n° 16-14.630, Bull. civ. IV, n° 154 ; D. 2017. 2366 ; RTD com. 2018. 1024, obs. H. Poujade ).

Au demeurant, la détermination de la notion de moyens propres cristallise l’essentiel du contentieux relatif à l’exercice de la tierce opposition en procédure collective (par ex., Com. 21 oct. 2020, n° 18-23.749 NP ; Gaz. Pal. 12 janv. 2021, n° 394n4, p. 68, note T. Goujon-Béthan). Or, ces problématiques semblent accentuées lorsque le créancier en question revêt la qualité d’associé d’une société en difficulté.

Comme le rappelle la Cour de cassation, et bien que cela soit critiquable (D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, Les surprises de la tierce opposition, in Mélanges Cosnard, Économica, 1990, p. 409), l’associé est représenté au sens de l’article 583 du code de procédure civile, dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société. Dès lors, en principe, un associé ne peut pas former de tierce opposition à un jugement auquel la personne morale a été partie (Com. 15 juill. 1975, n° 74-12.308, Bull. civ. IV, n° 207 ; 23 mai 2006, n° 04-20.149, Bull. civ. IV, n° 129 ; D. 2006. 1742, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2006. 618, obs. M.-H. Monsèrié-Bon  ; BJS oct. 2006, n° 10, p. 1173, note J.-F. Barbièri).

Cela étant, la jurisprudence, par un arrêt remarqué du 19 décembre 2006, a assoupli cette irrecevabilité de principe, sur le fondement du droit à l’accès au juge de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, en admettant qu’un associé de société civile puisse former tierce opposition à l’encontre d’un jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire (Com. 19 déc. 2006, n° 05-14.816, Bull. civ. IV, n° 254 ; D. 2007. 1321, obs. A. Lienhard , note I. Orsini ; Rev. sociétés 2007. 401, note T. Bonneau  ; BJS avr. 2007, n° 4, p. 466, note J. Vallansan et P. Cagnoli ; Gaz. Pal. 14 avr. 2007, n° 104, p. 24, note C. Lebel ; JCP 2007. II. 10076, note D. Cholet ; Dr. sociétés 2007/2. Comm. 24, note F.-X. Lucas).

Pris sur le fondement de la norme conventionnelle, cet assouplissement notable a ensuite été étendu à d’autres hypothèses. Ainsi la tierce opposition exercée par l’associé de société civile à l’encontre du jugement ayant fixé une créance dans une instance en paiement engagée contre la société avant l’ouverture de la liquidation judiciaire (Com. 26 mai 2010, n° 09-14.241 NP, D. 2010. 1415, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2010. 406, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2010. 567, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; BJS oct. 2010, n° 10, p. 839, note O. Staes ; JCP E 2010. 1861, note R. Perrot ; Rev. proc. coll. 2010/5, comm. 194, note C. Lebel ; Act. proc. coll. 2010/12, n° 180, note L. Fin-Langer) ou encore à l’encontre d’une décision condamnant la société in bonis à un paiement (Civ. 3e, 6 oct. 2010, n° 08-20.959, Bull. civ. III, n° 180 ; D. 2010. 2361, obs. A. Lienhard ; AJDI 2011. 227 , obs. F. de La Vaissière ; BJS févr. 2011, n° 2, p. 120, § 61, note F.-X. Lucas ; JCP E 2010. 2026, note S. Reifegerste) a-t-elle été jugée recevable.

Les arrêts précités sont spécifiques à plusieurs égards. D’une part, la Cour de cassation n’y affirme pas que l’associé est un tiers « non représenté » par la société débitrice, pas plus qu’il n’est fait référence à la notion de « moyens propres » de l’article 583 du code de procédure civile permettant à un créancier ou à un ayant cause d’exercer la tierce opposition. D’autre part, et au contraire, il y est, à chaque fois, affirmé que le droit d’agir de l’associé de société civile est fondé sur le droit à l’accès au juge de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH.

La question de la portée de ces décisions demeurait entière avec notamment l’interrogation de savoir si l’assouplissement des conditions de recevabilité de la tierce opposition, sur le fondement du droit à l’accès au juge, pouvait s’étendre à tous les associés, et ce, peu important la forme de la société. À cet égard, l’arrêt « fondateur » du 19 décembre 2006 faisait référence à la charge indéfinie des dettes sociales de l’associé de société civile, comme si le caractère illimité ou limité de l’obligation aux dettes sociales était le critère permettant d’apprécier la violation du droit à l’accès au juge résultant de la fermeture de la tierce opposition (I. Orsini, L’associé de la société civile et le droit au juge, D. 2007. 1321 ).

Partant, nous comprenons que la tierce opposition ait été reconnue à l’associé de société civile, lequel a une responsabilité financière indéfinie à proportion de sa part dans le capital social (C. civ., art. 1857). L’intérêt particulier de cet associé à voir la société perdurer et, par conséquent, à maintenir l’écran de la personnalité morale est particulièrement prégnant. Dans la même veine, il ne fait pas de doute que ce qui a été jugé concernant l’associé de société civile puisse l’être pareillement à propos d’un associé d’une société en nom collectif (SNC) (C. com., art. L. 221-1) ou d’un membre d’un groupement d’intérêt économique (GIE) (C. com., art. L. 251-6), car ils ont, tous deux, une responsabilité illimitée.

En revanche, beaucoup plus délicate était la question de savoir si la solution se transposait à un associé dont la responsabilité était limitée. A priori, la réponse était négative, comme en témoignent deux arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation, au sein desquels il avait été conclu à l’irrecevabilité de la tierce opposition formée par l’associé d’une société à responsabilité limitée (SARL) (Com. 7 févr. 2012, n° 10-26.626, Bull. civ. IV, n° 30 ; D. 2012. 494, obs. A. Lienhard ; 21 janv. 2014, n° 12-28.259 NP).

L’arrêt commenté se détache de ces deux précédents en estimant l’actionnaire d’une SA recevable à former tierce opposition à l’encontre d’un jugement arrêtant un plan de redressement.

La solution est d’autant plus intéressante que la recevabilité de l’associé ne semble pas ici dépendre d’une violation du droit à l’accès au juge, mais se déduit, plus classiquement, de la présence d’un moyen propre au sens de l’article 583 du code de procédure civile permettant aux créanciers et autres ayant causes de former tierce opposition.

Nous nous permettons cette remarque, car l’arrêt d’appel est cassé au visa de l’unique article 583 du code de procédure civile, là où le pourvoi du demandeur indiquait également une violation de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH. Évidemment, notre propos n’est pas de dire que les considérations relatives à l’accès au juge de l’associé sont absentes des inspirations de la présente décision. En revanche, nous trouvons que le fait de se départir des considérations conventionnelles confère à la matière une plus grande logique.

Comme nous l’avons vu, la recevabilité de la tierce opposition de l’associé s’appréciait en fonction de l’ampleur de la violation du droit à l’accès au juge relativement aux risques encourus au sein de la société concernée. Las, pris à la lettre, ce critère confinait l’associé d’une société où les risques sont limités à l’irrecevabilité de la tierce opposition.

Cette distinction selon le risque supporté par l’associé est contestable. En réalité, seules comptent les conséquences patrimoniales de la décision que l’associé entend critiquer, et ce, indépendamment de l’étendue de son engagement au sein de la société. Or, s’il est vrai que l’associé de société civile voit sa situation s’aggraver en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, il n’en demeure pas moins que le jugement d’adoption d’un plan qui annulerait, comme en l’espèce, les titres d’un actionnaire en supprimant son droit préférentiel de souscription, est tout aussi grave du point de vue de l’associé. Ce dernier est exclu de la société, ce qui va l’obliger à contribuer aux pertes immédiatement. Dans cette optique, il nous semble logique que l’actionnaire puisse critiquer le jugement l’expropriant de la société. Or, en l’espèce, si l’actionnaire a qualité pour former tierce opposition contre le jugement arrêtant le plan, c’est qu’il se prévaut d’un moyen propre au sens de l’article 583 du code de procédure civile.

En extrapolant la décision et en la généralisant quelque peu, la lettre de l’article 583 du code de procédure civile nous paraît plus à même de régler les questions de la recevabilité d’un associé à former une tierce opposition, et ce, quelle que soit la forme sociale. Certes, la notion de moyens propres a des défauts, mais elle confère une grille de lecture à la matière, probablement plus malléable que peut l’être le risque de violation du droit à l’accès au juge au regard du degré d’engagement de l’associé. Au demeurant, si le droit à l’accès au juge est respecté, c’est que l’associé concerné a pu faire entendre sa voix en se prévalant d’un moyen propre, lequel peut exister, quel que soit le degré de responsabilité de l’associé. Toutefois, il est permis de regretter que le caractère artificiel de la représentation de l’associé par le dirigeant à l’instance concernée n’ait pas été mis en avant (déjà en ce sens, F.-X. Lucas, note ss. Com. 19 déc. 2006, n° 05-14.816, Bull. civ. IV, n° 254 ; BJS févr. 2007, éditorial), car exiger de l’associé la preuve d’un moyen propre pour exercer la tierce opposition, c’est d’abord reconnaître que ce dernier n’est pas véritablement un tiers à la société, du moins une personne « non représentée », au sens de l’article 583 du code de procédure civile.

En dernier lieu, relevons qu’en l’espèce l’existence d’un moyen propre permettant à l’actionnaire de former tierce opposition peut être discuté. En effet, il pourrait être soutenu que le fait de se prévaloir de la perte d’un droit préférentiel de souscription n’est pas un moyen propre à l’associé dans la mesure où il serait commun à l’ensemble des actionnaires. Or, le moyen propre peut être défini comme un moyen personnel à l’intéressé que lui seul peut faire valoir (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2014, n° 547) et la Cour de cassation estime qu’il s’agit d’un moyen distinct de ceux pouvant être invoqués par les autres créanciers (Com. 1er juill. 2020, n° 18-23.884 NP,  Gaz. Pal., 13 oct. 2020, n° 388x3, p. 71, note T. Goujon-Béthan). À la suite du commentateur de l’arrêt d’appel attaqué, nous pensons que cet argument porte peu puisque rien n’empêche qu’un moyen propre soit commun à plusieurs parties, pourvu qu’il ne soit pas commun à tous les créanciers (F.-X. Lucas, note ss. Caen, 2e ch. civ., 20 sept. 2018, n° 16/4823, préc.). En l’occurrence, l’actionnaire évincé par le plan a des moyens à faire valoir qui lui sont propres, puisqu’il souffre de l’expropriation que sa tierce opposition vise à contester.

Auteur d'origine: bferrari

Une personne est devenue le président et directeur général d’une société anonyme le 30 janvier 2006. Les comptes de l’exercice clos le 31 mars 2011 faisant apparaître un déficit ayant pour origine des malversations commises par l’intéressé, celui-ci a été, le 27 juillet 2011, révoqué de ses fonctions de président et directeur général, et licencié. Le commissaire aux comptes chargé de certifier les comptes de cette société a, le 25 août 2011, adressé une lettre de révélation au procureur de la République, qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire pour abus de biens sociaux à l’issue de laquelle l’ancien dirigeant a été poursuivi devant le tribunal correctionnel et condamné pénalement et civilement.

Le commissaire aux comptes n’a-t-il pas agi trop tard ? Sans doute… Estimant que le commissaire aux comptes avait manqué à ses obligations professionnelles en ne l’alertant pas sur les malversations ainsi commises, la société l’a, le 18 juin 2013, assigné en réparation de son préjudice. Cette société a même, par la suite, été mise en liquidation judiciaire.

La démarche n’a assurément pas été vaine, puisque le commissaire aux comptes (en réalité la société de commissaires aux comptes dont il est membre) a été condamné par la cour d’appel de Reims à payer à la société la somme de 71 088,50 € au titre de la perte de chance d’éviter les détournements ayant pris la forme d’une augmentation de la rémunération de son président directeur général à compter du...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Auteur d'origine: Delpech
image

La question du sort du bail commercial et de l’exigibilité des loyers pendant les périodes de fermeture des commerces imposées par les décrets covid est une question de pur droit. Ce n’est même pas une question mélangée de fait et de droit. L’interdiction d’accueil du public résulte de textes réglementaires applicables dans tout le royaume de France et de Navarre (que certains aient pu se demander si les décisions gouvernementales ne devaient pas être assimilées à un « trouble causé par un tiers » au sens de l’article 1725 du code civil est une énormité sans nom. Le législateur n’est pas un tiers). Les effets de cette interdiction sur les baux commerciaux se déduisent des règles générales et impersonnelles du droit commun des obligations : force majeure, exception d’inexécution, et des règles du droit des contrats spéciaux : obligation de délivrance, perte de la chose louée.

La solution paraissait s’imposer avec une certaine évidence en droit (nous l’avions exposée dès le mois de mars 2020 dans l’Argus de l’Enseigne, puis dans la Gazette du Palais du 21 avril 2020, p. 17), d’autant qu’un bon sens terre à terre suggérait de dispenser les parties d’exécuter leurs obligations relatives à un contrat qui ne pouvait plus être exécuté.

Certaines évidences sont incontournables. À la question « le bail commercial peut-il être exécuté sur des locaux fermés ? », la réponse est évidemment « non ». Mais l’évidence et le bon sens, qui supposent un certain recul, sont parfois obscurcis par les détails tortueux d’arguments juridiquement erronés et certains en arrivent à prétendre que le bailleur exécute son obligation de délivrance et que le preneur doit exécuter son obligation de paiement, pour un contrat qui ne peut pas être exécuté (v. J.-D. Barbier, Loyers commerciaux en temps de pandémie : double peine et triple erreur, Dalloz actualité, Le droit en débats, 9 mars 2021).

Plus d’un an après que la question se soit posée, on en est encore à guetter les décisions de justice qui arrivent progressivement. Ainsi, le tribunal judiciaire de La Rochelle a jugé, le 23 mars 2021 que, la chose louée étant perdue en raison des fermetures gouvernementales, les loyers ne sont pas dus, tandis que la cour d’appel de Paris, statuant en référé, décide, le 18 mars 2021, que les loyers sont dus contrairement à ce qu’elle avait jugé le 9 décembre 2020 (le pôle 1, ch. 3, de cette juridiction a en effet jugé, le 9 déc. 2020, n° 20/05041, que l’exigibilité des loyers se heurtait à une contestation sérieuse, tandis que le pôle 1, ch. 2, n° 20/13262, juge le 19 juin 2020 qu’il n’y a pas de contestation sérieuse et que les loyers sont exigibles).

Ces nouvelles décisions nous invitent à faire à nouveau le point : si la perte de la chose louée peut être retenue, c’est à tort que certains veulent faire intervenir dans le débat la notion de faute.

La perte de la chose louée

Le tribunal judiciaire de La Rochelle, statuant au fond, rappelle les dispositions de l’article 1722 du code civil concernant la perte de la chose louée et décide que, « pour la période du 16 mars au 11 mai 2020, le preneur ne doit aucun loyer », pour les motifs suivants :

« Il est constant que la perte de la chose peut être assimilée à l’impossibilité d’user des locaux en raison d’un cas fortuit au sens de cet article (Civ. 3e, 30 avr. 1997). De même, la perte de la chose louée est établie lorsque le locataire est dans l’impossibilité de l’utiliser par suite de l’application d’une disposition légale intervenue en cours de bail (Civ. 3e, 12 mai 1975).

Il est tout aussi constant que la perte peut être matérielle ou juridique. L’article 1722 précité peut s’appliquer, sans qu’il y ait eu détérioration matérielle, dès lors que le preneur se trouve dans l’impossibilité de jouir de l’immeuble, d’en faire usage conformément à sa destination.

Il est de droit qu’une décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation d’un commerce équivaut à la perte de la chose louée.

Cette perte peut être partielle, dès lors que la fermeture présente un caractère provisoire. »

Cette motivation ne peut qu’être approuvée (sur la perte de la chose louée, v. J.-D. Barbier, Le gel du bail commercial [les loyers covid], Administrer janv. 2021. 9 et, plus particulièrement pour les restaurants, J.-D. Barbier, Le drame des restaurateurs : covid et locaux vides, Gaz. Pal. 23 févr. 2021, p. 48 ; v. égal. J.-Cl., v° Bail à loyers, par B. Vial-Pedroletti, fasc. 286).

Nous ajouterons juste une précision : les divers décrets covid ne sont pas à proprement parler des décisions administratives ordonnant la suspension de l’exploitation du commerce. Il s’agit de décrets interdisant l’accès du public aux locaux commerciaux. L’exploitation du commerce peut se poursuivre mais à l’extérieur des locaux loués. C’est bien la chose louée elle-même qui est déclarée hors d’usage.

Commentant l’adage debitor rei certae interitu rei liberatur (le débiteur d’un corps certain est libéré par la perte de la chose), les professeurs Henri Roland et Laurent Boyer écrivent que « le débiteur, qui est libéré de sa promesse par la vis major, perd le droit de réclamer la contre-prestation prévue » et que « la solution de principe n’est pas douteuse, car elle est commandée, outre l’équité, par l’interdépendance des obligations corrélatives issues d’un même contrat synallagmatique » (H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, n° 75).

L’obsession de la faute

Les mécanismes juridiques qui doivent être mis en œuvre sont exclusifs de toute idée de faute.

• La suspension des obligations des parties en raison de la force majeure ou du fait du prince est, par définition, exclusive de toute faute.

Nemo praestat casus fortuitos (personne ne répond du cas fortuit) : comme l’écrivent les professeurs Henri Roland et Laurent Boyer à propos du cas fortuit ou de la force majeure : « S’il s’agit d’un contrat synallagmatique, l’effet libératoire est double : l’extinction de l’obligation devenue impossible par évènement fortuit entraîne la disparition corrélative de l’obligation de l’autre partie ; en d’autres termes, le débiteur empêché ne peut pas exiger la contrepartie » (H. Roland et L. Boyer, op. cit., n° 247).

• L’exception d’inexécution joue indépendamment de toute idée de faute. L’inexécution est une chose, la faute autre chose. L’inexécution dispense le cocontractant de sa propre obligation. La faute, au contraire, permet l’allocation de dommages et intérêts.

L’inexécution et la faute sont deux notions distinctes. Une inexécution peut être non fautive conformément à une jurisprudence plus que centenaire. La résiliation d’un contrat peut être prononcée « en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations, même si cette inexécution n’est pas fautive » et notamment lorsque l’empêchement résulte « de la force majeure » (Civ. 1re, 2 juin 1982, Bull. civ. n° 205 ; 13 nov. 2014, n° 13-24.633, D. 2015. 529, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki  ; Civ. 14 avr. 1891, D.P. 1891. 329, note Planiol), et il en va de même de l’exception d’inexécution.

• La perte de la chose louée, en raison d’une réglementation, est, là encore, exclusive de toute idée de faute.

Personne ne demande de dommages et intérêts à personne et la question de la faute ne se pose pas.

La faute n’intervient, en droit, que pour la réparation des préjudices et l’évaluation des dommages et intérêts, questions ici hors sujet (sur l’exclusion de la notion de faute, notamment pour l’exception d’inexécution, v. nos études et les ouvrages cités, Sabotage ou sabordage ?, AJDI 2020. 549  ; Le gel du bail commercial (les loyers covid), Administrer janv. 2021, p. 9 ; Le déconfinement du bail commercial, Gaz. Pal. 30 juin 2020, p. 54).

Ces règles de droit ont du mal à passer dans un monde obsédé par la responsabilité d’autrui et la recherche des fautes. Qu’une situation objective d’empêchement conduise à la suspension des obligations des parties, sans faute de personne, paraît inconcevable.

Il faut un fautif. Certains veulent même mettre en cause la responsabilité du gouvernement (v. les comm. J.-D. Barbier, Dalloz actualité, 9 mars 2021, art. préc. ; v. égal. J. Monéger, Pandémie et bail commercial : l’article 1719 du code civil peut-il ouvrir la décharge du loyer dû ?, Dalloz actualité, 9 mars 2021).

Cette obsession de la faute conduit à des décisions erronées.

Ainsi, le tribunal judiciaire de La Rochelle, tout en dispensant des loyers sur le fondement de la perte de la chose louée, avait d’abord exclu la mise en œuvre de l’exception d’inexécution avec la motivation suivante : « Le manquement à l’obligation de délivrance est caractérisé lorsque le locataire ne peut plus, du fait du bailleur, jouir du local commercial. Tel n’est pas le cas lorsque le preneur ne peut accéder au local pour un autre fait, non imputable au bailleur ».

Cette motivation est erronée, car elle est contraire à toute la jurisprudence qui met en œuvre la résiliation ou l’exception d’inexécution, même lorsque cette dernière est imputable à la force majeure ou au fait du prince.

L’obligation de délivrance est inexécutée lorsque, du fait des décrets covid, le local est interdit d’accès au public, ce qui n’est nullement imputable au bailleur, mais ce qui n’empêche ni la résiliation ni l’exception d’inexécution.

La même erreur figure dans l’arrêt de la deuxième chambre du pôle 1 de la cour d’appel de Paris du 18 mars 2021, en contradiction avec la décision de la chambre 3 du 9 décembre 2020 (on ne peut que regretter qu’au sein d’un même pôle d’une même cour d’appel, les magistrats jugent dans des sens contraires…), qui décide qu’il n’y a pas de contestation sérieuse sur l’exigibilité des loyers au motif que, vu l’article 1219 du code civil, « aucun manquement lié à la période de confinement n’est établi à l’encontre de la société (propriétaire) ».

Il ne s’agit pas de statuer « à l’encontre » de l’une ou de l’autre des parties ni de rechercher une « imputabilité » de la situation à l’un ou à l’autre. Il s’agit de tirer les conséquences objectives d’une situation objective, sans faute.

La deuxième chambre du pôle 1 de la cour d’appel de Paris, qui aurait été mieux inspirée de suivre la jurisprudence de la troisième chambre du même pôle, avait constaté la réalité des faits en relevant que « les locaux ont été soumis à l’interdiction d’ouverture » et que la société locataire « n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination ». Par quel raisonnement les juges, qui constatent ainsi que le bail commercial ne peut plus être exécuté, peuvent-ils conclure que le preneur doit l’exécuter ?

Trop longue est l’attente de la consécration de la règle de droit.

Auteur d'origine: Rouquet