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Le fonds de solidarité pour les très petites entreprises constitue l’un des instruments mis en place par les pouvoirs publics pour venir en aide aux entreprises frappées de plein fouet par la crise sanitaire liée à la propagation du covid-19 et aux mesures de confinement de la population qui ont été décidées. Ce fonds a été institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 (JO 26 mars) et son régime a été précisé quelques jours plus tard par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 (JO 31 mars). Les critères d’éligibilité aux aides versées par ce fonds ont été élargis une première fois par le décret n° 2020-394 du 2 avril 2020 (JO 3 avr.). Ils le sont une nouvelle fois par le décret du 16 avril 2020. Cela représente évidemment un coût pour les finances publiques. C’est pourquoi, en parallèle, une nouvelle loi de financement rectificative est en train d’être votée, qui prévoit de faire passer la dotation au fonds de solidarité de 1 milliard à 7 milliards d’euros.

Dans sa version issue du décret modificatif du 2 avril, le dispositif est ouvert aux très petites entreprises (TPE ; pour faire simple, le montant du chiffre d’affaires de leur dernier exercice doit être inférieur à un million d’euros leur bénéfice imposable ne doit pas excéder 60 000 €) qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou qui ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020. Le montant de l’aide s’élève au maximum à 1 500 €, mais les entreprises les plus fragiles peuvent bénéficier, le cas échéant, d’une aide complémentaire forfaitaire de 2 000 € versées par les collectivités locales (en principe les régions).

Critères d’éligibilité (Décr. 30 mars 2020, art. 1er mod.)

Les critères d’éligibilité aux aides versées par le fonds de solidarité viennent une nouvelle fois d’être modifiés par un décret modificatif du 16 avril 2020. Ils sont assouplis s’agissant de la situation financière de l’entreprise au regard des procédures collectives : le dispositif est désormais expressément ouvert aux entreprises en difficulté, à l’exception de celles se trouvant en liquidation judiciaire au 1er mars 2020. Une entreprise en période d’observation d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire (a fortiori sous le coup d’une procédure préventive de type conciliation ou mandat ad hoc, mais cela le décret du 30 mars 2020 l’admettait déjà) à cette date est donc éligible. Cette clarification est tout à fait opportune.

Par ailleurs, le décret du 16 avril précise que les aides versées par le fonds de solidarité aux entreprises doivent être compatibles avec la réglementation européenne sur les aides d’État. Précisément, les aides versées à des entreprises qui étaient, au 31 décembre 2019, en difficulté au sens de l’article 2, § 18, du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur, doivent être compatibles avec le règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis. L’idée est que si l’entreprise est en difficulté financière au sens du règlement 651/2004, elle peut bénéficier d’aides de minimis (V. sur ce point, Circulaire relative à l’application du règlement n° 1407/2013 de la Commission européenne du 18 décembre 2013 relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis, spéc. p. 13).

Procédure (Décr. 30 mars 2020, art. 3 mod.)

Le décret du 30 mars 2020 précise que la demande d’aide financière du fonds de solidarité doit être formulée par voie dématérialisée, au plus tard le 30 avril 2020 (art. 3, al. 3). Le décret du 16 avril 2020 assouplit cette condition de date. Ce délai est prolongé jusqu’au 15 mai 2020 pour les artistes auteurs, les associés des groupements agricoles d’exploitation en commun, qui deviennent ainsi éligibles aux aides du fonds de solidarité, et les entreprises situées à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

La demande doit être accompagnée d’un certain nombre de justificatifs énumérés par le décret du 30 mars 2020 (une déclaration sur l’honneur attestant que l’entreprise remplit les conditions d’éligibilité, l’exactitude des informations déclarées ainsi que la régularité de sa situation fiscale et sociale au 1er mars 2020 ; une estimation du montant de la perte de chiffre d’affaires ; les coordonnées bancaires de l’entreprise). Le décret complète cette liste. Il faut, en effet, désormais fournir en sus, à l’appui de sa demande, une déclaration indiquant si l’entreprise était en difficulté au 31 décembre 2019 au sens de l’article 2 du règlement (UE) n° 651/2014. Cette déclaration doit également figurer en cas de demande d’aide complémentaire.

Prolongation de l’aide (Décr. 30 mars 2020, art. 3-1 et 3-2 nouv.)

On rappellera que, selon le décret du 30 mars modifié par le décret du 2 avril, les aides financières du fonds de solidarité bénéficient aux TPE qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou qui ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 (art. 2). Compte tenu du prolongement de la période de confinement jusqu’au 11 mai prochain décidée par le président de la République, le décret du 16 avril 2020 prévoit une nouvelle aide, également plafonnée à 1 500 € au bénéfice des TPE qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er avril 2020 et le 30 avril 2020 ou qui ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er avril 2020 et le 30 avril 2020. Le critère de référence de perte du chiffre d’affaires est également assoupli. Pour les entreprises qui le souhaitent, cette perte peut, en effet, désormais être appréciée par rapport au chiffre d’affaires mensuel moyen de l’année 2019. Il faut dire que prendre comme mois de référence pour le calcul des pertes mars 2019, comme le prévoyait le décret du 30 mars, pouvait se révéler défavorable pour les entreprises, car il s’agissait pour beaucoup d’entre elles d’un mauvais mois en raison de la chute d’activité provoquée par la crise dite des « gilets jaunes ».

La demande doit être formulée au plus tard le 31 mai 2020. Elle obéit aux mêmes conditions et doit être accompagnée des mêmes justificatifs que ceux prévus par le décret du 30 mars 2020. Ces aides sont cumulables. Ainsi, une TPE visée par une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars et le 30 avril peut prétendre à une aide du fonds de solidarité de 3 000 €.

Aide complémentaire (Décr. 30 mars 2020, art. 4 mod.)

Le décret du 30 mars 2020 prévoit que les entreprises éligibles à l’aide du fonds de solidarité particulièrement fragiles pourront bénéficier d’une aide complémentaire forfaitaire de 2 000 € versées par les collectivités locales (art. 4). Sont concernées celles qui emploient au moins un salarié, qui se trouvent dans l’impossibilité de régler leurs dettes à trente jours et qui se sont vu refuser un prêt de trésorerie par leur banque. Ce deuxième critère est remplacé, par le décret du 16 avril par le critère suivant : « Le solde entre, d’une part, leur actif disponible et, d’autre part, leurs dettes exigibles dans les trente jours et le montant de leurs charges fixes, y compris les loyers commerciaux ou professionnels, dues au titre des mois de mars et avril 2020 [doit être] négatif ».

Par ailleurs, ce même décret du 16 avril remplace désormais le principe du montant forfaitaire à 2 000 € par trois montants plafonds, fixés respectivement à 2 000, 2 500 et 5 000 €, chacun de ces montants dépendant eux-mêmes de deux facteurs, en termes de montant de chiffre d’affaires et de passif exigible. Ces montants sont les suivants :
« - 2 000 € pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos inférieur à 200 000 €, pour les entreprises n’ayant pas encore clos un exercice et pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos supérieur ou égal à 200 000 € et pour lesquelles le solde mentionné au 3° [il s’agit du solde ci-dessus] est inférieur, en valeur absolue, à 2 000 € ;
- au montant de la valeur absolue du solde mentionné au 3° dans la limite de 3 500 €, pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos égal ou supérieur à 200 000 € et inférieur à 600 000 € ;
- au montant de la valeur absolue du solde mentionné au 3° dans la limite de 5 000 €, pour les entreprises ayant un chiffre d’affaires constaté lors du dernier exercice clos égal ou supérieur à 600 000 € ».

Enfin, les critères d’attribution de l’aide complémentaire sont simplifiés. En particulier, la demande d’aide devait être accompagnée de plusieurs justificatifs, parmi lesquels « une description succincte de sa situation, accompagnée d’un plan de trésorerie à trente jours, démontrant le risque de cessation des paiements ». Par ailleurs, la collectivité territoriale saisie devait instruire la demande d’aide en examinant « en particulier le caractère raisonnable du montant du prêt refusé, le risque de cessation des paiements et son lien avec le refus de prête ». Le décret du 16 avril gomme, à la fois dans la justification de la demande et son instruction, toute référence à la notion de risque de cessation des paiements. 

Auteur d'origine: Delpech
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Une société de gestion collective peut, sur le fondement de l’article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle (anc. art. L. 321-1 CPI applicable en l’espèce) ester en  justice pour la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres. À ce titre, elle a qualité pour agir en contrefaçon à l’encontre de celui qui porterait atteinte aux droits des auteurs qui lui confient leurs œuvres et/ou interprétations.

L’affaire qui a donné lieu à cet arrêt de la première chambre civile du 11 mars 2020, opposait la société des auteurs de jeux (SAJE), société de gestion collective figurant sur la liste des sociétés de perception et de répartition des droits reconnues par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique et la société Orange. La SAJE gère un répertoire composé de formats de jeux, créés par un ou plusieurs auteurs mais également adaptés de formats étrangers. La société Orange est ici en cause pour ses activités de commercialisation des abonnements multi-services comprenant un accès à internet, un accès à la téléphonie et un accès à la télévision. Les parties se sont accordées à définir le format de jeux comme consistant en une sorte de mode d’emploi qui décrit le déroulement formel du jeu afin de servir de base au jeu télévisuel qui en sera tiré.

En 2015, la SAJE a assigné en contrefaçon la société Orange, demandant sa condamnation au paiement de la somme de plus de 11 millions d’euros pour la période courant entre mars 2012 et décembre 2013 à laquelle s’ajoute la somme mensuelle des 550 000 € à compter de janvier 2014, en réparation du préjudice subi de l’exploitation, sans autorisation, des œuvres dont elle avait la gestion. En première instance, le tribunal de Paris déclaré irrecevables les demandes de la SAJE faute, d’une part, d’établir le caractère protégeable des formats de jeux et, d’autre part, de justifier de la réalité des apports par ses adhérents (TGI Paris, 1er juin 2017). En appel, sur le terrain de la recevabilité de l’action, la cour de Paris a considéré que la SAJE ne justifiait pas que les droits qu’elles défendaient lui avaient été effectivement et régulièrement apportés par ses membres adhérents (Paris, 30 nov. 2018, n° 17/14128).

La Cour de cassation rejette le pourvoi contre cet arrêt et valide l’analyse des juges du fond. En effet, la cour relevait que le droit de retransmission secondaire des formats de jeux incorporés dans les œuvres audiovisuelles en cause, qui était revendiqué par la SAJE, était susceptible de faire l’objet de la présomption de cession des droits exclusifs d’exploitation de l’article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle au bénéfice du producteur d’une oeuvre audiovisuelle (sur la portée de cette présomption, V. Soc. 3 mars 2004, n° 01-46.619, D. 2004. 2494 , note J.-L. Piotraut et P.-J. Dechristé ; RTD com. 2004. 726, obs. F. Pollaud-Dulian ; JCP 2005. 1216, no 6, obs. Bougerol ; Propr. intell. 2004, no 13, p. 917, obs. A. Lucas ; CJUE 9 févr. 2012, aff. C-277/10, D. 2012. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2012. 283 et les obs. ; RTD com. 2012. 318, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2012. 964, obs. E. Treppoz ; CCE 2012, no 37, note Caron ; RIDA avr. 2012, p. 381, note Sirinelli). Et constatant que la SAJE n’apportait pas la preuve que ces droits n’avaient pas été cédés, elle ne pouvait être considérée comme recevable pour agir en contrefaçon.

Auteur d'origine: Daleau
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Une compagnie d’assurances et une société, qui interviennent dans le domaine de la sécurité, ayant leur siège en Lettonie concluent un contrat d’assurance générale de responsabilité civile, qui couvre également la responsabilité d’une filiale à 100 % immatriculée en Lituanie. Les conditions générales du contrat prévoient une clause attributive de compétence au juge letton et indiquent que ce juge applique la loi lettone.

Or, suite à un vol commis dans une bijouterie dans laquelle la filiale lituanienne était chargée d’assurer la surveillance, celle-ci a dû dédommager la cliente et a ensuite saisi un juge lituanien d’une procédure dirigée contre la compagnie d’assurance.

Ce juge s’est déclaré incompétent au profit du juge letton, au regard de la clause attributive stipulée dans le contrat d’assurance signé par la société mère.

La difficulté concernait la mise en œuvre du règlement n° 1215/2012 Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et en particulier de ses articles 15 et 16.

L’article 15 prévoit la possibilité, en matière d’assurances, de conclure une clause attributive de compétence à certaines conditions : une telle clause doit notamment être postérieure à la naissance du différend et concerner, selon le point 5, « un contrat d’assurance en tant que celui-ci couvre un ou plusieurs des risques énumérés à l’article 16 ».

L’article 16 vise quant à lui différents types de risque, par exemple tout dommage aux marchandises autres que les bagages des passagers, durant un transport réalisé par ses navires ou aéronefs soit en totalité soit en combinaison avec d’autres modes de transport. Cet article 16 vise, surtout, par son point 5, tous les « grands risques » au sens de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II). Par son article 13, point 27 (et sur renvoi à la partie A de l’Annexe I de la directive), cette directive vise à ce titre, par exemple, tout dommage subi par les véhicules ferroviaires, aériens, fluviaux ou maritimes.

Au regard de ces dispositions, il s’agissait de déterminer si la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d’assurance conclu par le preneur d’assurance et l’assureur et couvrant un « grand risque » peut être opposée à la personne assurée par ce contrat.

Cette question de l’opposabilité d’une clause attributive dans le domaine des contrats d’assurance n’est pas nouvelle dans le droit de l’Union européenne (sur l’ensemble, Rép. intern., v° Compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale, par D. Alexandre et A. Huet, n° 118). Il a notamment été jugé qu’une telle clause n’est pas opposable à l’assuré bénéficiaire qui n’y a pas expressément souscrit et a son domicile dans un État membre autre que celui du preneur d’assurance et de l’assureur (CJCE 12 mai 2005, aff. C-112/03, D. 2005. 1586 ; Rev. crit. DIP 2005. 753, note V. Heuzé ; Procédures 2006. Comm. 75, obs. C. Nourissat ; RJ com. 2005. 338, obs. Raynouard) et qu’une victime disposant d’une action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage qu’elle a subi n’est pas liée par une clause attributive de juridiction conclue entre cet assureur et cet auteur (CJUE 13 juill. 2017, aff. C-368/16, D. 2017. 1536 ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2017. 741, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Rev. UE 2018. 301, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ).

La spécificité de l’affaire jugée le 27 février 2020 tient à la nature du risque assuré. Il est d’ailleurs à noter cette problématique du « grand risque » fait l’objet d’analyses approfondies en droit international privé (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 300 ; M.-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2017, n° 740).

Avant de prendre position sur l’opposabilité de la clause attributive à l’assuré qui n’a pas souscrit le contrat d’assurance couvrant un « grand risque », l’arrêt (pt 37) rappelle, de manière générale, qu’en matière d’assurances, la prorogation de compétence demeure strictement encadrée par l’objectif de protection de la personne économiquement la plus faible (CJUE 13 juill. 2017, préc., pt 36).

Cet objectif vaut-il toutefois également à propos des contrats couvrant un « grand risque » ? Le doute est permis selon l’arrêt (pt 38), puisque les assurés peuvent « jouir d’une puissance économique importante », tout comme les assureurs et les preneurs d’assurance eux-mêmes. La Cour de justice écarte néanmoins la pertinence d’un tel doute, au motif que les puissances économiques respectives de l’assureur et du preneur d’assurance, d’une part, et de l’assuré, d’autre part, ne sont pas identiques (arrêt, pt 40).

L’arrêt relève alors que l’assuré n’était pas, en l’espèce, un professionnel du secteur des assurances, n’avait pas consenti à cette clause et était, de surcroît, domicilié dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur (arrêt, pt 46). La Cour de justice en déduit que la clause attributive de juridiction prévue dans le contrat ne pouvait pas être opposée à la personne assurée par le contrat d’assurance couvrant un « grand risque » conclu par l’assureur et le preneur d’assurance.

Cette solution peut être approuvée en ce qu’elle s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence relative aux clauses attributives en matière d’assurance, qui a été rappelée précédemment. On peut toutefois regretter le fait que la Cour de justice procède plus par des affirmations successives que par une démonstration étayée, et ce dans le cadre d’un arrêt dont la motivation aurait gagné à être plus limpide et ramassée.

Auteur d'origine: fmelin
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3 - Un exemple concret : le code du travail numérique

31 - Le concept

Annoncé par l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, le code du travail numérique a pour objectif, selon la loi, de permettre, « en réponse à une demande d’un employeur ou d’un salarié sur sa situation juridique, l’accès aux dispositions législatives et réglementaires ainsi qu’aux stipulations conventionnelles, en particulier de branche, d’entreprise et d’établissement, sous réserve de leur publication, qui lui sont applicables ».

Il s’agit en réalité d’un outil multifonctionnel, à la fois moteur de recherche qui permet, à partir de mots-clés et de quelques renseignements de base (nom de l’entreprise, etc.), de trouver l’article du code du travail qui a vocation à s’appliquer, ainsi que le texte de la convention collective applicable de branche ou interprofessionnelle (au moins pour les cinquante plus importantes d’entre elles qui sont à ce jour dans la base de données), et boîte à outils pour ses utilisateurs (simulateurs, modèles d’actes).

Révolution pour les uns, outil basique et déceptif27 pour les autres, le code du travail numérique est une utilisation de l’IA ayant pour objectif de faciliter l’accès à l’information de tous. Il permet en effet à n’importe quel usager, à partir de mots courants, d’obtenir une réponse accessible et compréhensible par tous basée sur le texte légal et conventionnel qui s’applique à sa situation. Il vise ainsi à rendre « accessible et effectif à tous » le droit du travail, selon les termes de la ministre du travail28, puisque, par l’usage de mots-clés issus du langage courant, on peut trouver le texte adéquat, ce qui, s’agissant du code du travail dont l’épaisseur a souvent été évoquée, est une avancée considérable, mais plus encore lorsqu’il s’agit des conventions collectives, qui constituent pour le salarié ou même l’employeur parfois un dédale complexe.

Concrètement, le code du travail numérique est une plateforme accessible en ligne gratuitement et qui offre actuellement trois services :

• une base de données intégrant les textes du code du travail, celui des principales conventions collectives et des fiches explicatives, permettant à partir de mots-clés de français courant et non nécessairement juridique (vacances, dispute) d’obtenir le renvoi vers les documents apparaissant les plus adaptés ;

• une base de données des conventions collectives permettant de vérifier, cette fois par un système de mots-clés juridiques, une navigation dans leurs dispositions par thème et/ou par mots-clés ;

• une boîte à outils, avec notamment des simulateurs permettant le calcul d’indemnités fréquentes pouvant être calculées facilement à partir de la réponse à quelques données factuelles (indemnités de licenciement, préavis de démission, salaire brut/net, indemnité de précarité et préavis de licenciement), et des modèles de documents.

Le concept s’inscrit d’autant plus dans l’idée d’un service public qu’il prévoit que « l’employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du “code du travail numérique” [soit], en cas de litige, présumé de bonne foi »29. Par conséquent, la consultation de cette base de données offre une sécurité juridique rare à celui qui y recourt. L’enjeu est de taille : les services de renseignement en droit du travail (dans les Direccte) répondent actuellement à plus de 900 000 demandes par an concernant le droit du travail, des questions les plus simples aux cas les plus complexes30. En trois mois, le code du travail numérique a d’ores et déjà suscité près de 420 000 visites31.

Cet outil est donc une base de données intelligente, mais n’a pas vocation à effectuer une analyse juridique. Elle peut donner une correspondance textuelle à un mot-clé, mais non aider à qualifier juridiquement des faits qui lui sont soumis. Elle peut donner le montant de l’indemnité applicable si le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, mais elle ne peut pas dire si, au regard des circonstances, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. C’est, à l’évidence, une aide novatrice considérable pour l’usager, qu’il soit employeur, salarié, ou même juriste. À une question exprimée en mots « de tous les jours », il fait le lien avec le texte juridique qui règle la situation − s’il existe − et le cas échéant avec les sites officiels (par exemple ceux du service public) fournissant des explications utiles, et avec des calculateurs lorsque la demande concerne un montant salarial ou indemnitaire dépendant de données objectives (ancienneté, convention applicable, temps de travail, etc.). Mais il n’analyse pas la situation et ne donne pas de réponse juridique à des cas particuliers, ne serait-ce que parce qu’il n’intègre pas, sauf à la marge dans les calculateurs, la jurisprudence.

32 - La réalisation32

Pour réaliser le code du travail numérique, la Direction générale du travail s’est mise en mode start-up33, réunissant une équipe composée de juristes de la Direction générale du travail ou recrutés spécialement à cet effet et des informaticiens spécialement dédiés, qui ont travaillé ensemble, au sein d’un incubateur, durant près de deux ans. De très nombreux tests ont été organisés grâce notamment à une beta version accessible très tôt en ligne et dont les codes sont publiquement accessibles sur un dépôt Github, reprenant là les usages de la communauté de l’apprentissage automatique. Le site du code du travail numérique propose à l’utilisateur différents outils qui illustrent la distinction entre modèles mécanistes et modèles empiriques faite plus haut.

Les premiers (« boîte à outils ») proposent, par exemple, de calculer la durée d’un préavis à respecter en cas de démission ou d’estimer une indemnité de licenciement. Les mots « calcul » et « estimation » ne doivent pas être entendus au sens statistique ou au sens de l’IA. Au contraire, ces calculs et ces estimations reposent sur une approche parfaitement mécaniste : l’utilisateur est invité à répondre à une série de questions fermées qui orientent itérativement le système. L’algorithme progresse ainsi de façon déterministe au sein des textes juridiques au fur et à mesure que la situation qui lui est soumise est progressivement précisée. Le déroulement de ce processus mime donc le raisonnement juridique pour aboutir à la détermination de la règle de droit applicable en l’espèce et à l’établissement d’une (gamme de) durée ou d’une indemnité prescrite par la loi. Si la situation est particulièrement atypique, le système peut ne pas fournir de réponse et proposer de prendre contact directement avec un service juridique.

Ce travail ne relève pas de l’IA au sens usuel, mais prouve de manière remarquable qu’il est possible d’encoder le processus de décision de façon formelle et de proposer ainsi un avis dont la motivation est fournie par le déroulement même de l’algorithme. Sa réalisation repose cependant sur deux conditions assez rarement réunies dans le domaine juridique (et dans la plupart des problèmes auxquels s’attaque l’IA). Il porte tout d’abord sur un pan du droit du travail qui se prête particulièrement à la formalisation et à l’automatisation. Mais surtout, sa mise en place a demandé un travail de fourmi aux services du ministère pour effectuer l’encodage de toutes ces règles sous une forme se prêtant à un traitement automatique, et demandera de poursuivre ce même travail minutieux dans le cadre des mises à jour permanentes.

Mais le site du code du travail numérique propose également un mode d’interrogation libre (en « français facile ») des textes ayant trait au droit du travail. Il ne s’agit pas là de fournir un avis (et encore moins de rendre une décision) sur une situation ou un contentieux donné, mais, plus modestement, de guider l’utilisateur (employeur ou salarié) vers les textes ou règlements pertinents.

Les mécanismes de l’IA sont complémentaires des mécanismes de recherche traditionnels et des réponses présélectionnées par les experts en droit du travail. Le service repose en effet grandement, pour ce qui concerne son mode non contraint, sur des outils issus de l’IA et notamment des outils de traitement automatique du langage puisqu’il s’agit d’interpréter une requête formulée en langage libre (au contraire de questions fermées). Pour déterminer les textes et règlements les plus probablement pertinents, le système utilisé ici repose sur un algorithme analogue à celui utilisé par le moteur de recherche Google qui se fonde principalement sur des associations statistiques entre mots observées dans une grande base de document. Cet algorithme a, évidemment, dû être entraîné sur une base de données que les textes officiels pouvaient difficilement constituer − tant il est vrai que le langage juridique est, parfois, assez éloigné du « français facile ». Le système proposé repose notamment sur un algorithme de représentation du texte issu des laboratoires de Google et entraîné pour le français via un corpus de documents disponibles sur internet et notamment l’ensemble des pages du site Wikipédia. Le système est donc initialement fondé sur un algorithme d’apprentissage non supervisé, au sens où il propose des textes « proches » de la requête formulée. Son utilisation a, par exemple, permis de mettre en lien les termes « Pass Navigo » et « remboursement des frais de transport par l’employeur ». Le système mis en place améliore même progressivement la pertinence de ses réponses en demandant à chaque utilisateur si la réponse proposée lui a été utile, de façon semblable au processus décrit (§ 1323). Un algorithme supervisé permet alors de discriminer au mieux entre les réponses utiles et celles qui le sont moins.

Ce deuxième outil qui relève de l’IA n’est évidemment pas à l’abri des biais inhérents à tout système d’apprentissage (dépendance vis-à-vis de la base de données d’apprentissage, effet du choix de tel ou tel critère d’ajustement, etc.) mais le caractère non décisionnaire de la réponse qu’il produit réduit évidemment les conséquences de ces biais.

33 - Les perspectives

Faut-il aller plus loin dans le développement du code du travail numérique, comme certains le souhaiteraient ? Si des améliorations documentaires sont évidemment possibles, avec notamment l’accroissement du nombre d’actes types de textes de conventions de branche disponibles, la question peut être posée de la capacité à intégrer dans l’outil la jurisprudence, c’est-à-dire l’interprétation donnée aux textes par la Cour de cassation, voire de répondre, grâce à cette base de jurisprudence, à des questions plus ciblées des utilisateurs (« Puis-je être licencié pour un retard au travail ? »).

Sur le premier point, et sous réserve d’être certain de disposer d’un mécanisme permettant d’actualiser la base jurisprudentielle en temps réel, le service serait à l’évidence décuplé, sans modifier la conception même de l’outil.

Sur le second point, en revanche, la démarche serait totalement différente, qui consisterait à donner au code du travail numérique la capacité de fournir une analyse et une réponse juridique à une situation de fait évoquée par un particulier. Le pas à franchir serait dangereux, surtout à partir d’une série de questions par hypothèse trop élémentaires pour assurer la fiabilité du diagnostic.

L’outil que constitue le code du travail numérique est précieux et unique en termes d’accès à l’information. S’il ne vise pas à proposer une décision, il permet d’orienter un utilisateur non expert dans un domaine dont il n’est pas nécessairement familier, ce qui est déjà beaucoup. Certes, il limite volontairement ses ambitions « prédictives » à un champ particulièrement balisé et quantifiable du droit du travail et repose, pour cela, sur une approche résolument mécaniste, ne faisant donc pas une confiance aveugle aux algorithmes issus de l’IA.

Vouloir élargir son ambition prédictive le dénaturerait et présenterait des garanties nettement moindres.

Conclusion

Dans la conception, il n’y a pas de neutralité, il n’y a que des choix, ne serait-ce que par défaut dans la mise en œuvre, qui nécessitent de s’interroger sur la ligne d’équilibre que l’on veut établir entre réponse sécurisée tout numérique et réponse réellement adaptée dont l’acteur reste encore le meilleur garant. Le concept de loyauté, quoique différemment entendu par les mathématiciens et les juristes, peut aider, voire obliger, à tracer cette frontière.

Il nous faut admettre qu’en matière de justice, l’IA peut considérablement aider dans l’accès à l’information mais ne peut pas remplacer l’intervention de l’homme. Et que, dans ce domaine plus que tout autre, seule une vraie compréhension croisée des données et des enjeux par un dialogue fort entre ceux qui peuvent concevoir et ceux qui peuvent utiliser est fondamental… et possible. Cette interaction sera évidemment facilitée si les professionnels des deux champs sont avertis de ces enjeux dès leur formation initiale, voire qu’une fraction d’entre eux s’y spécialisent.

Prédire n’est pas une fin en soi − sinon la conclusion serait simple : les algorithmes peuvent évidemment permettre de prédire, et mieux que tout humain, mais pourquoi ? − dès lors qu’on ne sait pas comment la prédiction est faite et pourquoi on la souhaite. La motivation de la décision fait partie de la décision elle-même et fonde sa légitimité.

À défaut de replacer le juge dans sa prise de décision, il pourrait être tentant d’accorder aux prédictions algorithmiques la même valeur que celle accordée aux avis d’expert. Mais ce serait, d’une part, sous-estimer l’effet d’intimidation produit par un résultat « mathématique » qui rend difficile de ne pas s’y soumettre le plus souvent. Ce serait, d’autre part, oublier qu’un expert peut être interrogé sur le raisonnement ou la méthodologie qui l’a amené à son avis, interrogations auxquelles un algorithme sera bien en peine de répondre.

À l’inverse, pour les tâches qu’on décide de lui confier, l’IA nécessite une totale maîtrise de sa conception. Aucun espace ne peut être laissé à des choix de conception par défaut, par facilité, par habitude pour l’informaticien. Il va bien falloir que les juristes en aient conscience et s’emparent de l’outil pour que l’IA leur obéisse et non l’inverse.

Pour cela, s’immerger dans la compréhension du fonctionnement est une responsabilité des juristes, et des décideurs du monde judiciaire. Sous cette condition, l’apport de l’IA dans la justice peut être une avancée considérable et un progrès qui ne le sera pas moins.

 

 

Notes

27. P. Januel, Codification, bilan des travaux en cours et perspectives, Dalloz actualité, 26 juin 2018 : « Pour la commission supérieure de codification, l’appellation de code à ce qui n’est qu’un service interactif est impropre. Elle trouve préoccupant le “galvaudage” du label code. »

28. Conférence de presse du 16 janv. 2020 pour le lancement du code du travail numérique.

29. Ord. n° 1387-2017, 22 sept. 2017, art. 1er, al. 2.

30. Source : ministère du travail.

31. Source : ministère du travail.

32. Les auteurs remercient le directeur général du travail, M. Yves Struillou, le directeur adjoint, M. Laurent Villboeuf, et la cheffe de projet à la direction générale du travail, Mme Catherine Lissarague, de leur avoir permis d’observer in situ la conception du code du travail numérique au cours de l’année 2019 et de leur avoir donné accès à tous les documents sur la conception de l’outil.

33. J.-F. Kerléo, « Le service public en mode start-up », AJDA 2020. 83 .

Auteur d'origine: Bley

Dans le contexte de l’épidémie du covid-19, qu’il qualifie d’« événement d’une exceptionnelle gravité ayant des conséquences sanitaires, économiques et financières affectant les activités des entités françaises tenues d’établir des comptes annuels et consolidés selon les normes comptables françaises », le collège de l’Autorité des normes comptables (ANC) a souhaité apporter quatre séries de précisions.

1. L’épidémie du covid-19 étant un événement postérieur au 31 décembre 2019, les actifs et passifs, les charges et produits mentionnés respectivement au bilan et au compte de résultat au 31 décembre 2019 sont comptabilisés et évalués sans tenir compte de cet événement et de ses conséquences. Par ailleurs, pour les entités clôturant leurs comptes entre le 1er janvier 2020 et le 11 mars 2020 (date de classification de l’épidémie en pandémie mondiale), une analyse doit être conduite, par chaque entité, au regard de ses activités pour déterminer si cet événement a pris naissance au cours de cette période et pour en tirer, le cas échéant, les conséquences sur l’évaluation de ses actifs, passifs, charges et produits. Quant aux comptes clos postérieurement au 11 mars 2020 doivent tenir compte de cet événement et de ses conséquences.

Le collège ajoute que les conditions relatives aux clôtures des comptes postérieures au 1er janvier 2020 seront précisées dans une communication ultérieure de l’ANC.

2. Eu égard à la gravité des conséquences de la crise sanitaire, une mention des effets de cette crise, notamment sur l’activité, doit être indiquée dans l’annexe des comptes clos au 31 décembre 2019 au titre des événements postérieurs à la clôture, c’est-à-dire survenus entre la date de clôture et la date d’établissement des comptes. Les impacts connus et estimables à la date d’établissement de ces comptes doivent également être mentionnés, les informations sur cet événement pouvant être de nature qualitative ou quantitative. À titre d’exemples, précise le collège, elles peuvent porter sur les éléments suivants : l’évolution du chiffre d’affaires estimé à la date d’arrêté des comptes annuels ; les fermetures de site ; le recours à des mesures de chômage partiel ; la mise en place de restructuration des emprunts et le recours à des prêts garantis par l’État ; l’évolution du montant des créances échues non réglées.

3. Dans le cadre du plan comptable général, l’établissement des comptes selon le principe de continuité d’exploitation n’est pas remis en cause par des évènements ayant pris naissance après la clôture de l’exercice. Dans l’hypothèse où le principe de continuité d’exploitation serait remis en cause par des événements postérieurs à la clôture, de tels événements relèvent de l’information à mentionner dans l’annexe des comptes et ne justifient pas la production de comptes en valeurs liquidatives.

4. L’ANC apportera des précisions pour indiquer aux entités le traitement comptable des conséquences de l’événement covid-19 sur les comptes clôturés à partir du 1er janvier 2020.

Relevons, par ailleurs, que la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables (CSOEC) ont publié une foire aux questions (FAQ) communes sur les conséquences de la crise sanitaire et économique liée à l’épidémie de covid-19 sur des aspects comptables, d’audit et juridiques, qui sera mise à jour régulièrement.

Auteur d'origine: Delpech
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Une telle situation est susceptible de constituer un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil, lequel permet d’échapper aux sanctions de l’inexécution, un changement de circonstances ouvrant le jeu de la révision pour imprévision (art. 1195) ou encore une impossibilité d’agir au sens de l’article 2234, laquelle a pour effet de suspendre le délai de prescription. Toutefois, la vérification de la réunion des conditions d’application de ces textes ne peut se faire qu’au cas par cas, en fonction de chaque situation, de chaque obligation2.

L’ordonnance n° 2020-306, et plus précisément son titre I qui sera seul évoqué ici3, vise à apporter de la sécurité juridique en organisant la prorogation de certains délais et la paralysie de certaines clauses ou mesures. Elle évite la discussion et pose une solution générale pour les situations qu’elle régit.

Il peut naturellement en résulter un effet d’aubaine pour certains. Par exemple, le paiement tardif de son loyer par un salarié en bonne santé, connecté à internet, qui poursuit son activité en télétravail et continue à percevoir l’intégralité de son salaire, n’a rien à voir avec l’épidémie de covid-19 ; pourtant, en vertu de l’article 4 de l’ordonnance, il pourra échapper à certaines sanctions contractuelles. Mais précisément, tout le monde n’est pas dans cette situation. Cet effet d’aubaine éventuel pour certains est le prix de la sécurité de tous.

L’ordonnance est, par définition, un texte d’exception, qui déroge aux règles habituelles en raison des circonstances. Elle n’a pas vocation à appréhender l’ensemble des difficultés suscitées par la crise sanitaire ; les règles de droit commun précédemment mentionnées conservent donc pleine vocation à s’appliquer, au cas par cas, à ces difficultés.

Si l’ordonnance entend donc être source de prévisibilité et de sécurité, force est de reconnaître qu’elle a également suscité certaines difficultés d’interprétation et d’application. De plus, elle a pu apparaître comme insuffisante face à certaines problématiques4. Le gouvernement a donc remis l’ouvrage sur le métier et a adopté le 15 avril 2020 un nouveau texte modifiant l’ordonnance « délais », notamment son titre I. Il semble donc utile de revenir à la fois sur les difficultés suscitées par l’ordonnance « délais » et par les modifications réalisées par le nouveau texte.

Délimitation temporelle des délais et actes concernés

Rappelons tout d’abord que, au titre de l’article 1er de l’ordonnance, sont seuls concernés les délais échus ou les actes devant être accomplis « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit en l’état actuel des choses le 24 juin ; c’est, pour reprendre les termes de la circulaire, la « période juridiquement protégée ».

L’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a en effet déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois ; en vertu de son article 22, la loi est entrée en vigueur immédiatement, c’est-à-dire dès sa publication au Journal officiel, soit le 24 mars. L’état d’urgence sanitaire a donc vocation à prendre fin le 24 mai. Il est toutefois possible que cette date soit modifiée, dans un sens ou dans l’autre, selon l’évolution de l’épidémie, ce qui par répercussion affectera la fin de la période juridiquement protégée5. Si la situation s’améliore, un décret en conseil des ministres peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai fixé par la loi ; si la situation ne s’améliore pas, la loi peut proroger l’état d’urgence sanitaire.

Ne sont donc concernés par l’ordonnance ni les délais échus avant le 12 mars, ni pour le moment ceux échus après le 24 juin. Cette dernière limite peut sembler rigoureuse pour celui dont le délai pour agir expire peu après cette date, par exemple le 25 juin, car il a été privé en raison de l’épidémie d’une partie de son délai. La critique, indiscutable, peut toutefois être doublement relativisée. D’une part, le droit commun ne reprend son empire qu’un mois après la fin de l’état d’urgence ; ce mois supplémentaire pourra donc être utilement mis à profit par chacun pour accomplir les actes requis. D’autre part, il aurait fallu pour remédier à cette critique prévoir une suspension générale de l’ensemble des délais pendant la période d’urgence sanitaire, quelle que soit leur date d’échéance, ce qui aurait été susceptible d’avoir des effets pervers encore plus importants6.

L’article 2 de l’ordonnance « délais »

Le mécanisme mis en place par l’article 2

Il convient de partir de la lettre du texte : l’acte qui aurait dû être accompli pendant la période juridiquement protégée « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Il ne s’agit donc ni d’une interruption ni d’une suspension des délais, mais d’un mécanisme sui generis de prorogation de ces délais. La circulaire indique ainsi qu’il n’en résulte pas une « suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. L’effet de l’article 2 de l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans le nouveau délai imparti puisse être regardé comme tardif ». Comme l’a souligné un auteur, il y a là une forme de « fiction juridique en présumant valablement fait à temps ce qui ne l’a pas été »7.

Ainsi, par exemple :

si le délai de cinq ans de prescription d’une créance (C. civ., art. 2224) arrive à expiration pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra encore l’interrompre jusqu’au 24 août ;si le délai d’un mois pour interjeter appel (C. pr. civ., art. 538) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement former son recours jusqu’au 24 juillet ;si le délai de quinze jours d’inscription d’un nantissement d’outillage (C. com., art. L. 525-3) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement l’inscrire jusqu’au 9 juillet.

La formule utilisée par l’article 2 de l’ordonnance est inspirée de celle qui figure à l’article 1er de la loi n° 68-696 du 31 juillet 1968, intervenue à la suite des événements de mai 68 : « toute acte, formalité, inscription ou publication prescrit à peine de déchéance, nullité, forclusion ou inopposabilité, qui aurait dû être accompli entre le 10 mai 1968 et le 1er juillet 1968 sera réputé valable s’il a été effectué au plus tard le 15 septembre 1968 ». La spécificité de cette loi est qu’elle est intervenue ex post : elle s’est donc contentée de permettre aux personnes d’agir valablement malgré l’expiration du délai qui les avait d’ores et déjà touchées. L’ordonnance reprend cette logique, mais en intervenant ex ante dans un souci de sécurité juridique. Autrement dit, l’article 2 de l’ordonnance, bien qu’intervenu ex ante, n’a pas entendu donner à la prorogation des délais plus d’effets qu’il n’en aurait produit s’il était intervenu ex post. L’objectif de ce mécanisme sui generis, qui réserve le bénéfice du report à celui qui doit agir, semble être d’éviter une paralysie de l’activité, ce que deux exemples permettent de comprendre.

Premier exemple : supposons qu’un acte de saisie d’un compte bancaire soit signifié à un établissement de crédit le 1er mars 2020 puis dénoncé au débiteur le 5. Le débiteur dispose d’un délai d’un mois à compter de cette dénonciation pour contester la saisie en vertu de l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution ; à défaut, le tiers saisi procède au paiement. Le délai de contestation expire en l’espèce pendant la période juridiquement protégée. Si les délais avaient été purement et simplement suspendus8, l’huissier aurait dû attendre la fin de de cette période augmentée d’un mois pour se faire remettre les fonds. Le mécanisme sui generis prévu permet à l’huissier de réclamer leur versement dès l’expiration du délai initial d’un mois. Toutefois, le débiteur conserve la faculté de contester la saisie devant le juge de l’exécution s’il respecte le nouveau délai accordé par l’article 2 de l’ordonnance ; si le juge fait droit à sa contestation, il annulera la saisie et ordonnera la restitution des fonds.

Second exemple : supposons que la vente d’un fonds de commerce ait été publiée le 10 mars. En vertu de l’article L. 141-14 du code de commerce, les créanciers du cédant disposent d’un délai de dix jours pour former opposition à cette vente, ce qui interdit à l’acquéreur (concrètement au séquestre à qui les fonds ont été remis) de verser le prix au vendeur. Ce délai entre indiscutablement dans le champ de l’ordonnance et bénéficie de la prorogation. S’il avait été suspendu, l’acquéreur aurait dû attendre la fin de la période juridiquement protégée augmentée de dix jours pour remettre le prix. Avec le mécanisme sui generis mis en place, il peut verser les fonds dès que le délai initial de dix jours est écoulé ; toutefois, les créanciers pourront valablement former opposition dans le délai prolongé.

L’avantage de ce mécanisme est clair : il permet de ne pas paralyser l’activité. Ainsi, les saisies de comptes bancaires ou les ventes de commerce pourront continuer à se dérouler malgré l’état d’urgence sanitaire. Son inconvénient est tout aussi net : dans les cas tels que ceux qui ont été évoqués, il prive largement les personnes concernées de l’effet utile de la prorogation du délai. Dans le cas de la saisie-attribution, l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution permet de toute manière au débiteur qui n’aurait pas contesté dans le délai d’« agir à ses frais en répétition de l’indu devant le juge du fond compétent ». Dans le cas de la vente d’un fonds de commerce, le seul intérêt de l’opposition est de bloquer le paiement du prix afin de pouvoir être désintéressé sur celui-ci ; l’article 2 permettra au créancier de former valablement opposition après l’expiration du délai, mais celle-ci ne lui servira pas à grand-chose. Le résultat est donc paradoxal et les parties doivent faire preuve de la plus extrême vigilance ; dans ce type de situations, si elles ont la possibilité d’agir dans le délai initial, elles ont tout intérêt à le faire.

On peut penser que le pari fait par les rédacteurs de l’ordonnance est que le gain collectif résultant de la poursuite de l’activité sera supérieur aux difficultés qui résulteront de ces contestations, lesquelles ont vocation à rester statistiquement marginales.

Les actes devant être accomplis avant une date fixe

L’article 2 pose une difficulté pour les actes devant être accomplis avant une date fixe. Par exemple l’article L. 313-22 du code monétaire et financier impose au créancier d’informer la caution de l’évolution de la dette principale avant le 31 mars de chaque année. On pourrait de la même manière évoquer toutes les hypothèses, en droit de la nationalité, dans lesquelles un acte doit être effectué par la personne avant qu’elle n’atteigne un certain âge.

Le problème vient de la fin de l’article 2 qui explicite ses effets : l’acte peut être valablement accompli dans un nouveau délai « qui ne peut excéder […] le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Or dans une telle situation, il n’y a pas véritablement de « délai » imparti pour agir : il y a seulement une date limite.

Il ne faut cependant pas s’arrêter à cet obstacle textuel. Le début de l’article 2, qui énonce ses conditions, est en effet parfaitement adapté à ces situations : nous sommes bien en présence d’un « acte… prescrit par la loi ou le règlement… et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er ». De plus, la finalité du texte joue à plein dans une telle hypothèse, l’état d’urgence sanitaire rendant l’envoi des informations ou l’accomplissement de l’acte à la date prévue extrêmement complexe sinon impossible. Le plus convaincant dans une telle hypothèse est de retenir le délai de deux mois prévu à défaut par le texte. La banque pourra ainsi envoyer l’information à la caution jusqu’au 24 août. Telle est d’ailleurs la solution expressément retenue par la circulaire à propos de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

Les délais de réflexion et de rétractation

Comme cela a déjà été souligné par plusieurs commentateurs9, les délais de réflexion tels ceux prévus par l’article L. 313-34 du code de la consommation ou le quatrième alinéa de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, ne sauraient être inclus dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance.

La lettre du texte s’y oppose qui vise un acte « qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er », quand le mécanisme du délai de réflexion est exactement inverse : il interdit la réalisation d’un acte (l’acceptation d’une offre) pendant une certaine période. De même, l’effet de l’article 2, qui est de permettre d’effectuer valablement l’acte par la suite, n’a pas de sens pour un délai de réflexion. L’esprit du texte s’y oppose également : sa finalité est de donner un délai supplémentaire à ceux qui n’ont pas pu agir, ce qui ne se retrouve pas en présence d’un délai de réflexion. Le confinement peut même apparaître comme particulièrement propice à la réflexion !

S’agissant des délais de rétractation, un consensus10 existe pour reconnaître que les délais de rétractation ne rentrent pas dans le champ de l’article 5 de l’ordonnance11. En effet, même si l’analyse du droit de rétractation est controversée, il est admis que son exercice n’a pas pour effet de « résilier » le contrat. En revanche, l’incertitude est forte quant au point de savoir si ces délais relèvent de l’article 212. La difficulté procède de la formulation particulièrement large de ce texte, qui ne se contente pas de viser les délais prescrits à peine de nullité, caducité, forclusion, etc., mais également à peine de « sanction » de manière générale, ce qui est très accueillant. Deux lectures sont ainsi envisageables13.

Au regard de la lettre du texte, on peut considérer que la rétractation est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit de rétractation. On peut estimer à l’inverse qu’il n’y a pas de véritable sanction dans la mesure où la conséquence de l’expiration du délai de rétractation est le fait que la partie est liée par le contrat, c’est-à-dire exactement ce qu’elle a voulu en consentant.

La question est également délicate en opportunité. En faveur de l’inclusion des délais de rétractation dans le champ de l’article 2, on peut mettre en avant la véritable difficulté qui existe aujourd’hui pour leur exercice, en particulier lorsqu’une lettre recommandée avec accusé de réception est imposée par les textes14. En sens inverse, la prorogation de ces délais risque d’avoir de graves conséquences économiques en empêchant la conclusion de nombreux contrats : on songe naturellement aux ventes immobilières, mais également à l’assurance-vie.

Au regard de la possibilité de soutenir les deux analyses d’une part, et de l’importance des enjeux d’autre part, une prise de position officielle sur cette question semblait nécessaire. L’ordonnance modificative complète en ce sens l’article 2 de l’ordonnance délais : « Le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ». La référence aux délais de renonciation peut sembler mystérieuse aux civilistes, l’article 1122 du code civil ne connaissant que les délais de réflexion et de rétractation ; elle semble toutefois s’expliquer par le fait que le droit des assurances utilise l’expression de « délai de renonciation » plutôt que celle de délai de rétractation, même si le mécanisme est identique (v. par ex., C. assur., art. L. 112-2-1).

L’ordonnance précise expressément que cette modification « a un caractère interprétatif ». Cette affirmation emporte la conviction15 : en effet, pour reprendre la définition qui en a été donnée par la jurisprudence, cette disposition « se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse »16. Face à une question débattue, elle indique la manière dont le texte doit, depuis le début, être lu. Il en résulte que cette disposition a un caractère naturellement rétroactif.

Les droits de préemption privés

La doctrine a de nouveau fait part de ses hésitations en la matière. Pour justifier la possible exclusion de ces délais, un auteur écrit ainsi que « le délai laissé au bénéficiaire pour prendre parti sur l’offre qui lui est faite n’est pas, à proprement parler, sanctionné par la perte d’un droit. Le fait pour le locataire de rester taisant pendant le délai légal est une manière pour le locataire d’exercer l’option qui lui est ouverte d’acheter ou de ne pas acheter le bien (en l’occurrence, de ne pas l’acheter) »17. L’argument ne nous convainc pas car il va trop loin. Il pourrait ainsi par exemple s’appliquer exactement de la même manière à l’exercice d’une voie de recours : en restant inactif pendant le délai prescrit, on peut estimer que la partie acquiesce à la décision qui a été rendue. Or le délai correspondant entre indiscutablement dans le champ de l’article 2. Le silence est par essence ambigu.

L’exercice du droit de préemption est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi dans un certain délai à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit. Autant l’existence d’une sanction est discutable pour le droit de rétractation, autant elle est ici nette : le locataire qui n’a pas exercé son droit de préemption à l’expiration du délai perd la faculté de se substituer à l’acquéreur. La lettre du texte nous semble donc favorable à l’inclusion des délais de préemption18.

Il est vrai que, en opportunité, cette solution crée un risque de blocage des transactions immobilières. Elle se justifie toutefois par la difficulté réelle pour le titulaire du droit de préemption de l’exercer, en raison du confinement et des perturbations affectant le courrier postal. De surcroît, il reste possible d’obtenir une renonciation expresse de sa part, ce qui permet de réaliser malgré tout la vente.

Les délais contractuels

Les textes excluent de manière explicite les délais prévus par le contrat. L’article 2 de l’ordonnance vise ainsi les actes « prescrit[s] par la loi ou le règlement » et les délais « légalement imparti[s] pour agir ». Selon la circulaire, « il en résulte que les délais prévus contractuellement ne sont pas concernés » ; ainsi, par exemple, le délai fixé dans une promesse unilatérale de vente pour la levée de l’option ne bénéficie pas de la prorogation, non plus que le délai pour la réitération d’une promesse synallagmatique.

Cette exclusion peut paraître excessivement sévère pour l’une ou l’autre des parties, voire les deux. Toutefois, une suspension générale des délais contractuels aurait eu des effets incontrôlables au regard de la diversité des situations contractuelles ; une mesure éventuellement pertinente pour une catégorie spécifique de contrats ne l’aurait pas été pour d’autres. Il appartient ici aux parties de résoudre la difficulté, par exemple en prorogeant elles-mêmes ces délais.

La condition suspensive d’obtention d’un prêt (C. consom., art. L. 313-41)

Cette condition pose difficulté car elle figure certes dans le contrat, mais trouve son origine dans la loi : l’article L. 313-41 du code de la consommation prévoit en effet que, lorsque l’achat d’un immeuble d’habitation par un consommateur est financé par un crédit, il « est conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts qui en assument le financement ». Le texte ajoute que « La durée de validité de cette condition suspensive ne peut être inférieure à un mois ».

La doctrine estime que ce délai entre dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance19. On peut en effet y voir un acte (l’obtention d’un prêt) prescrit par la loi à peine de sanction (la promesse est réputée n’avoir jamais existé) et qui aurait dû être accompli dans un certain délai. Les auteurs soulignent cependant une difficulté de mise en œuvre du texte lorsque, comme c’est fréquent, les parties ont allongé le délai prévu par la loi à 45 ou 60 jours.

Toutefois, l’inclusion de cette condition dans le champ de l’article 2 n’emporte pas la conviction20. En effet, la loi ne prescrit pas l’obtention d’un prêt ; elle prévoit seulement que, lorsque la vente est financée par un prêt, celui-ci doit être une condition suspensive du contrat, avec un délai minimal de réalisation. D’ailleurs, l’anéantissement de la vente n’est pas une sanction de l’acquéreur qui n’obtient pas le prêt mais à l’inverse une mesure de protection de celui-ci : elle lui permet de se libérer d’un contrat qu’il ne pourrait exécuter et ainsi de récupérer l’indemnité d’immobilisation.
Rappelons par ailleurs qu’en toute hypothèse le délai de la promesse elle-même n’est pas prolongé.

Les paiements de dettes contractuelles

Le principe

Le premier alinéa de l’article 2 ne vise, on l’a dit, que les délais légaux et réglementaires ; par conséquent, les délais prévus dans les contrats pour le paiement des obligations ne sont pas prorogés. L’alinéa 2 va dans le même sens : il proroge « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » ce qui signifie a contrario que les paiements prévus par le contrat ne le sont pas. Le rapport au Président de la République est limpide : « Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat »21.

Les auteurs de l’ordonnance n’ont cependant pas abandonné les débiteurs à leur sort : pour tenir compte, de manière générale, des difficultés d’exécution suscitées par l’épidémie de covid-19, l’article 4 paralyse en effet le jeu des astreintes et de certaines clauses contractuelles (clauses résolutoires, clauses pénales et clauses de déchéance) venant sanctionner l’inexécution du débiteur. Ces sanctions sont trop rigoureuses pour être admises en cette période de crise. Cette règle appelle deux précisions essentielles successives.

D’abord, la paralysie de ces clauses ne remet pas en cause le fait que le débiteur qui ne s’exécuterait pas à la date prévue commet une inexécution, le délai prévu par le contrat n’ayant pas été prorogé. Le débiteur s’expose donc aux sanctions légales de l’inexécution. Le créancier peut ainsi agir en paiement de sa créance et, s’il dispose d’un titre exécutoire, intenter des saisies. Il peut également réclamer les intérêts légaux de retard. Il peut encore prononcer la résolution unilatérale du contrat ou solliciter sa résolution judiciaire, mais il devra à cet égard faire attention à la condition d’inexécution « suffisamment grave », l’épidémie pouvant conduire à relativiser la gravité du comportement du débiteur.

Ensuite, le débiteur peut échapper à ces sanctions légales s’il parvient à prouver que les conditions de la force majeure sont réunies. Le droit commun prend ici le relais de l’ordonnance ; mais l’appréciation se fera nécessairement au cas par cas.

Au-delà de ce principe, le mécanisme mis en place par l’article 4 mérite d’être précisé, d’autant plus qu’il a été complexifié par l’ordonnance modificative.

Les alinéas 1 et 2 de l’article 4

Les deux premiers alinéas de l’article 4 sont relatifs aux astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance qui doivent prendre effet durant la période juridiquement protégée. Celles-ci sont paralysées. La difficulté est de savoir à quel moment elles sont susceptibles de produire leurs effets, si le débiteur ne s’exécute toujours pas.

Dans la version initiale de l’ordonnance délais, un mécanisme « forfaitaire » était prévu : les astreintes et clauses produisaient leurs effets un mois après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 24 juillet, si le débiteur ne s’était toujours pas exécuté. Un nouveau délai tampon d’un mois était ainsi laissé afin de tenir compte des difficultés de redémarrage de l’activité.

L’ordonnance modificative l’a remplacé par un mécanisme glissant plus subtil : la prise d’effet « est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ». Ce mécanisme rappelle celui de la suspension de la prescription. Prenons quelques exemples :

supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 30 mars, soit dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement son effet dix-huit jours après la fin de cette période juridiquement protégée, soit en l’état actuel des choses le 12 juillet si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté à cette date ;supposons qu’un juge ait, le 1er février 2020, prononcé une astreinte devant commencer à prendre effet le 30 avril 2020, soit un mois et dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement effet un mois et dix-huit jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 12 août ;supposons un contrat conclu le 20 mars et une clause résolutoire devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 15 mai. La date à laquelle l’obligation est née étant postérieure au 12 mars, c’est elle qu’il faut prendre en compte pour calculer la durée du report, laquelle sera ainsi d’un mois et vingt-cinq jours (délai entre le 20 mars et le 15 mai). La clause pourra donc produire effet un mois et vingt-cinq jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 18 août.

Le nouveau mécanisme est ainsi, selon les hypothèses, plus ou moins favorable au débiteur que l’ancien .

Faire bénéficier du mécanisme de l’article 4 les contrats conclus après le 12 mars est contestable dans la mesure où l’épidémie faisait déjà rage lorsque les consentements se sont rencontrés ; par conséquent, les parties ont dû raisonnablement anticiper les difficultés d’exécution qui en résulteraient. On peut toutefois justifier ce choix par le fait que nombre de contrats sont d’adhésion et que la faculté de négocier les clauses pénales peut se révéler illusoire. En toute hypothèse, les parties peuvent naturellement écarter le mécanisme de l’article 4, ce que reconnaît expressément le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance modificative.

L’alinéa 3 de l’article 4

Le nouvel alinéa 3, issu de l’ordonnance modificative, concerne les astreintes et clauses qui doivent produire effet après la fin de la période juridiquement protégée. Celles-ci n’étaient pas traitées dans la version initiale de l’ordonnance, ce qui a été critiqué par certains opérateurs économiques qui estimaient que les délais ne pouvaient pas être tenus en raison de l’épidémie. On pense par exemple à une construction devant être achevée après le 24 juin ; les chantiers étant à l’arrêt depuis plusieurs semaines, le retard s’est accumulé et ne pourra être rattrapé.

Sont toutefois laissées de côté les obligations de sommes d’argent. Le rapport au président de la République s’en explique : « l’incidence des mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire sur la possibilité d’exécution des obligations de somme d’argent n’est qu’indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement) ».

L’ordonnance modificative organise donc, pour ces astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation autre que de sommes d’argent, un mécanisme de report similaire à celui prévu aux alinéas précédents : leur prise d’effet « est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période ». Prenons de nouveau deux exemples :

supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er juillet 2020 ; cette clause ne pourra produire son effet que trois mois et douze jours plus tard (durée de la période juridiquement protégée), soit le 13 octobre ;supposons un contrat conclu le 1er avril 2020 et une clause résolutoire devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er août 2020 ; le report est d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril (date de naissance de l’obligation) et le 24 juin (fin de la période juridiquement protégée), soit deux mois et vingt-trois jours ; la clause ne pourra donc produire son effet que le 24 octobre.

L’alinéa 4 de l’article 4

Cet alinéa, qui n’est pas modifié, est relatif aux astreintes et clauses pénales qui avaient déjà commencé à produire effet avant le 12 mars. Elles sont suspendues durant la période juridiquement protégée et reprennent leurs effets dès la fin de celle-ci. La solution est donc plus sévère que pour les alinéas précédents mais on le comprend aisément : il y a dans ce cas une inexécution antérieure à la crise et donc indépendante de celle-ci.

 

Antoine Gouëzel, Professeur à l’université de Rennes 1. Chargé de mission au bureau du droit des obligations. Direction des affaires civiles et du Sceau.

 

1. Les propos développés dans cet article reflètent les opinions personnelles de son auteur et n’engagent que lui.
2. Sur l’ensemble de ces questions, v. spéc. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 .
3. Signalons ici que le II de l’art. 1er de l’ordonnance exclut un certain nombre de délais de son champ, notamment les obligations financières et garanties y afférentes (4°) ainsi que les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci (5°). Signalons par ailleurs que, pour tout ce qui touche aux relations avec l’administration, le titre II de l’ordonnance prévoit de multiples dérogations.
4. V. not., G. Casu et S. Bonnet, Les défis de la construction face au coronavirus : analyse critique de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020, Le Droit en débats, 2 avr. 2020.

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21 - Les obstacles du développement de l’IA : problématiques génériques de l’apprentissage rapportées à la justice

211 - Les obstacles inhérents à l’outil IA

2111 - Le choix de la base d’apprentissage

La plupart des algorithmes d’apprentissage se fondent sur des bases données dans lesquelles sont enregistrées un grand nombre de réponses apportées par des humains à des cas spécifiques (§ 1221). De ce fait, la formule de prédiction produite par un algorithme est elle-même fonction de cette base de données, dite d’apprentissage.

La dépendance de la formule de prédiction vis-à-vis de la base d’apprentissage est évidemment bien connue des spécialistes du domaine qui ont identifié les risques afférant depuis fort longtemps. L’un des plus connus est le risque de sur-apprentissage, lié au caractère « optimal » de la fonction de prédiction et dont il s’agit d’éviter d’avoir une vision trop optimiste de ses capacités prédictives. Il est en effet assez facile d’établir une fonction qui ne ferait aucune erreur sur l’ensemble des cas constituant la base de données : il suffit pour cela d’apprendre « par cœur » l’ensemble de ces cas. Une telle formule n’aurait cependant aucune valeur de généralité et produirait assurément une mauvaise prédiction pour un cas ne faisant pas partie de la base. Il s’agit en fait de s’assurer que la formule de prédiction offre une faible erreur pour un cas qui n’a pas servi à l’établir. Une pratique courante, appelée « validation croisée », consiste à séparer la base de données en deux, les cas de la première partie servant à établir la formule de prédiction et les cas de la seconde servant à en évaluer les performances sur de nouveaux cas. Cette approche permet ainsi de contrôler la capacité de « généralisation » de la formule de prédiction.

Ces précautions étant prises, il n’en demeure pas moins que la règle ainsi apprise dépend de la base de données initiale qui sert, de fait, de référence puisqu’elle aura servi à établir la vérité des décisions. Le projet open data ne résout pas ce problème mais permet à tout le moins de définir une base de données commune, mise à disposition du public (et des opérateurs privés), qui peut être une référence admissible puisqu’elle réunit l’ensemble de l’information disponible à un instant donné.

2112 - Le problème de l’évolution des algorithmes

L’une des spécificités des « prédicteurs » fournis par l’IA est qu’ils fonctionnent comme des boîtes noires, c’est-à-dire que la complexité de la formule de prédiction empêche d’anticiper une prédiction au simple vu de cette formule. Son usage dans le cadre judiciaire met alors le justiciable dans une position d’information asymétrique, dans l’incapacité de connaître, en fait, la règle qui lui est appliquée. La confiance dans l’objectivité de la machine suffit-elle à justifier l’ignorance dans laquelle le destinataire de la décision peut se trouver ? Une solution à ce problème pourrait consister à rendre public le prédicteur pour que chaque acteur de justice puisse au moins acquérir une connaissance empirique des prédictions qu’il fournirait.

Cette option se heurte cependant à la possibilité de prendre en compte au fur et à mesure la jurisprudence et les décisions de justice récentes. Il est techniquement tout à fait possible de réviser séquentiellement une formule apprise sur une première base de données à mesure que de nouvelles décisions ou avis sont disponibles. Mais le comportement de l’algorithme en est évidemment modifié, rendant alors difficile d’en acquérir en temps réel une compréhension empirique.

212 - Les contraintes liées à la spécificité du travail judiciaire

2121 - Une nécessaire adaptation de la décision judiciaire : l’appréciation des circonstances

Peut-on s’abstraire, au profit du seul critère de prévisibilité, de la nécessaire adaptation des décisions judiciaires en fonction des caractéristiques spécifiques à la situation examinée ?

C’est un choix, plus politique que juridique, de décider que, pour certains litiges, il vaut mieux une solution prévisible et certaine qu’une solution adaptable et donc imprévisible. La question se pose régulièrement en matière de pension alimentaire, indemnités de licenciement, indemnités de dommages corporels, infractions (au code de la route par exemple). En tout état de cause, elle ne peut pas appeler une réponse unique. Il y a des cas dans lesquels l’appréciation par le juge de la situation est un impératif. On n’imaginerait pas un système pénal qui ne laisserait pas une marge de décision au juge quant à la peine à appliquer ou un système informatique codifiant de manière automatique les conditions de résidence d’un enfant mineur.

Dès lors, la machine ne peut pas prendre la place de l’humain, de manière générale, dans le domaine de la justice. Pour qu’il y ait justice et non application mécanique d’une règle aux conséquences parfois inadaptées, voire iniques, il faut que, dans un certain nombre de contentieux, un juge intervienne, avec le pouvoir de moduler la décision − donc de s’abstraire de l’automaticité que crée l’algorithme.

2122 - À la recherche de la loyauté

Le mot loyauté revient fréquemment tant dans les propos des juristes que dans ceux des spécialistes des questions d’IA, comme concept de vigilance pour les acteurs. Il revêt cependant des significations fort différentes.

La question de loyauté, entendue au sens de fairness dans la mise en œuvre de l’IA, a également son impact (§ 222). La loyauté dont il est question ici c’est celle qui, pour les juristes, constitue un principe transversal à toute action dans la mise en œuvre d’un droit. « L’attitude loyale renvoie à l’obéissance aux lois de la probité et de l’honneur. »20 Souvent liée à la bonne foi, notion chère au droit civil, la loyauté est ce qui permet de conserver les règles juridiques dans une mise en œuvre collectivement considérée comme conforme à une vision sociale normale. Fréquemment évoquée dans les rapports contractuels de droit civil, dans le déroulement des procès, en droit du travail, elle trouve un écho particulier en matière d’IA. D’une part, en amont de la mise en œuvre de l’outil, elle oblige à s’interroger sur le sens de la règle avant d’en décliner les conséquences. D’autre part, en aval, elle autorise à sortir de l’outil chaque fois que la solution apportée contrarie la notion de loyauté, c’est-à-dire aboutit à une application détournée de la règle. Par rapport à l’IA, cela revient à exercer un contrôle externe de la loyauté, par opposition à la fairness qui vise à établir un contrôle interne.

Dans ce cadre, de même que le juge doit pouvoir adapter sa décision au cas spécifique qui lui est soumis, il doit également pouvoir adapter les règles applicables en fonction de certaines situations, afin que la règle ne se trouve pas détournée de fait par une application mécanique. Ainsi, le juge peut-il redresser des biais factuels, liés à une situation de contrainte, ou des biais sociaux, liés à une situation de discrimination par exemple.

2123 - Le respect du syllogisme judiciaire

Le principal obstacle à un usage généralisé de l’IA en matière de justice est clairement son incapacité à donner sens aux décisions judiciaires.

La particularité de l’intervention du juge réside en effet dans le mode de raisonnement qu’il met en œuvre. Ce raisonnement, connu sous le nom de syllogisme judiciaire, est la clé de voûte du fonctionnement de la justice tant civile que pénale. De manière simplifiée, il suppose trois étapes de réflexion dans chaque situation soumise au juge :

examen des faits de l’espèce : c’est la « mineure » ;
 recherche de la règle de droit applicable à ces faits : c’est la « majeure » ;
 application de la règle aux faits : c’est la conclusion du syllogisme.

Le syllogisme est un concept, qui s’exprime par le biais de la motivation. La motivation est ce qui permet au lecteur du jugement de s’assurer de la réalité et du bien-fondé du raisonnement que le juge a suivi pour arrêter sa décision.

Le raisonnement syllogique doit en effet impérativement apparaître dans la décision. La motivation en assure la transparence. Elle est la garantie que la décision rendue est bien directement en lien avec le cas d’espèce et que la qualification juridique qui a été donnée à la situation est correcte. C’est qu’en effet, la légitimité du juge passe par sa capacité à donner aux éléments factuels, parfois complexes, leur inscription dans le système de règles juridiques identifiables, autrement dit à motiver sa décision. C’est ce raisonnement que la Cour de cassation, dans son rôle de juge du droit, contrôle systématiquement, restituant dans son contrôle les trois étapes du raisonnement, en rectifiant le cas échéant. D’où les formules rituelles de la Cour de cassation : « La cour d’appel, qui a constaté tels faits, a pu en déduire que la règle X était applicable, et par conséquent dire que telle sanction ou telle indemnité était due » ou au contraire : « en statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle avait constaté tels faits, la cour d’appel, qui aurait dû en déduire que […], a violé les textes susvisés ». Ce qui compte, c’est donc bien l’application de la bonne règle de droit et non le résultat pour lequel, si le juge a correctement effectué le raisonnement syllogique, une souplesse importante est généralement laissée à son appréciation, pour tenir compte des spécificités de l’espèce21.

Ainsi donc, la décision judiciaire tient d’abord au raisonnement qu’elle opère, ensuite à l’adaptabilité des conclusions qui en sont tirées, le cas échéant par la mise en œuvre d’une atténuation des règles via le contrôle de proportionnalité, et seulement de manière accessoire, au résultat final, c’est-à-dire au montant des sommes allouées ou de la peine appliquée. On voit immédiatement les limites d’une application directe des algorithmes dans ces conditions, puisque les phases essentielles du raisonnement ne sont plus apparentes, voire absentes.

Les obligations de motivation apparente et de raisonnement ne sont probablement pas indispensables dans tous les cas. Il est des situations simples pour lesquelles à l’exposé de données objectives (temps de travail dans l’entreprise) peut correspondre une réponse objective précise (durée des congés payés). Ce sont des cas dans lesquels deux ou trois questions simples et récurrentes peuvent permettre d’aboutir sans risque d’erreur à une solution chiffrée.

De tels cas reposant sur un syllogisme simple peuvent d’ailleurs se prêter à une modélisation mécaniste, qui n’est précisément pas celui généralement adopté par l’IA. Le code du travail numérique (§ 23) en fournit une illustration.

Quoi qu’il en soit, il résulte de ces différents constats qu’on ne peut pas penser que l’IA pourrait totalement remplacer le juge dans ses trois fonctions essentielles tenant au raisonnement et la motivation, à l’adaptabilité, et à la loyauté. En revanche, on peut imaginer un système efficace qui permette aux différents acteurs de la justice de disposer d’informations qui les aident, les éclairent et les sécurisent.

Pour cela, un certain nombre de prérequis sont indispensables.

22 - Les prérequis d’un outil d’aide à la décision : synthèse des observations précédentes.

221 - La transparence : démythifier les algorithmes (ouvrir un peu le capot)

Tout algorithme auquel on peut souhaiter confier une tâche repose sur une série de choix en matière de représentation des observations, de mesure de similarité ou encore de critère d’optimalité (§ 1.3). Si ces choix ne sont pas contrôlés par l’utilisateur mais semblent automatiques, c’est simplement qu’ils sont le fait du codeur qui possède ses propres critères de détermination.

La phase d’apprentissage vise à établir une formule de classification ou de prédiction optimale au sens d’un certain critère. Du point de vue du concepteur d’algorithme ou du codeur, il importe que le problème ainsi posé soit mathématiquement maniable. Le confort mathématique constitue une première règle de choix. Ainsi, s’il s’agit de comparer deux textes à partir de la fréquence d’apparition d’une série de mots en leur sein, il peut sembler naturel de se fonder sur les écarts (positifs ou négatifs) entre ces fréquences. Pour neutraliser le signe positif ou négatif qui importe peu pour vérifier les écarts, on peut utiliser le carré de l’écart, ou sa valeur absolue. La plupart des algorithmes se fondent sur le carré de l’écart, parce qu’il présente certaines propriétés mathématiques plus agréables que la valeur absolue. L’objectif du développeur n’est certainement pas de biaiser dans un sens quelconque la définition de la typologie d’affaires de divorce que son algorithme produira, mais, inévitablement, le choix d’un critère de similarité particulier l’oriente effectivement. Les résultats fournis par l’algorithme seront différents selon qu’il aura eu recours au carré ou à la valeur absolue.

De manière plus critique, le critère mesurant l’ajustement entre une prédiction et la réponse effectivement observée joue un rôle central car il régule, de fait, le poids accordé aux différentes erreurs possibles. Ainsi, dans le cadre d’une prédiction binaire (« responsable » contre « non responsable » ou « non récidive » contre « récidive »), ce critère peut supposer que les deux erreurs (prédire « responsable » dans une situation juridique où le justiciable ne devrait pas l’être ou « non responsable » alors qu’il se trouve dans un cas juridique de responsabilité) sont également dommageables, ou au contraire accorder un poids plus important à la première. Dans le cas de la prédiction du montant d’une indemnité, selon le critère choisi, une sur-prédiction de 10 % de la pension sera, ou non, considérée comme équivalente à une sous-prédiction de 10 %. Comme ce critère détermine aussi l’objectif de l’algorithme d’apprentissage − qui cherche précisément à le minimiser −, il doit se prêter à un processus d’optimisation et, là encore, le confort mathématique préside fréquemment à son choix. Un critère présentant des propriétés souhaitables pour un problème donné pourra être écarté s’il donne lieu à des calculs trop complexes. Des méthodes fournissant des distributions de valeurs plutôt que des valeurs ponctuelles existent. Il va sans dire qu’elles se fondent également sur des mesures d’ajustements et des critères d’optimalité certes plus complexes, mais qui posent des problèmes analogues.

Ainsi donc, la connaissance précise des données choisies pour alimenter la base et le choix de critère de similarité ou d’optimalité constituent des clés essentielles du dispositif. La mise en place de l’IA ne passe pas seulement par la détermination de grandes lignes fixant le résultat à atteindre. Elle nécessite, à toutes les étapes, de prendre un certain nombre d’options qui doivent être raisonnées dans un objectif juridique. Faute de quoi, ces options, en apparence bénignes et sans intérêt, décideront, de fait, des orientations des réponses et des prédictions, sans que quiconque en ait eu conscience ou les ait pensés. Il est donc de la responsabilité des juristes de veiller à ce que chaque action opérationnelle soit interrogée dans ses conséquences.

222 - Veiller à la fairness

L’approche mimétique adoptée par la plupart des algorithmes d’apprentissages fait que, par construction, les formules de prédictions qu’ils produisent tendent à entériner les biais présents dans les bases de données qui les ont initialement alimentées. D’un point de vue statistique, le biais désigne une erreur systématique par rapport à un objectif de prédiction. De ce point de vue, les formules de prédictions souffrent a priori de biais faibles dans la mesure où les prédictions fournies sont en moyenne très proches de l’objectif.

Le biais dont il est question ici est un biais de fairness (nous employons ici à dessein le mot anglais pour le distinguer de la loyauté telle qu’elle a été définie [§ 2122]) et désigne un écart systématique entre les décisions enregistrées dans la base de données et des décisions « justes » (fair). On a ainsi constaté des biais systématiques dans les décisions de justice en fonction de l’origine sociale ou ethnique des justiciables, que des algorithmes « entraînés » sur la base de ces décisions reproduisaient fidèlement22. Il s’agit là de biais systématiques (qu’on peut donc espérer corriger par une procédure statistique), contrairement à la loyauté juridique qui se réfère, par nature, à un cas unique.

De nombreux travaux de recherche actuels dans le domaine de l’apprentissage portent sur la possibilité de détecter de tels biais et de les corriger automatiquement23. Là encore, le caractère automatique est forcément illusoire. Notamment, la détection ou la correction d’un tel biais repose nécessairement sur une définition mathématique de la fairness24. Il s’agit par exemple de s’assurer que, si les dossiers de deux justiciables diffèrent uniquement par leur origine ethnique, la réponse (i.e. la peine ou le montant de l’indemnité) fournie par l’algorithme sera effectivement la même.

La notion de fairness utilisée en IA peut ainsi compléter la notion juridique de loyauté, la première visant à corriger de tels biais au sein même de l’algorithme (reste à décider qui aurait la responsabilité de cette intervention) alors que la seconde en autorise une correction externe par l’auteur même de la décision.

223 - La nécessité d’une approche pluridisciplinaire

Évident mais essentiel, les développements ci-dessus en font la preuve, le troisième prérequis est de mettre en place pour la conception de l’outil une équipe pluridisciplinaire constituée à la fois de juristes et des spécialistes de l’apprentissage (que nous appellerons ici de manière générique informaticiens, même s’ils sont aussi statisticiens et mathématiciens), pendant une durée suffisamment longue pour que les échanges au sein de l’équipe permettent à chacun de cerner et de comprendre ce que fait l’autre. Concrètement, il ne suffit pas que les juristes fassent part aux informaticiens de leurs souhaits et que ces derniers les mettent en œuvre par des méthodes adaptées. Il s’agit de travailler ensemble à l’élaboration de l’outil pour que les juristes sachent exactement les instructions qui ont été données et que les informaticiens puissent, dans les moindres détails, faire part des choix auxquels ils sont confrontés et auxquels ils peuvent avoir une tendance à répondre par défaut.

La difficulté, en termes de moyens, est qu’une telle équipe doit pouvoir se maintenir dans la durée, en raison des multiples mises à jour que l’outil requiert. À défaut, progressivement, la mémoire des informations qui ont permis de construire la base de données au démarrage risque de se perdre, et l’outil d’échapper aux concepteurs.

On le voit, l’IA doit, pour représenter une aide efficace en matière de justice, être soumise à des contraintes permanentes, tout au long de son processus de création et de mise en œuvre.

Sous cette condition, son apport peut être considérable. On peut à cet égard évoquer l’exemple parlant et efficace du code du travail numérique, dont le fonctionnement est opérationnel depuis le 1er janvier 2020.

 

 

Notes

20. W. Cherbonnier et al., La loyauté : de la règle morale au principe juridique, Rev. jur. Ouest 2012. 327.

21. V. sur ce point l’analyse de H. Motulsky sur le rôle du juge : la distinction du fait et du droit, mise en œuvre par le syllogisme judiciaire, est la pierre angulaire de l’intervention du juge dont la mission est d’identifier la norme juridique applicable, sans s’en tenir aux fondements juridiques ou aux qualifications proposées par les parties. « Le juge peut et doit rectifier les erreurs de droit commises par les parties, à la seule condition de ne point modifier l’objet ni la cause de la demande, autrement dit de ne pas introduire dans le débat de nouveaux éléments de fait », H. Motulsky, Le rôle respectif du juge et des parties dans l’allégation des faits, rapport au IVe Congrès international de droit comparé, 1954, in Écrits. Études et notes de procédure civile, 2e éd., Dalloz, coll. « Bibliothèque », 2010, p. 49 s.

22. J. Dressel et H. Farid, The accuracy, fairness, and limits of predicting recidivism, Science advances, 2018, 4(1), eaao5580 ; P. Besse, C. Castets-Renard et A. Garivier, Loyauté des décisions algorithmiques. Contribution au débat public initié par la CNIL, Éthique et numérique, 2017 ; P. Besse, C. Castets-Renard, A. Garivier et J.M. Loubes, L’IA du quotidien peut-elle être éthique ?, 2018.

23. S. Barocas, M. Hardt et A. Narayanan, Fairness in machine learning, NIPS Tutorial, 2017.

24. P. Gajane et M. Pechenizkiy, On formalizing fairness in prediction with machine learning, 2017.

Auteur d'origine: Bley

L’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 (JO 26 mars) adapte les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées et des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction des groupements de droit privé afin de leur permettre de continuer d’exercer leurs missions malgré les mesures de confinement. Son décret d’application, en date du 10 avril 2020, vient d’être publié. Il est applicable, pour l’essentiel, à compter du 12 mars 2020 aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues jusqu’au 31 juillet 2020.

Groupements de droit privé. Le premier chapitre (art. 1er à 4) comporte des dispositions communes aux personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé. Ces dispositions sont applicables aux personnes et entités mentionnées à l’article 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 : sociétés civiles et commerciales, association, etc. (art. 1er).

L’article 4 de l’ordonnance autorise exceptionnellement la tenue des assemblées sans que leurs membres n’assistent à la séance, en d’autres termes à huis clos. Le texte ajoute que la décision de faire application de cette mesure incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée, qui peut déléguer sa compétence à cet effet au représentant légal du groupement. Le décret du 10 avril 2020, en son article 2, précise que les conditions que la délégation doit satisfaire : elle doit être est établie par écrit (quel qu’en soit le support, papier ou électronique notamment, énonce la notice qui accompagne la publication du décret au Journal officiel) et préciser la durée pour laquelle elle est consentie ainsi que l’identité et la qualité du délégataire.

Le décret prend ensuite en considération deux modalités d’exercice du droit de vote et de participation à l’assemblée : le vote par correspondance et la participation l’intermédiaire d’un représentant (art. 3). Il précise que, sous réserve que les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’assemblée, les statuts ou le contrat d’émission prévoient l’un ou l’autre de ces modes de participation et qu’aucune clause des statuts ne les exclut le cas échéant, et à condition que l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou son délégataire le décide, est prévue la possibilité d’adresser les instructions de vote dans le cadre du vote par correspondance, ainsi que les mandats, par voie de message électronique à l’adresse électronique indiquée à cet effet dans la convocation.

Enfin, le décret, en son article 4, adapte le contenu du procès-verbal de l’assemblée à l’hypothèse où celle-ci ne se déroule pas « physiquement ». Ce procès-verbal doit préciser qu’il est fait application des articles 4, 5 ou 6 de l’ordonnance du 25 mars 2020 et mentionner la mesure administrative choisie : déroulement à huis clos (art. 4), visioconférence ou autre moyen de télécommunication (art. 5) ou consultation écrite (art. 6).

Sociétés commerciales. Le deuxième chapitre du décret du 10 avril 2020 contient des dispositions applicables à certaines sociétés commerciales. L’article 5 concerne la SARL et certaines sociétés par actions, celles visées à l’article R. 225-61 du code de commerce, à savoir les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions dont les statuts permettent aux actionnaires de voter aux assemblées par des moyens électroniques de télécommunication et qui, comme ce texte les y oblige, ont aménagé un site exclusivement consacré à ces fins. Ne sont pas concernées, en revanche, les sociétés par actions simplifiées. Afin de faciliter leur tenue dans le contexte de l’épidémie de covid-19, le décret précise que dans les assemblées des associés des SARL, les assemblées d’actionnaires et celles de porteurs de certains types de valeurs mobilières (obligations, titres participatifs et valeurs mobilières donnant accès au capital) est ouverte la possibilité de voter par des moyens électroniques de télécommunication sans qu’une clause des statuts ne soit nécessaire à cet effet. C’est l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe qui prend cette décision (art. 5).

L’article 6 s’applique aux sociétés anonymes et aux commandites par actions. Il concerne l’exercice des mandats (autres que les mandats sans désignation de mandataire) dans les assemblées générales d’actionnaires (sur les personnes pouvant être désignées mandataire, v. C. com., art. L. 225-106, I). Il précise que les mandats avec indication de mandataire, y compris ceux donnés par voie électronique, peuvent valablement parvenir à la société jusqu’au quatrième jour précédant la date de l’assemblée générale. Il ajoute que le mandataire adresse ses instructions pour l’exercice des mandats dont il dispose, à la société ou à l’intermédiaire habilité par elle, par message électronique à l’adresse électronique indiquée par la société ou l’intermédiaire, sous la forme du formulaire de vote par correspondance prévu à l’article R. 225-76 du code de commerce, au plus tard le quatrième jour précédant la date de l’assemblée.

L’article 7 du décret s’applique aux mêmes sociétés et concerne le choix par les actionnaires de leur mode de participation à l’assemblée générale. Il précise que, par dérogation à l’article R. 225-85, III, du code de commerce (texte qui prévoit que lorsque l’actionnaire a déjà exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d’admission ou une attestation de participation, il ne peut plus choisir un autre mode de participation à l’assemblée, sauf disposition contraire des statuts) et sans qu’une clause des statuts ne soit nécessaire à cet effet, un actionnaire qui a déjà exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d’admission ou une attestation de participation peut choisir un autre mode de participation à l’assemblée sous réserve que son instruction en ce sens parvienne à la société dans des délais compatibles avec les dispositions réglementaires normalement applicables (à savoir les art. R. 225-77 et R. 225-80 c. com.), telles qu’aménagées par l’article 6 du décret du 10 avril 2020. En d’autres termes, ce choix doit être exprimé au plus tard le quatrième jour précédant la date de l’assemblée. Si ce choix est exprimé dans les délais requis, « les précédentes instructions reçues sont alors révoquées ».

Quant à l’article 8 du décret, il a trait à deux aspects particuliers de l’assemblée générale des actionnaires lorsque celle-ci se tient sans que ces derniers n’y assistent physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle, conformément à l’article 4, alinéa 1er, de l’ordonnance du 25 mars 2020. S’agissant tout d’abord de la présidence de cette assemblée (et celle de porteurs de certificats d’investissement, c’est-à-dire de titre de capital sans droit de vote, mais cette catégorie est en désuétude depuis l’ord. n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales), si elle ne peut être présidée par le président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance ou, en son absence, par la personne prévue par les statuts, elle est présidée par la personne désignée à cet effet par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance parmi ses membres ou, en cas d’indisponibilité, parmi les mandataires sociaux. En ce qui concerne ensuite la convocation de cette même assemblée (ainsi que celle de porteurs d’obligations, de titres participatifs et de valeurs mobilières donnant accès au capital), il est précisé que l’organe compétent pour convoquer l’assemblée – c’est-à-dire en principe le conseil d’administration ou le directoire selon le cas – ou son délégataire désigne deux scrutateurs, qu’il s’efforce de choisir parmi les actionnaires. À défaut, les scrutateurs peuvent être choisis en dehors des actionnaires. Il est précisé que les membres des assemblées doivent être informés, dès que possible et par tous moyens, de l’identité et de la qualité des personnes désignées pour présider l’assemblée ou pour la convoquer.

Droit des assurances. Le décret du 10 avril 2020, en son chapitre III, adapte certaines dispositions réglementaires du code des assurances relatives aux assemblées et organes collégiaux d’administration, de gouvernance ou de direction de groupements régis par le code des assurances. Ainsi, par dérogation à l’article R. 141-3 du code des assurances, le président du conseil d’administration d’une association souscriptrice de contrats d’assurance de groupe sur la vie ou de capitalisation peut décider que le vote par correspondance ou que le vote électronique est possible, sous réserve que les modalités qu’il fixe à cet effet permettent de respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin (art. 8). De même, par dérogation à l’article R. 322-58 du code des assurances et sur décision du conseil d’administration, du directoire ou du conseil de surveillance, les sociétaires et les délégués des sociétés d’assurance mutuelles peuvent voter par correspondance ou par procuration. Le conseil d’administration, le directoire ou le conseil de surveillance peut également décider que : 1° la limite du nombre de pouvoirs susceptibles d’être confiés à un même mandataire peut être portée à dix (le maximum étant de cinq en temps normal) ; 2° le vote électronique est possible sous réserve que les modalités qu’il fixe à cet effet permettent de respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin (art. 9).

Auteur d'origine: Delpech
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La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre de deux litiges opposant des sociétés suédoises de location de véhicules équipés de postes de radio, à des organisations suédoises de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins sur la question de savoir s’il devait y avoir versement de redevances en raison de la mise à disposition de postes de radio dans les véhicules de location, une mise à disposition susceptible d’engendrer une communication d’œuvres aux automobilistes.

Dans un premier litige opposant la société Fleetmanager Sweden AB à l’organisation suédoise de gestion des droits des compositeurs d’œuvres musicales et de leurs éditeurs, Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (STIM) u.p.a, il a été jugé, en première instance comme en appel, que la location de véhicules automobiles équipés de postes de radio constituait une « communication au public » ouvrant droit à une indemnisation, mais que la société de location de véhicules n’avait pas participé à ces atteintes au droit d’auteur. Face au rejet de son recours, STIM s’était alors pourvu devant la Cour suprême suédoise.

Dans un second litige opposant la société Nordisk Biluthyrning AB à l’organisation suédoise de gestion des droits voisins des artistes interprètes ou exécutants, Svenska artisters och musikers intresseorganisation ek. för. (SAMI), les juges d’appel ont infirmé le jugement du tribunal de la propriété intellectuelle et des affaires économiques, en ce qu’il avait condamné la société de location à indemniser l’organisation de gestion collective, estimant, au contraire de la précédente décision, que la mise à disposition de postes de radio dans les véhicules de location ne remplissait pas les conditions cumulatives de la « communication au public ». Mécontent SAMI avait donc formé un pourvoi devant la Högsta domstolen.

C’est dans ce contexte que la Cour suprême suédoise a sursis à statuer et posé à la Cour de justice de l’Union européenne les deux questions préjudicielles suivantes :
« 1) La location de véhicules équipés de série de postes de radio a-t elle pour effet que le loueur desdits véhicules est un utilisateur procédant à une “communication au public”, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ?
2) L’importance de l’activité de location de véhicules ainsi que la durée des locations peuvent-ils avoir une incidence ? »

À titre liminaire, rappelons comme le fait la Cour luxembourgeoise que l’expression de « communication au public », dont les textes internationaux, européens et nationaux ne donnent aucune définition légale, doit être interprétée comme ayant la même signification dans les deux directives et que selon une jurisprudence constante (v. not. CJUE 16 mars 2017, AKM, aff. C-138/16, RTD com. 2018. 95, obs. F. Pollaud-Dulian ; 19 déc. 2019, Tom Kabinet Internet BV, aff. C-263/18, D. 2020. 471 , note C. Maréchal Pollaud-Dulian ; Légipresse 2020. 14 et les obs. ; JCP 1-2, 13 janv. 2020. Comm. 33, D. Berlin), cette notion nécessite la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir l’existence d’un « acte » de communication d’une œuvre et un public. Observation étant ici faite que le critère relatif au public est hybride, à la fois cumulatif et subsidiaire, de sorte qu’il ne peut être étudié que si la condition de l’existence d’un acte de communication se trouve au préalable remplie.

À ces deux conditions cumulatives s’ajoute un ensemble de critères dont la Cour de justice indique qu’ils sont « complémentaires, de nature autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Ces critères doivent en outre être appliqués tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres, dans la mesure où ils peuvent, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable » (pt 31).

Malgré ce point 31 quelque peu abscons, la Cour fait, fort heureusement, œuvre de pédagogie et de clarté dans sa décision, en rappelant que parmi ces critères il en est un primordial, celui du rôle incontournable joué par l’utilisateur qui intervient « en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée » (pt 32 ; v. aussi CJUE 14 juin 2017, Stichting Brein, aff. C-610/15, Dalloz actualité, 28 juin 2017, obs. N. Maximin ; D. 2017. 1248 ; ibid. 2390, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; JAC 2017, n° 50, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2017. 900, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2017. 864, obs. E. Treppoz ; JAC 2017, n° 50, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; Europe n° 8-9, août 2017. Comm. 321, obs. D. Simon).

S’il est évident que cet utilisateur est, en l’occurrence, le loueur de véhicules automobiles qui met à disposition de ses clients un poste de radio, il est plus difficile de déterminer si ce loueur s’est contenté de simplement fournir une installation technique (le poste de radio) permettant de jouir des objets protégés (les œuvres radiodiffusées) au sens du considérant 27 de la directive 2001/29/CE, ou s’il est au contraire intervenu, en plus, de manière « additionnelle » (pt 34), sur le contenu de la communication.

A ce titre, la Cour de justice fait référence à une décision du mois de mai 2016 dans laquelle elle avait jugé que « la diffusion d’émissions télévisées au moyen d’appareils de télévision que l’exploitant d’un centre de rééducation a installés dans ses locaux » constituait un acte de « communication au public » (CJUE 31 mai 2016, Reha Training, aff. C-117/15, Dalloz IP/IT 2016. 420, obs. V. Benabou ).

Monsieur l’avocat général vise également, dans ses conclusions présentées le 15 janvier dernier, un grand nombre de décisions permettant d’appréhender la frontière ténue entre la simple fourniture d’équipement technique et l’intervention supplémentaire de l’utilisateur sur l’œuvre protégée faisant l’objet de la communication. Parmi ces décisions, nous en retiendrons seulement deux. A été jugé comme un « utilisateur » réalisant un acte de « communication au public », l’exploitant d’un établissement hôtelier qui fournit, dans les chambres, un dispositif technique ainsi que les phonogrammes eux-mêmes, sous une forme physique ou numérique, pouvant être diffusés ou entendus grâce à ce dispositif (CJUE 15 mars 2012, Phonographic Performance, aff. C-162/10, D. 2012. 810 ; Légipresse 2012. 211 et les obs. ; RTD com. 2012. 322, obs. F. Pollaud-Dulian ). De même, dans le domaine d’internet, a été qualifié d’acte de communication « la mise à disposition et la gestion, sur internet, d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau de pair à pair (peer-to-peer) » (CJUE 14 juin 2017, aff. C-610/15, préc.).

La solution retenue ici par la Cour luxembourgeoise selon laquelle les sociétés de location de véhicules ne réalisent pas un acte de « communication au public » en mettant à disposition du public des véhicules équipés de postes de radio, s’inscrit dès lors dans la parfaite continuité des décisions précitées et confirme l’avis de Monsieur l’avocat général.

Comment aurait-il pu en être autrement ? Il aurait été difficile d’imaginer une quelconque intervention additionnelle des loueurs de véhicules dans la mesure où, d’une part, ce sont les organismes de radiodiffusion qui rendent le signal accessible dans les zones où les véhicules se trouvent et compte tenu, d’autre part, de ce que les clients de ces mêmes sociétés de location prennent la décision d’écouter ou non les émissions radiodiffusées. Étant ici précisé que si les clients n’écoutent pas les contenus à l’instant où ils sont diffusés, cette opportunité qui leur est offerte sera définitivement perdue, car la communication radiophonique est instantanée et directe, à la différence des services à la demande et d’internet, par exemple.

De surcroît, la Cour de justice ne s’est pas laissée convaincre par les arguments des organisations de gestion collective et prend même le soin pour l’un d’entre eux, d’énoncer qu’il ne saurait remettre en cause son interprétation. Il s’agit ici de l’argument abracadabrantesque selon lequel les sociétés de location de véhicule mettraient à la disposition de leurs clients « des espaces publics » que sont les habitables des véhicules. La Cour en profite alors pour rappeler que le caractère privé ou public de l’endroit où a lieu la communication est sans incidence, à défaut de quoi le droit de communication au public serait vidé de sa substance (V. not. CJCE 7 déc. 2006, SGAE, aff. C-306/05, D. 2007. 1236, obs. J. Daleau , note B. Edelman ; RTD com. 2007. 85, obs. F. Pollaud-Dulian ). Afin de ne pas prendre le risque de sortir du champ d’application du droit d’auteur, elle ne fait néanmoins pas état du fait que ces postes de radio, bien que simples accessoires à la location du véhicule, concourraient à l’attractivité et la rentabilité des loueurs, ni de l’argument avancé par les loueurs de voiture selon lesquels ces mêmes postes seraient de série et donc indémontables, à l’instar des immeubles par destination !

Sans remettre en question l’intérêt fondamental de cet arrêt, peut-on faire enfin l’économie de se poser la question de savoir si, aujourd’hui encore, beaucoup de personnes écoutent la radio lorsqu’elles sont au volant de leur voiture. L’usage répandu n’est-il pas désormais de brancher son téléphone portable à un port USB dont sont maintenant équipés la plupart des véhicules, ou bien encore de connecter son téléphone en Bluetooth, pour pouvoir écouter sa propre musique, une musique parfois même téléchargée illégalement … ?

En tout état de cause, la présente affaire, relative à la location de véhicules équipés de postes de radio, a donc offert à la Cour la possibilité de se repencher sur un sujet qui agite les milieux spécialisés et de délimiter ainsi une nouvelle fois la notion d’acte de « communication au public » en droit d’auteur, tout en rappelant certains grands principes égrenés au fil de sa jurisprudence, pour venir entériner en définitive une solution des plus « louables » !

Auteur d'origine: nmaximin
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Introduction

L’intelligence artificielle (IA) est le sujet du moment. Un sujet incontournable et en prise directe avec la réalité, y compris dans la situation sanitaire actuelle. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le décret Datajust1 publié il y a quelques jours à peine. Il ne s’agit donc évidemment plus, aujourd’hui, de se demander s’il y a opportunité à introduire ces techniques dans le fonctionnement judiciaire. C’est déjà le cas, de manière irréversible. L’IA est déjà présente partout. Mais il est très important, au moment où les choix décisifs vont être faits sur la manière d’introduire l’IA dans la justice, de prendre le temps de se poser quelques questions susceptibles de déterminer ces choix.

Ces questions sont d’autant plus fondamentales que la justice, ça n’a échappé à personne, a du retard sur l’IA. Elle y a été longtemps réfractaire, pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons. Elle s’y est longtemps refusée, d’abord, parce qu’elle y voit l’antithèse de la philosophie qui guide traditionnellement le juge. L’IA vise à rationaliser et à massifier le traitement. La justice est censée donner à chaque cas une réponse individualisée tenant compte des particularités de l’espèce. Mais l’arrivée tardive à l’IA est liée à d’autres facteurs, moins symboliques : la question des moyens n’est évidemment pas absente, mais aussi, probablement, une crainte parfois irraisonnée que la machine ne sonne la fin de la sacro-sainte indépendance du juge.

Ce retard dans la pénétration de l’IA dans le fonctionnement judiciaire met, paradoxalement, la justice dans une situation de vulnérabilité bien plus forte que d’autres secteurs face aux avancées technologiques. Elle n’a pas eu le temps de développer une réflexion d’ensemble, elle n’a pas eu la possibilité de s’habituer et de s’emparer petit à petit des nouveaux outils. C’est pourquoi il est fondamental aujourd’hui de prendre ce temps. Prendre le temps de se demander ce qu’on veut, où cela peut nous mener, et quelles précautions doivent être respectées.

Cette étude, coécrite par un magistrat et un mathématicien, vise à donner un éclairage, modeste, mais qui permette d’amorcer cette réflexion2. Car une chose est sûre : pour faire se rencontrer justice et IA, il faut faire d’abord se rencontrer les hommes et les femmes qui les actionnent.

Nous laisserons de côté, dans cette réflexion, la question de l’open data, c’est-à-dire la question de l’accès aux décisions de justice, qui se concentre sur la problématique de l’anonymisation ou de la pseudonymisation. Elle pose une question avant tout technique, mais plus, à ce stade, d’éthique. Nous nous concentrerons sur les objectifs et les conditions du recours à l’IA dans les décisions de justice.

1 - Le recours à l’IA dans la justice, pourquoi ?

11 - Les objectifs

111 - Les objectifs des acteurs : convergences et divergences

L’introduction de l’IA dans la justice a ceci de spécifique qu’elle est attendue par de très nombreux acteurs, qui cependant en espèrent des avancées en réalité très différentes. Les acteurs de la justice sont en effet multiples. Il y a ceux qui officient en interne, les juges, les greffiers. Il y a ceux qui travaillent avec la justice, les avocats, huissiers et auxiliaires de justice en général. Il y a ceux qui utilisent ou dépendent de la justice, qu’on nomme dans le jargon judiciaire les « justiciables », aux profils évidemment multiformes. Il y a enfin le ministère de la justice, à la fois concepteur et utilisateur des outils de justice.

Or, si tous les acteurs en appellent − plus ou moins fort − au développement de l’IA au sein de la justice, ils en attendent en réalité des résultats divers, et qui ne convergent pas toujours. On peut résumer en quatre axes principaux les attentes liées à l’introduction de l’IA dans la justice.

1111 - La sécurité juridique

Il y a d’abord, le plus souvent entendu au cours de ces dernières années, l’espoir de rationaliser la décision judiciaire, de permettre une meilleure uniformisation donc une meilleure sécurité juridique.

Bien sûr, la sécurité juridique fait partie du droit.

La sécurité juridique est une tautologie. Comme le faisait remarquer un éminent auteur : « La formule sonne en effet comme une sorte de redondance, tant il paraît évident qu’un droit qui n’assurerait pas la sécurité des relations qu’il régit cesserait d’en être un. Imagine-t-on un droit qui organiserait l’insécurité, ou même qui la rendrait possible ? »3

Pour autant, les décisions judiciaires sont, par nature, sujettes à variation.

Elles le sont d’abord pour des raisons conscientes, qui tiennent à la nécessité, pour le juge, de s’adapter à chaque situation.

Elles peuvent l’être aussi pour des raisons inconscientes, liées à la personne du juge. Ce sont des présupposés liés à son éducation, à ses croyances, à sa personnalité, qui peuvent avoir une incidence même involontaire sur la décision. Nombreuses sont les études qui démontrent que des données fort variées et parfois étonnantes − le petit-déjeuner du juge4, sa fatigue5, l’influence médiatique6, son égocentrisme7 à ses préjugés divers8 − peuvent influer sur la décision prise.

Ces deux motifs de variation de la décision de justice, qui, pour une même situation, peut donner lieu à deux décisions différentes, sont souvent confondus par ceux qui évoquent, pour le déplorer, l’aléa judiciaire.

Face à ce qui est qualifié souvent indistinctement d’aléa, de multiples garde-fous existent. La collégialité, d’abord, élément essentiel de contrôle interne, la jurisprudence, ensuite, qui unifie l’interprétation des textes, les barèmes, qui lissent les réponses dans certaines situations de préjudice. Mais ces réponses restent très grossières puisque le cadre ainsi mis en place reste général. L’IA pourrait permettre d’affiner cette fonction unificatrice et ainsi rassurer ceux qui estiment indispensable d’avoir une justice garantissant l’identité de solution, dans une conception de la fiabilité qui repose sur l’égalité et la certitude. Toute situation A donnera lieu à réponse B.

1112 - L’aide à la décision

Presque à l’opposé de ce premier objectif, le recours à l’IA peut tendre à aider à une réponse la plus adaptée possible à chaque cas, considéré comme nécessairement unique. Il ne s’agit plus de rechercher une même réponse pour tous, mais au contraire une réponse qui prenne en compte toutes les caractéristiques de la situation, peu important – ou au contraire en espérant − que le résultat soit différent dans chacune d’entre elles, mais pour des raisons objectives et justifiables.

On sait que, depuis la Révolution française, en France, il est interdit au juge de rendre des arrêts de règlement. Le code civil pose comme principe en son article 5 qu’il est défendu aux juges de prononcer « par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises », et en son article 1355 que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». En d’autres termes, le juge ne peut jamais s’appuyer sur une autre décision pour statuer dans le cas qui lui est soumis, il doit se prononcer en fonction des éléments spécifiques à chacune des affaires, et les jugements qu’il rend n’ont qu’une autorité relative, limitée à l’affaire sur laquelle le juge statue9.

Cette obligation de s’adapter au cas d’espèce explique que la première exigence attendue d’une décision de justice repose sur sa motivation : « La qualité de la décision dépend principalement de la qualité de la motivation. »10 C’est elle qui garantit que les faits de l’espèce ont été examinés et pris en compte, et rapportés spécifiquement à la règle de droit leur étant applicable.

Rendre une décision adaptée au cas d’espèce ne veut évidemment pas dire rendre une décision sans cadre légal. Toute décision doit être la mise en œuvre de ce cadre légal. La difficulté du travail du juge, le fameux syllogisme judiciaire, est donc, dans chaque cas, de cerner la situation, pour déterminer le cadre juridique applicable, et d’en tirer les conséquences en fonction des spécificités de chaque espèce.

L’IA peut aider dans ce travail. En fournissant des bases de données complètes et des systèmes de recherches efficaces, elle permet au juge de bénéficier d’outils opérationnels pour accomplir sa mission dans toute sa diversité.

1113 - Améliorer le traitement quantitatif des dossiers

La lenteur de la réponse judiciaire est probablement une des critiques les plus vives émises contre l’institution judiciaire11. La critique n’est pas nouvelle. On la retrouve, rituelle, dans la littérature de toutes les époques12 et elle s’exprime dans tous les pays démocratiques. C’est que la justice est par essence lente. Elle l’est parce que sa crédibilité repose sur le respect de procédures − actes, délais, respect du contradictoire − lourdes et chronophages. Elle l’est aussi probablement par volonté délibérée de décourager les plaideurs d’habitude, les plaideurs compulsifs, et demeurer la solution de dernier recours dans des litiges ou des conflits que la société ne peut résoudre autrement que devant un tribunal.

Si elle n’est pas nouvelle, cette critique n’en demeure pas moins un souci majeur, insupportable pour ceux qui n’ont pas d’autre choix que de dépendre de l’institution judiciaire, notamment pour un acte de leur vie courante ; divorce, litige de voisinage, ou dont la vie est suspendue dans l’attente d’une décision de justice, civile ou pénale13. Or, parmi les raisons majeures de la lenteur, il y a les moyens de la justice, et notamment le nombre d’affaires par magistrat et greffier14. Dans ce cadre, le recours à l’IA est un espoir pour permettre d’accélérer le travail judiciaire. Il peut alors s’agir de fluidifier en amont le traitement des procédures, ou encore de permettre une réponse accélérée à des cas considérés comme « de masse », comme les impayés de crédit à la consommation ou les infractions au code de la route, quitte à laisser par ailleurs la possibilité de sortir du lot les affaires considérées comme présentant des spécificités. C’est un objectif de meilleure réponse quantitative qui est ici poursuivi, notamment par personnes en charge de la gestion des tribunaux.

1114 - Permettre de prévoir la réponse judiciaire

Très proche de l’objectif de sécurisation de la réponse judiciaire, le souhait d’aboutir à rendre les décisions de justice plus prévisibles en diffère par l’idée qu’il ne s’agit pas nécessairement d’assurer une réponse unique mais d’être en capacité de prédire, au regard des différentes circonstances, qui peuvent tenir compte de certaines données considérées comme aléatoires jusqu’à présent, quelle réponse devrait être effectivement donnée à cette situation particulière. Selon la définition du professeur Bruno Dondero15, il s’agit de « tenter de prédire avec le moins d’incertitude possible ce que sera la réponse de la juridiction X quand elle est confrontée au cas Y ». L’analyse prédictive peut ainsi s’intéresser à l’analyse des risques au pénal, au montant des sommes allouées par les juridictions, aux chances de gagner un procès…

La prévisibilité permet de placer le justiciable en position réelle d’acteur, en capacité de faire des choix en connaissance de cause. Elle serait par ailleurs facteur de conciliation, dès lors que les parties peuvent mieux mesurer la teneur de leurs engagements et de leurs concessions16.

On le constate, les attentes du monde de la justice en matière d’IA peuvent être très différentes selon les acteurs, et pas forcément convergentes. C’est donc un premier défi de décider quelle ou quelles attentes doivent être privilégiées, lesquelles sont prioritaires, pour savoir quels outils doivent être développés. Car les outils ne peuvent être que fonction d’objectifs clairement déterminés en amont.

12 - Le concept d’IA dans la justice

121 - Qu’appelle-t-on IA et algorithmes ?

Le mot algorithme, encore abscons pour beaucoup il y a peu d’années, a envahi le langage commun en un temps remarquablement court. Comme pour tout mot technique, cette popularisation en a modifié le sens et la définition. La plupart des dictionnaires s’accordent pour définir un algorithme comme une suite finie et non ambiguë d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre une classe de problème. Un exemple fameux est l’algorithme de la division, enseigné à l’école primaire, qui permet de calculer le rapport entre deux nombres avec une précision donnée. Des algorithmes ont été conçus pour accomplir des tâches de natures très diverses. Ainsi, l’extraction d’une grande base de données des exemples respectant une série de critères fait en soi appel à un algorithme. Dans ce cas, le travail algorithmique vise principalement à assurer non seulement que la réponse fournie est exacte mais aussi qu’elle sera retournée en un temps court, même quand la base de données est de très grande taille.

Dans le cas de l’intelligence artificielle, le mot algorithme désigne indifféremment le procédé qui permet de fournir une réponse à une requête au moyen d’une formule de calcul et le processus dit d’« apprentissage » qui a précisément permis d’établir cette formule. C’est ce second processus qui justifie le nom d’« intelligence artificielle » au sens où il se fonde sur l’analyse d’un grand nombre d’exemples à partir desquels la machine est censée extraire « automatiquement » des règles de décision. Nous décrivons ici quelques exemples de tâches qui pourraient être confiées à des algorithmes issus de l’IA dans cadre du travail juridique. Ces exemples sont décrits à titre introductif et illustratif : il ne s’agit certes pas de se prononcer sur l’opportunité que ces tâches soient effectivement confiées un algorithme plutôt qu’à un acteur de justice.

122 - Les différentes interventions de l’IA dans les décisions de justice

1221 – Les bases de données

Avant de présenter quelques exemples de recours possible à l’IA, il convient de rappeler que tout traitement automatisé nécessite, au préalable, de procéder à la saisie, manuelle ou non, des données disponibles dans une base de données informatique. Cette première organisation des données sous une forme exploitable n’est pas neutre dans la mesure où elle requiert en général un encodage de l’information, par exemple au moyen de mots-clés afin de pouvoir ensuite les organiser, les compiler et les analyser.

1222 – L’aide à la décision

Une première tâche qu’il pourrait être tentant de confier à l’IA serait celle d’assister un juge lors de l’instruction d’un dossier. Ainsi, le travail d’instruction d’un juge en charge d’une affaire civile pourrait être éclairé par la connaissance plus générale des affaires et des jugements rendus par les tribunaux français en la matière. L’objectif de l’aide à la décision est d’assister, par des outils automatiques, un utilisateur sans pour autant prendre la décision à sa place. Dans notre exemple, l’existence de bases de données de décision et d’outils informatiques interactifs peut permettre à un acteur de justice d’extraire un ensemble d’affaires similaires à celle qui l’intéresse.

Cette extraction elle-même peut être laissée entièrement à l’initiative de l’utilisateur à qui il revient alors de déterminer les critères caractérisant au mieux son affaire (textes appliqués, circonstances de l’affaire, mots-clés, etc.) pour extraire de la base celles qui lui sont similaires selon ces critères. Ce travail d’extraction pourrait être également confié à un algorithme issu d’IA dont l’objectif serait de définir une typologie des affaires enregistrées dans la base de données, sans se donner de critère de filtre ou de classification a priori et fournir au juge de façon « automatique » un ensemble d’affaires proches de celle qui l’occupe, sans qu’il ait eu à spécifier lui-même les critères de ressemblance.

1223 – La prédiction de décision

Une deuxième tâche, sans doute plus ambitieuse, consisterait à proposer à un magistrat une décision au regard du cas qu’il doit traiter. Ainsi, en matière de droit du travail, en l’absence de barème obligatoire, on pourrait vouloir avoir recours à l’IA pour prédire l’indemnité correspondant à un licenciement particulier, en se fondant pour cela sur une base de données constituée des jugements rendus par tous les conseils de prud’hommes (et/ou cours d’appel) de France sur des affaires de licenciement.

Là encore, le magistrat pourrait conserver la haute main sur cette opération en définissant lui-même les critères selon lui pertinents pour extraire des situations ou des dossiers semblables à celui qu’il doit traiter et obtenir ainsi au moins une gamme d’indemnités cohérentes avec celles déjà attribuées. Une seconde approche consisterait à recourir à un algorithme d’apprentissage afin d’établir une « formule de prédiction » associant à la description de chaque cas une indemnité la plus proche possible de celle qui a effectivement été attribuée. Il suffirait ensuite de soumettre le cas d’étude à cette formule pour obtenir une prédiction de la « bonne » indemnité. Dans ce cas, cette formule de prédiction serait opaque à l’utilisateur mais censément respectueuse de l’ensemble des décisions ayant servi à la déterminer.

1224 – L’analyse de décisions

Le recours à l’IA peut être également envisagé non pas lors du processus menant à chaque décision judiciaire mais pour analyser a posteriori l’ensemble de ces décisions. L’analyse a posteriori des décisions est un travail indispensable si l’on veut pouvoir s’assurer de leur cohérence, des éventuelles évolutions des conceptions judiciaires qu’elles révèlent, et, par un travail de recherche plus avancé, des biais qu’elles recèlent. On pourrait ainsi s’intéresser à l’analyse des jugements rendus en matière de contentieux de crédits à la consommation par les tribunaux de différents départements ou régions.

De telles analyses peuvent se fonder sur des critères choisis directement par l’analyste qui décidera de croiser le montant du crédit contracté et la région pour étudier d’éventuelles différences de traitement géographique, ou encore les caractéristiques socioéconomiques des personnes ayant commis la même infraction au regard des peines prononcées. Ces analyses reposent entièrement sur l’expertise et le jugement de l’opérateur qui conserve l’initiative d’effectuer telle comparaison plutôt que telle autre. Les critères de l’analyse restent alors complètement explicites. Mais on peut aussi prétendre mener une telle analyse de façon « automatique » en confiant à un algorithme la tâche de constituer une typologie de décisions et/ou de tribunaux. Comme dans le cas de la prédiction, la règle de répartition des données dans les différentes catégories sera opaque, au sens où elle n’aura pas été conçue par l’utilisateur.

13 - Le choix des méthodes

Les exemples précédents montrent quelques tâches juridiques qui pourraient être confiées à des algorithmes afin qu’elles soient effectuées plus « automatiquement ». L’objectif est de tenter de décrire comment de tels algorithmes peuvent être conçus et, surtout, quels sont les choix arbitraires ou subjectifs qui les sous-tendent nécessairement. Le caractère apparemment automatique17 du fonctionnement de ces systèmes repose en fait sur une série de décisions parfaitement humaines, qu’il importe par conséquent de maîtriser.

131 - Un parti pris empirique

La détermination d’une liste de cas de divorce similaires à une affaire donnée ou l’évaluation d’une indemnité de licenciement sont des tâches historiquement confiées à des humains qu’il s’agirait de déléguer, au moins partiellement, à des algorithmes. Ceux-ci auront donc pour objectif d’accomplir une tâche de manière à produire un résultat comparable à celui que produirait un humain.

Il existe typiquement deux façons d’aborder un tel problème. La première, qu’on peut dire mécaniste, consiste à encoder (ou modéliser) le processus intellectuel de l’humain qui aurait à accomplir cette tâche. La seconde, qu’on peut dire empirique, vise à produire des résultats similaires à ceux fournis par un humain sans chercher à reconstituer sa démarche.

Les algorithmes les plus en vue depuis plusieurs années en IA adoptent résolument un parti pris empirique : il ne s’agit pas de copier le raisonnement (par exemple juridique) d’un humain mais seulement de mimer ses décisions. Ce parti pris implique que ces algorithmes ne reposent pas sur la modélisation du processus intellectuel d’un humain, mais sur le processus d’apprentissage par lequel la machine détermine « elle-même » ses propres règles de décisions en se fondant sur de nombreux exemples, qui lui tiennent lieu d’expérience et qu’elle tentera de mimer au mieux.

Ce parti pris est résolument pragmatique au sens où, de ce point de vue, seul le résultat compte. S’il s’agit de produire des résultats proches de ceux que produirait un humain, plutôt que d’essayer de reconstituer le raisonnement humain, autant chercher à déterminer une formule mathématique qui minimisera les différences entre des résultats originellement produits par des humains (et enregistrés dans une base de données) et ceux fournis par la machine. Le problème d’apprentissage est ainsi transformé en un problème d’optimisation : étant donné un critère qui mesure la fidélité des prédictions aux observations, l’algorithme d’apprentissage vise directement à optimiser ce critère. La contribution de l’optimisation (qui ressort à la fois des mathématiques et de l’informatique mais emprunte aussi à la physique) aux succès de l’IA est à ce titre déterminante.

On peut observer à ce stade que, de ce point de vue, les approches mécanistes sont battues d’avance par les méthodes empiriques puisque ces dernières visent précisément à optimiser le critère qui doit permettre de comparer leurs performances respectives. Il apparaît ainsi que l’IA tend naturellement à imposer ses critères (en l’occurrence, la proximité maximale avec des décisions déjà rendues) au détriment d’autres, moins mathématisables, comme la nécessité de justifier une décision, comme nous le discuterons (§ 2123).

132 - Les tâches typiques

Parmi les tâches pouvant être confiées à des algorithmes issus de l’IA on distingue souvent les problèmes « non supervisés » des problèmes « supervisés », les premiers ayant typiquement un objectif descriptif quand les seconds ont généralement une visée prédictive.

1321 - L’apprentissage non supervisé

Le terme « non supervisé » désigne les problèmes pour lesquels, lors de la phase d’apprentissage, l’algorithme ne dispose pas d’une information exogène lui permettant d’évaluer la qualité des résultats qu’il produit. C’est le cas de la définition ex nihilo d’une typologie de cas à partir d’une grande base de données réunissant des contentieux de crédit à la consommation ou de la recherche d’affaires de divorce similaires à un cas donné.

Dans ce cas, la typologie finalement exhibée par l’algorithme ne peut évidemment pas être parfaitement intrinsèque au sens où elle serait fondée sur la seule contemplation des données, sans aucune grille d’analyse particulière. Elle repose nécessairement sur une représentation « mathématique » des données (en l’occurrence, des textes) et sur un critère (également mathématique) mesurant la proximité ou la similarité entre deux textes. L’effet de sidération produit par les performances des algorithmes provient en partie du fait qu’il est difficile d’imaginer qu’on puisse mathématiser la comparaison de deux textes. Cela est cependant possible et pour tout dire assez simple : on peut par exemple représenter un texte comme un simple sac de mots (bag of words), oubliant toute structure syntaxique, et mesurer la proximité entre deux textes en comparant simplement la fréquence d’utilisation des différents mots. On recourt alors à un algorithme qui vise à définir une catégorisation « optimale » de textes, c’est-à-dire à déterminer des groupes de textes similaires entre eux, les groupes étant, au contraire, les plus distincts possible les uns des autres. On a pu ainsi classer des articles de presse sur la seule base de leur contenu textuel et constater que la typologie ainsi obtenue correspondait au sujet dont ils relevaient (sport, économie, culture, politique internationale, etc.) alors même que la rubrique du journal dans laquelle ils avaient été publiés n’avait pas été prise en compte pour déterminer cette typologie, ni même la liste de ces rubriques18. Le succès de l’expérience est dû, d’une part, à la disponibilité informatique d’un très grand nombre d’articles de presse et, d’autre part, au fait que les termes utilisés dans les différents champs thématiques sont suffisamment différents pour que l’analyse des seules fréquences de mots permette de les distinguer.

Pour accomplir cette tâche « automatique », il aura fallu choisir, a priori, une représentation de l’information (un texte = un sac de mots), une mesure de similarité (la comparaison des fréquences d’utilisation) et un critère d’optimalité mesurant à quel point les groupes de textes sont bien distincts entre eux (que nous ne détaillons pas ici).

1322 - L’apprentissage supervisé

Les problèmes supervisés sont ceux pour lesquels une validation des prédictions est disponible lors de la phase d’apprentissage. C’est le cas de l’évaluation d’une indemnité de licenciement pour laquelle on disposerait d’une base de données comprenant à la fois la description des affaires et le montant finalement alloué à l’issue de la procédure judiciaire. Il s’agit alors de déterminer une fonction de prédiction qui associera une décision (en l’occurrence, un montant) à un cas, laquelle fonction est censée mimer, au mieux, les décisions enregistrées dans la base de données.

Là encore, le processus d’apprentissage repose sur une représentation des cas (par exemple par mots-clés ou comme sac de mots) mais aussi sur le choix d’une forme pour la fonction de prédiction et sur un critère qui mesure la proximité entre la prédiction fournie et la réponse vraie. Il existe pléthore de fonctions de prédiction aux noms obscurs (machine à vecteurs supports), évocateurs (réseaux de neurones), ou poétiques (forêts aléatoires)19. La qualité de prédiction repose grandement sur la flexibilité de cette fonction, c’est-à-dire sur sa capacité à rendre compte du lien existant entre la description du cas et la décision sans trop préjuger de sa forme. La contrepartie de cette flexibilité (qui contribue grandement aux performances de ces méthodes) est le caractère très opaque des formules de prédictions qui en résultent et dont il est en général vain d’essayer d’avoir une compréhension intuitive. Ainsi, un réseau de neurones profond peut mettre en jeu plusieurs dizaines de milliers de coefficients dont la combinaison fournit la prédiction (la détermination de ces coefficients est précisément l’objectif de l’algorithme d’apprentissage).

L’apprentissage supervisé peut formuler une prédiction non pas sous forme d’une valeur ponctuelle (par exemple, un montant) mais sous forme d’une distribution de valeurs (intervalle ou même de distribution de probabilités). Nous n’entrons pas ici dans les spécificités des algorithmes fournissant ce type de réponse dans la mesure où ils sont, le plus souvent, également peu interprétables.

1323 - Des situations hybrides

Il existe évidemment de nombreuses tâches de nature hybride, entre supervisée et non supervisée. Un juge spécialisé dans les affaires de divorce pourrait ainsi recourir à un algorithme non supervisé pour extraire automatiquement d’une base de données une liste d’affaires similaires à celle qu’il doit traiter et, de plus, interagir avec l’algorithme en validant ou non, au cas par cas, les éléments de cette liste. Un algorithme d’apprentissage supervisé peut alors entrer en jeu pour réviser les critères ayant permis de déterminer la typologie initiale en fonction des validations et invalidations apportées par l’utilisateur. Cette interaction avec l’utilisateur rend l’apprentissage « supervisé » dans le sens où il bénéficie d’une information supplémentaire. L’algorithme d’apprentissage vise alors à réviser la formule de classification afin de maximiser le taux de validation par le juge, qui constitue un nouveau critère d’optimalité.

La procédure qui résulte d’un tel apprentissage reste opaque dans la mesure où la formule permettant d’établir la liste des affaires pertinentes n’est pas aisément interprétable mais tend progressivement à mimer les critères de choix du juge qui l’alimente.

 

 

Notes

1. Décr. n° 2020-356, 27 mars 2020, JO 29 mars, v. Dalloz actualité, 1er avr. 2020, art. P. Januel. Certains pensent qu’il s’agit d’anticiper les multiples recours juridiques des malades du covid.

2. Une réflexion déjà largement amorcée depuis plusieurs années par de grands auteurs de la pensée judiciaire. À cet égard, les auteurs de ces lignes remercient très vivement Antoine Garapon pour les échanges auxquels il a bien voulu participer et qui ont grandement nourri cet article.

3. J. Boulouis, « Quelques observations à propos de la sécurité juridique », in Du droit international au droit de l’intégration. Liber amicorum : Pierre Pescatore, Nomos Verlag, 1987, p. 53, cité par J.-G. Huglo, Dossier : Le principe de sécurité juridique, Cah. Cons. const. 2001, n° 11.

4. Présumée dès 1950 du XXe siècle par le philosophe et juge américain Jérôme Franck (Court of trial, 1950), l’incidence du repas ou de la faim sur la décision du juge a été établie par une étude parue dans la revue Proceedings of the national Academy of Science (PNAS) (v. la traduction : S. Danziger, J. Levav et L. Avnaim-Pesso, « Qu’a mangé le juge à son petit-déjeuner ? » De l’impact des conditions de travail sur la décision de justice, Cah. just. 2015. 579 ). Les auteurs de l’étude ont étudié plus de 1 000 décisions faisant suite à des demandes de liberté conditionnelle prises par huit différents juges en Israël sur une période de dix mois. Les juges ont jugé de 14 à 35 cas par jour en trois sessions : une du début de la journée à une pause snack au milieu de la matinée, une deuxième de la pause du matin à la pause déjeuner et une troisième de la pause déjeuner à la fin de la journée. De manière générale, les juges ont eu davantage tendance à accepter les demandes de liberté conditionnelle au début de la journée qu’à la fin, et les chances de voir sa demande acceptée étaient même doublées quand l’affaire était jugée en début de session plutôt qu’en fin de session. En fait, le nombre de cas qu’un juge avait à traiter au cours d’une session affectait de manière significative ses décisions. Les huit juges étudiés ont suivi le même schéma, et ont refusé au total 64,2 % des demandes.

5. Doss. Des juges sous influence, Cah. just. 2015. 501 s.

6. A. Philippe, Vous jurez de n’écouter ni la haine ou la méchanceté… Les biais affectant les décisions de justice, Cah. just. 2015. 563 .

7. Fait de surévaluer ses capacités par rapport à la moyenne. Les auteurs de l’étude constatent que 56 % des juges pensent être dans le quart des juges les moins infirmés en appel, et 88 % pensent être dans la meilleure moitié, ce qui est mathématiquement impossible. Les biais affectant les décisions de justice, art. préc.

8. K. Diallo, Une intelligence artificielle tente de corriger les biais racistes dans la justice, Le Figaro, 13 juin 2019.

9. La question de la jurisprudence, telle qu’issue principalement des décisions de la Cour de cassation, n’est pas posée ici.

10. Conseil consultatif des juges européens (CCJE), avis n° 11 (2008), à l’attention du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur la qualité des décisions de justice ; N. Fricero, « La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme », art. préc., p. 56 ; dans le même sens, un auteur relève que la motivation est « une garantie essentielle pour le justiciable, car elle est destinée à le protéger contre l’arbitraire du juge », v. J.-P. Ancel, La rédaction de la décision de justice en France, RID comp. 1998. 852.

11. Dans une étude de janvier 2014 commandée par le ministère de la justice, 95 % des Français font à la justice le reproche de sa lenteur.

12. Des Guêpes d’Aristophane au Procès de Kafka, en passant par La Farce de maître Pathelin ou Les Plaideurs de Balzac.

13. En 2017, le délai moyen pour obtenir une décision de justice était de neuf mois devant le juge administratif, de six mois devant le juge d’instance, de sept mois devant le tribunal de grande instance, de quinze mois devant le conseil de prud’hommes et de treize mois devant la cour d’appel.

14. 8 313 magistrats en France en 2017, soit 11,9 juges pour 100 000 habitants, ce qui fait de la France l’un des pays les moins bien dotés en Europe, selon une étude du Conseil de l’Europe, 84 969 agents, pour 2 609 394 décisions en matière civile et commerciale et 1 180 949 décisions en matière pénale.

15. B. Dondero, La justice prédictive, Le blog du professeur Bruno Dondero.

16. Rapport d’information fait au nom de la Commission des lois sur « le redressement de la justice », Sénat, n° 795, 4 avril 2017, p. 139 s.

17. D’où l’usage des guillemets lors de l’emploi de ce terme jusqu’ici.

18. D.M. Blei, A.Y. Ng et M.I. Jordan (2003). Latent dirichlet allocation. Journal of machine Learning research, 3(Jan), 993-1022.

19. L. Godefroy, F. Lebaron et J.L. Vehel, Comment le numérique transforme le droit et la justice vers de nouveaux usages et un bouleversement de la prise de décision. Rapport de recherche, 2019.

Auteur d'origine: Bley

La DGCCRF appelle à la vigilance les consommateurs en énumérant sur son site internet une dizaine de pratiques liées à la crise du covid-19 présentant – ou susceptible de présenter – un caractère frauduleux (Arnaques liées au coronavirus, 3 avr. 2020). Par exemple, profitant de l’élan de solidarité d’aide aux personnels soignants organisé par des plateformes d’appel aux dons ou des cagnottes, elle constate que certains individus exercent de manière illégale, l’activité d’intermédiaire en financement participatif. La DGCCRF recommande de s’assurer de l’identité du professionnel et de la destination de vos dons avant d’effectuer un transfert d’argent.

Parmi les fraudes évoquées par la DGCCRF, certaines sont nées avec la crise du covid-19, telles que la décontamination des logements privés. La DGCCRF rappelle qu’elle n’est pas prévue à ce jour par les services de l’État et que les personnes prétextant une décontamination obligatoire n’y sont pas habilitées et cherchent à s’introduire à votre domicile frauduleusement. D’autres, en revanche, lui préexistent, mais pourrait se développer dans le contexte actuel. Parmi ces fraudes, le phishing ou le smishing (ou hameçonnage), qui consiste à usurper l’identité d’une entreprise ou d’une administration pour envoyer des courriels ou SMS liés à l’épidémie de coronavirus et ainsi inciter à cliquer sur un lien ou rappeler un numéro surtaxé afin d’obtenir des données personnelles (notamment bancaires) ou un transfert d’argent. De la même manière, la fraude des appels à rebonds consiste à inviter (par des appels ou des messages laissés sur le répondeur) le consommateur à appeler un numéro surtaxé, sous de faux prétextes liés au coronavirus ou à sa situation administrative. Mais curieusement, rien n’est dit sur la commercialisation en ligne de masques de protection souvent par des vendeurs peu srupuleux.

Par ailleurs, sans qu’il s’agisse cette fois d’une fraude, la DGCCRF précise que les annonces de livraisons rapides ou sous délais courts (gratuites ou payantes) doivent être appréhendées par le consommateur avec précaution aux vues des circonstances actuelles qui ne permettent pas systématiquement une livraison dans le délai attendu. En résumé, patience est mère de toutes les vertus, et, ce plus que jamais en période de coronavirus.

Dans un tout autre domaine, la DGCCRF a publié une Foire aux questions (FAQ) – qu’elle promet d’actualiser régulièrement – destinées à éclairer les consommateurs sur le régime issu de l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, dont on sait qu’elle autorise les professionnels du tourisme à proposer à leurs clients un avoir, en lieu et place du remboursement de la prestation annulée, de manière temporaire (Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du Tourisme, 7 avr. 2020).

Auteur d'origine: Delpech

« C’est une erreur que de vouloir trop se projeter dans l’avenir. On ne peut saisir qu’un par un les maillons de la chaîne du destin ». Les auteurs du décret n° 2018-429 du 31 mai 2018 relatif au brevet européen à effet unitaire et à la JUB n’ont sans doute pas suffisamment médité cette prophétie de Churchill.

Caractéristique inhérente à toute législation d’anticipation, les dispositions de ce décret doivent entrer en vigueur à la même date que celle de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2018-341 du 9 mai 2018 () relative au brevet européen à effet unitaire et à la JUB c’est-à-dire à la même date que celle de l’entrée en vigueur de l’Accord signé à Bruxelles le 19 février 2013.

Le décret précité traduit une forme légitime d’impatience quant à l’avènement concret du nouvel édifice bâtit depuis près de dix ans dans le cadre de la coopération renforcée au titre de l’article 20 du Traité de l’Union européenne, entre les vingt-six États membres de l’Union européenne. C’est d’ailleurs cette même coopération renforcée qui avait déjà abouti à l’adoption de deux règlements le 17 décembre 2012 : le règlement n° 1257/2012 créant une protection unitaire par brevet et le règlement n° 1260/2012 sur les modalités applicables en matière de traduction.

Évidemment ces deux règlements entrés en vigueur le 20 janvier 2013 sont, eux aussi, applicables à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord relatif à une JUB, événement décidément vécu très tôt, comme futur et incertain.

Au lendemain de l’annulation le 20 mars 2020 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande de la loi ratifiant l’Accord sur la JUB, un retour sur la construction de cette juridiction ainsi qu’un point sur ses perspectives s’imposent.

Signé, le 19 février 2013, l’accord international établissant une juridiction unifiée du brevet commune aux États membres de l’Union européenne contractants, vise à assurer une protection unitaire dans ces États et de lutter contre la fragmentation du marché des brevets et les variations importantes entre les systèmes juridictionnels nationaux préjudiciables à l’innovation. L’ensemble des États membres participant à la coopération renforcée ont signé cet accord, à l’exception de la Pologne, de l’Espagne et de la Croatie qui n’a rejoint l’Union européenne qu’en juillet 2013.

En vertu de son article 89, l’entrée en vigueur de l’accord sur la JUB requiert treize ratifications, dont celles des trois États de l’Union européenne dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens étaient en vigueur en 2012, c’est-à-dire la France (ratification notifiée le 14 mars 2014), l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Le printemps 2018 prêtait à l’optimisme.

Bien qu’au début de l’été 2016, 51,9 % des Britanniques avaient choisi par référendum de quitter l’Union européenne, le Royaume-Uni rejoignait finalement le 26 avril 2018 la cohorte des pays ayant ratifié l’accord. Ceux-ci sont au nombre de seize à ce jour.

Mieux encore, le Royaume-Uni à qui l’Accord réservait une section de la division centrale de jugement comprenant les affaires relevant notamment des domaines des sciences de la vie et de la chimie, donnait encore des gages de confiance malgré le « blast » provoqué par le Brexit.

N’était-il pas écrit au point 151 du Livre blanc publié le 12 juillet 2018 () par le gouvernement anglais que le Royaume-Uni continuerait de travailler avec les autres États contractants pour s’assurer que l’accord sur la juridiction unifiée puisse perdurer sur des bases sûres [«The UK has ratified the Unified Patent Court Agreement and intends to explore staying in the Court and unitary patent system after the UK leaves the EU. The Unified Patent Court has a unique structure as an international court that is a dispute forum for the EU’s unitary patent and for European patents, both of which will be administered by the European Patent Office. The UK will therefore work with other contracting states to make sure the Unified Patent Court Agreement can continue on a firm legal basis»] ?

Ne manquait donc plus que la ratification de l’Allemagne, dont le gouvernement fédéral s’est toujours montré engagé à la mise en place d’un brevet unitaire.

La patience payait et le corpus de règles édictées avec la condition suspensive de l’entrée en vigueur de l’Accord sur la JUB trouverait à s’appliquer.

JUB plissée ?

Seule ombre au tableau, en Allemagne le processus de ratification était ralenti par un recours déposé début 2017 auprès de la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Karlsruhe) contre la loi de ratification de l’accord sur la JUB.

Le requérant dénonçant notamment la perte de droits régaliens causée par l’accord international, et son adoption par une majorité non qualifiée au Bundestag, la Cour constitutionnelle fédérale avait, en conséquence, demandé au Président fédéral allemand de suspendre la procédure de ratification de l’accord sur la JUB.

Il est vrai que si le projet de loi de ratification avait été adopté à l’unanimité en troisième lecture par les députés présents au Bundestag, ceux-ci n’étaient alors qu’au nombre de trente-cinq… La décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande attendue pour le début 2020 était donc particulièrement redoutée.

Ce fut aussi la période choisie par le gouvernement anglais pour faire machine arrière puisque le 27 février dernier celui-ci annonçait officieusement que le Royaume-Uni ne participerait pas au système unifié. Un porte-parole du premier ministre ajoutant que participer à une juridiction appliquant le droit de l’Union européenne et liée par la Cour de justice de l’Union européenne serait contradictoire avec l’objectif de devenir une nation indépendante. Autrement dit, ratifier n’est pas consentir !

Ce coup de canif était ressenti le 4 mars comme une profonde déception par M. Antonio Campinos Président de l’Office européen des brevets (OEB) lequel se refusait toutefois d’y voir un « coup fatal » au projet de juridiction unifiée.

Le 20 mars suivant, la Cour constitutionnelle fédérale allemande venait doucher une nouvelle fois les espoirs d’une entrée en vigueur rapide de l’Accord.

Selon la Cour, la loi allemande approuvant la juridiction unifiée et le système unitaire de brevet est nulle et non avenue. Si le contenu des accords n’est pas remis en cause par la Cour, celle-ci critique, en revanche, la voie choisie pour le consentement du peuple allemand ainsi que les conditions de ratification de la loi critiquée. Autrement dit, Ratifier c’est Consentir mais en bonne et due forme.

Le raisonnement est assez simple. La Cour considère de fait la Loi de ratification comme un amendement constitutionnel. Indépendamment des règles spéciales de la juridiction unifiée, le fait de conférer à cette dernière des fonctions judiciaires qui remplacent les tribunaux allemands, s’apparente à un amendement important de la constitution allemande, et singulièrement du pouvoir judiciaire tel qu’établi à l’article 92 de la Constitution allemande. Or, en vertu de l’article 79 (2) de la Constitution, toute loi susceptible de constituer un tel amendement requiert pour être votée la majorité des deux tiers au Bundestag et au Bundesrat.

À titre de comparaison, rappelons qu’à l’inverse en France, la loi n° 2014-199 du 24 février 2014 autorisant la ratification de l’accord relatif à une JUB avait été adoptée par l’Assemblée nationale sans modification du projet adopté par le Sénat en première lecture et ce, après engagement de la procédure accélérée ! Ici Ratifier c’est ratifier.

N’en déplaise aux volontaristes, l’on observe que c’est finalement l’exigence démocratique nationale – respect de la vox populi au Royaume-Uni et respect de la constitution allemande – qui par deux fois vient bousculer le projet de construction européenne ici en matière de brevet…

Alors quel avenir pour la JUB ?

Le scénario le plus simple consiste à imaginer que le Parlement allemand pourrait se saisir une nouvelle fois de la ratification de l’Accord en veillant à l’obtention de sa majorité des deux tiers.

Reste que la question du Brexit et de la défection britannique obligera aussi à réformer l’architecture du projet qui attendait l’entrée en vigueur de la JUB pour s’appliquer. Sauf à compter sur la versatilité de nos amis anglais ce qui, sur le long terme, n’est peut-être pas un bon calcul pour la pérennité d’une institution judiciaire.

Sans parler du contexte actuel de crise sanitaire lié au covid-19 qui laissera des traces dans la construction européenne laquelle pourrait bien ne plus avancer sans respecter ces deux règles d’Airain pour asseoir sa légitimité : une solidarité exemplaire entre ses membres associée à un volontarisme doublé d’une exigence démocratique renforcée.

La convention relative au brevet européen pour le marché commun (convention sur le brevet communautaire), signée le 15 décembre 1975, prévoyait déjà la création d’un brevet unitaire. Mais à l’époque, cette convention n’a jamais pu entrer en vigueur, faute d’avoir atteint le nombre suffisant de ratifications.

Quarante-cinq ans plus tard l’on découvre que ratifier n’est sans doute même plus suffisant. 

La tâche immense consiste désormais rien de moins qu’à faire mentir Paul Morand pour qui l’histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète.

Auteur d'origine: nmaximin

Mise en place d’une garantie en matière d’assurance-crédit

La garantie de l’État des prêts bancaires à hauteur de 300 milliards d’euros ne constitue pas le seul mécanisme financier mis en place par les pouvoirs publics dans le contexte de la crise sanitaire liée au covid-19 au profit des entreprises. La loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 a également conçu un système de garantie en matière d’assurance-crédit. Celui-ci ne figurait pas dans le projet de loi tel qu’adopté en conseil des ministres, mais est issu d’un amendement du gouvernement déposé à l’Assemblée nationale et adopté par les députés (Amdt n° 15, 19 mars 2020). Cet amendement, devenu l’article 7 de la loi du 23 mars 2020, prévoit la mise en place d’un dispositif de réassurance public des risques liés à l’assurance-crédit confié à la Caisse centrale de réassurance (CCR), à travers l’octroi d’une garantie de l’État, afin de faire face aux difficultés de liquidités et aux craintes exprimées par de nombreuses entreprises face au risque de contraction du crédit interentreprises.

La CCR est une société de droit privé dont le capital est entièrement détenu par l’État qui opère dans les domaines de la réassurance publique et de la réassurance de marché. En tant que réassureur public, la CCR propose aux entreprises opérant en France, avec la garantie de l’État et dans l’intérêt général, des couvertures contre les catastrophes naturelles et les risques non assurables. C’est en cette qualité de réassureur public que la CCR est aujourd’hui sollicitée par les pouvoirs publics dans le cadre de la crise liée au covid-19. Néanmoins, si les opérations d’assurance et de réassurance des risques d’assurance-crédit ne constituent pas la principale mission de la CCR, cette dernière avait déjà été mobilisée dans le cadre d’un dispositif analogue entre décembre 2008 et juin 2011 et pour un montant identique à la suite de la crise dite des subprimes (L. n° 2008-1443 du 30 déc. 2008 de finances rectificative pour 2008, art. 125). L’apport de la garantie de l’État à la CCR conçu par la loi du 23 mars 2020 lui permet de faire face à des opérations d’assurance et de réassurance de grande ampleur, sur le modèle du schéma de réassurance prévu dans le cadre de l’indemnisation des catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 431-9).

Précisément, en vertu de la loi de finances rectificative pour 2020, la CCR, agissant avec la garantie de l’État, est habilitée à pratiquer les opérations d’assurance ou de réassurance, des risques d’assurance-crédit portant sur des petites et moyennes entreprises (PME) et sur des entreprises de taille intermédiaire (ETI) situées en France, ainsi que des engagements pris dans le cadre des contrats de sous-traitance en matière de construction (il s’agit de l’engagement de garantie, prévu au titre du g de l’article L. 231‑13 du code de la construction et de l’habitation, que l’entrepreneur principal est tenu de fournir s’il confie une partie des travaux à un sous-traitant, afin de garantir le paiement des sommes dues au sous-traitant). Selon l’article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (LME) et son décret d’application n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 : une PME est une entreprise dont l’effectif est inférieur à 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total de bilan n’excède pas 43 millions d’euros ; une ETI est une entreprise qui n’appartient pas à la catégorie des PME, dont l’effectif est inférieur à 5 000 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 1 500 millions d’euros ou dont le total de bilan n’excède pas 2 000 millions d’euros.

Le dispositif est limité tant dans le temps que dans son montant. En effet, il s’applique aux opérations d’assurance et de réassurance effectuées par la CCR avant le 31 décembre 2020. Par ailleurs, le montant maximal de la garantie pouvant être accordée par l’État est fixé à 10 milliards d’euros. La loi du 23 mars 2020 renvoie à un décret le soin de préciser les conditions d’exercice de cette garantie.

 

Mesures d’application

Les modalités d’octroi de la garantie de l’État aux opérations de réassurance de certains risques d’assurance-crédit effectuées par la CCR sont précisées par le décret d’application n° 2020-397 du 4 avril 2020, qui entre en vigueur dès le 6 avril. Ce décret précise d’abord que la garantie de l’État accordée à la CCR donne lieu, de la part de la CCR, au versement d’une rémunération. Les conditions et modalités de la mise en jeu et de la rémunération de la garantie de l’État vont faire l’objet d’une convention passée entre le ministre de l’Économie et la CCR (art. 1er).

Les opérations de réassurance des risques d’assurance-crédit, ainsi que des engagements pris dans le cadre des contrats de sous-traitance en matière de construction, effectuées avec la garantie de l’Etat, sont classées en deux catégories : les garanties complémentaires (c’est-à-dire non obligatoires) et les garanties de substitution (en vertu d’une convention de substitution, un assureur peut, en effet, transférer tout ou partie de son risque assurantiel à un autre). Pour chaque catégorie, les opérations de réassurance font l’objet de traités de réassurance (conclus pour une période ne pouvant aller au-delà du 31 déc. 2020) distincts conclus avec les entreprises d’assurance, fixés par la CCR « selon les usages et méthodes du marché de la réassurance, et précisant les conditions particulières notamment tarifaires » (art. 2). Puis, le décret précise les conditions dans lesquelles la garantie de l’État est acquise, d’abord pour les garanties complémentaires (art. 3), ensuite pour les garanties de substitution (art. 4).

Sans entrer dans les détails, on précisera que, pour les garanties de substitution, la garantie de l’État « n’est acquise que dans la mesure où l’assureur-crédit conserve à sa charge, pour chaque risque réassuré, une part minimale de risque et où la quotité garantie par l’assureur-crédit est au maximum de 80 % du risque correspondant ». Enfin, pour chaque catégorie de garantie, les opérations effectuées par la CCR et bénéficiant de la garantie de l’État font l’objet d’un traitement comptable spécifique (art. 6 et 7). En particulier, le bilan de la CCR comporte un compte de réserve spéciale correspondant aux opérations bénéficiant de la garantie de l’État.

Auteur d'origine: Delpech

La possibilité, pour une personne de nationalité étrangère, d’exercer une activité professionnelle en France afin notamment d’y créer une entreprise a longtemps obéi à des conditions restrictives. En témoigne l’intitulé du texte qui a pendant longtemps régi l’activité commerciale des étrangers en France – et qui exigeait la détention d’une « carte de commerçant étranger » : le décret-loi du 17 juin 1938 tendant à assurer la protection du commerçant français. Ce régime malthusien – dont la France n’avait nullement le monopole – a été assoupli au fil des réformes, les ressortissants étrangers, à tout le moins les plus qualifiés d’entre eux, étant aujourd’hui considérés moins comme des concurrents des travailleurs nationaux que comme des créateurs de richesse potentielle.

Signe de ce libéralisme, le dispositif de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport-talent », institué par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et modifié par la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb. Cette carte a elle-même remplacé la carte « compétence et talents », mais l’esprit demeure : accueillir les étrangers susceptibles de contribuer au développement ou au rayonnement de la France, en leur permettant d’exercer sur notre sol une activité professionnelle (CESEDA, art. L. 313-20). Ce titre de séjour peut être délivré aux personnes remplissant certains critères d’ordre professionnel (salarié occupant un emploi hautement qualifié ou détenteur d’un diplôme au moins équivalent au grade de master, chercheur, etc.). Il est également ouvert, sous certaines conditions, aux créateurs d’entreprise.

Ce titre peut également être délivré aux étrangers recrutés par des entreprises visées à l’article 44 sexies-0 A du code général des impôts au statut de jeune entreprise innovante (JEI) ou encore, depuis le 1er mars 2019 et en application de loi du 10 septembre 2018 (art. 40 ; CESEDA, art. L. 313-20, 1°, mod.) « dans une entreprise innovante reconnue par un organisme public suivant des critères définis par décret et dont la liste est publiée par le gouvernement ». Dans un cas comme dans l’autre, le ressortissant étranger doit être recruté « pour exercer des fonctions en lien avec le projet de recherche et de développement de cette entreprise ».

Le décret d’application n° 2019-152 du 28 février 2019 de la loi de 2018 avait précisé, au nouvel article D. 313-45-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les critères permettant de qualifier une entreprise innovante au sens du 1° de l’article L. 313-20 du code précité. Ce décret avait fixé trois critères alternatifs : 1° L’entreprise est ou a été bénéficiaire au cours des cinq dernières années d’un soutien public à l’innovation figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’économie ; 2° Le capital de l’entreprise est pour partie détenu par une personne morale ou un fonds d’investissement alternatif ayant pour objet principal de financer ou d’investir dans des entreprises innovantes et dont les titres ne sont pas cotés. La liste de ces personnes morales et fonds d’investissement est fixée par arrêté du ministre chargé de l’économie ; 3° L’entreprise est ou a été accompagnée au cours des cinq dernières années par une structure d’accompagnement dédiée aux entreprises innovantes.

Un décret du 20 mars 2020, d’application immédiate, simplifie et élargit le deuxième critère visé à l’article D. 313-45-1, procédant ainsi à la réécriture du 2° de cet article. Il supprime la fixation par arrêté de la liste des structures d’investissement. Il élargit le champ des financements pris en compte en y incluant les fonds étrangers, en remplaçant les notions de personne morale ou fonds d’investissement par celle d’entité d’investissement et en supprimant le critère relatif aux titres non cotés. Désormais, ce critère rénové est défini comme suit : « Le capital de l’entreprise est ou a été au cours des cinq dernières années en totalité ou pour partie détenu par une entité d’investissement ayant pour objet principal de financer ou d’investir dans des entreprises innovantes ».

Auteur d'origine: Delpech
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On connaît l’importance du contentieux relatif aux sanctions en matière de taux d’intérêt, notamment quant à l’année sur la base de laquelle est calculé ce taux. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 11 mars 2020 permet de revenir sur cette question. En l’espèce, suivant offre acceptée le 6 février 2014, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs trois prêts immobiliers. Reprochant à la banque d’avoir calculé les intérêts des prêts sur la base d’une année de trois cent soixante jours, les emprunteurs l’ont assignée en annulation des stipulations de l’intérêt conventionnel et substitution de l’intérêt légal.

La cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt du 13 septembre 2018, après avoir relevé que l’offre de prêt méconnaissait la règle imposant de calculer le taux d’intérêt conventionnel sur la base de l’année civile, a annulé la clause stipulant l’intérêt conventionnel et ordonné la substitution de l’intérêt légal. L’arrêt est censuré, au visa des articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation, le premier de ces textes dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et l’article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : la Cour e cassation rappelle qu’« il résulte de ces textes que la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33 du même code, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale » et en conclut qu’« en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés ».

La solution est parfaitement justifiée : si la référence à l’année de trois cent soixante jours, dite lombarde, est admise dans les rapports entre professionnels, du moins s’agissant du taux d’intérêt conventionnel (Com. 4 juill. 2018, n° 17-10.349, D. 2018. 1484 ; ibid. 2019. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJDI 2019. 219 , obs. J. Moreau , « si, dans un prêt consenti à un professionnel, les parties peuvent convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base que l’année civile, le taux effectif global doit être calculé sur la base de l’année civile ; qu’il appartient à l’emprunteur, qui invoque l’irrégularité du taux effectif global mentionné dans l’acte de prêt, en ce qu’il aurait été calculé sur la base d’une année de 360 et non de 365 jours, de le démontrer »), elle est en revanche prohibée dans les rapports entre professionnels et consommateurs, l’ancien article R. 313-1 du code de la consommation (devenu art. R. 314-2 après décr. du 29 juin 2016), visé par la Cour, faisant référence à l’année civile (v. à ce sujet, D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 244 et 245 ; v. égal. G. Biardeaud, Rejet de l’année lombarde : une dérive inquiétante, D. 2017. 116 ; J. Lasserre Capdeville, Interrogations autour du recours au « diviseur 360 » pour les crédits aux consommateurs, JCP E 2017. 1496 ; C. Lèguevaques, L’année lombarde et les banques. Entre faute lucrative et risque systémique diffus, LPA 4 oct. 2017, p. 6). Et l’ancien article L. 312-33 in fine du code de la consommation (devenu art. L. 341-34 à la faveur de l’ord. du 14 mars 2016) prévoyait qu’en cas de violation de l’ancien article L. 312-8 du même code (devenu art. L. 313-25), imposant notamment la mention du taux d’intérêt dans l’offre de prêt, « le prêteur ou le bailleur pourra en outre être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ».

Certes, la jurisprudence appliquait la sanction de la substitution du taux légal au taux conventionnel, mais seulement lorsque la référence à l’année lombarde figurait au sein du contrat (v. par ex. Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-16.651, Sté Compagnie européenne de garanties et de cautions, Dalloz actuallité, 1er juill. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 2084, obs. V. Avena-Robardet , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2013. 770 , obs. B. Wertenschlag, O. Poindron et J. Moreau , considérant, au visa de l’art. 1907, al. 2, du code civil, et des anciens articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation « qu’en application combinée de ces textes, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile » : v. égal. Civ. 1re, 17 juin 2015, n° 14-14.326, Augé c. Crédit mutuel de Saint-Martin, Dalloz actualité, 10 juill. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 1365 ; AJDI 2015. 784 ; comp. Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-19.097, Dalloz actualité, 6 déc. 2019, obs. J.-D. Pellier, D. 2019. 2292 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 32, obs. J. Moreau ; ayant considéré, au visa de l’article 1907 du code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, ces trois derniers textes dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : « l’emprunteur doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer que ceux-ci ont été calculés sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours et que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ; v. égal. Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 17-27.621, Dalloz actualité, 29 juill. 2019, obs. J.-D. Pellier, D. 2019. 1445 ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 856, obs. H. Barbier ; ayant refusé d’appliquer la sanction en l’absence de préjudice pour l’emprunteur : « la cour d’appel ayant relevé que le rapport d’expertise amiable produit par les emprunteurs, dont elle a souverainement apprécié la valeur et la portée, établissait que le calcul des intérêts conventionnels sur la base, non pas de l’année civile mais de celle d’une année de trois cent soixante jours, avait eu pour effet de minorer le montant de ces intérêts, de sorte que l’application de la clause litigieuse ne venait pas à leur détriment »). Les juges du fond avait donc, en l’occurrence, confondu la sanction du taux erroné dans le contrat avec celle du taux erroné dans l’offre de prêt. Il est vrai que cette distinction est incohérente et source de confusion.

Le législateur a certes réglé cette question s’agissant du taux effectif global en adoptant l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, ayant posé le principe selon lequel, « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur » (C. consom., art. L. 341-48-1, al. 1er ; v. égal. art. L. 341-34, al. 2, concernant l’offre de prêt immobilier ; v. à ce sujet J.-D. Pellier, L’harmonisation des sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, CCC déc. 2019, Focus 43). Mais cette ordonnance ne concerne que le taux effectif global et non le taux d’intérêt conventionnel. On peut donc douter du fait que ladite ordonnance permette de canaliser le contentieux relatif au taux d’intérêt (comp. D. Legeais, La fin du contentieux relatif au TEG ! RDBF sept. 2019, repère 5). Affaire à suivre…

Auteur d'origine: jdpellier
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Par un arrêt du 17 décembre 2019, la cour d’appel de Paris s’est penchée, pour une rare fois, sur le défaut d’impartialité d’un tribunal arbitral. En effet, les demandeurs à l’annulation invoquent moins souvent cette exigence pour contester la régularité de la composition d’un tribunal, que son presque-frère jumeau, le défaut d’indépendance. Ces deux garanties essentielles à la bonne administration de la justice et indispensables à la nécessaire confiance que celle-ci doit inspirer, ainsi qu’aux droits de la défense, ne se confondent pas tout à fait. Comme le souligne la doctrine, tandis que l’indépendance est « comprise comme supposant l’absence de lien matériel ou intellectuel caractérisant une situation de nature à affecter le jugement de l’arbitre et constituant un risque de prévention à l’égard de l’une des parties », l’impartialité d’un arbitre suppose qu’il soit « dépourvu de préjugés » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2019, Montchrestien/Lextenso éditions, § 229 s., en part. § 229 et 232).

Si cette question de l’impartialité présente une certaine originalité, les faits à l’origine du litige sont quant à eux classiques : il s’agissait d’un différend en lien avec la fixation du prix d’une cession d’actions par un collège d’experts, en application de l’article 1592 du code civil. Les parties à l’arbitrage avaient conclu un pacte d’actionnaires contenant une option de vente. Les sociétés qui en étaient bénéficiaires ont exercé cette option mais, faute de s’accorder sur le prix de la cession, les parties ont dû convenir d’un protocole d’expertise, désignant un collège de « Banques Experts ». Ce dernier a fixé le prix à dire d’expert. Or les cessionnaires, qui estimaient ce prix erroné, ont refusé de procéder à la vente. Les cédants ont alors saisi le juge des référés et ont obtenu de celui-ci qu’il prononce la vente forcée des actions.

En réponse, les cessionnaires ont engagé une procédure arbitrale, sous l’égide de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), alléguant que les Banques Experts auraient commis une erreur grossière de nature à priver leur décision de force obligatoire. Dans sa sentence, le tribunal arbitral a rejeté l’ensemble des demandes formulées par les demanderesses. Considérant que le tribunal arbitral était irrégulièrement constitué, celles-ci ont formé un recours en annulation sur le fondement de l’article 1492, 2°, du code de procédure civile.

Elles considéraient que le tribunal arbitral avait adopté un comportement contradictoire, manifestant ainsi un défaut d’impartialité. Elles estimaient plus précisément que les arbitres avaient, au cours de la procédure, été convaincus de l’existence d’un rapport motivé des conclusions des Banques Experts, dont ils avaient ensuite nié l’existence dans la sentence, occultant ainsi un élément de fait déterminant. C’est cette prétendue contradiction entre ces deux positions qui apportait, selon elles, la preuve du défaut d’impartialité du tribunal.

Les demanderesses estimaient également que le tribunal souffrait d’un défaut d’impartialité car l’arbitre nommé par les défenderesses publiait et partageait régulièrement des activités avec un avocat, dans un premier temps désigné comme arbitre par les défenderesses, avant de finalement se déporter. Les demanderesses considéraient que les sociétés défenderesses ayant procédé à ces deux nominations successives s’étaient de ce fait « comportées comme si elles n’acceptaient pas d’être soumises à la décision d’arbitres susceptibles d’échapper à leur influence ».

La décision commentée offre à la cour d’appel l’occasion de juger si un comportement contradictoire adopté par un tribunal arbitral en cours de procédure peut caractériser un défaut d’impartialité. Elle permet également de considérer la question des publications conjointes et la participation commune à un congrès d’un des membres du tribunal et d’un avocat pressenti pour être nommé arbitre par la même partie, au regard, toujours, de l’exigence d’impartialité.

À la première question, la réponse est affirmative en principe, bien que la demanderesse au recours doive néanmoins apporter des faits précis et vérifiables au soutien de son allégation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. À la seconde question, la réponse est négative. En conséquence, après avoir rappelé le principe selon lequel « l’indépendance d’esprit est indispensable à l’exercice du pouvoir juridictionnel, quel qu’en soit la source, et constitue l’une des qualités essentielles de l’arbitre qui assure à chaque partie un traitement égal », le juge de l’annulation a rejeté le recours.

La cour inscrit son analyse dans une démarche objective, puisque c’est d’un point de vue objectif qu’elle recherche l’existence d’une marque manifeste de parti pris. Prudente, elle ne se laisse toutefois pas embarquer sur le terrain de la révision au fond de la sentence, et considère que, « sous couvert du grief non fondé de violation de l’article 1492, 2°, du code de procédure civile, les demanderesses critiquent en réalité au fond la motivation de la sentence et ne tendent qu’à en obtenir la révision ».

Cette conclusion repose sur trois arguments développés successivement. Tout d’abord, le juge de l’annulation estime qu’il ne ressort ni de l’ordonnance de procédure ni des déclarations du président à l’audience que le tribunal « ait tenu comme établi que ces banques avaient rédigé un rapport de fin de mission ou tout autre document écrit contenant la motivation de leurs conclusions ». Le premier élément de fait sur lequel se fondaient les demanderesses pour établir le défaut d’impartialité est ainsi écarté.

Ensuite, la cour refuse de considérer comme une preuve de partialité du tribunal le fait que ce dernier ait, au stade de l’examen des demandes de production de documents, affirmé que la production du rapport sollicitée était appropriée pour la résolution du litige, puis ait, dans sa sentence, estimé que les Banques Experts n’avaient « ni dissimulé l’absence d’un tel rapport ni fait accroire à son existence ». Au contraire, la cour retient que les parties ont renoncé à la motivation de la décision des experts, en application de l’ancien article 1156 du code civil, et que ces derniers n’ont jamais affirmé qu’un rapport de motivation existait, mais se sont simplement bornés à invoquer la clause de confidentialité du protocole d’expertise. La cour estime également que le comportement des experts confirme que les parties ont renoncé à leur obligation de motivation de leur décision.

Enfin, la cour écarte le dernier argument soulevé par les demanderesses tenant à la composition du tribunal. Elle y répond que « la seule circonstance qu’un arbitre, désigné par une partie à l’instance arbitrale, ait participé, au cours de la procédure arbitrale, à un congrès en même temps qu’un précédent arbitre désigné par la même partie qui avait décliné sa désignation » n’engendre aucun doute sur l’impartialité de cet arbitre ni sur celle du tribunal.

En dépit du rejet du recours en annulation, la décision de la cour d’appel mérite l’attention puisqu’elle est l’occasion de suivre son analyse sur l’exigence d’impartialité, d’ordinaire assez peu débattue. Il est vrai qu’en la matière, la barre est haute, puisque le demandeur à l’annulation doit rapporter la preuve qu’il existe « des faits précis et vérifiables de nature à faire naître un doute raisonnable sur cette impartialité », ce qui est sans doute de nature à décourager les plaideurs.

L’une des questions qui se posent est évidemment celle de la matérialisation de la partialité du juge ou du tribunal, puisque le système judiciaire dans son ensemble repose sur la présomption d’impartialité des personnes qui sont amenées – quelle que soit la source de ce pouvoir – à exercer une mission juridictionnelle. Cette condition élémentaire pour le bon fonctionnement de la justice est d’ailleurs souvent rappelée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), au visa de l’article 6 de la Convention européenne (CEDH 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et de Meyere c. Belgique, nos 6878/75 et 7238/75, § 58, Gaz. Pal. 1981. 2. 775, note G. Delamarre ; 15 oct. 2009, Micallef c. Malte, n° 17056/06, § 94, AJDA 2010. 997, chron. J.-F. Flauss ; RTD civ. 2010. 285, obs. J.-P. Marguénaud ; 13 nov. 2007, Driza c. Albanie, n° 33771/02, § 75, Dalloz jurisprudence).

En l’espèce, la cour d’appel n’exclut pas que le comportement contradictoire d’un tribunal arbitral, révélé lors de la publication de la motivation de la décision, puisse constituer un fait précis et vérifiable de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’impartialité de ce tribunal. Ce faisant, la cour d’appel s’aligne sur la jurisprudence française et européenne relative à l’impartialité des tribunaux étatiques.

Ainsi, il a été jugé qu’un tribunal faisait peser un doute sur sa propre impartialité lorsqu’il traitait les écritures des parties selon des modalités différentes, en se contentant de simplement viser les écritures d’une partie, tout en citant sur plusieurs pages les écritures de l’autre (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-22.056, Dalloz actualité, 28 janv. 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 24 ) ou encore s’il reproduisait dans sa motivation tous les points de conclusion d’une seule des parties à l’exclusion de l’autre (Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-18.029, Procédures 2010, n° 15, note B. Rolland). Il a également été jugé qu’une juridiction incapable de déterminer la composition réelle du tribunal lors du délibéré méconnaissait le droit à un juge impartial (Douai, ch. 2, sect. 2, 2 juill. 2015, n° 15/02762, C. Delattre, Impartialité : pierre angulaire du procès équitable, Bulletin Joly Entreprises en difficulté, n° 6, p. 369).

De la même façon, la Cour de cassation a annulé à plusieurs reprises des décisions de juges du fond – étatiques – qui avaient eu recours à des termes injurieux à l’égard d’une partie pour motiver leur décision (Soc. 8 avr. 2014, n° 13-10.209, D. 2014. 935 ; JCP S 2014. 1316, obs. S. Brissy ; 23 oct. 2013, n° 12-16.840, Procédures 2014. Comm. 13, obs. A. Bugada ; Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 04-20.524, D. 2006. 2346 ; ibid. 2007. 896, chron. V. Vigneau ; AJDI 2006. 932 , obs. F. Bérenger ; JCP 2006. II. 10189, note R. Kessous ; Procédures 2006. Comm. 227, note R. Perrot). Les propos et comportements injurieux ou véhéments ne sont toutefois pas l’apanage des juges français, la CEDH ayant également condamné des États dont les juges avaient témoigné de l’hostilité envers l’une des parties dans des articles de presse (CEDH 16 sept. 1999, Italie c. Buscemi, n° 29569/95, § 67-68, D. 2000. 184 , obs. N. Fricero ; RTD civ. 2000. 618, obs. J. Normand ), ou qui s’étaient montrés menaçants et insultants envers une partie au cours de l’audience (CEDH 22 nov. 2019, Deli c. République de Moldova, n° 42010/06, Dalloz actualité, 20 nov. 2019, obs. M. Kebir).

Dans son analyse de la réalité du défaut d’impartialité des arbitres, la cour d’appel adopte toutefois en l’espèce une analyse pointilleuse des faits présentés comme démontrant le parti pris. Cette approche est conforme à d’anciennes décisions rendues en matière d’arbitrage, qui semblent être plus strictes que celle retenue par le droit français à l’égard des juges étatiques. Il a été ainsi jugé qu’une sentence ne devait pas être annulée pour défaut d’impartialité du tribunal s’il n’était pas démontré ce en quoi le comportement des arbitres manifestait une hostilité systématique ou véhémente, ou un parti pris propre à faire présumer de la part de l’arbitre un préjugé à l’encontre de l’une des parties (TGI Paris, ord. réf., 28 oct. 1988, Société Drexel Burnham Lambert limited et a. c. société Philipp Brothers et a., Rev. arb. 1990. 497).

Cette approche stricte fait écho aux difficultés qu’il y a à établir la preuve de l’impartialité d’un arbitre dans le cadre d’une récusation, puisque les rares exemples disponibles font état de situations extrêmes, à l’instar d’un arbitre ayant tenu des propos racistes stigmatisant les ressortissants de la nationalité d’une des parties à l’arbitrage (G. B. Born, « Chapter 12 : Selection, Challenge and Replacement of Arbitrators in International Arbitration », International Commercial Arbitration, 2e éd., Kluwer Law International, 2014, p. 1878).

Si la décision de la cour d’appel est bienvenue, la marque du parti pris du tribunal étant difficilement perceptible dans la motivation de la sentence, la justification aurait pu être plus précise.

L’utilisation par la cour d’appel de la formule « indépendance d’esprit » est notamment sujette à critique. La Cour de cassation l’a utilisée pour la première fois il y a un demi-siècle à une époque où l’arbitrage n’était pas ce qu’il est depuis devenu, pour annuler une convention d’arbitrage pour vice du consentement de la partie qui ignorait « une circonstance de nature à porter atteinte à cette qualité » (Civ. 2e, 13 avr. 1972, n° 70-12.774, Gaz. Pal. 1972. II. 17189, note P. Level). Cette formule est classique en jurisprudence, et bien qu’ayant disparu pendant un temps, elle semble aujourd’hui garder les faveurs des juges (C. Jarrosson, Remarques sur la preuve de l’absence d’indépendance de l’arbitre, à propos d’une affaire pittoresque, note sous Paris, pôle 1, ch. 1, 21 févr. 2012, Rev. arb. 2012. 595 s.).

Or la référence qui y est faite dans le contexte de la recherche d’un parti pris des arbitres est de nature à laisser subsister une confusion entre la notion d’indépendance des arbitres et celle, distincte, d’impartialité. En effet, s’il est logique qu’elles puissent être analysées conjointement puisqu’elles relèvent du même grief d’annulation, ces deux exigences doivent être distinguées afin de ne pas causer une confusion entre conflits d’intérêts et préjugés. La cour aurait pu se contenter de confirmer que la décision des arbitres était exclusivement fondée sur leur analyse de la valeur des arguments présentés par les parties, et non sur des préjugés ou un parti pris (P. Mayer, « Réflexions sur l’exigence d’indépendance de l’arbitre », in N. Ziadé (dir.), Festschrift Ahmed Sadek El-Kosheri, Kluwer Law international, 2015, p. 85-90).

Cette confusion est également entretenue par la réponse de la cour d’appel à l’argument tenant à la composition du tribunal, qu’elle a rejeté au motif que la participation commune à un congrès par l’arbitre désigné et un avocat pressenti préalablement pour cette même désignation n’était pas de nature à révéler un défaut d’impartialité.

S’il est vrai que les demanderesses ne pouvaient espérer obtenir l’annulation de la sentence sur ce fondement, la cour d’appel aurait gagné à préciser son raisonnement. Elle semble, en effet, restreindre la question à l’existence d’un conflit d’intérêts, se plaçant ainsi à tort sur le terrain de l’indépendance, alors que cette question aurait dû se poser également sous l’angle de l’impartialité en recherchant si la composition du tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à d’éventuels partis pris de ses membres.

Ainsi, la cour aurait pu expliquer en quoi la circonstance évoquée par les demanderesses n’est objectivement pas, à elle seule, de nature à faire naître un doute quant à l’impartialité de l’arbitre finalement désigné ni de l’entier tribunal. L’argument présenté par les demanderesses semblait à tout le moins l’y inciter, puisque ces dernières visaient la nomination par les défenderesses d’un arbitre qu’elles présentaient comme incapable, du fait de son état d’esprit, de prendre le contre-pied de la partie qui l’avait nommée. Il est objectivement difficile de comprendre qu’une telle conclusion puisse être tirée de la simple participation conjointe à des événements publics. Il est encore plus incompréhensible qu’une telle conclusion puisse s’étendre à l’entier tribunal.

En réalité, les demanderesses semblaient plus accuser la partie adverse de ne nommer que des personnes qu’elle estimait être à sa main que de reprocher un défaut d’impartialité du tribunal ou d’un de ses membres. Si ces deux notions sont liées, la formulation de l’argument était malheureuse puisque c’est bien le for intérieur de chacun des arbitres qui peut être sujet à un défaut d’impartialité, et non pas les objectifs de stratégies procédurales poursuivis par la partie qui le nomme.

Au surplus, la cour aurait pu simplement souligner qu’un tel argument n’était en rien lié à la reddition de la sentence et que les demanderesses, faute de l’avoir soulevé avant le recours, y avaient donc renoncé en application de l’article 1466 du code de procédure civile.

Les praticiens de l’arbitrage pourront également regretter que la cour ne soit pas allée plus loin en justifiant sa décision par la liberté du tribunal arbitral de conduire la procédure de manière souveraine, sous réserve que chaque partie ait eu la possibilité d’être suffisamment entendue, et que les arbitres n’aient pas préjugé des questions de droit et de faits qui lui sont soumises. Il est en effet admis que les arbitres ne peuvent émettre de conclusions sur ces questions avant la délibération et la publication de la sentence, faute de quoi il serait légitime pour les parties de considérer que le tribunal, ou l’un de ses membres, fait preuve d’un parti pris caractérisant un défaut d’impartialité. Un tel préjugement peut être exprimé lors de la rédaction de l’acte de mission, des ordonnances de procédure, des audiences ou à l’occasion de toute communication entre un tribunal et les parties.

Or, en l’espèce, le tribunal a permis à chacune des parties de s’exprimer dans le cadre des demandes de production de documents, avant de prendre une décision sur cette question. Il a ensuite évalué les arguments respectivement présentés par chacune des parties pour trancher, au fond, le différend qui lui était soumis. Rien n’indique qu’il ait préjugé d’une question de droit ou de fait soumise à son pouvoir juridictionnel et qu’il ait donc conduit l’arbitrage avec un parti pris qui puisse être objectivement qualifié de défaut d’impartialité.

En définitive, la décision du juge de l’annulation apparaît justifiée d’un point de vue factuel. Il pourra toutefois être regretté que la cour s’en soit tenue, sans doute par habitude, à une formule établie de longue date qui entretient une confusion entre deux exigences qu’il conviendrait de distinguer, à tout le moins au niveau théorique.

Auteur d'origine: Dargent

Parmi les instruments mis en place par les pouvoirs publics pour venir en aide aux entreprises frappées de plein fouet par la crise du covid-19 figure le fonds de solidarité pour les très petites entreprises. Il a été institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 (JO 26 mars) et son régime a été précisé quelques jours plus tard, par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 (JO 31 mars). Ce décret précise, outre le montant de l’aide (en principe limité à 1 500 € par entreprise ; décr. n° 2020-371, art. 3, al. 1er) et la procédure à suivre pour l’obtenir (art. 3, al. 2), les critères d’éligibilité à celle-ci (art. 1er et 2). Ce dispositif est ouvert, précise le décret, aux très petites entreprises (pour faire simple, le montant du chiffre d’affaires de leur dernier exercice doit être inférieur à un million d’euros et leur bénéfice imposable ne doit pas excéder 60 000 €) qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou qui «  ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ».

Seuil de perte de chiffre d’affaires

La question du seuil de perte de chiffres d’affaires a suscité une certaine cacophonie. En effet, avant même la publication du décret du 30 mars 2020, le site internet du ministère de l’économie faisait référence à une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % de chiffre d’affaires au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019, soit une solution nettement plus favorable pour les entreprises. Dans son point presse du 31 mars 2020, le ministre de l’économie et des finances annonce que le seuil de pertes de chiffres d’affaires conditionnant l’éligibilité à l’aide du fonds de solidarité allait effectivement passer à 50 %, mais sans préciser la base juridique pour y parvenir. Le doute a été levé le 1er avril par la Direction générale des finances publiques – laquelle est en charge de la gestion du fonds de solidarité – qui a annoncé sur son site internet la publication prochaine d’un décret modificatif portant le seuil d’éligibilité au fonds de solidarité à 50 %. C’est chose faite grâce à la publication au Journal officiel du 3 avril du décret modificatif n° 2020-394 du 2 avril 2020.

Situation de l’entreprise au regard des procédures collectives

Mais ce texte ne se contente en réalité pas de modifier à la baisse ce seuil. Il apporte une précision sur la déclaration sur l’honneur que doit remplir le demandeur de l’aide. Dans sa rédaction précédente, cette déclaration sur l’honneur devait attester que l’entreprise remplit les conditions d’éligibilité prévues par le décret du 30 mars 2020, l’exactitude des informations déclarées, « ainsi que la régularité de sa situation fiscale et sociale au 1er mars 2020 ». C’est cette dernière mention qui est remplacée par la mention suivante : l’entreprise doit désormais attester « l’absence de dette fiscale ou sociale impayée au 31 décembre 2019, à l’exception de celles bénéficiant d’un plan de règlement ». La formule, un peu énigmatique, paraît signifier que l’entreprise ayant un passif fiscal ou social et soumise à un plan de sauvegarde ou de redressement demeure éligible aux aides du fonds de solidarité. Elle contribue ainsi à lever une ambiguïté, mais sans parvenir pour autant à dissiper toute interrogation.

Les termes du débat méritent d’être exposés. Parmi les critères d’éligibilité à l’aide du fonds de solidarité, il en est un qui concerne la situation financière des entreprises : celle-ci ne doit pas avoir « déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 » (décr. n° 2020-371, art. 1er, 2°). La formulation est claire à première vue : a contrario, une entreprise sous le coup d’une procédure préventive (conciliation ou mandat ad hoc), voire de sauvegarde (l’entreprise sous sauvegarde n’est en principe pas en cessation des paiements) est éligibles aux aides du fonds. Qu’en est-il de l’entreprise une fois la période d’observation terminée et un plan de redressement (voire de sauvegarde) adopté ? N’est-elle pas redevenue in bonis ? Les professionnels du restructuring se sont bien entendu inquiétés d’une lecture trop restrictive du texte. L’Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC) a ainsi pris attache auprès du gouvernement afin d’obtenir une clarification. Ce dernier lui a apporté une réponse rassurante : une entreprise ne peut pas être éligible au dispositif si elle fait l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires), cette situation devant être appréciée à la date de publication de la loi du 23 mars 2020, soit le 24 mars 2020. En outre, ajoute le gouvernement, ce critère ne vaut que jusqu’à « clôture de ladite procédure », ce qui doit être compris, précise le gouvernement « comme ayant pour conséquence de ne pas exclure une entreprise qui est en cours d’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement au 24 mars 2020 ; ces dernières sont donc bien éligibles au dispositif » (sur cette position du gouvernement, v. C. de Girval, « #Actu : Et les procédures collectives ? », maydaymag.fr, 31 mars 2020). Le décret du 2 avril 2020 fournit une base juridique à cette position du gouvernement, mais il paraît considérer que, pour une entreprise en plan soit bien éligible au dispositif, c’est à condition qu’elle soit grevée d’un passif fiscal ou social, pas, a contrario, si son passif est purement « privé » (dette bancaire ou fournisseur, en particulier). Il est douteux que telle soit la position du gouvernement, mais une lecture excessivement littérale du décret du 2 avril 2020 pourrait conduire à défendre ce point de vue. À quand la clarification de la clarification ?

Aide complémentaire

Le décret du 2 avril 2020 apporte une précision supplémentaire et, disons-le, opportune. Elle concerne l’aide complémentaire forfaitaire de 2 000 euros à laquelle les entreprises les plus fragiles (concrètement celles qui emploient au moins un salarié, qui se trouvent dans l’impossibilité de régler leurs dettes à trente jours et qui se sont vu refuser un prêt de trésorerie par leur banque) peuvent prétendre. Celle-ci est versée par les collectivités locales, en principe par les régions. Ce sont également ces collectivités « qui instruisent la demande et examinent en particulier le caractère raisonnable du montant du prêt refusé, le risque de cessation des paiements et son lien avec le refus de prêt » (décr. n° 2020-371, art. 4). Le décret du 2 avril 2020 vient compléter l’article 4 du décret du 30 mars 2020 en apportant la précision suivante afin de préserver le secret fiscal de l’entreprise qui sollicite une aide complémentaire : « Des échanges de données sont opérés, dans le respect du secret fiscal, entre l’administration fiscale et les services chargés de l’instruction et de l’ordonnancement de l’aide complémentaire prévue au présent article, pour leur permettre d’instruire les demandes et de verser l’aide complémentaire ».

Auteur d'origine: Delpech

L’ordonnance précitée, que nous avons précédemment commentée (Dalloz actualité, 30 mars 2020, obs. A. Confino ), renvoyait pour son application à un décret qui devait déterminer notamment les seuils d’effectifs et de chiffres d’affaires des personnes concernées, ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire.

Elle réservait le bénéficie de ses dispositions aux « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée » et (sous réserve de la production d’une attestation de l’un des mandataires de justice) à « celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

Le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020

C’est en application de cette dernière ordonnance (n° 2020-317) qu’a été pris le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 « relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation ».

La lecture de ce texte ne fait que confirmer la complexité des conditions d’éligibilité au dispositif d’aide, que l’ordonnance permettait de préfigurer.

En substance, seules peuvent en bénéficier les entreprises qui remplissent :

• pas moins de neuf conditions cumulatives d’éligibilité relatives à leur niveau d’activité d’avant la crise (énumérées à l’art. 1er à la lecture duquel on renverra ) ; en sont notamment exclues celles qui n’ont pas déposé de déclaration de cessation des paiements au 1er mars 2020 et ne sont pas, au 31 décembre 2019, en difficulté « au sens de l’article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité ».

• et une condition alternative liée à la crise : avoir fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou avoir subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 (art. 2).

Sous réserve d’avoir passé ce premier filtrage sévère, les entreprises concernées pourront prétendre à une subvention d’un montant forfaitaire de… 1 500 € si la perte de leur chiffre d’affaires au mois de mars 2020 était égale ou supérieure à ce même montant, ou d’un montant égal à leur perte réelle inférieure à 1 500 € (art. 3).

Cette perte doit être calculée par rapport au chiffre d’affaires du mois de mars 2019 ou, corrigeant sur ce point une lacune que nous avions critiquée, au chiffre d’affaires mensuel moyen jusqu’au 29 février 2020 des entreprises créées après le 1er mars 2019, ou des personnes physiques ayant bénéficié au cours du mois de mars 2019 d’un congé pour maladie, accident du travail ou maternité.

La demande d’aide doit être formulée par voie dématérialisée au plus tard le 30 avril 2020, et devra être accompagnée notamment d’une déclaration sur l’honneur d’exactitude des informations fournies, de régularité de la situation fiscale et sociale et d’une estimation du chiffre d’affaires perdu.

Enfin, à condition d’avoir bénéficié de l’aide précitée, d’employer au moins un salarié en contrat à durée indéterminée, de justifier de leur impossibilité de régler leurs dettes exigibles dans les trente jours suivants et d’avoir vainement demandé une aide de trésorerie à leur banque, les mêmes entreprises pourraient bénéficier d’une aide complémentaire de 2 000 € en en faisant la demande au plus tard le 31 mai 2020, accompagnée ici encore d’une déclaration sur l’honneur, de justificatifs de leur situation financière et bancaire et d’un plan de trésorerie à 30 jours démontrant le risque de cessation des paiements… 

Ouf, est-on tenté d’ajouter !

Le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 

Pris en application de l’ordonnance n° 2020-316, le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 est « relatif au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 », reprenant ainsi mot pour mot le titre de l’ordonnance.

C’est là que se produit l’articulation avec le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 – mais avec un gros « bémol » : les bénéficiaires de l’ordonnance « loyers et factures d’énergie » ne sont plus exactement les mêmes que ceux qui peuvent bénéficier du fonds de solidarité !

« Peuvent bénéficier des dispositions des articles 2 à 4 de l’ordonnance n° 2020-316 susvisée les personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique, remplissant les conditions et critères définis aux 1° et 3° à 8° de l’article 1er et aux 1° et 2° de l’article 2 du décret n° 2020-371 susvisé. »

La neutralisation des sanctions pour non-paiement des loyers et le report de paiement des factures d’énergie sont désormais réservés :

• aux entreprises appartenant à la liste de celles qui sont éligibles au fonds de solidarité (v. supra, art. 1er du décr. n° 2020-371 du 30 mars 2020) mais sans exclure cette fois les entreprises en cessation des paiements déclarée ou en difficulté au sens du règlement UE précité ;

• et qui remplissent les deux conditions visées à l’article 2 du décret n° 2020-371 : interdiction d’ouverture au public et perte de 70 % au moins de leur chiffre d’affaires au mois de mars 2020. La condition alternative pour l’accès au fonds de solidarité est devenue une condition cumulative pour le bénéfice de la suspension des sanctions pour non-paiement des loyers et du report des factures d’énergie.

« Déprotection » des petites entreprises

Indépendamment du parcours du combattant imposé aux petites entreprises particulièrement affectées par la crise sanitaire pour qu’elles espèrent obtenir jusqu’à 1 500 € d’aide (et peut-être encore plus difficilement 2 000 € supplémentaires) en « compensation » de la perte de leur chiffre d’affaires, les locataires de locaux commerciaux qui peuvent bénéficier de la neutralisation des sanctions pour non-paiement de leur loyer ou d’un report de paiement de leurs factures d’énergie sont désormais encore moins nombreux !

En les obligeant à démontrer une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 70 % sur le mois de mars (soit depuis l’arrêté de fermeture au public donc de facto, pour l’essentiel, sur une période de quinze jours, ce qui aurait beaucoup plus logiquement justifié 50 % – le Gouvernement a d’ailleurs procédé à une rectification en ce sens : v. Décr. n° 2020-394 du 2 avr. 2020, art. 1er, JO 3 avr.), on « déprotège » ainsi la plupart des petites entreprises concernées des sanctions précitées et on les prive du report des factures d’énergie.

On est de plus en plus loin de la suspension du paiement des loyers annoncée par la parole présidentielle du 16 mars… 

Au final, la quasi-totalité des commerçants de notre pays, locataires de locaux dont la fermeture au public a été ordonnée, est aujourd’hui exposée, sans « texte-barrière », à des sanctions pour non-paiement de leurs loyers et charges.

On aura prochainement l’occasion d’exposer les outils offerts aux parties par le droit commun des contrats.

Mais l’on veut croire que dans une période aussi dramatique, la plupart des bailleurs et des preneurs saura faire preuve du solidarisme contractuel cher à Demogue.

Auteur d'origine: Rouquet

Les mesures sanitaires prises pour enrayer la prolifération du Coronavirus se sont traduites pour les entreprises par l’arrêt ou la réduction de leur activité. Les actions gouvernementales destinées à soutenir les entreprises sur le plan économique, financier et social ont rapidement montré leurs limites (pour les différentes mesures, v. L’activité de votre entreprise est impactée par le Coronavirus Covid-19, 27 mars 2020  ; Une entreprise peut ne pas être éligible aux prêts aidés/garantis par l’État (Bpi France) lorsqu’elle est « en difficulté » au sens de la législation européenne, v. Circ. n° 6060/SG du 5 févr. 2019 sur l’application des règles européennes de concurrence relatives aux aides publiques et aux activités économiques, ). La nécessité d’un traitement judiciaire – au mieux préventif – mais spécifique au contexte sanitaire et à l’urgence économique s’est rapidement imposée (F.-X. Lucas, Le droit de la faillite à l’épreuve de la crise sanitaire, 26 mars 2020). C’est dans ce contexte qu’est parue l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale. Plusieurs dispositions du Livre VI du code de commerce sont ainsi adaptées au contexte de la crise sanitaire définie par la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, JO 24 mars. L’article 22 de la loi dispose qu’elle « entrera en vigueur immédiatement ». L’État d’urgence sanitaire débute donc le 24 mars 2020 pour une durée initiale de deux mois, selon l’article 4 de cette loi). L’ordonnance adapte d’abord des règles pour l’ouverture des procédures ; règles applicables aux tribunaux et aux organes de la procédure dès le premier jour ouvré suivant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, à savoir le lundi 30 mars 2020 (I). Elle adapte également les règles applicables aux procédures en cours en prolongeant les délais de procédure et les plans (II).

I - L’adaptation des règles applicables à l’ouverture de la procédure

A - L’ouverture d’une procédure collective ou de conciliation

Il ressort des dispositions de l’ordonnance qu’une entreprise (au sens large) ou une association peut demander l’ouverture d’une procédure de conciliation ou une procédure collective. Le rapport au président de la République précise que le débiteur « et lui seul » peut demander l’ouverture de la procédure, quelle qu’elle soit, ce qui écarte toute assignation par un créancier. La possibilité d’ouvrir une procédure a le mérite de clarifier la position gouvernementale dans le contexte d’urgence sanitaire puisque l’on pouvait douter de la possibilité d’ouvrir ces procédures après l’intervention Présidentielle du 12 mars 2020 annonçant qu’« aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ».

Afin de limiter les contraintes liées aux mesures sanitaires – impliquant principalement d’éviter les contacts –, l’ordonnance a simplifié la procédure d’ouverture en incitant le débiteur à ne pas comparaître devant le tribunal. Celui-ci peut en effet saisir la juridiction par une remise au greffe, et formuler ses prétentions et ses moyens par écrit sans se présenter à l’audience, en insérant la demande d’autorisation prévue à l’article 446-1, alinéa 2, du code de procédure civile. Le président du tribunal peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen. Dans le même esprit, les communications entre le greffe du tribunal, l’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire, ainsi qu’entre les organes de la procédure, sont également simplifiées puisqu’elles peuvent se faire par tout moyen conformément à l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020. D’ailleurs, l’article 7 de l’ordonnance permet de tenir les audiences grâce à un moyen de communication audiovisuelle, c’est-à-dire par visioconférence et, en cas d’impossibilité technique ou matérielle d’y recourir, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique (V. Circ. 26 mars 2020 de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété). Ces règles dérogatoires s’appliquent jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

B - La fixation légale de l’état de cessation des paiements

L’ordonnance précise que « l’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 », date qui correspond à la survenance de la crise (art. 1er, I, 1°). Cette appréciation de la situation des entreprises s’appliquera jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020. Cette date est également celle retenue en matière agricole pour apprécier l’état de cessation des paiements lorsque l’accord conclu dans le cadre de la procédure de règlement amiable n’y a pas mis fin. Toutefois, l’ordonnance laisse ici en suspens les demandes de redressement judiciaire déposées avant le 12 mars 2020 et non instruites par la juridiction avant le 12 mars 2020. Si l’hypothèse est peu probable pour les juridictions consulaires qui tiennent des audiences hebdomadaires, elle mérite d’être soulevée pour les tribunaux judiciaires qui font face à des délais d’instruction des demandes de redressement plus longs et peuvent avoir à connaître des déclarations de cessation des paiements déposées avant le 12 mars 2020.

La fixation légale de la date de cessation des paiements présente plusieurs intérêts. Le premier relève de la prévention : les entreprises peuvent bénéficier des mesures ou procédures préventives telles que la procédure de conciliation ou la procédure de sauvegarde, même si elles sont en état de cessation des paiements après le 12 mars et pendant la période correspondant à l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois. En matière agricole, l’article 3 de l’ordonnance précise que l’aggravation de la situation du débiteur à compter du 12 mars 2020, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, ne peut faire obstacle à la désignation d’un conciliateur dans le cadre de la procédure de règlement amiable.

Le deuxième intérêt de la fixation légale réside dans l’accélération du processus de garantie des salaires en permettant au mandataire judiciaire d’envoyer « sans délai » les créances salariales dès l’ouverture de la procédure, et de déclencher le versement des sommes par l’organisme de garantie des salaires (AGS ; art. 1er, I, 2°). L’ordonnance reste toutefois silencieuse sur les formalités de recueil des observations du représentant du personnel par le mandataire judiciaire. Certes, l’AGS a momentanément adapté ses règles et prévoit de procéder au paiement de créances des salariés des entreprises en difficulté sur simple demande et sous la responsabilité des mandataires judiciaires, sans vérification a priori des exigences légales (AGS, COVID19 : l’AGS prend des mesures exceptionnelles pour soutenir les entreprises en difficulté, Communiqué de presse du 19 mars 2020, ), mais il aurait été utile que l’ordonnance affranchisse le mandataire judiciaire d’avoir à solliciter le représentant des salariés. En tout état de cause, la présentation des relevés de créances salariales se fait toujours sous la responsabilité du mandataire de justice qui veillera, dans un contexte encore plus contraint qu’habituellement, à fournir des informations vérifiées.

Le troisième intérêt concerne le débiteur personne physique ou le dirigeant de la société débitrice puisque la fixation légale de la date d’état de cessation des paiements évite de l’exposer à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement l’état de cessation des paiements. Le rapport au président de la République l’énonce clairement : « La fixation au 12 mars 2020 de la date d’appréciation de l’état de cessation des paiements ne peut être conçue que dans l’intérêt du débiteur ». L’ordonnance a toutefois réservé les modalités de report prévues à l’article L. 631-8 du code de commerce, relatif aux nullités de la période suspecte afin d’éviter toute fraude aux droits des créanciers.

II - La prolongation des procédures et des plans

A - La prolongation de la procédure de conciliation

Afin de favoriser les procédures amiables, l’ordonnance prévoit que la durée de la conciliation est prolongée de plein droit de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (art. 1er, II). Cette mesure inscrit un principe de réalité lié au risque d’inertie des négociations avec les créanciers pendant la période couverte par la loi d’urgence, et aux difficultés auxquelles le débiteur et le conciliateur seront confrontés pour reprendre les négociations à l’issue de cette période. Aussi, jusqu’à l’expiration du délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré, il sera également possible d’ouvrir une nouvelle procédure de conciliation sans respecter le délai de trois mois prévu à l’article L. 611-6 du code de commerce (art. 1er, II, in fine).

On peut peut-être ici regretter que l’ordonnance n’ait pas étendu cette disposition au mandat ad hoc en cours au 24 mars 2020, date d’application de la loi d’urgence (V. supra). En effet, l’ordonnance d’ouverture du mandat ad hoc peut prévoir une durée (par exemple 6 mois), durée qui peut être prorogée sur demande du mandataire ad hoc et sur ordonnance présidentielle. Il aurait été cohérent de prévoir la prorogation également pour le mandat ad hoc, ce qui aurait évité au mandataire ad hoc de présenter une requête au Président qui devra traiter des demandes plus urgentes.

B - La prolongation générale des délais de procédure pour les mandataires de justice

Le IV de l’article 1er de l’ordonnance permet au président du tribunal de prolonger les délais de procédure du Livre VI du code de commerce imposés à l’administrateur judiciaire, au mandataire judiciaire, au liquidateur ou au commissaire à l’exécution du plan, d’une durée équivalente à la durée de la période de l’état d’urgence sanitaire plus trois mois. La requête peut être formée jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Cette disposition permet une prorogation des délais habituels qui risquent de ne pas pouvoir être respectés dans le contexte d’urgence sanitaire. Il appartiendra alors au président du tribunal d’apprécier, au cas par cas, dans quelle mesure les circonstances exceptionnelles justifient une prolongation de ces délais (V. en ce sens, Rapport au président de la République). Tel sera le cas par exemple du délai imposé au liquidateur pour la réalisation des actifs du débiteur dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.

C - La prolongation de la période d’observation et la suppression de l’audience « intermédiaire »

S’agissant de la période d’observation, l’ordonnance prévoit plusieurs mesures d’adaptation. La durée de la période d’observation est prolongée jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire et pour une durée équivalente à celle de la période de l’état d’urgence sanitaire plus un mois (art. 2, II, 1°). La période d’observation fixée par la cour d’appel, prévue à l’article L. 661-9 du code de commerce, est également prolongée.

L’ordonnance supprime par ailleurs, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, l’audience « intermédiaire » qui doit se tenir en principe au plus tard dans un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture du redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-15, I) afin que le tribunal ordonne la poursuite de la période d’observation. Est donc également supprimé le rapport initialement établi par l’administrateur judiciaire ou le cas échéant par le débiteur. Reste cependant ouverte la possibilité pour le tribunal d’ordonner, à tout moment de la période d’observation, la cession partielle de l’activité ou de prononcer la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible (C. com., art. L. 631-15, II). Si la suppression de cette audience dans le contexte sanitaire est plutôt opportune sur un plan économique en raison de l’absence totale ou partielle de chiffre d’affaires, elle peut être aussi périlleuse. Dans le contexte d’urgence sanitaire où la trésorerie est mise à rude épreuve, l’administrateur judiciaire sera amené à informer les organes de la procédure de la capacité de l’entreprise à financer la période d’observation. Cette communication pourrait, à notre avis, prendre la forme d’un rapport permettant de savoir si l’entreprise est en capacité de pouvoir poursuivre son activité ou si, à l’inverse, une conversion en liquidation judiciaire s’impose (pour la prise en charge des salaires par l’AGS par exemple).

En l’absence d’administrateur judiciaire, cela signifie-t-il que le tribunal ouvre une procédure de redressement judiciaire et ensuite laisse le dirigeant de l’entreprise sans jalon ? Cela nous paraît risqué pour l’entreprise, compte tenu des nombreuses difficultés auxquelles devra faire face le dirigeant, sauf à mettre à la charge du mandataire judiciaire, dont ce n’est ni le rôle ni la responsabilité, l’élaboration et la communication d’une information financière sur la situation de l’entreprise.

D - La prolongation des plans et de la liquidation judiciaire simplifiée

La prolongation de plein droit
L’article 2, II, de l’ordonnance du 27 mars 2020 prolonge de plein droit, sans tenue d’audience ou jugement, les durées relatives au plan, au maintien de l’activité et à la liquidation judiciaire simplifiée jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire et pour une durée équivalente à celle de la période de l’état d’urgence sanitaire plus un mois. Cette prolongation est fondamentale pour les entreprises en plan pour éviter un état de cessation des paiements en raison de l’impossibilité de payer l’échéance du plan. Cela permet également au commissaire à l’exécution du plan d’avoir une base justificative pour ne pas solliciter la résolution du plan. Le report d’exigibilité semble toutefois limité pour les entreprises (par ex., si l’état d’urgence sanitaire est de 3 mois, le report est de 4 mois à compter du 24 juill.). Or, l’entreprise va avoir besoin de mobiliser toutes ses ressources au deuxième semestre 2020 et en particulier sa trésorerie pour assurer un redémarrage de l’activité. Il aurait été peut-être opportun d’instaurer « une année blanche » et de décaler le plan d’un an.

La prolongation sur requête
Des délais supplémentaires pourront être accordés uniquement sur requête tels qu’encadrés par l’ordonnance. D’abord, sur requête du commissaire à l’exécution du plan, le président du tribunal peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, prolonger les plans dans la limite d’une durée équivalente à celle de l’état d’urgence sanitaire plus trois mois (art. 1er, III, 1°). Une prolongation d’une durée maximale d’un an peut être prononcée sur requête du ministère public. Ensuite, après l’expiration du délai de trois mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire et pendant un délai de six mois, le tribunal peut, sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan, prolonger le plan pour une durée maximale d’un an (art. 1er, III, 2°).

S’agissant de ces prorogations de la durée du plan, le rapport au président de la République précise bien qu’elles sont possibles sans devoir respecter la procédure contraignante d’une modification substantielle du plan initialement arrêté par le tribunal.

E - La prolongation des délais de couverture des créances salariales

Les délais de couverture des créances salariales par l’AGS prévus aux 2° et 5° de l’article L. 3253-8 du code du travail sont également prolongés jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire pour une durée équivalente à celle de la période d’état d’urgence sanitaire plus un mois. Ces délais concernent les créances résultant de la rupture des contrats de travail à la suite d’un plan de sauvegarde, de redressement ou de cession, ou pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire, ou à la suite d’une liquidation judiciaire immédiate ou par conversion (art. 2, II, 2° et 3°).

Ces dispositions sont justifiées à juste titre par l’impossibilité pour l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire ou le liquidateur judiciaire, de respecter des délais imposés pour la prise en charge de salaires ou indemnités par l’AGS. Il en est ainsi notamment pour la rupture du contrat de travail qui doit être réalisée dans les quinze jours de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Le non-respect de ce délai est une cause de refus de prise en charge par l’AGS. Le rapport au président de la République souligne ici que « la prolongation du délai accordé au mandataire de justice n’aurait pas de sens si les limites de la garantie de l’AGS n’étaient pas adaptées ».

La lecture de l’ordonnance fait apparaître une vision à moyen terme du déroulement des procédures collectives dans une vision court-termiste de la société. On pressent déjà que le temps de l’urgence sanitaire et du confinement pour les individus ne sera pas celui des entreprises qui resteront impactées durablement par la situation économique.

Auteur d'origine: Delpech

I. Cadre législatif

À côté du mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros (L. n° 2020-289, 23 mars 2020, JO 24 mars, art. 6), la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 a prévu le financement d’un « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », à hauteur de 6,25 milliards d’euros, destiné à prendre en charge, d’une part, le dispositif exceptionnel de chômage partiel qui a été décidé pour éviter les licenciements (5,5 milliards d’euros) et, d’autre part, à abonder un fonds de solidarité pour les très petites entreprises, qui doit être co-financé par certaines collectivités locales (750 millions d’euros) (art. 2).

Cette loi ne concerne que le volet financement du fonds. C’est une ordonnance, prise sur habilitation de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui en précise le régime. Très précisément, l’habilitation porte sur la mise en place d’un mécanisme « [d]’aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution, la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public volontaire » (L. n° 2020-290 du 23 mars 2020 art. 11, I, 1°, a). La publication de cette ordonnance n’a guère tardé. Il s’agit de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (JO 26 mars).

Ce fonds se veut temporaire, sa durée de vie étant peu ou prou calquée sur celle de l’« état d’urgence sanitaire » institué par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars). L’article 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit, en effet, la création du fonds, pour une durée de trois mois prolongeable par décret pour une durée d’au plus trois mois. Ce même article 1er décrit l’objet du fonds : « le versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ».

L’article 2 de l’ordonnance fournit des précisions sur le financement de fonds : il est financé par l’État et, sur la base du volontariat, ainsi que par les régions, les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna et la Polynésie française), la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale (département, par exemple) ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. On est donc dans une logique de cofinancement, mais qui revêt a priori un caractère exclusivement public (néanmoins Bercy est venu préciser que les grandes entreprises pourront contribuer au financement du fonds et que les compagnies d’assurance ont d’ores et déjà annoncé une contribution de 200 millions d’euros). Les collectivités locales ont en réalité vocation uniquement à accorder une « aide complémentaire » à des entreprises se trouvant dans une situation financière particulièrement critique (v. infra).

Ce même article 2 précise que montant et les modalités de cette contribution sont définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’État et chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale volontaire. Cela étant, en l’absence de telles conventions, le fonds peut d’ores et déjà fonctionner, mais uniquement sur la base d’un financement d’État.

L’article 3 renvoie à un décret le soin de fixer les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant et les conditions de gestion du fonds. S’agissant de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, le même article prévoit que l’État peut conclure avec ces dernières, si elles contribuent volontairement à ce fonds, une convention définissant les conditions dans lesquelles elles distribuent des aides aux entreprises situées sur leur territoire.

Le décret annoncé a été rapidement publié. Il s’agit du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation (JO 31 mars). Il décrit le fonctionnement de ce fonds de solidarité.

 

II. Entreprises éligibles

Le décret du 30 mars 2020 énumère tout d’abord les entreprises éligibles aux aides du fonds de solidarité (lequel est géré par le directeur général des finances publiques ; art. 5). Il pose deux séries de critères. Les premiers tiennent, pour l’essentiel, à la taille de l’entreprise, les seconds se rattachent au contexte actuel de crise.

A. Les critères liés à la taille de l’entreprise

Les aides du fonds bénéficient, selon l’article 1er, du décret aux « personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique » remplissant les conditions cumulatives suivantes :

1° elles ont débuté leur activité avant le 1er février 2020, cette date s’expliquant par la volonté des pouvoirs publics de prévenir tout « effet d’aubaine » consistant à créer son entreprise dans le seul but de bénéficier une aide publique ;
 2° elles n’ont pas déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020, ce qui signifie a contrario qu’une entreprise sous le coup d’une procédure préventive (conciliation ou mandat ad hoc) ou de sauvegarde est éligibles aux aides du fonds ;3° leur effectif est inférieur ou égal à dix salariés ;
 4° le montant de leur chiffre d’affaires (ou de leurs recettes, pour les entreprises du secteur libéral) constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d’euros, étant précisé que pour les entreprises récentes, celles n’ayant pas encore clos d’exercice, le chiffre d’affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l’entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros ;
 5° leur bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, n’excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos (des règles de calcul spécifiques pour les entreprises n’ayant pas encore clos un exercice) ;
 6° les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d’un contrat de travail à temps complet ou d’une pension de vieillesse et n’ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d’indemnités journalières de sécurité sociale d’un montant supérieur à 800 euros (lorsque le dirigeant est salarié, il est en principe éligible au dispositif de chômage partiel mis en place en parallèle par les pouvoirs public) ;
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Deux ordonnances ont été adoptées le 25 mars 2020 en droit des groupements, parfaitement complémentaires l’une de l’autre. L’une concerne le fonctionnement du groupement, c’est l’ordonnance n° 2020-321 (Dalloz actualité, 27 mars 2020). L’autre, l’ordonnance n° 2020-318, porte sur ses comptes. C’est celle sous commentaire. Il s’agit précisément de l’ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles relatives à l’établissement, l’arrêté, l’audit, la revue, l’approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l’épidémie de covid-19. Comme le précise le rapport au président de la République qui accompagne la publication de l’ordonnance au Journal officiel, cette adaptation concerne essentiellement la question des délais. L’ordonnance a été prise – en un temps record – sur le fondement de l’habilitation donnée par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (art. 11, I, 2°, g). Elle est applicable, outre en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer, ainsi qu’à Wallis-et-Futuna (art. 6, I ; et pour l’un de ses dispositions, l’article 5, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ; v. infra).

Comptes des sociétés anonymes à directoire et à conseil de surveillance (art. 1er). Dans les sociétés anonymes de type dual, l’article L. 225-68, alinéa 5, du code de commerce prévoit qu’après la clôture de chaque exercice et dans le délai fixé par décret en Conseil d’État – ce délai est de trois mois à compter de la clôture de l’exercice selon l’article R. 225-55 du même code – le directoire présente au conseil de surveillance, aux fins de vérification et de contrôle les documents visés au deuxième alinéa de l’article L. 225-100, à savoir les comptes annuels et le cas échéant les comptes consolidés, accompagnés du rapport de gestion et du rapport sur le gouvernement d’entreprise.

L’ordonnance du 25 mars 2020 permet de proroger de trois mois ce délai de trois mois. La plupart des sociétés clôturant leur compte au 31 décembre de l’année précédente, le délai de présentation des comptes au conseil de surveillance est le 31 mars – soit cette année en plein cœur de la période de confinement. Il est ainsi reporté, pour les sociétés concernées, au 30 juin, ce qui semble assez raisonnable.

Cette prorogation est cependant strictement encadrée. Elle ne s’applique pas aux sociétés qui ont désigné un commissaire aux comptes lorsque celui-ci a émis son rapport sur les comptes avant le 12 mars 2020. Cela étant cette exclusion est de portée limitée depuis que la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprise, dite loi Pacte, a significativement relevé les seuils rendant obligatoire la désignation d’un commissaire aux comptes. Par ailleurs, cette disposition de l’ordonnance du 25 mars 2020 est applicable aux seules sociétés clôturant leurs comptes entre le 31 décembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19. En vertu de ce texte, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée en principe de deux mois à compter du 25 mars 2020.

Comptes des sociétés en liquidation amiable (art. 2). Le premier alinéa de l’article L. 237-25 du code de commerce impose au liquidateur, au titre de son obligation de reddition des comptes, dans les trois mois de la clôture de chaque exercice, d’établir les comptes annuels au vu de l’inventaire qu’il a dressé des divers éléments de l’actif et du passif existant à cette date et un rapport écrit par lequel il rend compte des opérations de liquidation au cours de l’exercice écoulé. Il s’agit d’une disposition qui concerne l’ensemble des sociétés commerciales. Ce délai est reddition des comptes de trois mois est allongé de deux mois par l’ordonnance du 25 mars 2020 pour être, par conséquent, porté à cinq mois. Là encore, cette disposition est applicable aux seules sociétés clôturant leurs comptes entre le 31 décembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020.

Approbation des comptes (art. 3). Cet article s’applique à l’ensemble des personne morales (sociétés civiles ou commerciales, associations déclarées) et entités dépourvues de personnalité morale (société en participation, essentiellement), dès lors qu’elles sont de droit privé. Les délais imposés par des textes législatifs ou réglementaires (V. par ex., C. com., art. L. 225-100, al. 1er pour la SA, qui prévoit que l’assemblée générale ordinaire annuelle chargée d’approuver les comptes doit être réunie dans les six mois de la clôture de l’exercice) ou par les statuts (cas des associations) du groupement pour approuver les comptes et les documents qui y sont joints le cas échéant, ou pour convoquer l’assemblée chargée de procéder à cette approbation, sont prorogés de trois mois.

Comme le précise le rapport au président de la République, ces prorogations « ont pour but de prendre en compte la situation des sociétés et entités pour lesquelles les travaux d’établissement des comptes et/ou d’audit étaient en cours au moment de l’entrée en vigueur des mesures administratives et qui ne pourraient pas être achevés dans des délais compatibles avec la tenue de l’assemblée générale, dans la mesure où les documents comptables peuvent ne plus être accessibles. Ce faisant, ces mesures permettent le report de l’approbation des comptes par les actionnaires dès lors que le commissaire aux comptes a été empêché de mener à bien sa mission d’audit des comptes dans le contexte de l’épidémie ».

Là encore, cette prorogation instituée par l’article 3 de l’ordonnance est encadrée. Elle ne s’applique pas aux groupements ayant désigné un commissaire aux comptes lorsque celui-ci a émis son rapport sur les comptes avant le 12 mars 2020. Elle est applicable aux groupements clôturant leurs comptes entre le 30 septembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Établissement des documents prévisionnels (art. 4). L’article L. 232-2, alinéa 1er, du code de commerce impose aux sociétés commerciales de grande taille l’établissements de documents prévisionnels, en sus des documents comptables classiques (comptes de résultats). Précisément, dans les sociétés comptant 300 salariés ou plus ou dont le montant net du chiffre d’affaires est égal à 18 millions d’euros, le conseil d’administration, le directoire ou les gérants sont tenus d’établir une situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible, un compte de résultat prévisionnel, un tableau de financement et un plan de financement prévisionnel. Les délais d’établissement de ces documents comptables sont précisés à l’article R. 232-3 du code de commerce : le plan de financement et le compte de résultat prévisionnels sont établis au plus tard à l’expiration du quatrième mois qui suit l’ouverture de l’exercice en cours ; le compte de résultat prévisionnel est, en outre, révisé dans les quatre mois qui suivent l’ouverture du second semestre de l’exercice.

L’ordonnance du 25 mars 2020 proroge de deux mois cette délai. Cette disposition est applicable aux documents relatifs aux comptes ou aux semestres clôturés entre le 30 novembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Organismes bénéficiaires de subventions publiques (art. 5). Les associations qui bénéficient de subventions de la part de puissance publique doivent justifier de l’utilisation des fonds reçus. Ainsi, le sixième alinéa de l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations leur impose, lorsque la subvention est affectée à une dépense déterminée, de « produire un compte rendu financier qui atteste de la conformité des dépenses effectuées à l’objet de la subvention ». Ce compte rendu financier doit être déposé auprès de l’Administration qui a versé la subvention « dans les six mois suivant la fin de l’exercice pour lequel elle a été attribuée ».

L’ordonnance du 25 mars 2020 proroge de trois mois ce délai, pour le porter à neuf mois. Cette disposition est applicable aux comptes rendus financiers relatifs aux comptes clôturés entre le 30 septembre 2019 et l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Elle est, par ailleurs, applicable aux organismes bénéficiaires de subventions versées par les administrations de l’État et leurs établissements publics en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie (art. 6, II).

Auteur d'origine: Delpech
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S’il est souvent question de la notion même de clause abusive, le problème de l’office du juge en la matière n’est pas négligeable, comme en témoigne un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 11 mars 2020. En l’espèce, en décembre 2007, Mme L. a conclu avec une banque hongroise un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère. Ce contrat comporte certaines clauses conférant à la banque le droit d’en modifier le contenu ultérieurement. Par la suite, Mme L. a introduit un recours devant les juridictions hongroises pour faire constater l’invalidité, avec effet rétroactif, de ces clauses en vertu de la directive sur les clauses abusives, qui prévoit notamment que les clauses abusives incorporées dans des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel ne lient pas le consommateur. En 2014, le législateur hongrois a adopté une législation régissant la constatation du caractère abusif des clauses conférant aux banques le droit de modifier unilatéralement les contrats de prêt conclus avec les consommateurs, ainsi que les conséquences devant être tirées de leur caractère abusif, de sorte que les juridictions hongroises ne sont plus appelées à se prononcer sur la compatibilité de ces clauses avec la directive. Toutefois, la Cour de Budapest-Capitale, saisie de ce litige, se demande, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, si elle ne doit tout de même pas se prononcer sur la compatibilité avec la directive de certaines autres clauses du contrat de prêt litigieux qui n’étaient pas visées par le recours. Ces dernières clauses concernent, en l’occurrence, l’attestation notariée, les motifs de résiliation du contrat et certains frais incombant au consommateur. Cette juridiction estime qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans les affaires relatives à des contrats conclus avec des consommateurs, le juge national doit examiner d’office, c’est-à-dire de sa propre initiative, le caractère abusif des clauses figurant dans ces contrats s’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. C’est dans ce contexte que la juridiction hongroise pose formellement à la Cour de Luxembourg trois questions afin de savoir si elle est tenue, en vertu de la directive, d’examiner d’office le caractère abusif de toutes les clauses du contrat de prêt litigieux, même si, d’une part, leur compatibilité avec la directive n’a pas été mise en cause par le consommateur dans son recours et, d’autre part, leur examen n’est pas nécessaire pour statuer sur ce recours.

En premier lieu, la Cour de justice répond que « l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’un juge national, saisi d’un recours introduit par un consommateur et tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat que ce consommateur a conclu avec un professionnel, n’est pas tenu d’examiner d’office et individuellement l’ensemble des autres clauses contractuelles, qui n’ont pas été attaquées par ledit consommateur, afin de vérifier si elles peuvent être considérées comme abusives, mais doit examiner seulement celles qui sont liées à l’objet du litige, tel que ce dernier a été délimité par les parties, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, complétés, le cas échéant, par des mesures d’instruction ».

Pourtant, cette interprétation n’est pas évidente, l’article 6, paragraphe 1, de la directive du 5 avril 1993 disposant simplement que « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives » (en droit français, cette règle est posée par l’article L. 241-1 du code de la consommation, qui prévoit que « Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public ». Rappr. C. civ., art. 1171, al. 1er : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». La Cour de cassation a récemment précisé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale ». Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais . Cependant, le consommateur peut préférer le maintien de la clause, ce qui empêche le juge de la supprimer. V. en ce sens, CJUE 21 févr. 2013, aff. C-472/11, D. 2013. 568 ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles ).

Il est vrai, cependant, que la présente solution est parfaitement respectueuse du principe dispositif, posé, en France, par l’article 5 du code de procédure civile, en vertu duquel « Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé », l’article 7 du même code ajoutant que « Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions » (V. à ce sujet, S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile. Droit interne et européen du procès civil, 34e éd., Dalloz, 2018, nos 505 s.). En droit interne de la consommation, l’on peut d’ailleurs considérer que l’article R. 632-1 du code de la consommation (texte qui a été délégalisé par l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et le décr. n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du code de la consommation), va dans le même sens. En effet, après avoir posé le principe selon lequel « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application » (cette règle étant issue de la loi n° 2008-3 du 3 janv. 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs), le texte prévoit qu’« Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat » (la règle étant issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite Hamon, qui a « transposé » la jurisprudence européenne, CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 , note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais . V. déjà, CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry . V. égal. CJUE 17 mai 2018, aff. C-147/16, D. 2018. 1068 ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2018. 333, obs. V. Legrand ; RDC 2018, n° 115q3, p. 588, note J.-D. Pellier, spéc. nos 2 et 3. V. à ce sujet, J. -D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz « coll. Cours », 2019, n° 112. La Cour va même plus loin en considérant que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause entre dans le champ d’application de la directive 93/13/CEE et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause. CJUE 9 nov. 2010, aff. C-137/08, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles . V. égal. CJUE 7 nov. 2019, aff. C-419/18 et C-483/18, D. 2019. 2132 ). C’est dire que le juge doit non seulement respecter le principe de la contradiction posé par l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile (« Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations »), mais également le principe dispositif, dans la mesure où ce sont uniquement les « éléments du débat » qui doivent être pris en considération, ce qui renvoie, semble-t-il, à l’objet du litige, même si le texte aurait pu le dire plus clairement (rappr. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, Traité de droit civil, sous la dir. de Ghestin J., Les Contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, 2018, n° 1258). Quoi qu’il en soit, il doit désormais être interprétée en ce sens, conformément à la directive délivrée par la Cour de justice elle-même (CJCE 14 juill. 1994, aff. C-91/92 : « en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive », CJCE 14 juill. 1994, aff. C-91/92, D. 1994. 192 ; RTD eur. 1995. 11, étude F. Emmert et M. Pereira De Azevedo ).

Toutefois, l’on aurait pu douter de la pertinence de l’ensemble de cette réflexion au regard de l’article 4, paragraphe 1, de la directive de 1993, qui prévoit que « Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend » (pour un ex., v. CJUE 21 févr. 2013, aff. C-472/11, D. 2013. 568 ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles . La règle a été parfaitement transposée en droit français, au sein de l’article L. 212-1 du code de la consommation : l’alinéa 1er de ce texte pose le principe selon lequel « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » et l’alinéa 2 ajoute que « Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution »). Cette règle semble impliquer que le juge examine les autres clauses du contrat. Mais la Cour de Luxembourg neutralise cette interprétation en affirmant, en second lieu et corrélativement, que « L’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE doivent être interprétés en ce sens que, s’il est vrai que, pour apprécier le caractère abusif de la clause contractuelle servant de base aux prétentions d’un consommateur, il convient de prendre en compte toutes les autres clauses du contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, cette prise en compte n’implique pas, en tant que telle, une obligation, pour le juge national saisi, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de toutes ces clauses ». Le juge doit donc examiner tout le litige, mais rien que le litige.

La présente réflexion peut même être étendue au-delà du domaine des clauses abusives puisque c’est en réalité dans tous les champs du droit de la consommation que la Cour de Luxembourg estime que le juge national doit relever d’office les dispositions protectrices du consommateur. Elle a en effet consacré une telle obligation en matière de garantie de conformité (CJUE 4 juin 2015, aff. C-497/13) et de crédit à la consommation (CJUE, 5 mars 2020, aff. C-679/18 ;CJUE 21 avr. 2016, aff. C-377/14, D. 2016. 1744 , note H. Aubry ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Même la Cour de cassation semble s’engager dans cette voie (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651, D. 2017. 1800, communiqué C. cass. , note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau : « Attendu que si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées ». V. égal. Civ. 1re, 19 févr. 2014, n° 12-23.519, ayant censuré un jugement qui avait considéré que la vente d’un chiot n’entrait pas dans le champ d’application de la garantie légale prévue par le code de la consommation : « Qu’en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la vente avait été conclue entre un vendeur agissant au titre de son activité professionnelle et un acheteur agissant en qualité de consommateur, en sorte qu’il lui incombait de faire application, au besoin d’office, des dispositions d’ordre public relatives à la garantie légale de conformité, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ». V. dans le même sens, au sujet d’un chat, Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-28.819, D. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Aussi, comme l’affirme le Professeur Carole Aubert de Vincelles, « il faut donc en conclure que désormais, quel que soit le domaine de protection des consommateurs, l’effectivité de celle-ci justifie que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le respect des exigences découlant des normes de l’Union en matière de droit de la consommation » (C. Aubert de Vincelles, La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droit de la consommation, in Le droit européen de la consommation, dir. Y. Picod, Mare et Martin, 2018, p. 35, n° 21. V. égal. en ce sens, J.-D. Pellier, op. cit., n° 327 ; Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., 2018, Sirey, n° 359 ; G. Raymond, Droit de la consommation, 5e éd., LexisNexis, 2019, n° 118 ; N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, op. cit., nos 1265 et 1266. Rappr. J. Calais-Auloy, H. Temple H. et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., 2020, Dalloz, n° 637 ; J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 236). Mais, là encore, c’est l’objet du litige qui doit guider le juge. En définitive, quel que soit le domaine considéré, le procès civil demeure la chose des parties, tel est l’enseignement que l’on peut tirer du présent arrêt.

Auteur d'origine: jdpellier

Dans son adresse aux Français du 16 mars 2020, le président de la République annonçait, pour l’ensemble des entreprises, un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien au report d’échéances bancaires et de garanties de l’État à hauteur de 300 milliards d’euros pour tous les prêts contractés auprès des banques. Et, pour les plus petites d’entre elles, un gel des prélèvements fiscaux et sociaux. Il ajoutait que « les factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que les loyers devront être suspendus ».

Cette dernière phrase n’était certes pas passée inaperçue et avait aussitôt suscité des interrogations sur le sens que l’on devait prêter au mot « suspendus ». Un mot qui n’est limpide pour personne et qui a déjà donné lieu à d’intenses échanges entre des groupements de bailleurs et des fédérations de commerçants.

Nous publierons, dans le numéro de mai de l’AJDI qui sera consacré aux impacts du covid-19 sur le droit immobilier, une étude spécialement consacrée aux effets de l’actuelle pandémie sur les baux commerciaux et en particulier sur le sens qui peut être attribué à la notion de « suspension ».

En attendant, le message politique présidentiel (dont on n’attend évidemment pas la précision d’un texte juridique !) était clair : les microentreprises allaient pouvoir suspendre le paiement des factures d’énergie et celui des loyers.

Une semaine à peine plus tard, après un vote éclair du Parlement, était promulguée la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, dont l’article 11 autorisait le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois, toutes mesures, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, destinées notamment à faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi.

S’agissant des loyers et des factures de fluides, l’on retrouvait un écho à l’allocution présidentielle dans le paragraphe g du 1° de l’article 11 de la loi nouvelle. Un écho plus précis : le gouvernement était en effet autorisé à prendre une ordonnance « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures ».

Le texte précisait que ces mesures pourraient bénéficier aux microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie.

Rappelons que ce dernier décret définissait les microentreprises comme étant celles qui occupent moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total de bilan n’excède pas 2 millions d’euros.

La « suspension » des loyers devenait donc un report ou un étalement.

On attendait donc fébrilement l’ordonnance qui allait inscrire cette mesure dans le marbre juridique.

Le suspense s’est arrêté avec la publication de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19 (JO 26 mars, texte 37) :

Et là : double surprise.

Première surprise : les bénéficiaires de la mesure

Les bénéficiaires de la mesure relative aux loyers et fournitures ne sont plus les microentreprises au sens du décret de 2008, mais « les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité mentionné à l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 susvisée » et (sous réserve de la production d’une attestation de l’un des mandataires de justice) « celles qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

L’ordonnance n° 2020-317 précise que le fonds de solidarité créé pour une durée de trois mois (prorogeable par décret pour une durée supplémentaire maximum de trois mois) a pour objet « le versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ».

Toutefois, et comme le précise l’article 1er, alinéa 2, de l’ordonnance n° 2020-316, c’est un décret qui déterminera les critères d’éligibilité à ces dispositions, et notamment « les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire », lesquels promettent déjà de nombreux « effets de seuil ».

En attendant la publication de ce décret, on ne peut que se référer au dossier de presse consacré au fonds de solidarité, publié le 25 mars 2020 par le gouvernement.

Il y est précisé qu’il s’agit d’un fonds créé par l’État et les régions pour prévenir la cessation d’activité des très petites entreprises (TPE), microentrepreneurs, indépendants et professions libérales, avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1 million d’euros et un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 €, particulièrement touchés par les conséquences économiques du covid-19. Il s’agit d’entreprises qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou d’une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % en mars 2020 par rapport à mars 2019.

Le dossier de presse ajoute que ce fonds de solidarité permettra « de verser une aide directe aux entreprises concernées en complément d’autres mesures ou d’autres aides qu’elles peuvent avoir par ailleurs ».

D’une mesure générale pour les microentreprises définies par le décret de 2008, on est ainsi passé à une mesure spécifique, d’une évidente complexité technique, pour des entreprises d’une taille encore plus petite.

Si le décret à venir reprend les critères du dossier de presse gouvernemental, on souhaite bonne chance, dans leur malheur, aux très petites entreprises qui ont été créées après mars 2019, puisqu’elles ne pourront pas justifier de la perte de 70 % de leur chiffre d’affaires sur un an…

Quant aux PME et aux plus grandes entreprises, elles attendront d’autres textes éventuels…

Seconde surprise : il n’est plus question de report des loyers

L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-316 prévoit seulement que les personnes bénéficiaires du fonds de solidarité « ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce. Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».

En l’état de cet empilement de textes pris en l’espace de quelques jours, il ne reste plus de la parole présidentielle qu’une mesure de neutralisation des sanctions pour non-paiement des loyers et charges échus entre le 12 mars 2020 et un délai de deux mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Ce qui signifie en clair, si l’on devait s’en tenir à ces textes, que les loyers et charges restent dus et pourraient, dès maintenant (et a fortiori après la période de neutralisation des sanctions), faire l’objet d’actions en paiement ou même, de la part de bailleurs « extrémistes », de saisies conservatoires, voire de saisies-attributions s’ils bénéficient d’un bail notarié.

Le seul « frein » (mais il n’est pas négligeable), à des actions immédiates en paiement, même en référé-provision, serait l’incapacité, en cette période, d’obtenir une date d’audience et une décision…

Certes, on se doutait que ni le législateur ni le pouvoir exécutif ne pouvaient porter à la force exécutoire des contrats une atteinte telle qu’une annulation des loyers et charges (qui eût été contraire à l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales). Mais une mesure de report eût été a minima parfaitement appropriée à la situation et conforme aux principes conventionnels.

Il reste dans tout cela, en dehors des entreprises non éligibles à ces mesures, des contractants totalement laissés pour compte : les petits bailleurs, et parmi eux des retraités qui ne vivent que du paiement des loyers d’une boutique qui, n’exerçant pas d’activité économique, ne sont éligibles en l’état à aucune aide d’État pour leur permettre de faire face à leurs échéances courantes… On songe encore plus largement à tous les bailleurs privés qui vont devoir continuer à faire face aux charges de copropriété et fiscales et à leurs emprunts immobiliers sans être éligibles en l’état aux aides publiques ou bancaires.

On espère donc pour ces oubliés des mesures parallèles de report des charges et taxes et de rééchelonnement immédiat des remboursements de prêts.

Il est à craindre une explosion des contentieux après la sortie de crise. Car la question de la suspension des loyers et charges demeure entière et devra donc être traitée par les outils existants du droit des contrats.

On y reviendra prochainement dans le détail, dans l’étude à paraître dans l’AJDI de mai.

Auteur d'origine: Rouquet
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L’un des volets les plus controversés de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), réside dans son volet privatisation. Cette loi a, en effet, autorisé la privatisation de la société Aéroports de Paris (ADP ; art. 130 à 136), mais aussi celle de la Française des jeux (FDJ ; art. 137 à 139), les sommes ainsi recueillies étant destinées à être affectées à un nouveau « Fonds pour l’innovation de rupture » (art. 147 à 150). Pour justifier ces privatisations, les pouvoirs publics ont considéré que les missions prises en charge par la FDJ ou ADP devaient être exercées, dans le cadre d’une économie libéralisée, par des opérateurs privés. Si la privatisation du premier opérateur de jeux d’argent et de hasard en France qu’est FDJ a pu se réaliser sans encombre (v. l’arrêté du 20 novembre 2019 fixant le prix et les modalités d’attribution des actions de la FDJ, ainsi que les modalités définitives de l’offre, JO 21 nov. 2019, texte n° 27), l’introduction en bourse de FDJ étant même présentée comme un succès (Agence des participations de l’État, communiqué de presse, 20 nov. 2019), le processus de privatisation d’ADP s’est à l’inverse révélé beaucoup plus chaotique. On peut, au passage, se demander si, concernant la privatisation de l’opérateur aéroportuaire, la qualification de « privatisation » est la plus adéquate. Peut-être vaudrait-il mieux parler de concession de longue durée, quoique celle-ci obéisse à un régime en partie original (sur le régime de cette privatisation, v. S. Nicinski, Les privatisations dans la loi PACTE, AJDA 2019. 1261  ; v. égal. nos obs. ss Code des transports Dalloz, éd. 2020, p. 1029).

Pour que le gouvernement puisse mettre en œuvre la privatisation d’ADP, encore fallait-il au préalable que la loi PACTE – sur ce volet particulier – passe sans encombre son examen de passage devant le Conseil constitutionnel. Or c’est là que rien ne s’est pas passé comme prévu. Certes, au titre de leur contrôle de constitutionnalité, les « Sages de la rue Montpensier » n’ont pas censuré le texte, considérant qu’ADP ni ne détient de « monopole de fait » ni n’est en charge d’un « service public national » au sens du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ce qui aurait obligé l’État, dans le cas inverse, à conserver la majorité du capital d’ADP (Cons. const. 16 mai 2019, décis. n° 2019-781 DC, spéc. pts 27 s., Dalloz actualité, 22 mai 2019, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2019. 1077 ; ibid. 1560, étude M. Carpentier ; Rev. sociétés 2019. 493, obs. B. François ; RFDA 2019. 763, chron. A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2019. 364, chron. P. Esplugas-Labatut ).

Mais, de manière totalement inédite, pas moins de 248 parlementaires, de divers bords politiques et qui sont parvenus à s’allier pour la circonstance, ont déposé une proposition de loi référendaire tendant à reconnaître aux activités de la société ADP les caractères de service public national au sens de l’alinéa 9 du Préambule de 1946. Si cette proposition de loi était adoptée, elle aboutirait à faire trancher la privatisation d’ADP par la voie d’un référendum, l’espoir de ses promoteurs étant bien évidemment un vote de rejet lors de celui-ci.

C’est la toute première fois que ce mécanisme de référendum d’initiative partagée (RIP), institué par la constitutionnelle du 23 juillet 2008 sous la présidence Sarkozy, est mis en œuvre. Il doit être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, critère rempli en l’occurrence. Or le Conseil constitutionnel a déclaré cette proposition conforme aux conditions fixées par l’article 11 de la Constitution, tel que modifié en 2008, et par l’article 45-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (Cons. const. 9 mai 2019, décis. n° 2019-1 RIP). Mais, pour être adoptée, la proposition de loi référendaire doit au surplus recueillir le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit 4,7 millions de personnes, pendant un délai de neuf fois qui suivent la date d’ouverture du recueil des soutiens, soit le 13 juin 2019. Mais l’objectif a très vite semblé inatteignable.

D’autant que la procédure de recueil des soutiens à l’organisation de ce référendum – sous forme d’un enregistrement en ligne sur le site du ministère de l’intérieur – a été vivement critiquée pour son manque de transparence. Elle a même donné lieu à plusieurs recours devant le Conseil constitutionnel, mais chaque fois en vain (v. not. Cons. const. 10 sept. 2019, décis. n° 2019-1-1 RIP, AJDA 2019. 1726 ; ibid. 2443 , note M. Verpeaux ). Il faut dire que, pour désamorcer les critiques, le Conseil constitutionnel avait pris les devants en décidant de rendre public tous les quinze jours, par voie de communiqué, le nombre de soutiens enregistrés sur le site internet du ministère de l’intérieur consacré à la procédure de RIP, en précisant, à chaque fois, la part de ces soutiens ayant franchi avec succès le stade des vérifications administratives auxquelles il incombe au ministère de procéder (communiqués de presse des 30 juill. et 29 août 2019).

La période de recueil des soutiens a pris fin le 12 mars 2020. Le Conseil constitutionnel a constaté que la proposition de loi référendaire n’a recueilli le soutien que de 1 093 030 électeurs inscrits sur les listes électorales, sans surprise bien loin du seuil requis (Cons. const. 26 mars 2020, décis. n° 2019-1-8 RIP). La proposition de loi est de ce fait rejetée, de telle sorte qu’il n’y a désormais plus aucun obstacle juridique à ce que le gouvernement lance le processus de privatisation d’ADP. Mais il est évident que le contexte d’un passage au privé d’ADP ne s’y prête absolument pas. D’une part, parce que, même si les foules ne se sont pas mobilisées, plus un million d’opposants à la privatisation d’ADP, ce n’est pas rien. D’autre part, parce que le contexte de la crise du covid-19 interdit à l’heure actuelle toute privatisation. Cela contribuerait probablement à déstabiliser encore davantage le secteur du transport aérien déjà mis à rude épreuve par cette crise sanitaire. Cela serait également une bien mauvaise affaire financière pour l’État. N’oublions pas, en effet, que, bien que ses capitaux soient majoritairement publics, ADP est une société cotée, qui, comme chacune d’entre elles, a vu son cours de bourse s’effondrer ces derniers jours. 

Est-ce à dire que le projet de privatisation d’ADP est définitivement enterré ? Pas nécessairement, puisque l’autorisation donnée au gouvernement par la loi de PACTE de privatiser ADP est sans limitation de durée. Elle pourrait même théoriquement être mise en œuvre par un gouvernement qui ne serait pas issu de l’actuelle législature. Mais une telle privatisation serait difficile à assumer d’un point de vue politique, même lorsque nous serons revenus à des jours meilleurs.

Auteur d'origine: Delpech
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Le droit de la concurrence s’adapte à l’épidémie de covid-19. La Commission européenne a d’ores et déjà annoncé un assouplissement dans son contrôle des aides d’État aux entreprises (comm. n° 2020/C91/01, JOUE 20 mars). À l’échelle nationale, l’Autorité de la concurrence n’est pas en reste. Elle vient, en effet, d’annoncer, dans un communiqué de presse particulièrement exhaustif, que les règles concernant les délais et procédures en matière de pratiques anticoncurrentielles et de concentration vont être adaptées du fait de l’état d’urgence sanitaire. Cette adaptation procède de leur confrontation aux règles d’exception posées par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Sont concernées par ces adaptations l’ensemble des opérations éligibles au pouvoir de régulation de l’Autorité de la concurrence : dossiers de concentration, installation des professions juridiques réglementées, dépôt des observations et mémoires, demandes de clémence, transmission des actes de procédure, prescription, recours, enfin exécution des engagements et des injonctions.

Sur le terrain des sources du droit, le communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence, en ce qu’il procède parfois à une interprétation de la règle de droit, est susceptible de « faire grief ». Sa juridicité ne fait dès lors aucun doute et est, de ce fait, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (21 mars 2016, n° 390023, Dalloz actualité, 23 mars 2016, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 572 ; ibid. 717 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2017. 881, obs. D. Ferrier ; AJCA 2016. 302 ; Rev. sociétés 2016. 608, note O. Dexant - de Bailliencourt ; RFDA 2016. 506, concl. V. Daumas ; RTD civ. 2016. 571, obs. P. Deumier ; RTD com. 2016. 711, obs. F. Lombard ).

Opérations de concentration et professions juridiques réglementées

En ce qui concerne la suspension des délais d’instruction des cas relatifs aux projets de concentration et à l’installation des professions juridiques réglementées régies par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (notaires, etc.), l’Autorité de la concurrence apporte des précisions importantes qui reposent sur l’application de l’article 7 de l’ordonnance précitée (texte qui s’applique aux « administrations de l’État » au sens de l’article 6 de cette ordonnance, et par conséquent à l’Autorité de la concurrence). Sont notamment suspendus, à compter du 12 mars 2020, et jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire :

1. en matière de contrôle des concentrations, les délais légaux et réglementaires fixés notamment aux articles L. 430-5 (délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la réception de la notification complète pour se prononcer sur l’opération de concentration) et L. 430-7 du code de commerce (en cas d’examen approfondi, délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l’ouverture de celui-ci) ;

2. en ce qui concerne la liberté d’installation des professions juridiques réglementées :

le délai légal de deux mois au cours duquel l’Autorité se prononce, à la demande du ministre de la justice, sur les projets de création d’offices publics et ministériels dans les zones d’installation contrôlée (« zones orange »), et à l’issue duquel une décision implicite dudit ministre est susceptible d’intervenir ;
 le délai de la consultation publique, fixé par l’Autorité entre le 9 mars et le 9 avril 2020, en vue d’élaborer un nouvel avis sur la liberté d’installation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation (pour rappel, comme annoncé dans un communiqué de presse du 9 mars 2020, l’Autorité de la concurrence a lancé une consultation publique en vue de préparer un nouvel avis relatif à la liberté d’installation de ces professionnels, les contributeurs étant invités à répondre à un questionnaire accessible en ligne sur le site internet de l’Autorité avant le 9 avril 2020).

Le communiqué de presse précise que l’ordonnance du 25 mars 2020 ne fait pas obstacle à la réalisation d’un acte ou d’une formalité dont le terme échoit dans la période visée. Cette ordonnance permet cependant de considérer comme n’étant pas entaché d’illégalité l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti. Il insiste sur le fait que « l’Autorité fera ses meilleurs efforts, chaque fois que c’est possible, pour rendre ses décisions et avis de manière anticipée, sans attendre l’expiration des délais supplémentaires conférés par ces dispositions ».

Délais de production des observations et des mémoires

Le communiqué de presse prévoit une prorogation des délais de production des observations et des mémoires en réponse à une notification des griefs ou à un rapport. Le constat est, en effet, que les restrictions de déplacement actuellement en vigueur sur le territoire national sont de nature à rendre plus difficile l’exercice des droits de la défense. Compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, le rapporteur général a décidé que le délai de deux mois dont disposent les entreprises pour présenter, en application de l’article L. 463-2 du code de commerce, leurs observations en réponse à une notification de griefs ou un rapport, est suspendu à compter du 17 mars 2020. Ce délai reprendra à compter du lendemain de la publication du décret qui lèvera les restrictions de déplacement instituées initialement par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020.

Le communiqué de presse prend en considération la situation spécifique des entreprises ayant d’ores et déjà bénéficié, en application du quatrième alinéa de l’article L. 463-2 du code de commerce, d’un délai supplémentaire. En ce qui les concerne, cette prorogation des délais continuera à s’appliquer si elle est plus favorable que la suspension des délais. Dans le cas contraire, un nouveau délai supplémentaire pourra en tout état de cause être demandé après la levée des restrictions de déplacement, si de nouvelles circonstances exceptionnelles le justifient.

Par ailleurs, pendant la durée des restrictions de déplacement, toute demande relative aux délais est adressée aux services d’instruction et au service de la procédure par courrier électronique, à l’exclusion de tout autre mode de transmission.

Demandes de clémence

Le communiqué de presse précise que, jusqu’à la levée des restrictions de déplacement instituées par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, et par dérogation à l’article R. 464-5 du code de commerce, les demandes de clémence sont déposées par voie électronique en envoyant le formulaire accessible sur le site de l’Autorité de la concurrence dûment rempli à l’adresse suivante : , à l’exclusion de tout autre mode de transmission.

Par ailleurs, les délais d’ores et déjà accordés dans le cadre du marqueur de clémence sont suspendus à compter du 17 mars 2020, et reprendront à la levée des restrictions de déplacement.

Modalités de transmission des actes de procédure

Le constat est que les échanges par lettre recommandée avec demande d’avis de réception prescrits par la partie réglementaire du code de commerce impliquent des déplacements qui pourraient être assimilés à des « déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle ». Si de tels déplacements ne sont pas interdits en tant que tels pendant la période de confinement, il convient de les éviter dans toute la mesure du possible, afin de ralentir la propagation du virus. L’Autorité précise à cet égard qu’à ce stade, et nonobstant le secret des correspondances, elle n’envisage pas de recourir à la lettre recommandée électronique pour des raisons de confidentialité.

Le communiqué de presse précise que, compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, pendant toute la durée des restrictions de déplacement instituées initialement par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, et par dérogation aux articles R. 463-1, R. 463-11, R. 463-13, R. 463-15 et R. 464-30 du code de commerce, les saisines, observations à une notification de griefs, mémoires en réponse à un rapport, demandes de secret d’affaires ou de levée du secret des affaires sont transmises par voie électronique à l’Autorité, qui en accusera réception, à l’adresse suivante : .

De la même manière, les notifications de griefs, les rapports, les projets de déclassement d’informations confidentielles et les décisions de l’Autorité et du rapporteur général seront notifiés par voie électronique aux personnes concernées et au commissaire du gouvernement.

Les décisions ou les avis de l’Autorité sont adressés par voie électronique aux personnes concernées. La notification faisant courir les délais de recours n’interviendra, sauf exception, qu’à la suite de la levée des restrictions de déplacement. Ces transmissions ou notifications au format électronique pourront s’opérer par tout moyen : messagerie informatique, plateforme d’échanges de documents, application de transferts de fichiers, etc.

Quant aux actes transmis à l’Autorité par lettre recommandée pendant la période allant du 12 mars 2020 à aujourd’hui, ils doivent être à nouveau envoyés par voie électronique, à l’adresse électronique ci-dessus.

Délais de prescription et délais de recours

Le premier alinéa de l’article L. 462-7 du code de commerce prévoit que « l’Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s’il n’a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ». Le troisième alinéa du même article dispose que « la prescription est acquise en toute hypothèse lorsqu’un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s’est écoulé sans que l’Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci ».

En application de l’article 2, alinéa 1er, de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, les actes ou décisions mentionnés à l’article L. 462-7, qui auraient dû intervenir dans la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, afin d’éviter la prescription d’action de l’Autorité, pourront être accomplis dans un délai de deux mois à compter de la fin de cette période, sans être sanctionnés pour leur tardiveté.

De même, les recours contre les décisions de l’Autorité, qui auraient dû être formés dans la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, conformément aux délais prévus aux articles L. 464-7 (recours devant la cour d’appel de Paris dans les dix jours de la notification de la décision), L. 464-8 (introduction d’un recours dans le délai d’un mois à compter de la notification) et L. 464-8-1 (décision du rapporteur général en matière de protection du secret d’affaires) du code de commerce, pourront être accomplis dans un délai de deux mois à compter de la fin de cette période, sans être sanctionnés pour leur tardiveté.

Délais d’exécution des engagements et des injonctions

En application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, les délais de mise en œuvre des engagements, injonctions ou mesures conservatoires sont dès lors suspendus ou reportés jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Auteur d'origine: Delpech
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Contexte

Parmi les secteurs les plus durement touchés par l’épidémie de coronavirus qui frappe le monde, celui du tourisme occupe une place de premier ordre (v. J.-D. Pellier, L’impact de l’épidémie de coronavirus sur les contrats du tourisme, à paraître au Recueil). C’est la raison pour laquelle la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars) a habilité le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution. Plus précisément, celui-ci est autorisé à prendre, « dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution », étant précisé que « les projets d’ordonnance pris sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire » (art. 11, II) et qu’« un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance » (art. 11, III). Au titre de ces mesures, le gouvernement peut modifier, « dans le respect des droits réciproques, les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs ainsi que des coopératives à l’égard de leurs associés-coopérateurs, notamment en termes de délais de paiement et pénalités et de nature des contreparties, en particulier en ce qui concerne les contrats de vente de voyages et de séjours mentionnés aux II et III de l’article L. 211-14 du code du tourisme prenant effet à compter du 1er mars 2020 et les prestations relevant des séjours de mineurs à caractère éducatif organisés dans le cadre de l’article L. 227-4 du code de l’action sociale et des familles » (art. 11, I, 1°, c).

Tel est l’objet de l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure (JO 26 mars). La finalité de cette ordonnance est naturellement de protéger les professionnels du tourisme qui se trouvent contraints d’annuler des voyages, ou qui se voient imposer une telle annulation par leurs clients, en raison des mesures restrictives de déplacement mises en œuvre par de nombreux pays et qui sont donc exposés à des remboursements massifs ainsi qu’à une réduction considérable des commandes, comme l’indique le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance (le rapport précise qu’« actuellement, ce sont plus de 7 100 opérateurs de voyages et de séjour immatriculés en France qui, confrontés à un volume d’annulations d’ampleur jamais égalée et à des prises de commandes quasi nulles, sont en grande difficulté. Ce constat dépasse par ailleurs le marché français, puisque de nombreux États membres de l’Union européenne remontent ces mêmes préoccupations à la Commission européenne. À cet effet, au regard de l’ampleur du risque économique au niveau européen, la Commission européenne a publié, le 19 mars dernier, des lignes directrices ouvrant la possibilité que soit proposé au client un avoir »). Dans ces conditions, le risque de liquidations judiciaires en cascade est plus que jamais présent. La garantie financière prévue par l’article L. 211-18 du code du tourisme (v. égal. C. tourisme, art. R. 211-26 s.), déjà fortement éprouvée par la faillite du géant Thomas Cook ou encore celle de la compagnie XL Airways (v. à ce sujet X. Delpech, « Faillite » de compagnie aérienne : quels droits pour les passagers ?, JT 2019, n° 223, p. 3 ), se révélerait en effet certainement insuffisante (cette garantie, au demeurant, « ne bénéficie qu’aux consommateurs finaux, de sorte qu’un comité d’entreprise qui intervient en qualité d’organisateur ou de revendeur de voyages, et non en seule qualité de mandataire des salariés auprès d’une agence de voyages, ne peut en bénéficier », v. Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 18-21.155, Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 212 ; AJ contrat 2020. 155, obs. C. Lachièze ; JT 2020, n° 228, p. 10, obs. X. Delpech ), raison pour laquelle la réactivité du gouvernement mérite d’être saluée. Il ne s’agit pas pour autant de négliger les droits des consommateurs, qui se voient offrir une alternative en nature ou en valeur, comme l’indique également le rapport au président de la République (il est indiqué que « la présente ordonnance modifie les obligations des professionnels pour leur permettre de proposer à leurs clients, pour une période strictement déterminée et limitée dans le temps, un remboursement sous la forme d’une proposition de prestation identique ou équivalente, ou par le biais d’un avoir valable sur une longue période, de dix-huit mois, dans le but d’équilibrer le soutien aux entreprises du secteur en cette période de crise avec le respect du droit des consommateurs »).

Il importe donc de cerner précisément le champ d’application de cette ordonnance avant d’examiner le régime exceptionnel qu’elle institue.

Le champ d’application de l’ordonnance

Un vaste champ d’application matériel

Contrairement à ce que suggère la lettre de la loi d’habilitation, le domaine de l’ordonnance ne se limite pas aux contrats de vente de voyages et de séjours mentionnés aux II et III de l’article L. 211-14 du code du tourisme, c’est-à-dire aux forfaits touristiques et, semble-t-il, aux services de voyages autres que la réservation et la vente de titres de transport sur ligne régulière et la location de meublés saisonniers, ces services étant régis par les mêmes dispositions que les forfaits en vertu des articles L. 211-7 et L. 211-17-3 du code du tourisme (sur la définition du forfait et la délimitation des services de voyage, v. C. tourisme, art. L. 211-2, I et II, rédac. ord. n° 2017-1717, 20 déc. 2017, portant transposition de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées ; v. à ce sujet X. Delpech, Forfait touristique et prestation de voyage liée : régime juridique, JT 2018, n° 212, p. 27  ; C. Lachièze, Les agents de voyages et autres intermédiaires du tourisme à l’ère numérique. À propos de l’ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017, JCP 2018. 100 ; J.-D. Pellier, Le nouveau droit contractuel du tourisme, RDC 2018/3, p. 414, spéc. nos 3 et 4 ; R. Raffi, Quel champ d’application pour la directive Travel ? JT 2016, n° 185, p. 44 ), ainsi qu’aux prestations relevant des séjours de mineurs à caractère éducatif organisés dans le cadre de l’article L. 227-4 du code de l’action sociale et des familles (comme le rappelle le rapport au président de la République, ces contrats sont vendus par des associations, notamment celles organisant sur le territoire national des accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif). L’article 1er, I, de l’ordonnance englobe également les contrats portant sur les services, mentionnés au 2°, au 3° et au 4° du I de l’article L. 211-2 du code du tourisme, vendus par des personnes physiques ou morales produisant elles-mêmes ces services (ce sont des prestataires et non de simples intermédiaires du tourisme. Sur cette notion, v. C. Lachièze, Droit du tourisme, 2e éd., LexisNexis, 2020, nos 402 s.). Il s’agit donc de l’hébergement qui ne fait pas partie intégrante du transport de passagers (ce qui exclut probablement les croisières, v. en ce sens J.-M. Jude, Impossible demande en mariage sur un navire de croisière, DMF nº 816, 1er sept. 2019, p. 711) et qui n’a pas un objectif résidentiel (on songe en particulier au secteur de l’hôtellerie), de la location de voitures particulières, ainsi que tout autre service touristique, cette dernière catégorie étant ouverte, qui peut englober, par exemple, des excursions ou encore des visites touristiques (v. en à ce sujet C. Lachièze, art. préc. ; J.-D. Pellier, art. préc., n° 3). Sont en revanche exclus les services visés par le 1° de l’article L. 211-2  I préc., c’est-à-dire le transport de passagers, ce qui s’explique par le fait que celui-ci soit réglementé par le droit international et la législation de l’Union européenne sur les droits des passagers (v. par ex. règl. n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 févr. 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol. V. à ce sujet C. Collin, Coronavirus : la Commission européenne protège les droits des passagers de l’Union européenne, Dalloz actualité, 27 mars 2020), comme le souligne le rapport au président de la République. Sont également exclues les prestations de voyage liées (définies par l’art. L. 211-2, III, C. tourisme ; v. à ce sujet C. Lachièze, art. préc. ; J.-D. Pellier, art. préc., n° 5), excepté, peut-être, si le professionnel n’a pas correctement informé le voyageur quant à ses droits en la matière (l’art. L. 211-3, II, C. tourisme, prévoyant alors que « les droits et obligations prévus aux articles L. 211-11, L. 211-14 et L. 211-16 à L. 211-17-1 s’appliquent en ce qui concerne les services de voyage compris dans la prestation de voyage liée »). Enfin, sont aussi évincés les services de voyage et forfaits touristiques vendus dans le cadre d’une convention générale conclue pour le voyage d’affaires (le code du tourisme les exclut en effet en ses articles L. 211-7, II, et L. 211-17-3, 2°). Malgré ces exclusions, le domaine matériel de l’ordonnance demeure très vaste. Mais c’est également le champ d’application temporel de l’ordonnance qui est considérable.

Un vaste champ d’application temporel

Il est prévu que le dispositif posé par le texte est applicable à la résolution des contrats précités « lorsqu’elle est notifiée entre le 1er mars 2020 et une date antérieure au 15 septembre 2020 inclus » (on observera cependant que la résolution envisagée par l’art. L. 211-13, C. tourisme, en tant qu’alternative à la modification d’un élément essentiel du contrat proposée par le professionnel à la suite d’un événement extérieur qui s’impose à lui est laissée sous le boisseau, v. à ce sujet J.-D. Pellier, La modification unilatérale du contrat en droit du tourisme, AJ contrat, à paraître, n° 8). Cette période étonne à un double titre : d’abord, parce que son point de départ, le 1er mars 2020, jure avec l’article 11, I, de la loi d’habilitation, qui permet au gouvernement de prendre toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, même s’il est vrai que le c) de ce texte vise les contrats prenant effet à compter du 1er mars (mais la loi de ratification pourrait aisément corriger ce point). Ensuite, parce que son expiration, le 15 septembre 2020, préjuge de la durée de la crise et des mesures restrictives de déplacements adoptées par la plupart des pays. Mais si cette crise s’achève avant l’été (ce que l’on peut espérer), est-ce à dire que les voyageurs pourront néanmoins résoudre leurs contrats jusqu’au 15 septembre et relever du dispositif prévu par l’ordonnance ? En d’autres termes, cette dernière pose-t-elle en creux une présomption en vertu de laquelle les circonstances exceptionnelles et inévitables pourront être invoquées par les voyageurs jusqu’au 15 septembre ? On peut en douter mais, là encore, la loi de ratification pourrait le préciser.

Quoi qu’il en soit, cela signifie que toute résolution de l’un des contrats entrant dans le champ d’application matériel de l’ordonnance intervenue durant cette période est soumise au régime institué par l’ordonnance, qui est original non seulement au regard du droit du tourisme mais également du droit commun des contrats.

Le régime institué par l’ordonnance

Rappel du droit commun

Afin de comprendre les innovations proposées par l’ordonnance, il convient de rappeler le droit commun applicable en cas de résolution des contrats visés par le texte. S’agissant des forfaits touristiques et des services de voyage, l’article L. 211-14 du code du tourisme prévoit, en son II, que « le voyageur a le droit de résoudre le contrat avant le début du voyage ou du séjour sans payer de frais de résolution si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du contrat ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. Dans ce cas, le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués mais pas à un dédommagement supplémentaire ». Le III du même texte prévoit une faculté analogue au profit du professionnel : « L’organisateur ou le détaillant peut résoudre le contrat et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués », étant précisé qu’il n’est pas tenu à une indemnisation supplémentaire, s’il « est empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résolution du contrat au voyageur dans les meilleurs délais avant le début du voyage ou du séjour ». L’article R. 211-10, alinéa 1er, du même code précise, en sa seconde phrase, que « ces remboursements au profit du voyageur sont effectués dans les meilleurs délais et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résolution du contrat ». En somme, en présence de circonstances exceptionnelles et inévitables (définies par le code du tourisme en son article L. 211-2, V, 2°, comme « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises »), qui ne sont autres qu’un avatar de la force majeure (v. en ce sens C. Lachièze, Droit du tourisme, op. cit., nos 291, 319 et 366 ; J.-D. Pellier, art. préc., spéc. n° 10), le contrat peut être résolu tant par le professionnel que par le voyageur, ce dernier ayant le droit d’obtenir le remboursement des sommes déjà versées en argent.

Il en va de même mutatis mutandis pour les contrats non régis par le code du tourisme, mais c’est alors le droit commun des contrats qui s’applique, c’est-à-dire des articles 1218 et 1229 du code civil. Le premier de ces textes dispose qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 » (v. à ce sujet J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 ). Le second prévoit, en ses alinéas 3 et 4, que « lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ». Quoi qu’il en soit, là encore, le voyageur a le droit d’obtenir le remboursement des frais engagés sans conditions. Mais l’ordonnance du 25 mars 2020 déroge à ces règles.

Régime dérogatoire institué par l’ordonnance

Le régime dérogatoire posé par le gouvernement est plus complexe que la mesure qui avait pu être annoncée il y a quelques jours, consistant à proposer aux voyageurs des avoirs en lieu et place de l’argent auquel ils pourraient prétendre consécutivement à la résolution du contrat (v. M. Visseyrias, Coronavirus : des avoirs pour éviter des faillites dans le tourisme, Le Figaro, 17 mars 2020). Il est certes prévu, par le II de l’article 1er de l’ordonnance, que le professionnel peut proposer (il s’agit donc non d’une obligation, mais d’une faculté qui évoque le mécanisme de l’obligation facultative au sens de l’article 1308 du code civil), à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir, ce qui est évidemment dérogatoire au droit contractuel du tourisme ainsi qu’au droit commun des contrats (le texte dispose d’ailleurs qu’il y a là une dérogation aux dispositions de la dernière phrase du II de l’article L. 211-14 du code du tourisme et de la première phrase du III du même article ainsi qu’aux dispositions du troisième alinéa de l’article 1229 du code civil). Mais cet avoir devra être utilisé « dans les conditions prévues par les dispositions des III à VI du présent article ».

Tout d’abord, le III prévoit que le montant de l’avoir est égal à celui de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu, ce qui est parfaitement logique. Le client se verra donc rétrocéder, sous forme d’avoir, l’ensemble des paiements qu’il a pu réaliser, qu’il s’agisse d’arrhes, d’acomptes ou de la totalité du prix. Plus précisément, si des arrhes ou acomptes (sur la différence, v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 121) ont été versés, il est bien évident que le client n’aura pas à payer le solde du voyage une fois le contrat résolu. Le montant de l’avoir correspondra donc à celui des arrhes ou acomptes. Si, en revanche, le client avait déjà versé l’intégralité du prix du voyage, l’avoir correspondra à cette somme.

Il est ensuite prévu que, lorsque cet avoir est proposé, le client ne peut solliciter le remboursement de ces paiements (sous réserve des dispositions du VII, v. infra). Le professionnel proposant un tel avoir doit en informer le client sur un support durable (pour la définition du support durable, v. C. tourisme, art. L. 211-2, V, 2°) au plus tard trente jours après la résolution du contrat, ou, si le contrat a été résolu avant la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance, au plus tard trente jours après cette date d’entrée en vigueur (qui n’est pas expressément précisée, même si l’on peut supposer qu’il s’agit du 27 mars 2020, c’est-à-dire le lendemain de la publication de l’ordonnance). Cette information doit naturellement préciser le montant de l’avoir, ainsi que ses conditions de délai et de durée de validité prévues par la suite du texte. On observera cependant qu’aucune sanction n’est prévue en cas de manquement à cette obligation d’information, ce que l’on peut regretter. Le client retrouvera-t-il la faculté de demander immédiatement le remboursement en argent ? La question mérite d’être posée…

La fin de ce même III apporte une précision très importante concernant les contrats relevant du code du tourisme en prévoyant que « les dispositions de l’article L. 211-18 du code de tourisme sont applicables à l’avoir proposé à la suite de la résolution d’un contrat mentionné au 1° du I du présent article ainsi que, sous réserve qu’il s’agisse également d’un contrat mentionné à ce 1°, au contrat relatif à la prestation pour laquelle cet avoir est utilisé ». Cela signifie que la garantie financière pesant sur les professionnels du tourisme couvrira cet avoir et le contrat qui sera éventuellement conclu par la suite (v. infra), ce qui est heureux, et démontre, une fois de plus, la supériorité du code du tourisme en termes de protection du voyageur.

Si l’on s’arrêtait à ce stade, on pourrait croire que le voyageur est libre d’utiliser l’avoir comme bon lui semble. Mais le gouvernement a fait le choix de faire peser sur les professionnels une obligation, prévue par le IV du même texte, consistant à proposer à leur client une nouvelle prestation qui fait l’objet d’un contrat devant répondre à certaines exigences : la prestation doit être identique ou équivalente à celle prévue par le contrat résolu ; son prix ne doit pas être supérieur à celui de cette prestation, le voyageur n’étant tenu, le cas échéant, qu’au paiement correspondant au solde du prix de ce contrat ; enfin, ladite prestation ne donne lieu à aucune majoration tarifaire autre que celles que, le cas échéant, le contrat résolu prévoyait. En d’autres termes, les professionnels doivent proposer à leurs clients un voyage de substitution de qualité équivalente à celui qui a dû être annulé (c’est d’ailleurs ce que prévoyait mutatis mutandis l’ancien article R. 211-10 du code du tourisme, qui après avoir posé le droit au remboursement du voyageur en cas d’annulation du voyage par le professionnel, ajoutait que « les dispositions du présent article ne font en aucun cas obstacle à la conclusion d’un accord amiable ayant pour objet l’acceptation, par l’acheteur, d’un voyage ou séjour de substitution proposé par le vendeur ». Pour un exemple récent, v. Civ. 1re, 14 nov. 2019, nos 18-21.203 et 18-21.204, D. 2020. 257 , note J.-D. Pellier ; JT 2020, n° 227, p. 11, obs. X. Delpech ; CCC 2010. Comm. 14, obs. S. Bernheim-Desvaux ; JCP 20 janv. 2020. 54, note I. Bon-Garcin. Une partie de la doctrine y voit une transaction, v. en ce sens I. Bon-Garcin, note préc. ; Rép. com., v° Agence de voyages, par Y. Dagorne-Labbe, n° 49 ; C. Lachièze, Droit du tourisme, 1re éd., LexisNexis, 2014, n° 347. Mais il est possible de l’analyser en une dation en paiement, v. en ce sens J.-D. Pellier, note préc.).

Le V de l’article 1er de l’ordonnance ajoute que cette proposition doit être formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution et qu’elle est valable pendant une durée de dix-huit mois. Il convient toutefois d’observer que cette règle sera parfois difficile à appliquer en ce qui concerne les contrats autres que les forfaits touristiques, dans la mesure où la résolution de ces contrats ne nécessite aucune notification, l’article 1218, alinéa 2, du code civil prévoyant une résolution de plein droit en cas de force majeure (il est vrai, cependant, qu’une notification est difficilement contournable en pratique, rappr. O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 539). En outre, le délai de trois mois est peut-être insuffisant au regard de l’ampleur de la crise sanitaire qui nous frappe.

Le VI du texte précise, quant à lui, que, lorsque les professionnels proposent au client qui le leur demande une prestation dont le prix est différent de celui de la prestation prévue par le contrat résolu (cela implique, si le prix est supérieur à celui originellement prévu, une initiative du client puisque le IV impose au professionnel de proposer une prestation dont le prix n’est pas supérieur à celui de la prestation initiale), le prix à acquitter au titre de cette nouvelle prestation tient compte de l’avoir (le rapport au président de la République indique que cela se traduit, en cas de prestation de qualité et de prix supérieurs, par le paiement d’une somme complémentaire et, en cas de prestation d’un montant inférieur au montant de l’avoir, par la conservation du solde de cet avoir, restant utilisable selon les modalités prévues par l’ordonnance, jusqu’au terme de la période de validité de l’avoir, celui-ci étant donc sécable). Mais c’est bien la moindre des choses…

Enfin, le VII vient clore le régime exceptionnel prévu par le gouvernement en envisageant, de façon tout à fait opportune, l’hypothèse dans laquelle le client n’a pas accepté la proposition du professionnel dans le délai de dix-huit mois (ce qui risque fort de ne pas être une hypothèse d’école compte tenu du contexte sanitaire). Il doit alors être procédé au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu, en ce compris, le cas échéant, le remboursement d’un montant égal au solde de l’avoir qui n’a pas été utilisé par le client.

Finalement, sous le poids des circonstances, l’ordonnance renoue avec une logique consumériste dont le droit du tourisme s’était quelque peu écarté (v. à ce sujet C. Lachièze, Droit du tourisme, op. cit., nos 32 s.). En effet, à l’instar de ce que prévoit le code de la consommation en matière de vente (C. consom., art. L. 217-9 et L. 217-10 ; v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., op. cit., n° 253), une priorité est donnée aux remèdes en nature (le voyage de substitution) et le remède en valeur (le remboursement en argent) n’est envisagé que dans un second temps. Par où l’on voit que le droit n’est qu’un éternel recommencement.

Auteur d'origine: jdpellier

La période de confinement imposée par la crise sanitaire du covid-19 n’est pas sans risque pour les groupements. Leur activité est mise à mal. Mais c’est également la continuité de leur fonctionnement qui se trouve entravée. Comble de malchance, le printemps est l’époque où se réunissent généralement les assemblées générales annuelles, celles amenées à approuver les comptes du dernier exercice clos. Même si les moyens modernes de communication favorisent la tenue des organes des personnes morales sous forme dématérialisée – on pense en particulier à la visioconférence – tous les groupements ne sont pas à la page. Il était donc nécessaire que le « législateur » intervienne pour adapter la législation en ce domaine. Ce qui est fait, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ayant habilité le gouvernement à simplifier et à adapter par voie d’ordonnances « les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités se réunissent et délibèrent ainsi que les règles relatives aux assemblées générales » (art. 11, I, 2°, f). Cette ordonnance n’a pas tardé à être prise : il s’agit de l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020. Elle doit encore être complétée par un décret d’application dont la publication est attendue rapidement.

Application de l’ordonnance

S’agissant de son application dans le temps, l’ordonnance du 25 mars 2020 est applicable aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020 (art. 11).

S’agissant de son application dans l’espace, l’ordonnance est applicable, outre en métropole et dans les départements d’outre-mer, à Wallis-et-Futuna (art. 12).

Pour ce qui est de son application ratione personae, elle vise l’ensemble des personnes morales de droit privé, ainsi qu’aux entités dépourvues de personnalité. L’article 1er de l’ordonnance donne une liste non limitative de ces personnes et entités : sociétés civiles et commerciales, masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers (masses d’obligataires, essentiellement), groupements d’intérêt économique et groupements européens d’intérêt économique, coopératives, mutuelles, unions de mutuelles et fédérations de mutuelles, sociétés d’assurance mutuelle et sociétés de groupe d’assurance mutuelle, instituts de prévoyance et sociétés de groupe assurantiel de protection sociale, caisses de crédit municipal et caisses de crédit agricole mutuel, fonds de dotation, associations et fondations. S’agissant des entités non pourvues de la personnalité morale, on songe immédiatement à la société en participation (elle est d’ailleurs expressément citée par le rapport au président de la République), à l’association non déclarée ou encore, probablement, au fonds de titrisation.

 Règles applicables aux assemblées

L’ordonnance du 25 mars 2020 envisage le fonctionnement de l’assemblée générale d’un point de vue chronologique.

1. D’abord, les règles de convocation (art. 2). Elles sont, par hypothèse, plus strictes dans les sociétés cotées, certains membres devant être convoqués par voie postale. Or, selon la jurisprudence, une irrégularité dans la convocation est une cause d’annulation de l’assemblée (Com. 6 juill. 1983, D. 1983. IR 476 ; Rev. sociétés 1984. 76, note Y. Guyon). Cette jurisprudence est neutralisée par l’ordonnance, laquelle prévoit qu’« aucune nullité de l’assemblée n’est encourue du seul fait qu’une convocation n’a pas pu être réalisée par voie postale en raison de circonstances extérieures à la société ». Comme le précise le rapport au président de la République, ces circonstances extérieures « recouvrent notamment l’hypothèse dans laquelle les sociétés mentionnées audit article – ou leurs prestataires – ont été empêchées d’accéder à leurs locaux ou de préparer les convocations nécessaires, dans le contexte de l’épidémie de covid-19 ». Aucune disposition n’est prise concernant les règles de convocation applicables dans les autres groupements ; c’est donc, en ce qui les concerne, les règles habituelles qui s’appliquent.

2. Ensuite, l’information des membres du groupement (art. 3). L’ordonnance étend et facilite, dans tous les groupements de droit privé, l’exercice dématérialisé du droit de communication dont les membres des assemblées jouissent préalablement aux réunions de ces dernières. Pour rappel, ce droit de communication préalable peut être prévu par la loi (par ex. C. com., art. L. 223-26 pour les SARL) ou par les statuts (cas pour les associations, par ex.). L’ordonnance prévoit ainsi que « cette communication peut être valablement effectuée par message électronique, sous réserve que le membre indique dans sa demande l’adresse électronique à laquelle elle peut être faite ».

3. Concernant la participation à l’assemblée du groupement (art. 4), toutes formes juridiques confondues, l’ordonnance autorise exceptionnellement la tenue des assemblées sans que leurs membres – ainsi que, comme le précise le rapport au président de la République, les autres personnes ayant le droit d’y assister, telles que les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel – assistent à la séance. Cela, que ce soit en y étant présents physiquement ou par des moyens de visioconférence ou de télécommunication. L’assemblée aura alors lieu à huis clos.

Il faut pour cela que l’assemblée qui devait être convoquée fût prévue « en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires ». Selon le rapport au président de la République, « cette mesure est nécessaire pour permettre aux assemblées de statuer sur les décisions relevant de leur compétence, dont certaines sont essentielles au fonctionnement des groupements, et dont l’ajournement pourrait avoir des conséquences significatives sur le financement de ces groupements, leurs membres et, dans le cas des sociétés cotées, les marchés financiers ». Par exemple, on sait, en effet, que la loi impose la réunion de l’assemblée générale annuelle dans les six mois de la clôture de l’exercice (C. com., art. L. 225-100, al. 1er). La décision de faire application de cette mesure incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée, qui peut déléguer sa compétence à cet effet au représentant légal du groupement.

Comme le précise le rapport, cette mesure « emporte dérogation exceptionnelle et temporaire au droit des membres des assemblées d’assister aux séances ainsi qu’aux autres droits dont l’exercice suppose d’assister à la séance (tels que, par exemple, le droit de poser des questions orales ou de modifier les projets de résolutions en séance dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions) ». En revanche, elle est sans effet sur les autres droits des membres du groupement, au premier chef, le droit de vote (mais également le droit de poser des questions écrites et le droit de proposer l’inscription de points ou de projets à l’ordre du jour dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions). D’aucuns diront que cet article est destiné à neutraliser les velléités de certains fonds dits « activistes » de mener la zizanie au sein des assemblées générales des sociétés cotées.

Puis, afin de faciliter la participation des membres des assemblées qui se tiendront à huis clos, l’ordonnance étend et assouplit exceptionnellement le recours à la visioconférence et aux moyens de télécommunication (art. 5). S’agissant des groupements pour lesquels ce mode de participation alternatif n’est pas déjà prévu par la loi (cas de la société en nom collectif, par exemple), l’ordonnance l’autorise exceptionnellement. S’agissant des groupements pour lesquels ce mode de participation alternatif est déjà prévu par la loi (SARL, par ex. ; C. com., art. L. 223-27, al. 3), l’ordonnance neutralise exceptionnellement les conditions exigées pour le vote par visioconférence (en particulier la condition tenant à l’existence d’une clause à cet effet dans les statuts). Selon le II de l’article 5, il importe que les moyens techniques utilisés respectent les exigences réglementaires et qu’ils « transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ». Il ne faudrait pas, en effet, que le procédé de visioconférence mis en œuvre soit de mauvaise qualité et ne permette pas de garantir l’intégrité et la qualité des débats.

Dans le même ordre d’idées, l’ordonnance assouplit le recours à la consultation écrite pour la prise de décision collective par les membres du groupement (art. 6). On songe à la SARL où cela est possible, sauf pour l’approbation des comptes, dès lors que les statuts le prévoient (C. com., art. L. 223-27, al. 1er). Dans les groupements où ce mode de participation alternatif qu’est la consultation écrite est déjà prévu par la loi, l’ordonnance la rend possible sans qu’une clause des statuts ou du contrat d’émission soit nécessaire à cet effet ou puisse s’y opposer. Cette mesure concerne l’ensemble des décisions relevant de la compétence des assemblées des groupements, y compris, le cas échéant, celles relatives aux comptes.

4° L’ordonnance prend enfin en compte une situation à laquelle de nombreuses sociétés ont dû être confrontées : elles ont commencé à procéder aux formalités de convocation avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance en vue d’une assemblée appelée à se tenir après cette date (art. 7). Or, compte tenu du confinement, l’assemblée ne pourra se tenir au lieu prévu par la convocation. Dans ce cas, si le groupement décide de faire application de la possibilité de tenir une assemblée hors la présence de ses membres à la séance ou de l’un des modes alternatifs de participation dont le recours est assoupli par l’ordonnance (visioconférence et moyens de télécommunication, consultation écrite), il doit alors en informer les associés, soit par voie de communiqué dans les sociétés cotées, soit par tous moyens permettant d’assurer l’information effective des membres dans les autres sociétés. Les formalités de convocation déjà accomplies à la date de cette décision n’ont pas à être renouvelées. En revanche, celles restant à accomplir doivent l’être.

Règles relatives aux organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction

Comme pour les assemblées, l’ordonnance du 25 mars 2020 étend et assouplit exceptionnellement le recours aux moyens de visioconférence et de télécommunication pour tous ces organes, toutes formes juridiques confondues (conseil d’administration, conseil de surveillance, etc.), que ce recours soit d’ores et déjà prévu par la loi ou non (art. 8). Ce procédé est exceptionnellement autorisé « sans qu’une clause des statuts ou du règlement intérieur soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer » et pour tout type de décision, y compris celles relatives à l’arrêté ou à l’examen des comptes annuels, ainsi que le précise le rapport au président de la République. Là encore, les moyens techniques mis en œuvre pour assurer la tenue de la réunion doivent permettre l’identification des membres de ces organes et garantir leur participation effective. C’est pourquoi il est requis que « ces moyens transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ».

Logiquement, l’ordonnance étend et assouplit le recours à la consultation écrite, là encore qu’elle soit déjà ou non prévue par la loi (art. 9). Les clauses contraires des statuts ou du règlement intérieur s’opposant à ce mode de consultation sont neutralisées. Il importe simplement que la consultation écrite soit réalisée dans des conditions – en particulier de délais, précise le rapport au président de la République – « assurant la collégialité de la délibération ». Cela doit vouloir dire que cette consultation doit pouvoir être précédée d’une période nécessaire au cours de laquelle les membres de l’organe ont pu, conformément au principe délibératif, librement échanger leurs points de vue sur les questions qui leur sont soumises.

Auteur d'origine: Delpech

Un principe, des exceptions

L’article premier prévoit une période spéciale pour tous les délais arrivés à échéance entre le 12 mars et le mois qui suivra la fin de de l’état d’urgence sanitaire.

Pendant cette période, sont suspendus les délais pour tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement qui devaient échoir. Un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, le délai recommencera à courir et l’acte devra être fait. Toutefois, dans tous les cas, le report est limité à deux mois après la fin de la période spéciale.

Sont exclus les délais déjà aménagés par la loi d’urgence promulguée lundi, les délais en matière pénale ou de procédure pénale (l’ordonnance pénal prévoit que les délais de recours sont doublés et ne peuvent être inférieurs à 10 jours), les mesures privatives de liberté, les délais relevant du code électoral, les inscriptions à une voie d’accès de la fonction publique ou une formation de l’enseignement supérieur et les obligations financières relevant des compensations et cessions de créances. Par ailleurs, l’article 10 prévoit qu’il n’y aura pas de report pour les déclarations fiscales.

Par contre, la période spéciale s’applique aux mesures restrictives de liberté et aux autres mesures limitant un droit ou une liberté constitutionnellement garanti, sous réserve qu’elles n’entraînent pas une prorogation au-delà du 30 juin 2020.

L’article 3 liste les mesures judiciaires et administratives dont l’effet est prorogé de plein droit pour une durée de deux mois à compter de l’expiration de la période spéciale (état d’urgence sanitaire + 1 mois). Il s’agit notamment des mesures conservatoires, d’enquête, de conciliation, d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction, ainsi que des autorisations, des permis ou mesures d’aide.

Les astreintes, clauses pénales, résolutoires ou de déchéance qui auraient dû produire leurs effets pendant la période spéciale sont suspendues. Elles prendront effet un mois après la fin de cette période. Celles qui avaient commencé à courir avant le 12 mars voient leur cours suspendu. L’article 5 prévoit la prolongation de deux mois après la fin de la période spéciale les délais pour résilier une convention lorsqu’elle doit se faire dans une période prédéfinie.

Pour les administrations, les délais dans lesquels elles doivent rendre une décision ou un avis sont repoussés jusqu’à la fin d’une période spéciale. L’ordonnance ménage une possibilité d’exception pour certains actes administratifs, qui seront fixés par décret, pour des motifs d’intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de préservation de l’environnement ou de protection de la santé, de la salubrité publique ou de l’enfance. Par ailleurs, les délais applicables en matière de recouvrement et de contestation des créances publiques sont suspendus pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de trois mois.

Auteur d'origine: babonneau

Le maintien du rôle de la Commission européenne dans le contrôle des aides d’État

Dans le cadre de leur politique économique, les États membres peuvent décider de soutenir des entreprises ou des secteurs locaux à l’aide de fonds publics. Cependant, une telle aide peut donner aux bénéficiaires un avantage déloyal par rapport aux opérateurs économiques officiant sur les mêmes secteurs dans d’autres pays de l’Union européenne, et nuit donc au droit européen de la concurrence. La Commission européenne a notamment pour rôle d’empêcher ces situations, en n’autorisant les aides d’État que si elles servent réellement l’intérêt public, c’est-à-dire lorsqu’elles bénéficient à la société ou à l’économie dans son ensemble (TFUE, art. 108). Pour déterminer si une aide d’État est autorisée par le droit de l’Union, en application de l’article 107 du TFUE, la Commission doit en particulier identifier comment les autorités publiques ont aidé des entreprises, c’est-à-dire par le biais de subventions, d’allègements fiscaux, de bonifications d’intérêts, de garanties, de prises de participation dans des sociétés, de fourniture de biens et de services à des conditions préférentielles, etc. Elle doit ensuite déterminer si un tel soutien risque de nuire aux échanges commerciaux entre les pays de l’UE (une aide de moins de 200 000 € sur une période de trois ans est ainsi réputée sans effet sur le commerce dans l’UE). Par ailleurs, la Commission doit se demander si ce soutien est sélectif, autrement dit s’il est destiné à des entreprises ou des secteurs spécifiques, ou à des entreprises établies dans une région en particulier. En tout état de cause, les gouvernements des États membres doivent informer au préalable la Commission européenne de leur intention d’octroyer des aides financières. Si la Commission considère que la concurrence a été faussée, ou risque de l’être, elle pourra considérer que l’aide d’Etat est incompatible avec les règles du marché commun et ordonner l’annulation de l’aide ainsi que le recouvrement des montants déjà versés.

Ces règles générales ne sont cependant pas inflexibles et la Commission reconnaît que les États membres peuvent être contraints d’agir pour résoudre les problèmes apparus dans le secteur financier. Ainsi, pour répondre à la crise financière de 2008, elle a ainsi pu adopter des règles temporaires spéciales relatives au soutien accordé aux banques, qui permettaient aux États membres, de manière temporaire et jusqu’à fin 2010, d’octroyer des aides financières, des garanties pour les prêts assortis d’une réduction de prime ou des prêts bonifiés aux banques, dès lors que ces dernières s’engageaient à adopter des mesures de lutte contre la crise économique (V. Dalloz actualité, 21 janv. 2009, obs. M.-C. de Montecler).

Dans la droite lignée de ce régime exceptionnel temporaire, la communication de la Commission n° 2020/C 91/01 du 20 mars 2020 annonce des tempéraments temporaires au régime des aides d’États, pour permettre aux membres de l’Union européenne et à leurs économies de faire face à l’épidémie de covid-19. Dès l’introduction de sa communication, la Commission commence par décrire l’impact économique de l’épidémie de covid-19 pour l’économie mondiale, et celle de l’Union européenne, et appelle à une action économique coordonnée des États membres. Consciente que ces circonstances entraînent une grave crise des liquidités, notamment pour les entreprises, elle annonce que « [d]ans ce contexte, il convient que les États membres puissent prendre des mesures pour inciter les établissements de crédit et les autres intermédiaires financiers à continuer à jouer leur rôle de soutien permanent à l’activité économique dans l’Union européenne ». Toutefois, selon la Commission, cela nécessite une action coordonnée dans l’Union européenne ainsi qu’une « application ciblée et proportionnée du contrôle des aides d’État dans l’UE », qui « garantit la non-fragmentation du marché intérieur de l’Union et la préservation de conditions de concurrence équitables. Si l’intégrité du marché intérieur est maintenue, la reprise en sera aussi plus rapide. Cela permet également de prévenir les courses aux subventions préjudiciables, au cours desquelles les États membres disposant de plus de moyens peuvent dépenser plus que leurs voisins, et ce au détriment de la cohésion au sein de l’Union ».

Un régime assoupli en réaction à l’épidémie de covid-19

Si la Commission indique ainsi qu’elle sera vigilante sur les aides accordées par les États membres, même dans le cadre de la lutte contre le covid-19, elle dresse également le régime actuel des aides d’État offre des outils aux membres pour réagir à la crise.

Elle rappelle d’une part que, conformément à ce qu’elle avait indiqué dans une communication précédente (Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, à la Banque européenne d’investissement et à l’Eurogroupe - Réaction économique coordonnée à la flambée de covid-19, COM(2020) 112 final du 13 mars 2020), les États membres disposent de certaines options d’action économique qui ne nécessitent pas l’intervention de la Commission.

Il en est ainsi des mesures applicables à toutes les entreprises, comme l’octroi de subventions salariales, la suspension du paiement de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée ou des cotisations sociales, ou d’un soutien financier direct aux consommateurs en cas d’annulation de services ou de billets qui ne sont pas remboursés par les opérateurs concernés.

Les États membres peuvent également concevoir des mesures de soutien conformes au règlement général d’exemption par catégorie sans aucune intervention de la Commission (v. Règl. [UE] n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du Traité, JO L 187 du 26 juin 2014, p. 1) :

sur la base de l’article 107, § 3, c), du TFUE, les États membres peuvent notifier à la Commission des régimes d’aides visant à répondre à des besoins de liquidité pressants et à soutenir les entreprises confrontées à des difficultés financières, et ce également lorsque ces difficultés sont dues à la flambée de covid-19 ou aggravées par celle-ci (voir Lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers, JO C 249 du 31 juill. 2014, p. 1) ;l’article 107, § 2, point b), du TFUE autorise également les États membres à indemniser les entreprises de secteurs particulièrement touchés par la flambée épidémique (transports, tourisme, culture, hôtellerie et restauration, et commerce de détail, par exemple) et/ou les organisateurs d’événements annulés pour les dommages subis qui ont été directement causés par cette flambée épidémique ;les États membres peuvent, sur la base de l’article 107, § 2, point b), du TFUE, indemniser les entreprises pour les dommages causés directement par la flambée de covid-19, même si elles ont bénéficié d’aides au titre desdites lignes directrices.

En complément, la Commission énumère par ailleurs une série d’autres mesures d’aide d’État temporaires qu’elle juge compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, § 3, b), du TFUE, et qui peuvent être autorisées très rapidement après leur notification par l’État membre concerné :

si cette aide est destinée à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre (la perturbation doit affecter l’ensemble ou une partie importante de l’économie de l’État membre concerné) ;si les aides prises ont pour but de remédier au manque de liquidité auquel sont confrontées les entreprises, et de faire en sorte que les perturbations causées par la flambée de covid-19 ne compromettent pas leur viabilité, en particulier dans le cas des PME ;si les mesures d’aide d’État notifiées à la Commission sont nécessaires, appropriées et proportionnées pour remédier à une perturbation grave de l’économie de l’État membre concerné.

Ces aides peuvent prendre la forme de subventions directes, d’avances remboursables ou d’avantages fiscaux, de garanties sur les prêts, des aides sous forme de taux d’intérêt bonifiés pour les prêts, des aides sous forme de garanties et de prêts acheminées par des établissements de crédit ou d’autres établissements financiers, des assurance-dit à l’exportation à court terme. Dans chacun de ces cas, la communication détaille les conditions dans lesquelles elle autorisera de telles aides.

La Commission précise par ailleurs qu’un tel régime s’applique à partir du 19 mars 2020, compte tenu des répercussions économiques de la flambée de covid-19, qui exigeaient une action immédiate, et ne sera pas appliquée au-delà du 31 décembre 2020.

Auteur d'origine: ccollin

Dalloz actualité diffuse les 26 ordonnances, après leur passage au Conseil d’État, avant la présentation en conseil des ministres.

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Auteur d'origine: babonneau

Moins d’une semaine après sa présentation en conseil des ministres, le 18 mars dernier, la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 a été publiée au Journal officiel, soit le 24 mars. La mesure emblématique contenue dans ce texte consiste en la mise en place d’un mécanisme de garantie de l’État des prêts consentis par des établissements de crédit à hauteur de 300 milliards d’euros (art. 6). A également été publié un arrêté qui fixe le cahier des charges des prêts éligibles à la garantie de l’État et précise les conditions d’octroi de celle-ci. Ce dispositif se veut « massif et inédit », selon les termes de Bruno Le Maire. Massif, car le montant plafond de la garantie s’élève tout de même à près de 15 % du PIB français (il reste toutefois à espérer qu’il ne sera pas utile d’utiliser cette « enveloppe » dans sa totalité). Inédit, compte tenu à la fois de la rapidité dans l’élaboration et le vote de ce dispositif et de son contenu, qui ne paraît se rattacher à aucun des instruments qui avaient jusque-là été conçus par la puissance publique dans des situations de crise (on se souvient, en particulier, que, lors de la crise financière de 2008-2009, l’État avait privilégié un instrument juridique éprouvé, notamment en faveur du secteur de l’automobile, à savoir le prêt participatif). Relevons également qu’il a une vaste portée géographique, puisqu’il s’applique, outre dans la métropole, dans les départements d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans îles Wallis et Futuna (art. 6, VIII).

Entreprises éligibles

La garantie couvre le remboursement du crédit, à la fois en principal, intérêts et accessoires (art. 6, II). Mais elle ne bénéficie pas à toutes les entreprises. Ce sont seulement les entreprises françaises, précisément les « entreprises non financières immatriculées en France », qui y sont éligibles (art. 6, I). Comme le précise l’arrêté d’application du 23 mars 2020 (art. 3), sont concernées les entreprises de toute taille, quelle que soit leur forme juridique (notamment sociétés, commerçants, artisans, exploitants agricoles, professions libérales, micro-entrepreneurs, associations et fondations ayant une activité économique), à l’exception des sociétés civiles immobilières, des établissements de crédit et des sociétés de financement, pourront demander à leur banque habituelle un prêt garanti par l’État pour soutenir leur trésorerie. Les entreprises concernées ne doivent pas faire l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation). En revanche, les entreprises faisant l’objet d’une procédure préventive de type conciliation sont éligibles à la garantie.

S’agissant des grandes entreprises, on aurait pu croire qu’elles seraient exclues du dispositif, compte tenu de la réglementation européenne sur les aides d’État (régime des aides de minimis). Il n’en est rien, mais, dans la mesure où, en ce qui les concerne, c’est le ministre qui est décisionnaire sur l’octroi de la garantie (v. infra), nul doute que celui-ci va prendre en compte l’effet anticoncurrentiel éventuel de la garantie dans sa décision de l’octroyer ou non à l’entreprise qui la sollicite.

Prêts éligibles

La garantie de l’État concerne les prêts octroyés entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2020 (art. 6, I), c’est-à-dire pendant la période de confinement et celle qui va suivre, au cours desquelles il est fort à craindre que nombre d’entreprises sevrées de recettes auront vu leur situation financière fragilisée, de telle sorte que l’accès au crédit devrait être problématique. Ces prêts, a précisé le ministre, sont destinés à permettre « de soulager la trésorerie des entreprises et des professionnels qui subissent le choc lié à l’urgence sanitaire ». Il ne s’agit pas de crédit d’investissement, par exemple. Par ailleurs, ce mécanisme de garantie ne concerne en aucune manière les prêts qui avaient été consentis avant la date fatidique du 16 mars et pour lesquels de nombreuses entreprises auront les pires difficultés à faire face à leurs échéances de remboursement. Ce problème n’est pas mince et préoccupe, outre les entreprises concernées, tant les établissements de crédit que les pouvoirs publics. Mais sa solution – s’il y en a une – relève d’autres instruments. On pense en particulier à la prochaine réforme du droit des entreprises en difficulté qui doit être adoptée dans les trois mois par voie d’ordonnance en vertu de l’habilitation donnée au gouvernement par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (art. 11, I, 1°, d) : cette ordonnance doit « [adapter] les dispositions du livre VI du code de commerce et celles du chapitre Ier du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime afin de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises et les exploitations »). On pense également au dispositif du médiateur du crédit aux entreprises, d’ailleurs créé à la suite de la crise de 2008-2009, mais ses moyens – qui relèvent essentiellement de la persuasion – sont extrêmement limités.

La loi de finances rectificative pour 2020 du 23 mars 2020, complétée par l’arrêté du même jour, apporte des précisions sur les prêts éligibles à la garantie (art. 6, III). Elle précise qu’ils doivent répondre à un cahier des charges défini par l’arrêté précité du 23 mars 2020. Mais la loi fournit néanmoins quelques lignes directrices. Ils doivent comporter un différé d’amortissement minimal de douze mois et une clause donnant à l’emprunteur la faculté, à l’issue de la première année, de les amortir sur une période additionnelle calculée en nombre d’années, selon son choix et dans la limite d’un nombre maximal d’années précisé par le même arrêté. De plus, les concours totaux apportés par l’établissement prêteur à l’entreprise concernée ne doivent pas avoir diminué, lors de l’octroi de la garantie, par rapport au niveau qui était le leur le 16 mars 2020. Pour répondre à ces exigences, l’arrêté précise que sont éligibles les prêts qui présentent l’ensemble des caractéristiques suivantes : un différé d’amortissement minimal de douze mois ; une clause donnant aux emprunteurs la faculté, à l’issue de la première année, de les amortir sur une période additionnelle de un, deux, trois, quatre, ou cinq ans. Dans la mesure où ces prêts pourront être remboursés sur une période allant jusqu’à six ans, ce qui est tout de même relativement long, cela devrait permettre à l’entreprise bénéficiaire d’un tel prêt de reconstituer des marges de manœuvre financières, une fois la reprise intervenue.

L’établissement prêteur doit en outre démontrer, en cas de demande de mise en jeu de la garantie, « qu’après l’octroi du prêt couvert par cette garantie, le niveau des concours qu’il détenait vis-à-vis de l’emprunteur était supérieur au niveau des concours qu’il apportait à ce dernier à la date du 16 mars 2020, corrigé des réductions intervenues entre ces deux dates et résultant de l’échéancier contractuel antérieur au 16 mars 2020 ou d’une décision de l’emprunteur » (art. 2). L’absence de diminution du montant des concours par le banquier prêteur constitue donc une condition du bénéfice de la garantie, la charge de la preuve reposant sur ce dernier lorsqu’il met en jeu la garantie. En d’autres termes, la diminution du montant des concours à la suite du 16 mars 2020 s’analyse en une cause de déchéance de la garantie. La sanction est originale, mais elle s’explique par une exigence dictée par le contexte du moment : garantir aux entreprises une stabilité dans l’accès au crédit.

Enfin, une même entreprise ne peut bénéficier de prêts couverts par la garantie de l’État pour un montant total supérieur à un certain plafond. Il est défini comme suit : pour les entreprises créées à compter du 1er janvier 2019, la masse salariale France estimée sur les deux premières années d’activité ; pour les entreprises créées avant le 1er janvier 2019, 25 % du chiffre d’affaires 2019 constaté ou, le cas échéant, de la dernière année disponible. Dans les cas où Bpifrance Financement SA, chargé de la gestion du dispositif de la garantie d’État (v. infra), reçoit la notification de plusieurs prêts consentis à une même entreprise, la garantie de l’État est acquise dans l’ordre chronologique d’octroi de ces prêts, et à condition que leur montant cumulé reste inférieur au plafond ci-dessus. Le contrat de prêt peut même prévoir une « clause de sauvegarde » selon laquelle son remboursement deviendrait immédiatement exigible en cas de détection, postérieurement à l’octroi du prêt, du non-respect du cahier des charges, « d’une information intentionnellement erronée à l’établissement prêteur ou à Bpifrance Financement SA » (arr. du 23 mars 2020, art. 5).

Caractéristiques de la garantie d’État

La loi de finances rectificative pour 2020 et son arrêté d’application décrivent, par ailleurs, les caractéristiques de la garantie d’État. On précisera d’emblée que rien n’est dit sur sa nature. On sait seulement que c’est une sûreté personnelle. Il est permis d’hésiter entre le cautionnement et la garantie autonome, la seconde étant évidemment plus favorable aux intérêts de la banque prêteuse. La seconde alternative semble devoir être privilégiée car le communiqué de presse du ministère de l’économie précise que « la garantie couvrira de manière automatique tous les prêts de trésorerie ». On sait également que cette garantie est exclusive de toute autre sûreté ou garantie (arr. du 23 mars 2020, art. 1er).

Il est par ailleurs précisé que la garantie ne couvre pas la totalité du prêt, mais un pourcentage de celui-ci qui dépend de la taille de l’entreprise bénéficiaire : 90 % pour les entreprises qui, lors du dernier exercice clos, ou si elles n’ont jamais clôturé d’exercice, au 16 mars 2019, emploient en France moins de 5 000 salariés et réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’euros ; 80 % pour les autres entreprises qui, lors du dernier exercice clos, réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros et inférieur à 5 milliards d’euros ; 70 % pour les autres entreprises. Le montant indemnisable, c’est-à-dire celui qui est pris en charge par la garantie de l’État, « correspond à la perte constatée, le cas échéant, postérieurement à l’exercice par l’établissement prêteur de toutes les voies de droit amiables et éventuellement judiciaires, dans la mesure où elles auront pu normalement s’exercer, et à défaut, l’assignation auprès de la juridiction compétente en vue de l’ouverture d’une procédure collective, faisant suite à un événement de crédit ». L’arrêté précise le mode de calcul à retenir dans l’hypothèse où l’entreprise fait l’objet d’une restructuration, dans un cadre judiciaire ou amiable, ou d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) (arr. du 23 mars 2020, art. 6). Par hypothèse, cette procédure collective aura été déclenchée postérieurement à l’octroi du prêt bénéficiant de la garantie de l’État, car, comme on l’a dit, une procédure sous procédure collective n’est pas éligible à la garantie.

Enfin, la garantie sera tarifée à un coût qui se veut modique et qui dépend de la taille de l’entreprise et de la maturité du prêt (arr. du 23 mars 2020, art. 7). Par exemple, elle s’élèvera à 0,25 % pour un prêt d’un an accordé à une PME au sens du droit de l’Union européenne (entreprises qui emploient plus de 250 salariés, ou ont un chiffre d’affaires qui excède 50 millions d’euros ou un total de bilan qui excède 43 millions d’euros) et à 0,50 % pour un prêt de même durée consenti à une entreprise de plus grande taille.

Procédure d’octroi de la garantie

Afin de « répondre à une demande potentiellement nombreuse et urgente », selon les termes de l’exposé des motifs, la garantie doit être octroyée selon une procédure qui se veut aussi simple que possible. La loi du 23 mars 2020 apporte cependant une distinction, en fonction de la taille de l’entreprise (art. 6, V). S’agissant des crédits consentis aux entreprises qui emploient, lors du dernier exercice clos, au moins 5 000 salariés et ont un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros, la garantie sera octroyée sur la base d’un arrêté – individuel – du ministre chargé de l’économie. Le ministre décidera donc au cas par cas du bien-fondé de la demande de bénéficie de la garantie. Il pourra, en particulier, s’assurer que l’octroi de la garantie n’a pas pour effet de fausser la concurrence, conformément aux exigences de la législation européenne des aides d’État dont l’application n’est pas écartée en cette période de crise (TFUE, art. 107 s.).

Pour toutes les autres entreprises, en revanche, celles de plus petite taille, les crédits octroyés bénéficieront de la garantie de l’État dès lors qu’ils rempliront les conditions du cahier des charges et sur simple notification à Bpifrance Financement SA. L’arrêté du 23 mars 2020 apporte des précisions sur le formalisme auquel doit obéir cette notification : l’établissement prêteur qui souhaite faire bénéficier de la garantie de l’État l’entreprise emprunteuse est tenu de notifier « à Bpifrance Financement SA de l’octroi de ce prêt via un système unique dédié et sécurisé reposant sur un format de fichier standardisé, que met à disposition de l’établissement prêteur Bpifrance Financement SA dans le cadre d’une convention conclue entre ces derniers » (arr. du 23 mars 2020, art. 4).

Gouvernance du dispositif

La loi du 23 mars 2020 (art. 6, VI) prévoit que l’État charge la banque publique Bpifrance Financement SA, sous son contrôle, pour son compte et en son nom, de l’administration du dispositif : suivi des encours et des prêts garantis, perception des commissions de garantie, vérification, en cas d’appel de la garantie, que les conditions définies dans le cahier des charges sont remplies et paiement des sommes dues, remboursées par l’État dans des conditions fixées par une convention qu’il conclut avec le ministre chargé de l’économie. Cette mission sera assurée à titre gratuit. Comme l’a affirmé Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance dans une formule imagée – qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la période de « guerre froide » –, « Bpifrance contribue au pont aérien de cash vers les entreprises ».

Par ailleurs, va être mis en place un comité de suivi, placé auprès du premier ministre, « chargé de veiller au suivi de la mise en œuvre et à l’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de covid-19 ». L’une de ses missions – la principale à n’en pas douter – sera de suivre et d’évaluer la mise en œuvre du mécanisme de garantie qui vient d’être mis en place.

Conclusion

Le cadre juridique du « prêt garanti par l’État » est depuis ce 24 mars opérationnel. Il a été conçu, discuté, voté et, enfin, publié en un temps record. Sur le plan technique, Bpifrance est parvenue à développer en soixante-douze heures la plateforme nécessaire à la gestion la plus fluide possible de ce dispositif massif. Ce ne sont pas de minces exploits. Mais son succès dépend aussi d’autres facteurs. D’abord, que les banques soient bien au rendez-vous, car ce sont elles qui consentent des crédits et pas l’État ; ne nous y trompons pas. Les récents propos de Frédéric Oudéa, président de la Fédération bancaire française, se veulent à cet égard rassurants : « l’engagement de nos réseaux et de nos collaborateurs pour soutenir l’économie française est total. Nous répondons présents sur tous les territoires auprès de tous nos clients. […]. Les banques sont et seront là ! » Ensuite, et c’est là l’essentiel, que les entreprises soient demandeuses. Cela suppose, d’une part, que, bien qu’actuellement largement privées d’activité, elles parviennent à survivre à cette période de confinement, puis, d’autre part, une fois que le confinement aura pris fin, qu’elles se projettent avec optimisme dans l’avenir.

Auteur d'origine: Delpech

En novembre 2017, l’AMF a notifié à la société Arkéa Direct Bank des griefs tirés de la méconnaissance de dispositions du code monétaire et financier ainsi que du règlement général de l’Autorité. Elle a assorti la notification de ces griefs d’une proposition d’entrée en voie de composition administrative, inspirée de la procédure de composition pénale (C. mon. fin., art. L. 621-14-1). Un accord, conclu en avril 2018 entre le secrétaire général de l’AMF et la société, a été validé par le collège de l’AMF. Toutefois, par une décision du 27 juin 2018, la commission des sanctions de l’AMF a refusé d’homologuer l’accord. Le président de l’AMF et la société Arkéa Direct Bank ont saisi le Conseil d’État aux fins d’annulation de cette décision.

S’agissant de la composition administrative, celle-ci doit être homologuée par la commission des sanctions de l’AMF, qui est compétente pour prendre les décisions de sanction à l’issue des poursuites engagées par le collège. Si la commission refuse l’homologation, il lui revient « d’indiquer, même de manière succincte pour ne pas risquer de préjuger l’appréciation qu’elle portera ensuite sur le bien-fondé des griefs notifiés ou sur le quantum de la sanction éventuelle, quel est le motif qui justifie son refus ».

Pas de procédure contradictoire pour refuser d’homologuer l’accord

Selon le Conseil d’État, la décision prise par la commission des sanctions refusant l’homologation d’un accord de composition administrative validé par le collège de l’Autorité des marchés financiers « n’entre dans aucun des cas prévus par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration auxquels est applicable une procédure contradictoire préalable. Le moyen tiré de ce que le refus attaqué aurait dû être précédé d’une procédure contradictoire doit donc être écarté ».

En revanche, la commission peut refuser d’homologuer l’accord lorsque l’affaire pose une question nouvelle et difficile qu’elle estime devoir trancher elle-même. « [Elle] peut légalement fonder son refus d’homologuer une composition administrative sur la circonstance que, eu égard aux textes applicables et aux circonstances de fait, les griefs notifiés soulèvent une question qui, par sa nouveauté et sa difficulté, justifie, au regard notamment de l’exigence de prévisibilité de l’application des normes régissant l’activité des professionnels concernés, qu’elle soit expressément tranchée à l’issue d’une procédure contradictoire menée devant la commission des sanctions. »

La commission des sanctions pourra alors, par une décision rendue à l’issue d’une procédure contradictoire devant elle plutôt que par la simple homologation d’un accord, préciser les obligations qui pèsent sur les professionnels soumis à la régulation financière afin d’en assurer la clarté et la prévisibilité. En l’espèce, le président de l’AMF et la société Arkéa Direct Bank ne sont pas fondés à demander l’annulation de la décision de la commission des sanctions.

Auteur d'origine: pastor

En introduction de la journée, Édouard Philippe donne un long discours sur la situation et les enjeux du texte. « Je vous remercie très sincèrement de la rapidité avec laquelle vous avez fait prévaloir une forme d’union sacrée. »

Jean-Luc Mélenchon : « Nos personnes sont sacrées ! » 

Rires de l’hémicycle. Philippe : « Dans cette heure grave, faire sourire ses collègues n’est jamais inutile. » Ce sera une des seules pointes d’humour de la journée, empreinte de gravité.

« Pour BFM TV, ce sera génial ! »

L’après-midi, les députés démarrent leur travail : étudier le texte sur l’état d’urgence sanitaire. Les députés d’opposition soulèvent plusieurs failles, sur la publicité des avis scientifiques ou le contrôle parlementaire. À plusieurs reprises, leurs interpellations aboutissent : le gouvernement voit la difficulté, la séance est suspendue et, vingt minutes, plus tard la séance reprend avec un amendement de compromis, rédigé au banc.

En fin d’après-midi, la ministre de la justice, Nicole Belloubet, porte un amendement de dernière minute sur les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations. Le texte initial prévoyait une contravention de quatrième classe (135 €) en cas de non-respect des obligations. Depuis, les personnes refusant le confinement sont devenues un sujet médiatique, et donc politique. « Pour assurer la réalité de ce confinement et pour dissuader les personnes qui ne le respecteraient pas, nous proposons de transformer cette amende en un délit, puni d’une peine de prison, pour qu’il y ait un véritable effet dissuasif et, par là même, un effet préventif. »

L’idée de traîner en comparution immédiate une personne qui serait sortie deux fois hors de chez elle, en ces temps d’émeutes carcérales, gêne considérablement les députés. Ni le principe de légalité des délits ni celui de proportionnalité des peines ne sont respectés. La rapporteure du texte se contente d’un mot, « favorable », et les députés En Marche et Modem se taisent. En langage parlementaire, pour exprimer son désaccord envers le gouvernement, un député de la majorité se tait.

En chœur, l’opposition souligne les failles de ce projet. Du PCF à LR, tous trouvent l’idée excessive. Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI-Agir : « Là, on a un effet d’affichage : pour BFM TV, ce sera génial ! Je suis pour la répression, à condition qu’elle soit effective, car là on est surtout dans la com. »

« Une fois n’est pas coutume », Danièle Obono (FI) va dans le sens de ses collègues : « On réagit, on surréagit, en pensant qu’il suffira d’une annonce au 20 heures pour régler les choses. D’un point de vue pédagogique, c’est disproportionné et contre-productif. Et nos prisons ne sont pas seulement pleines : elles sont surpeuplées. » La rapporteure Marie Guévenoux prend enfin la parole : « Je vais dans le même sens que l’ensemble des orateurs pour proposer une suspension. Je pense qu’il faut qu’on réussisse à trouver ensemble une solution. »

La séance est suspendue, afin de trouver une rédaction de compromis. Celle-ci est trouvée une heure après. La récidive sera punie d’une contravention de cinquième classe (1 500 €). Ce n’est qu’au quatrième constat que l’infraction sera passible d’une peine de prison. L’amendement pose encore problème (légalité du délit, contrôle de la récidive) mais il est plus acceptable. Et le gouvernement a son signal fort.

« Une loi exceptionnelle, avec des pouvoirs exceptionnels, dans des conditions exceptionnelles »

À 3h20 du matin, les députés commencent l’étude du projet de loi organique qui n’est composé que d’un article : celui-ci suspend les délais d’examen de toutes les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Comme de nombreuses autres institutions, le Conseil constitutionnel est bloqué : pour la première fois, la semaine dernière, il n’a pas pu répondre à une QPC.

Jean-Christophe Lagarde soulève une faille : « Nous venons de voter une loi exceptionnelle, avec des pouvoirs exceptionnels, dans des conditions exceptionnelles, attentant à un certain nombre de choses proprement exceptionnelles. Je ne demande qu’une chose : que ce que nous venons de voter ne soit pas exonéré d’un contrôle de constitutionnalité, parce qu’on aurait prolongé les délais des QPC. »

Christophe Castaner : « Si on prévoyait la possibilité pour l’ensemble de ce qui vient d’être voté de faire l’objet de recours et de QPC, ce serait organiser notre propre incapacité de mettre en œuvre dans l’urgence les mesures dont nous parlons. »

L’amendement est rejeté. Mais parce que c’est un texte organique, le Conseil constitutionnel étudiera obligatoirement cet article, qui suspend son action. Il pourrait aussi soulever un autre problème : l’article 46 de la Constitution prévoit que, même en urgence, un projet de loi organique ne peut être étudié par le Parlement moins de quinze jours après son dépôt. Supportera-t-il aussi bien l’urgence que le Parlement ?

Les mesures adoptées définitivement par la CMP

Dimanche, députés et sénateurs se sont réunis pour trouver un compromis. Après une longue réunion, ils se sont entendus sur un texte, qui a été adopté définitivement dès dimanche soir. Parmi les évolutions :

• sur l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a imposé une liste plus limitative que ce que souhaitait le gouvernement. Les mesures devront être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus. Elles pourront être contestées en référé. Le contrôle parlementaire sera limité à l’état d’urgence (et non à toute la loi) ;

• sur les ordonnances, le gouvernement a fait le choix de renvoyer celles sur les congés au dialogue social. L’employeur aura plus de latitude sur les jours de RTT ;

• pendant la période d’état d’urgence sanitaire, l’application de la carence en cas d’arrêt de travail est suspendue, pour l’ensemble des régimes ;

• la carence de trois mois des expatriés revenant en France pour l’affiliation à l’assurance maladie et maternité est suspendue ;

• pour les communes où il faut un second tour des élections municipales, un rapport rendu le 23 mai établira si le scrutin peut avoir lieu le 21 juin. Dans ce cas, les listes devront être déposées le 2 juin. Les exécutifs municipaux et communautaires qui exerceraient avant les élections resteront en fonction jusqu’à ce que la situation sanitaire permette de réunir les nouveaux conseils.

 

Sur ce projet de loi, lire également :

• Le Sénat en état d’urgence sanitaire, par Pierre Januel le 20 mars 2020

• Les députés s’embourbent malgré l’urgence, par Pierre Januel le 21 mars 2020

Auteur d'origine: babonneau

« Quand la circonstance le demande, les divergences se réduisent vite. »

Pour ce débat, l’Assemblée a tenté de concilier pluralisme et fait majoritaire : chaque groupe, quelle que soit sa taille, est représenté par trois membres, mais les chefs de file portent donc les pouvoirs du groupe. En Marche ! gardera donc la majorité. L’objectif est d’étudier le texte en commission dans la journée et de faire le débat en hémicycle pendant la nuit.

En introduction, la rapporteure LREM Marie Guévenoux veut rassurer : « Avec le Sénat, nous nous entendons sur l’essentiel. Quand la circonstance le demande, les divergences se réduisent vite. » Et d’expliquer qu’en amont, de nombreux échanges ont eu lieu avec Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, et Philippe Bas, son homologue du Sénat. Pour accélérer les choses, « certains amendements votés par le Sénat ont été introduits sur les souhaits de l’Assemblée. Mais nous avons quelques dissonances qui persistent sur le texte ».

Hier, le Sénat a en effet adopté le texte avec deux gros cailloux pour le gouvernement. Il a précisé les mesures permises par l’état d’urgence sanitaire et souhaité accélérer le dépôt des listes pour les élections municipales. La rapporteure Marie Guévenoux n’a posé que des amendements sur le second point. Qui enflamme les députés.

Dans les communes où il y aura un second tour, celui-ci serait repoussé en juin, si les conditions sanitaires le permettent. Dans le cas contraire, le premier tour serait annulé. Le point qui occupe tout le monde est : « Jusqu’à quand doit-on déposer les listes ? » Députés LR, PS, PCF tiennent absolument à ce qu’il ait lieu fin mars, comme le souhaite le Sénat, pour figer les choses. En face, LREM, FI et RN s’y opposent : dans la période, il est illusoire que des négociations d’entre deux-tours aient lieu, d’autant qu’on ne sait pas si ce second tour se tiendra.

La députée écologiste Delphine Batho s’exaspère : « C’est surréaliste. Nos débats tournent autour d’une chose : la date du dépôt, ou pas, du second tour des municipales. On se pince. On n’a pas de masques. On n’a pas de gel hydroalcoolique dans les hôpitaux, mais vraiment, ce qui mobilise les politiques, c’est la date de dépôt des listes. » La présidente Braun-Pivet tente d’accélérer : « Vous ne pouvez pas prendre et reprendre la parole en parlant quatre minutes à chaque fois, tout en disant qu’il faut moins de ce sujet. Je ne veux priver personne de prise de parole, mais j’en appelle à la responsabilité de chacun. »

« C’est un vrai sujet »

Dans la Ve République, le président préside, le gouvernement gouverne et le Parlement parle. Hier, l’Assemblée a sombré dans cette caricature. À 17h30, les députés n’ont toujours pas commencé avec le cœur du texte : l’état d’urgence sanitaire et les ordonnances. Avec jusqu’à dix-sept prises de parole pour un amendement.

Le problème est profond. Depuis 2017, l’Assemblée n’arrive plus à légiférer vite. Et ce quelle que soit la commission. Une partie de l’opposition ne joue pas le jeu parlementaire et souhaite imposer ses sujets plutôt qu’amender les textes. Le tout dans un climat de forte défiance vis-à-vis de la majorité et du gouvernement, toujours soupçonnés de mentir ou de vouloir attaquer à la démocratie. Même si l’opposition n’a jamais eu autant de temps.

Dans le passé, le Parlement a montré sa capacité à adopter en trente-six heures des textes majeurs, dictés par la crise. Hier, cent vingt amendements ont été déposés, chaque député venant avec un « vrai sujet » (cette crise n’en manque pas) mais des débats parfois vains. La commission a ainsi débattu de détails sur les ordonnances, alors même que le gouvernement ne sera présent qu’en séance.

Le député communiste Stéphane Peu se plaint : « la difficulté dans nos débats est de faire accepter à la majorité des amendements qui ne proviennent pas d’elle. Tout le monde joue le jeu de l’union nationale et vous refusez systématiquement tous nos amendements. » Au final, quatorze amendements auront été adoptés. Sept de la majorité, sept de l’opposition, souvent sans portée. Le débat en séance est repoussé à samedi.

Auteur d'origine: babonneau

À la suite des récentes annonces du président de la République visant à soutenir l’économie dans le contexte de crise sanitaire que connaît la France lié au virus covid-19, un projet de loi de finances rectificative pour 2020 a été présenté en conseil des ministres ce mercredi 18 mars pour être examiné et adopté par les députés dès le lendemain. C’est ce texte qui constitue le véhicule législatif des principales dispositions économiques contenues dans ces annonces. Ce projet de loi a un double objet.

Financement du chômage partiel et du fonds d’indemnisation pour les très petites entreprises

Le projet de loi de finances rectificative vise en premier lieu à financer un « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », à hauteur de 6,25 milliards d’euros, destiné à prendre en charge, d’une part, le dispositif exceptionnel de chômage partiel qui a été décidé pour éviter les licenciements (5,5 milliards d’euros) et, d’autre part, à abonder un fonds d’indemnisation pour les très petites entreprises, qui doit être cofinancé par les régions (750 millions d’euros) (art. 2). Le projet de loi de finances ne concerne que le volet financement du fonds. C’est une ordonnance – qui sera prise dans les trois mois sur habilitation de la future loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (le projet de loi d’habilitation a été présenté lors du même conseil des ministres mais a été examiné d’abord par le Sénat, qui l’a également adopté le 19 mars, v. Dalloz actualité, 20 mars 2020, art. P. Januel) – qui en précisera le fonctionnement. Très précisément, l’habilitation porte sur la mise en place d’un mécanisme « [d]’aide directe ou indirecte aux entreprises dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces entreprises ainsi que d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions » (art. 7, I, 1°, a). L’habilitation prévoit, en outre, une modification par voie d’ordonnance de notre « droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté afin de faciliter le traitement préventif des conséquences de la crise sanitaire » (art. 7, I, 1°, d).

Garantie de l’État des prêts bancaires

Le projet de loi de finances rectificative instaure ensuite – c’est son principal objet – une garantie de l’État sur les prêts octroyés aux entreprises par les établissements de crédit (art. 4). Cette garantie – dont la nature n’est pas précisée (garantie autonome ? cautionnelent ?) – concerne les prêts qui seront octroyés entre le 16 mars 2020 et le 31 décembre 2020 pour répondre aux besoins de financement des entreprises françaises – très précisément les « entreprises non financières immatriculées en France », quelle que soit leur forme juridique – dont l’activité, ainsi que le précise l’exposé des motifs, « subit un choc brutal à la suite des mesures d’urgence sanitaires prises par les autorités à partir du 5 mars 2020 et renforcées le 14 mars 2020, et plus généralement à la contraction de la demande globale ». La garantie couvre le remboursement du crédit, à la fois en principal, intérêts et accessoires dans la limite d’un encours total garanti de 300 milliards d’euros.

Le texte entend cibler ce mécanisme de garantie sur les seuls crédits répondant aux besoins particuliers des entreprises dans le contexte actuel. Ainsi, la garantie ne pourra bénéficier qu’aux « prêts » – ce terme doit-il s’entendre au sens strict ou vise-t-il l’ensemble des opérations de crédit, par exemple le crédit-bail ? – remplissant un ensemble de conditions qui seront fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie, parmi lesquelles le fait de comporter un différé d’amortissement d’un an minimum et la possibilité, laissée à la discrétion du seul emprunteur, d’amortir le prêt sur une période additionnelle de cinq ans, ou encore le fait de ne prendre aucune autre sûreté ou garantie et de ne pas s’accompagner d’une réduction des concours apportés par l’établissement prêteur à l’entreprise concernée par rapport au niveau qui était le leur le 16 mars 2020.

Par ailleurs, dans le but d’assurer un bon alignement d’intérêt entre l’État et les prêteurs et afin de protéger les finances publiques, le présent article prévoit que les caractéristiques de la garantie, qui seront elles aussi fixées par arrêté, assurent notamment que la garantie est rémunérée, ne peut couvrir la totalité du prêt garanti, n’est acquise qu’après un délai de carence, et qu’elle ne peut pas bénéficier à des entreprises faisant l’objet d’une procédure collective (sauvegardes, redressement judiciaire et liquidation). En revanche, les entreprises faisant l’objet d’une procédure préventive de type conciliation sont éligibles à la garantie.

Afin de « répondre à une demande potentiellement nombreuse et urgente », selon les termes de l’exposé des motifs, la garantie sera octroyée selon une procédure qui se veut aussi simple que possible. Le texte apporte cependant une distinction, en fonction de la taille de l’entreprise. S’agissant des crédits consentis aux entreprises qui emploient, lors du dernier exercice clos, au moins 5 000 salariés, et ont un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros, la garantie sera octroyée sur la base d’un arrêté du ministre chargé de l’économie. Le ministre décidera donc au cas par cas du bien-fondé de la demande de bénéfice de la garantie. Pour toutes les autres entreprises, en revanche, les crédits octroyés bénéficieront de la garantie de l’État dès lors qu’ils rempliront les conditions du cahier des charges et sur simple notification à Bpifrance Financement SA.

En outre, le projet de loi prévoit que l’État charge la banque publique Bpifrance Financement SA, sous son contrôle, pour son compte et en son nom, de l’administration du dispositif : suivi des encours et des prêts garantis, perception des commissions de garantie, vérification, en cas d’appel de la garantie, que les conditions définies dans le cahier des charges sont remplies, et paiement des sommes dues, remboursées par l’État dans des conditions fixées par une convention qu’il conclut avec le ministre chargé de l’économie. Cette mission sera assurée à titre gratuit.

Auteur d'origine: Delpech

La grippe, les épidémies et la force majeure en dix arrêts, par Pascale Guiomard, le 4 mars 2020

• Pandémie : les tribunaux ferment, sauf pour « les contentieux essentiels », par Marine Babonneau, le 16 mars 2020

• Pandémie et prisons : les instructions de l’administration pénitentiaire, par Julien Mucchielli le 16 mars 2020

• Covid-19 : la Cour de justice de l’Union européenne prend ses dispositions, par Charlotte Collin le 16 mars 2020

• La justice pénale française en état d’urgence sanitaire, Le droit en débats, par Valérie-Odile Dervieux le 17 mars 2020

L’examen de la réforme des retraites suspendu, par Marine Babonneau le 17 mars 2020

• Avocats et télétravail : quelques précisions, par Carole Painblanc le 18 mars 2020

• Covid-19 : la cour d’appel de Paris crée une page dédiée avec le planning des audiences, par Marine Babonneau le 18 mars 2020

• Confinement et fermeture des établissements : les dernières mesures pour lutter contre le covid-19, par Thomas Bigot le 18 mars 2020

• Retour sur les premières mesures réglementaires prises pour lutter contre le covid-19, par Thomas Bigot le 18 mars 2020

• Vers la création d’un état d’urgence sanitaire, par Marie-Christine de Montecler le 18 mars 2020

• Projets de loi coronavirus : les mesures visant les juridictions, par Pierre Januel le 19 mars 2020

• Centres de rétention : étrangers et policiers face au coronavirus, par Julien Mucchielli le 19 mars 2020

Amende, report du second tour et rationnement des médicaments : nouvelles mesures autour du covid-19, par Thomas Bigot le 19 mars 2020

• Coronavirus : les mesures d’urgence de la CNBF en faveur des avocats cotisants et retraités, par Laurent Dargent le 19 mars 2020

• Coronavirus et propriété intellectuelle : les dispositions des Institutions, par Nathalie Maximin le 20 mars 2020

• Coronavirus : adaptation du droit de la copropriété, par Yves Rouquet le 20 mars 2020

• Coronavirus : le Défenseur des droits appelle à « ne pas porter atteinte aux droits des détenus », par Marine Babonneau le 20 mars 2020

• Coronavirus : report de la contemporanéisation des APL, par Yves Rouquet le 20 mars 2020

• Contrats et coronavirus : un cas de force majeure ? Ça dépend…, Le droit en débats, par Ludovic Landivaux le 20 mars 2020

• Le Sénat en état d’urgence sanitaire, par Pierre Januel le 20 mars 2020

• Coronavirus : adoption en cours d’un projet de loi de finances rectificative pour 2020, par Xavier Delpech le 20 mars 2020

• Coronavirus : le premier volet des aides au secteur culturel, par Nathalie Maximin le 20 mars 2020

Les députés s’embourbent malgré l’urgence, par Pierre Januel le 21 mars 2020

• Coronavirus : volet social du projet de loi d’urgence sanitaire, par Caroline Dechristé le 21 mars 2020

Les cyberattaques à l’heure du coronavirus, Le droit en débats, par Myriam Quéméner et Clément Wierre le 21 mars 2020

Procédure pénale et principe de réalité : covid de sens ?, Le droit en débats, par Valérie-Odile Dervieux le 21 mars 2020

Coronavirus : l’État doit préciser ses mesures restrictives, par Jean-Marc Pastor le 22 mars 2020

• Ne rajoutons pas l’arbitraire à la catastrophe sanitaire, Le droit en débats, par Pierre de Combles de Nayves le 22 mars 2020

• L’Assemblée travaille dans l’urgence sur l’urgence, par Pierre Januel le 23 mars 2020

• « Un porteur sain de Fresnes pourrait contaminer la Santé ou Fleury depuis ce box », par Antoine Bloch le 23 mars 2020

Auteur d'origine: Bley

Ce texte, un projet de loi organique ayant le même objet (qui suspend les délais de procédure des questions prioritaires de constitutionnalité) et un projet de loi de finances rectificative permettant la prise en compte des coûts liés à l’épidémie ont été présentés en conseil des ministres le 18 mars. Les deux premiers devaient être examinés par le Sénat jeudi 19 et par l’Assemblée nationale vendredi 20, le troisième faisant la navette en sens inverse.

État d’urgence sanitaire

L’état d’urgence sanitaire est la seule mesure pérenne du projet de loi ordinaire. Il serait déclaré par décret en conseil des ministres et prorogé par la loi au bout d’un mois. Cette déclaration donnerait au Premier ministre le pouvoir de prendre par décret des mesures limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion ainsi que de procéder à des réquisitions. Le ministre de la santé pourrait prendre les autres mesures générales et individuelles par arrêté. Un comité scientifique rendrait des avis publics sur le dispositif.

Les élus du premier tour entrent en fonction

Le titre Ier du projet confirme le report (au plus tard au mois de juin 2020) du second tour des élections municipales, décidé la veille par décret, ainsi que des élections des Français de l’étranger et en tire les conséquences. Les élus du premier tour entrent en fonction immédiatement (sauf dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été élus). Dans les autres communes, les mandats sont prorogés jusqu’au second tour. Les exécutifs des intercommunalités seront élus à titre provisoire, une nouvelle élection ayant lieu après le second tour dès lors que celui-ci est nécessaire dans une commune membre. Le gouvernement serait habilité par ordonnance à adapter le droit à cette situation, notamment s’agissant du fonctionnement des intercommunalités.

De très vastes habilitations

Le titre III donne au gouvernement de très vastes habilitations à prendre par ordonnance des mesures législatives provisoires. Il pourrait ainsi modifier le droit du travail et le droit de la fonction publique, notamment en matière de congés et de consultation des instances du personnel. Il pourrait également adapter les règles de délai, d’exécution et de résiliation des contrats de la commande publique. Pour faire face aux conséquences sur l’administration et les juridictions, est envisagée l’adaptation des règles relatives au dépôt et au traitement des demandes présentées à l’administration. Les délais, la compétence territoriale ou encore le recours à la visioconférence devant les juridictions administratives et judiciaires pourront aussi être provisoirement modifiés. Des dérogations aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales et des établissements publics ou encore aux modalités de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur seraient aussi rendues possible.

Auteur d'origine: babonneau
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Entre dans le ministère ordonné aux notaires l’obligation d’instrumenter. En effet, l’article 13 de la loi du 25 ventôse an XI dispose que « les notaires sont tenus de prêter leur ministère lorsqu’ils en sont requis ». Il est souligné que « de la sorte, ils ne peuvent en principe refuser d’accomplir un acte pour lequel leur intervention est nécessaire. Ceci est la conséquence du monopole dont ils sont investis. Toutefois, il appartient au client de formuler particulièrement la demande d’instrumentation » (H. Slim, Étude 438 - La responsabilité des notaires, Lamy Droit de la responsabilité, 2020, n° 438-30).

A ce titre, dans l’exercice de leurs vastes missions, le champ de mise en cause de la responsabilité des notaires est très étendu. Leur contrat d’assurance collective de responsabilité civile professionnelle à adhésion obligatoire leur apporte en contrepartie, ainsi qu’aux clients, des garanties exceptionnelles (R. Bigot, L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. L’exemple des professions du droit et du chiffre, Avant-propos H. Slim, Préf. D. Noguéro, Defrénois, coll. Doctorat & Notariat, tome 53, 2014, n° 73).

Ces garanties génèrent une protection importante du patrimoine de l’assuré, au titre de sa dette de responsabilité, et mise à part la participation du notaire au titre du découvert obligatoire jouant en principe une fonction normative et prophylactique. Elles sont surtout censées mettre en place une sécurité juridique et financière à l’égard des clients des études et des tiers – les victimes des fautes, erreurs et négligences des notaires donc –, a fortiori depuis que l’assurance de responsabilité civile professionnelle des notaires a été rendue obligatoire, en 1955, et qu’a été consacrée légalement l’action directe de la victime à l’encontre de l’assureur de responsabilité.

Ces institutions juridiques ont permis un déplacement de valeurs et de priorité dans le rôle affecté à l’assurance obligatoire de responsabilité civile professionnelle. Il s’agit désormais davantage de sécuriser la créance d’indemnisation de la victime que la dette de responsabilité de l’assuré, même si ces deux objectifs demeurent très interdépendants.

Or, faut-il encore que les acteurs de l’assurance ne dévoient pas ce mécanisme en un outil de pure défense professionnelle, par une résistance judiciaire d’une vingtaine d’années comme dans l’affaire présentement commentée, qui décourage certes la plupart des victimes mais est très coûteuse pour la mutualité et imprègne une mauvaise image à la profession notariale qui, paradoxalement, investit par ailleurs beaucoup dans la promotion de celle-ci, en particulier dans la publicité.

En l’espèce, un notaire a instrumenté, le 22 décembre 2000, un acte authentique portant sur un emprunt bancaire. Cet emprunt a été contracté par le gérant d’une société civile immobilière familiale. Ce dernier est décédé après la souscription de cet emprunt. Ses héritiers ont été assignés par l’établissement de crédit aux fins de remboursement du crédit. L’établissement bancaire a également sollicité le règlement d’indemnités supplémentaires de remboursement aux motifs de l’absence d’adhésion du de cujus à sa police d’assurance décès-invalidité qui était mentionnée dans l’acte de prêt. À leur tour, les héritiers ont assigné en responsabilité et indemnisation l’officier public et ministériel instrumentaire de l’acte de prêt. Ils ont ainsi formulé une demande de condamnation du notaire à leur verser la somme de 330 177,14 €. À ce titre, ils lui ont reproché de ne pas avoir apporté des conseils utiles, notamment à l’occasion de la passation de cet acte. Selon eux, le devoir de conseil qui incombe au notaire aurait dû le conduire à expliquer la portée de la non-adhésion à l’assurance de groupe mise en place par l’établissement de crédit.

Par un arrêt du 21 août 2018, la cour d’appel d’Agen a rejeté la demande héritiers. À cet effet, l’arrêt a retenu, d’abord, qu’ils reprochent au notaire de n’avoir pas attiré l’attention du défunt sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance facultative, ce qu’il leur appartient de prouver. Il a relevé, ensuite, que, s’il n’est pas écrit dans l’acte qu’une information a été donnée par le notaire sur les conséquences d’une non-souscription de l’assurance décès facultative, exiger un tel degré de précision revient à faire peser sur le notaire instrumentaire, non plus une obligation de conseil pour un acte donné, mais une obligation de mise en garde sur l’opportunité économique. Les héritiers ont donc formé un pourvoi en cassation.

Ils ont soutenu, en premier lieu, que le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques attachés aux actes auxquels il est requis de donner la forme authentique. Selon eux, quand bien même l’assurance invalidité décès ne serait pas obligatoire et ne constituerait pas une condition du prêt, et quand bien même il n’aurait pas connaissance de l’état de santé de l’emprunteur, le notaire ne peut se contenter de rappeler dans l’acte de prêt la souscription par la banque d’une assurance de groupe destinée à couvrir ses clients contre les risques de décès invalidité avec référence aux documents correspondant. Par conséquent, les héritiers ont estimé qu’il incombe au notaire requis de donner la forme authentique à un acte de prêt d’attirer l’attention de l’emprunteur sur les risques liées à l’absence de souscription de l’assurance décès invalidité et qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 1382 ancien devenu 1240 du code civil.

En second lieu, les demandeurs au pourvoi ont rappelé que la charge de la preuve de l’accomplissement de son devoir de conseil incombe au notaire, et non, comme l’a décidé la cour d’appel, au client de l’étude d’avoir à établir que le notaire n’avait pas attiré son attention sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance invalidité décès.

Par un arrêt du 8 janvier 2020 rendu sur le fondement de la responsabilité délictuelle du notaire (C. civ., art. 1240 ; anc. art. 1382), la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel. Les magistrats du quai de l’horloge ont précisé que « le devoir d’information et de conseil du notaire rédacteur d’un acte authentique de prêt lui impose d’informer l’emprunteur sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance décès facultative proposée par le prêteur, la preuve de l’exécution de cette obligation lui incombant » (Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-23.948).

Le fondement de la responsabilité extracontractuelle en matière notariale est prédominant. En effet, l’authentification d’actes, au sens large – avec ses prolongements –, entre dans les attributions du notaire en qualité d’officier ministériel et de sa mission d’ordre public. À ce titre, elle participe d’une obligation statutaire dont la méconnaissance est sanctionnée par une responsabilité de nature délictuelle (R. Bigot, Le prolongement de la mission de rédaction d’actes : nouveau critère pour la responsabilité notariale, RLDC 2008/45, n° 2810, p. 16).

Gardien de la sécurité juridique, le notaire authentificateur d’actes est tenu de les imprégner de la plus grande efficacité juridique. Dans cette mission, il doit apporter les renseignements utiles, les informations nécessaires, les conseils de nature à éclairer les parties – toutes les parties, quelle que soit leur qualité ou leurs compétences personnelles, ce qui imprègne le devoir de conseil d’un caractère absolu (Civ. 1re, 22 févr. 2017, n° 16-13.096 ; 13 déc. 2012, n° 11-19.098, Bull. civ. I, n° 258 ; D. 2013. 13 ; AJ fam. 2013. 132, obs. A. Cousin ; RTD civ. 2013. 95, obs. J. Hauser ; ibid. 657, obs. B. Vareille ; 5 avr. 2012, n° 11-15.056, AJDI 2012. 454 ; Civ. 3e, 14 mai 2009, n° 08-12.093, AJDI 2009. 649 ; Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, Bull. civ. I, n° 556 ; D. 2007. 304, obs. I. Gallmeister ; 12 juill. 2005, n° 03-19.321, Bull. civ. I, n° 323 ; 12 juill. 2005, n° 03-19.321, D. 2005. 2340, obs. X. Delpech ; AJDI 2005. 758 ; 4 avr. 2001, n° 98-19.925, Bull. civ. I, n° 104 ; 25 nov. 1997, n° 95-18.618, Bull. civ. I, n° 329 ; 4 juin 1996, n° 94-12.170, Resp. civ. et assur. 1996, comm. n° 325) – et les mettre en garde (Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-19.942, D. 2011. 2793 ; AJDI 2012. 52 ) d’éventuels dangers ou risques d’une opération ou d’un montage contractuel, en d’autres termes porter à la connaissance des clients les effets et plus largement la portée de l’acte envisagé (Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 16-20.419, D. 2018. 1010 ; AJDI 2019. 228 , obs. J.-P. Borel ; AJ fam. 2018. 401, obs. S. Ferré-André ; RTD civ. 2018. 691, obs. P.-Y. Gautier ).

Autrement dit, il s’agit d’éclairer les clients sur les conséquences de leurs actes (Civ. 3e, 10 juill. 1970, nos 68-13.508 et 68-13.564, Bull. civ. III, n° 484). À cet effet, le notaire devra leur livrer toute information permettant de leur expliquer la nature et la portée de leurs actes ou de leurs engagements (Civ. 1re, 20 juill. 1994, n° 92-16.159, Bull. civ. I, n° 260 ; RTD civ. 1995. 365, obs. J. Mestre ; 28 oct. 1997, n° 95-21.629, Bull. civ. I, n° 300 ; AJDI 1998. 188 ; ibid. 189, obs. G. Teilliais ). Selon une formulation assez détaillée adoptée par la Cour de cassation, les notaires sont ainsi « tenus d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique » (Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, préc.). La doctrine autorisée relève qu’il appartient également à ces officiers ministériels de mettre en garde les clients contre une omission ou une négligence éventuelle (H. Slim, op. cit., n° 438-7).

Il est justement souligné qu’ « il ne peut donner une authenticité à un acte sans avoir, dans le même temps, porté à la connaissance de ses signataires tout ce qui pourrait venir par la suite en perturber sa juste exécution. L’acte efficace est celui qui remplit les objectifs que se sont fixées les parties. C’est la raison pour laquelle la mission du notaire, en sa qualité de rédacteur d’acte, ne peut se borner à donner à l’acte instrumenté une forme écrite (Civ. 1re, 18 mai 2004, n° 01-11.956) : elle s’étend à l’exécution d’un devoir d’efficacité justifiant qu’un devoir de conseil renforcé lui soit imposé, celui-ci ayant pour but de saisir l’occasion de son intervention pour que l’acte soit enrichi de tous les éléments lui permettant de traduire le plus efficacement possible la volonté des parties. Les diverses déclinaisons du devoir de conseil répondent d’ailleurs toujours à ce même objectif d’efficacité : informer, conseiller ou mettre en garde, chacune de ces obligations est censée garantir, dans toute situation, l’expression fidèle, dans l’acte, du but poursuivi par les parties » (M. Hervieu, Être de bon conseil : une lourde tâche pour le notaire, Dalloz étudiant, 25 févr. 2020).

Le potentiel du devoir de conseil des notaires, décortiqué par la doctrine, « inclut incontestablement les obligations substantielles nécessaires à assurer la validité et l’efficacité de l’acte et non pas seulement celles qui leur sont complémentaires et qui visent uniquement à informer ou avertir le client de la portée de l’acte ou de l’existence d’un risque » (C. Biguenet-Maurel, Le devoir de conseil des notaires, préf. J. de Poulpiquet, Defrénois, 2006, n° 450).
Le rédacteur d’actes supporte ainsi le poids, sur chacune de ses épaules, d’une obligation de conseil et d’une obligation d’efficacité « tant technique que pratique », lesquelles sont en définitive indissociables (P. le Tourneau, La responsabilité des professionnels du droit, in La responsabilité. Aspects nouveaux, LGDJ, 2003, p. 421).

Une perte d’efficacité de l’acte dans sa globalité peut dès lors résulter d’un manquement du notaire à son obligation de mise en garde. S’il n’attire pas l’attention, comme en l’espèce, de son client sur les risques que les engagements par lui consentis sont susceptibles de produire, un préjudice peut directement en découler pour ce dernier. Dès lors, l’officier ministériel doit se réserver un rôle plus actif en amont de la formation de l’acte. À tout le moins, s’il n’invite pas l’emprunteur à souscrire à cette assurance qui lui apporterait, ainsi qu’à ses ayants droit, plus de sécurité en aval, le notaire doit-il l’avertir des risques encourus s’il n’entend pas souscrire pareille assurance.

Sur le fond, rappelons que l’assurance d’un prêt immobilier n’est pas obligatoire. Toutefois l’organisme prêteur peut l’exiger, en particulier en ce qui concerne les risques liés au décès, l’incapacité, l’invalidité et la perte totale et irréversible d’autonomie. Néanmoins, l’emprunteur n’est pas obligé de choisir l’assurance proposée par le prêteur.

Sur la forme, une assurance emprunteur peut donc être souscrite soit de façon individuelle, soit de manière collective, par adhésion facultative, où chaque assuré consent à devenir membre du groupe (v. R. Bigot et A. Cayol (dir.), Droit des assurances, Ellipses, 2020, à paraître). Dans ce dernier cas, il s’agit d’un contrat d’adhésion, formé aux conditions prédéfinies dans l’accord-cadre conclu en amont entre l’assureur et le souscripteur. Ce contrat-cadre définit donc les conditions du contrat d’adhésion qui se formera en aval entre l’assureur et chaque adhérent (Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 05-21.822, D. 2008. 1954, obs. X. Delpech , note D. R. Martin ; ibid. 2447, chron. C. Goldie-Genicon ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; ibid. 393, obs. E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2008. 477, obs. B. Fages ; ibid. 478, obs. B. Fages ; Com. 13 avr. 2010, n° 09-13.712, D. 2010. 1208, obs. X. Delpech ; ibid. 2011. 1643, obs. D. R. Martin et H. Synvet ). Avant d’adhérer, les conditions de la garantie doivent être portées à sa connaissance de l’adhérent, de même que doit lui être délivré par la banque tout conseil relatif à l’adéquation de l’assurance envisagée à sa situation personnelle (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, D. 2007. 985 , note S. Piédelièvre ; ibid. 863, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 120, obs. H. Groutel ; ibid. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RTD com. 2007. 433, obs. D. Legeais ). Lorsque l’acte d’emprunt se retrouve entre les mains d’un notaire aux fins d’authentification, ce dernier se fait le doublon ou le relais avisé des conseils à l’attention des parties.

Côté prêteur, il a été jugé, en matière d’actes de prêts hypothécaires, que bien qu’il n’ait aucunement négocié l’acte, le notaire reste tenu d’aviser des prêteurs sur l’insuffisance ou la faiblesse des garanties acceptées, s’il est en mesure de les connaître ou de les suspecter (Civ. 1re, 26 nov. 1996, n° 94‐18.582, Bull. civ. I, n° 419 ; D. 1997. 7 ; 5 oct. 1999, n° 97‐14.545, Bull. civ. I, n° 258 ; D. 1999. 244 ).

Côté emprunteur, il a été relevé que « lorsque le prêteur propose à l’emprunteur l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit en vue de garantir en cas de survenance d’un des risques que ce contrat définit, soit le remboursement total ou partiel du montant du prêt restant dû, soit le paiement de tout ou partie des échéances dudit prêt, l’article L. 312‐9 du code de la consommation (en vigueur jusqu’au 30 juin 2016, remplacé, à compter du 1er juill. 2016, par l’art. L. 313‐14, nouv., issu de l’ord. n° 2016‐301 du 14 mars 2016, JO 16 mars) précise qu’au contrat de prêt doit être annexé « une notice énumérant les risques garantis et précisant toutes les modalités de la mise en jeu de l’assurance ». Dès lors engage sa responsabilité le notaire qui omet d’annexer ladite notice à un acte de prêt auquel il a prêté son concours dès lors que l’article L. 312‐9 est applicable au prêt en question (Civ. 1re, 14 janv. 2010, n° 07‐22.043) » (H. Slim, op. cit.). Le devoir de conseil du notaire a cependant des racines plus profondes.
Pour exécuter pleinement et de manière circonstanciée son devoir de conseil des parties sur toutes les suites, favorables et défavorables, en particulier celles à haut risque, que peuvent produire l’acte instrumenté, le notaire doit parfois préalablement solliciter de leur part des informations utiles à son efficacité. À cet effet, il doit être en quête de la connaissance de la situation personnelle des clients (Civ. 2e, 2 avr. 2009, n° 07-16.670).

Dans l’affaire sous arrêt, non seulement l’aspect familial de l’entreprise que l’emprunteur dirigeait aurait dû être pris en compte, mais encore l’état de santé de ce dernier. Par conséquent, il était du devoir du notaire d’ « aviser son client de l’adéquation des risques couverts par la banque prêteuse à sa situation personnelle et l’avertir des conséquences, pour les autres membres de la SCI, d’un refus de
garantie » (M. Hervieu, op. cit.).

Dès lors, la mention portée à l’acte de prêt de la possibilité de souscription de cette garantie constitue une simple information qui s’avère insuffisante sous l’angle du devoir de conseil (ibid.). Certes, une même obligation de conseil pèse sur l’établissement de crédit (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, préc.). Mais le banquier qui délivre conformément cette information ne libère pas le notaire, dans son rôle statutaire de clef de voûte soutenant l’efficacité juridique de l’opération, de la réitérer et de l’accompagner si nécessaire d’explications et de conseils, puis si besoin d’alerter le client d’un risque que l’acte présente. La présente affaire confirme que l’information ou l’avis qu’un tiers a délivré au client ne dispense pas le notaire de son propre devoir de conseil (Civ. 1re, 26 oct. 2004, n° 03-16.358).

La décision du 8 janvier 2020 illustre enfin parfaitement, après de nombreuses autres, l’intensité du devoir de conseil qui pèse sur le notaire, devoir dont il doit nécessairement se pré-constituer la preuve de la bonne exécution (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 16-19619 ; M. Latina, Le notaire doit prouver qu’il a délivré un conseil concret et adapté à la situation des parties, Defrénois flash 22 oct. 2018, n° 147q0, p. 12). Si cette règle n’est pas nouvelle, elle a pu être différente par le passé. Auparavant, le principe était même interverti. La preuve de la faute notariale incombait à celui qui l’invoque, aux parties ou aux tiers donc (Civ. 1re, 10 juill. 1984, n° 83-11.601, Bull. civ. I, n° 225 ; 28 nov. 1995, n° 93-17.836, Bull. civ. I, n° 436).

Puis la jurisprudence, pour enfin s’adapter à l’obstacle quasi insurmontable pour un tiers ou un client d’établir la preuve d’un fait négatif, en somme de ne pas avoir été informé ou conseillé, a déplacé la charge de la preuve du client demandeur au notaire défendeur (H. Slim, op. cit., n° 438-87).

Par un revirement important, la Cour de cassation a décidé depuis le fameux arrêt Hédreul que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation. Ainsi, il incombe au médecin, tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient, de prouver qu’il a exécuté cette obligation (Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685, Bull. civ. I, n° 75 ; D. 1997. 319 , obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre ).

Cette solution a immédiatement été étendue à d’autres professionnels, notamment avocats ou notaires, en leur imposant désormais de prouver le conseil donné (Civ. 1re, 3 févr. 1998, n° 96-13.201, Bull. civ. I, n° 44 ; RTD civ. 1998. 381, obs. P. Jourdain ; ibid. 1999. 83, obs. J. Mestre ; JCP N 1998. 701, obs. J.-F. Pillebout). Avant 1997, la Haute juridiction avait lancé quelques signes avant-coureurs en faisant déjà peser sur le notaire la charge de la preuve d’une mise en garde de ses clients contre les risques encourus (Civ. 1re, 25 juin 1991, n° 89-20.338, Bull. civ. I, n° 212 ; RTD civ. 1992. 758, obs. J. Mestre ).

Il est à présent constant que tout professionnel doit être en mesure d’établir la bonne exécution de son obligation d’information s’il ne veut pas qu’une faute lui soit reprochée à ce titre (Civ. 1re, 19 déc. 2006, n° 04-14.487, préc.). Le professionnel est d’ailleurs le plus à même de pouvoir s’organiser dans cette voie préventive.

La Cour de cassation fait néanmoins montre de souplesse dans le contrôle des moyens de preuve, pouvant être déduits de toute circonstances de la cause (Civ. 1re, 6 juill. 2004, n° 02-20.388). Il est dans tous les cas dans l’intérêt supérieur des notaires, compte tenu de « ce glissement de la charge de la preuve » désormais acquis en droit positif, de « se pré-constituer des preuves permettant d’établir qu’ils ont respecté les obligations qui leur incombent » (H. Slim, op. cit., n° 438-90).

Là aussi, est-il permis de penser que l’option prise par la première chambre civile dans la décision du 8 janvier 2020 « n’est pas la plus mauvaise au plan de la justice distributive. Ne dit-on pas que la règle de droit se construit à partir du choix d’une valeur ? » (M. Beaubrun, L’absolutisme du devoir de conseil du notaire ou le choix d’une valeur, in Mélanges offerts à Jean-Luc Aubert, Dalloz, p. 25 et s., spéc. p. 32).

Auteur d'origine: Dargent
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Avec raison, en matière de surendettement des particuliers, le comportement des débiteurs fait l’objet d’une attention constante, tant au stade de la recevabilité de leur demande, que lors du déroulement de la procédure. Ainsi, seules sont éligibles les personnes physiques de « bonne foi » (C. consom., art. L. 711-1, al. 1). De même, une personne qui adopterait un comportement déloyal en cours de procédure peut être déchue du bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement. À cet égard, l’article L. 761-1 du code de la consommation – inséré dans un chapitre intitulé « sanctions civiles » – énumère des cas de déchéance, au moyen d’une classification tripartite.

En premier lieu, est déchue du bénéfice de la procédure « toute personne qui a sciemment fait de fausses déclarations ou remis des documents inexacts » (C. consom., art. L. 761-1, 1°). Ainsi que cela a été jugé, il n’y a pas lieu de distinguer selon le moment où ces fausses déclarations sont intervenues (Civ. 1re, 31 mars 1992, n° 90-04.038, Bull. civ. I, n° 110 ; RTD com. 1992. 673, obs. G. Paisant ). Il importe en revanche que ce comportement ait été délibéré et adopté, par le débiteur, dans le but d’obtenir le bénéfice de la procédure de surendettement (Civ. 1re, 11 oct. 1994, n° 93-04.122, Bull. civ. I, n° 288 ; D. 1994. IR 244 ; RTD com. 1995. 188, obs. G. Paisant  : concernant l’omission de faire état d’une dette).

En deuxième lieu, encourt la même sanction « toute personne qui a détourné ou dissimulé ou tenté de détourner ou de dissimuler, tout ou partie de ses biens » (C. consom., art. L. 761-1, 2°). On a par exemple considéré que le détournement et la dissimulation étaient caractérisés à propos d’un retrait, en une seule fois, d’une importante somme (8 000 €) ne pouvant être justifié par la nécessité de faire face aux besoins de la vie courante (Colmar, 1er oct. 2007, JCP 2008. IV. 1532). Il en va de même à l’égard du débiteur qui n’a pas déclaré être nu-propriétaire d’un bien immobilier reçu en donation, aucune exonération ne pouvant être retenue par l’allégation des difficultés de vendre un tel bien (Rennes, 25 mai 2018, n° 16/02429, Lettre d’actualité des Procédures collectives civiles et commerciales, juin 2018, alerte 168).

En troisième lieu, est visée par la déchéance « toute personne qui, sans l’accord de ses créanciers, de la commission ou du juge, a aggravé son endettement en souscrivant de nouveaux emprunts ou aura procédé à des actes de disposition de son patrimoine pendant le déroulement de la procédure de traitement de la situation de surendettement ou de rétablissement personnel ou pendant l’exécution du plan ou des mesures prévues à l’article L. 733-1 ou à l’article L. 733-4 » (C. consom., art. L. 761-1, 3°). À titre d’exemple, la déchéance est en conséquence encourue si le débiteur contracte un nouvel emprunt sans autorisation et n’établit pas que cet emprunt a permis de réduire l’endettement (Civ. 1re, 27 oct. 1992, n° 91-04.084, Bull. civ. I, n° 269 ; RTD com. 1993. 168, obs. G. Paisant ). S’exposent à la même sanction les débiteurs qui ont aggravé leur endettement, en augmentant leurs charges de remboursement au titre d’un contrat de location avec option d’achat souscrit par un prête-nom, sans avoir obtenu un tel accord (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-20.101, Lettre d’actualité des Procédures collectives civiles et commerciales, janv. 2020, alerte 21, obs. Le Bars).

Cette déchéance est prononcée par la commission de surendettement, au moyen d’une décision susceptible de recours. Elle peut l’être également par le juge des contentieux de la protection (auparavant, le juge du tribunal d’instance) à l’occasion d’un recours exercé devant lui ainsi que dans le cadre de la procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire (C. consom., art. L. 712-3). Elle constitue une sanction particulièrement rigoureuse, en ce que son prononcé a pour effet de rétablir les créanciers dans leurs droits initiaux et, le cas échéant, de permettre de nouveau la mise en œuvre des procédures civiles d’exécution à l’encontre du patrimoine du débiteur déchu. Il est toutefois à souligner qu’elle ne fait pas obstacle à une nouvelle demande de traitement de la situation de surendettement d’un débiteur si, outre sa bonne foi, ce dernier démontre l’existence d’« éléments nouveaux » (Civ. 1re, 23 nov. 1999, n° 98-04.093, Bull. civ. I, n° 322 ; D. 2000. 115 ; RTD com. 2000. 193, obs. G. Paisant ).

À la question de savoir si l’énumération tripartite contenue dans l’article L. 761-1 du code de la consommation est limitative, dans le présent arrêt, la deuxième chambre civile répond clairement et sans nuance par l’affirmative. En cela, elle fait sienne une solution déjà retenue, par la première chambre civile, dans un arrêt prononcé le 18 janvier 2000 (Civ. 1re, 18 janv. 2000, n° 98-04.123, Dalloz jurisprudence).

En l’espèce, par un jugement d’octobre 2016, des débiteurs ont été déchus du bénéfice d’une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire ouverte vingt mois plus tôt par décision du juge du tribunal d’instance compétent. À la suite de l’appel formé par le couple de débiteurs, la déchéance a été confirmée dans l’arrêt attaqué. Au soutien de leur décision, les juges du fond s’appuient principalement sur la « négligence » des débiteurs à informer la commission de surendettement de leur changement d’adresse – à la suite d’un déménagement dans une autre région intervenu en cours de procédure – et de leur procédure de divorce (introduite en juillet 2016). Ils tirent également argument du « désintérêt manifeste » des débiteurs et concluent que ce comportement s’analyse en une « erreur grossière équivalente à la mauvaise foi » en ce qu’elle a retardé, pendant deux années, la mise en œuvre de la procédure de surendettement et le règlement des créanciers. Saisie du pourvoi de l’époux débiteur, la Cour de cassation casse cet arrêt d’appel, au visa de l’article L. 761-1 du code de la consommation précité. Pour la haute juridiction, les éléments mis en avant dans l’arrêt confirmatif attaqué – à savoir la négligence et le désintérêt des débiteurs – ne caractérisent pas l’une des causes de déchéance énumérées de façon exhaustive par le législateur.

Le principe ici retenu emporte l’approbation. Dès lors que l’article L. 761-1 du code de la consommation prévoit une sanction, il appelle une appréciation stricte des comportements générateurs de la déchéance. Cette solution, protectrice des intérêts des débiteurs, paraît également commandée par l’impératif de sécurité juridique, même si le libellé des trois catégories de causes de déchéance laisse une certaine place à l’interprétation.

Auteur d'origine: gpayan
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L’arrêt rendu le 27 février 2020 par la huitième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concerne une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) portant sur l’interprétation de la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II) (JOUE 2009, L 335, p. 1), ainsi que du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (« signification ou notification des actes ») et abrogeant le règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil (JOUE 2007, L 324, p. 79).

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Corporis sp. z o.o., un assureur ayant son siège en Pologne, à Gefion Insurance A/S, un autre assureur ayant son siège au Danemark, au sujet de l’indemnisation de dommages causés par un accident de la circulation.

Plus précisément, Corporis est une compagnie d’assurance établie en Pologne qui a été subrogée dans les droits à indemnisation du propriétaire d’un véhicule assuré en Pologne, impliqué dans un accident de la circulation. Gefion Insurance est une compagnie d’assurances établie au Danemark couvrant les risques de l’autre personne impliquée dans cet accident. Gefion Insurance a désigné Crawford Polska sp. z o.o., qui a son siège en Pologne, en tant qu’entreprise ayant le pouvoir de la représenter auprès des personnes qui ont subi un préjudice en Pologne, au titre de l’article 152 de la directive 2009/138. À ce titre, Crawford Polska, chargée du règlement des sinistres pour le compte de Gefion Insurance, a ainsi satisfait à la demande d’indemnisation principale introduite par Corporis au regard du sinistre en cause.

Il existait néanmoins des doutes quant à la question de savoir si le tribunal d’arrondissement de Poznań Stare Miasto avait correctement appliqué les dispositions du règlement n° 1393/2007 en ordonnant la signification de l’acte introductif d’instance à la compagnie d’assurances établie au Danemark et non pas au représentant de celle-ci, établi en Pologne, chargé du règlement des sinistres, au sens des dispositions combinées des articles 151 et 152, § 1 et 2, de la directive 2009/138.

C’est dans ce contexte que le tribunal régional de Poznań a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : « L’article 152, paragraphes 1 et 2, de la directive 2009/138 […], lu en combinaison avec l’article 151 de cette directive et le considérant 8 du règlement n° 1393/2007, doit-il être interprété en ce sens que la représentation d’une entreprise d’assurance non-vie par le représentant désigné inclut la réception d’un acte introductif d’instance en matière d’indemnisation au titre d’un accident de la circulation ? »

En d’autres termes, par sa question, la juridiction de renvoi a demandé, en substance, si l’article 152, paragraphe 1, de la directive 2009/138, lu en combinaison avec l’article 151 de celle-ci et avec le considérant 8 du règlement n° 1393/2007, doit être interprété en ce sens que la désignation par une entreprise d’assurance non-vie d’un représentant dans l’État membre d’accueil inclut également l’habilitation de ce représentant à recevoir un acte introductif d’instance en matière d’indemnisation au titre d’un accident de la circulation.

Car aux termes de ce considérant 8 du règlement n° 1393/2007, « le présent règlement ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’État membre où l’instance a lieu, quel que soit le lieu de résidence de cette partie ».

En l’espèce, les doutes émis par la juridiction de renvoi portaient notamment sur la question de savoir si, en application des dispositions du règlement n° 1393/2007, le juge de première instance avait correctement ordonné à un assureur établi en Pologne de notifier un acte introductif d’instance à un assureur établi au Danemark ou si cet acte aurait dû être notifié à l’entreprise désignée par cette dernière, au titre de l’article 152 de la directive 2009/138, ayant de ce fait le pouvoir de la représenter auprès des personnes qui ont subi un préjudice ainsi que devant les juridictions de cet État membre.

Préalablement, il convenait de vérifier si le règlement n° 1393/2007 trouvait à s’appliquer dans ce cas. La Cour de justice de l’Union européenne a considéré, en vertu de sa jurisprudence, qu’il ne le devait pas (pt 31).

Selon son article 1er, § 1, ce règlement est applicable en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié. Toutefois, le considérant 8 de ce règlement indique expressément que ce dernier ne devrait pas s’appliquer à la signification et à la notification d’un acte au représentant mandaté d’une partie dans l’État membre où l’instance a lieu, quel que soit le lieu de résidence de cette partie.

Le règlement n° 1393/2007 a déjà été interprété par le passé (CJUE 19 déc. 2012, Alder, aff. C-325/11, pts 24 et 25, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2013. 700, note F. Cornette ; RTD eur. 2013. 683, obs. F. Benoît-Rohmer , ainsi que 16 sept. 2015, Alpha Bank Cyprus, aff. C-519/13, pts 68 et 69, D. 2015. 1901 ). La CJUE a retenu qu’« il prévoit seulement deux circonstances dans lesquelles la signification et la notification d’un acte judiciaire entre les États membres sont soustraites à son champ d’application, à savoir, d’une part, lorsque le domicile ou le lieu de séjour habituel du destinataire est inconnu et, d’autre part, lorsque ce dernier a nommé un représentant mandaté dans l’État membre où se déroule la procédure juridictionnelle. En revanche, dans les autres hypothèses, dès lors que le destinataire d’un acte judiciaire réside dans un autre État membre, la signification ou la notification de cet acte relèvent du champ d’application du règlement n° 1393/2007 et doivent, partant, ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, être réalisées par des moyens mis en place par ledit règlement lui-même à cette fin » (pt 29).

La CJUE a confirmé que Gefion Insurance, destinataire de l’acte judiciaire qui lui a été adressé par Corporis, a désigné Crawford Polska en tant qu’entité ayant le pouvoir de la représenter auprès des personnes ayant subi un préjudice en Pologne ainsi que devant les juridictions de cet État membre, au titre de l’article 152 de la directive 2009/138 (pt 30).

Parallèlement, la Cour de Luxembourg a rappelé qu’avec la mobilité croissante des citoyens de l’Union, l’assurance de la responsabilité civile automobile se voit de plus en plus proposée sur une base transfrontalière (dir. 2009/138, consid. 76). Ainsi, « le système mis en place par cette directive permet notamment à une entreprise d’assurances établie dans un État membre d’exercer ses activités dans un autre État membre par l’intermédiaire d’une succursale ou au titre de la libre prestation des services » (pt 33).

En ce qui concerne cette seconde possibilité, « dont a fait usage Gefion Insurance pour offrir ses services en Pologne, celle-ci se caractérise par le fait qu’il n’est pas nécessaire de créer une entité juridique dans l’État membre d’accueil afin d’y exercer de telles activités. Il suffit à cette fin, conformément à l’article 147 de la directive 2009/138, notamment que l’entreprise d’assurances désirant exercer pour la première fois ses activités dans l’État membre d’accueil au titre de la libre prestation des services informe les autorités de contrôle de l’État membre d’origine de son intention en indiquant la nature des risques et des engagements qu’elle se propose de couvrir et que ces autorités transmettent à celles de l’État membre d’accueil, conformément à l’article 148 de cette directive, les informations requises par cette disposition, relatives à l’entreprise d’assurances concernée » (pt 34).

Les hauts magistrats de l’Union européenne considèrent cependant que, « compte tenu de la difficulté d’introduire des recours contre une entreprise d’assurances qui exerce des activités transfrontalières au titre de la libre prestation des services, l’article 151 de la directive 2009/138 requiert que l’État membre d’accueil exige de l’entreprise d’assurance non-vie concernée qu’elle fasse en sorte que les personnes présentant une demande d’indemnisation au titre d’événements survenant sur le territoire de cet État membre ne soient pas placées dans une situation moins favorable du fait que cette entreprise couvre un risque en régime de prestation de services et non par l’intermédiaire d’un établissement situé dans cet État membre. À ces fins, conformément à l’article 152, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, l’État membre d’accueil doit exiger de l’entreprise d’assurance non-vie concernée qu’elle désigne un représentant résidant ou établi sur son territoire qui dispose de pouvoirs suffisants pour représenter cette entreprise tant auprès des personnes ayant subi un préjudice et qui pourraient, de ce fait, réclamer une indemnisation que dans le cadre des procédures judiciaires éventuellement entamées par ces personnes devant les juridictions et les autorités de cet État membre. Dans la mesure où cette disposition ne précise pas l’étendue exacte des pouvoirs confiés à cet effet au représentant de l’entreprise d’assurances et, notamment, si le pouvoir de représentation inclut la possibilité pour ledit représentant de recevoir les significations et les notifications d’actes judiciaires, il y a lieu, conformément à une jurisprudence constante, de tenir compte du contexte de ladite disposition ainsi que des finalités poursuivies par la réglementation dont elle fait partie (v., en ce sens, CJUE 25 janv. 2017, Vilkas, aff. C-640/15, pt 30, Dalloz actualité, 13 févr. 2017, obs. F. Winckelmuller ; D. 2017. 301 ). À cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive 2009/138 vise notamment à garantir, conformément à son considérant 105, un traitement égal de tous les preneurs et bénéficiaires d’un contrat d’assurance, indépendamment de leur nationalité ou de leur lieu de résidence. Dans ce contexte, l’article 152, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 151 de celle-ci, poursuit l’objectif de permettre une indemnisation efficace des victimes d’accidents de la circulation automobile résidant dans un État membre dans lequel une entreprise d’assurance non-vie fournit ses services, et ce bien qu’elle n’y dispose pas d’un établissement. En effet, l’obligation pour cette entreprise de désigner un représentant dans l’État membre d’accueil, prévue audit article 152, paragraphe 1, implique qu’un tel représentant dispose du pouvoir, d’une part, de réunir toutes les informations nécessaires en relation avec les dossiers d’indemnisation et, d’autre part, de représenter ladite entreprise non seulement auprès des personnes pouvant réclamer une indemnisation au titre d’un préjudice subi, mais également dans toutes les procédures judiciaires relatives aux demandes d’indemnisation introduite devant les juridictions de l’État membre d’accueil » (pts 35 à 40).

En définitive, la CJUE en déduit que « la fonction d’un tel représentant consiste à faciliter les démarches entreprises par les victimes de sinistres et, en particulier, à leur permettre d’introduire leur réclamation dans leur propre langue, à savoir celle de l’État membre d’accueil. Il serait dès lors contraire à l’objectif poursuivi à l’article 152, paragraphe 1, de la directive 2009/138 de priver ces victimes, une fois qu’elles ont effectué leurs démarches préalables directement auprès de ce représentant, et alors qu’elles peuvent entamer une action directe contre l’assureur en cause, de la possibilité de notifier les actes judiciaires audit représentant en vue d’exercer l’action en indemnisation devant lesdites juridictions nationales (v., par analogie, CJUE 10 oct. 2013, Spedition Welter, aff. C-306/12, pt 24). Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le fait d’exclure de l’ensemble des pouvoirs dont doit disposer le représentant de l’entreprise d’assurance non-vie concernée chargé du règlement des sinistres l’habilitation de ce dernier à recevoir les notifications d’actes introductifs d’instance en matière d’indemnisation au titre d’un accident de la circulation serait contraire à l’objectif d’assurer une indemnisation efficace des victimes d’accidents de la circulation automobile. En outre, une telle exclusion serait contraire à l’objectif prévu à l’article 151 de la directive 2009/138 de prévenir toute discrimination à l’encontre des personnes présentant une demande d’indemnisation. En effet, si de telles personnes, après avoir négocié avec le représentant de l’entreprise d’assurance non-vie concernée et vérifié avec ce dernier la possibilité de réclamer une indemnisation, étaient tenues de notifier l’acte introductif d’instance à cette entreprise d’assurance non-vie dans l’État membre d’origine de celle-ci, et non au représentant de cette dernière dans l’État membre d’accueil, elles seraient soumises à des formalités supplémentaires et onéreuses concernant notamment la nécessité d’effectuer des traductions, ce qui pourrait entraîner des frais disproportionnés par rapport au montant réclamé au titre de l’indemnisation » (pts 41 à 43).

Les hauts magistrats luxembourgeois concluent qu’« il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 152, paragraphe 1, de la directive 2009/138, lu en combinaison avec l’article 151 de celle-ci et avec le considérant 8 du règlement n° 1393/2007, doit être interprété en ce sens que la désignation par une entreprise d’assurance non-vie d’un représentant dans l’État membre d’accueil inclut également l’habilitation de ce représentant à recevoir un acte introductif d’instance en matière d’indemnisation au titre d’un accident de la circulation » (pt 45). Le principe est ainsi posé. Le champ de la désignation par un assureur non-vie d’un représentant dans l’État membre d’accueil en ressort donc élargi.

Auteur d'origine: Dargent

Dans la première affaire (req. n° 424335), Mme B…, gérante et associée unique d’une EURL, contestait la décision du président de la métropole de Lyon de réduire le montant du RSA qu’elle recevait, en raison de la prise en compte dans ses ressources du bénéfice dégagé par la société.

Dans la seconde espèce (req. n° 424379), Mlle A… demandait notamment l’annulation de la décision de récupération d’un indu de RSA prise par la même métropole au motif qu’elle n’avait pas déclaré, au titre de ses ressources, des loyers perçus par une SCI dont elle détenait la moitié des parts.

Saisi en cassation, le Conseil d’État juge que, pour...

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Auteur d'origine: pastor
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Dans son arrêt du 27 février 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère que l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) n’a pas apprécié in concreto la marque contestée au regard du public pertinent et du contexte social concret et actuel. Cet examen in abstracto de la marque litigieuse a induit l’Office européen à négliger tout un faisceau d’indices démontrant l’absence d’atteinte aux bonnes mœurs.

Le 21 avril 2015, la société Constantin Film Produktion a déposé la marque verbale de l’Union européenne Fack Ju Göhte. À la suite d’un examen de fond, l’EUIPO a totalement rejeté la demande d’enregistrement de la marque le 25 septembre 2015, au motif que cette dernière serait contraire aux bonnes mœurs. Le 5 novembre 2015, la société déposante a formé un recours devant la chambre de recours de l’EUIPO, que cette dernière a rejeté. Le 3 février 2017, la société déposante a introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne, qui a confirmé la décision de l’EUIPO (Trib. UE, 24 janv. 2018, aff. T-69/17, D. 2019. 453, obs. J.-P. Clavier et N. Martial-Braz ). À ce titre, la société Constantin Film Produktion a saisi la CJUE.

Dans cet arrêt, la Cour de justice ne suit pas le raisonnement de l’Office européen ni du Tribunal de l’Union européenne, qu’elle considère comme une mauvaise application de l’article 7.1, f), du règlement n° 207/2009 du 26 février 2009, applicable en l’espèce. En effet, la CJUE préfère procéder à un examen approfondi et concret de la marque contestée en prenant en compte tous les éléments de contexte à sa disposition afin d’assurer l’équilibre entre les libertés et droits fondamentaux et le droit des marques.

L’examen de fond de la marque en fonction du public pertinent et du contexte social concret et actuel

La CJUE rappelle que, pour apprécier si une marque porte atteinte aux bonnes mœurs, il faut apprécier le public visé par cette marque (Trib. UE, 9 mars 2012, aff. T-417/10). La marque verbale étant écrite en allemand, l’EUIPO en a correctement déduit que le public pertinent est « le grand public germanophone de l’Union, à savoir notamment celui d’Allemagne et d’Autriche » (pt 45). Pour autant, la CJUE va aller plus loin dans son raisonnement en affirmant que, même si cette marque peut être traduite en anglais par « Fuck you, Goethe », la perception de cette expression anglaise par le public germanophone ne sera pas la même que celle du public anglais. En effet, « la susceptibilité dans la langue maternelle étant potentiellement plus important que dans une langue étrangère » (pt 68). Pour cette dernière, cette affirmation est d’autant plus vraie que la marque litigieuse est présentée en allemand et est à destination d’un public germanophone.

Pour se prononcer dans cette affaire, la CJUE revient sur la définition des bonnes mœurs, qui désignent des « valeurs et normes morales fondamentales auxquelles une société adhère à un moment donné » (pt 39). Par conséquent, une marque qui serait simplement jugée de « mauvais goût » ne pourrait pas être rejetée sous prétexte d’une atteinte aux bonnes mœurs (pt 41). Dans cette définition, la Cour de justice insiste particulièrement sur l’évolution de leur perception dans le temps. Ainsi, elle en déduit qu’il faut interpréter l’impact de la marque sur le public en fonction du contexte social concret et actuel (pt 43). Le contexte mis en valeur par la société déposante est la notoriété de l’expression « Fack Ju Göhte », utilisée comme titre pour trois films à succès en Allemagne, et reconnue comme notoirement connue pour le public pertinent par la chambre des recours de l’EUIPO (pt 67). Or l’article 7.3 du règlement n° 207/2009, qui constitue une exception aux motifs absolus de refus d’une marque, relative à la notoriété, ne s’applique pas pour les marques contraires aux bonnes mœurs. Ainsi, si l’appréciation du public pertinent et de la notoriété de l’expression « Fack Ju Göhte » vient nuancer le « caractère vulgaire » de la marque litigieuse, la CJUE précise qu’elle ne saurait suffire à constater l’absence d’une atteinte aux bonnes mœurs (pt 66).

L’examen de fond de la marque grâce à un faisceau d’indices, garant de la liberté d’expression

Dans cet arrêt, la CJUE, en plus des arguments retenus précédemment, utilise un faisceau d’indices pour démontrer que la marque ne porte pas atteinte aux bonnes mœurs. Ce faisceau d’indices repose sur une analyse très concrète de l’accueil des titres des films Fack Ju Göhte par le public allemand au moment de leur sortie. Cette dernière en ressort trois arguments : les titres n’ont pas suscité de controverses lors de leur sortie, l’accès au jeune public a été autorisé et l’Institut culturel allemand Goethe utilise ces films à des fins pédagogiques (pt 52). Ces éléments de faits, qui nourrissent la notion de contexte social concret et actuel sur lequel la CJUE fonde son raisonnement, sont autant d’indices démontrant que le public pertinent ne percevra pas la marque contestée comme « moralement inacceptable ». Par ailleurs, cette dernière précise également qu’il importe peu que le titre du film soit descriptif ou non de son contenu pour permettre d’alimenter le contexte social concret et actuel devant être pris en considération lors de l’examen de fond de la marque (pt 65).

Une telle solution est retenue par la CJUE afin de garantir la balance des équilibres entre les libertés et droits fondamentaux et le droit des marques (pt 56). Pour cela, le droit des marques, aussi bien dans l’usage de la marque que dans son enregistrement, doit être appliqué tout en s’assurant du respect de la liberté d’expression. En effet, contrairement à ce que soutient l’EUIPO, la balance des intérêts entre la liberté d’expression et le droit d’auteur ne saurait suffire à soustraire le droit des marques de cette même mise en balance avec les libertés et droits fondamentaux.

Auteur d'origine: nmaximin
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Le 16 juin 1995, une jeune fille, alors âgée de onze ans, a été percutée par un véhicule au volant duquel était assise une conductrice non couverte par une assurance. Par ordonnance du 6 mai 2004, le juge des référés a confié une mission d’expertise aux fins d’évaluation de ses préjudices, dont le rapport a été déposé le 16 octobre 2006. Les 17 avril, 21 avril et 6 mai 2009, la victime, assistée de son curateur, et ses parents ont assigné la conductrice et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) aux fins de liquidation de leurs préjudices.

Par un arrêt rendu le 24 mai 2018, la première chambre civile de la cour d’appel d’Amiens a décidé, en premier lieu, que le versement de la rente trimestrielle viagère d’un montant de 4 680 € allouée au titre de l’assistance par une tierce personne à compter du 31 juillet 2015 ne pourrait intervenir que sur présentation dans le premier mois de chaque année civile d’un justificatif d’absence de demande de prestation de compensation du handicap (PCH) ou du montant des sommes perçues au titre de cette prestation. En deuxième lieu, la cour d’appel a fixé les sommes dues en réparation des préjudices subis par la victime à hauteur notamment de 5 499,90 € au titre des frais divers et à hauteur de 94 302 € au titre de l’assistance par tierce personne temporaire. Elle a aussi établi les sommes dues en réparation des préjudices subis par les victimes par ricochet, en limitant la somme due au titre du préjudice professionnel de la mère de la victime à hauteur de 30 000 €. En dernier lieu, la juridiction du fond a débouté la victime, son curateur et ses proches de leur demande de condamnation du FGAO à leur verser des intérêts au double du taux d’intérêt légal, à titre principal, du 16 février 1996 (soit à l’expiration du délai de huit mois suivant l’accident) au jour du jugement définitif, et à titre subsidiaire, du 16 mars 2007 (soit à l’expiration du délai de cinq mois suivant la diffusion du rapport judiciaire de l’expert du 16 octobre 2006) au jour du jugement définitif, sur le fondement des articles L. 211-13 et L. 211-14 du code des assurances.

Le curateur et les proches de la victime ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens, dans le litige les opposant à la conductrice non assurée et au FGAO, défendeurs à la cassation. Le FGAO a formé un pourvoi incident contre le même arrêt. La Cour de cassation, par un arrêt du 6 février 2020, a partiellement censuré l’arrêt d’appel.

S’agissant du quatrième moyen du pourvoi principal, soutenu sur le fondement des articles L. 211-13 et L. 211-14 du code des assurances et relatif aux pénalités de retard en cas de non-respect du délai pour présenter l’offre, la haute juridiction a précisé qu’« aux termes de l’article R. 421-15 du code des assurances, en aucun cas, l’intervention du FGAO dans les instances engagées entre les victimes d’accidents corporels ou leurs ayants droit, d’une part, et les responsables ou leurs assureurs, d’autre part, ne peut motiver une condamnation conjointe ou solidaire du fonds de garantie et du responsable ; que selon l’article L. 211-22, alinéa 2, du même code, l’application au FGAO de l’article L. 211-13 prévoyant la pénalité du doublement du taux de l’intérêt légal lorsque l’offre n’a pas été faite dans les délais impartis à l’article L. 211-9 ne fait pas obstacle aux dispositions particulières qui régissent les actions en justice contre le Fonds ; qu’il en résulte que le FGAO ne peut être condamné à cette pénalité au cours des instances susmentionnées mais seulement au cours de celles introduites par la victime ou ses ayants droit à l’encontre du Fonds dans les conditions prévues par l’article R. 421-14 du code des assurances ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée ».

La haute juridiction a ainsi rappelé aux juridictions du fond qu’il ne leur appartient pas de condamner le FGAO conjointement ou solidairement avec le responsable. Par le passé avait ainsi été censuré, pour violation de l’article R. 421-15 du code des assurances, l’arrêt d’appel ayant jugé qu’il revient au FGAO d’indemniser les ayants droit de la victime, après avoir énoncé que la réparation incombe in solidum au FGAO et aux ayants droit du conducteur responsable de l’accident (Civ. 2e, 6 mars 2008, n° 07-11.887, Dalloz jurisprudence).

Les juges du fond sont tenus de limiter à déclarer au FGAO sa décision opposable, sans que l’intervention du fonds puisse justifier sa condamnation (Crim. 13 janv. 2009, n° 08-82.103, RCA 2009. Comm. 90, note H. Groutel). La chambre criminelle avait retenu que l’article L. 211-22 du code des assurances ne fait aucune distinction entre le FGAO et les assureurs quant à l’assiette de la pénalité (Crim. 3 mai 2016, n° 14-84.246 P, Dalloz actualité, 17 mai 2016, obs. N. Kilgus). Ces pénalités sont source de difficultés régulières. Dernièrement, la Cour de cassation a dû répondre à la problématique de « l’office du juge pour le bornage dans le temps de la sanction de doublement des intérêts légaux prévu en matière d’absence d’offre en matière d’accident de la circulation. Quant au doublement des intérêts légaux, il est prévu par l’article 16 de la loi du 5 juillet 1985 « à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif ». En l’espèce, l’assureur par convention en charge du dossier estimait dans ses écritures que le doublement des intérêts ne devait pas lui être imposé, dans la mesure où le délai de huit mois pour faire une offre n’avait pu courir à son encontre, puisqu’il contestait sa responsabilité ; les victimes indirectes demandaient la confirmation du jugement entrepris qui avait prononcé cette sanction. L’arrêt d’appel a confirmé le principe de la sanction, mais l’a limitée dans le temps, à la date où ont été signifiées par l’assureur des propositions indemnitaires subsidiaires. La Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir relevé d’office ce moyen, sans le soumettre préalablement à la discussion des parties, ce qui constitue une violation de l’article 16 du code de procédure civile » (C. Quézel-Ambrunaz, La Cour de cassation intègre les prestations sociales dans le calcul de la perte de revenus des proches, ss Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-14.211, RLDC/177, janv. 2020, p. 14 s.).

À ce titre, la doctrine relève que « la sanction du doublement des intérêts légaux est un mécanisme de peine privée, qui, en tant que telle, est aux mains des parties. Les hauts magistrats l’avaient déjà laissé entendre, dans un arrêt apparaissant comme le reflet inversé de celui sous commentaire (Civ. 2e, 24 oct. 2019, préc.), en rejetant un moyen critiquant un arrêt d’appel de ne pas avoir prononcé cette sanction, alors que la victime ne l’avait pas demandée dans ses conclusions (Civ. 2e, 24 mai 2018, n° 17-12.470, Dalloz actualité, 7 juin 2018, obs. J.-D. Pellier) » (ibid.).

En ce qui concerne l’arrêt du 6 février 2020, ensuite, sur le premier moyen du pourvoi principal, et au visa des articles 29 et 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dite Badinter, et des articles L. 421-1 et R. 421-13 du code des assurances, la deuxième chambre civile a tout d’abord énoncé « qu’il résulte des deux premiers textes que seules doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que, n’étant pas mentionnée par le premier de ces textes, la prestation de compensation du handicap ne donne pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation et ne peut donc être imputée sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ; que, selon les deux derniers textes, lorsque le FGAO intervient, il paie les indemnités allouées aux victimes ou à leurs ayants droit qui ne peuvent être prises en charge à aucun autre titre lorsque l’accident ouvre droit à réparation ; que les versements effectués au profit des victimes ou de leurs ayants droit et qui ne peuvent pas donner lieu à une action récursoire contre le responsable des dommages ne sont pas considérés comme une indemnisation à un autre titre » (Civ. 2e, 6 févr. 2020, préc.).

La haute juridiction a alors décidé « que, pour dire que le versement de la rente trimestrielle viagère due au titre de la tierce personne ne pourra intervenir que sur justification par [la victime] auprès du FGAO, dans le premier mois de chaque année civile, de l’absence de demande de prestation de compensation du handicap ou du montant des sommes perçues à ce titre, l’arrêt retient que nonobstant le caractère subsidiaire de l’indemnisation opérée par le FGAO, la personne handicapée n’a aucune obligation de solliciter la prestation de compensation du handicap mais peut le faire à tout moment et qu’en raison du caractère indemnitaire de cette prestation, il convient, afin d’éviter une double indemnisation, de prévoir que les sommes dont [la victime] pourrait être amenée à bénéficier devront être déduites des sommes allouées au titre de l’assistance par une tierce personne » (ibid.).

Elle a conclu qu’en statuant ainsi, « alors que la prestation de compensation du handicap définie aux articles L. 245-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles n’étant pas mentionnée par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985, elle n’ouvre droit à aucune action contre la personne tenue à réparation du dommage et ne peut donc être imputée sur l’indemnité allouée, que celle-ci soit payée par la personne tenue à réparation ou prise en charge à titre subsidiaire par le FGAO, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (ibid.).

En 2017, le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution le terme « seules » inscrit au premier alinéa de l’article 29 de la loi Badinter est (Cons. const. 24 févr. 2017, n° 2016-613 QPC, Dalloz actualité, 6 mars 2017, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2017. 442 ; D. 2017. 504 ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; AJ fam. 2017. 162 et les obs. ; Constitutions 2017. 189, chron. ). La chambre criminelle avait également estimé que la prestation de compensation du handicap versée par le conseil départemental n’entre pas dans la catégorie des prestations ouvrant droit à action contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur mentionnées aux articles 29 et 32 de la loi Badinter (Crim. 1er sept. 2015, n° 14-82.251 P, Dalloz actualité, 21 sept. 2015, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2015. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RDSS 2015. 1123, obs. Y. Dagorne-Labbe ; RTD civ. 2015. 889, obs. P. Jourdain ). La deuxième chambre civile avait encore précisé, en 2015, que cette même prestation perçue par la victime, ne figurant pas à l’article 29 de la loi de 1985, ne donnait pas lieu à recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation (Civ. 2e, 2 juill. 2015, n° 14-19.797 P, Dalloz actualité, 1er sept. 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1539 ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2015. 889, obs. P. Jourdain ). L’affaire commentée renouvelle la solution en précisant que la prestation de compensation du handicap n’ouvre droit à aucune action contre le débiteur de la compensation du dommage et ne peut donc être imputée sur l’indemnité allouée, que celle-ci soit payée par la personne tenue à réparation ou prise en charge à titre subsidiaire par le FGAO.

S’agissant du deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, la Cour de cassation a visé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.

À ce titre, les hauts magistrats ont préalablement constaté que, « pour limiter à 5 499,90 € la somme due en réparation du préjudice subi par [la victime] au titre des frais divers, l’arrêt retient que l’examen neuropsychologique et le bilan psychiatrique réalisés respectivement par [deux experts] ne peuvent être assimilés à l’assistance d’un médecin conseil mais s’analysent comme des rapports d’expertise privés qui ne sauraient être indemnisés au titre des frais divers ; qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces examens n’avaient pas été indispensables à l’évaluation des préjudices de la victime et n’étaient pas, par conséquent, imputables à l’accident, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (Civ. 2e, 6 févr. 2020, préc.).

Enfin, sur le troisième moyen du pourvoi principal, au visa de l’article 4 du code de procédure civile, la cour d’appel est censurée pour violation de ce texte en limitant à une certaine somme l’évaluation du préjudice professionnel de la mère de la victime, après avoir retenu qu’il est démontré que cette dernière était déjà en disponibilité professionnelle avant l’accident pour élever l’ensemble de ses jeunes enfants et que, s’il est constant qu’elle s’est effectivement occupée de sa fille durant cette période, elle s’est également occupée de ses autres enfants, de sorte que la perte de revenus qu’elle a subie à hauteur de 126 129 € durant cette période de mise en disponibilité n’est pas en lien direct avec l’accident dont a été victime sa fille mais avec le fait qu’elle a décidé durant une certaine période de se consacrer à l’entretien et l’éducation de ses jeunes enfants. Dès lors, puisque la victime indirecte sollicitait l’allocation d’une somme de 126 129 € correspondant à la perte de revenus subie non pas entre l’accident et sa reprise d’activité mais entre la date à laquelle sa période de disponibilité aurait dû s’achever si l’accident n’était pas survenu, à savoir lorsque son dernier enfant a atteint l’âge de huit ans, et sa reprise effective d’activité, la cour d’appel a modifié les termes du litige (ibid.).

Pour la projection futuriste, il convient de noter que le projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017, par Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, par suite de la consultation publique menée d’avril à juillet 2016, est susceptible de redistribuer les cartes du jeu indemnitaire au stade des recours.

Non seulement l’article 1273 du projet envisage que « les sommes versées à la victime à des fins indemnitaires par les tiers payeurs ne donnent lieu à recours subrogatoire contre le responsable ou son assureur que dans les cas prévus par la loi », mais encore l’article 1274 du projet prévoit que « seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d’un dommage corporel ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur :

1. Les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale ;


2. Les prestations énumérées au II de l’article 1er de l’ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l’État et de certaines autres personnes publiques ;

3. Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ;

4. Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l’employeur pendant la période d’inactivité consécutive à l’événement qui a occasionné le dommage ;


5. Les indemnités journalières de maladie et les prestations d’invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et de la pêche maritime et les sociétés d’assurance régies par le code des assurances ;

6. Les prestations prévues à l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles ».

Rappelons que cet article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles, visé par le sixième point de l’article 1274 du projet de réforme de la responsabilité civile, a trait à la prestation de compensation du handicap. En d’autres termes, le projet de réforme de la responsabilité civile intégrerait la prestation de compensation du handicap dans les prestations ouvrant droit au recours, et donc changerait complètement la solution qui émane de l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 6 février 2020 (Civ. 2e, 6 févr. 2020, préc.). En l’état, d’aucuns pourraient s’inquiéter du risque de surindemnisation. Ce risque peut néanmoins paraître modéré, en ce que la prestation de compensation du handicap n’est versée qu’à titre subsidiaire. En définitive, on retombe sur un conflit de deux subsidiarités, celle du FGAO, d’un côté, celle de la prestation de compensation du handicap, de l’autre.

Relevons enfin que l’intention de l’actuel législateur est de faciliter l’accès à la prestation de compensation du handicap (proposition de loi visant à améliorer l’accès à la prestation de compensation du handicap, 26 févr. 2020). Notamment, « les réclamations des bénéficiaires de la PCH dirigées contre une décision de récupération de l’indu auront un caractère suspensif. Un « droit à vie » à la PCH est prévu pour les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement » (Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J.-M. Pastor).

Auteur d'origine: Dargent
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La société Copie France a assigné la société de droit luxembourgeois Only Keys, qui propose à la vente sur internet des supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres, aux fins d’obtenir sa condamnation au paiement d’une provision au titre de la rémunération pour copie privée dont elle serait redevable, ainsi que la communication de pièces. La cour d’appel a accédé à ses demandes (Paris, 13 avr. 2018, n° 17/02576, RTD com. 2018. 341, obs. F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2018, n° 68, p. 64, obs. Bernault). Le pourvoi formé par la société Only Keys contre cette décision est rejeté. Par cet arrêt, la première chambre civile applique la solution retenue par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2011 et opère un revirement de jurisprudence attendu.

Rappelons que les titulaires de droits d’auteur ou des droits voisins ne peuvent interdire les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. Cette exception est compensée par une rémunération prélevée sur les supports d’enregistrement. Elle est versée, aux termes de l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle, par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du code général des impôts, de ces supports, lors de leur mise en circulation en France. La Cour de cassation avait jugé que, faute de revêtir l’une de ces trois qualités, le cybercommerçant étranger n’était pas le débiteur. Dans cette hypothèse, l’importateur est le client final, c’est donc à lui de payer la redevance. À la place, les juges avaient sanctionné le fournisseur sur le fondement de la concurrence déloyale en retenant qu’il aurait dû informer le consommateur de son « impérieuse obligation » de payer la rémunération pour copie privée (Civ. 1re, 27 nov. 2008, n° 07-15.066, Dalloz actualité, 4 déc. 2008, obs. C. Manara ; D. 2008. 3081, obs. C. Manara ; ibid. 2009. 1992, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; RTD com. 2009. 131, obs. F. Pollaud-Dulian ).

Confrontée à cette problématique, la Cour de justice de l’Union européenne a, au contraire, admis dans son arrêt Stichting du 16 juin 2011 que le cybercommerçant étranger soit le payeur. L’article 5, paragraphe 2, sous b, de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information impose aux États membres qui ont choisi d’introduire dans leur législation nationale une exception de copie privée, de prévoir en contre-partie une compensation équitable pour les titulaires du droit de reproduction. La Cour de justice a estimé que les États étaient tenus de garantir la perception effective de cette compensation. Il s’agit d’une obligation de résultat sur laquelle « la seule circonstance que le vendeur professionnel d’équipements, d’appareils ou de supports de reproduction est établi dans un État membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeure sans incidence ». Elle a ajouté qu’il appartenait « à la juridiction nationale, en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs, d’interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès d’un débiteur agissant en qualité de commerçant » (CJUE 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie, aff. C-462/09, Dalloz actualité, 6 juill. 2011, obs. J. Daleau ; D. 2011. 1816 ; Légipresse 2011. 397 et les obs. ; RTD com. 2011. 551, obs. F. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2011, n° 40, p. 316, obs. V.-L. Benabou ; CCE 2012. Chron. 4, obs. X. Daverat ; v. aussi 11 juill. 2013, aff. C-521/11, Amazon c. Austro-Mechana, D. 2013. 2209, et les obs. , note C. Castets-Renard ; JAC 2013, n° 5, p. 10, obs. E. Scaramozzino ; RTD com. 2013. 719, obs. F. Pollaud-Dulian ; RIDA 2/2014, p. 351, obs. P. Sirinelli ; Propr. intell. 2014, n° 50, p. 74, obs. Bruguière).

Dans son arrêt du 5 février 2020, la première chambre civile rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’article L. 311-4, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, bien qu’antérieure à la directive, doit être interprété à la lumière de ce texte pour atteindre le résultat visé par celle-ci, « sans que, toutefois, l’obligation d’interprétation conforme puisse servir d’interprétation contra legem du droit national ».

Citant ensuite l’arrêt Stichting, la haute juridiction abandonne sa lecture littérale de l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle reconnaît que, contrairement à ce qu’elle avait précédemment jugé en 2008, « lorsqu’un utilisateur résidant en France fait l’acquisition, auprès d’un vendeur professionnel établi dans un autre État membre de l’Union européenne, d’un support d’enregistrement permettant la reproduction à titre privé d’une œuvre protégée, et en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la rémunération pour copie privée auprès de cet utilisateur, l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle doit être interprété en ce sens que cette rémunération est due par le vendeur qui a contribué à l’importation dudit support en le mettant à la disposition de l’utilisateur final ».

Enfin, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a suffisamment « fait ressortir qu’il s’avérait, en pratique, impossible de percevoir la rémunération équitable auprès des utilisateurs finaux et que la société Only Keys avait contribué à l’importation des supports litigieux ». D’une part, elle a justement écarté l’application de la clause des conditions générales de vente qui transféraient au client final le paiement des « taxes spécifiques aux États comme par exemple des taxes sur les droits d’auteur ». Une telle disposition prive d’effectivité l’indemnisation due aux ayants droit au titre de la rémunération pour copie privée. D’autre part, elle a caractérisé le fait que la société Only keys était reliée à l’utilisateur final en France : le site est rédigé en français, permet les paiements en euros et la livraison en France des produits commandés.

En définitive, la réparation du préjudice subi par l’auteur résultant de la reproduction sans autorisation de l’œuvre doit être assurée, peu importe le débiteur.

Auteur d'origine: nmaximin

Les sociétés SKYKICK ont déposé la marque de l’Union européenne portant sur la dénomination SKYKICK. Les sociétés SKY, titulaires de quatre marques antérieures comprenant le terme SKY, se sont opposées à l’enregistrement de cette marque (Flash APRAM n° 354 – dépôt d’une marque sans l’intention de l’utiliser, 29 janv. 2020). Dans le cadre de cette procédure, les sociétés déposantes ont introduit une demande reconventionnelle en nullité à l’encontre des marques antérieures pour défaut de clarté et de précision de leur libellé. La High Court of Justice (England & Wales) a décidé de surseoir à statuer et a introduit une demande préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

C’est dans ce contexte que la CJUE va rappeler que la liste des motifs absolus de nullité est une liste limitative et va repréciser les contours du motif absolu de mauvaise foi. Pour ce faire, la CJUE va apprécier le droit de l’Union européenne applicable rationae temporis, c’est-à-dire au moment du dépôt des marques antérieures (pt 53).

Une liste exhaustive des motifs absolus de nullité

À la lumière du règlement (CE) n° 40/94 20 décembre 1993 et de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988, la CJUE répond par la négative à la High Court of Justice. En effet, le défaut de clarté et de précision du libellé d’une marque ne figurant pas...

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Auteur d'origine: nmaximin
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Une société prenant la forme d’une agence a exercé les fonctions de syndic d’une copropriété. Elle a été désignée en qualité d’administrateur provisoire sur requête d’un copropriétaire, en l’espèce une seconde société ayant pour principal associé le gérant de l’agence précitée. Par un jugement du 22 novembre 2010, devenu irrévocable, la responsabilité de la société de syndic, placée en cours de procédure en liquidation judiciaire, a été retenue et la créance du syndicat des copropriétaires au passif de cette société a été fixée à la somme de 55 389,53 € en principal correspondant au montant des frais et honoraires perçus en tant qu’administrateur provisoire, à la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts et à celle de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile. Ces sommes n’ayant pu être recouvrées, le syndicat des copropriétaires a assigné le 13 août 2013 l’assureur de responsabilité de la société de syndic et la société de courtage, par l’intermédiaire de laquelle le contrat d’assurance avait été conclu, afin d’obtenir le paiement des causes du jugement du 22 novembre 2010 ainsi que des dommages-intérêts pour résistance abusive.

Par un arrêt rendu le 15 mars 2018, la cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 17 mars 2015 ayant déclaré recevables les demandes du syndicat des copropriétaires représenté par son nouveau syndic comme n’étant pas prescrite. Mais la cour d’appel a infirmé partiellement le jugement et, statuant à nouveau, a déclaré que la garantie responsabilité civile est acquise en faveur du syndicat des copropriétaires et condamné en conséquence l’assureur à payer au syndicat les sommes de 43 527,53 € et de 5 000 €, avec les intérêts au taux légal depuis l’assignation initiale en date du 13 août 2013, et condamné solidairement l’assureur et le courtier à payer au syndicat des copropriétaires de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’assureur et le courtier ont formé un pourvoi en cassation. La deuxième chambre civile, dans un arrêt rendu le 6 février 2020, rappelle, en premier lieu, l’effet interruptif de la prescription d’une demande en justice, même en référé, tendant à la communication sous astreinte du contrat d’assurance par l’assureur et le courtier, puis précise, en second lieu, les critères permettant de retenir une faute dolosive d’un professionnel au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances.

L’interruption de la prescription résultant de l’action en référé introduite contre l’assureur tendant à la communication forcée de la police d’assurance

L’assureur a reproché à l’arrêt de confirmer le jugement ayant déclaré recevables les demandes du syndicat des copropriétaires comme n’étant pas prescrites. À cet effet, il a soutenu, en premier lieu, que « l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, sauf lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; que tel n’est pas le cas de l’action en référé tendant à obtenir la communication forcée d’un contrat d’assurance et l’action directe de la victime contre l’assureur, la première ne tendant pas à obtenir la garantie de l’assureur et n’en étant même pas le préalable nécessaire ; d’où il suit qu’en décidant le contraire pour déclarer que l’interruption résultant de l’action en référé introduite contre l’assureur et le courtier les 12 et 14 décembre 2012, tendant à la communication forcée d’une police d’assurance avait interrompu le délai d’exercice de l’action directe introduite par assignation du 13 août 2013, après l’expiration de la prescription quinquennale applicable, la cour d’appel a violé l’article 2241 du code civil ».

En second lieu, l’assureur a invoqué que « l’interruption de la prescription en ce qui concerne le règlement de l’indemnité peut résulter de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception de l’assuré à l’assureur ; d’où il suit qu’en décidant que l’envoi d’une lettre recommandée à l’assureur par la victime exerçant l’action directe, qui n’est pas l’assurée et ne se substitue pas à ce dernier mais exerce un droit propre, interrompait la prescription de l’action directe, la cour d’appel a violé l’article L. 114-2 du code des assurances ».

Par un arrêt du 6 février 2020, la deuxième chambre civile a jugé que le moyen n’était pas fondé, car « en application de l’article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, une demande en justice, même en référé, interrompt la prescription ; qu’ayant constaté que le syndicat des copropriétaires avait introduit les 12 et 14 décembre 2012 une action en référé contre l’assureur et le courtier pour obtenir la communication sous astreinte du contrat d’assurance, la cour d’appel en a exactement déduit que la prescription de l’action directe avait été interrompue jusqu’à la date de l’ordonnance rendue le 23 mai 2013 et que l’action engagée le 13 août 2013 n’était pas prescrite ».

Rappelons, d’une part, que l’article L. 114-2 du code des assurances (modifié par ord. n° 2017-1433, 4 oct. 2017, art. 4) dispose que « la prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre. L’interruption de la prescription de l’action peut, en outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception, adressés par l’assureur à l’assuré en ce qui concerne l’action en paiement de la prime et par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité ». Il est appelé à une réforme de la prescription biennale, notamment de retenir une durée quinquennale similaire au droit commun (D. Noguéro, Provocation à la réforme de la prescription biennale au sujet de l’article R. 112-1 du code des assurances [Au-delà d’un nouvel arrêt de la Cour de cassation], RRJ, Droit prospectif, 2016-2, p. 725-753).

D’autre part, l’article 2240 du code civil (modifié par la L. n° 2008-561, 17 juin 2008, art. 1) prévoit que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription », puis l’article 2241 (également modifié par la L. n° 2008-561, art. 1) retient que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ».

Depuis la réforme de la prescription (A. Astegiano-La Rizza, L’assurance et la réforme de la prescription en matière civile, RGDA 2008, n° 4, p. 833 s. ; C. Brenner et H. Lécuyer, La réforme de la prescription, JCP N 2009, n° 12, étude 1118, p. 24 s.) l’article 2241 a remplacé la citation en justice par la demande en justice. En outre ont été supprimés le commandement et la saisie (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 114-2, p. 200).

La jurisprudence concevait déjà, en amont de la réforme, que l’effet interruptif concerne toute assignation, que ce soit une action au fond ou en référé. Tantôt il pourra s’agir d’un référé-expertise, qui aura cet effet interruptif (Civ. 1re, 18 juin 1996, n° 94-14.985, D. 1998. 45 , obs. H. Groutel ; RGDA 1996. 624, note R. Maurice). Tantôt un référé-provision aura ce même effet (Civ. 1re, 27 févr. 1996, n° 93-11.560, RGAT 1996. 196, note A. Besson ; 12 févr. 1991, nos 88-19.826 et 86-18.678, RTD civ. 1991. 797, obs. R. Perrot ; RGAT 1996. 337, note J. Landel et H. Margeat).

Il paraît logique que l’effet interruptif s’étende à un référé mis en œuvre aux fins de communication d’un contrat d’assurance, lequel permet au tiers souhaitant intenter une action directe de connaître l’étendue de la garantie. On constate trop souvent un refus de communication des polices d’assurance dans ce contexte, a fortiori injustifiable lorsqu’on est en présence d’assurances obligatoires qui ont été instituées – insistons – avec l’objectif de garantir l’indemnisation des tiers victimes autant que la dette de responsabilité de l’assuré.

La faute dolosive d’un syndic de copropriété et l’exigence d’un scénario prémédité

S’agissant du second moyen, l’assureur a reproché à l’arrêt d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de déclarer que la garantie responsabilité civile est acquise en faveur du syndicat des copropriétaires, de le condamner, en conséquence à payer au syndicat des copropriétaires les sommes de 43 527,53 € et de 5 000 €, avec les intérêts au taux légal depuis l’assignation initiale en date du 13 août 2013 et de le condamner solidairement avec la société de courtage à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il a été soutenu que l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

Pour les demandeurs au pourvoi, la cour d’appel constate qu’une même personne était à la fois le gérant de l’agence syndic de la copropriété litigieuse et le principal associé de la société civile immobilière (SCI) propriétaire des lieux occupés par l’agence et copropriétaire au sein de la copropriété litigieuse. Par l’effet de la requête en désignation d’un administrateur provisoire, cette personne ès qualités d’administrateur provisoire remplaçait cette même personne ès qualités de syndic. Le syndic avait commis une faute ayant consisté à ne pas convoquer dans les délais l’assemblée générale, sans motif légitime et la vacuité des motifs présidant à la requête en désignation d’un administrateur provisoire, ajoutant que « l’habile requête d’IKBF, qui omettait de préciser toutes les qualités de son principal associé, constituait une parade permettant de continuer la gestion quoiqu’il arrive, soit couvert d’une administration provisoire, malgré la promesse non tenue d’une assemblée générale le 22 juillet, en invoquant des raisons techniques non démontrées ». Selon eux, la cour d’appel énonce enfin que le syndic « “promettant d’un côté de tenir l’assemblée générale en juillet, mais ne pouvant ignorer de l’autre côté en sa qualité d’associé principal que la SCI IKBG sollicitait sa nomination provisoire” et obtenu sous cette dernière casquette des honoraires sans commune mesure avec ceux qu’il aurait reçus en qualité de syndic ».

Pour l’assureur et le courtier, il « résultait de l’ensemble de ces constatations que l’agence Pacific, syndic, avait, usant des différentes qualités d’Olivier Bernard, son gérant, manœuvré de telle sorte qu’il avait sciemment organisé sa nomination en qualité d’administrateur provisoire, manœuvre qui lui avait permis d’obtenir le versement d’honoraires sans commune mesure avec ceux qu’il aurait reçus en qualité de syndic, ce qui établissait qu’il s’était volontairement placé dans une situation dont il ne pouvait ignorer qu’elle conduirait inéluctablement au dommage occasionné ».

En définitive, les demandeurs au pourvoi ont estimé que la cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, en décidant que « la démonstration n’est pas certaine que la faute ayant entraîné sa responsabilité ait eu un caractère volontaire et dolosif au moment de sa commission » et que « la preuve n’est pas rapportée d’un scénario prémédité englobant l’abstention volontaire de convoquer l’assemblée générale, dans le dessein de se faire nommer administrateur provisoire jusqu’à ce que le juge du fond démontre scrupuleusement l’absence de démonstration des raisons invoquées à l’appui de la requête en désignation d’un administrateur provisoire ».

Néanmoins, pour la Cour de cassation, aux termes de motifs détaillés, le moyen n’est pas fondé, car, « ayant retenu par une appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen que la démonstration n’était pas certaine de ce que la faute ayant entraîné la responsabilité du syndic ait eu un caractère volontaire et dolosif, sa carence pouvant aussi bien résulter de sa négligence, de son imprévoyance, de son incompétence personnelle ou organisationnelle au sein de son cabinet, ce qui constituait une faute simple, seule démontrée avec certitude, puis relevé que la preuve n’était pas rapportée d’un scénario prémédité englobant l’abstention volontaire de convoquer l’assemblée générale, dans le dessein préconçu de se faire nommer administrateur provisoire, la cour d’appel a pu en déduire qu’il n’était pas justifié d’une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances ».

La haute juridiction continue ainsi à réaliser un contrôle, serré, de la qualification juridique des faits relatifs à une faute dolosive ou intentionnelle.

On peut se féliciter tout d’abord que la haute juridiction ne fasse plus référence à la disparition d’un aléa à l’instar de décisions récentes (R. Bigot, La faute intentionnelle et la faute dolosive, des sœurs jumelles ?, sous Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 16-23.103, bjda.fr 2018, n° 60). L’observateur attentif de la jurisprudence relevait ainsi que la faute dolosive consistait en « un manquement conscient de l’assuré, délibéré même, à une obligation à laquelle il était tenu, dont il résulterait la suppression de l’aléa inhérent au contrat d’assurance, même sans intention de rechercher le dommage, surtout dans toute son ampleur » (D. Noguéro, Faute intentionnelle ou dolosive ? Tradition confirmée de la troisième chambre civile de l’exigence du dommage tel qu’il est survenu, RDI 2015. 425 ). La tendance à ne plus déborder la définition de cette faute qualifiée sur l’aléa paraît ainsi se confirmer (D. Noguéro, Vers une évolution de la troisième chambre civile pour une conception moins stricte de la faute intentionnelle ou dolosive ?, RDI 2017. 485 ).

De plus, la quête d’autonomie ou d’identité propre de la faute dolosive, assez récente (Civ. 3e, 7 oct. 2008, n° 07-17.969, RDI 2008. 561, obs. L. Karila ; Civ. 2e, 28 févr. 2013, n° 12-12.813, Dalloz actualité, 15 mars 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac ; 12 sept. 2013, n° 12-24.650, Dalloz actualité, 24 sept. 2013, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2014. 571, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, H. Adida-Canac, E. de Leiris, T. Vasseur et R. Salomon ), ou renouvelée (J. Bigot, A. Pélissier et L. Mayaux, Faute intentionnelle, faute dolosive, faute volontaire : le passé, le présent et l’avenir, RGDA 2015. 75 s.), conduit à mieux la distinguer de la faute intentionnelle, du moins ne plus la confondre avec celle-ci, compte tenu des dispositions « gémellaires » du code des assurances (R. Bigot, La faute intentionnelle et la faute dolosive, des sœurs jumelles ?, art. préc).

Cette ouverture – à la conception stricte – est encouragée par certains auteurs (Dalloz actualité, 15 nov. 2018, obs. J.-D. Pellier ; S. Abravanel-Jolly, De la notion de la faute dolosive exclusive du risque, LEDA déc. 2018, n° 111q1, p. 2 ; Notion de faute intentionnelle en assurance : une nécessaire dualité, www.actuassurance.com 2009, n° 11) et se justifie pleinement dans le domaine de professions très réglementées disposant de doubles mécanismes de garantie permettant de manière quasi systématique d’indemniser la victime. L’effet de la faute intentionnelle ou dolosive y est moins radical pour l’auteur d’un tel agissement ayant la qualité de professionnel.

Pour cette raison, on peut comprendre qu’en aval, la Cour de cassation hésite moins que par le passé à caractériser une telle faute et qu’en amont, l’assureur historique et prédominant des avocats et des professions du droit hésite également un peu moins à soulever le moyen.

À ce titre, quelques jours précédant l’affaire commentée, par un arrêt du 8 janvier 2020 précisément, il a été retenu que commet une faute intentionnelle exclusive de la garantie de l’assureur, au sens de l’article L. 113- 1, alinéa 2, du code des assurances, manifestant sa volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, l’avocat qui, ayant conscience du caractère fictif des opérations et de l’impossibilité de restituer les fonds encaissés par ses soins, a ainsi participé sciemment à des faits pénalement répréhensibles (R. Bigot, La faute intentionnelle de l’avocat, sous Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-19.782, Lexbase avocats n° 300, 6 févr. 2020 ; comp. pour la faute intentionnelle non caractérisée d’un avocat, compte tenu des éléments probants insuffisants pour établir sa volonté de rechercher le dommage résultant du défaut de remboursement de l’indemnité d’immobilisation versée au titre d’une promesse de vente, v. R. Bigot, Le radeau de la faute intentionnelle inassurable (à propos de Civ. 1re, 29 mars 2018, nos 17-11.886 et 17-16.558, bjda.fr 2018, n° 57). Dans ce contexte de comportements pénalement répréhensibles, la haute juridiction conçoit la faute intentionnelle comme celle ne s’inscrivant que dans le dommage recherché par l’assuré en réalisant l’infraction (Civ. 2e, 8 mars 2018, n° 17-15.143, LEDA 2018, 111e8, obs. F. Patris).

La doctrine a relevé, à propos de cette autre décision, que celle-ci « se rapproche d’une espèce ayant donné lieu à un arrêt de cassation dans laquelle il était justement reproché aux juges du fond d’avoir retenu une telle faute (Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-11.886, LEDA 2018, 111g2, obs. S. Abravanel-Joly). La différence entre les deux réside manifestement dans une plus forte implication de l’avocat dans les faits délictueux dans notre cas et conduisant à l’exclusion de la garantie de l’assureur. Le rapprochement des deux décisions montre à quel point la caractérisation d’une faute intentionnelle dépend des éléments de faits » (D. Krajeski, Caractérisation de la faute intentionnelle exclusive de la garantie de l’assureur, Hebdo édition privée n° 811, 30 janv. 2020).

Il est ajouté que « cela justifie, en l’espèce, le rappel effectué par la Cour de cassation sur le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Il ne faut cependant pas s’y tromper, un contrôle est exercé sur la façon dont les juges vont appliquer la définition prétorienne (volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu) encore précisée dans la décision » (ibid. ; comp. J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances. Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, t. 3, 2014, n° 1638).

Certes, pour des particuliers, la faute intentionnelle ne peut se déduire de la seule conscience de ce que le risque assuré se produira, mais de la volonté de créer le dommage (Civ. 2e, 28 mars 2019, n° 18-15.829, RGDA 2019, 116n2, obs. A. Pimbert). Mais pour certains professionnels, cette volonté de créer le dommage, ou quasi-intention de nuire au client, est rarissime, pour ne pas dire inexistante. En réalité, il s’agit le plus souvent d’un comportement « affairiste », en d’autres termes d’une faute lucrative, le professionnel ne recherchant pas directement le dommage mais ayant parfaitement conscience que l’acte qu’il réalise, non seulement sera fortement susceptible de générer des dommages, mais surtout qu’il lui apportera un gain supérieur à l’éventuelle franchise en cas de sinistre (R. Bigot, La faute intentionnelle ou le phœnix de l’assurance de responsabilité civile professionnelle, RLDC 2009/59, n° 3406, p. 72-77).

Cette analyse conduit à de « subtiles distinctions entre conscience et volonté » et « se rapproche d’autres décisions rendues dans un cadre professionnel identique et dans lesquelles on retrouve une façon similaire de caractériser la faute intentionnelle », au point que l’on puisse s’étonner avec la doctrine qu’il s’agisse d’une « curieuse matière tout de même que le droit des assurances où la victime se voit contrainte de minimiser les agissements du responsable pour espérer être indemnisée par l’assureur » (D. Krajeski, art. préc.).

Peut-être est-il temps, pour sortir de ce paradoxe et éviter ces subtiles distinctions, de traiter juridiquement, dans l’assurance, « les comportements socialement les plus nocifs » par un autre mécanisme, comme une déchéance (S. Pellet, La faute dolosive est inassurable : la deuxième chambre persiste et signe, RDC 2019, n° 115u3, p. 42).

En l’état, puisque tous les moyens peuvent paraître bons, selon certains assureurs, pour éviter d’indemniser, remercions la Cour de cassation de jouer pleinement son rôle de gardienne du temple de la garantie, certes au prix d’une lecture de l’article L. 113-1 du code des assurances imprégnée d’un raffinement élevé de l’esprit.

Auteur d'origine: Dargent

Pendant plusieurs années, les joueurs de poker en ligne inscrits sur le site Winamax avaient la possibilité de participer à des tournois WPT (Winamax Poker Tour), c’est-à-dire à des tournois en salle. Or le tournoi présentiel prévu à compter d’octobre 2017, et dont la finale s’est déroulée à Paris, le 6 mars 2018 a été contesté par plusieurs syndicats et associations représentatives de casinos. Ces derniers ont sollicité l’interdiction de l’événement sous astreinte au motif qu’il constituait une infraction de « tenue illicite de maison de jeux […] et de publicité pour une maison de jeux de hasard non autorisée » au sens de l’article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure.

La cour d’appel de Paris a, dans un arrêt infirmatif du 23 mai 2018, accueilli cette demande en sorte que la société Winamax a formé un pourvoi en cassation fondé notamment sur deux moyens.

Le premier moyen d’ordre procédural tend à contester l’intérêt à agir des demandeurs dans la procédure d’appel dès lors qu’au jour où la juridiction parisienne a statué, le référé est devenu sans objet puisque la finale du tournoi avait déjà eu lieu et ne pouvait donc plus être interdite. Les juges du fond n’avaient pas été sensibles à cet argumentaire dans la mesure où « l’intérêt à agir doit s’apprécier à la date à laquelle la demande a été formée et le fait que le référé soit devenu sans objet au jour où il est statué ne le rend pas pour autant irrecevable ». Autrement dit, l’intérêt à agir était présent au jour où la demande a été introduite en première instance. La cassation aurait pu être encourue mais, dans la mesure où ni l’auteur du pourvoi ni la cour d’appel n’ont appliqué la...

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Auteur d'origine: cspinat
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Prise sur le fondement de l’article 121 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi PACTE), l’ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020 crée une procédure d’opposition au brevet d’invention. Elle permet « aux tiers de demander par voie administrative la révocation ou la modification » de ce titre. Présentée comme « simple et peu coûteuse », elle constitue une alternative à l’action judiciaire, seule voie de recours possible jusqu’alors pour obtenir la nullité du brevet d’un concurrent (CPI, art. L. 613-25 s.).

L’ordonnance permet d’aligner le droit national « sur les pratiques d’autres offices de propriété industrielle en Europe et dans le monde » et en premier lieu sur celles de l’Office européen des brevets (OEB). Elle s’inscrit ainsi dans le cadre voulu par la loi PACTE de modernisation et de renforcement de l’attractivité du système français de propriété industrielle (v. ord. n° 2019-1169, 13 nov. 2019, J. Passa, Réforme du droit des marques, RTD com. 2019. 877  ; X. Delpech, La constitution de droits réels sur les droits attachés à la marque favorisée, AJ contrat 2019. 505  ; Dalloz actualité, 27 nov. 2019, obs. N. Maximin ; décr. n° 2019-1316, 9 déc. 2019, relatif aux marques, JO 10 déc. ; décr. n° 2020-15, 8 janv. 2020, Dalloz actualité, 20 janv. 2020, obs. N. Maximin). Le code de la propriété intellectuelle est modifié en conséquence.

Missions de l’INPI

La nouvelle procédure relève des missions de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), son directeur général étant compétent pour connaître des demandes en opposition. Ses décisions doivent être motivées et notifiées aux demandeurs ainsi qu’aux autres parties (CPI, art. L. 411-1, L. 411-4 et L. 411-5 modifiés).

Procédure d’opposition

L’ordonnance va ensuite fixer les « principes directeurs » de la procédure d’opposition, renvoyant à un décret en Conseil d’État pour les conditions d’exercice du droit et les délais.

Le champ d’application du droit d’opposition est restreint au seul brevet d’invention. Les certificats d’utilité et les certificats complémentaires de protection en sont notamment exclus. Le recours en restauration est écarté (CPI, art. L. 611-2 et L. 612-6 modifiés).

La recevabilité de la demande n’est pas soumise à un intérêt à agir. Elle peut être exercée par toute personne, à l’exception du titulaire du brevet, précise l’article L. 613-23 du code de la propriété intellectuelle.

L’opposition, qui peut porter sur tout ou partie du brevet, doit être fondée sur un des motifs limitativement énumérés par l’article L. 613-23-1, à savoir un défaut de brevetabilité de l’invention, son insuffisance de description, l’extension de l’objet au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée.

La procédure comprend une phase d’instruction et est contradictoire. Pendant son déroulé, le titulaire du brevet peut modifier les revendications ou la description de l’invention et, le cas échéant, les dessins, sous réserve de respecter les conditions fixées par l’article L. 613-23-3.

L’ordonnance définit aussi les types de décisions que peut rendre le directeur de l’INPI. Soit il fait droit à la demande et révoque le brevet ou le maintient dans une forme modifiée. Soit il la rejette et, dans ce cas, le titre sera conservé tel que délivré (CPI, art. L. 613-23-4). Il est précisé que le silence, fixé par le décret à venir, gardé pendant un délai qui court à compter de la date de fin de l’instruction vaut rejet (CPI, art. L. 613-23-2).

Les effets des décisions rétroagissent à la date du dépôt de la demande. La révocation a un effet absolu. Lorsqu’elle est partielle, le titulaire du brevet est renvoyé devant l’INPI afin de demander la modification de son titre pour se conformer à la décision de révocation. Aux termes de l’article L. 613-23-6, « cette demande n’est toutefois recevable que si la décision statuant sur l’opposition n’est plus susceptible de recours ».

En principe, selon l’article L. 613-23-5, chacune des parties à la procédure supporte les frais qu’elle a exposés, mais le directeur général de l’INPI peut en décider autrement pour des raisons d’équité et en fonction d’un barème établi par arrêté.

Enfin, les articles L. 613-24 et L. 613-25 sont modifiés, le premier pour permettre l’articulation des procédures d’opposition et de limitation et le second pour ajouter aux motifs de nullité d’un brevet « le cas de l’extension de la protection conférée par le titre à la suite d’une décision statuant sur une opposition ».

Entrée en vigueur

L’ordonnance entre en vigueur le 1er avril 2020, ses dispositions n’étant applicables qu’aux brevets d’invention dont la mention de délivrance est publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI) à compter de cette date.

Les principes sont donc fixés mais le décret d’application devra les préciser sur de nombreux points, notamment sur le délai pour former opposition. Sera-t-il de neuf mois à compter de la publication au BOPI de la mention de délivrance comme le prévoyait le projet d’ordonnance soumis à consultation restreinte fin 2019 ? Autant dire que le texte réglementaire est très attendu.

Auteur d'origine: nmaximin

On sait que le taux effectif global doit être mentionné dans l’offre de prêt, sous peine d’une déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts (V. à ce sujet, D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 297), cette sanction ayant été généralisée par l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, L’harmonisation des sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, CCC 2019. Focus 43). Toutefois, la jurisprudence écarte la sanction lorsque l’erreur dans le taux est inférieur à une décimale, en se fondant sur l’ancien article R. 313-1 du code de la consommation (devenu l’art. R. 314-2 suite au décr. n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du code de la consommation). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 février 2020 illustre cette tendance. En l’espèce, le 16 décembre 2010, M. M. et Mme A. ont accepté l’offre de crédit immobilier émise le 20 novembre 2010 par une banque, au taux effectif global de 3,363 % par an. Par la suite, invoquant le caractère erroné de ce taux et l’absence de mention du taux de période, les emprunteurs ont assigné la banque en déchéance des intérêts conventionnels et, subsidiairement, en annulation de la stipulation d’intérêts.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 15 novembre 2018, a prononcé la nullité de la stipulation d’intérêts, en retenant le défaut de communication du taux de période, élément déterminant du taux effectif global. Mais l’arrêt est censuré au visa des articles L. 312-8, 3°, du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, L. 313-1 du même code, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, L. 312-33 de ce code, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, et R. 313-1, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002. La Cour régulatrice considère qu’’« En application de ces textes, l’offre de prêt immobilier doit mentionner le taux effectif global, qui est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l’emprunteur. Le défaut de communication du taux et de la durée de la période est sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts conventionnels. Une telle sanction ne saurait cependant être appliquée lorsque l’écart entre le taux effectif global mentionné et le...

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Auteur d'origine: jdpellier