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Cet arrêt de rejet revient sur une institution importante en matière de transport maritime : le connaissement. Celui-ci peut être défini comme un document faisant preuve d’un contrat de transport par mer et constatant la prise en charge ou la mise à bord des marchandises par le transporteur ainsi que l’engagement de celui-ci de délivrer les marchandises contre remise de ce document (Règles de Hambourg, art. 1.7). Le connaissement remplit plusieurs fonctions. La première d’entre elle, qui est certainement la plus évidente, est d’établir l’existence du contrat de transport maritime, et de ses modalités. Sa deuxième fonction est également d’ordre probatoire : l’émission du connaissement par le transporteur prouve qu’il a reçu la cargaison, et que cette cargaison était conforme aux énonciations du titre. Sa troisième fonction est d’ordre commercial : le connaissement constitue donc un titre représentatif de la marchandise. Pour céder la marchandise, y compris en cours de transport, il suffit donc de céder le connaissement. S’il comporte une clause à ordre, il peut d’ailleurs être transmis, par simple endossement, comme les effets de commerce (v. sur tous ces points, Rép. com., v° Transports maritimes, par G. Piette, nos 38 s.).

Le connaissement suscite assez peu de contentieux. Le plus irritant, ces dernières années, concerne la question de la circulation du connaissement et de l’opposabilité de la clause attributive de juridiction convenue entre le chargeur et le transporteur insérée dans le connaissement à ses porteurs successifs, notamment au destinataire de la marchandise. Longtemps réticente, la chambre commerciale de la Cour de cassation admet aujourd’hui l’application d’une clause attributive de juridiction à l’encontre de celui à l’ordre duquel a été établi un connaissement de transport maritime (Civ. 1re, 12 mars 2013, n° 10-24.465, D. 2013. 1603 , note C. Paulin ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F....

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Auteur d'origine: Delpech

Il est question, dans cet arrêt de rejet, d’un commissionnaire en douanes, implanté en Belgique, a accompli, pour le compte d’un commissionnaire en transport implanté en France les formalités de dédouanement de marchandises que celui-ci a importées de pays tiers à l’Union européenne, et qui ont été placées en conséquence sous le régime de transit communautaire externe à leur arrivée à Marseille ou Algeciras en Espagne. À la suite d’un contrôle a posteriori des opérations de transit, l’administration des douanes a notifié au commissionnaire en douanes un procès-verbal de constat d’infractions concernant des soustractions de marchandises sous régime suspensif en cours de transport et a liquidé d’office les droits et taxes y afférents. Le commissionnaire en douanes ne s’étant pas acquitté des sommes qui lui étaient demandées, l’administration des douanes a émis à son encontre un avis de mise en recouvrement (AMR).

La contestation de cet AMR ayant été rejetée, le commissionnaire en douanes a alors assigné en justice l’administration des douanes en annulation de la décision de rejet et de l’AMR.

I. Il s’est d’abord placé sur le terrain de la compétence. Plus précisément, il a considéré l’administration des douanes françaises incompétente pour connaître des irrégularités affectant les opérations litigieuses. Il n’obtient pas gain de cause sur ce fondement, dès lors que les marchandises soustraites du régime de transit avaient été livrées en région parisienne et que la soustraction à ce régime a été opérée en France. La Cour de cassation, au prix d’une motivation enrichie, puisée dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, justifie ce parti pris :

« La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que doit être considérée comme une...

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Auteur d'origine: Delpech
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La déchéance du droit aux intérêts règne désormais en seigneur et maître en matière de crédit aux consommateurs, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021. En l’espèce, suivant offre préalable acceptée le 15 juillet 2010, une banque a consenti à un emprunteur un prêt immobilier d’un montant de 320 000 €, réitéré par acte notarié du 17 septembre 2010. Invoquant l’inexactitude du taux effectif global mentionné dans l’offre, l’emprunteur a assigné la banque en annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel, subsidiairement en déchéance du droit aux intérêts conventionnels.

Mais aucune de ces demandes ne trouve grâce aux yeux de la cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 21 septembre 2018, se borne à condamner la banque à payer à l’emprunteur la somme de 21,77 € au titre du calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année de trois cent soixante jours (la fameuse année lombarde). Insatisfait de la solution, l’emprunteur se pourvut en cassation, mais il n’obtint pas plus gain de cause devant la Cour régulatrice. Cette dernière considère, en réponse au premier moyen soutenant la substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel, que « La déchéance du droit aux intérêts est la seule sanction encourue en cas d’inexactitude du taux effectif global résultant d’un calcul des intérêts conventionnels sur une autre base que celle de l’année civile » (pt 5) et que « Le moyen, qui postule que la substitution du taux de l’intérêt légal à celui de l’intérêt conventionnel est encourue dans une telle hypothèse, est inopérant » (pt 6).

Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence tendant à promouvoir l’hégémonie de la déchéance du droit aux intérêts. La première chambre civile avait déjà eu l’occasion de considérer que « la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33 du même code, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale » (Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 19-10.875, Dalloz actualité, 6 avr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 859 , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2085, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 435, obs. D. Legeais ). On sait désormais qu’il en va également ainsi lorsqu’une telle irrégularité affecte le contrat lui-même.

Au demeurant, la solution est parfaitement logique au regard de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, qui est venue poser le principe selon lequel « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur » (C. consom., art. L. 341-48-1, al. 1er ; v. égal. art. L. 341-34, al. 2, concernant l’offre de prêt immobilier. V. à ce sujet, V. Prevesianos, Une ordonnance fixe les sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, Dalloz actualité, 30 juill. 2019 ; G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D. 2019. 1613 ; X. Delpech, Un nouveau régime de sanctions en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, AJ Contrat 2019. 361 ; TEG : une clarification attendue du régime des sanctions civiles, RLDA oct. 2019, p. 20 ; J. Lasserre Capdeville, L’adoption d’une sanction unique aux manquements...

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Auteur d'origine: jdpellier
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Cet arrêt du 9 décembre 2020, qui se situe au confluent du droit des transports et du droit des assurances, est d’importance, même si les solutions qu’il édicte ne surprennent pas. Les faits à l’origine de celui-ci méritent d’être rapidement exposés. Le 30 novembre 2015, la société CBB, spécialisée dans le commerce de bois, a conclu avec la société Mission une convention cadre de transfert d’engins et matériels forestiers lourds. Il s’agit, juridiquement, d’un contrat de transport de marchandises – même si, visiblement, chargeur et expéditeur ne font qu’un en l’occurrence – dans lequel la société Mission a le statut de transporteur. Le 18 mai 2016, un engin transporté en application de cette convention cadre a été endommagé après que le transporteur eut heurté un pont. Des réserves ont été émises sur la lettre de voiture. Le 1er septembre 2017, soit plus d’un an plus tard, la société CBB a assigné la société Mission et l’assureur de celle-ci, en réparation de son préjudice.

I. L’arrêt du 9 décembre 2020 s’intéresse d’abord à l’action en indemnisation de la victime – l’expéditeur – contre l’assureur du transporteur. Faut-il appliquer à cette action la prescription annale applicable à l’action née du contrat de transport ou la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances ? L’enjeu, tant théorique que pratique, n’est pas mince.

Pour rappel, en matière de transport terrestre de marchandises et en application du premier alinéa de l’article L. 133-6 du code de commerce « Les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d’un an, sans préjudice des cas de fraude ou d’infidélité ». La jurisprudence est venue à cet égard préciser que c’est la prescription annale de l’article L. 133-6 du code de commerce, et non la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances, qui s’applique à l’égard de la victime de l’avarie qui agit contre l’assureur du transporteur, au titre du contrat d’assurance qui les lie (Paris, 23 oct. 2001, D. 2001. IR 3327 ). Il en est ainsi, précise la Cour de cassation, car l’action en indemnisation de la victime contre l’assureur de responsabilité « trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice et se prescrit, en conséquence, par le même délai que l’action...

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Auteur d'origine: Delpech
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S’il est exact que le constituant d’une sûreté réelle pour la garantie de la dette d’un tiers ne s’engage pas à satisfaire à l’obligation d’autrui, il y a un pas de géant pour en déduire que ce constituant n’est pas le débiteur du bénéficiaire, lequel ne serait pas, réciproquement, son créancier. Le Cour de cassation le franchit pourtant allègrement en retenant, au sein de cet arrêt de la chambre commerciale rendu le 25 novembre 2020, que faute d’avoir la qualité de créancier à l’égard du constituant, le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui n’est pas soumis au principe de l’interdiction des poursuites individuelles en cas de procédure collective.

En l’espèce, une société avait hypothéqué un terrain en faveur d’une banque, pour la garantie de prêts souscrits par une autre société. L’emprunteuse ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque s’est prévalue de son « cautionnement hypothécaire » et a initié la réalisation de l’hypothèque. Cependant, en cours de route, la constituante a elle-même été placée en redressement judiciaire, de sorte que l’arrêt des voies d’exécution sur l’immeuble grevé a été sollicité. La cour d’appel ayant fait droit à cette demande, la banque a formé un pourvoi, lequel imposait de préciser le sort du bénéficiaire d’une sûreté réelle garantissant la dette d’un tiers lorsque le constituant est placé en procédure collective. Plus précisément, le bénéficiaire d’une telle sûreté subit-il l’interdiction des poursuites individuelles ou peut-il, à l’inverse, réaliser sa sûreté indifféremment de l’existence de la procédure ?

Au visa des articles L. 621-40 et L. 621-42 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et de l’article 2169 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 23 mars 2006, la chambre commerciale casse l’arrêt d’appel. Ayant rappelé – selon une formule désormais classique – qu’une « sûreté réelle, consentie pour garantir la dette d’un tiers », n’implique « aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui », la Cour de cassation en déduit que « le bénéficiaire […] ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n’est pas son débiteur », de sorte que « n’ayant pas acquis la qualité de créancier, il n’est pas soumis à l’arrêt ou l’interdiction des voies d’exécution ». Par conséquent, le bénéficiaire d’une sûreté réelle pour autrui peut librement « poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant » sous le coup d’une procédure collective, ce qui constitue un sort particulièrement favorable.

Cette décision inspire de nombreuses réflexions. À titre liminaire, deux sont importantes. D’abord, si l’arrêt se fonde sur l’ancienne numérotation du code civil et du code de commerce, la solution s’applique pareillement à la nouvelle numérotation (C. com., art. L. 622-21-I et art. L. 622-23 ; C. civ., art. 2464), laquelle ne contient pas de modification substantielle. Ensuite, cette décision, quoi que formulée à l’occasion d’une procédure de redressement judiciaire, arbore une portée générale et s’applique à l’ensemble des procédures collectives.

Au-delà de ces remarques liminaires, l’arrêt laisse profondément perplexe. À force de nier toute correspondance de nature entre une sûreté réelle pour autrui et une sûreté personnelle, la Cour de cassation bascule vers un raisonnement juridique contestable, selon lequel le constituant d’une sûreté réelle pour autrui ne serait pas le débiteur du bénéficiaire, qui ne serait pas non plus son créancier. Voilà qui méconnaît la nature même d’une convention constitutive de sûreté réelle, de sorte que cette décision illustre le nécessaire retour à l’orthodoxie juridique quant au traitement des sûretés réelles pour autrui. 

Contestation du raisonnement

La solution débute par la reprise d’une formule constituant, depuis une quinzaine d’années, la boussole de la Cour de cassation quant aux sûretés réelles pour autrui. En effet, la chambre commerciale prend soin de rappeler que la sûreté réelle garantissant la dette d’un tiers n’implique « aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui ». Cette formule a permis d’éviter que les sûretés réelles pour autrui ne tombent dans le giron du droit du cautionnement (v. Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210, D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006....

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Auteur d'origine: yblandin
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Par une ordonnance du 22 décembre 2020, le Conseil d’État vient une nouvelle fois rappeler les limites fixées au recours par la puissance publique à des aéronefs sans pilote à bord équipés d’un dispositif de surveillance policière des manifestations. En l’absence d’encadrement législatif, le dispositif de surveillance par drone transmettant, même après floutage, des images à la préfecture de police de Paris pour un visionnage en temps réel, constitue un traitement illégal de données à caractère personnel.

Le dispositif policier des drones de surveillance : un traitement de données à caractère personnel illégal…

L’association La Quadrature du Net a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris aux fins de suspendre l’utilisation des drones lors de manifestations sur la voie publique, et d’enjoindre au préfet de police de cesser de capter et d’exploiter des images par ce procédé. L’association a produit une série de pièces (témoignages, clichés photographiques, articles de presse, vidéos diffusés sur les réseaux sociaux, etc.) donnant à penser que la préfecture de police continue à recourir des drones à des fins de police administrative, notamment pour la surveillance de manifestations publiques à Paris, et ce en dépit d’une ordonnance du Conseil d’État lui prescrivant d’y mettre fin (CE, ord., 18 mai 2020, n° 440442, La Quadrature du net et a., AJDA 2020. 1031 ; ibid. 1552 , note X. Bioy ; D. 2020. 1336, obs. P. Dupont , note P. E. Audit ; ibid. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; AJCT 2020. 530, obs. R. Perray et Hélène Adda ; Dalloz IP/IT 2020. 573, obs. Cassandra Rotily et L. Archambault ; RTD eur. 2020. 956, obs. A. Bouveresse ). Par ordonnance rendue le 4 novembre 2020, le juge des référés a rejeté la demande de l’association. Cette dernière a formé un pourvoi en cassation. Le 22 décembre 2020, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance du juge et confirmé son opposition au procédé utilisé.

Véritables couteaux suisses aériens (J.-B. Charles et P. Dupont, J.-Cl. Transports, fasc. 962 : Drones civils. – Notion, cadre et régime, 2017 n° 1 ; P. Dupont, Les drones ou la Révolution aéronautique du 21e siècle, RFDAS, Vol. 276, n°4-2015, Pedone), les drones équipés d’appareils de photogrammétrie permettent de collecter des données. En l’espèce, la préfecture de police de Paris, qui s’est dotée d’une flotte d’une quinzaine d’aéronefs sans pilote à bord, utilise au moins quatre appareils équipés d’un capteur optique. Après application d’un procédé de floutage, les données collectées sont transmises au centre de commandement de la préfecture de police pour un visionnage en temps réel. Ce dispositif constitue-t-il un traitement de données à caractère personnel ?

Pour répondre à cette question, le Conseil d’État s’appuie (pts 3 et 4) sur la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel (JOUE, n° L. 119, 2 mai). Rappelons que, selon ce texte, les données à caractère personnel désignent « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable », ce qui comprend les éléments tels « qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » (art. 3.1). Par ailleurs, un « traitement » constitue toute opération effectuée ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquée à des données à caractère personnel, tels « que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction » (art. 3.2). Or, pour le Conseil d’État, le dispositif de surveillance mis en place par la préfecture de police, au regard de ses caractéristiques et de la finalité qu’il poursuit (pt 5 et 12), relève du champ d’application matériel de la directive (UE) 2016/680 : il constitue un traitement qui porte sur des données identifiantes (pts 6 et 7).

La Haute juridiction administrative s’est déjà prononcée - toujours en référé - sur la légalité d’un tel dispositif de surveillance utilisé pour limiter la propagation de la covid-19 dans le cadre des opérations de contrôle du confinement, en vertu du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JO 17 mars) et de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars). À cette occasion, elle a ainsi précisé que l’emploi des drones de surveillance couplé à un système de traitement de données personnelles pouvait être légal mais sous deux conditions (CE, ord., 18 mai 2020, n° 440442, préc.). La première est de se conformer à l’article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés qui impose de recourir, après un avis motivé et publié de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), à un arrêté autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel. La seconde condition consiste à doter les appareils embarqués de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées. À la suite de cette ordonnance, le Premier ministre a saisi pour avis le Conseil d’État qui a estimé que seul le législateur pouvait fixer les conditions d’usage des caméras aéroportées par l’administration (CE 20 oct. 2020, n° 401214, Dalloz actualité, 20 nov. 2020, obs. M.-C. de Montecler).

…qui nécessite un encadrement législatif actuellement à l’étude

Il n’est donc guère surprenant que le Conseil d’État ait censuré le dispositif utilisé par la préfecture de police qui, sans l’intervention préalable d’un texte en autorisant la création et en fixant les modalités d’utilisation, est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée (pt 13). De toute évidence, il semble contrevenir aux dispositions de la directive (UE) 2016/680 et à la loi du 6 janvier 1978 (pt 12). Il y a lieu, par suite, de suspendre l’exécution de la décision du préfet de police de poursuivre l’utilisation de drones à des fins de police administrative dans le cadre de manifestations ou de rassemblements sur la voie publique et d’enjoindre au préfet de police de cesser de procéder aux mesures de surveillance par drone de ces manifestations ou rassemblements, tant que n’aura pas été pris un texte autorisant la création, à cette fin, d’un traitement de données à caractère personnel.

Dans son avis non contentieux n° 401214 rendu le 20 octobre 2020 (préc.), le Conseil d’État a précisé les conditions de légalité de la télésurveillance par drones. Ainsi, pour la haute juridiction administrative, « l’intervention d’un acte réglementaire autorisant le traitement des données personnelles collectées par une caméra aéroportée employée dans des missions de police générale ou à des fins de police judiciaire ne peut fournir une base légale suffisante à la captation d’images voire de sons par les autorités publiques au moyen de ce procédé [dans la mesure où celle-ci est] susceptible, par le survol rapproché et mobile de lieux publics ou de lieux privés qu’il permet, de porter atteinte à la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui implique le respect de la vie privée et d’affecter les garanties apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publique. [Un tel] procédé peut, par ailleurs, être utilisé aux fins de recueillir des preuves à l’appui de poursuites judiciaires et se rattache alors à la procédure pénale. À ce double titre, cette captation relève de matières réservées au législateur par l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, celui-ci pouvant seul, en en fixant les éléments principaux, définir les conditions permettant d’assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, comme il l’a fait pour la vidéo protection et les caméras individuelles ».

L’ordonnance du 22 décembre 2020 survient alors que la proposition de loi nº 3452 relative à la sécurité globale, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 octobre 2020, vise à remédier au vide juridique qui caractérise l’usage par la puissance publique des caméras aéroportées. Cette proposition adapte le régime des caméras individuelles de la police et de la gendarmerie nationales à leurs nouveaux besoins opérationnels (art. 21). Elle entend créer le régime juridique de captation d’images par des moyens aéroportés, aujourd’hui pratiquée en l’absence de cadre clair (art. 22). Le texte prévoit d’autoriser les services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale et les forces de sécurité civile à filmer par voie aérienne pour des finalités précises, et ce en fixant les garanties qui assurent le respect des libertés publiques. Il introduit deux nouveaux articles nouveaux dans le code de la sécurité intérieure (CSI) :

- Art. L. 242-5 : « Dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique et de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales, les services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale peuvent procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, l’enregistrement et la transmission d’images aux fins d’assurer : 1° La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au publics, lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public, ainsi que l’appui des personnels au sol en vue de maintenir ou de rétablir l’ordre public ; 2° La prévention d’actes de terrorisme ; 3° Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ; 4° La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ; 5° La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale ; 6° La régulation des flux de transport ; 7° La surveillance des littoraux et des zones frontalières ; 8° Le secours aux personnes ; 9° La formation et la pédagogie des agents. »

- Art. L. 242 6 : « Dans l’exercice de leurs missions de prévention, de protection et de lutte contre les risques de sécurité civile, de protection des personnes et des biens et de secours d’urgence, les services d’incendie et de secours, les formations militaires de la sécurité civile, la brigade des sapeurs pompiers de Paris et le bataillon des marins pompiers de Marseille peuvent procéder en tous lieux, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, l’enregistrement et la transmission d’images aux fins d’assurer : 1° La prévention des risques naturels ou technologiques ; 2° Le secours aux personnes et la défense contre l’incendie ; 3° La formation et la pédagogie des agents. »

Si ces dispositions devront de toute évidence se conjuguer avec les exigences du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JOUE, n° L. 119, 4 mai), dit « RGPD », et de la directive (UE) 2016/680, elles devraient permettre, comme le rappelle l’avis précité du Conseil d’État, d’élaborer, à l’instar de ce qui a été fait dans d’autres pays européens, un régime juridique commun de l’encadrement de l’emploi de caméras, complété le cas échéant par des dispositions adaptées aux spécificités de certains modes de captation. 

Auteur d'origine: Delpech
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Voici une intéressante décision qui contribue à l’enrichissement du droit du contentieux des marchés financiers. Dans cette affaire, bien connue de ceux qui s’intéressent aux marchés financiers, il était question de l’ouverture d’une enquête par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur l’information financière et le marché du titre d’une société cotée (cette société était cotée sur le compartiment C d’Euronext Paris, qui s’adresse aux entreprises dont la capitalisation boursière est inférieure à 150 millions d’euros). Le président de l’AMF a, après examen du rapport d’enquête par le collège de cette autorité, notifié deux griefs à cette société. Il lui est notamment reproché, à la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire et l’adoption d’un plan de continuation, l’absence de communication dès que possible au public de l’information privilégiée relative au non-paiement du quatrième dividende du plan à sa date d’échéance, en méconnaissance des dispositions de l’article 223-2 du règlement général de l’AMF.

La société mise en cause a saisi le président de l’AMF d’un recours gracieux tendant au retrait d’un des griefs notifiés, l’estimant dépourvu de toute motivation. Aucune suite n’ayant été réservée à ce recours, cette société a, le 11 janvier 2019, saisi la cour d’appel de Paris d’un recours en annulation contre la décision implicite de rejet de son recours gracieux. La Cour déclare son recours irrecevable, car, selon elle, la notification de griefs ne constitue pas un acte faisant grief indépendamment de la décision de la commission des sanctions et, par voie de conséquence, n’entre pas dans le champ de l’article L. 621-30 du code monétaire et financier (20 juin 2019, n° 19/07281, BJB 7-8/2019, p. 16, note B. Legris et P. Choquet). Selon le premier alinéa de l’article précité, en effet, « l’examen des recours formés contre les décisions individuelles de l’Autorité des marchés financiers autres que celles, y compris les sanctions prononcées à leur encontre […] est de la compétence du juge judiciaire ».

La société forme alors un pourvoi, dans lequel elle avance, en particulier, l’argument suivant : la notification de griefs émanant du collège de l’AMF ne constitue pas un acte préparatoire de la décision de la commission des sanctions, mais une décision individuelle pouvant faire grief et à ce titre susceptible d’un recours conformément aux dispositions de l’article L. 621-30 du code monétaire et financier, de sorte qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé ledit texte par refus d’application.

Pour qu’un tel recours soit ouvert, il importe donc que l’on soit en présence d’une « décision individuelle », c’est-à-dire d’une décision non seulement individuelle mais qui fasse grief. Pour rappel, une décision faisant grief est une décision qui a un impact sur la situation juridique d’une personne et qui peut en conséquence être contestée devant le juge (v. en ce sens Glossaire du Conseil d’État, v° Grief).

Cette notion de « décision individuelle » a été source de contentieux. Sans être exhaustif, il a ainsi été jugé que les communiqués que publie l’AMF à l’intention des investisseurs et épargnants, dans le cadre de sa mission de service public, ne constituent pas des décisions individuelles au sens des dispositions de l’article L. 621-30 (T. confl. 16 nov. 2015, n° 4026, Dalloz actualité, 24 nov. 2015, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon ; AJDA 2015. 2241 : Banque et Dr. 1-2/2016, p. 53, obs. Chacornac ; RJDA 2016, n° 120 ; RDBF 2016, n° 46, obs. Pailler, à propos de « mises en garde » publiées par l’AMF sur son site internet). De même, la lettre du président de la commission des sanctions informant les conseils d’une société de la date de la séance de la commission les concernant ne constitue pas une décision individuelle entrant dans les prévisions de ce texte (Com. 24 juin 2014, n° 13-20.728 P, Dalloz actualité, 9 juill. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 1449 ; Rev. sociétés 2014. 729, note E. Dezeuze  ; RJDA 2014, n° 775).

Qu’en est-il de la notification des griefs ? Pour la cour d’appel de Paris, on l’a dit : c’est non ! La Cour de cassation, qui rejette le pourvoi de la société, confirme cette analyse dans un arrêt qui se veut de principe : « Le propre d’une notification de griefs est de formuler une accusation afin de mettre les personnes concernées en mesure de se défendre. C’est donc à bon droit qu’ayant rappelé que, conformément à l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, la notification des griefs ouvre la phase contradictoire de la procédure de sanction, qui se poursuit le cas échéant jusqu’à la décision rendue par la commission des sanctions sur le bien-fondé de cette accusation, décision elle-même susceptible du recours prévu à l’article L. 621-30 du même code, la cour d’appel, qui n’a pas méconnu le sens et la portée de l’article L. 621-14-1 du même code et qui n’avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, en a déduit que cet acte ne pouvait faire l’objet d’un recours autonome devant elle ».

Tout comme l’arrêt d’appel, cet arrêt de rejet de la chambre commerciale de la Cour de cassation devrait être approuvé par la doctrine, et ce à double titre (B. Legris et P. Choquet, art. préc.). D’abord parce que la Cour de cassation s’aligne ainsi sur la jurisprudence du Conseil d’État en termes d’actes préparatoires non susceptibles de recours : selon une jurisprudence bien établie, les mesures préparatoires ne peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, faute de constituer la décision elle-même (v. par ex., en ce sens, CE 5 déc. 2001, n° 203591, Lebon ). Ensuite, cette solution préserve le déroulement de la procédure de sanction devant la commission des sanctions telle que prévue par les dispositions de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier.

Auteur d'origine: Delpech

Le droit de la consommation obéit avant tout au droit commun des contrats, raison pour laquelle les mécanismes les plus classiques ont vocation à s’appliquer aux consommateurs, parfois même à leur détriment, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2020. En l’espèce, une dame a conclu un contrat de fourniture et d’installation d’un kit photovoltaïque avec une société, ce contrat étant financé par un crédit qu’elle a souscrit le même jour avec un coemprunteur auprès d’une banque. Par la suite, les emprunteurs ont assigné le vendeur et la banque en annulation de ces contrats. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 27 septembre 2018, rejette leurs demandes et les déclare tenus de poursuivre l’exécution du contrat de crédit, en considérant, selon les termes de la Cour de cassation, que si « le contrat ne respecte pas les exigences posées à l’article L. 121-23, 4° et 5°, du code de la consommation en ce qu’il ne contient pas la désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés, ni les conditions d’exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens ou d’exécution de la prestation de services, il est cependant reproduit au verso du bon de commande, après les conditions générales de vente, les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-24 du code de la consommation, dans des caractères de petite taille mais parfaitement lisibles et que cette obligation légale a pour objet de permettre au...

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La Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires a pour rôle de garantir la représentation des fonds gérés par chacun de ces professionnels du droit inscrits sur les listes nationales. À cet effet, elle est tenue de souscrire les assurances nécessaires (C. com., art. L. 814-3 ; mod. par ord. n° 2019-964, 18 sept. 2019) – dites aussi de non-représentation des fonds (NRF) – prenant la forme d’assurances pour le compte de qui il appartiendra ou de procéder, aux termes d’un dispositif légal de solidarité interne, à des appels de fonds auprès de ces auxiliaires de justice qui abonderont pour régler la défaillance de leur confrère (H. Slim, « Les garanties d’indemnisation », in La responsabilité liée aux activités juridiques, Bruylant, 2016, p. 191 s., spéc. n° 23). Articulé avec l’article L. 814-4 du code de commerce, il revient encore à la Caisse de garantie de souscrire un contrat d’assurance collective responsabilité civile – à adhésion obligatoire – pour couvrir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que tous ces professionnels qui y cotisent encourent dans l’exercice de leurs mandats (H. Slim, La responsabilité professionnelle des administrateurs et liquidateurs judiciaires, LexisNexis, 2002, p. 3 s.) avec, selon l’article R. 814-23 du même code, « une garantie minimale de 800 000 € par sinistre et par an pour chaque personne assurée ».

S’il est vrai qu’en pratique, les différentes lignes d’assurances procurent aux assurés et aux justiciables des garanties très supérieures au minimum légal (R. Bigot, « L’assurance des professions du chiffre et du droit », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 350 s., spéc. p. 361 ; L’indemnisation par l’assurance de responsabilité civile professionnelle. L’exemple des professions du droit et du chiffre, avant-propos H. Slim, préf. D. Noguéro, Defrénois, coll. « Doctorat & Notariat », t. 53, 2014, nos 143 s.), ce jeu des différentes lignes souscrites, fréquemment auprès de sociétés d’assurances différentes, n’est pas sans soulever d’importantes difficultés en cas de procès et peut se révéler facteur de conflits d’intérêts pour les assureurs notamment. En effet, « l’assureur est un tiers dans un procès en responsabilité intenté contre l’assuré – responsable, mais il est un tiers singulièrement intéressé au résultat de l’action, car c’est lui qui, par son obligation de garantie, née du contrat, devra supporter le poids définitif de l’indemnisation » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, 2017, n° 732). Une parfaite illustration de ces divergences d’intérêts ressort d’un arrêt récent de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 17 décembre 2020, opposant notamment la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à son assureur NRF de seconde ligne, mais dont les principales victimes sont les justiciables, puisque le tiers lésé, par l’intervention de l’auxiliaire de justice ayant notamment détourné des fonds de son entreprise, a été mis en règlement judiciaire en 1974 et est décédé en 2008. Seules ses héritières connaissent une issue à cet « enfer procédural » de plusieurs dizaines d’années.

À ce titre, un auteur a mis en lumière de manière magistrale que « l’assureur et l’assuré sont placés dans une situation particulière. Ils sont à la fois des alliés objectifs en ce qu’ils ont tous deux intérêt à ce que la thèse de l’assuré, qu’il soit responsable ou victime l’emporte, et des adversaires potentiels, en ce qu’un conflit d’intérêts peut aisément surgir. En effet, la prise en charge du sinistre est rarement totale soit parce qu’il y a une franchise qui en laisse une partie à la charge de l’assuré, soit parce qu’un plafond de garantie a vocation à s’appliquer. Ces mécanismes s’opposent à ce que l’assuré s’efface totalement derrière l’assureur qui serait seul concerné par la défense des droits et obligations de l’assuré qui lui seraient entièrement transmis ou dont il supporterait seul la charge. La situation de l’assureur et de l’assuré fait ainsi penser à certaines théories des jeux qui envisagent la situation des deux parties dont le sort est lié, mais qui conservent chacune un intérêt propre. Elle fait aussi penser à ce fameux aphorisme politique suivant lequel l’union est un combat » (J. de Salve de Bruneton, « Le procès, facteur de conflits d’intérêts pour l’assureur », in actes du colloque L’assureur et le procès, Université du Maine, 27 nov. 2009, thème 2. « L’intégration du procès par l’assureur », présidence : G. Durry, RGDA 2010, n° 3, p. 887 s., spéc. p. 887).

Dans ce combat, l’assureur de seconde ligne de la Caisse de garantie a fait montre d’une résistance à toute épreuve, se retranchant derrière le bouclier de la fameuse prescription biennale, ce que l’assureur de première ligne s’était abstenu d’opposer. Il n’est pas nouveau que tous les moyens puissent être bons pour certains assureurs n’entendant pas régler un sinistre, en particulier en soulevant une prescription, une exclusion (R. Bigot, Quand tous les moyens sont bons – prescription ou exclusion – pour éviter de garantir, ss Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868, Dalloz actualité, 25 févr. 2020), voire le moyen selon lequel le risque n’est plus assurable après avoir perçu les primes correspondantes (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, ss T. com. Paris, 12 mai 2020, n° 2020017022, Dalloz actualité, 28 mai 2020).

Le délai de cette prescription extinctive étant très bref, il est des plus avantageux pour les assureurs. À l’instar du délai du droit commun de la prescription porté à cinq ans par la réforme de 2008, pour l’identité avec ce dernier un délai quinquennal serait nettement préférable en assurance (D. Noguéro, Provocation à la réforme de la prescription biennale au sujet de l’article R. 112-1 du code des assurances. Au-delà d’un nouvel arrêt de la Cour de cassation, RRJ 2016-2, XLI-162, p. 725 s., spéc. p. 753). En l’attente, ce court délai invite les assurés à une attention de tous les instants.

Le point de départ du délai est tout aussi fondamental que le délai lui-même (J. Bigot, Traité de droit des assurances. Tome 3. Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, 2014, p. 1229, n° 2460). En effet, « une fois la durée du délai de prescription déterminée, il importe d’identifier le dies a quo, c’est-à-dire le jour à partir duquel le délai commence à courir » (G. Guerlin, « La prescription », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], op. cit., p. 204). C’est sur ce point de droit que s’est fixée la présente décision qui s’ajoute ainsi au « contentieux pléthorique qu’engendre une prescription conçue à dessein de le limiter », lequel « est la suffisante démonstration de son actuelle inadaptation » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, 2018, n° 630, p. 623 ; comp. P. Sargos, La doctrine jurisprudentielle de la Cour de cassation relative à la prescription en droit des assurances, RGDA 1996. 545). Seuls quelques assurés tirent leur épingle du jeu, au prix de longs et coûteux procès, par le biais de l’inopposabilité du délai spécial de prescription par suite de l’inobservation par l’assureur des mentions y relatives dans la police (R. Bigot, La charge de la preuve de la mention relative à la prescription biennale dans la police d’assurance, ss Civ. 2e, 18 avr. 2019, n° 18-13.938, Dalloz actualité, 3 mai 2019).

En somme, si l’article L. 114-1 du code des assurances prévoit, par principe, que les actions dérivant du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans « à compter de l’événement qui y donne naissance », ce principe est assorti de plusieurs exceptions (G. Guerlin, art. préc., p. 204). En d’autres termes, « les points de départ de la prescription résultent : tout d’abord de la loi : - un point de départ général, l’événement qui donne naissance à l’action, - et d’autres qui sont plus précisément définis : en cas de réticence, omission, déclaration fausse ou inexacte sur le risque couru, le jour où l’assureur en a eu connaissance ; pour les actions contre l’assureur, en cas de sinistre, le jour où les intéressés en ont eu connaissance, s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là ; en cas de recours d’un tiers contre l’assuré, l’action en justice du premier contre le second ou l’indemnisation par celui-ci ; ensuite, de la jurisprudence : dans les assurances des emprunteurs, la demande de paiement émise par l’établissement de crédit ou le refus de garantie opposé par l’assureur » (Bull. act. Lamy assurances, 2020, n° 1136, in fine).

L’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances permet ainsi « d’éviter qu’un assuré, responsable d’un dommage, agisse précocement contre son assureur, à un moment où le principe de la garantie est trop incertain, la victime n’ayant pas encore agi elle-même contre l’assuré » (G. Guerlin, art. préc., p. 204). En outre, le recours d’un tiers, mentionné par ce troisième alinéa, a été étendu par la jurisprudence à toutes les assurances (Civ. 1re, 21 nov. 2000, n° 98-12.481, D. 2001. 3325 , obs. H. Groutel  ; RGDA 2000. 1058, note J. Kullmann ; Bull. act. Lamy assurances, 2020, n° 1136), bien que fussent seules envisagées les assurances de responsabilité lors de la rédaction de la loi du 13 juillet 1930 (v. M. Picard et A. Besson, Traité général des assurances terrestres, t. I, LGDJ, 1938, n° 262, p. 523 ; v. la jur. antérieure, Civ. 1re, 17 nov. 1953, RGAT 1954. 208, note A. Besson ; 10 mai 1988, n° 86-14.201, RGAT 1988. 532, note J.-L. Aubert ; 11 déc. 1990, n° 88-14.058, RGAT 1991. 134, note J. Kullmann). La doctrine a pu relever qu’« à cet égard, les assurances pour compte ne sont pas concernées par cette extension du domaine d’application. Certes, il existe bien un recours du tiers (assuré pour compte) contre le souscripteur lorsque le volet assurance de responsabilité joue. Mais il ne s’agit là que de l’application traditionnelle de l’article L. 114-1, alinéa 3 » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances, 13e éd., LexisNexis, 2019, note ss art. 114-1, p. 182).

En l’espèce, un dirigeant d’entreprise a été mis en règlement judiciaire sur déclaration de cessation des paiements faite le 7 mai 1974. Cette procédure de règlement judiciaire a ensuite été étendue à trois sociétés dans lesquelles il était associé. Vingt ans plus tard, le 19 juillet 1994 précisément, un concordat avec abandon d’actif a été homologué. Rappelons que le concordat constituait la solution normale des problèmes d’insolvabilité – et la liquidation la solution subsidiaire – en s’appuyant sur un plan de financement ainsi qu’un programme mettant en évidence la viabilité de l’entreprise. Un commissaire à l’exécution de cette mesure a été désigné, mais il a été suspendu peu de temps après à la suite de poursuites pénales pour détournement de fonds. Un administrateur provisoire de son étude a donc été nommé le 20 octobre 1998. Par lettre du 5 novembre 1998, l’administrateur provisoire a déclaré à la Caisse de garantie des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires un sinistre pour non-représentation de fonds concernant l’étude de l’ancien commissaire à l’exécution du concordat, estimé alors provisoirement à la somme de 20 215 996 F (3 081 908,72 €).

Le 25 avril 2002, le dirigeant d’entreprises floué a assigné entre autres l’ancien commissaire à l’exécution du concordat et la Caisse de garantie en paiement de diverses sommes au titre de la responsabilité civile du premier et des détournements de fonds. Le 31 octobre 2002, la Caisse de garantie, qui avait souscrit, au titre de la non-représentation des fonds, une police de seconde ligne auprès d’une société d’assurance, a appelé cette dernière en garantie.

Le dirigeant étant décédé le 26 octobre 2008, ses ayants droit ont repris l’instance. Après une première décision de la Cour de cassation rendue en 2015 (Com. 13 oct. 2015, nos 14-23.683, 14-14.649 et 14-14.743), la cour d’appel de Montpellier, statuant sur renvoi après cassation, a déclaré recevable l’action en garantie formée par la Caisse de garantie contre l’assureur et l’a condamné à garantir la Caisse de garantie à concurrence de 765 265,17 € dans la limite de la franchise et du plafond de garantie contractuels et sous réserve de la déduction des provisions (Montpellier, 2e ch., 14 mai 2019).

L’assureur a formé un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 17 décembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi et, par un motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, a rappelé un important principe : « Selon l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, quand l’action de l’assuré a pour cause le recours d’un tiers, le délai de prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier » (arrêt, pt 10). Sur la forme, la Cour de cassation n’a pas reproduit pas trois mots du texte, l’action de l’assuré « contre l’assureur ».

La haute juridiction a ensuite relevé qu’il résulte des constatations de l’arrêt que l’entrepreneur décédé a assigné la Caisse de garantie en avril 2002. Elle en a conclu que l’action en garantie exercée par l’assurée contre son assureur, le 31 octobre 2002, n’était pas prescrite (pt 11). Ce faisant, on pourrait en déduire que la Cour de cassation a encore étendu le jeu de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, au cas présent aux assurances pour compte. Leur souscripteur, ici une Caisse de garantie, bénéficie ainsi du report du point de départ de la prescription biennale au moment où il a été assigné.

On savait déjà que, lorsque l’action en garantie formée par l’assuré à l’encontre de l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai ne court pas depuis la date de la désignation de l’expert amiable par l’assureur (Civ. 3e, 13 févr. 2013, n° 11-28.810, RGDA 2013. 607, note M. Asselain). Dans une telle situation, la Cour de cassation a précisé en 2005 que ce délai courait depuis la date de l’assignation, devant être la seule prise en compte (Civ. 1re, 30 nov. 1976, n° 75-10.641 ; 18 janv. 1989, n° 87-12.186, D. 1991. 74 , obs. H. Groutel  ; RCA 1989, n° 123, obs. H. Groutel ; 12 déc. 1995, RCA 1996, n° 103 ; Civ. 2e, 17 mars 2005, RGDA 2005. 629, note M. Bruschi ; Civ. 2e, 13 juill. 2005, L’Argus 2005, n° 6940, p. 30). Rappelons que le recours ou l’action en justice peut s’exercer par la constitution nominative de partie civile (Civ. 1re, 4 mars 1958, D. 1958. 431) ou par voie reconventionnelle sous forme de dépôt de conclusions (Civ. 1re, 10 déc. 1985, n° 84-14.851).

À l’instar d’un référé-provision (Civ. 1re, 20 mars 1990, RGAT 1990. 370, note R. Bout), une assignation en référé en vue de la nomination d’un expert constitue une action en justice, à ce titre elle fait courir la prescription contre l’assuré (Civ. 1re, 18 juin 1996, n° 94-14.985, D. 1998. 45 , obs. H. Groutel ; RCA 1996, n° 338, note H. Groutel ; RGDA 1996. 624, note Maurice ; Civ. 3e, 2 oct. 1996, n° 94-20.740, D. 1996. 229 ; RCA 1996, n° 410, note H. Groutel ; Civ. 1re, 22 oct. 1996, RGDA 1996. 884, note L. Mayaux ; 26 nov. 1996, n° 94-16.841, D. 1998. 45 , obs. H. Groutel  ; 10 mai 2000, n° 97-22.651, D. 2001. 3326 , obs. H. Groutel ; RDI 2000. 366, obs. G. Durry ; RGDA 2000. 517, note J. Kullmann ; 31 mai 2007, n° 06-15.699, D. 2007. 1726 ; Gaz. Pal. 2008. 1816, note M. Périer). Le principe demeure que le point de départ de la prescription biennale est l’assignation – notamment en référé – par le tiers contre l’assuré (Civ. 2e, 3 sept. 2009, n° 08-13.094, D. 2009. 2165, obs. S. Lavric ; ibid. 2010. 1740, obs. H. Groutel ; RDI 2009. 652, obs. D. Noguéro  ; RGDA 2009. 1158, note A. Astegiano-La Rizza).

Cette solution est régulièrement rappelée, tantôt par la chambre commerciale pour les assurances maritimes au visa des articles L. 172-31 et R. 172-6, § 4, du code des assurances (Com. 2 mars 2010, n° 09-10.505, Dalloz actualité, 17 mars 2010, obs. X. Delpech), tantôt par la deuxième chambre civile en matière d’assurances terrestres, au visa de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (à propos, à nouveau, d’une assignation en référé en vue de la nomination d’un expert, v. Civ. 2e, 1er juill. 2010, n° 09-10.590, D. 2010. 1869 ; ibid. 2102, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; ibid. 2011. 1926, obs. H. Groutel ; RCA 2010. 266, obs. H. Groutel). La formule – « Selon l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, quand l’action de l’assuré a pour cause le recours d’un tiers, le délai de prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier » – a été énoncée à nouveau par la Cour de cassation à deux reprises en 2019 (Civ. 2e, 7 févr. 2019, n° 18-11.939, RGDA avr. 2019, p. 16, note A. Pélissier ; RCA 2019, n° 148, note H. Groutel ; 23 mai 2019, n° 18-16.528, bjda.fr 2019, n° 64, note P. Casson ; RCA 2019, n° 233) puis en 2020 dans l’affaire sous commentaire (arrêt, pt 10), à dessein élargi.

La règle semble justifiée car on est bien en présence d’un tiers victime, mais un léger embarras ressurgit car la solution est appliquée, à l’appui d’un raisonnement de la haute juridiction qui paraît propre à la responsabilité civile, à une figure d’assurance très particulière, qualifiée tantôt d’assurance pour compte (S. Cabrillac, Les garanties financières professionnelles, préf. P. Pétel, Litec, 2000, nos 411 s.), tantôt de garantie indemnitaire (I. Riassetto, Réflexions sur la nature juridique des garanties professionnelles, LPA, 16 déc. 1996, p. 4 s.), tantôt de cautionnement (P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, préf. M. Grimaldi, thèse Paris II, éd. Panthéon Assas, 2005, p. 190, n° 225). La mise en œuvre de ces garanties financières découle généralement de la seule justification de la non-restitution des biens confiés, là où le droit commun du contrat d’assurance de responsabilité n’a plus vocation à concourir (A. Favre-Rochex et G. Courtieu, Le droit des assurances obligatoires, préf. G. Durry, LGDJ, 2000, nos 4-129 s.).

Reste que la référence au tiers dans l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances, et telle que reprise par la Cour de cassation, sans plus de précisions, peut être source de confusion en présence d’une assurance pour compte. Il existe, d’un côté, le tiers victime, à l’instar du dirigeant d’entreprise lésé par l’intervention de l’auxiliaire de justice dans l’affaire commentée et, d’un autre côté, le tiers assuré pour compte, au cas présent tout membre de cette profession du droit. Strictement, la Caisse de garantie, qui est « dotée de la personnalité civile et gérée par les cotisants » (C. com., art. L. 814-3), n’est pas l’assurée proprement dite, mais le souscripteur de l’assurance collective pour le compte de qui il appartiendra, autrement dit de toute victime potentielle d’un des membres de la profession. Il est vrai que, dans ces contrats d’assurance collective, la liste des assurés est longue et la Caisse de garantie peut aussi avoir cette qualité d’assuré, qui se cumule avec celle de souscripteur. Par ailleurs, chaque administrateur judiciaire et chaque mandataire judiciaire est assuré pour compte – ou tiers assuré pour compte – mais relève de la compétence de la Caisse de garantie, puisqu’il y cotise obligatoirement. S’il est une sorte d’adhérent imposé, il demeure tiers par rapport à la souscription du contrat d’assurance. Il a ainsi davantage la qualité de tiers hybride (A. Astegiano-La Rizza, L’assurance et les tiers. Variations sur le thème de la complexité des relations contractuelles, préf. L. Mayaux, Défrénois, coll. « Doctorat & Notariat », t. 6, 2004, nos 580 s.). La qualification précise des acteurs lèverait certains doutes sur l’adéquation de l’opération assurantielle en cause avec les dispositions de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances. On peut, enfin, éventuellement s’interroger quant à l’opportunité de l’extension du champ d’application du texte ici réalisée à l’assurance pour compte, au regard du système de solidarité interne de la profession intervenant à titre subsidiaire de tout défaut d’assurance pour indemniser les victimes.

Auteur d'origine: rbigot

par Yves Rouquetle 12 janvier 2021

Civ. 3e, QPC, 10 déc. 2020, FS-P+I, n° 20-40.059

Contrairement à ce que pourrait imaginer un profane à qui l’on expliquerait que le locataire statutaire bénéficie de la « propriété commerciale » sur son local, le bailleur peut toujours refuser le renouvellement du bail.

Toutefois, encore faut-il qu’il en ait les moyens, puisque, sauf exceptions, il devra s’acquitter de l’indemnité d’éviction dont il est question à l’article L. 145-14 du code de commerce.

Or, l’indemnisation du locataire évincé doit être égale « au préjudice causé par le...

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Auteur d'origine: Rouquet

Si le droit international privé est souvent perçu comme un droit aride et complexe, il permet parfois de se pencher sur des hypothèses inattendues. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 décembre 2020 permet ainsi de s’attarder sur le cas d’un litige relatif à un contrat conclu entre une société établie à Malte, proposant des services de jeux en ligne, et une personne physique domiciliée en Slovénie qui jouait au poker sur son site. Le contrat comportait des conditions générales prévoyant une clause attributive de compétence aux juridictions maltaises.

La société ayant retenu une somme qu’il considérait pourtant lui être due, le joueur a saisi un juge en Slovénie, en se prévalant de la qualité de consommateur.

Le débat s’est alors porté sur la détermination du juge compétent, ce qui impliquait de déterminer si le joueur pouvait ou non se prévaloir d’une telle qualité.

Celle-ci ne pouvait pas à l’évidence être écartée par principe mais le profil du joueur était, il est vrai, très spécifique en l’espèce et pouvait soulever des discussions. Celui-ci jouait en effet en moyenne neuf heures par jour ouvrable et vivait de ses gains depuis plusieurs années, ceux-ci s’étant élevés à la somme de 227 000 € du 31 mars 2010 au 10 mai 2011.

Les dispositions applicables étaient celles du règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, étant toutefois précisé que la portée de l’arrêt du 10 décembre 2020 vaudra également en application du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012.

L’article 16 du règlement Bruxelles I énonce qu’en matière de contrats de consommation, l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié (art. 16). Dans ce cadre, l’article 15, § 1er, retient, en substance, que le consommateur est une personne qui contracte « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».

À ce propos, la Cour de justice a déjà jugé que seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d’ordre professionnel, dans l’unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation...

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Auteur d'origine: fmelin

En l’espèce, une société avait souscrit, le 1er janvier 1994, un contrat d’assurance de responsabilité civile d’une durée d’un an, renouvelable par tacite reconduction, couvrant notamment la faute inexcusable de l’employeur et garantissant, à ce titre, le remboursement des sommes dont ce dernier serait redevable à l’assurance maladie. En novembre 2006, un salarié (depuis lors décédé), présent dans l’entreprise depuis 1972, a été déclaré en maladie professionnelle en raison d’un cancer du poumon qu’il imputait à son exposition à l’amiante. Sur saisine de ses ayants droit, le tribunal des affaires de sécurité sociale a, par jugement du 12 mars 2009, confirmé le 29 avril 2010, reconnu la faute inexcusable de l’employeur. La CPAM a alors adressé à ce dernier une réclamation au titre du recouvrement de sa créance constituée des rentes et indemnités versées à la victime et à ses ayants droit. L’assureur a refusé sa garantie audit employeur, en raison d’une clause, introduite dans le contrat lors du renouvellement intervenu le 1er janvier 1998, excluant de la garantie « les responsabilités découlant de la fabrication, de la commercialisation, de la mise en œuvre de produits comportant de l’amiante », cette clause ayant été réécrite par avenant du 1er juin 2003, excluant désormais les « dommages de toute nature causés par l’amiante ». L’employeur a alors assigné son assureur en garantie. La cour d’appel l’a débouté de sa demande, aux motifs que devait s’appliquer, quelle que soit la date du fait générateur, le contrat dans la version en vigueur au jour de la réclamation fondée sur la faute inexcusable de l’employeur, c’est-à-dire la reprise d’instance du 9 avril 2008. Selon le pourvoi de l’employeur, les juges du fond auraient ainsi violé l’article 80 de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, ainsi que l’article 2 du code civil et les articles 1131 et 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

Suivant son raisonnement, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 26 novembre 2020 (pourvoi n° 19-11.501), casse l’arrêt de la cour d’appel pour violation de la loi, au visa des articles 2 du code civil et 80, IV, de la loi du 1er août 2003. Elle rappelle, en effet, que, « selon le premier de ces textes, la loi ne produit effet que pour l’avenir. Il en résulte qu’en l’absence de disposition transitoire contraire prévue par le second, lorsque le sinistre en cause, caractérisé par le fait dommageable en raison duquel la responsabilité de l’assuré est recherchée, est survenu avant l’entrée en vigueur, le 3 novembre 2003, de la loi susvisée, les dispositions de son article 80, qui prévoient notamment que la garantie peut, à certaines conditions, être déclenchée par la réclamation, ne s’appliquent...

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Auteur d'origine: rbigot
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La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (la « loi Vigilance ») a instauré, pour chaque société qui emploie au moins cinq mille salariés elle-même et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés elle-même et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, l’obligation d’élaborer, publier et mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, pouvant résulter de ses activités et de celles des sociétés qu’elle contrôle et de ses sous-traitants ou fournisseurs habituels.

Il sera rappelé que la loi Vigilance a édicté deux séries de dispositions visant à assurer le respect effectif du devoir de vigilance et à sanctionner les éventuels manquements et défaillances des sociétés assujetties :

• l’action préventive en cessation de l’illicite, sur le fondement de l’article L. 225-102-4, II, du code de commerce, qui peut être mises en œuvre dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure de se conformer aux obligations de vigilance adressée à l’entreprise visée et qui tend à voir enjoindre à cette dernière, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. Ce premier mécanisme judiciaire intervient donc avant l’intervention d’un quelconque dommage ;

• l’action en responsabilité, sur le fondement de l’article L. 225-102-5 du code de commerce, qui suppose la démonstration d’une faute (manquement au devoir de vigilance), d’un dommage (conséquence d’« atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ») et d’un lien de causalité entre le non-respect du devoir de vigilance et la survenance du dommage. Ce second mécanisme judiciaire intervient une fois le dommage survenu.

Le rapport du Conseil général de l’économie (CGE) portant sur l’évaluation de la mise en œuvre de la loi n° 2017-339 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre remis au ministère de l’Économie et des Finances le 21 février 2020 dresse un premier bilan mitigé de son application.

Les premières mise en demeure ont été adressées et les premières actions judiciaires ont été initiées sur le fondement de la loi Vigilance.

Le 10 décembre 2020, la cour d’appel de Versailles, en confirmant les ordonnances rendues par le président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé, juge que la mise en cause d’une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance relève du tribunal de commerce.

Dans le cadre de l’une des premières actions judiciaires, initiée le 29 octobre 2019 à l’encontre d’un grand groupe français, des associations et ONG sollicitaient du président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé qu’il ordonne des actions urgentes pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de la méconnaissance par l’entreprise visée de ses obligations en matière de vigilance et, à titre subsidiaire, qu’il lui enjoigne, sous astreinte, d’établir et de publier un ensemble de mesures dans son plan de vigilance propres à prévenir les risques identifiés dans la cartographie des risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement résultant notamment des activités de l’entreprise visée, de ses filiales et de leurs sous-traitants dans la conduite de projets et de mettre en œuvre ce plan de vigilance.

Par deux ordonnances du 30 janvier 2020 (ord. TJ Nanterre, réf., 30 janv. 2010, n° 19/02833, D. 2020. 970 , note N. Cuzacq ), le président du tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre pour connaître d’une action en cessation de l’illicite engagée sur le fondement de l’article L. 225-102-4, II, du code de commerce. Ainsi, après avoir relevé que « les dispositions de l’article L. 225-102-4, sur lesquelles les associations fondent leur action, sont inscrites dans le code de commerce, dans son titre II portant dispositions particulières aux diverses sociétés commerciales, dans le chapitre V concernant les sociétés anonymes et plus particulièrement la section 3 relative aux assemblées d’actionnaires », le président ajoute que le plan de vigilance « est au cœur de la vie sociale, avec une éventuelle incidence sur le pacte social dès lors que ces informations sont soumises à ses organes décisionnels » et que « la mise en œuvre du plan de vigilance implique l’organisation (actions d’atténuation, de prévention et d’alerte) et le fonctionnement de la société (suivi des mesures et évaluation de leur efficacité) soit par un contrôle de ses filiales, soit par l’influence exercée sur ses sous-traitants », avant de conclure que « le plan de vigilance et son compte rendu de mise en œuvre font ainsi partie intégrante de la gestion de la société », de sorte qu’« au regard des obligations incombant aux sociétés commerciales au titre du devoir de vigilance, l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance participent donc directement du fonctionnement de ces sociétés ». Le président s’était ainsi déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre statuant en référé pour connaître de la demande d’injonction sous astreinte relative à la mise en œuvre du plan de vigilance.

Quelques jours avant l’instauration de la première période d’urgence sanitaire, les associations et ONG ont interjeté appel des ordonnances susvisées en ce qu’elles ont renvoyé les affaires devant le tribunal de commerce de Nanterre statuant en référé. Dans le cadre des débats en cause d’appel, elles sollicitaient de la cour d’appel l’infirmation des ordonnances et formulaient une demande d’évocation au regard de l’urgence et de la portée de l’affaire, s’agissant de la première application de la loi Vigilance.

La cour d’appel de Versailles prend tout d’abord soin de rappeler que seule l’application d’une règle spéciale peut justifier une dérogation à la compétence de droit commun du tribunal judiciaire et qu’en l’occurrence, l’article L. 225-102-4, II, du code de commerce, qui donne à la juridiction compétente le pouvoir connaître d’une action en cessation de l’illicite, n’édicte aucune règle spéciale.

C’est au terme d’une démonstration en deux étapes fondée sur l’application des dispositions de l’article L. 721-3, 2° et 3°, du code de commerce – selon lesquelles les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales et de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes – que la cour décide d’une compétence des juges consulaires pour connaître de l’action en cessation de l’illicite engagée sur le fondement de l’article L. 225-102-4, II, du code de commerce.

La démonstration d’un lien direct entre le plan de vigilance, son établissement et sa mise en œuvre, d’une part, et la gestion de la société commerciale dans son fonctionnement, d’autre part

La cour se réfère à l’insertion des dispositions relatives à la loi Vigilance dans le code de commerce « dans le titre II portant sur les sociétés commerciales, au chapitre V concernant les sociétés anonymes et dans la section 3 relatives aux assemblées des actionnaires ». Elle relève également que le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre figurent en annexe du rapport annuel de gestion, que le plan de vigilance intégré au rapport de gestion est présenté à l’assemblée générale des actionnaires, par les organes de gestion, le conseil d’administration ou le directoire. Selon la cour, « l’intégration de ces enjeux sociaux et environnementaux à l’activité commerciale […] a nécessairement une incidence sur le fonctionnement de l’entreprise ». Elle ajoute, par référence à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte), que le fonctionnement de la société et donc sa gestion sont concernés par le plan de vigilance.

La qualification du plan de vigilance d’acte de gestion d’une société commerciale exclut l’exercice de l’option de compétence prévue à l’article L. 721-3, 3°, du code de commerce au profit des juges civils.

Il sera rappelé que la Cour de cassation juge de manière séculaire (Civ. 8 mai 1907, DP 1911. 1. 222 ; Cass., req., 1er juill. 1908, DP 1909. 1. 11 ; Civ. 6 mai 1930, DH 1930. 363 ; Civ. 22 juin 1943, DC 1944. Jur. 83) qu’en cas de litige entre deux parties dont l’une seulement est commerçante ou à propos d’un acte qui n’est commercial que pour l’une d’elles, la partie non commerçante dispose d’une option et peut saisir soit le tribunal de commerce, soit le tribunal civil compétent.

En l’occurrence, dès lors que c’est la société assujettie « qui établit et met en œuvre un plan de vigilance relatif à [son] activité et [celle] de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle », le plan de vigilance ne saurait avoir ni la nature d’acte civil ni celle d’acte mixte.

Enfin, la cour d’appel déboute les associations de leur demande d’évocation considérant au visa de l’article 88 du code de procédure civile qu’il n’est pas de bonne justice de priver l’entreprise visée du bénéfice du double degré de juridiction.

Au préalable, elle relève que l’urgence dont se prévalent les associations n’est plus caractérisée dans la mesure où le plan de vigilance objet de la mise en demeure ayant donné lieu à la mise en œuvre de l’action préventive en cessation de l’illicite a été amendé puisque deux autres plans ultérieurs ont été publiés sans qu’ils aient fait l’objet de mises en demeure.

On pouvait légitimement s’interroger sur le point de savoir si, à la lumière de ces décisions, le tribunal de commerce, plutôt que le tribunal judiciaire, sera également compétent pour connaître d’une action en responsabilité sur le fondement de l’article L. 225-102-5 du code de commerce. À cet égard, la cour d’appel de Versailles a pris soin de relever « que l’examen du respect de l’obligation d’établissement et de mise en œuvre du plan de vigilance par une société commerciale, qui peut faire l’objet d’une injonction en application du texte litigieux, n’est pas celui de ses manquements éventuels qui ne pourraient être reprochés et appréciés que sur le fondement de la responsabilité de l’entreprise à laquelle se consacre l’article L. 225-102-5, grâce à une action en réparation dont la cour n’est pas saisie. La compétence pour juger chacune de ces deux actions qui répondent à leur propre logique et reposent sur des fondements juridiques distincts, l’une tendant à obtenir une injonction de faire, l’autre tendant à obtenir réparation, peut donc être différente ». Il n’est donc pas exclu que ces deux actions puissent relever de la compétence de juridictions différentes.

D’autres questions « stratégiques » préoccupent les professionnels du droit. Le périmètre des entreprises concernées, les mécanismes de sanction judiciaire prévus, la compétence d’attribution, la compétence territoriale et la loi applicable au litige, l’intérêt à agir, l’appréciation des manquements allégués au devoir de vigilance, etc., feront nécessairement l’objet d’âpres discussions devant les juridictions (P. Métais et E. Valette, Stratégie contentieuse et devoir de vigilance, D. Avocats 2020. 235 ).

Le législateur européen pourrait par ailleurs donner naissance à une réglementation contraignante sur le devoir de vigilance des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants en matière de droits humains et d’environnement (cette annonce a eu lieu lors d’une conférence en ligne organisée par le groupe de travail du Parlement européen sur la responsabilité des entreprises) d’ici 2021.

Au niveau national, on observera que la loi Pacte a généralisé un mouvement législatif incitant les entreprises à être plus attentives à leur environnement sociétal. Si les prémices de ce mouvement visaient essentiellement les grandes sociétés – avec l’obligation de mettre en place et en œuvre un devoir de vigilance ou encore de procéder à une déclaration de performance extrafinancière – les changements apportés au droit commun des sociétés par la loi Pacte doivent conduire chaque groupement, quelle que soit sa forme ou sa taille, à s’interroger sur l’opportunité mais aussi les risques liés aux enjeux sociaux et environnementaux. Ces enjeux sont à la fois un nouvel outil de communication pour les entreprises et une nouvelle source de responsabilité des acteurs sociaux.

Pour reprendre les termes du rapport du Conseil général de l’économie : « tous les recours devront être suivis de près pour en analyser la portée ».

Auteur d'origine: Dargent
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Le transport aérien a incontestablement fait partie des secteurs ayant le plus souffert de la crise liée à la covid-19. Absence – ou presque – de recettes pendant de longs mois, d’un côté, charges importantes – en grande partie fixes –, de l’autre, liées entre autres aux coûts de personnel et aux frais – de location et/ou d’emprunt et de maintenance – engendrés par leurs aéronefs. Les compagnies traditionnelles ne seraient assurément pas parvenues à s’en sortir sans soutien massif des États. C’est en particulier le cas de la compagnie Air France. Elle a obtenu en mai dernier une aide de 7 milliards d’euros de l’État français, sous la forme à la fois d’un prêt garanti par l’État français (PGE) d’un montant de 4 milliards d’euros octroyé par un syndicat de six banques (arr. 7 mai 2020, JO 8 mai, texte n° 20), et d’un prêt direct de l’État français d’un montant de 3 milliards d’euros, en prélude, peut-être, à une augmentation du capital. Seules certaines grandes compagnies low cost, grâce à leur solidité financière, seront en mesure de surmonter la crise sans difficulté majeure, voire de se renforcer à l’issue de celle-ci (E. Combe et D. Bréchemier, Après le covid-19, le transport aérien en Europe, Fondapol, 2019).

Et ce n’est pas tout. Les compagnies aériennes se sont, en effet, trouvées confrontées, au printemps dernier, aux conséquences de l’annulation de nombreux vols qu’elles n’ont pu assurer compte tenu de la crise. De ce point de vue, le passager européen n’a guère de souci à se faire. Le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens, d’inspiration très consumériste, lui offre, en effet, une protection particulièrement efficace, qui prend la forme d’un droit au remboursement inconditionnel du vol annulé. D’autant plus que les compagnies aériennes ne peuvent en aucun cas, en la circonstance, lui opposer les « circonstances extraordinaires », version « aérianiste » de la force majeure. En effet, l’article 8, § 1er, de ce règlement prévoit qu’un vol annulé doit, en tout de cause, être remboursé en espèces dans un délai de sept jours. Un avoir peut certes être proposé au client, mais il ne peut jamais lui être imposé. Les circonstances extraordinaires dispensent tout au plus le transporteur du paiement d’une indemnité pour annulation ou retard important de vol.

En dépit de cette réglementation qui leur est clairement défavorable, certaines compagnies aériennes, confrontées, compte tenu de ce contexte si particulier à de graves difficultés de trésorerie, ont pourtant tenté de s’opposer au remboursement des vols annulés et de proposer à leurs clients, en lieu et place d’un remboursement, un avoir valable généralement douze mois à compter de la date d’émission du billet de transport. Cette politique commerciale est directement inspirée de la solution prévue par l’ordonnance « Tourisme » n° 2020-315 du 25 mars 2020, laquelle n’est pourtant pas applicable en cas de vente de billet de transport « sec ».

Elle a fortement déplu aux associations de consommateurs. UFC-Que Choisir a dû monter aux créneaux et rappeler qu’elle entend fermement défendre le droit des consommateurs d’avoir le choix entre remboursement et bon d’achat, conformément à la réglementation. Joignant l’acte à la parole, elle a même lancé une action devant le tribunal judiciaire de Paris contre la vingtaine de compagnies aériennes qui ne respectent pas ce choix, en demandant aux juges de contraindre les compagnies récalcitrantes, sous astreinte, de mettre fin à leurs agissements illicites (L’UFC-Que Choisir assigne 20 compagnies aériennes, 19 mai 2020). La Commission européenne a également rappelé aux compagnies aériennes leurs obligations découlant du règlement n° 261/2004. Néanmoins, estimant que les demandes de remboursement peuvent potentiellement mettre les transporteurs aériens en difficulté, elle a recommandé de faire des bons d’achat une « alternative intéressante au remboursement en espèces », dès lors que les droits des passagers sont préservés (Commission européenne, Paquet « tourisme et transports », QANDA/20/870, 13 mai 2020).

Et puis certaines agences de voyages se sont invitées à leur tour dans ce conflit, sans doute à la faveur d’un article du professeur Loïc Grard. L’éminent spécialiste du droit aérien a, en effet, pu affirmer que cette pratique des compagnies aériennes « est devenue quasi systématique sous l’impulsion de l’IATA et que, de ce fait, le consommateur de transport aérien est victime d’un cartel (comportement coordonné pour imposer à la demande le diktat de l’offre) ou tout au moins d’une position dominante collective (abus d’exploitation puisque la modification des termes de l’échange avec le consommateur est imposée). Outre le droit aérien, le problème pourrait être porté devant les autorités de concurrence ». Le professeur Grard a été pris au mot, puisque des agences de voyages ont saisi l’Autorité de la concurrence reprochant à quatre-vingt-dix compagnies aériennes, membres ou non de l’IATA (l’IATA est l’association qui regroupe la plupart des compagnies aériennes, à l’exception des low cost), de s’être entendues pour ne plus rembourser les vols « secs » annulés en raison de la crise sanitaire liée au covid-19, réservés par l’intermédiaire des agences de voyages. Elles avancent que, depuis le 17 mars 2020, ces compagnies auraient, de manière coordonnée et sous l’égide de l’IATA, cessé de respecter l’obligation de proposer le remboursement des vols annulés imposée par l’article 8, § 1er, du règlement n° 261/2004, en raison de cette crise et auraient imposé, en lieu et place, des avoirs, au détriment des agences de voyages et de leurs clients. Ces pratiques constitueraient, selon elle, une pratique anticoncurrentielle, entente, voire abus de position dominante collective et abus de dépendance économique.

Leur demande est rejetée. Selon l’Autorité, les éléments de preuve apportés ne permettent pas, en effet, de démontrer l’existence d’une forme de concertation entre les compagnies aériennes sur les modalités de remboursement des vols annulés. Il apparaît au contraire que la politique de remboursement de chaque compagnie aérienne a souvent évolué depuis le début de la crise sanitaire, tant dans les modalités de remboursement que dans la forme des avoirs proposés (durée de validité, conditions d’utilisation, etc.). Ainsi, le parallélisme de comportement allégué, en réalité très imparfait, semble pouvoir s’expliquer par des réactions individuelles autonomes des compagnies aériennes, toutes confrontées au même choc économique majeur engendré par cette crise sanitaire. La pratique dénoncée ne peut donc être qualifiée d’entente. L’Autorité a également conclu à l’absence d’éléments probants caractérisant un abus de position dominante collective et un abus de dépendance économique.

Il n’est néanmoins pas exclu, ajoute-t-elle, que certaines compagnies aériennes n’aient pas respecté leurs obligations vis-à-vis des passagers, découlant du règlement n° 261/2004, notamment en ce qui concerne leur droit à obtenir le remboursement des vols annulés. Il n’est pas non plus exclu qu’elles aient imposé des avoirs aux passagers. L’appréciation de la conformité de tels comportements avec le règlement européen ne relève pas de la compétence de l’Autorité de la concurrence, chargée de veiller au respect du droit de la concurrence, mais de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), s’agissant des vols au départ ou à destination des aéroports français. En effet, il existe, en matière de droit aérien (comme en droit de la consommation), un dispositif de sanctions administratives, qui est mis en œuvre par le ministre des Transports, après consultation de la DGAC, notamment en cas de contravention d’une compagnie aérienne au règlement 261/2004 (C. aviat., art. R. 330-20 ; pour une illustration, v. CAA Paris, 13 nov. 2018, req. n° 17PA00526, JT 2019, n° 216, p. 11, obs. X. D. ).

Auteur d'origine: Delpech
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Dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique et parallèlement au Digital Service Act (sur lequel, v. Dalloz actualité, 8 janv. 2020, obs. C. Crichton), la Commission européenne propose un règlement sur un marché plus juste dans le secteur du numérique qui sera soumis à la procédure législative ordinaire de l’Union européenne.

Le secteur du numérique est malaisé à appréhender en droit de la concurrence, eu égard à l’instabilité du marché marqué par des innovations rapides (v., acceptant une opération de concentration réunissant entre 80 et 90 % des parts de marché, Commission, 7 oct. 2011, COMP/M.6281, Microsoft/Skype) ou à des critères déterminant le pouvoir de marché qui sont difficilement calculables, comme la détention de données (Aut. conc. et Bundeskartellamt, Droit de la concurrence et données, 10 mai 2016).

L’utilisation du concept d’infrastructure essentielle a un temps été envisagée et étendue à des produits ou services immatériels (v. not. CJCE 6 avr. 1995, aff. jtes C-241/91 P et C-242/91 P, Magill, D. 1996. 218 ; ibid. 119, chron. B. Edelman ; RTD com. 1995. 606, obs. A. Françon ; RTD eur. 1995. 835, obs. G. Bonet ; ibid. 859, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ; ibid. 1996. 567, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ; ibid. 747, chron. J.-B. Blaise et L. Idot  ; 29 avr. 2004, aff. C-418/01, IMS Health, D. 2004. 2366, et les obs. , note F. Sardain ; RTD com. 2004. 491, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2004. 669, chron. L. Idot ; ibid. 691, obs. G. Bonet ; ibid. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise  ; TPICE 17 sept. 2007, aff. T-201/04, Microsoft, D. 2007. 2303, obs. E. Chevrier ; ibid. 2521, édito. F. Rome ; ibid. 2884, chron. C. Prieto ; ibid. 2008. 2193, obs. D. Ferrier ; RTD com. 2007. 715, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2007. 720, note J. Gstalter ; ibid. 2008. 313, chron. J.-B. Blaise et L. Idot ). En doctrine, quelques concepts intéressants ont été proposés à l’instar de « l’entreprise cruciale » théorisée par Marie-Anne Frison-Roche (D. 2006. 1895  ; ibid. 2014. 1556 ).

La Commission a fait le choix intéressant de créer une nouvelle catégorie d’opérateur et de lui imposer des obligations, sans préjudice du droit des pratiques anticoncurrentielles (prop. de règl., art. 1, § 6 ; TFUE, art. 101 et 102 ; C. com., art. L. 420-1 et L. 420-2). Ce nouvel opérateur est dénommé gatekeeper dans la proposition de règlement et traduite par « contrôleur d’accès » dans son communiqué de presse, entendu comme celui qui contrôle l’accès à un marché donné. Seront ainsi appréhendées sa qualification ainsi que ses futures obligations si la proposition de règlement était adoptée en l’état. Il est important d’insister sur le fait que le règlement vise à adopter un cadre harmonisé. Ce faisant, il interdit expressément aux États membres d’imposer aux gatekeepers des obligations supplémentaires (art. 1, § 5).

Le gatekeeper, fournisseur du cœur du service d’une plateforme géante

Le gatekeeper fournit le cœur du service d’une plateforme (art. 2, 1), ce cœur englobant les services d’intermédiation en ligne, les moteurs de recherche en ligne, les réseaux sociaux en ligne, les plateformes de vidéos partagées en ligne, les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation, les systèmes d’exploitation (ci-après « OS »), les services d’hébergement dans le nuage (cloud computing) ou les services de publicité (art. 2, 2, ces services étant définis ensuite dans ce même article). Contrairement au Digital Service Act qui se concentre sur les plateformes en ligne, le Digital Market Act englobe un panel varié d’activités, notamment pour les OS qui peuvent aussi concerner les téléphones (Androïd ou iOS, par exemple) ou les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation qui ont largement été utilisés lors de la crise sanitaire.

Pour être gatekeeper, néanmoins, il est nécessaire de satisfaire aux conditions énoncées à l’article 3 du règlement. Trois conditions sont énoncées au premier paragraphe : a) avoir un impact significatif sur le marché intérieur ; b) exploiter un service de plateforme qui sert de passerelle importante pour les professionnels désirant atteindre les utilisateurs ; et c) jouir d’une position bien établie et durable de manière actuelle ou dans un avenir proche.

À ces conditions s’ajoute une possible présomption de qualification de gatekeeper prévue au paragraphe 2. Pour chacune des conditions énoncées au premier paragraphe, une présomption est ainsi posée :

a) impact significatif dans le marché intérieur : présomption si le service est fourni dans au moins trois États membres et si le chiffre d’affaires dans l’Espace économique européen est égal ou supérieur à 6,5 milliards d’euros au cours des trois derniers exercices, ou si la capitalisation boursière ou la valeur marchande de l’entreprise s’élève à au moins 65 milliards d’euros au cours du dernier exercice ;

b) plateforme qui sert de passerelle importante : présomption si le service atteint plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois établis ou localisés dans l’Union et plus de 10 000 utilisateurs actifs professionnels au cours de la dernière année d’exercice ;

c) position bien établie : présomption si les seuils énoncés au b) ont été atteints au cours des trois derniers exercices.

Le règlement s’applique à tous les gatekeepers qui proposent leurs services aux utilisateurs – professionnels ou non – établis ou situés dans l’Union, ce quel que soit leur lieu d’établissement ou de résidence (art. 1, § 2), sauf services entrant dans le champ de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques (art. 1, § 3).

Concrètement, c’est à la Commission qu’il appartient de désigner les gatekeepers (art. 3, § 3 et 4). En l’absence de critères établissant la présomption de qualification, la Commission se réfère à d’autres critères, comme la taille, le nombre d’utilisateurs professionnels, les barrières à l’entrée résultant des effets de réseau ou de la collecte de données, les effets d’échelle ou verrouillage des utilisateurs et autres caractéristiques structurelles du marché (art. 3, § 6). Concernant les seuils posant la présomption, ceux-ci peuvent être ajustés par la Commission (art. 3, § 5).

Pour chaque gatekeeper identifié, la Commission doit désigner l’entreprise concernée et énumérer les services pertinents (art. 3, § 7). Elle peut revoir à tout moment sa décision (art. 4, § 1) et doit réexaminer son statut tous les deux ans (art. 4, § 2). La liste des gatekeepers et les services concernés sont publiés (art. 4, § 3).

Les obligations et restrictions imposées au gatekeeper

Conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement, le gatekeeper est soumis aux obligations suivantes : a) ne pas croiser les données personnelles des utilisateurs avec celles d’autres de leurs services sans leur consentement ; b) permettre aux utilisateurs professionnels de proposer leurs produits ou services sur d’autres services d’intermédiation à des conditions différentes ; c) permettre aux utilisateurs professionnels de promouvoir leurs offres – sur le service du gatekeeper – et de conclure des contrats avec les utilisateurs finals sans forcément passer par la plateforme ; d) ne pas empêcher ou restreindre les utilisateurs professionnels de saisir une autorité compétente concernant les pratiques du gatekeeper ; e) ne pas exiger des utilisateurs professionnels qu’ils utilisent, offrent ou interagissent avec un service d’identification du gatekeeper ; f) ne pas exiger des utilisateurs professionnels ou finals qu’ils s’inscrivent à un autre des services du gatekeeper comme condition d’accès au service principal ; et g) autoriser à titre gratuit aux annonceurs ou aux éditeurs d’accéder aux informations relatives aux prix payés par leurs pairs ainsi que le montant versé à l’éditeur pour la publication d’une annonce publicitaire.

L’article 6 introduit des obligations qui sont « susceptibles d’être précisées » pour chacun des services du gatekeeper identifiés par la Commission. Ainsi le gatekeeper doit-il a) s’abstenir d’utiliser en concurrence avec les utilisateurs professionnels des données non accessibles au public qui sont générées par l’activité de ces utilisateurs, étant précisé que sont concernées les données agrégées ou non et celles qui peuvent être déduites ou collectées à partir de l’activité des utilisateurs professionnels ou de leurs clients sur la plateforme (§ 2) ; b) permettre aux utilisateurs finals de désinstaller toute application préinstallée sur la plateforme du gatekeeper sauf logiciels essentiels au fonctionnement du système d’exploitation ; c) permettre un bon fonctionnement des logiciels, applications ou magasins d’applications des tiers sur les OS du gatekeeper ; d) s’abstenir de traiter plus favorablement dans les services de classements du gatekeeper ses produits ou services ; e) s’abstenir de restreindre l’accès à différentes applications ou services utilisés sur l’OS du gatekeeper, y compris pour le choix du FAI ; f) permettre un accès et une interopérabilité sur l’OS ou sur les couches matérielles ou logicielles du gatekeeper ; g) fournir aux annonceurs et éditeurs, à leur demande et gratuitement, un accès aux outils de mesure de performance du gatekeeper ; h) permettre la portabilité des données des utilisateurs professionnels et finals et offrir des outils pour la faciliter ; i) fournir aux utilisateurs professionnels ou aux tiers autorisés par eux, un accès aux données agrégées ou non sur leur utilisation des services à titre gratuit et en temps réel, et un accès aux données personnelles dans le cadre de leur fourniture de produits ou services ; j) fournir un accès aux données résultant du moteur de recherche du gatekeeper ; ou k) permettre un accès équitable et non discriminatoire au magasin d’applications du gatekeeper.

De la sorte, toutes les obligations de l’article 5 sont applicables au gatekeeper tandis que les obligations de l’article 6 lui seront applicables le cas échéant, en fonction de ses services.

Afin d’assurer la mise en œuvre effective de ces obligations, le gatekeeper est soumis à un protocole de compliance (art. 7), de mise en conformité (art. 11) et d’audit concernant les techniques de profilage des consommateurs qu’il utilise (art. 13). Les procédures d’investigation et de sanction par la Commission sont détaillées aux articles 14 à 32. Il est intéressant de relever que le gatekeeper est soumis à une obligation d’informer la Commission de toute opération de concentration envisagée (art. 12).

Les obligations imposées au gatekeeper ne sont pas absolues et peuvent faire l’objet de mesures de suspension (art. 8) et d’exemption pour motif d’intérêt public (art. 9).

Concernant la demande de suspension d’une ou plusieurs des obligations énoncées précédemment, celle-ci se fait à la demande du gatekeeper à la Commission s’il démontre qu’en raison de circonstances exceptionnelles et indépendantes de sa volonté, la viabilité économique du fonctionnement de son système est menacée et que la suspension de l’obligation est une mesure nécessaire pour faire cesser cette menace. La Commission doit se prononcer dans les trois mois après réception de la demande motivée (art. 8, § 1er) et réexamine sa décision chaque année (art. 8, § 2). Elle peut également suspendre temporairement une ou plusieurs des obligations pour un ou plusieurs de ses services en attendant le prononcé de sa décision (art. 8, § 3).

L’exemption de l’article 9 permet d’échapper à tout ou partie des obligations énumérées supra pour tout ou partie des services du gatekeeper. Elle est prononcée par la Commission de sa propre initiative ou sur demande du gatekeeper (§ 1) pour un motif de moralité publique, santé publique ou sécurité publique (§ 2) et, à l’instar de la suspension, elle peut être prononcée à titre provisoire avant la décision définitive (§ 3).

Auteur d'origine: nmaximin
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Dans le cadre de sa stratégie pour un marché unique numérique et parallèlement au Digital Market Act (sur lequel, v. Dalloz actualité, 8 janv. 2020, obs. C. Crichton), la Commission européenne propose un règlement sur les services numériques qui sera soumis à la procédure législative ordinaire de l’Union européenne. Selon son communiqué de presse, les règles prévues par ce règlement visent à :

mieux protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux en ligne ;
 mettre en place un cadre solide pour la transparence des plateformes en ligne et clair en ce qui concerne leur responsabilité ;
 favoriser l’innovation, la croissance et la compétitivité au sein du marché unique.

La proposition consiste à imposer des obligations aux fournisseurs de services intermédiaires en ligne, dont la diversité des acteurs et des cadres réglementaires présente le risque d’une distorsion du marché au détriment du consommateur. Elle se concentre majoritairement sur la lutte contre les contenus illicites en ligne et la transparence des plateformes. La Commission fait le choix louable d’intensifier les obligations des fournisseurs de services intermédiaires en ligne à mesure de l’importance des effets qu’ils produisent sur la société. Trois catégories de services sont ainsi créées afin de correspondre au mieux aux usages actuels, étant précisé que ces qualifications peuvent tout à fait se cumuler : les services intermédiaires (regroupant transport d’informations, caching et hébergement), les plateformes en lignes et les très grandes plateformes en ligne.

La mise en œuvre effective du règlement est assurée par un cadre institutionnel détaillé. Chaque État membre désignera une ou plusieurs autorités compétentes pour veiller à l’application du règlement, et parmi elles sera désigné un coordinateur de services numériques (art. 38 ; v., pour l’articulation des compétences, art. 39 à 46). À l’échelle de l’Union sera créé le Comité européen des services numériques (art. 47 à 49) qui aura pour mission de conseiller les coordinateurs et la Commission. Sera également créé un système de partage d’informations entre les coordinateurs, la Commission et le Comité (art. 67). Ce cadre institutionnel est complété par des normes de soft law : promotion de standards (art. 34), codes de conduite (art. 35) et codes de conduite spécifiquement conçus pour la publicité en ligne (art. 36).

Seront abordées successivement les différentes obligations pesant sur les prestataires du numérique, en fonction de leur activité : fournisseur d’accès, hébergeur, plateforme ou très grande plateforme.

Obligations applicables aux prestataires de services intermédiaires

Les services intermédiaires regroupent des catégories familières : simple transport d’informations sur un réseau de communication, forme de stockage dite caching et hébergement (art. 2, f). Les prestataires assurant ces services sont en effet aujourd’hui régis par les articles 12 à 15 de la directive sur le commerce électronique 2000/31/CE du 8 juin 2000, transposés par l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). La proposition de règlement abroge ces articles (art. 71) et les remplace par ses articles 3 à 9. Les dispositions en vigueur, telles que nous les connaissons, ne sont pas fondamentalement révisées. Les articles 3 à 5 de la proposition de règlement sont identiques aux articles 12 à 14 de la directive commerce électronique, excepté l’ajout d’une exception à l’irresponsabilité de l’hébergeur s’il a délivré une information de manière à laisser croire au consommateur que le produit ou service faisant l’objet de la transaction est fourni par lui ou par une personne agissant sous son contrôle (art. 5, § 3). L’article 7 de la proposition de règlement reprend l’article 15 de la directive relative au commerce électronique (LCEN, art. 6, I, 7°) qui exclut une obligation générale de surveillance pesant sur les prestataires de services intermédiaires.

Si la proposition de règlement est adoptée en l’état, le régime pesant sur les fournisseurs d’accès à internet et sur les hébergeurs perdurera. De la sorte, perdurera aussi la qualification jurisprudentielle d’hébergeur résultant d’un comportement purement technique, automatique et passif, de sorte qu’il ne peut pas jouer de rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données hébergées (CJUE 23 mars 2010, aff. jtes C-236/08 à C-238/08, Google c. Louis Vuitton Malltetier, Dalloz actualité, 30 mars 2010, obs. C. Manara ; D. 2010. 885, obs. C. Manara ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2011. 908, obs. S. Durrande ; Légipresse 2010. 158, comm. C. Maréchal ; RTD eur. 2010. 939, chron. E. Treppoz  ; 12 juill. 2011, aff. C-324/09, L’Oréal c. eBay, Dalloz actualité, 19 juill. 2011, obs. C. Manara ; D. 2011. 1965, obs. C. Manara ; ibid. 2054, point de vue P.-Y. Gautier ; ibid. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2011. 463 et les obs. ; ibid. 465 et les obs. ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz ). De même, son régime légal de responsabilité atténuée sera maintenu, par lequel la responsabilité de l’hébergeur ne pourra être engagée que si le contenu était manifestement illicite et qu’il n’a pas agi promptement pour le retirer à compter de la notification. Pour les fournisseurs d’accès, ceux-ci continueront de bénéficier d’une irresponsabilité quant aux contenus transmis par eux, s’ils n’en sont pas à l’origine, s’ils ne sélectionnent pas le destinataire de la transmission et s’ils ne sélectionnent et ne modifient pas le contenu de la transmission.

La proposition de règlement ajoute néanmoins deux précisions intéressantes : la première tend à rappeler que ce n’est pas parce que les intermédiaires techniques ont de leur propre initiative mené des investigations et supprimé ou rendu impossible d’accès les produits ou services illicites, qu’ils ne bénéficient pas pour autant du régime de responsabilité atténuée exposé ci-dessus (art. 6). La seconde regroupe les dispositions procédurales en matière d’injonctions qui leur sont adressées (art. 8 et 9).

Obligations applicables à tous les prestataires visés par le règlement

La proposition de règlement énonce ensuite les obligations imposées à tous les prestataires visés par le règlement (art. 10 à 13). Quoique la section en cause vise tous les fournisseurs de services intermédiaires, renvoyant aux fournisseurs d’accès et aux hébergeurs, cette extension du champ d’application personnel se déduit des intitulés des sections suivantes qui évoquent des « dispositions supplémentaires » applicables à d’autres opérateurs (v. égal. communiqué de presse, qui évoque bien des obligations cumulatives). Sont ainsi concernés les fournisseurs d’accès, les hébergeurs, les plateformes en lignes et les très grandes plateformes qui seront définies infra.

Tous ces prestataires doivent créer un point de contact unique à destination des autorités (art. 10) ou, s’ils ne sont pas établis sur le territoire de l’Union, un représentant légal (art. 11). Les articles suivants prévoient une obligation de transparence à leur charge. Les prestataires doivent mentionner dans leurs conditions générales d’utilisation une information sur les restrictions réglementaires qui impactent leurs services, notamment les mesures prises pour la modération de contenus, incluant les prises de décisions par algorithmes ou la modération effectuée par des êtres humains (art. 12, § 1). Ces mesures de restriction doivent être objectives et proportionnées (art. 12, § 2). Ils doivent également publier au moins une fois par an, de manière claire, compréhensible et détaillée un rapport des procédures de modération engagées durant cette période, incluant une liste d’informations détaillée à l’article 13, § 1. Cette obligation ne s’applique pas aux micro- ou petites entreprises (art. 13, § 2).

Obligations supplémentaires applicables aux hébergeurs, incluant les plateformes en ligne

Les plateformes en ligne sont définies comme des fournisseurs de services d’hébergement qui, à la demande d’un bénéficiaire, hébergent et diffusent au public des informations, sauf si cette activité est mineure et purement accessoire d’un autre service, sous réserve que cette intégration à un autre service ne constitue pas un moyen de contourner l’application du règlement (art. 2, h). Les articles 14 et 15 de la proposition de règlement leur imposent, ainsi qu’aux simples hébergeurs, des obligations supplémentaires.

En premier lieu, les hébergeurs et plateformes en ligne doivent mettre en place un mécanisme aisément accessible qui permet à toute personne de leur notifier un contenu illicite (art. 14, § 1). Ces prestataires doivent tout mettre en œuvre pour faciliter le déroulement de cette procédure et, à cette fin, le règlement liste quelques éléments à mentionner dans le formulaire (art. 14, § 2). Si le règlement est voté en l’état, le droit français sera amené à évoluer. En effet, l’article 6, I, 5°, de la LCEN impose un formalisme relativement lourd aux fins de notifier un contenu illicite à un hébergeur et déclencher sa présomption de connaissance de l’illicéité du contenu (v., rejetant la preuve de cette notification pour absence de constat d’huissier et mentions insuffisantes, Civ. 1re, 17 févr. 2011, n° 09-67.896, Bull. civ. I, n° 30 ; Dalloz actualité, 25 févr. 2011, obs. C. Manara ; D. 2011. 1113, obs. C. Manara , note L. Grynbaum ; ibid. 2164, obs. P. Sirinelli ; ibid. 2363, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; Légipresse 2011. 145 et les obs. ; ibid. 297, comm. V. Varet ; RTD com. 2011. 351, obs. F. Pollaud-Dulian ). Désormais, ce sera à l’hébergeur de faciliter le mécanisme de notification, faisant basculer le respect du formalisme du signaleur à l’hébergeur. En outre, la simple notification fait naître une présomption de connaissance du contenu illicite (art. 14, § 3), rendant ainsi responsable l’hébergeur ou la plateforme si le contenu manifestement illicite n’a pas été retiré promptement.

En second lieu, les hébergeurs et plateformes en ligne sont soumis à une obligation d’information quant à la procédure qui vient d’être exposée. Lorsqu’un contenu est supprimé ou lorsque son accès y est bloqué, ils doivent en informer le bénéficiaire et en préciser les motifs (art. 15, § 1). Le règlement précise les informations à fournir a minima, comme la portée territoriale de la mesure, les faits et circonstances ayant mené à cette mesure, ou les voies de recours possibles (art. 15, § 2). L’information doit être claire, compréhensible et la plus précise possible, particulièrement à propos des voies de recours (art. 15, § 3). Enfin, la mesure prise et les motifs doivent être accessibles à la Commission par le biais d’une base de données qui ne doit pas contenir de données à caractère personnel (art. 15, § 4).

Obligations supplémentaires applicables aux plateformes en ligne

Sont exclus des dispositions qui vont suivre (art. 16 à 24) les prestataires de services intermédiaires ainsi que les micro- et petites entreprises (art. 16).

Les plateformes en ligne doivent mettre en place un système gratuit de traitement interne des plaintes à l’encontre de ses décisions déclarant un contenu illégal ou incompatible avec ses conditions générales d’utilisation (art. 17, § 1). Le règlement rappelle que ces décisions incluent celles qui suppriment ou empêchent l’accès à une information, celles qui suspendent ou mettent fin à la fourniture d’un produit, ou celles qui suspendent ou suppriment un compte. Ce système de plainte doit être facile d’accès et ergonomique (art. 17, § 2). Les plaintes doivent être traitées dans un délai raisonnable et de manière objective (art. 17, § 3) et les plateformes informent les plaignants de la décision prise et de la possibilité d’un règlement alternatif des différends régi par l’article 18 (art. 17, § 4). Enfin, elles veillent à ce que ladite décision ne soit pas fondée exclusivement sur un traitement automatisé (art. 17, § 5).

L’article 19 impose la création d’un signaleur de confiance, envers qui les notifications d’un contenu illicite lui sont signalées. Son statut, qui dépend de plusieurs qualités, dont son expertise ou son indépendance, est attribué par le coordinateur de services numériques de l’État membre dans lequel il est établi.

L’article 20 encadre les risques d’abus. Ainsi, les plateformes en lignes peuvent suspendre pendant une durée raisonnable et après avoir émis un avertissement préalable, la fourniture de leurs services aux destinataires du service qui fournissent fréquemment un contenu manifestement illégal (§ 1), ce qui est déjà mis en place par la plupart des grandes plateformes. Il en va de même pour un abus dans la mise en œuvre des notifications et réclamations des articles 14 et 17 (§ 2). Ce caractère abusif doit être apprécié au cas par cas et de manière objective, les circonstances ayant donné lieu à des mesures de suspension devant au moins inclure les conditions listées au paragraphe 3, comme le nombre de contenus manifestement illégaux par rapport au nombre de notifications ou plaintes manifestement infondées. Enfin, la politique de la plateforme en la matière doit être clairement exposée dans ses conditions générales, notamment ce qui peut constituer un abus et la durée de la suspension (§ 4).

L’article 21 concerne le cas particulier d’une notification qui contiendrait une suspicion d’infraction pénale grave constituant une menace pour la vie ou la sécurité des personnes, que l’infraction ait eu lieu, soit en cours ou soit susceptible de se produire. En ce cas, la plateforme doit en informer sans délai les autorités concernées.

L’article 22 liste les informations que la plateforme doit récupérer auprès d’un professionnel dans le cas où le service qu’elle propose permet de conclure des contrats à distance entre professionnels et consommateurs.

L’article 23 ajoute des obligations supplémentaires d’information (v. art. 13 préc.) : le nombre de cas soumis à son mode alternatif de règlement des différends et la durée de traitement de ces cas (v. art. 18 préc.), le nombre de suspensions prononcées (v. art. 20 préc.), le nombre de notifications et de plaintes manifestement infondées, ainsi que, le cas échéant, toute utilisation de dispositifs de modération de contenus automatiques (§ 1). Les plateformes doivent également publier tous les six mois une information sur le nombre de bénéficiaires actifs dans chaque État membre (§ 2) et communiquer ces informations sur demande au coordinateur de service numérique (§ 3).

L’article 24, enfin, concerne la publicité en ligne. Dans ce cadre, les plateformes en ligne sont soumises à une exigence supplémentaire de transparence en ce qu’elles doivent veiller à ce que les utilisateurs de leurs services puissent identifier pour chaque publicité, de manière claire et compréhensible, et immédiatement, les éléments suivants : a) le fait que l’information affichée soit une publicité ; b) la personne au nom de laquelle la publicité est diffusée ; et c) des informations sur les principaux paramètres utilisés pour déterminer le destinataire de la publicité.

Obligations supplémentaires applicables aux très grandes plateformes

Les très grandes plateformes, qui sont également soumises aux obligations précédemment décrites, sont définies à l’article 25 du règlement. Pour être qualifiées comme telles, elles doivent fournir leurs services à un nombre moyen d’utilisateurs actifs mensuels au sein de l’Union égal ou supérieur à 45 millions, la méthodologie de calcul étant précisée ultérieurement par un acte délégué de la Commission (§ 1). Ce seuil peut également être ajusté par acte délégué afin de correspondre à un certain pourcentage de la population de l’Union (§ 2), sachant que le Comité européen des services numériques est consulté pour ce calcul (§ 3). Le coordinateur de services numériques de l’établissement de la plateforme doit vérifier le seuil et, à partir de cette vérification, il adopte une décision désignant ou non la plateforme comme étant une très grande plateforme, étant précisé qu’il doit en informer la Commission qui publie au Journal officiel de l’Union européenne une liste à jour des très grandes plateformes et que la qualification s’applique ou cesse à partir de quatre mois suivant cette publication (§ 4).

Le règlement impose à ces très grandes plateformes un certain nombre d’obligations, souvent très contraignantes, de sorte que ce règlement semble présenter l’aveu de leur rôle sociétal désormais indispensable.

L’article 26 du règlement oblige ces très grandes plateformes à effectuer une analyse d’impact des risques systémiques significatifs résultant du fonctionnement et de l’utilisation de leurs services (§ 1), particulièrement pour leurs systèmes de modération et de recommandation de contenu, ainsi que leurs systèmes de sélection et d’affichage des publicités (§ 2). Le premier paragraphe précise que doivent être inclus les risques suivants : a) la diffusion de contenus illicites sur leurs services ; b) les effets préjudiciables sur l’exercice des droits au respect de la vie privée et familiale, à la liberté d’expression et d’information, à l’interdiction de la discrimination et aux droits de l’enfant ; et c) la manipulation intentionnelle de leurs services ayant des effets réels ou prévisibles sur la protection de la santé publique, des mineurs, du discours civique ou liés aux processus électoraux et la sécurité publique.

Il est toutefois regrettable que le règlement n’intègre pas dans ses critères d’analyse d’impact les modalités de classement et de référencement utilisées par les plateformes, qui présentent des effets systémiques tout aussi notables. Bien qu’il existe déjà des exigences de transparence en la matière, tant entre professionnels et consommateurs (dir. « Omnibus » [UE] 2019/2161, 27 nov. 2019) qu’entre professionnels (règl. « P2B » [UE] 2019/1150, 20 juin 2019), il aurait été souhaitable de mentionner l’impact de ce type de services.

L’obligation d’effectuer une analyse d’impact s’explique par l’usage massif, voire, pour certains, indispensable, de certaines plateformes. Le scandale Cambridge Analytica, l’enfermement dans une bulle informationnelle ou culturelle, la polarisation des idées politiques, voire, dans une moindre mesure, la haine en ligne, sont autant de raisons qui peuvent justifier une analyse d’impact. À cet égard, l’article 27 poursuit en obligeant les plateformes à prendre toute mesure pour en atténuer les risques avec la coopération des autorités. Elles peuvent également faire l’objet d’un audit indépendant (art. 29).

Des informations supplémentaires doivent être délivrées si la plateforme inclut dans son service en ligne des publicités (art. 30). Il est intéressant de relever que font partie des informations le fait de savoir si l’annonce était destinée à être diffusée à une ou plusieurs catégories particulières de destinataires et, si oui, les principaux paramètres utilisés à cette fin doivent être mentionnés (art. 30, § 1, d), témoignant là encore la volonté de rendre moins opaques les mécanismes de publicité ciblée.

Sur la transparence des très grandes plateformes, l’article 33 prévoit également que les rapports concernant la mise en œuvre de leur politique de modération des contenus mentionnée à l’article 13 doivent être publiés tous les six mois (§ 1). En plus de ce rapport, les plateformes doivent mettre à la disposition du public et transmettre au coordinateur de leur établissement et à la Commission au moins une fois par an les rapports suivants : résultat de l’évaluation des risques, audit et exécution de l’audit (§ 2). Pour des motifs de sécurité ou de confidentialité, certaines informations peuvent ne pas être publiées (§ 3).

L’article 31 prévoit un mécanisme d’accès aux données des très grandes plateformes par le coordinateur des services numériques, à sa demande, et, le cas échéant, un partage de ces données aux chercheurs agréés.

Enfin, l’article 32 prévoit la désignation d’un ou plusieurs compliance officers.

Outre ces obligations, et sans doute en lien avec la crise sanitaire actuelle, l’article 37 du règlement élabore un protocole de crise qui affecterait de manière extraordinaire la sécurité ou la santé publique. Dans ce cadre, la Commission encourage les très grandes plateformes et, le cas échéant, d’autres plateformes en ligne, à élaborer avec elle un plan d’action, qui peut comprendre les mesures suivantes : affichage d’informations fournies par les autorités des États membres ou de l’Union sur la situation de crise, désignation du point de contact visé à l’article 10 comme responsable de la gestion de crise et, le cas échéant, adaptation des ressources allouées au respect des obligations du règlement aux besoins générés par la situation de crise (§ 2). Les autorités des États membres, les institutions de l’Union et éventuellement la société civile participent à ce protocole (§ 4).

Il convient de relever enfin que des dispositions procédurales spécifiques sont prévues pour les très grandes plateformes (art. 50 à 66). La Commission dispose à ce titre d’une large compétence pour surveiller, poursuivre et sanctionner ces plateformes.

Auteur d'origine: nmaximin
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Le crédit affecté, que le Code de la consommation qualifie également de crédit lié, est celui « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique » (C. consom., art. L. 311-1, 11°). Dès lors, le crédit est intimement lié au contrat principal, l’anéantissement du second entraînant nécessairement celle du premier (C. consom., art. L. 312-55 : « En cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur »). L’emprunteur est alors, en principe, obligé de restituer le capital au prêteur, excepté si ce dernier a commis une faute ayant entraîné un préjudice à l’égard de l’emprunteur (la faute de celui-ci pouvant toutefois conduire à un partage de responsabilité. V. par ex. Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-23.529, Dalloz actualité, 16 juin 2020, obs J.-D. Pellier ; D. 2020. 1101 ; RTD com. 2020. 701, obs. B. Bouloc ). Encore faut-il démontrer tous ces éléments, ce qui n’est pas toujours chose aisée, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020. En l’espèce, un couple d’emprunteurs a, le 9 juin 2012, après un démarchage à domicile, acquis une éolienne auprès d’une société, qui a été placée en liquidation judiciaire le 24 octobre 2012. Ils avaient souscrit, le jour de l’acquisition, auprès d’une banque, un prêt destiné à la financer. L’éolienne a été installée le 2 juillet 2012 et la...

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Auteur d'origine: jdpellier

La toute fin de l’année 2020 a été marquée par de nombreuses modifications apportées au dispositif du fonds de solidarité destiné à aider les petites entreprises dont l’activité a été impactée par la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19. Elles ont pris la forme de deux décrets.

I. Le premier décret, en date du 30 décembre 2020, modifie une nouvelle fois le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 modifié relatif au fonds de solidarité des très petites entreprises. Il fait évoluer ce fonds pour mieux couvrir les commerces de stations de montagne et leurs environs, du fait du maintien de la fermeture des remontées mécaniques en décembre décidée par le gouvernement (V. Décr. n° 2020-1519, 4 déc. 2020, JO 5 déc., texte n° 30), comme suit :

entreprises éligibles : celles dont le siège social est situé dans une commune support d’une station de ski alpin ou dans une commune située en zone de montagne, appartenant à un établissement public de coopération intercommunale dont au moins une des communes membres est support d’une station...

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Auteur d'origine: Delpech
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Le contenu du contrat d’assurance est, en principe, librement déterminé par les parties. Néanmoins, cette liberté est atténuée par l’essor d’une législation impérative, laquelle s’explique par une évolution de cette relation contractuelle, en faisant dans la majorité des cas un contrat d’adhésion. Un ordre public économique et social, dit « de protection », s’est développé, afin d’encadrer les relations contractuelles « structurellement déséquilibrées » dont le régime « se démarque du droit commun classique par cela qu’il organise la prise en charge de son intérêt particulier par un autre que le contractant concerné » (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, PUF, 2014, p. 34). Le souscripteur bénéficie, ainsi, d’une certaine protection légale. À ce titre, le législateur subordonne la validité des clauses d’exclusion de garantie au respect de strictes conditions de fond et de forme (A. Cayol, Le principe de détermination conventionnelle des garanties, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 120). L’article L. 113-1, alinéa 1, du code des assurances impose que ces clauses d’exclusion soient nécessairement formelles et limitées. L’article L. 112-4 du code des assurances exige encore qu’elles soient mentionnées en caractères très apparents dans la police.

Ces règles ont été de nouveau rappelées par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 novembre 2020. En l’espèce, un voilier s’étant échoué lors d’une tempête, la société propriétaire assigna l’assureur en exécution d’un contrat multirisques plaisance. La cour d’appel évalua son préjudice total à la somme de 60 013,31 €, franchise déduite, mais rejeta sa demande tendant à l’indemnisation de son préjudice commercial à hauteur de 327 500 €. En effet, les juges du fond ont considéré, en premier lieu, que l’article 6a des conditions conventionnelles applicables du contrat d’assurance prévoit expressément que « sont exclus de l’assurance les pertes et dommages indirects (par exemple diminution de l’aptitude à la course, moins-value, dépréciation) » et que cette clause, suffisamment explicite, s’entend comme excluant tout préjudice qui ne découle pas directement du fait générateur, telle précisément la perte de revenus tirée de l’arrêt de l’exploitation. Ils ont ajouté, en second lieu, qu’il n’y a pas lieu de considérer cette clause comme vidant la garantie de sa substance, et que c’est à raison que la réparation du préjudice commercial réclamée a été écartée par le premier juge.

La société propriétaire du voilier a formé un pourvoi en cassation. Elle y a soutenu « qu’en toute hypothèse, les clauses d’exclusion doivent être formelles et limitées, et doivent se référer à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées qui excluent toute interprétation, de façon à permettre à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie ; qu’en jugeant que la clause selon laquelle « sont exclus de l’assurance les pertes et dommages indirects (par ex., diminution de l’aptitude à la course, moins-value, dépréciation) » était formelle et limitée, bien qu’elle ait donné à la notion de dommage indirect ainsi visée un sens qui n’est pas celui admis par la jurisprudence, la cour d’appel, qui a ainsi interprété cette notion visée par la clause, a violé l’article L. 113-1 du code des assurances ».

Cette décision est partiellement censurée par la deuxième chambre civile, au visa de l’article L. 113-1 du code des assurances. La Cour de cassation rappelle, en effet, le principe selon lequel « les clauses d’exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elle(s) [nous corrigeons !] doivent être interprétées » (pt 5). La cour d’appel a donc violé l’article L. 113-1 du code des assurances : en l’espèce, la « clause d’exclusion de garantie, en ce qu’elle ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées, n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application en raison de son imprécision, rendant nécessaire son interprétation » (pt 8). La cassation porte ici seulement sur le chef de décision rejetant la demande d’indemnisation du préjudice commercial allégué, mais entraîne par voie de conséquence celle du chef de décision fixant la somme allouée à la société propriétaire du voilier au titre de son entier préjudice (pt 9).

Une telle solution est justifiée car l’assuré doit connaître l’étendue des garanties incluses dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit. Il doit, en outre, être en mesure de les comprendre. Le législateur, en instituant l’exigence d’une exclusion formelle, a voulu que « la portée ou l’étendue de l’exclusion soit nette, précise, sans incertitude, pour que l’assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n’est pas garanti » (Civ. 1re, 8 oct. 1974, D. 1975. 513, note C.-J. Berr et H. Groutel). Pour que la clause d’exclusion de garantie puisse être considérée comme formelle, il est nécessaire qu’elle soit à la fois claire et précise.

En d’autres termes, la jurisprudence considère, en premier lieu, que la clause doit être suffisamment explicite pour que l’assuré puisse connaître l’étendue de la garantie (Civ. 2e, 18 janv. 2006, n° 04-17.279). Ainsi, « une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Civ. 1re, 22 mai 2001, n° 98-10.849), principe que rappelle la deuxième chambre civile dans l’affaire commentée (pt 5).

En second lieu, la clause doit délimiter de façon particulièrement nette le champ dans lequel la garantie n’est pas due (A. Cayol, loc. cit., in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, op. cit., p. 120). La Cour de cassation est ainsi amenée à écarter toute imprécision, notamment lorsque « la clause excluant la garantie (…) ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées » (Civ. 2e, 6 oct. 2011, n° 10-10.001), ce qui est également rappelé en l’espèce (point 8).

À cela s’ajoute que le caractère « limité » de la clause a été érigé par la jurisprudence en condition autonome de validité depuis les années 80 (Civ. 1re, 18 fév. 1987). Comme l’avait rappelé la cour d’appel en l’espèce (point 7), une clause « limitée » est celle qui ne vide pas la garantie de sa substance (Civ. 2e, 9 févr. 2012, n° 10-31.057, RDI 2012. 290, obs. D. Noguéro ) : le juge est tenu de vérifier « l’étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse » (Civ. 1re, 9 mars 2004, n° 00-21.974). La solution n’est guère surprenante, puisque similaire à celle dégagée en droit commun des contrats par la jurisprudence concernant les clauses limitatives de responsabilité (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632, D. 1997. 121 , note A. Sériaux ; ibid. 145, chron. C. Larroumet ; ibid. 175, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre ; ibid. 1998. 213, obs. N. Molfessis ; RTD com. 1997. 319, obs. B. Bouloc ), puis consacrée et généralisée par l’ordonnance du 10 février 2016 (C. civ., art. 1170 : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite »). Par conséquent, il serait fort étonnant de ne pas y assimiler « une clause d’exclusion vidant le contrat de son contenu en réduisant la garantie à néant » (A. Cayol, loc. cit., in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, op. cit., p. 120).

La rédaction des clauses d’exclusion invite donc les assureurs à la plus grande vigilance, afin qu’elles soient claires et précises, autrement dit intelligibles pour l’assuré. Les directions juridiques des entreprises d’assurance sont guidées par la jurisprudence dense et récente dans cet exercice rédactionnel, de manière positive et négative.

Dans son versant positif, par un arrêt rendu le 6 février dernier, la deuxième chambre civile a retenu qu’était formelle et limitée la clause selon laquelle sont exclues « les pertes indirectes de quelque nature que ce soit, manque à gagner et paralysies », définissant expressément ce qui relève du préjudice de pertes d’exploitation (Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-25.377). En l’espèce, selon la Haute juridiction, la cour d’appel ne s’était livrée à aucune interprétation de la clause d’exclusion et en avait donc exactement déduit que la clause était formelle et limitée.

À l’inverse, sur le versant négatif, la deuxième chambre civile a dernièrement censuré plusieurs clauses ne pouvant être opposées à l’assuré du fait de la nécessité de les interpréter. Ainsi, dans un arrêt du 8 octobre 2020, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir annulé une clause d’exclusion de garantie concernant « les sinistres résultant et/ou provenant de la pratique des activités amateurs » telles que les « sports impliquant l’usage d’un engin à moteur ». Une telle clause n’exclut un accident avec usage d’un engin à moteur que s’il est survenu dans le cadre de la pratique d’un sport. Or, cette notion manque de précision : le dictionnaire Larousse indique, en effet, qu’il s’agit d’une activité physique visant à améliorer sa condition physique, ou encore d’un ensemble d’exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises (Civ. 2e, 8 oct. 2020, n° 19-21.105, JS 2020, n° 213, p. 8, obs. F. Lagarde ; V. Leguay, La rédaction des clauses d’exclusion n’est pas une mince affaire, Éditions législatives, 16 oct. 2020).

De même, dans un arrêt du 16 juillet 2020, la deuxième chambre civile a censuré une cour d’appel pour violation de l’article L. 113-1 du code des assurances du fait de l’interprétation d’une clause d’exclusion ambiguë (les conditions générales du contrat d’assurance mentionnaient sous la rubrique « Exclusions de la garantie personnelle du conducteur : nous ne garantissons pas le préjudice lorsqu’au moment de l’accident le conducteur assuré […] et/ou a fait l’usage de substances ou plantes classées comme stupéfiantes »), ce dont il résultait qu’elle n’était ni formelle ni limitée (Civ. 2e, 16 juill. 2020, n° 19-15.676). À ce titre, pour rejeter les demandes formées par l’assuré, la cour d’appel avait retenu que, « malgré la rédaction succincte et générale de la clause d’exclusion de garantie, la condition précise, de ne pas avoir conduit en ayant fait usage de substances classées stupéfiants, est suffisamment démontrée par l’assureur par la déclaration de l’assuré d’une consommation quotidienne, et notamment la veille ou l’avant-veille, sauf à enlever toute signification au motif particulier de l’exclusion de garantie, de sorte que l’assuré ne peut pas prétendre qu’il n’était pas en mesure de connaître l’étendue de sa garantie, au regard de cette clause particulière d’exclusion dans la situation d’une conduite concomitante avec une prise régulière quotidienne de produits classés stupéfiants » (pt 7).

S’ils ne veulent pas que leurs clauses d’exclusion de garantie soient ainsi mises sur la sellette, les rédacteurs de polices d’assurance devront, à l’avenir, savoir résoudre l’équation suivante : « Article L. 113-1 du code des assurances = clause formelle + clause limitée = (clause claire + clause précise) + clause limitée = (clause explicite sans nécessiter une interprétation + [critères précis + hypothèses limitativement énumérées]) + clause ne vidant pas la garantie de sa substance ! » 

Auteur d'origine: rbigot

Afin d’améliorer la lisibilité du droit français, et donc son attractivité, l’ordonnance n° 2020-1142 du 16 septembre 2020, prise sur habilitation de l’article 75 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », a formalisé, au sein du code de commerce, la distinction des sociétés cotées et non cotées, en créant, au sein de la partie législative du code de commerce, un chapitre dédié aux « sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation » (art. L. 22-10-1 à L. 22-10-78 – T. Bonneau, La formalisation de la...

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Auteur d'origine: Delpech
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Un contrat de transport fut conclu, en ligne, entre la société Ryanair, de droit irlandais, et un passager pour un vol entre Milan et Varsovie.

Le vol ayant été annulé, le passager pouvait prétendre à une indemnisation en application du règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol.

Ce passager céda ses droits à une société, ayant son siège en Pologne, spécialisée dans le recouvrement de créances. Cette société saisit une juridiction polonaise d’une demande d’indemnisation à l’encontre de la société Ryanair. Cette dernière contesta alors la compétence de cette juridiction, au motif que les conditions générales du contrat de transport stipulaient une clause attributive de compétence désignant les tribunaux irlandais. Selon la société Ryanair, cette clause s’imposait à la société cessionnaire de la créance d’indemnisation du passager.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 18 novembre 2020, rédigé dans un style limpide. Il envisage deux aspects.

Absence d’opposabilité de la clause attributive au cessionnaire du droit à indemnisation

L’article 25, § 1, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose que, « si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ».

Il s’agit là d’un mécanisme classique du règlement, à propos duquel la Cour de justice est régulièrement appelée à intervenir. Elle a déjà précisé, par exemple, qu’il importe peu que la clause ait été acceptée en ligne, à la suite d’une acceptation par « clic » des conditions générales du contrat (CJUE 21 mai 2015, El Majdoub, aff. C-322/14, Dalloz actualité, 10 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1279 ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2015. 370, obs. L. Constantin ; RTD com. 2015. 777, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

La difficulté était en l’espèce de déterminer si la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de transport liant la société Ryanair à un passager pouvait ou non être opposée à une société cessionnaire du droit à indemnisation de ce passager.

À ce sujet, il est acquis qu’en principe (pour une présentation de différentes hypothèses jurisprudentielles, Mémento Francis Lefebvre Procédure civile, 2020/2021, n° 64530), une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat (CJUE 28 juin 2017, Leventis et Vafeias, aff. C-436/16, pt 35, D. 2017. 1370 ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2017. 739, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Rev. UE 2017. 570, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ; Europe 2016, Comm. 335, obs. Idot).

En l’espèce, l’arrêt relève que la société de recouvrement n’a pas consenti à être liée par une clause attributive de juridiction à la société Ryanair, et que cette dernière n’a pas davantage consenti à être liée à cette société de recouvrement par une telle clause (arrêt, pt 44).

Il en déduit que la clause attributive ne peut pas être opposée à la société de recouvrement (arrêt, pt 46). L’arrêt (pt 47) réserve cependant l’hypothèse dans laquelle, conformément au droit national applicable au fond, le tiers aurait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations, auquel cas la clause attributive de juridiction pourrait le lier (v. déjà, en ce sens, CJUE 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, aff. C-352/13, pt 65, Dalloz actualité, 15 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2016. 964, obs. D. Ferrier ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2015. 382, obs. A.-M. Luciani ; Rev. crit. DIP 2019. 786, note L. Idot ; RTD eur. 2015. 807, obs. L. Idot ; JCP 2015. 665, note D. Berlin ; Procédures 2015. Comm. 225, obs. C. Nourissat).

Clause attributive et clause abusive

L’affaire a conduit la Cour de justice de l’Union européenne à se pencher sur une seconde difficulté, cette fois de qualification de la clause attributive de compétence.

Ainsi qu’il l’a été rappelé précédemment, l’article 25, § 1, prévoit la compétence des juridictions d’un État membre désignées par la clause attributive de juridiction, « sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre ».

Ce principe est essentiel en l’espèce.

Puisque la clause attributive désigne les tribunaux irlandais, il conduit à devoir apprécier la validité de cette clause au regard du droit irlandais mais interprété conformément au droit de l’Union, et notamment à la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. On sait en effet que cette directive constitue une réglementation générale de protection des consommateurs, qui a vocation à s’appliquer dans tous les secteurs d’activité économique, y compris dans celui du transport aérien (CJUE 6 juill. 2017, Air Berlin, aff. C-290/16, pt 44, Dalloz actualité, 4 sept. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1468 ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; JT 2017, n° 201, p. 14, obs. X. Delpech ; RTD eur. 2018. 159, obs. L. Grard ; Europe 2017. Comm. 364, obs. Michel ; CCC 2017. Comm. 213, obs. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2018. Chron. 2, n° 11, obs. C. Aubert de Vincelles).

La référence à cette directive est décisive.

En vertu de son article 3, § 1, une clause est en effet considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat concerné.

Or une clause attributive de juridiction, qui est insérée dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle est situé le siège de ce professionnel, doit être considérée comme abusive dans la mesure où, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée, au détriment du consommateur concerné, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant de ce contrat (CJUE 9 nov. 2010, VB Pénzügyi Lízing, aff. C-137/08, pt 53, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles ).

C’est cette solution que l’arrêt reprend : « le cas échéant, une telle clause, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur, à savoir le passager aérien, et un professionnel, à savoir [la] compagnie aérienne, et qui confère une compétence exclusive à la juridiction dans le ressort de laquelle le siège de celle-ci est situé, doit être regardée comme abusive, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE […] ».

Auteur d'origine: fmelin

Une procédure d’indemnisation s’impose aux assureurs (et au FGAO à défaut) pour la mise en œuvre de l’assurance automobile obligatoire (A. Cayol, L’assurance automobile, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 384-387). Afin de favoriser un règlement amiable des litiges, la loi Badinter a mis en place une procédure d’offre « active » pour l’indemnisation des dommages corporels (C. assur., art. L. 211-9, al. 2). Dans l’arrêt sous commentaire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise que les délais impartis pour présenter une offre d’indemnisation à la victime doivent impérativement être respectés, et ce même en présence d’une contestation relativement à la date de consolidation.

En l’espèce, alors qu’il marchait sur un trottoir, un piéton a été heurté par un véhicule le 4 mai 2012. L’assureur de ce dernier a alors mandaté un expert, dont le rapport a été déposé le 11 juillet 2013. La date de consolidation de l’état de la victime y était fixée au 4 mai 2013. Les éléments du rapport d’expertise ayant été contestés par cette dernière dans un courrier du 26 août 2013, l’assureur a proposé la réalisation d’une seconde expertise. La victime n’a pas donné suite à cette proposition, ce qui a conduit à la mise en œuvre, en référé, d’une expertise judiciaire. Le rapport définitif de l’expert judiciaire, déposé le 6 août 2015, a retenu une date de consolidation différente.

En mai 2016, la victime assigne l’assureur en indemnisation de ses préjudices. La cour d’appel chiffre le préjudice subi au titre de ses pertes de gains professionnels et de l’incidence professionnelle à la somme de 124 527,39 €, et considère qu’il ne revient à la victime que la somme de 50 051,67 €, après déduction de la créance de la CPAM. Afin de déterminer le capital représentatif des arrérages à échoir de la pension d’invalidité servie à la victime, les juges du fond font application du même barème que celui retenu pour capitaliser la perte de gains professionnels futurs. Par ailleurs, la cour d’appel déboute la victime de sa demande de doublement des intérêts au taux légal, aux motifs que l’offre ne pouvait, en l’espèce, être considérée comme tardive. En effet, si la consolidation avait été fixée au 4 mai 2013 par l’expert mandaté par l’assureur dans son rapport du 11...

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Auteur d'origine: rbigot
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Arlésienne du quinquennat, l’uniformisation des systèmes de retraite repose sur un constat difficilement contestable, l’éclatement des institutions gestionnaires et des conditions dans lesquelles les travailleurs cotisent et les retraités perçoivent. L’éclatement est vertical : au profit d’un même travailleur, plusieurs couches de retraite se superposent (ex. les salariés sont affiliés à la sécurité sociale et l’Agirc-Arrco) ; il est également horizontal : les conditions d’assurance et les institutions en charge de cette dernière varient selon les professions exercées.

Les professions libérales – définies imparfaitement à l’article L. 640-1 du code de la sécurité sociale puisque certaines professions, tels les avocats, quoique libérales, n’y sont pas visées – illustrent le corporatisme de la protection sociale (M. Borgetto et F. Kessler [dir.], La protection sociale des professions libérales, RDSS 2012. 211 s. ). Conséquence d’un compromis acté à la Libération, le législateur organise d’autorité un régime de retraite de base commun aux professions libérales (CSS, art. L. 640-1) mais laisse à chacune de ces dernières le soin de prévoir, ou non, le déploiement de garanties complémentaires de retraite (CSS, art. L. 641-5, v. G. Not, Les régimes de retraite complémentaire des professions libérales, RDSS 2012. 233 ). L’invitation est spécialement adressée aux médecins ; la tournure est élégante : « Les médecins […] peuvent demander à bénéficier d’un régime de prestations complémentaires de vieillesse » (CSS, art. L. 645-1).

Quant aux conditions dans lesquelles est déployée la couverture complémentaire de retraite, elles sont encadrées par le législateur (CSS, art. L. 645-2 s.) mais, pour l’essentiel, sont le fruit d’une œuvre réglementaire prise « après avis » de la profession (décr. n° 49-579, 22 avr. 1949 et décr. n° 72-968, 27 oct. 1972) ou l’œuvre de cette dernière, par l’intermédiaire des statuts de la caisse de retraite complémentaire des médecins de France (CARMF) approuvés par voie d’arrêté. Outre l’autonomie financière qu’elle consacre – d’où l’expression « régime de retraite autonome » – l’originalité voulue de cette construction institutionnelle est de donner, soit directement par les statuts, soit indirectement par les avis rendus avant décrets, un large pouvoir aux représentants de la profession. Ce pouvoir est principalement utilisé pour construire, au sein de celle-ci, une solidarité propre, censée répondre spécifiquement aux besoins des membres : la solidarité se dégage des modalités d’acquisition de droit à la retraite, des exemptions de cotisation ou, à l’opposé, de la création de prestations « gratuites ». Mais, au-delà des paramètres structurels qui donnent au régime de retraite complémentaire de chaque profession un visage particulier, ce sont aussi les règles très concrètes d’organisation du régime qui sont définies par les représentants de la profession : quel sort réserver aux ayants droit en cas de décès ? Quelle sanction en cas de non-paiement des cotisations ?, etc. Autant de dispositions qui n’altèrent pas la physionomie de l’ensemble mais qui, au quotidien, soit dans la gestion financière de la caisse, soit dans la situation des cotisants ou des bénéficiaires, sont loin d’être neutres.

Or, dans la définition de ces « petites » règles – comme d’ailleurs dans la construction des plus grandes – la protection sociale est pour le moins conservatrice. S’il a bien fallu sous les coups de l’Union européenne et comme un signe de progrès, réduire les avantages de retraite spécifiques aux femmes, la solidarité continue de justifier un pouvoir de l’institution à l’encontre de ses membres, pouvoir fort et souvent coloré idéologiquement qui se marrie de moins en moins bien avec une approche individualiste des droits des assurés. D’un côté, des cotisants ou des bénéficiaires qui, privés de l’argument tenant à l’inégalité de traitement dont ils souffriraient en comparaison d’autres travailleurs affiliés à des régimes différents (Cons. const. 13 déc. 2012, décis. n° 2012-659 DC, Dalloz actualité, 7 janv. 2013, obs. A. Mavoka-Isana ; AJDA 2012. 2410 ; RFDA 2013. 1, étude B. Genevois ; Constitutions 2013. 85, obs. A. Barilari  ; 5 avr. 2013, n° 2013-301 DC) se fondent sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aux termes de laquelle les droits à prestations sociales, a fortiori contributives, engendrent un intérêt patrimonial bénéficiant de la protection de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Motif pris du paiement de cotisations, ils réclament le contrôle de la réglementation du régime de retraite à l’aune de cet article. De l’autre, des gestionnaires de régime de retraite qui, sans contester nécessairement l’atteinte à l’intérêt patrimonial engendré par la réglementation, justifient sans mal cette atteinte par des intérêts légitimes, l’impératif de solvabilité du système de retraite et la solidarité censée animer ce dernier. Les points de crispations sont nombreux et dépassent souvent le cadre des seuls régimes complémentaires autonomes ; ils ne sont parfois qu’en germe, telle la question de la perte des droits de réversion en cas de remariage du réversataire (Civ. 2e, 19 janv. 2017, n° 16-14.350) ; ils ont parfois éclos au grand jour, telle l’obligation de cotiser imposée aux assurés ayant repris une activité professionnelle après la liquidation de leur pension de retraite, sans, pour autant, que des droits nouveaux à la retraite soient reconnus en contrepartie des cotisations (CE 5 avr. 2019, n° 418201 ; 19 sept. 2012, n° 349087). Le moins qui puisse être dit, c’est que, jusqu’à présent, la solidarité traditionaliste prenait le pas sur les intérêts individuels devant les juges.

C’est une question similaire qui occupait en l’espèce la Cour de cassation, quoiqu’il ne fût guère question des prestations mais des cotisations. Un médecin ophtalmologue connut quelques déboires financiers au cours de sa carrière ; il subit un redressement puis une liquidation judiciaire au cours des années 2007 et 2008, avant de reprendre une activité puis de demander la liquidation de sa pension de retraite complémentaire à effet du 1er janvier 2016. Appelée à calculer les droits à verser au titre de deux régimes de retraite complémentaire cumulativement applicables – le régime complémentaire « général » des médecins (RCV) et le régime supplémentaire des médecins conventionnés (ASV) –, la caisse refusa de prendre en considération les cotisations versées entre 1993 et 2007 en raison d’un arriéré de cotisations important sur cette période (325 427,21 €). Elle livrait de la sorte une interprétation des dispositions statutaires (art. 19 pour RCV ; art. 10 pour ASV) directement tirées de l’article 2 du décret n° 49-579 du 22 avril 1949 (RCV) et de l’article 2 du décret n° 72-968 du 27 octobre 1972 (ASV) aux termes desquelles, respectivement, « le versement de la cotisation annuelle [due] donne droit à attribution de 10 points de retraite » et « la cotisation annuellement versée […] donne […] chaque année un nombre de points » ; comprendre, selon la caisse : si la cotisation annuelle n’est pas intégralement versée, aucun droit à la retraite n’est acquis au titre de l’année. Ce qui peut être traduit de la sorte : le médecin ne s’acquitte pas de l’intégralité de la cotisation ? Il perd la propriété des sommes partiellement versées (sommes qu’il ne peut répéter puisqu’elles sont dues) sans acquérir aucun droit à pension en contrepartie : le paiement, parce que partiel, est dépourvu de toute contrepartie ; se profile l’atteinte à l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne.

Le litige fut porté devant le juge judiciaire ; signe des temps, le Défenseur des droits fut saisi parallèlement et présenta, devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale, devant la cour d’appel puis devant la Cour de cassation des observations assises sur le premier protocole additionnel (Défenseur des droits, 10 mars 2017, décis. n° 2017-105 ; 7 mai 2019, décis. n° 2019-120 ; 11 févr. 2020, décis. n° 2020-50). Invariablement, le défenseur des droits se prononça contre l’interprétation faite par la caisse. Il critiquait en premier lieu le principe même d’une disposition ayant pour effet de ne pas garantir le paiement de prestations à due proportion des cotisations acquittées. Ayant admis que le droit à prestations participe du droit de propriété, il rappelait, très classiquement, que celui-ci peut faire l’objet de limitations pourvu que les mesures y portant atteinte respectent un « juste équilibre entre les considérations d’utilité publique et les droits fondamentaux de la personne ». Et, quoiqu’ayant reconnu un « intérêt légitime attaché au recouvrement des contributions sociales comme à l’équilibre financier des régimes de retraite », il estima que ces intérêts « ne justifient pas une atteinte disproportionnée aux droits des assurés, telle la privation d’une allocation de subsistance venant en contrepartie de cotisations effectivement versées durant des périodes d’activité ». Au contraire, il existerait « un grave déséquilibre, certes favorable aux organismes, si les cotisations versées par des actifs […] ne se transformaient jamais en droit à prestation au profit des intéressés en raison de dettes de cotisations ou d’années non intégralement soldées » (Défenseur des droits, décis. n° 2020-50, préc.). Ancrant son raisonnement, le Défenseur des droits se référait encore à la Cour de cassation (ibid.). Celle-ci avait déjà jugé à propos d’un autre régime complémentaire que « l’absence de règlement intégral de cotisations n’a pas pour conséquence de priver l’assuré de tout droit à pension » (Civ. 2e, 23 nov. 2006, n° 05-10.911) et, d’une manière générale, elle semblait limiter la sanction attachée à un défaut de paiement à une diminution proportionnelle des prestations (Civ. 2e, 7 avr. 2011, n° 10-18.443). Le Défenseur des droits péchait toutefois par excès d’optimisme. Si l’impression générale se dégageant des solutions de la Cour de cassation était effectivement qu’un anéantissement des droits à raison du défaut de paiement partiel devait être écarté, les espèces étaient plus subtiles et n’épousaient pas tout à fait celles dont la Cour devait connaître dans la présente affaire : la décision de la caisse n’avait pas ici pour objet de priver l’intéressé de tout droit à pension, les années correctement cotisées demeuraient prises en compte.

Le Défenseur des droits critiquait en second lieu l’imprécision de la réglementation du régime. Opportuniste, le raisonnement de la caisse n’était pas parfaitement privé d’assise textuelle mais ne découlait pas de manière évidente de la lettre des textes : le profane de bonne foi fut facilement passé à côté. Or la sévérité de la sanction attachée au paiement partiel, aux yeux du Défenseur des droits, « semble devoir nécessairement résulter d’une disposition expresse du décret instituant le régime, ou des statuts de la section professionnelle l’organisant » (Défenseur des droits, décis. n° 2020-50, préc.). L’argument qui revient à décider que la sanction est d’interprétation stricte, était tout naturel et devait permettre de conclure que, faute pour les textes de fixer clairement cette sanction, celle-ci ne pouvait être pratiquée. Il fallait, au contraire, décider l’attribution de droits au prorata des cotisations versées.

Cette lecture « moderne » des rapports entre la caisse et les adhérents se heurta finalement de plein fouet à la « tradition ». Le tribunal des affaires de sécurité sociale, en première instance, se rangea à l’argumentation du Défenseur des droits ; il fut suivi par la cour d’appel qui décida qu’en cas de paiement partiel des cotisations pour une année, l’acquisition des droits à pension se faisait alors à due proportion. Mais la Cour de cassation accueillit le pourvoi formé par la caisse, lequel était tout entier fondé sur la nécessité du « pouvoir » de celle-ci dans la détermination de sa gestion : « la caisse étant responsable de son équilibre [l’équilibre du régime], il lui appartient d’édicter les règles définissant le droit à prestation […] ; les statuts ne peuvent être écartés, à titre exceptionnel, qu’en vertu d’une disposition légale ou réglementaire, laquelle doit être strictement interprétée ». La Cour de cassation accueillit la thèse quoiqu’elle rectifiât le raisonnement. D’une part, elle refusa d’apprécier les dispositions statutaires et ne rendit sa décision que sur les dispositions légales et réglementaires (ces dernières ayant, il est vrai, inspiré les dispositions statutaires). D’autre part, sans ouvrir la porte à un contrôle de conventionnalité, la Cour de cassation intégra l’article 1er du premier protocole additionnel dans son raisonnement. L’avancée fut toutefois immédiatement battue en brèche puisque la référence faite à cet article servit à renforcer les dispositions légales et réglementaires : l’absence de proratisation, selon l’affirmation (non démontrée) de la Cour de cassation, résulte de la combinaison des textes, « interprétés à la lumière de l’article 1er du premier protocole additionnel ».

Le contrepied – le droit de propriété renforçant le pouvoir de la collectivité contre l’individu – est saisissant. Il traduit élégamment le conservatisme de la Cour de cassation en matière de protection sociale : maintenir, tant que possible, le pouvoir des gestionnaires sur la politique des régimes en faisant échapper ceux-ci, motif pris d’un impératif de solidarité, aux « nouvelles » déclinaisons des droits de l’homme. Il s’agit d’une réelle « politique » ; celle-ci est-elle viable à moyen terme ? C’est une autre question. Il y eut des précédents fameux où la Cour de cassation, toute à l’autoritarisme justifié par la solidarité, fut désavouée par la montée en puissance de la liberté contractuelle (Cons. const. 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, Dalloz actualité, 18 juin 2013, obs. C. Dechristé ; D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2013. 673, étude J. Barthélémy ; ibid. 680, étude D. Rousseau et D. Rigaud ; ibid. 2014. 464, chron. S. Hennion, M. Del Sol, P. Pierre et M. Hallopeau ; ibid. 1057, étude J. Barthélémy ; Constitutions 2013. 400, chron. A.-L. Cassard-Valembois ; RTD civ. 2013. 832, obs. H. Barbier ), et l’universalisation des régimes de retraite, laquelle finira bien par se faire, forcera une remise à plat de ces questions.

Auteur d'origine: rbigot

Les architectes sont susceptibles d’engager leur responsabilité civile professionnelle dans le cadre de leur activité. Pour se prémunir des éventuelles dettes de responsabilité qui découleraient des réclamations et actions intentées à leur encontre, ces professionnels sont amenés à souscrire des assurances spéciales. Ces contrats « les garantissent pendant une durée d’un an mais selon un mécanisme contractuel distinct des polices d’entrepreneurs. Les architectes ont en effet l’obligation de déclarer, à l’année N+1, les chantiers auxquels ils ont participé et le montant des honoraires perçus à ce titre. Les garanties sont donc acquises, non de manière globale et annuelle, mais chantier par chantier de sorte que l’insuffisance ou l’incomplétude déclarative peut conduire à l’absence de garantie pour un chantier particulier » (C. Charbonneau, Polices de maître d’œuvre - architecte (polices à aliments), in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 416).

Ces polices ont été soumises à plusieurs reprises à l’appréciation de la Cour de cassation, notamment concernant l’articulation des sanctions prévues aux articles L. 113-9 et L. 113-10 du code des assurances en cas de défaut de déclaration d’un chantier. Tel est encore le cas dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 novembre 2020 (n° 18-10.190). Depuis 1997, l’article L. 113-9 est écarté lorsque la police prévoit l’application de l’article L. 113-10, dès lors exclusive (Civ. 1re, 18 févr. 1997, n° 95-12.650, RGDA 1997. 747, note Favre-Rochex). La doctrine observe que « la jurisprudence veille assez scrupuleusement à vérifier l’existence d’une telle clause. Mais, à défaut de stipulation spéciale, la conclusion était inflexible » (D. Noguéro, La sanction de la déclaration de chantier et l’article L. 113-9 du code des assurances, bjda.fr n° 56, mars-avr. 2018). C’est la solution rappelée en l’espèce, la deuxième chambre civile précisant que tel est également le cas lorsque le contrat d’assurance, sans pourtant faire expressément référence à l’article L. 113-10 du code des assurances, en reprend en substance le contenu.

En l’espèce, des concubins maîtres d’ouvrage ont confié la maîtrise d’œuvre de travaux d’aménagement de leur appartement à une société d’architectes, couverte par une entreprise d’assurance spécialisée. Le chantier n’ayant pas été mené à son terme, les propriétaires, après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert et l’allocation d’une provision, ont assigné la société d’architectes et l’assureur en indemnisation de leurs préjudices. L’assuré n’avait, cependant, pas pleinement respecté ses obligations contractuelles : il avait notamment omis de déclarer cette mission à son assureur, ce qui a conduit ce dernier à lui refuser sa garantie.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 5 juillet 2017, juge que la compagnie d’assurance était fondée à opposer une...

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Auteur d'origine: rbigot

2020 s’achève dans quelques jous. Il était temps.

Nous avons de quoi nous féliciter malgré tout, ici, à la rédaction : avec les centaines de questions juridiques posées brutalement par l’apparition de la covid-19, vous avez été encore plus nombreux à nous suivre. 

Merci à vous et merci à l’équipe d’avoir tenu bon.

Allez, c’est l’heure de souffler un peu. 

Nous vous donnons rendez-vous le lundi 4 janvier 2021. Merci de votre fidélité et joyeuses fêtes.

Auteur d'origine: babonneau
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La subrogation personnelle est définie, classiquement, comme « une fiction juridique par suite de laquelle une créance, payée avec des deniers fournis par un tiers et, par conséquent, éteinte par rapport au créancier, est réputée subsister avec tous ses accessoires au profit de ce tiers afin d’assurer l’efficacité de son recours pour le remboursement des fonds qu’il a avancés » (G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 2, 13e éd., par P. Guyot, Sirey, 1925, n° 356). Comme le rappelle dernièrement et de manière très imagée le professeur Delebecque, « les sûretés, les droits préférentiels, les actions résolutoires ou en responsabilité passent au subrogé en même temps qu’il paye le créancier. La subrogation s’opère dans la créance même du subrogeant : le subrogé se retrouve in the shoes du subrogeant » (P. Delebecque, « Les limites de la subrogation personnelle », in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre. Liber amicorum, LGDJ/Lextenso éd., 2019, p. 361 s., spéc. p. 361).

Un tel recours subrogatoire peut être intéressant en droit des assurances, afin de permettre à l’assureur qui a indemnisé un sinistre d’agir en remboursement contre un tiers ou contre le coauteur du dommage. Il peut même être vu comme indispensable, sur le plan moral, afin d’éviter que le tiers responsable soit déchargé du paiement de l’indemnisation. Le principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime, empêche en effet cette dernière d’agir contre le tiers responsable après avoir été entièrement désintéressée par son propre assureur.

Intimement lié au principe indemnitaire, le mécanisme de la subrogation personnelle est, traditionnellement, réservé aux assurances de dommages, et ce qu’il s’agisse d’assurances de choses ou de responsabilité (Civ. 1re, 21 janv. 2003, n° 00-15.781, D. 2003. 2993 , note D. Bazin-Beust ; RTD civ. 2003. 298, obs. J. Mestre et B. Fages  : « L’assurance de responsabilité est une assurance de dommage, comme telle soumise à l’article L. 121-12 du code des assurances qui permet à l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance d’être subrogé dans les droits de son assuré »). Le principe veut qu’en assurance de personne, « l’assureur, après paiement de la somme assurée, ne peut être subrogé aux droits du contractant ou du bénéficiaire contre des tiers à raison du sinistre » (C. assur., art. L. 131-2). Ce principe s’explique par le caractère normalement forfaitaire de l’indemnisation.

Par exception à cette règle, le législateur a consacré, dès 1985, un recours subrogatoire de l’assureur qui a versé à la victime une avance sur indemnité du fait d’un accident de la circulation contre l’assureur de la personne...

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Auteur d'origine: rbigot

Depuis le début de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19, plusieurs ordonnances ont été prises par le gouvernement afin d’adapter les règles applicables aux entreprises et exploitations agricoles en difficulté : les deux ordonnances du printemps 2020 furent prises en vertu de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 instaurant l’état d’urgence sanitaire (ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, JO 28 mars, v. Dalloz actualité, 1er avr. 2020, notre comm. ; ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, JO 21 mai, v. Dalloz actualité, 28 mai 2020, notre comm.) « notamment afin de prévenir et de limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations » (L. n° 2020-290, 23 mars 2020, JO 24 mars). La troisième ordonnance – de moindre ampleur – fut publiée à l’automne (ord. n° 2020-1443, 25 nov. 2020, JO 26 nov., v. Dalloz actualité, 4 déc. 2020, notre comm.) sur habilitation de l’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 (L. n° 2020-1379, 14 nov. 2020, JO 15 nov.).

La loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, poursuit et complète ces mesures avec deux articles spécifiques au droit des entreprises en difficulté (quelques dispositions visant les cessations d’activité d’installations classées pour la protection de l’environnement concernent indirectement les entreprises en difficulté). L’article 131 de la loi ASAP pérennise la possibilité pour les entreprises bénéficiant d’un plan de redressement judiciaire de participer à une procédure de passation des marchés publics et de contrats de concession (modification de CCP, art. L. 2141-3 et L. 3123-3). L’article 131 ajoute que l’acheteur ne peut prononcer la résiliation du marché public « au seul motif que l’opérateur économique fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire » (modification de CCP, art. L. 2195-4, L. 2395-2 et L. 3136-4). S’agissant d’un contrat en cours à l’ouverture de la procédure collective, il s’agit ici d’être en conformité avec l’article L. 622-13, I, du code de commerce (applicable en redressement judiciaire) qui prévoit que, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.

Mais surtout, l’article 124 de la loi ASAP prolonge la durée d’application des articles 1er à 6 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 jusqu’au 31 décembre 2021. Cette disposition résulte d’un amendement présenté en septembre 2020 par le gouvernement afin de permettre aux entreprises et exploitations agricoles en difficulté de continuer à bénéficier de plusieurs mesures prévues par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 qui, pour certaines, s’arrêtaient au 31 décembre 2020. Il faut observer ici que la disposition prolonge d’une durée d’un an l’application de certaines règles dérogatoires au droit commun, qui avaient été justifiées par l’arrêt brutal et massif de l’activité (à partir du 17 mars 2020) et l’impossibilité pratique de respecter les contraintes habituelles en raison des désordres dans l’organisation des juridictions, des études des praticiens, ou dans le fonctionnement des entreprises concernées (v. circ. de présentation des articles 1er, 2, 3 et 5 de l’ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale). Le contexte actuel est différent. Les juridictions et praticiens se sont adaptés au contexte sanitaire et l’activité économique n’est plus complètement paralysée par des mesures de confinement. Elle n’en est pas moins lourdement obérée. La prolongation des dispositions dérogatoires au droit commun semble alors se justifier par de nombreux indicateurs laissant présager une reprise économique très progressive et le risque d’accroissement des procédures collectives dans les prochains mois.

Les mesures prolongées jusqu’au 31 décembre 2021

L’article 124 de la loi du 7 décembre 2020 prolonge l’application des articles 1er à 6 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 jusqu’au 31 décembre 2021.

La prolongation de plusieurs de ces mesures conserve toute sa pertinence. D’abord, dans le souci de prévenir les difficultés, l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, applicable initialement jusqu’au 31 décembre 2020, permet de renforcer le rôle du commissaire aux comptes dans le cadre de la procédure d’alerte en prévoyant qu’il pourra « informer le président du tribunal compétent dès la première information faite, selon le cas, au président du conseil d’administration ou de surveillance ou au dirigeant », s’il estime que « l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou propose des mesures que le commissaire aux comptes estime insuffisantes ». La prolongation de cette mesure ne souffre pas d’objection. Il en est de même de l’article 3, initialement applicable jusqu’au 17 juillet 2021, en ce qu’il permet de faciliter l’ouverture de procédures de sauvegarde accélérées par la suppression des seuils applicables. L’article 4 de l’ordonnance avait raccourci de trente à quinze jours – à la demande de l’administrateur judiciaire, ou du mandataire judiciaire – le délai de consultation des créanciers dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement est également prolongé au-delà du 31 décembre 2020. Ce délai de réponse est utilement pérennisé. Un délai de réponse abrégé aurait d’ailleurs même pu être étendu au délai de consultation accordé aux comités de créanciers lorsqu’ils se prononcent sur le projet de plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire en réduisant le principe du délai de vingt à trente jours imposé par l’article L. 626-30-2, alinéa 3, du code de commerce. Le privilège de post money, qui concerne les financements octroyés en période d’observation ou en cours d’exécution du plan (ord. n° 2020-596, art. 5, IV), est maintenu jusqu’au 31 décembre 2021, afin de faciliter le retournement de sociétés pour lesquelles l’accès au crédit classique est restreint. Enfin, l’article 6 de l’ordonnance permet d’aménager les seuils concernant la liquidation judiciaire simplifiée et le rétablissement professionnel.

D’autres prolongations soulèvent davantage d’interrogations. Il en est ainsi pour deux mesures. D’abord pour l’article 2 en matière de conciliation, applicable initialement jusqu’au 31 décembre 2020. Disposition phare de l’ordonnance n° 2020-290 du 20 mai 2020, la disposition permet au débiteur de demander au président du tribunal ayant ouvert une procédure de conciliation d’ordonner des mesures produisant sensiblement les mêmes effets que l’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’un créancier, à savoir la suspension ciblée des poursuites en procédure de conciliation et la possibilité de demander des délais de grâce. Rappelons que cette mesure doit être combinée avec l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 aux termes duquel la durée de la procédure de conciliation peut être prorogée, une ou plusieurs fois, à la demande du conciliateur, par décision motivée du président du tribunal, sans que cette durée puisse excéder dix mois, et ce pour les procédures ouvertes à compter du 24 août 2020 ; cette mesure étant applicable jusqu’au 31 décembre 2021. Seconde mesure, celle de l’article 5 de l’ordonnance qui permet de solliciter, au-delà du 31 décembre 2020, l’allongement de la durée et des délais des plans de sauvegarde et de redressement (ord. n° 2020-596 : prolongation de deux ans au maximum par le tribunal). Il convient de noter que l’article I, III, 2°, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 permettant de solliciter une prorogation d’une durée d’un an est applicable jusqu’au 23 février 2021 et cumulable avec les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-290 du 20 mai 2020. Cette mesure est importante pour les entreprises qui ne sont pas éligibles aux mesures de soutien prévues dans le contexte de la crise sanitaire. L’accès au prêt garanti par l’État, par exemple, est difficile pour une entreprise cotée automatiquement « six » par la Banque de France dès la validation du plan, quels que soient les résultats de l’entreprise pendant la période de la procédure collective (sauvegarde ou redressement judiciaire). Elle permet également aux entreprises de s’adapter en fonction de l’impact de la crise sanitaire sur leur activité et leur capacité à honorer un plan de continuation.

La prolongation de ces mesures ne peut qu’être légitime au regard de la forte incertitude qui pèse sur l’activité économique et l’effet d’inertie des conséquences de la crise dans certains secteurs.

Les mesures non prolongées

L’article 124 de la loi ASAP laisse hors du champ des prolongations trois mesures dérogatoires prévues à l’article 7 et l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020.

La première mesure est celle de l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 qui permet, jusqu’au 31 décembre 2020, au dirigeant ou à l’administrateur judiciaire de soumettre directement une requête au tribunal en vue de proposer un projet de reprise au tribunal par le dirigeant lui-même. Nous avions évoqué tout l’intérêt de cette disposition dérogatoire en ce qu’elle permet d’accélérer la procédure en supprimant l’examen préalable obligatoire de la demande de dérogation par le ministère public (v. Dalloz actualité, 28 mai 2020, notre comm.). Une circulaire du 16 juin 2020 avait d’ailleurs souligné que « les premières analyses des conséquences de la crise font apparaître […] que le maintien des emplois imposera plus fréquemment une telle opération, dans un marché affecté par cette crise » (circ. de présentation de l’ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19, 16 juin 2020). Toutefois, la médiatisation de cette procédure appliquée dans plusieurs dossiers de restructuration de grandes entreprises a suscité de vives réactions (v. F. Petit, La cession d’entreprise au dirigeant : une réalité choquante ?, LEDEN oct. 2020, alerte 216) notamment sur les bancs de l’Assemblée nationale – en ce qu’elle aurait permis à des dirigeants de reprendre leur propre société, à vil prix, après des suppressions d’emplois et l’effacement des dettes. La critique à l’encontre de cette mesure dérogatoire doit toutefois être nuancée. En effet, la possibilité pour le dirigeant de l’entreprise de présenter une offre de reprise n’est pas nouvelle ; la disposition dérogatoire n’a fait que supprimer l’obligation d’une requête formée par le ministère public. Non seulement celui-ci demeure présent lors de l’audience, mais il peut également exercer un recours suspensif contre la décision du tribunal (C. Delattre, Cession d’entreprise à l’ancien dirigeant version covid-19 : beaucoup de bruit pour rien ?, BJE nov./déc. 2020, p. 1). Enfin, le tribunal est lui-même souverain et reste le garant de l’équilibre économique et social de la solution.

La deuxième mesure, prévue à l’alinéa 2 du même article, permettait de réduire de quinze à huit jours le délai de convocation des créanciers dont le contrat fait l’objet d’une demande de transfert judiciaire par le candidat à la reprise de l’entreprise. L’exclusion des mesures de prolongation peut surprendre en ce qu’elle permet que les plans de cession soient arrêtés de manière plus rapide face au risque de volatilité des offres dans le contexte sanitaire. Le dispositif de réduction du délai n’est donc pas prorogé au-delà du 31 décembre 2020.

La troisième mesure est celle de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, qui reste en vigueur jusqu’à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance prévue par l’article 196 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 susvisée, et au plus tard jusqu’au 17 juillet 2021 inclus (art. 10, IV, de l’ord. n° 2020-596 du 20 mai 2020). Elle prévoit que les délais mentionnés aux 4° et 5° de l’article R. 123-135 du code de commerce sont réduits à un an. Dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, la durée de radiation au registre du commerce et des sociétés, des événements liés à une procédure collective est ramenée de deux à un an. Alors que ces deux dernières mesures dérogatoires n’ont pas suscité de débat particulier et qu’elles favorisent l’accélération du rebond, il est regrettable que la loi ASAP ne les ait pas intégrées dans le corpus de dispositions prolongées jusqu’au 31 décembre 2021. Il convient cependant de se souvenir que l’article 10, IV, de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 prévoit que les délais fixés au second alinéa de l’article 7 et à l’article 8 peuvent être modifiés par décret. Il est alors possible de s’interroger sur le fait que l’exclusion de ces deux mesures pourrait avoir pour corollaire leur inscription dans le droit commun dans le cadre d’une modification par décret d’ici le 31 décembre 2020.

La prolongation ou non des règles dérogatoires soulève un questionnement, celui de savoir si certaines règles dérogatoires ne pourraient pas être consolidées en droit commun. La question se pose d’autant plus qu’elle amène celle de l’adaptation du droit des entreprises en difficulté qui va naître avec la transposition de la directive sur la restructuration et l’insolvabilité du 20 juin 2019 (dir. [UE] 2019/1023, JOUE n° L 172, 26 juin). À court terme, face au contexte économique lié aux conséquences de la crise sanitaire, l’idée d’instaurer une procédure exceptionnelle avait été suggérée (v. P. Roussel-Galle, Un peu d’histoire, RPC juill. 2020, repère 4). On peut d’ailleurs se demander si cette idée, fort séduisante, n’est pas celle qui a guidé l’adaptation de la conciliation au regard de la durée exceptionnelle de celle-ci (jusqu’à dix mois) et des effets qu’elle peut provoquer sur certains créanciers. Elle amène aussi et surtout à nous interroger sur la lisibilité des procédures pour le justiciable au regard de l’absence usuelle d’anticipation des difficultés qui atteint actuellement son paroxysme (v. O. Buisine, De quelques propositions relatives à la transposition de la directive. Restructurations préventives et à la réforme du droit des sûretés, Rev. proc. coll. juill. 2019, étude 12).

Auteur d'origine: Delpech

Par avenant du 27 novembre 2008, un souscripteur a désigné comme bénéficiaires de trois contrats d’assurance-vie ses quatre sœurs. À la suite de son décès en avril 2011, le notaire a établi un procès-verbal de description et de dépôt d’un testament olographe du 30 novembre 2010 dans lequel le souscripteur des assurances sur la vie instituait légataires universels ses deux enfants. Dans cet acte, il leur léguait tous ses biens et le produit de ses contrats d’assurance-vie. Contestant la modification de la clause bénéficiaire, les sœurs du défunt assignent les enfants aux fins de voir prononcer l’annulation du testament et de les voir condamner solidairement à leur payer la somme qu’ils ont perçue au titre des assurances sur la vie.

Les juges de la cour de Nancy leur ayant donné raison, les enfants se pourvoient en cassation. Au soutien de leur moyen, ils rappellent que le changement de bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie n’est subordonné à aucune condition de forme. Or, si le testament désignant les enfants bénéficiaires des contrats d’assurance-vie a été annulé, la volonté de modifier la clause bénéficiaire en leur faveur était corroborée par plusieurs lettres du souscripteur adressées aux différents établissements bancaires le 21 janvier 2011. Dès lors, ils reprochent aux juges du fond d’avoir décidé que le souscripteur n’avait pas manifesté sa volonté de modifier la clause bénéficiaire au motif que ces lettres étaient des lettres types non revêtues...

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Auteur d'origine: rbigot
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Le domaine des dispositions relatives au démarchage suscite encore un certain contentieux, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2020. En l’espèce, le 29 août 2011, un couple a accepté un devis établi par une société portant sur la fourniture et l’installation d’un système de production d’électricité d’origine photovoltaïque au prix de 20 143,56 €. Le 13 décembre de la même année, ils ont souscrit un crédit d’un montant identique auprès d’une banque. Par la suite, les acquéreurs, se plaignant d’un défaut de sécurité de leur installation ainsi que de manquements du professionnel aux dispositions du code de la consommation relatives au démarchage à domicile, ont assigné le vendeur, pris en la personne de son liquidateur judiciaire, et la banque en annulation et, subsidiairement, en résolution des contrats de vente et de crédit.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 4 avril 2019, annule le contrat de vente et le contrat de crédit affecté, prive la banque de sa créance de restitution du capital emprunté et la condamne à restituer les sommes perçues des acquéreurs en fixant à la somme de 20 143,56 € la créance de ces derniers au passif du vendeur. Pour ce faire, les magistrats aixois estiment tout d’abord que le démarchage à domicile est caractérisé par la réception à domicile de propositions commerciales, soit que le vendeur se déplace, soit que le consommateur soit incité à se déplacer pour en bénéficier, à la condition que le lieu ne soit pas un lieu de commerce habituel. Ils constatent, ensuite, que les acquéreurs ont fait l’objet d’une prospection par téléphone ayant abouti à une prise de rendez-vous, à leur domicile, le 24 août 2011, qu’ils ont reçu une estimation de la production d’électricité, datée du 26 août 2011, établie par la société venderesse, et qu’ils ont signé, à leur domicile, le 29 août 2011, un devis, de sorte que la relation commerciale entre les parties a débuté par un démarchage à domicile et que le fait qu’il ait existé par la suite des pourparlers entre les parties ne permet pas d’écarter la législation protectrice du démarchage à domicile.

Insatisfaite de cette solution, la banque se pourvut en cassation, à juste raison puisque l’arrêt aixois est censuré au visa de l’article L. 121-21, alinéa 1er, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 : la haute juridiction rappelle tout d’abord que, « selon ce texte, est soumis aux articles L. 121-21 à L. 121-33 du code de la consommation quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d’une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l’achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d’achat de biens ou la fourniture de services » (pt 4). Elle considère ensuite qu’« en se déterminant ainsi, sans constater que le devis avait été accepté au domicile des consommateurs en présence du professionnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé » (pt 6).

La solution est irréprochable tant il est vrai que les dispositions relatives aux démarchages ont vocation à s’appliquer lorsqu’un contrat a été conclu en un lieu inhabituel en la présence du professionnel (v. à ce sujet N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, « Traité de droit civil », in J. Ghestin [dir.], Les Contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, 2018, n° 541). Certes, la jurisprudence avait adopté une conception plus large du démarchage en admettant d’étendre son empire dans l’hypothèse où la signature du contrat avait été précédée d’une visite au domicile du consommateur, faisant ainsi prévaloir le lieu de rencontre des parties sur la signature du contrat (v. N. Sauphanor-Brouillaud et al., op. cit., n° 542). Mais elle précisera par la suite que cette visite devait avoir donné lieu à un engagement de la part du consommateur (v. Crim. 27 juin 2006, n° 05-86.956, D. 2007. 484 , note E. Bazin ; RSC 2007. 92, obs. C. Ambroise-Castérot , interprété a contrario : « le déplacement d’un professionnel au domicile d’un consommateur pour l’étude des lieux et la prise des mesures nécessaires à l’établissement d’un devis envoyé ultérieurement par voie postale, qui n’a donné lieu à aucun engagement du destinataire, ne constitue pas un démarchage au sens de l’article L. 121-21 du code de la consommation »).

La solution serait certainement la même sous l’empire des dispositions issues de la loi du 17 mars 2014 précitée, transposant la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs. Certes, l’article L. 221-1, I, 2°, du code de la consommation retient une conception particulièrement étendue du contrat conclu hors établissement (cette expression ayant succédé à celle, plus connue, de démarchage). Celui-ci est en effet défini comme « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :

a) Dans un lieu qui n’est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d’une sollicitation ou d’une offre faite par le consommateur ;

b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d’une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;

c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur ».

Mais il n’en demeure pas moins que la présence du professionnel est nécessaire (que ce soit au moment de la conclusion du contrat ou immédiatement avant celle-ci), ce qui permet d’ailleurs de distinguer le contrat conclu hors établissement du contrat conclu à distance (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, nos 129 et 130). La protection du consommateur trouve donc une limite dans les hypothèses où le désir de contracter prend naissance hors la présence du professionnel. Cela peut s’expliquer par la considération selon laquelle le consommateur, lorsqu’il est seul, ne se trouve plus soumis à la pression du professionnel. Il est donc préférable, pour bénéficier des faveurs du code de la consommation, de s’engager quand le professionnel est à domicile !

Auteur d'origine: jdpellier
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Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans un long processus de discussion. Selon le rapporteur Geoffroy Didier : « Avec ce recours collectif à l’échelle européenne, c’est un changement d’ambition et un changement de dimension que nous proposons à l’ensemble des citoyens de l’Union européenne. »

Une réglementation longuement mûrie et très attendue

Une volonté affirmée de parvenir à un mécanisme européen harmonisé

La mise en place d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs afin de protéger les intérêts collectifs des consommateurs a été mentionnée pour la première fois en décembre 1984 (Mémorandum sur l’accès des consommateurs à la justice de la Commission européenne COM(84)692) avant que la Commission n’annonce en mai 1987 son intention de mettre à l’étude une directive-cadre sur ce sujet. En 2008, la Commission publiait un livre vert sur les recours collectifs pour les consommateurs avant d’organiser en 2011 une consultation publique (« Renforcer la cohérence de l’approche européenne en matière de recours collectifs »).

Dès sa résolution « Vers une approche européenne cohérente en matière de recours collectifs » du 2 février 2012 (PE, réso., 2 févr. 2012, 2011/2089[INI]), le Parlement européen plaidait en faveur d’un cadre « horizontal » comprenant un ensemble de principes communs garantissant un accès uniforme à la justice au sein de l’Union européenne par la voie du recours collectif et traitant des infractions aux droits des consommateurs, tout en tenant compte des traditions du droit et des ordres juridiques des différents États membres et en prévoyant des garanties afin d’éviter les demandes non fondées ainsi que les abus en matière de recours collectif. Le 11 juin 2013, la Commission publiait une communication (« Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs »), qu’elle accompagnait d’une recommandation (Comm. UE, recomm., 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union : JOUE n° L 201, 26 juill. 2013, p. 60), invitant les États membres à se doter de mécanismes nationaux de recours collectifs s’inspirant de plusieurs principes communs horizontaux (la qualité pour agir en représentation d’entités représentatives susceptibles d’engager des actions en représentation sur la base de conditions d’admission clairement définies, la recevabilité des recours collectifs, la diffusion effective d’informations auprès des demandeurs potentiels, le remboursement des frais de justice à la partie gagnante, le financement de l’action en justice, le traitement des litiges transnationaux) et de principes propres aux recours collectifs en cessation et en réparation. Le suivi de cette recommandation s’est avéré toutefois plutôt limité (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union).

Une nette accélération du processus législatif emportée par la nouvelle donne pour les consommateurs

Plus de trente ans après avoir appelé de ses vœux l’instauration d’un mécanisme européen harmonisé de recours collectifs, la Commission faisait le constat amer que des « pratiques abusives de grande ampleur qui ont récemment touché des consommateurs dans l’ensemble de l’Union européenne ont ébranlé la confiance des consommateurs dans le marché unique (Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l’Union) et son projet prenait alors un nouvel essor.

Le 11 avril 2018, elle lançait la « nouvelle donne pour les consommateurs » (Comm. UE, 11 avr. 2018, COM (2018) 183 final) et annonçait un « train de mesures législatives » dont la proposition de directive relative aux actions représentatives pour la protection des intérêts collectifs des consommateurs afin de faciliter les recours pour les consommateurs victimes de la même infraction dans une situation dite de préjudice de masse. La proposition législative ainsi publiée exigeait que l’ensemble des États membres se dotent d’un mécanisme d’action collective en indemnisation se rapprochant de celui de l’action de groupe, « à tout le moins dans le champ du droit européen de la consommation » (L. Usunier, Nouvelle donne européenne pour les consommateurs, RTD civ. 2018. 854 ). La récente publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) de la directive ouvre un délai de vingt jours à l’issue duquel la directive entrera en vigueur. Les États membres auront alors vingt-quatre mois pour la transposer dans leur droit national et six mois supplémentaires pour l’appliquer. Une fois entrée en vigueur, la nouvelle réglementation s’appliquera aux actions représentatives en cours et à venir.

La directive : un changement de paradigme au niveau européen ?

Les principales caractéristiques de l’action représentative issue de la directive

Le champ d’application de la directive est particulièrement vaste puisqu’il couvre les actions en cessation et en réparation à l’encontre des infractions aux droits des consommateurs dans des domaines variés visés dans son annexe 1, tels que le droit de la consommation, la protection des données, les services financiers, le transport aérien et ferroviaire, le tourisme, l’énergie, les télécommunications, l’environnement ou encore la santé (consid. 13, art. 2). La directive propose aux consommateurs un recours supplémentaire à l’encontre des professionnels en cas de violation du droit de l’Union européenne sans préjudice des droits qu’ils détiennent par ailleurs en application du droit européen. Il est précisé que l’exercice de ce nouveau mécanisme s’applique sans préjudice des règles de l’Union consacrées en droit international privé, notamment celles relatives à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’à la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles (consid. 21, art. 2).

Chaque État membre devra désigner à l’avance une ou plusieurs « entités qualifiées » – qui pourront en particulier être des organisations de consommateurs ou des organismes publics (consid. 24) et établir une liste à jour des entités qui sera mise à disposition du grand public (consid. 32, art. 5, § 1er). Les critères d’habilitation des entités diffèrent selon le caractère transfrontalier ou national de l’action envisagée (consid. 23, art. 3). Les entités devront satisfaire, en ce qui concerne les actions transfrontières, à des critères de désignation stricts qui seront les mêmes dans l’ensemble de l’Union européenne – tenant à leurs sources de financement, leur structure organisationnelle, de gestion et d’affiliation, leur objet statutaire, leur solvabilité et leurs activités (consid. 25, art. 4). Elles seront évaluées au moins tous les cinq ans et les États membres pourront, le cas échéant, révoquer leur désignation (consid. 29, art. 5, § 3). En ce qui concerne les actions nationales, les États membres sont libres d’établir les critères de désignation des entités conformément à leur droit national (consid. 26, art. 4, § 5). La possibilité de recourir à des entités ad hoc spécialement constituées aux fins d’une action spécifique est rendue possible pour les actions nationales (art. 4, § 6) mais est exclue pour les actions transfrontières (consid. 28). Cette distinction entre actions nationales et actions transfrontières pourrait donner lieu à un forum shopping en faveur d’actions nationales dans les États membres dont les critères de désignation seraient plus souples (sous réserve que les juridictions de ces États membres soient compétentes pour connaître de telles actions).

Le financement des actions en réparation fait l’objet de développements particuliers (art. 10). La directive entend ainsi réglementer le financement par des tiers (third-party funding) afin de garantir une meilleure transparence et l’absence de conflit d’intérêts (consid. 25 et 52). Les États membres devront faciliter l’accès des entités à la justice (aide juridictionnelle) et veiller à ce que les coûts de la procédure ne soient pas dissuasifs en limitant les frais applicables ou encore en prévoyant un financement public (art. 20).

La directive milite en faveur d’une publicité accrue quant aux actions intentées ou envisagées par les entités (informations concernant l’état d’avancement des actions engagées sur le site internet des entités, mise en place de bases de données électroniques nationales – art. 13 et 14, consid. 61 et 63). Afin d’intenter une action représentative, l’entité qualifiée devra fournir des « informations suffisantes sur les consommateurs concernés par l’action représentative » (description du groupe de consommateurs, questions de fait et de droit à traiter, lieu où le fait dommageable s’est produit, consid. 34 et 49) afin de permettre à la juridiction saisie de s’assurer de sa compétence et de déterminer la loi applicable (art. 7, § 2). Cette rédaction, pour le moins « large », pourrait conduire à des interprétations divergentes des juridictions saisies.

Ces nouveaux mécanismes procéduraux visent ainsi à permettre à une entité qualifiée d’obtenir à la fois la cessation d’une pratique illégale (par le biais de mesures préventives dites « provisoires », de mesures « définitives » et de mesures de publication mises en œuvre après « consultation préalable » du professionnel en infraction afin de lui permettre de mettre fin à la pratique illégale dans les deux mois qui suivent la demande de consultation) et, le cas échéant, de demander réparation contre des professionnels qui enfreignent les dispositions du droit de l’Union européenne (consid. 8). Les États membres seront libres de décider si l’action représentative sera intentée dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou les deux selon le domaine de droit concerné ou le secteur économique concerné (consid. 19).

La directive laisse aux États membres le choix entre un mécanisme de participation (opt in) ou d’un mécanisme de non-participation (opt out) pour les actions représentatives. L’opt in est exclu en ce qui concerne les actions en cessation (art. 8) et la directive n’autorise que des mécanismes opt out qui n’incluent que les consommateurs qui ont leur résidence habituelle dans l’État membre où se trouve la juridiction devant laquelle l’action représentative a été intentée (consid. 45, art. 9). Là encore, on peut craindre une application asymétrique au regard de la diversité des mécanismes nationaux existants dans les États membres.

La directive introduit le principe dit du « perdant payeur » (loser pays principle) en vertu duquel la partie perdante rembourse les frais de procédure nécessaires exposés par la partie gagnante à l’exception des frais qui ont été exposés par le consommateur en raison de son comportement intentionnel ou négligent (consid. 36 et 38, art. 12). Les juridictions saisies d’une action représentative pourront rejeter les affaires « manifestement non fondées » au stade le plus précoce possible de la procédure conformément au droit national (consid. 49, art. 7, § 7). Cette procédure n’est pas sans rappeler la procédure américaine de motion to dismiss (Federal Rules of Civil Procedure [FRCP], art. 12) permettant au défendeur de mettre fin à l’instance de façon anticipée en faisant valoir que l’action initiée à son encontre est manifestement mal fondée (M. Gizardin et L. Moirignot, 3 Questions : Vers une motion du dismiss à la française pour endiguer l’engorgement des tribunaux provoqués par la crise sanitaire, JCP E 2020. 475). La nouvelle réglementation introduit une procédure de discovery pour les actions représentatives en invitant les États membres à donner aux entités qualifiées la possibilité de demander la production d’éléments de preuves (sur injonction des juridictions saisies) en possession du défendeur à l’action ou d’un tiers (consid. 68, art. 18).

Enfin, la Commission devra évaluer l’opportunité de créer une fonction de médiateur européen pour les actions représentatives. Elle présentera un rapport à ce sujet au plus tard le 26 juin 2028 (consid. 73, art. 23).

Vers une intensification des actions de groupe dans l’Union européenne et en France ?

Le rapporteur Geoffroy Didier a déclaré : « Avec cette nouvelle directive, nous avons trouvé un équilibre entre une protection renforcée pour les consommateurs et la garantie pour les entreprises de la sécurité juridique dont elles ont besoin. »

Depuis son introduction en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon), l’action de groupe a été étendue progressivement à la santé (L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 184), la discrimination et les relations de travail, les dommages environnementaux et les données personnelles (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 60 s. ; L. n° 2018-493, 20 juin 2018, art. 25 ; L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 38).

Un rapport d’information, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, a été présenté à la commission des lois le 10 juin 2020 et publié le 11 juin 2020. La mission d’information y fait le constat d’un bilan décevant des class actions à la française (M.-J. Azar-Baud, En attendant un registre d’actions de groupe et autres actions collectives, JCP E 2018. 1637) alors qu’est observée une recrudescence des contentieux sériels, et que des solutions alternatives (médiation de groupe, mise en œuvre d’actions collectives conjointes) émergent (P. Métais et E. Valette, Class action à la française : une promesse séduisante, une application décevante, JCP 2018. 558 ; A. Biard, Sale temps pour l’action de groupe… La nécessaire recherche d’outils alternatifs pour résoudre les litiges de masse, RLDC n° 157, mars 2018, p. 21). Sont ainsi préconisés la création d’un cadre commun pour toutes les actions de groupe, un élargissement des conditions de la qualité à agir (extension de la qualité à agir aux associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte, aux associations composées d’au moins cinquante personnes physiques, aux associations composées d’au moins dix entreprises constituées sous la forme de personnes morales ayant au moins deux ans d’existence et aux associations composées d’au moins cinq collectivités territoriales), une meilleure indemnisation des victimes, un meilleur financement des actions de groupe (une refonte des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, la création d’une sanction civile) et la mise en œuvre de réformes procédurales pour réduire les délais de jugement en matière d’action de groupe (suppression de l’obligation de mise en demeure préalable pour les actions de groupe concernées, une compétence exclusive de certaines juridictions, une communication obligatoire au ministère public pour lui permettre d’intervenir comme partie jointe). Ces principaux axes de réforme sont repris dans une proposition de loi « pour un nouveau régime de l’action de groupe », qui a été déposée le 15 septembre 2020.

Reste à savoir comment la législation française en matière d’action de groupe prendra en considération les orientations de la directive. Alors que la mission d’information regrettait que « l’action de groupe [n’ait] pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs », la directive pourrait lui donner un nouvel élan. La réforme du mécanisme de l’article 700 du code de procédure civile proposée par les parlementaires français afin que les juges prennent en considération les sommes réellement engagées par la partie gagnante, qu’il s’agisse notamment des honoraires d’avocat ou des coûts internes afférents à la procédure s’inscrit dans la logique du « perdant payeur » prônée par la directive. Alors que la mission d’information proposait une réflexion sur l’introduction en France pour la recherche de la preuve dans les actions de groupe de la procédure de discovery présente dans des pays de common law afin de permettre la production de certaines pièces dont la liste serait strictement limitée (comme l’identité des consommateurs lésés), par une décision motivée du juge, ce mécanisme est introduit par la directive. En revanche, la mission d’information propose la condamnation du professionnel au paiement d’une amende civile affectée au Trésor public pour renforcer les sanctions à l’égard des entreprises fautives alors que la directive interdit le recours à des dommages et intérêts à caractère punitif.

Incontestablement, la transposition de la directive va donner une impulsion aux actions de groupe sur le territoire des États membres de l’Union européenne. Certains regretteront que l’initiative de l’action de groupe soit réservée à une « entité représentative » en observant qu’il s’agit précisément d’un frein au développement des actions de groupe qui a été constaté, notamment en France. Mais chaque État membre conserve la possibilité d’élargir les conditions prévues par la directive, sur ce point comme sur d’autres, d’ailleurs. La directive a seulement pour vocation de consacrer un cadre minimal et harmonisé pour les États membres, étant rappelé que les règles de l’Union européenne resteront applicables, notamment pour déterminer la compétence du juge et la loi applicable au litige.

Auteur d'origine: Dargent
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L’arrêt de la Cour de justice du 24 novembre 2020 retiendra à l’évidence l’attention des juristes mais également des acteurs économiques. Le ministère français de l’Économie en a déjà assuré une certaine publicité, en en publiant un commentaire dans la Lettre de la Direction des affaires juridiques du 4 décembre 2020.

Dans cette affaire, une société allemande qui exploite un hôtel a conclu avec la société Booking.com, qui a son siège aux Pays-Bas, un contrat type lui permettant d’apparaître sur son site. Ce contrat prévoit l’acceptation de conditions générales. Par la suite, Booking.com a modifié ces conditions générales à différentes reprises.

La société allemande a contesté l’inclusion de ces conditions générales dans le contrat, en faisant valoir qu’en raison de la position dominante de Booking.com sur le marché des services d’intermédiaires et des portails de réservation d’hébergement, elle n’avait eu d’autres choix que de conclure le contrat. Elle a alors saisi un tribunal allemand d’une action visant à ce qu’il soit interdit à Booking.com de conditionner le positionnement de l’hôtel à l’octroi d’une commission de plus de 15 %.

Booking.com a toutefois contesté la compétence de ce tribunal allemand, en s’appuyant sur la clause attributive de juridiction prévue par le contrat et donnant compétence aux tribunaux néerlandais.

C’est donc uniquement sous l’angle de la détermination du juge compétent au regard des règles de droit international privé que cette affaire se présente, sans que soit directement envisagée la situation de la plate-forme au regard du régime de l’abus de position dominante (sur cette problématique, v. par ex. N. Lenoir et A. Jacquin, Référencement en ligne et abus de position dominante : quelles problématiques pour les plates-formes numériques ?, AJCA 2016. 223 ).

La difficulté concerne ainsi la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Plus précisément, il s’agit d’établir la qualification – contractuelle ou délictuelle – du litige, en vue de déterminer s’il y a lieu d’appliquer l’article 7, point 1, de ce règlement ou l’article 7, point 2. Rappelons que l’article 7, point 1, dispose qu’en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, alors que l’article 7, point 2, énonce qu’en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Il s’agit, comme le relève l’arrêt (§ 25), de délimiter les champs d’application respectifs de ces deux règles, alors que le litige repose sur une violation alléguée du droit de la concurrence et que les parties à la procédure sont liées par un contrat.

L’enjeu de la qualification du litige était important en l’espèce puisque le juge allemand saisi pouvait retenir sa compétence, sur le fondement de l’article 7, point 2, si l’action était de nature délictuelle mais devait se dire incompétent, en application de l’article 7, point 1, en cas de qualification contractuelle.

Par son arrêt du 24 novembre 2020, la Cour de justice se prononce en faveur d’une application de l’article 7, point 2. Elle retient que la question de droit au cœur de l’affaire est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante. Or, pour déterminer le caractère licite ou illicite des pratiques reprochées à Booking.com au regard du droit de la concurrence, il n’est pas indispensable d’interpréter le contrat liant les parties (arrêt, pt 35), ce qui conduit à retenir que l’action litigieuse relève de la matière délictuelle au sens de l’article 7, point 2, du règlement (arrêt, pt 36).

La Cour précise que cette interprétation est conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice poursuivis par ce règlement. Le juge compétent est en effet alors celui du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel allégué. Or il est le plus apte à statuer sur le bien-fondé de l’action, et cela notamment en termes de collecte et d’évaluation des éléments de preuve pertinents à cet égard (arrêt, pt 37).

Il n’est pas douteux que la solution qui est ainsi posée suscitera dans les différents États de l’Union européenne le développement d’actions en justice, puisqu’elle permet aux sociétés hôtelières de saisir un juge de l’État où elles exploitent leur établissement, ce qui constitue pour elles un avantage important et pour Booking.com un inconvénient majeur. Peut-être cette solution conduirait-elle d’ailleurs la société Booking.com à réexaminer ses conditions générales et le taux de sa commission, pour éviter une multiplication des contentieux.

Auteur d'origine: fmelin
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La prescription biennale est souvent un enjeu majeur dans le contentieux consumériste en général et en matière de crédit en particulier. On sait que cette dernière matière repose sur l’opposition entre le crédit à la consommation, soumis à une forclusion biennale en vertu de l’article R. 312-35 du code de la consommation, et le crédit immobilier, obéissant quant à lui à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du même code (v. en ce sens Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 11-26.508, Dalloz actualité, 11 déc. 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 2885, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJDI 2013. 215 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD com. 2013. 126, obs. D. Legeais  ; au motif que « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels »). Toutefois, si la question du point de départ de la forclusion est clairement réglée par le code de la consommation, on ne peut pas en dire autant du point de départ de la prescription, dans la mesure où l’article L. 218-2 précité est muet à cet égard. Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré que « le point de départ du délai de prescription biennale […] se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé » (Civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 13-15.511, Dalloz actualité, 4 sept. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 1541 ; ibid. 2015. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2014. 675, obs. D. Legeais ). Très favorable aux emprunteurs mais contraire au droit commun de la prescription (en part. C. civ., art. 2233), cette jurisprudence fut par la suite abandonnée par quatre arrêts remarqués en date du 11 février 2016 (Civ. 1re, 11 févr. 2016, nos 14-22.938, 14-28.383, 14-27.143, 14-29.539, Dalloz actualité, 17 févr. 2016, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2016. 870 , note M. Lagelée-Heymann ; ibid. 2305, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 445 , obs. G. Valdelièvre ; RDI 2016. 269, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD civ. 2016. 364, obs. H. Barbier ), ayant considéré qu’« à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité » (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 207 ; v. égal. A. Gouëzel, Revirement sur le point de départ de la prescription en matière de crédit immobilier, JCP 2016. 405).

On comprend donc que les emprunteurs tentent de se placer « sous l’empire » de l’ancienne jurisprudence, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 novembre 2020. En l’espèce, suivant acte authentique du 6 juin 2007, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux prêts destinés à financer l’acquisition d’un bien immobilier. À la suite du placement de M. B… en longue maladie, d’échéances demeurées impayées et d’un refus de garantie opposé par l’assureur couvrant les risques décès, invalidité, incapacité, le mandataire de la banque s’est prévalu de la déchéance du terme par acte du 10 juin 2013. Puis, le 28 août de la même année, la banque a fait pratiquer une saisie-attribution contestée devant le juge de l’exécution par les emprunteurs. Par actes des 27 et 28 août 2013, ces derniers ont assigné la banque et le mandataire aux fins de voir constater la forclusion de l’action et ont sollicité l’allocation de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde. Celle-ci a sollicité reconventionnellement le remboursement du solde des prêts.

La cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 21 mars 2019, rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, à l’exception des échéances impayées du 1er décembre 2010 au 1er août 2011 afférentes à un des deux prêts et condamne les emprunteurs à payer diverses sommes à la banque. Ceux-ci se pourvurent en cassation, en avançant divers arguments tenant à la déchéance du terme, au devoir de mise en garde et, surtout, au principe de sécurité juridique ainsi qu’au droit à un procès équitable exigeant, à leurs yeux, qu’ils puissent se prévaloir de la jurisprudence de la Cour de cassation antérieure à son revirement du 11 février 2016, en ce qu’elle décidait, sur le fondement de l’ancien article L. 137-2 du code de la consommation (devenu art. L. 218-2 à la faveur de l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation), que la prescription de l’action en paiement du capital restant dû courait à compter du premier incident de paiement non régularisé. Mais la Cour de cassation ne fut pas convaincue : « la cour d’appel a exactement énoncé que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée. Cette évolution relève de l’office du juge dans l’application du droit » (pt 5).

De prime abord, la solution s’inscrit dans le droit fil d’une doctrine prétorienne bien établie depuis le début des années 2000 (v. par ex. Civ. 1re, 9 oct. 2001, n° 00-14.564, D. 2001. 3470, et les obs. , rapp. P. Sargos , note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages  : « l’interprétation jurisprudentielle d’une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l’époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée » ; Civ. 1re, 21 mars 2000, n° 98-11.982, D. 2000. 593 , note C. Atias ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 666, obs. N. Molfessis ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc  : « la sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit ») et reposant sur l’idée selon laquelle la...

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Auteur d'origine: jdpellier

L’auteur de la proposition de loi, le sénateur LR Michel Vaspart, est parti du constat que malgré plusieurs réformes depuis la fin des années 1990, les performances de nos ports maritimes demeurent décevantes pour des raisons diverses : coûts de passage portuaire trop élevés, sous-investissement chronique…)....

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Auteur d'origine: pastor

Transposition de directives. La loi du 3 décembre 2020 habilite le gouvernement à transposer en droit interne par voie d’ordonnance plusieurs directives européennes dans le domaine du droit financier :

1°) au plus tard le 8 juillet 2021, la directive (UE) 2019/2162 du 27 novembre 2019 concernant l’émission d’obligations garanties et la surveillance publique des obligations garanties, dites « covered bonds » (art. 14). Cette directive harmonise au sein de l’Union européenne les grands principes applicables à l’émission et à la surveillance de ces obligations. Les obligations garanties sont des titres de créance émis par des établissements de crédit et garantis par des crédits hypothécaires et des créances sur le secteur public. Elles constituent un moyen sécurisé de financement des banques, tout en favorisant l’activité de prêts à l’économie et sont particulièrement développées en France. Comme le relèvent les travaux préparatoires, des modifications marginales du droit national sont requises, qui pourront améliorer les conditions de financement de l’économie (Doc. AN n° 3521, 4 nov. 2020, p. 40). La...

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Auteur d'origine: Delpech
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Selon les termes du jugement du 7 octobre 2020 du tribunal de commerce de Paris, Oopet a confié à la SARL Dual le développement d’applications mobiles de gestion de santé et d’offres de rencontre relatives aux animaux de compagnie, accompagnées d’un site internet, selon plusieurs devis. Après trois mois d’exécution des obligations du prestataire et à la suite de ses fortes insatisfactions, le client a mis un terme par écrit à une partie des services restant à réaliser, puis confie leur réalisation à un tiers prestataire. Le prestataire initial a communiqué à ce tiers prestataire les codes sources des travaux initiaux nécessaires à la poursuite des prestations uniquement en contrepartie du solde du prix des prestations litigieuses. Ce tiers prestataire a ensuite constaté de nombreux bugs dans un audit non contradictoire et a conclu à « la nécessité de recommencer le développement des applications et du site ». Le client, confronté au refus de remboursement des sommes payées, a assigné le prestataire initial pour avoir manqué à son devoir de conseil, d’information et de mise en garde, avoir manqué à son obligation de délivrance conforme, avoir facturé des prestations non exécutées, ne pas avoir respecté le calendrier de livraison contractuel, avoir manqué à son obligation d’exécuter le contrat de bonne.

Aux termes du jugement du 16 novembre 2020 du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, My Tailor is Free avait accepté de payer l’essentiel des sommes au titre de prestations relatives au développement de son site de e-commerce, selon un calendrier décorrélé des recettes effectives des livrables à intervenir. Le projet a dérapé et a cédé la place au combat judiciaire : le prestataire réclame à son client le paiement du solde du prix et le client réclame le remboursement des paiements déjà intervenus.

L’analyse des jugements a pour intérêt de discerner la logique des juges du fond dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, lequel, pleinement respecté par la Cour de cassation sous la seule réserve de la dénaturation des contrats, est donc essentiel à appréhender.

En l’espèce, les juges du fond ont interprété tout à la fois les contrats, puis les faits intervenus dans le contexte conflictuel d’un dérapage de projet pour juger de la bonne exécution de l’obligation de délivrance conforme validée par le processus de recette. L’appréciation de l’obligation de conseil du prestataire dans un projet Agile évoquée dans le jugement du 7 octobre mérite aussi attention. Toutefois, dans les deux jugements, nous regrettons des rédactions trop rapides qui ne permettent pas de comprendre les interprétations conduisant à imputer aux clients l’échec du projet.

Clarification de l’objet et des modalités du prononcé recette des livrables par le client

Le premier jugement, au visa de l’article 1134 du code civil dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations, illustre le paradoxe d’une recette intervenue formellement et portant sur des prestations mal définies dans un projet mené selon la méthode Agile. Le deuxième jugement, tranché sous l’empire des nouvelles dispositions du droit des obligations, a donné raison au prestataire en retenant l’existence d’une recette tacite des livrables dans un projet construit au forfait selon une méthode classique.

Objet des livrables et de la recette

Définir les contours des obligations du prestataire, question classique de l’exécution des contrats du numérique et de leur contentieux, impose très souvent d’interpréter l’intention des parties.

Dans le premier jugement, l’accord lui-même et les échanges intervenus au cours de l’exécution des prestations ne semblaient ni clairs ni précis et méritaient à ce titre une recherche de l’intention des parties comme l’impose la Cour de cassation aux juges du fond aux visas des anciens articles 1134 et 1156 (Com. 28 nov. 2018, n° 15-17.578, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 18-10.796, Dalloz jurisprudence). Dans ce travail d’interprétation, les juges parisiens ont constaté que la méthode Agile dans ce projet « conduit à de nombreux allers-retours entre les parties […] » et précisent encore « de multiples échanges entre les parties […] montrent la progression constante de la construction des fonctionnalités opérationnelles. […] Considérant que les erreurs relevées, les réponses quelques fois tardives, la difficulté de s’accorder sur des prestations qui apparaissent entre les cocontractants ne dérogent pas à la norme de ce type de construction en l’absence de cahier des charges et ne présentent pas de caractère anormal ». Cet extrait est symptomatique de réels dysfonctionnements de la gestion de projet en l’occurrence et il est pour le moins surprenant que le juge spécialiste du droit conclue ainsi à la normalité d’une dérive pathologique d’une telle gestion. Quoi qu’il en soit, il en résulte des contours imprécis de l’objet même des prestations à livrer, lesquelles ont pu être jugées conformes, quoique nous ne sachions pas conformes à quoi : premier paradoxe.

En outre, pour les juges parisiens, les contours imprécis des livrables sont dus à une absence de cahier des charges imputable au client. Pourtant, cette absence est consubstantielle à la méthode agile : soulignons un second paradoxe. À cet égard, la gestion de projet est un métier en soi et l’analyse d’un expert de la gestion de projet aurait pu utilement éclairer le débat sur les spécificités de la méthode Agile afin d’identifier les manquements en conséquence et imputer les responsabilités de l’échec du projet de façon plus compréhensible.

Modalités du prononcé de recette : recette formelle et recette tacite

Dans les deux jugements, le client contestait avoir accepté les livrables et réclamait le remboursement des paiements. Or, précisément, les juges ont perçu le paiement du prix comme un premier critère pour valider la délivrance conforme des prestations.

Selon le jugement du 7 octobre, le tribunal a considéré le procès-verbal de recette signé sans réserve comme validant les prestations réalisées, sans pourtant percevoir l’absence de tests comme un indice d’un défaut de recette ; il juge tout au contraire cette absence de tests justifiée en raison du silence de stipulations contractuelles sur ce point, sans en déduire aucune autre conséquence. Cette recette portait pourtant sur des livrables insuffisamment déterminés et apparaît donc avant tout comme une recette formelle et donc non symptomatique de la réelle volonté du client.

Selon le jugement du 16 novembre 2020, les juges d’Aix-en-Provence ont interprété les échanges comme constituant une recette tacite, notamment sur la base d’un constat d’huissier établissant la simple livraison des fichiers objets des contrats et en l’absence de preuve des protestations du client sur les défauts de conformité.

Dans ces deux cas, conclure à la bonne exécution de l’obligation de délivrance conforme paraît assez singulier par rapport au courant jurisprudentiel qui cherche à vérifier le caractère effectif de la recette avant de lui conférer ses effets juridiques. Selon plusieurs arrêts de la Cour de cassation concernant souvent d’ailleurs la fourniture de sites internet, comme dans le cas des deux jugements commentés, « l’obligation de délivrance de produits complexes n’est pleinement exécutée qu’une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue » (v. not. Com. 26 nov. 2013, Sté Safe & Web Company c. Sté Locam, n° 12-25.191, D. 2014. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ). Dans cet arrêt, les magistrats ont tenu compte des protestations du client portant sur les absences de conformité. Dans les espèces commentées, la seule lecture des jugements ne permet pas d’avoir une parfaite compréhension des échanges intervenus entre les parties après la recette et d’identifier l’ampleur des protestations du client ; toujours est-il que les juges parisiens et aixois semblent ne pas avoir interprété ces échanges de manière à vérifier le réel consentement des clients sur la conformité des livrables. Leur raisonnement paraît inverse : les juges ont jugé que les prestataires avaient exécuté leurs obligations et en ont déduit, de ce seul fait, le prononcé des recettes. Il aurait été souhaitable de lire, sous la plume des juges, plus de détails de leurs analyses des échanges pour mieux comprendre leurs cheminements et en tirer enseignements. Nous gagnerions tous à voir l’office des juges du fond exercé de façon plus didactique de manière à réduire l’aléa judiciaire et donner plus de prédictivité à leurs analyses.

La moisson est néanmoins un enseignement lié au paiement du prix : pour éviter de voir les paiements analysés par les juges comme valant accord sur la conformité des prestations, les clients devraient prendre conseil dès les premières insatisfactions pour faire usage des articles 1219 et suivants du code civil. Notamment, le maniement de l’exceptio non adimpleti contractus requiert souvent moins de prudence lorsqu’est en jeu une obligation de payer à la charge du client, sous réserve d’une solide argumentation, qu’une obligation de faire à la charge du prestataire.

Une obligation de conseil réduite à la portion congrue dans le projet mené en méthode Agile

En lien avec l’obligation d’interpréter les accords dépourvus de clarté, il aurait été opportun de voir clarifier les contours de l’obligation de conseil du prestataire dans le projet mené en méthode Agile, objet du jugement du 7 octobre. Les juges parisiens n’ont pas même répondu à l’argument relatif au manquement à l’obligation de conseil invoqué par le demandeur, pierre pourtant angulaire de l’architecture des contrats d’entreprise technique. Faut-il déduire de ce silence que le client ne bénéficie d’une obligation de conseil ni sur les risques associés à l’usage de la méthode Agile versus les éventuels avantages de la rédaction d’un cahier des charges ni sur la nécessité d’opérer des tests pour un prononcé de recette ?

Une jurisprudence nourrie depuis plus de vingt-cinq ans sur le périmètre de l’obligation de conseil du prestataire et son corollaire tenant à l’obligation de collaboration du client fait varier le curseur de l’intensité de ces obligations en fonction de la spécificité et technicité des prestations, et selon la compétence du client. Récemment, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pourtant retenu un considérable renforcement à la charge du prestataire : « l’obligation de conseil inhérent à tout contrat de fourniture informatique impose aux vendeurs de se renseigner sur les besoins de l’acheteur et d’informer ce dernier de l’aptitude du produit proposé à l’utilisation qui en est prévu ». Selon cet arrêt, s’il est tout à fait classique de retenir que le client doit exprimer ses besoins, pour autant le prestataire a aussi l’obligation d’alerter son client sans compétences, en cas d’expression insuffisante de besoins (Com. 20 juin 2018, n° 17-14.742, D. 2018. 2270, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ). Au regard d’un curseur difficile à placer sur la teneur de l’obligation de conseil à la charge du prestataire d’une intensité variable en fonction des circonstances factuelles et des juges, il est essentiel lors de la rédaction puis de l’exécution des accords de préciser les contours de cette obligation, en fonction de la compétence des parties et de la complexité de la solution.

Les nouveaux remèdes aux dérapages de projet prévus aux articles 1217 et suivants du code civil, innovation de la réforme de 2016, tels que l’exécution forcée en nature ou la réduction du prix pourront se révéler des recours précieux pour régler de tels dérapages de projet, sous réserve que les juges guident mieux les justiciables grâce à une meilleure lisibilité de leurs décisions. Cet effort contribuera sans aucun doute à faire un succès de la réforme du droit des obligations conférant au juge un pouvoir accru pour apporter des remèdes aux inexécutions contractuelles.

Dans le même temps, pour se soustraire aux encore trop importants aléas judiciaires, la sécurité juridique requiert un travail méticuleux de rédaction contractuelle et la formation des équipes projets aux enjeux juridiques, outils puissants pour cantonner les risques.

Auteur d'origine: nmaximin

Contexte

C’est peu dire que cette ordonnance du 2 décembre 2002 était attendue. Celle-ci proroge – tout en lui apportant certaines modifications – l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19. Pour mémoire, l’ordonnance du 25 mars dernier, prise sur habilitation de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et publiée au tout début de l’état d’urgence sanitaire et du premier confinement, avait adapté les règles de convocation, d’information, de réunion et de délibération des assemblées et des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction des groupements de droit privé afin de leur permettre de continuer d’exercer leurs missions malgré les mesures de confinement. Cette ordonnance a, en particulier, étendu et assoupli exceptionnellement le recours à la visioconférence et aux moyens de télécommunication pour la tenue des assemblées générales, y compris pour les groupements pour lesquels cette modalité n’est pas déjà prévue par la loi (cas de la société en nom collectif, par exemple ; art. 5).

Le problème est que l’ordonnance du 25 mars 2020 est applicable aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance et de direction tenues à compter du 12 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020 (art. 11). Certes, un décret avait effectivement été publié au cœur de l’été qui avait prorogé l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 jusqu’au 30 novembre 2020 (décr. n° 2020-925, 29 juill. 2020, JO 30 juill. ; en réalité, ce décret n’a pas prolongé l’application de tous les délais exceptionnels prévus par l’ordonnance du 25 mars 2020 ; en particulier, s’agissant de l’approbation des comptes clos au 31 décembre 2019, la prorogation applicable jusqu’au 30 septembre dernier n’a pas été prorogée). Mais il n’était pas possible de prolonger une nouvelle fois l’application de ce dispositif sans faire l’économie d’un véhicule de valeur législative, alors même qu’une nouvelle prorogation a été rendue indispensable compte tenu de la deuxième vague de l’épidémie (en espérant que ce soit la dernière !) et son corollaire, le prolongement de l’état d’urgence sanitaire décidé par la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (L. n° 2020-1379, 14 nov. 2020, JO 15 nov.) – jusqu’au 16 février 2021 inclus – et l’ouverture d’un second confinement. D’où l’ordonnance du 2 décembre 2020, prise sur habilitation de l’article 10 de la loi précitée, d’entrée en vigueur immédiate, soit le 3 décembre 2020, c’est-à-dire le jour même de sa publication au Journal officiel (art. 11).

Cette ordonnance proroge l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 jusqu’au 1er avril 2021, c’est-à-dire jusqu’au terme de la période transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire fixé par la loi du 14 novembre 2020. Mais, afin de pouvoir adapter la durée du dispositif à l’évolution de la situation sanitaire, l’ordonnance prévoit en outre la possibilité de proroger à nouveau l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 au-delà du 1er avril 2021, par décret en Conseil d’État, et au plus tard jusqu’au 31 juillet 2021 (art. 7). Cette ordonnance devra encore être complétée par un décret, qui viendra modifier le décret n° 2020-418 du 10 avril 2020 modifié qui avait été pris en application de l’ordonnance du 25 mars 2020.

L’ordonnance du 2 décembre 2020 ne procède toutefois pas à une simple prorogation de l’ordonnance du 25 mars 2020 ; elle lui apporte, en effet, plusieurs adaptations. Pour rappel, s’agissant toutefois de son champ d’application ratione personae, l’ordonnance du 25 mars couvre l’ensemble des personnes morales et des entités dépourvues de personnalité de droit privé. Au sein de ces groupements sont couverts l’ensemble des assemblées – telles que, par exemple, les assemblées générales des actionnaires, associés, membres, sociétaires ou délégués, les assemblées spéciales, les assemblées des masses – et l’ensemble des organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction – tels que, par exemple, les conseils d’administration, conseils de surveillance et directoires. Comme le précise le rapport au président de la République qui accompagne la publication de l’ordonnance du 2 décembre, sauf indication contraire, les adaptations apportées à l’ordonnance du 25 mars 2020 par la présente ordonnance ont le même champ d’application.

Convocation (art. 1er)

L’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit que, dans les sociétés cotées, aucune nullité de l’assemblée générale n’est encourue lorsqu’une convocation devant être réalisée par voie postale n’a pas pu être réalisée par cette voie en raison de circonstances extérieures à la société. Ce texte a ainsi validé la convocation par courrier électronique. Cette disposition avait été prise au regard du nombre significatif de convocations devant être réalisées par voie postale dans les sociétés cotées. D’autres groupements de droit privé devant également procéder à un nombre significatif de convocations par voie postale et étant à ce titre confrontés aux mêmes difficultés que les sociétés cotées. D’où le choix fait par l’ordonnance du 2 décembre 2020 d’étendre cette mesure à l’ensemble des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé.

Tenue de l’assemblée (art. 2)

Pour rappel, l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 a autorisé, de façon exceptionnelle et temporaire, la tenue des assemblées « à huis clos », c’est-à-dire sans que leurs membres – et les autres personnes ayant le droit d’y assister, telles que les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel – y participent, que ce soit physiquement ou par voie de conférence téléphonique ou audiovisuelle.

D’une part, l’ordonnance du 2 décembre 2020 procède au « resserrement » des conditions pour l’organisation d’une assemblée à huis clos, en limitant cette possibilité aux cas dans lesquels les mesures restrictives en vigueur à la date de la convocation de l’assemblée ou à la date de sa réunion font effectivement et concrètement obstacle à la présence physique de ses membres à cette dernière. Ainsi, elle substitue à la condition figurant dans l’ordonnance du 25 mars 2020 initiale, qui faisait l’objet d’une appréciation in abstracto portant uniquement sur l’existence d’une mesure restrictive affectant le lieu où l’assemblée était convoquée, une condition qui devra faire l’objet d’une appréciation in concreto. Le rapport au président de la République justifie cette modification : « [cette] nouvelle condition permettra de mieux tenir compte de la situation sanitaire, des mesures restrictives prises pour y répondre et de l’impact de ces dernières sur chaque groupement, qui dépend de caractéristiques propres à chacun d’eux (en particulier, le nombre de membres habituellement présents à l’assemblée et la capacité à accueillir ces membres dans le respect des règles sanitaires) ». En outre, l’ordonnance du 2 décembre 2020 précise que les mesures restrictives susceptibles d’avoir une incidence sur l’organisation de l’assemblée et de conduire à ce qu’elle soit tenue à huis clos sont non seulement les mesures qui interdisent ou limitent les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires, mais également celles qui interdisent ou limitent les déplacements pour de semblables motifs. Relevons qu’il était d’ores et déjà possible de considérer, sous l’empire de l’ordonnance du 25 mars 2020 initiale, qu’une mesure interdisant ou limitant les déplacements pour des motifs sanitaires, en ce qu’elle fait obstacle à la présence physique des membres à la séance, constituait une mesure limitant les rassemblements collectifs permettant à ce titre d’organiser l’assemblée « à huis clos ».

D’autre part, l’ordonnance du 2 décembre 2020 permet que la délégation donnée par l’organe compétent pour convoquer l’assemblée en vue de décider si celle-ci sera tenue « à huis clos » soit donnée à toute personne, et non plus seulement au représentant légal du groupement. La délégation, qui était encadrée par le décret n° 2020-418 du 10 avril 2020, le sera à nouveau par le décret qui sera pris prochainement et que l’organe compétent pour convoquer l’assemblée demeure responsable de la décision prise par la personne qu’il délègue.

Relevons que cet article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 avait posé une grosse difficulté pour les associations. En effet, si ce texte permet à l’organe compétent de décider, quelles que soient les dispositions statutaires, la tenue à huis clos et la participation des membres par des modalités de mise en relation à distance telles que la visioconférence ou l’audioconférence, elle ne permet pas pour autant de mettre en œuvre un vote à distance ni un vote électronique des membres si ces modalités ne sont pas déjà prévues dans les statuts. En effet, autoriser la tenue de l’assemblée à huis clos tout en obligeant à voter en « présentiel », cela n’a guère de sens. L’ordonnance du 2 décembre 2020 résout opportunément cette difficulté (art. 5 et 5 ; v. ci-après).

Sociétés cotées (art. 3)

L’ordonnance du 2 décembre 2020 crée un nouvel article 5-1 dans l’ordonnance du 25 mars 2020 qui renforce les droits des actionnaires des sociétés (autres que les sociétés d’investissement à capital variable, dites SICAV) cotées dans le cas où l’assemblée générale est organisée à huis clos. D’une part, elle prévoit que l’assemblée générale doit être retransmise en direct, à moins que des raisons techniques rendent impossible ou perturbent gravement cette retransmission. En outre, la société devra assurer la rediffusion de l’assemblée en différé. D’autre part, l’ordonnance renforce le régime des questions écrites, en prévoyant que l’ensemble des questions écrites posées par les actionnaires et des réponses qui y sont apportées par la société doivent être publiées sur le site Internet de la société, dans la rubrique dédiée à cet effet.

Consultation écrite (art. 4)

Pour rappel, l’ordonnance du 25 mars 2020 (art. 6) avait facilité le recours à la consultation écrite des membres des assemblées pour lesquelles ce mode alternatif de prise de décision était déjà prévu par la loi, en le rendant possible sans qu’une clause des statuts ou du contrat d’émission soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer. L’ordonnance du 2 décembre 2020 maintient cet assouplissement et étend ce mode alternatif de prise de décision à l’ensemble des groupements de droit privé pour lesquels il n’est pas déjà prévu par la loi, à l’exception des sociétés cotées. Cette extension concerne au premier chef les associations. La consultation écrite des membres de l’assemblée intervient soit dans les conditions prévues par les dispositions législatives ou réglementaires, les statuts ou le contrat d’émission, lorsque ce mode de prise de décision est déjà prévu par ces derniers, soit dans les conditions qui seront prochainement définies par voie de décret en Conseil d’État, lorsque le régime légal ou réglementaire de l’assemblée, les statuts ou le contrat d’émission n’encadrent pas déjà ce mode de prise de décision.

Vote par correspondance (art. 5)

L’ordonnance du 2 décembre 2020 étend et assouplit le vote par correspondance soit pour les groupements pour lesquels ce mode de vote n’est pas déjà prévu par la loi (c’est-à-dire en particulier les associations), en l’autorisant exceptionnellement, soit pour les groupements pour lesquels ce mode de vote est déjà prévu par la loi sous réserve de certaines conditions, en neutralisant exceptionnellement ces conditions (en particulier la condition tenant à l’existence d’une clause à cet effet dans les statuts ou le contrat d’émission) et toute autre clause contraire des statuts ou du contrat d’émission (ord. 25 mars 2020, art. 6-1 nouv. rééd.).

La décision de permettre le vote par correspondance incombe à l’organe compétent pour convoquer l’assemblée ou, le cas échéant, à son délégataire, à moins que le vote par correspondance soit de droit pour les membres de l’assemblée. Cette mesure concerne l’ensemble des décisions relevant de la compétence des assemblées des groupements, y compris, le cas échéant, celles relatives aux comptes. Comme le précise le rapport au président de la République, cette extension vise à faciliter la prise des décisions relevant de la compétence de l’assemblée, dans un contexte sanitaire dégradé et alors que les mesures restrictives prises en réponse à la crise sanitaire peuvent rendre la présence à l’assemblée difficile. Le vote par correspondance intervient soit dans les conditions prévues par les dispositions législatives ou réglementaires, les statuts ou le contrat d’émission, lorsque ce mode de vote est déjà prévu par ces derniers, soit dans les conditions qui seront prochainement définies par voie de décret en Conseil d’État, lorsque le régime légal ou réglementaire de l’assemblée, les statuts ou le contrat d’émission n’encadrent pas déjà ce mode de vote.

Information des actionnaires (art. 6)

L’ordonnance du 2 décembre 2020 précise qu’en cas de basculement d’une assemblée générale convoquée en présentiel vers une assemblée générale tenue à huis clos dans une société cotée, les actionnaires doivent en être informés, dans les conditions prévues par l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020, soit trois jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée générale, à l’instar de ce qui était déjà prévu par l’ordonnance du 25 mars 2020 initiale pour les groupements non cotés. Enfin, afin de faciliter le basculement d’une assemblée générale convoquée à huis clos vers une assemblée générale tenue en présentiel, la nouvelle ordonnance étend les modalités simplifiées d’information des membres de l’assemblée prévues par l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020 à cette hypothèse.

Auteur d'origine: Delpech
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Deux entités espagnoles qui gèrent les droits de propriété intellectuelle d’artistes interprètes ou exécutants et de producteurs de phonogrammes (l’équivalent en France de la Société pour la Perception de la Rémunération Équitable dite « SPRE ») intentent une action devant le tribunal de commerce madrilène à l’encontre d’une entreprise détenant plusieurs chaînes de télévision, ceci afin que leur soit versée une rémunération équitable et unique en raison de la communication au public d’œuvres audiovisuelles dans lesquelles sont incorporés des phonogrammes ou une reproduction de ceux-ci.

Le tribunal de première instance rejette cette demande, estimant que l’incorporation du phonogramme dans une œuvre audiovisuelle fait naître une œuvre dérivée, de sorte que le droit à rémunération expire au moment de cette incorporation, laquelle a forcément été autorisée par des arrangements contractuels antérieurs.

Non satisfaites, les demanderesses interjettent appel de cette décision devant la Cour provinciale madrilène qui leur donne gain de cause, jugeant notamment que la simple réplique des sons fixés par le phonogramme dans l’œuvre audiovisuelle, communiquée au public, est considérée comme une reproduction du phonogramme ouvrant droit à rémunération.

Un pourvoi en cassation est alors formé par l’entreprise de télévision et la Cour suprême espagnole décide de surseoir à statuer en posant deux questions préjudicielles que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) reformule en une seule interrogation, suivant les réquisitions de l’avocat général, en ces termes :

La question est de savoir « si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100/CEE et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE doivent être interprétés en ce sens que la rémunération équitable et unique, visée à ces dispositions, doit être versée par l’utilisateur lorsqu’il effectue une communication au public d’un enregistrement audiovisuel contenant la fixation d’une œuvre audiovisuelle dans laquelle un phonogramme ou une reproduction de ce phonogramme a été incorporé » (pt 27).

L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE, identique à celui de la directive 92/100/CEE qu’elle a abrogée, dispose que :
« Les États membres prévoient un droit pour assurer qu’une rémunération équitable et unique est versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public […] ».

Rappelons afin d’appréhender au mieux les enseignements de la décision, qu’il s’agit d’une rémunération cohérente dans un domaine où il est difficile de demander l’autorisation systématique des auteurs, artistes-interprètes et des producteurs, tant l’usage est massif. La liberté d’usage concédée à l’utilisateur est alors contrebalancée par le versement de cette rémunération qui vient compenser la dépossession de l’auteur de son droit exclusif.

Et l’on retrouve ce concept communautaire (CJCE 6 févr. 2003, SENA, aff. C-245/00, Propr. intell. 2003, n° 7, p. 175, A. Lucas ; JCP E 2003. 1508, note F. Sardain) en droit français à l’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, codifié par la loi « LANG » n° 85-660 du 3 juillet 1985, instaurant le mécanisme de la « licence légale ».

Pour répondre à la problématique, la CJUE analyse, tout d’abord, la nature de l’enregistrement audiovisuel contenant la fixation d’une œuvre audiovisuelle dans laquelle a été incorporé un phonogramme ou une reproduction de celui-ci (I) pour ensuite en tirer les conséquences légales (II).

I - Nature du contenu audiovisuel incorporant des phonogrammes

L’exclusion de la qualification de « phonogramme ». Les juges luxembourgeois s’interrogent dans un premier temps afin de savoir si un enregistrement audiovisuel contenant la fixation d’une œuvre audiovisuelle peut ou non être qualifié de « phonogramme ».

Ils rappellent que ni les directives susvisées ni les autres directives ne définissent la notion de phonogramme, de sorte qu’il est nécessaire d’interpréter cette notion à la lumière d’autres textes.

S’agissant d’une part du droit international et en particulier de la Convention de Rome produisant des effets indirects au sein de l’Union européenne (CJUE 15 mars 2012, aff. C-135/10, Consortile Fonografici (Sté) c/ Del Corso, D. 2012. 810 ; Légipresse 2012. 210 et les obs. ; RTD com. 2012. 325, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2012. 964, obs. E. Treppoz ), la notion de phonogramme s’y trouve définie à l’article 3, sous b), comme toute fixation « exclusivement sonore des sons provenant d’une exécution ou d’autres sons ».

La Cour en déduit logiquement qu’un enregistrement audiovisuel contenant la fixation de sons mais aussi d’images ne peut être « exclusivement sonore » et donc être qualifiée de « phonogramme ».

Aux termes d’autre part du Traité de l’OMPI relatif aux interprétations et exécutions et les phonogrammes (TIEP), le « phonogramme » s’entend de manière négative, comme « la fixation des sons […] autre que sous la forme d’une fixation incorporée dans une œuvre cinématographique ou une autre œuvre audiovisuelle » (art. 2, sous b).

Observation est ici faite qu’à la lecture d’un document interprétatif des Traités de l’OMPI auquel se réfère la Cour de justice, l’on comprend que si l’objet auquel s’incorpore le phonogramme n’a pas le statut d’œuvre, le phonogramme conserve dès lors sa qualité. Il en résulte une certaine relativité de la notion de phonogramme dans l’hypothèse où celui-ci se trouve incorporé puisqu’il dépend de la préexistence ou non d’une œuvre audiovisuelle, cette dernière venant en quelque sorte « investir » ou « absorber » le phonogramme en lui faisant perdre sa qualité. Néanmoins, si la fixation des sons est utilisée indépendamment de l’œuvre en cause, elle retrouve alors les droits attachés à tout phonogramme.

Ce faisant, et par la précision donnée qu’en l’occurrence « il n’est nullement allégué que ces phonogrammes sont réutilisés de façon indépendante de l’œuvre audiovisuelle dans laquelle ils ont été incorporés », la Cour nie la qualification de « phonogramme » à un enregistrement audiovisuel contenant la fixation d’une œuvre audiovisuelle à laquelle a été incorporé un phonogramme.

L’exclusion a fortiori de la qualification de « reproduction d’un phonogramme ». Sans surprise et de manière évidemment plus succincte, la Cour exclut également la qualification de « reproduction d’un phonogramme ».

À l’image de la notion de phonogramme, celle de reproduction d’un phonogramme n’est pas définie par les directives de sorte qu’il est là encore nécessaire pour la Cour de se référer à la Convention de Rome prévoyant que la « reproduction » est « la réalisation d’un exemplaire ou de plusieurs exemplaires d’une fixation », i.e. l’action de réaliser une copie.

De manière syllogistique, la Cour estime au motif qu’un contenu audiovisuel intégrant la fixation d’une œuvre audiovisuelle incorporant un phonogramme ne relèverait pas de la notion de phonogramme, qu’un tel enregistrement ne saurait, a fortiori, pas davantage constituer un exemplaire de ce phonogramme et, partant, ne saurait être qualifié de « reproduction » dudit phonogramme.

Comme l’écrit l’avocat général dans ses conclusions, il est vrai qu’« aucune personne ordinaire ne considérerait qu’une œuvre audiovisuelle typique est une « reproduction » d’un phonogramme qui est utilisé en tant (partie de la) bande sonore de cette œuvre. À titre de simple exemple, je ne considérerais pas – et je ne crois pas que quiconque considérerait – un film tel que Mort à Venise comme étant une « reproduction » de (parties) d’un enregistrement de la cinquième symphonie de Mahler » (pt 73 des concl. de l’avocat général).

Par voie de conséquence, si un utilisateur n’a communiqué au public aucun phonogramme ni aucune reproduction de celui-ci, il n’a pas à verser de rémunération équitable et unique au sens du droit de l’Union.

II - Effets

L’absence de versement d’une rémunération équitable et unique. L’analyse rigoureuse de la Cour la conduit à juger que la communication au public d’un tel enregistrement n’ouvre pas droit à rémunération.

La CJUE saisit ici avec brio l’occasion de se prononcer une nouvelle fois sur le champ d’application de la rémunération équitable et unique, ceci près de vingt ans après sa décision SENA (préc.) et de nombreuses autres décisions rendues en la matière.

Elle a d’ailleurs été récemment saisie d’une question préjudicielle portant sur la possibilité pour les États membres, d’exclure du droit à rémunération équitable les artistes-interprètes et les producteurs ressortissants d’États tiers à l’Espace économique européen (en l’occurrence les États-Unis), dès lors que les conditions de l’article 8 de la directive 2006/115/CE étaient satisfaites, question à laquelle elle a répondu par la négative dans un arrêt majeur (CJUE, gr. ch., 8 sept. 2020, aff. C-265/19, AJDA 2020. 2365, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; D. 2020. 1721 ; Dalloz IP/IT 2020. 524, chron. N. Maximin ; Légipresse 2020. 536 et les obs. ; ibid. 549, étude Guillem Querzola ; CCE 2020. Comm. 78, note P. Kamina).

Les intérêts des titulaires de droits sur les phonogrammes préservés. Il convient de relever enfin que pour parvenir à cet intéressant arrêt, les juges luxembourgeois gardent à l’esprit que l’enjeu, tel que prévu par les directives, reste de garantir « la continuité du travail créateur et artistique des auteurs et des artistes interprètes ou exécutants en prévoyant une protection juridique harmonisée ».

Bien qu’il résulte de cette décision qu’il n’y a pas lieu au versement d’une rémunération équitable et unique, cette même décision n’est pas pour autant contraire aux objectifs des directives en ce sens que les titulaires de droits concernés ont déjà perçu une rémunération lorsqu’ils ont préalablement autorisé aux moyens d’accords contractuels, la « synchronisation », selon les termes de l’avocat général, de leurs phonogrammes dans les œuvres audiovisuelles.

Cette rémunération contractuelle de nature préventive s’oppose donc à la rémunération équitable et unique dont il est ici question, laquelle rémunération possède au contraire un caractère « compensatoire » (pt 50) et correspond à la contre-prestation de la communication au public. Nul besoin de contrat ni d’autorisation pour qu’il y ait rémunération équitable et unique.

Le fait générateur de cette rémunération est ainsi la radiodiffusion ou la communication au public d’un phonogramme et non pas son incorporation à une œuvre audiovisuelle préexistante. La subtilité est primordiale.

Raison pour laquelle la Cour prend le soin de préciser à plusieurs reprises aux termes de son arrêt, que la question ne porte pas en l’espèce sur la reproduction des phonogrammes à l’occasion de leur incorporation dans les enregistrements audiovisuels, mais concerne bel et bien l’étape suivante consistant en leur communication au public (pts 25, 26, 46, 54 et 55).

En conclusion, la CJUE a su habilement préserver les intérêts des titulaires de droits concernés sans se perdre dans ce jeu subtil de poupées russes, revisité à la mode espagnole, consistant en l’incorporation d’un phonogramme, ou d’une reproduction de celui-ci, à une œuvre audiovisuelle, elle-même fixée dans un enregistrement audiovisuel communiqué au public.

Auteur d'origine: nmaximin
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L’arrêt du 25 novembre 2020 était attendu (v. lettre de la chambre criminelle, oct. 2020, p. 6). Et sa solution n’a pas déçu. La chambre criminelle de la Cour de cassation considère désormais qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société, la société absorbante peut, à certaines conditions, être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion. Mais davantage que la décision elle-même, c’est le revirement qui était attendu, revirement dont les effets se trouvent, par principe, différés.

Un revirement attendu

Les faits de l’espèce sont somme tout assez classiques. Une société – la société Intradis – est mise en cause pour des faits de destruction involontaire par incendie ayant eu lieu en 2002. À l’issue de l’information judiciaire, elle est convoquée à l’audience du tribunal correctionnel du 23 novembre 2017, par acte du 24 juillet 2017. Quelques mois plus tôt, le 31 mars 2017, la société Intradis ainsi que sa société-mère – la société Recall France – avaient cependant fait l’objet d’une fusion-absorption au profit de la société Iron Moutain France SAS, conduisant les parties civiles à faire citer à comparaître cette dernière à l’audience.

Par jugement rendu le 8 février 2018, le tribunal correctionnel a ordonné un supplément d’information afin de déterminer les circonstances de l’opération de fusion-absorption, et de rechercher tout élément relatif à la procédure en cours, notamment s’agissant de l’infraction de destruction involontaire initialement poursuivie à l’encontre de la société Intradis. Plus particulièrement, le supplément d’information visait à entendre le responsable en activité au sein des sociétés concernées par l’opération de fusion-acquisition et le pénalement responsable de la société Iron Mountain France, sur les raisons, les modalités et les conditions de la fusion-acquisition des différentes sociétés impliquées. L’objectif poursuivi ne faisait pas ici de doute : rechercher si l’opération de fusion-absorption n’avait pas été entachée de fraude – laquelle pouvait notamment être induite de la proximité temporelle entre la décision de réalisation de l’opération de fusion-absorption et la convocation, puis l’audience du tribunal, alors que les faits dataient de 2002 –, considérant ainsi que, dans ce cas, la responsabilité pénale de la société absorbante pouvait être engagée pour les faits commis par la société absorbée. 

Sur appel de la société Iron Moutain France SAS absorbante, la cour d’appel d’Amiens, par arrêt du 26 septembre 2018, a confirmé le jugement entrepris. La société absorbante forme alors un pourvoi en cassation, reprochant notamment, dans un premier moyen, à l’arrêt attaqué d’avoir ordonné un supplément d’information, à l’appui de l’article 121-1 du code pénal posant le principe de responsabilité pénale personnelle, lequel s’oppose à toute poursuite contre la société absorbante s’agissant de faits commis par une autre personne morale qu’elle.

La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette toutefois ce moyen – réuni avec celui critiquant l’action civile – au motif qu’« en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive [2011/35/UE du 5 avr. 2011, relatif aux fusions internes de sociétés anonymes], la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération » (§ 35). Et d’en déduire que « le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation » (§ 37).

Au vrai, cette solution était annoncée par le droit de l’Union européenne sur lequel les juges de cassation trouvent appui. La Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt rendu 5 mars 2015, a en effet jugé que l’article 19 de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978, devenu l’article 19, paragraphe 1er, de la directive 2011/35/UE du 5 avril 2011, relatif aux fusions internes de sociétés anonymes, s’interprète dans le sens qu’une fusion par absorption entraîne la transmission, à la société absorbante, de l’obligation de payer une amende infligée par décision définitive, après cette fusion, pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant ladite fusion (CJUE 5 mars 2015, aff. C-343/13, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condiçoes de Trabalho, D. 2015. 735 ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 2401, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; AJ pénal 2015. 493, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2015. 677, note B. Lecourt ; RTD civ. 2015. 388, obs. H. Barbier ; Dr. pénal 2015. Comm. n° 74, obs. G. Notté). Il serait, pour les juges bruxellois, contraire avec la nature même d’une fusion par absorption, qui n’opère pas de liquidation de la société absorbée, de ne pas admettre un transfert de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante.

Cette solution était également – et surtout – annoncée plus récemment par le droit européen. Dans un arrêt en date du 1er octobre 2019, la Cour européenne des droits de l’homme avait en effet déclaré irrecevable la requête formée par la société Carrefour France SAS, condamnée à une amende civile en application de l’article L. 442-6 du code de commerce, s’agissant de pratiques anticoncurrentielles commises par la société Carrefour hypermarchés France, qu’elle avait absorbée (CEDH, 5e sect., 1er oct. 2019, n° 37858/14, D. 2020. 475 , note J. Gallois ; ibid. 2033, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RSC 2019. 836, obs. M.-C. Sordino ; RTD civ. 2020. 107, obs. H. Barbier ; RTD com. 2020. 109, obs. A. Lecourt ). Dans cette affaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé par la société absorbante, soutenant l’impossibilité de lui infliger cette sanction au motif, d’une part, que « les dispositions de l’article L. 442-6 [précité] s’appliquent à toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l’exploite », et d’autre part, que « le principe de la personnalité des peines, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la personne morale à laquelle l’entreprise a été juridiquement transmise » (Com. 21 janv. 2014, n° 12-29.166, Bull. civ. IV n° 11 ; Rapp. C. cass. 2014, pp. 496-501 ; D. 2014. 531, obs. E. Chevrier , note M.-C. Sordino ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; ibid. 2434, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2488, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; AJCA 2014. 41, obs. L. Constantin ; RTD civ. 2014. 367, obs. H. Barbier ; Bull. Joly sociétés 2014, p. 180, § 111, note A. Couret ; Dr. pénal 2014. Comm. n° 49, obs. V. Peltier ; CCC 2014. Comm. n° 91, obs. N. Mathey). Pour la Cour de Strasbourg, les juridictions internes, « en prononçant contre la société requérante l’amende civile prévue par l’article L. 442-6 du code de commerce, sur le fondement du principe de continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise, […] n’ont pas porté atteinte au principe de la personnalité des peines » (§ 53).

Cette décision européenne amorçait déjà le changement aujourd’hui opéré, et ce, bien que sa décision eût été rendue dans le domaine non pas du droit pénal stricto sensu, mais dans celui, plus large, de la matière pénale. Comme nous le faisions remarquer à l’époque, la Cour européenne ne fermait pas la porte à une telle évolution. « En effet, bien que sa décision se rapporte aux pratiques restrictives de concurrence, elle ne justifie pas sa solution en raison du particularisme de ce contentieux, qui ne relève pas du code pénal. La Cour de Strasbourg présente au contraire une motivation généraliste. Elle juge en effet que «Du fait de cette continuité d’une société à l’autre, la société absorbée n’est pas véritable “autrui” à l’égard de la société absorbante». Et d’en déduire que «condamner la seconde à raison d’actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion-absorption ne contrevient qu’en apparence au principe de personnalité des peines». Il en résulte que, quel que soit le comportement reproché à l’absorbée, l’absorbante devrait pouvoir se le voir imputer, et ce, peu important qu’il relève ou non du droit pénal » (J. Gallois, note ss. CEDH, 5e sect., 1er oct. 2019, n° 37858/14, préc.). Mieux, elle semblait déjà l’encourager. Les juges européens soulignaient également que « Le choix opéré en droit positif français (ici évidemment s’agissant de la position de la chambre commerciale de la Cour de cassation) est […] dicté par un impératif d’efficacité de la sanction pécuniaire, qui serait mis à mal par une application mécanique du principe de la personnalité des peines à des personnes morales » (§ 49). « Or, l’efficacité des peines, encore plus que celle des sanctions administratives à caractère pénal, doit être assurée. Car, même si les personnes morales, en raison de leur nature désincarnée, n’encourent pas de peines d’emprisonnement, elles ont, à notre sens, encore plus d’intérêt à échapper, par le montage d’une fusion-absorption, à une condamnation pénale, laquelle en plus de faire l’objet d’une inscription au casier judiciaire, pourra fonder à son encontre une condamnation civile, dans le cas où l’action civile serait également exercée » (J. Gallois, op. cit., loc. cit.).

Dans ces circonstances, il n’est dès lors pas étonnant que la chambre criminelle se réfère expressément à cette décision (§ 24), et plus particulièrement au principe de continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise, laquelle invite à prendre en compte la spécificité de la situation générée par la fusion-absorption d’une société par une autre. La Cour régulatrice juge ainsi que « la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, de sorte que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’oppose pas à ce que l’article 121-1 du code pénal soit désormais interprété comme permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption » (§ 25).

Forte de ce contexte européen, la Cour de cassation écarte l’obstacle tiré de l’existence de personnalité morale de chaque société, sur lequel se fondait jusque-là sa chambre criminelle pour refuser d’engager la responsabilité pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société qu’elle a absorbé (Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742, Bull. crim. n° 237 ; Crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742, D. 2001. 853 , note H. Matsopoulou ; ibid. 1608, obs. E. Fortis et A. Reygrobellet ; ibid. 2002. 1802, obs. G. Roujou de Boubée ; Rev. sociétés 2001. 851, note I. Urbain-Parleani ; Dr. soc. 2000. 1150, obs. P. Morvan ; RSC 2001. 153, obs. B. Bouloc ; RTD com. 2000. 1024, obs. B. Bouloc ; ibid. 2001. 459, obs. C. Champaud et D. Danet ; Bull. Joly sociétés 2001, p. 39, § 12, note C. Mascala ; LPA 13 mars 2001, note M.-J. Coffy de Boisdeffre ; ibid. 27 avr. 2001, p. 15, 2e esp., note J.-F. Barbièri ; 14 oct. 2003, n° 02-86.376, Bull. crim. n° 189 ; D. 2004. 319 , obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2003. 101, obs. A. P. ; Rev. sociétés 2004. 161, note B. Bouloc ; RSC 2004. 339, obs. E. Fortis ; RTD com. 2004. 380, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2004. Comm. n° 20, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 14 sept. 2004, n° 258, p. 2, obs. M.-C. Sordino ; Dr. & Patrimoine févr. 2004, p. 117, obs. P. Bonflis ; 25 oct. 2016, n° 16-80.366, à paraître au Bulletin ; D. 2016. 2606 , note R. Dalmau ; ibid. 2017. 245, chron. G. Guého, L. Ascensi, E. Pichon, B. Laurent et G. Barbier ; ibid. 2335, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 36, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2017. 234, note H. Matsopoulou ; RSC 2017. 297, obs. H. Matsopoulou ; RTD civ. 2017. 399, obs. H. Barbier ; RTD eur. 2017. 336-17, obs. B. Thellier de Poncheville ; BRDA 4/17, n° 1 ; v. §§ 15, 16 et 18). Quant à la société absorbée, on le sait, elle ne peut voir sa responsabilité pénale engagée. Parce que cette société n’a plus d’existence juridique, et ce, depuis sa radiation au registre du commerce et des sociétés (Crim. 25 oct. 2016, n° 16-80.366, préc.), l’action publique se trouve éteinte à son encontre ; son comportement infractionnel ne peut donc plus être poursuivi, encore moins condamné à une peine d’amende. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’amende pénale a été fixée de façon définitive avant la fusion de deux sociétés, bien que non encore soldée, de sorte qu’elle fait partie du patrimoine passif de la société absorbée, que la société qui l’absorbe est tenue de la payer (C. pén., art. 133-1, al. 1er, in fine). Étant précisé que, même dans cette hypothèse, l’absorbante n’en était pas pour autant reconnue coupable.

Toutefois, comme le relèvent les juges répressifs, cette approche anthropomorphique de l’opération de fusion-absorption qui « repose sur l’assimilation de la situation d’une personne morale dissoute à celle d’une personne physique décédée » (§ 20) et invite dès lors à considérer l’action publique éteinte, en application de l’article 6 du code de procédure pénale, doit être remise en cause au motif que, « d’une part, elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée, d’autre part, elle est sans rapport avec la réalité économique » (§ 21).

On ne peut qu’adhérer à cette approche. Comme il avait déjà été relevé, la société absorbante ne se trouve pas dans une situation identique à la personne physique, la première n’ayant aucun équivalent dans le droit des personnes physiques. « Aussi, aligner la situation des personnes morales sur celle des personnes physiques reviendrait à consacrer une approche anthropomorphique erronée. Pleinement conscient de cette différence, le droit pénal réserve d’ailleurs déjà à la personne morale un traitement différencié au niveau de l’infliction des peines. Le juge répressif ne peut lui infliger, contrairement à une personne physique, aucune peine d’emprisonnement. De la même manière, le juge dispose-t-il encore de la possibilité de mettre à “mort” une personne morale en prononçant, à titre de peine complémentaire, sa dissolution, alors qu’il ne peut plus prononcer une telle peine à l’encontre d’une personne physique. Pour sa part, le législateur admet, au niveau de l’engagement même de sa responsabilité pénale, un traitement différencié puisqu’il exclut la personne morale du régime favorable de la responsabilité pénale en matière de délits non-intentionnels institué par la loi du 10 juillet 2000, toujours sans heurt au principe d’égalité » (J. Gallois, op. cit., loc. cit.).

En considérant désormais que la « société » s’efface au profit l’« entreprise », laquelle existe toujours au travers de la continuité de l’activité économique, et ce, malgré l’opération de fusion-absorption (« […] selon l’article L. 236-3 du code de commerce, la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n’entraîne pas sa liquidation. De même, le patrimoine de la société absorbée est universellement transmis à la société absorbante et les actionnaires de la première deviennent actionnaires de la seconde. En outre, en application de l’article L.1224-1 du code du travail, tous les contrats de travail en cours au jour de l’opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l’entreprise. Il en résulte que l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération » [§§ 22-23]), la chambre criminelle met ainsi sa jurisprudence au diapason avec celle de la chambre commerciale (Com. 28 janv. 2003, n° 01-00.528, Bull. civ. IV, n° 12 ; D. 2003. 553 , obs. E. Chevrier ; RTD com. 2003. 493, obs. E. Claudel ; ibid. 2004. 80, obs. E. Claudel ; ibid. 87, obs. E. Claudel ; 28 févr. 2006, n° 05-12.138, Bull. civ. IV, n° 49 ; D. 2006. 781, obs. E. Chevrier ; JCP E 2006, n° 12, 1492 ; 21 janv. 2014, n° 12-29.166, préc.) ainsi que celle du Conseil d’Etat (v. par ex. not. lorsqu’il statue comme juridiction de recours contre les sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, CE, sect., 22 nov. 2000, n° 207697, Lebon avec les concl. ; AJDA 2000. 1069 ; ibid. 997, chron. M. Guyomar et P. Collin ; D. 2001. 237 , obs. M. Boizard ; ibid. 1609, obs. A. Reygrobellet ; RSC 2001. 598, obs. J. Riffault ; LPA 27 avr. 2001, p. 15, 2e esp., note J.-F. Barbièri ; JCP 2001. II. 10531, note R. Salomon ; CE, 6e et 1re ss-sect. réun., 10 mai 2004, n° 247130 ; CE, 6e et 1re ss-sect., 30 mai 2007, n° 293423 ; CE, 6e et 1re ss-sect. réun., 17 déc. 2008, n° 316000, Lebon ; AJDA 2009. 447 ; D. 2009. 165, et les obs. ; Rev. sociétés 2009. 397, note C. Arsouze ; Bull. Joly bourse 2009, p. 134, note Y. Paclot).

La société absorbante peut donc voir sa responsabilité pénale engagée et être déclarée coupable s’agissant de faits commis par la société qu’elle a absorbée, ce qui n’est loin d’être neutre, même si la Cour de cassation a assorti ce nouveau principe de limites.

Un revirement aux effets limités

Si ce revirement mérite d’être salué, en ce qu’il « marque une évolution substantielle de [l]a jurisprudence [de la chambre criminelle de la Cour de cassation] » (note explicative de l’arrêt), cette dernière en limite néanmoins la portée à deux niveaux. Ce revirement est en effet limité tant matériellement que temporellement.

S’agissant, en premier lieu, des limitations ratione materiae.

 La Cour de cassation précise, dans cet arrêt du 25 novembre 2020, que seules les peines d’amende et de confiscation peuvent être infligées à l’encontre de la société absorbante (§ 37). Aussi cette dernière échappe-t-elle à l’infliction des autres peines complémentaires qu’elle encourt, par principe, en application de l’article 131-39 du code pénal, sauf dispositions légales contraires.

La Cour régulatrice précise par ailleurs que ce transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante ne peut s’opérer que s’agissant des fusions relevant de la directive relative à la fusion des sociétés anonymes [pour rappel : l’article 19 de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978, devenu l’article 19, paragraphe 1er, de la directive 2011/35/UE du 5 avril 2011, relatif aux fusions internes de sociétés anonymes], comme le reconnaissait avant elle, la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, selon la chambre criminelle, « le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation » (§ 37). Ainsi, le revirement est applicable aux sociétés anonymes. Il est également applicable  aux sociétés par actions simplifiées (SAS), à l’instar de la société Iron Mountain France SAS car les SAS ne sont qu’une catégorie particulière de société par actions et sont soumises, dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières les concernant, aux règles concernant les sociétés anonymes (v. C. com., art. L. 227-1, al. 2 ; v. égal. note explicative de l’arrêt).

Rappelons que la transmission universelle du patrimoine n’opère pas ici qu’au détriment de la société absorbante mais également à son profit de sorte qu’elle bénéficie des moyens de défense pouvant être invoquées par la société absorbée (§ 36). Hasard du calendrier, relevons que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, pour sa part, réaffirmé, le lendemain de cette décision, ce principe de transmission universelle du patrimoine de l’absorbée à l’absorbante en matière de responsabilité contractuelle (Civ. 3e, 26 nov. 2020, n° 19-17.824, à paraître au bulletin). Les juges civilistes ont en effet précisé, qu’« il résulte [de l’article L. 236-3 du code de commerce], dans sa version applicable à la cause, que, en cas de fusion entre deux sociétés par absorption de l’une par l’autre, la dette de responsabilité de la société absorbée est transmise de plein droit à la société absorbante »). Et d’en déduire l’exclusion de l’assurance de responsabilité de la société absorbante (et non de l’absorbée), souscrite avant la fusion (cette responsabilité « n’a pas vocation à garantir le paiement d’une telle dette dès lors que le contrat d’assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l’exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l’assurée, de la garantie accordée par l‘assureur en fonction de son appréciation du risque »).

S’agissant, en second lieu, de la limitation ratione temporis de ce revirement.

L’on reproche souvent à la Cour de cassation, lorsqu’elle fait usage de son pouvoir créateur, les incertitudes ou les divergences de sa jurisprudence, rendant le droit difficilement prévisible. Or, en notre cas, jusqu’à cette décision, la chambre criminelle faisait une interprétation exactement inverse de l’article 121-1 du code pénal de sorte que les justiciables personnes morales pensaient pouvoir recourir sans risque pénal à une opération de fusion-absorption.

C’est pour cette raison que la chambre criminelle a décidé de moduler dans le temps les effets de son revirement. Elle retient en effet que « Cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme » (§ 38).

Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence européenne selon laquelle l’application rétroactive d’un revirement imprévisible de jurisprudence in defavorem méconnaît le principe de légalité criminelle, y compris dans les pays de droit écrit (V. par ex., CEDH 10 oct. 2006, Pessino c/ France, n° 40403/02, AJDA 2007. 1257 , note E. Carpentier et J. Trémeau ; D. 2007. 124 , note D. Roets ; ibid. 399, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; RDI 2006. 491, obs. G. Roujou de Boubée ; ibid. 2007. 196, obs. P. Soler-Couteaux ; JDI 2007. 712, obs. O. Bachelet). En effet, « tout justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef » (§ 38 ; v. égal. CEDH 10 oct. 2006, Pessino c/ France, n° 40403/02, préc.). 

Or ce revirement est ici défavorable aux personnes morales, en ce qu’elles peuvent désormais voir leur responsabilité pénale, en tant qu’absorbantes s’agissant de faits reprochés à la société qu’elles auraient absorbée, ainsi que se voir infliger des peines, nonobstant les limites matérielles sus-exposées. Aussi, bien que les signes annonciateurs d’un tel revirement existaient, ils ne rendaient pas ce dernier suffisamment prévisible, pour la Cour régulatrice, au sens de la Convention européenne. Par conséquent, cette décision ne trouve à s’appliquer […] qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au prononcé du présent arrêt et sera donc sans effet dans la présente affaire (§ 39).

Est-ce à dire que cette solution n’est pas applicable aux faits de l’espèce ? Une réponse négative doit être apportée dans la mesure où la Cour régulatrice réserve le cas de la fraude. Elle considère effet qu’en tout état de cause, quelle que soit la date de la fusion ou la nature de la société concernée, la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée « lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi » (§§ 41-42). Or, tel était l’objet initial de l’affaire, la société Iron Mountain SAS absorbante critiquant la cour d’appel d’avoir ordonné un supplément d’informations dans le but, notamment, de déterminer si l’opération de fusion-absorption avait été entachée de fraude. Dans ces circonstances, la critique formulée par la demanderesse au pourvoi ne pouvait qu’être rejetée, « la cour d’appel n’a[yant] pas méconnu le droit applicable au moment où elle a statué » (§ 43).

Plus généralement, au-delà de cette espèce, cette réserve opérée s’agissant de la fraude – laquelle avait déjà été envisagée par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 15 juin 1999, n° 97-16.439, Bull. civ. IV, n° 127 ; D. 1999. 197 ; Rev. sociétés 1999. 844, note D. Vatel ; RSC 2000. 629, obs. J. Riffault ; RTD com. 1999. 914, obs. N. Rontchevsky ; Bull. Joly bourse 1999, p. 579, § 123, note N. Rontchevsky) – conduit à appliquer, dans ce cas précis, ce revirement largement, puisqu’il comprend les opérations de fusion-absorption impliquant des sociétés de toute forme sociale et non uniquement celles ressortant de la directive européenne (« Cette possibilité est indépendante de la mise en œuvre de la directive du 9 octobre 1978, précitée » (§ 41 in fine)) et conclues avant le 25 novembre 2020, sans préjudice de l’article 7 de la Convention européenne (ibid). 

Relevons, à titre conclusif, que la chambre criminelle de la Cour de cassation prononce néanmoins la cassation de l’arrêt s’agissant d’un autre motif de la cour d’appel, au visa des articles 463 et 512 du code de procédure pénale, pour ne pas avoir désigné l’un de ses membres pour procéder au supplément d’information qu’elle a ordonné (§§ 47 à 49).

Auteur d'origine: gallois

Depuis le début de la crise sanitaire, le spectre d’une « vague de faillites » plane sur le tissu économique français. Afin de limiter ce risque, l’État a très vite mis en place des mesures de soutien (not. chômage partiel, prêt garanti par l’État, report et délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales, fonds de solidarité, etc.) et aménagé les règles relatives au droit des entreprises en difficulté. Deux ordonnances sont venues ainsi adapter la législation afin de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises et les exploitations agricoles. Une première ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 avait pour objectif d’apporter une réponse rapide aux difficultés immédiates des entreprises résultant de l’arrêt massif de l’activité économique (ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, JO 28 mars, v. notre comm., Dalloz actualité, 1er avr. 2020). Plusieurs dispositions de l’ordonnance étaient applicables pendant une période transitoire courant tantôt jusqu’au 23 juin 2020, tantôt jusqu’au 23 août 2020. Une deuxième ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 est venue consolider certaines dispositions de la première ordonnance, et a poursuivi l’effort d’adaptation des règles du droit des entreprises en difficulté afin de renforcer l’efficacité des procédures (ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, JO 21 mai, v. notre comm., Dalloz actualité, 28 mai 2020). Les dispositions de cette ordonnance sont applicables selon le cas, jusqu’au 31 décembre 2020 ou jusqu’au 17 juillet 2021. Les articles 1er à 6 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, à l’exclusion de l’article 7 dont certaines applications furent controversées, doivent d’ailleurs être prolongés jusqu’au 31 décembre 2021 par l’article 43 ter du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (dit ASAP). Ces dispositions n’avaient donc pas vocation à être prolongées ou adaptées dans le cadre d’une nouvelle ordonnance. En revanche, s’agissant de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, celle-ci comporte plusieurs mesures que le gouvernement a jugé utile d’adapter dans une nouvelle ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 afin de tenir compte de l’évolution de la situation sanitaire et économique.

Prorogation de la durée de la procédure de conciliation par décision du président du tribunal

Selon l’article 1er de l’ordonnance, la durée de la procédure de conciliation peut être prorogée, une ou plusieurs fois, à la demande du conciliateur, par décision motivée du président du tribunal, sans que cette durée puisse excéder dix mois. Cette disposition s’inscrit dans la continuité de l’article 1er, II, de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, qui avait prolongé de plein droit la durée de la procédure de conciliation. Là où la durée de la procédure avait pu laisser quelques incertitudes à la seule lecture de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, celle du 25 novembre 2020 est claire : la durée maximale de la procédure est de dix mois, soit le double par rapport au délai de droit commun (C. com., art. L. 611-6). Cette disposition s’applique aux procédures en cours qui ont été ouvertes à compter du 24 août 2020, afin qu’elles ne se cumulent pas avec les prolongations résultant de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, qui s’appliquaient aux procédures ouvertes au plus tard le 23 août 2020. Elle s’applique également aux procédures de conciliation ouvertes à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit le 27 novembre 2020, et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2021 inclus. Selon le rapport au président de la République, cette extension de la durée de la procédure de la conciliation répond au souhait « de ne pas compromettre les efforts de recherche d’une solution préventive dans un contexte de persistance de la crise sanitaire rendant difficiles les prévisions ». Cette mesure, combinée avec celle du projet de loi ASAP qui doit prolonger la possibilité pour le débiteur de solliciter des délais de grâce ou une mesure de suspension des poursuites individuelles, poursuit l’objectif louable de prévenir les difficultés des entreprises. Dans le contexte actuel, cette mesure incite au recours aux procédures préventives avant que la situation financière de l’entreprise ne soit trop lourdement obérée, afin de négocier une issue favorable avec les créanciers, tels qu’un bailleur, par exemple.

Au demeurant, l’extension de la durée de la procédure de conciliation n’en suscite pas moins scepticisme et inquiétude.

Scepticisme d’abord face aux derniers chiffres révélant que les entreprises recourent toujours aussi peu aux procédures préventives, et en particulier les TPE/PME (v. T. Gardon, Les entreprises sont toujours sous assistance respiratoire, La Tribune, 24 nov. 2020). En Île-de-France, là où les sociétés de taille significative recourent plus facilement aux procédures amiables, les derniers chiffres indiquent qu’après une légère baisse jusqu’à la fin juillet, le recours à la procédure de conciliation progresse de 10 % (OCED, Flash Info, Les entreprises en difficulté en chiffres, oct. 2020). C’est d’ailleurs face à ce constat qu’une mission sur la justice économique a été installée début octobre en vue de formuler des recommandations destinées à mieux accompagner les entreprises en difficulté (v. Communiqué de presse, 5 oct. 2020, Installation de la mission justice économique).

Vigilance ensuite, en ce que la prolongation de la durée des procédures de conciliation doit être utilisée par les conciliateurs à sa juste mesure pour obtenir une issue favorable, et non comme un levier jusqu’au-boutiste grevant toute solution alternative de redressement. Les rôles du conciliateur et du président du tribunal, voire du ministère public, sont ici déterminants de l’efficacité de la mesure. Dans ce prolongement, on peut s’interroger sur la pertinence d’une procédure de conciliation dont la durée avoisine celle d’une procédure collective qui, elle, est opposable à tous les créanciers, à la différence de la procédure de conciliation. Rappelons qu’en droit commun, la résolution des difficultés d’une entreprise peut l’être dans un cadre amiable et confidentiel, par la succession d’un mandat ad hoc et d’une conciliation, dont la temporalité est proche de celle d’une procédure collective. La mesure dérogatoire ne prend donc tout son sens que si elle répond à l’esprit de la conciliation.

Accélération de la prise en charge des créances salariales

Afin d’accélérer la prise en charge des créances salariales, l’article 2 de l’ordonnance reprend une mesure instaurée par l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 (art. 1er, I, 2°). Dès qu’ils sont établis par le mandataire judiciaire, les relevés de créances salariales sont transmis, sous sa seule signature, à l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), l’avis du représentant des salariés et le visa du juge-commissaire devant être rendus ultérieurement. Certainement pour plus de sécurité juridique, l’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance précise que, « lorsque l’exemplaire n’est pas conforme au relevé sur lequel est apposé le visa du juge-commissaire, le mandataire judiciaire transmet sans délai ce dernier » à l’AGS. Nous pensons qu’il s’agit plus d’un relevé complémentaire qui est ici visé, que d’une absence de conformité. Au-delà, le rétablissement de cette mesure dans l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 ne soulève pas d’autre commentaire si ce n’est celui de son opportunité en permettant aux salariés d’être indemnisés rapidement, et d’éviter en cela de créer des tensions sociales dans un contexte économique tendu. D’ailleurs, ces dispositions s’appliquent aux procédures en cours et jusqu’au 31 décembre 2021.

Assouplissement de certaines formalités

L’article 3 de l’ordonnance reprend divers assouplissements des formalités applicables entre les administrateurs et mandataires judiciaires, le greffe du tribunal et les organes juridictionnels de la procédure. Ces assouplissements, initialement prévus par le 3° du I de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, permettent aux acteurs de la procédure de communiquer par tous moyens dans le cadre des procédures du livre VI du code de commerce. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas lorsque les textes du livre VI du code de commerce imposent d’en prendre connaissance au greffe du tribunal. Il en est ainsi lorsque la loi impose un dépôt pour que le débiteur ou des tiers puissent prendre connaissance des éléments concernés. Tel sera le cas par exemple d’un accord de conciliation homologué, du dépôt des offres de reprise ou encore du dépôt par l’administrateur ou le mandataire judiciaire du compte-rendu de fin de mission. Ces dispositions s’appliquent aux communications effectuées à compter de la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, jusqu’au 31 décembre 2021 inclus. Le rapport au président de la République précise que ces dispositions sont applicables aux procédures en cours.

En définitive, les dispositions d’adaptation issues de cette ordonnance sont peu nombreuses et n’offrent pas de solutions nouvelles aux grandes inquiétudes. Les derniers chiffres sur les difficultés des entreprises indiquent que depuis le mois de janvier 2020, le nombre de défaillances d’entreprises est au niveau le plus bas depuis plus de trente ans (v. Altares, Défaillances et sauvegardes d’entreprises en France, 3e trimestre 2020). Des chiffres qui font donc craindre à de nombreux acteurs un rebond des ouvertures de procédures dans les mois à venir (v. not. Coronavirus : « Les entreprises sont toutes sous perfusion », une vague de faillites attendue en 2021, La Voix du Nord, 13 oct. 2020). Mais surtout, c’est le nombre de liquidations judiciaires directes qui augmente (au 3e trimestre 2020, les liquidations judiciaires concernaient plus de trois entreprises sur quatre, contre deux procédures sur trois traditionnellement). Autrement dit, la situation financière des entreprises qui se présentent devant le tribunal ne permet plus d’envisager une poursuite d’activité. Un constat qui soulève un certain nombre d’interrogations sur les mesures dérogatoires mises en place par les ordonnances prises en droit des entreprises en difficulté.

Auteur d'origine: Delpech

Dans le cadre d’un jugement relatif à l’exigibilité des loyers commerciaux, la cour d’appel de Grenoble refuse l’exception d’inexécution, la force majeure ainsi que le fait du prince, pour justifier le non-paiement des loyers par le locataire de locaux commerciaux ayant fait l’objet d’une interdiction d’ouverture pendant la crise sanitaire du covid-19.

Cet arrêt, attendu par de nombreux locataires, intervient dans le contexte d’une crise sanitaire sans précédent ayant notamment, compte tenu des mesures administratives prises par le gouvernement, un impact considérable sur l’exploitation des locaux commerciaux.

À l’aune de l’interdiction d’ouverture dont ont fait l’objet bon nombre de commerces, des exploitants, ont tenté de solliciter les mécanismes de droit commun (force majeure, imprévision, exception d’inexécution) afin de se soustraire à leur obligation de payer les loyers dus pendant la période de fermeture. 

L’arrêt de la cour d’appel de Grenoble rapporté illustre parfaitement les difficultés auxquelles étaient et sont encore confrontés les exploitants lorsqu’ils cherchent à s’exonérer du paiement de leurs loyers.

En effet, dans cet arrêt le locataire, en proie aux mesures d’interdiction d’ouverture des résidences de tourisme du fait de la crise sanitaire, a notamment invoqué l’exception d’inexécution, la force majeure ainsi que le fait du prince, pour se soustraire à son obligation de régler les loyers demandés par le bailleur.

Bien que la solution donnée par les juges grenoblois soit sans surprise quant au rejet de l’application des mécanismes de droit commun comme cause exonératoire du paiement des loyers par...

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Auteur d'origine: Rouquet

Le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) est notamment amené à intervenir « pour indemniser les dommages corporels ou matériels résultant d’accidents causés par des personnes circulant sur le sol (piétons, cyclistes, skieurs, rollers, etc.), non assurées ou inconnues …. Concernant les accidents de la circulation, le FGAO intervient lorsque la victime est titulaire d’un droit à réparation contre un tiers inconnu ou non assuré. Sont donc exclues toutes les personnes n’ayant aucun débiteur (par ex. un conducteur ayant eu un accident seul) » (A. Cayol, L’assurance automobile, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 382).

Les dommages corporels sont indemnisés sans limite devant le FGAO. En revanche, « l’indemnisation des dommages matériels « ne peut excéder par sinistre la somme de 1 220 000 € » (C. assur., art. A. 421-1-1) et seulement si certaines conditions sont réunies : toute indemnisation est exclue lorsque l’auteur du dommage est inconnu et que l’accident n’a entraîné aucune conséquence corporelle (C. assur., art. L. 421-1, I), afin de limiter les risques de fraude » (ibid.). Plus largement, le champ d’intervention du Fonds de garantie connaît certaines limites, en particulier d’un point de vue procédural, ce qui est mis en lumière par un arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la deuxième chambre civile.

En l’espèce, le propriétaire d’un véhicule a souscrit une police d’assurance automobile auprès d’une société d’assurance par avenant à effet du 4 juillet 2009. Peu de temps après, le 28 novembre 2009, ce véhicule, conduit par son propriétaire, est impliqué dans un accident de la circulation à l’occasion duquel un tiers est blessé.

Par arrêt du 11 avril 2011, après que l’enquête pénale ait révélé que le véhicule impliqué a été modifié et son moteur remplacé, le conducteur est condamné pénalement des chefs de blessures involontaires et de mise en circulation d’un véhicule non réceptionné ou non conforme à un type réceptionné.

L’assureur l’assigne en annulation du contrat d’assurance et en remboursement des indemnités versées à la victime. Dans un premier temps du procès, la demande de l’assureur est accueillie. Dans un second temps, le FGAO intervient volontairement à l’instance, devant la juridiction de renvoi.

Considérant que le Fonds de garantie n’avait pas d’intérêt à intervenir dans l’instance au titre de laquelle l’assureur poursuivait la nullité du contrat d’assurance souscrit par son assuré, la cour d’appel de Dijon a déclaré...

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Auteur d'origine: Dargent
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Dans la droite ligne de l’arrêt Planet49 (CJUE 1er oct. 2019, aff. C-673/17, Dalloz actualité, 4 oct. 2019, obs. C. Crichton ; D. 2019. 1884 ; ibid. 2128, entretien J.-L. Sauron ; ibid. 2020. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; Dalloz IP/IT 2019. 586, chron. C. Crichton ; ibid. 2020. 189, obs. F. Coupez et G. Péronne ; Légipresse 2019. 524 et les obs. ; ibid. 694, étude C. Thiérache et A. Gautron ; RTD eur. 2020. 320, obs. F. Benoît-Rohmer ), la Cour de justice de l’Union européenne réitère sa position sur l’utilisation de cases cochées par défaut pour recueillir le consentement au traitement de données à caractère personnel. Cette fois-ci, il n’est pas question de cookies, ni de traceurs de manière générale, mais d’un contrat. En l’espèce, un fournisseur de services de télécommunications conservait une copie des titres d’identité de ses clients. Le consentement à la collecte et la conservation de ces titres se fondait sur une case pré-cochée par les agents de vente de la société, contenue dans le contrat d’abonnement. En signant à la fin du contrat, le client en acceptait l’intégralité des clauses, y compris la collecte et la conservation de son titre d’identité. L’opposition du client à ce traitement n’empêchait pas la conclusion du contrat. Cependant, celle-ci devait se manifester par l’envoi d’un formulaire supplémentaire. Saisie d’une question préjudicielle, la CJUE a examiné la validité du consentement au regard de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 et du règlement (UE) 2016/679 du 27...

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Auteur d'origine: nmaximin

L’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer « France AgriMer » est un établissement public administratif créé en 2009 dont l’objet statutaire consiste en un soutien opérationnel et stratégique pour les filiales françaises de l’agriculture et de la pêche. En parallèle de ses missions traditionnelles, France AgriMer organise tous les ans des procédures de passation d’appels d’offres portant sur la fourniture de denrées alimentaires à destination d’associations caritatives et d’épiceries sociales chargées d’assurer leur distribution aux personnes démunies. C’est sur ces procédures que porte la décision commentée.

En l’espèce, un rapport administratif d’enquête de la brigade interrégionale d’enquêtes de concurrence d’Île-de-France, Normandie, La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon a été transmis le 23 août 2018 à l’Autorité de la concurrence. Selon ledit rapport, sur la période 2013-2016, trois sociétés filiales du groupe Ovimpex ont déposé des offres en réponses aux appels d’offres lancés par France AgriMer. Distinctes et autonomes en apparence, il s’avère que les trois sociétés s’étaient en réalité concertées sur la présentation de leurs réponses financières.

En conséquence, les entreprises concernées auraient mises en œuvre des pratiques anticoncurrentielles et plus spécialement des ententes proscrites aussi bien en droit interne par l’article L. 420-1 du code de commerce qu’en droit de l’Union européenne par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE). En droit, une entente consiste en...

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Auteur d'origine: pastor

Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables participent à la détermination du résultat fiscal de l’entreprise, à condition qu’elles aient été effectivement constatées dans les comptes de l’exercice (CGI, art. 39). La dépréciation des titres de participation peut être constatée par la constitution d’une provision, les plus-values ou moins-values résultant de l’estimation des titres à la clôture de l’exercice étant alors appréciées, pour chaque catégorie de titres de même nature, par rapport à la valeur d’origine globale de l’ensemble des titres (CGI, annexe III, art. 38 septies). Lorsque la perte ou la charge en vue de laquelle elle a été constituée s’est réalisée et a été enregistrée au débit du compte de charges correspondant à sa nature, elle doit, corrélativement, faire l’objet d’une reprise par le crédit du compte de produits approprié (BOI-BIC-PROV-50, n° 60, 16 avr. 2014) : son montant doit être porté en déduction du résultat fiscal de l’exercice au cours duquel elle a été inscrite en comptabilité. De ces règles découle la nature de la provision, qui participe ainsi d’une déduction, dans les comptes de résultats d’un exercice, en prévision de pertes ou de charges qui devraient affecter les résultats d’exercices ultérieurs.

Cette règle implique toutefois que la provision ait été régulièrement constatée et notamment qu’elle ait été effectivement inscrite en comptabilité.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Jusqu’au 31 décembre 2004, la société Orange, mère d’un groupe fiscalement intégré, détenait la totalité du capital de la société Cogecom, incluse dans le périmètre d’intégration fiscale. Les titres Cogecom ont, en 2002 et 2003, fait l’objet de provisions pour dépréciation, non déduites fiscalement. En décembre 2005, la société Cogecom a fait l’objet d’une transmission universelle de patrimoine au profit de la société France Télécom SA avec effet rétroactif au 1er janvier 2005 : devenues sans objet, les provisions pour dépréciation des titres Cogecom ont été annulées à la clôture de l’exercice 2005, mais cette annulation n’a pas été prise en compte pour la détermination du résultat fiscal de cet exercice dès lors que les provisions n’avaient pas été déduites pour la détermination des résultats fiscaux des exercices antérieurs. En revanche, la société France Télécom a déduit la perte, correspondant à des moins-values, résultant de la transmission universelle de patrimoine à son profit, substituant l’actif net reçu de Cogecom à...

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Auteur d'origine: Delpech

Si l’assureur peut désormais librement choisir entre les subrogations légale et conventionnelle de droit commun, d’une part, et la subrogation légale spéciale de l’article L. 121-12 du code des assurances, d’autre part, le mécanisme de la subrogation suppose toujours un paiement et une action en réparation susceptible d’être transmise à l’assureur (P. Casson, Le recours en remboursement, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 132). Le recours récursoire de l’assureur a en principe lieu postérieurement au paiement, et donc à sa subrogation dans les droits de l’accipiens.

Ceci soulève toutefois une difficulté particulière concernant l’assurance dommages-ouvrage. Selon un système dit « à double détente », « l’assureur dommages-ouvrage assure le préfinancement avant de présenter ses recours aux assureurs de responsabilité décennale » (C. Charbonneau, L’assurance construction, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, op. cit., p. 400). Il peut ainsi arriver que l’assureur dommages-ouvrage soit assigné par le maître de l’ouvrage peu de temps avant la fin du délai de dix ans.

Afin de préserver ses recours récursoires contre les constructeurs, la jurisprudence lui permet de les intenter antérieurement au paiement. L’absence de qualité de subrogé de l’assureur dommages-ouvrage au moment de la délivrance de l’assignation n’est pas dirimante ; l’essentiel étant que le paiement de l’assuré ait effectivement lieu avant que le juge du fond n’ait statué. L’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 5 novembre 2020 en offre une nouvelle illustration.

En l’espèce, une commune a fait procéder à l’extension de l’hôtel de ville et à la construction de deux immeubles à usage de bureaux. Des désordres étant apparus sur les façades de l’hôtel de ville sous forme de dégradations du parement en briques, la commune a assigné son assureur dommages-ouvrage en indemnisation de ses préjudices. Celui-ci a, par la suite, assigné l’assureur des constructeurs en expertise. La commune et son assureur dommages-ouvrage ont finalement conclu une transaction. La cour d’appel de Douai, par un arrêt du 25 avril 2019, a déclaré irrecevable l’action de l’assureur dommages-ouvrage de la commune à l’encontre de l’assureur des constructeurs.
Dans son pourvoi en cassation,...

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Auteur d'origine: Dargent

Définie classiquement comme « une fiction juridique par suite de laquelle une créance, payée avec des deniers fournis par un tiers et, par conséquent, éteinte par rapport au créancier, est réputée subsister avec tous ses accessoires au profit de ce tiers afin d’assurer l’efficacité de son recours pour le remboursement des fonds qu’il a avancés » (G. Baudry-Lacantinerie, Précis de droit civil, t. 2, 13e éd., par P. Guyot, Sirey, 1925, n° 356), la subrogation personnelle est un mécanisme souvent invoqué par les assureurs afin d’obtenir remboursement des sommes versées.

Longtemps exclu de la subrogation personnelle de droit commun – tant légale que conventionnelle (C. civ., art. 1346 s. ; déjà anciens art. 1249 s.) – du fait que le paiement qu’il réalise a lieu en application du contrat d’assurance, l’assureur s’est vu reconnaître une faculté spéciale de subrogation dans les droits de l’assuré contre un tiers par la loi de 1930 (C. assur., art. L. 121-12).

Une évolution jurisprudentielle lui a, par la suite, permis d’invoquer également la subrogation légale (Civ. 3e, 13 nov. 2003, n° 02-14.500 : « celui qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation légale s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun ceux sur qui doit peser la charge définitive de la dette » ; solution consacrée par C. civ., art 1346 nouv.) et la subrogation conventionnelle (Civ. 1re, 22 juill. 1987, n° 85-18.842 : peut bénéficier de la subrogation conventionnelle « celui qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle (…) s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette ») prévues par le code civil.

La subrogation légale spéciale de l’article L. 121-12 n’est, en effet, pas considérée comme exclusive des subrogations de droit commun. Dès lors, « l’assureur dispose non seulement de la subrogation légale de l’article L. 121-12 du code des assurances, mais également de la subrogation légale de l’article 1346 du code civil, et de la subrogation conventionnelle de l’article 1346-1 du même code pour exercer son recours en remboursement sans avoir à respecter un ordre quelconque dans leur emploi » (P. Casson, Le recours en remboursement, in A. Cayol et R. Bigot (dir.), Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro,...

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Auteur d'origine: Dargent
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L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation ce 21 octobre est assurément un grand arrêt de droit aérien. On en veut d’abord pour preuve qu’il est affabulé des mentions les plus flatteuses dans la hiérarchie des arrêts de la Cour de cassation, à savoir FS-P+B+R+I. Il rend surtout, une fois n’est pas coutume, une décision très favorable aux intérêts des passagers victimes d’une annulation ou du retard important de leur vol, décision qui traduit une nouvelle fois le tropisme consumériste du droit des transports aériens des passagers. Enfin, il procède à un revirement de jurisprudence spectaculaire, quoique guère surprenant, puisque la Cour de justice de l’Union européenne avait invité la Cour de cassation française à revenir, sur le sujet qui nous intéresse dans cet arrêt, sur sa position.

De quoi est-il question ? De l’interprétation du règlement 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens, dont on sait qu’il prévoit une indemnisation forfaitaire du passager aérien en cas d’annulation de vol (art. 7). Du point de vue du droit à indemnisation, la jurisprudence européenne (CJUE 19 nov. 2009, aff. jtes C-402/07 et C-432/07, Sturgeon, D. 2010. 1461 , note G. Poissonnier et P. Osseland ; ibid. 2011. 1445, obs. H. Kenfack ; JT 2010, n° 116, p. 12, obs. X.D. ; RTD com. 2010. 627, obs. P. Delebecque ; RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard ; ibid. 2015. 241, obs. P. Bures ), à laquelle s’est ralliée la Cour de cassation, assimile le retard important – c’est-à-dire de plus de trois heures – à l’annulation. Cependant, ce droit à indemnisation ne s’applique qu’à condition que le passager se soit présenté à l’enregistrement (et pas, à l’inverse, s’il est resté chez lui – sauf s’il a été informé au préalable par la compagnie aérienne de l’annulation du vol ; règl. 261/2004, art. 3, § 2, a, et 5, § 1er, c). Traditionnellement, selon la jurisprudence française, c’est au passager qui sollicite une indemnisation pour retard de vol qu’il appartient de prouver non seulement qu’il a réservé un siège pour le vol concerné, mais encore qu’il s’est présenté à l’enregistrement, et ce à l’heure imposée par la compagnie aérienne (Civ. 1re, 14 févr. 2018, n° 16-23.205, Bull. civ. I, n° 34 ; Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 461 ; ibid. 1412, obs. H. Kenfack ; RTD com. 2018. 453, obs. B. Bouloc ; RTD eur. 2019. 414, obs. A. Jeauneau ; RCA 2018, n° 116, obs. L. Bloch ; JCP E 2018. 1240, obs. L. Siguoirt, et 1281, obs. P. Dupont et G. Poissonnier). La règle peut paraître sévère pour le passager, mais force est de reconnaître qu’elle est parfaitement conforme au droit commun de la preuve : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver » (C. civ., art. 1353, al. 1er). La Cour de cassation ne facilite d’ailleurs pas la tâche du passager, puisqu’elle juge la production d’une copie du billet électronique ainsi que de la carte d’embarquement insuffisante (Civ. 1re, 10 oct. 2019, n° 18-20.491, Dalloz actualité, 24 oct. 2019, obs. X. Delpech ; D. 2020. 262 , note P. Dupont et G. Poissonnier ; ibid. 1425, obs. H. Kenfack ; JT 2019, n° 224, p. 10, obs. X. Delpech ; RTD com. 2019. 974, obs. B. Bouloc ). Il faut dire qu’avec la dématérialisation des titres de transport, il est désormais possible de télécharger ces documents de chez soi désormais. L’époque où c’était un membre du personnel au sol de la compagnie aérienne qui remettait la carte d’embarquement en mains propres au passager est largement révolue. On ajoutera que les tribunaux n’exigent même pas du transporteur, pour alléger la démarche probatoire du passager, qu’ils produisent la liste des passagers s’étant présentés en temps et en heure à l’enregistrement, alors même qu’il a ce document en sa possession.

Pour autant, certaines juridictions du fond ont imaginé quelque stratagème pour contourner cette jurisprudence. Tel est notamment le cas du tribunal d’instance de Paris (TI Paris, 30 mai 2018, n° 11-17-000719, JT 2019, n° 220, p. 44, obs. C. Lachièze  ; 7 déc. 2018, n° 11-17-080719, D. 2019. 69, obs. G. Poissonnier ; JT 2019, n° 220, p. 44, obs. C. Lachièze ). Il a, en effet, jugé que la preuve de l’enregistrement des passagers peut être rapportée par tout moyen et notamment par présomption. Il bénéficie d’une présomption simple résultant de la réservation, présomption que le transporteur peut renverser en rapportant la preuve que le passager n’a pas embarqué. Et, sur le fondement des articles 11 et 142 du code de procédure civile, le tribunal a enjoint à la compagnie aérienne dont le vol a été en retard de produire certains documents qu’elle détient et qui permettent d’attester la présence ou non du demandeur à l’enregistrement. Il s’agit, en l’occurrence, des données dites Passenger Name Record, prévues par l’article R. 232-14, I, a, 10°, du code de la sécurité intérieure que les compagnies aériennes sont tenues de détenir au nom de la lutte contre le terrorisme. Mais la compagnie ayant refusé de produire ces documents, le tribunal tire les conséquences de ce refus : il décide tout simplement que le passager a bien été victime d’un retard de plus de trois heures sur un trajet de plus de 3 500 km et condamne la compagnie à lui payer 600 € au titre de l’indemnité forfaitaire, 200 € au titre de la résistance abusive et 600 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Au nom de la recherche de la vérité, et peut-être également d’une certaine exigence de loyauté procédurale de la part des parties au procès, le juge sait parfois s’affranchir de la rigidité du droit de la preuve.

Il n’en demeure pas moins que la position de la Cour de cassation, si elle avait à l’évidence la faveur des compagnies aériennes, a suscité la circonspection. La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de s’inviter dans ce débat, dans un litige qui concernait précisément la France, puisqu’elle a été saisie par la voie préjudicielle par le tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois. Elle a statué, par voie d’ordonnance, dans un sens beaucoup plus favorable aux intérêts des passagers. Elle a jugé, en effet, que le règlement 261/2004, et notamment son article 3, § 2, a, « doit être interprété en ce sens que des passagers d’un vol retardé de trois heures ou plus à son arrivée et possédant une réservation confirmée pour ce vol ne peuvent pas se voir refuser l’indemnisation en vertu de ce règlement au seul motif qu’à l’occasion de leur demande d’indemnisation, ils n’ont pas prouvé leur présence à l’enregistrement pour ce vol, notamment au moyen de la carte d’embarquement, à moins qu’il soit démontré que ces passagers n’ont pas été transportés sur le vol retardé en cause, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier » (CJUE, ord., 24 oct. 2019, aff. C-756/18, D. 2019. 2133, obs. G. Poissonnier ; ibid. 2020. 1425, obs. H. Kenfack ; JT 2019, n° 225, p. 10, obs. X. Delpech ; RTD eur. 2020. 418, obs. L. Grard ). Cela signifie donc que la charge de la preuve de la présence à l’embarquement du passager à l’heure prévue du vol finalement annulé ou retardé ne repose donc pas sur le passager, mais sur la compagnie aérienne, laquelle a tout de même la possibilité de renverser la charge de la preuve, en établissant soit que le passager a finalement embarqué sur un autre vol, soit qu’il ne s’est pas présenté à l’embarquement.

Bien que la décision rendue soit une ordonnance – donc une décision provisoire –, elle s’impose aux juridictions nationales, en particulier françaises. Et il va de soi que la Cour de cassation s’est trouvée en porte-à-faux et allait être obligée de revenir sur sa jurisprudence. Ce qu’elle vient précisément de faire par cet arrêt du 21 octobre 2020. Le tribunal d’instance d’Aulnay-sous-Bois, toujours lui, mais statuant dans une affaire différente (il faut dire que c’est dans le ressort de ce tribunal que se situe le siège ou la succursale française de la plupart des compagnies aériennes), confronté à une demande d’indemnisation d’une passagère qui disposait d’une réservation confirmée pour un vol aller-retour de Bordeaux à Lisbonne, et dont l’avion, lors du retour, est arrivé à destination avec un retard de plus de trois heures, avait jugé, pour rejeter cette demande et conformément à la position jusque-là adoptée par la haute juridiction, que la passagère qui produit une réservation confirmée pour le vol en cause ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle s’était présentée à l’enregistrement. Le jugement est cassé au visa de l’article 3, § 2, sous a, du règlement (CE) n° 261/2004 : « En statuant ainsi, alors qu’il lui incombait de vérifier si le transporteur aérien démontrait que [la passagère] n’avait pas été transportée sur le vol retardé en cause, le tribunal d’instance a violé le texte susvisé ». Ce qu’il a – à tort – omis de faire. Il va de soi que ce revirement de jurisprudence ne fait pas l’affaire des compagnies aériennes, déjà fortement mises à mal, depuis le début de cette année, par la forte chute du trafic aérien consécutivement à la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19. 

Auteur d'origine: Delpech
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Monsieur B… a déposé le 5 décembre 2005 la marque verbale Saint Germain n° 05 3 395 502 pour des boissons alcooliques. Il a assigné, le 8 juin 2012, les sociétés Cooper International Spirits, Établissements Gabriel Boudier et St Dalfour en contrefaçon pour avoir distribué une liqueur de sureau sous la dénomination « St-Germain ». Dans une autre instance, à la suite d’un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 28 février 2013, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 22 février 2014, devenu irrévocable, M. B… a été déchu de ses droits sur sa marque à compter du 13 mai 2011. Malgré la déchéance de ses droits sur la marque antérieure, il a maintenu ses demandes contre les trois sociétés pour la période antérieure à cette déchéance, soit du 8 juin 2009 au 12 mai 2011. Le tribunal le déboute de sa demande. Le 13 septembre 2016, la cour d’appel de Paris confirme la décision du tribunal. Le demandeur se pourvoit donc en cassation. La Cour de cassation se trouvant devant une question inédite décide de surseoir à statuer et saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le 26 mars 2020, la CJUE se prononce sur l’interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, en offrant la liberté aux États membres d’accepter ou de refuser qu’une marque déchue puisse être invoquée dans le cadre d’une action en contrefaçon pour la période précédant sa déchéance, c’est-à-dire pour la période allant de son enregistrement à cinq ans plus tard (CJUE, 5e ch., 26 mars 2020, aff. C-622/18, Dalloz actualité, 22 avr. 2020, obs. J. Daleau ; Dalloz IP/IT 2020. 500, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD com. 2020. 341, obs. J. Passa ).

À la suite de ce renvoi préjudiciel, la Cour de cassation saisit la liberté accordée par la CJUE en acceptant que les effets de la déchéance d’une marque ne concernent que la période pour laquelle un usage de la marque doit être démontré. Ainsi, la Cour de cassation précise dans cet arrêt du 4 novembre 2020 les conditions nécessaires pour qu’une atteinte à une marque antérieure déchue, faite pendant la période antérieure à sa déchéance, par une marque contestée, puisse être sanctionnée au titre de la contrefaçon. Dans ce cas particulier, cette dernière va estimer que, si l’usage de la marque antérieure déchue n’a pas besoin d’être démontré, il n’en est pas de même pour la marque contestée.

L’absence de nécessité de démontrer l’usage de la marque antérieure déchue

La Cour de cassation casse totalement l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui se fonde sur l’absence d’usage de la marque antérieure pour apprécier l’existence d’un acte de contrefaçon. Au contraire, la Cour de cassation indique qu’il ne s’agit pas d’un deuxième examen de l’usage de la marque antérieure, la déchéance de cette dernière ayant déjà été prononcée pour défaut d’usage. Ainsi, en suivant les recommandations faites par la CJUE, la Cour de cassation se réfère aux « éléments résultant de l’enregistrement de la marque » et non à l’usage de la marque antérieure (CJUE 26 mars 2020, préc., pts 38 et 39). En l’espèce, cela signifie que la Cour de cassation renvoie aux pièces fournies par l’opposant, alors même qu’elles avaient été considérées comme « vagues et peu circonstanciées » pour établir l’usage de la marque antérieure. Ainsi, même si ces dernières n’ont pas été assez pertinentes pour démontrer l’usage de la marque, elles ne doivent pas, pour autant, être négligées pour apprécier si la marque en cause a exercé sa fonction essentielle (CJCE 22 juin 1976, Société Terrapin Ltd c. société Terranova Industrie CA Kapferer & Co., aff. C-119-75, pt 6, JCP 1976. I. 2825, note J.-J. Burst et R. Kovar).

Selon la Cour de cassation, il est nécessaire de procéder ainsi pour ne pas dénaturer les articles L. 713-3 et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 13 novembre 2019, de leur substance. En effet, ces articles disposent clairement qu’aucun usage de la marque antérieure n’a besoin d’être démontré pour agir en contrefaçon si la marque est enregistrée depuis moins de cinq ans. Seul un risque de confusion dans l’esprit du public visé par les produits et services doit être démontré. Si, comme le soutient la cour d’appel, un risque de confusion ne peut être démontré sans atteinte à la fonction essentielle de la marque, « qui est de garantir au consommateur l’identité d’origine du produit ou du service désigné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance » (CJCE 18 juin 2002, Koninklijke Philips Electronics NV c. Remington Consumer Products Ltd, aff. C-299/99, pt 30, RTD com. 2002. 769, obs. M. Luby ; ibid. 2003. 500, obs. J. Azéma ; Propr. ind. 2012, n° 2, p. 38-39, note A. Folliard Monguiral), la démonstration de l’usage de la marque antérieure n’en est pas pour autant nécessaire. En effet, dans ce cas et selon la Cour de cassation, la démonstration de l’atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque ne nécessiterait pas la fourniture de pièces aussi probantes que celles demandées lors de la démonstration de l’usage d’une marque.

Le besoin de démontrer l’usage de la marque contestée

Alors que la cour d’appel se fonde sur l’absence d’usage de la marque antérieure pour rejeter l’action en contrefaçon, la Cour de cassation s’intéresse, quant à elle, à l’usage de la marque contestée. Les hauts magistrats reprennent l’ensemble des pièces présentées par l’opposant pour démontrer l’usage de la marque contestée et observent qu’elle a bien été exploitée en France pour produire de la liqueur de sureau. La marque contestée était donc connue du public pertinent dans la période antérieure à la déchéance de la marque antérieure. De plus, la Cour de cassation rappelle que, lors d’une saisie-contrefaçon, la date devant être prise en compte n’est pas celle de l’acte de saisie-contrefaçon mais bien celle des preuves ayant été établies grâce à cet acte. En démontrant l’exploitation de la marque contestée, non autorisée par le titulaire de la marque antérieure, ce dernier prouve que les conditions de l’action en contrefaçon, prévues à l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, sont réunies.

Pour autant, même si les conditions de l’action en contrefaçon sont remplies grâce à la démonstration du titulaire de la marque antérieure déchue, il est peu probable que ce dernier voie sa demande indemnisée à hauteur des efforts fournis et de la longueur de la présente procédure. En effet, comme le soulèvent les défenderesses, le titulaire de la marque antérieure ne devrait pas percevoir plus qu’une « indemnisation symbolique ». Soit ce dernier peut demander une somme forfaitaire, et le juge apprécie alors souverainement le montant des dommages et intérêts (G. Henry, L’évaluation en droit d’auteur, LexisNexis, 2007, p. 304, pt 385), soit, en l’absence de forfait, le juge doit prendre en considération distinctement les conséquences économiques négatives, c’est-à-dire le manque à gagner et les pertes subies, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par le contrefacteur dont les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels (H. Diaz, Évaluation et indemnisation du préjudice résultant du délit de contrefaçon, Dalloz actualité, 21 mars 2018, obs. ss. Crim. 27 févr. 2018, n° 16-86.881). Ainsi, peu importe le choix fait par l’opposant, les dommages et intérêts qu’il percevra dépendront du degré d’exploitation de sa marque antérieure, et non uniquement de l’usage de la marque contestée. Dès lors, si l’usage d’une marque antérieure déchue n’a pas besoin d’être démontré dans le cadre d’une action en contrefaçon, son absence de démonstration a tout de même de lourdes conséquences sur le montant de la réparation du préjudice subi.

Auteur d'origine: nmaximin

En attendant la loi de finances pour 2021 qui devrait permettre aux bailleurs de bénéficier d’un crédit d’impôt en cas d’abandon d’une partie des loyers dus par leurs entreprises locataires administrativement fermées ou particulièrement affectées par les restrictions sanitaires (sur ce point, v. le site du ministère de l’Économie, des finances et de la relance), l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 s’intéresse aux impayés de loyers et de factures d’électricité, de gaz ou d’eau.

Ces mesures, applicables rétroactivement à compter du 17 octobre 2020, s’inspirent fortement de celles issues de l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.

Les personnes concernées pas les mesures

Les mesures sont applicables aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application de l’article 1er-I, 2° et 3°, de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou de l’article L. 3131-15-I, 5°, du code de la santé publique.

Les critères d’éligibilité seront précisés par décret, lequel déterminera les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.

Les mesures relatives aux impayés de loyers et de charges locatives

Pour les loyers et les charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police susmentionnée et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle cette activité cesse d’être affectée, les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique concernée ne peuvent encourir :

• d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière,

• ou toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.

Pendant cette période, les sûretés (réelles et personnelles) garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires.

Il s’agit de dispositions d’ordre public (toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, étant réputée non écrite).

Le texte précise enfin :

• que ce qui précède ne fait pas obstacle à la compensation au sens de l’article 1347 du code civil,

• que les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration du délai de deux mois susmentionné,

• que les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à la même date.

Mesures relatives aux factures d’électricité, de gaz ou d’eau

Les mesures qui suivent concernent les contrats afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où l’activité des personnes concernées est affectée par une mesure de police administrative.

Jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’activité des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique cesse d’être affectée, ne peuvent procéder à la suspension, à l’interruption ou à la réduction (y compris par résiliation de contrat) de la fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau auxdites personnes pour non-paiement par ces dernières de leurs factures :

• les fournisseurs d’électricité titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 333-1 du code de l’énergie,

• les fournisseurs de gaz titulaires de l’autorisation mentionnée à l’article L. 443-1 du même code,

• les fournisseurs et services distribuant l’eau potable pour le compte des communes compétentes au titre de l’article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales.

Il est par ailleurs précisé qu’au cours de la même période, les fournisseurs d’électricité ne peuvent procéder à une réduction de la puissance distribuée aux personnes concernées.

Enfin, ces fournisseurs sont tenus, à la demande des bénéficiaires des mesures, de leur accorder le report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 17 octobre 2020 et l’expiration du délai de deux mois susmentionné, et non encore acquittées. Ce report ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des personnes précitées. Le paiement des échéances reportées est alors réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures, sur une durée ne pouvant être inférieure à six mois.

Auteur d'origine: Rouquet

Parmi les nombreux moyens de défense dont dispose la caution, l’obligation de mise en garde ainsi que la proportionnalité figurent en bonne place. Ils sont d’ailleurs fréquemment soulevés en même temps, comme en témoigne un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, le 1er février 2010, une banque a consenti à une société un prêt de 170 000 € pour lequel son gérant s’est rendu caution solidaire dans la limite de 221 000 €. Se prévalant d’une créance impayée, la banque a assigné en paiement la société débitrice principale, ultérieurement mise en redressement puis liquidation judiciaire. La caution lui a alors opposé la disproportion manifeste de son engagement et un manquement à son obligation de mise en garde. Les juges du fond n’ont pas fait droit à ses demandes et l’ont condamné, en conséquence, à payer à la banque la somme de 114 240 € avec intérêts au taux légal capitalisés à compter du 3 avril 2014. Elle se pourvut donc en cassation, mais en vain.

S’agissant tout d’abord de l’exigence de proportionnalité du cautionnement, la Cour régulatrice retient qu’« Il résulte de l’article L. 341-4 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016 alors applicable que, dès lors qu’un cautionnement conclu par une personne physique n’était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s’en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle a été appelée » (pt 4) et que « le moyen, qui postule le contraire, n’est pas fondé » (pt 5). La solution est irréprochable : l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation (devenu l’article L. 332-1 à la faveur de l’ordonnance du 14 mars 2016. V. égal., C. consom., art. L. 343-4, posant exactement la même règle !) dispose en effet qu’ « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et...

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Auteur d'origine: jdpellier