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On sait qu’un droit de rétractation est reconnu à l’emprunteur en matière de crédit à la consommation (C. consom., art. L. 312-19, anc. art. L. 311-12). Afin d’assurer l’effectivité de ce droit, le législateur, sous l’influence de l’Union européenne (dir. 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs), impose au prêteur de joindre à l’exemplaire du contrat de crédit remis à l’emprunteur un formulaire de rétractation détachable (C. consom., art. L. 312-21, anc. art. L. 311-12), sous peine de déchéance du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge (C. consom., art. L. 341-4, anc. art. L. 311-48) et d’une amende prévue pour les contraventions de la 5e classe (C. consom., art. R. 341-4). Pour renforcer cette exigence, il revient au professionnel de prouver qu’il a bien exécuté son obligation. Mais la reconnaissance par l’emprunteur de cette remise au sein de l’offre préalable constitue-t-elle une preuve suffisante ? C’est à cette question qu’a dû répondre la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2020. En l’espèce, suivant acte du 5 février 2013, une banque, a consenti à un emprunteur un crédit à la consommation. À la suite d’échéances demeurées impayées et du placement sous curatelle de l’emprunteur, prononcé par jugement du 18 février 2015, la banque l’a, par actes des 8 et 9 juin suivants, assigné ainsi que son curateur, en paiement du solde du prêt. L’emprunteur a notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts, en l’absence de remise du bordereau de rétractation prévu à l’article L. 311-12 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation.

La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 29 novembre 2018, a rejeté la demande de l’emprunteur et l’a condamné au paiement d’une certaine somme à la banque au motif que la reconnaissance écrite, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer sa remise effective et que l’emprunteur n’apporte pas la preuve de l’absence de remise du bordereau de rétractation par...

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Le phénomène de l’« ubérisation » frappe nombre de secteurs économiques. Celui de l’enseignement de la conduite n’y échappe pas. Il faut dire que le législateur l’a encouragé, au nom de l’objectif de démocratisation du permis de conduire. Pour la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (art. 28 à 30), dite « loi Macron », cette démocratisation devait passer par une libéralisation de l’enseignement de la conduite. À cette fin, plusieurs mesures contenues dans cette loi ont cherché à moderniser les relations entre les élèves et les écoles de conduite, en offrant notamment la possibilité à ces dernières de conclure des contrats sous une forme dématérialisée, sous réserve de la réalisation préalable d’une évaluation de l’élève par un enseignant dans le local ou dans un véhicule de l’établissement. Sur le fondement de cette législation, sont apparues des plateformes dématérialisées proposant à des candidats libres au permis de conduire une mise en relation avec des enseignants indépendants (exerçant généralement leur activité sous le régime du micro-entrepreneur) de la conduite censés être bénévoles, mais louant en réalité un véhicule d’apprentissage à l’élève, la plateforme se rémunérant par une commission perçue sur le prix de la location du véhicule. Plusieurs plateformes de ce type ont ainsi vu le jour ces dernières années (Ornikar, Le permis libre, etc.).

Ce mode inédit d’exercice de l’enseignement de la conduite a inévitablement suscité une levée de boucliers de la part des exploitants d’auto-écoles « traditionnels » et de leurs représentants, qui ont vu en ces nouveaux acteurs une source de concurrence déloyale. Ce qui a suscité une réaction des pouvoirs publics. Une réponse ministérielle a même pris position en leur faveur : elle a pu considérer ces pratiques comme illégales, un tel schéma constituant, selon elle, un contournement de l’obligation de dispenser l’enseignement de la conduite à titre onéreux dans le cadre d’un établissement agréé (Rép. min., H. Féron, n° 89118, JOAN Q 7 juin 2016, p. 5097). Par ailleurs, une instruction ministérielle relative aux opérations de contrôle en matière d’enseignement de la conduite invitant les préfets à procéder régulièrement à des opérations de contrôle sur ces plateformes, et plus précisément à s’assurer, d’une part, que ces opérateurs détiennent effectivement l’agrément requis et, d’autre part, qu’elles ne se rendent pas coupables de travail dissimulé. L’idée implicitement exprimée dans cette instruction réside dans le fait que l’activité des enseignants de la conduite ayant recours à une plateforme de mise en relation par voie électronique serait susceptible de révéler un lien de subordination entre l’enseignant et la plateforme (Instr. 6 mai 2017 relative aux opérations de contrôle en matière d’enseignement de la conduite, NOR : INTS1708686J).

Sur la base de cette instruction, les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi Auvergne-Rhône-Alpes ont diligenté un contrôle contre la société exploitant la plateforme « Le permis libre », qui a conclu à l’existence de liens salariaux dissimulés entre l’exploitant de la plateforme et les moniteurs affiliés à cette dernière sous le régime du micro-entrepreneur (anciennement auto-entrepreneur). Au visa de ces conclusions, le préfet du Rhône a, par arrêté du 13 avril 2018, prononcé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 8272-2 du code du travail, siège du pouvoir de sanction administrative du travail illégal, la fermeture administrative pour une durée de trois mois, de l’établissement mis en cause.

Évidemment, les exploitants de la plateforme ne sont pas restés sans réaction et ont saisi le tribunal administratif de Lyon. Celui-ci a d’abord suspendu en référé l’exécution de l’arrêté préfectoral compte tenu du doute sérieux quant à la légalité de celui-ci (TA Lyon, ord. réf., 22 mai 2018, n° 1803117). Puis, par un jugement sur le fond, le même tribunal a partiellement annulé l’arrêté, limitant la fermeture administrative de la société exploitant la plateforme à un mois et demi (TA Lyon, 20 nov. 2018, n° 1803116). Les dirigeants de cette société ont alors fait appel de ce jugement, afin d’obtenir l’annulation complète et pas seulement partielle de l’arrêté préfectoral. Ils ont obtenu gain de cause, la cour administrative d’appel de Lyon ayant refusé de reconnaître l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et les moniteurs affiliés. Il faut dire que, en application de l’article L. 8221-6 du code du travail, les personnes exerçant leur activité sous le régime du micro-entrepreneur sont des travailleurs indépendants et qu’ils « bénéficient » à ce titre d’une présomption de non-salariat envers leur donneur d’ordre. Il s’agit cependant d’une présomption simple, qui peut être renversée en rapportant la preuve contraire, ce qui suppose, comme l’affirme classiquement la cour administrative d’appel de Lyon et s’agissant de l’administration, que cette dernière établisse « que les intéressés fournissent directement ou par personne interposée des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ».

Or, l’existence d’un lien de subordination permanent, critère de la relation salariée, n’est pas établie en l’occurrence, juge la Cour. En particulier, elle relève que si « les tarifs des heures de conduite sont fixés et modifiés unilatéralement par la [plateforme] qui reverse la rémunération aux moniteurs, ceux-ci sont libres de proposer leur service à d’autres structures agréées de formation à la conduite automobile, de choisir le nombre d’heures d’enseignement à dispenser sous l’enseigne [X], leurs horaires, leur secteur géographique ou bien encore de renoncer à proposer leur prestation sans qu’aucun objectif quantitatif ne puisse leur être imposé ». Par ailleurs, poursuit-elle, « si les moniteurs doivent accepter de se soumettre à l’évaluation des candidats, si la [plateforme] se réserve la faculté de suivre le taux de réussite à l’examen du permis de conduire par enseignant, ces clauses sont dépourvues de prérogative hiérarchique permettant de contraindre un moniteur à modifier ses pratiques ». En d’autres termes, les avis clients et autres « like » ne peuvent être la source d’un pouvoir hiérarchique assimilable à celui d’un employeur, dès lors qu’ils n’entraînent pas, en cas d’avis négatif, le déclenchement d’un pouvoir correcteur dans le comportement du moniteur d’auto-école . Enfin, la Cour relève que si la plateforme « dispose d’un pouvoir de sanction en cas d’annulation par le formateur d’une réservation en deçà du délai contractuel de quarante-huit heures ou en cas de mauvaise évaluation par les élèves, ces stipulations visent, comme dans toute relation d’affaires, à pénaliser la partie qui n’exécute pas ou exécute mal ses obligations et n’instaurent pas de lien de subordination entre le gestionnaire de la plateforme et ses prestataires ». On aurait aimé connaître la teneur exacte de ce pouvoir de sanction, en l’espèce, toujours est-il que la cour administrative d’appel de Lyon a estimé qu’il n’était pas suffisamment pénalisant pour les moniteurs pour pouvoir constituer l’indice d’un lien de subordination. La plateforme ici en cause ne va probablement pas aussi loin que la foodtech Take Eat Easy, qui se réservait la faculté d’adresser des pénalités (« strike ») à ses livreurs à vélo (« bikers ») en cas de manquement de ceux-ci à leurs obligations contractuelles, le cumul de quatre strikes conduisant à la désactivation du compte du livreur et donc à la résiliation de son affiliation à la plateforme.

C’est d’ailleurs incontestablement dans le sillage de l’arrêt Take Eat Easy de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 novembre 2018 que cet arrêt du 1er octobre 2020 se situe (Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079, D. 2019. 177, et les obs. , note M.-C. Escande-Varniol ; ibid. 2018. 2409, édito. N. Balat ; ibid. 2019. 169, avis C. Courcol-Bouchard ; ibid. 326, chron. F. Salomon et A. David ; ibid. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ contrat 2019. 46, obs. L. Gamet ; Dr. soc. 2019. 185, tribune C. Radé ; RDT 2019. 36, obs. M. Peyronnet ; ibid. 101, chron. K. Van Den Bergh ; Dalloz IP/IT 2019. 186, obs. J. Sénéchal ; JT 2019, n° 215, p. 12, obs. C. Minet-Letalle ; RDSS 2019. 170, obs. M. Badel ). Pour mémoire, dans l’arrêt Take Eat Easy, la Haute juridiction avait pris soin, pour requalifier en contrat de travail les contrats d’affiliation des bikers, d’inscrire sa solution dans la cadre de la définition la plus classique du lien de subordination, à savoir l’existence d’ordres, de directives et de sanctions en cas de mauvaise exécution du travail. La cour administrative d’appel ne se réfère nullement, en revanche, aux critères du lien de subordination retenus dans l’arrêt Uber rendu par la même chambre sociale, qui avait donné une importance toute particulière à l’existence d’un service organisé exploité par la plateforme de transport (Soc. 4 mars 2020, n° 19-13.316, D. 2020. 490, et les obs. ; ibid. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; AJ contrat 2020. 227 , obs. T. Pasquier ; Dr. soc. 2020. 374, obs. P.-H. Antonmattei ; ibid. 550, chron. R. Salomon ; RDT 2020. 328, obs. L. Willocx ).

On relèvera, enfin, une fois, n’est pas coutume, que la requalification d’un contrat de prestation de services indépendant en contrat de travail n’est pas recherchée ici par le « faux indépendant », l’inspection du travail, l’URSSAF ou encore par le procureur de la République, mais par l’administration, dans le cadre de son pouvoir de sanction administrative contre le travail dissimulé. En toute hypothèse la démarche reste la même : requalifier une relation indépendante en relation salariée. Le contentieux en la matière relève alors de la compétence du juge administratif et non pas du juge privé (conseil de prud’hommes en premier ressort), mais, et c’est heureux, le premier recourt aux mêmes critères que le second pour retenir l’existence d’un éventuel lien de subordination, ce qui devrait déboucher sur une convergence de solutions entre les deux ordres de juridiction sur cette question.

Auteur d'origine: Delpech
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On sait que la profession d’avocat n’échappe pas à la prescription biennale consacrée par l’article L. 218-2 du code de la consommation aux termes duquel « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans » (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 124). Encore faut-il, toutefois, que le client débiteur de l’honoraire soit un consommateur, défini par l’article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation comme, « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole » (V. par ex., Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-15.013 et n° 14-11.599, D. 2015. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers ; ibid. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; 14 janv. 2016, n° 14-26.943). C’est cette évidence que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2020. En l’espèce, la veuve d’un sculpteur a été désignée, par testament, légataire universelle et exécutrice testamentaire, ainsi que « trustee » du trust créé par celui-ci afin de gérer ses œuvres. Elle a donné mandat à un avocat de défendre ses intérêts dans le règlement de la succession de son...

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Auteur d'origine: jdpellier
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Par un important arrêt rendu le 8 septembre 2020 (Crim. 8 sept. 2020, n° 19-84.983, FS-P+B+I, D. 2020. 1719 ), la chambre criminelle de la Cour de cassation poursuit, en parallèle de l’évolution législative, le renversement de sa jurisprudence acquise depuis 1971 relative à l’opposabilité des nullités résultant de l’article L. 113-8 du code des assurances (Civ. 1re, 23 juin 1971, n° 70-10.512, Bull. civ. I, n° 204). À ce titre, elle retenait traditionnellement qu’était opposable à la victime la nullité du contrat pour réticence ou fausse déclaration intentionnelle de l’assuré à l’assureur, conformément au droit commun des contrats (A. Cayol, L’assurance automobile, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, p. 378).

Partant, la victime était privée de toute indemnisation par l’assurance. Elle devait, en conséquence, se tourner vers le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). Cette solution s’expliquait notamment par le fait que le contrat d’assurance était rétroactivement annulé. En ce sens, ce contrat était sensé n’avoir jamais existé. Dès lors, les tiers victimes ne pouvaient aucunement s’en prévaloir.

Ce n’est que depuis 2019 (Civ. 2e, 29 août 2019, F-P+B+I, n° 18-14.768, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot ; D. 2019. 1652 ; ibid. 2020. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre ; bjda.fr 2019, n° 65, obs. A. Cayol) que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation admet - position confirmée en début d’année 2020 (Civ. 2e, 16 janv. 2020, F-P+B+I, n° 18-23.381, Dalloz actualité, 29 janv. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 79 ; ibid. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre ) – que les nullités tirées de l’article L. 113-8 du code des assurances sont inopposables à la victime et à ses ayants droit. Dès lors, l’assureur est désormais tenu de verser à ces derniers une indemnité pour le compte de l’assuré responsable. Il peut ensuite exercer contre celui-ci un recours subrogatoire pour toutes les sommes réglées ou mises en réserve. Il supporte alors le risque d’insolvabilité de l’assuré (D. Noguéro, L’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance responsabilité obligatoire automobile fondée sur la fausse déclaration intentionnelle du risque, D. 2020. 1205 ).

Ce bouleversement jurisprudentiel cristallise, à n’en pas douter, la position de la jurisprudence européenne en droit interne. En effet, par un arrêt « quatre étoiles » rendu en 2017, nommé Fidelidade, la Cour de justice de l’Union européenne a ouvert le bal de l’inopposabilité de la nullité aux tiers lésés en matière d’assurance automobile (CJUE, 6e ch., 20 juill. 2017, Fidelidade Companhia de Seguros, aff. C-287/16). À ce titre, les juges luxembourgeois ont dit pour droit que les articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du 16 septembre 2009 « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soient opposables aux tiers victimes […] la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité...

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Auteur d'origine: Dargent
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Une société, exerçant dans le secteur du camping et titulaire de la marque verbale française Indigo, a assigné en contrefaçon de marque notamment une autre société qui exploitait, sans son autorisation, des aires de stationnement pour camping-cars, véhicules, bus, minibus, parkings, sous l’enseigne et les marques semi-figuratives françaises Indigo.

Le tribunal de grande instance de Paris l’a déboutée de l’ensemble de ses prétentions, ce que la cour d’appel de Paris a confirmé et la Cour de cassation cassé et annulé, au visa de l’ancien article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, au motif qu’« […] en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, au vu des facteurs pertinents caractérisant leurs rapports, le consommateur, tout en les distinguant, pouvait attribuer une origine commune aux services offerts sous les marques en présence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Le présent arrêt est donc rendu après cassation et le débat porte uniquement sur les demandes formées par la société demanderesse au titre de la contrefaçon par imitation de la marque verbale Indigo.

De manière liminaire, la Cour se prononce sur l’argument, peu convaincant, soutenu par la société défenderesse et selon lequel elle n’exploiterait pas sous le signe Indigo des aires de stationnement pour camping-cars.

Après avoir balayé d’un revers de manche cet argument portant sur la matérialité de la contrefaçon en se fondant, en partie, sur deux procès-verbaux de constat d’huissier versés au débat, la Cour procède, dans un second temps, conformément aux arrêts fondateurs en matière de contrefaçon lato sensu (v. CJCE 11 nov. 1997, SABEL, aff. C-251/95, PIBD 1998. III. 248 ; Rec. CJCE 1997. I. 6191 ; D. affaires 1998. 208, obs. J.-P. S. ; D. 1997. 259 ; RTD com. 1998. 740, obs. M. Luby ; RTD eur. 1998. 605, obs. G. Bonet  ; 28 sept. 1998, Canon, aff. C-39/97, PIBD 1999. III. 28 ; RTD com. 1999. 552, obs. M. Luby ; RTD eur. 2000. 99, obs. G. Bonet  ; 22 juin 1999, Lloyd, aff. C-342/97, PIBD 1999. III. 363 ; D. affaires 1999. 1446 ; D. 1999. 215 ; RTD com. 2000. 89, obs. J.-C. Galloux ; ibid. 269, obs. M. Luby ; RTD eur. 2000. 99, obs. G. Bonet ), à l’appréciation globale du risque de confusion en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

Méthodiquement, les juges du fond comparent visuellement, auditivement et intellectuellement les signes en cause afin de pouvoir déterminer s’ils produisent ou non la même impression d’ensemble.

Ils jugent sans grande surprise que les signes sont similaires, les quelques éléments figuratifs des marques contestées n’altérant en rien le caractère immédiatement perceptible et dominant de l’élément verbal (v. en ce sens Com. 6 oct. 2015, n° 14-11.410, PIBD 2015. III. 784 ; LEPI 12/2015, n° 11, obs. D. Lefranc ; Bordeaux, 1re civ., 24 oct. 2017, n° 17/01848). L’inventaire des caractéristiques des signes litigieux met en évidence que les éléments graphiques, tels que les couleurs employées, la lettre O en forme de logo pointeur ou le U inversé sont à l’évidence secondaires et ne modifient pas la perception que le public peut avoir des signes.

La Cour s’investit ensuite dans ce qui constitue le cœur de son arrêt, à savoir la comparaison des services, l’identité ou la similarité de ces derniers étant primordiale dans l’appréciation du risque de confusion entre les signes.

Rappelons que la marque antérieure Indigo a été déposée pour désigner, en classe 43, le service de « camping (exploitation de terrains de camping) » et que les signes litigieux l’ont été pour désigner divers produits et services, notamment, en classe 39, les « services de parc de stationnement, location de places de stationnement ».

Il est ici précisé, d’une part, qu’il importe peu que l’action porte sur des services appartenant à des classes différentes de celles dans lesquelles la marque antérieure a été déposée, dans la mesure où il est de jurisprudence ancienne et constante que la classification de Nice n’a qu’une valeur administrative sans portée juridique (v. par ex. Colmar, 1re ch., sect. B, 26 nov. 2003, n° 2002/04948 ; INPI, 4 juin 2019, n° 18-5357), d’autre part, comme le relève la défenderesse à la saisine, que la comparaison des services doit s’effectuer uniquement en fonction des services tels que désignés dans les libellés des marques indépendamment de leurs conditions d’exploitation (v. en ce sens Com. 18 oct. 2016, n° 15-14.523, PIBD 2016. III. 913 ; JCP E 2016. 1612 ; Propr. ind. 2017, n° 2, obs. P. Tréfigny).

La Cour effectue tout d’abord, de manière appliquée et soignée, un rappel indispensable des définitions des termes « camping », « parking » ou « parc de stationnement » et « camping-car ».

Elle estime que « le propre d’un service de “camping (exploitation de terrains de camping)” est de mettre à la disposition de ses usagers un espace aménagé dans lequel ils pourront loger sous une tente, dans une caravane ou dans un camping-car pour de brefs séjours, généralement de caractère touristique ».

Elle en déduit de manière radicale qu’un tel service n’a pas la « même nature, la même fonction ni la même destination qu’un service d’aire de stationnement qui consiste à assurer le garage des véhicules terrestres à moteur, en ce compris les camping-cars, sans aucunement satisfaire à une fonction d’hébergement ni fournir les installations et équipements propres à assurer les conditions d’un séjour de caractère touristique et à créer l’espace de vie que constitue un camping ».

Aucun argument de la demanderesse ne semble prospérer devant la cour d’appel de renvoi qui se livre, en l’occurrence, à une interprétation très stricte et nous livre une définition négative de la similarité.

La cour d’appel de Paris rejette, en effet, la circonstance selon laquelle les aires de stationnement pour camping-cars propres à la société défenderesse offrent, en plus des services techniques tels que la vidange des eaux usées, le ravitaillement en eau et en électricité, un espace vert ainsi qu’une aire de jeu venant de toute évidence agrémenter le séjour de la clientèle pour tendre vers du camping. Le concept même de la place de parking dans un garage semble ici pourtant très éloigné !

On est d’autant plus loin du simple service de stationnement que la demanderesse à la saisine fait valoir en vain, outre le fait que le public pertinent (les camping-caristes) est le même, que, dans certains cas, des tarifs préférentiels optionnels sont proposés par la partie adverse dans le cadre de partenariats qu’elle a noués avec des opérateurs du secteur hôtelier. N’est-ce pas là un indice de complémentarité des services (v. par ex. pour la complémentarité des services de restauration et des boissons alcoolisées, Paris, 21 mars 2001, n° 2000/05511) ?

De surcroît, quand bien même le code de comportement publié par la Fédération française des associations et clubs de camping-cars interdit-il aux camping-caristes de « déballer » sur des aires de stationnement des stores, des tables ou bien encore des chaises comme ils pourraient le faire sur des terrains de camping, il apparaît que la réalité est tout autre. Il suffit pour s’en convaincre de se rendre dans certaines stations balnéaires françaises pendant la période estivale, ceci à titre d’exemple.

Enfin, la société demanderesse argue, en cause d’appel, que la société défenderesse a changé de dénomination en cours de procédure et a adopté la dénomination sociale Indigo Group, ce qui ne pourrait selon elle qu’aggraver le risque de confusion entre les signes.

La Cour en décide autrement. Malgré ces éléments et la forte similitude entre les signes, elle écarte le risque de confusion estimant que « le consommateur moyen de la catégorie des services concernés […] ne sera pas porté à attribuer une origine commune ni conduit à associer ces services comme provenant d’une même origine ».

Cet arrêt constitue donc une excellente illustration de l’application du principe de l’interdépendance entre les facteurs, conséquence directe de la règle de l’appréciation globale du risque de confusion. En ce sens, les différents facteurs pertinents faisant partie intégrante du faisceau d’indices sont interdépendants et se compensent les uns les autres. Le degré élevé de similitude entre les signes n’a pas, en l’espèce, pondéré l’absence de similarité des services.

La demanderesse à la saisine n’a plus qu’à accepter que la société Indigo Group utilise pour désigner ses services les marques complexes Indigo qui bénéficient, soit dit en passant, d’une forte notoriété dont elle pourrait indirectement profiter, au risque bien entendu de se rendre coupable d’actes de concurrence parasitaire.

Auteur d'origine: nmaximin

Afin de déterminer la solution idoine qui doit être réservée à une entreprise sous procédure collective, le législateur impose une information complète de la situation active et passive du patrimoine du débiteur. Partant, dès l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, une prisée et un inventaire du patrimoine du débiteur sont requis. L’inventaire suppose l’identification du patrimoine visé par la procédure collective et les éventuelles garanties y attachées. La prisée est quant à elle une estimation de ce patrimoine et des garanties qui le grèvent. Sauf exception, l’inventaire et la prisée sont dressés par un professionnel de l’évaluation. Ce dernier peut être un huissier, un notaire, un courtier en marchandises assermenté ou un commissaire priseur (C. com., art. L. 641-1, II, al. 7).

En principe, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le président du tribunal ou son délégué arrête la rémunération de la personne désignée pour dresser l’inventaire, au vu d’un compte détaillé ou le cas échéant selon le tarif qui lui est applicable (C. com., art. R. 641-14). En outre, il est également tenu compte des diligences accomplies, de la qualité du travail fourni et du respect des délais impartis par le technicien désigné (C. com., art. R. 621-23).

Ce corps de règles ne semble pas susciter de difficultés et il n’est pas étonnant de constater le faible nombre d’arrêts ou d’écrits portant sur la fixation de la rémunération du professionnel de l’évaluation en procédure collective. Reste que l’articulation du « droit...

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Auteur d'origine: Dargent
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par Guillaume Payanle 9 novembre 2020

Civ. 2e, 22 oct. 2020, F-P+B+I, n° 19-15.688

Dans le cadre d’une procédure de surendettement, le juge d’un tribunal d’instance – alors compétent (à compter du 1er janvier 2020, cette compétence a été conférée au juge des contentieux de la protection) – est saisi d’une demande de vérification de la créance d’une banque. Pour rappel, conformément aux articles L. 723-3 et R. 723-8 du code de la consommation, dans un délai de vingt jours, le débiteur peut contester l’état du passif dressé par la commission de surendettement et demander à celle-ci de saisir le juge compétent, aux fins de vérification de la validité des créances, des titres qui les constatent ainsi que du montant des sommes réclamées. La commission a d’ailleurs l’obligation de faire droit à cette demande.

Sans comparaître à l’audience, la banque demande par écrit que sa créance soit retenue à hauteur d’un certain...

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Auteur d'origine: gpayan

Le droit de la consommation déroge souvent aux principes les mieux établis du droit civil à des fins de protection du consommateur (V. à ce sujet, D. Fenouillet in D. Fenouillet (dir.), Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, nos 012.00 s., spéc., n° 012.33). Mais il n’en est pas toujours ainsi, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, à la suite d’un démarchage à domicile, un couple a acquis auprès d’une société une installation photovoltaïque, financée par un crédit de 22 500 €, souscrit auprès d’une banque. Soutenant que des irrégularités affectaient le bon de commande et que leur consentement avait été vicié en raison de manœuvres dolosives, les acquéreurs ont assigné le liquidateur du vendeur et la banque en nullité des contrats principal et de crédit affecté, en restitution des sommes versées au titre du crédit et en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel de Bourges, dans un arrêt du 25 octobre 2018, a rejeté leur demande d’annulation des contrats de vente et de crédit affecté, ce qui motiva un pourvoi en cassation, articulé en deux moyens. En premier lieu, les acquéreurs estimaient que la rentabilité économique d’une installation photovoltaïque relevait des caractéristiques essentielles du bien vendu. La Cour régulatrice ne fut pas sensible à cet argument : « Après avoir énoncé, à bon droit, que la rentabilité économique ne constitue une caractéristique essentielle d’une installation photovoltaïque au sens de l’article L. 111-1 du code de la consommation, qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel, la cour d’appel a retenu, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve produits et après avoir procédé à la recherche prétendument omise, qu’il n’était pas établi que le vendeur se serait engagé sur une rentabilité particulière qui serait inatteignable ou n’aurait obtenu le consentement des acquéreurs qu’en leur communiquant une étude économique fallacieuse. Elle a ajouté qu’il n’était pas prouvé que le vendeur aurait sciemment fait état d’un partenariat mensonger...

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Auteur d'origine: jdpellier

La discipline collective constitue la promesse d’un apurement cohérent du passif du débiteur sous procédure collective. Le concept soumet les créanciers concernés à plusieurs règles afin d’assurer une certaine égalité de traitement entre eux. Parmi elles, à compter du jugement d’ouverture de la procédure, les créanciers sont soumis au principe de l’arrêt ou de l’interdiction des procédures civiles d’exécution et de toutes les procédures de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture sous peine de caducité (C. com., art. L. 622-21-II et R. 622-19). Si cette sanction est prononcée, les fonds non distribués sont remis au liquidateur pour répartition entre les créanciers (C. com., art. R. 641-24). Ceci nous intéressera plus particulièrement sous l’angle de la compétence du juge pour prononcer la caducité. En effet, au sein de l’arrêt sous commentaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à déterminer quel était le juge compétent pour prononcer la sanction affectant une procédure de distribution en cours à la date du jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

En l’espèce, une banque inscrite en qualité de créancière hypothécaire sur un bien immobilier de son débiteur obtient, par un jugement d’adjudication du 26 septembre 2014, la vente aux enchères de ce bien. Le prix est séquestré entre les mains du créancier dans l’attente de sa distribution. Un mois plus tard, le débiteur est placé en liquidation judiciaire et le créancier procède à la déclaration de sa créance hypothécaire. Las, celle-ci sera admise à titre chirographaire par le juge commissaire, et ce, en raison de la disparition du privilège de la banque.

Estimant que la procédure de distribution du prix de vente de l’immeuble était caduque, le liquidateur assigne la banque devant le juge des référés du tribunal de grande instance, afin de la voir condamnée, sous astreinte, à restituer à la liquidation judiciaire le prix de vente et les intérêts sur les fonds séquestrés. Le mandataire fonde cette demande sur la lettre de l’article R. 622-19 du code de commerce, applicable en liquidation judiciaire par le biais de l’article R. 641-24, selon lequel les procédures de distribution du prix de vente d’un immeuble ne faisant pas suite à une procédure d’exécution ayant produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture, en cours au jour de ce jugement, sont caduques. La banque, de son côté, se prévaut de l’incompétence du juge des référés au profit de celle du juge de l’exécution pour prononcer cette sanction...

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Auteur d'origine: Dargent

La première chambre civile de la Cour de cassation a été une nouvelle fois saisie d’une question relative à l’articulation d’une clause bénéficiaire insérée dans le contrat d’assurance-vie avec les dispositions de dernières volontés prises par le défunt. En l’espèce, une femme est décédée en juin 2011 en laissant sa fille et son fils. Par ailleurs, un testament olographe qu’elle avait rédigé le 27 décembre 2001 institue sa fille et sa petite-fille, fille de son fils, légataire chacune de la moitié de la quotité disponible. En 2007, la fille a été autorisée en qualité de tutrice à souscrire au nom de sa mère un contrat d’assurance sur la vie auprès de la société Prédica, dont le paragraphe « bénéficiaires des garanties en cas de décès » indique « mes héritiers ». Cette clause désignant comme bénéficiaire les héritiers du défunt a encore été l’occasion d’un contentieux familial invitant les juges à se prononcer sur sa portée en présence d’un testament aux termes duquel le défunt lègue le disponible pour moitié à l’un d’eux et la seconde moitié à la fille de l’autre héritier.

Il est reproché aux juges du fond de n’avoir pas décidé que les héritiers de la souscriptrice visés par la clause bénéficiaire ne peuvent être que des héritiers légaux, en l’occurrence son fils et sa fille, auxquels seuls les légataires universels peuvent être assimilés. Ainsi, en jugeant valable le versement d’un sixième de la valeur de l’assurance à la petite-fille de la défunte instituée légataire à titre universel par testament, la cour d’appel aurait violé les articles 724 et 731 du code civil, ensemble les articles 1003 et 1010 du même code.

La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le fils de la souscriptrice par un arrêt du 30 septembre 2020 dont la teneur était parfaitement prévisible. Rappelant les solutions antérieurement adoptées, la Haute juridiction affirme tout d’abord qu’en application de « l’article L. 132-8 du code des assurances, le capital ou la rente garantis peuvent être payables...

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Auteur d'origine: Dargent
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Il est rare que le cautionnement soit confronté aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles additionnels. Il convient donc de prêter une certaine attention à l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 octobre 2020. En l’espèce, par un acte sous seing privé du 7 juin 2004, une société de crédit a consenti à une société un prêt d’un montant de 100 000 €. Par un acte du même jour, deux personnes se rendues caution de ce prêt. La société débitrice ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 27 juillet et 23 novembre 2006, la créancière a assigné les cautions en exécution de leurs engagements. Celles-ci ont demandé, reconventionnellement, l’annulation desdits engagements sur le fondement des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016. La cour d’appel de Basse-Terre, dans un arrêt du 12 novembre 2018, fait droit à leur demande en raison de l’irrégularité des mentions manuscrites, ce qui motiva un pourvoi en cassation de la créancière.

L’annulation du cautionnement était toutefois inéluctable au regard de la mention rédigée par les cautions : « Bon pour engagement de caution solidaire et indivise à concurrence de la somme de cinquante mille euros (50 000 euros) en capital, augmentée des intérêts du prêt au taux de 5,85 %, commissions, intérêts moratoires, frais et accessoires quelconques y afférents ». On comprend donc parfaitement que la Cour de cassation ait considéré que « l’arrêt en déduit exactement que le formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, n’a pas été respecté, dès lors que la mention manuscrite litigieuse ne comporte ni la durée du cautionnement ni l’identité du débiteur principal, et ne précise pas le sens de l’engagement ni n’indique ce que signifie son caractère “solidaire”. L’arrêt retient, en outre, que l’adjectif “indivise” contribue à la confusion et à l’imprécision en ce qu’il constitue un ajout par rapport à la mention légale, et que, de plus, il est impropre, et, en tout état de cause, non défini. En l’état de ces éléments, la cour d’appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision » (pt 4). On sait en effet que le formalisme des anciens articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation (devenus les articles L. 331-1 et L. 331-2 à la faveur de l’ordonnance du 14 mars 2016) est sanctionné par la nullité du cautionnement (cette nullité étant relative, v. en ce sens Com. 5 févr. 2013, n° 12-11.720 : « Mais attendu que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l’affectant », Dalloz actualité,  21 févr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1113, obs. V. Avena-Robardet , note R. Libchaber ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; Rev. sociétés 2013. 479, note D. Legeais ). Certes, ce formalisme a pu être quelque peu assoupli, mais certainement pas au point de faire l’impasse sur des éléments aussi importants que l’identité du débiteur principal ou encore la durée du cautionnement (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 118). On observera toutefois que l’adjectif « indivise », pour impropre qu’il soit, fait sans doute référence au caractère indivisible du cautionnement, caractère qui ne figure certes pas dans les mentions prévues par le code de la consommation, mais qui devrait sans l’ombre d’un doute pouvoir être stipulé au risque de brider la liberté contractuelle. L’intérêt d’une telle stipulation réside dans la possibilité de rendre le cautionnement indivisible à l’égard des héritiers de la caution (sur le caractère artificiel d’une telle stipulation en présence d’une obligation monétaire et l’intérêt du recours à la solidarité, v. M. Julienne, « Un contractant peut-il obliger solidairement ses héritiers ? », in Mélanges en l’honneur du professeur Michel Grimaldi. Liber amicorum, Defrénois, 2020).

Mais l’arrêt rendu par la chambre commerciale contient un autre enseignement : « la sanction de la nullité du cautionnement dont la mention manuscrite n’est pas conforme à celle prévue par la loi, qui est fondée sur la protection de la caution, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de l’établissement de crédit prêteur au respect de ses biens garanti par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (pt 5). On sait que les créanciers tentent souvent de faire valoir le droit au respect de leurs biens sur le fondement de ce texte (v. égal. Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.247 : « Attendu que la sanction de l’absence de revendication par le propriétaire d’un bien dans le délai prévu par l’article L. 624-9 du code de commerce ne consiste pas à transférer ce bien non revendiqué dans le patrimoine du débiteur mais à rendre le droit de propriété sur ce bien inopposable à la procédure collective, ce qui a pour effet d’affecter le bien au gage commun des créanciers, permettant ainsi, en tant que de besoin, sa réalisation au profit de leur collectivité ou son utilisation en vue du redressement de l’entreprise, afin d’assurer la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; que s’il en résulte une restriction aux conditions d’exercice du droit de propriété de celui qui s’est abstenu de revendiquer son bien, cette atteinte est prévue par la loi et se justifie par un motif d’intérêt général, dès lors que l’encadrement de la revendication a pour but de déterminer rapidement et avec certitude les actifs susceptibles d’être appréhendés par la procédure collective afin qu’il soit statué, dans un délai raisonnable, sur l’issue de celle-ci dans l’intérêt de tous ; que ne constitue pas, en conséquence, une charge excessive pour le propriétaire l’obligation de se plier à la discipline collective générale inhérente à toute procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires, en faisant connaître sa position quant au sort de son bien, dans les conditions prévues par la loi et en jouissant des garanties procédurales qu’elle lui assure quant à la possibilité d’agir en revendication dans un délai de forclusion de courte durée mais qui ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir », Dalloz actualité, 20 juin 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 758 ; ibid. 1801, obs. N. Reboul-Maupin et Y. Strickler ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; RTD civ. 2019. 617, obs. W. Dross ; RTD com. 2019. 490, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 2020. 176, obs. A. Martin-Serf ). Mais l’argument ne pouvait prospérer : il y a certainement une atteinte à ce droit dans la mesure où le cautionnement se trouve annulé, ce qui anéantit la créance contre la caution, mais cette atteinte est justifiée par la protection de cette dernière, objectif cher au législateur, comme en témoigne l’habilitation délivrée au gouvernement par l’article 60, I, 1°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, qui prévoit de « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’association Henri-Capitant, piloté par le professeur Michel Grimaldi, prévoit d’abroger les dispositions du code de la consommation et de les remplacer par un article 2298 du code civil ainsi rédigé : « La caution personne physique appose elle-même, à peine de nullité de son engagement, la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. En cas de cautionnement solidaire, la caution reconnaît dans ladite mention être tenue solidairement et ne pouvoir exiger du créancier ni qu’il poursuive d’abord le débiteur ni, le cas échéant, qu’il divise ses poursuites entre les cautions. Le mandat de se porter caution est soumis aux mêmes dispositions ». Pour une proposition alternative, consistant à généraliser à l’ensemble des garants personnes physiques l’exigence d’une telle mention, v. J.-D. Pellier, in L. Andreu et J.-D. Pellier, « L’incidence de la réforme du droit des obligations sur les sûretés personnelles », in L. Andreu et M. Mignot [dir.], Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations, LGDJ/Institut universitaire Varenne, 2017, p. 499, n° 27). Au demeurant, à quoi bon prévoir un formalisme informatif si aucune sanction n’est encourue ?

Auteur d'origine: jdpellier

Dans ces deux arrêts du 23 septembre 2020, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu une solution identique en matière de responsabilité des établissements de crédit lors de retrait des concours consentis à une société.

Le premier pourvoi (n° 18-23.221) est introduit à la suite de l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre d’une société. L’établissement bancaire ayant consenti un prêt à cette dernière a assigné les personnes s’étant rendues cautions en paiement. Les cautions ont alors formé une demande reconventionnelle en recherchant la responsabilité de l’établissement de crédit pour rupture abusive du crédit. La cour d’appel de Nancy, dans son arrêt du 25 juillet 2018, a considéré que, bien que la banque ait brutalement révoqué le crédit consenti en diminuant l’autorisation de découvert accordée de 20 000 €, aucune des causes permettant d’engager la responsabilité de la banque au visa de l’article L. 650-1 du code de commerce n’est démontrée.

Dans le second pourvoi (n° 19-12.542), les faits sont plus classiques en matière de procédure collective. En effet, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre d’une société et de l’un de ses actionnaires. Ceux-ci agissent, avec leur mandataire judiciaire, en responsabilité contractuelle contre les établissements de crédit pour rupture abusive des crédits consentis sur le fondement des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, ainsi que de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier. La cour d’appel de Bourges, dans son arrêt du 22 novembre 2018, a considéré l’action en responsabilité comme irrecevable car les demandes fondées sur l’article L. 313-12 du code...

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Auteur d'origine: cbonnet

Le 10 novembre 2015, une société civile immobilière débitrice (la SCI) a été assignée par un créancier au paiement de dommages et intérêts. Toutefois, une procédure de sauvegarde a été ouverte par un jugement du 8 décembre 2015 à l’encontre de la SCI défaillante. Conformément aux dispositions de l’article L. 622-22 du code de commerce, les instances en cours tenant au paiement d’une somme d’argent auraient dû être interrompues. Or, par un jugement du 3 novembre 2016, la SCI a été condamnée au paiement des dommages et intérêts dus à son créancier. Face à cette condamnation, la SCI a donc interjeté appel. Cependant la cour d’appel de Basse-Terre dans son arrêt du 23 juillet 2018, déclaré l’appel irrecevable, entraînant un pourvoi en cassation de la SCI débitrice.

L’article L. 622-22 du code de commerce pose le principe selon lequel les instances en cours sont « interrompues » jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Ainsi, l’ouverture d’une procédure collective paralyse les actions en paiement de sommes d’argent en emportant nécessairement...

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Auteur d'origine: cbonnet

Le 24 juin 2014, une ressortissante française est décédée dans accident de la circulation impliquant un véhicule conduit par un ressortissant portugais. Ses ayants droit ont saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.

La cour d’appel a refusé de faire droit à la demande des ayants droit, sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale, au motif que l’indemnisation relevait du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) et non pas de la CIVI.

Les ayants droit ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation dans un moyen composé de trois branches. Dans la première et la deuxième, les demandeurs se sont concentrés sur la légitimité de la compétence de la CIVI. Ils expliquent que lorsque la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation ne s’applique pas, et même en présence d’un élément d’extranéité, les victimes sont libres de saisir la CIVI.

Dans la troisième branche, les auteurs du pourvoi reprochent à la cour d’appel d’avoir désigné la compétence du FGAO alors qu’il s’agit d’un organisme qui n’agit qu’à titre subsidiaire contrairement au FGTI.

Les ayants droit demandent donc à la Cour de cassation de déterminer s’ils pouvaient bien saisir la CIVI pour obtenir réparation auprès du FGTI ou si seul le FGAO était recevable à étudier leur requête.

Dans un arrêt du 24 septembre 2020 (FS-P+B+I), la Cour de cassation répond aux demandeurs en expliquant que la cour d’appel a justement déduit que la requête en indemnisation présentée par ces derniers auprès de la CIVI était irrecevable. Elle précise que : « Les dommages susceptibles d’être indemnisés par le […] FGAO en application des articles L. 421-1 et L. 424-1 à L. 424-7 du code des assurances, sont exclus de la compétence de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions telle qu’elle résulte de l’article 706-3 du code de procédure pénale […] ».

Pour comprendre cette décision, il convient de déterminer quelle est la loi ou le texte applicable, pour l’ensemble des situations.

Il est nécessaire, tout d’abord, d’expliquer que la loi de 1985 sur les accidents de la circulation ne s’applique pas, car le Portugal comme la...

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Auteur d'origine: Dargent
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Nous savons qu’à la suite d’une liquidation judiciaire, la responsabilité des dirigeants de droit ou de fait peut être mise en cause pour demander, soit des sanctions pécuniaires, c’est-à-dire la mise à leur charge de tout ou partie du passif, soit des sanctions personnelles, c’est-à-dire en général, une interdiction de gérer pour une durée limitée.

La première procédure est engagée à la requête du liquidateur et la seconde à la requête du ministère public.

La première, qui seule nous intéresse ici, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (anciennement en comblement de passif), est prévue par l’article L. 651-2 du code de commerce. Ce texte prévoit que lorsqu’une liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider qu’elle serait supportée en tout ou partie par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

Dès lors que le principe d’une insuffisance d’actif est acquis, la question de l’état de cessation des paiements est naturellement évoquée avec celle de l’incidence de l’aggravation du passif après la date qui aura été fixée par le tribunal, c’est-à-dire pendant la période suspecte (Com. 27 sept. 2016, nos 14-13.926 et 14-50.034, Rev. sociétés 2016. 767, obs. L. C. Henry ).

La question ici posée consiste à s’interroger sur la prise en compte des apports en compte courant effectués par les associés pendant cette période suspecte : peuvent-ils être considérés comme une réserve de crédit, c’est-à-dire un actif disponible pour la détermination de l’état de cessation des paiements ? D’une manière plus précise, lorsqu’il existe une activité déficitaire persistante, ces apports en compte courant peuvent-ils suffire à écarter le risque d’une sanction ?

Nous savons que l’abstention à agir en vue de l’obtention d’une augmentation de capital nécessaire à la survie de la société peut poser problème (Com. 12 juill. 2016 n° 14-23.310, Rev. sociétés 2017. 44, note J. Heinich ; RJDA 2016, n° 889 ; BJE 2016.438, note T. Favario ; Dr. sociétés 2016, n° 216, obs. J.-P. Legros).

Si le bilan fait apparaître des pertes supérieures à la moitié du capital social, les associés doivent être consultés sur la poursuite de l’activité pour respecter les prévisions de l’article L. 223-42 du code de commerce (Paris, 17 févr. 2009, RJDA 2009, n° 564). Il convient, au surplus, que si l’assemblée générale se prononce en faveur de la poursuite d’activité, des mesures de recapitalisation soient prises (Com. 13 oct. 2015, n° 14-15.755, RJDA 2016 n° 136 ; BJS 2016. 157, note J. Heinich ; Dr. sociétés 2016, n° 87, note J.-P. Legros).

Nous savons, en outre, que l’omission de la déclaration de cessation des paiements dans le délai légal peut constituer une faute de gestion (Com. 4 nov. 2014, n° 13-23.070 P, D. 2014. 2238, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2014. 751, obs. L. C. Henry ; JCP E 2014. 1604, note P. Roussel Galle ; Gaz. Pal. 18 janv. 2015, p. 15 obs. F. Reille ; RPC 2015, n° 67, obs. A. Martin-Serf).

Par ailleurs, la responsabilité du dirigeant d’une société cible d’un LBO peut être écartée si, à la suite de mesures de restructuration adoptées, il n’avait pas pu redresser la cible en raison des remontées de dividendes exigées par la holding (Com. 16 déc. 2014 n° 13-25.028, Rev. sociétés 2015....

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Auteur d'origine: Delpech

La décision de l’Autorité imposant des mesures conservatoires à Google présentait une singularité tant en raison de sa rapidité d’intervention après l’entrée en vigueur en France de la loi de transposition (L. n° 2019-775, 24 juill. 2019, tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse) que par ses motifs et la nature des injonctions imposées. Elle laissait présager un contentieux devant la cour d’appel de Paris que la crise sanitaire a peut-être retardé mais dont les apports vont bien au-delà des attentes d’un point de vue juridique, politique et tactique.

La temporalité du recours formé par Google interroge sur ses véritables enjeux

La première question que soulève l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 8 octobre dernier est une question de temporalité. Rappelons que la décision de l’Autorité a été rendue le 9 avril 2020 et qu’elle imposait notamment à Google de mener une négociation de bonne foi avec les éditeurs qui le solliciteraient dans un délai de trois mois suivant cette demande en leur fournissant les éléments d’informations nécessaires à cette négociation (v. Dalloz actualité, 11 mai 2020, obs. F. Masmi-Dazi). Google n’a d’ailleurs pas contesté l’injonction n° 4 qui prévoyait ce délai de trois mois dans le cadre de son recours devant la cour d’appel de Paris.

Nous formons l’hypothèse que les éditeurs ont rapidement sollicité Google à la suite de l’adoption de la décision de l’Autorité, alors le délai de trois mois contraignant le comportement de Google venait à expirer en juin ou en juillet. Or Google a précisément formé un recours contre la décision de l’Autorité le 2 juillet 2020. Ce qui implique qu’en substance, dans le cadre de son recours devant la cour d’appel cet été, Google n’était potentiellement même plus tenu de conduire des négociations de bonne foi au titre des injonctions du moins jusqu’à un certain point, car il reste en tout état de cause soumis aux dispositions de la loi nouvelle.

Plusieurs médias se sont d’ailleurs fait l’écho de négociations « au point mort » cet été jusqu’à ce qu’un renversement inattendu vienne indiquer à la veille de l’arrêt d’appel, par la voie d’un communiqué, que Google serait proche de parvenir à un accord avec certains éditeurs. En procédant ainsi, Google ménage d’ailleurs habilement sa défense dans le cadre de l’instruction en cours en non-respect des injonctions, en soutenant l’argument d’une négociation différenciée mettant en exergue un comportement potentiellement multilatéral et non plus unilatéral ainsi qu’une posture non systématique vis-à-vis des éditeurs.

Google s’attendait-il à voir la décision de l’Autorité de la concurrence validée ? On peut supposer qu’à défaut d’en avoir la certitude, Google avait intégré cette possibilité dès l’introduction de son recours, lequel devait donc poursuivre d’autres fins. Le recours devant la cour d’appel de Paris était pour Google la première occasion de porter le débat d’idée et d’influence sur les droits voisins devant une juridiction, motif pris de la contestation de mesures prises à titre conservatoire pour en assurer l’effectivité. La France est le premier État membre à avoir transposé la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique sur cet aspect. Si la décision de l’Autorité avait quelque chose de singulier, la procédure judiciaire présentait un intérêt plus large eu égard à la stratégie de contestation systémique du dispositif lui-même par Google.

Un recours à vocation purement interprétative ?

Il se dégage de l’arrêt une curieuse impression que le recours intenté par Google avait principalement une vocation interprétative. Il en va ainsi dès la lecture du premier moyen pris de la prétendue contrariété de la loi de transposition avec la directive où la cour d’appel souligne que « Google se borne à présenter un raisonnement in abstracto […] sans invoquer à son bénéfice aucun droit acquis ou acte conclu que la loi affecterait ».

Il est intéressant de relever sur ce premier moyen que la cour d’appel juge en substance que la protection accordée aux droits voisins par la directive et la loi de transposition existe pendant le délai de transposition, et ce dès avant l’expiration de ce dernier, dès lors que la publication en cause est intervenue pour la première fois postérieurement au 6 juin 2019, date d’entrée en vigueur de la directive.

Au fond, il s’en déduit que ce qui était en cause n’était pas tant de savoir si la loi de 2019 était contraire à la directive mais si les droits patrimoniaux avaient commencé d’exister avant même l’expiration du délai de transposition. Ce que Google a amené la cour d’appel à trancher dans un sens qui semble de prime abord protecteur des éditeurs de contenus.

Ensuite, en dénonçant l’absence de notification de la loi de 2019 à la Commission et, par là, en prétextant de son inexistence juridique, Google a amené la cour d’appel à se prononcer sur la qualification d’une mesure de transposition partielle – rappelons que la loi de 2019 transpose une partie seulement de la directive. En l’occurrence, la cour d’appel a considéré que le caractère partiel de la transposition n’impliquait pas une requalification de la loi de transposition en mesure technique, confirmant ainsi que l’État n’avait pas l’obligation de la notifier.

Compte tenu des enjeux qui dépassent largement le territoire national et du risque de contrariété futur entre les juridictions des États membres – lui-même source de forum shopping –, la question pourrait se poser de la compétence juridictionnelle de la cour d’appel à interpréter le droit communautaire, sans solliciter la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une question préjudicielle même facultative. Ce pourrait être éventuellement un premier motif de cassation.

Une vision tranchée du nœud gordien de la rémunération : garantie ? nulle ? non nulle ?

Le point le plus détaillé et surprenant de cet arrêt reste celui consacré à l’imposition de conditions inéquitables. Surprenant car, pour savoir si Google avait imposé des conditions de transaction inéquitables, il n’était pas forcément requis de se prononcer sur l’interprétation de ce que la loi impose – sauf à y être contraint par un moyen soulevé à cet effet.

La cour d’appel a jugé que la loi n’impose pas de droit à rémunération garanti « au sens où Google ne serait pas obligé d’accepter de payer la licence demandée ». En répondant de la sorte, il n’est pas certain que Google puisse tirer de cette affirmation que le principe d’une rémunération garantie soit totalement exclu. La réponse de la cour suggère que seule serait exclue l’obligation pour Google d’accepter une demande en particulier. Un débat juridique pourrait continuer d’exister dans l’hypothèse d’un pourvoi en cassation, voire d’une question préjudicielle posée à cette occasion à la Cour de justice de l’Union européenne.

En outre, la cour d’appel relève qu’outre l’interprétation de ce que la loi exige ou non, Google, par son refus de rémunérer et la rupture des relations préexistantes et l’offre de maintien à prix nul, de manière unilatérale et systématique, a fait d’une exception un principe et neutralisé l’effet utile des nouvelles dispositions. Il est intéressant de relever à cet égard que la cour considère que les droits voisins instaurés reconnaissent la valeur sous-jacente du trafic généré mais viennent remédier à leur insuffisance par rapport aux investissements réalisés par les éditeurs alors même que Google tire un intérêt économique certain de ces contenus et que la collecte de données est l’un des deux piliers de son modèle économique.

La cour pose également les jalons d’une discussion juridique possible sur le terrain de la dépendance économique en considérant notamment le poids prépondérant du moteur de recherche de Google dans le trafic des éditeurs, sa notoriété, la part de marché des quelques concurrents qui en font un outil incontournable de référencement pour les éditeurs et rend toute comparaison avec des concurrents inappropriée. Alors que la cour qualifie la négociation d’élément central de la relation, l’impossibilité de négocier l’affichage d’extrait de la part d’un opérateur si incontournable viderait de sa substance le dispositif législatif. Or, à cet égard, il est intéressant de relever un vide dans l’arrêt de la cour concernant l’obligation faite à Google de transmettre les éléments d’information nécessaires à la négociation.

Une surprenante non-contestation de l’injonction de communiquer les données

D’après la cour d’appel, la loi exige que les éditeurs puissent demander une juste rémunération, ce qui implique une négociation préalable, de bonne foi, au soutien de laquelle les informations nécessaires leur sont fournies.

Si Google a sollicité à titre principal l’annulation de la décision de l’Autorité, à titre subsidiaire, il n’a soutenu que l’annulation des articles 1, 3, 5 et 6 de cette décision. Or l’article 2 de la décision de l’Autorité enjoint à Google de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle. Cet article prévoit notamment en son alinéa 3 que les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir tous les éléments d’information relatifs aux utilisations de publications de presse par les usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération et de sa répartition.

Nous ignorons si de tels éléments d’information ont été communiqués, non pas seulement des éléments d’informations mais ceux parmi eux qui s’avèrent nécessaires à une négociation transparente et de bonne foi, mais cet article s’avère d’une importance capitale. L’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle serait ainsi aux droits voisins ce que l’article L. 441-1 du code de commerce est à la relation commerciale générale, le pourvoyeur du socle à la négociation. Aussi, eu égard à l’importance de cet article et à la contestation systématique, voire systémique, par Google du mécanisme qui a conduit à l’émergence d’une règle instaurant un droit voisin et de sa mise en application, le silence gardé sur cette injonction surprend.

Aussi claire que soit l’injonction de communiquer les éléments visés par l’article du code de la propriété intellectuelle, il reste à définir ce que recouvre la notion d’éléments d’information nécessaires. Or, si Google s’est risqué à demander à la Cour de se prononcer sur une éventuelle contrariété entre la loi et la directive, on peut s’étonner qu’il n’ait pas demandé de clarification s’agissant de la nature ou de l’étendue des informations à fournir aux éditeurs et qu’il laisse cette appréciation à l’Autorité de la concurrence dans le cadre de la procédure en cours de non-respect des injonctions. Peut-être n’a-t-il pas souhaité figer l’interprétation de cette notion devant la cour d’appel avant d’en avoir débattu devant l’Autorité.

En tout état de cause, l’asymétrie totale d’information dans laquelle se trouveraient alors tant les éditeurs que l’Autorité de la concurrence elle-même serait problématique. Comment vérifier que Google a fourni toutes les informations nécessaires ? Pour évaluer le caractère nécessaire d’une information, il faudrait que l’Autorité ait accès à la donnée brute. Elle pourrait y avoir accès soit dans le cadre d’une demande d’information ou de documents, soit dans le cadre d’une mesure d’instruction sur autorisation judiciaire, c’est-à-dire une perquisition. Une telle mesure a déjà été validée en France contre Google dans le cadre d’une procédure fiscale (Paris, pôle 5 ch. 7, ord. 31 août 2012, n° 11/13233 Google France et Google Ireland c. DGFip). L’Autorité pourra-t-elle s’engager dans une telle voie au nom de l’effectivité de son contrôle ?

Face à la multiplicité des objectifs potentiels de Google, l’éparpillement ?

L’arrêt de la cour d’appel illustre une multiplicité d’objectifs potentiels dont il n’est pas certain que Google sache lequel va prospérer mais qui discipline ses détracteurs et est potentiellement source d’éparpillement de leurs forces.

Ménager sa défense dans la procédure en non-respect d’injonctions, diviser les forces dans les négociations en adoptant une posture différenciée, contraindre l’interprétation de certains aspects centraux du dispositif législatif en amenant la juridiction à se prononcer même si aucun grief actuel ou potentiel ne lui est associé, car cela pourra lier les autorités administratives nationales, participer à l’élaboration de la pratique décisionnelle de la directive en saisissant l’opportunité d’une contestation de mesures conservatoires.

Face à cette multiplicité d’objectifs, les détracteurs de Google ne sont pas sans recours. Rien n’est en effet plus contestable qu’une interprétation en droit d’une disposition législative, de son articulation avec d’autres normes, et ce devant la Cour de cassation, voire la Cour de justice de l’Union européenne. L’ouverture d’un nouveau front pour ceux qui ne se satisferaient pas des interprétations fournies par la cour d’appel serait un risque mais plus certainement une opportunité de porter le débat notamment au niveau communautaire. Une opportunité tant pour les détracteurs de Google que pour ce dernier de s’exprimer, de faire valoir ses arguments et, in fine, de défendre sa vision du mécanisme instauré. Mais l’opportunité n’est pas moins précieuse pour ses détracteurs.

Au-delà de cette option, deux procédures restent en cours au sein même de l’Autorité de la concurrence, l’une au fond sur l’abus de position dominante, l’autre sur le non-respect d’injonctions. Un point central sera de déterminer ce qui relève ou non de la catégorie des informations nécessaires à fournir pour mener une négociation, de bonne foi, dans des conditions transparentes. De même, l’Autorité dispose d’outils pour s’assurer de la véracité des éléments, de leur complétude, mais en fera-t-elle usage ? Sur le fond, il fait relativement peu de doutes, compte tenu de l’arrêt d’appel s’il n’est pas contesté, que l’Autorité parviendra à une issue probablement défavorable à Google s’agissant de son comportement passé, sans préjudice des modifications qui pourraient intervenir d’ici là. La question qui reste ouverte est de savoir si, par souci d’efficience du point de vue des détracteurs de Google et d’efficacité de l’action publique, la sanction compte plus que le remède. Si le remède valait mieux que la sanction, alors les efforts se maintiendront sur la procédure en non-respect d’injonctions et d’autres fronts s’ouvriront probablement pour donner plus de champ, plus de temps à la régulation d’intervenir. Les perspectives réglementaires européennes devraient probablement être source de rebondissements.

Auteur d'origine: nmaximin

Michel Guénaire attache beaucoup d’importance à la belle photographie de Pierre Gide (1886-1964), prise en 1930 au palais de justice de Paris alors qu’il est aux côtés de sa cliente, Pauline Parker, une danseuse de music-hall dont il s’occupe du divorce. Il a raison. Le cliché rend indiscutablement hommage à l’homme dont il entreprend avec réussite la biographie. Fin, élégant, le port fier, l’avocat a un regard envoûtant, le regard d’un homme affirmé qui sait ce qu’il fait et ce qu’il veut. Et c’est bien là l’une des caractéristiques de cet incroyable avocat : sa remarquable pugnacité, qu’il a su mettre à profit dans le monde des affaires de l’époque et qui lui a permis d’enfanter de ce qui est aujourd’hui l’un des plus importants cabinets d’avocats d’affaires français, de dimension internationale.

Gide. Ce court patronyme résonne souvent aujourd’hui, cent ans après, en droit. On y travaille, on s’y associe. Quelle formidable prospérité ! Le nom est devenu, bien sûr, le symbole d’une certaine manière d’exercer le droit et de pratiquer le métier. Celle-ci a parfois été redoutable pour Pierre Gide, l’isolant à plusieurs reprises de ses confrères, mais elle a assurément fait ses preuves. Cette « douce revanche de l’histoire » (p. 15) méritait bien une biographie, ce à quoi s’est attelé avec érudition, et à partir de sources restreintes par la force des choses (dont les archives privées du cabinet), Michel Guénaire, lui-même associé de la structure fondée par l’homme qui est devenu son sujet. L’ouvrage aurait pu être une hagiographie, se bornant à conter l’histoire merveilleuse du cabinet Gide. Il n’en est rien. Tout d’abord, Michel Guénaire ouvre toutes les portes, compulse tous les dossiers – dont celui de l’Occupation et des opinions politiques – et se forge des convictions. Ensuite, la biographie de Pierre Gide est surtout l’un des premiers et très utiles linéaments d’une histoire plus générale qui reste à écrire, celle des cabinets d’avocats d’affaires. Le sujet ne doit pas être négligé. Sociologiquement et économiquement, ils représentent une part très significative du barreau, pour ce qui concerne le cas français (et bien plus lorsque l’on s’intéresse au monde anglo-saxon). Ce mode d’exercice du droit constitue une rupture historique très nette avec la traditionnelle vision d’un avocat seul, sans associé, ce que souligne Michel Guénaire. En bref, la vie de Pierre Gide, intéressante à de nombreux des égards, est une excellente porte d’entrée pour tenter de comprendre comment se construisent ces cabinets d’ampleur gigantesque et peut-être le moyen de saisir dans quelle mesure il existe, à ce niveau, une certaine spécificité française.

Michel Guénaire relate avec beaucoup de soin la vie de cet homme né à Cherbourg, d’une mère d’origine lorraine et d’un père officier haut-rhinois, ayant opté pour la nationalité française en 1870. Du reste, c’est dans les passionnants entrelacs de la généalogie que l’on retrouve les liens avec l’illustre cousin, André, qui avait embrassé, pour le bonheur des lettres, une tout autre carrière. Les réalisations professionnelles ultérieures de Pierre Gide paraissaient écrites. Sous l’heureux parrainage d’un parent, Louis Sarrut, qui devient premier président de la Cour de cassation, il donne très vite une dimension internationale à son parcours. Il part pour Londres, s’inscrit et est admis à Lincoln’s Inn en 1908. La société anglaise de l’époque, le pragmatisme britannique : tout cela doit le séduire. Et en 1911, il prête serment comme barrister at law. Tout à la fois avocat dans les deux pays, son appétence pour l’étranger – en témoignera son expérience ultérieure à Tanger – ne pouvait que le servir pour le développement de son projet. Comme beaucoup, la guerre de 1914-1918 le surprend et l’emporte. Opérant comme agent de liaison, il est blessé. Il revient à Paris. En 1920, il ouvre son cabinet. Les années 1930 signent le temps des « années heureuses ». L’installation avenue Georges V marque le développement du cabinet. Les clients sont principalement des sociétés, françaises comme étrangères. Les Mines de potasse d’Alsace, dont il est l’avocat, le conduisent à New York. La réputation de Gide s’installe et il s’entoure de collaborateurs, dont la fidèle Lucienne Frochot qui restera toute sa vie à ses côtés. Pierre Gide acquiert une fort jolie propriété, la Chaintraie, en Eure-et-Loir. Pour autant, l’homme n’apparaît pas dispendieux et manifeste un rapport très raisonnable avec l’argent, comme le souligne Michel Guénaire. L’aventure Gide commence. Elle ne s’arrêtera pas.

L’auteur consacre de longs passages à l’époque de l’Occupation et l’on sent effectivement que la question fondamentale était celle qui a dû hanter tout homme d’affaires de l’époque : fallait-il rester à Paris ? Fallait-il aller au contact direct des ennemis pour défendre l’intérêt des clients ? Gide retourne dans la capitale. À cette époque, l’ambassade des États-Unis lui confie certaines affaires et il intervient, en tant qu’avocat, dans des dossiers qui lui seront reprochés à la Libération (dont l’affaire des Mines de Bor), en dépit de ses liens avec la Résistance qui ne sont pas de la dernière heure (p. 126-127). S’il est totalement disculpé sur le plan pénal, une suspension de trois ans, au niveau disciplinaire, est prononcée contre lui, quand pourtant la décision du Conseil relève également sa participation à la Résistance. Avec beaucoup de pédagogie, les développements de Michel Guénaire permettent de comprendre l’extrême complexité de cette période. Quoi qu’il en soit, Gide ne comprend pas et préfère démissionner. Il ressort profondément meurtri de cette expérience.

Mais l’homme renaît. En 1954, il est réintégré au barreau de Paris. Gide songe alors à la suite. Son sens du travail collectif peut pleinement s’épanouir. À la différence de nombreux confrères, Gide n’est pas un homme au singulier. Il se décline au pluriel. Le travail en équipe est important. Il s’est toujours entouré de collaborateurs : Lucienne Frochot, Pierre Gastambide, Raoul Rabinerson, Jean Sarrut, Jehan Burguburu, et d’autres. Puis arrivent dans son cabinet deux jeunes : Jean Loyrette et Philippe Nouel. Dès que l’association est officiellement possible, celle-ci est créée en 1957, ce qui en fait la plus ancienne du barreau de Paris (p. 208). Quelques années plus tard, Lucienne Frochot rejoint l’association. Le fondateur finit par quitter le navire et se retire à Cannes, où il décède en 1964. Pierre Gide n’a guère pu survivre à son départ. En actif qu’il était, en homme de terrain sans cesse en mouvement, cela n’a rien de surprenant. Mais l’aventure Gide, avec le style Gide, lui aura survécu. Et pour parvenir à un tel résultat, il fallait bien une vie d’avocat.

 

M. Guénaire, Pierre Gide. Une vie d’avocat, Perrin, coll. « Biographie », 2020.

Auteur d'origine: Bley
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Une pratique mystérieuse

En 2018, dans son rapport annuel, la Cour des comptes s’était penchée sur les « règlements d’ensemble ». Elle contestait « une pratique dépourvue de base légale », instituée par une simple note de la direction générale des impôts du 20 juin 2004. Cette note indiquait que « dans certaines situations, les services peuvent être conduits à conclure avec l’usager un accord global qui inclut une atténuation des droits. Cet accord ne constitue pas une transaction au sens de l’article L. 247 du LPF mais un règlement d’ensemble du dossier ». Contrairement aux transactions fiscales, qui ne prévoient des atténuations que sur les pénalités, les règlements d’ensemble permettent de moduler le montant même de l’impôt dû.

En pratique, le règlement d’ensemble est privilégié dans des cas complexes, quand l’administration n’est pas sûre d’elle. Mais la Cour critiquait l’absence de « fondement juridique clairement identifié » et même du moindre encadrement : le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes n’est pas informé de ces règlements et Bercy ne procédait à aucun recensement exhaustif. Seuls quelques règlements ont été évoqués par la presse : Amazon en 2018, L’Oréal et surtout Google en 2019.

À la suite de l’alerte de la Cour des comptes, les parlementaires se sont emparés du problème. La députée socialiste Christine Pires Beaune, rapporteure spéciale de la commission des finances, avait été interpellée par l’opacité de la procédure. Mi-2019, elle avait donc demandé des comptes à l’administration fiscale, qui lui avait répondu que faute de centralisation, il n’était pas « possible de communiquer des données chiffrées sur les règlements d’ensemble réalisés depuis 2011. » Fin 2019, Christine Pires Beaune a donc fait adopter un amendement pour exiger plus de transparence, via un rapport annuel.

Bercy a renoncé à 1,6 milliard d’impôts et pénalités

Nous nous sommes procurés ce rapport et ses annexes, qui traitent de l’ensemble des « Remises et transactions à titre gracieux et règlements d’ensemble en matière fiscale pour l’année 2019 ». Plusieurs éléments sont surprenants. D’abord, la DGFIP n’indique pas le cadre juridique applicable aux règlements d’ensemble, contrairement à ce qu’elle fait pour les autres procédures. Ensuite, elle n’a pu fournir la totalité des règlements d’ensemble après mise en recouvrement, n’en donnant que les principaux.

Au total, au moins 116 règlements d’ensemble ont été conclus l’an dernier dans des cas de fraude. 80 concernent des personnes morales, 36 des personnes physiques. Mais 94 % des montants concernent les personnes morales. Les sommes en jeu dépassent les 3 milliards : les contentieux portaient sur 2,4 milliards d’impôts éludés et 770 millions d’euros de pénalités.

Au final, le fisc a accordé 1,6 milliard d’euros de modérations : 514 millions sur les pénalités et surtout 1,12 milliard sur les droits. Un montant bien plus important que les chiffres qui avaient été fournis comme exemple à la Cour des comptes (qui n’évoquait que 29 millions d’euros de réduction pour 200 millions en contentieux). Pour les entreprises, le montant médian remis est de 708 700 €.

Selon le rapport, le règlement d’ensemble le plus important l’an dernier était de 523 millions d’euros. Il semble qu’il s’agisse du règlement conclu en marge de la CJIP Google. Dans cette affaire, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Paris avait donné raison à l’entreprise. Mais pour solder l’affaire sur le plan pénal, Google avait décidé de transiger avec la justice (la CJIP) et l’administration (le règlement d’ensemble).

Les résultats décevants du contrôle fiscal

Dans la lignée de la loi Essoc, l’administration fiscale souhaite encourager les transactions et les règlements d’ensemble. Dans une note du 12 juillet 2019, révélée par Mediapart, le directeur général des finances publiques encouragé cette pratique en cas d’incertitude juridique.

L’objectif est d’obtenir de l’argent à un moment où les résultats du contrôle sont décevants. En juin dernier, Gérald Darmanin s’était félicité des bons chiffres de l’argent récolté grâce au contrôle fiscal. Un rapport du Sénat était plus mesuré : si les encaissements ont augmenté en 2019, le montant des droits et pénalités notifiés diminuent de manière inquiétante.

 

 

Auteur d'origine: babonneau

par Emmanuelle Maupinle 12 octobre 2020

T. confl., 5 oct. 2020, n° C4193, publié au Lebon

Saisie par la société Amadeus, l’Autorité de la concurrence a prononcé quatre mesures conservatoires à l’encontre des sociétés Google Ireland Ltd et Google LLC. La cour d’appel de Paris a statué sur les mesures conservatoires mais décliné sa compétence...

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Auteur d'origine: pastor
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Deux mois après avoir rendu un arrêt important, analogue, relatif à l’assurance vie rachetable et au droit exclusif au paiement du créancier nanti (Civ. 2e, 2 juill. 2020, nos 19-11.417 et 19-13.636, Dalloz actualité, 28 juill. 2020, obs. R. Bigot ; D. 2020. 1940 , note J.-D. Pellier ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal ; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati ), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation réitère, sur le moyen désormais relevé d’office, la solution adoptée. La décision a également l’honneur d’une vaste publication, insistons (F-P+B+I). Au visa des articles 2363 du code civil et L. 132-10 du code des assurances, la haute juridiction confirme donc, avec un attendu de principe identique, qu’« il résulte de ces textes que le créancier bénéficiaire d’un nantissement de contrat d’assurance vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d’un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés » (décis., pt 4 ; comp. Civ. 2e, 2 juill. 2020, préc., pt 7).

En l’espèce, le comptable du service des impôts des particuliers du cinquième arrondissement de Paris (ci-après le comptable public), agissant sur le fondement de titres exécutoires délivrés à l’encontre d’un contribuable, a notifié, le 29 août 2016, entre les mains de l’assureur, deux avis à tiers détenteur portant, notamment, sur un contrat d’assurance vie rachetable Antarius Avenir souscrit par le débiteur. L’assureur a refusé tout versement. Le comptable public a assigné l’assureur devant un juge de l’exécution, en paiement des sommes objet des avis à tiers détenteur – près de 200 000 € en tout –, sur le fondement de l’article R. 211-9 du code des procédures civiles d’exécution et l’assureur a fait valoir que le contrat avait fait l’objet d’un nantissement le 11 avril 2011 au profit d’une banque. Par jugement du 27 septembre 2017, le juge de l’exécution a accueilli la demande formée par le comptable public.

Pour condamner l’assureur à verser au comptable public le montant visé par...

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Auteur d'origine: Dargent

On insiste bien volontiers sur le déséquilibre qui se trouve au cœur de la notion de clause abusive, mais il ne faut pas oublier qu’un tel déséquilibre doit être significatif au détriment du consommateur pour être pris en considération (V. à ce sujet, S. Chaudouet, Le déséquilibre significatif, Thèse Montpellier, 2018, spéc. n° 360. V. égal. C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 585, 2018, spéc. nos 290 s.). L’article L. 212-1 du code de la consommation (art. L. 132-1 antérieurement à l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation) dispose en effet, en son alinéa 1er, que « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 septembre 2020 nous rappelle opportunément cette exigence. En l’espèce, suivant offre acceptée le 19 janvier 2013, une banque a consenti à des emprunteurs deux prêts destinés à l’acquisition d’un bien immobilier, le premier ayant fait l’objet d’un remboursement anticipé en juin 2014 et le second ayant été modifié par avenant du 25 septembre 2015. Soutenant que la clause du contrat qui prévoyait un calcul des intérêts sur la base d’une année de trois cent soixante jours présentait un caractère abusif, les emprunteurs ont assigné la banque en substitution de l’intérêt légal et remboursement des intérêts déjà versés excédant le taux légal.

La cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 7 février 2019, a déclaré cette clause abusive, en retenant que la stipulation qui fait référence à un calcul des intérêts sur une durée de trois cent soixante jours et non d’une année civile de trois cent soixante-cinq jours prive les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu’elle présente comme telle un caractère abusif, quelle que soit l’importance de son impact réel et qu’elle doit être déclarée non écrite. Mais l’arrêt est censuré au visa de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. La Cour régulatrice rappelle à cette occasion « qu’il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de trois cent soixante jours, d’un semestre de cent quatre-vingts jours, d’un trimestre de quatre-vingt-dix jours et d’un mois de trente jours, d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

La solution est parfaitement justifiée dans la mesure où un simple déséquilibre ne suffit pas à caractériser l’abus.

Encore faut-il, comme susdit, que ce déséquilibre soit significatif. Or, tel n’était manifestement pas le cas en l’occurrence puisque l’examen des faits révèle que la clause avait généré un surcoût d’un montant de 11,65 euros au détriment des emprunteurs par rapport au calcul sur la base d’une année civile de trois cent soixante-cinq jours (comp. G. Biardeaud, obs. in Lexbase, Hebdo édition affaires n° 649 du 1er oct. 2020 : Bancaire). Au demeurant, le...

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Auteur d'origine: jdpellier

À la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre d’une société civile immobilière (SCI), le mandataire judiciaire a demandé la conversion de la procédure en liquidation judiciaire. Suite à cette conversion et la désignation d’un liquidateur, la SCI a interjeté appel de la décision rendue par le tribunal.

Conformément aux dispositions de l’article R. 661-6, 1o, du code de commerce, en cas d’appel du jugement d’ouverture de la liquidation, les mandataires de justice qui ne sont pas appelant doivent être intimés. C’est-à-dire que lorsque le débiteur interjette appel du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, il doit impérativement, à peine d’irrecevabilité,...

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Auteur d'origine: cbonnet
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Les juges de la rue de Montpensier, trois mois après le renvoi par la Cour de cassation de trois questions prioritaires de constitutionnalité (Com. 8 juill. 2020, n° 19-24.270), tranchent le débat autour des recours applicables aux contrats privés relevant de la commande publique, considérant les dispositions législatives en cause suffisamment conformes au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe d’égalité devant la loi.

Les dispositions de l’ordonnance du 7 mai 2009 susmentionnée sont le fruit de la transposition de la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 relative à l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics. Cette directive, comme l’indique à juste titre le Conseil constitutionnel, se borne à imposer aux États de l’Union européenne la création « d’un recours permettant d’obtenir l’annulation d’un contrat de la commande publique lorsque certains manquements qu’elles déterminent ont été commis lors de sa passation » sans pour autant les empêcher de prévoir « que d’autres manquements puissent également conduire à l’annulation du contrat ».

Or précisément, c’est l’effectivité des recours en annulation des contrats privés de la commande publique qui est au cœur de cette QPC, les requérants estimant que les dispositions litigieuses n’ouvrent que très insuffisamment l’accès au prétoire et in fine à la contestation de la validité du contrat.

Un régime restrictif dû à la nature même du contrat

La nature de droit privé du contrat conduit à l’application de règles différentes de celles applicables en présence d’un contrat administratif. L’article 11 de l’ordonnance du 7 mai 2009 attribue en effet au juge judiciaire la compétence pour connaître des contentieux relatifs aux contrats privés de la commande publique. Or cette partition présente une difficulté majeure : la Cour de cassation n’a pas (encore) pris le parti de transposer la désormais célèbre jurisprudence Tarn-et-Garonne du Conseil d’État. Pour mémoire, la Haute juridiction administrative a ouvert par la voie prétorienne la possibilité aux tiers, autres que les seuls candidats évincés (CE, ass.,  16 juill. 2007, n° 291545, Sté Tropic travaux signalisation, Lebon avec les concl. ; AJDA 2007. 1577 , chron. F. Lenica et J. Boucher ; RDI 2007. 429, obs. J.-D. Dreyfus ; ibid. 2008. 42, obs. R. Noguellou ; ibid. 2009. 246, obs. R. Noguellou ; RFDA 2007. 696, concl. D. Casas ; ibid. 917, étude F. Moderne ; ibid. 923, note D. Pouyaud ; ibid. 935, étude M. Canedo-Paris ), lésés dans leurs intérêts de façon directe et...

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Auteur d'origine: pastor

Ces deux arrêts, rédigés en des termes identiques, concernent la technique du refinancement des établissements de crédit par la voie de la titrisation. En d’autres termes, une banque va céder contre remise immédiate de leur valeur – c’est le refinancement – une créance ou un contrat – généralement un prêt – à un fonds commun de titrisation. Cette cession s’opère selon un formalisme simplifié qui n’est pas sans faire penser à celui applicable à la cession de créance professionnelles, dite cession Dailly. Ce qui singularise le fonds commun est qu’il n’est pas doté de la personnalité morale ; il est représenté par une structure tierce, dite société de gestion.

Dans la première affaire jugée (la seconde se présente dans les mêmes termes), par un acte du 9 octobre 2007, une banque a consenti à un couple deux prêts, destinés à restructurer un crédit immobilier et des crédits à la consommation. Cette banque a, par un bordereau du 18 décembre 2013, cédé un...

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Auteur d'origine: Delpech
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Le 8 août 2011, le célèbre footballeur Lionel Messi dépose la marque complexe de l’Union européenne MESSIE n° 010181154 pour des appareils et instruments de secours (sauvetage), des vêtements et des articles de sport. Deux marques antérieures de l’Union européenne MASSI sont invoquées pour s’opposer à cet enregistrement, l’une étant déposée pour des vêtements, et l’autre pour des dispositifs de protection personnelle contre les accidents. Le 12 juin 2013, l’EUIPO reconnaît l’opposition justifiée. Le déposant introduit un recours devant l’EUIPO mais celui-ci est rejeté le 23 avril 2014. Le déposant introduit à nouveau un recours mais, cette fois-ci, devant le Tribunal de l’Union européenne. Le 26 avril 2018, le Tribunal de l’Union européenne donne droit au déposant et annule la décision de l’EUIPO (Trib. UE 26 avr. 2018, aff. T-554/14, D. 2019. 453, obs. J.-P. Clavier et N. Martial-Braz ; Dalloz IP/IT 2018. 557, obs. S. Chatry ). L’EUIPO et l’opposant J.M.-E.V. e hijos SRL saisissent donc la Cour de Justice de l’Union européenne.

Dans cet arrêt, la CJUE confirme l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne qui a utilisé un raisonnement peu commun en se fondant, non pas sur la notoriété de la marque antérieure, mais sur celle du titulaire de la marque contestée, afin de mettre en lumière les différences conceptuelles entre les marques, s’en servir pour écarter les similitudes visuelles et phonétiques, et statuer sur l’absence de risque de confusion.

La prise en considération de la notoriété du titulaire de la demande d’enregistrement contestée

Dans ce litige, l’opposant à l’enregistrement de la marque contestée s’interroge sur la pertinence de l’appréciation de la notoriété du titulaire de cette dernière (pt 39). En effet, alors qu’usuellement la notoriété de la marque antérieure peut être prise en considération pour renforcer l’appréciation d’un risque de confusion entre les marques, en l’espèce, la notoriété va être examinée du côté du déposant. La CJUE justifie cette approche en rappelant que tous les facteurs pertinents doivent être pris en compte pour apprécier le risque de confusion (CJUE 4 mars 2020, EUIPO c/ Equivalenza Manufactoring, aff. C-328/12 P, pt 57). En effet, la notoriété du déposant est primordiale dans ce litige puisqu’il en découle une différence conceptuelle, qui aura conduit à l’annulation de la décision de l’EUIPO, comme cela avait déjà été retenu dans l’affaire Barbara Becker (CJUE 24 juin 2010, aff. C-51/09 P, pt 37).

L’opposant, qui a identifié que le cœur du débat résidait dans la prise en compte et l’appréciation de la notoriété du déposant, conteste l’appréciation qui en a été faite par le Tribunal de l’Union européenne. Il remet en cause la date où la notoriété aurait dû être examinée, c’est-à-dire en 2013, date où l’opposition a été formée, et le critère géographique, c’est-à-dire l’ensemble des pays de l’Union européenne (pt 51). La CJUE ne va pas répondre à ces deux arguments mais rappelle simplement qu’elle n’est pas compétente pour apprécier la pertinence des pièces de notoriété, sauf en cas de dénaturation (CJUE 4 mars 2020, Tulliallan Burlington c/ EUIPO, aff. C-155/18 P à C-158/18 P). Aucune dénaturation ne sera retenue étant donné que l’opposant n’a pas expliqué en quoi les pièces avaient été dénaturées en les analysant une par une. En outre, l’opposant invoque une erreur de droit commise par le Tribunal de l’Union européenne en ce qu’il aurait considéré de nouveaux arguments, à savoir que les marques se distinguaient intellectuellement et que la marque contestée faisait référence à un célèbre joueur de football (pt 64). La CJUE rejette le caractère nouveau des arguments invoqués, en ce qu’ils avaient été évoqués par la chambre des recours de l’EUIPO, et insiste sur le fait que l’importance de l’étendue de la notoriété a, de bon droit, été analysée devant le Tribunal, puisqu’elle s’apprécie au regard de faits notoires, qui s’entendent de faits qui sont susceptibles d’être connus par toute personne ou qui peuvent être connus par des sources généralement accessibles (pts 70 et 74). Ainsi, ces faits étant notoires, ils ne peuvent être considérés comme nouveaux, en ce qu’ils étaient disponibles en 2014 pour la Chambre des recours, et par conséquent, ne peuvent être qualifiés de nouvellement introduits (CJUE 10 nov. 2011, LG Electronics/OHMI, aff. C-88/11 P, pt 30). A contrario, la CJUE déclare l’argument de l’opposant selon lequel « l’assimilation par le consommateur moyen d’un patronyme à une personne donnée ne signifie pas que ce consommateur assimile un nom de personne à une marque déterminée » irrecevable, car nouvellement introduit (pt 59).

Les similitudes visuelles et phonétiques effacées par les différences conceptuelles

Afin d’apprécier la notoriété, la CJUE rappelle qu’il est nécessaire de déterminer le public pertinent, qui s’entend du « consommateur moyen normalement attentif, informé et avisé qui achète des articles ou des vêtements de sport » (pt 35). L’EUIPO soutient que ce public pertinent peut être composé de plusieurs parties significatives. En effet, l’Office considère qu’une partie significative du public pertinent va rattacher l’élément verbal MESSIE de la marque contestée au footballeur, mais qu’une autre partie significative du public ne le fera pas (pt 27). Ainsi, pour cette seconde partie, il n’existerait pas de différences intellectuelles mais uniquement des similitudes visuelles et phonétiques. En l’absence de différence, et avec de fortes similitudes entre les signes, résidant dans la seule substitution de la lettre A par la lettre E au sein du signe contesté, le risque de confusion serait établi. La CJUE ne retient pas cette argumentation et, en se fondant sur la définition du public pertinent, détermine qu’il existe une partie significative du public pertinent, et que celle-ci connaît le célèbre footballeur Lionel Messi. Par conséquent, pour la CJUE, la seconde partie identifiée par l’EUIPO serait négligeable et ne devrait pas être prise en considération dans l’appréciation du risque de confusion (pt 36).

En outre, la CJUE refuse d’écarter la jurisprudence appliquée par le Tribunal comme le soutient l’opposant. En effet, cet arrêt illustre un litige de marques dans lequel des différences conceptuelles ont supplanté des similitudes visuelles et phonétiques. Une telle solution n’étant pas souvent retenue, le Tribunal a jugé bon d’illustrer sa décision par une affaire similaire (CJUE 12 janv. 2006, Ruiz-Picasso e.a. c/ OHMI, aff. C-361/04 P). À cet égard, selon la CJUE, l’intérêt de cette jurisprudence ne réside pas dans la reconnaissance de la notoriété de la marque antérieure, mais dans l’appréciation de la notoriété d’un élément du litige, en l’espèce, de l’identité du titulaire de la marque contestée (pts 85 et 86). Ainsi, la CJUE confirme l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne en ce qu’il retient que la présence d’un seul élément notoire permet de faire émerger des différences conceptuelles, qui suffisent, à elles seules, à faire disparaître des similitudes visuelles et phonétiques pourtant évidentes.

Auteur d'origine: nmaximin

Aux termes des articles L. 145-38 et L. 145-34 du code de commerce dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, les seuls indices pouvant être pris en considération à l’occasion de la révision et du renouvellement des baux commerciaux sont l’indice des loyers commerciaux (ILC) et l’indice des activités tertiaires (ILAT).

Au deuxième trimestre 2020, l’ILC s’établit à 115,42, en hausse de 0,18 % sur un an (Informations rapides de l’INSEE n° 2020-245, 25 sept. 2020).

Quant à l’ILAT, sur le même trimestre, à 114,33 il enregistre une baisse de 0,12 % sur un an (Informations rapides de l’INSEE n° 2020-246, 25 sept. 2020).

Avertissement : même si l’ILC et l’ILAT sont publiés au Journal officiel, la date officielle de leur parution est celle de leur publication dans les Informations rapides de l’INSEE.

Auteur d'origine: Rouquet

L’indice du coût de la construction (ICC) du deuxième trimestre 2020, publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Informations rapides de l’INSEE n° 2020-244, 25 sept. 2020) s’élève à 1 753, soit une hausse de 0,40 % sur un an, de 5,35 % sur trois ans et de 10,04 % sur neuf ans.

Avertissement : même si l’ICC est publié au Journal officiel, la date officielle de sa parution est celle de sa publication dans les Informations rapides de l’INSEE.

Auteur d'origine: Rouquet

La France a été la première dans le monde à légiférer dans le domaine de la blockchain, à la faveur d’une ordonnance sur les minibons, parue en avril 2016. La Suisse n’était cependant pas sans reste, puisque la FINMA a été le premier des régulateurs des marchés à proposer, dès février 2018, dans un guide pratique sur les ICO, un raisonnement pour catégoriser les crypto-actifs. Elle y distinguait les jetons de paiement, les jetons d’utilité et les jetons d’investissement, dans une grille d’analyse reprise ensuite par la plupart des régulateurs. Alors que la France a adopté une approche tactique, l’ordonnance sur les minibons étant suivie, en décembre 2017, par une autre sur les titres financiers, puis des dispositions relatives aux ICO et aux actifs numériques dans les articles 85 et 86 de la loi Pacte, en juillet 2019, la Suisse a engagé une réflexion de fond, qui se traduit par un seul texte.

Si la France avait instauré une dématérialisation systématique des titres, la Suisse avait rendu celle-ci facultative. Une catégorie de « papiers-valeurs » subsiste donc, et avec elle une autre catégorie des « droits ayant la même fonction que des papiers-valeurs (droits-valeurs) » (code des obligations, art. 973 c). Cette définition a l’avantage de pouvoir s’appliquer aux jetons d’investissement – qu’on appelle désormais plus souvent security tokens – ainsi qu’à la plupart des jetons d’utilité.

En mars 2019, le Conseil fédéral soumettait à consultation un avant-projet proposant des adaptations ciblées « afin de renforcer la sécurité juridique, de supprimer les obstacles qui entravent les applications fondées sur la TRD et la blockchain et de limiter les risques nouveaux ». Après dépouillement, l’été suivant, des réponses à la consultation, le Conseil fédéral a produit à la fois une synthèse des réponses, une deuxième version de l’avant-projet et un message expliquant les changements proposés. Le tout constitue une documentation riche et intéressante à comparer au paquet législatif que la Commission européenne vient de proposer sur la finance numérique.

Au lieu de définir la TRD ou la blockchain, le législateur suisse énonce quatre exigences auxquelles le registre doit satisfaire : 1) donner aux créanciers, mais non au débiteur, le pouvoir de disposer de leurs droits au moyen de procédés techniques ; 2) être protégé de toute modification non autorisée ; 3) renseigner sur les droits et le mode de fonctionnement, en son sein ou non ; 4) permettre aux créanciers de consulter et vérifier l’intégrité du contenu du registre qui les concerne sans l’intervention d’un tiers.

La pièce maîtresse de la loi est la création d’une nouvelle catégorie d’autorisation, dans le droit des infrastructures des marchés financiers, pour les systèmes de négociation pour les valeurs mobilières fondées sur la technologie des registres distribués (SNTRD). La nouvelle catégorie reconnaît la possibilité de fournir directement des services d’infrastructure à la clientèle privée et la convergence des services de négociation et de post-négociation rendue possible par la TRD. Le SNTRD peut offrir des services de compensation et de conservation. Les jetons d’utilité et de paiement y sont éligibles, bien que n’étant pas qualifiés de valeurs mobilières. Les jetons régis par un droit étranger y sont aussi admissibles.

Le Conseil fédéral a choisi d’inscrire la réforme dans le droit civil. Il assume en particulier de ne prévoir « aucun organe étatique de contrôle ou de surveillance » et laisse tout audit des jetons à l’initiative des parties. Les obligations du débiteur sont légères : « Le débiteur veille à ce que l’organisation du registre de droits-valeurs soit adaptée au but de ce dernier. Il veille en particulier à ce que le registre fonctionne en tout temps conformément à la convention d’inscription ».

Le cadre juridique créé semble le plus abouti à ce jour parmi les rares pays dotés de marchés financiers ayant entrepris de légiférer sur le sujet. Il permet la négociation, via une plateforme, de jetons d’investissement, là où la France l’a explicitement exclu, en cohérence avec le droit européen (v. B. Mathis, Quelle réglementation européenne pour les security tokens ?, Revue internationale des services financiers, n° 2, 2020). Il admet tous types de participants à ses registres distribués, là où le Luxembourg n’admet que les banques (v. B. Mathis, La blockchain pour la circulation des titres : comparaison des régimes français et luxembourgeois, Actualités du droit, 23 oct. 2018). Il porte sur tous les types de titres financiers là où l’Allemagne a reporté à plus tard le traitement des titres de capital (v. le projet de loi allemand pour l’introduction de titres électroniques [en allemand]). Il assujettit le SNTRD à la lutte antiblanchiment pour tous les crypto-actifs là où le droit européen n’y assujettit les « prestataires de services de portefeuille de conservation » que pour les crypto-actifs servant de « moyen d’échange » (dir. [UE] 2018/843, 30 mai 2018, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, art. 1er, al. 2d).

On retiendra que, parmi les pays dotés d’un marché financier sophistiqué, la Suisse est le seul qui ait, à ce jour, un cadre juridique pour un marché secondaire de security tokens.

Auteur d'origine: nmaximin

Dans deux arrêts du 3 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), appliquant le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens, tire des conséquences inédites de l’annulation ou d’un retard important (supérieur à trois heures) d’un vol.

1. Le premier arrêt (aff. C-356/19) aborde la conséquence la plus répandue liée à l’annulation (ou plutôt ici au retard important) d’un vol relevant du champ d’application du règlement 261/2004 (tel était bien le cas, puisqu’il s’agissait d’un vol d’un pays tiers à l’Union européenne vers la Pologne, qui entre dans le champ d’application de ce règlement en application de l’article 3, § 1er, b) de celui-ci) : l’obligation, pour la compagnie aérienne, d’indemniser le passager, prévue par l’article 5, § 1er, c), dudit règlement. Se posait ici la question de la devise dans laquelle doit intervenir l’indemnisation. Dans la plupart des cas, la réponse est évidente : c’est l’euro, car le passager qui sollicite une indemnisation réside dans un État de la zone euro. Mais il peut arriver qu’il réside dans un État non membre de l’Union européenne, ou encore dans un État membre ayant conservé sa devise d’origine. Sur ce point, le règlement est silencieux.

En l’occurrence, la passagère dont le vol a subi important pouvait prétendre à une indemnisation d’un montant de 400 €, au titre de l’article 7, § 1er, du règlement 261/2004 (vol vers un pays de l’Union européenne compris entre 1 500 et 3 500 km). Avant d’être indemnisée, elle a cédé sa créance à Delfly, société établie en Pologne. Cette dernière a saisi une juridiction polonaise (un tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie), pour qu’elle ordonne à la compagnie aérienne (également polonaise) de lui verser la somme de 1 698,64 zlotys polonais (PLN), qui, en application du taux de change fixé par la Banque centrale de Pologne à la date d’introduction de la demande d’indemnisation, équivalait à 400 €. La compagnie aérienne a alors tenté d’obtenir le rejet de la demande d’indemnisation au motif notamment que celle-ci avait été exprimée, contrairement aux dispositions du droit national, dans une monnaie erronée, à savoir en PLN et non en euros.

La juridiction polonaise a décidé de saisir la Cour de justice par la voie préjudicielle. Elle a cherché à savoir si, conformément au règlement 261/2004, un passager, dont le vol a été annulé ou a subi un retard important, peut demander le paiement du montant de l’indemnisation visée dans ce règlement dans la monnaie nationale ayant cours légal au lieu de sa résidence, de telle sorte que le règlement s’oppose à une réglementation ou à une pratique jurisprudentielle d’un État membre prévoyant que la demande formée à cet effet par un tel passager ou son ayant droit sera rejetée au seul motif que celui-ci l’a exprimée dans cette monnaie. La CJUE rappelle tout d’abord que l’objectif principal poursuivi par le règlement 261/2004 consiste à assurer un niveau élevé de protection des passagers. Il s’ensuit que les dispositions octroyant des droits aux passagers aériens doivent être interprétées largement. Selon elle, le fait de subordonner le droit à indemnisation pour les préjudices que constituent les désagréments sérieux dans le transport aérien des passagers à la condition que l’indemnisation soit payée au passager lésé en euros, à l’exclusion de toute autre monnaie nationale, reviendrait à restreindre l’exercice de ce droit et méconnaîtrait, dès lors, l’exigence d’interprétation large. Elle conclut que le règlement 261/2004, et notamment son article 7, § 1er, « doit être interprété en ce sens qu’un passager, dont le vol a été annulé ou a subi un retard important, ou son ayant droit, peut exiger le paiement du montant de l’indemnisation visée à cette disposition dans la monnaie nationale ayant cours légal au lieu de sa résidence, de telle sorte que ladite disposition s’oppose à une réglementation ou à une pratique jurisprudentielle d’un État membre prévoyant que la demande formée à cet effet par un tel passager ou son ayant droit sera rejetée au seul motif que celui-ci l’a exprimée dans cette monnaie nationale ». Le règlement de l’indemnité doit donc ici intervenir en PLN.

II. Le second arrêt (aff. C-530/19) concerne un litige entre une compagnie aérienne et l’un de ses clients au sujet d’une demande de dommages et intérêts introduite par ce dernier en réparation des dommages qu’il avait subis dans l’enceinte d’un hôtel dans lequel la compagnie l’avait hébergé à la suite de l’annulation de son vol. Pour rappel, en application de l’article 9, § 1er, b), du règlement 261/2004, en cas d’annulation de vol, les passagers se voient offrir gratuitement un hébergement à l’hôtel, notamment au cas où « un séjour d’attente d’une ou plusieurs nuits est nécessaire ». En l’occurrence, une passagère disposait d’une réservation pour un vol de Majorque (Espagne) à Vienne (Autriche), lequel devait être réalisé par une compagnie aérienne autrichienne. À la suite de l’annulation de ce vol, ladite réservation a été modifiée et le départ de Majorque a été reporté au lendemain soir. En raison de cette annulation, la passagère s’est vu offrir, par la compagnie, un hébergement gratuit dans un hôtel local. Malheureusement, au cours de son séjour dans cet hôtel, la passagère, qui se déplace en fauteuil roulant, est tombée et a été grièvement blessée après que les roues avant de son fauteuil roulant sont restées coincées dans une rigole transversale d’un chemin.

Elle a introduit une demande de dommages-intérêts contre la compagnie aérienne devant une juridiction autrichienne. Il a fait valoir devant cette dernière que l’accident s’était produit dans l’enceinte dudit hôtel et que le personnel de l’exploitant de ce même hôtel avait agi avec négligence en n’ayant ni retiré ladite rigole transversale ni sécurisé celle-ci. Sa demande est rejetée au motif que le transporteur aérien était uniquement tenu de fournir un hébergement, le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 sur les droits des passagers aériens ne prévoit aucune responsabilité pour les dommages consécutifs à la prétendue négligence du personnel de l’hôtel dans lequel un hébergement est offert en vertu de ce règlement. Saisie par voie préjudicielle, la Cour de justice confirme la solution : l’article 9, § 1er, sous b), du règlement 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’obligation incombant, en vertu de cette disposition, au transporteur aérien d’offrir gratuitement aux passagers qui y sont visés un hébergement à l’hôtel n’implique pas que ce transporteur soit tenu de prendre en charge les modalités d’hébergement en tant que telles. Elle ajoute que le transporteur ne saurait être tenu, sur le fondement de ce seul règlement, de dédommager ce passager des préjudices causés par une faute commise par le personnel dudit hôtel.

La solution adoptée est a priori peu conforme à l’objectif du règlement 261/2004 visant à « garantir un niveau élevé de protection des passagers » (consid. 1). La CJUE en fournit pourtant l’explication. La clé de voûte du règlement 261/2004 réside dans le fait que ce dernier fait bénéficier lesdits passagers de mesures réparatrices « standardisées et immédiates » (CJUE 10 janv. 2006, aff. C‑344/04, spéc. pt 86). Compte tenu de cet objectif, une interprétation de l’article 9, § 1er, b), du règlement « selon laquelle le transporteur aérien devrait lui-même, sous sa responsabilité, prendre en charge les modalités d’hébergement des passagers concernés ne saurait être admise, dès lors que les opérations nécessaires pour mener à bien une telle prise en charge dépassent le cadre du système d’assistance standardisée et immédiate, sur place, que le législateur de l’Union a entendu instaurer au bénéfice des passagers » (pt 27). En d’autres termes, le dommage intervenu dans le cadre de l’hébergement est nécessairement individuel – il dépend notamment de l’état physique de la victime – et ne se prête pas à une réparation forfaitaire, qui est le système prévu par l’article 7, § 1er, en cas d’indemnisation en cas d’annulation ou de retard de vol. Néanmoins, il est peu douteux qu’une action en réparation puisse être exercée par la victime contre l’hôtelier. Mais, compte tenu de l’absence de lien de droit entre eux, celle-ci repose nécessairement sur un fondement délictuel. En pratique, cette action devrait être exercée par l’assureur (ou la caisse de sécurité sociale) de la victime, lequel, après avoir indemnisé cette dernière, sera subrogé dans ses droits.

Auteur d'origine: Delpech

Est-ce une nouvelle version moderne du pompier pyromane ou le bouc émissaire victime d’un piratage technologique de très haut vol ? Lundi 21 septembre, la 12e chambre du tribunal correctionnel de Paris s’est penchée sur une drôle d’affaire qui s’est déroulée en marge du piratage informatique d’Edenred en novembre 2019. Antoine est soupçonné d’avoir tenté d’escroquer cette entreprise qui édite les Tickets restaurants et d’avoir abusé de la confiance de son ancien employeur, Microsoft.

L’audience est un peu spéciale. C’est en effet la dernière fois que la vice-procureure Alice Cherif, cheffe du pôle cybercriminalité du parquet de Paris, représente l’accusation. La magistrate va partir dans quelques jours en détachement aux douanes.

Antoine, tout juste 30 ans, est un crack informatique du Val-d’Oise. Depuis cette histoire, ce jeune homme bien habillé et aux cheveux soigneusement coiffés a changé de boîte et émarge désormais à un salaire confortable chez le leader français des services numériques, Capgemini. Il est senior architecte en cybersécurité. Et bien embêté des accusations graves portées contre lui. Sa demande de relaxe au bénéfice du doute fait face aux neuf mois d’emprisonnement requis par le parquet.

— Est-on sûr que c’est lui, sous la cagoule ?, questionne son avocat, Me Antoine Guglielmi. Non, on n’est pas sûr. Sa version n’est pas entièrement contredite. On le fait passer pour l’ultra-méchant et le gros malin. Mais s’il avait dû faire [cette tentative d’extorsion], il aurait fait mieux.

— J’ai une certaine expérience dans l’informatique, complète Antoine. Commettre ce genre d’erreur, par rapport au niveau que je possède aujourd’hui, c’est comme aller [braquer] une banque avec sa voiture personnelle. Il n’y a pas eu de réseau privé virtuel utilisé pour masquer l’adresse IP. Et faire cela depuis un lieu où je suis tout seul et avec un ordinateur de travail, c’est quand même bête.

La justice soupçonne un nouveau maître chanteur

Il y a moins d’un an, à la fin novembre 2019, la société Edenred est victime d’une attaque informatique. Il s’agit d’un rançongiciel : des données internes resteront chiffrées tant qu’une rançon n’aura pas été payée. Alors que la société relève péniblement la tête – l’enquête sur ce volet est toujours en cours –, elle reçoit coup sur coup deux mails, les 3 et 6 décembre, demandant expressément le versement d’une rançon de plusieurs centaines de milliers d’euros. Une demande étonnante : des négociations étaient pourtant en cours avec les pirates pour le versement de Monero, une cryptomonnaie.

Mais qui est donc ce nouveau maître-chanteur ? Pour les enquêteurs de la brigade d’enquêtes sur les fraudes aux technologies de l’information (Befti), il s’agit d’Antoine, l’un des sept membres de l’équipe de spécialistes missionnés par Microsoft auprès d’Edenred pour justement lui éviter le naufrage après l’attaque informatique. L’informaticien est chargé d’une mission particulièrement sensible. Il doit inspecter l’Active directory, cette sorte d’annuaire qui permet de voir les accès et les autorisations informatiques.

Plusieurs indices mènent les policiers au jeune homme. L’adresse IP enregistrée le 29 novembre 2019 lors de la création du mail utilisé pour la nouvelle demande de rançon, qui correspond à la salle de réunion d’un imprimeur rennais, Jouve, où Antoine effectuait une nouvelle mission. Deux minutes plus tard, on notera dans cette salle une connexion vers un navigateur Tor, qui permet d’anonymiser sa session de navigation. Antoine est le seul des quatre personnes présentes ce jour-là dans cette salle à s’être branché au réseau internet filaire. Le mail de récupération de l’adresse Protonmail, un service sécurisé basé en Suisse, renvoie également à un compte Gmail créé en 2005 par Antoine. Quant au chiffre de l’adresse mail, il est utilisé fréquemment par le prévenu pour d’autres alias sur le net : il correspond au mois et jour de naissance de sa mère.

Enfin, Antoine fait partie de la poignée de destinataires qui ont eu accès au rapport interne de Microsoft sur la première attaque, envoyé par le nouveau maître-chanteur dans le second mail comme preuve de sa présence dans les systèmes d’information d’Edenred. « Ce n’est pas un faisceau d’indices, mais des preuves multiples et répétées, résume Alice Cherif. Il a cru qu’il serait protégé en en utilisant une messagerie Protonmail ».

Thèse du piratage informatique

Pendant environ deux heures, le jeune homme, qui conteste être à l’origine de la tentative d’extorsion, va au contraire plaider la thèse du piratage informatique. Certes, la nouvelle demande de rançon a bien été faite depuis son ordinateur. Mais à son insu. Dans la salle d’audience du quatrième étage du palais de justice de Paris, les débats se concentrent d’abord sur le déroulé de la pause déjeuner d’Antoine, le 29 novembre 2019. Une chose est sûre : entre midi et 14 heures, le jeune homme a bien regardé quelques vidéos sur Netflix.

— J’étais en train de regarder Netflix mais mon pare-feu était désactivé pour pouvoir faire des tests, se souvient Antoine. La personne aurait pu prendre le contrôle à distance. Un de mes comptes bancaires a été piraté, j’ai été remboursé depuis.

— Mais comment un spécialiste informatique peut-il être aussi facilement victime d’un piratage, s’étonne le juge rapporteur Truffert.

— J’étais surchargé de travail, j’avais passé de nouvelles certifications et pas mal révisé. J’ai été toujours à 200 %, répond Antoine.

— Le prévenu a toujours réponse à tout, observe Alice Cherif, circonspecte.

— Évidemment qu’il a réponse à tout, c’est son métier, rétorque Me Antoine Guglielmi. Rien n’est clair dans cette enquête.

— Les enquêteurs ont regardé uniquement les logs de la machine, pas les pare-feux. Ils ont vu une déconnexion entre le réseau filaire et mon partage de connexion 4G, mais n’ont pas analysé la connexion 4G de mon téléphone, conclut Antoine.

La mise en cause des enquêteurs de la Befti, le service de police judiciaire en charge du plus grand nombre d’enquêtes sur des rançongiciels en France, fait voir rouge la vice-procureure. « C’est leur métier de trouver des traces, on ne peut pas leur faire la leçon », rappelle-t-elle. « Ils ont très bien fait son travail, abonde Me Sandrine Cullaffroz-Jover, l’avocate d’Edenred. Il n’y a pas de trace de compromission à distance du pare-feu de Jouve, pas de trace d’intrusion dans votre disque dur, ni de malware ou de logiciel qui aurait permis une prise de contrôle. Comment ces opérations auraient-elles pu se réaliser sans votre maîtrise ? »

Après la pause déjeuner sur Netflix, les magistrats s’intéressent aux autres éléments à charge contre Antoine.

— Comment expliquez-vous le fait que le chiffre 716 soit repris ?, demande le juge Truffert.

— Il suffit qu’un appareil soit compromis pour que les hackers puissent tout consulter, répond Antoine. Ils vont forcément tomber sur le chiffre 716. Personne n’est à l’abri d’un piratage. Il y a toujours plus fort que soi. Vous n’imaginez pas toutes les données que l’on peut récupérer sur une machine.

— Mais qui pourrait vous en vouloir ?

— Je ne sais pas. Peut-être que ce n’est pas vraiment moi la cible, ou même Microsoft. Nous avons accès à tout un panel de clients.

Pour Microsoft et son client Edenred, la facture de la nouvelle tentative d’extorsion est justement particulièrement salée. Le spécialiste du ticket restaurant estime avoir dépensé près de 219 000 € pour ce nouvel épisode. Microsoft, compte tenu des soupçons qui pèsent sur son ancien employé, s’est assis sur une grosse facture de 330 000 €. Des sommes que les deux entreprises réclament aujourd’hui à Antoine. « Je me pose la question du préjudice économique de Microsoft, s’interroge Me Antoine Guglielmi. Y a-t-il eu une rupture de confiance avec Edenred ? Je ne crois pas, puisque l’entreprise a continué à fournir une prestation. Mais que Microsoft ait offert quelque chose une fois dans sa vie, cela les honore. »

Le jugement a été mis en délibéré.

Auteur d'origine: babonneau
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Il est souvent question de la déchéance des droits du créancier cautionné tant sont nombreuses les sanctions auxquelles ce dernier s’expose (v. à ce sujet M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ?, préf. D. Houtcieff, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », 2011, t. 528). Les hypothèses de déchéance du droit à remboursement de la caution solvens sont plus rares en pratique. On sait pourtant que l’article 2308 du code civil en prévoit deux, l’alinéa 1er de ce texte disposant que « la caution qui a payé une première fois n’a point de recours contre le débiteur principal qui a payé une seconde fois lorsqu’elle ne l’a point averti du payement par elle fait ; sauf son action en répétition contre le créancier », et l’alinéa 2 du même article ajoutant que, « lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n’aura point de recours contre lui dans le cas où, au moment du payement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; sauf son action en répétition contre le créancier » (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 209, spéc. p. 203, spéc. n° 3, soulignant que « l’article 2308 ne paraît pouvoir faire échec qu’au recours personnel. Le recours subrogatoire se trouve en toute hypothèse exclu dans les deux hypothèses visées : dans la première, parce que le débiteur a lui-même payé sa dette, dans la seconde, parce que le débiteur dispose, par hypothèse, de moyens de faire déclarer la dette éteinte »). C’est cette dernière cause de déchéance, sanctionnant « l’excès de zèle de la caution » (pour reprendre l’expression de M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., Sirey, 2019, n° 329), qui a donné lieu à l’arrêt rendu par la première chambre civile le 9 septembre 2020, à laquelle il faut prêter une attention particulière en raison de la rareté du contentieux en la matière (v. cependant Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-27.963, AJDI 2019. 292 ; 1er oct. 2014, n° 13-20.457 ; Com. 28 janv. 2014, n° 12-28.728, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq ).

En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier garanti par le cautionnement d’une société, devenue la Compagnie européenne de garanties et cautions. À la suite d’échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme. Après avoir réglé à celle-ci les sommes réclamées, la caution a mis les emprunteurs en demeure de les lui rembourser. Ces derniers ont alors assigné la banque et la caution en nullité du contrat de prêt et du cautionnement et en paiement de dommages-intérêts et la caution a assigné les emprunteurs en remboursement. La nullité du contrat de prêt ayant été prononcée, en raison d’un démarchage irrégulier des emprunteurs, la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 24 janvier 2019, a limité la condamnation des emprunteurs à payer à la caution le capital prêté, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes versées par les emprunteurs. L’arrêt constate en effet que la caution a désintéressé la banque à la suite de la présentation d’une lettre de sa part l’engageant à la tenir informée de sa décision à la suite d’impayés des emprunteurs, et qu’elle n’a pas averti de cette sollicitation ces derniers qui disposaient alors d’un moyen de nullité permettant d’invalider partiellement leur obligation principale de remboursement.

Un pourvoi principal est formé par la caution, reprochant à l’arrêt de limiter la condamnation des emprunteurs. Mais ce pourvoi est rejeté, la Cour de cassation considérant qu’« ayant ainsi procédé à la recherche prétendument omise, sans dénaturer la lettre adressée par la banque à la caution, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, qu’en l’absence d’information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l’article 2308 du code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n’auraient pas eu à acquitter ». Mais un pourvoi incident est également formé par les emprunteurs, estimant que la caution, ayant payé sans être poursuivie et sans les avoir avertis, n’avait tout simplement pas de recours contre ces derniers, fût-ce à hauteur des sommes dont ils étaient toujours débiteurs. Le pourvoi est également rejeté par les hauts magistrats, considérant qu’« il résulte des constatations de l’arrêt qu’au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt ». Et d’en conclure que, « dès lors que cette annulation conduisait à ce qu’ils restituent à la banque le capital versé, déduction faite des sommes déjà payées, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que leur obligation de remboursement à l’égard de la caution devait être limitée dans cette proportion ».

La solution est mesurée en ce qu’elle permet aux débiteurs d’obtenir une déchéance partielle des droits de la caution. En outre, elle est en parfaite adéquation avec l’article 1352-9 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, disposant que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme » (ce texte a consacré une jurisprudence bien établie, v. par ex. Com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757 : « Tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » ; rappr. Com. 12 janv. 2016, n° 14-17.215, ayant étendu cette solution à l’hypothèse de la résolution du contrat ; v. égal. Com. 5 juill. 2006, n° 03-21.142, D. 2006. 2126 ; RTD com. 2006. 888, obs. D. Legeais , en matière d’obligation solidaire : « Mais attendu que l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeurant valable tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, les coemprunteurs solidaires restent tenus de restituer chacun l’intégralité des fonds qu’ils ont reçus » ; Civ. 3e, 5 nov. 2008, n° 07-17.357, Dalloz actualité, 14 nov. 2008, obs. D. Chenu ; D. 2008. 2932 ; RTD civ. 2009. 148, obs. P. Crocq ; en matière hypothécaire : « l’obligation de restituer inhérente à un contrat de prêt annulé demeurant tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’hypothèque en considération de laquelle ce prêt a été consenti subsiste jusqu’à l’extinction de cette obligation »).

Il n’en demeure pas moins que la présente solution procède d’une interprétation particulièrement extensive de l’article 2308, alinéa 2, du code civil, ce texte prévoyant clairement que la caution « n’aura point de recours » contre le débiteur principal (une telle interprétation est surprenante au regard de l’opinion doctrinale couramment répandue selon laquelle une telle déchéance est d’interprétation stricte ; v. en ce sens P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 209, p. 204 ; v. égal. A.-S. Barthez et Houtcieff, « Traité de droit civil, », in J. Ghestin [dir.], Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, n° 872, parlant d’une « interprétation restrictive » ; L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. P. Crocq, Gazette du Palais/Lextenso, n° 239 : « La Cour de cassation l’interprète restrictivement »). C’est donc une déchéance totale qui doit normalement découler de sa mise en œuvre et non une déchéance partielle. Une application orthodoxe du texte en question aurait donc dû conduire à interdire à la caution d’exercer un quelconque recours à l’encontre des emprunteurs. Elle aurait pu, en revanche, conformément au même texte, agir en répétition contre le créancier.

Mais l’on peut, à la réflexion, se demander si c’est bien l’application de l’article 2308, alinéa 2, du code civil qui devait être faite en l’occurrence : la caution avait certes « payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal », la banque s’étant adressée à elle sans la poursuivre en justice. Mais le texte exige en outre que le débiteur ait « eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte », ce qui n’était pas le cas en l’occurrence, la première chambre civile affirmant d’ailleurs expressément que « les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt ». Dans ces conditions, la caution pouvait-elle vraiment être déchue de son droit à remboursement, fût-ce partiellement ?

Quoi qu’il en soit, cet arrêt constitue une illustration supplémentaire de la tendance actuelle de la Cour de cassation, qui n’hésite plus à moduler la déchéance (ce qui semble être dans l’air du temps, v. ord. n° 2019-740, 17 juill. 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global ; v. égal. Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287, D. 2020. 1440 ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger ; JCP 2020. 1019, note M. Roussille, la Cour ayant considéré que, « pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur » et que, « dans ces conditions, pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge » ; v. égal. Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 20-70.001, D. 2020. 1410, point de vue G. Biardeaud ; RDI 2020. 446, obs. J. Bruttin ).

Auteur d'origine: jdpellier

Avant de préciser les apports et modifications de cette ordonnance au droit des sociétés cotées, il convient d’en rappeler la genèse. L’article 75 de la loi du 22 mai 2019, dite loi « PACTE » habilitait le gouvernement à prendre plusieurs ordonnances, dans un délai de douze mois, notamment pour regrouper au sein d’une division spécifique du code de commerce les dispositions relatives aux sociétés dont les titres sont admis sur les marchés et procéder aux mesures de coordination, d’harmonisation et de simplification nécessaires. Cette habilitation n’ayant pas donné lieu à l’adoption d’une ordonnance dans le délai imparti, une prorogation du délai a été décidée par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Cette démarche s’inscrit dans une logique d’amélioration de la lisibilité du droit français des sociétés. En effet, l’insertion progressive de dispositions relatives aux sociétés cotées au sein du droit commun de sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions a...

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par Clémence Bonnetle 16 septembre 2020

Com. 8 juill. 2020, FS-P+B, n° 18-24.441

S’il est bien acquis que le principe est celui selon lequel l’effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s’étend pas à une seconde demande différente de la première par son objet, il en est tout autant que, par exception l’effet interruptif s’étend d’une action à une autre si ces dernières ont le même but (Soc. 15 juin 1961, Bull. civ. IV, n° 650). C’est sur ce fondement que la chambre commerciale s’est prononcée sur deux actions en dommages et intérêts suite à une rupture de relations commerciales fondées sur l’article 1147 ancien du code civil et sur l’article L. 442-6, I, 5°, ancien du code de commerce (devenu l’art. L. 442-1, II, c. com.).

La société Établissements Denis, suite à un différend sur un ouvrage avec la société Hamel, a mis un terme...

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Dans le mouvement de « plateformisation de l’économie », on assiste depuis peu de temps à l’essor de nouvelles pratiques – et de nouvelles plateformes –, et notamment celle du cocooking. Il s’agit d’une pratique par laquelle un particulier organise à son domicile un repas pour plusieurs convives avec lesquels il partage les seuls frais de nourriture et de boisson. Cette activité a pu se développer, ces dernières années, grâce à des sites internet de mise en relation entre « hôtes » et « invités » (X. Delpech, Le cocooking dans l’œil du cyclone, JT 2018. 13 ).

Dans l’arrêt du 2 septembre 2020, la chambre commerciale se retrouve pour la première fois confrontée à l’hypothèse du cocooking. En effet, le syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (Synhorcat) s’oppose à l’activité d’un particulier qui proposait, sur une plateforme numérique d’échange, de préparer à son domicile des repas moyennant le paiement d’une certaine somme. Le syndicat se pourvoit en cassation en estimant que cette activité constitue un trouble manifestement illicite au regard des normes européennes d’hygiène imposées aux restaurateurs, mais également au regard du service de boissons alcooliques.

La Cour rappelle avant tout la définition du trouble manifestement illicite tel que visé par la procédure de référé de l’article 873 du code de procédure civile. Il s’agit de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit. Ainsi, le trouble manifestement illicite s’apprécie au regard de la règle de droit qu’il viole.

Il convient donc d’analyser le trouble manifestement illicite au regard des règlements européens dits « Paquet hygiène » ainsi qu’au regard des articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique.

Trouble manifestement illicite et Paquet hygiène

Les règlements européens (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2020 et nos 852/2004 et 853/2004 du 29 avril 2009 instituent les principes généraux de la législation alimentaire et sont applicables « aux entreprises dont le concept suppose une certaine continuité et un certain degré d’organisation ».

Or, pour la Cour de cassation, l’activité de cocooking proposée ne peut être qualifiée d’activité de restauration commerciale car cette dernière est proposée sans but lucratif, et en dehors de tout lien avec l’activité professionnelle de la cuisinière. Quant au caractère lucratif de l’opération, il convient de rappeler que l’administration fiscale considère que les sommes perçues au titre de cette activité peuvent être exonérées d’impôts dans la mesure où elles couvrent uniquement les frais de nourriture et de boisson. Ainsi, il est admis de ne pas imposer les revenus résultant d’activités de « co-consommation » comme le cocooking qui correspondent à un simple partage de frais (BOI-IR-BASE-10-10-10-10).

En conséquence, l’activité de cocooking correspond à une activité occasionnelle, limitée et non professionnelle à laquelle le Paquet hygiène européen ne peut s’appliquer. Ainsi, l’exercice de cette activité ne constitue pas un trouble manifestement illicite au regard du Paquet hygiène.

Trouble manifestement illicite et service de boissons alcooliques

Si le cocooking ne constitue pas un trouble manifestement illicite à la réglementation européenne d’hygiène pour les restaurants, il ne semble pas en être de même au regard du service de boissons alcooliques lors de ces dîners. Les articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique prévoient que les débits de boissons à consommer sur place ainsi que les restaurants doivent obligatoirement détenir la licence de débit de boissons. Il en résulte que la vente de boissons alcooliques n’est autorisée que pour les détenteurs d’une des licences visées par ces deux textes.

Or la cour d’appel de Paris avait retenu, dans son arrêt du 5 septembre 2018, que, si la vente d’alcool était conditionnée à l’obtention d’une licence, toute personne offrant des boissons ne devenait pas de ce fait un débit de boissons. Elle estimait en conséquence que la réglementation prévue par les articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique n’était pas applicable à la pratique de cocooking.

La chambre commerciale condamne cette analyse en appliquant un syllogisme limpide. La pratique du cocooking, étant rémunérée et entraînant de la distribution de boissons alcooliques, s’apparente à une vente de boissons alcooliques ; ce qui entraîne en conséquence un trouble manifestement illicite au regard des articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique.

Pour sa première décision relative à la pratique du cocooking, la chambre commerciale précise ainsi qu’il est impossible de servir des boissons alcooliques sans être titulaire d’une licence lors de dîners rémunérés organisés à son domicile et dont les invités se sont inscrits par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne.

Auteur d'origine: cbonnet

En 2019, les principaux organismes sociaux ont détecté un milliard d’euros de préjudice de fraudes aux prestations. Un montant en constante augmentation ces dernières années, auquel il faut ajouter 700 millions de fraudes aux cotisations. Au-delà des constats, la fraude aux prestations sociales est mal évaluée, la CAF seule se livrant à des estimations (2,3 milliards sur la branche famille). La fraude aux cotisations a fait l’objet d’une évaluation, estimée entre 7 et 25 milliards d’euros.

Les 3 millions d’assurés fantômes de l’assurance maladie

Les deux rapports, celui de la Cour des comptes et celui de la commission d’enquête de l’Assemblée (présidée par le député LR Patrick Hetzel et rapportée par le député UDI Pascal Brideau), font suite à la polémique lancée par le magistrat Charles Prats qui mettait en avant le problème des cartes Vitale surnuméraires. Sur ce sujet, la Cour souligne que la multipossession de cartes est en diminution, même si des risques de fraude demeurent. La Cour recommande d’individualiser et de dématérialiser la carte Vitale. Sur les usagers indus, notamment des personnes nées à l’étranger, les députés consacrent de longs développements. Ils formulent une dizaine de propositions pour fiabiliser les identités.

Les deux rapports insistent surtout sur le nombre de droits ouverts à l’assurance maladie : pour 67 millions d’habitants en 2018, les régimes d’assurance maladie totalisaient, selon la Cour des comptes, plus de 75 millions de bénéficiaires, ayant consommé ou non des soins. Un écart qui concerne des assurés nés à l’étranger comme en France. Devant les députés, le directeur de la sécurité sociale évoquait quant à lui 72,4 millions d’assurés (et non 75), dont 66,8 millions auraient consommé des soins. Selon la Cour, le surnombre d’assurés paraît dépasser de 3 millions le chiffre attendu. Parmi eux, des assurés qui ne résident plus en France de manière stable et n’ont pas vu leurs droits clôturés.

La fraude des professionnels de santé

Selon le rapport de l’Assemblée, les assurés représentent seulement 20 % des montants fraudés à l’assurance maladie, l’essentiel provenant des professionnels de santé. Pour la Cour des comptes, « un nombre significatif de professionnels libéraux de santé ont une activité anormalement élevée facturée à l’assurance maladie » et les contrôles sont trop rares. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône (3 % de la population mais 7 % des honoraires facturés par les infirmiers), moins de 1 % des infirmiers sont contrôlés chaque année. De même, l’assurance maladie contrôle au plus 0,7 % des séjours qui lui sont facturés par les établissements de santé. Les facturations ne sont que rarement rapprochées des prescriptions. Députés et Cour des comptes appellent à une dématérialisation totale.

La Cour des comptes souligne la bienveillance dont font l’objet certains professionnels. Un infirmier, déjà plusieurs fois sanctionné depuis vingt ans, a pu à nouveau déclarer 351 actes et 220 déplacements sur une seule journée.

L’assurance maladie dépose de moins en moins de plaintes devant les ordres (157 en 2019 contre 346 en 2011) et, pour le rappel des droits, la prescription appliquée n’est souvent que de deux ans (au lieu de cinq). Attendu depuis 2010, le décret qui permettrait d’extrapoler la fraude d’un professionnel n’a toujours pas été publié.

Enfin, les déconventionnements sont trop rares : hors transporteurs sanitaires, l’assurance maladie ne procède qu’à une vingtaine de déconventionnement par an.

La fraude aux prestations des particuliers

C’est la CAF qui met en place les contrôles les plus poussés, en allant jusqu’à des visites de contrôleurs au domicile des allocataires du RSA. Les députés souhaitent un décret encadrant l’étendue des pouvoirs de contrôle des agents, comme le souhaitait le Défenseur des droits. A contrario, dans la branche vieillesse, les contrôles a posteriori sont très rares (1 sur 1 900).

Pour lutter contre la fraude, l’échange des données a été progressivement étendu. La Cour des comptes critique à ce titre l’important retard pris par le référentiel national commun de la protection sociale (RNCPS), qui permet de mutualiser les informations entre organismes.

Elle note aussi plusieurs manques dans ce partage des données : les organismes sociaux n’exploitent pas certaines données administratives pour contrôler la stabilité de la résidence en France (registre des Français établis à l’étranger, bases élèves) ou le caractère irrégulier du séjour (visas). Pôle emploi n’a pas de droit de communication qu’ont les autres organismes et ne peut obtenir certaines informations comme les relevés bancaires. La branche famille et la DGFiP ne croisent pas leurs informations, ce qui permettrait de repérer d’éventuels logements inexistants ou des sous-déclarations de revenus par des bailleurs privés. L’assurance vieillesse aurait besoin d’accéder au Ficoba pour vérifier que la pension est bien versée au retraité.

Mieux lutter contre la fraude organisée

Les députés comme la Cour des comptes soulignent également les faiblesses concernant la lutte contre la fraude organisée. Ainsi, dans la branche famille, les contrôles mis en œuvre ciblent surtout des individus isolés ou des couples et délaissent les bandes organisées.

Deux pistes pour y remédier : la première est le data-mining, qui permet d’agréger toutes les données récupérées par les organismes. Certains sont engagés dans cette piste, comme Pôle emploi qui a développé un outil de contrôle (Ocapi) qui permet de visualiser des relations entre des demandeurs d’emploi et des entreprises, afin de détecter d’éventuelles fraudes en réseau.

L’autre piste est avancée par les députés : face à l’essoufflement de la Mission interministérielle dédiée (ex-DNLF), les députés souhaitent la création d’une agence de lutte antifraude dotée de pouvoirs d’audit et d’injonction. Plus globalement, ils souhaitent aussi doter les organismes de prérogatives police judiciaire, pour procéder à des auditions libres.

 

 

Récapitulatif des recommandations

Mesurer l’ampleur de la fraude aux prestations

2. Procéder régulièrement à une estimation chiffrée de la fraude aux prestations couvrant le champ le plus étendu, mettant en œuvre une organisation rigoureuse et reposant sur des méthodes statistiques robustes (ministères chargés de la sécurité sociale et du travail et de l’emploi, CNAM, CNAV, Pôle emploi).

Tarir les possibilités systémiques de fraude

3. Prévenir les détournements de versement de prestations en mettant en œuvre un rapprochement automatisé des coordonnées bancaires communiquées par les assurés, allocataires, professionnels de santé et autres tiers (bailleurs) avec le fichier Ficoba des comptes bancaires ouverts en France, y compris sur le stock d’identités bancaires antérieures à la mise en œuvre de ce rapprochement (ministères chargés de la sécurité sociale, du travail et de l’emploi et de l’économie, ensemble des organismes nationaux de protection sociale).

4. Réduire les fraudes et les autres irrégularités liées aux actes et prestations facturés à l’assurance maladie :
 • en rendant obligatoire la dématérialisation de l’ensemble des prescriptions médicales, y compris en établissement de santé ;
 • en individualisant chaque acte et prestation dans les nomenclatures tarifaires ;
 • en mettant en place des contrôles automatisés de l’application des règles de compatibilité et de cumul des actes et prestations facturés, ainsi que de conformité aux décisions du service médical ;
 • en prévoyant une obligation d’intégration de ces contrôles aux logiciels de facturation des professionnels et établissements de santé ;

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Un juge anglais ouvre une procédure principale de faillite personnelle à l’égard d’une personne physique et désigne le liquidateur de son patrimoine. Par la suite, ce syndic, selon la terminologie utilisée dans le domaine des procédures européennes d’insolvabilité, assigne devant un tribunal français le débiteur ainsi qu’une seconde personne en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage d’une indivision existant sur un immeuble situé en France.

Sa demande est accueillie par les juges du fond, qui désignent un notaire et ordonnent les formalités préalables à la vente de l’immeuble aux enchères publiques.

Leur décision est frappée d’un pourvoi, qui est rejeté par la chambre commerciale, aux termes d’un arrêt appliquant le règlement nº 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.

Trois aspects juridiques s’en dégagent. Il est à noter dès à présent que la portée de l’arrêt s’étendra aux affaires relevant du règlement n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, applicable aux procédures ouvertes postérieurement au 26 juin 2017.

1. Le premier aspect, qui ne soulève aucune difficulté, concerne l’effet de la décision anglaise d’ouverture de la procédure. Il est de principe que toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité prise par une juridiction d’un État membre compétente est reconnue dans tous les autres États membres, dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture (règl., art. 16, § 1). Ce principe a une implication décisive lorsque la procédure d’insolvabilité est principale, comme c’est le cas en l’espèce : la décision d’ouverture produit, sans aucune formalité, dans tout autre État membre, les effets que lui attribue la loi de l’État d’ouverture, sauf exception (règl., art. 17, § 1). Tel est le cas, notamment, lorsque cette loi prévoit le dessaisissement du débiteur et définit ses effets sur le patrimoine (v. par ex. M.-L. Coquelet, « L’effet international de la faillite : la solution du règlement communautaire relatif aux procédures d’insolvabilité », in F. Jault-Seseke et D. Robine [dir.], L’effet international de la faillite : une réalité ?, Dalloz, 2004, p. 29, spéc. p. 33).

Dès lors, la chambre commerciale approuve, en substance, les juges du fond d’avoir reconnu la décision d’ouverture anglaise et d’avoir retenu que le syndic anglais pouvait, conformément à la loi anglaise, se prévaloir du transfert de la propriété des biens du débiteur, y compris sa quote-part indivise de l’immeuble situé en France.

Si le raisonnement qui est ainsi consacré est incontestable, le lecteur intéressé par le droit comparé des procédures collectives (sur ce, J.-L. Vallens et G.C. Giorgini [dir.], Étude comparative des procédures d’insolvabilité, Société de Législation comparée, 2015) pourra cependant regretter que l’arrêt de la chambre commerciale et que l’arrêt d’appel ne fournissent aucune précision sur les dispositions juridiques anglaises spécialement mises en œuvre par la décision d’ouverture reconnue en France. L’arrêt commenté fait ainsi état d’une mise en faillite personnelle du débiteur au Royaume-Uni, sans toutefois indiquer la qualification juridique de la procédure collective selon les dispositions de l’Insolvency Act 1986. Par ailleurs, ne sont pas non plus précisées les dispositions de cette loi en vertu desquelles le syndic a, en l’espèce, bénéficié d’un transfert de la propriété des actifs du débiteur. On peut cependant sans doute, sur ce point, supposer que les dispositions de l’Insolvency Act mises en œuvre par le juge anglais avaient été celles relatives au receiver (sect. 28 s.) ou celles relatives au trustee (sect. 305 s.).

2. Le deuxième aspect résulte directement de ce qui précède et concerne les pouvoirs du professionnel des procédures collectives. Le principe issu du règlement est simple : le syndic désigné dans le cadre d’une procédure principale peut exercer sur le territoire d’un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture, aussi longtemps qu’aucune autre procédure d’insolvabilité n’y a été ouverte ou qu’aucune mesure conservatoire contraire n’y a été prise à la suite d’une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans cet État (règl., art. 18, § 1). Il faut néanmoins relever que, dans l’exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l’État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens (règl., art. 18, § 3).

Ces principes se combinent aisément dans l’espèce : dès lors que le liquidateur bénéficiait, selon le droit anglais, d’un transfert de propriété des biens du débiteur, il pouvait agir en France pour exercer les pouvoirs qui lui étaient conférés par la loi anglaise mais il devait, pour provoquer le partage de l’immeuble dont le débiteur était co-indivisaire en France, respecter la loi française, en particulier l’article 815 du code civil.

Cette solution semble être formulée pour la première fois. Les praticiens apprécieront sa simplicité de mise en œuvre et la facilité qu’elle apporte pour résoudre les difficultés récurrentes de maniement des indivisions, surtout dans un contexte de procédure collective.

3. Le troisième aspect concerne le recours à l’exception d’ordre public international. On sait que tout État membre peut refuser de reconnaître une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d’exécuter une décision prise dans le cadre d’une telle procédure, lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public (règl., art. 26). Or le débiteur faisait valoir que le principe issu du droit anglais selon lequel la propriété des biens du débiteur est transférée au syndic de la procédure heurte la conception française de l’ordre public.

L’arrêt écarte sur ce point toute contrariété à l’ordre public international.

On peut regretter qu’il procède à ce sujet par une simple affirmation, après avoir uniquement rappelé qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le recours à la clause d’ordre public ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (CJUE 21 janv. 2010, aff. C-444/07, Dalloz actualité, 25 janv. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2323, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2011. 498, note R. Dammann et D. Carole-Brisson ; Rev. sociétés 2011. 44, note F. Mélin ; RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ).

La position retenue par l’arrêt s’explique cependant vraisemblablement par l’idée que le transfert de propriété des biens du débiteur au syndic ne repose pas sur un mécanisme d’éviction du droit de propriété sans contrepartie mais par le rôle joué par celui-ci dans le désintéressement des créanciers et la gestion des affaires du débiteur, le tout sous l’autorité du juge, sans que le syndic y trouve un intérêt personnel autre que le paiement de ses honoraires.

Auteur d'origine: fmelin

L’attention est souvent portée sur l’éradication d’une clause abusive, mais plus rarement sur l’éventuelle action en restitution consécutive à cette éradication. L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 9 juillet 2020 est, à cet égard, très intéressant. En l’espèce, des consommateurs ont conclu des contrats de crédit ayant pour objet l’octroi de prêts personnels avec deux banques. Après avoir remboursé intégralement ces crédits, chacun d’eux a saisi le tribunal de première instance de Târgu Mureş (en Roumanie) de recours visant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses de ces contrats prévoyant le versement de commissions de traitement et de gestion mensuelle ainsi que la possibilité, pour la banque, de modifier les montants des intérêts.

Les banques ont indiqué que, à la date d’introduction des recours, les emprunteurs n’avaient plus la qualité de consommateurs, les contrats de crédit ayant pris fin du fait de leur exécution intégrale, ni le droit d’introduire une action en justice. La juridiction roumaine a cependant considéré que l’exécution intégrale d’un contrat n’empêchait pas la vérification du caractère abusif de ses clauses et a retenu que ces clauses étaient abusives. Elle a donc enjoint aux banques de restituer les montants payés en vertu de ces clauses, assortis des intérêts légaux, ce qui a motivé un appel de la décision. C’est dans ce contexte que les juges roumains ont demandé à la Cour de justice, en premier lieu, si les dispositions de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 doivent être interprétés en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation. En second lieu, et en cas de réponse affirmative à la première question, il a également été demandé à la juridiction européenne si les dispositions de la directive 93/13/CEE ainsi que les principes d’équivalence, d’effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l’action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l’exécution intégrale de ce contrat, le consommateur étant censé avoir connaissance, à partir de cette date, du caractère abusif de cette clause.

À la première question, la Cour de Luxembourg répond que « L’article 2, sous b), l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, pour autant que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’il ne rende pas en pratique impossible ou...

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L’article 3 du décret n° 2020-897 du 22 juillet 2020 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code...

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La Cour de cassation a eu, à nouveau, à faire un travail sensible de qualification. Comme nous l’indique la doctrine, « qualifier, c’est rattacher l’opération à une catégorie juridique afin d’en déduire le régime juridique » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 602).

Il s’agissait de savoir, au cas présent, si un produit structuré indexé sur un panier d’actions admis à la cote de la Bourse de Luxembourg pouvait être assimilé à des obligations négociées sur un marché reconnu et par conséquent rester éligible aux unités de compte dans un contrat d’assurance sur la vie, au sens des dispositions du code français des assurances. Distribuer des produits non éligibles à l’assurance-vie n’est pas une activité dénuée de graves conséquences pour une société agréée pour cette branche.

Rappelons tout d’abord que « le marché de l’assurance-vie représente un poids économique considérable. Ainsi, l’encours des contrats d’assurance-vie (constitué des provisions mathématiques et des provisions pour participation aux bénéfices) représentait 1 700 milliards d’euros fin 2018. Il s’agit aussi d’un placement financier particulier, qui constitue le support patrimonial, à moyen et à long terme, préféré des épargnants français. Pourtant, le rendement moyen des supports en euros est constamment en baisse, avec un taux inférieur à 2 % en moyenne depuis 2016. Ces fonds euros, dont le rendement diminue, sont peu à peu délaissés au profit des supports en unités de compte (M. Leroy [dir.], Guide de l’assurance-vie, LexisNexis, 2018, p. 13). Ainsi, en 2018, l’assurance-vie a permis d’investir près de 11 milliards d’euros en actions » (K. Bühler, « Les assurances-vie », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, à paraître).

Précisons ensuite que les contrats en unités de compte sont définis comme des contrats dans lesquels « le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État » (C. assur., art. L. 131-1). En pratique, « ces supports sont souvent constitués de parts d’OPCVM. Au terme convenu, ou antérieurement en cas de rachat, l’assureur verse la contre-valeur de ces supports ou se libère exceptionnellement par la remise des titres dans lesquels les primes ont été investies (P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 319, p. 221). À la différence des contrats en euros, le risque du placement pèse sur le souscripteur puisque l’assureur ne garantit pas la valeur des supports utilisés (sauf mise en place d’une garantie « plancher »). Par conséquent, la loi impose en ce domaine de nombreuses obligations d’information et de conseil à l’assureur » (ibid., in A. Cayol et R. Bigot [dir.], op. cit.).

En l’espèce, le 21 février 1997, une personne a souscrit, par l’intermédiaire de son courtier, un contrat d’assurance sur la vie, libellé en unités de compte, auprès d’une société d’assurance. Le 12 décembre 2006, le souscripteur avait investi la somme de 941 114 €. Il a procédé en 2010 à deux rachats partiels à hauteur d’une somme totale de 151 000 . Le 12 décembre 2016 exactement, le souscripteur a procédé à l’arbitrage de l’intégralité des sommes investies sur un unique support, dénommé « Optimiz presto 2 ». Il s’agissait d’un produit structuré indexé sur un panier d’actions de référence, émis par une filiale du groupe bancaire Société Générale et coté sur le marché de la Bourse de Luxembourg.

Le souscripteur a subi de très mauvaises performances de ce support. À la date du terme du contrat, celui-ci était valorisé à la somme de 373 875,97 €. Par la suite, le souscripteur a assigné l’assureur et le courtier en paiement de dommages-intérêts. Il a soutenu que le support incriminé n’était pas éligible à l’assurance sur la vie. Il a également reproché à l’assureur et au courtier d’avoir manqué à leur obligation d’information et de conseil.

Par un arrêt infirmatif rendu le 21 juin 2016, la cour d’appel de Paris a condamné l’assureur à payer au souscripteur la somme de 416 238,30 € notamment, correspondant au préjudice subi, égale à la prime versée lors de l’arbitrage déduction faite de la valeur du contrat à l’échéance et des rachats partiels.

La cour d’appel avait énoncé que les parties circonscrivent le débat concernant l’éligibilité du produit incriminé à l’assurance sur la vie au fait qu’il serait ou non un produit obligataire, puis retenu qu’aux termes de l’article L. 213-5 du code monétaire et financier « les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ». Ensuite, la juridiction du fond avait émis qu’une obligation est donc un titre de créance représentatif d’un emprunt et dont le détenteur, outre la perception d’un intérêt, a droit au remboursement du nominal à l’échéance. Elle avait constaté que le prospectus commercial du produit litigieux agréé par l’autorité de contrôle luxembourgeoise rappelait, au titre des inconvénients de ce produit, qu’« il n’y a pas de garantie en capital ». Enfin, la cour d’appel avait décidé qu’il est établi que le détenteur n’a pas droit au remboursement du nominal de sorte que cette caractéristique essentielle de l’obligation n’étant pas acquise, le produit litigieux ne peut être qualifié d’obligation et n’est donc pas éligible au contrat d’assurance-vie en unités de compte (v. Paris, pôle 2, ch. 5, 21 juin 2016, n° 15/00317).

En l’absence de définition de l’obligation dans le code des assurances, ou même d’indication sur la manière de l’appréhender (v. C. assur., art. R. 332-2, 1°), les juges étaient confrontés au « langage peu précis » qui soutient la notion d’obligation et conduit à son « affadissement » (G. Forest, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, préf. F. Leduc, Dalloz, coll. « Thèses », 2012, n° 8). À ce titre, Grégoire Forest a remarquablement mis en lumière qu’« il est constant que le langage juridique emploie fréquemment le mot obligation dans un autre sens que celui porté par la définition [de Justinien]. L’obligation désigne ainsi, dans la pratique notariale, le titre qui constate le prêt. La notion s’infléchit se déplaçant du negotium vers l’instrumentum. Un mouvement similaire peut être relevé en droit des sociétés, l’article L. 213-5 du code monétaire et financier disposant que « les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ». Mais il faut surtout faire état de l’emploi, beaucoup plus fréquent en pratique, du terme obligation au sens large et indéterminé de devoir juridiquement sanctionné […]. La difficulté est manifeste, car au sens large, c’est presque tout le droit qui se trouve identifié à la notion d’obligation » (G. Forest, op. cit., nos 8-9).

Par suite d’un premier pourvoi en cassation et dans un arrêt rendu le 23 novembre 2017, la deuxième chambre civile avait censuré l’arrêt d’appel aux motifs qu’en statuant ainsi, « alors que la qualification d’obligation n’est pas subordonnée à la garantie de remboursement du nominal du titre, la cour d’appel, ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé » les articles L. 213-5 du code monétaire et financier et L. 228-38 du code de commerce, à la lumière desquels doivent être lus les articles R. 131-1 et R. 332-2 du code des assurances (Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-22.620, Dalloz actualité, 30 nov. 2017, obs. F. Mélin ; D. 2018. 270 , note M. Storck et T. de Ravel d’Esclapon ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; Rev. sociétés 2018. 392, note J.-M. Moulin ; RTD com. 2018. 389, obs. J. Moury ; RGDA 2018. 52, note L. Mayaux).

La doctrine avait indiqué que la portée de cet arrêt de 2017 est « considérable, mais elle l’aurait été encore plus, voire dévastatrice, si la solution avait été l’inverse de celle donnée par la Cour. Dans quelle situation se seraient retrouvés les assureurs, à l’égard de leurs clients, de l’autorité de contrôle et du grand public, s’il avait été jugé qu’ils distribuaient des produits non éligibles à l’assurance-vie ? Et qu’auraient-ils dû faire en conséquence ? Supprimer le support incriminé (un EMTN, qui relève de la catégorie des « produits structurés ») ? Ou, ce qui aurait été plus justifié, retirer totalement le « produit », au motif qu’il n’aurait jamais été souscrit sans la présence du fameux support ou, si l’on préfère, que ce dernier relevait de l’économie du contrat ? Et quelles auraient été les conséquences du « retrait » d’un contrat d’assurance-vie en cours ? Voilà autant de questions que les assureurs n’auront pas à se poser, ce qui les conduit, au vu de la présente décision, à pousser un soupir de soulagement. Cela dit, […] il n’est pas sûr que [la période] ouverte par l’arrêt de cour d’appel frappé de pourvoi, qui avait l’allure d’un véritable coup de tonnerre, soit définitivement close » (L. Mayaux, Les produits structurés sont des obligations, RGDA, janv. 2018, n° 115e7, p. 52).

En effet, la période d’incertitude a connu un prolongement quadriennal. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Paris, autrement composée. Par un arrêt rendu le 11 avril 2019, la cour de renvoi a certes débouté le souscripteur de toutes ses demandes dirigées contre l’assureur (Paris, pôle 2, ch. 2, 11 avr. 2019). Néanmoins, le souscripteur a formé un nouveau pourvoi en cassation.

À cet effet, le demandeur au pourvoi a soutenu, en premier lieu, que « le capital investi sur un contrat d’assurance-vie ou de capitalisation peut être exprimé en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État ; que la seule circonstance que la valeur mobilière ou l’actif en cause figure parmi les unités de compte éligibles énumérées par les articles R. 131-1 et R. 332-2 du code des assurances ne suffit pas à établir que cette valeur mobilière ou cet actif offre une protection suffisante de l’épargne ; qu’en se bornant à retenir, pour dire que le produit Optimiz Presto 2 était éligible en tant qu’unité de compte du contrat d’assurance-vie souscrit par l’assuré, que « l’article L. 131-1, alinéa 2, du code des assurances, mentionnant des unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État renvoie, par les articles R. 131-1-1° à R. 332-2 A 2° visant les obligations », quand les conditions d’éligibilité posées par l’article L. 131-1 du code des assurances – faire partie de la liste prévue à l’article R. 131-1 du code des assurances, et offrir une protection suffisante de l’épargne – sont cumulatives, la cour d’appel a violé l’article L. 131-1 du code des assurances ».

En second lieu, le souscripteur a soutenu que « le respect de l’exigence de protection suffisante de l’épargne que doivent remplir les valeurs mobilières ou actifs éligibles en qualité d’unités de comptes d’un contrat d’assurance-vie ou de capitalisation s’apprécie au regard de la probabilité de perte en capital et de l’importance de celle-ci ; qu’en se bornant à retenir, pour dire que la liquidité et la sécurité des actifs sur lesquels [le souscripteur] avait investi ses fonds étaient assurées au sens de l’article L. 131-1 du code des assurances, qu’« au surplus, étaient prévues la possibilité annuelle de remboursement anticipé du capital investi, ainsi que l’assurance de ce remboursement jusqu’au seuil de 40 % de la valeur du panier de référence », la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la protection suffisante de l’épargne assurée par le produit Optimiz Presto 2, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 131-1 du code des assurances ».

Un auteur semble avoir inspiré grandement le demandeur au pourvoi dans les deux branches du moyen. Le commentateur avait discerné qu’« eu égard à la complexité des produits structurés et à leur dangerosité potentielle, il est probable que les souscripteurs qui s’estiment floués n’en resteront pas là ». À notre avis, deux pistes s’offrent à eux. La première, qui nous paraît potentiellement explosive, consisterait pour eux à fonder directement leur demande sur l’article L. 131-1 du code des assurances, selon lequel, en matière d’assurance-vie, les unités de comptes doivent être constituées « de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État ». L’idée serait de considérer que le texte pose deux conditions cumulatives, de sorte que le fait qu’un support figure dans la liste (ce qui est le cas pour les obligations dont relèvent bien, depuis l’arrêt, les EMTN) ne serait pas suffisant pour qu’il soit éligible. Il faudrait en plus qu’il offre une protection suffisante de l’épargne investie. Cette question qui – semble-t-il – n’avait pas été posée en cause d’appel (la cour de Paris estimant, à tort ou à raison, que les parties avaient circonscrit le débat au fait que le produit incriminé soit ou non un produit obligataire) n’est pas simple à résoudre dès lors que le « et » figurant dans le texte de l’article a plusieurs sens possibles. Il y a des « et » qui signifient « ou ». Ou, plus subtilement, le « et » peut vouloir dire que tous les produits offrant une protection suffisante de l’épargne investie ne sont pas éligibles : il faut en plus qu’ils figurent dans une liste établie par décret, ce qui présuppose que cette liste contient nécessairement des produits offrant une telle protection […]. Aussi, pour éviter – là encore – que les spéculateurs s’en sortent à bon compte, une autre piste nous paraît préférable. La question des produits structurés devrait se régler non par une interdiction (au demeurant aléatoire, certains produits pouvant y échapper, d’autres non, eu égard au flou entourant le critère de la protection suffisante de l’épargne investie), mais par l’application des seules règles de la responsabilité civile (qu’invoquait d’ailleurs le souscripteur dans la présence espèce, puisqu’il reprochait à l’assureur et au distributeur un manquement à leur devoir d’information et de mise en garde). Les souscripteurs avertis dans la matière des produits structurés, qui connaissaient les risques financiers qui y sont attachés, ne pourraient ainsi obtenir indûment l’effacement de leurs pertes. Quant aux autres, ils pourraient invoquer utilement un défaut d’information, de mise en garde et de conseil » (L. Mayaux, op. cit., RGDA, janv. 2018, n° 115e7, p. 52).

Cependant, par un arrêt du 16 juillet 2020, faisant l’objet d’une large publication, la deuxième chambre civile a rejeté le pourvoi formé par le souscripteur.

La haute juridiction a préalablement rappelé que, selon l’article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, en matière d’assurance sur la vie ou d’opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d’actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d’État.

La Cour de cassation a ensuite précisé qu’il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992, que les valeurs mobilières et actifs visés par l’article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l’épargne prévue par ce texte.

Pour les magistrats du quai de l’horloge, selon l’article R. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, les unités de compte visées à l’article L. 131-1 du code des assurances incluent les actifs énumérés au 1°, 2°, 2° bis, 2° ter, 3°, 4°, 5° et 8° de l’article R. 332-2 du code des assurances, au nombre desquels figurent les obligations négociées sur un marché reconnu (Civ. 2e, 16 juill. 2020, préc., pts 8 et 9).

Par conséquent, la deuxième chambre civile a jugé que la cour d’appel avait exactement déduit que le produit litigieux était éligible comme unité de compte dans un contrat d’assurance sur la vie après avoir retenu qu’il s’analysait en une obligation au sens de l’article L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l’absence de garantie de remboursement intégral du capital, puis relevé qu’il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l’article R. 232-2, 2°, du code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par cinq mille deux cent vingt négociations par les clients de la société Generali vie, intervenues de 2007 à 2013 (Civ. 2e, 16 juill. 2020, préc., pts 10 et 11).

Cette décision ne paraît pas pleinement satisfaisante. Elle est certes protectrice de l’économie de l’assurance-vie. Mais celle-ci se financiarise démesurément. L’immense complexité des produits structurés laisse dans l’inconnu la majorité des clients et potentiels clients, la doctrine spécialisée s’émouvant d’ailleurs qu’« il est probable que bien des conseillers distribuant le produit n’en comprennent guère plus que nous-même. Dès lors, comment peuvent-ils conseiller un tel produit qu’eux-mêmes peinent à saisir ? » (L. Mayaux, op. cit.).

Outre une recherche d’économie solidaire dont on ne sait pas toujours ce qu’elle recouvre, l’intervention récente du législateur n’a pas entendu résoudre cette difficulté. L’article L. 131-1 du code des assurances a été complété par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (art. 72-I), de deux autres textes.

En premier lieu, l’article L. 131-1-1 prévoit désormais que « les unités de compte mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 131-1 peuvent être constituées de parts de fonds d’investissement alternatifs ouverts à des investisseurs professionnels, relevant de la sous-section 3 de la section II du chapitre IV du titre Ier du livre II du code monétaire et financier, dans le respect de conditions tenant notamment à la situation financière, aux connaissances ou à l’expérience en matière financière du contractant. Un décret en Conseil d’État fixe ces conditions et précise les fonds concernés ».

En second lieu, l’article L. 131-1-2, qui s’applique aux contrats conclus ou aux adhésions effectuées à compter du 1er janvier 2020, dispose que « le contrat comportant des garanties exprimées en unités de compte mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 131-1 fait référence à au moins une unité de compte constituée de valeurs mobilières, d’organismes de placement collectif ou d’actifs figurant sur la liste mentionnée au même article L. 131-1 et qui respectent au moins l’une des modalités suivantes :

1° Ils sont composés, pour une part comprise entre 5 % et 10 %, de titres émis par des entreprises solidaires d’utilité sociale agréées en application de l’article L. 3332-17-1 du code du travail ou par des sociétés de capital-risque mentionnées au I de l’article 1er de la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier ou par des fonds communs de placements à risque mentionnés à l’article L. 214-28 du code monétaire et financier, sous réserve que l’actif de ces fonds soit composé d’au moins 40 % de titres émis par des entreprises solidaires mentionnées à l’article L. 3332-17-1 du code du travail ;

• 2° Ils ont obtenu un label reconnu par l’État et satisfaisant à des critères de financement de la transition énergétique et écologique selon des modalités définies par décret ;

• 3° Ils ont obtenu un label reconnu par l’État et satisfaisant aux critères d’investissement socialement responsable selon des modalités définies par décret ».

Auteur d'origine: Dargent
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Dans un arrêt qui était très attendu, la Cour de cassation s’est prononcée dans l’affaire de la plateforme de réservation hôtelière en ligne Expédia, et notamment sur les différents points soulevés par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 juin 2017 (Paris, 21 juin 2017, Expedia, n° 15/18784, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ contrat 2017. 388, obs. V. Pironon ; ibid. 305, obs. X. D. ; JT 2017, n° 200, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD com. 2017. 598, obs. M. Chagny ; ibid. 599, obs. M. Chagny ; ibid. 601, obs. M. Chagny ; ibid. 603, obs. M. Chagny ; ibid. 606, obs. M. Chagny ), tant au regard du droit applicable – puisque le litige revêt ici une dimension internationale – que de l’éventuelle remise en cause de certaines clauses contenues dans les conditions contractuelles imposées par la plateforme aux hôteliers indépendants pour cause de déséquilibre significatif.

Pratique restrictive de concurrence et loi de police. La Cour de cassation est venue confirmer le caractère de loi de police de l’ancien article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce (devenu art. L. 442-1, I, 2° et L. 442-3 d), depuis l’ord. n° 2019-359 du 24 avr. 2019). En effet les contrats litigieux comportaient une clause de règlement des litiges désignant le juge anglais et donnant compétence à la loi anglaise. Ainsi avant de se prononcer, la cour d’appel de Paris a été amenée à vérifier sa compétence internationale, ainsi que l’applicabilité de la loi française au regard des textes pertinents (V. sur ce point, V. Pironon, obs. préc.).

Sur ce point, la chambre commerciale a confirmé la compétence des juridictions françaises, l’application de la loi française à ce litige ainsi que le syllogisme opéré par la cour d’appel de Paris. Mais elle admet surtout l’analyse de cette dernière au regard de la qualification de l’article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce de loi de police du for au visa de l’article 9 du règlement « Rome I » (Règl. (CE) n° 593/2008 du 11 juill. 2007) et de l’article 16 du règlement « Rome II » (Règl. (CE) n° 864/2007 du 17 juin 2008). En effet, la chambre commerciale retient que « l’article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d’une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s’avèrent donc indispensables pour l’organisation économique et sociale ».

Toutefois, et sans attendre la confirmation par la Cour de cassation, le tribunal de commerce de Paris avait d’ores et déjà repris cette analyse en qualifiant également de loi de police l’ancien article L. 442-6, I, du code de commerce dans son jugement du 2 septembre 2019 (T. com. Paris, 2 sept. 2019, n° 2017050625, AJ contrat 2019. 433 , obs. F. Buy et J.-C. Roda ; Dalloz IP/IT 2019. 710, obs....

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Auteur d'origine: cbonnet

La société d’avocats MBK Rechtsanwälte établie en Allemagne est titulaire d’une marque constituée de sa dénomination sociale, enregistrée pour des services juridiques. À la suite d’une action en contrefaçon, elle a obtenu qu’un de ces concurrents n’utilise pas un signe identique à sa marque. Pour se conformer à cette décision, ce dernier a retiré l’annonce qu’il avait publiée sur un annuaire en ligne auprès duquel il avait souscrit. Cependant son annonce avait été reprise, sans son consentement, par des sites de référencement d’entreprises de sorte que la saisie des termes « MBK Rechtsanwälte » dans un moteur de recherche renvoyait toujours vers sa publicité. Fort de ce constat, le titulaire de la marque a obtenu une nouvelle condamnation. En effet,...

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Auteur d'origine: nmaximin

Lorsque le débiteur se trouve dans une « situation irrémédiablement compromise » caractérisée par l’« impossibilité manifeste » de mettre en œuvre les mesures traditionnelles de traitement des situations de surendettement visées aux articles L. 732-1 et suivants du code de la consommation, la commission de surendettement peut privilégier la solution du rétablissement personnel. À ce titre, il lui appartient d’orienter le dossier dans l’une des deux directions définies par le législateur (C. consom., art. L. 712-2 et L. 724-1).

La commission peut alors imposer un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire (C. consom., art. L. 741-1 s.) ou saisir le juge des contentieux de la protection – avant le 1er janvier 2020, il s’agissait du juge du tribunal d’instance – aux fins d’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire, dans les conditions définies aux articles L. 742-1 et suivants du code de la consommation. Dans cette dernière hypothèse, en plus de l’accord préalable du débiteur, il faut que ce dernier dispose de biens autres que des « biens meublants nécessaires à la vie courante et des biens non professionnels indispensables à l’exercice de son activité professionnelle, ou que l’actif [ne soit] constitué que de biens dépourvus de valeur marchande ou dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur...

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Auteur d'origine: gpayan

Le porteur d’une carte de paiement conteste les opérations de paiement débitées sur son compte bancaire par sa banque, estimant ces dernières frauduleuses. L’établissement financier refuse de procéder au remboursement de ces sommes, considérant que son client avait commis une faute en donnant à des tiers des informations confidentielles permettant d’effectuer les opérations contestées. L’établissement, condamné par le tribunal d’instance statuant en dernier ressort au remboursement de la moitié des paiements frauduleux, s’est pourvu en cassation. Il a fait valoir que le tribunal d’instance a retenu la bonne foi du payeur victime de la fraude, justifiant ainsi pour le tribunal une responsabilité limitée de ce dernier dans le préjudice subi.

La Cour de cassation, qui censure le jugement, précise, dans cet arrêt du 1er juillet 2020, que la responsabilité du payeur dans la réalisation d’opérations non autorisées, en cas de négligence grave, est exclusive de toute appréciation de la bonne foi de ce dernier. En conséquence, l’établissement financier ne peut être tenu au remboursement, même partiel, des sommes correspondant aux opérations frauduleusement effectuées avec la carte de son client. Elle rappelle ainsi qu’il incombe à l’utilisateur d’un service de paiement une obligation de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés, tel que le prévoit l’article L. 133-16 du code monétaire et financier.

Cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, depuis 2017, a été amenée à se prononcer sur l’hypothèse de plus en plus courante de...

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Auteur d'origine: Delpech
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L’article L. 711-1 du code de la consommation énumère les conditions de recevabilité en matière de traitement des situations de surendettement des particuliers. Si certaines ont trait à la situation de surendettement, laquelle est « caractérisée par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles ou à échoir » (C. consom., art. L. 711-1, al. 2), d’autres sont relatives au débiteur. À cet égard, peuvent seulement prétendre au bénéfice de ce dispositif les « personnes physiques de bonne foi » (C. consom., art. L. 711-1, al. 1er).

Selon une jurisprudence bien établie, d’une part, la bonne foi est présumée et il appartient au créancier de détruire cette présomption et, d’autre part, l’absence de bonne foi est appréciée souverainement par les juges du fond (Civ. 1re, 4 avr. 1991, n° 90-04.042, Bull. civ. I, n° 124 ; D. 1991. 307 , note B. Bouloc ; RTD com. 1991. 446, obs. G. Paisant ; JCP 1991. II. 21702, note Y. Picod). Plus précisément, lorsqu’il est saisi d’un recours formé contre la décision d’une commission de surendettement, le juge des contentieux de la protection – depuis le 1er janvier 2020 – ou, auparavant, le juge du tribunal d’instance (C. consom., art. L. 713-1) doit apprécier l’absence de bonne foi du débiteur au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis et au jour où il statue (v. par ex. Civ. 1re, 31 mars 1992, n° 91-04.043, Bull. civ. I, n° 109 ; RTD com. 1992. 455,...

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Auteur d'origine: gpayan
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1. Une entreprise souhaitant commercialiser ses produits ou services sur un territoire dispose de très nombreuses possibilités. Outre la vente directe par ses propres moyens, cette entreprise peut choisir de recourir à un intermédiaire, que celui-ci soit un franchisé, un concessionnaire, un courtier ou encore un agent commercial. Ce choix du mode de commercialisation est, en pratique, capital car les régimes applicables à chaque mode de distribution sont radicalement différents et offrent, notamment, des degrés de protection variables aux intermédiaires. Les agents commerciaux bénéficient, par exemple, d’une protection particulière car ceux-ci ont, en principe, droit à une importante indemnité de rupture – généralement égale à deux années de commission brutes – lorsque le contrat prend fin (C. com., art. L. 134-12).

2. Au regard de cette disparité de régimes, il est fréquent que des intermédiaires revendiquent la qualité d’agent commercial afin de bénéficier de l’indemnité de rupture, ce qui génère un contentieux important. Ce contentieux de la qualification est d’autant plus prégnant que les critères permettant d’identifier les personnes pouvant relever du statut des agents commerciaux ne sont pas clairement arrêtés.

3. À suivre l’article L. 134-1 du code de commerce, trois conditions cumulatives sont nécessaires : i) un intermédiaire indépendant ; ii) lié de façon permanente au commettant ; iii) qui dispose du pouvoir de négocier, voire de conclure, des contrats au nom et pour le compte de ce commettant (« l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat ou de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux »).

Or, depuis une douzaine d’années, la jurisprudence française est divisée sur la signification du terme « négocier ». La Cour de cassation a plusieurs fois adopté une conception restrictive : la négociation implique nécessairement le pouvoir de modifier les prix du produit commercialisé. Mais certaines juridictions du fond ont adopté une conception plus souple : un pouvoir de négociation peut exister en dehors d’une faculté de modifier les prix, il ne s’agit que d’un critère parmi d’autres (v. infra, n° 13).

4. C’est dans ce contexte particulier qu’intervient l’important arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 4 juin 2020, lequel se prononce en faveur d’une conception souple du terme négocier. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté sont des plus banals. Depuis 2003, une société était chargée d’assurer la vente de bijoux au nom et pour le compte d’un fabricant. En 2016, le fabricant décidait de lui retirer un secteur de vente correspondant à la moitié sud du territoire français en raison de résultats commerciaux jugés insuffisants. Le revendeur mit alors le fabricant en demeure de lui payer les indemnités de rupture dues à tout agent commercial. Le fabricant refusa cependant de donner droit à cette demande, motif pris que le revendeur ne disposait pas du pouvoir de modifier les prix de revente qui étaient unilatéralement fixés par ce fabricant.

Au regard des incertitudes de la jurisprudence précédemment évoquées (v. supra, n° 3), et contrairement à ce qu’avait refusé de faire la cour d’appel de Paris (Paris, 26 janv. 2017, n° 15/04995), le tribunal de commerce de Paris décida de poser une question préjudicielle à la CJUE, dont la compétence est liée à la directive européenne ayant harmonisé le statut des agents commerciaux, aujourd’hui codifié aux articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.

5. Le 4 juin 2020, la Cour de justice a ainsi dit pour droit que : « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».

La solution apparaît parfaitement fondée. Mais, au-delà des arguments avancés pour soutenir cette orientation, la portée de l’arrêt doit être soulignée. Cette solution augure probablement d’un rapide revirement de la Cour de cassation qui devrait abandonner sa conception stricte du terme « négocier ». Surtout, en assouplissant les critères qualificatifs du contrat d’agent commercial, la Cour de justice de l’Union européenne offre aux plaideurs de solides arguments pour requalifier certains contrats d’intermédiaire, ce qui ne devrait pas tarir un contentieux déjà important. Partant, après avoir étudié les arguments avancés par la Cour de justice (I), nous envisagerons les conséquences de son arrêt du 4 juin 2020 (II).

I. Une solution fondée

6. Pour asseoir sa solution, la Cour de justice développe trois arguments d’inégale importance. Elle débute par un rappel de principes parfaitement arrêtés : l’interprétation autonome et uniforme du droit européen sur tout le territoire de l’Union. À ce titre, la Cour de justice souligne que le terme « négocier » mentionné par la directive fait l’objet de diverses traductions et que la législation de certains États membres renvoie à l’expression plus large « servir d’intermédiaire » (pt 27). Si cet argument issu de la linguistique juridique, chère au doyen Cornu (Linguistique juridique, 3e éd., LGDJ, coll. « Domat – Droit privé », 2005), est intéressant, la Cour de justice n’en tire cependant aucune conséquence car, selon elle, ces différentes traductions ne permettent pas de déterminer le sens exact du terme « négocier ».

Pour trancher cette difficulté, et retenir que négociation ne signifie pas nécessairement modification des prix, la Cour de justice se fonde sur deux autres arguments : d’abord, la nature même de la mission dévolue aux agents commerciaux (A), à savoir apporter de nouveaux clients et développer la clientèle existante ; ensuite, la nécessité d’assurer la protection la plus large des intermédiaires, conformément à l’objectif de la directive (B).

A. La mission de l’agent commercial : développer la clientèle

7. Pour déterminer le sens du terme « négocier », la Cour de justice précise qu’il faut tenir compte du « contexte dans lequel s’inscrit cette disposition » (pt 30). Cette formule quelque peu énigmatique entend souligner que l’activité d’un agent commercial résulte avant tout d’un contrat. Or, selon la Cour, ce contrat peut parfaitement interdire à un agent commercial de modifier les prix, tant pour des raisons fondées sur la pérennité financière du commettant que pour des raisons de compétitivité à l’égard des concurrents.

8. Cependant, et l’argument est décisif, le blocage des prix par le commettant n’empêche nullement l’agent d’exercer sa fonction première, à savoir apporter de nouveaux clients et développer ceux déjà démarchés. Voilà, pour la Cour de justice, les « tâches principales » (pt 33) que doit assurer un agent commercial. Or, tel que le conçoit la Cour, développer la clientèle ne suppose nullement d’avoir un pouvoir de négocier les prix. Dit autrement, modifier les prix ou les conditions commerciales ne sont pas les seuls moyens pour que l’agent commercial assure sa mission. Ce dernier dispose, en effet, de mille et une techniques pour aboutir à la conclusion d’un contrat (présentation, discussion, conseil, etc.) sans pour autant modifier le prix ou les conditions commerciales.

9. L’affirmation de la Cour de justice paraît fondée et une interprétation similaire pourrait être retenue en partant de l’article L. 134-1 du code de commerce, car celui-ci, tout comme la directive, ne conditionne pas la qualification d’agent commercial à une modification du prix ou des conditions commerciales. En substance, cet article dispose que l’agent commercial est « chargé […] de négocier […] des contrats », il ne fait donc nullement allusion à une quelconque modification. Voilà donc les intermédiaires que la Cour de justice entend protéger, ce qui constitue un autre argument majeur développé dans l’arrêt commenté.

B. La nécessité d’assurer une protection maximale des agents commerciaux

10. Le dernier argument de la Cour de justice pour asseoir sa solution repose sur les objectifs poursuivis par la directive relative aux agents commerciaux. Son raisonnement peut être décomposé en trois temps : la directive recherche la protection des agents commerciaux ; exclure les personnes qui ne disposent pas de la faculté de modifier les prix de cette catégorie réduirait la portée de la protection recherchée ; il convient donc de considérer que ces personnes disposent du pouvoir de « négocier », quand bien même celles-ci bénéficient d’une liberté d’action plus réduite.

11. Cette interprétation téléologique, régulièrement mobilisée au secours des agents commerciaux (CJCE 26 mars 2009, aff. C-348/07, spéc. pt 14, D. 2009. 1141 ; RTD com. 2009. 609, obs. B. Bouloc ; Europe 2009. Comm. 186, note A.-L. Mosbrucker ; CCC 2010. Comm. 40, obs. N. Mathey ; 3 déc. 2015, aff. C-338/14, spéc. pt 23, Europe 2016. Comm. 54, obs. E. Daniel ; 21 nov. 2018, aff. C-452/17, spéc. pt 26, D. 2018. 2233 ; ibid. 2019. 783, obs. N. Ferrier ; CCC 2019. Comm. 4, obs. N. Mathey), est, à nouveau, parfaitement fondée : une protection maximale est assurée en évitant que les commettants s’exonèrent systématiquement de la protection normalement due en stipulant que l’intermédiaire est privé du pouvoir de négocier les prix ou conditions commerciales. Surtout, cette orientation de la Cour de justice évite une césure inéquitable, reprochée à la jurisprudence française, entre une protection des intermédiaires qui disposent du pouvoir de modifier les prix et l’absence de protection de ceux qui, ne disposant pas d’un tel pouvoir, parviennent néanmoins à obtenir des contrats (RDC 2015. 539, spéc. n° 3, obs. C. Grimaldi).

II. Une solution importante

12. L’arrêt rendu par la Cour de justice fera date car ses implications sont importantes. L’orientation retenue est d’abord en totale contradiction avec la position dominante de la jurisprudence française, ce qui laisse augurer un rapide revirement (A). Par ailleurs, l’arrêt rendu place de nombreux contrats dits « d’intermédiation » dans le viseur de la requalification, ce qui pourrait encore augmenter un contentieux déjà volumineux en la matière (B).

A. Un probable revirement de la Cour de cassation

13. En affirmant qu’« une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial », la Cour de justice de l’Union européenne adopte une position radicalement différente de celle adoptée par la jurisprudence française, et notamment la Cour de cassation, laquelle a pu affirmer que la négociation suppose :

• un pouvoir de modifier « les tarifs et conditions fixées » par le commettant (Com. 15 janv. 2008, n° 06-14.698, Dalloz actualité, 28 janv. 2008, obs. E. Chevrier ; D. 2008. 350, obs. E. Chevrier ; RTD civ. 2008. 299, obs. B. Fages ; RTD com. 2008. 495, obs. B. Saintourens ; ibid. 616, obs. B. Bouloc : JCP 2008. II. 10105, note N. Dissaux ; CCC 2008. Comm. 68, obs. N. Mathey ; RTD com. 2008. 495, obs. B. Saintourens ; RTD civ. 2008. 299, obs. B. Fages ; 27 oct. 2009, n° 08-16.623, D. 2011. 540, obs. D. Ferrier ) ;

• le pouvoir « d’accorder des remises » (Com. 20 janv. 2015, n° 13-24.231, D. 2016. 964, obs. D. Ferrier ; AJCA 2015. 185, obs. O. Ancelin ; RDC 2015. 539, obs. C. Grimaldi ; CCC 2015, n° 2, p. 105, obs. D. Ferré) ou de « fixer le montant » de celles-ci (Com. 13 sept. 2017, n° 16-15.248, AJ contrat 2017. 491, obs. O. Ancelin ) ;

• la possibilité de « déterminer les prix de vente » (Com. 19 juin 2019, n° 18-11.727, D. 2020. 789, obs. N. Ferrier ; CCC 2019. Comm. 138, obs. N. Mathey) ;

• la faculté de « [disposer] effectivement d’une quelconque marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique » (Com. 9 déc. 2014, n° 13-22.476, CCC 2015. Comm. 31, obs. N. Mathey).

Relayée par plusieurs juridictions du fond (Montpellier, 2e ch., 5 nov. 2019, n° 18/06358 ; Paris, ch. 5-5, 7 nov. 2019, n° 17/16331 ; ch. 5-5, 16 janv. 2020, n° 17/11236), cette position n’était toutefois pas uniformément partagée : certaines juridictions ont ainsi pu estimer que le pouvoir de négociation vise l’ensemble des actions menées par l’agent commercial pour l’obtention de commandes et non la seule modification des tarifs et conditions commerciales (Rennes, 26 févr. 2013, n° 44/02001 ; Toulouse, 2e ch., 28 févr. 2018, n° 17/01857 ; Paris, pôle 5, 10e ch., 3 févr. 2020, n° 16/19962), analyse aujourd’hui confirmée par la Cour de justice dans l’arrêt commenté.

14. Partant, il est probable que la Cour de cassation s’aligne prochainement sur la position de la Cour de justice et abandonne sa position traditionnelle. Ce changement, concrètement traduit par un revirement, ne serait que la suite logique de l’arrêt du 4 juin 2020, la Cour de cassation étant, en principe, tenue de suivre l’analyse de la Cour de justice.

On soulignera cependant que les qualifications retenues à Luxembourg ne sont pas systématiquement suivies à Paris. Par exemple, la Cour de justice a considéré que la directive protectrice des agents commerciaux était une loi de police (CJCE 9 nov. 2000, aff. C-381/98, Ingmar, Rev. crit. DIP 2001. 107, note L. Idot ; JCP 2001. II. 1159, note L. Bernardeau ; JDI 2001. 511, note J.-M. Jacquet ; LPA, 22 juin 2001, p. 10, note C. Nourissat), qualification refusée quelques semaines plus tard par la Cour de cassation (Com. 28 nov. 2000, n° 98-11.335, Allium, D. 2001. 305 , obs. E. Chevrier ; RTD com. 2001. 502, obs. B. Bouloc ; ibid. 1067, obs. J.-M. Jacquet ; JDI 2001.511, note J.-M. Jacquet ; JCP 2001. II. 10527, note L. Bernardeau), et depuis lors réitérée, tant dans les rapports intraeuropéens (Com. 5 janv. 2016, n° 14-10.628, Arcelor Mittal, D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJCA 2016. 162, obs. C. Nourissat ; RTD com. 2016. 589, obs. P. Delebecque ) qu’extraeuropéens (Paris, ch. 5-5, 13 févr. 2020, n° 16/15098).

Ainsi, tant que la Cour de cassation n’aura pas effectivement statué sur cette question, une incertitude subsistera, mais il n’en reste pas moins que certains contrats d’intermédiaires pourraient être requalifiés en contrat d’agents commerciaux.

B. Des contrats d’intermédiaire en sursis ou le risque de la requalification

15. En assouplissant le sens du terme « négocier », l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne a pour effet d’élargir le champ d’application du statut protecteur des agents commerciaux. Auparavant, il fallait, pour que le statut s’applique, à tout le moins selon la Cour de cassation, réunir trois conditions : i) un intermédiaire indépendant ; ii) lié de façon permanente au commettant ; iii) qui dispose du pouvoir de modifier les prix afin de conclure des contrats. Aujourd’hui, ces trois conditions demeurent, mais la troisième a été assouplie : il suffit d’établir que l’intermédiaire passe des commandes avec des clients, que ceux-ci soient nouveaux ou déjà fidélisés (v. supra, nos 7 s.).

16. Ce changement de méthode quant au processus de qualification fait bouger les lignes des différents contrats d’intermédiaire. Certains contrats pourraient ainsi être l’objet d’une requalification en présence d’un intermédiaire chargé, de façon permanente, de négocier ou de conclure des contrats au nom et pour le compte du commettant sans toutefois pouvoir modifier les prix. On pense ici notamment aux contrats – improprement – intitulés « contrat d’intermédiaire » ou « courtage ». Le juge n’étant pas tenu par la qualification des parties (C. pr. civ., art. 12), ces contrats sont, plus que jamais, susceptibles d’être requalifiés en contrat d’agent commercial. Les intermédiaires déçus bénéficieraient alors du statut protecteur des agents commerciaux, et se verraient notamment octroyer l’importante indemnité de fin de rupture, généralement fixée à deux années de commission brutes (M. Malaurie-Vignal, Droit de la distribution, 4e éd., Sirey, coll. « Université », 2017, n° 999).

Auteur d'origine: Delpech

Cet arrêt se rattache à une époque révolue, celle qui précède la suppression, à compter du 1er décembre 2018, de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par la loi de finances pour 2018 (L. n° 2017-1837, 30 déc. 2017, art. 31) et son remplacement par un impôt sur les fortunes immobilières (IFI). Cela étant, l’ISF n’est pas encore totalement effacé du paysage fiscal compte tenu des redressements et contentieux en cours au jour de sa suppression, lesquels ont vocation à aller jusqu’à leur terme. Le présent contentieux en est l’illustration. Il ne prend d’ailleurs pas fin par cet arrêt du 24 juin 2020, puisqu’il s’agit d’un arrêt de censure, la Cour de cassation ayant cassé un arrêt de la cour d’appel de Paris et renvoyant l’affaire devant la même cour autrement composée.

Les faits méritent d’être relatés. Après avoir été invités par l’administration...

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Auteur d'origine: Delpech

La rédaction de Dalloz actualité s’éclipse quelques semaines pour mieux vous retrouver le 31 août.

D’ici là, nous vous souhaitons de bonnes vacances et de bonnes lectures, si le cœur vous en dit. Il y a de quoi s’occuper sur Dalloz actualité.

À très vite, donc.

Auteur d'origine: babonneau
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Le comptable public, plus précisément le comptable responsable du service des impôts des particuliers d’un arrondissement de Paris, agissant sur le fondement de titres exécutoires délivrés à l’encontre d’un contribuable également souscripteur d’une assurance-vie, a notifié le 31 août 2016 entre les mains de la société d’assurance un avis à tiers détenteur portant, notamment, sur un contrat rachetable n° 305536 souscrit par le débiteur.

L’assureur a indiqué qu’il ne pouvait procéder à aucun paiement au titre de ce contrat. Le comptable public a assigné l’entreprise d’assurance devant un juge de l’exécution en paiement des sommes, objet de l’avis à tiers détenteur, sur le fondement de l’article R. 211-9 du code des procédures civiles d’exécution. L’assureur a fait valoir que le contrat en cause avait fait l’objet d’un nantissement le 2 décembre 2012 au profit d’une banque.

Par jugement du 21 février 2018, le juge de l’exécution a accueilli la demande formée par le comptable public.

Par un arrêt rendu le 29 novembre 2018, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en condamnant la société d’assurance-vie à payer au service des impôts l’intégralité des fonds versés par le souscripteur sur le contrat n° 305536 dans la limite de la valeur de rachat des droits à la date de la notification de l’avis à tiers détenteur (M. Cozian, L’avis à tiers détenteur, RTD com. 1967. 66), ainsi qu’une somme de 4 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens (Paris, pôle 4, ch. 8, 29 nov. 2018).

La banque et l’assureur ont formé chacun un pourvoi contre l’arrêt qui a confirmé le jugement. Ils ont soutenu, en premier lieu, que « le nantissement du contrat confère au créancier nanti un droit exclusif sur la valeur de rachat ; qu’il en résulte que l’avis à tiers détenteur qui oblige l’assureur à payer le Trésor public “aux lieu et place du redevable”, est sans effet attributif lorsque le contrat est donné en nantissement, le redevable ne disposant plus dans son patrimoine des droits qu’il a régulièrement transférés avant la notification de l’avis à tiers détenteur ; qu’en donnant cependant effet à l’avis à tiers détenteur notifié à l’assureur postérieurement à la constitution du nantissement, la cour d’appel a violé l’article 2363 du code civil par refus d’application et l’article 1920 du code général des impôts par fausse application, ensemble les articles L. 211-2 et R. 211-9 du code des procédures civiles d’exécution ».

L’assureur et la banque ont soutenu en second lieu que « seul le créancier nanti reçoit valablement le paiement de la créance nantie tant en capital qu’en intérêts ; que la cour d’appel a constaté que [le souscripteur] avait donné en nantissement le 2 décembre 2012 à la [banque] les créances qu’il détenait contre la société [d’assurances] au titre du contrat d’assurance-vie n° 305536 ; qu’en condamnant la société [d’assurances] à verser l’intégralité de la valeur de rachat de ce contrat au Trésor public, au prétexte qu’il bénéficiait d’un privilège mobilier général s’exerçant avant tout autre, la cour d’appel a violé l’article 2363 du code civil, ensemble l’article R. 211-9 du code des procédures civiles d’exécution ».

Par un arrêt rendu le 2 juillet 2020, la deuxième chambre civile a censuré, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris.

À ce titre, la haute juridiction a précisé, au visa de l’article 2363 du code civil et de l’article L. 132-10 du code des assurances, qu’il « résulte de ces textes que le créancier bénéficiaire d’un nantissement de contrat d’assurance-vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d’un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés » (décis., pt 7).

Pour rappel, d’une part, l’article L. 132-10 du code des assurances retient que « la police d’assurance peut être donnée en nantissement soit par avenant, soit par acte soumis aux formalités des articles 2355 à 2366 du code civil. / Quand l’acceptation du bénéficiaire est antérieure au nantissement, ce dernier est subordonné à l’accord du bénéficiaire. / Quand l’acceptation du bénéficiaire est postérieure au nantissement, celle-ci est sans effet à l’égard des droits du créancier nanti. / Sauf clause contraire, le créancier nanti peut provoquer le rachat nonobstant l’acceptation du bénéficiaire ».

D’autre part, l’article 2363 du code civil prévoit qu’« après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement de la créance donnée en nantissement tant en capital qu’en intérêts. Chacun des créanciers, les autres dûment appelés, peut en poursuivre l’exécution ».

Dès lors, dans l’arrêt sous commentaire, les magistrats du quai de l’horloge ont jugé que la cour d’appel avait violé ces dispositions en retenant, pour condamner l’assureur à verser au comptable public le montant visé par l’avis à tiers détenteur, que, « s’agissant des contributions directes, le privilège du Trésor, bien que général, doit, en raison de son rang, s’exercer avant tout autre et primer le nantissement de la créance du souscripteur sur l’assureur au profit de la banque, quelle que soit la date à laquelle ce dernier a été constitué et que le comptable peut exercer immédiatement la faculté de rachat, aux lieu et place de la banque ou du souscripteur » (décis., pt 8).

La doctrine rappelle que « l’assurance-vie, qui représente une valeur économique lorsque le contrat est en cours d’exécution, peut être utilisée comme technique de garantie et faire l’objet d’un nantissement (C. assur., art. L. 132-10). Cette technique est soumise à la fois au droit civil (C. civ., art. 2355 s.) et aux règles spécifiques du droit des assurances. L’insaisissabilité de la valeur de rachat du contrat, tout comme le caractère personnel des prérogatives nées du contrat, n’empêche pas la constitution d’une telle garantie » (K. Bühler, « Le nantissement du contrat », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, à paraître ; adde sur les conditions du nantissement, L. Perdrix, comm. ss art. L. 132-10, Code des assurances. Code de la mutualité, 26e éd., Dalloz, 2020, p. 386).

En effet, chaque souscripteur a un droit de créance sur sa provision individuelle. Il a la possibilité de le faire valoir, à l’encontre de l’assureur, de plusieurs manières. Le souscripteur peut céder son contrat, procéder à son rachat, demander une avance, subir la réduction, ou encore donner son contrat en nantissement (Lamy Assurances 2020, n° 4017).

Cette dernière hypothèse correspond à l’opération par laquelle le souscripteur donne son contrat en garantie à un créancier (P. Bedorez, L’assurance sur la vie considérée comme moyen de crédit, thèse, Paris, 1903 ; J. Flour, Mise en gage des polices-vie, RGAT 1935. 702 ; F. Lucet, Les garanties sur contrat d’assurance-vie, Defrénois, 1999, art. 37005 ; S. Hamoudi, Utilisation d’un contrat d’assurance-vie en garantie d’une créance, RGDA 1997. 697 ; K. Vilret‐Huot, Les sûretés sur contrat d’assurance-vie, Argus, Les fondamentaux, 2007 ; N. Leblond, Assurances et sûretés, thèse ss la dir. L. Leveneur, Paris II, 2007 ; M. Leroy, Assurance-vie, contrats de capitalisation : instruments de garantie, JCP N 2015. 1232).

Des limites ont été posées toutefois. Par exemple, il n’a plus été possible de nantir un contrat en couverture des ordres de bourse avec service de règlement et de livraison différés (Com. 12 juill. 2011, n° 10‐16.873, Bull. civ. IV, n° 114 ; Dalloz actualité, 28 juill. 2011, obs. X. Delpech ; D. 2011. 2109, obs. X. Delpech ; ibid. 2501, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2011. 434, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2012. 93, obs. J. Hauser ; RGDA 2011. 1074, note J. Kullmann).

Pour le contexte, il est rappelé que le nantissement intervient « le plus souvent à l’occasion de la souscription de prêts, l’assurance sur la vie devenant ainsi un instrument de crédit original » (Lamy Assurances 2020, n° 4020).

Depuis l’ordonnance n° 2006‐346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés, les qualifications ont évolué (E. Frémeaux et G. Daublon, La réforme du droit des sûretés, Defrénois 2006, art. 38420 ; S. Piedelièvre, Premier aperçu sur la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 23 mars 2006, Defrénois, 2006, art. 38393). Le terme de gage est réservé aux meubles corporels et celui de nantissement est affecté aux meubles incorporels.

Le code des assurances ne précise cependant pas les effets du nantissement du contrat (J. Bigot, « Opérations sur le contrat », in J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances. Tome 4. Les assurances de personnes, préf. G. Durry, 2007, LGDJ, n° 493, p. 438). Principalement, le droit de se faire payer, par préférence et à hauteur de la créance garantie sur les prestations assurées, est attribué au créancier nanti. Ce dernier doit pouvoir recouvrer sa créance « en provoquant éventuellement le rachat, initiative normalement réservée au seul souscripteur » (Lamy Assurances 2020, n° 4033).

L’arrêt rendu le 2 juillet 2020 s’inscrit dans le cadre du régime juridique applicable, antérieur et incertain, des avis à tiers détenteur (ATD) au profit de l’administration fiscale, lequel a été supprimé dernièrement par le législateur au profit d’un régime unifié de saisie administrative à tiers détenteur (SATD).

Une affaire soumise au régime antérieur et incertain des avis à tiers détenteur

Déjà, avant la solution admise par l’arrêt du 2 juillet 2020 portant à présent sur un régime intermédiaire (2013-2019), les grands créanciers – les bancassureurs contre l’Administration fiscale – se sont livré une guerre avec de multiples rebondissements.

Après des solutions divergentes des juridictions du fond, la Cour de cassation a consacré, dans un arrêt du 28 avril 1998, le principe de l’insaisissabilité en cours de contrat de la valeur de rachat par les créanciers car elle génère une pratique formellement interdite par la loi, à savoir l’exercice du droit au rachat par ces créanciers et la révocation indirecte de la désignation bénéficiaire (Civ. 1re, 28 avr. 1998, n° 96‐10.333, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 1998. 141 RGDA 1998. 309, note J. Bigot ; RCA 1998, comm. n° 367, note G. Courtieu et note J.‐G. Raffray ; Defrénois 1998, art. 36837, obs. S. Hovasse‐Banget ; JCP 1998. II. 10112, note J. Bigot ; Rev. fid. 1998, n° 26, p. 12). Le principe a été rappelé par plusieurs arrêts postérieurs (Civ. 1re, 27 mai 1998, n° 96‐14.614 ; 20 oct. 1998, n° 96‐14.851, RGDA 1999. 418 ; Com. 15 juin 1999, n° 97‐13.576, Dalloz jurisprudence) puis à nouveau confirmé en 2011 (Civ. 2e, 10 févr. 2011, n° 10‐12.172, Dalloz jurisprudence).

Les enjeux sont tels que cela n’a pas suffi à empêcher la poursuite du débat relatif à la saisissabilité de la valeur de rachat du contrat (Lamy Assurances 2020, n° 4032).

En premier lieu, l’administration fiscale a cherché à contourner la polémique. Elle a essayé de faire requalifier de nombreux contrats d’assurance en opération d’épargne, compte tenu de la disparition d’une grande partie de leur aléa. Le cas échéant, ils n’auraient plus été soumis au régime favorable de l’assurance. Néanmoins, la haute juridiction n’a pas requalifié les contrats d’assurance-vie dits de placement en contrats de capitalisation (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, nos 01-13.592, 02-11.352, 02-17.507 et 03-13.673, Bull. civ. ch. mixte n° 4 ; AJDA 2004. 2302 , obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2004. 3191, et les obs. ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; AJ fam. 2005. 70, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi ; RGDA 2005. 110, note L. Mayaux ; J. Ghestin, La Cour de cassation s’est prononcée contre la requalification des contrats d’assurance-vie en contrats de capitalisation, JCP 2005. I. 111).

En second lieu, l’administration fiscale a également combattu la jurisprudence de la Cour de cassation sur le terrain des réponses ministérielles (Rép. min. à QE n° 15507, JOAN Q 31 août 1998, p. 4803 ; Rép. min. à QE n° 8872, JO Sénat Q 3 sept. 1998, p. 2829) puis d’une instruction (Instr. 18 déc. 1998, BOI 12 C-6-98). À ce titre, « l’administration, rappelant que les créances affectées d’un terme ou d’une condition sont saisissables, a considéré que cette jurisprudence ne consacrait pas un principe d’insaisissabilité mais une simple “indisponibilité temporaire”, laquelle “n’empêche pas de procéder à une saisie en cours de contrat, l’assureur prenant acte de cet événement, ce qui permettrait l’appréhension des sommes lors du dénouement du contrat” (hormis, bien entendu, le cas de décès de l’assuré reliquataire) » (Lamy Assurances 2020, n° 4032).

La Cour de cassation a finalement jugé qu’à raison de la simple éventualité de la créance de l’assureur, aucune saisie n’était possible (Civ. 1re, 2 juill. 2002, n° 99-14.819, Bull. civ. I, n° 179 ; D. 2002. 2452, et les obs. ; RGDA 2002. 1012, note J. Kullmann ; RGDA 2003. 545, note F. Douet ; BOI-REC-FORCE-20-10-20, n° 40).

De même, la chambre commerciale a admis que la créance ayant fait l’objet d’une délégation imparfaite est insaisissable (Com. 14 févr. 2006, n° 03-17.457, D. 2006. 650 , obs. X. Delpech ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2006. 319, obs. J. Mestre et B. Fages ). Selon un auteur, il semble donc que « le créancier soit à la fois protégé contre le risque de rachat par le souscripteur et contre le risque de saisie par les autres créanciers du souscripteur » (J. Bigot, « Opérations sur le contrat », in J. Bigot [dir.], op. cit., n° 513, p. 450).

Par suite d’un arrêt rendu en 2012 aux termes duquel il a été affirmé que, « si, une fois réglée au souscripteur lui-même, la valeur de rachat d’un contrat d’assurance sur la vie fait partie de son patrimoine, et, par conséquent, de l’actif de sa liquidation judiciaire, lui seul peut, s’agissant d’un droit exclusivement attaché à sa personne, exercer la faculté de rachat qui met fin au contrat, de sorte que le paiement effectué sur sa demande et entre ses mains est, malgré son dessaisissement, libératoire pour l’assureur » (Com. 11 déc. 2012, n° 11-27.437, Bull. civ. IV, n° 225, D. 2013. 8 ; ibid. 1981, obs. H. Groutel ; RGDA 2013. 392, note J. Bigot), la doctrine a relevé que la jurisprudence est « parfaitement établie en ce qu’elle considère que tant que le contrat n’est pas dénoué ou que la faculté de rachat n’est pas exercée, l’assureur n’est pas débiteur du souscripteur, de sorte qu’une saisie ne pourra avoir aucun effet, ni immédiat ni différé. Après ce terme et, notamment en cas de rachat par le souscripteur, la saisie devient possible tant que l’assureur demeure débiteur. Mais à défaut d’une telle saisie, le paiement de l’assureur entre les mains du souscripteur est libératoire » (Lamy Assurances 2020, n° 4032).

Tantôt en matière pénale afin d’améliorer la lutte contre le blanchiment de capitaux et contre toutes les formes de délinquance générant des profits (L. n° 2010-768, 9 juill. 2010, JO 10 juill.), tantôt en matière fiscale afin d’éviter d’importantes évasions notamment, des exceptions au principe d’insaisissabilité ont néanmoins été légalement instaurées (Lamy Assurances 2020, nos 4034 s.).

À cet effet, la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (JO 7 déc.), relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, a eu pour objet de contrecarrer le principe prétorien d’insaisissabilité posé à partir de 2002 (Civ. 1re, 2 juill. 2002, préc.) en présence de l’administration fiscale créancière. Le mécanisme de l’avis à tiers détenteur (ATD) s’est ainsi inscrit dans un environnement fiscal changeant.

À ce titre, la loi du 6 décembre 2013 a modifié l’article L. 263-O A du Livre des procédures fiscales. Avant l’entrée en vigueur du texte nouveau, l’ATD ne produisait aucun effet, de sorte que l’assureur, à qui était notifié un tel avis, n’avait pas à lui donner suite (L. Grynbaum [dir.], Assurances, 6e éd., L’Argus de l’assurance éd., coll. « Droit & pratique », 2019/2020, n° 4604).

L’article L. 263-O A est venu prévoir que « peuvent faire l’objet d’un avis à tiers détenteur notifié par le comptable chargé du recouvrement, dans les conditions prévues aux articles L. 262 et L. 263, les sommes versées par un redevable souscripteur ou adhérent d’un contrat d’assurance rachetable, y compris si la possibilité de rachat fait l’objet de limitations, dans la limite de la valeur de rachat des droits à la date de la notification de l’avis à tiers détenteur ». Ces dispositions s’appliquaient aux avis à tiers détenteur, saisies à tiers détenteur, oppositions à tiers détenteur et oppositions administratives notifiés à compter du 8 décembre 2013, jusqu’à ce que le texte soit abrogé par la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017.

Ce texte modifié a eu pour effet « de permettre, par la voie de l’avis à tiers détenteurs, de transférer au Trésor la propriété de la créance éventuelle portant sur le versement de la valeur de rachat et de bénéficier directement de ce versement de la part de l’assureur, sous réserve que cette créance devienne juridiquement exigible par une demande de rachat effectué par le souscripteur » (L. Grynbaum [dir.], op. cit.). Mais cette nouvelle rédaction ne prévoyait « nullement que l’ATD transforme les créances simplement éventuelles résultant du contrat d’assurance-vie rachetable souscrit par le débiteur de l’impôt en créances à terme, encore moins en créances exigibles, elle ne vise que « les sommes versées par un redevable souscripteur ou adhérent d’un contrat d’assurance rachetable » (ibid.).

Dès lors, de nombreuses difficultés se sont présentées quant aux modalités d’application de ces nouvelles dispositions, en particulier en ce qui concerne la nature des contrats saisissables et la possible appréhension, par l’administration fiscale, des sommes correspondantes. Une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) n’a pas permis d’apporter certains éclairages qui auraient fort utiles, la procédure n’ayant pas abouti par suite d’un non-lieu à renvoi devant le Conseil constitutionnel décidé par la la Cour de cassation (Com., QPC, 9 juill. 2015, n° 15‐40.017, Dalloz jurisprudence).

Par suite de plusieurs arrêts rendus par la cour d’appel de Paris, depuis 2016, la doctrine a émis qu’en présence d’une jurisprudence ainsi bien établie, « il ne servirait à rien de résister davantage aux ATD notifiés par l’administration fiscale. Désormais, les choses sont claires, en présence d’un ATD l’assureur n’a pas d’autre choix que de l’exécuter immédiatement en procédant au rachat du contrat dans la limite de la créance de l’administration fiscale telle qu’elle figure sur l’ATD » (L. Grynbaum [dir.], op. cit., n° 4609).

Or l’administration fiscale n’a livré de plus claires explications que le 28 août 2017, lors d’une rectification du BOFIP relatif aux effets des avis aux tiers détenteurs (BOI‐REC‐FORCE‐30‐30, nos 361 s.). Selon elle, les dispositions de l’article L. 263‐0 A du Livre des procédures fiscales privent de toute portée le principe consacré le 2 juillet 2002 par la haute juridiction.

Ainsi, le « contrat d’assurance rachetable saisissable » a été défini par l’administration fiscale comme « un contrat auquel le souscripteur peut mettre fin avant son terme et demander le paiement anticipé de la provision mathématique constituée, appelée valeur de rachat. Ce paiement peut prendre la forme soit d’un retrait (rachat partiel) soit d’une résiliation (rachat total). Un contrat rachetable est saisissable, qu’il s’agisse d’un contrat individuel ou collectif, et quelle que soit la nature du support d’investissement (contrats valorisables, à capital variable ou multi‐supports). En revanche ne sont pas rachetables les contrats mentionnés à l’article L. 132‐23 du code des assurances ». En d’autres termes, « sont exclues de la mesure les assurances temporaires en cas de décès, les rentes viagères immédiates ou en cours de service, les assurances de capitaux de survie et de rente survie, les assurances en cas de vie sans contre‐assurance et les rentes viagères différées sans contre‐assurance. Sont encore expressément exclus par l’administration les contrats de retraite à cotisations définies ainsi que les plans d’épargne retraite populaire. S’agissant de l’appréhension des sommes, l’administration a précisé que “la saisie produit les effets d’un rachat total ou partiel du contrat d’assurance‐vie et a ainsi pour objet d’en saisir la valeur de rachat, calculée au jour de la notification de l’acte. La saisie de la valeur de rachat emporte la résiliation, totale ou partielle, du contrat d’assurance”. Selon l’administration, l’avis à tiers détenteur bénéficie de l’effet d’attribution immédiate de l’article L. 263 du Livre des procédures fiscales de sorte que ses effets ne peuvent être différés dans le temps ni conditionnés au dénouement du contrat saisi (F. Douet, ATD afférents aux contrats d’assurance rachetables : position critiquable de Bercy, RGDA 2017. 526). Toutefois, l’administration consent que l’avis à tiers détenteur ne puisse produire effet ni sur un contrat dont la clause bénéficiaire a été acceptée ni sur un contrat donné en garantie au moyen d’une délégation de créance ou d’un nantissement » (Lamy Assurances 2020, n° 4034).

En définitive, « seuls certains contrats peuvent échapper aux poursuites fiscales. Tout d’abord pour les contrats donnés en nantissement ; en effet en présence d’un nantissement ou d’une délégation de créances antérieur à l’ATD, l’ATD ne peut s’exercer que sur la part de la valeur de rachat excédant le nantissement » (L. Grynbaum [dir.], op. cit., n° 4610).

C’est ce que confirme la haute juridiction dans l’arrêt du 2 juillet 2020 en affirmant le droit exclusif au paiement de la valeur de rachat dont dispose le créancier bénéficiaire d’un nantissement de contrat d’assurance-vie rachetable, que les créanciers du souscripteur, même privilégiés – autrement dit même le comptable public agissant par voie d’ATD –, ne doivent aucunement concurrencer.

Il convient cependant d’appréhender qu’entre-temps, le législateur a procédé à une refonte quasi intégrale des procédures de recouvrement à la main de l’administration fiscale.

La saisie administrative à tiers détenteur (SATD), un nouveau régime applicable depuis le 1er janvier 2019

Le dispositif fiscal de l’ATD a néanmoins évolué entre-temps. Les diverses procédures de recouvrement pouvant être mises en œuvre par les publics comptables ont été remplacées par une nouvelle procédure unifiée et intitulée « saisie administrative à tiers détenteur » (SATD), qui absorbe notamment la saisie de créance simplifiée. À cet effet, on a assisté à l’abrogation des dispositions de l’article L. 263‐0 A du Livre des procédures fiscales relatives à l’ATD dont pouvaient faire l’objet les contrats d’assurance rachetables. De même, cette réforme a été prise en compte pour le droit des assurances, avec une modification de l’article L. 132‐14 du code des assurances. En l’absence de décret établissement une autre date, ce nouveau dispositif est entrée en vigueur le 1er janvier 2019 (L. n° 2017‐1775, 28 déc. 2017, de finances rectificative pour 2017, art. 73, XVII).

Les principales dispositions se retrouvent au nouvel et long article L. 262 du Livre des procédures fiscales, modifié non seulement par la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 mais encore par la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, qui dispose désormais que :

« 1. Les créances dont les comptables publics sont chargés du recouvrement peuvent faire l’objet d’une saisie administrative à tiers détenteur notifiée aux dépositaires, détenteurs ou débiteurs de sommes appartenant ou devant revenir aux redevables.

Dans le cas où elle porte sur plusieurs créances, de même nature ou de nature différente, une seule saisie peut être notifiée.

L’avis de saisie administrative à tiers détenteur est notifié au redevable et au tiers détenteur. L’exemplaire qui est notifié au redevable comprend, sous peine de nullité, les délais et voies de recours.

La saisie administrative à tiers détenteur emporte l’effet d’attribution immédiate prévu à l’article L. 211-2 du code des procédures civiles d’exécution. Les articles L. 162-1 et L. 162-2 du même code sont applicables. Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 162-1, lorsque le montant de la saisie administrative à tiers détenteur est inférieur à un montant, fixé par décret, compris entre 500 € et 3 000 €, les sommes laissées au compte ne sont indisponibles, pendant le délai prévu au même deuxième alinéa, qu’à concurrence du montant de la saisie.

La saisie administrative à tiers détenteur a pour effet d’affecter, dès sa réception, les fonds dont le versement est ainsi demandé au paiement des sommes dues par le redevable, quelle que soit la date à laquelle les créances même conditionnelles ou à terme que le redevable possède à l’encontre du tiers saisi deviennent effectivement exigibles.

La saisie administrative à tiers détenteur s’applique également aux gérants, administrateurs, directeurs ou liquidateurs des sociétés pour les sommes dues par celles-ci.

2. Lorsque la saisie administrative à tiers détenteur porte sur un contrat d’assurance rachetable, elle entraîne le rachat forcé dudit contrat. Elle a pour effet d’affecter aux créanciers mentionnés au 1 la valeur de rachat du contrat d’assurance au jour de la notification de la saisie, dans la limite du montant de cette dernière.

Ces dispositions s’appliquent au redevable souscripteur ou adhérent d’un contrat d’assurance rachetable, y compris si la possibilité de rachat fait l’objet de limitations.

3. Sous peine de se voir réclamer les sommes saisies majorées du taux d’intérêt légal, le tiers saisi, destinataire de la saisie administrative à tiers détenteur, est tenu de verser, aux lieu et place du redevable, dans les trente jours suivant la réception de la saisie, les fonds qu’il détient ou qu’il doit, à concurrence des sommes dues par ce dernier.

Pour les créances conditionnelles ou à terme, le tiers saisi est tenu de verser immédiatement les fonds lorsque ces créances deviennent exigibles.

Le tiers saisi est tenu de déclarer immédiatement par tous moyens l’étendue de ses obligations à l’égard du redevable dans les conditions prévues à l’article L. 211-3 du code des procédures civiles d’exécution.

Le tiers saisi qui s’abstient, sans motif légitime, de faire cette déclaration ou fait une déclaration inexacte ou mensongère peut être condamné, à la demande du créancier, au paiement des sommes dues à ce dernier, sans préjudice d’une condamnation à des dommages et intérêts.

4. Lorsqu’une personne est simultanément destinataire de plusieurs saisies administratives à tiers détenteur, elle doit, en cas d’insuffisance des fonds, exécuter ces saisies en proportion de leurs montants respectifs.

5. Le montant des frais bancaires afférents à la saisie administrative à tiers détenteur perçu par les établissements de crédit ne peut dépasser 10 % du montant dû au Trésor public, dans la limite d’un plafond fixé par décret ».

En résumé, il est affirmé dans ce texte renouvelé que dorénavant la saisie administrative à tiers détenteur, lorsqu’elle porte sur un contrat d’assurance rachetable, entraîne le rachat forcé – soulignons – dudit contrat d’assurance rachetable. En outre, elle a pour effet d’affecter au comptable public ayant qualité de créancier la valeur de rachat du contrat d’assurance au jour de la notification de la saisie (LPF, art. L. 262‐2), autrement dit au jour de la notification au paiement de la créance, dans la limite du montant de cette dernière. Restait à savoir l’éventuelle portée qui pouvait être donnée ce texte, en particulier s’il était susceptible d’affaiblir le droit exclusif du banquier créancier bénéficiaire d’un nantissement de contrat d’assurance-vie rachetable au point de renforcer celui de l’administration fiscale.

La réponse a été livrée le 27 novembre 2019 par la doctrine fiscale opposable à l’administration. A été confirmé que « le nantissement d’un contrat d’assurance-vie est l’opération par laquelle le souscripteur donne son contrat en garantie à un créancier. Il permet à ce dernier d’acquérir le droit de se faire payer par préférence à hauteur des sommes garanties sur les prestations dues par l’assureur. Le nantissement d’une police d’assurance obéit aux dispositions de l’article L. 132-10 du Code des assurances. En présence d’un acte de nantissement régulièrement et valablement constitué, la SATD ne produira pas ses effets » (BOI-REC-FORCE-30-30-20-10-20191127, § 210).

Dans la guerre des grands créanciers, les bancassureurs ont donc gagné cette dernière bataille contre l’administration fiscale…

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Depuis novembre 2000, un père de famille était copropriétaire indivis, avec ses deux enfants, d’une parcelle de terrain constituée d’une ancienne carrière inexploitée. Il avait souscrit auprès d’un assureur (Filia Maif) un contrat d’assurance portant sur cette parcelle de terrain. S’y sont produits des éboulements successifs les 12 janvier 2013 et 14 février 2014. Les propriétaires d’une parcelle voisine, située en contrebas, ont obtenu en référé la désignation d’un expert. Le premier copropriétaire étant décédé le 6 février 2015 et ses enfants ayant renoncé à sa succession, le directeur régional des finances publiques a été désigné en qualité de curateur à succession vacante. L’expert a déposé son rapport. Il a conclu qu’il se produirait d’autres éboulements venant empiéter sur la propriété voisine. Il a donc préconisé d’importants travaux confortatifs. Les voisines ont alors assigné en référé les enfants du de cujus aux fins, notamment, de les voir condamnés à exécuter sous astreinte les travaux préconisés par l’expert. L’un des deux enfants a appelé en garantie l’assureur et attrait dans la cause le directeur régional des finances publiques, ès qualités. L’affaire a été renvoyée pour qu’il soit jugé au fond.

La cour d’appel de Rennes a condamné in solidum les enfants copropriétaires et le directeur régional des finances publiques, ès qualités, à faire réaliser des travaux de confortation tels que préconisés par l’expert et fixés par lui à la somme de 210 000 €. La juridiction du fond a débouté les enfants de leurs demandes tendant à être garantis à ce titre par la société d’assurances (Rennes, 18 sept. 2018). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation, dont seul le troisième moyen nous intéresse, au cas présent, quant aux aspects assurantiels.

À ce titre, les demandeurs au pourvoi ont soutenu que, « si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que Jean S… avait fait assurer l’intégralité du terrain litigieux auprès de la société Filia Maif indépendamment de sa qualité de propriétaire indivis du terrain avec son épouse Denise G… ; qu’en retenant néanmoins, pour débouter Mme Véronique S… et M. Jean-Marie S…, devenu propriétaires indivis du terrain au décès de leur mère Denise G…, que le régime juridique de la propriété du bien n’était pas connu de la société Filia Maif dès la souscription du contrat ni ultérieurement, de sorte que la volonté des deux parties de souscrire une assurance pour le compte des deux autres propriétaires indivis de l’immeuble ne pouvait être établie, la cour d’appel, qui n’a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a méconnu l’article L. 112-1 du code des assurances ».

Par un arrêt rendu le 25 juin 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a néanmoins rejeté leur pourvoi.

La haute juridiction a tout d’abord rappelé le principe selon lequel « il résulte de l’article L. 112-1 du code des assurances que, si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties » (décis., pt 17).

Puis elle a jugé que le moyen n’était pas fondé. Elle a ainsi retenu que la cour d’appel a tiré les conséquences légales de ses constatations et a pu déduire que la volonté des deux parties de souscrire une assurance pour le compte des deux autres copropriétaires indivis de l’immeuble n’était pas établie après avoir relevé que, « si la volonté du souscripteur pouvait être recherchée dans les liens familiaux avec les autres propriétaires indivis du bien assuré, il apparaissait cependant que le régime juridique de la propriété du bien n’était pas connu de l’assureur dès la souscription du contrat ni ultérieurement » (décis., pt 18).

Rappelons que l’article L. 112-1 du code des assurances dispose que « l’assurance peut être contractée en vertu d’un mandat général ou spécial ou même sans mandat, pour le compte d’une personne déterminée. Dans ce dernier cas, l’assurance profite à la personne pour le compte de laquelle elle a été conclue, alors même que la ratification n’aurait lieu qu’après le sinistre. / L’assurance peut aussi être contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause. / Le souscripteur d’une assurance contractée pour le compte de qui il appartiendra est seul tenu au paiement de la prime envers l’assureur ; les exceptions que l’assureur pourrait lui opposer sont également opposables au bénéficiaire du contrat, quel qu’il soit ».

Les dispositions de cet article n’ont pas un caractère impératif, de sorte que les parties sont libres de déterminer l’étendue et la portée du contrat d’assurance (Civ. 1re, 1er juin 1999, n° 97-15.298, RCA 1999, n° 345 ; RGDA 2000. 41, note J. Kullmann).

L’assurance pour compte « se fonde sur le mécanisme d’une stipulation pour autrui, opération par laquelle un des contractants, le stipulant, demande à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation à l’égard d’un tiers bénéficiaire qui n’est pas partie au contrat. Deux assurances font notamment application de la stipulation pour autrui : l’assurance en cas de décès et l’assurance pour compte » (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 94 ; comp. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 699). L’identification d’une assurance pour compte n’est pas toujours évidente, en particulier en présence de mécanismes complexes d’assurances collectives (R. Bigot, La nouvelle assurance collective de dommages à adhésion individuelle, obs. ss Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 18-55.192, bjda.fr 2020, n° 69).

Il est établi en principe qu’elle ne se présume pas, selon une jurisprudence ancienne et unanime (depuis Civ. 25 mai 1943, DC 1994. 25, note A. Besson ; v. H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, LexisNexis, Litec, 2008, n° 1451). En effet, « le souscripteur étant censé stipuler pour lui-même (C. civ., art. 1203 [anc. art. 1119]), la stipulation ne se présume pas. L’article L. 112-1 exige une clause expresse » (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance éditions, 35e éd., 2019, sous art. L. 112-1, p. 66).

Néanmoins, « une controverse a pu naître sur le mode d’expression requis de cette volonté. Plus précisément, la question s’est posée de savoir si une volonté exprimée de façon tacite pouvait suffire à faire naître une assurance pour le compte du tiers implicitement désigné comme bénéficiaire. Dans un premier temps, la jurisprudence a paru subordonner l’existence de l’assurance pour compte à une “manifestation expresse” ou “formelle” de la volonté des parties, seule “une clause claire et précise” étant de nature à conférer à un tiers le bénéfice de la qualité d’assuré. Par la suite cependant, la Cour de cassation assouplit sa position » (H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit.).

À ce titre, sans remettre en cause le principe selon lequel l’assurance pour compte ne se présumait pas, la haute juridiction a admis que l’assurance pour compte pouvait être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties (S. Abravanel-Jolly, op. cit., n° 96, in fine ; D. Cocteau-Senn, « L’effet relatif du contrat d’assurance à l’égard des tiers ? », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, à paraître ; L. Perdrix, comm. ss art. L. 112-1, Code des assurances. Code de la mutualité, 26e éd., Dalloz, 2020, p. 20).

Il n’a donc plus été exigé une stipulation expresse – l’existence d’une clause formelle – prouvant la volonté du souscripteur comme par le passé (Civ. 12 mai 1958, RGAT 1958, p. 414). En d’autres termes, depuis 1995, une stipulation pour autrui tacite peut être retenue (Civ. 1re, 10 juill. 1995, n° 92-13.534, Bull. civ. I, n° 307), étant alors considéré que la volonté non équivoque des parties puisse résulter de cette stipulation implicite.

Cette volonté non équivoque peut encore être dégagée de l’interprétation du contrat d’assurance (Civ. 1re, 28 oct. 1991, n° 89-13.204, RDI 1992. 96, obs. G. Leguay et P. Dubois ; RGAT 1992. 131, note J. Bigot ; contra, un arrêt non publié au Bull. néanmoins, Civ. 1re, 23 juin 1998, n° 96-12.079, RGDA 1998. 687, note L. Fonlladosa), autrement dit « de l’économie du contrat ou de l’intention des parties ou d’éléments de fait […]. En l’absence de ces éléments, l’assurance est considérée comme souscrite au seul bénéfice du souscripteur » (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, op. cit., sous art. L. 112-1, p. 66).

Il est donc possible de se référer à tout élément de fait pour apprécier cette volonté non ambiguë (Civ. 1re, 3 nov. 1993, n° 90-18.876, Bull. civ. I, n° 309 ; RDI 1994. 78, obs. G. Leguay et P. Dubois ; RGAT 1994. 123, note J. Kullmann ; RCA 1994. Comm. 25, obs. H. Groutel).

La doctrine enseigne qu’« afin de rechercher cette commune intention des parties, la jurisprudence se livre à une analyse globale des liens juridiques et économiques existant entre les intéressés. En l’absence de cette volonté « déductible » (appréciation in concreto) de souscrire pour le compte d’autrui, il ne peut y avoir assurance pour compte » (B. Beignier, J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 112-1, p. 24). Il ne s’agit donc pas d’une appréciation in abstracto (N. Dejean de la Bâtie, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français, préf. H. Mazeaud, thèse, LGDJ, 1965) que l’on retrouve sous les traits de standards normatifs et descriptifs (F. Viney, La personne raisonnable, Contribution à l’étude de la distinction des standards normatifs et descriptifs, thèse, Paris I, dir. G. Loiseau, 2013).

De la sorte, la stipulation pour autrui tacite a parfois été écartée (Civ. 3e, 10 févr. 2009, RDI 2009. 303, obs. D. Noguéro ). Ainsi, l’assurance pour compte ne pouvant, dans certains cas, être caractérisée, on reste en présence d’une assurance personnelle (à propos de propriétaires de marchandises ayant confié à une société la mission d’assurer leurs marchandises déposées dans les entrepôts de cette société, v. Civ. 1re, 13 nov. 1997, n° 95-17.358, Bull. civ. I, n° 301 ; RGDA 1998. 54, note J. Vincent).

Vingt ans en arrière, une fissure est toutefois apparue dans cette construction jurisprudentielle. La première chambre civile a pu affirmer, par un arrêt du 15 février 2000, que « la personne qui a souscrit le contrat d’assurance a, sauf stipulation contraire, la qualité d’assuré » (Civ. 1re, 15 févr. 2000, n° 97-20.179, D. 2000. 71 ; RGDA 2000. 504 ; 11 juill. 2001, n° 00-11.362, RGDA 2001. 1027, note L. Fonlladosa). Cela aurait pu marquer un coup d’arrêt à la faculté d’appréciation de la volonté du stipulant reléguée jusque-là aux juridictions du fond, lesquelles n’auraient pu continuer à admettre pareilles stipulations pour autrui tacites (H. Groutel, Les rapports nés d’une assurance de choses analysés par la Cour de cassation, RCA 2000. Chron. 7). Le cas échéant, aucun droit sur l’indemnité d’assurance n’aurait pu persister à être reconnu au propriétaire – d’un bien – non désigné par une clause d’assurance pour compte comme assuré, au titre de l’assurance de choses souscrite par son locataire. Mais dans ces décisions, la Cour de cassation était amenée à se prononcer au visa de l’article L. 121-6 du code des assurances relatif à l’intérêt d’assurance (J. Bigot, « Le déroulement du contrat », in J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances. Tome 3. Le contrat d’assurance, Lextenso, LGDJ, préf. G. Durry, 2014, n° 573, p. 260). La doctrine explique encore, au sujet de l’intérêt d’assurance, que « généralement, la stipulation pour autrui est le mécanisme retenu comme explication technique de cette notion complexe. Les juges « découvrent » parfois une telle assurance pour compte par une interprétation de la volonté des parties (leur volonté tacite), au-delà d’une stipulation expresse, formelle, du contrat. La question débattue est celle de sa reconnaissance par une clause expresse ou de façon tacite. Par comparaison, en ce qui concerne la stipulation pour autrui, l’article 1208 du code civil énonce que « L’acceptation peut émaner du bénéficiaire ou, après son décès, de ses héritiers. Elle peut être expresse ou tacite. Elle peut intervenir même après le décès du stipulant ou du promettant » (D. Noguéro, Droit des assurances et droit de la preuve, bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 1-64, spéc. p. 11).

Dans ce brouillard, il a ainsi été émis que « l’avenir de la clause d’assurance pour compte tacite dépendait de la force qu’entendait donner la Cour de cassation à cette affirmation » délivrée par l’arrêt du 15 février 2000 (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit.). À ce titre, deux approches étaient possibles. En premier lieu, la haute juridiction pouvait y voir que seul le souscripteur a la qualité d’assuré dans une assurance de choses sans stipulation d’assurance pour compte expresse. En second lieu, la Cour de cassation pouvait admettre une position plus nuancée, en se bornant à rappeler que « le souscripteur d’une assurance de choses est toujours présumé avoir la qualité d’assuré, conformément à l’article L. 112-1 du code des assurances, sans se prononcer sur la valeur de la stipulation » (ibid. ; comp. J. Bigot, « Le déroulement du contrat », in J. Bigot [dir.], op. cit., n° 572, p. 258).

Cette seconde approche, favorable à l’assurance pour compte implicite, a été retenue à partir de 2003 (Civ. 1re, 24 juin 2003, n° 00-17.213, RCA 2003, n° 307, obs. H. Groutel ; RGDA 2003. 678, note L. Fonlladosa ; Civ. 2e, 15 mai 2008, n° 07-11.574, inédit), avec une brève hésitation cependant (Civ. 2e, 6 mars 2008, n° 07-12.124, RDI 2008. 287, obs. P. Dessuet  ; actuassurance.com 2008, n° 3, act. jurispr., note A. Astegiano-La Rizza).

Puis, par un arrêt du 16 janvier 2014 ayant l’honneur du bulletin, la deuxième chambre civile a consacré cette solution aux termes de laquelle « si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties » (Civ. 2e, 16 janv. 2014, n° 12-29.647, Dalloz actualité, 4 févr. 2014, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2014. 207 ; actuassurance.com 2014, n° 34, act. jurispr., note P. Casson ; LEDA 2014, n° 3, comm. 37, obs. F. Patris ; RCA 2014. Comm. 132, note H. Groutel ; RGDA 2014, n° 2, p. 97, note J. Kullmann ; RLDA déc. 2014, p. 79, note A. Astegiano-La Rizza ; Gaz. Pal. 27-29 avr. 2014, n° 117-119, p. 25, note X. Leducq).

On retrouve cette même formule dans un arrêt de 2017 (Civ. 2e, 23 mars 2017, n° 16-14.621, RGDA 2017, n° 5, p. 311, note A. Pélissier ; bjda.fr 2017, n° 51, note P. Casson) et encore à l’identique dans l’affaire sous commentaire (décis., pt 17). Dès lors, la Cour de cassation persiste et signe en faveur de l’assurance pour compte implicite.

Sur le terrain de la preuve, il s’agit ainsi d’une volonté des deux parties, à démontrer (D. Noguéro, art. préc., bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 11). Or seule la volonté non équivoque de l’assureur et du souscripteur peut établir l’existence d’une assurance pour compte (Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-21.363, AJ contrat 2020. 29 , obs. M. Tchendjou ; RCA 2020, n° 23, note H. Groutel ; RGDA déc. 2019, p. 19, note L. Mayaux ; bjda.fr n° 66, note P. Casson). Cela signifie que cette volonté, lorsqu’elle est implicite, doit pouvoir être clairement décelée. Par exemple, le seul fait d’assurer les biens d’autrui ne suffit pas à caractériser une assurance pour compte (Civ. 2e, 18 janv. 2018, n° 16-27.250, AJDI 2018. 192 ; bjda.fr 2018, n° 56, note A. Pimbert ; LEDA 2018, n° 3, n° 111b4, p. 3, obs. D. Krajeski ; RGDA 2018, n° 115m1, p. 146, note M. Asselain).

Néanmoins, sur ce même terrain, il n’est pas inutile de rappeler que, « si le contrat d’assurance doit, dans un but probatoire (ad probationem et non ad solemnitatem), être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait, valable – pour sa formation –, qui existe donc, dès la rencontre des volontés de l’assureur et du preneur. En vertu de l’article 1173 du code civil, « les formes exigées aux fins de preuve ou d’opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats » (D. Noguéro, art. préc., bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 11, in fine).

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par Xavier Delpechle 24 juillet 2020

Com. 11 mars 2020, FS-P+B+I, n° 18-23.586

La société ROC a été mise en redressement judiciaire le 7 mai 2015. La société Bouygues a déclaré une créance au titre d’une indemnité pour malfaçons dans l’exécution d’un chantier, qui a été contestée par la société ROC. La société Bouygues a fait grief à l’arrêt d’appel de la déclarer forclose et déclarer impossible sa demande en fixation de sa créance...

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