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Lorsqu’une personne morale est placée en liquidation judiciaire, ses dirigeants encourent une action en responsabilité pour insuffisance d’actif (C. com., art. L. 651-2).

À première vue, cette action s’apparente à une action en responsabilité civile délictuelle tout à fait classique. Son succès est subordonné à la démonstration de trois conditions : une faute – qui doit être une faute de gestion –, un préjudice – qui est à rechercher dans l’insuffisance d’actif – et un lien de causalité – en ce que la faute de gestion a contribué à l’insuffisance d’actif.

D’une façon générale, la faute de gestion, pour être répréhensible, doit relever de la gestion et être antérieure au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire. Toutes sortes de fautes relevant de la gestion stricto sensu ou de l’inobservation de dispositions légales ou statutaires sont imputables aux dirigeants et peuvent, en conséquence, être à l’origine d’une action en responsabilité. En revanche, cela ne revient pas à dire que tous les comportements « fautifs » du dirigeant dans la gestion de la personne morale peuvent être condamnés au titre de l’insuffisance d’actif. En effet, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « Sapin II », a modifié l’article L. 651-2 du code de commerce afin d’écarter la responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de simple négligence dans la gestion de la personne morale (comp. Com. 31 mai 2011, n° 09-13.975, Bull. civ. IV, n° 87 ; Dalloz actualité, 9 juin 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 1551, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2011. 521, obs. P. Roussel Galle ).

L’établissement d’une ligne de partage nette entre la faute de gestion et la simple négligence dans la gestion de la personne morale est source d’incertitudes. Au vrai, ces difficultés confirment que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est rétive aux canons du droit commun de la responsabilité. D’abord, la distinction précitée n’existe pas en droit commun, l’article 1241 du code civil précisant que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Ensuite, par exception au principe de la réparation intégrale du préjudice, le montant de la condamnation à combler le passif peut être inférieur au préjudice subi. Autrement dit, le montant alloué en réparation, s’il ne peut dépasser celui de l’insuffisance d’actif, n’a pas à lui être égal (Com. 24 mai 2018, n° 16-29.116 NP).

La délicate distinction entre la faute de gestion répréhensible au titre de l’insuffisance d’actif et la simple négligence de gestion est au cœur de l’arrêt sous commentaire.

En l’espèce, le liquidateur d’une société en liquidation judiciaire a assigné en responsabilité pour insuffisance d’actif les deux personnes qui se sont succédé dans les fonctions de président de la personne morale débitrice. La cour d’appel ayant rejeté la demande du mandataire, ce dernier se pourvoit en cassation.

Le liquidateur soutenait que l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal ne peut pas constituer une simple négligence du dirigeant dans la mesure où ce dernier n’a pu ignorer cet état. En effet, si certains éléments du dossier faisaient apparaître la volonté des dirigeants d’apurer la situation financière de la société, ces circonstances démontraient surtout, pour le mandataire, la connaissance par les dirigeants de la situation de cessation des paiements de la personne morale débitrice.

La Cour de cassation ne souscrit pas à l’analyse et rejette le pourvoi. Pour la haute juridiction, l’existence d’une simple négligence, permettant de faire échec au jeu d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, ne saurait être réduite à l’hypothèse dans laquelle le dirigeant « a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission ».

L’analyse de l’arrêt est difficile tant la solution qu’il édicte nous paraît subtile. Au vrai, nous pourrions d’abord y voir l’affirmation selon laquelle l’omission de déclarer la cessation des paiements ne constitue qu’une simple négligence dans la gestion de la personne morale insusceptible d’entraîner la responsabilité pour insuffisance d’actif.

Or une telle affirmation, sans nuance, serait probablement faire dire à la Cour de cassation ce qu’elle ne dit pas. En réalité, la haute juridiction ne fait que rejeter l’argument selon lequel l’omission par le dirigeant de déclarer la cessation des paiements, en connaissance de cet état, est suffisante à caractériser l’absence de simple négligence dans la gestion de la société.

Concédons que la frontière est fine entre cette affirmation et le fait d’exclure du giron des fautes de gestion répréhensibles l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal.

Dès lors, l’arrêt semble adopter une interprétation très permissive de la notion de « simple négligence », à tel point, peut-être, qu’il porte en lui le risque d’une réduction réflexe du domaine des fautes de gestion répréhensibles au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif.

L’interprétation permissive de la notion de « simple négligence »

En l’espèce, le liquidateur reprochait aux dirigeants de la société d’avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours à compter de son apparition (C. com., art. L. 640-4).

L’argumentation du mandataire se comprend aisément. La tardiveté de la déclaration de cessation des paiements peut être un fait générateur de responsabilité à condition de démontrer la causalité de ce manquement avec l’augmentation de l’insuffisance d’actif. Tel est par exemple le cas si l’absence de déclaration de cessation des paiements a contribué à l’insuffisance d’actif lorsque des dettes nouvelles sont nées durant ce laps de temps et sans l’apparition concomitante de nouvelles richesses (Com. 3 nov. 2009, n° 08-16.361 NP).

En réalité, la problématique ayant donné lieu à l’arrêt ici rapporté est ailleurs. Il s’agissait moins de déterminer si l’omission de déclarer la cessation des paiements constituait une faute de gestion que de savoir si ce manquement pouvait être qualifié de « simple négligence ».

Or, en l’espèce et pour la Cour de cassation, la connaissance de la cessation des paiements par les dirigeants n’est pas suffisante à disqualifier leur comportement de « simplement » négligent. Cette mansuétude à leur égard a de quoi surprendre, puisqu’elle confère une large portée à la notion de « simple négligence ».

Nous nous permettons cette remarque, car nombreux sont les arrêts de la Cour de cassation où la responsabilité pour insuffisance d’actif a été retenue en raison d’une omission de déclaration de cessation des paiements, sans qu’il ait été besoin de rechercher la connaissance de cet état par les dirigeants (par exemple, v. Com. 22 févr. 2017, n° 15-17.558 NP ; 4 juill. 2018, n° 14-20.117 NP).

En outre, il faut souligner que l’omission volontaire de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de cessation des paiements est passible d’une mesure d’interdiction de gérer (C. com., art. L. 653-8). Or, pour des faits analogues à l’arrêt intéressant notre commentaire, la Cour de cassation a jugé que la seule connaissance de l’état de cessation des paiements par le dirigeant était suffisante à constituer une omission volontaire de déclaration susceptible d’entraîner une mesure d’interdiction de gérer (Com. 17 avr. 2019, n° 18-11.743, Bull. civ. IV, à paraître ; Dalloz actualité, 20 juin 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 886 ; ibid. 1367, chron. A.-C. Le Bras, T. Gauthier et S. Barbot ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ).

Au regard de ces éléments, il peut être étonnant qu’en l’espèce, la connaissance de la cessation des paiements par les dirigeants n’ait pas permis d’exclure en elle-même la qualification de simple négligence.

La solution peut toutefois s’expliquer sous un angle différent.

Selon certains auteurs, l’omission de procéder à la déclaration de cessation des paiements peut constituer une simple négligence, lorsque, de bonne foi, le dirigeant a pensé que la situation financière s’améliorerait et que l’état de cessation des paiements disparaîtrait (B. Dodou, note ss. Com. 5 sept. 2018, n° 17-15.031, Bull. civ. IV, à paraître ; Dalloz actualité, 11 sept. 2018, obs. A. Lienhard ; D. 2018. 1693, obs. A. Lienhard ; ibid. 2019. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; Rev. sociétés 2019. 543, note B. Dodou  ; M. Dizel, L’action en insuffisance d’actif revue par la loi Sapin II, Éditions législatives, 16 déc. 2016). À ce titre, il est vrai que les faits de l’espèce témoignent de la « bonne foi » des dirigeants : ces derniers ont pris plusieurs mesures dans le but de redresser la situation de l’entreprise entre la date d’apparition de l’état de cessation des paiements et celle de l’ouverture de la procédure collective.

Las, cette explication peine à convaincre.

Certes, le fait de réserver la simple négligence aux comportements des dirigeants agissant de bonne foi a ceci d’intéressant qu’il semble conforme à l’esprit de l’article L. 651-2 du code de commerce et favorable au rebond du dirigeant postérieurement à la liquidation judiciaire. Malheureusement, le raisonnement se heurte à la jurisprudence de la Cour de cassation qui a déjà jugé qu’un dirigeant ne pouvait s’exonérer de sa faute en faisant valoir qu’il espérait une amélioration de la situation financière de son entreprise (Com. 27 janv. 2015, n° 13-24.972 NP).

Ces quelques lignes permettent finalement de se demander si une interprétation trop permissive de la notion de simple négligence n’emporte pas le risque de réduire le domaine des fautes de gestion répréhensibles au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif.

Le risque de réduction réflexe du domaine des fautes de gestion répréhensibles

Indépendamment de l’arrêt sous commentaire, rappelons que l’introduction de la notion de « simple négligence » au sein de l’article L. 651-2 du code de commerce a reçu un accueil mitigé en doctrine (F. Pérochon, Sous la loi Sapin, un cadeau de Noël pour le dirigeant fautif ?, BJE, janv. 2017, n° 114c8, p. 1), un auteur allant même jusqu’à préconiser l’abandon des dispositions spéciales au profit d’un retour au droit commun de la responsabilité civile délictuelle (F.-X. Lucas, Réforme de l’action en comblement de passif, BJS janv. 2017, n° 116a2, p. 1).

Certes, l’avènement de la notion de « simple négligence » n’a pas fondamentalement bouleversé la politique judiciaire en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif car, en pratique, seules des fautes de gestion d’une certaine gravité justifiaient les condamnations (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021/2022, n° 922.213).

Reste que, jusqu’à présent et à notre connaissance, la Cour de cassation analysait l’omission de déclaration de la cessation des paiements en une faute de gestion répréhensible au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif et non en une simple négligence.

La chronologie des faits de l’espèce commentée témoigne d’un probable « changement de cap » opéré par la Cour de cassation. En l’espèce, la cessation des paiements a été fixée au 5 juillet 2010, tandis que le représentant de la société débitrice a sollicité l’ouverture de la liquidation judiciaire le 22 décembre 2011. Or la responsabilité pour insuffisance d’actif a déjà été retenue par la haute juridiction pour des retards de déclaration de cessation des paiements beaucoup moins importants (pendant plus de deux mois, v. Com. 5 févr. 2020, n° 18-15.075 NP, LEDEN mars 2020, n° 113d2, p. 1, note F.-X. Lucas ; 5 févr. 2020, n° 18-15.062 NP, Gaz. Pal., 21 avr. 2020, n° 377r0, p. 90, note T. Montéran ; de trois mois, v. Com. 5 févr. 2020, n° 18-15.070 NP ; de neuf mois, v. Com. 5 févr. 2020, n° 18-15.064 NP).

Nonobstant ces éléments, nous ne pensons pas que l’arrêt commenté constitue un revirement de jurisprudence.

D’une part, il faut souligner qu’en la matière, les juges du fond ont un pouvoir d’appréciation souverain et la Cour de cassation n’opère qu’un contrôle de qualification (Com. 15 juin 2011, n° 10-18.585 NP).

D’autre part, relevons que le comportement des dirigeants et la situation globale de l’espèce inclinaient à la clémence. Pour ne prendre qu’un exemple, si la cessation des paiements a été fixée au 5 juillet 2010, il est vrai que le bilan de la société arrêté au 31 décembre de la même année faisait apparaître une légère amélioration de sa situation.

Malheureusement, le signal envoyé par l’arrêt – qui plus est publié au bulletin – est troublant.

Une nouvelle fois, la décision confirme l’insaisissabilité du clivage entre ce qui relève de la faute de gestion et ce qui est du domaine de la simple négligence. Au regard de l’arrêt ici rapporté, la tendance semble désormais pencher en faveur de la mansuétude envers les dirigeants tandis que la doctrine semblait présager le contraire (F.-X. Lucas, Réforme de l’action en comblement de passif, art. préc.).

Certes, la portée de l’arrêt peut être discutée, mais il est indéniable qu’il porte en lui le risque de voir s’amenuiser le domaine des fautes de gestion répréhensibles au bénéfice d’une conception trop large de la notion de simple négligence.

Toutefois, peut-être est-ce là le prix à payer du fameux droit au rebond pour les dirigeants de la personne morale en liquidation judiciaire ?

Auteur d'origine: bferrari
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Cet arrêt de rejet est l’occasion de revenir sur une structure d’exercice en commun de la profession d’avocat aussi connue dans son existence que mystérieuse dans son régime, à savoir l’association d’avocats. Il s’agit même de la plus ancienne des structures d’exercice des avocats. C’est, en effet, le décret n° 54-406 du 10 avril 1954 qui consacre la possibilité offerte aux avocats d’avoir recours aux associations d’avocats. Son existence a aujourd’hui pour siège l’article 7, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130 du 30 décembre 1971 (« L’avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d’une association dont la responsabilité des membres peut être, dans des conditions définies par décret, limitée aux membres de l’association ayant accompli l’acte professionnel en cause ») et son régime est succinctement décrit aux articles 124 à 128-2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

L’introduction en droit français de cette structure « constitua un progrès considérable : pour la première fois, les avocats étaient autorisés à se regrouper pour partager, au travers d’un contrat, leurs charges et leurs bénéfices » (CNB, Guide de l’exercice en association d’avocats [association & AARPI], oct. 2017). Malgré son appellation, il ne s’agit en rien d’une association « loi 1901 ». « Dans la mesure où elle répond à la définition de la société figurant à l’article 1832 du code civil (mise en commun d’apports en vue de partager des bénéfices), l’association d’avocats a la nature juridique d’une société. N’étant pas immatriculée, elle ne dispose pas de la personnalité juridique, ce qui conduit à la considérer comme une société créée de fait » (eod. loc.).

Le présent arrêt de rejet confirme pleinement ces affirmations. Trois avocats avaient décidé de se regrouper et, de ce fait, avaient conclu ensemble une convention d’association. Mais l’un d’entre eux a décidé de se retirer de l’association à compter du 1er novembre 2016, ce dont sont convenus les associés par une convention du 15 novembre 2016. Aucun accord n’étant intervenu sur les modalités de son retrait, l’avocat retrayant a alors saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de la Haute-Loire d’une demande d’arbitrage. Ces modalités, on l’imagine, étaient essentiellement financières, l’intéressé souhaitant que ses droits au sein du groupement lui soient rachetés à leur juste valeur.

Au stade de l’appel, la cour d’appel de Riom a limité à 14 664,64 € la somme lui demeurant due par ses anciens associés, alors que, visiblement, il en espérait davantage. D’où un pourvoi en cassation. En réalité, il reproche aux juges d’appel d’avoir refusé l’arbitrage à dire d’expert prévu par l’article 1843-4 du code civil pour l’évaluation de ses droits dans l’association d’avocats dont il faisait partie, au motif que la procédure d’arbitrage du bâtonnier était dérogatoire au droit commun et excluait totalement l’application de ce texte. Selon le I de l’article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, « dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné soit par les parties, soit, à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ». À défaut – et comme c’était toujours le cas avant cette ordonnance – l’expert dispose d’une entière liberté d’appréciation pour fixer la valeur des parts sociales selon les critères qu’il jugeait opportuns.

Pour l’avocat retrayant, la cour d’appel a violé ce texte, ensemble l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971. Il précise, se fondant en cela sur la solution retenue par la Cour de cassation il y a près de deux ans à propos de la valorisation des parts d’une société civile d’avocats à la suite du retrait d’un avocat membre de cette société (Civ. 1re, 9 mai 2019, n° 18-12.073, Dalloz actualité, 3 juin 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1044 ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2020. 108, obs. T. Wickers ; Rev. sociétés 2019. 688, note J.-F. Barbièri ), que l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, ne dérogeait pas à l’article 1843-4 du code civil. Dans sa rédaction issue de cette dernière loi, il n’y déroge qu’en ce qu’il donne compétence au bâtonnier pour procéder à la désignation d’un expert aux fins d’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats. Compte tenu de la date (15 novembre 2016) de la convention conclue entre les membres de l’association qui acte le retrait de l’un d’entre eux, c’est l’article 21 pris dans sa nouvelle rédaction qui devrait logiquement s’appliquer.

Toutefois, pour la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi de l’avocat retrayant, « [si] une association d’avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 à 1844-17 du code civil, cependant, l’article 1843-4 ne lui est pas applicable en l’absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d’un avocat ».

La solution est doublement intéressante. D’abord, on relèvera l’affirmation selon laquelle l’association d’avocats est soumise aux articles 1832 à 1844-17 du code civil, à savoir les règles du droit commun des sociétés. C’est donc là la confirmation selon laquelle l’association d’avocats constitue effectivement une société. Ensuite, est confirmée l’idée selon laquelle ce groupement est une société non dotée de la personnalité morale, de telle sorte qu’elle n’est pas dotée d’un capital social et ne peut émettre des parts sociales, lesquelles représentent des droits (pécuniaires et politiques) à l’encontre de cette personne morale qu’est la société. Comme dans la société en participation, les associés sont titulaires de « droits qu’ils tiennent du contrat de société », ces droits étant d’ailleurs cessibles (Com. 15 mai 2012, n° 11-30.192, D. 2012. 1401, et les obs. ; Rev. sociétés 2013. 88, note B. Dondero ). C’est ce qui explique l’exclusion de l’article 1843-4 du code civil, lequel ne s’applique qu’en cas de « cession des droits sociaux d’un associé ».

Le rejet de pourvoi est donc logique, mais la Cour de cassation n’en approuve pas pour autant le raisonnement des juges d’appel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle procède par substitution de motifs. La cour d’appel de Riom avait considéré, en substance, que l’article 21 de la loi de 1971 excluait le jeu de l’article 1843-4 du code civil. Tel n’est en réalité pas le cas. Si ce second texte est écarté, c’est tout simplement parce que la cession de droits tirée du contrat d’association d’avocats ne relève pas du champ d’application de ce texte. L’article 21 – en son alinéa 2 – est ici bel et bien applicable, à l’exception des dispositions qui prévoient que, en cas de désaccord, le bâtonnier, « le cas échéant, procède à la désignation d’un expert pour l’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats ». Il semble donc que ce soit le bâtonnier qui soit tenu de fixer la valeur des droits de l’avocat retrayant, à moins que, comme le prévoit expressément le même alinéa in fine, le « bâtonnier [ait délégué] ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu’à tout membre ou ancien membre du conseil de l’ordre ».

Auteur d'origine: Delpech
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Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 25 février 2021 a fait grand bruit.

Avis de tempête : un jugement et un communiqué du tribunal

Nul n’en doute ! Le jugement rapporté va, poussé par les vents du communiqué de presse du président du tribunal du même jour, provoquer la tempête. Les quarantièmes rugissants, voire les cinquantièmes hurlants et les soixantièmes déferlants, vont-ils noyer les prétoires ? Le jugement du tribunal judiciaire de Paris a-t-il été emporté par une mauvaise vague, ou, au contraire, élève-t-il sagement une digue pour réduire les effets des courants doctrinaux, réputés favorables aux locataires, qui saperaient les fondations civiles du bail ? Certains écriront qu’il eût dû faire un flop car il ne répond pas à l’argumentation qu’ils préfèrent. D’autres observeront que les juges ne peuvent prendre en considération que les seuls éléments de fait et de droit qui leur sont proposés par les parties. D’autres encore retiendront que suivre les courants de la Cour de cassation quant à la mise en œuvre de notre bon vieil article 1719 du code civil n’est guère facile. Il faut du temps pour qu’elle soit invitée à les tracer. Deux siècles d’application montrent que chaque espèce peut conduire à un jugement différent de celui qui a été prononcé hier ou avant-hier. La Cour de cassation n’est pas le juge du fait. Elle ne peut dégager un principe que de la gangue des moyens proposés par les parties. Il est rare qu’elle puisse recourir au sauveur qu’est l’article 1015 du code de procédure civile pour tenter de trancher la question de droit qu’elle décèle. Ce n’est qu’à l’occasion d’un pourvoi pendant devant elle et encore faut-il que les données de l’espèce permettent de dégager ou de rappeler le principe. C’est dire qu’avant que l’on soit à ce stade, ce sont les juges du fond, à la lecture des arguments développés devant eux qui doivent dire, au cas par cas, si la pandémie légitime le non-paiement des loyers et charges à bonne date. Que l’on sache, nulle demande d’avis n’a été transmise à la Cour. D’ailleurs, que pourrait répondre la Cour ? Qu’il appartient aux juges du fond, comme le suggérait Portalis, de mettre en œuvre, cas après cas, ce que le code civil propose ? C’est bien, semble-t-il, ce que le tribunal judiciaire de Paris a entendu faire à propos de l’affaire en cause.

Évidente déception pour les locataires : 1719 ne tient pas les promesses que l’on a pu y voir

Lorsqu’on lit le jugement parisien, que l’on peut rapprocher d’une ordonnance de référé du même tribunal du 20 octobre 2020 (TJ Paris, 10 juill. 2020, n° 20/04516, Dalloz actualité, 21 juill. 2020, obs. M. Ghiglino ; D. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; AJDI 2020. 616 , obs. M.-P. Dumont ; ibid. 549, point de vue J.-D. Barbier ; ibid. 2021. 99, étude P. Jacquot ; RTD com. 2020. 783, obs. F. Kendérian ), il ne fait guère de doute que le locataire concerné ne peut qu’être déçu. Il eût aimé que le tribunal judiciaire de Paris suivît le choix effectué par nombre de juges des référés ou de l’exécution (v. le tableau établi par P. Jacquot, La covid, le loyer et le juge, AJDI 2021. 99  ; Code des baux, Dalloz, éd. 2021, jur. citée ss. art. 1722, note 17, p. 112). L’adoption de l’argumentation développée devant ces derniers en faveur du non-paiement des loyers et des charges au titre de la force majeure (C. civ., art. 1360), de la théorie des risques (C. civ., art. 1722), de l’exception d’inexécution (C. civ., art. 1219) ou de la bonne foi (C. civ., art. 1104) ou même de l’imprévision (C. civ., art. 1195) l’aurait, à l’évidence, comblé d’aise (V. A. et J.-P. Confino, Les baux commerciaux malades de la peste…, AJDI 2020. 322  ; F. Kendérian, Le droit civil des contrats et le bail commercial en temps de crise sanitaire : l’exemple de la covid-19, RTD com. 2020. 265  ; Du rôle central de la bonne foi dans le règlement des litiges locatifs issus de la covid-19, RTD com. 2020. 783  ; Code des baux, op. cit., p. 109 s., C. civ., art. 1722, comm. J. Monéger. et les réf. citées). Pour le locataire et ses conseils, la bonne solution devait être l’adoption de l’une de ces solutions, en particulier le défaut de délivrance du local par celui qui y était tenu.

Un jugement très solidement motivé

Si la question a bien été comprise par le tribunal, il n’a en rien été convaincu. Le jugement est fortement motivé, alors même que l’enjeu pécuniaire était très faible.

Le tribunal était saisi d’abord d’une demande de fixation de l’indemnité d’occupation pour longue période (trois ans et demi) demandant un abattement de 20 % pour précarité, ensuite d’un usage malicieux du bailleur du droit de repentir, enfin, de la fixation du montant du nouveau loyer. Le tribunal accorde la réduction demandée, fixe le loyer du bail issu du renouvellement, mais déboute la demanderesse s’agissant de l’aspect malicieux du repentir, dès lors qu’il a été exercé conformément à la loi. Venait, en parallèle, s’ajouter une demande de la locataire en restitution d’une somme de 1 212 € au motif qu’en raison de l’ordre de fermeture, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, des magasins de vente, elle n’a pu accueillir sa clientèle et a dû fermer son commerce de vente d’objets d’art et de décoration (mentions non occultées par le tribunal).

L’argumentation proposée au tribunal par la locataire s’inscrivait bien dans la tendance développée par nombre d’avocats de locataires et de décision de juge des référés ou de l’exécution (v. P. Jacquot, tableau préc.). Le tribunal relève les éléments de la demande de la locataire : « Cette mesure de fermeture des commerces non essentiels l’a donc empêchée de jouir paisiblement des locaux commerciaux donnés à bail et, partant, d’exploiter son activité commerciale ; que cette circonstance constitue une inexécution des obligations du bailleur de délivrer les locaux et d’en assurer la jouissance paisible mises à sa charge par l’article 1719 du code civil, que cette inexécution est suffisamment grave pour justifier, en application de l’article 1219 du code civil, l’exception d’inexécution du bail, en ce qu’elle a totalement empêché l’exercice de son activité commerciale qui est pourtant l’objet du bail ».

La bailleresse fait valoir que « c’est la décision du gouvernement de fermer les commerces au public, et non l’état de l’immeuble », qui a rendu l’exécution impossible et que, « ne pouvant par aucun moyen contrevenir à la décision administrative […] elle était exonérée de son obligation de délivrance ». C’est là que se situe le cœur de la bombe atomique que ce jugement va être pour certains.

Le jugement

Le tribunal observe qu’« en application de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée en mettant à sa disposition, pendant la durée du bail, des locaux conformes à leur destination contractuelle, dans lesquels il est en mesure d’exercer l’activité prévue par le bail, et d’en faire jouir paisiblement celui-ci pendant la même durée. Cet article n’a pas pour effet d’obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif, dans lequel s’exerce son activité ». Il s’ensuit qu’« en application de l’article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus ». Le principe posé, le tribunal poursuit à propos de l’exception d’inexécution au sens des articles 1217 et 1219 du code civil, que la locataire « ne discute et ne conteste pas que la configuration, la consistance, les agencements et l’état des locaux remis […] en exécution du bail […] » pour ajouter que « la fermeture administrative de son commerce […] imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre la propagation de l’épidémie de la covid-19 n’est pas garantie par la bailleresse ». Le tribunal déboute ainsi la locataire sur un seul principe. Il refuse même, faute pour la demanderesse d’avoir fourni le moindre élément comptable, de lui accorder des délais de paiement pour le trimestre en cours (il lui faut espérer la mansuétude du juge de l’exécution).

Quid ad futurum ?

La solution irritera certains qui envisageaient la victoire par KO. En réjouira d’autres qui commençaient à désespérer. Confirmera combien il est difficile d’être schizophrène (J.-P. Blatter, Le bail, la covid-19 et le schizophrène, AJDI 2020. 245 ).

Par le jugement et au-delà du jugement

L’affaire ira-t-elle plus haut ? Si la cour d’appel, puis la Cour de cassation devaient être saisies, le débat pourrait s’orienter sur l’existence d’une obligation pesant sur le bailleur de garantir la commercialité des lieux loués. C’est une prétention à laquelle elle a jusqu’à ce jour résisté. L’arrêt fondateur posait que le bailleur, propriétaire d’un centre commercial ou d’une galerie marchande, n’avait pas, à l’égard des dispositions de l’article 1719 du code civil, d’obligation en cas de désaffectation de la clientèle. Il n’a pas à garantir la forme immatérielle des lieux loués (Civ. 3e, 12 juill. 2000, n° 98-23.171, Champs Élysées Rond point [Sté] c. Grillapolis [Sté], D. 2000. 377 , obs. Y. Rouquet ; RDI 2000. 613, obs. J. Derruppé , JCP E 2000, 1959, JCP N 2001, 66, obs. M. Keita ; Loyers et copr. 2000. 274). Seule une stipulation au bail peut, en l’état de la jurisprudence, fonder une telle prétention (v. en ce sens Nancy, 2e ch., 4 févr. 1998 ; Paris, 16e ch. A, 7 oct. 1998, D. 1998. IR 242 ; D. Affaires 1998. 1843, obs. Y. R. ; JCP E 1998, n° 52, p. 2046 ; ibid. 1999, 1868, n° 19, obs. J. M. ; 28 juin 2005, Loyers et copr. copr. 2005, n° 203, obs. P. Pereira ; Civ. 3e, 26 mai 2016, n° 15-11.307, Gaz. Pal. 5 juill. 2016, p. 52 ; JCP E 2016. 1628, n° 5, et les obs. sur la qualification d’obligation de moyens de l’obligation de maintien d’un environnement commercial favorable). En revanche, lorsque la dégradation résulte de la faute du bailleur, sa responsabilité est susceptible d’être engagée (Civ. 3e, 23 janv. 2020, n° 18-19.051, AJDI 2020. 286 ).

Force est d’admettre la solidité du raisonnement mené par le tribunal, même si, en l’espèce, sa sévérité peut paraître rude. Dans une certaine mesure, cela vient renforcer la rigueur du raisonnement.

Et si l’État était le responsable des dommages qu’il ordonne ?

En dépassant le jugement, et en observant les différents textes accumulés depuis le printemps 2020, il est étonnant que la querelle ne se soit pas portée vers l’origine des maux. Non pas de la covid-19 elle-même – bonne chance à qui voudrait poursuivre la République de Chine ! – mais la République française qui décide avec une remarquable rouerie que telle catégorie de personne devrait supporter les conséquences économiques et financières de sa gestion de la pandémie. Affirmer dans la loi que l’État n’assumera que 50 % de la perte de loyers lorsque le bailleur aura eu la bonté de renoncer à percevoir le loyer dû est une forme de reconnaissance de la responsabilité de la République. Même si le Conseil constitutionnel considère que les atteintes au droit de propriété sont légitimes, ce n’est que si celles-ci restent mesurées. Il serait intéressant de savoir si la perte de 50 % de son revenu, voire plus si l’on devait suivre les propositions tendant à faire supporter au bailleur la totalité de la perte résultant du fait du prince (v. en dernier lieu, à propos d’une indemnité d’éviction d’un montant supérieur à la valeur vénale du bien loué, décr. n° 2020-887, QPC, 5 mars 2021, Dalloz actualité, obs. Y. Rouquet [à paraître]).

On suivra avec un vif intérêt les joutes doctrinales qui ne manqueront pas de se développer à propos de ce jugement.

 

Ndlr : concernant la même décision, v. J.-D. Barbier, Loyers commerciaux en temps de pandémie : double peine et triple erreur, Dalloz actualité, Droit en débats, 9 mars 2021

Auteur d'origine: Rouquet
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par Leila Admile 8 mars 2021

Décr. n° 2021-192, 22 févr. 2021, JO 23 févr.

L’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 a institué un fonds de solidarité pour les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales liées à la crise sanitaire. Ce fonds prévoit l’allocation d’aides financières destinées à compenser la perte subie du chiffre d’affaires, sous conditions d’éligibilité et d’attribution et sur la base d’éléments déclaratifs. Le décret d’application n° 2020-371 du 30 mars 2020 a apporté de nombreuses précisions quant au champ d’application du dispositif, aux conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, à leur montant et aux conditions de fonctionnement et de gestion de ce fonds. Il a déjà été modifié à de nombreuses reprises. Le décret du 22 février 2021 lui apporte de nouvelles modifications.

Prolongation des délais de...

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Auteur d'origine: ladmi

Le 6 décembre 2017, l’organisation Bezos Family Foundation dépose la marque internationale désignant l’Union européenne portant sur le signe verbal VROOM n° 1413419 pour des « logiciels, à savoir applications mobiles pour la mise à disposition de jeux et d’activités d’information, d’apprentissage et d’éducation dans le domaine du développement de la petite enfance et de l’éducation de la petite enfance ». L’établissement public SNCF Mobilités forme opposition à cette demande d’enregistrement le 27 avril 2018 en se fondant sur la marque française antérieure POP & VROOM, n° 164312202, enregistrée le 3 mars 2017, notamment pour des logiciels et des applications mobiles. Le 17 avril 2019, la division d’opposition de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) fait droit à l’opposition et rejette la marque contestée VROOM. Le 12 juin 2019, l’organisation déposante forme un recours auprès de l’EUIPO, mais celui-ci est rejeté par une décision du 20 novembre 2019. L’organisation déposante saisit donc le Tribunal de l’Union européenne pour que sa marque VROOM puisse être enregistrée.

Dans sa décision du 24 février 2021, le Tribunal de l’Union européenne confirme la décision de la chambre des recours de l’EUIPO en se focalisant sur la rédaction du libellé des produits de la marque antérieure POP & VROOM. En faisant une lecture strictement conforme du libellé déposé, le juge va aussi bien écarter l’argumentation de l’organisation demanderesse quant à la comparaison des produits que celle des signes.

L’impact de la lecture du libellé des produits dans la comparaison des produits en cause

Pendant plus de trois ans, l’organisation déposante aura interprété le libellé des produits de la marque antérieure. Au lieu de l’apprécier tel que déposé, c’est-à-dire pour des « logiciels » et des « applications mobiles », cette dernière en a fait une lecture biaisée (v. CJUE 15 mai 2014, Louis Vuitton Malletier c. OHMI, aff. C-97/12 P, pt 96, D. 2015. 230, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz...

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Auteur d'origine: nmaximin
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L’exercice de la tierce-opposition dans le contexte d’une procédure collective est source d’un important contentieux (v. Com. 20 janv. 2021, n° 19-13.539, Bull. civ. IV, à paraître ; Dalloz actualité, 3 févr. 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 132 ; Rev. sociétés 2021. 201, obs. L. C. Henry ). En règle générale, les difficultés soulevées par cette voie de recours exceptionnelle portent sur ses conditions de fond (par ex., Com. 26 janv. 2016, n° 14-11.298, Bull. civ. IV, n° 16 ; D. 2016. 309, obs. A. Lienhard ; ibid. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; RTD com. 2016. 859, obs. J.-L. Vallens ; 15 nov. 2017, n° 16-14.630, Bull. civ. IV, n° 154 ; Dalloz actualité, 30 nov. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2017. 2366 ; RTD com. 2018. 1024, obs. H. Poujade ). Or, l’arrêt ici rapporté se démarque de cette habitude, car il s’intéresse aux conditions de forme de la tierce-opposition.

En la matière, nous savons notamment que les décisions arrêtant ou modifiant un plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution d’un de ces plans sont susceptibles de tierce-opposition de la part d’un créancier (C. com., art. L. 661-3), à condition pour ce dernier de se prévaloir d’une fraude à ses droits ou d’un moyen qui lui est propre (C. pr. civ., art. 583). En outre, sauf dispositions contraires, la tierce-opposition doit être formée par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision (C. com., art. R. 661-2).

L’interprétation de la notion de « déclaration au greffe » est au cœur de l’arrêt sous commentaire.

En l’espèce, un créancier exerce une tierce-opposition à l’encontre d’un jugement arrêtant un plan de redressement judiciaire par une lettre recommandée de son conseil adressée au greffe. Ce recours ayant été jugé irrecevable, en ce qu’il ne répondait pas au mode de saisine de la juridiction prescrit par la loi, le créancier forme un pourvoi en cassation en arguant notamment d’un excès de formalisme nuisant à son droit à l’accès au juge.

Las pour le demandeur, la Cour de cassation ne souscrit pas à l’argumentaire. D’abord, elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu que la lettre recommandée avec demande d’avis de réception ne peut être assimilée à la déclaration au greffe exigée à l’article R. 661-2 du code de commerce. Ensuite, elle confirme la sanction de l’irrecevabilité du mode de saisine de la juridiction ne correspondant pas à celui prescrit par la loi. Enfin, la Cour de cassation rappelle que les formalités à observer pour former un recours visent à assurer la bonne administration de la justice et la garantie, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Elle concède, en revanche, que le respect des règles formelles ne doit pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible. En l’espèce, la Haute juridiction retient que les modalités formelles de la tierce-opposition, aussi strictes soient-elles, n’ont pas pour effet de priver les créanciers de l’exercice de ce recours, ceux-ci ayant toute latitude, en cas d’impossibilité pour eux de se déplacer au greffe, de mandater un avocat pour ce faire. Par conséquent, la cour d’appel, n’ayant pas fait preuve d’un formalisme excessif, n’a pas méconnu les exigences du procès équitable.

Bien qu’il ne soit pas exempt de toutes critiques, le raisonnement de la Cour de cassation est cohérent, car en retenant une interprétation stricte du formalisme requis pour l’exercice de la tierce-opposition, la Haute juridiction peut ensuite conclure à l’irrecevabilité de la déclaration ne respectant pas le mode de saisine prescrit par la loi.

L’interprétation stricte du formalisme

La solution portée par l’arrêt ici commenté ne surprendra pas les spécialistes de la matière.

En effet, la Cour de cassation avait déjà considéré que l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception, d’une lettre simple ou d’une télécopie, même portant la mention de « déclaration de tierce-opposition », ne pouvait être considéré comme valant déclaration au greffe (par ex., Com. 29 avr. 2014, n° 12-20.988 NP). Autrement dit, pour la Haute juridiction, seule la déclaration au greffe au moyen d’une comparution du tiers opposant en personne ou de son avocat peut satisfaire aux formes requises par la lettre de l’article R. 661-2 du code de commerce.

Cette interprétation restrictive de la notion de « déclaration au greffe » peut toutefois être discutée.

En l’espèce, la Cour de cassation cantonne la notion de déclaration au greffe à l’hypothèse...

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Auteur d'origine: bferrari
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Le nombre considérable d’études consacrées à l’analyse des liens entre le droit des entreprises en difficulté et la procédure civile témoigne de l’appétence de la doctrine pour les interactions entre ces deux branches du droit. En la matière, la jurisprudence met en lumière des problématiques récurrentes d’ordre procédural au sein du contentieux des procédures collectives. À n’en pas douter, l’arrêt ici rapporté suscitera la réflexion et ne manquera pas d’attiser la flamme, déjà vive, des difficultés liées aux aspects procéduraux de la matière.

En l’espèce, par un jugement du 13 février 2018, un dirigeant et une société holding luxembourgeoise sont condamnés à supporter solidairement une partie de l’insuffisance d’actif d’une société en liquidation judiciaire. En outre, il a été prononcé à l’encontre du dirigeant une mesure d’interdiction de gérer. Ce dernier et la société holding ont interjeté appel et ont sollicité l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement de condamnation. Las, par une première ordonnance, le premier président de la cour d’appel va rejeter la demande d’arrêt de l’exécution provisoire et par une seconde ordonnance, rectifier la première, en ajoutant la mention du « curateur » de la société holding luxembourgeoise en sa qualité d’intervenant volontaire.

Le dirigeant condamné et le curateur se pourvoient en cassation contre ces deux ordonnances.

La réponse de la Cour de cassation revêt les habits d’un principe et mérite, à ce titre, d’être retranscrite au sein de ce commentaire.

Pour la Haute juridiction, l’article R. 661-1 du code de commerce « n’ouvrant pas, par une disposition spéciale, la voie du recours en cassation contre la décision d’un premier président de cour d’appel saisi d’une demande tendant à arrêter l’exécution provisoire facultative d’un jugement rendu en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif et de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, il y a lieu [conformément à l’art. R. 662-1, 1°, c. com.], d’appliquer l’article 525-2 du code de procédure civile, selon lequel les décisions arrêtant ou refusant d’arrêter l’exécution provisoire ne peuvent, en droit commun, faire l’objet d’un pourvoi. Il en est, par conséquent, de même de celles qui rectifieraient une erreur matérielle affectant de telles décisions. Il n’est fait exception à l’interdiction du recours en cassation qu’en cas d’excès de pouvoir ».

Ainsi, en relevant que les demandeurs n’invoquent aucun excès de pouvoir, la Cour de cassation en déduit que les pourvois sont irrecevables.

Cette irrecevabilité concerne tant le pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée, que celui exercé sur l’ordonnance rectificative.

L’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée

L’arrêt ici rapporté mérite l’approbation, bien que sa lecture ne soit pas aisée du fait du renvoi à un nombre conséquent de textes. À ce stade de l’analyse, nous nous concentrerons sur l’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée.

Le premier texte visé par l’arrêt est l’article R. 661-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, c’est-à-dire celle antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 entré en vigueur le 1er janvier 2020.

Cet article prévoit que les jugements et ordonnances rendus en matière de procédure collective sont exécutoires de plein droit à titre provisoire. Par exception, le deuxième alinéa du texte prévoit notamment que les jugements et ordonnances rendus en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif (C. com., art. L. 651-2) et de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer (C. com., art. L. 653-8) ne sont pas exécutoires de plein droit à titre provisoire. Pour que ces jugements produisent un tel effet, le juge doit l’ordonner.

En l’espèce, les jugements de condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif et en interdiction de gérer étaient effectivement assortis de l’exécution provisoire et les demandeurs en sollicitaient l’arrêt sur le fondement du troisième alinéa de l’article R. 661-1 du code de commerce.

Ce passage de l’article est important pour la compréhension de l’argumentation des demandeurs au pourvoi.

Ce texte prévoit que le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut arrêter l’exécution provisoire que lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux (C. com., art. R. 661-1, al. 3 – par ex., Com. 5 févr. 2008, n° 07-15.011, Bull. civ. IV, n° 29 ; D. 2008. 607 , obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2008. 426, note P. Roussel Galle ). Cet article déroge expressément au droit commun de la procédure civile dans sa version applicable aux faits de l’espèce. En effet, l’article 524 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, prévoyait que l’arrêt de l’exécution provisoire d’un jugement ne peut être ordonné que par le premier président de la cour d’appel et lorsque l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (Comp. : depuis le 1er janvier 2020, C. pr. civ., art. 514-3 : « en cas d’appel, le premier président peut être saisi afin d’arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives »).

Toujours en droit commun, l’article 525-2 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019 dispose que lorsque le premier président de la cour d’appel est saisi aux fins d’arrêter ou d’ordonner l’exécution provisoire d’un jugement (C. pr. civ., art. 524, 525, et 525-1), sa décision est insusceptible de pourvoi (ce texte est devenu l’art. 514-6 depuis le 1er janv. 2020).

Bien que l’arrêt ne le précise pas, nous pouvons, à partir de ces dispositions, deviner l’argumentation des demandeurs. Pour ces derniers, la recevabilité à exercer le pourvoi était acquise dans la mesure où le principe (à l’époque) édicté à l’article 525-2 du code de procédure civile, fermant la voie du pourvoi en cassation, ne s’appliquait pas aux décisions du premier président de la cour d’appel prises sur le fondement de l’article R. 661-1 du code de commerce, mais serait limité aux décisions relevant de l’ancien article 524 du code de procédure civile.

Partant, en poussant plus loin l’analyse, la Cour de cassation devait régler la question de savoir si la dérogation prévue à l’article R. 661-1, écartant le jeu de l’article 524 du code de procédure civile, était limitée aux seules conditions de fond de la décision prononçant l’exécution provisoire ou si elle s’étendait également au recours dont peut faire l’objet cette décision.

Or, en affirmant que la décision refusant d’arrêter l’exécution provisoire d’un jugement rendu en matière de responsabilité pour insuffisance d’actif et d’interdiction de gérer ne peut pas faire l’objet d’un pourvoi sauf en cas d’excès de pouvoir, la Cour de cassation a opté, à raison, d’une part, pour l’application du droit commun de la procédure civile, et d’autre part, pour la limitation de la dérogation de l’article R. 661-1 aux conditions de fond de la décision prononçant l’exécution provisoire.

Cette solution doit être pleinement approuvée.

D’abord, la Haute juridiction cantonne la dérogation prévue à l’article R. 661-1 du code de commerce aux seules conditions de fond de l’arrêt de l’exécution provisoire : si le code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019, exigeait la preuve des conséquences manifestement excessives, le code de commerce requiert des moyens sérieux à l’appui de l’appel. En la matière, à défaut de précisions, les règles du droit des entreprises en difficulté n’influent donc pas sur les voies de recours du droit commun.

Ensuite et à ce propos, rappelons que l’article R. 662-1, 1°, du code de commerce prévoit qu’à moins qu’il n’en soit disposé autrement les règles du code de procédure civile sont applicables aux aspects procéduraux du droit des entreprises en difficulté.

Or, l’articulation de ce texte avec la lettre de l’ancien article 525-2 du code de procédure civile est décisive. Si en l’espèce les règles du droit commun ont trouvé à s’appliquer, c’est que les dispositions du droit des entreprises en difficulté ne règlent pas spécifiquement la situation du recours ouvert pour la décision prise dans le cadre du troisième alinéa de l’article R. 661-1 du code de commerce.

Dès lors, s’agissant spécialement des voies de recours statuant sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, la Cour, en constatant que le livre VI du code de commerce ne contenait aucune disposition spéciale, a appliqué les règles du code de procédure civile par le renvoi prévu à l’article R. 662-1, 1°, du code de commerce afin de conclure à l’irrecevabilité du pourvoi en cassation (C. pr. civ., art. 525-2).

Par conséquent, l’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée est tout à fait logique et, de surcroît, en accord avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation ayant déjà affirmé que le droit commun de la procédure civile s’appliquait pour des décisions qui n’étaient pas visées au sein des dispositions spéciales du livre VI du code de commerce régissant les voies de recours (Com. 5 mai 2004, n° 01-16.758, Bull. civ. IV, n° 83 ; D. 2004. 1734, et les obs. ; RTD com. 2004. 612, obs. J.-L. Vallens - C. com., art. L. 661-1 s.).

La logique mise en œuvre par l’arrêt sous commentaire permet ensuite à la haute juridiction de se prononcer sur la recevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectificative.

L’irrecevabilité du pourvoi portant sur l’ordonnance rectificative

Comme le pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée, celui ayant pour objet l’ordonnance rectificative est également irrecevable.

Pour aboutir à une telle conclusion, la Cour de cassation mobilise, d’une part, les mêmes arguments que pour la première ordonnance en y associant, d’autre part, le régime de la rectification des décisions.

En la matière, l’article 462 du code de procédure civile prévoit que les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. Surtout, le dernier alinéa du texte précité prévoit que si la décision est passée en force de chose jugée, elle ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation.

Pourtant, comme pour le pourvoi portant sur l’ordonnance rectifiée, celui ayant pour objet l’ordonnance rectificative est également jugé irrecevable.

Ici encore, cette irrecevabilité est tout à fait justifiée.

En effet, il est de jurisprudence constante que si la décision rectifiée est insusceptible de pourvoi, il doit en aller de même concernant la décision rectificative (par ex., Soc. 13 oct. 1993, n° 90-44.911, Bull. civ. V, n° 229).

Pour conclure, cet arrêt permet de contredire l’idée répandue selon laquelle le droit des entreprises en difficulté serait absolument dérogatoire au droit commun de la procédure… En l’occurrence, les règles se complètent et l’arrêt ici rapporté en témoigne !

Auteur d'origine: bferrari

En l’espèce, la société Noël a confié une partie du transport de ses marchandises à la société Rave, le 30 novembre 2011. Placée en liquidation judiciaire le 29 septembre 2012, la société Noël a été cédée à la société Franciaflex qui n’a repris que certains éléments du fonds de commerce et conclu un accord le 16 novembre 2012 sur les tarifs pratiqués par la société Rave à compter du 1er novembre de la même année. À la suite de l’annonce de l’augmentation de ses tarifs par la société Rave en 2014, la société Franciaflex engage une négociation infructueuse et décide alors de mettre un terme à la relation commerciale. Cette rupture s’organise en trois temps : est d’abord rompue l’activité « distribution » le 1er août 2014 à effet au 5 septembre 2015, est ensuite rompue l’activité « tournées » le 24 octobre 2014 à effet la semaine suivante, est enfin rompue l’activité « locations exclusives », le 24 octobre 2014 à effet le 1er décembre 2014.

La société Rave demande en conséquence une indemnité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie fondée sur l’ancien article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce (devenu, dans des termes différents, l’art. L. 442-1). Sa demande ayant été rejetée devant les juges du fond, elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 février 2019 et soulève deux moyens.

Le premier moyen invite la Cour de cassation à se prononcer sur l’incidence d’une cession d’activité...

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Auteur d'origine: cspinat
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Le 20 octobre 2006, la société SMI a d’abord confié sa comptabilité (établissements des comptes annuels et des bulletins de salaire) à la société AGSC, puis a décidé, le 3 mars 2011, de réduire les missions qui lui étaient confiées et de recruter un comptable avant de résilier définitivement le contrat la liant à ce prestataire extérieur le 31 juillet 2012. Ce dernier l’a alors assignée en paiement de factures pour des prestations impayées, d’une indemnité de résiliation contractuelles et de sommes en réparation des préjudices causés par le retrait de sa mission, constitutif d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie. La société AGSC, qui a obtenu partiellement satisfaction devant les juges du fond, se pourvoit en cassation en soulevant six moyens.

L’intérêt de ce commentaire se trouve dans l’étude du premier moyen car il pose la question de savoir si l’activité d’expert-comptable peut se voir appliquer les dispositions relatives à la rupture brutale d’une relation commerciale établie (C. com., anc. art. L. 442-6, I, 5°, devenu, avec plusieurs changements, art. L. 442-1).

Pour l’auteur du pourvoi, l’existence d’un lien de confiance n’est pas exclusive du caractère commercial de la relation entre l’expert-comptable et son client. Il est vrai que l’activité d’expertise comptable a connu, comme beaucoup d’activités analogues, des modifications législatives récentes permettant notamment l’exercice d’activités accessoires à la mission principale (v. not. L. n° 2010-853, 23 juill. 2010, art. 22 à 28 ; L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 65 ; ord. n° 2016-394, 31 août 2016, art. 8 ; L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 33). Ce professionnel est désormais autorisé à réaliser des études statistiques, économiques, administratives dans le domaine social et fiscal, y compris pour des clients qui ne les sollicitent que sur ces aspects.

Le recours est encore plus justifié au regard de l’incertitude qui règne au sein des juridictions inférieures. Sur la question de savoir si l’expert-comptable peut être considéré comme victime d’une rupture commerciale établie, la cour d’appel de Paris a d’abord décidé que « le caractère libéral de la profession d’expert-comptable ne lui interdit pas une activité commerciale au sens de l’article L. 442-6, I, 5°, pourvu qu’elle soit directement en rapport avec l’exercice de la profession » (Paris, 11 févr. 2016, n° 14/17563) mais s’est ensuite ravisée quelques mois plus tard au détour d’une riche motivation : « la profession d’expert-comptable, soumise à des règles particulières qui la distinguent des professions à caractère commercial et la rapprochent d’autres professions libérales, relève des professions réglementées ; qu’en contrepartie de l’art libéral qu’il exerce, l’expert-comptable perçoit des honoraires et non des bénéfices commerciaux ; que cette profession ne s’inscrit pas dans la seule recherche du profit, comme tel est le cas des professions commerciales, mais dans une relation de confiance nouée avec son client […] qu’il doit être libre de tout lien extérieur d’ordre personnel, professionnel ou financier qui pourrait être interprété comme une entrave à son intégrité ou à son objectivité […] qu’il s’en déduit que la relation existant entre un expert-comptable et son client ne constitue pas une relation commerciale au sens de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce » (Paris, 18 mars 2016, n° 13/17054).

La question méritait donc d’être posée d’autant que les hésitations des juges du fond ne concernent pas uniquement la profession d’expert-comptable, d’autres professions libérales sont effectivement concernées (v. par ex., pour la profession d’avocat, TGI Nanterre, 12 avr. 2018, n° 16/13977, Dalloz actualité, 28 oct. 2018, obs. C.-S. Pinat ; RTD civ. 2019. 128, obs. P.-Y. Gautier ).

Consciente du tournant libéral emprunté par la profession, la Cour de cassation refuse de trancher radicalement le débat et déroule un raisonnement par étapes, inscrit dans la temporalité du litige.

La chambre commerciale commence par rappeler l’article 22 de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable, qui dispose « que l’activité d’expert-comptable est incompatible avec toute activité commerciale ou acte d’intermédiaire ». Elle souligne ensuite l’apport de la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 qui autorise l’accomplissement d’une activité commerciale à la condition qu’elle soit accessoire à l’activité principale et qu’elle ne porte pas atteinte aux « règles d’indépendance et de déontologie de la profession ». Or, dans la mesure où les conditions et limites à ces activités accessoires, qui devaient être fixées par des « normes professionnelles élaborées par le conseil supérieur de l’ordre et agréées par arrêté du ministre chargé de l’Économie » n’ont jamais été communiquées et puisqu’en tout état de cause, l’auteur du pourvoi n’a pas établi « que les prestations de services dont elle reprochait à la société SMI l’interruption brutale étaient accessoires à sa mission d’expert-comptable et de nature commerciale », le moyen est écarté.

Cet arrêt éclaire sur la manière dont seront désormais qualifiées les activités de l’expert-comptable. Sa mission principale de comptabilité demeure une prestation libérale, incompatible avec la qualification d’activité commerciale (v., sur la notion de prestation intellectuelle, Com. 5 déc. 2006, n° 04-20.039, Dalloz actualité, 5 janv. 2007, obs. E. Chevrier ; D. 2007. 89, obs. E. Chevrier ; RTD com. 2007. 673, obs. B. Saintourens ). En revanche, les activités complémentaires, comme l’accompagnement juridique, administratif ou fiscal, sont susceptibles de s’épanouir dans le cadre d’une « relation commerciale » dont la rupture brutale pourrait éventuellement être sanctionnée sur le fondement du nouvel article L. 442-1 du code de commerce. Au moment des faits litigieux, l’établissement des bulletins de paie au profit de la société défenderesse aurait ainsi pu recevoir la qualification de relation commerciale si l’auteur du pourvoi était parvenu à en démontrer la teneur et si, ce que nous ne savons pas en l’espèce, cette mission restait accessoire à la mission principale d’établissement des comptes. Notons sur ce dernier point que les dernières législations n’exigent plus systématiquement ce caractère accessoire en admettant que certaines missions extérieures à la mission comptable puissent être exercées isolément (accompagnement administratif, notamment).

Auteur d'origine: cspinat

Cette affaire tient tout à la fois du casse-tête juridique et de la croisade. Casse-tête juridique entre juridictions judiciaires française et américaine. Croisade filiale, celle de Léone Meyer, 80 ans, qui veut récupérer ce tableau, volé par les nazis à sa famille adoptive, pour en faire don au Musée d’Orsay.

Cette peinture de Camille Pissarro appartenait à la collection Meyer. En 1940, cette famille juive pense la mettre à l’abri au Crédit commercial de France de Mont-de-Marsan. Mais, en 1941, les Allemands s’en saisissent. À la fin de la guerre, la famille récupère une partie de ses biens. Mais pas La Bergère rentrant ses moutons qui va entamer une étrange transhumance. D’abord par la Suisse, avant de réapparaître à New York en 1956 dans une galerie spécialisée dans l’impressionnisme.

Cette peinture figure au Répertoire des biens spoliés en France, publié en 1947, consultable par n’importe quel musée, galeriste ou collectionneur digne de ce nom.

En janvier 1957, Clara et Aaron Weitzenhoffer, un couple de collectionneurs, achètent cette Bergère avant de la léguer en 2000 à la Fondation de l’université de l’Oklahoma. En 2010, Léone Meyer retrouve le tableau familial et engage une procédure aux États-Unis. En février 2016, elle finit par signer un accord transactionnel avec la Fondation de l’université d’Oklahoma ratifié par la justice américaine. Et exequaturé en France en octobre 2016.

Il prévoit que le titre de propriété du tableau soit transféré à Mme Meyer sans que cette dernière puisse le vendre sans l’accord de la Fondation. Après cinq ans d’exposition en France, une rotation tous les trois ans doit s’effectuer entre institutions muséales en France et aux États-Unis, faute de quoi le tableau reviendra au Département d’État américain. Le tableau est censé repartir aux États-Unis le 16 juillet 2021. Le musée d’Orsay a refusé la donation en l’état, estimant cette rotation trop contraignante.

Depuis, Mme Meyer a saisi la justice française pour obtenir l’annulation de cet accord et la restitution du tableau sur la base de l’ordonnance du 21 avril 1945 sur les biens spoliés. Avant d’examiner l’affaire au fond, le juge des référés avait ordonné une médiation à laquelle les parties américaines ont refusé de participer.

Ce qui, mardi, a quelque peu énervé la magistrate. « Je regrette que l’on considère que les décisions françaises n’ont pas lieu d’être respectées alors que celles des tribunaux américains sont menées tambour battant », a-t-elle indiqué à l’avocat de la fondation américaine, estimant que ce refus constituait « une forme d’outrage pour les tribunaux français ».

En réponse à la procédure initiée en France, la Fondation de l’université d’Oklahoma a saisi la justice américaine. Le 24 février, un juge du tribunal du district ouest d’Oklahoma ordonné à Mme Meyer de se désister de sa procédure française sous peine d’une amende de 3,65 millions de dollars. Mardi, le juge des référés n’a pu examiner l’assignation déposée par les avocats de Mme Meyer contre cette décision américaine. En effet, l’avocat de la partie américaine a assuré ne pas l’avoir reçu en dépit de copies de mails présentées à l’audience par les avocats de Mme Meyer. Le juge a fixé au 9 mars une nouvelle audience pour l’examen de cette assignation.

Sur le fond, Me Olivier de Baecque, avocat de la partie américaine, a estimé que la justice française n’était pas compétente car l’accord de 2016 prévoyait que la loi régissant cet accord soit celle de l’Oklahoma. Il a par ailleurs plaidé que l’ordonnance de 1945 sur les biens spoliés ne pouvait s’appliquer à cette affaire. Ce que contestent avec force les avocats de Mme Meyer. « Rien ne peut faire obstruction à la restitution d’une œuvre spoliée par les nazis », a souligné Me Ron Stoffer, rappelant que le tableau était en France jusqu’au 21 juillet 2021.

Le juge des référés se prononcera le 13 avril sur la demande de séquestre formulée par Mme Meyer.

Auteur d'origine: Bley

La Commission, n’ayant reçu de l’Espagne aucune information concernant l’adoption et la publication des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive (UE) 2016/680 (dite « Police-Justice ») à l’expiration du délai de transposition, le 6 mai 2018, lui a adressé une mise en demeure puis, le 25 janvier 2019, un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois. L’Espagne a expliqué que la procédure administrative pour l’adoption des mesures de transposition de la directive était en cours et devait s’achever à la fin du mois de juillet 2019. La Commission a finalement introduit un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne, le 4 septembre 2019, estimant que l’Espagne avait manqué à ses obligations en vertu de...

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Auteur d'origine: Thill
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par Xavier Delpechle 2 mars 2021

Loi n° 2021-107, 3 févr. 2021, JO 4 févr.

Élaborée sous l’égide de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), la Convention de Tokyo du 14 septembre 1963 relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs constitue le premier instrument international intervenu en matière de droit pénal aérien. Cette Convention est entrée en vigueur le 4 décembre 1969 ; elle a été ratifiée par 187 États, dont la France (Loi n° 70-490 du 11 juin 1970). Elle vise à lutter contre le phénomène des passagers qui ne respectent pas les règles de conduite à bord des aéronefs ou qui ne suivent pas les instructions des membres de l’équipage, c’est-à-dire les passagers perturbateurs ou indisciplinés (le passager perturbateur est défini par l’article 17 de l’OACI comme le passager « qui ne respecte pas les règles de conduite à un aéroport ou à bord d’un aéronef ou qui ne suit pas les instructions du personnel de l’aéroport ou des membres d’équipage et perturbe de ce fait le bon ordre et la discipline à l’aéroport ou à bord de l’aéronef »). Cette Convention établit les mesures de contrainte à adopter en cas d’actes commis, accomplis ou sur le point d’être commis ou accomplis à bord et constitutifs d’une infraction ou susceptibles de compromettre la sécurité de l’aéronef, de personnes ou de biens à bord, mais également du bon ordre et de la discipline à bord. Elle s’applique aux infractions aux lois pénales, ainsi...

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Auteur d'origine: Delpech

Un entrepreneur individuel a été mis en redressement judiciaire le 13 février 2018. Le comptable public a déclaré des créances au passif de la procédure et a été avisé par le mandataire judiciaire le 3 septembre 2018 que la créance était discutée et qu’un rejet serait proposé. Le comptable a répondu au mandataire le 12 octobre suivant et a maintenu sa demande d’admission. Bien lui en a pris, puisque la cour d’appel de Reims admet sa créance au passif.

Le débiteur forme alors un pourvoi, dans lequel il invoque plusieurs arguments. Parmi ceux-ci, le fait qu’en retenant, pour autoriser le comptable public à discuter de la proposition de rejet de sa créance contenue dans la lettre de contestation du mandataire judiciaire du 3 septembre 2018 à laquelle il n’avait pas répondu dans le délai de trente jours, que cette lettre, en ce qu’elle...

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Auteur d'origine: Delpech

Voici un arrêt fort instructif qui concerne les règles de compétence en matière d’action en responsabilité intentée contre une société de commissaire aux comptes. Les faits méritent d’être relatés. Une telle société a été désignée en qualité de commissaire aux comptes de la société Oxxa par décision de l’assemblée générale de cette société du 23 juin 2010. Un commissaire aux comptes salarié de la première société a été chargé de la mission auprès de la société Oxxa. Cette dernière a, par la suite, été mise en liquidation judiciaire. Invoquant des manquements, dans l’exercice de leur mandat, de la société de commissariat aux comptes et de son salarié, le liquidateur de la société Oxxa, dont le siège social avait entre-temps été transféré à Lyon, les a assignés devant le tribunal de grande instance de cette ville en réparation du préjudice subi. Or, étant domiciliés à Clermont-Ferrand, la société de commissaire aux comptes et son salarié ont soulevé l’incompétence territoriale de la juridiction saisie. Leur exception d’incompétence est rejetée en appel. La solution est confirmée par la Cour de cassation.

Selon cette dernière, « [si] le lieu où a été commis le manquement du commissaire aux comptes, qui s’est abstenu de révéler des faits délictueux au procureur de la République et de mettre en œuvre la procédure d’alerte auprès du président du tribunal, est celui de son domicile professionnel ou du siège de sa société, le lieu où le dommage a été subi est celui du siège de la société contrôlée. Il résulte des constatations de...

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Auteur d'origine: Delpech
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La société LBC exploite le site français de petites annonces en ligne leboncoin.fr, proposant aux particuliers de mettre en ligne leurs annonces regroupées par région, puis par catégories. En plus de quinze années, la plateforme est ainsi devenue le premier site français de petites annonces en ligne, notamment dans la catégorie « immobilier ».

Elle a néanmoins eu la surprise de constater qu’une société, Entreparticuliers.com, procédait à l’extraction systématique de la base de données immobilière de son site grâce à un « service de pige immobilière » sous-traité par une agence commissionnée.

La société LBC a donc assigné cette société à jour fixe.

À la suite, le tribunal de grande instance de Paris a jugé, le 1er septembre 2017 (n° 17/06908, Propr. indus. 2018. Comm. 6, obs. J. Larrieu), que « le site “leboncoin.fr” constitue une base de données au sens de l’article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle dont la société LBC France est producteur » et « qu’en procédant à l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base de données de la société LBC, la société Entreparticuliers.com a porté atteinte à son droit de producteur de ladite base de données ».

Peu satisfaite de la décision rendue, la société défenderesse en interjette appel.

De l’autre côté de la barre, puisque l’un des motifs du jugement précisait que le caractère quantitativement et qualitativement substantiel de la base n’était pas démontré, l’intimé a formé en cause d’appel des demandes relatives à sa sous-base de données « immobilier », demandes recevables au sens de l’article 565 du code de procédure civile, puisque tendant aux mêmes fins que celles formulées devant le premier juge.

La cour d’appel avait dès lors à se prononcer sur la qualité de producteur de base de données et de sous-base de données de la société LBC ainsi que sur l’atteinte portée au droit sui generis du producteur de base de données.

Appréciation de la qualité de producteur de base de données et de sous-base de données « immobilier » par une triple analyse des investissements

Base de données

Rappelons, en tout premier lieu, à l’instar de la cour d’appel, que la base de données est définie aux termes de l’article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle comme « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ».

Si les juges d’appel confirment sans difficulté que les annonces immobilières réunies sur le site leboncoin.fr répondent à la définition susrappelée, s’agissant d’une « architecture élaborée de classement des données collectées » (v. décis. de première instance, préc.), la réponse n’est pas aussi simple pour ce qui concerne l’appréciation de la qualité de producteur de base de données.

Producteur de base de données

Le producteur de base de données, appelé fabricant dans la directive 96/9/CE du 11 mars 1996, s’entend au sens de l’article 341-1 du code de la propriété intellectuelle, comme « la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants [et qui] bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ».

L’appelante déduit de cette définition que seule la société Schibsted France, qui a conclu un traité d’apport partiel d’actifs avec la société LBC, pourrait être qualifiée de producteur car, d’une part, elle est à l’origine de la création du site leboncoin.fr en 2006, que la société demanderesse se limiterait simplement à l’exploiter depuis 2011, et, d’autre part, elle se serait réservé le bénéfice des droits sui generis du producteur de base de données.

La cour d’appel n’est pas pour autant convaincue par de tels arguments et estime qu’il y a lieu de rechercher « si la société LBC France, qui a acquis, par le traité partiel d’actifs susvisé, la propriété des éléments d’actifs constituant la branche d’activité d’exploitation du site internet leboncoin.fr, démontre avoir elle-même réalisé, postérieurement à cet apport, un nouvel investissement substantiel lui permettant de bénéficier de la protection » étendue de quinze ans.

Indifférence du statut d’hébergeur

L’appelante persiste et soutient de surcroît que le statut d’hébergeur de la société LBC est incompatible avec celui de producteur de base de données. Réfutant cet argument, la Cour en profite pour rappeler avec brio l’intérêt de ce droit sui generis, dont la ratio legis consiste « à encourager et à protéger les investissements dans des systèmes de stockages et de traitement de données » dans le marché unique du numérique en plein essor. Le statut d’hébergeur, ouvrant droit à un régime juridique de responsabilité atténuée, est donc assurément indifférent au droit « économique » qu’est celui du producteur de base de données.

Puisqu’il s’agit d’un droit de nature économique, celui qui revendique la qualité de producteur doit prouver qu’il a investi des moyens pécuniaires, techniques ou bien encore réalisé un effort intellectuel.

La cour d’appel vérifie en l’occurrence minutieusement si la société LBC justifie de tels investissements en se lançant alors dans une triple analyse, là où les juges français avaient pour habitude (v. T. com. Paris, 19e ch., 17 déc. 2009, Expertises 2010. 155), au grand dam de la Cour de justice de l’Union européenne, de ne pas distinguer entre les investissements liés à la constitution, la vérification ou la présentation de la base. Étant ici précisé que le contrôle du respect de la jurisprudence européenne est désormais opéré par la Cour de cassation depuis l’arrêt Ouest-France (Civ. 1re, 5 mars 2009, nos 07-19.734 et 07-19.735, Dalloz actualité, 27 mars 2009, obs. J. Daleau ; D. 2009. 948, obs. J. Daleau ; RTD com. 2009. 724, obs. F. Pollaud-Dulian ).

Sur les investissements liés à la constitution du contenu de la base

Le raisonnement des juges d’appel s’inscrit dans le strict respect des arrêts fondamentaux rendus par la Cour de justice des Communautés européennes le 9 novembre 2004 (CJCE 9 nov. 2004, 4 arrêts, aff. C-203/02, Rec. CJCE 2004. I. 10415 ; RTD com. 2005. 90, obs. F. Pollaud-Dulian ; aff. C-46/02, Rec. CJCE 2004. I. 10365 ; D. 2006. 190 , obs. Centre de droit et d’économie du sport ; RTD com. 2005. 90, obs. F. Pollaud-Dulian ; RLDI 2005/1, n° 9 ; aff. C-338/02, Rec. CJCE 2004. I. 10497 ; RTD com. 2005. 90, obs. F. Pollaud-Dulian ; aff. C-444/02, Rec. CJCE 2004. I. 10549 ; RTD com. 2005. 90, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2005. Comm. 2, obs. C. Caron), qu’ils prennent le soin de viser dans leur décision.

C’est ainsi que la notion d’investissement lié à l’obtention du contenu de la base de données doit « s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base […] ».

La Cour relève que la société LBC a produit aux débats notamment un rapport technique accompagné d’un certain nombre d’attestations comptables justifiant des moyens de communication mis en œuvre sur la période concernée par des équipes de salariés. À cela s’ajoutent des investissements liés à des infrastructures informatiques de stockage et de gestion sophistiquées.

Sont exclus de cette première catégorie d’investissements ceux relatifs à la création des données, puisque dans ce cas le producteur n’a pas concentré ses efforts à rassembler les éléments en vue de leur seul stockage et traitement (v. en ce sens Com. 10 févr. 2015, n° 12-26.023, Sté Ryanair Limited c. Sté Opodo, RTD com. 2015. 294, obs. F. Pollaud-Dulian ). En l’espèce, ce sont bien les internautes qui créent leurs annonces et non la société LBC comme le relèvent pertinemment les deux degrés de juridiction.

On aurait pu cependant craindre que le fait que les internautes déposent de leur propre initiative leurs annonces sur le site fasse obstacle à ce que l’intimé puisse prouver son investissement dans la collecte des données. Or il n’en est rien !

Sur les investissements liés à la vérification des données

La notion doit être comprise comme visant « les moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci ».

La cour estime que la société LBC justifie, là encore, avoir mis en place des équipes composées de plusieurs salariés qui effectuent de véritables contrôles, non purement formels, contrairement à ce que soutient l’appelante ; chaque annonce subissant deux vérifications, l’une avant sa mise en ligne, effectuée par un logiciel de filtrage, l’autre a posteriori, opérée par les équipes de modération à la suite d’un signalement ou de manière spontanée.

Observation étant ici faite que le premier filtrage effectué par la société LBC n’intervient à aucun moment dans le processus créatif de l’annonce, ce qui lui vaut, ainsi qu’il a été dit, son statut de simple hébergeur, ce premier filtrage concernant effectivement la constitution et le fonctionnement du site, lui conférant donc la qualité de producteur de base de données.

Sur les investissements liés à la présentation

La notion concerne « les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l’information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu’à l’organisation de leur accessibilité individuelle ».

La Cour considère que l’équipe « produits » de la société LBC et ses prestataires externes, ayant pour activité la mise à jour des règles de catégorisation, la cartographie numérique ou bien encore le design du moteur de recherche, œuvrent en vue d’une constante amélioration de la présentation de la base, ce qui favorise par la même occasion la rentabilité du site comme l’invoquait à juste titre mais en vain, l’appelante.

En outre, le fait que les catégories subdivisées en sous-catégories soient prétendument banales et usuelles est indifférent en matière de base de données, comme le rappelle avec raison la cour. Il ne faut pas en effet confondre la protection autonome du contenant de la base de données (c’est-à-dire son arborescence, sa structure) par le droit d’auteur, et la protection de son contenu par le droit sui generis. En ce sens, le professeur André Lucas qualifiait la base de données d’« œuvre polymorphe à régime juridique éclaté » (J.-Cl. Propriété littéraire et artistique, v° Droits des producteurs des bases de données, par A. Lucas, fasc. 1650, n° 18).

S’agissant en particulier de la « sous-base immobilier », la cour ne procède pas à la triple analyse ci-dessus développée. Elle se contente d’avancer que la société LBC justifie de plus de 4,9 millions d’euros dans des campagnes de publicité ciblées correspondant à des investissements spécifiques qui viennent s’additionner à l’acquisition de la société « À vendre À louer », exploitant un site internet d’annonces immobilières, ce qui lui a permis d’enrichir sa sous-base de données.

En conséquence, la société LBC parvient à convaincre les juges que (par comparaison avec la société Schibsted France) elle a effectué de nouveaux investissements substantiels tant en nature qu’en argent, le caractère substantiel desdits investissements s’appréciant de manière intrinsèque et non en proportion du chiffre d’affaires généré par la base, ce qui, en l’occurrence, aurait sans nul doute changé la donne !

L’atteinte aux droits du producteur par l’extraction et la réutilisation de parties substantielles de la sous-base de données « immobilier »

Article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle

Le droit sui generis du producteur de base de données confère à ce dernier le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base.

Les juges d’appel font de nouveau preuve d’une grande méthodologie en rappelant la définition de chacune des deux prérogatives du producteur de base de données à la lumière de la jurisprudence européenne.

C’est ainsi que l’extraction correspond au « transfert d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative du contenu de la base de données protégée ou à des transferts de parties non substantielles qui, par leur caractère répété ou systématique, auraient conduit à reconstituer une partie substantielle de ce contenu » (CJCE 9 oct. 2008, Directemedia Publishing, aff. C-304/07, Rec. CJCE. I. 7565 ; Dalloz actualité, 22 oct. 2008, obs. J. Daleau ; RTD com. 2009. 727, obs. F. Pollaud-Dulian ) et que la réutilisation se caractérise par « une série d’opérations successives, allant, à tout le moins, de la mise en ligne des données concernées sur le site aux fins de leur consultation par le public à la transmission de ces données aux membres du public concerné » (CJCE 18 oct. 2012, Football Dataco, aff. C-173/11, D. 2012. 2736 ; ibid. 2013. 527, obs. Centre de droit et d’économie du sport ; ibid. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2487, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; Rev. crit. DIP 2020. 695, étude T. Azzi ; RTD com. 2013. 309, obs. F. Pollaud-Dulian ; RTD eur. 2012. 947, obs. E. Treppoz ).

Il est intéressant de noter que ces deux notions recoupent celles bien connues en droit d’auteur de la représentation, de la reproduction et de la communication au public, mais toutefois adaptées à la singularité du droit de producteur de base de données.

Double approche globale

À l’image de l’ampleur substantielle des investissements que requiert l’obtention de ce droit sui generis, l’atteinte doit donc elle aussi être substantielle, du point de vue quantitatif ou qualitatif, cette dernière approche globale étant très délicate car intrinsèquement plus subjective.

À cet égard, la cour d’appel n’est pas allée au plus simple puisqu’elle s’est évertuée à identifier la partie qualitativement substantielle du contenu qui était extraite ou réutilisée.

Elle observe avec beaucoup de discernement que la quasi-totalité des annonces immobilières consultées par l’huissier de justice lors de ses opérations de constat (avant l’introduction de l’action et postérieurement au jugement dont appel) reprennent tous les éléments essentiels (type de bien, prix, surface) de l’annonce correspondante du site leboncoin.fr, à l’exception du téléphone de l’annonceur, un onglet redirigeant vers la page de ce site permettant d’accéder à l’information manquante.

Les juges de première instance avaient retenu à tort que l’existence de ce lien hypertexte, que l’on pourrait qualifier de lien direct profond, était exclusive du transfert de la partie substantielle de l’annonce car il relevait de la liberté de lier.

Ce principe de lier cher à internet connaît des limites dès lors qu’il existe un abus.

La cour infime donc partiellement la décision en jugeant qu’« une telle indexation, faite en connaissance de cause, en tirant profit des investissements réalisés par la société LBC pour la constitution de sa sous-base de données », relève d’une extraction prohibée par les textes.

Éléments dénués de pertinence

Il importe peu que l’extraction ait été faite depuis le « service de pige immobilière » et non directement depuis le site leboncoin.fr, ou que la transmission de données, grâce audit service, ait été effectuée à des fins de seule prospection commerciale, puisque l’extraction ou la réutilisation peut être opérée sous toute forme que ce soit.

En conséquence, il existe un « faisceau d’indices concordants de nature à établir l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données “immobilier” de la société LBC », ce qui au demeurant n’est pas démontré pour le reste de la base.

En conclusion

Nous sommes loin des premiers arrêts rendus en matière de base de données (v. Civ. 1re, 9 nov. 1983, n° 82-10.005, D. 1984. 297, note J. Huet ; JCP 1984. II. 20189, note A. Françon ; Cass., ass. plén., 30 oct. 1987, n° 86-11.918, D. 1988. 21, concl. J. Cabannes ; RTD com. 1988. 57, obs. A. Françon ; JCP 1988. II. 20932, note J. Huet), le régime spécial du producteur s’est depuis dessiné au fil de la jurisprudence en s’émancipant du droit des producteurs de vidéogrammes ou de phonogrammes ainsi que du droit d’auteur.

Néanmoins, il y a lieu de mentionner que le droit commun rattrape parfois la lex specialis, certains producteurs de base de données préférant en effet invoquer la concurrence déloyale ou parasitaire (relevant de C. civ., art. 1240), ceci pour éviter d’avoir à apporter la preuve d’un investissement substantiel ou d’assigner devant les juridictions spécialisées (v. en ce sens Rennes, 23 janv. 2018, n° 15/06101 ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 13 avr. 2010, n° 09/03970, Sté Optima On Line).

La frontière entre le droit du producteur de base de données, ayant pour objet de défendre les investissements, et la concurrence déloyale ou le parasitisme, visant à sanctionner le fait de tirer profit des investissements d’autrui, est extrêmement ténue, à tel point que d’aucuns pensent que ce droit sui generis est une forme de concurrence déloyale ou parasitaire déguisée en droit de la propriété intellectuelle (v., en ce sens, not. J.-Cl. Civil annexes, v° Droits voisins du droit d’auteur, par X. Daverat, fasc. 1405, nos 29 et 65 ; X. Daverat, Le droit du producteur sur le contenu de la base de données, LPA 2000, n° 134, p. 12).

Auteur d'origine: nmaximin

Les faits de l’espèce illustrent les liaisons dangereuses entre méconnaissance de l’intérêt social et nullité des actes et délibérations. Un gérant majoritaire d’une SARL consent une promesse de cession de l’intégralité des parts qu’il détient au sein de cette société moyennant un prix de 8 000 €. Dans les quelques mois séparant cette promesse de cession et sa réalisation, l’assemblée générale des associés vote le versement de primes exceptionnelles au gérant-cédant, au titre de ses fonctions. Par la suite, le cessionnaire et nouveau gérant oppose un refus pour le versement de ces sommes, estimant qu’elles mettent en péril les intérêts de la société. La société est alors assignée par le cédant (et ancien gérant) en paiement des sommes allouées.

Les juges du fond annulent les délibérations octroyant de telles rémunérations au (seul) motif qu’elles contrarient l’intérêt social. Au terme d’une appréciation casuistique, ils relèvent que ces primes exceptionnelles représentent treize fois le résultat annuel de la société et constituent donc des rémunérations abusives. Le demandeur reproche aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé l’ensemble des critères constitutifs d’un abus de majorité. Seulement les juges ne se plaçaient pas sur ce fondement, mais sur celui de la seule contrariété à l’intérêt social. C’est cette erreur dans le fondement qui justifie la cassation.

En effet, par cet arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 235-1 du code de commerce en retenant qu’une délibération de l’assemblée générale visant à octroyer une rémunération au gérant ne peut être annulée « au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social ». En statuant ainsi, ajoute-t-elle, « sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l’intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s’imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats ni relever l’existence d’une fraude ou d’un abus de droit commis par un ou plusieurs associés », la cour d’appel n’a pas appliqué le texte visé. En effet, l’article L. 235-1 dans sa rédaction antérieure à la loi Pacte du 22 mai 2019, applicable aux faits de l’espèce, n’envisageait pas la méconnaissance de l’intérêt social parmi les causes de nullité. Désormais, il l’envisage expressément, mais pour l’exclure.

Cette solution n’est ni originale ni inédite. Un tour d’horizon de la place réservée aux nullités dans la vie sociétaire est d’abord essentiel pour comprendre la solution. La récente intervention législative visant à exclure expressément la contrariété à l’intérêt social des causes de nullité mérite ensuite pas d’être évoquée.

Tour d’horizon de la place réservée aux nullités dans la vie sociétaire

Animé par un souci de protection tant des associés que des tiers au pacte sociétaire, de sécurisation des transactions et de célérité des affaires, le législateur n’a pas fait des nullités l’arme dominante de l’arsenal juridique. Elles sont même « chassées » par ce dernier selon l’expression consacrée. L’article L. 235-1 du code de commerce, siège des nullités pour les sociétés commerciales, établit une certaine summa divisio. Il distingue en son sein, d’une part, les causes de nullité de la société et...

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Auteur d'origine: Delpech
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Si l’on se focalise bien souvent sur la garantie que doit le vendeur professionnel au consommateur, il ne faut pas négliger pour autant les suites de la mise en œuvre de cette garantie. On prêtera donc une certaine attention à l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 février 2021. En l’espèce, une société italienne, ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de carrelage, a vendu le 18 avril 2003 des produits à une société française, laquelle les a revendus le 9 mai 2003 en France à un couple. Soutenant que le carrelage présentait des microrayures, les acheteurs ont assigné en indemnisation de leur préjudice leur vendeur, qui a appelé en garantie la société italienne. La cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 13 mars 2018 (rendu sur renvoi après cassation ; v. Com. 2 nov. 2016, n° 14-22.114, D. 2017. 613, obs. C. Witz et B. Köhler ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2017. 404, note O. Boskovic ), a déclaré l’action du vendeur recevable et a condamné le fournisseur à le garantir, en retenant, en premier lieu, que l’action récursoire du vendeur final contre son propre vendeur trouve sa cause non dans le défaut de conformité lui-même mais dans l’action engagée contre ce vendeur final par le consommateur et, en second lieu, que la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (CVIM) régit les relations contractuelles entre vendeur et acheteur et ne s’applique pas à un tel recours. En conséquence, il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 39 de cette convention prévoyant une déchéance du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité si l’acheteur ne le dénonce pas au plus tard dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises. La société italienne se pourvut donc en cassation, contestant à la fois la recevabilité de l’action du vendeur et l’inapplicabilité des dispositions de la CVIM.

Sur le premier point, la Cour de cassation considère que l’action du vendeur était bel et bien recevable. Pour parvenir à ce résultat, elle rappelle tout d’abord qu’« aux termes de l’article 4 de la directive n° 1999/44/CE du Parlement et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, lorsque la responsabilité du vendeur final est engagée vis-à-vis du consommateur en vertu d’un défaut de conformité qui résulte d’un acte ou d’une omission du producteur, d’un vendeur antérieur placé dans la même chaîne contractuelle ou de tout autre intermédiaire, le vendeur final a le droit de se retourner contre le ou les responsable(s) appartenant à la chaîne contractuelle. Le droit national détermine le ou les responsable(s) contre qui le vendeur final peut se retourner, ainsi que les actions et les conditions d’exercice pertinentes » (pt 5). Elle en conclut qu’« ayant constaté que, par un jugement du 29 septembre 2009, la société B… avait été condamnée à réparer le préjudice subi par M. et Mme L… du fait du défaut de conformité du carrelage qu’elle leur avait vendu, puis retenu que la société CMC était un vendeur antérieur dans la chaîne contractuelle, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action récursoire de la société B…, vendeur final, contre la société CMC, son fournisseur, était recevable » (pt 6).

Le raisonnement est irréprochable en ce qu’il repose sur une application parfaitement orthodoxe des dispositions de la directive du 25 mai 1999 (qui sera bientôt remplacée par la directive 2019/771 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens ; v. à ce sujet C. Aubert de Vincelles, Nouvelle directive sur la conformité dans la vente entre professionnel et consommateur. À propos de la directive 2019/771/UE du 20 mai 2019, JCP 2019. 758 ; S. Bernheim-Desvaux, De nouvelles règles contractuelles en matière de conformité seront applicables à compter du 1er janvier 2022 !, CCC juill. 2019, comm. 130 ; J. Julien, Garantie de conformité : la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 est abrogée et remplacée par la directive 2019/771/UE du 20 mai 2019, RDC n° 2019/3, p. 85). On rappellera que ces dispositions ont été transposées en France par l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur, l’article L. 217-14 du code de la consommation prévoyant à cet égard que « l’action récursoire peut être exercée par le vendeur final à l’encontre des vendeurs ou intermédiaires successifs et du producteur du bien meuble corporel, selon les principes du code civil » (pour une critique de la transposition de cette règle au sein du code de la consommation, dans la mesure où « elle ne concerne en rien le consommateur », v. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, Les contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, coll. « Traité de droit civil », 2018, n° 1028).

Toujours sur le terrain de la recevabilité, la société italienne fait encore grief à l’arrêt attaqué de ne pas s’être référé à la loi désignée par les règles de conflit faute d’avoir recherché si selon la loi italienne, le vendeur professionnel pouvait se retourner contre le fabricant sur le fondement du droit de la consommation italien. Mais l’argument est également évincé par la haute juridiction, considérant à juste titre qu’« ayant écarté l’application des dispositions du code civil italien comme non pertinentes, dès lors qu’était en cause l’action récursoire du vendeur final contre un vendeur antérieur, puis retenu que l’article 131 du code italien de la consommation permettait au vendeur final reconnu responsable vis-à-vis du consommateur en raison d’un défaut de conformité d’exercer un recours contre tout sujet responsable faisant partie de la même chaîne distributive que lui, la cour d’appel a, par là même, effectué la recherche prétendument omise » (pt 9).

Sur le second point, en revanche, les hauts magistrats censurent la décision des juges poitevins au visa de l’article 39 de la CVIM : ils rappellent tout d’abord que, « selon ce texte, l’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au plus tard dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises » (pt 12) et ils en déduisent ensuite qu’en écartant ces dispositions « la cour d’appel a violé, par refus d’application, le texte susvisé » (pt 14). L’action récursoire du vendeur final à l’encontre de son fournisseur est donc soumise aux dispositions de la Convention de Vienne, tel est l’enseignement majeur de l’arrêt sous commentaire. Dès lors que cette Convention avait vocation à s’appliquer, la sanction de la déchéance du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité au bout de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises ont été effectivement remises, aussi drastique soit-elle, était encourue, dans la mesure où la livraison des carrelages litigieux était intervenue le 18 avril 2003 et que le vendeur final avait dénoncé le prétendu défaut de conformité auprès de son fournisseur le 1er mars 2006.

Là encore, le raisonnement ayant conduit à cette solution mérite l’approbation : il est certes traditionnellement admis que l’action récursoire du vendeur final est fondée sur la subrogation, désormais régie, en France, par les articles 1346 et suivants du code civil (v. en ce sens A.-S. Choné-Grimaldi, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 551.62 ; N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, op. cit., n° 1028). Mais celle-ci, aux termes de l’alinéa 1er de l’article 1346-4 du code civil, « transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier » (sur les limites de cet effet translatif, v. P. Delebecque, « Les limites de la subrogation personnelle », in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre, LGDJ, 2019, p. 361). Or on peut considérer que les droits découlant de la qualité de consommateur sont exclusivement attachés à la personne du créancier. Il est donc logique que la CVIM retrouve son empire dans le cadre de l’action récursoire du vendeur final à l’encontre de son fournisseur.

Auteur d'origine: jdpellier

Profitant lâchement des vacances judiciaires, la rédaction de Dalloz actualité s’éclipse quelques jours pour souffler un peu.

Mais promis, vous n’aurez pas longtemps à attendre. Retour dès le lundi 1er mars !

Merci de votre fidélité.

Auteur d'origine: Dargent
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Lorsque l’heure n’est plus au redressement de l’entreprise, le débiteur fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Pour mener à bien cette procédure, le liquidateur est tenu de réaliser les éléments composant l’actif du patrimoine du débiteur afin d’en apurer le passif. Le principe s’énonce clairement, mais sa mise en œuvre pratique est plus délicate en raison des nombreuses règles jalonnant la réalisation des actifs en liquidation judiciaire. Parmi elles, nous retrouvons celles s’intéressant à la qualité requise pour acquérir les biens d’une entreprise en difficulté.

Les règles applicables en la matière pourraient se draper dans le manteau de l’injonction : acquéreurs, soyez tiers à l’entreprise ! L’arrêt ici commenté confirme la justesse de ce propos.

En l’espèce, le liquidateur d’une société placée en liquidation judiciaire est autorisé à reprendre une procédure de saisie immobilière engagée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective. L’immeuble saisi a été adjugé à une société tierce, mais les parents du gérant de la société débitrice ont formé une surenchère du dixième. La nullité de cette surenchère est demandée en appel par l’adjudicataire au visa de l’article L. 642-3 du code commerce. Ce texte prohibe la cession des actifs d’une société débitrice au bénéfice de ses dirigeants ou de ses proches parents et alliés. La cour d’appel fait droit à cette demande et les parents du gérant de la société débitrice forment un pourvoi en cassation. Las, ces derniers n’auront pas plus de chance devant la haute juridiction et le pourvoi est rejeté.

Pour la Cour de cassation, l’interdiction de la cession des actifs, par quelque voie que ce soit, aux proches du débiteur est applicable, en l’espèce, aux parents du gérant de la personne morale débitrice lorsqu’ils forment une surenchère dans le cadre de la vente aux enchères publiques des biens de la société en liquidation judiciaire.

Les règles gouvernant la matière concernent tous les modes de réalisation de l’actif. Ainsi, l’interdiction pour les proches parents et alliés du dirigeant d’une société débitrice d’acquérir un bien appartenant à la personne morale s’applique non seulement dans le cadre de la cession totale ou partielle de l’entreprise (C. com., art. L. 642-3), mais également, comme en l’espèce, à la cession d’actifs isolés (C. com., art. L. 642-20).

Reste que ces interdictions ne sont pas absolues, et ce, pour au moins deux raisons (nous ne mentionnerons pas les dispositions relatives aux exploitations agricoles).

D’une part, en matière de plan de cession et sur requête du ministère public, le tribunal peut autoriser, par un jugement spécialement motivé et après avoir recueilli l’avis des contrôleurs, la cession de l’entreprise à une personne pourtant visée par l’interdiction à l’exception des contrôleurs (C. com. art. L. 642-3, al. 2).

D’autre part, en matière de réalisation des actifs isolés, sur requête du ministère public, le juge-commissaire peut autoriser la cession aux dirigeants de la personne morale débitrice ou aux proches parents et alliés, à l’exception des contrôleurs et du débiteur lui-même. En outre, spécialement en matière de cession d’actifs mobiliers, le juge-commissaire peut être saisi par le ministère public, le liquidateur ou le débiteur (C. com., art. R. 642-39) aux fins d’accorder la même dérogation pour les actifs de faible valeur nécessaires aux besoins de la vie courante et/ou faisant partie d’une exploitation agricole, ainsi que pour la vente aux enchères publiques ou par adjudication amiable des autres actifs mobiliers (C. com., art. L. 642-20, al. 2).

Pour être complet, relevons que, de façon exceptionnelle, l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises dans le contexte de la crise de la covid-19 permettait au débiteur ou à l’administrateur judiciaire de présenter directement une requête au tribunal afin de permettre le dépôt d’une offre de reprise. Après avoir été décriée (peut-être, à tort : C. Delattre, Cession d’entreprise à l’ancien dirigeant : beaucoup de bruit pour rien ?, BJE nov. 2020, n° 118e8, p. 1) y compris par la presse économique (M. Kindermans et Y. Duvert, Entreprises en difficulté : le rachat par les dirigeants crée des remous, Les Échos, 22 sept. 2020), la mesure n’a pas été prolongée par l’ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 et a pris fin le 31 décembre 2020.

Au sein de l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation applique à la cession d’actif par voie d’adjudication le principe de l’interdiction d’acquérir les biens de la société débitrice par les proches du débiteur. Au regard des règles rappelées ci-dessus, la solution paraît classique. Pourtant, elle est pour la première fois, à notre connaissance, affirmée par la Cour de cassation s’agissant d’une surenchère formée dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière. Cette solution se justifie, mais prête le flanc à la critique.

L’application logique du principe de l’interdiction d’acquérir

L’article L. 642-20 du code de commerce rend applicable aux cessions d’actifs isolés le principe de l’interdiction pour les proches du dirigeant d’acquérir les biens de la société débitrice. Plus précisément, ledit texte renvoie notamment aux dispositions de l’article L. 642-18 du même code qui accueille en son sein les différentes modalités de réalisation des actifs immobiliers en liquidation judiciaire : saisie immobilière, vente par adjudication amiable ou cession de gré à gré.

S’agissant, comme en l’espèce, d’une vente par adjudication à la suite d’une procédure de saisie immobilière, la question de l’articulation des règles du code de commerce et de celles du code des procédures civiles d’exécution (CPCE) se pose.

Au vrai, un examen rapide des deux corps de règles peut laisser songeur quant à la justesse de la solution fournie par l’arrêt commenté. En effet, le CPCE prévoit que toute personne peut se porter enchérisseur, à l’exception du débiteur, des auxiliaires de justice intervenus dans la procédure et des magistrats de la juridiction devant laquelle la vente est poursuivie (CPCE, art. L. 322-7 et R. 322-39). Or, puisque les proches du débiteur ne font pas partie des personnes privées du droit d’enchérir, il pourrait être déduit que l’interdiction du code de commerce devrait céder là où le CPCE ne distingue pas.

Las, une telle interprétation omet la lettre du premier alinéa de l’article L. 642-18 du code de commerce, lequel renvoie aux dispositions précitées du CPCE, sous la réserve importante que « ces dispositions ne soient pas contraires à celles du code de commerce ».

Dès lors, les règles du droit des entreprises en difficulté l’emportent sur celles du CPCE. Aussi, quelle que soit la modalité de réalisation de l’actif choisie, le candidat acquéreur présente une offre d’acquisition. Ainsi doit-il justifier d’une certaine qualité : être un tiers à la société débitrice.

Au regard des textes, la solution fournie par l’arrêt commenté semble donc tout à fait logique.

Au demeurant, cette solution peut être rapprochée d’une décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation ayant retenu la violation de l’interdiction posée à l’article L. 642-3 du code de commerce dans une hypothèse où la participation des dirigeants de la société débitrice à l’opération d’acquisition des actifs n’apparaissait pas clairement. En l’espèce, la participation des dirigeants à l’adjudication des actifs avait été masquée par l’interposition d’une personne morale (Com. 8 mars 2017, n° 15-22.987, Bull. civ. IV, n° 35 ; Dalloz actualité, 22 mars 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 566 ; Rev. sociétés 2017. 386, obs. P. Roussel Galle ).

Reste que, si, du point de vue des textes, la solution rapportée nous paraît tout à fait logique, à y regarder de plus près, elle n’est pourtant pas frappée au coin de l’évidence et nécessiterait, peut être, une intervention législative pour pallier ses défauts.

L’application discutable du principe de l’interdiction d’acquérir

Dans le cadre d’un plan de cession totale ou partielle de l’entreprise, le principe d’externalité des offres de reprise est tout à fait compréhensible. Lorsqu’un plan de cession est adopté, ce dernier l’est au détriment du règlement des créanciers, mais cette atteinte est compensée par la promesse de sauvegarde de l’activité et de l’emploi incarnée en la personne du repreneur. C’est dans ce contexte que les interdictions d’acquérir du code de commerce se justifient. Puisque le débiteur personne physique ou les dirigeants de la société cédée n’ont pas été à même de garantir la pérennité de l’entreprise, il faut donc s’assurer qu’ils ne puissent plus exercer d’influence sur celle-ci. En somme, l’objectif de ces interdictions est de moraliser les reprises d’entreprise en privant le débiteur, directement ou par personne interposée, de recueillir l’actif de l’entreprise sans en supporter le passif.

Las, nous peinons à retrouver les mêmes logiques lorsque les interdictions d’acquérir pour les proches du débiteur concernent sans distinction toutes les modalités de cession des actifs isolés.

D’une façon générale, il ne s’agit pas ici d’éviter qu’un proche du débiteur poursuive l’exploitation de l’entreprise en étant déchargé du passif. Au contraire, il faut « simplement » s’assurer, dans cette hypothèse, que l’actif ne soit pas bradé pour que sa réalisation puisse satisfaire l’intérêt collectif des créanciers.

Or, si le principe de l’interdiction d’acquérir pour les proches du débiteur peut se comprendre dans le cadre d’une cession de gré à gré, celui-ci est moins évident, voire contre-productif, lorsque la vente a lieu aux enchères publiques (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e éd., LGDJ, 2015, n° 1213 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz Action, 2019-2020, n° 561.142).

D’abord, le principe de l’interdiction d’acquérir pour les proches du débiteur est moins évident à comprendre lorsque la réalisation de l’actif se passe par une vente aux enchères publiques. Contrairement à une cession de gré à gré, la question du favoritisme de tel ou tel acquéreur n’a pas lieu d’être posée dans le cadre d’une vente aux enchères, puisque, par essence, le mieux-disant l’emportera.

Ensuite, le principe de l’interdiction d’acquérir pour les proches du débiteur dans le cadre d’une adjudication peut se révéler contre-productif dans la mesure où l’exclusion des personnes, par hypothèse, les plus intéressées par l’actif du débiteur priverait les créanciers de la chance d’obtenir le prix de réalisation de l’actif le plus élevé.

Enfin, selon le professeur Pérochon, il est possible de se demander si la généralité de l’article L. 642-20 du code de commerce ne porterait pas atteinte à la liberté de disposition des destinataires de l’interdiction et à la propriété du débiteur et de ses créanciers en raison de l’incidence sur le produit de la vente d’un plus petit nombre d’enchérisseurs (F. Pérochon, À propos de la réforme de la liquidation judiciaire par l’ordonnance du 18 décembre 2008, Gaz. Pal., 10 mars 2009, p. 3). Nous souscrivons volontiers à cette critique, mais la Cour de cassation, lors de l’examen de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) contestant la constitutionnalité de l’article L. 642-3 du code de commerce, a jugé que les interdictions visées au texte ne portaient pas une atteinte disproportionnée aux principes d’égalité, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle (Com., QPC, 23 sept. 2014, n° 13-19.713, Dalloz actualité, 1er oct. 2014, note A. Lienhard ; D. 2014. 1935, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2014. 750, obs. P. Roussel Galle ; 7 juill. 2016, n° 14-50.066).

Quoi qu’il en soit, discuter de la rationalité des interdictions d’acquérir dans le cadre particulier d’une vente aux enchères publiques nous paraît important, notamment car, dans un contexte économique dégradé, la situation rapportée par l’arrêt sous commentaire risque de se représenter. Or il nous semble qu’en temps de crise, toutes mesures facilitant la réalisation de l’actif sont bonnes à prendre. Évitons que les créanciers d’aujourd’hui soient les débiteurs en liquidation judiciaire de demain !

Dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 642-20 du code de commerce devraient être modifiées afin que soit assouplie la procédure permettant de déroger aux interdictions de l’article L. 642-3 du même code en matière de vente des immeubles par adjudication.

Une piste possible serait de conférer la possibilité au débiteur et au liquidateur de saisir le juge-commissaire afin qu’il accorde la dérogation à l’interdiction d’acquérir lorsqu’est en cause l’adjudication d’un immeuble. En l’état des textes et en matière de cession d’actif immobilier, seul le ministère public peut présenter une telle demande. Au demeurant, la proposition consisterait « à copier » le régime applicable en matière de cession d’actif mobilier de faible valeur et de vente aux enchères publique ou par adjudication amiable des autres actifs mobiliers (C. com., art. L. 642-20, al. 2). Certes, le système proposé pourrait se voir reprocher le risque d’abus ou de détournement du dispositif. Selon nous, ce risque pourrait être atténué par l’exigence de recueillir l’avis du ministère public avant que ne soit levée l’interdiction.

Affaire à suivre… espérons-le !

Auteur d'origine: bferrari

Un dispositif expérimental d’une durée de trois ans présenté à l’article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a créé la possibilité pour les administrations fiscale et douanière d’utiliser les données rendues publiques par les contribuables sur les réseaux sociaux pour détecter une série de comportements frauduleux énumérée par la loi.

Un décret d’application du 11 février fixe les modalités de mise en œuvre des traitements informatisés et automatisés permettant...

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Auteur d'origine: Thill

Le projet de règlement « e-privacy » était immobilisé depuis trois ans en raison des divergences des États membres. Mercredi dernier, les vingt-sept représentants des États membres se sont finalement accordés sur un mandat de négociation en vue de la révision des règles en matière de protection de la vie privée et de la confidentialité dans l’utilisation des services de communications électroniques.

Qu’est-ce que le règlement « e-privacy » ?

Présenté en 2017 par la Commission européenne, le projet de règlement « e-privacy » établit les règles relatives à la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques et morales en ce qui concerne la fourniture et l’utilisation de services de communications électroniques, pour les utilisateurs finaux qui se trouvent dans l’Union européenne.

Ce règlement participe de la mise à jour de la directive 2002/58/CE « vie privée et communications électroniques » de 2002, qui permet de tenir compte des nouveaux acteurs du marché mais également des évolutions technologiques et commerciales survenues depuis une vingtaine d’années (messageries instantanées, utilisation de la voix, …).

Quel est l’objet du règlement européen « e-privacy » ?

Le projet de règlement répond à quatre objectifs principaux (art. 1er du projet) à savoir :

Protéger les droits et libertés des personnes physiques en ce qui concerne la fourniture et l’utilisation de services de communications électroniques et en particulier le droit au respect de la vie privée et des communications et la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel ;Protéger les droits et libertés des personnes morales en ce qui concerne la fourniture et l’utilisation de services de communications électroniques, en particulier le droit au respect des communications ;Garantir la libre circulation des données de communications électroniques et des services de communications électroniques au sein de l’Union européenne, lorsqu’elle n’est ni limitée ni interdite pour des motifs liés au respect de la vie privée et des communications des personnes physiques et morales et à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et la protection des communications des personnes morales ;Préciser et compléter le règlement général sur la protection des données ou RGPD. Le règlement « e-privacy » constitue une lex specialis par rapport au RGPD.

NDLR : le règlement e-privacy dérogera au règlement général sur la protection des données 2016/679 du 27 avril 2016 (de portée générale), dans l’hypothèse où des dispositions contraires y contreviendraient conformément à l’adage « le spécial déroge au général ».

Il est prévu que le règlement « e-privacy » s’applique « au contenu de communications électroniques transmis au moyen de services et de réseaux accessibles au public, aux métadonnées liées à la communication » ainsi qu’aux données « de machine à machine ».

NDLR : la communication « machine to machine » utilise les technologies de l’information et de la communication pour permettre à des objets intelligents de communiquer sans intervention humaine. Par exemple, deux smartphones peuvent interagir via le réseau Bluetooth sans intervention de l’homme.

Le futur règlement « e-privacy » doit également harmoniser les règles applicables à l’utilisation des cookies avec le RGPD. Le projet transmis au Parlement européen prévoit ainsi que l’utilisateur final pourra donner son consentement via un système de « liste blanche ».

Et après ?

Le texte est en mesure d’être débattu devant le Parlement européen et par le Conseil européen qui détermineront les détails de ce texte ultérieurement.

Dans un contexte d’évolution des règles en matière de cookies, suite à la publication par la CNIL de lignes directrices et d’une recommandation qui devront être appliquées à compter du 31 mars 2021, il est particulièrement intéressant de suivre les étapes d’élaboration de ce texte.

 

Éditions Législatives, édition du 15 février 2021

Auteur d'origine: Thill
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Cet arrêt de cassation a beau avoir été rendu à propos d’une société d’avocats, la solution – de principe – qu’il pose intéresse l’ensemble des sociétés, quels que soient leur domaine d’activité et leur forme. Les faits méritent d’être rappelés. Un avocat associé au sein de la société d’avocats était en arrêt maladie depuis le 6 février 2013, lorsque, le 29 août, il a informé celle-ci de son intention de quitter le cabinet. Puis lui a adressé, le 1er octobre 2013, sa démission à effet au 31 décembre suivant. Une assemblée générale extraordinaire a alors été convoquée au titre de cette démission sur laquelle elle n’a pas statué. Puis, par délibération du 25 novembre 2013, la société d’avocats a prononcé l’exclusion de son associé démissionnaire, en application de l’article 11 des statuts, au titre d’une incapacité d’exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d’une période totale de douze mois. Il faut avoir à l’esprit que la démission d’un avocat associé de la société dont il est membre ne lui retire pas la qualité d’associé. D’où le prononcé de son exclusion par l’assemblée générale.

L’avocat a d’abord saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris d’une demande d’arbitrage portant sur des rappels de rétrocession d’honoraires depuis 2008 et l’octroi de dommages-intérêts. Nous ne savons rien du sort de sa demande concernant les honoraires, en revanche, ce qui est certain est que sa demande d’indemnisation – à hauteur tout de même de 700 000 € – est rejetée, faute de preuve. La Cour de cassation, se réfugiant derrière le pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond, considère que « la réalité d’un comportement fautif des dirigeants de la société d’avocats, à l’origine du syndrome d’épuisement professionnel dont [l’avocat] avait été victime en février 2013, n’était pas démontrée ». Cela n’appelle guère de commentaire.

C’est davantage la réponse à la seconde question posée à la Cour de cassation – via le premier moyen du pourvoi – qui mérite l’attention. La cour d’appel de Paris a rejeté la demande de l’avocat en annulation de la résolution n° 1 votée par l’assemblée générale le 25 novembre 2013 ayant prononcé son exclusion de la société d’avocats. Or, pour la Cour de cassation, qui censure l’arrêt d’appel, « il résulte [de l’article 1844-10, alinéa 3, du code civil] que la décision prise abusivement par une assemblée générale d’exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l’annulation ». La cour d’appel avait pour sa part considéré que, si cette délibération était abusive, cela ne justifiait pas son annulation, tout au plus l’allocation de dommages-intérêts si le demandeur parvenait à démontrer que cette exclusion lui avait causé un préjudice. Un tel préjudice paraît au passage évident ; il s’analyse au minimum en la perte de chance de percevoir des dividendes.

Rappelons que l’article 1844-10 du code civil « constitue la pièce centrale de la théorie des nullités des sociétés » (A. Lienhard, obs. ss art. préc., C. sociétés., Dalloz 2021, p. 137). Selon le troisième alinéa de cet article, dans sa rédaction antérieure à la loi PACTE du 22 mai 2019 (mais la solution serait de toute façon inchangée si cette loi avait été applicable à l’époque des faits) : « La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre ou de l’une des causes de nullité des contrats en général ».

La Cour de cassation considère que la cour d’appel de Paris a violé les articles 1832, 1833 et 1844-10, alinéa 3, du code civil. On a peine à comprendre le visa des deux premiers articles. Faut-il considérer qu’il y a eu abus de majorité, que l’on rattache habituellement à l’article 1833 du code civil, et qui, il est vrai, est sanctionné par la nullité de la délibération litigieuse (v. en part. Com. 6 juin 1990, n° 88-19.420 P, D. 1992. 56 , note J.-Y. Choley-Combe ; Rev. sociétés 1990. 606, note Y. Chartier ; RTD com. 1990. 592, obs. Y. Reinhard ; BJS 1990. 782, note P. Le Cannu ; Com. 1er juill. 2003, n° 99-19.328, Rev. sociétés 2004. 337, note B. Lecourt ) ? Manquement à l’affectio societatis (pour expliquer le visa de l’art. 1832) ? À l’intérêt commun des associés ? Peu importe, à la vérité : pour la Cour de cassation, il était simplement nécessaire, pour prononcer la nullité, de pouvoir rattacher le manquement à la violation d’une « disposition impérative du présent titre ».

Il est enfin permis de se demander s’il n’était pas plus pertinent, pour la Cour de cassation, de retenir le visa de l’article 1134 (devenu 1103) du code civil relatif à la force obligatoire des contrats. Appliqué au droit des sociétés, ce texte postule le droit intangible de tout associé de demeurer au sein de la société (v. en ce sens Com. 4 déc. 2019, n° 17-31.094, à propos de l’exclusion du membre d’une association, D. 2019. 2418 ; ibid. 2020. 2033, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; JA 2020, n° 612, p. 3, édito. B. Clavagnier ; ibid., n° 612, p. 10, obs. X. Delpech ; ibid., n° 615, p. 34, étude P. Viudès ; Rev. sociétés 2020. 304, note M. Rakotovahiny ). Il veut également dire que, sauf si les statuts le prévoient et hormis le cas où la loi l’envisage (par ex. l’hypothèse du retrait obligatoire dans les sociétés cotées ; v. C. mon. fin., art. L. 433-4, II, 1, et RG AMF, art. 237-1), il n’est pas possible d’exclure un associé de la société dont il est membre. En réalité, c’est à dessein. La haute juridiction paraît même tourner le dos de manière délibérée à cette solution et concevoir que, même dans le silence de la loi ou des statuts, l’assemblée générale a la faculté d’exclure un associé, dès lors que sa décision n’est pas entachée d’abus. Reste à savoir ce qu’il faut entendre par abus dans la décision prise par une assemblée générale. Cela est d’autant plus difficile que les faits de l’espèce ne nous fournissent aucune indication. Cela pourrait être, par exemple, on l’imagine, le défaut de respect du contradictoire ou encore le bref délai entre la date de la convocation et celle de la tenue de l’assemblée générale qui s’est prononcée sur l’exclusion de l’associé.

Auteur d'origine: Delpech
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La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (la « loi Vigilance ») oblige notamment les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés (en leur sein et dans leurs filiales en France) ou 10 000 salariés (en leur sein et dans leurs filiales en France et à l’étranger) à publier un plan de vigilance destiné à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement, pouvant résulter de ses activités et de celles des sociétés qu’elle contrôle et de ses sous-traitants ou fournisseurs habituels. Toutes les sociétés par actions sont concernées (SA, SAS et SCA) dès lors qu’elles franchissent les seuils en nombre de salariés en fonction de la localisation des filiales de la société mère. Les risques à prendre en considération, dans le cadre de l’élaboration du plan de vigilance, sont ceux des activités de la société mère et des sociétés qu’elle contrôle, d’une part, et ceux liés aux activités de ces sociétés avec des sous-traitants ou des fournisseurs, d’autre part.

Compte tenu du caractère récent de la loi Vigilance, de nombreuses interrogations subsistent, qu’elles soient processuelles ou qu’elles portent sur le fond du devoir de vigilance (le périmètre des entreprises concernées, les mécanismes de sanction judiciaire prévus, la compétence d’attribution, la compétence territoriale et la loi applicable au litige, l’intérêt à agir, l’appréciation des manquements allégués au devoir de vigilance, etc., feront nécessairement l’objet d’âpres discussions devant les juridictions ; v. P. Métais et E. Valette, Stratégie contentieuse et devoir de vigilance, D. Avocats 2020. 235 ). Sur la question de la compétence d’attribution, si la Cour d’appel de Versailles a récemment donné une solution en la matière, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Nanterre, à la lumière d’une décision récente consacrant l’option de compétence d’un demandeur non commerçant dès lors que les faits reprochés sont en lien direct avec la gestion d’une société (Com. 18 nov. 2020, n° 19-19.463, D. 2020. 2342 ), pourrait renverser les certitudes.

Acte I : L’affirmation de la compétence du tribunal de commerce

Dans le cadre de l’une des premières actions judiciaires, initiée le 29 octobre 2019 à l’encontre d’un grand groupe français, plusieurs associations et ONG ont assigné en référé devant le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre la société mère d’un grand groupe français, sur le fondement de la loi Vigilance, pour non-respect de ses obligations en matière de vigilance dans le cadre de projets pétroliers menés en Ouganda et en Tanzanie par une de ses filiales et ses sous-traitants. Plus précisément, les requérantes demandaient que cesse « le trouble manifestement illicite résultant de la méconnaissance par la société T… de ses obligations en matière de vigilance » et que lui soit enjoint « d’établir et publier un ensemble de mesures dans son plan de vigilance […] propres à prévenir les risques identifiés dans la cartographie des risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » dans le cadre des projets pétroliers précités.

Le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé, par deux ordonnances en date du 30 janvier 2020 (TJ Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2010, nos 19/02833 et 19/02833, D. 2020. 970 , note N. Cuzacq ), s’était déclaré incompétent et avait renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Nanterre statuant en référé. La Cour d’appel de Versailles, par deux arrêts attendus du 10 décembre 2020 (Versailles, 10 déc. 2020, nos 20/01692 et 20/01693, Dalloz actualité, 11 janv. 2021, note P. Métais et E. Valette) a confirmé cette lecture en considérant qu’« est caractérisée l’existence d’un lien direct entre le plan de vigilance, son établissement et sa mise en œuvre, et la gestion de la société commerciale dans son fonctionnement, critère nécessaire et suffisant pour que la compétence du juge consulaire puisse être retenue ». Les associations et ONG concernées ont d’ores et déjà annoncé qu’elles entendaient former un pourvoi en cassation.

Acte II : L’affirmation d’une option de compétence entre tribunal judiciaire et tribunal de commerce

Dans le cadre d’une autre action judiciaire initiée le 28 janvier 2020 à l’encontre de ce même groupe français, d’autres associations et des collectivités territoriales sollicitaient du Tribunal judiciaire de Nanterre, sur le fondement des articles L. 225-102-4 du code de commerce et 1252 du code civil qu’il enjoigne à la multinationale de mettre son plan de vigilance en conformité avec la loi et d’aligner sa trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre avec l’Accord de Paris.

Par une ordonnance du 11 février 2021 (TJ Nanterre, ord. JME, 11 févr. 2021, n° 20/00915), le juge de la mise en état près le Tribunal judiciaire de Versailles a rejeté l’exception d’incompétence matérielle dont il était saisi considérant que « la plénitude de juridiction du tribunal judiciaire combinée à l’absence de prévision d’une compétence exclusive du tribunal de commerce ainsi que l’engagement direct de la responsabilité sociale de la SE T… très au-delà du lien effectivement direct avec sa gestion prise en lien avec la qualité de non-commerçant des demanderesses fondent à leur bénéfice un droit d’option, qu’elles exercent à leur convenance, entre le tribunal judiciaire, qu’elles ont valablement saisi, et le tribunal de commerce ».

Selon le juge de la mise en état versaillais, si « l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance sont en lien direct avec la gestion de la SE T…, critère qui fonde la compétence du tribunal de commerce », pour autant « ce constat ne commande pas à lui seul l’incompétence du tribunal judiciaire, la loi ne précisant pas que la compétence définie par l’article L. 721-3 du code de commerce, en particulier en 2°, soit exclusive […] ».

Et le juge de la mise en état de poursuivre son raisonnement en se référant à l’arrêt Uber rendu par la Cour de cassation le 18 novembre 2020 (préc.) aux termes duquel la chambre commerciale a considéré que, « si la compétence des juridictions consulaires peut être retenue lorsque les défendeurs sont des personnes qui n’ont ni la qualité de commerçant ni celle de dirigeant de droit d’une société commerciale dès lors que les faits qui leur sont reprochés sont en lien direct avec la gestion de cette société, […] toutefois, lorsque le demandeur est un non-commerçant, il dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce et qu’ayant constaté que les demandeurs n’avaient pas la qualité de commerçant, il en déduit qu’ils disposaient d’une option de compétence leur permettant de saisir valablement le juge civil d’une action en concurrence déloyale dirigée contre une société commerciale et deux de ses salariés ».

Le juge de la mise en état applique cette solution aux faits de l’espèce et retient un droit d’option de compétence au profit des demanderesses.

Un appel à l’encontre de cette ordonnance est d’ores et déjà annoncé, de sorte qu’une nouvelle décision de la Cour d’appel de Versailles est attendue.

Il sera observé que ces deux séries de décisions ont toutes été rendues dans le cadre d’actions préventives en cessation de l’illicite, sur le fondement de l’article L. 225-102-4, II, du code de commerce. Une telle action qui peut être mise en œuvre dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure de se conformer aux obligations de vigilance adressée à l’entreprise visée et qui tend à voir enjoindre à cette dernière, le cas échéant sous astreinte, de les respecter. Ce premier mécanisme judiciaire intervient donc avant l’intervention d’un quelconque dommage.

La loi Vigilance instaure également un second mécanisme, lequel intervient une fois le dommage survenu : l’action en responsabilité, sur le fondement de l’article L. 225-102-5 du code de commerce, qui suppose la démonstration d’une faute (manquement au devoir de vigilance), d’un dommage (conséquence d’« atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ») et d’un lien de causalité entre le non-respect du devoir de vigilance et la survenance du dommage.

En la matière, la Cour d’appel de Versailles, dans ses deux arrêts du 10 décembre 2020 (préc.), relevait « que l’examen du respect de l’obligation d’établissement et de mise en œuvre du plan de vigilance par une société commerciale, qui peut faire l’objet d’une injonction en application du texte litigieux, n’est pas celui de ses manquements éventuels qui ne pourraient être reprochés et appréciés que sur le fondement de la responsabilité de l’entreprise à laquelle se consacre l’article L. 225-102-5, grâce à une action en réparation dont la cour n’est pas saisie. La compétence pour juger chacune de ces deux actions qui répondent à leur propre logique et reposent sur des fondements juridiques distincts, l’une tendant à obtenir une injonction de faire, l’autre tendant à obtenir réparation, peut donc être différente ».

Au-delà de la question de compétence

Au-delà de la question de la juridiction compétente pour connaître des actions préventives et en responsabilité, « tous les recours devront être suivis de près pour en analyser la portée » (rapport du Conseil général de l’économie, évaluation de la mise en œuvre de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères des entreprises donneuses d’ordre, janv. 2020).

En tout état de cause, les enjeux induits par la loi Vigilance – mais également l’obligation de procéder à une déclaration de performance extrafinancière ou encore les préoccupations sociétales et environnementales que la loi Pacte a fait entrer dans le droit des sociétés – se révèlent être à la fois un nouvel outil de communication pour les entreprises et une nouvelle source de responsabilité des acteurs sociaux.

Le législateur européen pourrait par ailleurs donner naissance à une réglementation contraignante sur le devoir de vigilance des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants en matière de droits humains et d’environnement (cette annonce a eu lieu lors d’une conférence en ligne organisée par le groupe de travail du Parlement européen sur la responsabilité des entreprises) d’ici 2021. Le projet d’initiative législative, adopté le 27 janvier 2021, appelle la Commission à présenter de façon urgente une législation européenne exigeant que les entreprises respectent les normes en matière de droits de l’homme et d’environnement dans leurs chaînes de valeur. Le Parlement européen doit se prononcer sur ce sujet lors de la session plénière prévue le 8 mars 2021.

Auteur d'origine: Dargent

par Cédric Hélainele 17 février 2021

Civ. 1re, 3 févr. 2021, F-P, n° 19-21.046

On connaît la distinction classique de droit des contrats spéciaux entre la délivrance et la livraison ; la première caractérisée par le dessaisissement et la mise à disposition, la seconde par la remise effective de la chose entre les mains de l’acquéreur (P. le Tourneau [sous la dir. de], Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021, n° 336.61). En droit de la vente à distance, la livraison s’entend de la prise de possession physique de l’objet vendu sur le fondement de l’article L. 216-1 du code de la consommation. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation viennent utilement mettre en lumière ces quelques rappels. Après avoir commandé plusieurs biens en ligne auprès d’une société de broderie, un consommateur est étonné de ne pas recevoir le colis contenant ses nouvelles acquisitions. Il assigne devant le tribunal d’instance de Villeurbanne le vendeur en paiement de dommages-intérêts pour ne pas avoir reçu le colis comme convenu. Le juge de première instance décide que « La Poste lui a offert une indemnisation forfaitaire de 16 €, admettant ainsi implicitement une défaillance de ses services dont le vendeur n’est pas responsable, et que l’acheteur ne rapporte pas la preuve d’un manquement de celui-ci à...

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Le Contrôleur européen de la protection des données a publié deux avis (disponibles en anglais) :

Le Contrôleur accueille favorablement la proposition de règlement sur les services numériques qui vise à promouvoir un environnement en ligne transparent et sûr. Il recommande des mesures supplémentaires pour mieux...

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Cette Charte s’adresse :

aux responsables de traitement ou leurs sous-traitants et aux associations professionnelles qui les représentent ;aux fournisseurs de solutions techniques, technologiques ou méthodologiques, dont les produits sont utilisés pour traiter...

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Auteur d'origine: Thill
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Un entrepreneur principal victime de non-conformités et d’exécutions tardives du sous-traitant auquel il avait confié des travaux l’assigne en vue d’obtenir réparation de son préjudice. En défense, le sous-traitant sollicite le paiement de factures impayées (environ 21 000 € sur 85 000). Les juges du fond ont fait droit à cette demande en condamnant l’entrepreneur au paiement des sommes restant dues pour les travaux exécutés et en prononçant la nullité du contrat de sous-traitance.

La question soumise à la Cour de cassation portait sur l’obligation pour l’entrepreneur de fournir une caution au sous-traitant en application des dispositions de l’article 14, alinéa 1er, de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance imposant que « les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur d’un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret (…) ». Si d’évidence le défaut de cautionnement constitue un manquement de l’entrepreneur à ses obligations, d’autres situations en pratique ont interrogé, notamment lorsque le cautionnement était produit après la conclusion du contrat. La jurisprudence, appliquant rigoureusement la loi de 1975, avait alors établi dès les années 1990 que la caution devait être présentée dès la conclusion du contrat (v. l’arrêt de principe, Civ. 3e, 30 mars 1994, n° 92-16.535, Bull. civ. III, n° 71), de sorte qu’à défaut, la nullité du sous-traité était prononcée. Cette position prétorienne demeurée constante (Civ. 3e, 17 juill. 1996, n° 94-15.035, Bull. civ. III, n° 192 ; 7 févr. 2001, n° 98-19.937, Bull. civ. III, n° 15 ; RDI 2001. 163, obs. B. Boubli ; 25 mai 2011, n° 09-17.137, Bull. civ. III, n° 84 ; 5 mai 2011, n° 09-17.137, RDI 2011. 619, obs. H. Périnet-Marquet ) a conduit la pratique à instaurer des aménagements.

L’affaire soumise en propose une illustration : le contrat de sous-traitance était assorti d’une condition suspensive d’obtention d’un cautionnement au profit du sous-traitant. En l’espèce, la condition s’était réalisée environ un mois et demi après la signature du sous-traité. La Cour de cassation vient par le présent arrêt sanctionner le contrat litigieux par la nullité, pour fourniture d’un cautionnement postérieure à la conclusion du sous-traité, jugeant qu’il résulte de l’article 14 de la loi de 1975 « que l’entrepreneur principal doit fournir la caution avant la conclusion du sous-traité et, si le commencement d’exécution des travaux lui est antérieur, avant celui-ci ».

L’établissement du cautionnement bancaire postérieurement à la conclusion du sous-traité commande la sanction par la nullité du contrat, l’article 14 de la loi de 1975 étant d’ordre public. Plus largement, rappelons que la jurisprudence est déjà venue préciser le caractère relatif de la nullité, puisqu’elle vise la protection exclusive du sous-traitant (Com. 19 mai 1980, n° 79-10.716, Bull. civ. IV, n° 203) et l’application de la prescription de cinq ans à l’exercice de l’action, à compter de la conclusion du contrat de sous-traitance (Civ. 3e, 11 oct. 1989, Bull. civ. III, n° 189 ; 20 févr. 2002, n° 00-17.406, Bull. civ. III, n° 43 ; D. 2002. 1347 , obs. E. Chevrier ; RDI 2003. 64, obs. H. Périnet-Marquet ).

Par ailleurs, la Cour de cassation précise en l’espèce qu’il importe peu que le cautionnement ait été produit avant l’exécution des travaux, dès lors qu’il est postérieur à l’établissement du contrat : seule une caution antérieure à l’exécution des travaux lorsqu’ils commencent avant la formation du contrat pourrait être recevable. Cela est évidemment une hypothèse rare en pratique. 

Intérêt général de protection du sous-traitant

La décision soumise rappelle que l’obligation de l’entrepreneur « trouve sa justification dans l’intérêt général de protection du sous-traitant ». Où l’on retrouve l’objectif assigné au législateur en 1975 - qui a su mobiliser les mécanismes requis afin de garantir la protection du sous-traitant -, sans cesse poursuivi par la Cour de cassation (pour un rappel exprès à l’égard du cautionnement : Civ. 3e, 10 juin 2014 - QPC, non lieu à renvoi - n° 14-40.020, Bull. civ. III, n° 79). En sanctionnant le défaut de cautionnement par la nullité, le législateur fait de l’établissement d’une caution une condition de validité du contrat de sous-traitance. Partant, un aménagement contractuel en condition suspensive de son obtention ne peut être valable ; la nullité du sous-traité était donc en l’espèce inéluctable. L’article 15 de la loi 1975 apparaît d’ailleurs redondant à cet endroit : « sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ».

Outre l’inefficacité de l’établissement du cautionnement postérieurement au sous-traité, le fait que le contrat ait reçu exécution et que le paiement ait eu lieu ne remet pas en cause l’application de la nullité (Civ. 3e, 12 mars 1997, n° 95-15.522, Bull. civ. III, n° 55 ; 18 juill. 2001, n° 00-16.380, RDI 2002. 56, obs. H. Périnet-Marquet ; Com. 12 juill. 2005, n° 02-16.048, Bull. civ. IV, n° 164). Dans ce prolongement, le sous-traitant pourra obtenir le paiement des travaux réalisés et non intégralement payés, comme ce fut le cas dans la présente affaire. Il en résulte que l’exécution du contrat de sous-traitance n’emporte pas renonciation tacite du sous-traitant à se prévaloir de la nullité. En cela, la jurisprudence ne s’inscrit pas dans l’apport de la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1182, al. 3). La question qui demeure est alors celle de savoir s’il peut y avoir confirmation « expresse » de l’acte nul par le sous-traitant. La réponse, apportée au prisme de la loi de 1975, pourrait être positive si l’on se réfère à l’obligation de contrôle par le maître d’ouvrage, de la délivrance du cautionnement par l’entrepreneur, imposée par l’article 14-1. En effet, l’obligation du maître d’ouvrage n’aurait pas de raison d’être s’il n’était pas possible de régulariser l’acte non valable. Toutefois, une alternative demeure à cet endroit: la régularisation de l’acte pourrait-elle prendre la forme d’une confirmation ou doit-elle consister en l’établissement d’un nouveau sous-traité ? Si, par définition, la nullité relative permet d’envisager la confirmation (C. civ., art. 1181), la seconde branche de l’alternative semble s’inscrire davantage dans la veine de « l’intérêt général de protection du sous-traitant » justifiant l’arrêt du 21 janvier 2021.

Adaptation nécessaire de la pratique

Il reste à souhaiter au plus vite un rayonnement de cette décision dans la pratique. L’on songe en particulier au Guide juridique de la FFB du 11 mai 2020, qui mentionne que la garantie de paiement de l’entrepreneur doit être fournie avant la signature du contrat ou avant l’exécution des travaux si elle est antérieure à la signature mais qui propose aussi, une alternative, en insérant une condition suspensive d’obtention de la garantie (pt 1.5.1). La solution présentée rappelle que ce n’est pas valable.

Par ailleurs, dans une autre mesure, les conditions générales du Contrat type de sous-traitance du BTP de 2018 stipulent que la garantie de l’entrepreneur « est délivrée avant le commencement des travaux » (pt 6-21). Là encore il convient d’adapter les stipulations de ce contrat aux exigences impératives inhérentes à la loi de 1975, rappelées par la décision reproduite. Et ce d’autant plus qu’au-delà de la position judiciaire, si un litige est soumis à une amiable composition, l’arbitre ne saurait passer outre la logique impérative du cautionnement issu de la loi de 1975 (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Dalloz actualité, 14 janv. 2020, obs. V. Chantebout).

Portée juridique

Dans le prolongement de la décision présentée, il convient de s’interroger sur la portée de la réforme du droit des obligations à deux égards.
D’une part, l’entrepreneur pourra-t-il se prévaloir de l’article 1183 du code civil pour obtenir une confirmation du sous-traité via l’exercice d’une action interrogatoire ?
D’autre part, n’y a-t-il pas à craindre que la protection du sous-traitant puisse être malmenée par une nullité conventionnelle (C. civ., art. 1178, al. 1er), dont l’aménagement des effets de la rétroactivité pourrait au pire se solder à la faveur de l’entrepreneur et au mieux déboucher sur un nouveau contentieux ?
Sans doute la Cour de cassation n’a-t-elle pas fini d’être interrogée.

Enfin, bien que la situation du maître d’ouvrage ne soit pas évoquée dans la décision reproduite, rappelons qu’il reste en droit d’engager la responsabilité extracontractuelle du sous-traitant pour les fautes commises lors de l’exécution de ses travaux (Civ. 3e, 14 déc. 2011, n° 10-28.149, Bull. civ. III, n° 213), même si le plus souvent cela reste moins intéressant que de se retourner directement contre l’entrepreneur. S’agissant de ce dernier, outre sa responsabilité qui peut être engagée à l’égard du maître d’ouvrage pour les fautes du sous-traitant, il sera également tenu au paiement du sous-traitant, comme le rappelle l’arrêt, sans que puisse être pris en compte les éventuels retards, malfaçons et non-conformités dont se plaignait en l’occurrence l’entrepreneur principal (Civ. 3e, 5 mars 2020, n° 19-16.407 : « dans le cas où le sous-traité annulé a été exécuté, l’indemnisation du sous-traitant correspond au coût réel des travaux réalisés sans que soit prise en compte la valeur de l’ouvrage » ; 24 mai 2018, n° 16-22.460 ; RDI 2019. 273, obs. H. Perinet-Marquet 13 sept. 2006, n° 05-11.533, Bull. civ. III, n° 175, D. 2006. 2277, obs. X. Delpech, RDI 2007. 420, obs. H. Périnet-Marquet).

Où la question de savoir si l’intérêt général de protection du sous-traitant, constant et transverse, se fait caution de dérives (nombre d’actions en nullité semblent étrangères au but poursuivi par l’article 14 de la loi de 1975, Civ. 3e, 11 oct. 1989, n° 88-11.960, Bull. civ. III, n° 189 ; 14 oct. 1992, n° 90-21.525, Bull. civ. III, n° 273 ; D. 1994. 148 , obs. A. Bénabent ; RDI 1993. 223, obs. P. Malinvaud et B. Boubli  ; 17 juill. 1996, n° 94-15.035, Bull. civ. III, n° 192 ; 12 mars 1997, n° 95-15.522, Bull. civ. III, n° 55) est désormais dénuée d’intérêt.

La Cour de cassation avait d’ailleurs établi à cet égard, au-delà de la finalité poursuivie par le sous-traitant qui sollicite la nullité de son contrat, qu’il ne saurait y avoir abus de droit à exercer son action (Civ. 3e, 21 juin 2018, n° 17-23.909, non publié, RDI 2019. 271, obs. H. Perinet-Marquet ).

L’angle sous lequel s’apprécie la solution de la Cour de cassation est ailleurs : l’entrepreneur principal qui a conclu un marché de travaux à son profit, faisant le choix de recourir à la sous-traitance, doit en supporter la logique tant juridique qu’économique.

Auteur d'origine: Garcia
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par Leila Admile 16 février 2021

Décr. n° 2021-129, 8 févr. 2021, JO 9 févr.

L’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 a institué un fonds de solidarité visant à allouer des aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement frappées par les conséquences économiques, financières et sociales liées à la crise sanitaire. Ces aides sont octroyées sous conditions d’éligibilité et d’attribution, sur la base d’éléments déclaratifs. Le décret d’application n° 2020-371 du 30 mars 2020 a fixé le champ d’application du dispositif, les conditions d’éligibilité et d’attribution des aides, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds.

Ce décret a été modifié à de nombreuses reprises. Il l’est une nouvelle fois par le présent décret n° 2021-129 du 8 février 2021. Les modifications qu’il apporte...

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Auteur d'origine: ladmi
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Dans le cadre d’un crédit immobilier, les établissements bancaires imposent parfois à l’emprunteur de domicilier ses revenus en leur sein (V., J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., 2019, LGDJ, Précis Domat, n° 278, p. 389, relevant que cette pratique n’est « en réalité pas si courante que cela »). Le législateur avait souhaité encadrer cette pratique en adoptant l’ordonnance n° 2017-1090 du 1er juin 2017 relative aux offres de prêt immobilier conditionnées à la domiciliation des salaires ou revenus assimilés de l’emprunteur sur un compte de paiement (prise en application de l’art. 67, II, de la loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 »), complétée par le décret n° 2017-1099 du 14 juin 2017 fixant la durée pendant laquelle le prêteur peut imposer à l’emprunteur la domiciliation de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement (V. à ce sujet, X. Delpech, Encadrement législatif de la clause de domiciliation des revenus en matière de crédit immobilier, AJ Contrat 2017. 304 ; N. Éréséo, Le nouvel encadrement légal des clauses de domiciliation des revenus in Les nouveaux contentieux en matière de crédit immobilier, LPA, n° spécial, 1er juin 2018, n° 110, p. 9 ; V. Perruchot-Triboulet, Clause de domiciliation de revenus dans les contrats de crédit immobilier régis par le code de la consommation, JCP N 2018, 1262 ; S. Piédelièvre, L’ordonnance du 1er juin 2017, les offres de prêt immobilier conditionnées à la domiciliation des salaires ou revenus, JCP N 2017. Act. 628).

Le dispositif issu de ces textes, entré en vigueur le 1er janvier 2018, ayant suscité un certain nombre de critiques (V. le rapport de la présidente du Comité consultatif du secteur financier remis au ministre Bruno Le Maire en janvier 2019), il fut par la suite abrogé par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », et ce, afin d’encourager la mobilité bancaire (V. à ce sujet, J. Lasserre Capdeville, La remise en cause du droit régissant les clauses de domiciliation par la loi Pacte, RD banc. fin., juill. 2019. Étude 10 ; La remise en cause par le projet de loi PACTE de la clause de domiciliation intéressant les contrats de crédit immobilier, JCP E 2019. 323).

Mais entre-temps, le 9 août 2017, l’Association française des usagers des banques (AFUB) avait saisi le Conseil d’État d’une requête tendant à l’annulation, pour excès de pouvoir, du décret n° 2017-1099 précité. L’AFUB soutenait tout d’abord que les textes français méconnaissaient l’objectif de facilitation de la mobilité bancaire poursuivi par les directives 2007/64, 2014/17, 2014/92 et 2015/2366 et ensuite que le décret litigieux méconnaissait ce même objectif en ce qu’il fixait à dix ans la durée maximale pendant laquelle les établissements de crédit peuvent conditionner l’octroi des avantages individualisés aux consommateurs à une telle domiciliation. Par une décision du 5 décembre 2018, le Conseil d’Etat a cependant sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de Justice de l’Union européenne se soit prononcée sur deux questions ayant trait à la conformité de la législation relative à la domiciliation bancaire au droit de l’Union européenne. La juridiction de Luxembourg s’est prononcée dans un arrêt du 15 octobre 2020 (CJUE 15 oct. 2020, aff. C-778/18, AFUB c/ Minefi, D. 2020. 2004 ; RTD com. 2020. 933, obs. D. Legeais ; JCP 2020. 1394, note J. Lasserre Capdeville ; RDC 2021/1, note J.-D. Pellier, à paraître ; Gaz. Pal., 1er déc. 2020, p. 33, obs. S. Piédelièvre), en considérant notamment que « L’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et modifiant les directives 2008/48/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) n° 1093/2010, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise le prêteur à imposer à l’emprunteur lors de la conclusion d’un contrat de crédit relatif aux biens immobiliers à usage résidentiel, en contrepartie d’un avantage individualisé, la domiciliation de l’ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement ouvert auprès de ce prêteur, indépendamment du montant, des échéances et de la durée du prêt », en ajoutant que ce même texte « ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle la durée de domiciliation imposée, lorsque celle-ci ne porte pas sur l’ensemble des revenus salariaux de l’emprunteur, peut atteindre dix ans ou, si elle est inférieure, la durée du contrat de crédit concerné ».

C’est donc le fait d’imposer à un emprunteur la domiciliation de l’ensemble de ses revenus au sein d’un même établissement bancaire qui pose problème. En effet, dès lors que la domiciliation bancaire s’analyse en une vente liée au sens de la directive 2014/17/UE (et non en une vente groupée), elle tombe sous le coup de la prohibition de ce type de vente formulée par l’article 12, paragraphe 1, de cette directive. Certes, le paragraphe 2 de ce texte pose des exceptions à cette prohibition, notamment en permettant aux États membres de prévoir que les prêteurs puissent demander au consommateur, à un membre de sa famille ou à un de ses proches d’« ouvrir ou de tenir un compte de paiement ou d’épargne dont la seule finalité est d’accumuler un capital pour assurer le remboursement du principal et des intérêts du prêt, de mettre en commun des ressources aux fins de l’obtention du crédit ou de fournir au prêteur des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement » (a). Mais il n’était pas certain que tel soit bien le cas de l’ancien article L. 313-25-1 du code de la consommation, dont les deux premiers alinéas prévoyaient que « Le prêteur peut conditionner l’offre de prêt mentionnée à l’article L. 313-24 à la domiciliation par l’emprunteur de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement mentionné à l’article L. 314-1 du code monétaire et financier, sous réserve pour ce prêteur de faire bénéficier en contrepartie l’emprunteur d’un avantage individualisé. Cette condition ne peut être imposée à l’emprunteur au-delà d’une durée maximale fixée par décret en Conseil d’État. Au terme du délai prévu par le contrat de crédit, l’avantage individualisé est acquis à l’emprunteur jusqu’à la fin du prêt » (V. égal., C. consom., anc. art. R. 313-21-1 : « La durée maximale de domiciliation des salaires ou revenus assimilés mentionnée à l’article L. 313-25-1 est fixée à dix ans suivant la conclusion du contrat de crédit, ou le cas échéant, de l’avenant au contrat de crédit initial. Cette durée ne peut en tout état de cause excéder celle du contrat de crédit »). C’est en effet la globalité des salaires et revenus de l’emprunteur que ce texte permettait d’attraire au sein du même établissement bancaire.

Dans ces conditions, l’on comprend que le Conseil d’État ait finalement décidé, le 4 février 2021, d’annuler le décret du 14 juin 2017. Pour ce faire, il considère qu’« Il résulte des termes mêmes de l’article L. 313-25-1 du code de la consommation, alors en vigueur, que ce dernier permet aux établissements de crédit de conditionner l’octroi d’un avantage individualisé, dans le cadre d’un contrat de crédit proposé à un emprunteur relatif à un bien immobilier, à l’engagement de domicilier, pendant une période déterminée, l’ensemble des salaires ou revenus assimilés dans cet établissement, indépendamment du montant, des échéances et de la durée d’un prêt, et non uniquement la seule partie des salaires ou des revenus assimilés de l’emprunteur correspondant à ce qui est nécessaire pour rembourser le prêt, obtenir le crédit ou de fournir au prêteur des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement. Il doit ainsi être regardé comme une vente liée, au sens de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014, prohibée par le a) du paragraphe 2 de l’article 12 de cette directive. Il en résulte que l’ensemble des dispositions de l’article L. 313-25-1 du code de la consommation, qui définissent un seul et même dispositif et sont indivisibles, ne sont pas compatibles avec les objectifs de la directive » (consid. 5). Et il poursuit en considérant qu’« Il résulte de ce qui précède que le décret attaqué du 14 juin 2017, qui a été pris en application du deuxième alinéa de l’article L. 313-25-1 du code de la consommation pour fixer la durée maximale de domiciliation obligatoire des salaires ou revenus assimilés, est dépourvu de base légale et doit, pour ce motif, être annulé » (consid. 6).

La solution est en effet irréprochable dès lors que l’ancien article L. 313-25-1 du code de la consommation laissait aux établissements bancaires la possibilité d’imposer la domiciliation de l’ensemble des salaires et revenus de l’emprunteur. Le décret pris sur le fondement de ce texte était donc voué à l’anéantissement.

Auteur d'origine: jdpellier

Lorsqu’une infraction routière (excès de vitesse, notamment) constatée par un radar automatique a été commise par un véhicule immatriculé au nom d’une société ou détenu par celle-ci, le représentant légal de cette société doit transmettre, auprès des autorités compétentes, l’identité et l’adresse du conducteur du véhicule dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, sous peine d’amende (C. route, art. L. 121-6).

Plusieurs récents arrêts de la Cour de cassation apportent de nouveaux enseignements relatifs à cette infraction de non-désignation et complètent ainsi une jurisprudence déjà abondante sur le sujet.

La désignation de deux conducteurs équivaut à un défaut de désignation

Cas général

Dans une première affaire, le représentant légal d’une société a désigné, après avoir reçu un avis de contravention pour excès de vitesse, deux conducteurs possibles. Considérant que l’obligation de transmission des informations relatives au conducteur a été respectée, la cour d’appel relaxe la société.

À tort, selon la Cour de cassation, qui considère que la personne morale poursuivie sur le fondement de l’article L. 121-6 du code de la route ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en désignant deux conducteurs comme également susceptibles d’avoir commis l’infraction initiale.

Par ailleurs, la cour d’appel ayant relevé qu’il n’était pas prouvé que les conducteurs désignés étaient des employés de la société, la Haute juridiction ajoute que...

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Auteur d'origine: Thill

On sait que le taux effectif global (dénommé taux annuel effectif global dans le cadre des crédits aux consommateurs) est une notion relativement large (V. à ce sujet, J. Chacornac in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, nos 312.60 s. ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, nos 252 s. ; J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 164). En effet, aux termes de l’article L. 314-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation, « Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l’emprunteur et connus du prêteur à la date d’émission de l’offre de crédit ou de l’avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées » (comp. anc. art. L. 313-1, al. 1er : « Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces...

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Auteur d'origine: jdpellier

Ces deux arrêts, rédigés en les mêmes termes, ont beau concerner les coopératives agricoles, ils n’en n’intéressent pas moins le droit commun des sociétés. Les faits méritent d’être connus. Une société coopérative agricole est assignée par le Haut Conseil de la coopération agricole (HCCA) devant le tribunal de grande instance (aujourd’hui tribunal judiciaire) en nullité d’un acte notarié au terme duquel cette coopérative constate qu’elle est devenue une société en participation le 1er novembre 2002 et que la propriété de ses biens immobiliers a été transférée à ses associés coopérateurs à cette date. Elle est également assignée en nullité dudit acte par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Tant le HCCA que l’INRA étaient titulaires d’un bail rural d’une durée de cinquante ans sur un ensemble immobilier appartenant à la coopérative. Ces derniers contestent la propriété de ces biens comme étant celle des associés. À cette action en nullité de l’acte notarié s’ajoute une demande de liquidation de la société.

Par ces arrêts du 6 janvier 2021, la Cour de cassation rejette les pourvois qui lui sont soumis en retenant que l’article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (dite « NRE ») est applicable aux sociétés coopératives agricoles, lesquelles doivent donc être immatriculées pour jouir de la personnalité morale. À défaut, elles subissent une requalification et sont considérées comme étant des sociétés en participation. La requalification opérée se comprend aisément. Les associés coopérateurs ont eu pour projet d’agir au sein d’une société et sont convenus de ne pas procéder à l’immatriculation (ce qui concorde bien avec la définition légale de la...

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Auteur d'origine: Delpech
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Le référé commercial est une institution dont il est fréquemment fait usage dans les rapports d’affaires. Le droit de la concurrence déloyale – essentiellement dans le but de faire cesser un trouble manifestement illicite, par exemple une pratique de dénigrement (pour une illustration récente, Com. 4 mars 2020, n° 18-15.651, Dalloz actualité, 27 mai 2020, obs. K. Magnier-Merran ; D. 2020. 596 ; ibid. 2421, obs. C. de droit de la concurrence Yves Serra (CDED Y. S.EA n° 4216) ; Légipresse 2020. 272 et les obs. ) – en constitue une terre d’élection privilégiée. Il en est de même, assurément, du droit des sociétés, qui est à l’origine de deux institutions prétoriennes (quoique pas toujours, en réalité), l’administrateur provisoire et le mandataire ad hoc, tous deux désignés dans le cadre d’une procédure de référé et en dehors de toute base légale sinon les articles 872 et suivants du code de procédure civile. Deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 13 janvier 2021, reviennent sur ces deux institutions fondamentales, auxquels il est recouru dans des situations de crise. Il ne faut pas les confondre : l’administrateur provisoire se substitue entièrement aux dirigeants sociaux, tandis que le mandataire ad hoc ne se voit confier que des missions spécifiques (par ex. convoquer et présider l’assemblée générale des associés dès lors que la révocation du gérant a entraîné une vacance de la gérance, Civ. 3e, 21 juin 2018, n° 17-13.212, Dalloz actualité, 10 juill. 2018, obs. A. Gailliard ; D. 2018. 1381 ; ibid. 2056, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2019. 187, note B. Lecourt ; RTD com. 2018. 932, obs. A. Lecourt ; ibid. 984, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; B. Lecourt, Rép. sociétés, v° Administrateur provisoire, spéc. n° 6). Il arrive, en réalité, que les juges ne prennent pas cette précaution.

I. Et c’est à l’évidence le cas dans le premier arrêt où celui qui est désigné en qualité d’administrateur provisoire est en réalité un véritable mandataire ad hoc, auquel un pouvoir de négociation avec des tiers – des créanciers de la société – a été confié (pourvoi n° 18-25.713). Il est question d’un conflit classique entre actionnaires – très exactement un groupe de trois actionnaires représentant à eux trois la majorité du capital – d’une société, PMC développement, constituée sous forme de SAS, et son président (qui se trouve être une société, la société 2EC). La société PMC développement a fait l’acquisition, au moyen d’emprunts bancaires, d’une autre société. Comme elle a rencontré des difficultés, des mandataires ad hoc ont été successivement désignés en 2013 et 2015 afin de négocier avec les banquiers une restructuration de ses dettes. Le groupe...

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Auteur d'origine: Delpech

Dans un arrêt rendu le 27 janvier 2021, la CJUE valide l’appréciation faite par le Tribunal de l’Union européenne en première instance et rejette le recours de la banque d’affaire Goldman Sachs dans l’affaire du cartel des câbles électriques (Trib. UE 12 juill. 2018, aff. T-419/18, The Goldman Sachs Group c/ Commission). Elle estime que l’extension de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante est possible dans l’hypothèse où une société mère détient et exerce l’ensemble des droits de vote associés aux actions de sa filiale, même si elle n’en détient pas l’intégralité du capital.

En...

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Auteur d'origine: Thill
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Le droit des contrats est traditionnellement analysé, depuis le XIXe siècle, sous le prisme de la théorie de l’autonomie de la volonté. Cette dernière « découle de la philosophie individualiste des Lumières : chaque homme étant libre, il ne peut être contraint sans l’avoir accepté. Il en résulte plusieurs conséquences (E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, thèse, Paris, 1912). Chacun peut, tout d’abord, décider de contracter ou de ne pas le faire, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu du contrat. […] Une telle “liberté contractuelle” a toujours été affirmée avec force par la doctrine et la jurisprudence. Elle a même valeur constitutionnelle (C. const. 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, Dalloz actualité, 18 juin 2013, obs. C. Dechristé ; D. 2014. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2013. 673, étude J. Barthélémy ; ibid. 680, étude D. Rousseau et D. Rigaud ; ibid. 2014. 464, chron. S. Hennion, M. Del Sol, P. Pierre et M. Hallopeau ; ibid. 1057, étude J. Barthélémy ; Constitutions 2013. 400, chron. A.-L. Cassard-Valembois ; RTD civ. 2013. 832, obs. H. Barbier ; P.-Y. Gahdoun, La liberté contractuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2008) » (A. Cayol, Le droit des contrats en tableaux, 1re éd., Ellipses, 2017, p. 14 ; 2e éd. à paraître en oct. 2021). Elle a été expressément consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, à l’article 1102 du code civil. « Chacun doit, ensuite, respecter les obligations auxquelles il a librement consenti : le contrat a force obligatoire entre les contractants (C. civ., art. 1103 ; déjà, ancien art. 1134, al. 1). Une fois conclu, le contrat est en principe intangible et irrévocable unilatéralement. Nul ne peut, en outre, être engagé en l’absence d’un consentement personnel : le contrat a un effet relatif à l’égard des tiers (C. civ., art. 1199 ; déjà, ancien art. 1165). Enfin, si la volonté est nécessaire pour obliger, elle est également suffisante : peu importe la façon dont elle est extériorisée dès lors qu’elle existe » (A. Cayol, op. cit., p. 14). Tel est le principe du consensualisme. Aucune forme particulière n’a à être respectée : les contrats peuvent être conclus par écrit, par oral, ou même par un geste. Traditionnellement déduit de l’ancien article 1108 du code civil – qui n’exigeait aucune condition de forme particulière pour la validité des contrats –, ce principe a lui aussi été expressément consacré par l’ordonnance du 10 février 2016. Le nouvel article 1172 dispose ainsi que « les contrats sont par principe consensuels. Par exception, la validité des contrats solennels est subordonnée à l’observation de formes déterminées par la loi à défaut de laquelle le contrat est nul, sauf possible régularisation. En outre, la loi subordonne la formation de certains contrats à la remise d’une chose ». L’article 1109 du code civil précise que « le contrat est consensuel...

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Auteur d'origine: rbigot

Dans le cadre du régime actuel, les ressortissants étrangers souhaitant exercer une activité indépendante sur le sol français, qu’elle soit commerciale, artisanale ou libérale, sont tenus de détenir une carte de séjour temporaire mention « entrepreneur/profession libérale ». Celle-ci est délivrée, par voie d’arrêté, par le préfet du département où ils envisagent d’exercer leur activité (le préfet de police pour Paris), sur avis de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Les ressortissants de certains États bénéficient d’une dispense et peuvent en principe exercer librement exercer une activité commerciale (et de manière générale toute activité indépendante en France) : ressortissants des États membres de l’Union européenne, de l’Islande, du Liechtenstein, de la Norvège et de la Suisse, ressortissants algériens et de pays ayant passé avec la France une convention les en dispensant.

La délivrance de la carte n’est pas de droit : le demandeur est tenu de justifier d’une « activité économiquement viable et donc il tire des moyens d’existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur » (CESEDA, art. L. 313-10, 3°). Ce critère n’est guère aisé à remplir, d’autant que son appréciation revêt une dimension essentiellement rétrospective, surtout s’il est question d’une création – et non pas d’une reprise – d’entreprise. Il est surtout difficile de prouver qu’il l’est ; en pratique, cela passe, en cas de création, par la production d’un business plan (ou plan d’affaires) qui soit aussi réaliste que possible.

Le contentieux en la matière relève de la compétence des juridictions administratives. Le tribunal administratif est généralement saisi d’une demande d’annulation de l’arrêté en cas de refus du préfet d’accéder à la demande du ressortissant étranger (qui va parfois de pair avec une décision d’expulsion) fondée sur l’erreur manifeste d’appréciation. Si ce dernier obtient gain de cause et que le tribunal annule l’arrêté contesté, le tribunal va alors enjoindre au préfet de lui délivrer, éventuellement sous astreinte, le précieux sésame.

Une bonne partie du contentieux en la matière se concentre autour de l’appréciation du caractère économiquement viable du projet d’entreprise que le ressortissant étranger qui sollicite la délivrance de la carte de séjour spéciale entend mener à bien. Les demandes d’annulation sont généralement rejetées ; il faut dire que, dans le cadre du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, le juge administratif un contrôle considéré comme « restreint ». Ainsi, dans une affaire récemment jugée, il est question d’un ressortissant de nationalité argentine, qui est entré en France en 2014. Il a alors bénéficié d’un titre de séjour en qualité de « visiteur », régulièrement renouvelé, et valable pour la dernière fois jusqu’au 4 octobre 2018. Le 29 mai 2018, il a sollicité du préfet de police de Paris un changement de statut et la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « entrepreneur/profession libérale ». À la suite de l’avis défavorable de la Direccte, le préfet de police rejette sa demande. Même chose de la part du tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral. Enfin, la cour administrative d’appel de Paris rejette sa requête.

L’intéressé avait pour projet d’exercer une activité de création et de vente de prêt-à-porter, accessoires et bijoux. Pour établir la viabilité économique de son activité, il a produit trois bons de commande pour la période de mai à septembre 2019 et a soutenu avoir a réalisé un chiffre d’affaires de près de 30 550 € entre mars 2018 et janvier 2019 en produisant pour en justifier des déclarations mensuelles de chiffre d’affaires pour cette période. Pour autant, considèrent les juges, ces déclarations ne permettent pas d’établir le résultat net de son activité et les bénéfices qu’il aurait perçus. Ils ajoutent qu’il ressort par ailleurs du business plan transmis par l’intéressé au soutien de sa demande que les prévisions financières concernant le développement de son activité sont peu réalistes, ce dont il convient lui-même en admettant que son estimation d’un chiffre d’affaires à hauteur de 199 596 € pour la première année procède d’une « erreur grossière ». En outre, « ce business plan comporte des analyses évasives de la clientèle, de la concurrence ainsi que de la stratégie de vente qui reposerait sur la création d’un site internet et l’utilisation des réseaux sociaux, sans qu’il soit établi ni même allégué que cette stratégie ait effectivement été mise en œuvre ». Pour conclure, les juges considèrent que, « si le requérant fait enfin valoir qu’il a accompli les formalités requises auprès des services fiscaux et qu’il justifie de la réalité de ses diplômes, ces circonstances sont en tout état de cause sans incidence, dès lors qu’il ne justifie pas de la viabilité économique de son projet d’activité, de sa capacité à en dégager des ressources au moins équivalentes au SMIC ».

Dans un autre arrêt, qui concernait cette fois un ressortissant tunisien qui souhaitait exercer la profession de chauffeur de VTC (voiture de tourisme avec chauffeur), la demande de délivrance de la carte a connu le même sort. En effet, selon les juges, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’intéressé « disposerait des compétences et qualifications nécessaires pour mener à bien son projet entrepreneurial de création d’une société de véhicules de tourisme avec chauffeur, ainsi que des financements suffisants, le business plan produit pour la première fois en appel ne faisant état que d’un apport de 1 000 €. Enfin, les prévisions dudit business plan sont surévaluées dans un environnement où la concurrence est très rude » (CAA Paris, 21 déc. 2018, n° 18PA00003). A également été rejetée la demande d’une ressortissante chinoise « qui se borne à produire quelques factures concernant une entreprise […], ne fournit aucune précision, ni aucun élément sur la forme juridique de cette entreprise qu’elle aurait créée ou à laquelle elle participerait, ni aucun élément comptable ou fiscal sur l’activité de cette entreprise ; qu’au surplus, elle ne fournit aucun élément de nature à démontrer qu’elle tirerait des ressources de cette activité et que ces ressources seraient d’un niveau équivalent au salaire minimum de croissance correspondant à un emploi à temps plein » (CAA Versailles, 29 mars 2018, n° 17VE03797).

À l’inverse, une ressortissante turque est parvenue à prouver, au stade de l’appel, la viabilité économique de son projet, partant, l’annulation du jugement qui avait rejeté sa demande de renouvellement de sa carte de séjour temporaire en qualité d’entrepreneur, compte tenu des pièces complémentaires qu’elle a produites en appel. Ces pièces « comportent notamment un bilan et compte de résultat au titre de l’année de création de l’activité de l’intéressée en 2018, qui est celle au cours de laquelle l’arrêté en litige a été pris, que l’activité de l’entreprise a dégagé un résultat net positif de 34 673 €. Les factures produites révèlent en outre que la société a principalement deux clients qui la font travailler toute l’année et qui assurent des rentrées d’argent selon un rythme régulier » (CAA Versailles, 24 sept. 2020, n° 19VE01774). C’est dire qu’une demande sérieusement motivée a toutes les chances d’emporter la conviction du juge, si ce n’est, avant lui, celle du préfet.

Auteur d'origine: Delpech

Contrairement au terme – événement futur et certain retardant l’exigibilité de l’obligation –, la condition affecte son existence même (C. civ., art. 1304, al. 1). La réalisation d’une condition résolutoire entraîne ainsi l’anéantissement de l’obligation, quand celle d’une condition suspensive déclenche ses pleins effets (C. civ., art. 1304, al. 2 et 3). « S’agissant de la condition suspensive, sa définition trahit l’adhésion à la conception répandue, mais non nécessaire, suivant laquelle l’obligation qu’elle affecte existe, au moins à l’état de “germe”, pendente conditione » (O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit général des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 645 ; pour une critique de cette conception, v. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, n° 760). L’article 1304-6, alinéa 1, du code civil précise ainsi que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive » (et non pas qu’elle commence alors à exister). De même, son alinéa 3 dispose qu’« en cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé ». Une telle rétroactivité aurait été inutile si l’obligation avait été dépourvue de toute existence avant la réalisation de la condition : la défaillance de cette dernière ne ferait en effet que fixer définitivement l’inexistence de l’obligation et ne conduirait pas à revenir sur le passé (J.-J. Taisne, La notion de condition dans les actes juridiques, contribution à l’étude de l’obligation conditionnelle, thèse, Lille, 1977, nos 302 et 316).

Très utilisée en pratique, la condition suspensive a même été imposée par le législateur dans certains contrats afin de protéger les consommateurs. Ainsi, en cas d’achat immobilier à crédit, la vente est nécessairement conclue sous la condition suspensive d’obtention du prêt (C. consom., art. L. 313-41). Un contentieux abondant s’est développé quant au point de savoir si une telle condition s’est, ou non, réalisée. Dans un arrêt rendu le 14 janvier 2021, la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise qu’un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu doit être considéré comme conforme aux stipulations contractuelles, et ce même s’il ne permet pas de couvrir l’intégralité du paiement...

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Auteur d'origine: CAYOL

par Amélie Renard, Smart Action Protection des données personnellesle 8 février 2021

CNIL, 26 janv. 2021, délib. n° 2021-011 portant avis sur une proposition de loi relative à la sécurité globale

La proposition de loi relative à la sécurité globale, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 24 novembre 2020, est en cours d’examen au Sénat (une procédure accélérée a été engagée par le gouvernement). Le texte envisage de modifier les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives à l’utilisation de caméras individuelles par les forces de police et de gendarmerie, de caméras aéroportées (drones) par les autorités publiques et à l’enregistrement des images ainsi captées. Saisie le 2 décembre par le président de la commission des lois du Sénat, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu son avis par délibération du 26 janvier. Elle relève que, si « certaines dispositions constituent une amélioration de l’encadrement juridique de dispositifs parfois déjà mis en œuvre, les évolutions envisagées ne permettent pas d’aboutir à un encadrement juridique cohérent, complet et suffisamment protecteur des droits des personnes en matière de vidéoprotection ». La Commission insiste également sur la vigilance dont il faut faire preuve pour s’assurer que les atteintes qui seraient portées à la vie privée par l’utilisation de ces différents dispositifs soient strictement proportionnées au regard des finalités poursuivies. Des garanties tant techniques que juridiques doivent ainsi être apportées.

Elle a formulé les observations suivantes :

Sur les drones : nécessité d’une expérimentation préalable

L’article 22 de la proposition de loi vise à intégrer un...

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Auteur d'origine: Thill
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par Xavier Delpechle 5 février 2021

Com. 27 janv. 2021, F-P+I, n° 18-21.168

L’octroi de mer est une taxe spécifique aux départements d’outre-mer. Il s’agit d’une imposition très ancienne (remontant au XVIIIe siècle) spécifique aux départements d’outre-mer, dont doivent s’acquitter les importateurs et les entreprises qui procèdent à des livraisons à titre onéreux de biens produits localement (sur l’exclusion des prestations de services du champ de l’octroi de mer, v. Com. 16 févr. 2016, n° 15-13.814 et n° 13-16.166, 2 arrêts). Cette taxe a fait l’objet de nombreux aménagements législatifs, en dernier lieu par la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 (art. 78-V). Cette taxe présente le double objectif d’assurer le financement des collectivités territoriales et de stimuler le développement économique, en autorisant une taxation différenciée sur les productions locales confrontées à des handicaps structurels liés en partie à l’éloignement de l’Europe...

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Auteur d'origine: Delpech

Le contrat d’assurance est un contrat de structure intermédiaire fondé sur une coopération entre les parties (S. Lequette, Le contrat-coopération. Contribution à la théorie générale du contrat, préf. C. Brenner, Economica, 2012). Ces dernières sont toutes deux tenues de diverses obligations fondées sur le devoir de bonne foi. Le candidat à l’assurance doit ainsi, en amont de la souscription, déclarer les risques qu’il connaît – du moins répondre honnêtement aux questions qui lui sont posées – puis, en aval de la souscription, déclarer les modifications du risque intervenant en cours de contrat. Pour bénéficier du jeu de la garantie, il est en outre tenu de déclarer les sinistres avec célérité. Si, « dans l’ordre prévu par le code des assurances, l’obligation de déclarer le sinistre constitue la quatrième obligation du souscripteur » (J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances, t. 3, Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ-Lextenso, 2014, n° 1420), d’aucuns considèrent qu’elle « est l’obligation légale la plus importante » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, 2017, n° 533). Elle découle en effet de l’exigence de coopération entre les parties au contrat d’assurance (A. Cayol, Les obligations découlant de la bonne foi, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 140). « Les modalités de la déclaration de sinistre ne sont pas fixées par la loi. Des indications sommaires peuvent donc suffire, sauf à ce que la police impose la fourniture de justificatifs particuliers. De même, sa forme est libre (verbale, lettre simple, LR…) mais l’assuré doit faire attention à se ménager la preuve de sa déclaration » (A. Cayol, Les obligations découlant de la bonne foi, préc.).

En dehors de l’enclave de l’assurance-vie – non soumise à un quelconque délai de déclaration (« il est toutefois, dans l’intérêt du bénéficiaire, d’effectuer la déclaration le plus rapidement », L. Grynbaum [dir.], Assurances, 6e éd., L’Argus de l’assurance éd., coll. « Droit & Pratique », 2019/2020, n° 2511) –, l’assuré est tenu de déclarer la réalisation du risque à l’assureur dès qu’il en a connaissance. Depuis 1942, la jurisprudence retient que le point de départ du délai de déclaration est « la connaissance du sinistre par l’assuré, c’est-à-dire la connaissance à la fois de l’événement et des conséquences éventuellement dommageables de nature à entraîner la garantie de l’assureur » (Civ. 20 juill. 1942, D. 1942. II. 129, note L.-P. P. ; Civ. 1re, 13 oct. 1987, RGAT 1988. 108, note R. Bout). Le délai court ainsi à compter du lendemain à 0 heure du jour de la découverte du sinistre par l’assuré. Précisons qu’est prise en compte la date de la déclaration du sinistre – et non celle de sa réception par l’assureur (Civ. 1re, 21 févr. 1989, RGAT 1989. 421, note J. Kullmann). Autrement dit, la brièveté du délai impose de faire prévaloir la théorie de l’émission sur celle de la réception ((H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, 1re éd., LexisNexis, Litec, 2008, n° 814). Naturellement, « à l’impossible, nul n’est tenu » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd.,...

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Auteur d'origine: rbigot

Pour mémoire, dans le contexte d’une opposition entre Google et les éditeurs français de presse sur l’application de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 transposant en France l’article 15 de la directive (UE) 2019/790 créant un droit voisin, une première plainte avait été introduite auprès de l’Autorité de la concurrence au fond et en demande de mesures conservatoires par deux organisations représentant des éditeurs de presse – l’Alliance et le SEPM, et l’agence française AFP. Si la procédure au fond est toujours en cours, l’Autorité a rapidement ordonné des mesures d’injonction à l’encontre de Google à titre conservatoire (v. F. Masmi-Dazi, Droits voisins : l’Autorité de la concurrence impose une négociation, Dalloz actualité, 11 mai 2020).

En substance, les mesures imposent qu’une négociation de bonne foi intervienne entre Google et les éditeurs de presse français qui le souhaitent, dans un cadre défini dans ses principes et contrôlé dans son exécution par l’Autorité de la concurrence sur la rémunération des droits voisins des éditeurs de presse. Ces mesures ont été pour une large part, validées par la cour d’appel de Paris dans le cadre de l’appel qui avait été formé par Google au début de l’été 2020 (v. F. Masmi-Dazi, Droits voisins, Acte II : en appel, Google dévoile un pan de son plan de bataille, Dalloz actualité, 21 oct. 2020).

Une seconde plainte avait été déposée à la rentrée 2020 par les mêmes entités cette fois en non-respect des injonctions ordonnées par l’Autorité de la concurrence. Parallèlement, des négociations se sont tenues pendant de longs mois entre l’Alliance et Google et qui ont donné lieu à cet accord.

Un accord encadrant la négociation à venir d’accords individuels

On sait peu de choses quant au contenu même de l’accord si ce n’est qu’il « fixe les principes selon lesquels Google négociera des accords individuels de licence avec les membres de l’Alliance dont les publications sont reconnues d’information politique et générale » (Communiqué APIG, 21 janv. 2021), qu’il intègre la possibilité de souscrire au nouveau service de Google News Showcase et rappelle les principes fixés par la loi et les mesures conservatoires ordonnées par l’Autorité.

Il s’agirait donc d’un accord fixant un cadre de négociation et non d’un accord relatif à la rémunération elle-même, autrement dit, il ne s’agirait pas d’un premier accord collectif de licence de droits voisins. Or, cette nuance est intéressante à plusieurs égards et soulève plusieurs questions.

Si la conclusion de l’accord-cadre précède la négociation d’accords individuels, devons-nous en déduire qu’aucune négociation ne serait encore intervenue avec les éditeurs concernés quant à la rémunération desdits droits voisins en dépit de l’entrée en vigueur de la loi et du prononcé des mesures conservatoires ?

Alors même qu’une demande d’entrée en négociation a certainement été émise par l’Alliance au moins pour les éditeurs concernés par l’accord-cadre et ce, manifestement depuis plus de trois mois, peut-on déduire de la formulation du communiqué que Google ne serait pas entré en négociation dans le délai imparti avec les éditeurs concernés par les accords en dépit des mesures conservatoires ?

La conclusion d’un accord encadrant la négociation et ne portant donc pas sur la rémunération, peut-il être considéré comme une manifestation de la tenue de négociations de bonne foi au sens des mesures conservatoires ordonnées par l’Autorité de la concurrence ?

La question se pose d’autant plus que dans la mesure où la directive crée des droits, lesquels ont été transposés en droit interne dans leurs principes et qu’il s’ajoute qu’un cadre de négociation a été défini et s’exerce sous le contrôle de l’Autorité de la concurrence, un tel préalable était-il nécessaire ?

Ces quelques questions amènent une observation générale concernant cet accord : il surprend.

Un accord excluant les éditeurs de presse « non-IPG »

D’après le communiqué, l’accord-cadre ne donnerait la possibilité de négocier des accords de licence individuels avec Google qu’aux éditeurs dits IPG. Il s’agit d’une certification spécifique octroyée sur demande et sur la base d’un certain nombre de critères par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) laquelle est notamment chargée de reconnaître la qualité de service de presse en ligne aux services en ligne répondant aux critères prévus par la législation nationale.

En procédant ainsi, l’accord-cadre procède en somme à une double restriction.

Sur le périmètre des éditeurs de publications de presse d’une part, en excluant tous les éditeurs de presse autres qu’IPG. La loi vise en effet tous les éditeurs de publications de presse en ligne. Le fait qu’une publication participerait à l’information politique et générale n’étant pris en compte que parmi différents critères de valorisation dont la liste n’est par ailleurs pas limitative.

D’autre part, en rattachant la nature des éditeurs de presse susceptibles d’être autorisés par Google à négocier leurs droits voisins à une notion purement nationale liée à l’obtention d’une certification obtenue sur demande de l’éditeur s’il en remplit certains critères – certification n’ayant par ailleurs pas été définie pour les besoins de l’application des droits voisins, l’accord-cadre de Google semble restreindre de manière significative la portée des dispositions de la directive européenne telle que transposée en droit français.

À cet égard, la question pourrait utilement se poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de savoir si la notion « d’éditeurs de publications de presse » telle qu’elle figure à l’article 15 de la directive est une notion autonome du droit communautaire. Si tel était le cas, il est permis de douter que la CJUE retienne une approche aussi fortement nationale de la notion et par conséquent aussi restrictive et exclusive. Une telle interprétation risquerait de vider de sa substance le dispositif mis en place par la directive et de créer des distorsions de concurrence significatives entre les États membres.

Si cette restriction d’interprétation du champ d’application de la directive devait être à portée quasi-normative pour l’écosystème des éditeurs français – autrement dit si aucun autre éditeur qu’un éditeur IPG ne se voyait offrir la possibilité de négocier et d’obtenir une rémunération pour la reprise de ses contenus protégés, cela risquerait de perturber significativement le fonctionnement de la concurrence.

Alors que la mise en œuvre de ce dispositif est placée sous la surveillance de l’Autorité de la concurrence tant au fond que sur le respect des mesures conservatoires, il paraîtrait surprenant que Google en restreigne à ce point le champ d’application compte tenu du risque de caractère non-objectif, discriminatoire et des distorsions de concurrence qu’elle créerait à l’aval entre les éditeurs, laquelle pourrait avoir des conséquences dépassant largement le spectre de la seule rémunération des droits voisins. Un tel effet serait renforcé par les avantages concurrentiels découlant nécessairement des nouveaux services proposés par Google dans News Showcase au bénéfice des éditeurs IPG seuls visés par l’accord-cadre.

Aussi, il est permis de s’interroger sur le caractère exclusif de ce positionnement. À l’inverse si l’accord-cadre comme tout accord, ne concernait et n’engageait que ceux qui l’ont conclu sans préjudice des droits à négociation et rémunération des autres éditeurs au titre des droits voisins qui restent entiers, cela soulèverait probablement moins de difficultés, ou d’autre nature. Le SEPM a d’ores et déjà annoncé le maintien de sa plainte devant l’Autorité. D’autres organisations professionnelles non parties à la procédure entendent adopter une telle approche de contestation de cet accord pour s’assurer que les droits des autres éditeurs de presse sont reconnus et effectifs.

Un accord, mais tout un système restant à bâtir

Parmi toutes les interrogations que le communiqué et l’accord-cadre suscitent, il en est une qui revêt un intérêt particulier : quel est le véritable enjeu de Google à travers la conclusion de cet accord-cadre ? L’on sait Google face au couperet des procédures engagées devant l’Autorité française de concurrence et son intention de fissurer les griefs susceptibles de lui être notifiés depuis son refus catégorique et systématique initial de répondre aux demandes des éditeurs.

Il est néanmoins intéressant de noter que l’exégèse de ce communiqué permet d’observer qu’il ne constitue pas une reconnaissance du droit à rémunération, pas plus qu’un accord collectif de licence. En quelque sorte, Google fait siens des principes et obligations édictés par la loi et des mesures conservatoires exécutoires de plein droit, pour déterminer comment négocier des accords individuels avec des éditeurs. Cette circonstance assez audacieuse et pour le moins subversive nous paraît témoigner de toute la puissance de cet opérateur, qui dépasse même le débat juridique concurrentiel en cours.

C’est d’ailleurs ce même constat qui est opéré s’agissant du bras de fer actuellement en cours entre Google et le gouvernement Australien sur le sujet de la rémunération des éditeurs. Il est permis de penser que du point de vue d’un opérateur mondial, les avancées obtenues dans un pays nourrissent les batailles menées dans d’autres. Il est en effet intéressant de noter qu’en Australie, le gouvernement tente d’imposer un cadre de négociation à Google. Or, l’objet de l’accord-cadre qui semble avoir été conclu le 21 janvier n’est autre que celui-ci, un cadre que Google s’imposerait à lui-même, pour ce que le communiqué nous en dit.

De ce point de vue, il s’agit d’une avancée.

Tout d’abord il s’agit d’une avancée pour ceux des éditeurs concernés par l’accord-cadre, car Google admettrait qu’ils sont en droit de négocier avec lui une rémunération pour la reprise de leurs contenus protégés, ce qui signifie a contrario qu’ils n’y étaient pas autorisés jusqu’à présent.

Les autres éditeurs ne sont pas en reste. En effet, si un nombre limité d’éditeurs est désormais autorisé par Google à entrer en négociation selon les principes fixés par l’accord-cadre, cela signifie a contrario que les autres éditeurs n’y ont pas et n’y sont toujours pas autorisés. Autrement dit, que le débat devant l’Autorité de la concurrence sur le respect des injonctions est d’une pertinence particulière.

En outre, leur champ d’action, d’interprétation et de mise en application du droit voisin reste libre puisqu’il est à construire intégralement. La France est le premier État membre à avoir transposé l’article 15 de la directive, les contentieux ont commencé sur le terrain du droit de la concurrence, ils vont se poursuivre sur ce terrain et peut-être d’autres. Des négociations collectives et individuelles vont également se tenir et nourrir à la fois le positionnement stratégique d’un opérateur à multiples objectifs tel que Google, et celui plus prosaïque des éditeurs que des revenus supplémentaires n’indiffèrent pas vu la crise que traverse le secteur. Ces deux axes ne sont pas nécessairement exclusifs l’un de l’autre, tant les décisions judiciaires et réglementaires à venir redéfiniront le principe et le périmètre des accords conclus et ceux à venir.

Certaines de ces interrogations trouveront rapidement une réponse dans la décision à intervenir de l’Autorité de la concurrence sur le respect (ou non) des injonctions ordonnées. L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs indiqué dans un communiqué que « l’annonce d’un accord trouvé entre l’APIG et Google sur la rémunération des droits voisins est une étape importante. L’Autorité les examinera avec attention, et maintiendra sa vigilance sur les autres négociations et la suite de la procédure ». Le SEPM a indiqué par voie de communiqué qu’il maintiendrait sa plainte devant l’Autorité, tandis que d’autres organisations d’éditeurs – la FNPS et le SPIIL se sont déclarés opposés à l’accord intervenu. La suite au prochain épisode donc.

Auteur d'origine: nmaximin
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L’exercice de la tierce opposition contre les jugements rendus en matière de procédure collective est un art délicat. La récurrence du contentieux en ce domaine, déjà liée aux difficultés procédurales associées à l’exercice de cette voie de recours, résulte en outre de la conciliation difficile des intérêts antagonistes du droit des entreprises en difficulté. S’il faut ménager le droit à l’accès au juge des personnes concernées par la faillite, il faut dans le même temps veiller à conserver une certaine efficacité dans le traitement de l’insolvabilité.

Naviguant entre rigueur procédurale et pragmatisme, l’arrêt rendu par la Cour de cassation réunie en chambre commerciale le 20 janvier 2021 témoigne de ces antagonismes. Il confirme en outre que la rencontre du droit des entreprises en difficulté avec les règles de la procédure civile et du droit des sociétés se fait rarement sans heurts.

En l’espèce, une banque a consenti courant 2007 deux prêts à une société civile immobilière (SCI). Quelques années plus tard, par un arrêt du 24 mars 2011, la société a été condamnée à payer à la banque diverses sommes dues au titre de ces prêts. Le 3 février 2014, la personne morale est placée en redressement judiciaire, puis le 9 février 2015, en liquidation judiciaire. La banque a régulièrement déclaré sa créance relative à l’arrêt du 24 mars 2011 et celle-ci est admise au passif de la liquidation judiciaire par une ordonnance du juge-commissaire du 2 février 2015.

Assignés en paiement par la banque, les associés de la SCI, tenus en tant que tels des dettes de la société à proportion de leur part dans le capital social, ont formé tierce opposition à l’arrêt du 24 mars 2011 et ont sollicité l’annulation des contrats de prêts et le rejet de la demande en paiement. La cour d’appel estime recevable la tierce opposition formée par les associés et fait droit à leurs demandes.

La banque se pourvoit en cassation et la haute juridiction censure l’arrêt d’appel. Pour la Cour de cassation, les associés sont dépourvus d’intérêt à former tierce opposition à l’encontre du jugement antérieur à la procédure collective condamnant la société au paiement de plusieurs sommes.

Plus précisément, la Cour reproche aux associés de la personne morale débitrice de s’être privés des canaux de la procédure collective en ne présentant pas de réclamation à l’état des créances pour contester la créance de la banque (C. com., art. R. 624-8, al. 4).

Afin de comprendre l’essence de cette décision, un retour sur les principes applicables en la matière est nécessaire.

Les décisions du juge-commissaire statuant sur l’admission des créances peuvent être contestées par les parties elles-mêmes, c’est-à-dire les parties à la vérification du passif : le débiteur, le créancier et le mandataire judiciaire (par ex., v. Com. 19 mai 2015, n° 14-14.395, Bull. civ. IV, n° 84 ; Dalloz actualité, 9 juin 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 1152 ; RTD com. 2015. 748, obs. A. Martin-Serf ).

Par ailleurs, toute personne intéressée peut présenter une réclamation auprès du juge-commissaire contre ses décisions d’admission, de rejet ou d’incompétence dans le mois du dépôt de l’état des créances au greffe (C. com., art. R. 624-8, al. 4). Ce recours est réservé aux personnes qui n’ont pas la qualité de partie à l’instance de vérification de la créance contestée. Cette caractéristique fait de la réclamation une variété de tierce opposition.

Ce recours revêt un intérêt tout particulier pour les « garants » et plus généralement, pour les personnes susceptibles d’être appelées à payer la dette du débiteur sous procédure collective. En effet, puisque l’admission d’une créance au passif est une véritable décision de justice, une fois les voies de recours épuisées, la décision acquiert force de chose jugée et les créances admises ont autorité de chose jugée quant à leur montant, leur nature et leur principe (Com. 3 mai 2011, n° 10-18.031, Bull. civ. IV, n° 63 ; Dalloz actualité, 11 mai 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 1279, obs. A. Lienhard ; ibid. 2069, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; ibid. 2012. 1573, obs. P. Crocq ; RTD com. 2011. 798, obs. A. Martin-Serf  ; 1er mars 2005, n° 03-19.539 NP). Par conséquent, une fois l’admission acquise, le tiers ne peut plus ensuite contester le principe ou le quantum de la créance (Com. 22 oct. 1996, n° 94-14.570 NP ; D. 1997. 2 ; Rev. sociétés 1997. 596, note P. Didier ).

Sur un plan théorique, cette solution peut trouver diverses explications en fonction de la qualité du tiers intéressé par l’admission de la créance.

Elle a parfois reposé sur la notion de représentation mutuelle des co-obligés, notamment pour expliquer son application à des cautions solidaires (Com. 9 janv. 2001, n° 97-22.053 NP) ou à des codébiteurs solidaires (Com. 20 sept. 2005, n° 04-14.410 NP). Dans ces cas, la solidarité entre les co-obligés implique qu’une décision ayant autorité de chose jugée entre un créancier et l’un des co-obligés s’impose aux autres obligés solidaires. Toutefois, le concept de représentation mutuelle des co-obligés ne permet pas d’expliquer l’ensemble des solutions rendues en la matière (outre les nombreuses critiques portées à la notion, v. P. Veaux-Fournerie et D. Veaux, « La représentation mutuelle », in Mélanges Weill, Dalloz, 1983, p. 547 s. ; M. Mignot, Les obligations solidaires et les obligations in solidum en droit privé français, préf. E. Loquin, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2002, vol. 17, nos 147 s.). Par exemple, s’il est reconnu qu’une caution simple ne peut plus se prévaloir des exceptions inhérentes à la dette après l’admission au passif de la créance garantie, ce principe ne peut être fondé sur une éventuelle solidarité. Au contraire, il est admis que l’autorité de chose jugée d’une admission au passif du débiteur principal sur une caution simple s’explique sous l’angle de la règle de l’accessoire (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 10e éd., Dalloz Action, 2019-2020, n° 723.241).

En l’espèce, la Cour de cassation estime que l’autorité de chose jugée attachée à l’admission au passif s’impose à l’associé de SCI et que ce dernier doit former une réclamation à l’état des créances s’il entend contester la somme due par la personne morale débitrice.

Il ne fait pas de doute que l’associé de société civile est un tiers intéressé par l’admission de la créance, mais sa situation n’est en rien comparable à celle d’une caution ou d’un codébiteur solidaire (C. Lebel, « L’obligation aux dettes sociales des associés en cas de défaillance de la société débitrice », in Mélanges D. Tricot, Dalloz/LexisNexis, 2011, spéc. p. 495, n° 15).

Le seul fait de répondre des dettes sociales ne confère pas la qualité de co-obligé (Com. 20 mars 2012, n° 10-27.340, Bull. civ. IV, n° 61 ; Dalloz actualité, 28 mars 2021, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 874, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2012. 577, note O. Dexant - de Bailliencourt ). Dans la même veine, contrairement à la caution engagée envers le créancier à payer la dette d’autrui, il n’y a ici qu’une dette sociale avec deux degrés de poursuite pour le créancier : le premier contre la société et le second, subsidiairement, contre les associés (M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 33e éd., LexisNexis, 2020, nos 1821 et 1823). À cet égard, la doctrine qualifie les associés d’une société civile comme des débiteurs subsidiaires des dettes sociales (P. Briand, Retour sur la notion de co-obligé, BJS sept. 2012, n° 351), tandis que la Cour de cassation voit en eux des garants subsidiaires (Com. 29 mars 2011, n° 10-15.554, BJS 2011, p. 571, note F.-X. Lucas), mais refuse d’assimiler leur situation à un cautionnement (Civ. 1re, 17 janv. 2006, n° 02-16.595, Bull. civ. I, n° 15 ; D. 2006. 2660, obs. V. Avena-Robardet , note F. Bicheron ; ibid. 2007. 267, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Rev. sociétés 2006. 540, note D. Legeais ; RTD com. 2006. 419, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 432, obs. M.-H. Monsèrié-Bon et L. Grosclaude ).

Quoi qu’il en soit, si l’autorité de chose jugée attachée à la décision d’admission au passif s’impose à l’associé de SCI, cette solution ne peut s’expliquer sous l’angle de la solidarité ou de la règle de l’accessoire. Dès lors, les parallèles avec la situation des garants du débiteur face aux effets de la décision d’admission au passif sont peu pertinents dans la recherche des fondements de l’arrêt sous commentaire.

En réalité, le raisonnement porté par l’arrêt fait sens au regard des conditions relatives à la poursuite des associés d’une société civile par un créancier social lorsque la société est en procédure collective.

Pour rappel, en droit commun, le créancier ne peut poursuivre le paiement des dettes sociales contre les associés qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale (C. civ., art. 1858). Lorsque la société est en procédure collective, cette condition est remplie par la déclaration de la créance à la procédure collective de la société (Cass., ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, Bull. ch. mixte, n° 4 ; D. 2007. 1414 , obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2007. 620, note J.-F. Barbièri ; RTD com. 2007. 550, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; ibid. 597, obs. A. Martin-Serf ).

Par le biais de la déclaration de créance, le créancier s’ouvre la voie des poursuites contre les associés indéfiniment tenus à la dette à proportion de leur participation dans le capital social. Ceci permet d’expliquer que les associés de société civile sont recevables à former tierce opposition contre le jugement ayant fixé une créance au passif de la société (Com. 26 mai 2010, n° 09-14.241 NP, Dalloz actualité, 8 juin 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 1415, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2010. 406, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2010. 567, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ).

La déclaration de créance et, par suite, son admission vont donc déterminer l’importance des montants susceptibles d’être réclamés par le créancier à l’associé. Dans cette mesure, l’associé est tout autant concerné par l’admission au passif que ne l’est la personne morale débitrice. La poursuite de l’associé dépend de l’existence de la dette sociale, laquelle doit être reconnue par la procédure collective. En effet, ce n’est qu’à condition que la dette sociale soit admise au passif de la procédure collective que l’associé, débiteur subsidiaire, peut être poursuivi. Au contraire, si la créance est rejetée par le juge-commissaire, le créancier ne pourra poursuivre l’associé, la dette sociale ayant disparu du fait du rejet.

Dès lors, puisque l’admission au passif est une condition de l’action du créancier social contre l’associé, le seul moyen pour ce dernier de contester le bien-fondé de cette action est de se soumettre, lui aussi, aux canaux de la procédure collective. En l’espèce, il s’agissait de la réclamation à l’état des créances et seul ce recours pouvait assurer aux associés un droit à l’accès au juge conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme (Com. 12 janv. 2016, n° 15-40.036 NP, RTD com. 2016. 200, obs. A. Martin-Serf ).

Sous cet angle, la solution fournie par la Cour de cassation nous paraît tout à fait logique. Aussi, concédons qu’elle était, en outre, prévisible.

Certes, la haute juridiction a un temps reconnu que les associés d’une société civile pouvaient contester les droits du créancier – déjà admis au passif – dans le cadre d’une instance engagée contre eux en dehors de la procédure collective et tendant au support du passif social (Com. 28 sept. 2004, n° 02-15.755 NP). Toutefois, cette solution semble avoir vécu, car il a plus récemment été jugé qu’en cas d’admission d’une créance au passif et à défaut de réclamation à l’état des créances formée par l’associé d’une SCI, ce dernier ne pouvait soulever, par la suite, la prescription de la créance pour échapper à son obligation à la dette (Com. 13 oct. 2015, n° 11-20.746, Bull. civ. IV, n° 837 ; D. 2015. 2125 ; Rev. sociétés 2016. 298, note J.-F. Barbièri ).

En se détachant quelque peu de la technicité des règles, n’oublions pas que l’un des objectifs premiers du droit des entreprises en difficulté est la célérité. Aussi, que le tiers intéressé à l’admission de la créance soit une caution, un codébiteur solidaire ou un associé obligé aux dettes sociales, ces derniers ont vocation à faire valoir un certain nombre d’arguments communs à ceux susceptibles d’être opposés par le débiteur au créancier. Dans ces conditions, pour se préserver de décisions contradictoires, l’obligation d’employer les canaux de la procédure collective ne paraît pas dénuée de sens et explique qu’en l’espèce, la tierce opposition de l’associé en dehors de la procédure collective ait été jugée irrecevable.

Pour finir, à suivre l’arrêt commenté, la réclamation à l’état des créances permet de garantir à l’associé son droit effectif à l’accès au juge. Théoriquement, l’affirmation est exacte. En pratique, il est en revanche possible de se demander s’il ne s’agirait pas là d’une gageure.

Le propos est provocant. Pourtant, il nous semble pertinent, car la réclamation à l’état des créances est enfermée dans le confortable délai de… trente jours à compter du dépôt de l’état des créances au greffe. Dès lors, est-ce qu’un délai d’action aussi réduit garantit véritablement un droit effectif à l’accès au juge ?

La réponse à cette dernière question est difficile et n’était de toute façon pas abordée au sein de l’arrêt commenté et en dépasse largement le cadre. Elle confirme cependant toute la complexité liée à la conciliation du droit à l’accès au juge des personnes concernées par la faillite et le maintien d’une certaine efficacité dans le traitement des difficultés de l’entreprise.

Auteur d'origine: bferrari
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Certains programmes immobiliers sont commercialisés en considération principale, voire unique, de l’avantage fiscal dont bénéficiera le futur propriétaire. Cet investissement peut s’avérer déceptif pour l’acquéreur, voire lui occasionner « de cruelles déconvenues » (Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-12.219, RDI 2020. 679, obs. O. Tournafond et J.-P. Tricoire ), soit qu’il ne soit finalement pas éligible à l’avantage escompté, soit que le bien ne procure pas les revenus locatifs attendus, soit enfin que souhaitant revendre le bien, il constate qu’il a subi une importante décote. Quelle est alors la responsabilité de l’intermédiaire ?

Au cas particulier, démarché par une société, un couple acquiert en VEFA un appartement situé à La Réunion à titre d’investissement locatif bénéficiant d’un avantage fiscal. Huit ans après la conclusion du contrat, le bien est estimé à une valeur largement inférieure au prix de vente. Les acquéreurs assignent le vendeur, l’intermédiaire, la banque et les assureurs en nullité de la vente pour dol. Subsidiairement, ils sollicitent la réparation d’un préjudice patrimonial et moral en raison des fautes commises par l’intermédiaire dans l’exécution de son obligation d’information et de conseil. Seule, cette seconde demande est accueillie. Le démarcheur est condamné à leur payer des dommages et intérêts en raison de la perte de chance d’effectuer un investissement locatif plus rentable par l’acquisition d’un bien en métropole qui aurait conservé une valeur stable sans bénéfice d’un avantage fiscal.

La qualification de la faute de l’intermédiaire, dans le droit fil de la jurisprudence, n’était pas discutée devant la Cour de cassation mais mérite d’être citée. La cour d’appel fustige la technique de vente qui consistait à « convaincre le client que le seul risque est de gagner de l’argent ». Les juges d’appel insistent sur la qualité de l’information devant être délivrée par l’intermédiaire. Elle doit « être loyale, complète et personnalisée afin de permettre l’engagement éclairé du cocontractant sur les avantages et les risques de l’opération immobilière et financière projetée ». Il ne suffit pas, comme le soutenait en l’espèce l’intermédiaire, de produire une projection financière calculant le montant des loyers annuels potentiels ainsi que montant des avantages fiscaux. Cette étude théorique, ne présentant que les perspectives les plus optimistes, accréditait l’idée d’une sécurisation du projet et d’une rentabilité certaine, sans envisager les risques.

Au contraire, outre les perspectives favorables de l’opération, l’intermédiaire doit présenter l’ensemble des aléas juridiques, financiers et constructifs inhérents à l’opération, susceptibles d’inciter les investisseurs à renoncer (Civ. 1re, 17 juin 2015, n° 13-19.760, AJDI 2015. 624  ; Civ. 3e, 24 sept. 2020, n° 19-18.637, AJDI 2020. 863 ; RTD civ. 2020. 869, obs. H. Barbier ). Au titre de ces aléas, l’information doit notamment porter sur les risques liés à l’absence de garantie d’achèvement des travaux (Civ. 1re, 20 déc. 2012, n° 11-25.424, AJDI 2013. 222 ), les conséquences d’un retard de démarrage des travaux (Civ. 1re, 26 sept. 2019, n° 18-21.402, AJDI 2019. 812 ; ibid. 813 ; RTD com. 2019. 861, obs. D. Legeais ), les risques fiscaux découlant de la vacance (Civ. 6 sept. 2018, n° 17-21.096, AJDI 2018. 722 ; RDI 2018. 558, obs. J.-P. Tricoire ), la nature des travaux éligible au dispositif fiscal, (Civ. 3e, 29 oct. 2015, n° 14-17.469, Dalloz actualité, 10 nov. 2015, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2015. 2320 ; AJDI 2016. 61 , obs. M. Thioye ; RDI 2016. 222, obs. H. Heugas-Darraspen ), le risque de défaillance de l’exploitant (Civ. 3e, 24 sept. 2010, n° 19-18.637, AJDI 2020. 863).

La responsabilité de l’intermédiaire était recherchée sur le plan délictuel, mais une présentation tronquée peut également être constitutive de manœuvres dolosives (Civ. 3e, 5 mars 2020, n° 18-26.124, RDI 2020. 388, obs. J.-P. Tricoire  ; Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-12.219, préc.).

Dans son pourvoi, l’intermédiaire contestait l’évaluation du préjudice retenue par la cour d’appel. Pour cette dernière, le préjudice consistait en une perte de chance d’effectuer un investissement immobilier locatif plus rentable par l’acquisition d’un bien en métropole qui aurait conservé une valeur stable sans bénéfice d’un avantage fiscal.

L’investisseur faisait valoir qu’il aurait fallu rechercher sous quelle probabilité les investisseurs, mieux informés, auraient ou non acquis le bien, c’est-à-dire auraient renoncé ou pas à l’opération litigieuse. Pour la Cour de cassation, cette recherche n’est pas nécessaire. En effet, la perte de chance consiste en la disparition d’une éventualité favorable. Ce qui était évalué ici, ce n’est pas tant l’opportunité d’éviter un investissement décevant, que la perte de chance de faire un investissement rentable par l’acquisition d’un bien dont la valeur vénale serait restée stable.

Il restait ensuite à chiffrer la perte de chance. La haute juridiction approuve la cour d’appel d’avoir procédé à une comparaison prenant en compte l’avantage fiscal attaché à un investissement outre-mer avec un investissement locatif immobilier réalisé en métropole en conservant une valeur stable. Les acquéreurs n’auraient certes pas bénéficié de l’avantage fiscal attaché au bien situé à la Réunion, mais le bien qu’ils auraient acquis à sa place aurait conservé une valeur équivalente au montant des sommes investies dans le prix d’achat.

Auteur d'origine: dreveau

L’AFA a ainsi tenu compte de trois années de pratiques et retours d’expériences des contrôles, des échanges avec les praticiens et bien sûr de la jurisprudence de la Commission des sanctions. Si, en effet, la Commission n’a rendu que deux décisions et qu’à chaque fois, les sanctions sollicitées ont été rejetées, la Commission a apporté des précisions utiles sur les obligations des entités assujetties autant que sur les pouvoirs de l’AFA.

Cette version comprend des développements et précisions qui vont sans aucun doute provoquer de nombreux commentaires et débats. Les nouvelles attentes sont ambitieuses, certains diront excessives, d’autres que c’est la réponse logique à ce qu’est la réalité pratique de la corruption.

Les nouvelles recommandations de l’AFA s’articulent en trois parties : des dispositions générales, des déclinaisons pour les entreprises assujetties à l’article 17, et enfin des déclinaisons pour les acteurs publics.

Les dispositions générales

Les « dispositions générales » sont consacrées en premier lieu à l’objet, au champ d’application et à la portée juridique des recommandations.

Opposabilité et présomption simple

L’AFA rappelle, comme dans la première version, que les recommandations ne créent pas d’obligation juridique pour ceux à qui elles s’adressent et qu’elles ne sont opposables qu’à l’AFA elle-même.

Néanmoins, il est évident que les entités assujetties ont plus qu’intérêt à s’y conformer.

D’abord, l’AFA précise que « la loi, ses décrets d’application, les présentes recommandations et les guides publiés sur le site internet de l’AFA constituent le référentiel anticorruption français ». Élément à part entière du corpus juridique français, les recommandations s’imposent donc en réalité aux entités assujetties.

Par ailleurs, en tout état de cause, les recommandations serviront de référentiel aux contrôleurs de l’AFA, à l’issue d’un délai de six mois après la publication au Journal officiel.

Si les entités contrôlées ont suivi les recommandations, elles bénéficieront d’une présomption simple de conformité : ce sera à l’AFA de démontrer que l’application n’a pas été correcte, régulière, effective. Il s’agit là de la jurisprudence de la Commission des sanctions.

Cette question de la présomption simple peut être vue sous deux angles. Optimiste : respecter les recommandations apporte un surplus de sécurité, assure à tout le moins un regard moins suspicieux des contrôleurs. Moins optimiste : cela conforte l’idée que la méthodologie de l’AFA, de plus en plus détaillée, s’impose fortement. Si une entreprise choisit d’adopter une autre méthode, elle se trouvera dans la position très peu confortable d’avoir, dès le début du contrôle, à justifier de son choix, en plus de répondre aux autres questions des contrôleurs.

Changement de focale : les trois piliers

L’AFA poursuit cette première partie décidément très intéressante par un changement de vision et d’organisation du dispositif anticorruption prévu par la loi.

L’article 17 de la loi oblige les entreprises, EPIC et groupes de plus de 500 salariés et 100 millions de chiffre d’affaires à mettre en place un dispositif complet, détaillé, composé de huit mesures complémentaires : cartographie des risques, code de conduite, dispositif d’alertes, procédures d’évaluation des tiers, procédures comptables, formations, régime disciplinaire et enfin dispositif de contrôle global.

À ces huit items, l’AFA a considéré, dès les premières recommandations, que devait s’ajouter l’engagement des instances dirigeantes, dès lors que la loi fait peser sur les dirigeants personnellement la responsabilité du respect des obligations fixées par la loi.

Désormais, dans les nouvelles recommandations, l’AFA substitue à ces 8+1 items 3 piliers, décrits dès les dispositions générales et déclinés ensuite dans les deux parties suivantes.

Cette structuration pose deux difficultés.

D’abord, le regroupement en trois piliers est un changement de focale considérable, lourd. L’AFA n’a pas réparti les items en trois piliers égaux, elle a donné le statut de pilier à l’engagement des instances dirigeantes, premier pilier, ainsi qu’à la cartographie des risques, deuxième pilier. Le troisième pilier est quant à lui constitué de la masse des 7 autres items, qualifiés de « mesures et procédures de maîtrise des risques d’atteintes à la probité ».

Ce zoom considérable sur ces deux éléments s’explique en pratique. Sans engagement des instances dirigeantes, rien ne peut concrètement se faire. L’enquête ethicorp/AFJE montrait d’ailleurs que les deux tiers des entreprises n’avaient pas encore achevé leur démarche de compliance Sapin 2, en raison d’un manque de moyens matériels et humains et du défaut d’implication des dirigeants, ce qui va avec.

Quant à la cartographie, c’est le socle du dispositif. Il faut bien sûr connaître les risques auxquels on est effectivement exposé avant de pouvoir sérieusement expliquer aux salariés comment agir, avec le code de conduite et les formations, ou avant de construire la procédure d’évaluation des tiers.

Même si elle peut s’expliquer par la pratique, cette réorganisation est en décalage avec l’équilibre initial de la loi qui ne prévoyait pas une telle hiérarchisation. Il est certain que cela provoquera des contestations.

Les effets d’une partie générale

Enfin, la partie générale donne les grandes lignes des trois piliers. Et cette description pose à son tour une véritable difficulté de fond, de principe même.

Pourquoi les décrire ainsi, dans cette partie générale, pour toute entité, alors qu’ils sont détaillés dans les deux parties suivantes ? Cela génère un problème d’articulation entre plusieurs dispositions de la loi – et plusieurs compétences de l’AFA.

Aux termes de l’article 3, 2°, l’AFA élabore des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé – sans critère de taille ou d’activité par conséquent – à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Toute entité est appelée à lutter contre la corruption, en mettant en œuvre des mesures adaptées à sa taille et à ses risques.

L’article 17, lui, est plus précis et exigeant mais seulement pour les plus grandes entités : les entreprises, EPIC ou groupes de plus de 500 salariés et de plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela représente environ 1 800 entités en France. Pour ces entités, et pour elles seules, le législateur exige le déploiement d’un dispositif comprenant les 8 ou 9 items précis qu’on a évoqués.

Or la nouvelle rédaction des recommandations conduit à étendre et généraliser le champ de l’article 17. Alors qu’il y a une partie consacrée aux « entreprises assujetties à l’article 17 », qui reprend l’ensemble des items prévus par la loi – ce qui est normal –, la partie générale les reprend également, et les décrit, alors qu’elle ne se limite évidemment pas aux entités de l’article 17 puisqu’elle est générale.

Et la partie concernant les acteurs publics les reprend d’ailleurs également, sans les limiter aux EPIC de plus de 500 agents et 100 millions d’euros de budget comme le prévoit l’article 17.

Cette triple description montre que l’AFA attend de tout acteur public ou privé non pas seulement qu’il adopte un dispositif adapté à sa taille, mais qu’il établisse une cartographie et qu’il rédige un code de conduite et qu’il établisse une procédure d’évaluation des tiers, etc. Chaque item pourra être adapté à la taille de l’entité, mais chaque item devra exister.

Certes, l’AFA n’a pas pour ces entités de pouvoir de contrôle ni de sanction, qui se limite aux entités de l’article 17, aux administrations de l’État et des collectivités territoriales, administrations de l’État, des collectivités territoriales, aux établissements publics, aux sociétés d’économie mixte et aux associations et fondations reconnues d’utilité publique.

Mais les recommandations ont une force d’influence. On a vu que l’AFA indique que « la loi, ses décrets d’application, les présentes recommandations et les guides publiés sur le site internet de l’AFA constituent le référentiel anticorruption français ».

Là encore, deux attitudes sont possibles face à cette extension.

Le premier réflexe est de la critiquer en la considérant comme ultra legem, voire contra legem, et source d’une charge considérable pour les entités qui étaient hors du champ de l’article 17. Le gérant d’une SARL de dix salariés appréciera sans doute peu cette charge supplémentaire.

Mais on peut aussi voir les choses sous un angle pratique, en se reportant à l’esprit de la loi et la réalité du terrain de la lutte contre la corruption. Il n’est pas possible de prévenir sérieusement la corruption sans savoir à quels risques on est exposé. Inviter les entreprises, y compris plus modestes, à s’engager comme les autres dans l’éthique et l’anticorruption conduit à ce qu’elle fasse cet exercice d’analyse indispensable. C’est cela, une cartographie.

Reste que la formulation actuelle prend tout de même les entités concernées dans une forme d’étau et, pour le coup, ne les guide peut-être pas assez et les laisse un peu démunies. On leur dit que les recommandations sont partie intégrante du corpus anticorruption. On leur dit aussi qu’elles doivent faire une cartographie. On décrit un peu ce que c’est, mais pas trop. La seule description, très poussée, est pour les grandes entités, inapplicable à leur échelle. Que doivent-elles faire concrètement, ces entreprises, qui n’ont souvent pas de juriste ou compliance officer ?

Cette rédaction est en fait un appel aux conseils des entreprises, qui ont un vrai travail d’accompagnement à construire. Bien entendu, on ne fera pas une cartographie pour des PME de la même manière que pour un groupe international. Mais il est tout à fait possible d’en établir une qui soit adaptée à leur dimension et efficace.

Les entreprises sont déjà soumises au RGPD. La méthode de la cartographie des risques n’est pas éloignée de celle d’une analyse d’impact. Les deux réglementations prévoient des codes de conduite, des formations, etc. Aux conseils des entreprises de s’adapter pour proposer à leurs clientes des modes d’interventions optimisés, pour être efficaces avec un prix raisonnable.

À terme, il n’est pas évident que ces PME aient le choix : pour être référencée par un grand groupe, pour lui vendre ses services ou ses produits, pour soumissionner à un marché public, la PME devra être en mesure de démonter qu’elle a bien structuré sa démarche anticorruption. De telles exigences commencent déjà à apparaître.

Les dispositions relatives aux entreprises assujetties à l’article 17

Regardons maintenant la partie relative aux « entreprises de l’article 17 ». Il s’agit bien des entreprises et non des entités. Les EPIC assujettis relèveront donc de la partie 3 sur les acteurs publics.

Quelles infractions sont concernées ?

L’AFA commence là encore par une interprétation extensive de la loi, qui sera sans doute très commentée et critiquée.

Le paragraphe 87 des recommandations rappelle que l’article 17 vise deux infractions : la corruption et le trafic d’influence, alors que l’article 1er de la loi en vise 6 : corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme. Si on est très précis, l’article 17 ne prévoit la cartographie des risques que pour un seul et unique cas : les « sollicitations externes aux fins de corruption ». Une telle précision est surprenante, mais laisse penser qu’il ne s’agit pas d’une erreur de plume.

L’AFA opère une première généralisation en indiquant que les infractions mentionnées au paragraphe 87 (donc a priori toutes celles des articles 1 et 17 de la loi) seront « dénommées indistinctement “corruption” dans la suite du II des présentes recommandations ».

Et elle ajoute qu’elle conseille qu’au-delà de ce que prévoit la loi, le dispositif anticorruption d’une entreprise appréhende les infractions de faux, d’abus de biens sociaux, de recel ou de blanchiment, qui peuvent être selon ses termes « les prémices ou la conséquence ». Ce n’est qu’un conseil, il n’y a aucune ambiguïté à cet égard dans la rédaction, mais lorsqu’il émane d’une autorité de contrôle, on a peut-être la tentation de le suivre plutôt que de l’écarter…

Si on ajoute que la corruption recouvre en fait deux infractions, la corruption publique et la corruption privée, nous voilà donc avec onze infractions désormais visées par les recommandations.

Qu’en penser ? On revient aux deux visions possibles et opposées évoquées dans la première partie. C’est évidemment une extension de ce que la loi prévoyait, avec tout le poids qu’on les recommandations.

En même temps, quand on pratique à la fois la matière pénale et la compliance, c’est une extension qui n’a rien de surprenant.

Voilà plusieurs décennies que les magistrats poursuivent des faits de corruption en utilisant l’infraction d’abus de bien sociaux. Les deux infractions ont des régimes de prescription différents. Il est souvent trop tard lorsque les faits sont découverts pour poursuivre sur le fondement de la corruption. En outre, le pacte de corruption est délicat à démontrer. En revanche, dès lors qu’on aura utilisé les moyens d’une entreprise pour corrompre, il y a ABS dont le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où on est en mesure de le poursuivre, donc en fait du jour où les faits sont découverts. Et il est vrai que la corruption va s’accompagner de la même manière de faux, de recel, de blanchiment.

Si on veut vraiment protéger l’entreprise, et s’assurer de prévenir la réalité de la corruption, la réalité d’un phénomène et de pratiques qui dépassent la lettre de l’infraction elle-même, si on veut faire une cartographie pertinente, il faut tenir compte de ces éléments.

Néanmoins, cela signifie tout de même que les entreprises qui avaient déployé leur dispositif, après des mois de travail, vont devoir le reprendre, peut-être pas à zéro mais en tout cas suffisamment pour s’assurer que les angles ABS ? Faux, recel, blanchiment ont été intégrés.

Il leur faudra rajouter des scénarios de risques, recalibrer les plans d’action, revoir la rédaction du code de conduite, compléter les formations, etc. C’est reparti pour un tour. Parce que sinon, en cas de contrôle, on sera une fois encore dans la position désagréable d’avoir à justifier qu’on n’a pas suivi les nouvelles recommandations.

Les instances dirigeantes et au-delà ?

La partie 2 poursuit sur la responsabilité des instances dirigeantes, avec un ajout ou une précision par rapport à la première version.

L’AFA indique en effet que, « si les membres des conseils d’administration ou autres organes de contrôle ou de surveillance ne sont pas visés, dans leur ensemble, par cette définition, ils s’assurent, dans le cadre de leur mission de surveillance des activités de l’entreprise, de l’existence, de la pertinence et de l’efficacité des mesures prises par les dirigeants afin de se conformer à leurs obligations légales ».

Cette formulation a surpris, mais pour autant est-ce vraiment un élargissement par rapport à ce que la loi prévoit ? Le défaut de contrôle ne pourra pas donne lieu à leur poursuite devant la Commission des sanctions, seuls les dirigeants sont visés. Et surtout, l’AFA n’invente rien : le rôle des organes de contrôle est prévu dans le code de commerce.

Il faut revenir vers l’objectif des recommandations et la réalité pratique : les instances dirigeantes sont encore insuffisamment mobilisées pour mettre en œuvre la loi Sapin 2. Et il revient aux conseils de surveillance de leur rappeler que c’est une obligation. Pour être complet, il revient aussi aux commissaires aux comptes de le leur rappeler, et même de s’assurer que les risques sont provisionnés. Et il revient de même aux assureurs ou courtiers d’attirer l’attention de leurs clients. À terme, il serait même assez légitime qu’ils refusent de couvrir un sinistre qui n’aurait pas été valablement anticipé.

Les trois piliers, quelques observations

La partie 2 des recommandations détaille chacun des trois piliers. Nous ferons simplement ici quelques observations, renvoyant au texte lui-même pour plus de précisions.

Sur la cartographie, l’AFA détaille enfin un peu plus sa méthodologie, les premières recommandations étant plus sommaires à cet égard. Il y a diverses manières de construire une cartographie, mais celle-ci se fonde sur les processus et sur un mix des méthodes bottom up et top down, c’est-à-dire un aller-retour finalement entre la direction et les opérationnels.

C’est une méthode pragmatique et efficace. On commence en synthèse par identifier les risques de l’entreprise, en décortiquant les processus étape par étape. Ce sont les risques « bruts » qu’on va évaluer selon des échelles et des coefficients de gravité à déterminer pour chaque entreprise, selon son activité, les pays avec lesquels elle travaille, son type de clientèle, etc. Ensuite, on apprécie ces risques au regard des mesures de prévention en place pour obtenir des risques dits « nets », et on va voir quelles mesures doivent être mises en œuvre ou améliorées, donnant lieu à un véritable plan d’action, tout cela étant formalisé, réévalué régulièrement, et mis à jour si nécessaire (v. W. Feugère, Cartographier ses risques, La compliance en pratique, Éditions législatives, 2020).

Résumé ainsi, c’est simple et logique. En pratique, pour de grandes entreprises, c’est un projet de grande ampleur, qu’il faut gérer avec rigueur. Et surtout, il faut bien s’adapter à chaque entreprise. On voit trop souvent des cartographies plaquées à l’identique d’une entreprise à l’autre. Les modèles sont des dangers en matière de compliance.

De la cartographie découlera le reste. On sera à même d’expliquer aux salariés ce qu’il faut faire, avec un code de conduite, des formations. On permettra la remontée de manquements éventuels avec un dispositif d’alertes pour que l’entreprise puisse y remédier et réviser si nécessaire ses processus qui n’auront pas permis d’empêcher le manquement. On mettra en œuvre des procédures adaptées d’évaluation des tiers, pour s’assurer qu’ils ne mettent pas l’entreprise et ses équipes en situation à risque.

Des alertes, l’AFA décline des développements sur les enquêtes internes. Une alerte qui ne donne pas lieu à des suites effectives est une alerte inutile, je dirais même une alerte gâchée. L’intérêt d’une alerte est d’informer pour permettre de remédier, de corriger, de décider. C’est un outil d’intelligence économique. Mais l’alerte seule ne suffit pas, il faut vérifier les faits, procéder à des recherches, des investigations, une enquête donc.

L’AFA donne les grandes lignes sur le sujet, sans précision excessive et c’est heureux. On n’enquête pas de la même manière sur de la corruption, sur un harcèlement, sur un détournement de fonds. Il faut des procédures d’enquêtes adaptées à chaque situation. Il ne faut pas que les autorités créent un carcan qui serait finalement contre-productif.

L’AFA rappelle qu’il y a trois niveaux d’acteurs à ce sujet : les opérationnels, commerciaux, acheteurs, le service de la conformité et les dirigeants à qui doivent remonter les cas les plus risqués.

Enfin, l’AFA détaille la question du contrôle interne, avec un tableau détaillé des trois niveaux de contrôle préconisés, sur chacun des items de l’article 17. C’est essentiel : la compliance est une matière dynamique, c’est une construction perpétuelle. Le contrôle permet de s’assurer de la pertinence des mesures en place et de déceler les adaptations utiles.

Les conséquences d’une méthodologie détaillée

Toutes ces précisions successives sont intéressantes. Reste qu’elles vont aussi provoquer quelques oppositions. L’AFA entre dans un degré de détails qui n’est pas seulement explicatif mais, évidemment, contraignant, encadrant, puisqu’une fois encore il fait partie du référentiel anticorruption français.

Or il y a diverses méthodes de mise en conformité et notamment de cartographie. Même si la méthode préconisée est bonne et a fait ses preuves, pourquoi la rendre ainsi quasi exclusive, les autres ne bénéficiant pas, si on les choisit, d’une présomption favorable ?

Il faut bien comprendre que les directions juridiques, éthiques, conformité des entreprises ne bénéficient pas d’énormes moyens. Le responsable compliance, quel que soit son titre, est bien souvent seul, ou avec une toute petite équipe, même dans de très grands groupes. Il est chargé de Sapin 2, mais aussi très souvent du RGPD, de la RSE et du devoir de vigilance, quand il ne gère pas l’ensemble des autres aspects juridiques. Il est donc contraint de mener de front des chantiers de grande ampleur, tout en devant répondre aux urgences quotidiennes qui touchent à la stratégie de l’entreprise.

La période est également très particulière. Une révision des recommandations était prévue, et même attendue. L’épidémie de covid était imprévisible. Mais réviser le référentiel des entreprises alors qu’elles ont géré des plans de continuité d’activité, des plans de reprise d’activité, qu’elles sont confrontées à des difficultés financières, les leurs ou celles de leurs fournisseurs, de leurs clients, etc., c’est pour le moins compliqué.

Le délai de six mois, s’il faut tout reprendre, relire et éventuellement réviser, est presque trop court.

Les dispositions relatives aux acteurs publics

La troisième est dernière partie est consacrée aux acteurs publics. Cette partie était vivement attendue. Les entreprises privées avaient un peu le sentiment qu’elles étaient les seules à devoir lutter contre la corruption, alors que, s’agissant de corruption publique ou de trafic d’influence, le décisionnaire est un agent public.

La loi Sapin 2 est très sobre sur les entités publiques. Les administrations de l’État, les régions, départements, communes de plus de 10 000 habitants, etc., doivent mettre en place des dispositifs d’alertes. Mais c’est tout. Il n’y a que les EPIC de plus de 500 agents et 100 millions de budget sont assujettis à l’article 17.

De mémoire, l’AFA avait estimé que l’équivalent public – en nombre d’agents, en budget, etc. – d’une entreprise assujettie à l’article 17, c’était une commune de 80 000 habitants. Pourtant, ces communes ne sont pas soumises à l’article 17. Pas d’obligation dans les grandes métropoles ou les régions par exemple de faire une cartographie des risques. Pas d’obligation pour les administrations de l’État.

Il n’est pas anodin que le rapport du GRECO (groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe) du 9 janvier 2020 ait exhorté la France à renforcer l’efficacité et l’application dans la pratique de la lutte contre la corruption, y compris au sein de l’exécutif (président de la République, ministres, membres des cabinets et hauts fonctionnaires), ainsi que dans la police nationale et la gendarmerie nationale !

Là, près de la moitié des nouvelles recommandations est consacrée aux acteurs publics. Ça vient en complément d’un remarquable guide Maîtriser le risque de corruption dans le cycle de l’achat public, rédigé par l’AFA et la Direction des achats de l’État et publié en juin 2020.

Il y a même une annexe consacrée à des exemples de scénarios de risques pour les acteurs publics.

Est-il cohérent de trouver excellent d’étendre l’article 17 au-delà des EPIC quand il s’agit des acteurs publics et de s’interroger lorsque cette extension concerne les entités privées ? Encore une fois, la vérité est entre les deux. Exclure une part considérable des administrations du cœur de la lutte contre la corruption n’avait pas de justification, y compris budgétaire. Et si l’ont est attaché à la notion de service public, l’engagement éthique en est une partie intégrante, naturelle.

Conclusion

Ces recommandations sont très intéressantes, intellectuellement et en pratique. Elles sont autrement plus abouties, meilleures, disons-le clairement, que les précédentes.

Mais elles sont dures, lourdes. Elles peuvent assommer un peu les entités assujetties, auxquelles il va falloir laisser un peu de temps, leur faire bénéficier d’un peu plus de souplesse.

Nous sommes à trois ans de l’entrée en vigueur de la loi, on pouvait considérer qu’elles avaient eu le temps de se préparer et les contrôleurs étaient en droit de devenir de plus en plus exigeants. Là, on ne repart pas à zéro, mais on a quand même fait un reboot qui nécessite un temps de redémarrage pour que le processeur tourne à nouveau à plein régime.

C’est aussi un appel à l’imagination et à l’agilité des conseils de ces entités, publiques ou privées. Loin des modèles préformatés, revendus trop chers d’un client à l’autre et sans aucun intérêt pratique car détachés du réel de l’entreprise concernée, loin aussi à l’extrême d’une construction d’une complexité et d’une lourdeur excessive, impossible à mettre en œuvre dans les grands groupes comme dans les PME, il faut faire preuve de pragmatisme.

La première étape, c’est de connaître l’entreprise, sa culture, et de faire en sorte que les outils anticorruption s’y intègrent, de manière fluide. Là, ils seront compris et acceptés. Ils seront efficaces. Et, en sécurisant et facilitant la vie des opérationnels, ils deviendront ce qui permet de distinguer conformité et compliance : des leviers de croissance.

Auteur d'origine: Dargent

Aux termes d’une réponse ministérielle rendue récemment, le ministère de l’Économie, des finances et de la relance, apporte une précision importante sur la mise en œuvre de l’obligation de publication du plan de vigilance par les sociétés en rappelant que, dans la législation actuelle, il n’appartient pas aux pouvoirs publics de mettre en demeure ces entreprises assujetties qui ne se seraient toujours pas acquittées de cette obligation.

Dans son rapport d’évaluation de la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance, le Conseil général de l’économie (CGE) fait état de facteurs d’incertitude qui ne permettent pas aujourd’hui d’avoir une liste fiabilisée des entreprises concernées par la loi. Les propositions du rapport destinées à y remédier sont à l’étude, étant précisé qu’il n’est pas souhaitable de préempter les discussions qui s’ouvrent dans le cadre de l’initiative de la Commission...

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Auteur d'origine: Thill
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Il est tentant de discerner, au sein de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 janvier 2021, un brutal revirement de la jurisprudence de la chambre commerciale quant au point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil supportés par le banquier. Il semble pourtant que la nature profonde de cet arrêt soit plus subtile et qu’en lieu et place d’un brutal revirement, il existe un habile ajustement.

En 2007, un emprunteur avait obtenu un crédit immobilier pour lequel il avait également adhéré au contrat d’assurance de groupe souscrit par la banque. Placé en arrêt maladie en 2012, l’emprunteur s’est prévalu de la couverture des échéances par la police d’assurance. Cependant, la prise en charge lui a été refusée, dès lors qu’il avait atteint l’âge au-delà duquel le risque maladie n’était plus couvert. À la suite d’échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme et a sollicité paiement auprès de la caution, laquelle s’est retournée contre l’emprunteur qui, pour tenter de se libérer de son prêt, à invoquer la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de conseil. Sans s’attacher aux manquements éventuels, les juges du fond ont retenu la prescription de l’action en réparation de l’emprunteur puisqu’il s’était écoulé plus de cinq ans entre l’exercice de l’action et la conclusion du contrat.

Le pourvoi invitait dès lors à un départage quant à la détermination du point de départ du délai de prescription : doit-il être fixé à la date de la conclusion du contrat ou reporté à la date du refus de garantie opposé par l’assureur ?

Au visa des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, la Cour de cassation rappelle que les « actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Prenant appui sur le caractère glissant du point de départ de la prescription consacré par la loi, la chambre commerciale retient que lorsqu’un prêteur n’a pas suffisamment informé l’emprunteur sur les risques couverts par l’assurance souscrite, le dommage consiste alors en « la perte de la chance de bénéficier d’une […] prise en charge », lequel se réalise « au moment du refus de garantie opposé par l’assureur ». Il en découle que ce refus constitue « le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité exercée par l’emprunteur ». Le contexte de la décision est éclairant dès lors que la solution retenue n’avait rien d’évident ; l’examen de son appréciation ainsi que de sa portée permet d’exactement en cerner la teneur.

Contexte

En matière de devoirs d’information, de mise en garde et de conseil, il est de jurisprudence classique, au moins pour la chambre commerciale et concernant le contrat de prêt, de retenir qu’en cas de manquement, le dommage réside en une perte de chance de ne pas contracter, en sorte qu’il se réalise au jour de la conclusion du contrat, lequel marque le point de départ de la prescription de l’action (en ce sens, v. not. Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354, Dalloz actualité, 25 févr. 2010, obs. V. Avena-Robardet, D. 2010. 934, obs. V. Avena-Robardet , note J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2010. 770, obs. D. Legeais  ; 27 mars 2012, n° 11-13.719 ; 17 mai 2017, n° 15-21.260, RTD civ. 2017. 865, obs. H. Barbier ). Cependant, cette position a été récemment malmenée à propos de l’assurance adjointe au prêt, par un arrêt de la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, Dalloz actualité, 9 juin 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 1120  ; H. Barbier, Pour une approche unitaire du point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, mise en garde et conseil, RTD civ. 2017. 865 s. ; CCC 2017. Comm. 164, obs. L. Leveneur) ayant retenu que la manifestation du dommage ne découlait pas de la conclusion du contrat mais du refus de garantie opposé par l’assureur. Dès lors, il a été décidé que le point de départ du délai de prescription devait être reporté à la date de ce refus.

Il est vrai que les deux analyses – le maintien du point départ au jour de la conclusion du contrat ou le report à la date du refus de prise en charge – peuvent être raisonnablement soutenues à propos du devoir d’information et de conseil en cas d’assurance souscrite par l’emprunteur. La première n’est pas fantaisiste dès lors que les termes du contrat d’assurance, pour lequel il n’était pas contesté en l’espèce qu’ils avaient été transmis au prêteur par l’entremise des conditions générales et de la notice d’information, permettent de connaître les événements excluant la couverture et donc l’éventualité d’un préjudice généré par le défaut de prise en charge. En somme, et de façon générale, la perte de chance de ne pas contracter résultant du défaut d’information se réaliserait toujours au jour de la conclusion du contrat, lequel devrait invariablement constituer le point de départ de la prescription.

Cependant, la seconde analyse, tendant au report du point de départ de la prescription à la date du refus de garantie par l’assureur, présente également quelques arguments. L’absence de garantie de l’assureur peut être la résultante de subtilités qui n’apparaissent pas en pleine lumière au sein de l’instrumentum, encore qu’elles ne soient pas dissimulées. Là réside d’ailleurs l’utilité d’un devoir de conseil : attirer spécifiquement l’attention de l’emprunteur sur ce qu’induisent et recouvrent les termes de l’assurance au regard de sa situation personnelle. Par ailleurs, la réalisation du risque est en ce cas différée, qui n’apparaît que tardivement, au moment du refus de prise en charge de l’assureur. À ces égards, il est tentant de procéder à un transfert de l’objet de la perte de chance, laquelle ne serait plus de ne pas contracter mais de ne pas pouvoir bénéficier de la prise en charge, de sorte que le point de départ de la prescription ne peut alors qu’être reporté au moment du défaut de prise en charge, lors du refus de garantie opposé par l’assureur.

Confrontée à l’alternative, la chambre commerciale consacre la seconde analyse, en retenant que le dommage invoqué par le prêteur consistait « en la perte de la chance de bénéficier d’une […] prise en charge » et non en la perte d’une chance de ne pas contracter. Ce changement d’objet de la perte de chance conduit à retenir que le dommage se réalise « au moment du refus de garantie opposé par l’assureur », cette date devant constituer « le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité […] ». Ce faisant, la chambre commerciale accorde ses violons avec la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, préc.) et procède à un ajustement net de sa jurisprudence quant au point de départ de la prescription de l’action pour manquement au devoir d’information et de conseil quant à l’adéquation des risques couverts par l’assurance à la situation personnelle de l’emprunteur. Reste à déterminer si l’ajustement est opportun.

Appréciation et portée

Le truchement employé, consistant à cerner la perte de chance non dans la possibilité de ne pas contracter mais dans celle de bénéficier d’une prise en charge par l’assureur, est particulièrement favorable à l’emprunteur. En effet, on ne peut s’empêcher de penser que le refus de garantie opposé par l’assureur manifeste bien plus un effet prévisible du contrat d’assurance que la caractérisation de la perte d’une chance, puisque de chances de prise en charge de l’événement exclu, le contrat d’assurance n’en laissait justement planer aucune… proprement parce qu’il l’excluait expressément ! La solution découle donc essentiellement de considérations d’opportunité. Il est vrai qu’à défaut de report du point de départ de la prescription, les hypothèses seraient nombreuses où les emprunteurs réaliseraient hors délai le manquement du prêteur à son obligation d’information sur la teneur des risques couverts par l’assurance souscrite. Les emprunts, en particulier pour le financement des acquisitions immobilières, sont le plus souvent remboursés sur une longue période, de sorte qu’un point de départ de la prescription fixé à la date de la conclusion du contrat dédouanerait le prêteur de son manquement chaque fois que le refus de garantie opposé par l’assureur interviendrait au-delà de cinq ans à compter de la conclusion du contrat. La position retenue par la chambre commerciale permet d’éviter ce résultat et qu’in fine, le devoir de conseil en matière de contrat d’assurance adossé à un crédit soit rendu stérile, faute de pouvoir sanctionner les manquements.

Au-delà, l’essentiel tient à la détermination de la portée de la solution rendue. À cet égard, l’analyse montre que l’arrêt procède certainement à un ajustement de la jurisprudence en matière de point de départ de la prescription en cas de manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil dans le cadre des crédits dispensés par les professionnels, plutôt qu’à un revirement général et tonitruant. En effet, la solution de la chambre commerciale, à l’identique de celle retenue par la deuxième chambre civile en 2017 (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, préc.), est rendue à propos d’un aspect bien particulier : le défaut d’information de l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts par l’assurance par rapport à sa situation personnelle. Dans ce cas, la réalisation du risque se détache de la conclusion du contrat pour se fixer au jour du refus de garantie de l’assureur, c’est-à-dire au jour de l’exécution du contrat. Il semble dès lors que cet arrêt participe d’un mouvement jurisprudentiel tendant à fixer le point de départ de la prescription de l’action pour manquement aux devoirs d’information, de mise en garde et de conseil au jour de la réalisation du risque, avec une application distributive au contrat de prêt, ainsi qu’aux contrats d’assurance ou de cautionnement venant en complément (v. H. Barbier, art. préc., p. 865 s.). Suivant cette ligne, la jurisprudence récente retient le point de départ de la prescription au jour de la réalisation du cautionnement pour le contrat de cautionnement (Com. 4 mai 2017, n° 15-22.830, RTD civ. 2017. 865, obs. H. Barbier ), au jour de la conclusion du prêt pour le contrat de prêt (Com. 17 mai 2017, n° 15-21.260, préc.) et au jour du refus de garantie opposé par l’assureur, en matière de contrat d’assurance (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754, préc.). Appréhendée de la sorte, la solution dégagée par cet arrêt de la chambre commerciale ne s’applique qu’au contrat d’assurance et non à l’obligation de mise en garde en matière de prêt, pour laquelle la règle de principe revient, qui commande de retenir pour point de départ de la prescription de l’action en responsabilité la date de la conclusion du contrat. Et l’exacte portée de l’arrêt se dessine : il s’agit essentiellement d’un ajustement et non véritablement d’un revirement. Il faudra néanmoins que la jurisprudence future le confirme.

Auteur d'origine: yblandin
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La jurisprudence en matière de transport aériens de passagers fondée sur le règlement n° 261/2004 du 11 février 2004, qu’elle émane de la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Cour de cassation, est généralement très favorable au passager, cela au grand damne des compagnies aériennes. En particulier, très récemment, la Haute juridiction, revenant sur sa jurisprudence, n’exige plus que le passager qui formule une demande d’indemnisation consécutive à un retard important de vol doive rapporter pas la preuve de ce qu’il s’est présenté à l’enregistrement (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-13.016, D. 2020. 2062 ; AJ contrat 2020. 575, obs. P. Delebecque ; ibid. 575, obs. P. Delebecque ; JT 2020, n° 235, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD com. 2020. 942, obs. B. Bouloc ; BTL 2020. 622, obs. N. R.). Une fois n’est pas coutume, cet arrêt du 6 janvier 2021 rejette – en toute logique, au demeurant – la demande d’indemnisation pour annulation de vol du passager (ou plutôt de ses parents, car ledit passager était ici un enfant en bas âge) car celui-ci avait voyagé gratuitement.

Les faits méritent d’être connus, car ils aident à la compréhension de la solution adoptée. Il s’agit d’une famille dont les parents disposaient d’une réservation pour eux-mêmes et leurs trois enfants mineurs, sur le vol Agadir/Paris prévu le 4 mai 2018. Le vol est effectivement arrivé à destination, mais avec un retard de plus de 22 heures, suite à l’annulation de ce vol (on croit comprendre que cette famille a été réacheminée sur un autre vol). Sur le fondement du règlement n° 261/2004, ils ont obtenu de la compagnie aérienne le versement d’une indemnité de 400 € pour chacun d’eux et deux des enfants. C’est l’article 7 du règlement qui fixe le montant de l’indemnisation dû en cas d’annulation ou de retard important (de plus de 3 heures) de vol ; il varie de 250 à 600 € en fonction de la distance qui aurait dû être (ou a été) couverte par le vol et de son caractère intra-communautaire ou non. En particulier, le montant de l’indemnisation s’élève à 400 € pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres. C’est cette seconde hypothèse dont il est ici question. Malheureusement pour eux, ils n’ont obtenu aucune indemnisation de la compagnie aérienne en ce qui concerne le...

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par Xavier Delpechle 27 janvier 2021

CEPC, avis n° 20-6, 17 déc. 2020

Un professionnel a interrogé la Commission d’examen sur l’application des articles L. 441-3 et L. 441-4 du code de commerce dans le cadre des relations entre les centrales d’achat intervenant dans le secteur de la grande distribution et les sociétés indépendantes qu’elles approvisionnent. Pour rappel, l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 (JO 25 avr.), portant réforme du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, adoptée en application de l’article 17 de la loi EGalim n°...

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On sait que la législation relative aux clauses abusives est (trop ?) protectrice des intérêts du consommateur, mais elle ne saurait dispenser ce dernier de faire preuve de bonne foi, sous peine d’être privé de son bénéfice (rappr. C. consom., art. L. 711-1, al. 1er : « Le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi »). Tel est l’enseignement que l’on peut tirer de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 janvier 2021. En l’espèce, suivant offre acceptée le 30 novembre 2011, une banque a consenti un prêt immobilier à deux emprunteurs. Les conditions générales du contrat prévoyaient à l’article 9-1 une exigibilité du prêt par anticipation, sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l’emprunteur, dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur. Soutenant que les emprunteurs avaient produit de faux relevés de compte à l’appui de leur demande de financement, la banque s’est prévalue de l’article précité pour prononcer la déchéance du terme, puis les a assignés en paiement. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 août 2018, a accueilli cette demande, après avoir exclu le caractère abusif de l’article 9.1 des conditions générales du contrat. Les emprunteurs se sont donc pourvu en cassation, arguant notamment de l’ancien article R. 132-2, 4° (devenu R. 212-2, 4°, nouv.) du code de la consommation, présumant simplement abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de « reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable » (cette présomption est toutefois écartée pour certaines opérations en vertu de l’article R. 212-3 du code de la consommation). Mais la Cour de cassation ne se laissa pas convaincre par l’argument, considérant que « l’arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt et ne prive en rien l’emprunteur de recourir à un juge pour contester l’application de la clause à son égard. Il ajoute qu’elle sanctionne la méconnaissance de l’obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt » (pt 4). Elle en conclut que, « de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a implicitement mais nécessairement retenu que la résiliation prononcée, ne dérogeait pas aux règles de droit commun et que l’emprunteur pouvait remédier à ses effets en recourant au juge, a déduit, à bon droit, que, nonobstant son application en l’absence de préavis et de défaillance dans le remboursement du prêt, la clause litigieuse, dépourvue d’ambiguïté et donnant au prêteur la possibilité, sous certaines conditions, de résilier le contrat non souscrit de bonne foi, ne créait pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » (pt 5).

À première vue, la solution peut paraître contraire à l’article R. 212-2, 4°, du code de la consommation, dont elle heurte à l’évidence la lettre. En effet, comme susdit, ce texte fustige la possibilité pour le professionnel de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable (pour une critique de cette référence au caractère raisonnable de la durée du préavis, v. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier et J. Ghestin (dir.), Les contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., 2018, LGDJ, n° 946 ; v. égal. C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 585, 2018, n° 444). A fortiori, l’on doit donc considérer que l’absence pure et simple de préavis tombe sous le coup de cette disposition. Toutefois, l’existence d’un motif légitime peut en réalité justifier la stipulation d’une clause a priori sujette à caution parce que consacrant au profit du professionnel une prérogative unilatérale. D’abord, l’annexe à la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, contenant une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives, permet d’étayer cette considération, tout particulièrement son point g), qui vise les clauses ayant pour objet ou pour effet « d’autoriser le professionnel à mettre fin sans un préavis raisonnable à un contrat à durée indéterminée, sauf en cas de motif grave ». Ensuite, l’étude des recommandations de la Commission des clauses abusives ainsi que de la jurisprudence révèle également que l’existence d’un tel motif peut justifier ce type de clause. Comme l’affirme à juste titre un auteur, citant de nombreuses recommandations et décisions en ce sens, « le caractère injustifié ou justifié de la prérogative unilatérale conférée au professionnel influe sur le caractère abusif ou non de la clause qui l’organise. En effet, dès lors que la stipulation de cette prérogative s’explique par un motif légitime, elle perd ses caractères arbitraire et abusif. Cela ressort, encore une fois, de la pratique […]. L’exemple le plus probant est sans doute celui de la clause de résiliation unilatérale par le professionnel. Elle est abusive dès lors qu’elle peut être invoquée, même sans motif légitime » (C.-L. Péglion-Zika, op. cit., nos 452 et 453).

En l’occurrence, il est évident que la fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt constitue un motif légitime permettant de justifier la clause de résiliation sans préavis. En d’autres termes, l’absence de bonne foi du consommateur permet de légitimer la faculté de résiliation sans préavis stipulée au profit du prêteur.

Certes, les juges du fond avaient jugé la clause litigieuse non abusive sans prendre la peine de constater que la banque avait renversé la présomption posée par l’article R. 212-2 du code de la consommation, alors que ce texte impose précisément au professionnel de « rapporter la preuve contraire » (v. égal. C. consom., art. L. 212-2, al. 5, seconde partie : « en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse » ; sur la notion de clause grise, v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 103). Mais il ne faut pas oublier que l’article R. 632-1 du code de la consommation prévoit, en son alinéa 2, que le juge « écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat » (sur ce relevé d’office, v. J.-D. Pellier, op. cit., nos 112 et 327). Il est possible de considérer, a contrario, nous semble-t-il, que, si les éléments du débat font apparaître que la clause litigieuse ne présente pas de caractère abusif, alors le juge ne doit pas l’écarter. Le professionnel peut donc également être avantagé par ce texte, principalement conçu en faveur du consommateur.

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En matière de crédit à la consommation, les actions en paiement du prêteur sont soumises à une forclusion biennale en vertu de l’alinéa 1er de l’article R. 312-35 du code de la consommation (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 192). L’alinéa 2 du même texte prévoit que « Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l’objet d’un réaménagement ou d’un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l’article L. 732-1 ou après décision de la commission imposant les mesures prévues à l’article L. 733-1 ou la décision du juge de l’exécution homologuant les mesures prévues à l’article L. 733-7 » (la solution est également valable en présence d’un délai de grâce accordé au débiteur sur le fondement de l’art. L. 314-20 c. consom., renvoyant à l’art. 1343-5 c. civ., v. Civ. 1re, 1er juill. 2015, n° 14-13.790, D. 2015. 1484 ; RTD com. 2015. 735, obs. B. Bouloc ). Encore faut-il s’entendre sur la notion d’incident de paiement non régularisé. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 janvier 2021 apporte à cet égard d’utiles précisions. En l’espèce, suivant offres acceptées le 29 janvier 2008, une banque a consenti à un emprunteur deux prêts de 21 000 € et 14 000 € garantis par une assurance. Par la suite, l’emprunteur a fait l’objet d’une procédure de traitement de sa situation de surendettement, qui donné lieu à une décision du 28 février 2013, par laquelle la commission de surendettement a imposé des mesures de redressement à compter du 31 mars de la même année. L’emprunteur n’a alors effectué aucun remboursement et l’assureur a, au titre de la garantie invalidité, réglé à la banque la somme totale de 2 529,75 €. Puis, par acte du 3 août 2015, la banque a assigné l’emprunteur en remboursement du solde des prêts, mais ce dernier lui a opposé la forclusion de l’action.

La cour d’appel d’Amiens, dans un arrêt du 27 septembre 2018, a déclaré recevable la demande en paiement de la banque et a condamné l’emprunteur au paiement d’une certaine somme. Un pourvoi en cassation fut donc formé par celui-ci, au motif notamment que la régularisation d’un incident de paiement ne peut résulter du paiement fait par l’assureur-emprunteur. Cependant, l’argument ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour régulatrice, qui considère qu’« un paiement effectué par l’assureur, substitué à l’assuré, valant paiement de la dette de ce dernier, permet d’écarter l’existence d’un incident de paiement non régularisé, de sorte qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que la somme de 2 529,75 € avait permis le paiement intégral des échéances des mois d’avril, mai, juin et juillet 2013 et le paiement partiel de l’échéance du mois d’août et que l’échéance du 30 août 2013 constituait le premier incident de paiement non régularisé, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que l’action de la banque était recevable ».
La solution est irréprochable : le code de la consommation n’exige nullement que l’incident de paiement soit régularisé par l’emprunteur lui-même (comp. G. Cattalano, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 324.103 : « Par cette expression, il faut entendre le premier défaut de paiement, total ou partiel, qui n’a pas été ultérieurement couvert par l’emprunteur, ou par un accord conclu entre le prêteur et l’emprunteur pour reporter les échéances »), si bien que le paiement de la dette par son assureur permet naturellement une telle régularisation. Il en irait de même si la dette était payée par un codébiteur solidaire, une caution ou même, nous semble-t-il, par un tiers à la dette, l’article 1342-1 du code civil (ayant succédé à l’anc. art. 1236 à la faveur de la réforme opérée par l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016) prévoyant que « Le paiement peut être fait même par une personne qui n’y est pas tenue, sauf refus légitime du créancier » (pour une application de ce principe dans le domaine des procédure civiles d’exécution, v. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-16.312 : « Il résulte de la combinaison des articles L. 131-1 et L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, que, dès l’instant où l’obligation assortie d’une astreinte a été exécutée, fût-ce par un tiers, l’astreinte ne peut plus donner lieu à liquidation pour la période de temps postérieure à cette exécution, sauf si le créancier justifie d’un intérêt légitime à ce qu’elle soit exécutée par le débiteur lui-même »).

L’emprunteur soutenait également qu’en toute hypothèse, les paiements partiels d’une dette unique s’imputaient d’abord sur les intérêts et que lorsque l’assurance-emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur devaient s’imputer sur chacune des échéances dont il s’agit de garantir le paiement de sorte qu’aucune des échéances dues à partir d’avril 2013 ne pouvait être considérée comme régularisée. Mais la première chambre civile écarte ces arguments, considérant que « l’emprunteur n’a pas soutenu, en cause d’appel, que les paiements partiels devaient être imputés en priorité sur l’intégralité des intérêts impayés avant de pouvoir être imputés sur le capital ni que, lorsque l’assurance emprunteur ne couvre qu’une fraction des échéances du prêt, les paiements successifs réalisés par l’assureur doivent s’imputer sur chacune des échéances dont le paiement était partiellement garanti ». Cela est dommage (pour l’emprunteur), car l’argument aurait pu prospérer. On sait en effet qu’en vertu de l’ancien article 1254 du code civil, « Le débiteur d’une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu’il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n’est point intégral, s’impute d’abord sur les intérêts » (la règle est reprise de manière plus concise par l’art. 1343-1, al. 1er, issu de l’ord. du 10 février 2016 : « Lorsque l’obligation de somme d’argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s’impute d’abord sur les intérêts »). Il est vrai, cependant, que cette règle n’est pas d’ordre public (V. en ce sens, sous l’empire des anciens textes, Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-11.958 : « les dispositions des articles 1253 à 1256 du code civil relatives à l’imputation des paiements sont supplétives de la volonté des parties »). Mais, pour l’écarter, une stipulation expresse est nécessaire (V. en ce sens, au sujet de l’anc. art. 1256 c. civ., Civ. 3e, 10 mars 2004, n° 03-10.807, D. 2004. 1283 ; RTD civ. 2004. 512, obs. J. Mestre et B. Fages : « Mais attendu qu’ayant exactement retenu que l’acceptation de prélèvements bancaires n’impliquait pas en elle-même, à défaut de stipulation contractuelle expresse, que les locataires aient entendu renoncer aux dispositions de l’article 1256 du code civil, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à des recherches relatives à la volonté implicite des parties que ses constatations rendaient inopérantes, a pu en déduire que le premier juge avait justement imputé aux loyers les plus anciens les paiements faits sous forme de prélèvements automatiques après le commandement et constaté que les causes de cet acte avaient été réglées dans les deux mois suivant sa délivrance »).

Auteur d'origine: jdpellier