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par Cathie-Sophie Pinatle 21 février 2020

Com. 12 févr. 2020, FS-P+B+R+I, n° 17-31.614

En l’espèce, deux sociétés de cristallerie, la société Cristallerie de Montbronn (ci-après la société CDM) et la société Cristal de Paris (ci-après la société CDP) sont en concurrence sur le marché de la création et de la fabrication de produits d’art de la table en cristal. La première reproche à la seconde « des pratiques commerciales trompeuses consistant à présenter dans ses catalogues des produits en verre, en cristallin ou luxion mélangés à des produits en cristal afin de laisser croire que l’ensemble serait en cristal, à les présenter comme étant “made in France” et à se présenter elle-même comme un “haut lieu du verre taillé en Lorraine” et un “spécialiste de la taille” ». Le préjudice lié aux pratiques commerciales trompeuses a été évalué comme suit par la cour d’appel de Paris : la société victime a employé huit tailleurs pour six mois de travail quand la société responsable en employait qu’un seul pour réaliser l’activité litigieuse. Or, si cette activité a généré pour l’une comme pour l’autre des entreprises un chiffre d’affaires de 500 000 €, la différence entre le coût de l’emploi pour la société victime et la société responsable est constitutive d’une « économie injustement réalisée » d’un montant de 300 000 €. C’est pour cette raison que la société CDP est condamnée à...

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Il est fréquent qu’un contrat de crédit immobilier fasse l’objet d’une renégociation (v. à ce sujet D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 2061 s.). L’article L. 313-39 du code de la consommation (anc. art. L. 312-14-1, issu de L. n° 99-532, 25 juin 1999, relative à l’épargne et à la sécurité financière, art. 115) prévoit à cet égard, en son alinéa 1er, qu’« en cas de renégociation de prêt, les modifications au contrat de crédit initial sont apportées sous la seule forme d’un avenant établi sur support papier ou sur un autre support durable » (sur la portée de cet avenant, v. Civ. 1re, 3 mars 2011, n° 10-15.152, Dalloz actualité, 14 mars 2011, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2011. 814, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2012. 840, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1908, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2011. 265, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2011. 402, obs. D. Legeais ). L’alinéa 2 du même texte fixe, quant à lui, les informations devant être fournies au consommateur, sans toutefois que des sanctions soient prévues par le code, ce qui incite naturellement les emprunteurs à tenter d’obtenir la nullité de la stipulation d’intérêts en cas d’irrégularité affectant l’avenant. Encore faut-il, pour que la question se pose, que le professionnel ait véritablement manqué à ses obligations, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile le 5 février 2020. En l’espèce, le 20 août 2011, M. V… et Mme D… ont accepté une offre de crédit immobilier consentie par une banque, portant sur un prêt au taux nominal de 3,7 % et au taux effectif global de 4,66 %. Puis, par avenant du 30 septembre 2014, ratifié le 11 octobre de la même année, le taux nominal a été fixé à 3,25 % et le taux effectif global à 3,29 %. Les emprunteurs ont par la suite assigné la banque en nullité de la stipulation d’intérêts du prêt initial et de l’avenant. La cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 31 octobre 2018, a prononcé la nullité de la stipulation d’intérêt figurant à...

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Les règles régissant les difficultés des entreprises sont d’ordre public, de sorte qu’il est interdit au créancier, quand bien même il pourrait se prévaloir d’un nantissement, de « séquestrer » les sommes figurant sur des comptes créditeurs au seul motif de l’ouverture d’une procédure collective. Tel est l’apport de l’arrêt rendu le 20 janvier 2020 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui précise par ailleurs qu’une telle initiative justifie l’intervention du juge des référés.

En l’espèce, une banque a consenti un prêt à une société, garanti par un nantissement sur les comptes bancaires de l’emprunteuse tenus par la banque. Quelque temps après, la société a été placée en redressement judiciaire et l’administrateur a sollicité, auprès de la banque, le transfert des sommes figurant sur les comptes créditeurs de la société. Cependant, la banque a refusé, préférant « séquestrer » les fonds, en ce sens qu’elle les a isolés au crédit d’un sous-compte. Il ne s’agissait donc pas d’un séquestre au sens propre (C. civ., art. 1956 s.) mais d’une simple mesure de rétention à l’initiative du créancier. Confirmant une ordonnance de référé, les juges d’appel ont ordonné la libération sous astreinte des sommes retenues, ce qui a motivé un pourvoi.

Pour justifier son recours, la banque s’appuyait sur deux arguments. D’abord, elle invoquait une clause du contrat de prêt stipulant que le prêteur pouvait « se prévaloir du nantissement » en cas de procédure collective et, dès lors, « isoler sur un compte spécial bloqué à son profit les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif de la procédure collective ». Ensuite, elle contestait le caractère manifestement illicite de la rétention des sommes, de sorte que l’ordonnance du juge des référés imposant la libération et l’exécution des ordres de virement serait venue en excès de pouvoir à l’aune de l’article 873 du code de procédure civile.

En définitive, le conflit soulevait deux interrogations d’inégale importance. D’abord, il s’agissait de déterminer si le blocage opéré par le créancier sur les soldes créditeurs des comptes bancaires d’un débiteur placé en redressement judiciaire constituait un trouble manifestement illicite assorti d’un dommage imminent justifiant l’intervention du juge des référés. Par ailleurs et surtout, une clause autorisant le prêteur à « séquestrer » les fonds figurant sur les comptes nantis de l’emprunteur au seul motif de l’ouverture d’une procédure collective est-elle valable ?

Pour chacune des deux questions, la Cour de cassation apporte des précisions importantes.

Validation de l’intervention du juge des référés

Quant à la première difficulté, tenant à la compétence du juge des référés, la Cour de cassation valide son intervention, jugeant les conditions du référé satisfaites. Elle rejette le pourvoi aux motifs que « le blocage opéré par la Caisse aboutissait à vider de son sens “le potentiel” de la procédure de redressement judiciaire », ce qui justifiait « l’intervention du juge des référés afin de prendre les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite et à prévenir un dommage imminent ». Que la situation générait un trouble manifestement illicite, ainsi que l’exige l’article 873 du code de procédure civile, n’était pas douteux. Le blocage constituait un trouble grave, privant sans fondement le débiteur des utilités des sommes retenues. En revanche, la caractérisation d’un dommage imminent pouvait sembler plus hasardeuse. Le blocage d’un solde créditeur n’expose pas, a priori, à un dommage imminent. Il s’agit seulement de figer le compte, les sommes ne pouvant être saisies par les créanciers du rétenteur qui ne se les attribue pas, ou du moins pas encore. Cependant, il faut considérer qu’en matière de redressement judiciaire, les sommes inscrites en compte doivent pouvoir être utilisées pour la continuation de l’activité du débiteur. À défaut, il n’y a plus de fonctionnement possible et, par voie de conséquence, plus de redressement possible. Là réside le dommage imminent, qui n’est autre, ainsi que le précise l’arrêt « que la liquidation judiciaire à venir en cas d’impossibilité pour l’entreprise de fonctionner faute de fonds disponibles ».

Aussi incontestable que soit la solution, il faut en mesurer la portée. Puisque le siège du dommage imminent résidait dans l’ouverture à venir d’une procédure de liquidation judiciaire, le blocage injustifié du solde d’un compte bancaire n’offre la compétence du juge des référés que lorsqu’un rétablissement est encore possible, par une procédure de sauvegarde ou de redressement. En présence d’une liquidation judiciaire d’ores et déjà ouverte, il n’existe plus de « potentiel de redressement » à vider, de sorte que des mesures d’urgence ne se justifient plus. Pour autant, il ne faut pas en déduire que l’initiative du banquier en serait devenue valable. En effet, au-delà de l’urgence et de l’aspect processuel, la Cour censure, sur le fond, la clause permettant de « séquestrer » les sommes figurant aux soldes créditeurs de comptes nantis au seul motif de l’ouverture d’une procédure collective.

Censure de la « clause de séquestre »

Rejetant à nouveau le pourvoi de la banque, la Cour de cassation retient qu’après « avoir énoncé que les règles relatives aux procédures collectives sont d’ordre public, que, selon l’article 2287 du code civil, les dispositions relatives aux sûretés ne font pas obstacle à l’application des règles prévues en matière d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, et que l’article 2360 du même code concerne l’assiette de la garantie que pourra faire valoir le créancier dans le cadre de sa déclaration de créance », les juges du fond ont pu exactement juger que « la clause litigieuse, qui permet à l’organisme prêteur de “séquestrer” les fonds figurant sur les comptes de l’emprunteur, aboutit à l’autoriser, alors même qu’il n’existe encore aucune mensualité impayée ni même aucune créance exigible en raison du différé prévu pour les remboursements, à prélever sur les comptes une partie du capital prêté par voie de compensation et opère comme une résiliation unilatérale du contrat de prêt en contrariété avec les dispositions de l’article L. 622-13 du code de commerce ». Cette motivation, particulièrement fournie, est éclairante à plusieurs égards.

D’abord, elle rappelle utilement la coordination des sûretés réelles avec les procédures collectives (C. civ., art. 2287) ainsi que le sens de l’article 2360 du code civil. Les effets conjugués de l’interdiction des paiements (C. com., art. L. 622-7, I) et de l’arrêt des poursuites individuelles (C. com., art. L. 622-21, I et II) conduisent à paralyser la réalisation des sûretés réelles, l’article 2360 n’offrant pas la possibilité de retenir les sommes inscrites sur les comptes nantis mais permettant, seulement, de figer le montant de l’assiette dans le cadre de la déclaration de créance. Il en découle qu’une clause ne peut valablement permettre au créancier de « séquestrer » les fonds des comptes nantis en raison de la seule survenance d’une procédure collective, alors même qu’il n’existe pas d’impayé ni même encore de créance exigible. Une telle clause est contraire au droit des sûretés, par essence ; elle est également contraire au droit des procédures collectives, par ses effets. La clause est contraire à l’essence des sûretés dès lors que le « séquestre » stipulé, consistant à isoler les sommes sur un compte tenu par le créancier, dissimule en réalité une réalisation du nantissement, alors même que le débiteur n’est pas encore défaillant. Or, par définition, la sûreté ne peut être réalisée qu’à la défaillance, ce qui suppose a minima que la créance garantie soit exigible. En l’espèce, tel n’était pas le cas en raison « d’un différé de paiement ». Au-delà, la clause est également contraire au droit des procédures collectives puisque, ne pouvant reposer sur la mise en œuvre du nantissement – dont la réalisation est de toute façon paralysée –, elle conduit à opérer un remboursement anticipé des sommes prêtées par le jeu de la compensation. Or un tel résultat est interdit : constitutif d’une résiliation unilatérale du contrat de prêt, il se heurte au principe de la continuation des contrats en cours en cas d’ouverture d’une procédure collective (C. com., art. L. 622-13).

Intéressante sur le terrain technique, en permettant de comprendre la censure de la « clause de séquestre », la motivation l’est également à propos des principes régissant les procédures collectives. Si l’arrêt ne cerne pas la nature de la sanction appliquée à la clause litigieuse – il s’agit certainement d’une nullité partielle (en ce sens, v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2019, spéc. p. 647, n° 573) –, il offre en revanche une précision importante sur l’étendue du caractère impératif du droit des entreprises en difficulté. Nul n’ignore que les règles gouvernant la matière sont marquées d’ordre public. La jurisprudence l’a maintes fois rappelé, au détour d’aspects particuliers (v. not., à propos de la vérification des créances, Com. 11 sept. 2013, n° 11-17.201, Bull. civ. I, n° 161 ; Dalloz actualité, 18 sept. 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 2891 , note N. Borga et J. Daniel ; ibid. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 192, obs. J.-L. Vallens ; Bull. Joly Entrep. diff. 2013. 387, note J.-P. Sortais ; à propos de la continuation des contrats en cours, v. Com. 10 oct. 2018, n° 17-18.547 P, Dalloz actualité, 25 oct. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2019. 244 , note A. Touzain ; Rev. sociétés 2019. 218, obs. F. Reille ; RTD civ. 2018. 886, obs. H. Barbier ; à propos de l’ordre de répartition des créances entre les créanciers de la procédure, v. Com. 27 nov. 2019, n° 18-19.861 P, Dalloz actualité, 17 janv. 2020, obs. X. Delpech ; D. 2019. 2349 ). Cependant, c’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation affirme le caractère impératif du dispositif d’une façon aussi générale et invariable en retenant, sans autre précision, que « les règles relatives aux procédures collectives sont d’ordre public ». À cet égard, le signal adressé à la pratique contractuelle est particulièrement clair. Inutile d’imaginer des clauses raffinées pour se soustraire au dispositif légal et en particulier contourner l’interdiction des paiements ; invariablement, l’ordre public attaché aux règles relatives aux procédures collectives les privera d’effet.

Auteur d'origine: yblandin

Une convention judiciaire d’intérêt public d’exception 

C’est la veille du sixième anniversaire du parquet national financier (PNF) que cette convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été présentée devant le premier président du tribunal judiciaire lors de l’audience d’homologation. D’emblée, cette CJIP fait figure d’exception tant les chiffres impressionnent. Plus de 2 milliards d’euros au titre de l’amende d’intérêt public mise à la charge de la société Airbus SE (ci-après Airbus), 8,5 millions d’euros au titre des frais nécessaires à la mission de contrôle de l’agence française anticorruption (AFA). C’est également plus de 30,5 millions de documents échangés lors de l’enquête entre les conseils de la société Airbus et le PNF.

Cette CJIP est également, pour la France, le premier accord conjoint tripartite, conclu avec des autorités étrangères : le Serious Fraud Office (SFO) et le Département de la justice américain (DoJ). Un tel accord vient ainsi légitimer l’intervention de la France dans la mise en œuvre de sanctions en matière de corruption d’agent public étranger. Pointée du doigt par l’OCDE en 2012 pour la faiblesse de ses actions en matière de lutte contre la corruption d’agents publics étrangers, la France est désormais devenue un acteur incontournable (OCDE, l’OCDE déplore le peu de condamnations en France pour corruption transnationale mais reconnaît les efforts récents pour assurer la pleine indépendance du parquet, 23 oct. 2012).

À cet égard, il est intéressant d’observer la répartition de l’amende qui fait la part belle aux autorités françaises en mettant à la charge de la société Airbus le paiement d’une amende d’intérêt public s’élevant à 2 083 137 455 €. Dans le cadre du Deferred Prosecution Agreement (DPA) conclu avec le SFO, Airbus a accepté de payer une amende de 983 974 311 € au titre des violations à la législation Bribery Act 2010. Concernant le DPA conclu avec le DoJ, Airbus s’est enfin engagé à payer une amende totale de 525 655 000 € au titre des violations à la législation FCPA et à la réglementation ITAR. Enfin, parallèlement, Airbus a conclu un dernier accord avec le Department of State américain (DoS), en exécution duquel elle accepte de verser la somme de 5 000 000 $ au titre des violations à la réglementation ITAR.

Retour sur les faits

L’affaire débute en 2015, c’est à cette époque que la société Airbus réalise une revue de conformité dans ses obligations de déclaration auprès de l’agence de crédit-export britannique UK Export Finance (UKEF) qui joue pour elle un rôle d’assureur. Les investigations menées par la société Airbus permettent de comprendre que les déclarations concernant le recours aux intermédiaires commerciaux au sein d’Airbus étaient incomplètes. En janvier 2016, la société signale ces irrégularités auprès de l’UKEF.

Le 1er avril 2016, Airbus informe le SFO qu’elle a identifié des problèmes dans ses déclarations auprès de l’UKEF.

En juin 2016, le procureur de la République financier prend connaissance, par l’intermédiaire du directeur général du Trésor, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, des éléments que l’UKEF avait communiqués à son homologue français, le COFACE (désormais BPI France).

Le 20 juillet 2016, une enquête préliminaire est ouverte par le parquet national financier des chefs de corruption d’agent public étranger, de faux, d’usage de faux, d’escroquerie en bande organisée, d’abus de confiance, de blanchiment de ce délit, d’abus de biens sociaux, faits commis en 2004 et 2016. L’enquête était alors confiée à l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).

Début 2017, le PNF et le SFO créent une équipe commune d’enquête (ECE) destinée à la mise en place d’une stratégie d’enquête coordonnée et ayant vocation à faciliter le recueil d’éléments probatoires.

Il est intéressant de noter que l’accord de l’équipe commune d’enquête a permis d’aboutir à une répartition des priorités d’enquête entre le PNF et le SFO. Plus précisément, le PNF a concentré ses investigations sur la conduite d’Airbus et/ou de ses divisions ou filiales dans les pays ci-après énoncés : Émirats arabes unis, Chine, Corée du Sud, Népal, Inde, Taïwan, Russie, Arabie saoudite, Vietnam, Japon, Turquie, Mexique, Thaïlande, Brésil, Koweït et Colombie. Le SFO a concentré ses investigations sur la conduite d’Airbus et/ou de ses divisions ou filiales dans les pays suivants : Corée du Sud, Indonésie, Sri Lanka, Malaisie, Taïwan, Ghana et Mexique.

Cette répartition des investigations entre le SFO et le PNF par pays doit être saluée notamment à l’aune du principe non bis in idem. Il est d’ailleurs à prévoir qu’une telle pratique se généralise dans le cadre des prochains accords conjoints.

Enfin, le DoJ a ouvert une enquête concernant les violations de la législation FCPA et de la réglementation ITAR.

Parallèlement, la société Airbus a fourni de nombreux documents collectés dans le cadre de son enquête interne en opérant un filtrage parmi la masse d’informations rassemblées, afin notamment « d’identifier et analyser les documents susceptibles d’être pertinents pour l’enquête judiciaire » ; et les autorités françaises ont mené « une revue des documents pertinents remis par Airbus, en réalisant un grand nombre d’auditions de salariés et anciens salariés d’Airbus, ainsi que de consistant et intermédiaires commerciaux, en conduisant des perquisitions […] ».

Il ressort des investigations telles qu’énoncées dans la CJIP que la société « Airbus a engagé et rémunéré jusqu’au début de l’année 2015 de nombreux intermédiaires commerciaux afin de l’assister dans ses négociations commerciales avec ses clients étatiques et privés ».

Nous comprenons que la gestion de ces intermédiaires avait été confiée au sein d’Airbus au Strategy and Marketing Organization (SMO) créé en 2008. Ce service ayant pour mission le soutien aux ventes réalisées par l’ensemble des divisions du groupe Airbus, et notamment de gérer les activités de développement international d’Airbus à l’extérieur de ses marchés d’origine et des États-Unis, grâce notamment à l’identification, l’engagement et l’encadrement des intermédiaires commerciaux.

De façon plus précise, il ressort de l’accord que, malgré une ligne directrice datant de 2008 et prévoyant qu’aucune rémunération supérieure à 15 millions de dollars ne pouvait être versée aux intermédiaires, « les investigations ont montré que, dans plusieurs cas, des rémunérations bien plus importantes ont été promises à des intermédiaires et versées par plusieurs moyens détournés, dont des prêts fictifs, sans qu’il soit possible de connaître avec exactitude la nature et le contenu des services que ces intermédiaires avaient réellement rendus à Airbus ».

À compter de 2015, Airbus a gelé le paiement des sommes restant dues aux intermédiaires engagés par la société.

C’est dans ces circonstances que la société Airbus et le parquet national financier ont coopéré en vue de la conclusion de cette convention judiciaire d’intérêt public.

Les enseignements en matière de coopération

La question de la coopération fait l’objet d’une partie spécifique dans la CJIP, laquelle liste les sept différentes démarches entreprises par la société. La société Airbus a ainsi :

pris un engagement clair de coopérer pleinement avec l’ECE et de lui permettre d’échanger avec le conseil d’administration et le comité en charge de l’éthique et de la conformité ;
 communiqué à l’ECE la liste de l’ensemble des intermédiaires commerciaux auxquels l’une quelconque de ses divisions a pu avoir recours par le passé, et identifié ceux pour lesquels des points de vigilance ou d’alerte avaient été relevés ;
 fourni des présentations détaillées des résultats de l’enquête interne sur chacune des priorités définies par les autorités de poursuites, ainsi que de nombreux documents, en particulier les organigrammes des services concernés, les courriels et les contrats pertinents, les copies des factures et des paiements effectués à des tiers ;
 fourni l’ensemble des documents sollicité par l’ECE et adopté une démarche coopérative dans le respect du « legal privilege » de common law et du secret professionnel français, en indiquant les raisons pour lesquelles Airbus considérait qu’un document était couvert en tout ou partie par le secret ;
 fourni des documents et informations concernant les comptes bancaires par lesquels ont transité les paiements effectués aux intermédiaires commerciaux, et ce dès le lancement des investigations, ce qui a facilité l’émission de demande d’entraide pénale internationale par l’ECE ;
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Le premier concerne le type de contrôle que le juge des référés doit exercer lorsqu’il est saisi d’une question afférente à la validité de la procédure de passation de marché de travaux : il doit s’agir d’un contrôle in abstracto sans considération des effets réels de la sélection. Le second porte sur la possibilité pour l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) de contester la validité de cette procédure, et ce quel que soit le caractère privé ou public du marché et indépendamment de l’existence de la lésion d’un intérêt privé.

En l’espèce, la société Autoroute du sud de la France (ASF) a lancé, par avis du 2 septembre 2017 publié au Journal officiel de l’Union européenne une procédure de passation de marché ayant pour objet l’entretien d’une portion d’autoroute. Cette procédure a été portée à la connaissance de l’ARAFER qui l’a considérée comme contraire à l’article 62 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics dans la mesure où la méthode de notation privait, en elle-même, le critère technique de portée et faisait du prix le critère unique de sélection. L’annulation de la procédure a alors été sollicitée par l’Autorité devant le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi en la forme des référés. La juridiction de première instance a rejeté la demande par ordonnance du 9 janvier 2018. C’est l’ordonnance qui fait l’objet du présent pourvoi.

Deux questions portées chacune dans une branche distincte sont ici soulevées et trouvent une réponse claire.

D’une part, La Cour de cassation répond à la question de savoir si l’ARAFER est habilitée à saisir le juge des référés contractuels contre une procédure relative à la conclusion de marché de travaux lorsque le marché en cause est un marché de droit privé et qu’aucun intérêt n’a été lésé. La société ASF soutient effectivement que, le marché en cause étant privé, il convient de relever que l’article L. 122-20 du code de la voirie routière n’opère pas de renvoi à la procédure de saisine des tribunaux de grande instance spécialisés visée à l’article L. 211-14 du code de l’organisation judiciaire. Ce défaut de renvoi signifie que le législateur n’a pas souhaité offrir à l’ARAFER un moyen d’action autonome lorsque le marché qui fait l’objet d’une procédure de passation est privé, seule la lésion de l’intérêt d’un des candidats à l’attribution de ce marché permet à l’autorité d’agir en la forme de référés, condition manquante en l’espèce. De son côté, l’ARAFER soutient que la lésion d’un intérêt privé n’est pas une condition nécessaire à son action qui relève du contentieux objectif.

La question est nouvelle. La haute juridiction a certes déjà jugé qu’une entreprise qui agissait en référé précontractuel devait démontrer que son intérêt avait été lésé ou risquait de l’être (Com. 23 oct. 2012, n° 11-23.521 : « qu’il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser », AJDA 2012. 2199 ; D. 2012. 2609 ; RDI 2013. 214, obs. R. Noguellou ) mais elle n’a jamais encore décidé si cette condition était requise lorsque l’ARAFER agissait indépendamment d’un acteur privé. Sa réponse est sans appel : « […] en cas de manquement de la part d’un concessionnaire d’autoroute, lors de la passation d’un marché pour les besoins de la concession relevant du droit privé, aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés de travaux, fournitures ou services, l’autorité est […] habilitée à saisir le juge en la forme des référés avant la signature du contrat. […] Cette autorité, chargée de la défense de l’ordre public économique en veillant, notamment, au respect des règles de concurrence dans les procédures d’appel d’offres, n’a pas, lorsqu’elle exerce cette action, à établir que le manquement qu’elle dénonce a, directement ou indirectement, lésé les intérêts de l’une des entreprises candidates ».

D’autre part, la seconde question tranchée est celle de savoir quel type de contrôle le juge saisi en la forme des référés doit opérer lorsqu’il est amené à examiner la méthode de notation employée par une entreprise dans le cadre d’une procédure de passation de marché. Plus précisément, le juge des référés contractuels doit-il procéder à un contrôle ex ante et objectif consistant à se demander si la méthode de notation est en elle-même susceptible de porter atteinte à la concurrence entre les soumissionnaires ou retenir un contrôle ex post et subjectif consistant à se demander si la méthode de notation affecte effectivement la concurrence entre les candidats ? L’ARAFER reproche au juge des référés d’avoir procédé à un examen in concreto « sans se déterminer, de façon abstraite, au regard du contenu de cette méthode et de l’ensemble des résultats auxquels elle était susceptible de conduire » en violation des articles L. 122-12 et L. 122-20 du code de la voirie routière et de l’article 2 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique ». La Cour de cassation accueille ce moyen en décidant que le juge des référés « devait vérifier objectivement si la méthode de notation retenue et appliquée par la société ASF n’était pas, par elle-même, de nature à priver de portée le critère technique ou à neutraliser la pondération des critères annoncée aux candidats, comme le soutenait l’autorité, le juge des référés précontractuels a violé les textes susvisés ».

Cette cassation sans renvoi est certes sans incidence sur la passation des marchés « Les marchés concernant les deux lots ayant été conclus, il n’y a plus lieu à référé précontractuel » mais présente un intérêt pédagogique évident.

Auteur d'origine: cspinat
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Cette fois-ci, c’est la fin du long parcours judiciaire de la question de savoir si le régime dérogatoire dont bénéficie l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour la publication sur les œuvres contenues dans les archives qui la dispensait de demander, pour ce faire, l’autorisation des artistes-interprètes, allait perdurer. 

L’affaire a déjà donné lieu à trois arrêts de la Cour de cassation publiés sur son site internet, le premier rendu en 2015  (Civ. 1re, 14 oct. 2015, n° 14-19.917, Bull. civ. I, n° 244 ; Dalloz actualité, 4 nov. 2015, obs. J. Daleau ; D. 2015. 2544 , note G. Querzola ; Dalloz IP/IT 2016. 38, obs. T. Azzi ; Légipresse 2015. 585 et les obs. ; ibid. 664, comm. F. Meuris-Guerrero ; JAC 2015, n° 30, p. 11, obs. C. Burkhart ; v., sur renvoi, Versailles, 10 mars 2017, n° 15/07483, CCE 2017. Étude 11, n° 7, obs. Tafforeau ; ibid. 2018. Chronique 6, obs. Daverat). La première chambre civile de la Cour de cassation avait considéré qu’en accueillant la demande de l’artiste-interprète qui reprochait à l’INA d’avoir diffusé l’une de ses prestations sans autorisation, avait ajouté à la loi, en l’occurrence l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, une condition qu’elle ne comportait pas. En 2018, la même chambre statuant sur renvoi, a sollicité les lumières de la Cour de justice de...

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Auteur d'origine: Daleau
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À la différence des créances non déclarées, qui sont seulement inopposables à la procédure, celles irrégulièrement déclarées et finalement frappées d’une décision de rejet du juge-commissaire doivent être considérées comme éteintes. Cette solution est rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt de la chambre commerciale du 22 janvier 2020, qui en profite pour préciser que cette extinction de la créance doit emporter libération de la caution, quand bien même cette dernière aurait été antérieurement irrévocablement condamnée.

En l’espèce, une société (la SOCAF) a accordé une garantie financière à une autre (la société Cil immobilier service). Pour compléter l’opération, la SOCAF a obtenu le cautionnement d’une personne physique, pour toutes les sommes que la société Cil immobilier service pourrait lui devoir, en cas de mise en jeu de la garantie financière. À la suite du placement de la société Cil immobilier service en liquidation judiciaire, en juin 2009, la SOCAF a déclaré à la procédure – manifestement irrégulièrement – sa créance correspondant au montant appelé au titre de l’exécution de la garantie financière. Dans la foulée, la SOCAF a assigné la caution en paiement et a obtenu un arrêt de condamnation en appel, le 9 avril 2013, finalement devenu irrévocable. Cependant, un autre arrêt, rendu le 27 juin 2013 dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Cil immobilier service, a déclaré irrecevable la déclaration de créance de la SOCAF. En dépit du rejet de sa créance, la SOCAF a tout de même fait inscrire une hypothèque judiciaire sur un immeuble indivis de la caution en exécution de la condamnation prononcée le 9 avril 2013. Elle l’a ensuite assignée, ainsi que l’ensemble des indivisaires, afin de voir le partage prononcé. Assez logiquement, les indivisaires lui ont opposé l’extinction de sa créance, et donc du cautionnement, par l’effet de la décision de rejet de la créance garantie rendue le 27 juin 2013. Pour autant, l’argument n’a pas convaincu et les juges du fond ont ordonné l’ouverture des opérations de partage, en retenant que, l’irrecevabilité de la déclaration n’entraînant plus l’extinction de la créance, l’obligation de la caution devait subsister.

L’espèce invitait donc à préciser le sort de la créance irrégulièrement déclarée : est-elle éteinte ou simplement inopposable à la procédure ? Au-delà, c’est du sort du cautionnement dont il était question : en cas de décision de rejet d’une créance irrégulièrement déclarée, la caution est-elle libérée ?

Par un arrêt de cassation rendu au visa des articles 2313 du code civil et L. 624-2 du code de commerce, la chambre commerciale rappelle que « la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est une décision de rejet de la créance, qui entraîne, par voie de conséquence, son extinction » (dans le même sens, v. Com. 4 mai 2017, n° 15-24.854 P, Dalloz actualité, 31 mai 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 975 ; ibid. 1941, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; ibid. 1996, obs. P. Crocq ; RTD com. 2017. 687, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 704, obs. J.-L. Vallens ; JCP 2017. 673, note J.-J. Ansault ; Gaz. Pal. 27 juin 2017, p. 60, note P.-M. Le Corre). Prolongeant son raisonnement, la Cour en déduit la libération de la caution, qui peut « toujours opposer l’extinction de la créance garantie », quand bien même existerait-il une décision antérieure « de condamnation de la caution à exécuter son engagement […] passée en force de chose jugée ». Si cette solution est cohérente, sa pertinence demeure incertaine.

La cohérence de la solution

La solution de la Cour de cassation est cohérente à deux égards. D’abord, avec le dispositif légal lorsqu’elle retient l’extinction de la créance irrégulièrement déclarée. Si le législateur, assisté par la jurisprudence (C. com., art. L. 622-26 et L. 641-3, al. 4 ; Com. 3 nov. 2010, n° 09-70.312, Dalloz actualité, 10 nov. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 2645, obs. A. Lienhard ; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq ; ibid. 2069, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2011. 194, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2011. 413, obs. A. Martin-Serf ; 8 sept. 2015, n° 14-15.831, Bull. civ. IV, n° 835 ; Dalloz actualité, 18 sept. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 1839 ; ibid. 2016. 1279, obs. A. Leborgne ; RTD com. 2016. 197, obs. A. Martin-Serf ), a consacré l’inopposabilité à la procédure des créances non déclarées, la loi n’a pas prévu cette issue pour la créance irrégulièrement déclarée. En cette hypothèse, il faut s’en remettre à l’article L. 624-2 du code de commerce qui ne laisse guère de choix au juge-commissaire. Si l’on évince les hypothèses marginales où il se déclare incompétent ou qu’il constate une instance en cours, il n’existe qu’une alternative : soit il admet la créance, soit il l’a rejette. Et, si rejet il y a, la créance doit être considérée comme inexistante (C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 11e éd., Montchrestien, 2018, n° 818), ce qui emporte son extinction. En somme, la possibilité d’une survie « hors procédure », par la seule inopposabilité de la créance, constitue une voie originale et dérogatoire qui n’a pas été prévue par le législateur en cas de rejet et qui ne peut donc être retenue. Dès lors, la déclaration irrégulière, puisqu’elle aboutit à une décision de rejet du juge-commissaire, ne peut qu’en suivre le régime, lequel entraîne l’extinction de la créance.

Cohérente avec le dispositif légal lorsqu’elle retient la disparition de la créance irrégulièrement déclarée, la solution de la Cour de cassation l’est également avec la nature des sûretés, lorsqu’elle affirme que la caution est libérée. En tant qu’accessoire de la créance garantie, le cautionnement suit nécessairement le sort du principal. L’article 2313 n’affirme rien d’autre lorsqu’il énonce que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette ». Proprement, l’extinction de la créance garantie est au nombre de ces exceptions opposables. Dès lors, elle ne peut conduire qu’à la libération de la caution et l’existence d’une condamnation antérieure de celle-ci, même passée en force de chose jugée, s’avère pleinement indifférente. La solution, puisqu’elle découle de la nature même des sûretés, a une portée générale ; appliquée en l’espèce à un cautionnement, elle commande le sort de l’ensemble des sûretés, personnelles ou réelles, qui constituent toujours l’accessoire d’une créance (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, Droit des sûretés, 9e éd., Litec, 2010, p. 3).

La pertinence de la solution

Si la cohérence de la solution n’est pas douteuse, sa pertinence soulève plus d’incertitudes, dès lors qu’elle conduit à un traitement dual des créances « hors procédure ». D’une part, les créances non déclarées ou tardivement déclarées sont seulement inopposables à la procédure. Il en découle qu’elles survivent et qu’une fois la procédure clôturée, le créancier peut encore nourrir un espoir, certes très mince, d’être payé. Ce traitement dual rejaillit évidemment sur les sûretés. À défaut d’être éteintes, les créances non déclarées demeurent garanties par les sûretés leur étant adossées, de sorte que le créancier forclos peut toujours poursuivre les garants à l’échéance (Com. 12 juill. 2011, n° 09-71.113, Bull. civ. IV, n° 118 ; Dalloz actualité, 15 juill. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 1894, obs. A. Lienhard ; ibid. 2012. 1573, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2011. 782, obs. P. Crocq ; RTD com. 2011. 625, obs. D. Legeais ; ibid. 2012. 405, obs. A. Martin-Serf ). Il en va tout autrement du créancier ayant irrégulièrement déclaré sa créance, par exemple en raison de l’absence de pouvoir du préposé déclarant. En ce second cas, la créance est purement et simplement éteinte, le mince espoir d’être payé à la clôture de la procédure s’évanouissant définitivement. De même, les sûretés ne sont plus d’aucun secours puisque l’extinction de la créance conduit inévitablement à leur disparation. En somme, mieux vaut être distrait, en omettant de déclarer, que maladroit, en déclarant irrégulièrement. Certes, à certains égards, cette différence de traitement peut trouver des justifications. La vérification des créances déclarées s’ancre dans un débat contradictoire permettant au créancier de défendre sa cause (C. com., art. L. 624-1 et L. 624-3), de sorte qu’il devient acceptable qu’une décision de rejet aboutisse à la conséquence radicale d’éteindre la créance. Il n’en demeure pas moins que cette diversité de traitement des créances « hors procédure » complexifie inutilement la matière. Une unité de régime pour les créances non déclarées et pour celles irrégulièrement déclarées s’avérerait certainement préférable, en retenant une extinction systématique ou une inopposabilité systématique.

Auteur d'origine: yblandin

Si le nouvel article L. 442-1 du code de commerce, issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, maintient la sanction du déséquilibre significatif, il ne s’embarrasse plus de l’exigence de partenariat commercial et lui préfère la notion plus englobante de « partie », ramenant ainsi le dispositif dans le cadre contractuel (le nouvel article vise le fait de « de soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »). En dépit de cette nouvelle orientation, de nombreuses relations commerciales restent gouvernées par l’ancien dispositif prévu à l’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce qui dispose qu’« engage la responsabilité́ de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…) 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». C’est le cas de la présente espèce qui offre l’occasion à la Cour de cassation d’apporter des précisions sur cette notion de partenariat commercial qui n’a jamais fait l’objet d’une définition jurisprudentielle jusqu’ici.

En l’espèce, la société Cometik a réalisé des sites internet pour plusieurs clients professionnels avec lesquels elle a conclu deux contrats différents, un contrat d’abonnement en vertu duquel elle s’engage à la maintenance et à la mise à jour des sites internet concernés et un contrat de licence d’exploitation. Ce sont ces derniers contrats qui font l’objet d’une contestation car ils ont été cédés à des partenaires financiers, les sociétés Parfip et Locam qui sont alors devenus créanciers des échéances à la charge des clients professionnels. Ces derniers ont considéré que cette substitution de créanciers engendrait à leur détriment un déséquilibre significatifs entre...

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Auteur d'origine: cspinat
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On connaît l’importance de la garantie financière dont le principe est prévu par l’article L. 211-18, II du code du tourisme et qui constitue, selon l’article R. 211-26 du même code, un cautionnement (V. à ce sujet C. Lachièze, Droit du tourisme, LexisNexis, 2014, nos 93 s. V. égal., D. Bazin-Beust, Voyages organisés et garantie financière : une réglementation chaotique, Revue dr. transp., nov. 2010, étude 13 ; E. Llop, La garantie financière des agents de voyage dans la tourmente, JT 2015, n° 173, p. 17 ). On insiste bien volontiers sur les professionnels tenus de la souscrire, mais plus rarement sur ses bénéficiaires, raison pour laquelle l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 janvier 2020 est intéressant. En l’espèce, le 18 juin 2012, un comité d’entreprise a conclu avec une agence de voyages un contrat portant sur un voyage de quarante personnes au Vietnam, du 10 au 21 novembre 2013. Dans cette perspective, ledit comité d’entreprise a versé un acompte de 32 660 €, sur un prix total de 69 496 €. Par la suite, le 29 mai 2013, l’agence a été placée en liquidation judiciaire. Au titre de la mise en œuvre de la garantie financière bénéficiant aux clients de celle-ci, l’Association professionnelle de solidarité du tourisme (l’APST) a mandaté une société pour prendre en charge l’exécution des voyages aux lieu et place de la société. Le 7 octobre 2013, la société en question a sollicité le paiement du solde du prix du voyage réservé par le comité d’entreprise, déduction faite des acomptes versés. Puis, le 15 octobre, elle a réclamé le règlement de l’intégralité du prix du voyage. Le 24 octobre, l’APST, qui avait été informée de l’immatriculation du comité d’entreprise en qualité d’opérateur de voyages, lui a notifié son refus de garantie. Enfin, le 4 décembre de la même année, le comité d’entreprise a assigné l’APST en garantie et en paiement. Il s’agissait donc de savoir si le comité d’entreprise pouvait se prévaloir de la garantie financière.

La cour d’appel de Paris ayant...

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Auteur d'origine: jdpellier
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Une société avait ouvert un compte courant auprès d’un établissement de crédit, qui lui consentit également une autorisation de découvert. Par la suite, la société cliente, invoquant une mention par la banque d’un taux effectif global (TEG) erroné, assigna cette dernière en justice. Déboutée en première instance, la société emprunteuse obtint gain de cause en appel à la suite d’une expertise judiciaire ordonnée par les juges du second degré. L’établissement de crédit se pourvoit alors en cassation. Se désistant par la suite du deuxième moyen de son pourvoi, la banque ne critique finalement pas la décision sur le calcul du TEG ou la sanction de la mention erronée. Elle conteste la décision des juges du fond sur deux autres points.

Le relevé de compte et l’accord tacite sur la tarification bancaire

D’une part, la société cliente affirmait n’avoir pas été dûment informée par la banque de certains frais et commissions qui lui avaient été facturés, aussi en demandait-elle la restitution, qui lui fut accordée par les juges du fond. La cliente s’appuyait simplement sur les conditions générales de la convention de compte courant, qui stipulaient que les divers frais et commissions applicables étaient ceux qui figuraient aux conditions générales de banque, celles-ci étant portées à la connaissance du client entre autres par des dépliants mis à sa disposition. Or la société cliente niait avoir reçu cette information. La banque ayant été incapable de prouver qu’elle avait bien communiqué ces conditions à sa cliente, les juges du fond estimèrent donc qu’à défaut d’accord les frais et commissions litigieux n’étaient pas dus.

Statuant sur le premier moyen du pourvoi, la Cour de cassation censure cette condamnation pour défaut de base légale au double visa de l’article 1134 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016) et de l’article R. 312-1 du code monétaire et financier (dans sa rédaction antérieure au décret n° 2018-229 du 30 mars 2018 relatif à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier).

Le visa de l’ancien article 1134 du code civil répond à la solution de la cour d’appel fondée sur la loi des parties. Quant à l’article R. 312-1 du code monétaire et financier, son second alinéa disposait dans la rédaction applicable au litige que « lorsqu’ils ouvrent un compte, les établissements de crédit doivent informer leurs clients sur les conditions d’utilisation du compte, le prix des différents services auxquels il donne accès et les engagements réciproques de l’établissement et du client ». Ces obligations reposent sur le banquier indépendamment du statut du client, contrairement aux règles du code de la consommation. Leur méconnaissance est du reste susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire de l’établissement de crédit (v. T. Bonneau, Droit bancaire, 12e éd., LGDJ, 2017, n° 508).

Pour juger la cour d’appel mal fondée, la chambre commerciale s’appuie sur sa propre jurisprudence, reprenant l’attendu de principe inauguré dans une décision remarquée de 2001 (Com. 13 mars 2001, n° 97-10.611, D. 2001. 1239 , obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2001. 743, obs. M. Cabrillac ) : « l’établissement de crédit qui n’a pas porté à la connaissance d’un client auquel il ouvre un compte le prix de ses différents services n’est pas déchu du droit de percevoir le prix de ses prestations et les frais y afférents, dès lors qu’il a, a posteriori, recueilli l’accord du client sur son droit à leur perception et sur leur montant, un tel accord pouvant résulter, pour l’avenir, de l’inscription d’opérations semblables dans un relevé dont la réception par le client n’a été suivie d’aucune protestation ou réserve de sa part ».

La solution, bien reçue à l’époque par la doctrine, permet en effet de pallier les difficultés de la preuve de l’information et d’éviter le succès de prétentions de clients de mauvaise foi qui chercheraient à tirer parti de ce flou probatoire pour remettre en cause des commissions appliquées de longue date à l’occasion d’un litige avec leur banque sur une autre question. En l’espèce, on se rappellera du reste que la demande était nouvelle en cause d’appel dans un contentieux noué autour du TEG de l’autorisation de découvert.

Par rapport à la jurisprudence de 2001, la Cour de cassation rajoute ici que les stipulations de la convention de compte portant sur des moyens spécifiques de communication de l’information au client ne remettent pas en cause cette solution, puisqu’elle repose sur un accord tacite du client rapporté par la réception de relevés sans contestation ultérieure.

Cet accord n’est valable que pour l’avenir à compter de la réception non contestée du relevé de compte. Aussi, la haute juridiction précise-t-elle que les juges du fond auraient dû rechercher si les frais dont la restitution était demandée avaient été perçus avant que la société cliente « n’ait connu, par des inscriptions sur ses relevés de compte, les exigences de la banque pour des opérations semblables ».

La modification apportée à la rédaction de l’article R. 312-1 du code monétaire et financier par le décret du 30 mars 2018 est-elle de nature à infléchir cette jurisprudence établie ? Pris en application de l’ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017 relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier, ce décret adapte les dispositions réglementaires des divers codes concernés. Quant à l’article R. 312-1 du code monétaire et financier, les établissements de crédit n’y sont plus tenus d’« informer leurs clients » sur les conditions en cause, mais de « fournir à leurs clients, sur support papier ou sur un autre support durable », ces informations.

Les dispositions issues de l’ordonnance consacreraient une distinction entre des informations que le professionnel peut se contenter de mettre à la disposition de ses clients et du public et des informations qui doivent être fournies au client (v. G. Parleani et A.-C. Rouaud, Impact de la digitalisation sur la relation contractuelle. L’entrée en relation, RDBF 2019, dossier 51). La fourniture serait a fortiori une exigence supplémentaire par rapport à la simple mise à disposition. Elle reposerait sur un rôle plus actif du prestataire ; corrélativement, une certaine passivité ne pourrait être reprochée au client. La communication par voie de support durable autre que le papier fait d’ailleurs l’objet de précisions importantes au sein du code monétaire et financier (v. C. mon. fin., art. L. 311-7 s.).

En d’autres termes, ces changements paraissent susceptibles de jouer sur les conditions générales des conventions de compte, puisque les modalités de fourniture des informations sont désormais plus strictement encadrées, laissant une place proportionnellement réduite à la liberté contractuelle. En revanche, la situation ne semble pas changer quant à la sanction de la méconnaissance de la règle. Le rôle du relevé du compte paraît demeurer entier.

La prise en charge de la rémunération d’un expert officieux

D’autre part, la société ayant fait appel à un cabinet de conseil pour la réalisation d’une étude sur le calcul du taux effectif global, elle demandait l’indemnisation par la banque de cette dépense. La cour d’appel ayant fait droit à cette demande, la banque attaque également cette condamnation devant la haute juridiction. En effet, le troisième moyen du pourvoi affirme que les juges du second degré auraient violé l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 (v. aujourd’hui C. civ., art. 1231-1).

Au soutien de la condamnation prononcée, la cour d’appel énonçait que la société avait dû exposer ces frais pour la défense de ses intérêts. Les termes utilisés évoquent ostensiblement la jurisprudence classique sur la définition des frais non compris dans les dépens fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. Pourtant, la demande en question avait été présentée et a été accueillie par les juges indépendamment d’une demande parallèle au titre de l’article 700, pour d’autres frais liés au litige.

C’est pourquoi le pourvoi invoque une violation par la cour d’appel de l’ancien article 1147 du code civil. La nature du fait générateur du préjudice reproché à la banque étant de nature contractuelle (la mention d’un TEG erroné), c’est sur le fondement de la responsabilité contractuelle que les juges du fond ont ordonné réparation. Or l’établissement de crédit prétend que le lien de causalité entre les inexactitudes qui lui étaient reprochées et le préjudice représenté par le coût de l’étude réalisée par les consultants pour le compte de sa cliente faisait défaut.

La chambre commerciale valide le raisonnement du pourvoi et censure la décision rendue en appel sur ce point. Elle énonce que « le coût de l’étude litigieuse […] ne constituait pas une suite immédiate et directe de la faute de la banque » et ajoute que ce coût « ne pouvait être mis à la charge de la banque qu’en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ».

Le refus d’indemniser des frais supportés par un plaideur pour la défense de ses intérêts en dehors de l’article 700 n’est pas une position nouvelle de la Cour de cassation. Depuis une décision de la deuxième chambre civile de 2004, qui se prononçait alors sur des frais d’avocats et conseils spécialisés en propriété intellectuelle (Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 03-15.155, D. 2004. 2195 ), ce principe a été affirmé à plusieurs reprises par différentes formations de la haute juridiction. Qu’il s’agisse d’honoraires d’avocats ou de conseils privés (Civ. 2e, 17 nov. 2011, n° 10-20.400 ; Com. 14 mars 2018, n° 16-24.635, Dalloz jurisprudence), de frais de constat d’huissier (Soc. 16 sept. 2009, n° 07-45.725, Dalloz jurisprudence), de la rémunération d’un géomètre expert (Civ. 2e, 8 déc. 2011, n° 10-27.408, Dalloz jurisprudence), de frais de courrier et de déplacements personnels (Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16-10.959, D. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ), ou plus largement des « tracas et frais occasionnés par la procédure » (Civ. 1re, 10 avr. 2019, n° 17-13.307, Dalloz actualité, 9 mai 2019, obs. G. Payan ; D. 2019. 812 ), ce principe s’impose.

Ces nombreuses décisions se contentaient d’affirmer au soutien de la solution que « les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ». La doctrine avait donc spéculé sur la justification de la solution : lien de causalité, lex specialis, relativité aquilienne (F.-X. Licari, Les frais d’avocat comme dommage réparable, RLDC, oct. 2006, n° 31, p. 66) ? La plupart des commentateurs y voyaient une application de la règle specialia generalibus derogant (P. le Tourneau [dir.], Droit de la responsabilité et des contrats 2018/2019, Dalloz Action, n° 2124.32, p. 559 ; F. Vinckel, note sous Civ. 2e, 8 juill. 2004, Dr. et proc. 2005, p. 29 ; S. Hocquet-Berg, ss Soc. 16 sept. 2009, RCA 2010. Comm. 45), la règle spéciale de l’article 700 du code de procédure civile l’emportant face aux dispositions à portée générale sur la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle.

La Cour de cassation se montre ici plus loquace et semble ainsi prendre un autre parti. Saisie par un pourvoi invoquant l’absence de lien de causalité, c’est le raisonnement qu’elle retient. Cependant, force est de constater que la chambre commerciale prend soin d’ajouter que l’article 700 était le fondement approprié à la prétention du défendeur au pourvoi, ce qui tend plutôt à rappeler les décisions précédemment évoquées.

Une conception rigoureuse de la causalité, dans l’esprit de la théorie de la cause adéquate, a pour effet de restreindre le champ de la responsabilité. À ce titre, il est admis que, lorsque la volonté de la victime vient s’intercaler entre le fait générateur initial et la survenance d’un préjudice, ce dernier ne constitue plus la « suite immédiate et directe » du fait imputé à celui dont la responsabilité est recherchée. En l’espèce, la société cliente de l’établissement de crédit a décidé par elle-même d’avoir recours aux services d’un cabinet de conseil afin de l’aider à déterminer si le TEG indiqué par la banque correspondait à la réalité. Ceci suffit pour la Cour de cassation à rompre le lien de causalité.

Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile en 2017 (Civ. 2e, 8 juin 2017, n° 16-19.185, Dalloz actualité, 27 juin 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ) avait déjà suivi un raisonnement similaire. Il s’agissait d’une victime du Distilbène qui avait fait rédiger par un médecin-conseil une note critiquant le rapport d’expertise judiciaire et cherchait à en obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité civile. La haute juridiction avait approuvé les juges du fond qui, retenant souverainement que ladite note « n’était pas indispensable dans le cadre de la présente procédure », démontraient ainsi « que le coût de cette prestation résultant de l’initiative de [la victime] n’était pas la conséquence de la faute de la société ».

La solution, à la lumière de ce précédent arrêt, semble ouvrir la porte à une certaine casuistique, ou du moins focaliser le débat sur les circonstances factuelles – d’où la référence à l’appréciation souveraine des juges du fond – puisqu’il s’agirait de déterminer si chaque démarche était indispensable ou non. Sur ce fondement, il semblerait que les honoraires d’un avocat soient bien pour le plaideur une dépense indispensable au succès de ses prétentions et donc à la défense de ses intérêts. Le défaut de lien de causalité serait alors impuissant à justifier toutes les hypothèses couvertes par la jurisprudence qui affirme l’exclusivité de l’article 700 du code de procédure civile.

Reste donc à voir la postérité de ce fondement juridique, qui suscite sans doute plus de questions qu’il ne fournit de réponses. Il n’en demeure pas moins que le plaideur n’a donc d’autre choix que de se tourner vers l’article 700. Il perd le bénéfice du principe de réparation intégrale, puisque l’indemnité forfaitaire accordée par souci d’équité y est laissée à l’appréciation du juge. D’aucuns décrient d’ailleurs la tendance de la pratique judiciaire à des condamnations parcimonieuses comme peu équitable eu égard à la réalité des montants encourus.

Il est certain que la question des frais liés au procès impose la mise en balance de différents types de raisonnement et de différents enjeux. Il s’agit tout à la fois de garantir les droits des plaideurs (dont le libre accès à la justice ou encore le droit à réparation intégrale de son préjudice) et d’éviter une inflation des frais de justice tout en ménageant la liberté de fixation des honoraires des auxiliaires de justice. Même sous le seul angle de l’analyse économique, les opinions et experts divergent sur la solution à y apporter (v. F.-X. Licari, art. préc.).

Auteur d'origine: Delpech
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En l’espèce, des sociétés ont constaté que des sites internet commercialisaient des contrefaçons de montres sur lesquelles étaient reproduites les marques dont elles étaient titulaires. Ces sociétés ont donc fait assigner en référé les fournisseurs d’accès à internet (FAI) Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR sur le fondement de l’article 6.I.8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, lequel dispose que « l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 [i.e. les fournisseurs d’hébergement] ou, à défaut, à tout personne mentionnée au 1 [i.e. les fournisseurs d’accès à internet], toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». La demande porte ainsi sur le blocage de l’accès, depuis la France et par les abonnés des FAI, aux sites concernés.

Cependant, l’un des fournisseurs d’accès à internet invoque le fait que cet article, sur lequel la demande des sociétés est fondée, n’est pas applicable en l’espèce : en effet, il existe au sein du code de la propriété intellectuelle une disposition spécifiquement applicable à l’atteinte au droit sur la marque, à l’article L. 716-6 (devenu art. L. 716-4-6 depuis l’ord. n° 2019-1169, 13 nov. 2019, relative aux marques de produits ou de services qui transpose en droit français la directive (UE) 2015/2436 du 16 déc. 2015). L’article dispose en effet que « toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon. La juridiction civile compétente peut également ordonner toutes mesures urgentes sur requête lorsque les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement, notamment lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au demandeur. Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente » (al. 1er) et que, « lorsque les mesures prises pour faire cesser une atteinte aux droits sont ordonnées avant l’engagement d’une action au fond, le demandeur doit, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit se pourvoir par la voie civile ou pénale, soit déposer une plainte auprès du procureur de la République. À défaut, sur demande du défendeur et sans que celui-ci ait à motiver sa demande, les mesures ordonnées sont annulées, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés » (al. 5).

Dès lors, la question porte sur le point de savoir si l’existence de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle doit amener à écarter l’application du « référé-internet » de l’article 6.I.8 de la LCEN.

L’enseignement de l’ordonnance de référé est clair : le fournisseur d’accès à internet ne démontre pas que le législateur (européen comme français) aurait eu la volonté d’exclure le référé-internet par la création de la règle figurant désormais à l’article L. 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle. Partant, les demandes de blocage de l’accès à certains noms de domaine faites par les sociétés titulaires des marques peuvent être fondées sur l’article 6.I.8 de la LCEN.

Le juge n’a donc pas été convaincu par l’argumentaire développé par le fournisseur d’accès à internet, selon lequel il y avait lieu d’appliquer en l’espèce l’adage specialia generalibus derogant pour écarter l’article 6.I.8 au bénéfice exclusif de l’article L. 716-6. Dans l’absolu, la référence au droit commun et au droit spécial pour envisager les articles respectivement issus de la LCEN et du code de la propriété intellectuelle ne va pas de soi. Il est en effet possible de considérer les règles comme étant toutes deux des règles spéciales, l’une étant issue de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, dite « e-commerce » ou « commerce électronique », l’autre de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. La réserve n’est pas d’ordre purement terminologique mais justifie peut-être, au moins partiellement, la solution retenue : en effet, le juge semble avoir été convaincu par l’analyse des sociétés demanderesses, au terme de laquelle l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle « n’est pas une lex specialia » dérogeant à la règle contenue dans la LCEN, « puisqu’il s’agit de deux régimes distincts […] par leur nature, leurs modalités et leurs objectifs », « tous deux [étant] susceptibles de s’appliquer en matière d’atteinte aux marques en fonction des circonstances de chaque espèce ».

La solution retenue par l’ordonnance dont il est ici question n’est d’ailleurs pas sans rappeler des débats similaires en matière de droit d’auteur et de droits voisins. Notamment, par un arrêt rendu le 15 septembre 2016 (CJUE 5 sept. 2016, aff. C-484/14, Tobias Mc Fadden c. Sony Music Entertainment Germany GmbH, D. 2016. 1860 ; JT 2016, n° 190, p. 13, obs. X. Delpech ; RTD com. 2016. 751, obs. F. Pollaud-Dulian ), la Cour de justice de l’Union européenne avait également retenu le fondement de la directive « e-commerce », alors même que la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information prévoit un référé propre au droit d’auteur (la règle étant transposée en droit français à l’article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle). Certes, la Cour de justice prenait soin dans cet arrêt de préciser que la directive « e-commerce » devait être interprétée notamment compte tenu des exigences découlant des règles prévues par les directives 2001/29 et 2004/48. Néanmoins, le fondement retenu était bien, comme en l’espèce, celui issu de la directive « e-commerce », de sorte qu’une application sélective des textes fondée sur specialia generalibus derogant n’était pas de mise dans l’esprit de la Cour.

C’est un raisonnement similaire qui est retenu au terme de la présente ordonnance : le juge se réfère notamment au considérant 45 de la directive « e-commerce » (« les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible ») et au considérant 23 de la directive 2004/48 (« sans préjudice de toute autre mesure, procédure ou réparation existante, les titulaires des droits devraient avoir la possibilité de demander une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit de propriété industrielle du titulaire. Les conditions et procédures relatives à une telle injonction devraient relever du droit national des États membres ») ainsi qu’aux travaux parlementaires internes. Il ressort de ces éléments, pour le juge, que la coexistence des deux fondements n’implique pas une exclusion automatique de l’article 6.I.8 de la LCEN.

Il est vrai que la pluralité de possibilités existant en ce domaine rend le choix du type de référé plus délicat ; dans cette perspective, la solution retenue en l’espèce n’est pas totalement surprenante. Toutefois, il faut malgré tout de convenir du fait que le fondement issu du code de la propriété intellectuelle (en l’espèce, l’article L. 716-4-6, anc. L. 716-6) est sans doute plus adapté et devrait, dès lors, avoir vocation à être mis en œuvre prioritairement lorsqu’est en cause une atteinte à une marque, dans la mesure où la disposition est précisément prévue pour ce type spécifique d’atteinte. Néanmoins, l’incontestable proximité des règles explique sans doute la souplesse de l’interprétation : puisque les deux référés, bien que distincts, sont très similaires, le juge n’est pas tenu par une logique d’exclusion d’une disposition.

En conséquence, et puisque la loi pour la confiance dans l’économie numérique est applicable en l’espèce, les sociétés demanderesses n’avaient pas à introduire une action au fond, comme le requiert l’article L. 716-4-6 in fine du code de la propriété intellectuelle.

Une fois l’argument du fournisseur d’accès à internet écarté, le juge considère que l’article 6.I.8 de la LCEN constitue un fondement opportun et ordonne à tous les fournisseurs d’accès à internet défendeurs de mettre en œuvre, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l’ordonnance et pour une durée de douze mois, toutes mesures propres à empêcher l’accès par leurs abonnés depuis le territoire français des sites litigieux.

Auteur d'origine: nmaximin
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Sur le marché français de la vente à emporter et de la livraison de pizzas, deux concurrents s’opposent vivement depuis plusieurs années. Speed Rabbit Pizza (ci-après la société SRP), qui a subi une baisse significative de son chiffre d’affaires en raison de la fermeture d’une trentaine de points de vente, impute effectivement ses difficultés aux pratiques illicites de la société Domino’s Pizza France (ci-après la société DPF). Elle reproche à cette enseigne, exclusivement exploitée sous forme de franchise, d’accorder à ces franchisés des avantages illicites comme des délais de paiement anormalement longs, des prêts contrevenant au monopole bancaire, des effacements de dettes ou encore des possibilités de racheter les fonds à vil prix.

Avant de porter l’affaire devant la juridiction commerciale, le dirigeant de la société SRP, M. K…, a exprimé publiquement son mécontentement. Dès 2010, à l’occasion d’un salon professionnel sur la franchise, il s’est permis de diffuser un quizz invitant à choisir, parmi plusieurs concurrents sur le marché considéré, celui qui pratique « des délais de paiement très largement supérieurs à la loi, preuve de la faible rentabilité du concept ». Puis, parallèlement à son action judiciaire, M. K… a vertement critiqué, sur Twitter et Amazon, un ouvrage dans lequel il est écrit que les produits de la société DPF sont frais alors que beaucoup d’entre eux seraient en réalité « décongelés ». En 2013, le dirigeant a également affirmé sur son blog que de nombreuses pratiques illicites imputables à la société DPF étaient couvertes par la presse, la politique et la justice.

Ces propos ont justifié que, devant la juridiction de première instance alors saisie par la société SRP d’une action en concurrence déloyale à l’encontre de la société DPF, cette dernière agisse de son côté en dénigrement à l’encontre de la demanderesse. C’est d’ailleurs cette prétention reconventionnelle qui a emporté la conviction du tribunal de commerce de Paris qui, dans un jugement du 7 juillet 2014, a condamné la société SRP à verser 2 300 000 € de dommages-intérêts au bénéfice de la société Domino’s pour dénigrement, procédure abusive et désorganisation de réseau. Observons que la condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile est également particulièrement élevée puisqu’elle s’élève à 500 000 €. En appel, les demandes de la société Speed Rabbit sont à nouveau rejetées dans leur ensemble, même si la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 25 octobre 2017, diminue le montant des dommages-intérêts alloués pour dénigrement à la somme de 500 000 €.

Cette décision est contestée par le présent recours et notons que deux autres arrêts font l’objet de pourvois à l’initiative de franchisés de la société SRP. Fondée sur de nombreux moyens, l’action invite la haute juridiction à se positionner sur deux axes : la réalité des comportements illicites imputés à la société DPF et la caractérisation du dénigrement que cette dernière estime avoir subi.

La réalité des comportements illicites constitutifs d’une concurrence déloyale

La Cour de cassation demande à la juridiction d’appel de revoir sa copie sur la question de l’existence de pratiques illicites imputables à la société Domino’s. Elle reproche plus particulièrement aux juges du fond de ne pas avoir pris en considération les pièces versées en cause d’appel par la société SRP dans l’appréciation de l’existence de l’octroi de délais de paiement anormalement longs et de ne pas avoir recherché « si les facilités de paiement en cause ne revêtaient pas la qualification de prêts prohibés par l’article L. 511-5 du code monétaire et financier, sans pouvoir entrer dans la dérogation prévue par l’article L. 511-7, I, 3°, du même code ». Il semble que la Cour de cassation reproche sa méthodologie à la cour d’appel, cette dernière ayant déduit de l’absence d’effet des pratiques éventuellement critiquées le défaut de déloyauté contrairement à ce que la jurisprudence pertinente exige. Le cadre principiel exclut effectivement cette façon de raisonner. Une action en concurrence déloyale est bien fondée dès lors qu’elle repose sur la démonstration d’un comportement fautif à l’origine d’un préjudice, comportement fautif qui peut trouver son origine dans l’inobservation d’une réglementation appliquée par les entreprises concurrentes (Com. 19 juin 2001, n° 99-15.411, Bull. civ. IV, n° 123 ; D. 2001. 2824 , obs. E. Chevrier ). Ainsi, si des réglementations ont été violées par la société DPF, cette violation est à l’origine d’un trouble commercial préjudiciable. Il convenait donc de se positionner sur le terrain de la réalité des pratiques illicites plutôt sur celui de leurs effets.

Concernant les délais de paiement illicites, la cour d’appel s’est contentée de relever qu’en l’absence de lien systématique entre l’existence de cette pratique et la présence d’un point de vente concurrent de la société SRP dans les zones de chalandise en cause, aucune stratégie d’éviction imputable à la société DPF ne pouvait être retenue. C’est pour cette raison que la cassation est encourue. Il lui faudra, lors du second examen, vérifier si la société DPF a effectivement violé les dispositions de l’article L. 441-6-8 du code de commerce au détriment de ses concurrents.

Concernant l’octroi illicite de prêts, la cour d’appel retient que les prêts litigieux ne sont pas illicites car ils ont été accordés à titre onéreux et qu’ils ne présentent pas de caractère anormal dès lors que seules des facilités financières ont été octroyées en application de l’exception au monopole des établissements financiers à ses franchisés avec lesquels elle entretient un lien capitalistique (exception prévue dans C. mon. fin., art. L. 511-7 I, 3° : une société est autorisée à « procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres »). La cour observe par motifs adoptés que la société DPF étant la seule à approvisionner à titre exclusif ses franchisés en denrées, il lui est permis d’accorder en contrepartie de cette exclusivité des facilités de paiement. Or, à nouveau, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si, en l’espèce, les facilités ne sont pas en réalité des prêts qui n’entrent pas dans le cadre de la dérogation. La cour d’appel de renvoi aura donc à rechercher si les facilités financières litigieuses ont été accordées à titre habituel et auprès de plusieurs franchisés (v., sur ce point, Com. 8 mars 2017, n° 15-25.491, Dalloz jurisprudence) et, dans l’affirmative, si la société DPF détient effectivement un pouvoir de contrôle sur ces franchisés compte tenu de sa participation dans le capital des franchisés concernés lui permettant de se prévaloir d’une dérogation.

Si l’une ou l’autre de ces deux pratiques devait être qualifiée d’illicite, alors une situation de concurrence déloyale pourrait en être déduite dès lors que la société concurrente aura nécessairement subi un préjudice en appliquant des dispositions légales volontairement ignorées par la société DPF. C’est en tout cas ce que semble affirmer la Cour de cassation, reprenant sur ce point une jurisprudence constante (v. réc. Com. 11 janv. 2017, n° 15-18.669, Légipresse 2017. 64 et les obs. ), en affirmant que, dès lors qu’« il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale », la cour d’appel aurait dû rechercher « si l’octroi de délais de paiement illicites et de prêts en méconnaissance du monopole bancaire n’avait pas pour effet d’avantager déloyalement les franchisés de la société DPF au détriment des franchisés de la société SRP, et ainsi de porter atteinte à la rentabilité et à l’attractivité du réseau concurrent ».

La caractérisation d’un dénigrement

La Cour de cassation confirme en revanche le raisonnement de la cour d’appel, qui a retenu à l’encontre de la société SRP un comportement dénigrant. La demanderesse contestait la qualification de dénigrement car les propos litigieux ne concernent que la société SRP et non ses produits ou ses services de sorte que seule la diffamation pouvait être retenue à son encontre. Il a effectivement été jugé que, si des propos jettent le discrédit uniquement sur une personne morale déterminée, y compris lorsque ceux-ci rejaillissent sur l’activité de cette dernière, alors seule une action en diffamation est ouverte (v. sur ce point Com. 7 mars 2018, n° 17-12.027, D. 2019. 216, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2018. 249 et les obs. ). A contrario, le dénigrement peut être retenu sur le fondement de l’article 1382 du code civil (actuel art. 1240) s’il porte sur les produits ou services d’une entreprise (Com. 26 sept. 2018, n° 17-15.502, Dalloz jurisprudence).

La question ne porte donc ni sur le caractère public ni sur le caractère avéré des propos litigieux mais sur leur objet. Or, comme le souligne la Cour de cassation, les juges du fond ont logiquement déduit des termes du dirigeant de la société SRP, selon lesquels les produits alimentaires de la société DPF n’étaient pas frais mais congelés, mais également de ceux selon lesquels les services rendus par la tête de réseau à ses franchisés étaient illicites l’existence d’un dénigrement. En dehors des propos visant les produits servant à la fabrication des pizzas, qui auraient suffi à emporter la qualification de dénigrement au profit de celle de diffamation, on retiendra de cette décision que les « produits ou services » d’une entreprise sont, dans le cadre d’une action en dénigrement, aussi bien ceux destinés aux utilisateurs finals de l’enseigne (consommateurs) que ceux profitant aux membres du réseau (franchisés).

Auteur d'origine: cspinat
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L’action directe, découverte très tôt en France dans le domaine de l’assurance, est déjà source de difficultés lorsqu’elle est confrontée au droit interne. À ce titre, Madame Abravanel-Jolly explique que depuis l’intervention de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 « l’action directe est une action légale, conférée à la victime afin de lui permettre d’agir directement contre l’assureur. On la nomme également action directe légale, pour bien la différencier de l’action directe contractuelle octroyée au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui […]. À l’origine, l’article L. 124-3 du code des assurances ne faisait pas référence à l’action directe. Le texte original faisait uniquement référence à un principe d’affectation en vertu duquel l’indemnité devait être affectée à la victime, et c’est la jurisprudence qui en a déduit l’existence d’une action directe dans un arrêt de principe du 28 mars 1939 » (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 83 7; V. aussi, P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 247, qui cite un arrêt plus ancien : Civ. 14 juin 1926, DP 1927. I. 57, note L. Josserand et rapp. A. Collin ; S. 1927.1.25, note C. Esmein ; Lamy Assurances 2020, n° 1584 ; Adde Y. Avril, Chapitre II. Le recours contentieux ; Section 1. L’action directe de la victime contre l’assureur, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, Ellipses, 2020, à paraître).

Le fameux arrêt de la chambre civile en date du 28 mars 1939 révèle la dualité de l’action directe. Elle prend naissance dans le « droit à la réparation de la victime pour le préjudice dont l’assuré est reconnu responsable ; il s’agit d’une action distincte de l’action en responsabilité elle-même. Pour autant, l’assureur n’est tenu vis-à-vis de la victime que dans la limite du contrat d’assurance RC. Sachant que, à l’évidence, l’action directe n’est plus recevable en cas de substitution légale du débiteur de la dette de responsabilité. Au demeurant, la jurisprudence met en évidence les deux facettes de l’action directe : un fondement légal issu du droit à réparation de la victime, mais dont l’exercice est limité par le contrat d’assurance » (ibid.).

La décision originelle énonçait ainsi que « si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur est subordonnée à l’existence d’une convention passée entre ce dernier et l’auteur de l’accident et ne peut s’exercer que dans ses limites, elle trouve, en vertu de la loi, son fondement dans le droit à réparation du préjudice causé par l’accident dont l’assuré est reconnu responsable » (Civ. 28 mars 1939, D. 1939. I. 68, note M. Picard).

Il est souligné, à propos de ce principe, que la jurisprudence française « est si constante et ferme qu’il devient rare de rencontrer des arrêts réitérant ce principe, connu de tous et critiqué par personne » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 749, n° 754, in fine : citant Civ. 1re, 22 juill. 1986, RGAT 1986. 595, note G. Viney), avant de reconnaître que « le droit québécois est moins hésitant : Le montant de l’assurance est affecté exclusivement au paiement des tiers lésés » (C. civ. Q, art. 2500) » (ibid.).

Lorsqu’elle s’inscrit dans le droit international privé de l’Union européenne, le terrain de jeu de l’action directe y est davantage piégé, dans la mesure où il s’agit d’une notion européenne qui amène à considérer l’ensemble du régime, avec l’autonomie des notions-régimes en particulier (F. Mailhé, Entre Icare et Minotaure, les notions autonomes du droit international privé de l’Union, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 1137 s., spéc. p. 1161).

Bien plus restrictivement, la décision commentée rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2019 (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, nos 18-14.827 et 18-18.709) vise le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement et du Conseil du 11 juillet 2007 (JOUE du 31 juill.) sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II.

Dans une perspective historique préalable, en France, la seule jurisprudence traitait auparavant de la question de la loi applicable en matière de responsabilité civile extracontractuelle. On sait ainsi de longue date qu’à l’occasion d’un litige international, la victime d’un accident survenu en France est recevable à exercer, contre l’assureur étranger de l’auteur de cet accident, l’action directe que la loi lui confère dans un intérêt d’ordre public (Req. 24 févr. 1936, DP 1936. 1. 49, note R. Savatier ; RGAT 1936. 558, note M. Picard ; L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-3, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 292 ; B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 13). Il a été subtilement mis en lumière que « ce n’est plus ici simplement l’ordre public qui vient s’infiltrer dans le contrat, c’est ce dernier qui en est réduit à l’état d’instrument du premier. Ainsi comprend-on, non seulement, qu’une police d’assurance ne peut contenir de clause entravant cette action, mais également que les règles de conflits de lois admises par le droit international privé français se verront écartées, au nom de l’ordre public, si jamais leur solution venait à désigner une loi étrangère ignorante du procédé » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, op. cit., p. 749, n° 755).

Par la suite, le champ du droit commun, façonné par la jurisprudence, a été restreint par l’entrée en vigueur de deux conventions internationales, en premier lieu celle du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière, en second lieu celle du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, puis par le droit international privé du droit de l’Union européenne qui n’a avancé que progressivement. Les règles dégagées en matière de conflits de juridictions ont ainsi généré un phénomène de communautarisation du droit international privé.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et son ancêtre la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont d’abord rendu des décisions relatives à la matière délictuelle en rapport avec l’application de la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et, plus tard, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, et du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I refondu. Cette jurisprudence n’a pas manqué « d’avoir des répercussions sur la construction prétorienne alors applicable en France dans le domaine des conflits de lois. Une nouvelle étape du phénomène a été franchie avec l’adoption du règlement » dit Rome II (H. Slim, Responsabilité civile délictuelle en droit international privé, J.-Cl. Resp. civ. assur., fasc. 255, 2016, n° 1 ; Comp. P. Pailler, Manuel de droit européen des assurances, Bruylant, coll. « Droit de l’Union européenne », 2019 ; J. Knetsch, La réparation du dommage extracontractuel en droit international privé, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 979 s).

En effet, le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles est empreint d’un caractère « universel », tout comme l’est son grand frère, le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I. En d’autres termes, « même si la loi à laquelle conduit la mise en œuvre dudit règlement n’est pas celle d’un État membre, elle doit être appliquée par le juge de l’État membre saisi du litige (Règl. Rome II, art. 3). Le règlement Rome II constitue donc le droit commun des États membres de l’Union européenne dans le domaine qu’il régit » (H. Slim, op. cit., n° 2).

Globalement, le règlement Rome II constitue le droit commun et écarte ainsi le droit commun français. Toutefois, le règlement Rome II n’a pas un champ d’application général. Sur le reliquat, la compétence est celle du droit national dit alors résiduel.
Une première application de ce règlement Rome II a été faite par la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 janvier 2018. Il s’agissait déjà d’un contrat pour la livraison et l’installation en France, par une société – étrangère – allemande et assurée en Allemagne, de panneaux photovoltaïques. La Cour de cassation avait ainsi retenu que l’article 18 du Règlement Rome II n’est applicable qu’aux actions directes exercées contre les assureurs de personnes devant réparation en raison d’une obligation non contractuelle, autrement dite délictuelle ou extracontractuelle (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 17-10.959, inédit, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ).

Une seconde application de ce règlement Rome II a été réalisée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2019, pour ce qui a trait à la loi applicable à l’action directe en matière non contractuelle contre un assureur (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

En l’espèce, le propriétaire d’une maison a commandé à une société la réalisation d’une installation photovoltaïque, avec pose en toiture de son habitation de panneaux solaires fabriqués par une société hollandaise et équipés d’un boîtier de connexion d’une autre société hollandaise. Un échauffement de ce composant ayant provoqué l’incendie de l’immeuble, l’acquéreur de l’installation et son assureur ont assigné la société de couverture et son assureur (MAAF), en indemnisation de son préjudice.

La MAAF a appelé en garantie la société d’assurance de la société fabricante des panneaux, ainsi que l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion.
Un jugement a condamné la MAAF sous la garantie solidaire des deux autres assureurs à payer diverses sommes à l’acquéreur et à son propre assureur en réparation du préjudice subi. Par un arrêt partiellement confirmatif du 6 février 2018, la cour d’appel de Limoges a limité aux sommes de 31 627 € et 261 149 €, le montant des indemnités dont l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion doit la garantir, in solidum avec l’assureur de la société fabricante des panneaux et a décidé que l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion prendra ces sommes en charge dans les limites de la proratisation prévue par le droit néerlandais applicable à la police d’assurance pour le cas où le total des indemnités dues aux victimes du sinistre sériel excéderait le plafond de 1 250 000 € de la garantie souscrite, et dans la limite de ce plafond.

L’assureur de la société de couverture a formé un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 18 décembre 2019, l’a principalement rejeté (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

La Haute juridiction a d’abord retenu « que si, en application de l’article 18 du Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 (« Rome II »), en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle, déterminée conformément à l’article 4 du règlement ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi de ce contrat ; que la cour d’appel a décidé, à bon droit, que, si la MAAF pouvait exercer l’action directe, admise par la loi française, loi du lieu de survenance du dommage, elle pouvait se voir opposer la loi néerlandaise à laquelle le contrat d’assurance était soumis, en ce que celle-ci prévoit, en cas de sinistres sériels, une indemnisation des victimes au prorata de l’importance du préjudice subi, dans la limite du plafond de la garantie souscrite par l’assuré » (ibid.).

Elle a ensuite jugé « qu’il ne résulte ni de l’arrêt ni des conclusions de la MAAF que celle-ci ait soutenu que la loi néerlandaise aurait pour effet de vider de sa substance l’action directe de la victime admise par la loi française » (ibid.).

La première chambre civile a encore motivé sa décision en relevant « que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation de la loi néerlandaise, dont il n’est pas prétendu qu’elle en aurait dénaturé la teneur, que la cour d’appel qui n’avait pas à s’expliquer sur les moyens de preuve qu’elle décidait d’écarter, a estimé que la proratisation de l’indemnisation en cas de dépassement du plafond de garantie en présence de sinistres sériels, prévue à l’article 7:954, alinéa 5, du code civil néerlandais, en matière de dommages corporels, s’appliquait également aux dommages matériels » (ibid.).

La Cour de cassation a enfin décidé « qu’en fixant le montant des indemnités dont la société Allianz devait garantie à la MAAF et en précisant que Allianz ne prendrait en charge ces indemnités que dans les limites de la proratisation prévue par le droit néerlandais et du plafond de garantie stipulé dans la police, la cour d’appel a nécessairement considéré, répondant, par-là même, aux moyens prétendument délaissés, que la question de la détermination finale du montant de la contribution d’Allianz ne constituait pas un incident d’exécution mais concernait le fond du droit à indemnité de la victime » (ibid.).

Dès lors, la victime se trouve dans une meilleure situation en matière d’action directe non contractuelle, puisque l’article 18 du règlement Rome II lui confère le droit d’agir « directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non-contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit » (Règl. Rome II, art. 18). Avec les rattachements alternatifs qu’elle envisage, cette règle innove au regard de celle qui était en vigueur avant l’adoption du règlement qui certes présentait l’avantage, « lorsque le délit était commis en France, d’offrir à la victime une action directe contre l’assureur alors que la loi étrangère régissant le contrat d’assurance pouvait l’ignorer. Mais, à l’inverse, lorsque la loi du lieu du délit (par hypothèse étrangère) ignorait une telle action directe, la victime française pouvait se trouver, au moins sur ce terrain, défavorisée, puisqu’elle ne pouvait atteindre l’assureur que par la voie oblique avec le risque de venir en concours sur l’indemnité d’assurance avec les autres créanciers de l’assuré. L’article 18 du règlement Rome II instaure par conséquent une règle nettement plus favorable à la victime que celle issue auparavant du droit prétorien » (H. Slim, op. cit., n° 54).

En 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé que l’article 18 du règlement Rome II « doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans une situation telle que celle au principal, l’exercice, par une personne lésée, d’une action directe contre l’assureur de la personne devant réparation, lorsqu’une telle action est prévue par la loi applicable à l’obligation non contractuelle, indépendamment de ce qui est prévu par la loi applicable au contrat d’assurance choisie par les parties à ce contrat » (CJUE 9 sept. 2015, aff. C-240/14, Eleonore Prüller-Frey c/ 
Norbert Brodnig, Axa Versicherung AG, D. 2015. 1838 ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; RTD eur. 2016. 664, obs. L. Grard ). La victime
retrouvait ainsi meilleure fortune en pouvant multiplier les possibilités d’action directe. La CJUE a ainsi rappelé le sens de la règle : non seulement un droit d’action est indépendant, mais il convient de bien effectuer la distinction entre ce droit d’action directe et les limites qu’on peut lui opposer. Quant à savoir dans quelles mesures cela peut fonctionner, l’analyse relève d’une autre étude que ces brèves observations.

Peu de temps après cette décision de 2015 émanant de la CJUE, et en amont de l’affaire commentée, la doctrine avait indiqué que « s’il s’applique clairement à la question de l’existence de l’action directe, l’article 18 du règlement Rome II ne précise pas la loi qui régit cette action, notamment l’étendue des obligations de l’assureur. Celles-ci devraient donc rester dans le giron de la loi régissant le contrat d’assurance, laquelle est d’ailleurs la seule dont l’assureur est susceptible de prévoir l’application » (H. Slim, op. cit., n° 54).

Avec l’arrêt du 18 décembre 2019, la Haute juridiction française s’est parfaitement inscrite dans les prédictions voire recommandations de la doctrine. Les magistrats du quai de l’horloge ont en effet maintenu le régime de l’assurance dans le giron de la loi régissant la police. A cet effet, ils ont affirmé que si, en application de l’article 18 du Règlement Rome II, « en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle, déterminée conformément à l’article 4 du règlement ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi de ce contrat » (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

Dès lors, en ce qui concerne le régime juridique de l’action, « à savoir l’étendue de la garantie due par l’assureur et les moyens de défense que ce dernier peut apposer, c’est la loi de la police d’assurance qui s’applique. La juridiction française saisie doit appliquer le contrat dans toute sa plénitude. L’enjeu est de taille pour le tiers lésé qui ne peut plus se prévaloir des règles protectrices du droit national des assurances de responsabilité. À titre d’illustration, il ne pourra plus exciper des articles R. 124-1 à R. 124-4 du code des assurances et, notamment, des dispositions relatives à la déchéance ou à la durée minimale de la garantie subséquente, etc. » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 12). En définitive, le régime juridique de l’assurance, « notamment la détermination des exceptions que peut opposer l’assureur, est soumis à la loi du contrat » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, 14e éd., 2017, n° 775).

On observe toutefois une forme d’harmonisation dans les motifs puisqu’en 2015 la Cour de cassation avait étendu la règle de l’article 18 du règlement Rome II aux victimes de dommages contractuels, avec une formule quasi-identique : « la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit » (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, D. 2015. 1846 ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1161, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; AJCA 2015. 472, obs. L. Perdrix ; Rev. crit. DIP 2016. 119, note S. Corneloup ; RTD com. 2016. 590, obs. P. Delebecque ; JCP 2015. 1163, note V. Heuzé ; RGDA 2015. 499, note V. Heuzé ; JCP 2015. 991, note F. Mailhé ; RCA 2015, n° 331 ; ibid. étude 12, note N. Ciron ; v. aussi L. Grynbaum (dir.), Assurances, Droit & pratique, L’Argus de l’assurance éd., 6e éd., 2019/2020, n° 3125). Il s’agissait de deux sociétés françaises ayant assigné une société et son assureur allemands devant le tribunal de commerce de Rodez, où leur semi-remorque, récemment réparé par la société allemande, avait en effet pris feu. Les défendeurs avaient soulevé l’incompétence du tribunal français.

D’une part, l’action directe d’une victime ayant subi un dommage en France, si elle est possible d’après la loi désignée par les règles de conflit du for, est prise en compte par l’article 11, § 2, du règlement Bruxelles I. Ce dernier retient que les dispositions des articles 8, 9 et 10 sont applicables en cas d’action directe intentée par la victime contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. Ce texte a été refondu par le règlement (CE) n° 1215/2012, en conservant le contenu de l’ancien article 11 du règlement Bruxelles I. Le règlement de 2012 n’est cependant applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement ou aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015 (art. 66). D’autre part, en ce qui concerne l’assurance de responsabilité, c’est au règlement dit Rome II qu’il convient désormais de se référer.

La dissymétrie des nouveaux textes européens a semble-t-il incités les juges « à faire une nouvelle fois œuvre normative pour étendre la solution de l’article 18 aux victimes de dommages contractuels. Dans une matière aussi lourde d’enjeux que celle des assurances, peut-être aurait-il fallu interroger la Cour de justice sur ce nouveau problème relatif à l’action directe. On peut sans doute approuver l’opportunité de la solution retenue au fond toutefois : l’assureur qui doit anticiper l’environnement juridique des délits de son assuré devrait a fortiori pouvoir anticiper celui des contrats que ce dernier conclut » (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, JCP 2015. 991, note F. Mailhé).

Certes, cette décision de 2015 avait été rendue sous le visa des articles 9, 10 et 11 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, ensemble l’article 3 du code civil, qu’avait violés la cour d’appel qui, pour rejeter l’exception d’incompétence territoriale soulevée par les sociétés allemandes, avait retenu que le principe de l’applicabilité de l’action directe se trouve régi par la loi du lieu où le fait dommageable s’est produit (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, Dalloz actualité, 21 sept. 2015, obs. F. Mélin ; adde L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-3, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 292 ; B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 13). On peut s’interroger quant à savoir si la Cour de cassation souhaitait, depuis 2018, revenir sur l’arrêt de 2015.

L’arrêt du 24 janvier 2018, qui était dans une configuration similaire en matière de conflit de lois mais non de conflit de juridictions (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 17-10.959, inédit, préc.), pourrait avoir remis en cause cette jurisprudence. Cependant, puisque les domaines demeurent différents, on ne peut pas en être certain.

D’aucuns avaient vu un revirement dans l’arrêt du 9 septembre 2015, s’inquiétant que « cette fois, si la seconde possibilité doit être approuvée, la première demeure critiquée » (J. Bigot (dir.), J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5, Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, Lextenso éd., 2017, p. 708, n° 1721). D’autres ont admis que « dans le silence de la Convention de Rome, et face au champ expressément limité de Rome II, la Cour de cassation se trouvait dans une impasse. Il lui a fallu faire preuve d’une ingéniosité qui confine, il faut l’avouer, à un certain forçage des textes. Cassant l’arrêt d’appel qui s’était fondé sur la loi du délit, la Cour s’est en effet placée « en matière de responsabilité contractuelle » (ce qui est au moins confus puisqu’il s’agissait de qualifier l’action directe elle-même) et a visé, avec le règlement Bruxelles I, l’article 3 du code civil (alors qu’il aurait assurément fallu appliquer la Convention de Rome à ce « contrat »).

Puis, posant une nouvelle règle de conflit de lois ad hoc, elle a reproduit purement et simplement celle de l’article 18 précitée en transformant l’expression « obligation non contractuelle » en « obligation contractuelle » ! » (JCP 2015. 991, note F. Mailhé).
Pour l’explication, c’est dans une jurisprudence de 2000, antérieure aux textes européens, que la formule employée en 2015 « en matière de responsabilité contractuelle » trouve son origine. Avant l’entrée en vigueur du règlement Rome II, la Cour de cassation avait admis que si l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable est régie, en matière de responsabilité contractuelle comme en matière de responsabilité quasi délictuelle, par la loi du lieu du dommage, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi du contrat, notamment en ce qui concerne les exceptions opposables par l’assureur (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-15.546 et n° 98-16.103, Rev. crit. DIP 2001. 682, note V. Heuzé ; RTD com. 2001. 504, obs. B. Bouloc ; ibid. 1057, obs. P. Delebecque ; RCA 2001, n° 132 ; JCP 2001. I. 338, obs. G. Viney ; RGDA 2001. 330, note J. Landel ; ibid. 1065, note V. Heuzé ; Droit et patr., juin 2001, p. 122, obs. J. Monéger). Elle reconnaissait, en d’autres termes, que « seule la recevabilité de l’action directe contre l’assureur était soumise à la loi du délit, les obligations qui incombent à l’assureur relèvent uniquement de la loi applicable au contrat d’assurance » (H. Slim, op. cit., n° 54).

La doctrine avait vivement remis en question cette solution, car elle « n’avait aucun sens : ainsi, et par exemple, il est évidemment déraisonnable de prétendre demander à la loi italienne, du lieu du fait dommageable, si elle accorde à la victime l’action directe que définissent les droits français ou allemand, quand ce sont eux qui régissent le contrat d’assurance. Mais la solution était au surplus injustifiable du point de vue des intérêts de la victime dans tous les cas où la loi du lieu du fait dommageable lui refuse le bénéfice d’une action qui est pourtant prévue par la loi du contrat d’assurance » (V. Heuzé, Rev. crit. DIP 2001. 682 ).

Dorénavant, le principe est unique pour retenir la loi applicable à l’action directe contre un assureur. Qu’il s’agisse de la matière contractuelle ou de la matière non contractuelle, le régime de l’action directe, est dans tous les cas soumis à la loi du contrat d’assurance.

Auteur d'origine: Dargent
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L’Agence française anticorruption (AFA), à travers la parution de ce nouveau guide de vérification anticorruption des fusions-acquisitions, vient compléter ses recommandations à destination des acteurs économiques s’engageant dans ces opérations par nature complexes. Ces prévisions font d’ailleurs échos aux recommandations délivrées outre-Atlantique par le Département de la justice américaine sur cette même thématique (« A Resource Guide to the U.S. Foreign Corrupt Practices Act by the Criminal Division of the U.S. Department of Justice and the Enforcement Division of the U.S. Securities and Exchange Commission »).

L’AFA distingue dans son guide deux types de vérifications. Les premières vérifications sont destinées à déterminer l’implication éventuelle de la société cible dans une affaire de corruption ou de trafic d’influence ou, si celle-ci a été sanctionnée pour de tels faits, de connaître les sanctions prises à son encontre. Les secondes vérifications visent à s’assurer de l’existence et, le cas échéant, d’évaluer la qualité du dispositif anticorruption mis en place.

La mise en place de ces vérifications permettrait ainsi d’identifier des éléments de nature à impacter la détermination du prix de l’opération. À cet égard, l’AFA évoque l’impact d’une potentielle sanction pénale à l’instar d’une amende, de frais liés à une obligation de mise en conformité anticorruption ou encore des conséquences de la médiatisation de faits de corruption susceptibles de porter atteinte à la réputation de la société acquéreur.

De telles considérations conduisent naturellement à s’interroger au préalable quant à l’incidence sur l’acquéreur de l’implication dans des faits de corruption de la société cible. Autrement dit, est-ce que la société absorbante pourrait voir sa responsabilité engagée à la suite d’une opération de fusion-acquisition en raison des faits réalisés par la société absorbée ?

En matière pénale, le principe est clair : « nul n’est pénalement responsable de son propre fait ». Ce principe d’individualisation des délits et des peines découle de l’article 121-2 du code pénal et a valeur constitutionnelle (Cons. const. 1er juin 2018, décis. n° 2018-710 QPC, Dalloz actualité, 15 juin 2018, obs. W. Azoulay ; D. 2018. 1153 ; Constitutions 2018. 336, Décision ; RSC 2018. 675, obs. Y. Mayaud ). L’AFA relève enfin la jurisprudence constante de la chambre criminelle, laquelle exclut « l’imputation d’une responsabilité pénale à toute personne, physique ou morale, qui n’a pas pris part aux faits en cause » (Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742, D. 2001. 853 , note H. Matsopoulou ; ibid. 1608, obs. E. Fortis et A. Reygrobellet ; ibid. 2002. 1802, obs. G. Roujou de Boubée ; Rev. sociétés 2001. 851, note I. Urbain-Parleani ; Dr. soc. 2000. 1150, obs. P. Morvan ; RSC 2001. 153, obs. B. Bouloc ; RTD com. 2000. 1024, obs. B. Bouloc ; ibid. 2001. 459, obs. C. Champaud et D. Danet ).

C’est ainsi que la société absorbante ne pourra voir sa responsabilité engagée qu’en présence de faits litigieux, c’est-à-dire si elle se rend elle-même coupable de faits de corruption ou, de façon plus ténue, si elle se rend coupable de faits de complicité. Cette seconde hypothèse suppose de démontrer que la société a sciemment facilité la consommation du délit en fournissant une aide ou assistance, ou encore en ayant donné des instructions pour commettre l’infraction, autrement dit des agissements matériels et une intention coupable. L’AFA envisage enfin la question de la responsabilité de la société absorbante sur le fondement du délit de recel ou de blanchiment des délits de corruption ou de trafic d’influence. Ces délits de conséquence ne pourront être envisagés que sous réserve de la participation active et intentionnelle des personnes morales et/ou physiques.

En matière civile, l’AFA opère une distinction entre les sociétés acquises avec et sans fusion. Dans la première hypothèse, la société ayant été acquise sans avoir été absorbée sera responsable des agissements corruptifs réalisés avant ou après l’opération. La situation apparaît plus complexe en matière de fusion-absorption. Dans pareille hypothèse, il est possible sous certaines conditions d’envisager une transmission des dommages et intérêts de la société civile à la société acquéreuse. Une telle transmission de dette civile ne doit cependant pas être confondue avec le paiement d’une somme d’argent au titre d’une amende pénale.

En matière administrative, l’AFA transpose la jurisprudence rendue par le Conseil d’État en relevant qu’en matière de fusion-absorption, la société absorbante ou issue de la fusion « peut, le cas échéant, répondre devant la commission des sanctions des manquements commis, avant l’opération, par la société dissoute, le principe de la personnalité des peines fait obstacles à ce qu’une sanction autre que pécuniaire puisse être prononcée contre elle » (CE, sect., 22 nov. 2000, req. n° 207697, Société Crédit agricole Indosuez Cheuvreux ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2000. 1069 ; ibid. 997, chron. M. Guyomar et P. Collin ; D. 2001. 237 , obs. M. Boizard ; ibid. 1609, obs. A. Reygrobellet ; RSC 2001. 598, obs. J. Riffault ; 6 juin 2008, req. n° 299203, Société Tradition Securities and Futures, Dalloz actualité, 11 juin 2008, obs. A. Lienhard ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2008. 1321 , chron. E. Geffray et B. Bourgeois-Machureau ; RFDA 2008. 699, concl. M. Guyomar ; CE 4 déc. 2009, req. n° 329173, Société Rueil Sport, Lebon ; AJDA 2009. 2324 ). Dès lors, une société ne saurait faire l’objet d’une injonction d’améliorer ses procédures de conformité ou autre mesure de publicité.

Les contours des missions du responsable des vérifications anticorruption

Il ressort de l’étude du guide que les instances dirigeantes peuvent confier la réalisation de ces vérifications à une personne de l’entreprise, par exemple au responsable de la conformité, ou à un prestataire externe. Dans cette hypothèse, les travaux de celui-ci seront placés sous la supervision du responsable des vérifications anticorruption au sein de l’entreprise.

L’AFA distingue les diligences à mener avant et après la signature du contrat (signing). Le responsable des vérifications anticorruption devra, dans un premier temps : 1) comprendre l’historique et les activités de la cible ; 2) connaître sa structure actionnariale, ses principaux dirigeants et ses bénéficiaires effectifs ; 3) identifier ses éventuels liens avec des personnes politiquement exposées et le degré de ses interactions avec des agents publics ; 4) connaître les principaux éléments de son dispositif anticorruption ; 5) identifier les affaires de corruption dans lesquelles elle pourrait être impliquée ; 6) vérifier l’existence de sanctions en cours, prononcées contre la cible par une autorité française ou étrangère.

Durant la période entre la signature du contrat et la réalisation de l’opération, le responsable des vérifications anticorruption pourra être amené à conduire des recherches sur les tiers les plus à risque au regard de la cartographie des risques de corruption ; les contrôles comptables (concernant par exemple les opérations à risque, les cadeaux et invitations ainsi que sur les activités de mécénat et de sponsoring) ; l’efficacité du dispositif d’alerte interne (par exemple, le traitement qui a été fait des dernières alertes portant sur des soupçons de corruption).

En pratique, les vérifications anticorruption se traduisent par la « collecte et l’analyse d’informations sur la cible recueillies au moyen de questionnaires, d’entretiens, de recherches documentaires en source ouverte ». Le responsable des vérifications anticorruption rendra compte de ses vérifications aux instances dirigeantes, au comité d’audit ou encore au conseil d’administration.

Une fois les opérations réalisées, le responsable des vérifications anticorruption pourra conduire le travail d’intégration du dispositif anticorruption au sein de la société cible.

En ce qui concerne l’intégration de la cible dans le dispositif anticorruption de la société acquéreuse ou absorbante, le responsable des vérifications anticorruption devra étudier la qualité du dispositif anticorruption de la cible et le mettre en perspective avec les risques spécifiques de la société acquéreuse. Une fois ce diagnostic réalisé, le responsable des vérifications pourra considérer des actions correctives. La ligne directrice est ici l’harmonisation des procédures mise en place dans les différentes structures afin qu’elle s’adapte au mieux aux contraintes et à la réalité du groupe.

Par ailleurs, si, lors de ces opérations de vérification, des soupçons de corruption apparaissent, l’AFA indique qu’une enquête interne « pourra » être diligentée. En présence de faits avérés de corruption, la société devra immédiatement mettre un terme à ces agissements, envisager la mise en œuvre de sanctions disciplinaires à l’encontre des salariés impliqués dans les faits litigieux. Se posera également la question de la dénonciation de ces faits au parquet. Si le principe de non-incrimination consacré tant par les juridictions internes qu’internationales garantit le droit aux personnes de ne pas s’autodénoncer, il est utile de noter qu’à l’instar du système américain, l’AFA accorde des crédits de coopération lors de la mise en œuvre d’une convention judiciaire d’intérêt public aux sociétés ayant dès le début coopéré avec les autorités de poursuite (Lignes directrices du parquet national financier et de l’AFA sur la mise en œuvre de la CJIP, 26 juin 2019). Dans un contexte de plus en plus internationalisé, la question de la dénonciation des faits et de la coopération avec les autorités de poursuite devra faire l’objet d’une véritable analyse in concreto par des professionnels du droit en coordination avec les instances dirigeantes.

La valeur de ce guide pratique

La question de la valeur de ces recommandations est traitée expressément par l’AFA, laquelle précise dès ses premières lignes que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II» n’impose pas « l’évaluation d’une société dont l’acquisition ou l’absorption est envisagée ». Elle poursuit plus loin en rappelant que le présent guide est dépourvu de « toute portée juridiquement contraignante ».

Néanmoins – et à juste titre –, ce guide s’attache à mettre en exergue les mérites de ses vérifications anticorruption. Ces vérifications permettent à l’acquéreur d’anticiper l’intégration ou l’adaptation du dispositif anticorruption de la cible qui interviendra après l’opération. Elles sont également un outil de transparence de nature à nourrir les échanges au sujet de l’opération. Elles permettent enfin d’anticiper les éventuelles dépenses supplémentaires susceptibles d’être répercutées sur la société absorbante à la suite de ces opérations de fusions-acquisition, notamment en raison de la mise en conformité du programme de conformité de la structure acquise.

Ces lignes directrices demeurent cependant perfectibles. Quelques écueils méritent en effet d’être évoqués. Les diligences à mener sont particulièrement exhaustives et nécessitent de facto un temps nécessaire à des missions souvent chronophages et peu compatibles avec le temps des affaires. Elles imposent également de déléguer ces activités à une personne dédiée impliquant des frais supplémentaires et une lourdeur supplémentaire à la procédure. Ainsi, bien que ce guide s’adresse de façon indifférenciée à l’ensemble des sociétés faisant l’objet d’opérations de fusion-acquisition, il va de soi que seules certaines structures d’une taille suffisante et mature sont susceptibles d’intégrer ce nouvel arsenal de recommandations. Il est souhaitable que l’AFA – qui dispose notamment de missions d’accompagnement des sociétés dans la mise en place des dispositifs de corruptions – apporte un véritable soutien technique aux entreprises aspirant à se conformer à ces nouveaux standards. 

Auteur d'origine: babonneau
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Après avoir longtemps résisté à la réception de l’inopposabilité aux victimes de la nullité d’une police pour fausse déclaration intentionnelle, ce n’est que très récemment, et sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), que la Cour de cassation a réalisé un considérable revirement interne, a fortiori très attendu et donc applaudi (Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot).

Par une seconde décision sur la question, rendue le 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile persiste et signe, non pour une fausse déclaration initiale, mais pour un défaut de déclaration d’un élément de nature à changer l’opinion du risque par l’assureur en cours de contrat. Naturellement, on applaudit à nouveau. L’arrêt apporte, en outre, une précision importante, sur la répartition de la charge indemnitaire entre l’assurance et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). Il est heureux que la Cour de cassation ne suive pas toujours la mode lancée par les assureurs – consistant à transférer, partiellement ou totalement, la prise en charge de risques vers la solidarité – et ne vide pas d’une partie de sa substance l’obligation de couverture et de garantie due par l’assurance privée.

La haute juridiction arrête ainsi le jeu de vases communicants vers le fonds de garantie, que l’assurance a tendance à exploiter pour améliorer ses bonis. L’analyse économique du droit conforterait sûrement une telle décision.

Tout d’abord, le marché de l’assurance automobile culmine à 22,1 milliards d’euros en 2018 (Fédération française de l’assurance, Rapport 2018, p. 14). Or, lorsqu’un marché n’est pas rentable, les acteurs de l’assurance ont tendance à s’en retirer, ce qui ne semble pas être le cas des nombreux acteurs se partageant le « gros gâteau » de l’automobile.

Rappelons ensuite que le marché de l’assurance automobile a été rendu obligatoire dès 1958 (D. Noguéro, Assurances et véhicules connectés. Regard de l’universitaire français, actes du colloque « Nouvelles technologies et mutations de l’assurance », 5 déc. 2018, Le Mans Université, Dalloz IP/IT 2019. 597 s., spéc. p. 598), ce qui en fait depuis cette date une rente à vie pour les assureurs.

Enfin, lors des travaux parlementaires à l’initiative de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite PACTE, il a été mis en avant, en faveur de l’adoption du nouvel article L. 211-7-1 du code des assurances consacrant la jurisprudence récente, que cette adoption permettrait de faire bénéficier le FGAO d’une baisse annuelle de charge estimée à 15 millions d’euros et représenterait donc, corrélativement, une augmentation annuelle de 15 millions d’euros pour les assureurs, ce qui semble n’être qu’une goutte d’eau dans l’océan des 22 milliards de primes qu’ils récoltent chaque année. L’amendement ayant permis son adoption a souligné que « l’intervention du fonds de garantie automobile (en France, le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages [FGAO]), conçue comme « une mesure de dernier recours » selon la CJUE, est uniquement prévue dans le cas où les dommages ont été causés par un véhicule pour lequel il n’existe aucun contrat d’assurance » (amendement n° 879 présenté en première lecture au Sénat le 25 janvier 2019).

Cette disposition, qui résulte d’un amendement, vise selon ses auteurs à mettre en conformité le code des assurances avec le droit de l’Union européenne.

À l’origine de l’affaire commentée, une conductrice a souscrit un contrat d’assurance automobile auprès d’un assureur le 6 juillet 2011. Trois ans plus tard, l’automobiliste a provoqué un accident en abandonnant sur une voie ferrée son véhicule qui a été percuté par un train, occasionnant à celui-ci des dommages matériels importants. Lors de cet accident survenu le 19 juillet 2014 précisément, la « chauffarde » circulait en état d’ébriété. L’assureur a notifié à la souscriptrice, le 20 avril 2015, la nullité du contrat pour défaut de déclaration d’un élément de nature à changer l’opinion du risque par l’assureur en cours de contrat, à savoir sa condamnation pénale pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique intervenue le 22 mai 2013.

Après avoir indemnisé la victime – la SNCF –, l’assureur a assigné la souscriptrice de la police en paiement d’une somme de 1 425 203,32 €. Il a aussi demandé que la décision soit déclarée opposable au FGAO. Ce dernier est intervenu volontairement à l’instance. La cour d’appel de Besançon, par un arrêt du 10 juillet 2018, a mis hors de cause le FGAO. La société d’assurance s’est pourvue en cassation.

Dans un arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile a rejeté le pourvoi formé par l’assureur. Ses motifs sont que « la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit (20 juill. 2017, aff. C-287/16) que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, et l’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion dudit contrat ».

La deuxième chambre civile en a déduit que la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances, tel qu’interprété à la lumière de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, qui a abrogé et codifié les directives susvisées, n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit.

La haute juridiction a alors rappelé qu’aux termes de l’article R. 421-18 du code des assurances, lorsqu’un contrat d’assurance a été souscrit pour garantir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile découlant de l’emploi du véhicule qui a causé des dommages, le FGAO ne peut être appelé à indemniser la victime ou ses ayants droit qu’en cas de nullité du contrat, de suspension du contrat ou de la garantie, de non-assurance ou d’assurance partielle, opposables à la victime ou à ses ayants droit.

Il en résulte, selon la Cour de cassation, que, la nullité, pour fausse déclaration intentionnelle, du contrat d’assurance conclu par la souscriptrice étant inopposable à la victime, le FGAO ne pouvait être appelé à prendre en charge tout ou partie de l’indemnité versée par l’assureur et a, à bon droit, été mis hors de cause dans l’instance engagée par ce dernier à l’encontre de son assurée.

Six mois plus tôt, la deuxième chambre civile avait déclaré, pour la première fois, inopposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit la nullité du contrat d’assurance prévue à l’article L. 113-8 du code des assurances, en présence d’une fausse déclaration intentionnelle, en amont de la souscription, du risque par l’assuré. Après une longue attente des victimes, elle renversait ainsi une solution bien acquise en droit français (Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768, préc.).

Précisément, la haute juridiction a retenu que la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit, lorsqu’elle résulte de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion de ce contrat (R. Bigot, art. préc.).

Puis, ce début d’année 2020, la Cour de cassation a confirmé l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance de responsabilité civile automobile, pour défaut de déclaration d’un élément de nature à changer l’opinion du risque par l’assureur en cours de contrat, à la victime. Elle a apporté une précision importante quant à la répartition de la charge entre débiteurs institutionnels d’indemnités.

En visant à nouveau l’article L. 113-8 du code des assurances et la directive dédiée à la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, la Cour de cassation a ainsi admis la position du fonds de garantie, lequel s’est prévalu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’argument aux termes duquel les nullités d’un contrat d’assurance en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle à la souscription, ou en cas de non-déclaration en cours de contrat, sont inopposables aux tiers victimes, de sorte que l’assureur doit prendre en charge les préjudices subis par les tiers victimes et exercer son recours à l’encontre de l’auteur responsable, et ce sans intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. En l’occurrence, l’entreprise d’assurance n’a pas opposé la nullité du contrat d’assurance à la victime, la SNCF, qu’elle a indemnisée. Son action étant une action récursoire à l’encontre de son assuré, elle ne pouvait être confondue avec l’action de l’assureur du tiers victime subrogé dans les droits de son propre assuré. Dès lors, le Fonds de garantie qui n’a pas vocation à intervenir dans le cadre d’une action récursoire devait, en l’espèce, être mis hors de cause.

Par ailleurs, le code des assurances n’étant plus conforme au droit européen, ce qui exposait les autorités françaises à une procédure en manquement, le législateur a dernièrement décidé de mettre en conformité le droit français des assurances à la jurisprudence de la CJUE. Il s’agissait d’éviter la multiplication du contentieux entre les assureurs et le FGAO et de sécuriser, dans le domaine de l’assurance automobile, les effets de la nullité d’un contrat d’assurance vis-à-vis des victimes d’accidents de la circulation, tout en contribuant à la pérennité financière des missions de solidarité nationale confiées par le législateur au FGAO.

À cet effet, l’article L. 211-7-1 créé par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (art. 209) dite PACTE dispose désormais que « la nullité d’un contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1 n’est pas opposable aux victimes ou aux ayants droit des victimes des dommages nés d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques.

Dans une telle hypothèse, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait de ce véhicule, de cette remorque ou de cette semi-remorque est tenu d’indemniser les victimes de l’accident ou leurs ayants droit. L’assureur est subrogé dans les droits que possède le créancier de l’indemnité contre la personne responsable de l’accident, à concurrence du montant des sommes qu’il a versées.

Un décret en Conseil d’État fixe les autres exceptions de garantie qui ne sont pas opposables aux victimes ou à leurs ayants droit ».

Dès lors, pour les accidents postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi PACTE, la règle issue de la jurisprudence récente figure dorénavant à l’article L. 211-7-1 du code des assurances.

Si cette solution est d’une saine logique, on peut toutefois regretter qu’elle ne concerne que l’assurance automobile, les autres catégories d’assurances n’étant pas visées. En contrepartie, c’est une bonne nouvelle pour les assureurs qui n’ont pas à s’inquiéter : les incidences financières sont, comme on l’a vu précédemment, ainsi restreintes et donc très faibles à leur égard.

Les victimes ou leurs ayants droit seront désormais indemnisés par l’assureur du véhicule ayant causé l’accident selon les règles de droit commun fixées par la loi « Badinter » du 5 juillet 1985, non plus par le FGAO. Dès lors qu’ils ne pourront plus opposer la nullité pour fausse déclaration, cela représente pour les assureurs automobiles une augmentation annuelle de charges estimée à 15 millions d’euros seulement, sur 22 milliards de primes collectées chaque année – insistons.

En attendant, sauf à ce que le législateur repense, notamment, la responsabilité et la causalité (R. Bigot et A. Charpentier, Repenser la responsabilité et la causalité, Risques n° 120, déc. 2019, p. 123-128), puis la répartition des charges, et corrélativement des primes, il est important que la juridiction suprême rappelle le rôle et les obligations imparties à chacun, qui pourrait être source d’un nouveau proverbe : « à bon assureur, salut ! ».

Auteur d'origine: Dargent

par Jeanne Daleaule 21 janvier 2020

Paris, 17 déc. 2019, n° 17/09695

La sculpture Naked réalisée en 1988 par Jeff Koons avait été considérée par le tribunal de grande instance de Paris comme la contrefaçon de l’une des photographies de Jean-François Bauret, intitulée Enfants, et conservée à la Bibliothèque nationale de France (TGI Paris, 9 mars 2017, Dalloz actualité, 28 mars 2017, obs. J. Daleau). Le société de l’artiste plasticien et le Centre Pompidou, qui prévoyait d’exposer l’œuvre en 2014, ont été condamnés à indemniser les héritiers de Jean-François Bauret pour avoir reproduit cette œuvre sur les supports de l’exposition en vente au public. Précisons que la veille de l’ouverture de...

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Auteur d'origine: Daleau

L’un des objectifs de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (« PACTE ») était «de faire évoluer les procédures du système français de propriété industrielle, afin d’offrir aux entreprises, et notamment aux PME et start-ups, des voies d’accès plus souples et plus progressives vers la délivrance de brevet » (exposé des motifs). Son article 118 a ainsi modifié l’article L. 612-15 du code de la propriété intellectuelle pour permettre de transformer une demande de certificat d’utilité en demande de brevet d’invention. Le décret n° 2020-15 du 8 janvier 2020 précise le délai dans lequel la requête peut être déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) et les modalités de paiement de la redevance pour l’établissement du rapport de recherche.

Le décret crée également une procédure de demande de brevet provisoire. Elle avait été retirée du projet de loi, le Conseil d’État ayant estimé dans son avis qu’« aucune disposition législative n’est nécessaire pour mettre en œuvre la réforme envisagée (…). Il conviendra de modifier les articles réglementaires du code de la propriété intellectuelle relatifs au dépôt et à l’instruction des demandes de brevet, qui dans leur rédaction actuelle...

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Auteur d'origine: nmaximin

Le contentieux du chèque diminue drastiquement ces dernières années compte tenu de l’utilisation de moins en moins fréquente de cet instrument de paiement. Aussi l’amateur de droit bancaire ne peut manquer d’éprouver une certaine satisfaction lorsqu’il découvre une décision, singulièrement un arrêt de la Cour de cassation, en ce domaine. Dans l’affaire jugée, il est question de M. G…, associé d’une société, Stell Holding, qui a souscrit par l’intermédiaire de M. F…, agent général d’une société d’assurance, MMA Vie, des contrats d’assurance vie afin de constituer une garantie financière au bénéfice de sociétés de travail temporaire dont le capital était détenu par la société Stell Holding. Cette dernière société, qui était titulaire d’un compte tenu par la société Lyonnaise de banque (la banque tirée), a établi cinq chèques à l’ordre de la société MMA Vie (il semble en réalité que ces chèques ont été établi à la fois au nom de MMA Vie et de M. F…). Mais ces chèques ont été encaissés à son profit par M. F… sur un compte personnel tenu par le Crédit agricole mutuel Provence-Côte d’Azur, banque présentatrice desdits chèques. M. G… et la société Stell Holding ont alors assigné la société MMA Vie en qualité de mandante de M. F… en remboursement des sommes détournées par ce dernier. La société MMA Vie a alors recherché, dans le cadre d’un appel en garantie, la responsabilité tant de la banque présentatrice que de la banque tirée.

1. Son appel en garantie contre la banque tirée est rejeté par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, puis par la Cour de cassation, qui n’accueille pas le...

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Auteur d'origine: Delpech
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Le 7 mai 2014, la société Z, qui avait pour dirigeant M. V., a été mise en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 18 avril 2014. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 28 mai 2014. Par un acte du 10 mars 2015, le liquidateur a assigné M. V. en report de la date de cessation des paiements. En défense, celui-ci a soulevé la nullité de l’assignation, au motif qu’elle lui avait été délivrée à titre personnel, et non en qualité de représentant légal de la société débitrice. Mais un jugement du 11 janvier 2017 a rejeté cette exception de procédure et accueilli la demande de report. À la suite de l’appel interjeté contre ce jugement, le conseiller de la mise en état a, par une ordonnance du 15 juin 2017, déclaré recevable l’appel formé par M. V. à titre personnel et ordonné la mise en cause de la société débitrice « prise en la personne de son représentant légal ». La décision du conseiller de la mise en état est confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 12 avril 2018. Mais cet arrêt est cassé au double visa des articles L. 631-8 du code de commerce et 126 du code de procédure civile.

Le premier des deux textes, c’est le siège de l’action en report de la date de cessation des paiements. On relèvera qu’il ne prévoit pas explicitement d’assignation du débiteur, mais que, dans son troisième alinéa, il énonce que le tribunal « se prononce après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur ». Pour la jurisprudence, l’action en report prend pourtant bel et bien la forme d’une assignation du débiteur (Com. 28 janv. 2014, n° 13-11.509 P, D. 2014. 367, obs. A. Lienhard ; ibid. 1010, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou et F. Arbellot ; Rev. sociétés 2014. 203, obs. L. C. Henry ), ce qui implique qu’il soit partie à l’instance. L’arrêt d’appel évoque plus...

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Dans le cadre d’un contrat de partenariat qui le lie à la SNCF Réseau, un groupement d’intérêt économique (GIE) a conclu deux contrats de sous-traitance avec un groupement pour la réalisation de travaux préparatoires de terrassement, d’ouvrage d’art et de rétablissement de communication. Les conditions générales auxquelles se réfère le contrat prévoyaient un arbitrage en amiable composition sous l’égide de l’Association française d’arbitrage.

À la suite de différends entre les parties, un tribunal arbitral annula le contrat de sous-traitance en application de l’article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Il semble en effet qu’en violation de ce texte d’ordre public, le GIE n’avait pas fourni au moment de la conclusion du contrat une copie de l’acte général de cautionnement, seul document donnant au sous-traitant l’assurance de l’existence de la garantie exigée par la loi pour assurer la sécurité financière de l’opération.

Le recours en annulation introduit contre cette sentence par le GIE s’articulait principalement autour de la décision de l’arbitre d’appliquer strictement ce texte alors que le tribunal arbitral aurait méconnu sa mission d’amiable compositeur en refusant d’écarter la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975, un tel refus n’étant justifié, selon le recours, qu’en présence de dispositions d’ordre public de direction et non de protection. Le demandeur soutenait encore que l’interprétation erronée de ce texte constituait une violation d’une règle d’ordre public.

L’arrêt rapporté rejette le recours en jugeant que « l’amiable compositeur qui s’estime tenu de respecter les dispositions d’ordre public de direction agit conformément à sa mission ». En outre, selon la cour d’appel de Paris, « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

En jugeant ainsi, la cour d’appel de Paris précise la mission de l’amiable compositeur vis-à-vis de la règle d’ordre public et le contrôle du juge de l’annulation sur l’application de ces règles.

La mission de l’amiable compositeur confronté à une règle d’ordre public

Le rôle de l’amiable compositeur ne se limite pas à un pouvoir. Il doit être compris comme un devoir d’utiliser ses prérogatives afin d’éliminer l’inéquité (v. E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, Joly, 1980, n° 401, p. 326 ; adde, E. Loquin, note sous Civ. 1re, 1er févr. 2012, ETE c. Gascogne paper, Rev. arb. 2012. 91, spéc. p. 102 ; P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, Bruylant, 2017, nos 203 et 372). Ainsi, l’arbitre qui applique à la lettre la règle de droit sans s’interroger sur le caractère équitable de sa décision ne motive pas sa sentence en équité et méconnaît donc sa mission (Civ. 2e, 18 oct. 2001, Rev. arb. 2002. 361, note C. Jarrosson ; Civ. 2e, 10 juill. 2003, n° 01-16.964, D. 2003. 2474 , obs. T. Clay ; RTD com. 2003. 698, obs. E. Loquin ; ibid. 2004. 252, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2003. 1361, note J.-G. Betto ; Civ. 28 nov. 2007, Rev. arb., 2008. 99, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 1er févr. 2012, Rev. arb. 2012. 91, note E. Loquin ; v. E. Loquin, Pouvoirs et devoirs de l’amiable compositeur, Rev. arb. 1985. 99). Sa sentence encourt donc l’annulation (v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, nos 789 s., p. 502).

Précisément, en l’espèce, le recours en annulation reprochait à l’amiable compositeur d’avoir méconnu sa mission en appliquant l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975.

L’amiable compositeur peut pourtant employer des règles de droit s’il justifie qu’elles aboutissent à un résultat équitable. Surtout, le pouvoir d’éviction de l’arbitre statuant ex aequo et bono n’est pas illimité : « l’amiable compositeur ne peut pas écarter toute règle de droit. Il peut uniquement écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 884 p. 878).

L’amiable compositeur peut donc, en principe, écarter les règles supplétives mais reste tenu d’appliquer les règles auxquelles on ne saurait déroger. Comme le rappelle ici la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, […] sauf lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La sentence et l’arrêt rapporté rappellent à juste titre qu’il convient, même en matière d’amiable composition, d’établir une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection.

Pour justifier l’application stricte de la loi du 31 décembre 2019, le tribunal arbitral avait estimé que « l’ordre public de la loi du 31 décembre 1975 a pour fonction de protéger l’organisation sociale et économique de la société française contre les faillites en cascade résultant pour les sous-traitants et leurs créanciers de la défaillance de l’entrepreneur principal » et que « la loi du 31 décembre 1975 rend indisponible le droit de demander la nullité du contrat de sous-traitance d’une manière absolue, dès lors que, comme paraît l’admettre la jurisprudence, la nullité est une nullité de direction ». Le tribunal en avait conclu qu’« à peine d’un risque d’annulation de la sentence, ses pouvoirs d’amiable compositeur ne lui permettaient pas en l’espèce d’écarter en équité la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975 ».

Ce motif de la sentence fut critiqué par le recours qui soutenait qu’en retenant une solution dictée par des dispositions légales l’arbitre ne s’était pas acquitté de sa mission d’amiable compositeur. L’argument est rejeté par la cour qui juge qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ».

Cette décision, fondée sur la distinction entre ordre public de direction et ordre public de protection, mérite l’approbation mais fait naître une part d’inquiétude.

L’arrêt rappelle à juste titre que l’amiable compositeur ne peut passer outre les règles d’ordre public de direction, quand bien même le recourant se prévaudrait de leur caractère inéquitable. En l’espèce, on doit saluer les efforts de pédagogie de l’arbitre qui, conscient des devoirs que lui impose sa mission, explique les raisons qui le conduisent à retenir la solution dictée par la stricte application de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975. La sentence rappelle que, si ce texte impose quelques obligations de forme, dont la violation ne semble certes pas en équité mériter l’annulation du contrat de sous-traitance, elles ne constituent pas de simples formalités mais visent à « l’assurance pour le sous-traitant de la fourniture effective d’un cautionnement le garantissant de façon certaine en cas de défaillance de l’entrepreneur principal ».

Comme elle poursuit l’objectif d’éviter des faillites en cascade, la loi du 31 décembre 1975 constitue, dans ses dispositions visant à assurer le paiement du sous-traitant, une loi de police (v. M.-E. Ancel, La protection internationale du sous-traitant, Trav. Com. fr. DIP 2010. 225), notion qui recoupe l’ordre public de direction en ce que l’une et l’autre visent respectivement la sauvegarde des intérêts économiques du pays et la préservation de l’intérêt général. Le respect de cette loi ne saurait donc dépendre du bon gré des parties, qui ne peuvent valablement y renoncer. C’est donc à juste titre que l’arbitre, approuvé par la cour d’appel, retient que ses pouvoirs d’amiable compositeur, conférés par des volontés individuelles, ne lui permettent pas d’écarter les dispositions de ce texte.

Doit-on en conclure, a contrario, que les pouvoirs d’amiable compositeur autoriseraient l’arbitre à écarter les règles d’ordre public de protection ? Une telle solution poserait une série de difficultés.

Comme nous l’avons vu, l’amiable composition permet « uniquement [d’]écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit.) ou, comme le dit la cour d’appel, elle trouve sa limite « lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La distinction opérée par l’amiable compositeur entre ordre public de direction préservant l’intérêt général et règles impératives visant à la protection d’intérêts particuliers semble donc à première vue justifiée puisque la volonté individuelle ne peut renoncer qu’aux secondes. Mais peut-on estimer que, par la clause d’amiable composition les parties renoncent valablement aux règles d’ordre public de protection ? Un arrêt récent semble avoir admis, au sujet d’une clause de non-concurrence qu’« en stipulant dans les statuts de la société une clause d’arbitrage en amiable composition, et en réitérant ce choix dans l’acte de mission, les parties ont affranchi le tribunal arbitral du respect des règles d’ordre public de protection » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 292). Une réponse positive n’est pas donc pas exclue d’emblée. Quatre objections doivent néanmoins être soulevées.

Tout d’abord, le principe d’effectivité du droit de l’Union semble conduire la Cour de justice de l’Union européenne à considérer avec réticence la renonciation devant l’arbitre aux règles de protection édictées par l’Union européenne. C’est du moins le cas du droit de la consommation (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Mostaza Claro, Dalloz actualité, 5 déc. 2006, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry  ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb., 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid., n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot).

De plus, la renonciation au bénéfice des règles protectrices comporte une condition temporelle : elle n’est valable que lorsqu’a disparu le motif qui justifiait l’impérativité, soit, le plus souvent, après la naissance du litige. Dès lors, dans la mesure où la clause d’amiable composition est le plus souvent acceptée lors de la signature du contrat, cette condition ne sera que rarement satisfaite (v. M. de Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, Economica, 2013, n° 485, p. 264). Ainsi, selon E. Loquin, « la clause d’amiable composition, insérée dans la clause compromissoire, ne permettra jamais aux arbitres d’écarter les droits des parties protégés par l’ordre public de protection. La renonciation qu’elle manifeste intervient, par hypothèse, à une époque où les parties n’ont pas acquis la libre disposition des droits protégés » (E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 405, p. 331 ; adde, J.-Cl pr. civ., fasc. 1038, spéc. n° 91). Ainsi, l’arrêt du 19 décembre 2017 précité, qui admet que la clause d’amiable composition permet à l’arbitre d’écarter les règles de protection, prend soin de noter que les parties avaient réitéré leur choix dans l’acte de mission.

Surtout, l’amiable compositeur n’est censé écarter la loi que pour des motifs d’équité. Or on conçoit difficilement que les règles conçues pour protéger les plus faibles puissent être jugées inéquitables. Le législateur met en place des règles destinées à venir en aide à certaines catégories réputées faibles en compensant un déséquilibre économique par une faveur juridique. Ainsi sont protégés, parmi d’autres catégories, le consommateur, le salarié, le franchisé ou, comme en l’espèce, le sous-traitant qui, s’il n’est pas toujours en état de faiblesse, se trouve du moins fragilisé du fait des menaces que sa position dans l’opération contractuelle fait peser sur sa rémunération.

On peut admettre que ces règles de protection deviennent inéquitables lorsque la présomption de faiblesse posée par la loi n’est pas justifiée au regard des faits de la cause et/ou lorsque la situation économique des litigants ne correspond pas à la catégorie à laquelle la loi les assigne. Tel serait le cas lorsque, par exemple, le sous-traitant est une grande entreprise à laquelle un modeste maître d’œuvre n’est pas en mesure de dicter ses conditions.

Mais peut-on dire que, par la clause d’amiable composition, la partie réputée faible renonce en connaissance de cause à une mesure protectrice ? Certes, selon la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit » (v. déjà, Paris, 28 nov. 1996, Rev. arb. 1997. 381, note E. Loquin ; 4 nov. 1997, Rev. arb. 1998. 704, obs. Y. Derains). Cependant, selon la théorie générale de l’acte abdicatif, le fait de se départir de ses prérogatives est un acte grave qui, à ce titre, ne se présume pas (v. Rép. civ., v° Renonciation, par F. Dreifuss-Netter, nos 39 s ; Les renonciations au bénéfice de la loi en droit privé, Travaux de l’association Henri-Capitant, 1959-1960, vol. XIII) mais doit résulter d’une manifestation de volonté claire et dépourvue d’ambiguïté (v. not. Paris, 14 mars 1991, Esso c. Sarl Stationnement du Stade, D. 1991. 127 ). Peut-on dire que la partie faible qui demande à être jugée en équité abdique sans équivoque les mesures par lesquelles la compassion du législateur entend secourir sa détresse ?

Une réponse catégorique semblerait bien téméraire. On peut même considérer qu’une telle solution n’est pas sans danger dans le contexte actuel d’extension de l’arbitrabilité ratione personae (réforme de C. civ., art. 2061) et de faveur envers les modes alternatifs de résolution des litiges (v. L. n° 2019-222, 23 mars 2019). L’extension des matières arbitrables aux parties qui ne contractent pas dans le cadre de leur activité professionnelle ne devrait pouvoir s’envisager qu’à la condition d’assurer le respect des règles protectrices prévues par le législateur, quand bien même elles bénéficieraient à de riches consommateurs dans des litiges qui les opposeraient à de modestes commerçants.

Reste à savoir si l’amiable compositeur qui choisirait d’appliquer strictement la loi au motif erroné qu’il s’agit d’une règle d’ordre public de direction exposerait sa sentence à un risque d’annulation. Dans la mesure où ils peuvent mettre leur décision à l’abri de toute critique en se contentant de la déclarer équitable (v. P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, op. cit., n° 377 ; E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 402 p. 327 in fine ; Civ. 2e, 8 juill. 2004, JCP 2004. I. 179, obs. C. Seraglini ; contra Paris, 10 mai 2007, Rev. arb., 2007. 825, note V. Chantebout), il est peu probable qu’un amiable compositeur paresseux use volontairement de cette manœuvre pour méconnaître les devoirs attachés à sa mission. C’est donc sur le fondement de l’ordre public que cette qualification erronée doit être contrôlée. La cour juge à ce sujet que « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ». L’erreur dans l’application d’une règle impérative ne se confond en effet pas avec une violation de l’ordre public.

Le contrôle de la violation de l’ordre public

Le recours reprochait encore à l’arbitre d’avoir violé l’ordre public en retenant une interprétation erronée de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975, ce qui, selon le demandeur, aurait conduit à l’annulation injustifiée du contrat de sous-traitance.

La Cour écarte le grief en jugeant que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne porte que sur la solution donnée au litige, l’annulation n’étant encourue que dans la mesure où cette solution heurte l’ordre public. Mais ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

La Cour confirme ici sa jurisprudence en vertu de laquelle c’est dans la solution du litige et non dans la motivation de la sentence que réside le siège de l’atteinte à l’ordre public (v. J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1998, n° 972, p. 543). Dès lors, la mauvaise application d’une règle d’ordre public, à la supposer établie, ne suffit pas en soi à constituer une violation de l’ordre public justifiant l’annulation d’une sentence arbitrale. Il faut encore que la solution retenue porte atteinte aux objectifs protégés par cette loi.

Violation de l’ordre public et erreur dans l’application d’une règle impérative ne sont en effet pas synonymes. Une telle violation résulte certes le plus souvent d’une mauvaise application d’une règle impérative mais l’erreur de droit peut ne pas donner lieu à une telle atteinte s’il n’en découle pas une solution contraire à l’ordre public.

Ainsi, si un tribunal arbitral estime à tort qu’un contrat licite constitue une entente prohibée, sa solution ne porte pas atteinte à l’ordre public malgré l’appréciation erronée d’une règle impérative dans la mesure où la libre concurrence n’est pas affectée par la sentence (v. P. Mayer, La sentence contraire à l’ordre public au fond, Rev. arb. 1994. 615, spéc. n° 18, p. 631 ; J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, op. cit., n° 977, p. 546 ; P. Fouchard, L’arbitrage international en France après le décret du 12 mai 1981, JDI 1982. 374 ; P. Bellet et E. Mezger, L’arbitrage international dans le NCPC, Rev. crit. DIP 1981. 611, spéc. p. 648).

En l’espèce, l’erreur de l’arbitre, à la supposer établie, aurait consisté en l’annulation injustifiée d’un contrat de sous-traitance faute de caution garantissant le paiement du sous-traitant. La sentence qui annule le contrat n’exposerait pas le sous-traitant à un risque de non-paiement ; l’économie nationale ne serait donc pas confrontée au danger de faillites en cascade. Seul l’intérêt de l’entrepreneur serait lésé alors que sa protection n’est pas l’objectif de la loi du 31 décembre 1975.

Le contrôle du juge de l’annulation n’a en effet pas pour but de protéger les droits des parties au regard des règles impératives mais doit se contenter de contrôler si la solution de la sentence porte atteinte aux objectifs et valeurs que les règles d’ordre public ont pour but de sauvegarder. On peut toutefois penser que l’extension de l’arbitrabilité ratione personae aux parties faibles appelle un infléchissement de la jurisprudence sur ce point.

Curieusement, la cour retient en outre que « l’arbitre n’a pas annulé le contrat de sous-traitance au seul motif de l’absence de remise par l’entrepreneur principal au sous-traitant d’une garantie bancaire au moment de la signature du contrat de sous-traitance, mais a aussi constaté l’absence de toute caution ». Elle se livre ici à un examen approfondi de la motivation de la sentence pour juger qu’au surplus, l’arbitre a retenu une interprétation correcte de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 (pour un ex. récent d’un contrôle étendu de la bonne application par l’arbitre de la loi du 31 déc. 1975, v. Paris, 23 oct. 2018, CMO c. Lavalin, Rev. arb. 2019. 508, note V. Chantebout).

Le bien-fondé et la rectitude du raisonnement de l’arbitre confortent donc la décision de rejet du recours en annulation. On a ainsi vu les cours d’appel se livrer à un contrôle très approfondi de la motivation des sentences lorsqu’un tel contrôle permettait de sauver des sentences qui auraient autrement été compromises (v. V. Chantebout, Le principe de non-révision des sentences arbitrales, thèse Paris II, ss la dir. de C. Jarroson, 2007, spéc. nos 266 s.). Dans la mesure où un tel examen n’était pas nécessaire en l’espèce pour rejeter le recours, il est permis d’y voir le signe que la cour d’appel de Paris entend maintenir à l’avenir l’intensité du contrôle auquel elle se livre en matière d’ordre public depuis 2014 (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 1004, p. 996). La décennie qui s’ouvre nous le dira.

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par Xavier Delpechle 14 janvier 2020

Com. 27 nov. 2019, F-P+B, n° 18-20.479

Une société a été mise en redressement judiciaire le 31 mai 2002. Elle fait l’objet d’un plan de cession totale arrêté par un jugement du 20 septembre 2002. Un arrêt du 23 novembre 2006, devenu irrévocable, a condamné pénalement l’un de ses dirigeants (et associé) pour abus de biens sociaux et, sur l’action civile, l’a condamné à payer à la société la somme de 413 729,86 € à titre de dommages-intérêts. Un jugement du 24 janvier 2013, rectifié le 24 avril 2015, a clôturé les opérations du plan de cession et nommé le commissaire à l’exécution du plan en qualité de mandataire ad hoc, avec mission de recouvrer les sommes dues par le dirigeant condamné et de les répartir entre les créanciers. Mais un arrêt du 27 juillet 2016 a déclaré nulle cette désignation. Puis, sur la requête déposée par l’autre...

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Disons-le d’emblée, les faits sont passablement compliqués, en raison notamment du chevauchement de deux procédures collectives. Il est néanmoins utile de les relater avec soin. Le 12 juin 2012, la société Neo Security, filiale de la société Calysteo, a été mise en liquidation judiciaire. Par deux actes du 26 juin 2012, la société Calysteo a consenti à la société Neo Security, avec faculté de substitution au profit du repreneur de ses actifs, deux promesses unilatérales irrévocables de vente portant sur les marques qu’elle possédait. Le 3 août 2012, le tribunal a arrêté le plan de cession de la société Neo Security au profit de la société FPS, laquelle a levé l’option d’achat des marques moyennant un prix de cession de 125 000 €. Par une ordonnance du 13 septembre 2012, le liquidateur désigné dans la procédure de liquidation judiciaire ouverte contre la société Neo Security, a été autorisée à pratiquer une saisie conservatoire entres les mains de la société FPS en garantie d’une somme de 4 605 978,58 € représentant le montant des dommages-intérêts qu’elle entendait demander à la société Calysteo, en tant que dirigeante de fait de sa filiale, sur le fondement de la responsabilité pour insuffisance d’actif (C. com., art. L....

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par Xavier Delpechle 16 janvier 2020

Com. 27 nov. 2019, F-P+B, n° 13-21.068

Trois personnes ont été déclarées coupables du délit d’escroquerie au préjudice d’une société et de deux autres personnes (vraisemblablement ses associés). L’une des personnes condamnées pour escroquerie a été mise en liquidation judiciaire le 5 mars 2007. Une juridiction répressive a déclaré les deux autres condamnés pour escroquerie tenus solidairement de la réparation des préjudices causés à la société, en réservant les droits de cette dernière. La...

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Sur la question de la temporalité, en assurances de responsabilité, le professeur Marly introduit la problématique en présentant que, « théoriquement, l’assureur de dommages doit sa garantie pour les sinistres survenus entre la prise d’effet et l’extinction du contrat d’assurance. Reste qu’un sinistre est parfois constitué d’une succession d’événements entre lesquels peut s’écouler un intervalle plus ou moins long. Il s’agit de déterminer si tous ces événements ou seulement certains d’entre eux doivent se produire durant la période contractuelle afin que la garantie s’applique au sinistre. La question est particulièrement délicate en assurance de responsabilité civile où le sinistre suppose la réunion de trois éléments : un fait dommageable, un préjudice consécutif et une réclamation amiable ou judiciaire de la victime. Si tous ces éléments adviennent pendant la durée du contrat d’assurance, la garantie est indiscutablement acquise. En revanche, qu’en est-il lorsque la réclamation intervient en cours de la période contractuelle tandis que le fait dommageable est antérieur ? Inversement, la garantie est-elle due si le fait dommageable advient pendant le contrat alors que la réclamation est postérieure à l’extinction de celui-ci ? » (P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 188).

La très regrettée professeure Carval a complété le propos en soulignant que, « pour concilier ces impératifs contradictoires de protection des assurés et de bonne gestion de l’assurance de responsabilité, le législateur a opportunément distingué entre deux catégories de contrats, ceux souscrits par les particuliers pour lesquels c’est le souci de protection de l’assuré qui l’emporte, ce qui conduit à maintenir la prohibition des clauses de réclamation, et les autres pour lesquels il a été jugé préférable d’autoriser les parties à stipuler de telles clauses avec pour contrepartie une garantie subséquente obligatoire d’une durée minimum imposée. Le régime légal de l’étendue de la garantie dans le temps trouve ainsi un certain équilibre. Même lorsqu’elle est stipulée, la clause base réclamation n’est d’ailleurs plus aussi dangereuse qu’autrefois pour les assurés, depuis qu’une loi du 17 juin 2008 a considérablement réduit la durée de la prescription de l’action en responsabilité civile » (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité. Traité de droit civil, J. Ghestin [dir.], LGDJ, 4e éd., 2017, p. 586, n° 450).

La deuxième chambre civile a eu l’occasion, dans un arrêt du 12 décembre 2019, de revenir sur les règles relatives à la garantie dans le temps en assurances de responsabilité, en lien avec la garantie subséquente et la résiliation pour non-paiement de la prime.

À l’origine de l’affaire, une société intervenant dans le domaine du bâtiment a souscrit auprès d’une société d’assurance le 18 décembre 2006, avec effet au 17 novembre 2006, un contrat d’assurance de responsabilité civile, couvrant notamment les dommages résultant de la faute inexcusable de l’assuré. Le 17 avril 2007, un salarié de la société assurée s’est blessé en chutant d’un échafaudage. Le gérant de cette société a été condamné du chef de blessures involontaires aggravées. Parallèlement à la procédure pénale, le salarié victime a saisi le 3 septembre 2010 une juridiction de sécurité sociale d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, placé depuis lors en liquidation judiciaire. Par un arrêt du 10 mai 2012, une cour d’appel a accueilli ses demandes et déclaré la décision opposable à la société d’assurances. La caisse primaire d’assurance maladie a assigné le 19 février 2013 la société d’assurances en remboursement de la somme de 58 072 € dont elle avait fait l’avance au salarié.

La cour d’appel de Grenoble a condamné l’assureur à payer à la caisse la somme avancée par celle-ci au salarié et l’a débouté de l’intégralité de ses demandes (Grenoble, 6 févr. 2018). L’assureur s’est ainsi pourvu en cassation, avec pour argumentation principale le fait que, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l’assureur n’est néanmoins pas tenu à sa garantie dès lors que la réclamation est parvenue à une date à laquelle la garantie était suspendue ou le contrat d’assurance était résilié pour défaut de paiement des primes par l’assuré, et ce même si la réclamation parvient avant l’expiration du délai subséquent prévu au contrat.

La question qui se posait consistait à savoir si la clause de la police d’assurance selon laquelle l’article L. 124-5 du code des assurances concernant la garantie pendant le délai subséquent n’était pas applicable en cas de résiliation pour non-paiement de la prime était licite.

La deuxième chambre civile a rejeté son pourvoi, confirmant l’illicéité d’une telle clause. La décision confronte trois textes du code des assurances : les articles L. 124-5, L. 111-2 et L. 133-3. Elle s’inscrit dans un mouvement d’oscillation jurisprudentielle.

La confrontation de trois textes du code des assurances

En premier lieu, « introduit par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, l’article L. 124-5, à la rédaction quelque peu complexe, réintroduit, en les encadrant, les clauses de réclamation de la victime en droit français » (L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-5, C. assur. ; Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 301). L’article L. 124-5 du code des assurances (créé par L. n° 2003-706, 1er août, art. 80 II, VII, JO 2 août, en vigueur le 2 novembre 2003) dispose que :

« La garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation. Toutefois, lorsqu’elle couvre la responsabilité des personnes physiques en dehors de leur activité professionnelle, la garantie est déclenchée par le fait dommageable. Un décret en Conseil d’État peut également imposer l’un de ces modes de déclenchement pour d’autres garanties.

Le contrat doit, selon les cas, reproduire le texte du troisième ou du quatrième alinéa du présent article.

La garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable survient entre la prise d’effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d’expiration, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre.

La garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres. Toutefois, la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l’assuré postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration que si, au moment où l’assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n’a pas été resouscrite ou l’a été sur la base du déclenchement par le fait dommageable. L’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.

Le délai subséquent des garanties déclenchées par la réclamation ne peut être inférieur à cinq ans. Le plafond de la garantie déclenchée pendant le délai subséquent ne peut être inférieur à celui de la garantie déclenchée pendant l’année précédant la date de la résiliation du contrat. Un délai plus long et un niveau plus élevé de garantie subséquente peuvent être fixés dans les conditions définies par décret.

Lorsqu’un même sinistre est susceptible de mettre en jeu les garanties apportées par plusieurs contrats successifs, la garantie déclenchée par le fait dommageable ayant pris effet postérieurement à la prise d’effet de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière est appelée en priorité, sans qu’il soit fait application des quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 121-4.

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux garanties d’assurance pour lesquelles la loi dispose d’autres conditions d’application de la garantie dans le temps ».

La rédaction de l’article L. 124-5, alinéa 4, est certes « alambiquée » et « il en résulte que les réclamations intervenues pendant ce délai sont couvertes, pour autant que le fait dommageable est antérieur au point de départ de celui-ci et donc à l’expiration de la garantie » (J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances. Tome 5 Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, 2017, n° 1539). Par ailleurs, la garantie subséquente a un caractère subsidiaire et reste d’un coût modique en comparaison avec la reprise du passé illimitée dans le temps prévue par la loi (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, 2019, ss art. L. 124-5, p. 369).

En deuxième lieu, l’article L. 111-2 du code des assurances (modifié par l’ord. n° 2017-1433, 4 oct. 2017, art. 1) retient que :

« Ne peuvent être modifiées par convention les prescriptions des titres Ier, II, III et IV du présent livre, sauf celles qui donnent aux parties une simple faculté et qui sont contenues au dernier alinéa du I et au II de l’article L. 111-10 et dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L. 121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1, L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19 ».

La doctrine explique qu’« afin de protéger les assurés, le législateur a pris le parti non pas d’énumérer les règles d’ordre public, mais bien au contraire d’énoncer limitativement les règles supplétives de volonté. Autrement dit, pour assurer une meilleure protection de l’assuré, le législateur a fait de la liberté contractuelle l’exception. Dans cette optique, l’article L. 111-2 indique quels sont les articles contenant des règles supplétives et précise que ces règles sont celles qui “donnent aux parties une simple faculté”. Il faut en déduire que toutes les dispositions des articles visés ne sont pas nécessairement supplétives de volonté. Elles ne le sont que si elles confèrent aux parties une faculté » (L. Perdrix, comm. préc., p. 301).

En dernier lieu, l’article L. 113-3 du code des assurances (modifié par L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 72, V) prévoit que :

« La prime est payable en numéraire au domicile de l’assureur ou du mandataire désigné par lui à cet effet. Toutefois, la prime peut être payable au domicile de l’assuré ou à tout autre lieu convenu dans les cas et conditions limitativement fixés par décret en Conseil d’État.

À défaut de paiement d’une prime, ou d’une fraction de prime, dans les dix jours de son échéance, et indépendamment du droit pour l’assureur de poursuivre l’exécution du contrat en justice, la garantie ne peut être suspendue que trente jours après la mise en demeure de l’assuré. Au cas où la prime annuelle a été fractionnée, la suspension de la garantie, intervenue en cas de non-paiement d’une des fractions de prime, produit ses effets jusqu’à l’expiration de la période annuelle considérée. La prime ou fraction de prime est portable dans tous les cas, après la mise en demeure de l’assuré.

L’assureur a le droit de résilier le contrat dix jours après l’expiration du délai de trente jours mentionné au deuxième alinéa du présent article.

Le contrat non résilié reprend pour l’avenir ses effets, à midi le lendemain du jour où ont été payés à l’assureur ou au mandataire désigné par lui à cet effet, la prime arriérée ou, en cas de fractionnement de la prime annuelle, les fractions de prime ayant fait l’objet de la mise en demeure et celles venues à échéance pendant la période de suspension ainsi que, éventuellement, les frais de poursuites et de recouvrement.

Lorsque l’adhésion au contrat résulte d’une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, l’assureur ne peut faire usage des dispositions du présent article relatives à la suspension de la garantie et à la résiliation du contrat.

Les dispositions des deuxième à avant-dernier alinéas du présent article ne sont pas applicables aux assurances sur la vie » (sur le paiement et le défaut de paiement de la prime, v. J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance, 35e éd., 2019, sous art. L. 113-3, p. 124 s.).

Une affaire jugée sous le visa de ces deux seuls derniers articles (C. assur., art. L. 111-2 et 113-3) donne un premier éclairage. Un assuré n’a pas payé à son échéance la prime d’avril 2006 du contrat d’assurance habitation souscrit auprès d’une société d’assurances. Une lettre de mise en demeure lui a été envoyée le 4 juillet 2006. Le 14 février 2008, l’assuré a saisi une juridiction de proximité pour demander la condamnation de l’assureur à lui payer des dommages-intérêts pour résiliation abusive. La juridiction de proximité de Paris 8e, par un jugement du 9 mars 2009, l’a débouté de sa demande. L’assuré, demandeur au pourvoi en cassation, a soutenu que les dispositions d’ordre public de l’article L. 113-3 du code des assurances ne peuvent pas être modifiées par convention en vertu de l’article L. 111-2 du même code et qu’ainsi la juridiction de proximité a violé ces textes. La Cour de cassation a rejeté son pourvoi aux motifs que « le jugement, après avoir rappelé que selon l’article 5-2 du contrat d’assurance l’assuré était tenu de payer sa cotisation dans les vingt jours de son échéance, retient exactement que cette disposition est plus avantageuse pour l’assuré que celles de l’article L. 113-3 du code des assurances, qui prévoient un délai de dix jours, puis constate que [l’assuré] ne rapporte pas la preuve d’une quelconque faute commise par l’assureur » (Civ. 2e, 9 déc. 2010, n° 09-71.998, RGDA 2011. 495, note A. Pélissier). En définitive, la doctrine soulignait déjà que « les parties au contrat ne peuvent convenir de réduire les délais de protection de l’assurée en cas de non-paiement, par ce dernier, de la prime due à l’assureur puisque l’article L. 113-3 est d’ordre public. Les conséquences du défaut de paiement sont encadrées très strictement, et ce dans l’intérêt de l’assuré. Le contrat d’assurance peut néanmoins prévoir un dispositif plus favorable pour l’assuré » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit., sous art. L. 113-3, p. 112).

L’oscillation jurisprudentielle

La jurisprudence contra legem de la deuxième chambre civile de 2012

À l’origine d’une affaire ayant trouvé son issue devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en 2012, une société assurée reprochait, dans son pourvoi, à l’arrêt d’appel de rejeter sa demande en garantie formée à l’encontre de son assureur.

Au titre d’un troisième moyen, il était soutenu que, « selon l’article L. 124-5 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration, ce qui ne peut être inférieur à cinq ans ; qu’en l’espèce, il résulte des propres conclusions d’appel de la société Allianz et des constatations de la cour d’appel que la garantie due par cette dernière avait été suspendue le 23 juin 2004, et que les réclamations de la société Aviva, déclenchant la garantie, était parvenues à la société Sécurité et services le 29 juin 2004 ; qu’il en résulte que ces réclamations avaient été adressées dans le délai de garantie subséquent de cinq ans à compter de la suspension du contrat, de sorte que la garantie de la société Allianz était due ; qu’en retenant que la société Allianz refusait à juste titre sa garantie dès lors que la réclamation était postérieure à la suspension du contrat, la cour d’appel a violé les articles L. 124-1 et L. 124-5 du code des assurances ».

Néanmoins, la deuxième chambre civile a jugé que le moyen n’était pas fondé et que la cour d’appel avait exactement déduit que la garantie de la société d’assurances n’était pas due à la société assurée, car ses constatations et énonciations procédaient « de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve ». À ce titre, l’arrêt d’appel « relève qu’il résulte de l’article 1.9 du contrat souscrit par la société Sécurité et services auprès de la société AGF IART que sont couvertes toutes les conséquences dommageables d’un événement survenu entre la date de prise d’effet et de cessation du contrat susceptible d’entraîner la garantie de l’assureur, pour autant qu’une réclamation ait été formulée durant la période de garantie ; que par lettre-avenant en date du 5 janvier 2004, cet assureur a informé la société Sécurité et services des modifications de son contrat, en précisant que la garantie est déclenchée par une réclamation comme le définit l’article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances ; que cette lettre-avenant précisant que la garantie est déclenchée par la réclamation, c’est à juste titre que la société AGF IART a refusé sa garantie dès lors que les réclamations de la société Aviva sont parvenues à la société Sécurité et services le 29 juin 2004, date à laquelle les garanties étaient suspendues en raison du défaut de paiement des primes par cette dernière » (Civ. 2e, 24 mai 2012, n° 10-27.972, RCA 2012. Comm. 257, note H. Groutel ; RGDA 2013. 174, note J. Kullmann ; JCP 2013, n° 400, nos 18 s., note L. Mayaux).

La doctrine s’est émue de cette jurisprudence contra legem, rappelant ainsi que « l’octroi de délais supplémentaires permet la prise en charge d’une réclamation adressée soit à l’assuré, soit à l’assureur après la résiliation ou l’expiration de la garantie. L’objet de la garantie subséquente est donc limité aux réclamations rattachées à des faits dommageables connus à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie. En continuité de base réclamation et à chaque changement d’assureur, la garantie subséquente sera déclenchée pour des réclamations rattachées à des faits dommageables relevant du passé connu. Ce n’est malheureusement pas la solution retenue par la deuxième chambre civile dans une décision du 24 mai 2012 sévèrement critiquée. Cette formation de la haute cour a en effet rejeté la demande de garantie formulée postérieurement à la suspension du contrat (pour non-paiement des primes) alors même que le fait dommageable était survenu avant l’expiration du contrat. Ne respectant nullement le quatrième alinéa de l’article L. 124-5, une telle décision ne mérite pas approbation et devrait rester isolée » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit., sous art. L. 124-5, p. 359). Il s’agit encore d’un exemple contemporain du déclin de la loi (G. Ripert, Le déclin de la loi, LGDJ, 1949, nos 21 s.).

Les cours d’appel ont alors fait preuve d’une belle résistance.

La résistance des juridictions du fond de 2012 à 2019

Une garantie subséquente minimale de cinq ans est légalement prévue pour une garantie souscrite en base réclamation (J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances. Tome 5 Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, 2017, n° 1539). Une telle garantie demeure mobilisable si sa date de résiliation, d’expiration ou de suppression est postérieure au fait dommageable. Autrement dit, « la garantie subséquente, après résiliation du contrat ou de la garantie, couvre les réclamations formulées pendant sa durée concernant des faits dommageables survenus avant la résiliation du contrat ou des garanties » (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance, 35e éd., 2019, sous art. L. 124-5, p. 258). Il ressort d’une décision d’appel qu’en aucun cas, une entreprise d’assurance ne saurait la subordonner à la recherche préalable par un assuré d’un autre assureur susceptible d’être appelé en priorité pour le garantir (Bordeaux, 20 juin 2013, n° 11/05656, Dalloz jurisprudence).

Une société d’assurance a encore été tenue de supporter les conséquences dommageables d’un sinistre après qu’une cour d’appel a écarté une clause contractuelle stipulant que la garantie s’appliquerait exclusivement aux réclamations formulées auprès de l’assuré en cours de la période comprise entre la date de prise d’effet de la convention et la date de résiliation du contrat (Bordeaux, 29 févr. 2012, n° 09/6542, Dalloz jurisprudence).

Des auteurs relèvent que, « d’une manière générale, toute clause qui serait susceptible de faire échec aux règles posées par l’article L. 124-5 du code des assurances en matière de garantie subséquente (sauf protection plus étendue prévue par l’article 80 de la loi du 1er août 2003) doit être proscrite au moins parce que le texte dont il s’agit est d’ordre public » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit., p. 359). La cour d’appel de Montpellier a fait application de ce principe dans un arrêt du 9 septembre 2014. Elle a ainsi retenu, préalablement, que « les dispositions de l’article L. 124-5 sont, aux termes de l’article L. 111-2, d’ordre public », avant d’en déduire que, « dès lors, la disposition contractuelle contenue à l’article 2.5 du contrat d’assurance, qui d’ailleurs ne reproduit pas le texte du troisième ou du quatrième alinéa de l’article L. 124-5 […], selon laquelle la garantie n’est pas applicable en cas de non-paiement de la cotisation, doit être considérée comme non écrite » (Montpellier, 9 sept. 2014, n° 13/01356, Dalloz jurisprudence).

On peut à présent se féliciter de ce que la résistance des cours d’appel n’ait pas été vaine, au point d’inciter la deuxième chambre civile à faire machine arrière.

Le revirement confirmé de la deuxième civile de la Cour de cassation en 2019

Dernièrement, la jurisprudence a rappelé que la garantie étant déclenchée par la réclamation de la victime, la seule circonstance que le fait dommageable soit antérieur à la prise d’effet de la garantie ne suffisait pas à exclure sa mise en œuvre (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-14.661, RGDA 2015. 269, note A. Pélissier ; RCA 2015, n° 187, note H. Groutel). En outre, le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage (Civ. 3e, 12 oct. 2017, n° 16-19.657, D. 2017. 2098 ; AJDI 2018. 36 , obs. F. de La Vaissière ; Gaz. Pal. 19 déc. 2017, note D. Noguéro ; RGDA 2017. 627, note A. Pélissier).

Il est déjà arrivé, par le passé, que la Cour de cassation censure une clause définissant le sinistre par référence à la manifestation du dommage, et aux termes de laquelle l’assureur refuse sa garantie en présence de dommages se manifestant après l’extinction du contrat (Civ. 1re, 30 mars 1994, n° 92-15.664, Bull. civ. I, n° 120 ; 9 mai 1994, RCA 1994, comm. n° 307, obs. H. Groutel). Puis, sur le fondement d’une notion depuis abandonnée dans la réforme du droit des contrats, la Cour de cassation a admis que « toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite » (Civ. 1re, 16 déc. 1997, n° 94-17.061, Bull. civ. I, n° 370 ; D. 1998. 287 , note Y. Lambert-Faivre ; JCP 1998. II. 10018, concl. P. Sargos ; 3 juill. 2001, RGDA 2001. 104, note L. Mayaux ; RCA 2001, comm. n° 338 ; ibid. chron. n° 21, obs. H. Groutel).

En d’autres termes, la haute juridiction a donc combattu « toute inadéquation de la durée de la garantie d’assurance de responsabilité civile à la durée de la responsabilité encourue par l’assuré » (L. Grynbaum [dir.], Assurances. Droit & pratique, L’Argus de l’assurance, 6e éd., 2019/2020, n° 4088).

La première chambre civile a réitéré cette même formule dans un arrêt du 28 septembre 2004. Toute clause, même d’un contrat d’assurance facultative, ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite (Civ. 1re, 28 sept. 2004, n° 01-11.474, Bull. civ. I, n° 212 ; D. 2004. 2688 ). La deuxième chambre civile a suivi en 2005 (Civ. 2e, 21 avr. 2005, n° 03-20.683, Bull civ. II, n° 108 ; D. 2005. 1303 ; Just. & cass. 2006. 308, rapp. R. Lafargue ; ibid. 314, concl. R. Kessous ). La chambre commerciale, en 2010 (Com. 14 déc. 2010, nos 08-21.606 et 10-10.738, Bull. civ. IV, n° 200 ; D. 2011. 167 ), et la troisième chambre civile, en 2015 (Civ. 3e, 26 nov. 2015, n° 14-25.761, D. 2016. 458 , note R. Boffa ; ibid. 566, obs. M. Mekki ; RDI 2016. 42, obs. J. Roussel ; ibid. 282, obs. H. Périnet-Marquet ; RCA 2016, comm. n° 90, note H. Groutel) puis en 2016 (Civ. 3e, 21 janv. 2016, n° 14-27.054, RGDA 2016. 149, note L. Mayaux) ont confirmé cette position à propos de clauses excluant l’indemnisation. En définitive, « nul doute que l’assureur ne saurait neutraliser son obligation de règlement par une stipulation d’une clause exclusive de responsabilité » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, 2018, p. 483, n° 500).

Dans cet esprit, mais en lien avec la garantie subséquente, la deuxième chambre civile revient sur sa position contra legem de 2012 avec l’arrêt du 25 septembre 2019. Au prix d’un revirement, qu’il convient de saluer, la Cour de cassation a rappelé, d’une part, « qu’il résulte des dispositions de l’article L. 124-5 du code des assurances, qui ne peuvent être modifiées par convention en application de l’article L. 111-2 du même code, que la garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres » ; d’autre part, « que l’article L. 113-3 de ce code qui fixe les modalités dans lesquelles la garantie peut être suspendue et le contrat résilié en cas de non-paiement des primes ne fait pas obstacle à l’application de l’article L. 124-5 du code des assurances lorsque le fait engageant la responsabilité de l’assuré survient à une date à laquelle la garantie était en vigueur, peu important que la première réclamation n’ait été effectuée qu’après la résiliation du contrat, dans le délai de garantie subséquente » ; enfin, « qu’ayant exactement relevé que l’article L. 124-5 du code des assurances étant d’ordre public, la clause de la police d’assurance selon laquelle la disposition de ce texte concernant la garantie pendant le délai subséquent n’était pas applicable en cas de résiliation pour non-paiement de la prime était illicite et devait être réputée non-écrite ».

La Cour de cassation conclut que la cour d’appel en a à bon droit déduit que la garantie de la société d’assurance était due « après avoir constaté que le fait dommageable était survenu le 17 avril 2007, que la résiliation du contrat d’assurance pour non-paiement de la prime, qui avait donné lieu à une vaine mise en demeure du 12 décembre 2007, était intervenue le 21 mai 2008 suivant lettre recommandée faite à cette date et que la première réclamation, formalisée par la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale, était intervenue le 3 septembre 2010, dans le délai de cinq ans de la résiliation de ce contrat ».

Diverses dispositions convergent désormais pour ne plus sacrifier l’assuré sur l’autel du rapport de force lors de la souscription et lutter ainsi contre des clauses illicites insérées par les assureurs dans les contrats qu’ils proposent et dont une majeure partie sont aussi d’adhésion (C. civ., art. 1110, al. 2 : « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties »). Avec d’autres, on peut gager que le juge s’inspirera de l’article 1171 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, ou des listes du code de la consommation lorsqu’il s’agira de déclarer abusive (C. consom., art. L. 212-1, R. 212-1 et R. 212-2) ou de réputer non écrite telle ou telle clause, à l’instar d’un arrêt du 11 décembre 2019 dont la portée « déborde potentiellement du seul droit de la consommation (déjà tentaculaire) » (J.-D. Pellier, Retour sur les clauses noires, sous Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-21.164, Dalloz actualité, 24 déc. 2019).

L’on sait aussi que réputer non écrite une clause en vertu de l’article L. 241-1 du code de la consommation ne constitue pas une nullité selon la jurisprudence la plus récente (Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ). L’effet est le même, dans une police d’assurance, pour une clause illicite et réputée non écrite. Elle ne génère pas sa nullité.

Le professeur Delebecque a témoigné, dernièrement, que « le droit ne doit pas être le reflet de la mode ou d’une mode » (P. Delebecque, « “L’attractivité” du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ?», in Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Aynès. Liberté, justesse, autorité, LGDG, 2019, p. 185 s., spéc. p. 193) ni le reflet, osons-nous ajouter, de pratiques – illicites et aux multiples figures (v. dernièrement, Dalloz actualité, 18 déc. 2019, obs. R. Bigot) –, avec lesquelles des dispositions d’ordre public, comme l’article L. 124-5 du code des assurances, doivent demeurer parfaitement étanches.

Auteur d'origine: Dargent
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La présente contribution est la publication en avant-première d’un article à paraître dans le numéro de janvier de la revue Dalloz avocats qui consacre un dossier à la réforme de la procédure civile.

 

L’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 prise en application de l’article 28 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui avait pour ambition affichée de simplifier, clarifier et harmoniser les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires, a soumis les cas de « référé en la forme » à des procédures ordinaires, que ce soit sur requête, en référé, ou selon la voie contentieuse ordinaire (v. Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP 2019. 928 ; S. Mraouahi, La mutation du référé en la forme : bienvenue à la procédure accélérée au fond !, RDT 2019. 651 ). Le but était avant tout de répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens du droit (Y. Strickler, Réforme des procédures « en la forme des référés » : une ordonnance pour répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens du droit, JCP 2019. 829). Dans cette optique, le texte a maintenu une procédure accélérée au fond dans les cas où il est nécessaire d’obtenir un jugement au fond dans des délais rapides. Un décret devait intervenir pour compléter les dispositions légales que prévoyait cette ordonnance. C’est désormais chose faite. Sur le plan formel, ce décret modifie les dispositions relatives à la procédure en la forme des référés devant les juridictions de l’ordre judiciaire et la renomme « procédure accélérée au fond ». Il distingue les procédures qui demeurent des procédures accélérées au fond de celles qui deviennent des procédures de référé, sur requête ou au fond.

Les dispositions du décret s’appliquent aux demandes introduites à compter du 1er janvier 2020, à l’exception des dispositions de l’article 22 qui modifient le très attendu décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui sont entrées en vigueur dès le lendemain de la publication du décret et dont il ne sera pas question dans le présent commentaire.

Le choix des mots

La première chose à relever s’agissant de cette réforme est à la fois la plus visible et la plus anodine si on n’y prête pas attention : c’est le choix des mots qui est loin d’être une question secondaire comme l’avait très justement relevé l’étude d’impact du projet de loi de programmation (Étude d’impact du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, 19 avr. 2018, p. 119). L’ordonnance avait fait le choix d’une nouvelle appellation pour désigner cette procédure en consacrant la « procédure accélérée au fond ». Le but était d’abord pour se départir de l’ancien vocable qui entretenait une confusion fâcheuse. La procédure en « la forme des référés » n’a jamais était clairement distinguée de la procédure des référés dont elle était censée être un pastiche. Dans de très nombreux cas, le législateur a prévu que la procédure simplifiée du référé serait applicable devant des juridictions statuant au fond. Il était alors dit que le tribunal était saisi ou qu’il statuait « en la forme des référés », « selon les formes des référés », « comme en matière de référé », etc. (V., sur les variantes terminologiques, M. Foulon et Y. Strickler, Les référés en la forme, Dalloz, 2013.)

Le poids des mots

Il ne fallait cependant pas se tromper. Il ne s’agissait que d’emprunter la procédure de référé pour l’utiliser dans le cadre de procédure au fond. Conformément à l’article 492-1 du code de procédure civile, le tribunal saisi « en la forme des référés » était une juridiction du fond, rendant des décisions au principal et non au provisoire comme c’est le cas en matière de référé. Un « référé au fond » (P. Estoup, La pratique des procédures rapides, 2e éd., Litec, 1998, nos 139 s. ; v. aussi, employant ces termes, T. Strickler et M. Foulon, De l’hybridation en procédure civile. La forme des référés et des requêtes des articles 1379 et 1380 du code de procédure civile, D. 2009. 2693 ), en somme, ce qui confine à l’oxymore. D’où l’appellation de « faux référé » qui était classiquement utilisée pour désigner les procédures en la forme des référés. En vérité, ces variations de vocabulaire étaient incommodes car elles révélaient « un abus de langage de la part du législateur qui a désigné une procédure définitive en employant un mot désignant son contraire » (Rép. pr. civ., v° Référé civil, par N. Cayrol, n° 29 ; v. aussi G. Wiederkehr, « Le droit et le sens des mots », in Mélanges Goubeaux, 2009, Dalloz-LGDJ, p. 571). Mais il y avait pire encore. Les « référés en la forme » étaient une catégorie hétéroclite recouvrant des vrais faux-référés et des faux faux-référés, c’est-à-dire « un vrai référé, travesti en faux référé » (I. Després, « Référés et requêtes… en droit des libéralités et des successions », in Mélanges Wiederkehr, 2009, Dalloz, p. 226). Autant dire que ce mécanisme procédural recouvrait une situation kafkaïenne à laquelle il devenait urgent de remédier. On le sait, dans les matières techniques comme la procédure civile, le poids des mots est important : « l’imprécision du vocabulaire engendre rapidement la confusion des problèmes » (Rép. pr. civ., v° Action en justice, par N. Cayrol, n° 40).

Déroulement de la procédure

La simplification de la terminologie était une étape indispensable – la première – de cet effort de simplification. Voilà donc consacrée la procédure accélérée au fond (pour un regard critique sur cette appellation, v. Y. Strickler, art. préc., JCP 2019. 928, spéc. n° 3) qui se libère de cette référence trompeuse au référé. Signe de cette évolution, le décret du 20 décembre 2019 abroge purement est simplement l’article 492-1 du code de procédure civile. Le nom a été changé, et c’est heureux, mais la chose demeure, au moins dans son essence. Il s’agit toujours d’une voie procédurale tout entière tournée vers le traitement rapide la prétention qui relève d’un autre juge que le juge des référés. Le décret apporte des précisions sur le déroulement de la procédure accélérée au fond. On notera le découpage qu’il adopte entre, d’un côté, les dispositions relatives au régime général de la procédure accélérée au fond et, de l’autre, les dispositions particulières.

Régime général

Au titre du régime général, le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 crée un article 481-1 au sein du code de procédure civile lui-même inséré dans une sous-section 2 relative aux « jugements en procédure accélérée au fond ». En ce qui concerne l’introduction de l’instance, il est prévu que la demande doit être portée par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet. Il s’agit donc d’une procédure contradictoire dont il est précisé qu’elle est orale. Le juge doit être saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe avant la date fixée pour l’audience, sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance, ou, à défaut, à la requête d’une partie. Le jour de l’audience, le juge doit s’assurer qu’il s’est écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense. Il a en outre la faculté de renvoyer l’affaire devant la formation collégiale, à une audience dont il fixe la date, qui statuera selon la procédure accélérée au fond. À titre exceptionnel, en cas d’urgence manifeste à raison notamment d’un délai imposé par la loi ou le règlement, le président du tribunal, statuant sur requête, peut autoriser à assigner à une heure qu’il indique, même les jours fériés ou chômés. Une fois rendu, le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire dans les conditions prévues aux articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile. La décision du juge peut être frappée d’appel à moins qu’elle émane du premier président de la cour d’appel ou qu’elle ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande. Quant au délai d’appel ou d’opposition, il est de quinze jours. À la lecture de ces nouvelles dispositions, il apparaît que le régime de la procédure accélérée au fond emprunte largement celui du référé, ce qui montre, comme son (nouveau) nom l’indique, que la célérité est toujours l’objectif premier de cette voie procédurale.

Dispositions particulières

Au titre des dispositions particulières, il faut noter que de nombreux codes sont touchés par le décret (en tout et pour tout neuf codes : les codes de procédure civile, de commerce, de l’expropriation pour cause d’utilité publique, des procédures civiles d’exécution, de la santé publique, de la sécurité sociale, du travail, de l’urbanisme et le code rural et de la pêche). Les modifications consistent, pour les procédures qui n’ont pas été intégrées au domaine du référé, des requêtes ou de la procédure contentieuse ordinaire, à substituer aux termes « en la forme des référés » les mots « selon la procédure accélérée au fond » et, par voie de conséquences, à substituer au terme « ordonnance » les mots « jugement » ou « décision ».

En définitive, l’avenir dira si la nouvelle procédure accélérée au fond permettra de surmonter les difficultés auxquelles se heurtaient les praticiens avec le référé en la forme ou si elle en suscitera elle-même. Pour l’heure, il faut se garder de tout jugement hâtif et, pourquoi pas, se montrer optimistes. La réforme simplifie les choses en adoptant une sémantique plus claire que la précédente ce qui est, en soi, une avancée : bien nommer les choses, c’est déjà les dominer.

Auteur d'origine: Dargent

Apports de la loi Pacte

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a entendu repenser la place des entreprises dans la société. Cette loi a, à cette fin, conçu une sorte de « fusées à trois étages », introduisant dans notre législation les notions d’intérêt social (art. 169, I, 1° ; C. civ., art. 1833, al. 2 nouv.), de raison d’être (art. 169, I, 2° ; C. civ., art. 1835 in fine nouv.) et de société à mission (art. 176, I ; C. com., art. L. 210-10 à L. 210-12 nouv.). Si les deux premières s’adressent à l’ensemble des sociétés, la troisième concerne les seules sociétés commerciales, lesquelles peuvent désormais poursuivre, de manière purement volontaire, un projet entrepreneurial répondant à un intérêt collectif et qui donne sens à l’action de l’ensemble de leurs collaborateurs. Ce label de société dite « à mission », inspiré des Benefit Corporations nées aux États-Unis, vise à encourager les entreprises à adopter une démarche de capitalisme responsable qui ne soit pas guidée par la seule recherche du profit.

Pour qu’une société puisse faire publiquement état de cette qualité de société à mission, ses statuts devront d’abord préciser une raison d’être (celle-ci étant constituée « des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Pour prendre un exemple récent, la nouvelle société anonyme Société nationale SNCF qui succède, au 1er janvier 2020, à l’établissement public SNCF Mobilités, a adopté dans ses statuts une raison d’être ainsi rédigée : « La raison d’être de la société est d’apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète » ; v. décr. n° 2019-1585, 30 déc. 2019, JO 1er janv. 2020). Elle doit en outre faire état, également dans ses statuts, d’un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux qu’elle se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité et enfin expliciter les modalités du suivi de l’exécution de sa mission. La société publie sa qualité de société à mission au greffe du tribunal de commerce, sous réserve qu’elle respecte les conditions pour en bénéficier.

Il est important de remarquer que cette qualité de « société à mission » ne doit pas être une simple déclaration d’intention, mais que, pour garantir son sérieux, la loi impose un véritable suivi dans l’exécution de la mission que la société s’assigne, cela via un double contrôle. D’abord, un contrôle interne, par un « comité de mission », qui est distinct des organes sociaux et qui comprend au moins un salarié, que la société est tenue de mettre en place. Ensuite, un contrôle externe, par un organisme tiers indépendant.

Règles de publicité

Le décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020 relatif aux sociétés à mission, d’application immédiate, contient d’abord les mesures réglementaires d’application de la loi Pacte afin que ce nouveau label soit parfaitement opérationnel. Il concerne d’abord les règles de publicité (art. 2). Il complète ainsi les obligations de déclaration des sociétés dans le cadre de leurs demandes d’immatriculation (en cas d’adoption du label à l’époque de la création de l’entreprise) et d’inscriptions modificatives (en cas d’adoption de celui-ci en cours de vie sociale) au registre du commerce et des sociétés (RCS), pour inclure la qualité de société à mission (C. com., art. R. 123-53, 12° nouv.). Est également complétée la disposition énumérant les renseignements d’identification des personnes morales de droit privé devant figurer au répertoire SIRENE tenu par l’INSEE pour que la qualité de société à mission soit également mentionnée, le cas échéant, dans ce répertoire (art. R. 123-222, 1° mod.).

Organisme tiers indépendant

Le décret du 2 janvier 2020 contient ensuite un important volet portant sur l’organisme tiers indépendant chargé du suivi de la mission que la société s’est assignée (art. 3 ; C. com., art. R. 210-21 nouv.). Comme le précise le Journal officiel, les dispositions qui le concernent sont inspirées de celles relatives à la vérification des informations de la déclaration de performance extrafinancière par un organisme tiers indépendant. Le décret précise que l’organisme chargé du suivi de la mission doit être désigné parmi ceux accrédités à cet effet par le Comité français d’accréditation (COFRAC) ou « par tout autre organisme d’accréditation signataire de l’accord de reconnaissance multilatéral établi par la coordination européenne des organismes d’accréditation » (European Cooperation for Accreditation ou EA). Il est soumis aux incompatibilités prévues à l’article L. 822-11-3 du code de commerce ; ce sont celles auxquelles sont soumis les commissaires aux comptes. Sauf clause contraire des statuts de la société, cet organisme est désigné par l’organe en charge de la gestion (c’est-à-dire en principe par le conseil d’administration), pour une durée initiale qui ne peut excéder six exercices. Cette désignation est renouvelable, dans la limite d’une durée totale de douze exercices.

Le décret détaille, par ailleurs, les diligences que doit réaliser l’organisme dans sa mission de vérification de l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité, tels que précisés dans les statuts. Le texte précise que l’organisme doit procéder, au moins tous les deux ans, à la vérification de l’exécution de ces objectifs, la première vérification devant avoir lieu dans les dix-huit mois suivant la publication de la déclaration de la qualité de société à mission au RCS. Lorsque la société répond aux conditions mentionnées à l’article L. 210-12, à savoir qu’elle comprend moins de cinquante salariés permanents et qu’un référent permanent est désigné en lieu et place du comité de mission comme cela est possible, la première vérification a lieu dans les vingt-quatre mois suivant cette publication. Par ailleurs, lorsque la société emploie, sur une base annuelle, moins de cinquante salariés permanents au titre du dernier exercice comptable ayant fait l’objet de la dernière vérification, elle peut demander à l’organisme tiers indépendant de ne procéder à la prochaine vérification qu’au bout de trois ans.

On sait, en outre, que la vérification par l’organisme de l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux que la société à mission s’est assignés donne lieu à un avis joint au rapport du comité de mission (C. com., art. L. 220-10, 4° in fine). Le décret précise que cet avis, qui doit être motivé, « retrace les diligences qu’il a mises en œuvre et indique si la société respecte ou non les objectifs qu’elle s’est fixés ». Il ajoute que cet avis mentionne, le cas échéant, « les raisons pour lesquelles, selon lui, les objectifs n’ont pas été atteints ou pour lesquelles il lui a été impossible de parvenir à une conclusion ». Pour délivrer cet avis, l’organisme tiers indépendant a accès à l’ensemble des documents détenus par la société, utiles à la formation de son avis, notamment au rapport annuel du comité de mission. Il est en outre habilité à procéder « à toute vérification sur place qu’il estime utile au sein de la société et, avec leur accord, au sein des entités concernées par un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux constitutifs de la mission de la société » ; ces entités, on l’imagine, seront généralement des filiales ou des sous-traitants. Cet avis doit être publié sur le site internet de la société et demeure accessible publiquement au moins pendant cinq ans.

Enfin, le décret du 2 janvier 2020 adapte les dispositions réglementaires relatives à l’organisme tiers indépendant au cas particulier des mutuelles, unions et fédérations de mutuelles (art. 4 ; C. mut., art. R. 110-1 nouv.).

Auteur d'origine: Delpech
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Comme l’a signalé actuEL Direction juridique, la cour d’appel de Paris a validé, le 11 décembre 2019, les opérations de visite et saisie menées par l’Autorité de la concurrence aux sièges du Conseil supérieur du notariat et du groupe ADSN (activités et développement au service du notariat) (sur ce sujet, v. égal. P. Januel, L’enquête de l’Autorité de la concurrence qui inquiète les notaires, La lettre A).

L’ADSN est composée du bureau du CSN, d’anciens présidents du CSN et de notaires cooptés. Elle fournit des services aux offices notariaux, à travers cinq filiales, qui pesaient en 2018 de 76,7 millions d’euros de chiffre d’affaires et 5,4 millions de résultat net. L’ensemble des bénéfices de l’ADSN sont réinvestis. Mais, si certains de ces produits relèvent d’une activité de monopole (base de données PERVAL, télé@ctes), d’autres sont dans le secteur concurrentiel (magazines, annonces immobilières, sites internet).

Des pratiques contraires au droit de la concurrence ?

Selon les enquêteurs de l’Autorité de la concurrence, « le groupe ADSN ainsi que les instances notariales visées auraient mis en place des agissements illicites visant à préempter et à verrouiller l’accès au secteur des prestations de services à destination des notaires ». Parmi les éléments cités, une confusion serait entretenue par l’ADSN avec les instances officielles notariales. Des instances auraient aussi incité leurs membres à mettre fin à leurs relations commerciales avec des concurrents de l’ADSN, comme le groupe Notariat service.

Autres pratiques suspectées : des ventes liées et la commercialisation de services à des prix artificiellement bas. Une filiale de l’ADSN contrôlant le réseau informatique interne du notariat, le débit des sites hébergés par des entreprises concurrentes aurait été volontairement dégradé. Enfin, le CSN aurait refusé de délivrer des accès à la base Perval à des concurrents.

Ces agissements constituant les « premiers éléments d’un faisceau d’indices laissant présumer l’existence de comportements » d’atteinte au jeu de la concurrence, l’ADLC avait saisi le juge des libertés et de la détention de Paris, afin d’autoriser des visites. Celles-ci se sont déroulées le 17 octobre 2017, dans dix-sept lieux différents, dont les sièges du CSN, de l’ADSN et de plusieurs chambres de notaires, parfois pendant près de vingt-quatre heures.

Des visites validées par la cour d’appel

Pour contester l’ordonnance fondant les visites, le CSN et l’ADSN critiquaient notamment les doubles casquettes de l’Autorité de la concurrence : outre ses missions de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité a, depuis la loi Macron, un rôle clé dans la régulation de la profession notariale. La cour d’appel rejette ce grief, rappelant qu’il « existe au sein de l’ADLC une séparation fonctionnelle stricte entre les services d’instruction placés sous la direction du rapporteur général et le collège de décision » et que le Conseil constitutionnel a validé cette structure (Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Dalloz actualité, 30 oct. 2012, obs. L. Constantin ; AJDA 2012. 1928 ; D. 2012. 2382 ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot )

La cour rejette aussi le grief de violation du secret professionnel des notaires. Ni le CSN ni l’ADSN n’étaient le siège d’une activité notariale. Par ailleurs, l’article 56-3 du code de procédure pénale, qui prévoit la présence obligatoire d’un magistrat lors d’une perquisition dans le cabinet d’un notaire, n’est applicable qu’au pénal. Le 19 juin, la cour d’appel de Paris avait déjà rejeté la demande de transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la constitutionnalité des saisies. Les autres moyens ont été rejetés.

Les suites à venir

Le CSN et l’ADSN peuvent se pourvoir en cassation. Parallèlement à la contestation des visites, l’Autorité de la concurrence poursuit ses investigations au fond. Les 122 000 fichiers saisis sont à la base de plusieurs dossiers, outre le dossier CSN/ADSN. Une première décision a été rendue au mois de juin : l’Autorité a sanctionné un groupement de notaires de Franche-Comté et la chambre interdépartementale de, respectivement, 250 000 et 45 000 € d’amende, pour avoir contourné la libéralisation des tarifs de négociation immobilière prévue par la loi Macron.

Cet été, le CSN a totalement restructuré l’ADSN, qui est passée de cinq à deux filiales commerciales (l’une regroupant les activités de monopole, l’autre celles du secteur concurrentiel). Même si, pour le CSN, cette réorganisation n’est pas liée à la procédure en cours.

Auteur d'origine: Bley

En mars 2013, un ouvrage relatif à Jean Ferrat, intitulé Jean Ferrat - le charme rebelle et reproduisant une soixantaine d’extraits des textes de cinquante-huit chansons de l’auteur et artiste-interprète décédé en mars 2010 a été publié sans l’autorisation de son exécuteur testamentaire chargé de l’exercice de l’ensemble du droit moral.

Plusieurs débats ont traversé cette affaire :
- celui du statut de l’œuvre : œuvre de collaboration ou œuvre composite ? ;
- celui de la recevabilité de l’action en contrefaçon : l’absence de mise en cause des coauteurs rend-elle l’action irrecevable ;
- celui de la portée de la reproduction d’extraits d’œuvres musicales dans un ouvrage littéraire : courte citation ou contrefaçon ?

La Cour de cassation, après avoir écarté le moyen du pourvoi qui contestait la qualification d’œuvres de collaboration retenu par la cour d’appel, a considéré que l’exécuteur testamentaire du célèbre chanteur aurait dû appeler en la...

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Auteur d'origine: Daleau
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Les rapports entre le droit des sûretés et le droit de la consommation n’ont pas encore livré tous leurs secrets. La question des clauses abusives a dernièrement suscité l’intérêt de la doctrine (v. à ce sujet D. Galbois-Lehalle, L’application du droit de la consommation à l’épreuve des opérations triangulaires : la question des clauses abusives, D. 2019. 2362 ; A. Gouëzel, Sûretés et clauses abusives, RDBF mars 2017, étude 9). Mais le problème de l’applicabilité de la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation mérite également une certaine attention, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile le 11 décembre 2019. En l’espèce, M. X s’est porté caution solidaire d’un prêt accordé par une banque et a consenti une hypothèque en garantie de cet engagement. Par la suite, la banque lui a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, avant de l’assigner à l’audience d’orientation. Dans un arrêt du 10 avril 2018, la cour d’appel de Besançon a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale opposée par la caution et a validé en conséquence le commandement de payer valant saisie immobilière. Celle-ci s’est donc pourvue en cassation, estimant qu’en application de l’article 2313 du code civil, elle peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette, comme la prescription de la dette principale. Or, en l’occurrence, la dette principale était soumise à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation s’agissant d’un prêt immobilier accordé à un consommateur ; elle aurait donc pu s’en prévaloir. L’argument est écarté par la Cour de cassation, qui considère que « la cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution ; que le moyen n’est pas fondé ». La Cour de cassation avait déjà jugé qu’ayant relevé que le créancier « avait bénéficié de la garantie personnelle des cautions, sans leur avoir fourni aucun service au sens de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, la cour d’appel en a exactement déduit que la prescription biennale édictée par ce texte était inapplicable à l’action en paiement litigieuse » (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-15.331, Dalloz actualité, 22 sept. 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ Contrat 2017. 496, obs. F. Jacomino ). Elle interdit désormais à la caution de se prévaloir de la prescription biennale pourtant attachée à la dette garantie.

La position exprimée par le présent arrêt peut sembler cohérente au regard du courant jurisprudentiel qui considère, conformément à l’article 2313 du code civil, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui sont inhérentes à la dette, mais pas les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur principal (v. en part. Cass., ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, D. 2008. 514 , note L. Andreu ; ibid. 2007. 1782, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2201, note D. Houtcieff ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; AJDI 2008. 699 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2008. 331, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 585, obs. D. Legeais ; ibid. 835, obs. A. Martin-Serf  ; pour une critique de ce courant, v. D. Houtcieff, La remise en cause du caractère accessoire du cautionnement, RDBF 2012. Doss. 38 ; P. Simler, « Le cautionnement est-il encore une sûreté accessoire ? », in Mél. G. Goubeaux, Dalloz/LGDJ, 2009, p. 497 ; comp....

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Auteur d'origine: jdpellier

Aux termes de l’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, lorsqu’un phonogramme a été commercialisé, les artistes-interprètes et les producteurs ne peuvent pas s’opposer à sa « communication directe dans un lieu public », à sa radiodiffusion et à sa câblodistribution simultanée ou intégrale, ou à sa diffusion par une webradio. En contrepartie, l’utilisateur verse une rémunération qui est perçue par un organisme de gestion collective pour le compte des titulaires des droits, conformément à l’article L. 215-1 du code de la propriété intellectuelle. Dans un arrêt important (FS-P+B+I), rendu à propos de la diffusion de musiques dites « libres de droits » dans des magasins, la Cour de cassation affirme que le paiement de cette licence légale ne peut pas être volontairement écarté.

En 2009, la société Musicmatic France (devenue Storever France) met à la disposition de la société Tapis Saint-Maclou des appareils (« players MM BOX ») afin de sonoriser ses magasins. Pour cela, Musicmatic France utilise un programme musical composé de phonogrammes présentés comme « libre de tout droit de diffusion » issus de la plateforme Jamendo. Cette dernière héberge des œuvres...

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Auteur d'origine: nmaximin

On sait que la législation consumériste présume que certaines clauses sont abusives, et ce de manière irréfragable. Il s’agit des « clauses noires » (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 102). L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2019 nous permet de revenir sur l’une des plus célèbres de ces clauses, celle ayant pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations » (C. consom., art. R. 212-1, 6°). En l’espèce, invoquant l’avarie de deux meubles au cours d’un déménagement exécuté le 28 septembre 2016 par une société, M. X a assigné celle-ci en indemnisation. Le tribunal d’instance de Coutances, dans un jugement du 11 juin 2018, a rejeté la demande du consommateur tendant à voir dire abusive la clause de limitation de valeur stipulée au contrat, en retenant qu’une clause ne peut être déclarée abusive au seul motif que la commission des clauses abusives en condamne le type, de manière générale, que le contrat liant les parties est un accord de volontés qui doit être formé et exécuté de bonne foi et que la lettre de voiture, qui forme le contrat entre les parties, mentionne que M. X a fixé le montant de l’indemnisation éventuelle pour les meubles non listés à 152 € chacun, de sorte que cette somme a été déterminée unilatéralement, sans intervention de l’entreprise de déménagement qui l’a acceptée. Le jugement en déduit que, l’accord de volontés étant ainsi formé, la clause de limitation de valeur n’a pas de caractère abusif et s’impose aux parties. Il fut évidemment censuré au visa de l’article R. 132-1, 6°, devenu R. 212-1, 6°, du code de la consommation : « Qu’en statuant ainsi, alors que la clause ayant pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement du professionnel à l’une des (sic) ses obligations est présumée abusive de manière irréfragable, le tribunal d’instance a violé le texte précité ».

La cassation était en effet inéluctable au regard de l’article R. 212-1, 6°, du code de la consommation, ayant succédé à l’ancien article R. 132-1, 6° (à la suite de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, relative à la partie législative du code de la consommation), puisque la loi répute de...

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Auteur d'origine: jdpellier

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Aux lecteurs assidus mais malgré tout très occupés, il est peut-être temps de rattraper des articles mis de côté.

Et nous vous donnons rendez-vous le lundi 6 janvier 2020. Merci de votre fidélité et joyeuses fêtes. 

Auteur d'origine: babonneau

Après l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, le ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi a souhaité vérifier sa bonne application par les grands distributeurs. À la suite de cette enquête, il a assigné plusieurs sociétés, aux droits desquelles est venue la société ITM alimentaire international, en cessation de pratiques constitutives d’un déséquilibre significatif au détriment de leurs cocontractants fournisseurs en violation de l’ancien article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce. Selon le demandeur, la pratique ressort des articles 2, alinéa 2, et 4.2, alinéa 6, de la convention d’affaires liant les distributeurs aux fournisseurs. L’article 2 de la convention dispose que :

« les clauses ci-dessous énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d’un commun accord au motif qu’elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relèvent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d’un autre document signé par les deux parties… Il s’agit des clauses relatives :

aux conditions particulières pour la passation et/ou l’acceptation des commandes,
 à l’exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur les bons de livraison,
 à des délais abusivement écourtés pour contester le bien-fondé ou le règlement d’une facture,
 à l’application des conditions générales de vente aux services rendus par les distributeurs,
 aux conditions logistiques incompatibles avec l’organisation du groupement,
 à l’exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur. »

Quant à l’article 4, il prévoit notamment que le paiement par le fournisseur des factures vaut réalisation effective des obligations et services pour lesquels elles ont été éditées.

Ces deux clauses, associées à l’inégalité économique entre la centrale d’achat et les fournisseurs ne permettent toutefois pas de démontrer l’existence d’un déséquilibre significatif selon les premiers juges. En appel, deux événements procéduraux ont affecté la longueur du procès. Un sursis à statuer a d’abord été prononcé par la cour d’appel de Paris qui, dans un premier arrêt du 11 mars 2015, a sollicité l’avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) à propos de l’article 2 de la convention litigieuse.

Une question prioritaire de constitutionnalité qui trouve son origine dans ce même arrêt et qui a par ailleurs rejeté la demande de la société ITM alimentaire international d’être mise hors de cause. Ce refus de la cour d’appel a poussé le distributeur à poser une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agissait de savoir si la société absorbante pouvait être tenue responsable des agissements exclusivement imputables à la société absorbée sanctionnés par une amende civile au titre de l’article L. 442-6, III, du code de commerce alors qu’il résulte de l’article 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que nul n’est punissable que de son propre fait. Ce moyen d’inconstitutionnalité qui s’est hissé jusqu’au Conseil constitutionnel a toutefois...

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Auteur d'origine: cspinat

Selon l’article L. 310-1 du code des assurances, le contrôle de l’État sur les entreprises d’assurance s’exerce « dans l’intérêt des assurés, souscripteurs et bénéficiaires de contrats d’assurance et de capitalisation ». Les assureurs opérant en France sont ainsi surveillés tout au long de leur existence (v. P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 34) par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France.

Dans le prolongement de la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, l’ordonnance du 21 janvier 2010 a institué une seule institution commune aux deux secteurs de la banque et de l’assurance, opérant ainsi une fusion de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) et de la Commission bancaire (M. Chagny et L. Perdrix, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, n° 91). L’autorité administrative indépendante a pris son nom définitif d’ACPR avec la loi du 26 juillet 2013 relative à la séparation et à la régulation des activités bancaires.

L’ordonnance du 2 avril 2015 a renforcé les attributions de l’ACPR en matière de contrôle des organismes assureurs, avec un nouveau régime prudentiel dit « Solvabilité 2 ». En vue de minimiser les effets négatifs d’un risque de défaillance, l’ordonnance du 27 novembre 2017 l’a encore dotée de nouvelles attributions destinées à aider les organismes d’assurance en difficulté.

En premier lieu, son contrôle est administratif et s’exerce a priori, sous forme d’autorisations préalables. À cet effet, l’ACPR délivre aux entreprises d’assurances un agrément qui doit être sollicité, en vertu de l’article R. 321-1 du code des assurances, pour chacune des branches exercées par l’entreprise. L’article L. 312-1 du même code prévoit qu’une entreprise n’est autorisée à pratiquer que les opérations pour lesquelles elle est agréée (A. Pimbert, L’essentiel du droit des assurances, 4e éd., Gualino, coll. « Les Carrés », 2019, p. 40).

En second lieu, le contrôle de l’État est essentiellement financier et s’exerce a posteriori, de manière permanente. Le rôle de l’ACPR consiste à contrôler les secteurs de la banque et de l’assurance (C. mon. fin., art. L. 612-2) et veiller à la stabilité financière. Elle assure donc un contrôle financier des entreprises d’assurance qui s’inscrivent dans un cycle économique de production inversé (P.-G. Marly, op. cit., n° 33), notamment leur capacité à faire face à leurs engagements financiers vis-à-vis des assurés et à respecter la marge de solvabilité fixée par voie réglementaire (C. assur., art. L. 310-12).

Elle a aussi pour mission la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Pour l’effectivité, l’ACPR est en droit d’exercer des actions en justice et dispose d’un panel de sanctions, pouvant aller de l’avertissement jusqu’à l’ouverture des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire, en vertu de l’article L. 310-25-1 du code des assurances (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 2e éd., Ellipses, 2017, n° 62).

En dernier lieu, l’ACPR est chargée de la protection de la clientèle des établissements contrôlés. Elle est aussi dotée de pouvoirs de résolution (sur l’étendue et l’exercice des attributions de l’ACPR, v. B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, nos 73 s. ; adde L. Grynbaum [dir.], Assurances, 6e éd., L’Argus de l’assurance, 2018, nos 491 s. ; v. la section relative au contrôle de l’ACPR par T. de Ravel d’Esclapon, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Droit des assurances, Ellipses, 2020, à paraître). Avant ou après la mise en œuvre de ses pouvoirs de coercition (CMF, art. L. 612-39), elle est susceptible de rappeler, à la lumière de pratiques fâcheuses mais constatées, la conduite à suivre.

L’ACPR a ainsi publié, le 9 octobre dernier, un communiqué de presse, intitulé Vente de contrats d’assurance par voie de démarchage téléphonique. L’ACPR appelle à une correction des pratiques de certains acteurs du marché. C’est la deuxième communication de cette nature en à peine deux ans. En effet, une communication de l’ACPR de juin 2018 était déjà nommée Vente de contrats santé à distance : des pratiques à revoir. Rappelons que le démarchage téléphonique consiste à contacter par téléphone un consommateur afin de lui proposer un produit ou un service, sans que l’intéressé ait effectué de demande explicite en ce sens auprès du professionnel.

Ces communications de l’ACPR sont la suite immédiate de deux décisions.

Primo, le 26 février 2018, la commission des sanctions de l’ACPR a prononcé à l’encontre de SGP – groupe Filiassur – un blâme et une sanction pécuniaire de 150 000 €. Cette sanction a été l’occasion pour l’ACPR de revenir sur les enjeux de la vente à distance d’assurance, notamment la vente de contrats santé et prévoyance par téléphone (ACPR, Commission des sanctions, Procédure n° 2017-09, décis. 26 févr. 2018 : « 30. Considérant qu’il ressort de tout ce qui précède que les faits constatés attestent, à la date du contrôle, de graves carences dans l’exercice, par SGP, de son activité ; qu’ainsi, cet intermédiaire ne transmettait pas par écrit aux clients qu’il sollicitait l’information précontractuelle qu’il est tenu de leur adresser (grief 1) ; que l’information fournie aux clients sur SGP mais aussi sur les contrats proposés était lacunaire et, dans certains cas, inexacte ; que constitue une irrégularité d’une particulière gravité une information inexacte donnée au client sur la date à laquelle le contrat est conclu, nonobstant la possibilité pour le client de se rétracter (grief 2) ; que la prise en compte des besoins et exigences des clients, lors de conversations au cours desquelles les éléments fournis par les souscripteurs éventuels n’étaient pas toujours véritablement écoutés, était insuffisante ; que les conseils relatifs aux produits proposés étaient en outre insuffisamment adaptés à la situation de chacun d’eux (grief 3) ; que ces manquements concernent certes des produits d’assurance assez simples, mais doivent être appréciés au regard de la clientèle disposant de revenus modestes et peu informée visée par cet intermédiaire, selon ses propres dires »).

Secundo, le 15 mai 2019, la Commission des sanctions de l’ACPR a prononcé à l’encontre de la société Provitalia un blâme et une sanction pécuniaire de 20 000 € (ACPR, Commission des sanctions, Provitalia, Procédure n° 2018-02, décis. 15 mai 2019). Il ressort de la décision que « Provitalia ne fournit pas à ses clients, par écrit ou sur tout autre support durable, les informations précontractuelles qu’elle est tenue de leur fournir, alors qu’elle ne peut bénéficier de la dérogation prévue par le deuxième alinéa de l’article L. 222-6 du code de la consommation, reprise à l’article R. 520-2 du code des assurances ; qu’ainsi, les extractions de l’extranet [du courtier Y], dans lequel la saisie d’une adresse internet est obligatoire pour passer à l’étape de la souscription, ont fait apparaître que, dans 837 cas, l’adresse électronique saisie n’était pas celle du client ; que, de même, les extractions de l’extranet [du courtier X], dans lequel la saisie d’une adresse électronique n’est pas obligatoire, ont montré que, dans 1 125 dossiers, aucune adresse électronique n’avait été enregistrée ; que, dans ces 1 962 dossiers individuels, Provitalia n’a remis aucune information écrite aux clients avant la conclusion de leur contrat ; qu’en outre, lorsque les contrats sont souscrits au moyen du progiciel A, les adresses électroniques n’ont pas, pour autant, été renseignées dans les extranets des courtiers grossistes dans 28 858 cas » (consid. 12).

En définitive, il résulte de ce qui précède que « Provitalia ne respectait pas, au moment du contrôle, ses obligations d’information de ses clients ; que ce manquement justifie, compte tenu de sa nature et de sa gravité, le prononcé d’un blâme ; qu’il convient cependant de tenir compte, dans une certaine mesure, des actions correctrices annoncées, dont l’effectivité devra, le cas échéant, être vérifiée, qui ont notamment consisté en un envoi systématique, avant la signature électronique du bulletin de souscription ou d’adhésion, des documents précontractuels et contractuels ; qu’au vu de l’élément d’atténuation mentionné ci-dessus, il y a lieu, dans le respect du principe de proportionnalité au regard de l’assise financière de Provitalia, de prononcer une sanction pécuniaire de 20 000 € » (consid. 18).

Il n’est donc guère étonnant que la doctrine relève que, « depuis plusieurs années, la souscription par téléphone d’assurances-santé et prévoyance donne lieu à des pratiques douteuses qui confinent parfois à l’abus de confiance, voire l’escroquerie ; à telle enseigne que l’ACPR s’est fendue en 2018 d’une communication dans laquelle elle dénonce ces pratiques avant de rappeler la réglementation applicable. […] Soulignons que la communication du superviseur faisait suite à une décision de sa commission des sanctions condamnant un courtier pour une série de manquements dans le cadre de la commercialisation par téléphone d’assurances de personnes, pour déroger à son obligation d’information » (Banque et Dr. 2019, n° 186, p. 59 ; obs. P.-G. Marly).

Compte tenu de la pérennité des mauvaises pratiques en matière de vente de contrats d’assurance par voie de démarchage téléphonique, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution appelle à nouveau, fin 2019, certains acteurs du marché à corriger leurs pratiques, afin de préserver les intérêts des personnes sollicitées, puisque, « malgré sa précédente communication sur le sujet, l’ACPR constate encore que les pratiques de certains acteurs du marché ne sont pas conformes aux règles de protection des clients ». Elle observe en particulier que « les personnes âgées, voire très âgées, constituent une part significative des prospects contactés, sans qu’aucune précaution particulière soit prise vis-à-vis de cette clientèle potentiellement vulnérable » (ACPR, communiqué de presse, 9 oct. 2019).

Dès lors, l’ACPR annonce poursuivre « ses contrôles, dont certains ont déjà donné lieu à des sanctions. L’ACPR rappelle que tous les acteurs concernés des chaînes de distribution (assureurs, courtiers, grossistes, distributeurs de proximité) doivent adopter des processus de commercialisation conformes à la réglementation et aux intérêts des clients. Elle les engage en outre à mettre en place des mécanismes de contrôle de la qualité des ventes reposant notamment sur une conservation des enregistrements téléphoniques » (ibid.).

En annexe de son communiqué de presse, l’ACPR joint une fiche sur le démarchage téléphonique, qui se passe de commentaires et mérite une lecture in extenso :

« Les contrats d’assurance présentent un degré de complexité qui explique que leur commercialisation soit encadrée par des règles précises, imposant notamment au professionnel une obligation d’information et un devoir de conseil de qualité. En cas de démarchage, des règles de précaution additionnelles s’appliquent puisque le consommateur n’est pas à l’origine de la demande de souscription. À cet effet, la réglementation prévoit notamment les informations à remettre, préalablement à la conclusion du contrat, afin que le consommateur dispose d’un temps utile à sa réflexion, et fixe les règles de renonciation. Les articles L. 112-2-1 du code des assurances et L. 221-18 du code de la mutualité, en particulier, précisent les informations à remettre préalablement à la souscription du contrat, fixent les délais de renonciation et prévoient la fourniture d’un modèle de lettre de renonciation.

Toutefois, les contrôles de l’Autorité ont fait ressortir que certains démarcheurs recourent à des allégations ou des informations fausses ou de nature à induire les consommateurs en erreur, tout particulièrement en ce qui concerne leur identité et le motif de l’appel.

Ils ont aussi montré que certains professionnels ne délivrent pas les informations et documents précontractuels en temps utile avant la conclusion du contrat. Les méthodes de vente hâtive ainsi mises en œuvre ne permettent pas aux personnes démarchées de disposer d’une période de réflexion, pourtant indispensable pour lire les documents avant de s’engager en toute connaissance de cause.

L’ACPR relève par ailleurs que des démarcheurs n’informent pas les consommateurs de façon fiable, complète et compréhensible sur la nature et l’étendue des garanties proposées, sur les modalités de conclusion du contrat ainsi que sur leur faculté de renonciation. En outre, les exigences et les besoins des personnes sollicitées ne sont pas nécessairement recueillis correctement. Dès lors, les contrats ou les changements de contrats proposés ne sont pas toujours adaptés à leur situation.

L’Autorité constate également que certains professionnels ne recueillent pas valablement le consentement des personnes démarchées. C’est notamment le cas lorsque le vendeur signe électroniquement le contrat en lieu et place du consommateur via, par exemple, la saisie par le téléopérateur d’un code SMS, préalablement adressé au client et que celui-ci répète au vendeur. De façon plus générale, il s’avère que beaucoup de clients ne sont pas en mesure de comprendre, du fait des modalités de la vente, qu’ils ont donné leur consentement à la conclusion d’un contrat d’assurance lors de l’entretien téléphonique.

Enfin, l’ACPR relève que certains professionnels ne traitent pas de façon satisfaisante les réclamations, notamment en opposant systématiquement un non-respect du délai légal de renonciation à des personnes contestant leur consentement au contrat.

L’ACPR invite les particuliers à consulter sur le site ABEIS la rubrique dédiée au démarchage téléphonique en assurance ainsi que la vidéo explicative sur ce thème. » (ibid.)

Auteur d'origine: Dargent

L’Autorité polynésienne de la concurrence (APC) vient de rendre publique sa décision n° 2019-PAC-02 du 26 novembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la surveillance et du gardiennage, qui, à n’en pas douter, fera date dans la pratique décisionnelle des autorités de concurrence.

L’APC prononce en effet un non-lieu au double motif de « l’inobservation de la séparation des fonctions d’instruction et de décision » et de « l’inapplicabilité du code de la concurrence aux faits énoncés ». Une décision motivée par des éléments qui, pour le moins, attirent l’attention du lecteur par leur caractère peu commun, particulièrement s’agissant du premier.

Une séance à l’organisation et au déroulement complexes

Le 16 septembre 2019, juste avant le début de la séance, les représentants des sociétés mises en cause se sont entretenus avec le président de l’Autorité, M. Jacques Mérot, pour lui faire part de documents non versés au dossier et susceptibles de conduire selon eux à l’annulation pure et simple du dossier. À la suite de cet entretien, le président de l’APC a reporté sine die la séance, tandis que, le lendemain, des conclusions complémentaires étaient déposées par les deux sociétés mises en cause, qui ont permis d’éclairer le motif du report de la séance de la veille. Ces écritures faisaient état de l’existence d’une note, rédigée le 16 mai 2018 par le rapporteur général, Mme Gwénaëlle Nouët, et adressée au collège de l’Autorité, compromettant aux dires des mises en cause l’ensemble de l’instruction.

Les écritures déposées le 17 septembre 2019 par les sociétés ne versaient cependant pas au dossier la note interne de l’APC, ce qui a entraîné des demandes multiples pour que l’Autorité la produise elle-même, demandes émanant aussi bien des mises en cause que de la saisissante et du commissaire du gouvernement. Ces demandes sont pourtant restées lettre morte pendant plus d’un mois et demi, et ce en dépit d’une agitation médiatique conséquente citant de larges extraits de la note en question (Polynésie 1re radio et télévision, 14 oct. 2019 ; Tahiti Infos, 17 oct. 2019 ; Tahiti Pacifique, 31 oct. 2019).

Compte tenu du défaut d’impartialité supposé mis en exergue par la note incriminée et du « refus manifeste » (§ 14) de l’APC de la verser au dossier, les mises en cause ont demandé officiellement, le 4 novembre 2019, la récusation du président. Le lendemain, ce dernier s’est déporté et a désigné le professeur Christian Montet comme président de la séance à venir, fixée au 14 novembre 2019, vraisemblablement en raison du fait qu’il s’agissait du membre le plus ancien du collège. On notera néanmoins que la décision de déport du président indique simplement que « M. Jacques Mérot, président de l’Autorité polynésienne de la concurrence, ayant décidé de se déporter, délègue expressément ses pouvoirs à M. Christian Montet », mais qu’il n’est aucunement mentionné que ce déport fait suite à une demande de récusation des sociétés mises en cause (décis. n° 2019-DP-28, 5 nov. 2019, JOPF 12 nov.).

Le 6 novembre, soit le lendemain du déport du président de l’APC (mais les sociétés mises en cause ignoraient peut-être qu’il avait été décidé puisque la décision n’a été publiée au JOPF que le 12 novembre), la société Tahiti Vigiles a adressé un nouveau courrier à l’Autorité, en joignant cette fois la note de rapporteur général et en demandant qu’elle soit versée au dossier. Mais le bureau de la procédure n’a, malgré cette demande officielle d’une des parties, pas procédé à l’enregistrement de la pièce.

Devant cette omission, le commissaire du gouvernement, que l’on sent passablement excédé au ton de ses écritures, a lui-même versé la note au dossier le 12 novembre (soit l’avant-veille de la séance) en indiquant que, si la note et ses propres observations complémentaires n’étaient pas versées au dossier, il « transmettrait personnellement, le jour de la séance, une copie de la note et des présentes observations à chacun des membres présents du collège, pour que la séance puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles, étant entendu que l’instruction a déjà été gravement et multiplement viciée » (§ 14). C’est alors que la note tant dissimulée a enfin été officiellement enregistrée par le bureau de la procédure, soit près de deux mois après la première demande qui en avait été faite.

À cette note ont ensuite été ajoutés par les mises en cause, le jour même de la séance du 14 novembre, des échanges de messages électroniques entre le président de l’Autorité, les autres membres du collège, le rapporteur général et son adjoint (qui avait été le rapporteur en charge du dossier, v. infra).

Les pièces (théâtrales) produites au dossier

S’il est rare de voir autant de difficultés dans l’organisation d’une séance d’autorité de concurrence, les informations fournies par la décision au sujet des pièces versées – note du rapporteur général et mails échangés entre le service d’instruction et le collège – sont plus sidérantes encore.

Ainsi, la note du 16 mai 2018 rédigée par le rapporteur général de l’APC relate que le premier rapporteur nommé sur le dossier, M. Sébastien Petit, qui était également le rapporteur général adjoint de l’APC, avait, au terme de son instruction, conclu « à l’incompétence de l’Autorité pour sanctionner les pratiques et, d’autre part, à l’absence de pratiques anticoncurrentielles » (§ 44). Mais le rapporteur général se déclare alors « très hésitante, compte tenu du contexte actuel au sein du service d’instruction et des délais que je m’étais engagée à tenir sur ce dossier (décision avant la fin de l’année 2018), sur la suite à donner à ce dossier » (§ 45). Elle propose alors au collège de choisir entre trois options différentes sur l’orientation de l’instruction à venir du dossier : laisser le rapporteur poursuivre vers un non-lieu ; lui demander de revoir sa position en procédant à une notification de griefs ; ou remplacer le rapporteur actuel…

La décision de l’APC souligne qu’il s’agit là d’une « orientation vers une position répressive » et que « le rapporteur général était pleinement conscient du risque de, selon ses propres termes, “compromettre toute la procédure dans ce dossier” » (§ 45).

Cette note aurait pu rester sans suite de la part du collège, ce qui n’aurait cependant en rien atténué sa gravité ou son manque de professionnalisme. Or, bien au contraire, le président a, en réponse, « interféré de manière active dans l’instruction », selon les propres termes de la décision (§ 46). Après une première demande d’audition du rapporteur, refusée par ce dernier « en vertu de la séparation entre instruction et jugement » (§ 46), le président de l’APC renouvelle sa demande d’audition, arguant qu’une autre réunion de ce type concernant ce dossier a déjà eu lieu, plus de trois mois auparavant (le 16 février 2018), et en concluant que « le collège, à qui des informations avaient été données sur la gestion de ce dossier et qui se trouve aujourd’hui avec une proposition différente réitère donc sa demande d’audition » (§ 46). Une remarque qui tendrait à montrer que les échanges entre le service d’instruction et le collège ne se réduiraient pas à la seule note du rapporteur général et à ses conséquences, mais qu’ils auraient pu être répétés au cours de l’instruction du dossier.

À la suite de ces courriers électroniques, le rapporteur récalcitrant a effectivement été auditionné par le collège le 31 mai 2018. Il semble que ses réponses n’aient pas eu l’heur de plaire au collège, puisqu’il a ensuite été dessaisi du dossier pour être remplacé par un autre rapporteur qui, lui, adressera en moins de six mois une notification de griefs aux mises en cause, parce que « les choses sont quand même bien faites », comme le souligne non sans malice Alain Ronzano (Concurrences n° 4-2019, art. n° 92563). Notons que le rapporteur dessaisi est depuis démissionnaire de l’APC.

De tels agissements, qui contreviennent aux droits les plus élémentaires qui doivent impérativement être garantis aux justiciables, sont bien évidemment de nature à vicier l’ensemble de la procédure. Après un rappel, semble-t-il, bienvenu de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, « le collège ne peut que constater que le principe de séparation des fonctions d’instruction et de décision a été violé, dans la mesure où cette instruction n’a pas été menée sous la seule autorité du rapporteur général » (§ 42), relevant également une « subordination du rapporteur général au collège » (§ 43).

Au-delà des questions de procédure, une affaire au fondement discutable

Compte tenu des entorses aux règles procédurales, la décision aurait pu ne pas même effleurer le fond de l’affaire. Néanmoins, cela n’a pas été le choix du collège, qui a souhaité revenir sur une question spécifique : celle de l’application dans le temps du code de la concurrence polynésien. Sans doute ce choix a-t-il été dicté par le fait que le rapporteur général, dans sa note, voulait également « connaître la position de principe du collège sur la question juridique de l’entrée en vigueur de la loi du pays n° 2015-2 du 23 février 2015 » (§ 44) (c’est-à-dire la loi du pays relative à la concurrence qui institue en Polynésie française le code de la concurrence). Or, si le rapporteur général souhaite connaître la position du collège à cet égard, c’est que la question est en effet fondamentale dans l’affaire instruite.

Le dossier concerne en effet un appel d’offres lancé par la Direction du commissariat d’outre-mer en Polynésie française (DICOM), qui visait à assurer le gardiennage et la surveillance des emprises militaires en Polynésie française. Dans le cadre de cet appel d’offres, les sociétés Tahiti Vigiles et Jurion Protection, les deux plus grandes entreprises du secteur, ont déposé une réponse en groupement, ce qui était autorisé par les termes de l’appel d’offres.

La société concurrente Haumani Sécurité, troisième acteur le plus important du secteur et attributaire du même marché public pour la période précédente de quatre années, a ensuite saisi l’Autorité polynésienne de la concurrence le 24 novembre 2016 pour dénoncer le groupement formé par ses concurrents. Le grief notifié aux mises en cause par l’Autorité retient la constitution d’un groupement non justifié sur le plan économique ou technique qui caractériserait l’existence d’une entente anticoncurrentielle.

Sur le plan chronologique, cet appel d’offres à bons de commande, sans minimum ni maximum en valeur ou en quantité, a été publié le 13 octobre 2015, pour des candidatures requises avant le 18 novembre 2015. La lettre de candidature du groupement formé par les sociétés Jurion Protection et Tahiti Vigiles est datée du 26 octobre 2015. S’ensuit alors le processus d’attribution du marché, conduisant à une notification finale aux attributaires (les sociétés du groupement) le 25 avril 2016.

Dans sa décision, l’Autorité s’interroge sur l’application du code de la concurrence à l’époque des faits, soit entre la publication de l’appel d’offres, le 13 octobre 2015, et la réponse du groupement, le 26 octobre 2015, période à laquelle le groupement a donc été constitué. Le collège relève en effet que, bien que le code de la concurrence ait été créé par la loi du pays du 23 février 2015 précitée, l’Autorité a précédemment, et avec régularité, indiqué qu’il n’était entré en vigueur qu’au 1er février 2016.

Le collège constate ainsi que « les dispositions du texte polynésien ont été présentées par l’Autorité comme entrant en vigueur au moment de la mise en place effective de celle-ci » (§ 52). L’Autorité liste quelques exemples non exhaustifs, qu’il s’agisse de déclarations effectuées dans la presse par le président de l’Autorité, de la propre pratique décisionnelle de l’APC (et notamment de la décision n° 16-SC-01 du 13 septembre 2016), des rapports annuels de l’APC ou encore du Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017. Tous les éléments présentés convergent en indiquant à chaque fois que le code de la concurrence n’est entré en vigueur qu’à partir du 1er février 2016.

Sans chercher à démontrer que les mesures transitoires prévues par l’article LP 3 de la loi du pays n° 2015-2 du 23 février 2015 permettent effectivement de déroger au principe juridique général selon lequel les lois entrent en vigueur au lendemain de leur publication au Journal officiel, l’Autorité invoque le principe d’intelligibilité du droit et s’en tient ainsi au fait que « le justiciable ne peut que légitimement considérer que la date d’entrée en vigueur du code de la concurrence est le 1er février 2016 » (§ 57). Les dispositions du code ne peuvent donc s’appliquer dans le cas d’espèce.

Le droit n’étant pas applicable à l’époque des faits, l’Autorité se dispense naturellement d’une étude au fond du dossier (et d’autant plus que le défaut d’impartialité mis en évidence suffisait à lui seul à prononcer un non-lieu). Mais, pour autant, elle prend la peine de rappeler que les groupements d’entreprises destinés à répondre à un appel d’offres ne sont pas illicites en eux-mêmes et qu’il convient de les apprécier au cas par cas (§ 60 et 61). Elle se garde donc bien de diffuser l’idée qu’il ne serait plus possible pour les entreprises polynésiennes, à l’avenir et de façon générale, de former de tels groupements.

Plus encore, l’Autorité glisse qu’en l’occurrence, « rien ne permet de conclure que le groupement ait fait obstacle au bon fonctionnement de la concurrence » et rappelle, constat non négligeable, que « le groupement a proposé une offre compétitive qui lui a permis d’emporter le marché, avec un avantage tarifaire clair par rapport à l’offre de la société Haumani Sécurité » (§ 62). Sans avoir eu à statuer en détail sur le fond de l’affaire, le collège laisse ainsi tout de même entendre qu’entre les deux thèses qui ont pu s’affronter au sein du service d’instruction, il adhère plus volontiers à celle de l’absence d’une pratique anticoncurrentielle, renforçant ainsi le sentiment d’une orientation à charge de l’instruction née de la collusion entre instruction et décision.

Vers un droit d’inventaire ?

La décision de l’APC constitue un désaveu sans précédent du fonctionnement interne de l’Autorité… par elle-même. Cela n’a pu résulter que du renouvellement des membres du collège, arrivés en fin de mandat (arr. n° 2133 CM, 25 sept. 2019). C’est ce hasard du calendrier qui a pu voir siéger, lors de la séance du 14 novembre 2019, quatre membres qui n’avaient – à aucun moment de l’instruction – été impliqués dans les irrégularités procédurales du dossier du gardiennage.

Le nouveau collège de l’APC semble ainsi avoir voulu, par cette décision particulièrement sévère, affirmer sa distance avec ce malheureux dossier comme sa volonté de voir les procédures internes de l’Autorité changer radicalement. Le message est clair et semble s’adresser tant au président de l’Autorité qu’à l’ensemble du service d’instruction, bien que le rapporteur général impliqué ait démissionné de ses fonctions avant la séance du 14 novembre pour rejoindre, trois mois avant la fin de son mandat, l’Autorité de la concurrence métropolitaine (v. Aut. conc., 25 juill. 2019, JO 28 juill., texte n° 64 ; arr. n° 2110 CM, 23 déc. 2015, JOPF 23 déc.).

Si la décision de l’APC est aussi salutaire que courageuse, peut-elle cependant suffire à sauver l’institution ? On se souvient que l’APC venait déjà d’essuyer un sérieux revers dans l’affaire « des frigos » du groupe Wane, où sa décision, contestée sur le fond, avait en sus été suspendue par la cour d’appel de Paris au motif d’un probable défaut d’impartialité du président de l’APC rejaillissant sur l’ensemble du collège (décis. 2019-PAC-01, 22 août 201, Dalloz actualité, 3 oct. 2019, obs. L. Donnedieu de Vabres-Tranié et F. Vever ; Concurrences n° 4-2019, art. n° 92404, obs. J.-L. Fourgoux ; Paris, ord., 16 oct. 2019, n° 19/15773, Dalloz actualité, 6 nov. 2019, obs. F. Venayre). Pour ses deux premières affaires de pratiques anticoncurrentielles susceptibles de donner lieu à des sanctions, l’APC est donc gravement mise en cause, plus particulièrement sur des questions déontologiques essentielles.

Certes, les membres non permanents du collège ont été renouvelés et l’arrivée prochaine d’un nouveau rapporteur général est annoncée, offrant tous les gages de qualité requis et l’expérience nécessaire (arr. n° 1161 CM, 8 juill. 2019). Mais il reste que le mandat de l’actuel président de l’Autorité se poursuivra jusqu’en juillet 2021 (arr. n° 913 CM, 9 juill. 2015) et que l’on peut s’interroger sur la capacité de l’institution à travailler sereinement dans les conditions actuelles. C’est finalement tout l’objet de la question shakespearienne posée par Alain Ronzano (art. préc.), lorsqu’il se demande ce qu’il se passe « au royaume de l’Autorité polynésienne de la concurrence ? ».

Le futur fonctionnement de l’Autorité est d’autant plus incertain que la décision gardiennage risque fort de susciter très rapidement de nouvelles questions et de nouveaux débats.

En premier lieu, la décision acte que le code de la concurrence ne saurait être appliqué à des faits antérieurs au 1er février 2016. Or, dans la décision « des frigos » précitée (§ 128 s.), l’Autorité avait expliqué que, si le contrôle des surfaces commerciales (et sans doute le contrôle des concentrations), n’était applicable qu’à partir du 1er février 2016, date d’entrée en fonction de l’APC compte tenu des recrutements préalables requis par la loi du 23 février 2015, le droit des pratiques anticoncurrentielles, lui, s’appliquait dès l’adoption de la loi. Or le code de la concurrence polynésien n’établit aucune différence de régime entre les diverses missions de l’Autorité du point de vue de sa date d’entrée en vigueur. Et l’on sait que « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer ». L’Autorité avait toutefois apporté une nuance en indiquant que les pratiques anticoncurrentielles, même caractérisables depuis février 2015, ne devenaient sanctionnables qu’à compter de février 2016.

Cette lecture dichotomique de la règle, qui pouvait ne pas pleinement convaincre dans l’affaire « des frigos », révèle finalement peut-être son origine à la découverte du dossier du gardiennage. Quoi qu’il en soit, l’Autorité avait ainsi pu qualifier (sans le sanctionner) un abus de position dominante des sociétés du groupe Wane pour une pratique de discrimination datant de 2015. Le revirement d’interprétation décidé par le collège à l’occasion de la décision gardiennage remet bien entendu en question, sur cet aspect, la précédente décision.

En second lieu, une phrase attire également l’œil, dans le courrier électronique envoyé par le président de l’Autorité le 24 mai 2018 au rapporteur en charge du dossier à l’époque. Le président mentionne en effet que l’audition du rapporteur général adjoint est nécessaire, au-delà du dossier du gardiennage, car le collège « souhaite en outre faire le point sur d’autres dossiers dont la prévision d’arrivée à échéance le concerne » (§ 46).

Quels sont les dossiers ainsi évoqués dans cette correspondance de mai 2018 ? À l’heure actuelle, seule l’affaire « des frigos » a été l’objet d’une décision contentieuse de l’APC en août 2019. Une autre, concernant le secteur du bitumage, a été évoquée par une fuite dans la presse, le journaliste ayant visiblement été destinataire de l’avis de clémence concernant le dossier (La Dépêche de Tahiti, 18 sept. 2019). Cette dernière affaire viendrait d’ailleurs de voir ses opérations de visite et de saisie invalidées par la cour d’appel de Papeete (Tahiti Infos, 5 déc. 2019). Ces deux dossiers étaient-ils également concernés par l’audition du rapporteur général adjoint ? Combien d’autres dossiers encore pourraient s’avérer potentiellement viciés par des échanges entre le service d’instruction et le collège, dont la phrase du président de l’APC pourrait laisser penser qu’ils ont été érigés en système de fonctionnement au sein de l’Autorité ?

Voilà deux ans, alors que les équipes de l’APC étaient celles mises en cause dans l’instruction du dossier du gardiennage, le président de l’Autorité ouvrait un colloque sur le droit de la concurrence en présentant le travail de l’Autorité d’une manière qui prend aujourd’hui une teinte tout à fait particulière (p. 21 et 22) : « L’Autorité de la concurrence œuvre de façon impartiale et indépendante, en conformité avec les meilleurs standards (règles déontologiques, déclaration des liens d’intérêts, séparation stricte entre instruction et décision, droits de la défense, etc.). […] L’impartialité […] est consubstantiellement liée à la droiture des membres du collège et aux valeurs qu’ils portent. Au-delà de ces qualités des membres s’ajoutent les règles de fonctionnement que j’ai rappelées à l’instant pour sécuriser et garantir l’impartialité de l’Autorité. J’ai la plus grande confiance dans la compétence et l’impartialité du collège de l’APC. […] Enfin, le jour venu, la confiance en l’impartialité du droit alors installée, il faudra évaluer la politique de concurrence mise en œuvre en Polynésie française, sans craindre alors de l’adapter le cas échéant » (J. Mérot, Un droit de la concurrence impartial à Tahiti : une utopie ?, Colloque sur le droit de la concurrence en Polynésie française et dans les petites économies insulaires du Pacifique. Bilan et perspectives, 21 et 22 nov. 2017, 2018, UPF/LexisNexis, p. 15 s.).

Auteur d'origine: Delpech

La divulgation est le don de l’œuvre au public. C’est parce que l’œuvre est divulguée qu’elle va pouvoir être exploitée et la dévolution successorale de ce droit moral suit un ordre spécifique (CPI, art. L. 121-1 et L. 121-2. V. not. M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins,  4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, nos 476 s.). Aussi, « en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé […], le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée » et « il en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence » (CPI, art. L. 121-3). Se pose alors la question de savoir qui peut agir ?

En effet, le droit commun de la procédure civile prévoit que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » (C. pr. civ., art. 31) tandis que pour l’article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle « le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la Culture ». Or, l’adverbe « notamment » induit une conception libérale selon laquelle « toute personne ayant qualité et intérêt pour agir […], devrait être recevable pour voir sanctionner l’héritier indigne : à la première génération, ami de l’auteur, parent non titulaire du droit...

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Auteur d'origine: Dargent
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Le droit de la consommation est à géométrie variable dans la mesure où s’il est d’abord et avant tout conçu pour protéger les consommateurs, il prend parfois sous son aile les professionnels, comme l’illustre un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 novembre 2019. En l’espèce, Mme X, exerçant une activité de production et de fourniture de bois de chauffage, a reçu à son domicile le représentant d’une société et signé un ordre d’insertion publicitaire dans un annuaire local. Puis, le 28 septembre 2017, elle a donné son accord par courriel au bon à tirer adressé par la société. Par la suite, la facture n’ayant pas été acquittée, la société a assigné en paiement Mme X, qui, bien que régulièrement convoquée, n’a pas comparu. Le tribunal d’instance de Périgueux, dans un jugement du 9 juillet 2018, a considéré que l’article L. 221-3 du code de la consommation était applicable et a donc annulé l’ordre d’insertion et rejeté les demandes en paiement de la société demanderesse. Celle-ci se pourvut en cassation, arguant du fait que le contrat d’insertion publicitaire dans un annuaire recensant des entreprises, conclu par un professionnel tel qu’un marchand de bois de chauffage à l’effet de promouvoir l’entreprise auprès du public, entre dans le champ d’activité principale de ce dernier et que, dès lors, les exigences posées par les articles L. 221-3 et L. 221-5 du code de la consommation ne peuvent être invoquées par le professionnel. Mais la Cour de cassation ne se laissa pas convaincre, considérant « qu’il résulte de l’article L. 221-3 du code de la consommation que le professionnel employant cinq salariés au plus, qui souscrit, hors établissement, un contrat dont l’objet n’entre pas dans le champ de son activité principale, bénéficie des dispositions protectrices du consommateur édictées par ce code ; et attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que le tribunal d’instance a estimé qu’un contrat d’insertion publicitaire n’entrait pas dans le champ de l’activité principale de Mme X ; que le moyen ne peut être accueilli ». Le jugement fut donc cassé.

La décision est juste : le professionnel ayant contracté hors établissement bénéficie de certaines règles protectrices du code de la consommation dès lors que l’objet du contrat n’entre pas dans le champ de son activité principale et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq, comme le prévoit l’article L. 221-3 du code de la consommation (comp. C. consom., anc. art. L. 121-22, 4°, qui excluait du champ d’application du démarchage « les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu’elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d’une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession », ce qui permettait d’étendre le domaine des dispositions relatives au démarchage aux contrats ayant un rapport indirect avec l’activité du professionnel). Au titre de ces règles figure le fameux droit de rétractation prévu par l’article L. 221-18 du même code, qui était manifestement l’enjeu du présent litige.

Cette solution n’est pas nouvelle, la même chambre ayant déjà eu l’occasion d’affirmer « qu’ayant souverainement estimé que la communication commerciale et la publicité via un site internet n’entraient pas dans le champ de l’activité principale de Mme X, architecte, la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que celle-ci bénéficiait du droit de rétractation prévu par l’article L. 121-21 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 » (Civ. 1re, 12 sept. 2018, n° 17-17.319, Dalloz actualité, 1er oct. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 115 , note C. Durez ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ Contrat 2018. 485, obs. V. Legrand ; Dalloz IP/IT 2019. 125, obs. J. Groffe ). Comme nous l’avions relevé au sujet de ce dernier arrêt, le critère du champ de l’activité principale du professionnel n’est toutefois pas plus fiable que l’ancien critère du rapport direct et risque fort de donner lieu à des solutions diverses (v. égal. J.-D. Pellier, n° 133, ad notam n° 3 : « Le contentieux qui s’était développé quant à la notion de rapport direct, employée par l’ancien article L. 121-22, 4°, du code de la consommation, risque ainsi de se reporter sur la nouvelle notion de “champ de l’activité principale du professionnel” » ; rappr. L. et J. Vogel, Droit de la consommation. Traité de droit économique, t. 3, Bruylant, 2017, n° 443, considérant que « la notion de champ de l’activité principale du professionnel apparaît tout aussi imprécise que celle de rapport direct et il est fort probable que les solutions anciennes continuent de s’appliquer moyennant quelques ajustements » ; comp. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, Traité de droit civil ; J. Ghestin [dir.], Les Contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, 2018, n° 536, considérant que « transposer la jurisprudence relative au critère du rapport direct n’est pas opportun »). En témoigne d’ailleurs un autre arrêt de la première chambre civile ayant censuré un jugement qui avait décidé que le contrat d’insertion publicitaire conclu à la suite d’un démarchage téléphonique par une sophrologue relevait des dispositions protectrices du code de la consommation en estimant, au visa des articles L. 121-16-1, III, du code de la consommation, devenu L. 221-3 du même code, ensemble l’article L. 121-21, devenu L. 242-3 et L. 221-18 du même code « qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que Mme X exerçait la profession de sophrologue et avait été démarchée dans le cadre de son activité professionnelle pour souscrire le contrat d’insertion publicitaire litigieux, la juridiction de proximité, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés » (Civ. 1re, 29 mars 2017, n° 16-11.207, Dalloz jurisprudence).

Les problèmes susceptibles de se poser ne doivent cependant pas occulter l’opportunité de l’extension du droit de la consommation aux petits professionnels, même si la cohérence de ce droit s’en trouve affaiblie (v. en ce sens J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 167 : « Et que dire du champ d’application du droit de la consommation, qui est ainsi encore un peu plus troublé […] » ; v. égal., du même auteur, La consumérialité. Études en la mémoire de Philippe Neau-Leduc, LGDJ, 2018, p. 537). On rappellera d’ailleurs que le droit de l’Union européenne n’est pas hostile à cette extension, la directive du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs accordant aux États membres, en son considérant 13, la possibilité de « décider d’étendre l’application des règles de la présente directive à des personnes morales ou physiques qui ne sont pas des “consommateurs” au sens de la présente directive, comme les organisations non gouvernementales, les jeunes entreprises ou les petites et moyennes entreprises » (v. en ce sens Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., Sirey, 2018, n° 40).

On observera enfin, avec un auteur, que ce dispositif n’a pas été étendu, en revanche, au non-professionnel, c’est-à-dire à la « personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles » (C. consom., art. liminaire), ce qu’il est permis de regretter (v. en ce sens G. Paisant, Droit de la consommation, PUF, 2019, n° 118 : « de manière assez incohérente, la protection de la loi n’a pas été étendue aux non-professionnels »).

Auteur d'origine: jdpellier
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On connaît l’usage bancaire dit de l’année lombarde en vertu duquel le calcul des intérêts est réalisé sur une année de trois cent soixante jours et non sur l’année civile de trois cent soixante-cinq jours, trois cent soixante-six en cas d’année bissextile (V. à ce sujet, D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 244. V. égal., G. Biardeaud, Rejet de l’année lombarde : une dérive inquiétante, D. 2017. 116 ; J. Lasserre Capdeville, Interrogations autour du recours au « diviseur 360 » pour les crédits aux consommateurs, JCP E 2017. 1496 ; C. Lèguevaques, L’année lombarde et les banques. Entre faute lucrative et risque systémique diffus, LPA 4 oct. 2017, p. 6). On sait également que cet usage est fustigé par la Cour de cassation dès lors qu’il est pratiqué dans les relations entre professionnels et consommateurs, la drastique sanction de la substitution du taux légal au taux conventionnel ayant vocation à s’appliquer (V. par ex., Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-16.651, Sté Compagnie européenne de garanties et de cautions, D. 2013. 2084, obs. V. Avena-Robardet , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2013. 770 , obs. B. Wertenschlag, O. Poindron et J. Moreau , considérant, au visa de l’article 1907, alinéa 2, du code civil, et des anciens articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation « qu’en application combinée de ces textes, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile ». V. égal. Civ. 1re, 17 juin 2015, n° 14-14.326, Augé c/ Crédit mutuel de Saint-Martin, D. 2015. 1365 ; AJDI 2015. 784 . Comp. Com., 4 juill. 2018, n° 17-10.349, D. 2018. 1484 ; ibid. 2019. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJDI 2019. 219 , obs. J. Moreau , concernant un prêt entre professionnels : « si, dans un prêt consenti à un professionnel, les parties peuvent convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base que l’année civile, le taux effectif global doit être calculé sur la base de l’année civile ; qu’il appartient à l’emprunteur, qui invoque l’irrégularité du taux effectif global mentionné dans l’acte de prêt, en ce qu’il aurait été calculé sur la base d’une année de 360 et non de 365 jours, de le démontrer »).

Mais la Cour de cassation tempère cette rigueur en considérant qu’un préjudice doit en découler pour l’emprunteur, comme en témoigne l’arrêt rendu par la première chambre civile le 27 novembre 2019. En l’espèce, suivant offre préalable du 20 octobre 2010, acceptée le 2 novembre 2010, une banque a consenti à M. X. deux prêts immobiliers, dont l’un a fait l’objet, le 12 mai 2015, d’un avenant portant sur la renégociation du taux d’intérêt conventionnel. Reprochant à la banque d’avoir calculé les intérêts du prêt sur une année bancaire de trois-cent-soixante jours, l’emprunteur l’a assignée en annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et en restitution de sommes. La cour d’appel de Riom a accueilli cette demande dans un arrêt du 4 avril 2018, considérant que « l’emprunteur n’a aucune démonstration mathématique à produire, dès lors que la seule stipulation d’une clause prévoyant le calcul des intérêts...

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Auteur d'origine: jdpellier
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Dans cette affaire, il est question d’une société mise en sauvegarde le 27 janvier 2016. Celle-ci a proposé un plan de sauvegarde prévoyant l’apurement de son passif par un paiement de 35 % des créances en principal le 1er septembre 2017 (option A) ou un paiement de 100 % des créances en 10 annuités (option B). La banque créancière, consultée sur ces propositions de règlement par une lettre reçue le 20 décembre 2016, a répondu au mandataire judiciaire le 23 janvier 2017, en précisant opter pour l’option B. Mais considérant que cette réponse était tardive, de sorte qu’était acquis l’accord de la banque pour un paiement de sa créance selon l’option A, le mandataire judiciaire a présenté le plan de sauvegarde au tribunal en précisant que la créance serait remboursée suivant cette option. Cette modalité d’apurement a d’ailleurs été reprise par le plan de sauvegarde adopté par un jugement du 1er mars 2017. Ce qui, évidemment, a déplu à la banque qui a formé tierce-opposition contre ce jugement en invoquant l’irrégularité de la lettre de consultation, au motif qu’elle n’était pas accompagnée d’un état de la situation passive et active de la société débitrice, comme l’exige l’article R. 627-6 du code de commerce. Pour rappel, la tierce-opposition est ouverte à toute personne qui y a intérêt, et qui n’a été ni partie ni représentée à l’instance (C. com., art. L. 661-2), dès lors, notamment, que ses droits sont menacés du fait de l’ouverture d’une procédure collective (Com. 8 mars 2011, n° 10-13.988, D. 2011. 919, obs. A. Lienhard , note P.-M....

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Auteur d'origine: Delpech

par Xavier Delpechle 4 décembre 2019

Com. 14 nov. 2019, F-P+B, n° 18-18.833

Une société a été mise en liquidation judiciaire le 25 janvier 2017. Le 23 février 2017, une personne a présenté une offre d’acquisition du droit au bail commercial dont la société était titulaire. Par une ordonnance du 20 mars 2017, le juge-commissaire a autorisé la cession de gré à gré de ce droit au bail à l’auteur de l’offre ou toute autre personne morale ou physique qu’il se substituerait et dont il resterait garant, moyennant le prix de 22 000 €. Prétendant que les conditions suspensives contenues dans son offre n’avaient pas été reprises par le juge-commissaire qui avait, au contraire, ajouté une...

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par Xavier Delpechle 3 décembre 2019

Com. 14 nov. 2019, F-P+B, n° 18-15.871

Une société civile immobilière (SCI) a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire respectivement les 6 juin et 18 juillet 2012. Le liquidateur a formé une demande d’autorisation de vendre aux enchères publiques l’immeuble appartenant à la SCI. En cours d’instance, la société Les Genêts a adressé au liquidateur une proposition d’achat. Par une ordonnance du 19 novembre 2014, le juge-commissaire a dit n’y avoir lieu d’ordonner la vente par voie de saisie...

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Différentes personnes concluent un contrat de transport aérien avec une compagnie aérienne ayant son siège au Royaume-Uni, pour des vols aller-retour de Rome à Corfou. Le vol aller est toutefois annulé puis reporté au lendemain, alors que le vol retour est retardé d’une durée de plus de deux heures.

Ces personnes saisissent le tribunal de Rome afin d’obtenir une indemnisation. D’une part, elles demandent une indemnisation sur le fondement des articles 5 (indemnisation en cas d’annulation du vol), 7 (montant de l’indemnisation) et 9 (droit à une prise en charge) du règlement du 11 février 2004 du règlement n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, règlement qui reconnaît des droits minimum aux passagers en cas de refus d’embarquement contre leur volonté, d’annulation de leur vol ou de retard. D’autre part, elles demandent une indemnisation complémentaire en application de l’article 19 (responsabilité du transporteur en cas de retard dans le transport aérien de passagers) de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999.

L’incompétence du tribunal de Rome est alors soulevée, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n ° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ainsi que de celles de la Convention de Montréal, dont l’article 33 énonce que l’action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’un des États parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination.

La Cour de justice de l’Union européenne est alors saisie de deux questions préjudicielles, relatives à la détermination de la juridiction compétente.

1° La première conduit, en substance, à apprécier si les demandes fondées d’une part sur le règlement du 11 février 2004 et d’autre part sur la Convention de Montréal peuvent relever de la compétence d’un juge unique désigné en application du règlement Bruxelles I bis.

Cette problématique n’est pas nouvelle. La Cour de justice a déjà jugé que, dans la mesure où les droits fondés respectivement sur les dispositions du règlement du 11 février 2004 et les stipulations de la Convention de Montréal relèvent de cadres réglementaires distincts, les règles de compétence internationale prévues par cette convention ne trouvent pas à s’appliquer aux demandes introduites sur le fondement du seul règlement du 11 février 2004, ces dernières devant être examinées au regard du règlement Bruxelles I, aujourd’hui remplacé par le règlement Bruxelles I bis (CJUE 10 mars 2016, Flight Refund, aff. C-94/14, pt 46, D. 2016. 662 ).

L’arrêt du 7 novembre 2019 (pts 37 à 40) prend évidemment appui sur cette approche et retient que s’agissant des prétentions fondées sur les articles 5, 7 et 9 du règlement du 11 février 2004, il est nécessaire de vérifier la compétence du juge saisi au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis, et en particulier de son article 7.

Il est vrai que l’on aurait pu penser se tourner vers l’article 17 de ce règlement qui prévoit des règles de compétence propres aux contrats conclus par des consommateurs. Toutefois, il faut rappeler que ces règles ne s’appliquent pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement (CJUE 11 avr. 2019, Ryanair, aff. C-464/18, pt 28, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 895 ; RTD com. 2019. 787, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

Une fois écarté le recours à cet article 17, il faut rappeler qu’il a déjà été jugé que la règle de compétence spéciale en matière de fourniture de services, prévue à l’article 7, point 1, b), désigne comme étant compétente pour connaître d’une demande d’indemnisation fondée sur un contrat de transport aérien de personnes, au choix du demandeur, la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le lieu de départ ou le lieu d’arrivée de l’avion (CJUE 9 juill. 2009, Rehder, aff. C-204/08, pts 43 et 47, D. 2009. 1904 ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2011. 1445, obs. H. Kenfack ; RTD com. 2009. 825, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard ; 11 juill. 2018, Zurich Insurance et Metso Minerals, aff. C-88/17, pt 18, Dalloz actualité, 13 sept. 2018, obs. F. Mélin ; D. 2018. 1501 ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2019. 1016, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2019. 253, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ).

Dès lors, en l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne retient que l’action visant à obtenir le respect des droits forfaitaires et uniformisés prévus par le règlement du 11 février 2004 doit être appréciée, en ce qui concerne la question de la compétence, au regard de l’article 7 du règlement Bruxelles I bis.

Tel n’est pas le cas, en revanche, de l’action fondée sur la Convention de Montréal, compte tenu des dispositions de son article 33.

2° La seconde question préjudicielle porte précisément sur cet article 33 de la Convention de Montréal et sur sa portée : cet article, cité plus haut, porte-t-il seulement sur la question de la compétence internationale des juridictions des Etats parties ou régit-il également la répartition de la compétence territoriale entre les juridictions de chacun de ces États ?

Il peut a priori paraître surprenant que la Cour de justice intervienne à ce sujet. Il faut toutefois rappeler que les stipulations de la Convention de Montréal font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, de sorte que la Cour est compétente pour les interpréter, dans le respect des règles du droit international qui s’imposent à l’Union (CJUE 6 mai 2010, Walz, aff. C-63/09, pt 20, D. 2010. 1762 , note J.-P. Tosi ; JT 2010, n° 121, p. 10, obs. X.D. ; RTD eur. 2011. 217, chron. L. Grard ).

Dans ce cadre, l’arrêt (pt 49) retient qu’il ressort du libellé même de l’article 33 de la Convention que celui-ci permet au demandeur de choisir d’assigner le transporteur aérien concerné, dans le territoire d’un des États parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination du vol concerné. Il en déduit (pt 51) que cet article 33 régit bien la répartition de la compétence territoriale entre les juridictions de chacun des États parties, outre la question de la compétence internationale, évidemment, entre les États parties.

Auteur d'origine: fmelin
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Espérée avant le 14 janvier 2019 (c’était la date limite pour transposer la directive européenne concernée), finalement soumise à une consultation restreinte entre février et mars puis promise par l’article 201-I de la loi PACTE du 22 mai 2019, l’ordonnance relative aux marques de produits ou de services a, enfin, été publiée au Journal officiel du 14 novembre 2019.

Datée du 13 novembre, elle inscrit dans notre droit les apports du « paquet marques » adopté par les instances européennes à la fin de l’année 2015 pour renforcer l’harmonisation et moderniser le système de la marque de l’Union européenne (v. J. Azéma, Paquet marques, RTD com. 2016. 287  ; Y. Basire et P. Darnand, L’avenir du droit des marques en Europe : réflexions sur les principaux apports du paquet marque, Légipresse 2016. 267, spéc. p. 268  ; N. Binctin, C. de Haas, M. Dhenne, J. Tassi et P. Tréfigny, La transposition du « paquet marques » : le « Printemps européen » du droit français des marques ?, D. 2019. 1000 ).

Attention, l’aventure n’est pas finie ! Elle sera complétée par un décret pris en Conseil d’État qui devrait être publié avant le 15 décembre 2019.

Plus précisément, l’ordonnance n° 2019-1169 transpose la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques et assure la compatibilité de la législation, en particulier le code de la propriété intellectuelle, avec le règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne. À côté des adaptations sémantiques (par exemple, le « propriétaire » devient le « titulaire ») et de cohérences rédactionnelles, l’ordonnance affecte toutes les composantes du système de la marque.

Modifications procédurales

Opposition

L’ordonnance modifie la procédure d’opposition devant l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Principalement, elle prévoit de nouvelles hypothèses permettant d’engager cette action (CPI, art. L. 712-4) et élargit la liste des personnes pouvant agir (art. L. 712-4-1). Elle introduit une phase d’instruction avant que le directeur de l’INPI ne statue au terme d’une procédure contradictoire. Par ailleurs, une opposition fondée sur une marque antérieure enregistrée depuis plus de cinq ans sera rejetée si l’opposant ne peut justifier d’un usage sérieux de ladite marque ou de justes motifs de non-usage (art. L. 712-5-1). Enfin, des actions spécifiques sont ouvertes aux titulaires d’une marque protégée dans un pays membre de l’Union de Paris et indûment enregistré en France par son agent ou son représentant (art. L. 712-6-1).

Déchéance et nullité

Le chapitre VI du titre Ier du livre VII, relatif au contentieux est totalement restructuré pour introduire la nouvelle procédure administrative en nullité (CPI, art. L. 716-2 s.) et en déchéance (art. L. 716-3 s.) de la marque. Imposée par la directive, cette procédure doit permettre « de déjudiciariser une partie du contentieux technique et d’apurer le registre national des marques » (rapport au président de la République). Les missions confiées à l’INPI sont modifiées en conséquence (art. L. 411-1, L. 411-4 et L. 411-5).

À compter du 1er avril 2020, l’INPI sera exclusivement compétent pour connaître des demandes :

fondées à titre principal sur un motif absolu de refus (art. L. 711-2),
 formées sur un motif relatif lié aux signes distinctifs et territoriaux (art. L. 711-3, 1° à 5°, 9° et 10°),
 fondées sur tous les motifs de déchéance.

Les tribunaux de grande instance (tribunaux judiciaires à partir du 1er janv. 2020) conservent leur compétence exclusive pour les demandes :

en nullité, lorsqu’elles sont fondées sur une atteinte à un droit d’auteur, un droit sur les dessins et modèles ou un droit de la personnalité (art. L. 711-3, 6° à 8°),
 en nullité et déchéance, lorsqu’elles sont connexes à toute autre demande relevant de leur compétence,
 en nullité et déchéance, quand des mesures probatoires ou provisoires ou conservatoires ont été ordonnées pour faire cesser une atteinte à un droit de marques et que ces mesures sont en cours d’exécution avant une action au fond (art. L. 716-5).

Le directeur de l’INPI statue au terme d’une procédure contradictoire comportant une phase d’instruction. Ses décisions ont les effets d’un jugement (CPI, art. L. 716-1). Corrélativement, la déclaration de nullité ou de déchéance interviendra par décision de justice ou par décision prononcée par le directeur général de l’INPI (art. L. 714-3 et L. 714-4).

Contrefaçon

Les dispositions relatives à l’action en contrefaçon relèvent désormais des articles L. 716-4 et suivants. Parmi les nouveautés, la liste des personnes autorisées à agir est élargie. L’action peut être intentée, sans l’autorisation du titulaire de la marque, par les licenciés non exclusifs et les personnes habilitées à faire usage d’une marque collective ou de garantie. Le contrat ou le règlement d’usage peut cependant prévoir le contraire (art. L. 716-4-2). Les fins de non-recevoir sont précisées (art. L. 716-4-3 à L. 716-4-5).

Modifications du droit matériel

Définition de la marque

Le chapitre Ier du livre II du code de la propriété intellectuelle relatif aux éléments constitutifs de la marque est réécrit. L’article L. 711-1 simplifie la définition de la marque qui est « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ». L’exigence d’une représentation graphique est abandonnée, le signe devant simplement « pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire » (CPI, art. L. 711-1, al. 2 ; v. dir. 2015/2436, consid. 13 et art. 3, b). Cet assouplissement permettra l’enregistrement de marques sonores, multimédias ou animées, par exemple.

Motifs de refus d’enregistrement ou d’annulation

Pour respecter l’organisation de la directive, l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle énonce les motifs absolus de refus d’une demande d’enregistrement ou de nullité de la marque et l’article L. 711-3 regroupe les motifs relatifs (dir. 2015/2436, art. 4 et 5). Ils reprennent et complètent les dispositions des anciens articles L. 711-2, L. 711-3 et L. 711-4.

Ainsi, l’article L. 711-2 sanctionne l’inaptitude d’un signe à constituer une marque (art. L. 711-2, 1°), précisent les modalités d’appréciation du caractère distinctif de la marque (art. L. 711-2, 2° à 4°) et énoncent les critères de licéité du signe déposé (art. L. 711-2, 5° à 11°). La plupart des motifs étaient déjà connus mais l’ordonnance ajoute l’utilisation d’un signe exclu en application d’une législation relative à la protection des appellations d’origine, des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties, d’une variété végétale antérieure ainsi que celui pour lequel le dépôt a été effectué de mauvaise foi (CPI, art. L. 711-2, al. 9° à 11°).

L’article L. 711-3 cite les droits antérieurs auxquels la marque ne doit pas porter atteinte pour être valable. Cette liste n’est pas limitative. Les principales nouveautés tiennent à la précision apportée à la notion de marque antérieure (CPI, art. L. 711-3, II) et à l’ajout de nouvelles antériorités (art. L. 711-3, I), notamment le nom de domaine (v. déjà, en ce sens, Paris, 18 oct. 2000, D. 2001. 1379 , note G. Loiseau ; Versailles, 15 sept. 2011, n° 09/07860, D. 2011. 2589, obs. C. Manara ; Légipresse 2011. 659 et les obs. ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 17 janv. 2014, n° 11/03304, Dalloz IP/IT 2016. 67 ; Aix-en-Provence, 4 juill. 2019, n° 2019/270, Dalloz jurisprudence) ; le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale ; le nom d’une entité publique, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public. Enfin, ces dispositions empêchent expressément l’enregistrement demandé par l’agent ou le représentant du titulaire d’une marque protégée dans un État membre de la convention de Paris, en son nom propre et sans l’autorisation du titulaire (art. L. 711-3, III). Auparavant, la nullité ou le transfert de cette marque s’obtenait sur le fondement de la fraude.

Date de dépôt

Les exigences minimales permettant de bénéficier d’une date de dépôt sont renforcées. La demande doit désormais « comporter notamment la représentation de la marque, l’énumération des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé, l’identification du demandeur et être accompagnée de la justification du paiement de la redevance de dépôt » (CPI, art. L. 712-2).

Observations

Autre nouveauté, toute personne pourra formuler des observations auprès du directeur de l’INPI, dans le délai de deux mois suivant la publication de la demande d’enregistrement, sans avoir à justifier d’un intérêt à agir. Des conditions spécifiques sont également prévues pour les observations concernant les marques de garanties ou collectives (CPI, art. L. 712-3).

Droits conférés par la marque

L’intitulé du chapitre III du livre VII, « Droits conférés par l’enregistrement » est modifié en « Droits conférés par la marque » pour inclure la marque renommée. La non-rétroactivité des droits conférés par la marque est entérinée (CPI, art. L. 713-1, al. 2).

Usage dans la vie des affaires et marque renommée

Formalisant une jurisprudence établie, l’ordonnance permet au titulaire d’interdire l’usage de sa marque dans la vie des affaires par un tiers non autorisé dans deux cas. D’une part, si le signe est identique à la marque et est utilisé pour des produits et services identiques à ceux couverts par celle-ci (double identité). D’autre part, lorsque le signe est identique ou similaire à cette marque et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés (hors double identité), s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public (CPI, art. L. 713-2). Les atteintes portées à une marque renommée sont expressément prohibées sous certaines conditions, qui, si elles sont réunies, entraînent une sanction au titre de la contrefaçon et non plus sur le fondement de la responsabilité civile (art. L. 713-3).

Marque notoire

Il est créé un régime de protection spécifique pour la marque notoirement connue, distinct de celui de la marque renommée. Cette création met la France en conformité avec ses engagements internationaux, notamment l’accord de Paris (art. 6 bis) et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, art. 16). L’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle envisage les cas dans lesquels l’usage dans la vie des affaires d’une marque notoire peut être sanctionné sur le fondement de la responsabilité civile.

Marchandises en transit et acte préparatoire à la contrefaçon

L’interdiction des marchandises en transit suspectées de contrefaçon est rétablie. Les autorités douanières pourront réaliser des retenues sans que le titulaire de la marque ait à prouver que ces produits sont destinés à un État où leur commercialisation est interdite (CPI, art. L. 713-3-2). En outre, il sera possible d’interdire des actes préparatoires à la contrefaçon, tels que l’usage de conditionnement, d’étiquettes, de marquages, de dispositifs de sécurité ou d’authentification ou de tout autre support sur lequel est apposée la marque (art. L. 713-3-3).

Dégénérescence

L’ordonnance permet au titulaire d’agir contre un usage générique de sa marque dans un dictionnaire, une encyclopédie ou un ouvrage de référence similaire. Pour éviter la dégénérescence de ses droits, il peut demander à l’éditeur sans délai et au plus tard lors de l’édition suivante pour un ouvrage imprimé, s’il s’agit d’une marque enregistrée (art. L. 713-3-4).

Limites aux droits conférés par la marque

L’article L. 713-6 est réécrit pour clarifier les hypothèses dans lesquelles le titulaire ne pourra pas s’opposer à l’usage de sa marque. Il ne pourra notamment pas empêcher, « dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce », l’usage par une personne physique de son nom de famille ou de son adresse. C’est aussi le cas pour l’usage local d’un nom commercial, d’une enseigne ou d’un nom de domaine s’il a commencé avant l’enregistrement de la marque qui doit pouvoir perdurer dans les limites du territoire où ils sont connus. La possibilité pour le titulaire de demander une limitation ou une interdiction des usages en cas d’atteinte à ses droits est supprimée, faute d’avoir été prévue par la directive.

Transmission

Il est expressément prévu que la transmission totale de l’entreprise, y compris en application d’une obligation contractuelle, emporte la transmission des droits attachés à la marque. Une convention pourra prévoir le contraire. La transmission sera également écartée si cela ressort clairement des circonstances du transfert (CPI, art. L. 714-1).

Marques de garanties et marques collectives

Le chapitre V du titre Ier du livre VII du code de la propriété intellectuelle relatif aux marques collectives est totalement réécrit pour envisager deux régimes juridiques distincts, l’un réservé aux marques de garanties, l’autre spécifique aux marques collectives (CPI, art. L. 715-1 à L. 715-10). La marque « collective de certification », connue jusqu’alors, devient la marque « de garanties » pour ne pas prêter à confusion avec la notion de certification au sens du droit français (art. L. 715-1 à L. 715-5 ; rapport au président de la République). La marque collective se voit doter d’un régime juridique, ce qui n’était pas le cas auparavant (art. L. 715-6 à L. 715-10). Ces règles sont construites par analogie avec celles prévues par la directive pour la marque de certification européenne (dir. 2015/2436, art. 27 à 36), à l’exception de l’exigence de distinctivité concernant les signes susceptibles de désigner, dans le commerce, la provenance géographique des produits ou des services qui n’a pas été retenue (rapport au président de la République). Elles prévoient notamment des motifs de rejet, de nullité et de déchéance spécifiques. Il est également précisé que, dans les deux cas, le dépôt est accompagné d’un règlement d’usage dont le contenu sera déterminé par décret.

Entrée en vigueur et mesures transitoires

Ces dispositions entreront en vigueur en même temps que celles du décret pris pour son application, et au plus tard le 15 décembre, à l’exception de celles relatives à la procédure administrative de nullité et de déchéance en vigueur le 1er avril 2020.

Ce nouveau droit n’est pas applicable :

aux demandes d’enregistrement déposées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance ;
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Pour la Cour de cassation, la déclaration de créance au passif du débiteur principal mis en procédure collective interrompt la prescription à l’égard de la caution et cette interruption se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective. Cela vaut aussi bien lorsque la clôture d’une procédure de redressement judiciaire débouche sur l’adoption d’un plan de cession totale de l’entreprise (n° 18-16.515 ; relevons que la cession de l’entreprise, avant la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 intervenait en principe dans le cadre du redressement et non pas de la liquidation judiciaire) ou lorsque la clôture de la liquidation judiciaire avec cessation d’activité (n° 17-25.656). La créance n’est pas imprescriptible, car la clôture de la procédure collective va intervenir un jour ou l’autre (même si c’est à une échéance éloignée, précisément le temps d’avoir totalement désintéressé les créanciers). En d’autres termes, la reprise du délai de prescription de l’action contre la caution intervient au bout d’un terme incertain. Et la Cour de cassation de considérer que la prolongation de l’engagement de la caution qui en résulte ne porte pas une « atteinte disproportionnée à l’intérêt particulier de la caution ». Si l’on veut, la préservation des intérêts des créanciers justifie que l’engagement de la caution s’en trouve prolongé. Tel est, en substance, la position de la Cour de cassation, qui, usant une fois de plus du critère de proportionnalité (V. pour une application récente en matière de droit de propriété, Com. 3 avr. 2019, FS-P+B+R, n° 18-11.247, D. 2019. 758 ;...

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La règle est connue. Déjà posée par chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 17 oct. 2000, n° 98-13.106, APC 2000, n° 252 ; LPA 30 mai 2001, p. 27, note D. Gibirila ; 28 avr. 2009, n° 08-10.145, APC 2009, n° 162, obs. J. Vallansan), elle vient d’être réitérée dans les mêmes termes par la même formation : « seuls des faits antérieurs au jugement d’ouverture de la procédure collective peuvent justifier le prononcé de la faillite personnelle ». Mais comme elle insérée dans un chapeau qui suit le visa de l’arrêt – les articles L. 653-4, 5° et R. 621-4 du code de commerce – elle n’en a que...

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La société Eugenia gestion a été mise en redressement judiciaire le 5 avril 2016 ; que son projet de plan de redressement a été rejeté par le tribunal, lequel, dans la même décision, a arrêté un plan de cession au profit de la société Clinéo. La société Eugenia gestion a formé appel de cette décision, mais son appel a été jugé irrecevable. Elle forme alors un pourvoi. La Cour de cassation se prononce tout d’abord sur la recevabilité de ce pourvoi. Sans surprise, la réponse est positive : « l’article L. 661-1, 6°, du code de commerce ouvre au débiteur tant l’appel que...

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Nouvel arrêt de la Cour de cassation sur le dispositif de l’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée) ! Celui-ci a connu plusieurs réformes législatives, en dernier lieu par l’article 7 de la loi PACTE du 22 mai 2019, en vue de favoriser son attractivité. Il s’agit là, à notre connaissance du troisième arrêt rendu par la Cour de cassation à propos de l’EIRL. Le premier a écarté la possibilité de constituer un patrimoine professionnel d’affectation « à zéro », la haute juridiction ayant estimé que cette situation pouvait être considérée comme un manquement grave aux règles de l’EIRL susceptible d’entraîner la sanction de confusion des patrimoines professionnel et domestique (Com. 7 févr. 2018, n° 16-24.481 P, Dalloz actualité, 9 févr. 2018, obs. A. Lienhard ; D. 2018. 594, obs. A. Lienhard , note S. Tisseyre ; ibid. 1829, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; Rev. sociétés 2018. 311, note G. Grundeler ), avant que cette solution ne soit remise en cause par la loi PACTE. Quant au deuxième arrêt, il a affirmé que l’entrepreneur individuel en EIRL qui dépose le bilan doit mentionner dans sa déclaration de cessation des paiements qu’il est soumis à ce dispositif, sous peine, pour ses créanciers domestiques, de pouvoir déclarer au passif de la procédure collective leur créance (Com. 6 mars 2019, n° 17-26.605 P, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 797 , note V. Legrand ; Rev. sociétés 2019. 421, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2019....

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Afin d’éviter une rupture de garantie – le « vide assurantiel » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, nos 368 et 369) –, l’article L. 121-10 du code des assurances organise un transfert automatique du contrat d’assurance, par suite d’une transmission de la propriété d’un bien assuré.

Le texte pose régulièrement de sérieuses difficultés (dernièrement, v. A. Pimbert, Aliénation du bien assuré : qui a droit à l’indemnité d’assurance ?, RGDA mai 2019, n° 116n0, p. 10). De longue date, il est plus ou moins critiqué. Il serait « inutile la plupart du temps et nuisible pour le reste, puisque sa disposition n’a jamais été justifiée en théorie et ne se justifie plus en pratique » (P. Vaillier, Faut-il abroger l’article L. 121-10 du code des assurances ?, RCA 2000, n° 11, chron. 26). De même, « sous réserve des règles particulières aux véhicules à moteur, le code des assurances est venu imposer un mécanisme à double détente, à savoir une transmission automatique et impérative du contrat d’assurance, assortie d’une faculté de résiliation réciproque. Mais le régime applicable à cette cession conduit à douter de la cohérence, voire de l’utilité du dispositif » (A. Pimbert, Clair-obscur sur le transfert du contrat d’assurance en cas d’aliénation de la chose assurée, RGDA déc. 2016, n° 114a8, p. 588). Par ailleurs, il est relevé que « la loi belge de 1992, comme toujours, est plus équilibrée et répond à la pratique » en prenant « un parti diamétralement opposé à notre code qui prétend que “l’assurance continue de plein droit” » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, op. cit., nos 368 et 369).

Une affaire récente témoigne à nouveau de ces difficultés. Une société exploitait une résidence hôtelière. Pour celle-ci, elle avait souscrit, auprès d’un assureur, une police d’assurance « multirisque hôtel-restaurant 100 % pro ». La société exploitante a été placée en redressement judiciaire par jugement du 22 janvier 2010. Un arrêt du 13 juillet 2011 a ordonné la cession du fonds de commerce de la société débitrice (la cédante) au profit d’une autre société (la cessionnaire). Dans la nuit du 2 au 3 septembre 2011, un incendie s’est déclaré dans la résidence hôtelière. Le feu a provoqué des dégâts matériels. Ces dommages ont justifié la fermeture totale de l’établissement du 3 septembre au 17 octobre 2011 et sa fermeture partielle jusqu’en juin 2012. Un acte de « cession d’entreprise » a été signé par l’administrateur judiciaire de la société cédante et la société cessionnaire le 5 octobre 2011 avec effet au 1er octobre 2011. L’assureur a refusé de prendre en charge les pertes d’exploitation de la société cessionnaire. Celle-ci l’a assignée alors en indemnisation.

Par arrêt du 1er mars 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a constaté que la société cessionnaire a la qualité d’assurée. À ce titre, elle a condamné l’assureur à indemniser la société cessionnaire de sa perte d’exploitation à hauteur de 413 493 € avec intérêts de droit à compter du 1er juillet 2012 (Aix-en-Provence, 8e ch. A, 1er mars 2018).

L’entreprise d’assurances a formé un pourvoi formé, contre l’arrêt rendu le 1er mars 2018 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans le litige l’opposant à la société cessionnaire, défenderesse à la cassation.

Par un arrêt du 24 octobre 2019, la deuxième chambre civile rejette le pourvoi formé par l’assureur en précisant des solutions dégagées sous l’article L. 121-10 du code des assurances.

Au préalable, rappelons que ce texte, tel qu’en vigueur (modifié par ordonnance n° 2017-1433 du 4 octobre 2017 - art. 5), dispose qu’« En cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit de l’héritier ou de l’acquéreur, à charge par celui-ci d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat.
Il est loisible, toutefois, soit à l’assureur, soit à l’héritier ou à l’acquéreur de résilier le contrat. L’assureur peut résilier le contrat dans un délai de trois mois à partir du jour où l’attributaire définitif des objets assurés a demandé le transfert de la police à son nom.
En cas d’aliénation de la chose assurée, celui qui aliène reste tenu vis-à-vis de l’assureur au paiement des primes échues, mais il est libéré, même comme garant des primes à échoir, à partir du moment où il a informé l’assureur de l’aliénation par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique.
Lorsqu’il y a plusieurs héritiers ou plusieurs acquéreurs, si l’assurance continue, ils sont tenus solidairement du paiement des primes.
Il ne peut être prévu le paiement d’une indemnité à l’assureur dans les cas de résiliation susmentionnés.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur ».

L’article L. 121-10, alinéa 3, a été modifié par la loi n° 2019-733 du 14 juillet 2019 (art. 1). Il prévoit désormais qu’« en cas d’aliénation de la chose assurée, celui qui aliène reste tenu vis-à-vis de l’assureur au paiement des primes échues, mais il est libéré, même comme garant des primes à échoir, à partir du moment où il a informé l’assureur de l’aliénation par lettre, tout autre support durable ou moyen prévu à l’article L. 113-14 ». Conformément à l’article 6 de la loi du 14 juillet 2019, ces dernières dispositions entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er décembre 2020.

L’article L. 113-14 auquel il est, in fine, renvoyé, également modifié par l’ordonnance du 4 octobre 2017, précise que, « dans tous les cas où l’assuré a la faculté de demander la résiliation, il peut le faire à son choix, soit par une déclaration faite contre récépissé au siège social ou chez le représentant de l’assureur dans la localité, soit par acte extrajudiciaire, soit par lettre recommandée ou par envoi recommandé électronique, soit par tout autre moyen indiqué dans la police » (sur la dématérialisation de la relation contractuelle d’assurance, v. R. Bigot, « L’assurance, le droit et le digital : un mauvais remake du “bon, la brute et le truand” ? », in Le digital et l’assurance, XXIIe séminaire de l’Association internationale des établissements francophones de formation de l’assurance (AIEFFA) du 6 novembre 2017, L. Mayaux (dir.), Maison de l’assurance et de l’actuariat/Université Claude Bernard (Lyon I), RGDA, janv. 2018, n° 115h0, p. 8 s.).

Tout d’abord, dans sa décision du 24 octobre 2019, sur la première branche du moyen unique, non fondée, la haute juridiction rappelle préalablement mais in extenso le principe énoncé à l’article L. 121-10, alinéa 1er, du code des assurances. Puis elle précise que « cette disposition impérative, qui ne distingue pas selon que le transfert de propriété, porte sur un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel ni selon le mode d’aliénation de la chose assurée, s’applique en cas de cession d’un fonds de commerce ordonnée lors d’une procédure de redressement judiciaire ». Elle en déduit qu’« ayant constaté qu’un acte de “cession d’entreprise” avait été signé le 5 octobre 2011, la cour d’appel en a exactement déduit que l’article L. 121-10 du code des assurances avait vocation à s’appliquer et que la transmission du contrat d’assurance accessoire à cette cession d’actif s’était effectuée de plein droit ».

Impératives et d’ordre public, ces dispositions générales de l’article L. 121-10 du code des assurances ayant trait à l’aliénation de la chose assurée sont issues de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1930. Elles ont été très tôt interprétées de manière large (Civ. 27 juill. 1948, D. 1948. 565, note P. L.-P.) comme ne restreignant pas la transmission de la police aux cas d’assurances de choses (Civ. 1re, 18 oct. 1955, D. 1956. 40 ; RGAT 1956. 131).

La deuxième chambre civile a déjà eu à juger, dans un arrêt du 13 juillet 2005, que l’article L. 121-10 du code des assurances « ne distingue pas selon le mode d’aliénation de la chose assurée et que la transmission du contrat d’assurance accessoirement à la cession d’un actif s’effectuant de plein droit, les dispositions de l’article L. 621-88 du code de commerce étaient sans application » (Civ. 2e, 13 juill. 2005, n° 03-12.533, Bull. civ. II, n° 195 ; D. 2005. 2336 ). En l’espèce, il en résultait que, lorsqu’une société ayant souscrit un contrat d’assurance « multirisques industriels » a été mise en redressement judiciaire, puis cédée, dans le cadre d’un plan de cession arrêté par un tribunal de commerce, les dispositions de l’article L. 621-88 du code de commerce (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005), qui prévoient que le tribunal détermine les contrats de crédit-bail, de location ou de fournitures de biens ou services nécessaires au maintien de l’activité et que le jugement qui arrête le plan emporte cession de ces contrats, sont sans application, de sorte que le cessionnaire est tenu, à l’égard de l’assureur, du règlement des primes dues pour la période postérieure au jugement ayant arrêté le plan de cession.

Si plusieurs conditions d’application de l’article L. 121-10 sont exigées – l’existence du bien assuré et du contrat d’assurance, l’existence juridique du cédant, la transmission du contrat d’assurance et l’aliénation du bien assuré – une grande souplesse est laissée quant aux modalités de transfert de propriété, qui peuvent prendre la forme d’un échange, d’une vente, d’une donation, d’une donation-partage, d’une expropriation, d’un apport en société ou comme dans notre espèce, d’une cession judiciaire (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, 35e éd., L’Argus de l’assurance éd., 2019, sous art. L. 121-10, p. 207).

Avec l’affaire commentée, les contours du principe sont plus précisément établis : peu importe tant le mode d’aliénation de la chose assurée que la nature du bien sur lequel porte le transfert de propriété (qui peut être tantôt mobilier ou immobilier, tantôt corporel ou incorporel).

Ensuite, sur la deuxième branche de l’unique moyen, inopérante, la Cour de cassation apporte une autre précision, à savoir que, « si l’article L. 121-10 du code des assurances met à la charge de l’acquéreur de la chose assurée toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat d’assurance, et notamment celle d’acquitter les primes à échoir à compter de l’aliénation, l’exécution de ces obligations n’est pas une condition de la continuation de plein droit de l’assurance au profit de l’acquéreur mais un effet de la transmission active et passive du contrat ».

La jurisprudence avait déjà admis que « le transfert de la chose assurée opère, en vertu de l’article L. 121-10 du code des assurances, la transmission active et passive, à l’acquéreur, du contrat d’assurance » (Civ. 1re, 28 juin 1988, n° 86-11.005, Bull. civ. I, n° 205 ; D. 1989. 242, obs. H. Groutel ; RGAT 1988. 770, note J. Bigot). Par conséquent, les acquéreurs d’un appartement ne sont pas bénéficiaires de la garantie et créanciers de l’indemnité d’assurance versée à la suite d’un incendie survenu antérieurement à la date prévue pour le transfert de propriété (Civ. 1re, 20 nov. 1990, n° 89-12.534, Bull. civ. I, n° 251).

Un auteur a souligné que « ce transfert automatique, qui fait abstraction de la personnalité de l’assuré, repose sur l’idée que le contrat d’assurance relatif à un bien est conclu en considération de ce bien et non pas de l’assuré. L’exposé des motifs de la loi du 13 juillet 1930 est d’ailleurs très net sur ce point : « Ce qui est essentiellement envisagé, c’est la chose assurée elle-même, sa nature, l’étendue des risques qu’elle court en raison de l’emploi qui en est fait » (exposé des motifs sous l’article 19 de la loi du 13 juillet 1930). Ainsi, l’assurance est conçue comme l’accessoire de la chose assurée et par conséquent la transmission de la propriété emporte celle du contrat d’assurance. Un tel système part donc du postulat, pour le moins discutable, que l’aliénation ne change pas le risque assuré […]. C’est bien le risque qu’entraîne la chose, par sa nature et son utilisation, qui est au cœur du contrat d’assurance. Et dans la mesure où le nouvel acquéreur supporte désormais les risques de la chose, il peut sembler logique qu’il dispose de l’assurance prenant ces risques. C’est lui qui dorénavant dispose de l’intérêt d’assurance » (A. Pimbert, art. préc., RGDA déc. 2016, n° 114a8, p. 588).

Il est à présent confirmé que la transmission est réellement de plein droit tout en étant précisé plus clairement que l’exécution des obligations de l’acquéreur ou cessionnaire-assuré n’est pas une condition de la continuation de plein droit de l’assurance à son profit mais un effet de la transmission active et passive du contrat. Pour le paiement de la prime, on retombe donc sur les sanctions classiques en cas de défaut, avec les deux procédures ouvertes à l’assureur, amiable ou judiciaire, à l’encontre du cessionnaire-assuré (v. A. Pimbert, L’essentiel du droit des assurances, 4e éd., Gualino, coll. « Les Carrés », 2019, p. 116 s.).

Enfin, sur les troisième et quatrième branches de ce même moyen unique, la deuxième chambre civile conclut que la cour d’appel « n’avait pas à répondre à des conclusions inopérantes relatives à l’absence de mention dans l’acte de cession d’entreprise de l’indemnisation des pertes d’exploitation postérieures à la cession » et a légalement justifié sa décision en ayant retenu que la cessionnaire avait la qualité d’assurée, qu’il y avait continuité des effets du contrat d’assurance entre la cédante et la cessionnaire, que « la section III 1-A du contrat d’assurance “multirisque hôtel-restaurant 100 % pro” prévoyait sans ambiguïté la prise en charge des pertes d’exploitation susceptibles d’être subies par l’assurée, qu’il était prévu que la période d’indemnisation s’achève au jour de la reprise normale d’activité dans les conditions les plus diligentes à dire d’expert sans pouvoir excéder deux ans et enfin que la perte d’exploitation de la cessionnaire en lien direct avec le sinistre couvrait la période comprise entre le 1er octobre 2011 et le 30 juin 2012 » (ibid.).

S’agissant des effets de la transmission légale, tel que cela a pu être relevé par la doctrine, « dès lors que les conditions sont réunies, la transmission du contrat s’effectue de plein droit, sans aucune formalité » (L. Perdrix, comm. sous art. L. 121-10, Code des assurances. Code de la mutualité, 25e éd., Dalloz, 2019, p. 235).

La doctrine explique que « le transfert du contrat d’assurance confère la qualité d’assuré à l’acquéreur. Même si l’article L. 121-10 du code des assurances ne le dit pas expressément, il ressort de l’évidence que l’assureur doit sa garantie à l’acquéreur, à partir du moment où ce dernier devient propriétaire » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 121-10, p. 268).

Il a même été décidé que l’acquéreur, ou, comme en l’espèce, le cessionnaire, en plus de bénéficier de la garantie, a la possibilité d’exercer les actions en responsabilité dérivant du contrat d’assurance, notamment à l’encontre de l’assureur ayant manqué à son devoir de conseil à l’égard du précédent assuré, cédant ou vendeur du bien, avant la souscription initiale de la police d’assurance (Civ. 1re, 9 mai 2001, n° 98-20.107, Bull. civ. I, n° 118 ; AJDI 2001. 599 ; RDI 2001. 487, obs. G. Durry ; RTD civ. 2001. 875, obs. J. Mestre et B. Fages ; RGDA 2001. 1051, note D. Langé).

En définitive, « tout est donc fonction de ce transfert principal qui induit le transfert accessoire avec toutes les conséquences mécaniques qui s’ensuivent. Toute remise en cause du transfert de propriété réduit à néant celui de l’assurance » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, op. cit., 3e éd., LGDJ, Lextenso éd., 2018, n° 369, p. 362).

Auteur d'origine: Dargent
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Dans l’affaire jugée, qui a déjà donné lieu à un arrêt de cassation (Com. 12 juill. 2017, n° 16-12.544, D. 2017. 1469 ; Rev. sociétés 2017. 523, obs. L. C. Henry ), les 14 avril 2015 et 23 février 2016, la société ADT, exploitant un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire. Par un jugement du 14 décembre 2015, le tribunal a arrêté le plan de cession de la société ADT au profit de la société X. La société ADT a relevé appel de ce jugement, mais son appel a été déclarée irrecevable. Ce qu’elle conteste dans son pourvoi, dans lequel elle affirme que le débiteur est recevable à interjeter appel du jugement qui arrête le plan de cession. Elle considère qu’en énonçant, pour dire irrecevable l’appel formé par la société ADT, qu’elle devait justifier d’un intérêt à agir, la cour d’appel aurait commis un excès de pouvoir « négatif ». Pour rappel, l’appel ou le pourvoi en cassation nullité est ouvert à toute personne qui n’a pas qualité à exercer un recours en réformation, dès lors qu’elle peut se prévaloir d’un excès de pouvoir qui lui fait grief. S’agissant de l’excès de pouvoir « négatif », cette circonstance se produit « lorsque le juge refuse de se reconnaître un pouvoir que la loi lui confère » (Civ. 14 mai 1900, DP 1900. 1. 356), ici celui d’accueillir l’appel du débiteur. En d’autres termes,...

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Auteur d'origine: Delpech
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Le 1er avril 1996, la société Seven Towns a déposé la marque communautaire tridimensionnelle n° 162784 correspondant au célèbre Rubik’s Cube dont la finalité est de « reconstituer un puzzle de couleur en trois dimensions et en forme de cube en assemblant six faces de différentes couleurs » (pt 25). Le 15 novembre 2006, la société Simba Toys GmbH & Co. KG en a demandé la nullité et sa demande a été rejetée par la division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) le 14 octobre 2008. La société demanderesse a saisi la chambre des recours de l’EUIPO, qui a confirmé la décision de la division d’annulation le 1er septembre 2009. La demanderesse a ensuite formé un recours contre l’EUIPO, mais elle a été déboutée par un arrêt du 25 novembre 2014 du Tribunal de l’Union européenne (Trib. UE, 25 nov. 2014, aff. T-450/09). La société Simba Toys GmbH & Co. KG a donc formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne, qui a infirmé et annulé l’arrêt du Tribunal (CJUE 10 nov. 2016, aff. C-30/15 P, Simba Toys, D. 2017. 318, obs. J.-P. Clavier, N. Martial-Braz et C. Zolynski ). Suite à cela, la chambre des recours de l’EUIPO a annulé la décision de la division d’annulation et déclaré la nullité de la marque par une décision du 19 juin 2017. La société Seven Towns a, à son tour, fait un recours devant le Tribunal de l’Union européenne (Trib. UE, 24 oct. 2019, aff. T-601/17, Rubik’s Brand Ltd. c/ EUIPO).

C’est dans ce contexte qui dure depuis une décennie que les juges de l’Union européenne vont décortiquer l’article 7, 1), e), ii) du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, devenu l’article 3, 1), e), ii) de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, qui dispose qu’une marque tridimensionnelle ne peut être enregistrée si le signe est constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (CJUE 14 sept. 2010, aff. C-48/09 P, Lego Juris c/ OHMI, pt 38, Dalloz actualité, 4 oct. 2010, obs. J. Daleau).

La forme du cube dictée par sa fonction technique

Dans son recours devant le Tribunal de l’Union européenne, le titulaire de la marque tridimensionnelle conteste l’une des trois caractéristiques essentielles retenue par la chambre des recours, à savoir la différence de couleurs sur les six faces du cube. À l’instar des parties (pt 69), le Tribunal reconnaît également qu’il ne s’agit pas d’une caractéristique essentielle du produit. En effet, la représentation graphique étant en noir et blanc, seules des hachures sur deux faces du cube étaient visibles. Par conséquent, les juges de l’Union européenne en ont déduit que l’observateur raisonnablement avisé (CJUE 16 juill. 1998, aff. C-210/96, Gut Springenheide et Tusky c/ Oberkreisdirektor des Kreises Steinfur, pt 31, D. 1998. 199 ; RTD com. 1998. 995, obs. M. Luby ) ne percevra pas la nécessité d’avoir recours à une couleur différente pour chacune des six faces du cube. Pour autant, en l’absence d’argumentation du déposant justifiant d’un impact sur la décision de la chambre des recours, cette décision ne saurait être annulée.

Le titulaire de la marque tridimensionnelle soutient également que les deux caractéristiques essentielles ne sont pas nécessaires pour obtenir le résultat technique du produit. En effet, pour la forme, il invoque que celle-ci peut être obtenue par tout corps géométrique régulier tel qu’une pyramide ou qu’une sphère (pt 74) et, pour la grille, il soutient que celle-ci ne doit pas nécessairement être une grille 3X3X3 (pt 75). Le Tribunal de l’Union européenne rejette l’ensemble de ces arguments en expliquant que le terme « nécessaire », présent dans l’article 7 du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993, ne signifie pas que la forme en cause doit être la seule permettant d’obtenir ce résultat, mais qu’il peut également y avoir des formes alternatives qui permettent d’obtenir le même résultat technique (pt 46). Ainsi, même si la forme n’est pas un cube, les lignes noires sont indispensables car elles marquent la séparation physique entre les cubes d’une face et permettent de démontrer le système technique de rotation du puzzle en trois dimensions. Quant à la forme, les juges soutiennent qu’elle est obligatoirement en forme de cube dès lors que la grille 3X3X3 est nécessaire à la rotation des neuf petits cubes d’une face. Par ce raisonnement, ces derniers démontrent que les deux caractéristiques essentielles sont des caractéristiques techniques justifiant de la forme du produit.

L’appréciation de la fonction technique in concreto

Dans cette affaire, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 10 nov. 2016, aff. C-30/15P, préc.), puis à son tour le Tribunal de l’Union européenne, vont prendre le parti d’appréhender la forme du signe de manière concrète. Ainsi, les juges de l’Union ne se contentent pas de la représentation graphique fournie par le titulaire de la marque contestée lors de son dépôt, mais acceptent de prendre en considération des enquêtes, des expertises, ou encore la documentation donnée lors de dépôts de brevets antérieurs (pt 52). C’est en acceptant d’apprécier la fonction technique in concreto du cube que les juges peuvent percevoir la fonctionnalité rotative du puzzle. Cette appréciation constitue un élément clef qui va permettre de déclarer la nullité de la marque tridimensionnelle. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer qu’une telle appréciation a été refusée concernant les couleurs du Rubik’s Cube étant donné que le Tribunal de l’Union européenne s’est limité à la représentation graphique telle que déposée par la société Seven Towns.

En outre, il est important de noter la particularité présente dans l’affaire Rubik’s Cube qui tient en l’absence de description de la marque tridimensionnelle. Ainsi, ni la fonction de rotation ni le fonctionnement du produit n’ont été détaillés par le déposant. Nous pouvons donc nous demander si cette appréciation in concreto a été prévue par les juges pour pallier à l’absence de description de la marque tridimensionnelle. En effet, une telle solution semble avoir été retenue puisque le Tribunal n’hésite pas à inscrire l’utilité du droit des marques dans le système de concurrence de l’Union européenne (pt 40). Par ce biais, les juges s’assurent qu’un dépôt d’une marque tridimensionnelle n’a pas pour effet de créer un monopole en prolongeant indéfiniment un brevet arrivé à son échéance, comme c’est le cas pour le brevet hongrois du Rubik’s Cube tombé dans le domaine public (Rubik’s cube : un casse-tête pour le droit des marques de l’Union européenne, Lexplicite, 15 févr. 2017).

Auteur d'origine: nmaximin