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La responsabilité pénale des décideurs

Dans notre régime parlementaire, la Constitution ayant prévu que l’Assemblée nationale puisse avoir le dernier mot, le Sénat a une carte majeure pour imposer ses vues : le temps. Rejeter un accord avec le Sénat, c’est rallonger la navette parlementaire. Le calendrier très serré de ce projet de loi, qui doit entrer en application jeudi 11 mai, lui permet de pousser ses combats, à condition de les choisir.

Deux articles additionnels ont été adoptés en commission. Le premier prévoit que les dispositions de l’ordonnance qui prolonge automatiquement les détentions provisoires prendront fin le 24 mai, sans attendre la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Le second, plus polémique, porte sur la responsabilité pénale des élus. Pressés par des maires inquiets de se voir reprocher l’ouverture des écoles, des sénateurs de tout bord ont demandé une modification de la loi. Mais le sujet est sensible. Au Sénat, hier, le premier ministre est resté prudent : « Nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage, mais ils ne veulent pas que les décideurs publics ou privés s’exonèrent de leurs responsabilités. Préciser la loi et rappeler la jurisprudence oui. Atténuer la responsabilité je suis nettement plus réservé. »

L’amendement adopté en commission vise avant tout à rappeler la loi Fauchon, codifiée à l’article 121-3 du code pénal, mais sa rédaction est peu claire. Le débat va se poursuivre cette semaine, mais le Sénat tient à son article.

Plusieurs garanties au texte du gouvernement

Sur le reste du projet de loi (v. Dalloz actualité, 2 mai 2020, art. P. Januel), le Sénat a introduit plusieurs garanties. Il propose d’abord de limiter la prorogation de l’état d’urgence au 10 juillet (et non le 23, comme le souhaitait le gouvernement). La commission a réécrit l’article sur les quarantaines, limitées aux arrivées sur le territoire national, en outre-mer et en Corse. Les sénateurs ne souhaitent pas de quarantaine pour les déplacements entre la France continentale et la Corse. Par ailleurs, alors que le gouvernement prévoyait un recours au juge des libertés et de la détention qu’en cas d’isolement total, le Sénat propose de lui confier l’ensemble des recours contre les quarantaines, au détriment du juge administratif. Les garanties prévues sur les quarantaines « état d’urgence sanitaire » sont transposés aux autres régimes de quarantaine prévus par le code de la santé publique, comme le suggérait l’avis du Conseil d’État. Enfin, les entreprises de transport devront communiquer aux préfets l’ensemble de leurs données de réservation.

La commission a également restreint la liste des agents habilités à constater des infractions de l’état d’urgence sanitaire : « au regard des difficultés constatées, il n’apparaît pas souhaitable d’élargir les prérogatives de constat d’infractions à de nouvelles catégories d’agents ».

La commission a adopté de très nombreux amendements à l’article 6 qui crée des fichiers consacrés au suivi sanitaire des personnes infectées. Le Sénat veut garantir l’information des personnes concernées et exclut que l’article puisse servir de base légale à l’application StopCovid. Un comité de liaison sociétale suivra ce fichier.

À près de sept mille kilomètres de la capitale, en Guadeloupe, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a récemment pris ses quartiers dans un nouveau bâtiment en plein centre-ville, dont il commence déjà à pousser les murs. Encore plus récemment, il a accueilli, outre un nouveau procureur, une nouvelle présidente : Hélène Judes, venue de Reims (Marne). Elle a posé ses valises sur l’île au début de la grève des avocats : « Je n’ai tout simplement jamais vu la juridiction fonctionner normalement ». Dans les parages, les plans de continuité d’activité (PCA) ne sont jamais rangés bien loin, puisqu’ils servent régulièrement lors des événements climatiques, comme les ouragans : « Mais on s’est vite rendu compte qu’ils n’étaient pas du tout adaptés à une crise qui dure ». Alors, comme partout, il a fallu improviser. Au moins, « comme les Guadeloupéens ont une confiance toute relative dans le système de santé local, ils ont respecté strictement le confinement ».

Comme ce dernier est complété par un couvre-feu (de 20 heures à 6 heures), les règlements de compte au couteau ou à l’arme à feu se font plus rares. « On a quand même eu une association de malfaiteurs, trois personnes cagoulées avec un revolver dans une voiture. Sauf erreur, on n’a jamais eu de poursuites pour le seul non-confinement, c’était toujours en lien avec une autre infraction grave, comme une conduite en état alcoolique ou un refus d’obtempérer ». Outre une petite maison d’arrêt, située dans le ressort voisin de Basse-Terre, on notera que la Guadeloupe compte un centre pénitentiaire (Baie-Mahault), dont le taux d’occupation, au quartier maison d’arrêt (qMA), vient juste de passer sous les 200 %. Un événement : « Il y a seulement quelques semaines, on était tout de même à 240 %. On aurait pu penser que la situation exploserait, mais ça n’a pas été le cas. Je suis même impressionnée ».

Changement d’hémisphère, direction l’archipel des Comores, entre le Mozambique et Madagascar. Un petit bout de France : Mayotte. Et un tribunal judiciaire : Mamoudzou, présidé par un transfuge de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Laurent Ben Kemoun. Dans le ressort, les bidonvilles sont préoccupants sur le plan sanitaire (80 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté, un tiers n’a pas l’eau potable), mais le coronavirus est longtemps resté une menace plus abstraite qu’ailleurs. Et la raison est démographique : « Nous avons une population jeune, dont une bonne moitié a moins de 15 ans et n’est pas censée mourir du covid ». Mais la situation pourrait basculer : les cas se multiplient et Mayotte est désormais le seul département d’outre-mer (DOM) classé « rouge ». Et puis, un malheur n’arrivant jamais seul, il faut aussi composer avec la dengue.

Comme d’autres, Laurent Ben Kemoun n’a pas été emballé par la liste des contentieux dits « essentiels » de la Chancellerie : « Elle est tout de même assez étrange. Mais je me suis montré “légitimant”, car je pense que c’est ce qu’on attend d’un chef de juridiction ». Comme d’autres également, il est un peu remonté contre le barreau : « On a été vraiment fairplay avec les avocats pendant leur grève, on ne l’a jamais entravée, mais elle a fichu le tribunal par terre. On n’a absolument aucune raison d’avoir du stock à Mayotte, pas parce qu’on est des aigles, mais parce que le contentieux n’est pas important, quantitativement parlant ». Et de citer l’exemple de l’audience correctionnelle hebdomadaire, qui se tient toujours en plus des comparutions immédiates : « Les affaires étaient enrôlées, alors on a maintenu, mais c’est vraiment le bazar. On y passe des heures, on remue beaucoup de papier, et puis on renvoie, faute d’avocat ».

Au civil, à l’exception de trois ordonnances de protection, il n’y a eu aucune urgence à Mamoudzou : « Et dans aucun domaine, que ce soit le commercial, le social, les tutelles. Même pas de référé à heure indiquée [anciennement d’heure à heure, ndlr]. Tout simplement parce que, quand il n’y a plus d’avocats comme porte d’entrée du tribunal, il ne se passe plus rien. Pour des justiciables de milieux très défavorisés, qui souvent ne parlent pas français, vous imaginez comme il est facile, l’accès à la justice ! » Du côté de Pointe-à-Pitre, certains contentieux sont largement plus judiciarisés qu’en métropole, alors les dossiers s’entassent. La réparation du préjudice corporel des nombreux (et souvent gravissimes) accidents de la circulation ne transite que rarement par les assureurs. Et puis il y a les problématiques de successions ou d’occupations de terres, qui découlent de la relative absence d’actes de propriété et de cadastre. Mais on ne va pas reprendre toute l’histoire depuis les cinquante pieds géométriques. Toujours est-il qu’Hélène Judes explique : « On a essayé de mettre en place des procédures dématérialisées, pour les dossiers avec représentation obligatoire, et plus largement tous ceux où il y avait deux avocats. Mais c’est sur la base du volontariat, des avocats, du greffe, des magistrats, et on n’a pas tout le monde, il faut être clair. Au mieux, on arrive à traiter 30 % des rôles ».

En attendant, outre les ressources humaines, tous deux tentent de faire tant bien que mal les tableaux de bord que Paris ou les cours d’appel leur réclament presque quotidiennement. « Les tâches administratives se sont considérablement multipliées, raconte Laurent Ben Kemoun. On passe un temps fou à rendre compte… de rien du tout, puisque concrètement, on ne “produit” absolument rien ». Même souci aux Antilles : « C’est compliqué de faire des rapports quand on n’a personne pour nous donner des statistiques. Je fais du comptage manuel pour certains services, mais quand le juge est chez lui parce qu’il est vulnérable, que la greffière garde ses enfants, à part aller fouiller dans chaque bureau… ».

La reprise n’est pas pour tout de suite, selon Hélène Judes : « C’est dommage, parce que cette juridiction était jusqu’ici assez “performante” dans les délais. Mais même sans ouragan, même sans grève, l’année 2021 va être compliquée aussi. On a un demi-millier d’affaires à réaudiencer au pénal, et sur le pôle social, par exemple, on a un stock de 1 000 dossiers. Pour les effectifs, je ne crois pas du tout à un retour à la normale au mois de juin, il ne faut pas se raconter d’histoires ». Du côté de Mayotte, « je doute qu’on résorbe notre retard avant la mi-2021, même si notre activité est somme toute minime ». D’ici là, certains contentieux, notamment en lien avec la polygamie qui reste courante sur l’île, auront peut-être été tranchés par les « cadis », selon des préceptes dérivés du droit islamique : ce ne sont plus désormais tout à fait des juridictions officielles, mais ils demeurent des jurisconsultes respectés. « D’ailleurs, ça me va très bien, précise Laurent Ben Kemoun. Je n’ai pas une vision absolutiste de la justice étatique, hormis bien évidemment pour la violence légitime qui doit rester l’apanage du juge pénal. Les gens se débrouillent comme ils peuvent. » Et les présidents de tribunaux judiciaires d’outre-mer aussi.

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Dans un récent article, le Professeur Dondero s’interrogeait, avec humour, sur les incidences du nouveau mode de rédaction des arrêts par la Cour de cassation, caractérisé par la clarté et la pédagogie. Il se demandait s’il en était désormais fini des « décisions cryptiques, sur lesquelles les universitaires pouvaient discuter sans fin devant leurs amphithéâtres médusés et dans les colloques », puisque les juges expliquent maintenant « eux-mêmes directement au lecteur ce qu’ils ont voulu dire » (Nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation : panique à l’Université !, D. 2020. 145 ).

Tel est précisément le cas dans l’affaire jugée par la première chambre civile le 18 mars 2020, qui concerne un mariage célébré au Maroc, en 2002, entre un Français et une Marocaine (devenue Française 11 ans plus tard), alors que l’épouse n’était pas présente lors de la cérémonie mais avait mandaté, conformément au droit marocain alors applicable, un wali (tuteur matrimonial) pour conclure l’acte de mariage. Notons dès à présent que le Code marocain de la famille prévoit aujourd’hui que « la femme majeure peut contracter elle-même son mariage ou déléguer à cet effet son père ou l’un de ses proches » (art. 25).

L’arrêt comporte en effet une motivation très détaillée de plus d’une page, qui présente les principes légaux applicables en matière de consentement au mariage en droit interne et en droit international privé ainsi que la jurisprudence, avant d’expliquer les conditions de leur mise en œuvre en l’espèce.

Quelques observations peuvent néanmoins être formulées en marge des explications déjà fournies par la Cour de cassation elle-même.

En premier lieu, il est utile de rappeler que la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire prévoit que les conditions de fond du mariage, tel que le consentement, sont régies pour chacun des époux par la loi de celui des Etats dont il a la nationalité (art. 5) et, en substance, que la loi considérée ne peut être écartée par les juridictions de l’autre Etat que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public (art. 4). Le premier de ces principes a été appliqué par la Cour de cassation, en considération des dispositions de l’article 146-1 du code civil, selon lesquelles « le mariage d’un Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence ». Un arrêt de la première chambre civile du 15 juillet 1999 (Civ. 1re, 15 juill. 1999, n° 99-10.269, D. 2000. 414 , obs. J.-J. Lemouland ; Rev. crit. DIP 2000. 207, note L. Gannagé ) a ainsi énoncé qu’il s’agit d’une condition de fond du mariage régie par la loi personnelle, même si cette qualification a été discutée (Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, 2013, n° 461). Un autre arrêt, du 16 mars 2016 (n° 15-14.365, Dalloz actualité, 5 avr. 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016. 709 ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 342, obs. A. Boiché ; Dr. fam. 2016. Comm. 116, A. Devers ; JCP 2016. 629, note M.-C. de Lambertye-Autrand) a par ailleurs rappelé qu’il résulte de ce même principe issu de la Convention que les conditions de fond du mariage entre deux personnes, l’une de nationalité française, l’autre de nationalité marocaine, sont régies par la loi nationale de chacun des époux.

En deuxième lieu, il est indispensable de se référer à l’article 202-1 du code civil, dont la rédaction est issue de la loi du 4 août 2014. Il énonce que les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle, tout en ajoutant que quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux au sens de l’article 146 (« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ») et du premier alinéa de l’article 180 ( « le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public »).

Au regard de ces textes, la difficulté était de déterminer si la loi marocaine en vigueur à la date de la célébration du mariage, qui admettait donc un consentement donné par un wali sans la présence de l’épouse, était ou non conforme aux exigences de l’ordre public international français.

Cette difficulté avait été perçue par la doctrine spécialisée. Présentant la problématique des mariages célébrés à l’étranger au regard de la notion d’exception d’ordre public international, I. Barrière-Brousse a ainsi soutenu qu’il n’y a pas contrariété à cet ordre public en présence « d’un mariage musulman célébré conformément au statut personnel des époux, dans lequel le consentement de la femme a été exprimé par un wali (tuteur légal) sauf s’il apparaît que le mariage était en réalité conclu sous la contrainte ou que le consentement de l’épouse faisait défaut » (J.-Cl. Dr. intern., fasc. 546-10, v° Mariage, Conditions de fond, n° 108).

Or, c’est précisément cette approche que la Cour de cassation consacre, par le principe reproduit en tête de ces observations.

Son arrêt ne peut qu’être approuvé. On sait en effet que la mise en œuvre de l’exception d’ordre public est moins rigoureuse lorsque l’on est en présence d’une situation constituée à l’étranger, ce qui conduit alors à parler de l’effet atténué de l’ordre public (sur ce, B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, LGDJ, 2018, n° 396). On sait également qu’il y a lieu d’apprécier concrètement si la situation litigieuse heurte l’ordre public international, sans s’arrêter à une appréciation abstraite de la loi étrangère en cause. Or, la cour d’appel avait relevé que la réalité du consentement de l’épouse au mariage célébré au Maroc n’était pas contestée, et ce d’autant plus que c’était l’époux qui avait invoqué la nullité du mariage suite à une demande en divorce formée par l’épouse après treize ans d’union.

De surcroît, l’article 146-1 du code civil n’exige la présence des époux à leur mariage, même célébré à l’étranger, que dans la mesure où ils sont français, ce qui n’était pas le cas ici : l’épouse était marocaine à l’époque du mariage. Dès lors, l’exception d’ordre public n’avait pas vocation, à l’évidence, à être mise en œuvre.

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La Cour de cassation vient de trancher une question juridique fort intéressante relative à l’interprétation et à l’application de l’article 815-9 du code civil. Selon l’alinéa 1er de ce texte, « chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires ». Selon l’alinéa 2, « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité » (sur ce texte, Rép. civ., v° Indivision, par C. Albigès, nos 189 s.). Qu’en est-il lorsque l’un des indivisaires est par ailleurs locataire d’un bien indivis pour un loyer très inférieur à la valeur locative du bien ? La Cour de cassation refuse ici clairement de condamner l’indivisaire locataire au paiement d’une indemnité d’occupation.

En l’espèce, un père avait octroyé à sa fille un bail verbal très avantageux sur un bien immobilier dont il était propriétaire. Le loyer versé n’était que de 381,12€ alors que la valeur locative du bien s’élevait à 1.200€. Au décès du père, la fille fut appelée à hériter en concours avec son frère et sa mère. Elle devint alors indivisaire du bien sans perdre sa qualité de locataire (le contrat de bail avait été transmis aux ayants-cause). Des difficultés sont apparues dans le cadre de la liquidation et du partage de la succession et les coïndivisaires ont sollicité le versement d’une indemnité d’occupation sur le fondement de l’article 815-9 du code civil. La demande fut rejetée en première instance mais accueillie en appel. L’arrêt infirmatif de la Cour d’appel de Versailles condamna la défenderesse au paiement à l’indivision d’une somme mensuelle de 578,88 € à compter du 29 avril 2010 (cette date fut sans doute retenue eu égard à la prescription quinquennale des fruits applicable à l’indemnité d’occupation, Civ. 1re, 8 juin 2016, n° 15-19.614, D. 2016. 1310 ; ibid. 1881, chron. I. Guyon-Renard ; ibid. 2017. 470, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1388, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2016. 388, obs. J. Casey ; RTD civ. 2016. 593, obs. J. Hauser ; ibid. 2017. 474, obs. B. Vareille ; 5 févr. 1991, n° 89-15.234). Les juges du fond ont motivé leur solution par la nette différence entre la valeur locative du bien et le loyer versé en exécution du bail. Cette différence justifiait selon eux qu’il soit fait application de l’article 815-9 du code civil.

La succombante forma un pourvoi en cassation. La nouvelle rédaction des arrêts adoptée par la Cour de cassation la conduit dorénavant à reproduire les moyens des pourvois dans le corps de la décision, même s’il y a cassation. La demanderesse au pourvoi se prévalait d’abord du titre propre que lui octroyait le bail pour justifier que soit écartée l’application de l’article 815-9 du code civil. Elle rappelait ensuite que l’indivision, en tant que bailleresse, est tenue de la faire jouir paisiblement de l’immeuble pris à bail (où l’on observe au passage une personnification totale de l’indivision). Enfin, elle indiquait que seul pouvait lui être demandé le rapport à la masse partageable de l’avantage ainsi octroyé, sous réserve de démontrer l’existence d’une donation indirecte.

Ces arguments convainquirent la première chambre civile de la Cour de cassation qui cassa l’arrêt d’appel au visa de l’article 815-9 du code civil. En condamnant la défenderesse au paiement d’une indemnité d’occupation tout en constatant que l’immeuble était occupé en qualité de locataire, la cour d’appel a violé le texte : aucune atteinte n’était portée aux droits égaux et concurrents des coïndivisaires.

Deux enseignements peuvent être tirés d’une telle décision. Le premier n’est guère surprenant : le bail chasse l’indemnité d’occupation. Il est en effet acquis de longue date que pour être débiteur de l’indemnité, il faut être dépourvu de tout droit de jouissance exclusif sur le bien occupé. Aucune indemnité n’est due lorsque l’indivisaire use du bien en qualité d’usufruitier et qu’il n’existe aucune indivision en jouissance. Ainsi en va-t-il par exemple du conjoint survivant bénéficiaire d’un usufruit universel qui se trouve seulement en indivision avec les autres héritiers sur la nue-propriété (Civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-24.217, D. 2013. 1209 ; ibid. 2050, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; AJ fam. 2013. 381, obs. N. Levillain ; Dr. fam. 2013, n° 106, obs. B. Beignier et J.-R. Binet). De même, lorsque le légataire bénéficie de la saisine il est habile à prétendre à la jouissance du bien légué à compter du jour du décès, et cette jouissance est exclusive de toute indemnité au profit de l’indivision (Civ. 1re, 2 juin 1987, Bull. civ. I, n° 181 ; D. 1988. 137, obs. A. Breton ; 2 mai 1990, n° 88-15.801, Bull. civ. I, n° 90). L’alinéa 2 de l’article 815-9 du code civil précise d’ailleurs que l’indemnité est due « sauf convention contraire », ce qui peut certes désigner une convention d’indivision, mais aussi toute convention octroyant à un ou plusieurs indivisaires un droit particulier à l’occupation du bien, tel un bail. Il n’y a effectivement pas d’atteinte aux droits concurrents et égaux des indivisaires puisque tous exercent leurs droits sur le loyer versé en exécution du bail, fût-il modeste. Un lien très net est noué entre la qualité de l’occupant et l’octroi d’une indemnité d’occupation. Il convient de distinguer le droit réel du propriétaire indivis, insuffisant pour justifier une occupation privative, et le droit personnel de locataire, qui autorise une utilisation exclusive du bien.

Le deuxième enseignement constitue le véritable apport de l’arrêt : un bail déséquilibré octroyé à un indivisaire ne donne pas droit au paiement d’une indemnité au bénéfice de l’indivision. On ne saurait donc exciper, pour obtenir le versement d’une indemnité d’occupation, de la différence de valeur, fut-elle très importante, entre le prix de l’occupation et la valeur de cette occupation. La rigueur dont fait montre ici la Cour de cassation est bienvenue. Il s’agit en effet de ne pas confondre le titre et le prix du titre. Le bail confère un droit, un titre d’occupation, une qualité. Peu importe que cela soit obtenu à un faible prix, ou même d’ailleurs à titre gratuit. La différence entre la valeur locative et le loyer ne saurait altérer l’efficacité du droit qui résulte de l’acte. Le déséquilibre de la convention ne diminue pas le titre d’occupation. Tel était bien le premier argument au soutien du pourvoi.

Par « valeur locative », il faut entendre le montant du loyer qui pourrait être obtenu si le bien était donné à bail (Civ. 1re, 27 oct. 1992, n° 91-10.773, RTD civ. 1993. 630, obs. J. Patarin ; JCP 1993. I. 3713, n° 3, obs. F.-X. Testu) et non le droit d’occuper le bien. La valeur locative du bien indivis n’est jamais prise en compte pour déterminer l’existence d’un droit à l’indemnité d’occupation ; elle ne sert que de référentiel à son évaluation (le juge demeure cependant libre dans son appréciation, Civ. 3e, 16 mars 1983, RTD civ. 1984. 341, obs. J. Patarin ; Civ. 1re , 27 oct. 1992, n° 91-10.773, préc.). La valeur locative est une donnée qui n’intervient que dans un second temps, à un autre niveau du raisonnement.

La Cour de cassation refuse fort opportunément de confondre le titre qui fonde l’occupation et le prix de cette occupation : seul compte le droit à l’occupation privative, donc ici la qualité de locataire, peut important que ce droit ne dispose pas d’une contrepartie équivalente. Une telle solution est parée des vertus de la prudence. Statuer en sens inverse aurait présenté le risque d’ouvrir la voie à de nombreux recours d’indivisaires cherchant à démontrer, à grand renfort d’expertises, une disparité entre le montant du loyer versé et la valeur locative du bien. Cela aurait promis d’âpres difficultés, car si en l’espèce le manque à gagner est flagrant, il n’est pas toujours aussi aisé de démontrer que le loyer ne correspond pas exactement à la valeur locative du bien. La solution retenue préserve aussi la nature de l’indemnité d’occupation et évite qu’elle ne soit dévoyée à des fins compensatrices d’une convention déséquilibrée : l’indemnité d’occupation ne saurait être mobilisée pour compléter un faible loyer.

De quels recours disposent encore les indivisaires qui subissent un tel manque à gagner ? Le défaut d’équivalence des prestations n’est pas, en principe, une cause de nullité du contrat (C. civ., art. 1168) et le déséquilibre inhérent au bail est en l’espèce trop faible pour encourir la nullité sur le fondement de l’article 1169 du code civil. Quant à la révision pour imprévision (C. civ., art. 1195), le seul changement de circonstances intervenu depuis la conclusion du bail est le décès du bailleur, ce qui n’est nullement imprévisible. Aucun espoir n’est permis du côté de l’action de in rem verso dans la mesure où l’enrichissement est justifié par la convention elle-même. Impossible par ailleurs de mettre fin au bail sans l’accord unanime des indivisaires (Civ. 3e, 8 nov. 1995, n° 93-16.949, AJDI 1996. 483 ; ibid. 484, obs. D. Talon ; RDI 1996. 287, obs. F. Collart-Dutilleul ; ibid. 335, obs. J.-L. Bergel ; 8 avr. 1999, n° 97-15.706, D. 1999. 116 ; RDI 1999. 363, obs. M. Bruschi ; ibid. 466, obs. F. Collart-Dutilleul ; JCP 2000. I. 278, n° 3, obs. R. Le Guidec ; ibid. 1999. I. 175, n° 8, obs. H. Périnet-Marquet ; 25 avr. 2001, n° 99-14.368, D. 2001. 1591, et les obs. ; RTD civ. 2002. 130, obs. J. Patarin ; JCP 2001. I. 358, n° 3, obs. H. Périnet-Marquet).

Le pourvoi évoque la possibilité d’un rapport de l’avantage ainsi procuré à la masse à partager, ce qui permettrait de préserver l’égalité dans le cadre du partage. Cela conduirait aussi à cantonner l’émolument perçu à la réserve individuelle de l’occupante augmentée de la quotité disponible. Mais cela nécessite que soit démontrée l’existence d’une donation indirecte, donc que l’avantage octroyé soit qualifiable de libéralité : il ne suffit plus de prouver l’existence d’un simple « avantage indirect » (Civ. 1re, 18 janv. 2012, nos 09-72.542, 10-27.325, 11-12.863, 10-25.685 et 10-27.325, D. 2012. 283 ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2012. 234, obs. A. Bonnet ; RTD civ. 2012. 353, obs. M. Grimaldi ; JCP N 2012, n° 16, 1188, obs. Y. Delecraz ; JCP 2012. 835, note F. Sauvage ; Dr. fam. 2012/3. Comm. 50, note B. Beignier ; RJPF 2012. 2. 6, note D. Martel ; RLDC 2012. 94. 43, note R. Mésa ; Lexbase Hebdo 2012. 478, note S. Deville). Cette entreprise se heurte à plusieurs limites. Si une telle solution a pu être retenue par le passé à propos de la mise à disposition d’un logement sans aucune contrepartie (Civ. 1re, 14 janv. 1997, n° 94-16.813, D. 1997. 607 , note V. Barabé-Bouchard ; ibid. 1999. 155, chron. I. Najjar ; RTD civ. 1997. 480, obs. J. Patarin ; ibid. 483, obs. J. Patarin ; ibid. 1998. 414, obs. F. Zenati ; Defr. 1997. 33650, note P. Malaurie ; JCP 1998. I. 133, note R. Le Guidec ; JCP N 1998. 356, étude D. Barthe) elle subit la concurrence de la qualification de prêt à usage qui peut supplanter (Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-21.419, D. 2017. 2096 ; ibid. 2018. 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2017. 656, obs. N. Levillain ; RJPF 2018/1, p. 41, note G. Druot et C.-M. Péglion-Zika ; Dr. fam. 2017/12, p. 35) voire s’ajouter à une donation de fruits (Civ. 1re, 3 nov. 1988, n° 87-13.319, RTD civ. 1990. 700, obs. J. Patarin ; ibid. 1989. 570, obs. P. Rémy ; JCP 1989. II. 21375, T. Hassler).

En l’espèce la qualification de commodat peut aisément être écartée au regard de la stipulation d’un loyer. Mais il n’est pas si aisé de démontrer l’existence d’une libéralité portant sur une partie des fruits du bien. Si la preuve d’un déséquilibre économique procédera d’une simple évaluation mathématique du manque à gagner, la démonstration d’une intention libérale pourrait être plus délicate, quoique le contexte familial en allège quelque peu la charge probatoire. Mais surtout, le rapport et la réduction ne pourront être obtenus que pour la libéralité consentie par le de cujus, donc pour la période antérieure au décès. Cela ne permet pas de régler la question du manque à gagner à compter du décès (soit, en l’espèce, une période de près de 13 ans). Il serait peu utile de chercher à démontrer qu’une libéralité aurait été octroyée par les coïndivisaires. Cela permettrait simplement au frère de limiter l’avantage perçu par sa sœur eu égard à la libéralité consentie par la mère (en appliquant rapport et réduction dans la succession de la mère en plus de leur application dans la succession du père). Cela est mieux que rien, mais clairement insuffisant. Et encore faudrait-il prouver une intention libérale, ce qui est directement contrarié par l’action engagée par les indivisaires en paiement d’une indemnité d’occupation. Impossible en effet de considérer que les indivisaires ont voulu avantager celle à qui ils réclament un prix.

Il s’agit donc d’une convention déséquilibrée, présentant l’élément matériel de la gratuité (un avantage sans contrepartie équivalente) et que les indivisaires devront subir au moins jusqu’au partage, seule issue possible pour endiguer le flot des fuites de ce tonneau percé.

Un arrêté du 28 avril 2020, modifiant les arrêtés du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des professions réglementées du droit, a été publié au Journal officiel du 29 avril. Il tire les conséquences des circonstances exceptionnelles provoquées par l’épidémie de coronavirus sur le territoire national et de son impact sur l’activité économique et notamment celle des professions réglementées du droit. La date du 1er mai, à compter de laquelle les nouveaux tarifs, issus des arrêtés du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des professions réglementées du droit, s’appliquent aux prestations effectuées par ces professions, est reportée au 1er janvier 2021.

Jusqu’à cette date, les tarifs issus des articles A. 444-1 à A. 444-186 du code de commerce (commissaires-priseurs judiciaires, huissiers, notaires, ainsi que, par renvoi de l’article A. 444-191, aux avocats s’agissant des actes réalisés en matière de saisie immobilière, de licitation par adjudication judiciaire et en cas de vente amiable sur autorisation judiciaire ou de vente de gré à gré), ainsi que ceux issus des articles A. 743-8 à A. 743-18 du même code (greffiers de tribunaux de commerce), dans leur dernière version antérieure à l’entrée en vigueur des arrêtés du 28 février 2020, restent applicables pour ces professions.

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Après le décret du 13 janvier 2011, c’est donc celui du 11 décembre 2019 qui réforme le droit de l’arbitrage. Pourquoi ? Tout simplement parce que, par l’effet de l’article 789, 6°, du code de procédure civile, applicable au conseiller de la mise en état, le recours est désormais scindé en deux : d’un côté, les questions relatives à la recevabilité des griefs, de l’autre, celles concernant leur bien-fondé. Ainsi, quelques mois après le schisme entre arbitrage interne et arbitrage international (réparti entre le pôle 1 – ch. 1 et le pôle 5 – ch. 16), on assiste à celui entre conseiller de la mise en état et formation de jugement. Il n’y a plus, en droit français (à l’exclusion des hypothèses – rarissimes – où le siège est fixé en dehors de Paris), un juge du recours contre la sentence, mais quatre !

Au-delà de cette problématique, la présente chronique est évidemment perturbée par la pandémie de coronavirus. Les juridictions judiciaires voient leur activité réduite, alors qu’elle était déjà ralentie par la grève des avocats. Pour autant, plusieurs décisions sont à signaler. L’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818, n° 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; JCP 2020, note M. de Fontmichel, à paraître) est le premier grand arrêt de la CCIP-CA (après la modeste décision, Paris, 7 janv. 2020, n° 19/07260, République démocratique du Congo c/ Divine Inspiration, Dalloz actualité, 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), la nouvelle chambre compétente en matière d’arbitrage international. Hasard du calendrier – ou pas – il traite d’une des questions les plus sensibles de la dernière décennie : l’obligation de révélation des arbitres ! Cette thématique est devenue tellement complexe que, au-delà du commentaire de cet arrêt, nous proposerons en fin de chronique un « vademecum » du recours contre une sentence en ce domaine. On évoquera également une décision Antrix (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, D. 2020. 608 ) sur les modalités de la renonciation. Enfin, cette chronique vaudrait-elle vraiment la peine d’être publiée sans quelques réflexions sur l’impact du coronavirus sur les procédures arbitrales ?

I – Les aspects procéduraux du recours en annulation

A - La répartition des compétences entre CME et formation de jugement

Nous reviendrons plus en détail sur l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.) dans la suite des développements. Il faut consulter les paragraphes 39 et 40 de l’arrêt. À première lecture, ils sont insignifiants. La cour d’appel y déclare irrecevable une prétention du défendeur : la fin de non-recevoir tirée de la renonciation à se prévaloir de la constitution irrégulière du tribunal arbitral. Reprenons : le demandeur au recours sollicite l’annulation de la sentence, motif pris des lacunes dans la révélation ; le défendeur invoque l’irrecevabilité du grief, le demandeur n’ayant pas exercé son recours dans les délais prévus par le règlement d’arbitrage ; le demandeur soulève l’irrecevabilité de l’irrecevabilité (!) et obtient satisfaction. À ce stade, rien de problématique : la renonciation est qualifiée de fin de non-recevoir depuis bien longtemps, mais elle est elle-même susceptible d’être frappée d’une irrecevabilité.

Le véritable intérêt porte sur le motif de l’irrecevabilité. La cour d’appel énonce que l’irrecevabilité « n’a pas été formulée dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions, mais figure uniquement dans des moyens développés ». Prenons le temps d’examiner cette motivation. Lorsque le défendeur se prévaut de l’irrecevabilité du grief (ou du recours en annulation), il formule une prétention qui doit apparaître de façon distincte dans le dispositif des conclusions, conformément à l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile. Très concrètement, cela signifie que le défendeur au recours, lorsqu’il discute la prétention du demandeur sur l’irrégularité de la constitution du tribunal arbitral, doit prendre la peine de distinguer dans son argumentation ce qui relève de l’irrecevabilité et ce qui relève du bien-fondé.

L’arrêt Dommo ne dit rien de plus. Pourquoi alors est-ce si important ? N’est-ce pas une simple exigence formelle, imposant aux parties – notamment le défendeur – de distinguer dans les moyens relevant d’une fin de non-recevoir et ceux relevant du fond et de les faire apparaître distinctement dans le dispositif des conclusions ? En réalité, il faut aller au-delà de cette exigence formelle, comme l’a parfaitement démontré le Professeur Debourg (Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg).

Pour le comprendre, il faut se rappeler deux choses : d’une part, en arbitrage, la distinction des moyens de défense relevant de l’irrecevabilité et ceux relevant du fond est rarement réalisée avec rigueur ; d’autre part, et cela explique le premier point, les discussions sur la recevabilité et celles sur le fond sont le plus souvent intimement liées. L’exemple de l’obligation de révélation est éclairant. La question de la notoriété du fait non révélé est une question de fond, puisqu’elle vient atténuer l’obligation de révélation de l’arbitre. Mais le seul et unique intérêt de la notoriété est de déterminer le point de départ du délai offert aux parties pour exercer une demande de récusation. Autrement dit, la recevabilité du recours – l’exercice d’une action en récusation de l’arbitre – dépend d’une question de fond – la notoriété du fait non révélé.

Naturellement, la difficulté ne concerne pas que la révélation : elle concerne tous les cas d’ouverture. Prenons l’exemple du principe de non-révision au fond. Ce principe présente deux dimensions : d’une part, il vise à écarter un grief n’entrant pas dans les cas d’ouverture du recours ; d’autre part, il conduit à limiter l’examen du juge et lui interdit de réviser le fond de la sentence. Dans le premier cas, le grief est irrecevable. Dans le second, il est mal-fondé. Mais la frontière est loin d’être imperméable, et on peut d’ores et déjà prédire des maux de tête lorsqu’il conviendra de déterminer ce qui relève de l’un ou de l’autre, notamment dans le cadre de l’examen du respect de sa mission par le tribunal.

Alors, ne suffit-il pas, par précaution, d’invoquer chaque grief sous l’angle de la recevabilité et du bien-fondé, et de les faire figurer distinctement dans le dispositif des conclusions ? Ce serait malheureusement trop simple. En effet, il convient de mettre en perspective cette solution avec le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Les pouvoirs du juge d’appui ont été considérablement modifiés par cette réforme. Désormais, l’article 789.6° du code de procédure civile donne compétence à ce dernier pour statuer sur les fins de non-recevoir. Or cette disposition est applicable en procédure d’appel. En effet, l’article 907 renvoie aux articles 780 à 807 du code de procédure civile, et donc à l’article 789. En conséquence, pour les actions formées depuis le 1er janvier 2020 (conformément à la disposition dérogatoire de l’art. 55, II, du décret du 11 déc. 2019), c’est au conseiller de la mise en état qu’il convient de soumettre le moyen tiré de la renonciation. Cela impose notamment aux parties de saisir le conseiller de la mise en état par des conclusions qui lui sont spécialement adressées (C. pr. civ., art. 791 et 914). Cette distinction entraîne un morcellement du recours : le conseiller de la mise en état est compétent pour se prononcer sur la recevabilité, la cour sur le bien-fondé. Il y a bien deux juges compétents pour examiner le recours ! À cela, il faut ajouter que si le conseiller de la mise en état statue sur cette question, celle-ci devrait être susceptible de faire l’objet d’un déféré, quand bien même l’article 916 du code de procédure civile n’a pas été modifié en ce sens.

Comme évoqué précédemment, l’examen de cette fin de non-recevoir entraîne le plus souvent que soit tranchée au préalable une question de fond. Dès lors, conformément à l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, il paraît opportun de renvoyer la question à la formation collégiale (à la demande d’une partie ou d’office). Non seulement cela permet d’écarter le déféré (même si aucun texte ne le prévoit), mais surtout cela évite un morcellement du recours. Il serait judicieux d’adapter procéduralement le recours pour répondre de façon satisfaisante à des questions qui seront, le plus souvent, indissociables. Il faut voir, à l’usage, s’il est envisageable de joindre la fin de non-recevoir au fond et de permettre à la cour de trancher les deux questions dans sa décision finale.

Reste à savoir si des recours se gagneront ou se perdront sur cette question. Les irrecevabilités font désormais l’objet d’une concentration procédurale devant le juge/conseiller de la mise en état, à rebours de l’article 123 du code de procédure civile. C’est ce qui ressort des articles 789, alinéa 4 et 914, alinéa 2, du code de procédure civile. Autrement dit, les parties ne sont plus recevables à invoquer l’irrecevabilité de l’irrecevabilité au stade de l’audience. En principe, une partie aura toujours le temps de former sa demande devant le conseiller de la mise en état avant la clôture de l’instruction. En revanche, le juge peut-il le relever d’office ? Apparemment, non. L’article 789 ne semble pas le permettre, et l’article 914 vise de façon limitative « l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ». Reste à savoir si, dans l’intérêt de tous, les parties peuvent s’entendre tacitement, avec la bénédiction du conseiller de la mise en état, pour laisser cette question à la formation de jugement. Pour un contentieux ultra concentré comme l’arbitrage, avec deux chambres et une poignée de cabinets, ce n’est pas totalement à exclure.

B - La renonciation

La renonciation devrait donc relever désormais de la compétence du conseiller de la mise en état. La renonciation est en train de prendre une place démesurée dans le recours contre la sentence. Une étude sérieuse sur la question serait sans doute révélatrice, car il semble qu’une bonne part des recours se focalise désormais autour de cette seule et unique question. Le phénomène est renforcé par le fait que la renonciation, prévue par l’article 1466 du code de procédure civile, est susceptible de concerner tous les cas d’ouverture, à l’exception de l’ordre public de direction (v. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2019. Doctr. 1349, obs. J. Ortscheidt). Trois arrêts, d’inégale importance, se prononcent sur ce moyen.

1 - L’arrêt Uzuc

Commençons par l’arrêt le plus simple. L’affaire Uzuc porte sur l’application de la renonciation en matière de compétence (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc). Le litige soumis au tribunal arbitral portait sur deux bons de commande. L’une des parties a uniquement contesté l’application de la clause à l’un des deux bons de commande. Le tribunal arbitral s’est reconnu compétent uniquement à l’égard du second. Lors du recours, la partie conteste la compétence du tribunal pour connaître du litige portant sur ce bon de commande. La question était de savoir si elle avait renoncé à se prévaloir de cette incompétence.

Le raisonnement est purement factuel et ne présente pas grand intérêt. En revanche, la cour d’appel forge l’essentiel de sa conviction sur la transcription d’une audience, dont elle reproduit plusieurs passages dans sa décision. Lorsqu’elle existe, cette transcription peut en effet se révéler une pièce utile. La preuve d’un fait juridique pouvant être établie par tous moyens. Les parties sont invitées à se prévaloir plus souvent de cet élément de preuve. La cour constate que la partie a exprimé son absence d’objection à l’égard de la compétence du tribunal lors de l’audience et rejette le recours.

2 – L’arrêt Antrix

L’arrêt Antrix a été rendu par la Cour de cassation (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, préc.). Il est destiné à une publication au bulletin et est rédigé sous la nouvelle forme des arrêts de cassation. En l’espèce, cette nouvelle rédaction n’aide absolument pas à l’intelligibilité de la décision et il faut s’y reprendre à plusieurs fois (ou lire l’arrêt d’appel, Paris, 27 mars 2018, n° 16/03596, Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 39, obs. D. Bensaude) pour comprendre les faits. Cet arrêt sera abondamment commenté, non pas pour sa solution, mais pour les enjeux théoriques qu’il soulève.

Dans cette affaire, la clause compromissoire était mal rédigée, puisqu’elle prévoyait que la procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Cette alternative a cristallisé les débats, le demandeur ayant saisi la CCI et le défendeur s’y opposant. Afin de faire valoir sa position, le défendeur a adopté deux positions distinctes. Dans un premier temps, il a protesté, auprès de la CCI, contre le caractère institutionnel de l’arbitrage, en invoquant notamment que le choix d’un tel arbitrage ne pouvait être réalisé par le seul demandeur. En dépit de ses objections, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI a procédé à la désignation des arbitres. Dans un second temps, il a contesté la compétence du tribunal arbitral en soutenant que la clause compromissoire, en ce qu’elle faisait référence à deux règlements d’arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique. À défaut d’accord préalable des parties, elle était donc inapplicable, ce qui privait le tribunal de pouvoir juridictionnel. Le tribunal arbitral n’y a pas fait droit.

Pour s’opposer à l’exequatur de la sentence arbitrale, la société Antrix s’est limitée à sa première argumentation. Elle allègue que le règlement CCI serait inapplicable à la constitution du tribunal. Les arbitres auraient dû être désignés par le juge d’appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la Cour internationale d’arbitrage de la CCI.

La cour d’appel de Paris ne s’est pas laissée séduire. Elle a considéré que « ce moyen procède d’une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres ; que ceux-ci, en effet, ont été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait que le règlement d’arbitrage de la CCI serait divisible et qu’un contrat pour l’administration de l’arbitrage n’aurait pas été conclu ». En conséquence, elle juge que la société Antrix a renoncé à se prévaloir de ce moyen. Elle précise que « c’est au regard de l’argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales antérieures ou parallèles à l’instance arbitrale, qu’il convient d’apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d’une irrégularité ». Elle conclut à l’irrecevabilité du grief.

L’arrêt est cassé. La Cour de cassation énonce que « l’invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d’arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l’égide de la CCI, dès lors que l’option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d’un arbitrage institutionnel, de sorte que l’argumentation soutenue devant le juge de l’exequatur, selon laquelle la clause d’arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n’était pas contraire à celle développée devant celui-ci ».

Ni l’arrêt d’appel ni l’arrêt de cassation ne nous paraissent convaincants.

S’agissant de l’arrêt d’appel, la cour a retenu une appréciation restrictive de l’article 1466 du code de procédure civile. Pour établir la renonciation, la cour considère que l’irrégularité doit être invoquée devant le tribunal arbitral. En conséquence, tout ce qui se passe ailleurs que devant le tribunal arbitral est indifférent. Cette interprétation est séduisante et strictement conforme au texte. Elle est toutefois contraire au droit positif tel qu’il existe depuis plusieurs années. On en veut pour preuve que le contentieux de la récusation est totalement extérieur au tribunal arbitral et pourtant, l’exercice de cette action est la condition de la recevabilité du recours. Ainsi, considérer que toute irrégularité qui n’aurait pas été dénoncée devant le tribunal arbitral emporte renonciation constitue une interprétation dénaturant l’esprit de l’article 1466 du code de procédure civile (cela dit, rien n’interdit d’opérer un revirement sur ce point !).

Pour autant, les motifs de la cassation ne sont pas beaucoup plus satisfaisants. En effet, la Cour considère que la contestation de la compétence du tribunal arbitral emportait nécessairement contestation de la régularité de sa composition. Là aussi, une telle solution est pour le moins discutable. D’ailleurs, dans un arrêt récent, la cour d’appel de Paris a énoncé que « la renonciation présumée par l’article 1466 précité du code de procédure civile vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, préc.). Il est donc d’autant plus difficile d’admettre qu’un moyen relevant d’un cas d’ouverture permette de contourner la renonciation pour un autre cas d’ouverture.

Reprenons la problématique depuis le début. La question de savoir si un tribunal constitué en violation des règles prévues par les parties est un cas d’annulation de la sentence n’est pas discutée. C’est ainsi qu’une sentence a pu être annulée, car l’arbitre avait été désigné par le tribunal de commerce de Paris statuant en formation ordinaire, alors que la clause prévoyait qu’il devait statuer en référé (Civ. 1re, 10 mai 1995, n° 92-19.111, D. 1996. 79 , note G. Bolard ; RTD com. 1995. 756, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 605, note A. Hory ). La même solution a été retenue pour une désignation par la Cour d’arbitrage de la CCI alors que les parties avaient confié cette mission aux juridictions argentines (Civ. 1re, 4 déc. 1990, Rev. arb. 1991. 81, note P. Fouchard). La difficulté n’est pas là : le non-respect des modalités prévues par les parties pour la constitution du tribunal arbitral emporte l’annulation de la sentence sur le fondement des articles 1492, 2° ou 1520, 2°, du code de procédure civile.

En revanche, il s’agit de savoir si le tribunal arbitral est compétent pour connaître de l’irrégularité. Derrière cette interrogation se cache le débat relatif à l’existence d’un principe compétence-investiture. L’origine du problème n’est en effet pas la compétence du tribunal arbitral, mais son investiture par une autorité dépourvue de ce pouvoir. Or, durant la procédure, consciemment ou non, la société Antrix a discuté devant la CCI de son pouvoir de désigner l’arbitre et elle a discuté devant le tribunal arbitral de sa compétence. Implicitement (ou maladroitement), elle a considéré que le tribunal était dépourvu du pouvoir de se prononcer sur son investiture, faute de principe compétence-investiture. Ce faisant, loin d’avoir renoncé à se prévaloir de l’irrégularité dans la constitution du tribunal arbitral, il n’était pas impossible de considérer que la société Antrix avait soulevé le grief devant le seul organe susceptible d’en connaître : la CCI, lorsqu’elle était sur le point de désigner les membres du tribunal. Sur ce terrain, le débat aurait pu prendre une dimension différente. Reste à espérer que la cour d’appel de renvoi s’en saisira.

3 - L’arrêt International Business Corporation

L’affaire International Business Corporation (IBC) met aux prises un nombre incalculable de parties (Paris, 25 févr. 2020, International Business Corporation, n° 16/22740). Cette société a été constituée en 1993 par Len Holding avec pour objet la distribution d’aciers industriels et la construction métallique au Cameroun. Dans la perspective de la création d’une nouvelle usine, IBC a recherché des partenaires. Le 18 septembre 2007, un pacte d’actionnaires a été conclu avec la Société Nationale des hydrocarbures (SNH), établissement public à caractère industriel et commercial dépendant de la République du Cameroun. Il prévoyait que la SNH et son personnel recevraient 61 % du capital d’IBC, le reste étant détenu par la société Len Holding et ses actionnaires.

À la suite de différends entre les parties, la société IBC et ses actionnaires fondateurs (la société Len Holding et certaines personnes physiques) ont engagé une procédure d’arbitrage sous l’égide de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). L’affaire suscite un certain nombre de difficultés procédurales qui ne nous intéressent pas.

L’intérêt de l’arrêt porte sur la récusation – ou plutôt l’absence de récusation – d’un des arbitres. Le 28 août 2012, la SNH et son personnel ont désigné comme arbitre un « fonctionnaire camerounais au service de l’État du Cameroun ». Or, la SNH est « un démembrement extrêmement puissant » de l’État du Cameroun. En conséquence, les demandeurs ont écrit au secrétariat général de la CCJA pour s’opposer à la désignation de l’arbitre. Par la suite, le secrétariat général de la CCJA a informé l’arbitre de sa désignation par les défendeurs au recours ainsi que de l’opposition des demandeurs au recours à sa confirmation. Il a invité l’arbitre, conformément à l’article 4.1 du Règlement d’arbitrage, à notifier à la Cour son acceptation et lui faire connaître, le cas échéant, les faits ou circonstances susceptibles de mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties. L’arbitre a transmis à la CCJA sa déclaration d’acceptation et d’indépendance et il a été confirmé dans ses fonctions. À la suite de cette confirmation, les demandeurs n’ont pas formé de demande en récusation.

La sanction de la cour d’appel est immédiate. Conformément à une jurisprudence désormais bien établie (v. infra, le vademecum sur la révélation), l’absence de demande de récusation caractérise une renonciation, au sens de l’article 1466 du code de procédure civile. À défaut de réaction, la partie est irrecevable à se prévaloir du grief devant le juge du recours. La solution semble d’une parfaite rectitude et était prévisible. Pourtant, elle est troublante.

L’article 1466 du code de procédure civile ne vise aucunement l’exercice d’un recours en récusation devant l’institution (v., justement, pour une appréciation restrictive, l’arrêt Antrix, préc.). C’est par construction que la jurisprudence en est arrivée à imposer, sur ce fondement, un devoir de réaction aux parties à peine d’irrecevabilité du recours. Or on peut se demander si la demande en récusation doit être l’alpha et l’oméga de cette réaction. En l’espèce, les liens reprochés entre l’arbitre et l’État étaient connus et ont fait l’objet de protestations antérieurement à sa désignation. La révélation réalisée par l’arbitre n’a aucunement modifié la situation, puisque les faits étaient connus (notoires ?).

Conformément à l’article 4.1, alinéa 4, du Règlement d’arbitrage de la CCJA, la partie a fait connaître ses observations, avant la confirmation de l’arbitre par la cour. Pourtant, en dépit de ses protestations, l’arbitre a été confirmé par la Cour. On peut très sérieusement s’interroger sur l’intérêt pour la partie d’exercer une demande en récusation, dès lors que l’arbitre a été confirmé en dépit de ses protestations. Cette demande n’aurait-elle pas été fondée sur les mêmes moyens et rejetée de façon identique par la CCJA ? Cela ne revient-il pas à encourager un contentieux parasite ?

Enfin, on ajoutera que l’irrecevabilité du grief prive le juge de la possibilité de se prononcer sur une épineuse question. Pour mémoire, il était reproché à l’arbitre d’être fonctionnaire de l’État du Cameroun, dont une partie était un démembrement extrêmement puissant. Or il est une question sur laquelle la jurisprudence française n’a jamais eu l’occasion de se prononcer : existe-t-il des liens faisant radicalement obstacle à la nomination d’une personne en qualité d’arbitre ? Dans les IBA Guidelines on parle notamment de « Non-Waivable Red List ». Autrement dit, le lien de dépendance entre une partie et l’arbitre peut être tel qu’il conduit à priver la sentence de sa qualité de décision de justice. Si de telles situations existent, doivent-elles être ignorées, au motif que les parties ont renoncé à s’en prévaloir ? C’est une question qui ne serait pas inutile de se poser (quitte à le faire sur le fondement de l’art. 1520, 5°, c. pr. civ.). Cela dit, rien n’indique qu’en l’espèce la qualité de fonctionnaire faisait radicalement obstacle à la nomination d’arbitre dans le litige.

II – Les cas d’ouverture du recours en annulation

A - La compétence du tribunal arbitral

La concentration des moyens et des demandes a déjà fait l’objet de décisions en matière d’arbitrage (Civ. 1re, 12 avr. 2012, n° 11-14.123, D. 2012. 1132 ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2013. 121, note Y. Strickler ; Procédures 2012. Comm. 180, obs. L. Weiller ; v. égal. pour la concentration des demandes, mais la solution a été abandonnée, Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266, D. 2008. 1629, obs. X. Delpech ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD civ. 2008. 551, obs. R. Perrot ; RTD com. 2010. 535, obs. E. Loquin ; JCP 2008. Actu 411, obs. J. Béguin ; ibid. 2008. I. 164, n° 3, obs. J. Béguin ; ibid. 2008. II. 10170, obs. G. Bolard ; Rev. arb. 2008. 461, obs. L. Weiller). Ce n’est toutefois pas une question très fréquente. Elle est directement posée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 3 mars 2020, n° 18/05766, Francis Alexander Investments). Lors d’une procédure arbitrale, une partie a présenté tardivement un certain nombre de demandes. Le tribunal arbitral les a déclarées irrecevables dans sa sentence. En conséquence, la partie a introduit une nouvelle procédure d’arbitrage pour faire juger ces demandes. Celles-ci sont déclarées recevables et le tribunal arbitral y fait droit.

Devant le juge du recours, l’annulation de la sentence pour incompétence du tribunal arbitral est demandée. Selon le demandeur au recours, son adversaire aurait dû présenter ses prétentions dès l’instance arbitrale ayant abouti à la première sentence, en raison du principe de concentration des moyens et des demandes. Il ajoute que l’autorité de la chose jugée attachée à la première sentence qui avait déclaré ces demandes irrecevables s’opposait à ce que le tribunal puisse en connaître de nouveau.

Le recours est rejeté, mais la motivation est contestable. La cour énonce que « s’il incombe au demandeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à justifier celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ». On reconnait ici parfaitement l’état du droit positif en procédure civile, dessiné depuis la jurisprudence Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ; Procédures 2006. Comm. 201, note R. Perrot ; JCP 2007. II. 10070, note G. Wiederkehr ; Dr. et proc. 2006, p. 348, obs. N. Fricero ; Bull ch. avoués 2007-1, p. 3, obs. M. Bencimon ; R. Martin, Les détournements de la procédure judiciaire, RTD civ. 2007. 723 ). Toutefois, la véritable question est de savoir si ce grief entre dans un des cinq cas d’ouverture du recours en annulation. Pour la cour d’appel, la réponse est positive, puisqu’elle rejette le recours au fond. Pourtant, la jurisprudence développe depuis quelques années une distinction entre compétence et recevabilité. Le juge du recours n’est susceptible de connaître que les griefs relatifs à la compétence, pas ceux relatifs à la recevabilité. En effet, la présence d’une clause compromissoire, comme en l’espèce, suffit à fonder la compétence du tribunal arbitral. La question est en revanche de déterminer si les demandes formées dans le cadre de la seconde procédure peuvent être portées devant ce tribunal. Or il a déjà été jugé que les questions relatives à l’autorité de la chose jugée ne sont pas contrôlées dans le cadre du recours contre la sentence (Paris, 9 sept. 2010, n° 09/13550, Marriott, Rev. arb. 2011. 970, note C. Debourg ; Cah. arb. 2011. 413, note P. Mayer), de même que l’obligation de concentration des moyens (Paris, 17 nov. 2011, n° 10/14948, Rev. arb. 2011. 1104). En conséquence, la cour ne pouvait se permettre de vérifier si le tribunal avait bien respecté l’autorité de la chose jugée de la première sentence ou s’il existait une obligation de concentration des moyens ou des demandes. Elle aurait dû simplement constater que ces questions relèvent de la recevabilité de la demande et ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours. Au surplus, on rappellera qu’il n’est pas tout à fait identique d’imposer une obligation de concentration des moyens entre deux procédures arbitrales consécutives ou entre une procédure arbitrale suivie d’une procédure judiciaire. Or c’est bien dans ce second domaine qu’a été rendu l’arrêt du 12 avril 2012.

Il en va seulement différemment, et c’est ce que la cour rappelle, au cours de la même instance : « l’autorité qui s’attache à la chose jugée par la juridiction arbitrale n’est pas d’ordre public. Seule est d’ordre public, l’autorité qui s’attache à la chose jugée au cours de la même instance ». La solution n’est pas nouvelle (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Paris, 29 mai 2018, n° 15/23187, Rev. arb. 2018. 478 ; RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). On peut se demander si le fondement idoine ne devrait pas être le dessaisissement du tribunal (C. pr. civ., art. 1485) et être sanctionné, cette fois, sur le fondement de la compétence (un tribunal dessaisi d’une partie du litige n’est plus compétent pour le trancher).

B - La constitution du tribunal

Les règles relatives à la contestation d’une sentence pour violation de l’obligation de révélation sont devenues tellement complexes qu’il nous a semblé pertinent de faire un bilan plus global sur la marche à suivre pour contester la sentence sur ce point. Nous proposons donc, en fin de chronique, un « vademecum » de l’annulation de la sentence pour défaut de révélation. L’ensemble des références jurisprudentielles seront réunies à ce stade.

Pour ce qui concerne l’arrêt Dommo (Paris, 25 févr. 2020, préc.), les faits sont relativement simples. Dans le cadre d’un arbitrage, il est reproché à un arbitre une déclaration d’indépendance lacunaire. Plus spécifiquement, il aurait omis de déclarer un lien d’intérêt entre un cabinet partenaire de son ancien cabinet et un actionnaire d’une des parties au litige. La question de la renonciation ayant été exclue à titre liminaire (v. supra), la cour raisonne en deux temps. Elle distingue, d’un côté, les faits devant faire l’objet d’une révélation et, d’un autre, les conséquences de ce défaut de révélation sur la pérennité de la sentence arbitrale.

1 - L’étendue de l’obligation de révélation

Deux questions successives se posent, même si elles sont liées : ce qui doit être révélé (a) et ce qui est notoire (b).

a - Les éléments à révéler

La cour d’appel de Paris commence par poser les critères de l’obligation de révélation. Après avoir rappelé la définition de l’article 1456 du code de procédure civile, elle énonce que « ces circonstances peuvent être variées et porter sur d’éventuels conflits d’intérêts, sur des relations d’intérêts ou sur un courant d’affaires que l’arbitre a pu avoir avec les parties ou des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (§ 42). Elle ajoute que « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (§ 43).

L’intention de définir le contenu de l’obligation de révélation est salutaire. Il est indispensable que la jurisprudence pose de façon précise les critères de l’obligation de révélation. Malheureusement, la définition de la cour d’appel ne satisfait pas à cette exigence. Il est difficile de lui en vouloir : la cour se contente de reprendre des formules déjà usitées en jurisprudence. Il est en effet classique d’affirmer que l’obligation de révélation doit « s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 18 mai 2013, n° 11/17672, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt  ; 1er avr. 2014, n° 12/15479 ; 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Newsletter du CMAP, nov. 2014, p. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; 18 déc. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 41, obs. D. Bensaude) ou, comme dans le présent arrêt, d’ajouter une référence au lien avec le litige (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996 ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude).

Malheureusement, ces critères contribuent à maintenir une confusion entre, d’une part, ce qui doit être révélé par l’arbitre et, d’autre part, les faits susceptibles d’entraîner l’annulation de la sentence arbitrale. Pourtant, sur la forme, cette distinction est parfaitement réalisée par la cour dans le présent arrêt. Simplement, sur le fond, au niveau des critères de la révélation, le flou est entretenu. Les références au « lien avec le litige » et à l’« incidence sur le jugement de l’arbitre » sont de nature à induire en erreur. L’arbitre devrait révéler des faits indépendamment de leur lien avec le litige et de leur incidence sur son jugement. En effet, ce n’est pas à lui de se faire juge de son impartialité pour trancher le litige, mais aux parties, à l’institution d’arbitrage ou au juge d’appui et au juge du recours. La même remarque peut être formulée des indications données sur les circonstances (§ 42, préc.). La référence au « courant d’affaires » est particulièrement révélatrice de l’équivoque. C’est précisément ce critère qui permet à la jurisprudence de considérer que le fait non révélé provoque un doute raisonnable dans l’esprit des parties et justifie l’annulation de la sentence (v. vademecum).

Une telle confusion pouvait se comprendre au stade de la saison 1 de la jurisprudence Tecnimont, puisque toute lacune dans l’obligation de révélation conduisant à l’annulation de la sentence (Paris, 12 févr. 2009, Avax c/ Tecnimont, Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay ; LPA 2009, n° 44, note M. Henry ; Bull. ASA 2009, p. 520, note P. Schweizer ; L. Degos, La révélation remise en question(s). Retour sur l’arrêt de la cour d’appel de Paris J&P Avax SA c/ Tecnimont SPA du 12 févr. 2009, in Les Cahiers de l’arbitrage, ss la dir. d’A. Mourre, éd. A. Pedone, vol. V, 2011, p. 54). Dès lors, il était logique d’assortir l’obligation de révélation d’éléments subjectifs. Néanmoins, avec le revirement réalisé par l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c/ Sté Tecso, D. 2012. 2458, obs. X. Delpech ; ibid. 2991, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), il est possible de distinguer les deux étapes et d’assortir la révélation de critères uniquement objectifs.

Il est désormais temps de poser un critère simple et intelligible, condition sine qua non de la sécurité juridique de la procédure arbitrale. Ces exigences doivent concerner (i) le type de lien et (ii) les personnes entre qui celui-ci doit exister demeurent excessivement floues.

Sur le premier point, il convient de déterminer si tous les liens matériels, même les plus infimes, doivent être révélés (une invitation au restaurant), et si les liens intellectuels (participation à un colloque) et personnels (amitié, inimitié, etc.) sont concernés. Sur cette question, les rares décisions qui se prononcent expressément sur l’absence d’obligation de révélation d’un fait concernent les liens intellectuels, qui n’ont le plus souvent pas à être révélés (v. vademecum).

Sur le second point, la question est de savoir jusqu’où il faut remonter dans la constellation de personnes physiques et morales autour des arbitres et des parties. Sur ce point, il faudra bien finir par poser des critères intelligibles, ce que ne fait pas la cour, alors même que le lien n’était pas direct entre l’arbitre et la partie.

En somme, on regrettera particulièrement la rédaction de ces paragraphes 42 et 43. Sans doute, dans l’esprit du juge, cette motivation ne portait aucunement à conséquence. D’ailleurs, depuis la jurisprudence Tecso, il est rarissime que la jurisprudence rejette le recours au motif que le fait n’a pas à être révélé. La cour embraie directement sur l’examen de la notoriété du fait et son incidence sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre.

b - Les éléments notoires

La notoriété est justement un des éléments de nature à limiter l’obligation de révélation de l’arbitre. Cette exception a été maintes fois critiquée, et nous continuons à considérer qu’elle est illégitime et contra legem. Toutefois, on peut se réjouir d’en voir les limites mieux cernées. La cour énonce que « seules des informations publiques aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre ». Telle n’est pas le cas en l’espèce. À travers une vérification détaillée (§§ 49 et s.), la cour retient que l’information n’est accessible « qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter le contenu l’un après l’autre des publications auxquelles il a contribué ». En conséquence, elle écarte le caractère notoire de l’information.

On reste insatisfait par l’imprécision des critères de la notoriété. La décision se focalise sur la consultation du site internet de l’arbitre. Est-ce à dire qu’il s’agit là du seul site à examiner ? Très concrètement, quels sont les sites qui doivent être systématiquement visités avant le procès ? Le site des parties ? C’est en tout cas ce qui est retenu dans l’arrêt Tecnimont (v. le vademecum). Les annuaires d’avocats ? C’est en tout cas la solution de l’arrêt Volkswagen (v. le vademecum). Les réseaux sociaux (LinkedIn ? Facebook ? Twitter ?) ? La presse juridique ? Toutes les références trouvées par Google ? Une fois de plus, un travail de précision s’impose.

2 - Les conditions à l’annulation de la sentence arbitrale

De façon particulièrement claire, la CCIP-CA rejoint la position désormais retenue par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation : une lacune dans la révélation de l’arbitre n’entraîne pas l’annulation automatique de la sentence. La cour adhère à cette solution à travers une formule on ne peut plus claire : « Il convient de rappeler que la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité. Encore faut-il que ces éléments soient de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre, l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce » (§ 53). Ainsi, la sentence n’est annulée qu’à condition que l’élément soit de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre.

On pourrait reprocher au critère, là encore, d’être fuyant. Toutefois, il y a une différence fondamentale entre les critères de la révélation et ceux de l’annulation. Les critères de la révélation doivent être les plus simples et les plus explicites possible, car ils doivent mettre l’arbitre dans la situation de pouvoir facilement connaître ce qu’il doit communiquer aux parties. La réponse doit être la plus binaire possible : le fait doit ou ne doit pas être révélé. L’arbitre doit savoir à quoi s’en tenir. En revanche, au stade de l’annulation, cette exigence est moins impérieuse, puisqu’on sait d’ores et déjà que l’arbitre n’a pas respecté son obligation de révélation (une appréciation différente pourrait être envisageable lorsque l’arbitre a parfaitement respecté son obligation de révélation, mais que l’annulation est tout de même demandée). La seule question est de savoir si la lacune est trop grave pour préserver la sentence. Il n’est donc pas illégitime de laisser une marge de manœuvre au juge, afin d’avoir une appréciation concrète de la difficulté.

En l’espèce, la cour rejette le recours. C’est une sorte de faisceau d’indices disculpant qui permet de préserver la sentence. Le lien est qualifié d’indirect, puisqu’il n’unit pas l’arbitre à la partie, mais le cabinet partenaire de l’ancien cabinet avec l’actionnaire de la partie au litige (arbitre → ancien cabinet → cabinet partenaire → actionnaire → partie au litige). La temporalité du lien est également utilisée, celui-ci ayant cessé deux ans et demi avant le début de l’arbitrage. Surtout, la cour constate qu’il n’est pas établi que l’arbitre « ait à un quelconque moment conseillé, représenté ou assisté les actionnaires ». En définitive, le demandeur au recours n’établit pas qu’« il ait eu un lien direct ou indirect, matériel ou intellectuel, avec lesdits actionnaires ou leurs filiales, que ce soit par l’intermédiaire du cabinet Dr. Saud Al-Ammari, ou du cabinet Blakes, ou qu’un courant d’affaires ait existé entre l’arbitre et ces actionnaires ».

Le raisonnement est convaincant. Quand bien même la révélation doit être la plus large possible, l’annulation ne doit pas être aveugle. La diversité des facteurs pris en compte est gage d’une solution équilibrée. Néanmoins, on peut s’interroger sur la présence de la notion de lien « intellectuel ». Pourquoi le lien intellectuel, le plus souvent considéré comme indifférent au stade de la révélation, réapparaît au stade de l’annulation ? Il appartiendra à la nouvelle CCIP-CA de nous éclairer !

C - Le respect de sa mission par le tribunal

Les développements de l’arrêt Uzuc sur la question de la mission de l’arbitre sont stimulants (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc). La question portait sur le choix du droit applicable au fond par les arbitres. Les parties au litige se prévalaient, pour l’une, de la loi roumaine et, pour l’autre, de la loi indienne. Le tribunal arbitral n’a retenu ni l’une ni l’autre et a jugé que les Principes d’UNIDROIT 2010 constituaient les règles de droit applicables au litige conformément à l’article 21.1 du règlement de la CCI ainsi qu’à l’article 1511 du code de procédure civile. Ce choix est validé par la cour d’appel. Elle énonce notamment qu’« il est un principe bien établi que les tribunaux arbitraux, disposent d’un large pouvoir d’appréciation et peuvent appliquer des règles de droit directement, sans effectuer d’analyse de conflit de lois ». Cette solution est acquise depuis longtemps en doctrine et appliquée régulièrement par les arbitres. Il n’en demeure pas moins que la voir inscrite aussi clairement dans un arrêt est de nature à rassurer. La solution est d’autant plus marquante que le choix des arbitres s’est tourné vers des règles non étatiques, alors que les parties se prévalaient l’une et l’autre de règles étatiques, bien que différentes.

La cour ajoute deux éléments intéressants concernant le respect de la mission. D’une part, elle rappelle qu’il n’appartient pas au juge du recours de contrôler la dénaturation des documents contractuels par les arbitres (dans le même sens, Civ. 1re, 20 déc. 1993, Sté Fougerolle c/ Sté Butec Engineering, Rev. arb. 1994. 126, note P. Bellet). D’autre part, elle valide la sentence en ce que les arbitres, après avoir constaté que le préjudice réel d’une partie était supérieur à ce qu’elle avait demandé (!), limitent la réparation au montant exact sollicité. Ce faisant, l’arbitre ne statue pas ultra petita, mais, bien au contraire, respecte scrupuleusement les limites de sa mission.

D - La conformité de la sentence à l’ordre public international

On ne cesse de rappeler à longueur de chroniques que la question de l’intensité du contrôle de l’ordre public international est encore incertaine. En effet, les jurisprudences Thales (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, Thales Air Défense c/ Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529) et SNF (Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c/ Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot  ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train) doivent-elles être réservées définitivement aux ouvrages d’histoire du droit ? L’interrogation est légitime. Depuis plusieurs années, la cour d’appel de Paris a considérablement fait évoluer sa jurisprudence, en intensifiant son examen (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; 16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). Ce revirement se traduit par la substitution de l’adjectif « manifeste » à l’adjectif « flagrant ». Néanmoins, la question qui demeure est celle de la portée exacte de la nouvelle solution. En effet, la Cour de cassation n’a, pour l’instant, jamais donné son assentiment à cette (r)évolution, quand bien même les occasions n’ont pas manqué. En outre, la cour d’appel n’a jamais indiqué si la solution devait être étendue à tous les griefs relevant de l’ordre public – interne ou international, procédural ou substantiel. La décision Uzuc est-elle celle tant attendue (Paris, 25 févr. 2020, n° 17/18001, Uzuc, préc.) ? Peut-être. En tout cas, la cour d’appel retient cette fois une formule tout à fait générale et énonce que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation pour la défense de l’ordre public international s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte de manière manifeste, effective et concrète les principes et valeurs compris dans l’ordre public international ». Ce motif est d’autant plus marquant que l’on est loin des griefs classiquement examinés sous l’angle de l’ordre public international : corruption, blanchiment, fraude ou encore ordre public procédural. Cette fois, ce sont les dommages-intérêts punitifs qui sont discutés. Autant dire que, avec cet arrêt Uzuc, l’idée selon laquelle l’intégralité du contrôle de l’ordre public a fait l’objet d’un changement de paradigme prend un peu plus d’épaisseur.

Par ailleurs, l’arrêt reprend mot pour mot l’attendu de l’arrêt Fountaine Pajot : « le principe d’une condamnation au paiement de dommages-intérêts punitifs n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public international français. Il en est autrement si le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur » (Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 09-13.303, Sté Fountaine Pajot, D. 2011. 423, obs. I. Gallmeister , note F.-X. Licari ; ibid. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2011. 93, note H. Gaudemet-Tallon ; RTD civ. 2011. 122, obs. B. Fages ; ibid. 317, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2011. 666, obs. P. Delebecque  ; JCP 2011, n° 6, 140, note J. Juvénal ; Gaz. Pal. 2011. 1. 849, note F. Bérard ; RJ com. 2011. 293, note O. Boskovic). En l’espèce, le grief n’est absolument pas caractérisé, puisqu’il n’est même pas établi que la condamnation est constitutive de dommages-intérêts punitifs.

III – La clause compromissoire

A - La clause (pathologique) et l’autorité de chose jugée de la sentence

La lecture des arrêts de cours d’appel non spécialisées en arbitrage est souvent l’occasion de tomber sur des clauses dont on espère sincèrement qu’elles n’ont pas été rédigées par des professionnels du droit. Un arrêt de la cour d’appel de Montpellier en offre un exemple particulièrement croustillant (Montpellier, 5 mars 2020, n° 15/08584). Voici l’objet du délit : « les parties conviennent, à titre de déclaration d’intention, de faire trancher tous les litiges concernant l’exécution et l’interprétation des présentes par un arbitre, désigné d’un commun accord et, à défaut d’entente, par le tribunal de grande instance de Montpellier. L’arbitre statuera, dans le délai convenu entre les parties, comme amiable compositeur et ce, après avoir entendu les parties et reçu leurs pièces. En cas de désaccord sur la décision de l’arbitre, les parties conserveront toute possibilité de se pourvoir devant le tribunal de grande instance ». Rien ne va dans cette clause. Son champ d’application matériel est, à lui seul, susceptible de provoquer des maux de tête. Mais c’est la nature de la clause qui est finalement au cœur du litige : s’agit-il d’une clause compromissoire ou d’une forme de clause de conciliation préalable ?

Ce qui rend la décision particulièrement intéressante, c’est le stade auquel se déroule cette discussion. En effet, l’arbitrage a bien eu lieu, après notamment que l’arbitre ait été désigné par le juge d’appui. Une sentence a été rendue et a même fait l’objet d’un recours en annulation rejeté. Et c’est à ce stade qu’intervient l’arrêt, puisqu’une partie mécontente de la sentence a saisi, conformément à la clause, le tribunal de grande instance de Montpellier pour que celui-ci tranche le fond du litige. Il soutient que la clause contractuelle était une simple clause de conciliation préalable et qu’il était libre de saisir le juge de première instance. Le défendeur oppose, quant à lui, l’autorité de chose jugée de la sentence.

Le raisonnement de la cour est particulièrement didactique. Pour retenir la qualification de clause compromissoire, et donc l’autorité de chose jugée de la sentence, elle constate que le juge d’appui a désigné l’arbitre sans contestation et que le c’est le demandeur lui-même qui a exercé le recours en annulation. Le comportement des parties conduit la cour à opter en faveur de la qualification d’arbitrage. Ceci étant, ce passage par un contrôle de la compétence ne manquera pas d’être discuté. La cour avait-elle la possibilité de réaliser ce contrôle, alors qu’une sentence avait été rendue et le recours en annulation rejeté ? Une autre façon d’appréhender la situation aurait été de considérer que le rejet du recours en annulation ayant conféré à la sentence l’exequatur, celle-ci a intégré l’ordre normatif français. De ce fait, elle est, dans cet ordre, une décision de justice ayant autorité de chose jugée, indépendamment de la clause.

B - La clause et les lois de police

Les solutions les mieux établies méritent d’être régulièrement rappelées. C’est à ce titre que nous mentionnerons un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 12 mars 2020, n° 19/07463), dans une affaire où l’essentiel de la discussion est purement fantaisiste. Pour s’opposer au renvoi devant un tribunal arbitral, un demandeur ayant saisi les juridictions étatiques soulignait que le litige mettait en cause des règles d’ordre public, notamment une loi de police. La cour rejette sèchement l’exception d’incompétence, en rappelant que « le fait d’invoquer l’application au demeurant contestée d’une loi de police au litige […] est inopérante pour écarter la mise en œuvre de la clause compromissoire ». Ce faisant, la cour reprend une jurisprudence de la Cour de cassation, qui retient que l’existence d’une loi de police ne fait pas obstacle à la mise en œuvre d’une clause attributive de juridiction (Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823, Sté Monster Cable Products Inc c/ Sté Audio marketing services, D. 2009. 200 , note F. Jault-Seseke ; ibid. 2008. 2790, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 684, chron. A. Huet ; ibid. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2009. 1, étude D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2009. 646, obs. P. Delebecque  ; JDI 2009. 599, note M.-N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train ; JCP 2008. II. 10187, note L. d’Avout ; Rev. crit. DIP 2009. 1. Etude D. Bureau et H. Muir Watt) ou d’une clause compromissoire (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Sté Doga c/ Sté HTC Sweden AB, Dalloz actualité, 20 juill. 2020, obs. X. Delpech ; D. 2018. 2884, note M. Audit et O. Cuperlier ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2933, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2011. 667, obs. P. Delebecque ; ibid. 2012. 525, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2010. 514, note R. Dupeyré ; ibid. 2011. 191, note Y. Strickler).

C - La clause et le liquidateur judiciaire

Un arrêt de la chambre commerciale est l’occasion d’un bref rappel des règles applicables en matière de procédure collective (Com. 26 févr. 2020, n° 18-21.810, MJA). Un contrat de franchise contenant une clause compromissoire a été conclu. L’une des parties a été mise en liquidation judiciaire. Son liquidateur, indiquant agir en qualité de représentant des créanciers, a assigné le cocontractant devant le tribunal de commerce de Paris pour voir prononcer la nullité pour dol ou erreur du contrat de franchise. Le défendeur a soulevé une exception d’incompétence fondée sur la clause compromissoire. Elle est accueillie par la cour d’appel de Paris (Paris, 26 juin 2018, n° 17/11231, Gaz. Pal. 2018, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude ; LEDICO oct. 2018, n° 9, p. 3, obs. A.-C. Benoit) et le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation énonce qu’« après avoir constaté que le liquidateur demandait, à titre principal, l’annulation du contrat pour dol ou erreur et, à titre subsidiaire, sa résiliation aux torts exclusifs du franchiseur, puis relevé que la demande indemnitaire était présentée comme une conséquence de ces prétentions, l’arrêt retient à bon droit que le liquidateur exerce les droits et actions du débiteur dessaisi sur le fondement du contrat et que la clause compromissoire n’est en conséquence pas manifestement inapplicable au litige ».

La solution ne surprend pas. Il est acquis que l’application de la clause compromissoire à une action du liquidateur dépend de la nature de l’action. Soit le liquidateur exerce les droits et actions de la société en liquidation et la clause n’est pas manifestement inapplicable (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.552, Torelli c/ StévGFC Construction, Dalloz actualité, 21 avr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 800 ; ibid. 2588, obs. T. Clay ; RTD civ. 2015. 614, obs. H. Barbier ; Cah. arb. 2015. 303, note A. Sarah ; Procédures 2015, n° 6, p. 21, obs. L. Weiller ; RLDC 2015, n° 127, p. 17, obs. M. Desolneux ; JCP 2015. 1152, note L. Weiller ; Rev. arb. 2015. 1171, note L. Weiller) ; soit le liquidateur agit en qualité de représentant des créanciers et la clause est manifestement inapplicable au litige (Com. 17 nov. 2015, n° 14-16.012, Sté Carrefour proximité France c/ Sté Perin Borkowiak, Dalloz actualité, 30 nov. 2015, obs. A. Lienhard ; AJCA 2016. 43, obs. M. de Fontmichel ; Rev. sociétés 2016. 198, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 334, obs. A. Martin-Serf ; ibid. 696, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2016. 49, note H. Barbier). En l’espèce, le liquidateur tentait de faire passer son action pour une action dans l’intérêt collectif des créanciers pour contourner la clause compromissoire. La cour d’appel et la Cour de cassation ne s’y sont pas laissées prendre et les parties sont renvoyées devant les arbitres.

IV – Le juge d’appui et l’excès de pouvoir

La question de l’excès de pouvoir du juge d’appui revient régulièrement en matière d’arbitrage (v. par ex., Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). Les décisions du juge d’appui, selon l’article 1460 du code de procédure civile, font l’objet de voies de recours asymétriques. En principe, aucun recours n’est ouvert, sauf lorsque le juge déclare n’y avoir lieu à désignation pour une des causes prévues à l’article 1455. Toutefois, comme chaque fois qu’aucun recours n’est ouvert, il y est dérogé en cas d’excès de pouvoir. Mais qu’est-ce qu’un excès de pouvoir ? C’est ce que la cour d’appel de Paris (chambre non spécialisée) nous précise (Paris, 26 févr. 2020, n° 19/22834) : « Il est de principe qu’il y a excès de pouvoir lorsque le juge s’arroge des attributions que le dispositif normatif lui refuse ou lorsqu’il refuse d’exercer les compétences que la loi lui attribue. La violation de règles de fond ou de procédure, même lorsqu’il s’agit de la violation d’un principe essentiel de procédure, tel celui du contradictoire ou de la méconnaissance de l’objet du litige, ne constitue pas un excès de pouvoir, mais une simple erreur de droit. Il en est de même en cas d’absence de motivation ou de motivation insuffisante ». Nous n’avons pas trouvé de trace d’une telle définition en jurisprudence ni après un rapide examen des manuels. On peut évidemment discuter de la restriction du domaine de l’excès de pouvoir, qui écarte notamment les violations du contradictoire. Il n’en demeure pas moins que la définition paraît robuste et qu’elle pourrait faire florès. Dans le cas d’espèce, l’irrégularité invoquée à l’encontre de la décision du juge d’appui tenant au défaut de motivation, le recours est logiquement rejeté.

V – L’arbitrage et le coronavirus

Nous ne dirons que quelques mots sur la problématique du coronavirus, car les questions qui peuvent se poser sont multiples et il est difficile de les identifier sans y être confronté.

La première question qui se pose est naturellement celle des délais. Il convient de distinguer les délais pré-arbitraux, les délais de l’instance arbitrale et les délais post-arbitraux.

Le principal délai pré-arbitral est la prescription. À cet égard, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que « tout […] action en justice […] prescrit par la loi ou le règlement à peine de […] prescription […] qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Cette disposition devrait s’appliquer sans difficulté à l’arbitrage interne français. En revanche, en matière d’arbitrage international, elle pourrait donner lieu à de savoureux débats. En effet, encore faut-il que cette disposition soit applicable à l’action en justice internationale. Il s’agit alors de savoir si la prescription relève du fond du droit ou de la procédure, si les parties ont choisi le droit applicable ou encore quelle méthode l’arbitre entend retenir pour déterminer ce droit applicable. Afin de simplifier les choses, la découverte dans le droit étranger d’une disposition équivalente permettrait de rassurer le demandeur.

Cependant, l’ordonnance n’est pas applicable aux délais de la procédure arbitrale elle-même. Elle ne permet pas à une partie de se prévaloir d’une quelconque interruption du délai imparti pour conclure. Néanmoins, l’arbitre est tenu d’assurer le respect du contradictoire. Il paraît judicieux de prendre en considération les difficultés auxquelles les parties sont confrontées pendant cette période et d’accorder les éventuels délais nécessaires. Toutefois, et on touche ici à la principale difficulté, ces délais supplémentaires accordés à une partie peuvent mettre à mal le respect du délai d’arbitrage. Or seuls les parties, l’institution ou le juge d’appui sont susceptibles de le proroger, à l’exclusion des arbitres eux-mêmes. À défaut d’accord des parties et de décision de prorogation de l’institution ou du juge d’appui, il convient pour les arbitres de prendre des mesures adaptées. La plus simple pourrait être le sursis à statuer, prévu par l’article 1472 du code de procédure civile, applicable en matière internationale. La période actuelle constitue une raison légitime pour un tel sursis. À la fin de la période de confinement, le tribunal arbitral reprend l’instance, conformément aux articles 1474 et 1475 du code de procédure civile (qui ne sont pas applicables en matière internationale). Pendant la période de sursis, les délais sont suspendus (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 715). En matière interne, le tribunal arbitral peut même envisager une prorogation pour un délai max de six mois, selon 1475, alinéa 2, du code de procédure civile.

Dans la phase post-arbitrale, les principaux délais sont ceux relatifs à l’exercice du recours et aux différents échanges en procédure d’appel. Là encore, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 s’applique sans difficulté. Par ailleurs, une autre ordonnance, l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, est susceptible d’entraîner une modification de la procédure en cours, notamment en ce qui concerne les échanges d’écritures et les audiences.

Au-delà des délais, les principales questions qui se posent concernent l’incapacité des parties et/ou des arbitres à se réunir pendant cette période (v. sur ces questions). Cela peut évidemment conduire à un report des audiences et/ou à des réunions sous forme dématérialisée. Surtout, la question de la conclusion des différents actes se pose (acte de mission, ordonnance de procédure, sentence arbitrale). Cela peut être l’occasion pour les praticiens de se saisir de la faculté offerte par l’article 1366 et de recourir à l’écrit électronique. On en profite pour signaler que l’article 4-2 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit que « la sentence arbitrale peut être rendue sous forme électronique, sauf opposition de l’une des parties ». Reste à savoir si cette disposition est applicable au-delà de l’arbitrage en ligne prévu par ce texte. Selon nous, peu importe, l’article 1366 du code civil étant suffisant pour envisager une signature électronique de la sentence (dans le même sens, T. Clay, D. 2019. 2435 ). De plus, il faudra que, dans le cadre de la procédure d’exequatur, l’exigence d’une communication de « l’original de la sentence » soit interprétée souplement. Comme le signale déjà Thomas Clay, «  la vraie réforme eût été de permettre l’exequatur des sentences électroniques, ce qui eût supposé une modification du code de procédure civile […]. On s’en sortira peut-être en soutenant qu’il n’y a que des originaux ou que des copies, mais il n’en demeure pas moins que la formulation employée dans ces articles, inspirée de la Convention de New York de 1958 (art. IV, § 1er, b), est obsolète et devrait être toilettée » (D. 2019. 2435, obs. T. Clay ).

VI – Vademecum : l’obligation de révélation et le recours contre la sentence

Ce croquis et ces développements ne se comprennent qu’au stade du recours contre la sentence. Ils visent à permettre à une partie ou au juge du recours de déterminer si l’annulation ou le refus d’exequatur de la sentence est encouru. Il convient de mettre systématique en parallèle le croquis et les développements, afin de ne suivre que les étapes indispensables.

(Cliquer sur le croquis pour accéder à une version haute résolution.)

1. Le fait doit-il être révélé ?

La question du fait à révéler est, que ce soit au stade de sa déclaration d’indépendance par l’arbitre ou du recours contre la sentence, la première question à se poser. Elle devrait en principe donner lieu à une réponse simple et compréhensible par tous. Pour cela, il est nécessaire de fixer des critères entre ce qui doit être révélé et ce qui ne doit pas l’être. En effet, il faut distinguer les omissions indifférentes de celles susceptibles de conduire à une annulation de la sentence.

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile n’apporte qu’un mince éclairage. Il énonce qu’« il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité ». Il ne permet pas d’identifier un quelconque critère. Il existe, en dehors du droit français, des sources qui peuvent opportunément être consultées par les arbitres. Il en va ainsi des IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration de 2014, édictées par International Bar Association. Malheureusement, elles ne sont jamais visées par la jurisprudence française. C’est donc au juge qu’il appartient de donner, au fil de l’eau, les critères de ce qui doit être révélé.

Le plus souvent, la jurisprudence utilise la formule générique suivante : « L’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (Paris, 15 sept. 2015, n° 15/04996 ; 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2019. 522 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2014. 130, note E. Loquin ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Ortscheidt ; Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818, n° 19/15819, préc.). La notoriété est à réserver pour la suite du raisonnement. Pour ce qui concerne les deux autres critères, ils ne permettent pas de véritablement identifier ce qui doit être révélé et procèdent d’une confusion avec les conditions d’annulation de la sentence.

À dire vrai, si la jurisprudence n’a jamais ressenti le besoin de préciser sa définition, c’est qu’elle n’écarte presque jamais le moyen à ce stade. Le plus souvent, elle enchaîne immédiatement sur l’examen de la notoriété ou la recherche d’un doute raisonnable quant à l’impartialité ou l’indépendance de l’arbitre. On peut toutefois essayer d’esquisser les grandes lignes. Deux questions principales peuvent se poser : quel lien ; avec qui ?

* Quel lien ?
De façon synthétique, on peut distinguer trois types de liens : les liens matériels, les liens intellectuels et les liens personnels.

Le lien matériel est le plus critique. La récurrence de ces liens matériels est liée à l’activité habituelle des arbitres, qui en leur qualité d’avocats ou de professeur de droit peuvent avoir eu préalablement une relation d’affaires avec une partie au litige. Dans son état le plus récent, la cour d’appel de Paris énonce que les « circonstances [devant faire l’objet d’une révélation] peuvent être variées et porter sur d’éventuels conflits d’intérêts, sur des relations d’intérêts ou sur un courant d’affaires que l’arbitre a pu avoir avec les parties ou des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, préc.). Cependant, cette appréciation paraît restrictive. La question est de savoir si n’importe quel lien matériel doit être révélé (une invitation au restaurant) ou si celui-ci doit être suffisamment significatif. La jurisprudence demeure incertaine.

Le lien intellectuel est sujet à discussions et semble devoir faire l’objet d’un régime distinct (en ce sens, T. Clay, obs. ss. Civ. 1re, 4 juill. 2012, D. 2012. Pan. 2991, spéc. p. 2998 . L’auteur évoque également la possibilité de distinguer les liens patrimoniaux et les liens extrapatrimoniaux, T. Clay, D. 2014. 2541, spéc. p. 2549 s.  ; v. égal., Le coarbitre, in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 133). En effet, la jurisprudence estime que l’appartenance à une communauté scientifique (Paris, 1er juill. 2011, Sorbrior, LPA 2011, n° 225-226, note P. Pinsolle ; Rev. arb. 2011. 761, obs. D. Cohen ; D. 2011. Pan. 3023, obs. T. Clay ; 1er juill. 2011, SA Emivir c/ SAS ITM Entreprises, D. 2011. Pan. 3023, obs. T. Clay ), la participation à un colloque (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Sté CSF, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012. Comm. 284, note L. Weiller ; JCP 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012, p. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012, p. 3, obs. J. Mestre) ou un congrès (Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 41, obs. D. Bensaude) n’entrent pas dans le champ du devoir de révélation. Néanmoins, il n’est pas certain que cette solution soit généralisable. Dans un arrêt Elisa Distribution (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques), la cour est confrontée à des liens intellectuels : participation à un colloque et participation à une formation universitaire. Si l’annulation n’est pas encourue en l’espèce, la cour n’exclut pas que celui puisse être le cas. Il est d’ailleurs vrai que certains liens intellectuels peuvent faire l’objet d’une appréciation particulière. Est-il véritablement indifférent qu’il y ait eu une relation professeur/élève ? Est-il indifférent qu’une personne ait invité une autre à participer à une manifestation scientifique ? Si ces liens ne justifient pas nécessairement l’annulation de la sentence, leur révélation pourrait s’avérer vertueuse.

Le lien personnel doit également être scruté avec attention. La jurisprudence française est silencieuse sur cette question. Pourtant, la filiation, l’amitié, l’amour, l’intimité voire la haine ne sont-ils pas des liens méritant de faire l’objet d’une révélation ? L’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire – qui ne s’applique pas aux arbitres – y fait explicitement référence, bien qu’il paraisse lacunaire. Les IBA Guidelines y sont également attentifs. De tels liens entre personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales. Il n’est donc pas exclu que leur révélation soit requise.

* Avec qui ?

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La commission des lois du Sénat a publié mercredi 29 avril son second rapport d’étape sur l’état d’urgence sanitaire. Elle y balaie l’activité préfectorale et policière ou la situation dans les prisons et les centres de rétention. Les sénateurs François-Noël Buffet (LR) et Patrick Kanner (PS) se sont penchés sur l’état de la justice. Le sous-équipement structurel de la justice en nouvelles technologies nuit gravement à son bon fonctionnement pendant la crise.

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Auteur d'origine: babonneau

Le Réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire, qui regroupe des universitaires, associatifs, avocats et magistrats, a produit, mercredi 29 avril, une note dans laquelle ils entendent veiller au respect des droits fondamentaux en cette période d’état d’urgence sanitaire.

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Auteur d'origine: babonneau

Même dans les ressorts où la situation n’est pas beaucoup plus préoccupante qu’en temps normal, nombre de juges des enfants s’interrogent sur leur place, notamment face à l’administration.

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Auteur d'origine: babonneau

Dans les médias, on entend des politiques ou des familles ne pas comprendre que les personnes résidantes en établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou dans des établissements médico-sociaux, suspectées d’être atteintes par le coronavirus1, ne soient pas prises en charge à l’hôpital ou en clinique et décèdent dans leur EHPAD, c’est-à-dire leur domicile.

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Auteur d'origine: Bley

Hier Édouard Philippe a présenté la stratégie gouvernementale de déconfinement. Un discours attendu. Au final, l’exercice s’est transformé en véritable question de confiance pour le Premier Ministre. Récit d’une séance atypique.

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Auteur d'origine: babonneau

Au titre des informations à mentionner, de façon claire et concise, dans un contrat de crédit, figurent les modalités de computation du délai de rétractation. En outre, le contrat de crédit ne saurait procéder, pour la communication des informations nécessaires à l’emprunteur, à un renvoi à une disposition nationale qui renvoie elle-même à d’autres dispositions du droit de l’État membre en cause.

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Auteur d'origine: jdpellier

Sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, le délai de prescription pour un titre exécutoire constaté judiciairement est de cinq ans, la prescription décennale du code des procédures civiles d’exécution n’étant pas applicable.

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Auteur d'origine: Dargent

Premier recours en annulation devant la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris : la nouvelle chambre livre son analyse de l’obligation de révélation, de la notoriété des informations et du critère du doute raisonnable.

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Auteur d'origine: Dargent

La CJUE apporte d’utiles précisions quant à la conformité de la notion de coût du crédit hors intérêts à la directive du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et quant à l’applicabilité de la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs à une clause relative à ce coût.

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Auteur d'origine: jdpellier

« Voici donc le moment où nous devons dire à la France comment notre vie va reprendre »

Après deux mois de confinement et de couacs, le début de l’intervention d’Édouard Philippe est attendu. Il est effectivement rare qu’un discours parlementaire soit retransmis en direct sur TF1 et M6 (même si l’arrêt de tournages des téléfilms rend nécessaire la recherche de contenus nouveaux et gratuits). Le Premier ministre souligne d’abord la réussite du confinement, le nombre de personnes en réanimation est passé de 7 100 à 4 600. Puis, il fait ses annonces. Le retour à la normale dépendra de la situation locale (il y aura des départements verts, oranges et rouges), les classes rouvriront très progressivement, les déplacements seront limités à 100 km et la plupart des commerces seront autorisés.

Édouard Philippe annonce aussi, qu’enfin, il y aura des masques et 700 000 tests par semaine. Les personnes testées positives devront s’isoler « en quatorzaine », chez elles (confinant ainsi tout leur foyer), ou dans des hôtels réquisitionnés. Des brigades seront chargées de faire des enquêtes épidémiologiques. Le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui sera au Parlement dès la semaine prochaine, précisera cela.

Ce discours d’Édouard Philippe a lieu dans un climat particulier. Au départ, les députés ne devaient débattre que de l’application StopCovid. Puis, cela s’est élargi à la stratégie de déconfinement. Puis, il y a eu un débat pour savoir s’il fallait ou non un vote. Puis un débat sur la date du vote (juste après le discours de Philippe ou plus tard ?). Confusion supplémentaire, selon la presse, Emmanuel Macron aurait appelé des journalistes pour leur dire, en off, qu’il n’était pas d’accord avec le format choisi par le Premier ministre, puis, durant le conseil des ministres, il a démenti « très fermement » toute rumeur de friction. Un démenti qui évidemment relancé les rumeurs de frictions, selon les quelques observateurs qui suivaient encore.

Devant les députés, Édouard Philippe défend la procédure choisie : « Nous avons choisi de réserver à l’Assemblée nationale ces annonces et de lui permettre de réagir, de critiquer et d’interroger le Gouvernement. […] En ces temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux mais très colériques, d’immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes les questions d’intérêt national ». Et, poursuit-il, « j’ai été frappé, depuis le début de cette crise, par le nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait fallu faire selon eux à chaque instant. La modernité les a souvent fait passer du café du commerce à certains plateaux de télévision. Les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas, je le crains, le débat public. Les députés ne commentent pas. Ils votent. »

« Ce que vous voulez, ce n’est pas notre avis, mais notre confiance »

Le débat se déroule dans le cadre de l’article 50-1 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire une déclaration, « qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité. » Une procédure curieuse, un débat sans amendement et sans enjeu, dont les gouvernements ont d’ailleurs fait un usage modéré depuis sa création, en 2008, la cantonnant aux sujets trop techniques pour passionner (programme de stabilité, fiscalité écologique). Car, que se passerait-il si l’Assemblée votait contre la déclaration gouvernementale ? La Ve République s’est toujours méfiée des questions de confiance cachées qui ont miné les républiques précédentes. Mais cette confiance sera le cœur du débat.

Le député communiste Stéphane Peu « après nous avoir convié à débattre cet après-midi d’une application qui n’existe pas, voilà que vous devons participer à un débat bâclé, sur un plan de déconfinement que les parlementaires n’ont pas eu le loisir de découvrir ni d’amender. En réalité, ce que vous voulez, ce n’est pas notre avis, mais notre confiance. Mais elle vous est moins que jamais acquise ». Damien Abad, président du groupe LR : « Comme plus de 6 Français sur 10 nous n’avons pas confiance, nous n’avons plus confiance. » Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « Ne demandez pas de nous accorder une confiance que jusqu’ici vous ne méritez pas. »

L’opposition dénonce les multiples volte-face du gouvernement, le manque de masques, de tests et de respirateurs. Le président du groupe Modem, Patrick Mignola défend le gouvernement : « On a beaucoup glosé et sur la prétendue impréparation du gouvernement. Mais depuis trois ans que suis parlementaire, je n’ai jamais entendu, ni sur le terrain, ni ici, que nous devions voter des demandes d’achat massif de masques pour reconstituer les stocks ou relocaliser leur production. »

« Monsieur le Premier ministre, si vous étiez une infirmière, auriez-vous confiance ? »

Le drame du débat parlementaire français est que les parlementaires français ne veulent jamais débattre. Ce qui compte, c’est le discours. Quand, à la chambre des communes britannique les interventions fusent, le parlementaire français doit faire long. Mais, les orateurs n’ayant que 15 minutes de pause après l’intervention d’Édouard Philippe pour se préparer, les discours de réaction ont tous été écrits la veille. Résultat, entre les députés trop tendus pour décoller leur nez de leur feuille et ceux qui n’ont pas modifié une ligne d’un texte déjà périmé, l’exercice est ennuyeux.

Certains arrivent à sortir du cadre. Le jeune député LR Aurélien Pradié, « sur les masques, vous n’avez pas donné de garantie solide et vos explications ressemblaient davantage à des excuses. » « Aujourd’hui avons-nous confiance ? Monsieur le Premier ministre, si vous étiez une infirmière qui s’est protégée plusieurs semaines durant avec des sacs poubelles comme blouse de fortune, auriez-vous confiance en Emmanuel Macron et en votre propre gouvernement ? Si vous étiez un médecin libéral qui a attendu de longues semaines des masques qui ne venaient pas, si vous étiez une aide-soignante qui les attend encore, auriez-vous confiance ? Si vous étiez un parent d’élève inquiet de voir la reprise de l’école, voir les ordres et les contre ordres, auriez-vous confiance ? »

En réponse, Édouard Philippe insiste : « La partie que nous devons jouer ensemble est redoutable C’est une partie difficile, c’est une partie risquée, mais nous ne réussirons à rien si nous ne sommes pas confiants. Mais la confiance n’est ni l’inconscience, ni la béatitude. C’est simplement la certitude que notre pays a en lui-même les ressources exceptionnelles pour affronter cette partie difficile ». Au final, 368 députés votent pour la déclaration, 100 contre et le reste s’abstient. Presque toute la majorité a soutenu. Les groupes LR, PS et UDI sont très hésitants. Comme le pays.

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Le droit de la consommation, plus que toute autre matière, exige une certaine clarté dans les contrats (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 84). La Cour de justice de l’Union européenne y veille scrupuleusement, comme en témoigne en arrêt rendu le 26 mars 2020 (CJUE 26 mars 2020, aff. C-66/19, D. 2020. 712, obs. G. Poissonnier ). En l’espèce, un consommateur a souscrit, en 2012, un crédit garanti par des sûretés réelles d’un montant de 100 000 €, au taux débiteur annuel de 3,61 % fixe jusqu’au 30 novembre 2021. Il est prévu que l’emprunteur dispose de quatorze jours pour se rétracter par écrit et que ce délai commence à courir après la conclusion du contrat mais pas avant que l’emprunteur n’ait reçu toutes les informations obligatoires mentionnées à l’article 492, paragraphe 2, du BGB (code civil allemand). Toutefois, ledit contrat ne contient pas ces informations, qui déterminent pourtant le point de départ du délai de rétractation. Il se limite en effet à renvoyer à une disposition du droit allemand qui, elle-même renvoie à d’autres dispositions du droit allemand. Par la suite, début 2016, l’emprunteur a déclaré à la banque qu’il exerçait son droit de rétractation. Celle-ci considère cependant qu’elle l’avait dûment informé et que le délai pour exercer ce droit a déjà expiré. Le tribunal régional de Sarrebruck, saisi par l’emprunteur, se demande donc si celui-ci a été correctement informé de la période durant laquelle il peut exercer son droit de rétractation, ce qui l’amène à saisir la Cour de justice afin qu’elle interprète la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs.

Se posait un premier problème, relatif à la compétence de la Cour pour se prononcer au regard de cette directive dans la mesure où celle-ci ne s’applique pas « aux contrats de crédit garantis par une hypothèque, par une autre sûreté comparable communément utilisée dans un État membre sur un immeuble, ou par un droit lié à un bien immobilier » (art. 2, § 2, a). Ces contrats relèvent en effet de la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, op. cit., n° 193). Or, en l’occurrence, le crédit était précisément garanti par des sûretés réelles, raison pour laquelle, le Gouvernement allemand soutenait que la Cour n’était pas compétente pour répondre aux questions posées. Toutefois, ce prétendu obstacle est écarté par la Cour au motif que, conformément à la possibilité offerte par le considérant 10 de la directive de 2008, « le législateur allemand a (…) décidé d’appliquer le régime prévu par la directive 2008/48/CE à des contrats tels que celui en cause » (pt 27). La Cour rappelle également qu’elle « s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits en cause au principal se situaient en dehors du champ d’application de celui-ci et relevaient dès lors de la seule compétence des États membres, mais dans lesquelles lesdites dispositions du droit de l’Union avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (CJUE 12 juill. 2012, SC Volksbank România, aff. C-602/10, pt 86 et jurisprudence citée, D. 2012. 1949 ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud , ) » (pt 28). La demande de question préjudicielle fut donc, à juste titre, déclarée recevable.

Une fois cette question de compétence réglée, encore fallait-il se prononcer sur les trois questions formellement posées à la Cour (seules les deux premières questions reçurent une réponse, la Cour ayant estimé que compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question). Cette dernière a considéré, en premier lieu, que « L’article 10, paragraphe 2, sous p), de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que, au titre des informations à mentionner, de façon claire et concise, dans un contrat de crédit, en application de cette disposition, figurent les modalités de computation du délai de rétractation, prévues à l’article 14, paragraphe 1, second alinéa, de cette directive ». La solution est fondée au regard de l’article 10, paragraphe 2, sous p) de la directive de 2008, qui vise « l’existence ou l’absence d’un droit de rétractation, la période durant laquelle ce droit peut être exercé et les autres conditions pour l’exercer (…) ». Afin d’étayer son raisonnement, la Cour rappelle que « l’exigence consistant à mentionner, dans un contrat de crédit établi sur un support papier ou sur un autre support durable, de façon claire et concise, les éléments visés par cette disposition est nécessaire afin que le consommateur soit en mesure de connaître ses droits et ses obligations (CJUE 9 nov. 2016, Home Credit Slovakia, aff. C-42/15, pt 31, D. 2017. 328 , note F. Boucard ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais ) » (pt 35). Elle rappelle également que « cette exigence contribue à la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2008/48/CE, qui consiste à prévoir, en matière de crédit aux consommateurs, une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de domaines clés » (pt. 36). Or, le droit de rétractation revêt, pour le consommateur, « une importance fondamentale » (pt. 37). Cette considération montre, une fois de plus, à quel point le droit de rétractation est une pièce essentielle de la protection des consommateurs (V. déjà CJUE 23 janv. 2019, aff. C-430/17, spéc. pt 46, D. 2019. 196 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDC 2019, n° 116a4, p. 66, note J.-D. Pellier, ayant considéré en matière de contrat conclus à distance, que « Compte tenu de l’importance du droit de rétractation pour la protection du consommateur, l’information précontractuelle concernant ce droit revêt, pour ce consommateur, une importance fondamentale et lui permet de prendre, d’une façon éclairée, la décision de conclure ou non le contrat à distance avec le professionnel »). À cet égard, le droit français se montre relativement exemplaire : non seulement le contrat de crédit doit comporter, entre autres informations, « l’existence du droit de rétractation, le délai et les conditions d’exercice de ce droit » (C. consom., art. L. 312-28 et R. 312-10, 5°, b), sous peine de déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4, al. 1er), mais , en outre, l’article L. 312-21 du code de la consommation prévoit, également sous peine de déchéance du droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4, al. 1er) mais aussi d’une contravention de la 5e classe (C. consom., art. R. 341-4), qu’« Afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L. 312-19, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit », l’article R. 312-9 précisant que « Le formulaire détachable de rétractation prévu à l’article L. 312-21 est établi conformément au modèle type joint en annexe au présent code. Il ne peut comporter au verso aucune mention autre que le nom et l’adresse du prêteur ». Or, le modèle type visé par ce texte contient les informations relatives à la computation du délai de rétractation (encore qu’il pourrait être précisé, conformément à l’article L. 312-20, que le délai de rétractation « court à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit comprenant les informations prévues à l’article L. 312-28 ». Comp. C. consom., anc. art. L. 312-20, qui prévoyait des modalités de computation beaucoup plus précises).

En second lieu, la Cour de justice considère que « L’article 10, paragraphe 2, sous p), de la directive 2008/48/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un contrat de crédit procède, s’agissant des informations visées à l’article 10 de cette directive, à un renvoi à une disposition nationale qui renvoie elle-même à d’autres dispositions du droit de l’État membre en cause ». La Cour fonde notamment son raisonnement sur la considération selon laquelle « la connaissance et une bonne compréhension, par le consommateur, des éléments que doit obligatoirement contenir le contrat de crédit, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48/CE, sont nécessaires à la bonne exécution de ce contrat et, en particulier, à l’exercice des droits du consommateur, parmi lesquels figure son droit de rétractation » (pt 45). Là encore, la solution est parfaitement justifiée au regard de l’exigence de clarté qui imprègne le droit de la consommation. Cependant, le droit français, cette fois-ci, ne se montre pas aussi exemplaire, sur un plan plus général, puisque l’on sait que nombreuses sont les dispositions renvoyant à d’autres dispositions, opérant elles-mêmes un renvoi (le renvoi est même devenu le principe s’agissant des sanctions depuis l’ordonnance n° 2016-301 relative à la partie législative du code de la consommation, ce qui n’améliore guère la lisibilité du droit. V. à ce sujet, J.-M. Brigant, Recodification du code de la consommation : SOS d’un pénaliste en détresse, RLDA oct. 2016, p. 14). En somme, renvoi sur renvoi ne vaut, tel est le message prodigué par la Cour de Luxembourg.

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Dans deux arrêts rendus le même jour, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à analyser la spécificité de l’application dans le temps de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile à propos de deux saisies-arrêts.

À titre liminaire, il est important de préciser qu’il s’agit de litiges nés en Nouvelle-Calédonie et rappeler que le code des procédures civiles d’exécution n’y est pas applicable, les voies d’exécution restant régies par l’ancien code de procédure civile, notamment les articles 557 à 582 pour la saisie-arrêt (ancêtre de la saisie conservatoire et de la saisie attribution avec la saisie exécution des art. 583 s. du même code).

Dans l’arrêt portant le n° 18-23.782, le 8 janvier 2009, une banque obtient un arrêt de condamnation, devenu irrévocable en 2012 à la suite du rejet du pourvoi formé à son encontre (arrêt de rejet du 23 févr. 2012, n° 09-13.113, D. 2012. 610 ; AJDI 2012. 451 ; ibid. 460 , obs. N. Le Rudulier ; RTD civ. 2012. 346, obs. P. Crocq ).

En vertu de ce titre exécutoire, elle fait pratiquer une saisie-arrêt le 6 septembre 2016 et assigne en validité le 12 septembre suivant.

Dans l’arrêt portant le n° 18-22.908, une banque obtient un arrêt de condamnation le 27 octobre 2005.

En vertu de ce titre exécutoire, elle fait pratiquer une saisie-arrêt le 2 août 2016 et assigne en validité le 4 août suivant.

Sans reprendre le détail de mon cours de voies d’exécution distillé par Monsieur le doyen et professeur Pierre Julien en 1988, il faut rappeler qu’à peine de nullité, la saisie-arrêt devait être suivie d’une assignation en validité portée devant le tribunal du lieu du domicile du saisi et diligentée à l’encontre de ce dernier avec dénonciation au tiers saisi (art. 563 à 567 de l’ancien code de procédure civile ; v. A. Joly, Cours élémentaires de droit. Procédure civile et voies d’exécution, Tome II, Voies d’exécution, éditions Sirey, 4e trimestre 1968, Les saisies-arrêts, pages 62 à 76, n° 357 à 366).

Je ne résiste pas au plaisir de rappeler les dispositions poétiques de l’article 563 de l’ancien code de procédure civile :
« Dans le délai de huitaine de la saisie-arrêt ou de l’opposition, outre un jour pour trois myriamètres de distance entre le domicile du tiers saisi et celui du saisissant, et un jour pour trois myriamètres de distance entre le domicile de ce dernier et celui du débiteur saisi, le saisissant sera tenu de dénoncer la saisie-arrêt ou opposition au débiteur saisi et de l’assigner en validité ».

Une fois la saisie-arrêt validée, la somme saisie était répartie selon la distribution par contribution.

Dans le respect de ces règles, dans les deux arrêts soumis à l’examen de la cour de cassation, la banque a bien assigné en validité dans le délai de huit jours suivant la saisie-arrêt prescrit par l’article 563 de l’ancien code de procédure civile.

Dans les deux espèces, le saisi s’est prévalu de la prescription de l’action.

Il faut rappeler que si la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et bien applicable sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, l’article 25, II dispose que :
« II-La présente loi, à l’exception de son article 6 et de ses articles 16 à 24, est applicable en Nouvelle-Calédonie ».

Or, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 insérant dans la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution un article 3-1 (devenu art. L. 111-4 c. pr. ex.) stipulant que l’exécution des titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long, figurent à l’article 23 et ne sont donc pas applicables sur le territoire de Nouvelle-Calédonie.

Il convenait donc de déterminer quel était le délai de prescription applicable.

Dans l’espèce portant le n° 18-23.782, le tribunal de première instance de Nouméa avait rejeté la demande de la banque au motif que l’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2009 était prescrite.

La cour d’appel a confirmé ce jugement. La banque s’est pourvue en cassation et a sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

La question portait sur le point de savoir si l’article 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 en ce qu’il exclut l’application, en Nouvelle-Calédonie, du délai de prescription spécial prévu pour l’exécution des titres exécutoires, méconnaissait le principe d’égalité devant la loi ainsi que la protection du droit de propriété

Par arrêt du 20 juin 2019 (Civ. 2e, 20 juin 2019, n° 18-23.782), la cour a rejeté cette demande et a donc examiné le pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt commenté.

Le premier moyen relatif à la question prioritaire de constitutionnalité ayant été purgé par l’arrêt du 20 juin 2019 (préc.), restait à examiner le second moyen consistant à résoudre une question d’application de la loi dans le temps.

En effet, la banque faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de Nouméa d’avoir retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription quinquennale de son action et soutenait que celle-ci était en réalité soumise à la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil, alors applicable aux titres exécutoires avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

Pour soutenir ce moyen, la banque s’appuyait sur l’article 26, III, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile disposant que lorsqu’une instance avait été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’action était poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne.

Or, selon la banque, l’action ayant abouti à l’obtention de son titre exécutoire, concrétisé par l’arrêt du 8 janvier 2009, avait bien été engagée avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et devait être poursuivie selon la loi ancienne de l’article 2262 du code civil.

Selon la banque, c’est donc à tort que la cour d’appel avait retenu l’application de la prescription quinquennale de droit commun relative aux actions portant sur des créances mobilières ou personnelles.

En toute logique, la cour de cassation rejette le pourvoi.

En effet, s’il n’est pas contestable que l’action ayant abouti à l’obtention du titre exécutoire obéissait au régime ancien de la prescription, elle rappelle en toute simplicité que l’action en exécution d’un titre exécutoire constitue une instance distincte de celle engagée afin de faire établir judiciairement l’existence de la créance.

Or, cette voie d’exécution avait bien été introduite après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette action n’était pas soumise au délai de prescription trentenaire.
Dans cette première espèce, la banque avait oublié qu’il faut être deux pour danser la valse et qu’il ne faut pas confondre action en paiement et voies d’exécution.

Dans la seconde espèce portant le n° 18-22.908, la cour d’appel de Nouméa avait validé la saisie-arrêt et écarté la fin de non-recevoir soutenu par le saisi.

À l’appui de son pourvoi, le saisi soutenait que seul le délai de prescription de droit commun des actions réelles et mobilières réduit à cinq ans par l’article 1er de la loi du 17 juin 2008, qui modifie l’article 2244 du code civil, pouvait, sur ce territoire, régir les actions en recouvrement d’une créance constatée judiciairement, et qu’en faisant néanmoins application d’un délai de dix ans, la cour d’appel aurait violé les articles 1er, 23 et 25 II de la loi de la loi du 17 juin 2008.

En effet, pour valider la saisie-arrêt pratiquée, la cour d’appel avait retenu que l’instance en validité ayant été diligentée postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réduisant à dix ans le délai de prescription des titres exécutoires et la créance en cause se prescrivant par un délai inférieur à celui-ci, soit cinq ans, le délai décennal était applicable.

Là encore, c’est logiquement que la cour de cassation casse cet arrêt, au visa de l’article 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile en rappelant, que l’article 3-1 de la loi du 9 juillet 1991 (devenu art. L. 111-4 c. pr. ex.) n’étant pas applicable en Nouvelle-Calédonie en l’absence, sur ce territoire, de délai spécifique au-delà̀ duquel un titre exécutoire ne peut plus être mis à̀ exécution, il y avait lieu de considérer qu’il pouvait l’être dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, ramené́ en Nouvelle-Calédonie de trente ans à cinq ans.

Dans les deux espèces, la question se pose de savoir pourquoi, alors qu’ils étaient titulaires de titres exécutoires obtenus en 2005 et 2009, les créanciers ont attendu aussi longtemps pour engager des voies d’exécution, oubliant la morale de la fable : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » (Jean de La Fontaine, Fables, Livre sixième, X, le Lièvre et la Tortue).

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Très attendue par les observateurs, la jurisprudence naissante de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris s’enrichit d’une série d’arrêts, rendus le même jour et dans la même affaire. Cette chambre nous livre ainsi son analyse de la délicate question de l’obligation de révélation des arbitres et des circonstances susceptibles de générer un doute quant à leur indépendance et leur impartialité.

Le litige à l’origine des sentences contestées s’est élevé à l’occasion des relations d’affaires de plusieurs sociétés brésiliennes, liées par un accord d’exploitation commune pour la réalisation d’un projet pétrolier offshore : les sociétés Dommo Energia SA, Barra Energia do Brasil Petróleo e Gás Ltda, ainsi que la société Queiroz Galvão Exploração e Produção SA, devenue Enauta Energia SA.

Un désaccord s’étant élevé entre elles, la société Dommo a introduit une demande d’arbitrage à l’encontre des sociétés Barra et Enauta devant la London Court of International Arbitration (LCIA). Rapidement, les arbitres désignés de part et d’autre ont transmis leurs déclarations d’indépendance respectives en novembre 2017.
Une fois constitué, le tribunal arbitral, siégeant à Paris, a rendu une série de sentences (sentence intérimaire du 21 févr. 2018 sur la bifurcation de la procédure, sentence « Phase I » du 24 sept. 2018, sentence du 24 déc. 2018 sur les frais de l’arbitrage, sentence corrective du même jour, sentence du 24 janv. 2019 mettant fin à la sentence intérimaire sur la bifurcation, sentence partielle « Phase II » du 28 janv. 2019). Ce sont ces sentences qui ont fait l’objet de recours en annulation devant la cour d’appel de Paris (nos 19/07575 ; 19/15816 ; 19/15817 ; 19/15818 ; 19/15819), à l’initiative de la société Dommo.

Il était reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé les liens qui l’unissaient indirectement à l’une des parties. En effet, la société Dommo a fait valoir qu’en cours d’arbitrage, elle aurait eu fortuitement connaissance du fait que, de 2012 à 2015, soit deux ans et demi avant le début de l’arbitrage, l’arbitre nommé par les défenderesses avait travaillé pour un cabinet saoudien, lui-même affilié à un cabinet dont étaient clientes deux sociétés actionnaires de celles-ci, les fonds d’investissement First Reserve Corporation et Riverstone Holdings.

La demande de récusation présentée à la LCIA en janvier 2019 ayant été rejetée, c’est dans le cadre du recours en annulation contre les sentences déjà rendues que la société Dommo a réitéré le grief devant la cour d’appel de Paris, donnant à la chambre commerciale internationale une première occasion de nous livrer ses vues quant au devoir d’indépendance et d’impartialité des arbitres et quant à l’obligation de révélation qui leur incombe.

Le principe est bien établi : afin de garantir l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile impose à ce dernier « de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité » et ce, avant d’accepter sa mission ou en cours d’arbitrage, si une telle circonstance survenait alors.
Les difficultés de mise en œuvre de cette obligation sont bien connues également. Les textes étant silencieux sur le contenu de la révélation, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu d’en préciser les critères, source d’un important contentieux.

L’arrêt commenté ajoute ainsi sa pierre à un édifice qui, par effet d’accumulation dans une matière très casuistique, ne se caractérise pas par sa clarté. L’apport de la chambre commerciale internationale, s’il recèle d’intéressantes précisions, ne va pas non plus sans soulever des interrogations.

De façon très pédagogique, la Cour prend soin de rappeler le cadre de l’obligation de révélation (§§ 41-43). Elle envisage notamment la dimension temporelle de cette obligation et rappelle, conformément à la formule de l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, qu’elle s’étend dans le temps et dure tout le long de l’arbitrage, avant et après l’acceptation de la mission « selon que les circonstances incriminées préexistent ou surgissent après ladite acceptation » (§ 42).

Par ailleurs, après avoir brièvement présenté la nature de liens devant être révélés – et sur lesquels nous reviendrons – la Cour précise que cette obligation s’apprécie « au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre ».

Ces deux critères – le premier, négatif, de la notoriété et le second, positif de la pertinence des informations – marquent les deux temps du raisonnement de la Cour. D’abord, se pose la question de savoir si l’arbitre avait bien l’obligation de révéler les liens, eu égard à leur prétendue notoriété (I). À cet égard, la réponse est positive. Ensuite, se pose la question de savoir si la situation critiquée entretenait des liens avec le litige et était de nature à influencer l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre (II). Après analyse, la Cour estime que les liens entre l’arbitre et la société Barra sont trop ténus pour donner lieu à l’annulation de la sentence.

I - Exception de notoriété

À la question de savoir si les liens autrefois entretenus par l’arbitre avec le cabinet d’avocats qui représentent les actionnaires de la société Barra étaient notoires et, partant, s’ils pouvaient être exclus de l’obligation de révélation, la cour d’appel répond par la négative. En conséquence, ces liens auraient dû être révélés par l’arbitre.

Un tel recours à l’exception de notoriété s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. L’exception est désormais classique (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; v. égal., Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra, n° 09/28537, Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen  ; Cah. arb. 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011. 19, obs. D. Bensaude ; Paris, 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ Sté JMB Corporation, n° 11/11153, D. 2012. 2991, obs. T. Clay  ; Paris, 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013. 18, obs. D. Bensaude ; Paris, 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, n° 5, obs. J. Ortscheidt ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; Rev. arb. 2020, note L. Jaeger, à paraître) : l’arbitre n’est pas tenu de révéler les informations le concernant dès lors que celles-ci sont notoires.

Si elle permet de prévenir des techniques dilatoires et s’inspire d’un louable esprit de loyauté procédurale, le recours à la notoriété n’est pas exempt de critiques, notamment au regard de son critère (A) et de ses enjeux (B) (v. not, J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 oct. 2019 ; T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, note sous Paris, 12 avr. 2016, n° 14/884, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, Cah. arb. 2016. 447, n° 11 ; L.-C. Delanoy, Les obligations respectives des arbitres et des parties en matière d’indépendance de l’arbitre, note sous Paris, 29 mai 2018 et Paris, 27 mars 2018, Rev. arb. 2019. 522, spéc. n° 17-19).

A - Les critères de la notoriété

La notion pèche tout d’abord par la difficulté qu’il y a à en arrêter les critères. À cet égard, l’arrêt rendu le 25 février 2020 apporte d’utiles précisions.

Bien que l’on sache désormais que la notion de notoriété est employée dans une acception large, incluant les informations aisément accessibles (v. not. Civ. 1re, 15 juin 2017, République de Guinée Equatoriale c/ Sté Orange Middle East and Africa, n° 16-17.108, Bull. civ. I, n° 746 ; D. 2017. 1306 ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin ), beaucoup d’incertitudes demeurent quant à ce qui caractérise concrètement une information facile d’accès.

En particulier, les juges ont déjà eu l’occasion d’admettre le caractère notoire des informations disponibles sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, préc. ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, D. 2019. 24 ; ibid. 2435, obs. T. Clay  ; Cah. arb. 2019. 401, note T. Clay ; Procédures 2019. Etude 8, obs. L. Weiller ; JCP E 2019.177, note A. Constans ; et les arrêts précédents). Il ne paraît toutefois pas saugrenu de se demander, à l’instar du demandeur au recours, si le simple fait qu’une information soit disponible sur internet doive nécessairement conduire à affirmer qu’elle est aisément accessible.

Ainsi que la jurisprudence a eu l’occasion de le rappeler, il « ne saurait être exigé […] que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées » (Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc.). Cette position est également celle de la chambre commerciale internationale qui prend soin, au moyen d’une analyse détaillée, d’apporter des précisions à cet égard.

À en croire le défendeur au recours, dans l’affaire commentée, l’information litigieuse était disponible au moyen d’une consultation du site internet de l’arbitre. L’affirmation est exacte, mais la Cour ne s’en contente pas. Elle s’intéresse de façon très concrète aux opérations nécessaires pour accéder à l’information à partir du site en question (§§ 49-52). À cet égard, elle relève que « l’accès à cette information sur internet n’est possible qu’à l’issue d’un dépouillement approfondi et d’une consultation minutieuse du site internet de l’arbitre exigeant d’ouvrir tous les liens relatifs aux conférences auxquelles il a participé et de consulter le contenu l’un après l’autre des publications auxquelles il a contribué » (§ 51). En d’autres termes, pour la Cour, « l’accès à l’information nécessite plusieurs opérations successives qui s’apparentent à des mesures d’investigation » (§ 52), en conséquence de quoi elles ne peuvent être considérées comme aisément accessibles et donc notoires (dans le même sens, mais sans autant de détails, v. Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela, où le juge de l’annulation relève que la recherche sur internet était « d’une grande simplicité » ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, préc., où il est question d’« une simple consultation de sites internet librement accessibles »).

La Cour en conclut donc que l’information ne pouvant « être considérée comme notoire, […] l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration » (§ 52).

En ce qu’elle identifie ainsi le critère de la notoriété, la solution mérite l’approbation. Bien qu’il ne soit pas rare que les conseils des parties se livrent à de véritables enquêtes concernant les arbitres nommés dans la procédure, il n’est pas nécessaire, ni même sain, d’exiger de leur part qu’elles s’adonnent à de telles recherches approfondies.

Dans le même esprit, on notera par ailleurs que la Cour fait sienne une formule de la jurisprudence antérieure, à savoir que les informations notoires sont celles « que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage » (§ 45 ; v. égal. Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc. ; Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen. V. égal. Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen). Bien que cette question n’ait pas été en débat dans la présente affaire, la Cour semble ainsi admettre, à l’instar des juges du pôle 1 – chambre. 1, et à juste titre, que le « devoir de curiosité » (E. Loquin, Autour de l’obligation de révélation, note sous Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 234) des parties est limité dans le temps et que ces dernières ne sont pas tenues de poursuivre leurs investigations postérieurement au début de l’arbitrage. La Cour donne en outre indirectement des indices sur ce qui aurait permis que les informations soient considérées comme notoires dès lors qu’elle constate que le « site ne mentionne nullement de manière claire, évidente et transparente une quelconque collaboration de l’intéressé avec un cabinet d’avocats ».

Pour autant, toute incertitude quant au critère n’est pas levée. On se souviendra par exemple qu’en octobre 2019, la Cour de cassation a considéré que l’information figurant dans un annuaire spécialisé et de portée géographique limitée devait être considérée comme notoire (sur nos réserves à cet égard, v. C. Debourg, obs. sous Civ. 1re, 3 oct. 2019, Sté Audi Volkswagen Middle East Fze LLC c/ Sté Saad Buzwair Automotive Co., préc.). En comparaison, l’information figurant sur le site de l’arbitre lui-même, mais nécessitant une analyse minutieuse du site pouvait sembler nécessiter moins d’investigations. Il faudra attendre d’autres décisions pour apprécier s’il s’agit là d’une réelle divergence de vues entre les deux chambres.

B - Les enjeux de la notoriété

Des précisions quant au critère de la notoriété sont d’autant plus attendues que l’exception de notoriété est chargée d’enjeux importants ; elle est susceptible de jouer contre les parties, faisant peser sur elles une obligation particulièrement lourde, alors même qu’elles sont initialement « créancières de l’information et non pas débitrices » (T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, préc., n° 14. En ce sens, v. égal. M. Henry, note sous Paris, 12 avr. 2016, Rev. arb. 2017. 949 ; L.-C. Delanoy, Les obligations respectives des arbitres et des parties en matière d’indépendance de l’arbitre, note sous Paris, 29 mai 2018 et Paris, 27 mars 2018, Rev. arb. 2019. 522 et nos obs. sous Civ. 1re, 19 déc. 2018, Tecnimont : obligation de révélation de l’arbitre et obligation de s’informer à la charge des parties : un équilibre encore perfectible, D. 2019. 2435 ).

Bien que cela ne soit pas expressément énoncé par la cour d’appel, qui aborde la question de la notoriété du point de vue de l’arbitre et de son devoir de révélation (§§ 41-43 ; § 45 : la notoriété d’une situation est « susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre » ; § 52 : « l’arbitre aurait dû en conséquence la révéler dès sa première déclaration »), l’exception de notoriété n’a pas seulement pour effet de dispenser l’arbitre de révéler l’information. Elle a également un effet essentiel sur les obligations des parties, notamment sur ce qu’il est désormais courant d’appeler leur devoir de réaction et en particulier sur la nécessaire célérité de ce dernier.

C’est là le véritable enjeu de l’exception de notoriété. L’information notoire étant réputée connue des parties, elle fait courir le délai dans lequel celles-ci peuvent présenter leur demande de récusation. La sanction du non-respect de ce délai est particulièrement vigoureuse. La partie qui tarderait à réagir sera réputée avoir renoncé à se prévaloir du grief tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, en application de l’article 1466 du code de procédure civile (V. égal., antérieurement au décret du 13 janv. 2011, Civ. 1re, 31 janv. 2006, Bull. civ. I, n° 37 ; 20 mai 2003, Rev. arb. 2004. 312 (1re esp.) ; Paris, 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004. 312 (3e esp.)). Ainsi, s’il n’a pas été présenté en temps utile au cours de la procédure arbitrale, le grief sera considéré comme irrecevable.

Le mécanisme est d’autant plus sévère que le délai à respecter s’entend aussi bien du délai légal de récusation que de celui prévu par le règlement d’arbitrage d’une institution. Ainsi, « la partie qui, en connaissance de cause, s’abstient d’exercer, dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre, est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir devant le juge de l’annulation » (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c/ J&P Avax (Sté), D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 1981, avis P. Chevalier ; ibid. 1986, note B. Le Bars ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani ; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay).

L’article 10.3 du règlement de la LCIA applicable en l’espèce prévoit que la demande de récusation doit être présentée dans un délai de 14 jours à compter de la constitution du tribunal arbitral ou à compter de la découverte du grief affectant le tribunal, si celle-ci est postérieure à sa constitution. La question se posait donc de savoir si ce délai avait été respecté, dès lors que la société Dommo avait attendu le mois de janvier 2019, près d’un an après le début de l’arbitrage, pour introduire sa demande de récusation. En d’autres termes, n’avait-elle pas agi trop tard pour être recevable à présenter à nouveau le grief ?

L’enjeu est là et figure expressément dans l’argumentation des défendeurs telle qu’elle ressort de l’arrêt (v. § 34 : la société Barra faisait valoir que la demande de récusation avait été faite hors délai, tandis que la société Enauta arguait d’un manquement de la société Dommo à son devoir de réaction, § 35). Le demandeur, quant à lui contestait « qu’il puisse lui être fait grief de ne pas avoir demandé la récusation de [l’arbitre] dès sa nomination » et « conteste tout caractère tardif de sa demande en récusation » (§§ 27-28).

Pour autant, dès les premiers motifs de la décision, la cour d’appel énonce fermement qu’elle n’a pas été saisie d’une demande d’irrecevabilité de la demande d’annulation « au motif que la contestation de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitre serait tardive » (§ 39), car cette demande n’a pas été formulée dans les prétentions des parties énoncées dans le dispositif de leurs conclusions.

Ainsi qu’indiqué plus haut, l’argument avait bien été invoqué mais, précise la Cour, uniquement dans des moyens développés au fond (§ 39). En application de l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, en vertu duquel « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion », la Cour refuse donc de se prononcer sur la question de la tardiveté de la demande.

En l’absence d’information sur les conclusions effectivement déposées, cette affirmation de la cour d’appel est d’interprétation délicate. À suivre la Cour, l’une des interprétations possibles serait que la question de la renonciation au grief s’analyse non pas un simple moyen destiné à obtenir le débouté du recours en annulation, mais comme une question de recevabilité qui doit figurer dans le dispositif des prétentions, semble-t-il en tant que fin de non-recevoir.
L’analyse bénéficie du soutien de la jurisprudence antérieure qui a énoncé à de maintes reprises que faute de l’avoir soulevé en temps utiles, les parties renonçaient au grief, ce dernier étant alors irrecevable devant le juge de l’annulation. On sait par ailleurs que la catégorie des fins de non-recevoir est une catégorie souple qui admet des créations jurisprudentielles (v. not., Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003,  n° 00-19.423, Bull. civ. n° 1 ; D. 2003. 1386, et les obs. , note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot  ; Rev. arb., 2003. 403, note C. Jarrosson). Il n’est pas rare de parler ainsi de fin de non-recevoir s’agissant de l’article 1466 du code de procédure civile (en ce sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 245 ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, n° 208. V. aussi, cependant, l’intéressante analyse des « fausses fin de non-recevoir » dans l’ouvrage de MM. J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 150).

On ne saurait ainsi que trop suggérer aux parties de faire preuve de la plus grande précaution dans la rédaction de leurs conclusions : l’argument de tardiveté du devoir de réaction et de renonciation au grief tiré du défaut d’indépendance ou d’impartialité semble devoir figurer dans le dispositif des prétentions, faute de quoi il ne sera pas examiné, la cour d’appel ne le soulevant pas d’office. Par ailleurs, il faut rappeler que le champ d’application de l’article 1466 du Code de procédure civil ne se limite pas aux questions d’indépendance de l’arbitre ; potentiellement ce sont tous les griefs non soulevés en temps utiles qui sont concernés par ce rappel des formes que doit prendre l’argument.

Cela étant, la décision du 20 février 2020 recèle d’autres interrogations sur ce point.

Il est tout d’abord permis de s’interroger sur le véritable objet de l’irrecevabilité invoquée. Dans l’arrêt commenté, dans une partie portant sur « la recevabilité de la contestation » (nous soulignons), la cour d’appel énonce que « l’irrecevabilité de la demande d’annulation » (nous soulignons) n’est pas évoquée dans le dispositif des conclusions des parties pour en déduire qu’elle n’a pas été saisie d’une demande « d’irrecevabilité du recours en annulation » (nous soulignons), alors même que celui-ci ne paraissait pas pouvoir encourir la critique, ayant été exercé dans les temps. Du reste, si l’irrecevabilité du recours avait été invoquée, elle aurait sans doute dû être présentée devant le conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art. 914, par renvoi de l’art. 1527 c. pr. civ.), ce qui soulève d’autres questions complexes.

Même en admettant qu’il s’agisse ici d’un raccourci de langage, il faut reconnaître que le vocabulaire est pour le moins flottant. Traditionnellement, c’est davantage l’irrecevabilité du moyen qui est visée par la jurisprudence rendue en matière de renonciation (v. not. Paris, 21 oct. 2010, Me Patrick Dunaud c/ Sté SPRLU Agnès Maqua et autre, n° 09/16174, en somm. in Rev. arb. 2010. 975 ; Paris, 10 sept. 2019, Sté Gemstream c/ Sté Visionael Corporation Inc., n° 17/10639, en somm. in Rev. arb. 2019. 993, pour une renonciation au moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral) ou encore l’irrecevabilité des griefs (v. par ex., Paris, 28 nov. 2017, M. Sheikh Mohamed Bin Issa Al Jaber c/ M. Sheikh Salah Inbrahim Al-Hejailan, en somm. in Rev. arb. 2017. 289 ; Paris, 2 avr. 2019, M. Vincent J. Ryan, Sté Schooner Capital et Atlantic Investment Partners LLC c/ République de Pologne, n° 16/24358, en somm. in Rev. arb. 2019.304 qui précise que la renonciation présumée par l’article 1466 code de procédure civile « vise des griefs concrètement articulés et non des catégories de moyens » et que « le but poursuivi par cette disposition – qui est d’éviter qu’une partie se réserve des armes pour le cas où la sentence lui serait défavorable –, ne serait pas atteint si, sous couvert d’un cas d’ouverture unique, le recourant était recevable à développer devant la cour un argumentaire différent en droit et en fait de celui qu’il avait soumis aux arbitres »). Là encore, le raccourci entre recevabilité du grief et recevabilité de la demande d’annulation est compréhensible, dès lors qu’il semble que seul le grief relatif à la constitution du tribunal arbitral était ici invoqué. Toutefois, l’incertitude concernant le vocabulaire employé soulève des doutes quant à la mise en œuvre de l’exception de notoriété.

En particulier, dans une démarche prospective, on peut s’interroger sur le point de savoir à qui la question devra être posée, au regard de l’extension des pouvoirs accordés à ceux qui sont chargés de la mise en état. Devant la cour d’appel, elle relève du conseiller de la mise en état, lequel, depuis la réforme Magendie, a le pouvoir de statuer sur l’irrecevabilité de l’appel (C. pr. civ., art. 914). Toutefois, dans la mesure où le décret du 11 décembre 2019 accorde au juge de la mise en état une compétence exclusive pour connaître de l’ensemble des fins de non-recevoir (C. pr. civ., art. 789-6°) et que les pouvoirs du CME semblent devoir être calqués sur ceux du JME en vertu de l’article 907 du code de procédure civile, il est envisageable que le CME soit compétent pour connaître de l’argument de renonciation au grief, étant précisé que ces dispositions sont applicables pour les actions introduites à compter du 1er janvier 2020. On peut être réservé quant à l’opportunité de scinder ainsi des questions de fond entremêlées, même s’il apparaît qu’il est de la volonté générale d’évacuer au plus tôt le plus grand nombre possible d’arguments, y compris s’ils touchent au fond (v. not. C. pr. civ., art. 789-6°). Il est néanmoins douteux que les rédacteurs du décret – adopté dans une relative urgence – aient eu en tête le cas spécifique du recours en annulation d’une sentence arbitrale à laquelle on oppose une fin de non-recevoir tirée de l’article 1466 du code de procédure civile. Reste à espérer alors que le CME fasse usage de sa faculté de renvoyer la question à la formation collégiale.

Ensuite, alors même que la cour d’appel indique expressément ne pas avoir été saisie d’une demande d’irrecevabilité pour tardiveté de la contestation, à laquelle il est donc prétendu que le demandeur aurait renoncé, elle s’engage dans une discussion relative à l’exception de notoriété, dont l’un des effets essentiels en pratique est précisément d’évaluer si la contestation a été ou non tardive. Sans doute la Cour ne fait-elle que répondre aux points soulevés dans le débat,  les parties s’opposant sur le caractère notoire de ces informations » (§ 44).

Néanmoins, le fait que la Cour consacre de longs développements à cette question pourrait sembler en contradiction avec celui de présenter la renonciation comme une question de recevabilité, si ce n’est qu’au terme de ces développements, elle n’adopte aucune position sur le caractère tardif de la demande de récusation ou sur l’existence d’une renonciation à se prévaloir du grief. La Cour se contente d’affirmer que l’arbitre aurait dû révéler ces liens qui n’étaient pas notoires (§ 52).

Si ce n’est à titre d’obiter dictum, au demeurant fort bienvenu, l’objectif de toute cette analyse n’est pas clair. En effet, mis à part l’hypothèse où elle est utilisée pour établir une renonciation au grief en raison d’une réaction tardive, question dont la Cour estime ne pas être saisie, l’exception de notoriété est essentiellement utile dans deux autres situations, mais qui ne sont pas caractérisées en l’espèce.

Dans la mesure où elle permet de délimiter le contenu de l’obligation de révélation de l’arbitre, elle pourrait tout d’abord servir à engager la responsabilité de l’arbitre qui aurait manqué à cette obligation en omettant de révéler des faits non notoires, si tant est qu’une telle action soit envisageable sur ce fondement (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999, n° 1, p. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Raoul Duval, Rev. arb. 1996, n° 3, p. 411, note P. Fouchard ; Civ. 1re, 4 juill. 2012, CSF c/ M. J.-F. T., en somm. Rev. arb. 2012. 682. Sur cette responsabilité, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 246 ; T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 398 et n° 941). La question fait débat, dès lors que la nature de l’obligation de révélation n’est pas parfaitement établie (V. not., Rapport du Club des juristes. La responsabilité de l’arbitre. Commission Ad Hoc [Prés. J.-Y. Garaud], juin 2017, p. 32 ; L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, Thèse dactyl., Paris Nanterre, 2018, dir. F.-X. Train, spéc. nos 328 s.). En tout état de cause, la demande présentée au juge en l’espèce ne concernait en rien la responsabilité de l’arbitre, généralement invoquée postérieurement à l’annulation de la sentence et par ailleurs refusée en l’espèce.

L’on pourrait encore imaginer que la non-révélation ait une incidence directe sur la caractérisation d’un défaut d’indépendance et d’impartialité, c’est-à-dire que l’on déduise d’un défaut de révélation un défaut d’indépendance. Toutefois, l’absence de lien direct entre défaut de révélation et défaut d’indépendance, déjà retenu par la jurisprudence (v. infra), est réaffirmée en l’espèce (§ 53), à juste titre. La Cour se contente d’affirmer que l’arbitre aurait dû révéler les liens, sans en tirer de conséquences concrètes immédiates.

Ainsi, pour se prononcer sur l’existence d’un défaut d’indépendance ou d’impartialité, la Cour examine les liens des informations litigieuses sur le litige et leur incidence sur le jugement de l’arbitre.

II - Appréciation de la situation critiquée au regard de l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre

Une fois traitée la question de savoir si les informations invoquées bénéficiaient ou non de l’exception de notoriété, la cour d’appel s’est attelée à une seconde question, celle du « lien de la situation critiquée avec le litige et son incidence sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Sur ce point encore, il nous semble que la solution de fond retenue par la Cour doive être approuvée : les liens étaient en l’espèce trop ténus pour susciter un doute raisonnable (B). En revanche, l’articulation des questions par la cour d’appel pourrait prêter à confusion (A).

A - Articulation des questions

La présentation faite par la cour d’appel de ce qui est l’objet de son examen n’est pas parfaitement claire et semble osciller entre la délimitation des contours de l’obligation de révélation et l’appréciation d’un éventuel défaut d’indépendance justifiant l’annulation de la sentence.

En effet, dans les paragraphes d’introduction de ses motifs, la Cour énonce ainsi les critères de l’obligation de révélation : « l’obligation de révélation qui pèse sur l’arbitre doit s’apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l’arbitre » (§ 43). Elle semble alors placer l’exception de notoriété et le lien de l’information avec le litige ainsi que son influence sur le jugement sur le même plan, celui de l’obligation de révélation.

Par la suite cependant, lorsqu’aux paragraphes 53 et suivants, elle s’interroge sur le lien de la situation avec le litige et le jugement de l’arbitre, l’objet de l’analyse ne semble plus être l’obligation de révélation, mais bien le motif d’annulation tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité de la part d’un membre du tribunal arbitral. Pour autant, il est à nouveau fait référence au défaut de révélation qui serait susceptible de permettre « d’éveiller un doute raisonnable » (§ 56).

Cela étant, la Cour coupe rapidement court aux incertitudes, rappelant que « la non-révélation par l’arbitre d’informations ne suffit pas à constituer un défaut d’indépendance ou d’impartialité ».

Là encore, la chambre commerciale internationale prend position en faveur de ce qui semble être le dernier état de la jurisprudence. Après avoir souvent semblé associer la défaillance de l’arbitre quant à son obligation de révélation et son défaut d’indépendance ou d’impartialité, susceptibles de provoquer l’annulation de la sentence, les parties ayant été privées de leur droit de récusation (v. not., Paris, 12 févr. 2009, Rev. arb., 2009.186, note T. Clay, et les références citées), la jurisprudence dissocie désormais plus fermement obligation de révélation et indépendance de l’arbitre (v. not. Civ. 1re, 10 oct. 2012, Tecso c/ Neoelectra, Rev. arb. 2012. 129, note C. Jarrosson ; v. déjà, Paris, 12 janv. 1996, Qatar c/ Creighton, Rev. arb. 1996. 428, note P. Fouchard. Sur cette question, v. not. C. Jarrosson, note sous Paris, 21 févr. 2012, Rev. arb. 2012. 587 ; note sous Civ. 1re, 10 oct. 2012, Tecso c/ Neoelectra, Rev. arb.  2012. 129 ; L.-C. Delanoy, note sous Paris, 27 mars 2018 et 29 mai 2018, Rev. arb. 2019. 522, spéc. n° 21 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., 2019, LGDJ, n° 245). La solution mérite selon nous d’être approuvée en ce qu’elle est conforme à la nature de l’obligation de révélation, qui se présente comme « un moyen quand l’indépendance et l’impartialité sont une fin » (M. Henry, note sous Paris, 2 nov. 2011, Rev. arb. 2011. 112, spéc. n° 7). En opportunité, par ailleurs, elle limite considérablement les risques qu’une sentence soit annulée au prétexte d’un oubli mineur. La Cour s’inscrit ici dans ce courant : le défaut de révélation de certains éléments ne signifie pas défaut d’indépendance ou d’impartialité, il faut expliquer en quoi « ces éléments so[nt] de nature à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’impartialité et à l’indépendance de l’arbitre » (§ 53). Ce sont donc ces liens et leur incidence sur le jugement de l’arbitre qu’elle entend examiner.

B - Appréciation des liens litigieux

L’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile dispose que doit être révélée « toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité », suscitant un contentieux extrêmement important quant à la caractérisation de telles circonstances. L’arrêt de la cour d’appel est instructif à cet égard.

Dès les premiers paragraphes des motifs, la Cour donne un contenu très large à l’obligation de révélation et rappelle le caractère varié des circonstances devant être révélées (§ 42), faisant écho à la formule de l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, qui vise « toute circonstance ». La Cour identifie ainsi trois formes de circonstances, dont il ne semble pas exclu qu’elles puissent se recouper : celles qui portent sur d’« éventuels conflits d’intérêts », des « relations d’intérêts » et des « courants d’affaires ». Il est par ailleurs précisé que ces liens peuvent être entretenus par l’arbitre avec les parties, mais aussi avec « des tiers susceptibles d’être intéressés au litige » (§ 42). Il faut reconnaître que cette formule n’est pas particulièrement éclairante.

Plus loin dans les motifs, et en dépit de la confusion exposée supra, la question n’est plus celle du critère de la révélation, mais celle du critère du défaut d’indépendance. Une fois de plus, la cour d’appel embrasse le principe retenu par la jurisprudence antérieure et le critère du doute raisonnable, « l’appréciation devant être faite sur des bases objectives et en tenant compte des spécificités de l’espèce » (§ 53).

C’est ainsi à une analyse détaillée des circonstances de l’espèce que se livre la Cour.

La situation visée ici est celle d’un potentiel conflit d’intérêts indirect, c’est-à-dire d’une situation faisant intervenir un certain nombre d’intermédiaires entre l’arbitre et l’une des parties. En l’espèce, ce lien est indirect à un double titre.
D’abord, il est indirect si on l’observe du point de vue de la partie concernée, puisque le lien invoqué concernerait l’arbitre et deux sociétés actionnaires de celle-ci. À juste titre, ce point ne semble pas poser de difficulté à la Cour d’appel qui s’intéresse directement aux liens entre l’arbitre et les actionnaires de Barra (en ce sens, v. not. les IBA Guidelines on Conflict of Interest in International Arbitration, 2014, not. General Standard n° 7). Ainsi il semble acquis pour la cour d’appel que les liens avec des sociétés de contrôle d’une partie sont douteux.

Ensuite, et c’est là que se présente le plus grand nombre de difficultés, il est indirect si on l’appréhende du point de vue de l’arbitre, puisqu’il n’existe aucun lien direct entre lui et les actionnaires de la société Barra. Le lien allégué est le résultat de l’appartenance de l’arbitre à un cabinet lié aux actionnaires de la société Barra, ou pour être précis, à un cabinet affilié à celui qui représente les intérêts des actionnaires de la société Barra. Le rapport d’affaires ne vise pas directement l’arbitre, mais le cabinet au sein duquel il exerce et, plus spécifiquement encore en l’espèce, un cabinet affilié au cabinet au sein duquel il a exercé.

Sur ce point, l’apport de la cour d’appel de Paris est important, car la situation dans laquelle le cabinet ou l’ancien cabinet d’un arbitre entretient des liens avec des entités proches de l’une des parties est extrêmement fréquent en pratique. Il n’est en effet pas rare que les professionnels exerçant comme arbitres exercent de façon ponctuelle ou habituelle au sein de cabinets d’avocats ayant un important volume d’affaires auprès de nombreuses sociétés (et d’États) se trouvant au cœur de réseaux, d’alliances et de groupes d’une grande complexité (sur ces questions, v. not. F.-X. Train, Mode d’exercice de l’activité d’arbitre et conflits d’intérêts, Rev. arb. 2012. 725. V. égal. Civ. 1re, 27 janv. 2016, Fibre Excellence, n° 15-12.363 ; Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra Group, n° 09/28537, préc.).

À cet égard, la Cour affirme que, pour qu’ils soient susceptibles « d’éveiller un doute raisonnable sur son impartialité ou son indépendance, encore faudrait-il que cette activité ait généré [des] […] liens avec les actionnaires de la société partie au présent arbitrage et ait été à l’origine d’un courant d’affaires entre l’arbitre et ces sociétés ou qu’il ait eu ou ait encore un quelconque intérêt avec le cabinet les représentant, susceptible de créer un conflit d’intérêt » (§ 56).

En premier lieu, la Cour s’intéresse aux liens entre l’arbitre et la partie et son actionnariat, plutôt qu’aux relations du cabinet avec ce dernier. Ainsi, l’analyse présentée est d’abord personnalisée. La Cour recherche des « liens, directs ou indirects, matériels ou intellectuels » entre l’arbitre et les actionnaires qui soient « à l’origine d’un courant d’affaires » entre eux (§ 56). De tels liens ne sont pas établis en l’espèce, la Cour ajoutant que l’arbitre ne les a pas « conseillé[s], représenté[s] ou assisté[s] » (§ 57).

Elle réserve également l’hypothèse où l’arbitre « [a] eu ou [a] encore un quelconque intérêt avec le cabinet [des actionnaires], susceptible de créer un conflit d’intérêts » (§ 56). La formule est assez vague, et large, puisqu’elle vise « un quelconque intérêt ». À cet égard, le fait qu’il s’agisse d’un lien doublement indirect, c’est-à-dire qu’il s’exerce par l’intermédiaire d’un autre cabinet d’avocats, tout comme la dimension temporelle – ancienne – de ce lien ont pu jouer un rôle dans la décision de la cour d’appel d’estimer qu’une telle hypothèse n’était pas non plus établie en l’espèce.
La rédaction de la décision doit inviter à la prudence quant aux tentatives d’interprétation que l’on pourrait formuler. En effet, la Cour semble évoquer l’existence d’un cabinet intermédiaire, ainsi que le fait que l’ancienneté des rapports de travail de l’arbitre avec ce cabinet, à titre supplémentaire, presque d’obiter dictum.

Elle énonce ainsi que les circonstances ne « permettent pas d’établir l’existence de lien quelconque entre [l’arbitre] et les actionnaires […] ni qui soient de nature à créer un doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité, d’autant plus que les liens [entre l’arbitre et le cabinet des actionnaires] étaient indirects, par l’intermédiaire [d’un autre cabinet] » (nous soulignons).

Elle ajoute que ces liens « avaient cessé deux ans et demi avant le début de l’arbitrage, ce qui pourrait ne pas être une durée suffisante en cas de défaut de révélation de lien direct ou d’une information susceptible d’affecter l’impartialité de l’arbitre, mais qui en l’espèce est sans incidence dès lors que rien ne permet d’établir qu’il y ait pu y avoir des connexions entre [l’arbitre et les actionnaires] à l’époque où [l’arbitre] travaillait pour le [cabinet saoudien] ni après ». Les faits de l’espèce ne permettent pas d’apprécier pleinement la portée de cette formule. L’on regrettera à nouveau la référence au « défaut de révélation » qui ne nous semble pas devoir être un critère d’appréciation plus sévère de la proximité dans le temps des liens litigieux. Il faut souhaiter qu’il ne s’agisse ici que d’une erreur de plume, survivante de la confusion que nous évoquions supra et pourtant balayée par la cour d’appel au paragraphe 53.

Ainsi, si l’on approuvera la cour d’appel, au regard des faits de l’espèce, dans la mesure où le lien entre l’arbitre et l’une des parties à l’arbitrage était trop indirect et tenu et aussi dans la mesure où l’activité de l’arbitre auprès du cabinet était à la fois de courte durée et ancienne, l’arrêt soulève des questions quant à l’articulation des critères à retenir.

La remarque ne se limite pas à la question de l’appréciation du doute raisonnable. Les solutions retenues au fond par la Cour, qu’il s’agisse d’une exception de notoriété délimitée ou de l’appréciation raisonnable de l’intensité minimale des liens des liens de nature à créer un doute quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, doivent également être approuvée en ce qu’elles participent l’une comme l’autre, à la sécurité des procédures arbitrales et à l’équilibre entre les exigences légitimes d’indépendance des arbitres et de loyauté des parties. En revanche, on regrettera que la Cour passe un peu facilement de l’étendue du devoir de révélation à la caractérisation d’un défaut d’indépendance, alors même qu’elle énonce expressément que la seconde ne dépend pas de la première, entretenant une confusion qui n’est pas souhaitable.

Ne donne pas lieu à l’application de l’article 1 de la loi du 5 juillet 1985, le heurt d’un piéton par un tramway dès lors que le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après ce passage. 

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Cet arrêt, d’apparence anodine, puisqu’il semble, après une lecture hâtive, concerner un litige concernant la validité d’un commandement à fin de saisie-vente, est, en réalité, riche d’enseignements et aborde plusieurs règles de procédure civile, habituellement classiques, mais pour lequel, dans l’espèce soumise à son examen, la deuxième chambre civile a dû procéder à un juste rappel des principes, notamment pour les articles 564 et 625 du code de procédure civile, L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire et L. 221-1 du code des procédures civiles d’exécution.

Dans les faits, un comité social et économique (CSE) délivre à la société employeur un commandement aux fins de saisie-vente, fondé sur trois arrêts rendus dans un litige les opposant au sujet du montant de la subvention de fonctionnement et de la subvention sociale et culturelle.

Sans entrer dans les détails des nombreuses instances ayant émaillées ce litige, il est important de souligner qu’un des trois arrêts ayant servi de fondement au commandement a fait l’objet d’une cassation partielle, annulant par voie de conséquence cet arrêt, mais seulement en ce qu’il avait déclaré prescrite l’action du CSE concernant la demande au titre de l’année 2005 et condamné la société au paiement de sommes complémentaires.

La société saisit le juge de l’exécution d’une contestation du commandement de payer, en sollicitant sa nullité pour des irrégularités de forme et de fond et en invoquant l’absence de titre exécutoire.

Sa demande est rejetée ; elle interjette appel et sollicite de la cour qu’elle annule le commandement de payer du fait de la cassation de l’un des arrêts ayant servi de titre exécutoire et de condamner le CSE à lui restituer les sommes indûment versées.

La cour d’appel ne l’a pas suivie. La société forme un pourvoi, c’est l’objet du présent arrêt.

À l’appui de son pourvoi, la société développe deux moyens.

Sur le premier moyen, elle fait grief à l’arrêt d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences de la cassation partielle en rappelant les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 625 du code de procédure civile selon lesquelles la cassation entraîne « […] sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire ».

Selon elle, l’annulation même partielle de cet arrêt aurait dû entraîner par voie de conséquence celle du commandement de payer.

En toute logique, la Cour de cassation écarte ce moyen et formule un premier rappel de principe en retenant que, « lorsqu’un titre exécutoire sur lequel est fondé un commandement à fin de saisie-vente est annulé partiellement, le commandement demeure valable à concurrence du montant de la créance correspondant à la partie du titre non annulée ».

Sur le second moyen, la société fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré irrecevable le surplus de ses demandes tendant à la restitution des sommes versées.

La cour d’appel avait en effet retenu qu’un commandement de payer aux fins de saisie-vente, s’il constitue l’acte préalable à une mesure d’exécution forcée, n’emportait en lui-même aucune indisponibilité des biens du débiteur et avait ajouté que puisque la société avait, de sa propre initiative et sans qu’elle y soit tenue légalement, réglé les causes du commandement de payer, outre des sommes supplémentaires à celles visées dans ce commandement, puisque ces sommes n’avaient fait l’objet d’aucune mesure d’exécution forcée, leur restitution éventuelle échappait donc à la compétence du juge de l’exécution.

La Cour de cassation répond, au visa des articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire et L. 221-1 du code des procédures civiles d’exécution en rappelant un deuxième principe selon lequel, si le commandement à fin de saisie-vente ne constitue pas un acte d’exécution forcée, il engage la mesure d’exécution et que toute contestation portant sur les effets de sa délivrance relève des attributions du juge de l’exécution, ce qu’elle juge constamment depuis 1998 (Civ. 2e, 16 déc. 1998, n° 96-18.255, D. 1999. 221 , obs. P. Julien  ; 27 avr. 2000, n° 98-15.087, Dalloz jurisprudence ; 13 mai 2015, n° 14-16.025, Dalloz actualité, 2 juin 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1109 ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2016. 1279, obs. A. Leborgne ).

C’est donc à tort que la cour d’appel n’a pas retenu sa compétence pour statuer sur la demande de restitution.

Enfin, sur cette restitution, la cour d’appel avait déclaré la demande irrecevable au motif que le premier juge avait uniquement été saisi d’une question relative à la régularité formelle du commandement de payer et d’une demande d’annulation de celui-ci pour défaut de titre exécutoire, que c’était de sa propre initiative que la société avait payé les causes du commandement ainsi que des sommes supplémentaires et qu’il n’y avait donc survenance d’aucun fait nouveau.

La Cour de cassation, au visa de l’article 564 du code de procédure civile, rappelle un troisième principe selon lequel la demande n’est pas nouvelle lorsqu’elle tend à faire juger une question née de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Or, en l’espèce, l’obligation de restitution des sommes répondait aux conditions de l’article 564 précité car elle résultait de plein droit de l’arrêt de cassation partielle et de l’arrêt interprétatif qui a suivi, tous deux rendus à une date postérieure à la clôture des débats devant le premier juge.

Curieusement, la Cour de cassation casse et annule partiellement l’arrêt d’appel, seulement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de restitution formulée par la société, remettant, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée, alors qu’elle aurait pu casser sans renvoi.

En effet, en application de l’article 625 du code de procédure civile, est-il vraiment utile de faire trancher la demande de restitution alors qu’elle résulte de plein droit de l’arrêt de cassation qui a cassé partiellement l’un des trois arrêts qui ont servi de fondement à la délivrance du commandement ?

Comme le souligne fort justement l’un des commentateurs de cet arrêt : « Sur renvoi, le résultat pratique pourrait donc bien être le même : une irrecevabilité de la demande de restitution du fait de l’autorité de la chose jugée, dès lors que l’obligation de restitution résulte déjà de l’arrêt de cassation du 25 octobre 2017, interprété par celui du 24 janvier 2018. Tout au plus pourrait-il être demandé à la cour d’appel, statuant en tant que juge de l’exécution, de mettre un terme à la difficulté en fixant le montant de la créance de restitution » (C. Simon, Conséquences de l’annulation partielle d’un jugement sur les mesures d’exécution, Lexbase, éd. privée, 19 mars 2020).

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Il convient d’examiner les contextes, textuel puis factuel, dans lesquels la Cour de cassation a été amenée à se prononcer, avant d’aborder la solution posée et surtout les bonnes pratiques en matière d’aide juridictionnelle devant la Cour.

Le contexte textuel

Différents régimes se sont succédé en matière d’aide juridictionnelle devant la cour d’appel :

1. Par un décret du 15 mars 20112, l’article 38-1, alinéa 2, du décret du 10 juillet 1991 susvisé a été modifié pour tenir compte de la réforme de la procédure d’appel.

La nouvelle rédaction de l’article 38-1 prévoyait alors :

« Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l’article 39, la demande d’aide juridictionnelle n’interrompt pas le délai d’appel.
Cependant, le délai imparti pour signifier la déclaration d’appel, mentionné à l’article 902 du code de procédure civile, et les délais impartis pour conclure, mentionnés aux articles 908 à 910 du même code, courent à compter :
a) de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
b) de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ;
c) ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. »

2. Cet article fut abrogé par un décret du 27 décembre 20163, entré en vigueur le 1er janvier 2017. Ce même décret modifia l’article 38 du décret du 10 juillet 1991 en étendant l’effet interruptif de la demande d’aide juridictionnelle sur le délai d’appel.

3. Une nouvelle modification de l’article 38 du décret de 1991 a été opérée par le décret du 6 mai 20174 sur la réforme de la procédure d’appel.

En définitive, l’article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa rédaction actuellement en vigueur dispose que :

« Lorsqu’une action en justice ou un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant les juridictions de première instance ou d’appel, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

a) de la notification de la décision d’admission provisoire ;

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L’office du juge est devenu une question centrale en droit de la consommation. Une protection effective des consommateurs suppose en effet que le juge ait un rôle actif, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 mars 2020. En l’espèce, un consommateur tchèque avait conclu à distance un contrat de crédit renouvelable. N’ayant pas honoré les échéances dues, la banque a saisi le tribunal de district d’Ostrava afin d’obtenir sa condamnation au paiement d’une certain somme, augmentée des intérêts légaux. Il ressort cependant de la décision de renvoi que, au cours de la procédure au principal, la banque n’aurait pas affirmé, et encore moins apporté la preuve, que, avant la conclusion du contrat de crédit en cause, elle avait évalué la solvabilité de l’emprunteur. Par ailleurs, le consommateur n’aurait pas excipé de la nullité du contrat découlant de ce fait, cette nullité ne pouvant être prononcée qu’à sa demande en vertu du droit tchèque. La juridiction de renvoi estimant qu’une telle règle va à l’encontre de la protection du consommateur, telle que garantie par la directive 2008/48/CE, elle a donc saisi la Cour de Luxembourg afin qu’elle se prononce sur cette question. Celle-ci considère que « Les articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent à une juridiction nationale d’examiner d’office l’existence d’une violation de l’obligation précontractuelle du prêteur d’évaluer la solvabilité du consommateur, prévue à l’article 8 de cette directive, et de tirer les conséquences qui découlent en droit national d’une violation de cette obligation, à condition que les sanctions satisfassent aux exigences dudit article 23. Les articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE doivent également être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à un régime national en vertu duquel la violation par le prêteur de son obligation précontractuelle d’évaluer la solvabilité du consommateur n’est sanctionnée par la nullité du contrat de crédit, assortie de l’obligation pour ce consommateur de restituer au prêteur le principal dans un délai proportionné à ses possibilités, qu’à la seule condition que ledit consommateur soulève cette nullité, et ce dans un délai de prescription de trois ans ».

La Cour de Luxembourg poursuit ainsi son œuvre d’harmonisation de l’office du juge en imposant à celui-ci de relever d’office les dispositions protectrices des consommateurs, cette obligation reposant sur des considérations tenant à l’effectivité de la protection de ces derniers (pts 23 et 24), peu important qu’il existe des sanctions d’une autre nature, en l’occurrence une amende d’un montant allant jusqu’à 20 millions de CZK (environ 783 000 €), dans la mesure où « de telles sanctions ne sont pas à elles seules de nature à assurer de manière suffisamment effective la protection des consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité recherchée par la directive 2008/48/CE (…) » (pt 38).

Cette obligation faite au juge d’assurer une protection effective des consommateurs était initialement cantonnée aux clauses abusives (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, D. 2009. 2312 , note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais . V. déjà CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry . V. égal. CJUE 17 mai 2018, aff. C-147/16, D. 2018. 1068 ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2018. 333, obs. V. Legrand ; RDC 2018, n° 115q3, p. 588, note J.-D. Pellier, spéc. nos 2 et 3. V. à ce sujet, J. -D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz coll. « Cours », 2019, n° 112). La Cour va même plus loin en considérant que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause entre dans le champ d’application de la directive 93/13/CEE et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause (CJUE 9 nov. 2010, aff. C-137/08, D. 2011. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 632, obs. C. Aubert de Vincelles . V. égal. CJUE 7 nov. 2019, aff. C-419/18 et C-483/18, D. 2019. 2132 ). Elle s’est par la suite peu à peu étendue à d’autres matières. La CJUE avait en effet déjà consacré une telle obligation en matière de crédit à la consommation (CJUE 21 avr. 2016, aff. C-377/14, D. 2016. 1744 , note H. Aubry ; ibid. 2017. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud , au sujet de l’obligation d’information prévue par l’article 10, paragraphe 2, de la directive du 23 avril 2008) et en matière de garantie de conformité (CJUE 4 juin 2015, aff. C-497/13, D. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Encore convient-il d’observer que cette obligation est limitée à l’objet du litige, qui détermine donc les contours de l’office du juge (V. en ce sens, en matière de clauses abusives, CJUE 11 mars 2020, aff. C-511/17, Dalloz actualité, 30 mars 2020, obs. J.-D. Pellier).

Le droit français, quant à lui, est en retard, du moins sur le plan textuel. L’article R. 632-1 du code de la consommation (texte qui a été délégalisé par l’ord. n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et le décr. n° 2016-884 du 29 juin 2016 relatif à la partie réglementaire du code de la consommation) dispose en effet que « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ». En dehors du domaine des clauses abusives, le juge a donc simplement la faculté de soulever d’office les dispositions du (seul) code de la consommation (sur l’insuffisance de ce texte, v. J.-D Pellier, op. cit., n° 327). Mais la jurisprudence s’est quelque peu affranchie de cette règle, issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et complétée, s’agissant des clauses abusives, par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « Hamon » (Cass., ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25.651 : « Attendu que si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées », D. 2017. 1800, communiqué C. cass. , note M. Bacache ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2017. 829, obs. L. Usunier ; ibid. 872, obs. P. Jourdain ; ibid. 882, obs. P.-Y. Gautier ; RTD eur. 2018. 341, obs. A. Jeauneau . V. égal. Civ. 1re, 19 févr. 2014, n° 12-23.519, ayant censuré un jugement qui avait considéré que la vente d’un chiot n’entrait pas dans le champ d’application de la garantie légale prévue par le code de la consommation : « Qu’en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la vente avait été conclue entre un vendeur agissant au titre de son activité professionnelle et un acheteur agissant en qualité de consommateur, en sorte qu’il lui incombait de faire application, au besoin d’office, des dispositions d’ordre public relatives à la garantie légale de conformité, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ». V. dans le même sens, au sujet d’un chat, Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-28.819, D. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Comme l’affirme le Professeur Carole Aubert de Vincelles, « il faut donc en conclure que désormais, quel que soit le domaine de protection des consommateurs, l’effectivité de celle-ci justifie que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le respect des exigences découlant des normes de l’Union en matière de droit de la consommation » (C. Aubert de Vincelles, La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droit de la consommation in Le droit européen de la consommation, dir. Y. Picod, Mare et Martin, 2018, p. 35, n° 21. V. égal. en ce sens, J.-D. Pellier, op. cit., n° 327 ; Y. Picod, Droit de la consommation, 4e éd., 2018, Sirey, n° 359 ; G. Raymond, Droit de la consommation, 5e éd., LexisNexis, 2019, n° 118 ; N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert De Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, op. cit., nos 1265 et 1266. Rappr. J. Calais-Auloy, H. Temple H. et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., 2020, Dalloz, n° 637 ; J. Julien, Droit de la consommation, 3e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 236).

Il convient cependant d’observer que l’office du juge est susceptible de se heurter à deux obstacles, l’un étant certain et l’autre, sujet à caution : en premier lieu, on sait qu’en matière de clauses abusives, la Cour considère que le consommateur peut préférer le maintien de la clause, ce qui empêche le juge de la supprimer. La Cour affirme à ce sujet que « S’agissant d’une sanction telle que la nullité du contrat de crédit, assortie de l’obligation de restituer le principal, il y a lieu de préciser que, lorsque le consommateur émet un avis défavorable à l’application d’une telle sanction, cet avis devrait être pris en compte (V., par analogie, CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08, Sté Pannon GSM Zrt c/ Mme Erzsébet Sustikné Gyorfi, EU:C:2009:350, pt 33, D. 2009. 2312 , note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais , et CJUE, 21 févr. 2013, aff. C-472/11, Banif Plus Bank Zrt c/ Csaba Csipai, EU:C:2013:88, pt 35, D. 2013. 568 ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles ) ». Cette considération mérite d’être saluée, dans la mesure où le procès civil demeure la chose des parties. Le consommateur, pour des raisons qui lui sont propres, peut préférer opter pour le maintien du contrat. À cet égard, la sanction prévue par le droit français est peut-être plus appropriée : en cas de violation du devoir de vérifier la solvabilité de l’emprunteur posé par l’article L. 312-16 du code de la consommation, le prêteur est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge en vertu de l’article L. 341-2 du même code. À première vue, la sanction fulminée par le droit tchèque est plus sévère à l’endroit du prêteur puisqu’elle aboutit, s’agissant d’une nullité, à la perte de ses droits au paiement des intérêts et des frais convenus (comme le rappelle la Cour dans le point 29 de l’arrêt commenté). Mais elle est aussi plus radicale pour l’emprunteur, en ce qu’elle l’oblige à restituer au prêteur le capital prêté dans un délai proportionné à ses possibilités …

En second lieu, il existe un doute sur le point de savoir si le juge peut indéfiniment soulever d’office la déchéance du droit aux intérêts, sanction fréquente en matière de crédit à la consommation, ou si son pouvoir se heurte à une limite temporelle (mais la réflexion peut être généralisée). La jurisprudence française est divisée à cet égard, mais une certaine tendance veut que le pouvoir du juge soit borné par la prescription quinquennale (Paris, 11 janv. 2018, n° 16/12948, D. 2018. 238, obs. G. Poissonnier ; RTD civ. 2018. 904, obs. H. Barbier : « la prescription quinquennale était applicable à toutes les actions relatives à ce contrat », de sorte que « le tribunal ne pouvait sans méconnaître cette règle relever d’office une irrégularité qui aurait affecté les offres de prêts ». Contra TI Montluçon, 4 juill. 2018, n° 11-18-000056, D. 2018. 1485, obs. G. Poissonnier ; RTD civ. 2018. 904, obs. H. Barbier ). Cette jurisprudence est cependant critiquable : aux termes de l’article 2224 du code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (sous la réserve du délai butoir prévu par l’article 2232 du même code. V. à ce sujet J.-D. Pellier, Retour sur le délai butoir de l’article 2232 du code civil, D. 2018. 2148 ). Or, le juge n’agit pas au sens de ce texte lorsqu’il soulève une déchéance. Son pouvoir s’apparente plus à un moyen de défense soulevé au profit du consommateur, raison pour laquelle il devrait pouvoir le faire indéfiniment. Une question préjudicielle a d’ailleurs été posée à la CJUE par le tribunal d’instance d’Épinal (TI Épinal, 20 sept. 2018, n° 11-18.000406, D. 2018. 2085, obs. G. Poissonnier ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau ; CCC 2018, n° 205, obs. Bernheim-Desvaux : il lui est demandé de dire si la directive n° 2008/48/CE, concernant les contrats de crédit aux consommateurs, s’oppose « à une disposition nationale qui, dans une action intentée par un professionnel à l’encontre d’un consommateur et fondée sur un contrat de crédit conclu entre eux, interdit au juge national, à l’expiration d’un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à compter de la conclusion du contrat, de relever et de sanctionner, d’office ou à la suite d’une exception soulevée par le consommateur, un manquement aux dispositions (…) protectrices des consommateurs prévues par ladite directive »).

Affaire à suivre …

Traiter l’urgence ! Telle était la fonction assignée aux vingt-six ordonnances adoptées par le gouvernement le 25 mars 2020. Parmi elles figurait la (désormais) célèbre ordonnance 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures.

De nombreuses voix, dont les nôtres (Dalloz actualité, 2 avr. 2020, Le droits en débats, par G. Casu et S. Bonnet), s’étaient élevées pour féliciter les auteurs de ce travail accompli dans des délais intenables, mais aussi pour dénoncer les conséquences parfois dramatiques que son application pouvait engendrer. Le secteur de l’immobilier, en particulier, s’était mobilisé pour dénoncer la brutalité (notamment en matière d’urbanisme) ou, au contraire, la timidité (sécurisation des contrats de droit privé) de certaines mesures. Nombreux œuvraient depuis lors au grand jour, ou en secret, dans l’espoir d’une adaptation de ces dispositions…

C’est chose faite avec l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, dont l’intérêt réside non seulement dans son texte mais aussi dans les précisions apportées par la circulaire du 17 avril 2020 prise pour son application.

En effet, on doit à cette dernière de spécifier un point jusque-là controversé : la date exacte de la fin de l’urgence sanitaire (24 mai à 0h00 ou 25 mai à 0h00) et, par voie de conséquence, la date de fin de la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois). La circulaire tranche et énonce clairement qu’« à ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 à 0h00, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit ». Le cours des délais touchés par l’ordonnance n° 2020-306 devra donc reprendre le 24 mai (pour certains) ou le 24 juin (pour d’autres), cela sous réserve d’une modification (presque annoncée) de la durée de l’urgence sanitaire avant ces échéances.

Ce point éclairci, il faut s’attacher à l’étude de l’ordonnance modificative elle-même. S’il est agréable d’y retrouver certaines propositions que nous (et d’autres) avions pu formuler, il faut toutefois se garder de tout excès de triomphalisme ! En effet, cette ordonnance modificative souffle le chaud et le froid. De sa lecture naissent des sentiments contradictoires : satisfaction, déception et circonspection.

La satisfaction

Nous avions vertement critiqué l’ordonnance n° 2020-306 pour ses conséquences sur l’instruction et les recours contre les autorisations d’urbanisme. En effet, les demandes d’instruction déposées avant le 12 mars 2020 étaient suspendues pendant la durée de la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois) et les demandes nouvelles ne devaient être étudiées qu’à l’expiration de cette période. Quant aux délais de recours contre ces décisions, ils étaient « interrompus » (même si le terme est juridiquement inapproprié) à compter du 12 mars 2020, un nouveau délai de deux mois débutant une fois la période juridiquement protégée écoulée.

La conjonction de ces deux dispositions devait nécessairement plonger le secteur de la construction dans une léthargie catastrophique puisqu’aucun permis n’aurait été délivré avant le 24 juin 2020 et que la purge des permis affichés avant le 12 mars n’aurait été effective qu’à compter du 24 août.

Heureusement, le tir est corrigé par l’ordonnance n° 2020-427 à la faveur de quatre nouveaux articles apportant deux modifications notoires : 

• D’une part, la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois) est délaissée au profit d’un délai plus bref limité à la durée de l’urgence sanitaire. Aussi, la période de protection « incompressible » passe, en l’état actuel des choses, de trois à deux mois !

• D’autre part, la nature de la protection évolue. Alors que l’ordonnance n° 2020-306 prévoyait un mécanisme hybride et complexe proche de l’interruption, la nouvelle ordonnance propose une mesure claire et simple : la suspension. Le délai de recours contre un permis de construire, suspendu à compter du 12 mars, ne recommencera que pour la durée qui lui restait à courir à cette date. Il en est de même de l’instruction des mesures d’urbanisme ou des délais de préemption dont bénéficient certains organismes.

Ces deux modifications, dont nous avions d’ailleurs proposé l’adoption, permettent d’adoucir les effets néfastes des précédentes mesures. Ainsi, par exemple, un permis de construire affiché le 25 janvier sera purgé de tout recours le 5 juin, alors que, sous l’empire des dispositions précédentes, la purge n’aurait été acquise que le 24 août.

Il faut donc se réjouir de ces avancées même si, à tout vouloir, on aurait également apprécié que l’étude dématérialisée des autorisations d’urbanisme soit clairement préconisée lorsqu’elle est possible.

La déception

Malheureusement, ce sentiment de satisfaction est rapidement contrarié à la lecture de l’article 4 du texte nouveau, qui amende l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ! Celui-ci, dont nous avions dénoncé la timidité, sinon l’inanité, ne fait l’objet que d’une modeste retouche.

Pour rappel, cet article traitait du sort des « astreintes, [d]es clauses pénales, [d]es clauses résolutoires ainsi que [d]es clauses prévoyant une déchéance ». Lorsqu’une obligation devait être exécutée dans un délai expirant durant la période juridiquement protégée, ces clauses ne pouvaient prendre effet qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de la période protégée. Ainsi, dans l’hypothèse d’un commandement de payer des loyers d’habitation sous deux mois et délivré le 15 janvier 2020, la clause résolutoire n’aurait pu prendre effet que le 24 juillet 2020 (soit un mois après la fin de la période juridiquement protégée).

En revanche, aucun mécanisme de suspension n’était prévu lorsque le délai d’exécution de l’obligation expirait après la période juridiquement protégée. Cette omission menait à des situations parfois incohérentes, ainsi que nous l’avions souligné. Par exemple, si la réception d’une maison devait intervenir au plus tard le 31 mars 2020, l’effet de la clause pénale était suspendu jusqu’au 24 juillet 2020. Mais si la réception de cette même maison devait intervenir au plus tard le 30 juin 2020 (c’est-à-dire après la période juridiquement protégée), le constructeur devait les pénalités dès à compter de cette date !

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 corrige cette incohérence au gré d’une double modification :

• D’abord, en postulant un report d’application des astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires indépendamment de la date d’expiration du délai. Peu importe que le terme de l’obligation intervienne avant, durant ou après l’expiration de la période juridiquement protégée. Dorénavant, l’épidémie « suspend le cours temps » de manière générale.

• Ensuite, en modifiant les modalités de calcul de ce report : désormais, le temps n’est plus suspendu pour une durée fixe et uniforme (un mois après la période juridiquement protégée), mais plus justement du temps écoulé entre, d’une part, le début de la période d’urgence sanitaire (ou la date de naissance de l’obligation, si elle est postérieure à cet événement) et le terme prévu de l’obligation. La durée du report sera donc variable selon la date à laquelle l’obligation devait être exécutée.

Par exemple, si l’obligation née avant le 12 mars devait être exécutée au plus tard le 22 mars, l’application de la clause pénale sera reportée au 4 juillet (période juridiquement protégée + 10 jours) et non au 24 juillet comme prévu par l’ordonnance n° 2020-306.

Et si l’obligation née le 18 mars doit être exécutée avant le 30 juin (après la période juridiquement protégée), alors l’application de la clause pénale sera reportée de 98 jours (durée entre le 18 mars, date de naissance de l’obligation et le 24 juin, fin de la période juridiquement protégée).

Cette modification de l’ordonnance est sans doute bienvenue. Et pourtant, elle déçoit car, s’agissant au moins de la clause pénale, les efforts consentis pour le raffinement de cet article 4 ne présentent pas la moindre utilité.

En effet, le texte n’a pour seul effet que de suspendre la sanction de l’obligation d’exécuter dans les délais (la clause pénale), mais pas l’obligation elle-même. En d’autres termes, celui qui devait s’exécuter pour le 15 avril le doit toujours, seule la sanction contractuellement prévue étant reportée.

Le débiteur n’est donc pas à l’abri de toute sanction ! Si la pénalité contractuellement prévue est inapplicable, le créancier pourra toujours invoquer les dispositions du droit commun et solliciter une indemnisation si le retard lui a causé un quelconque préjudice. Le débiteur ne pourra échapper à la sanction que s’il prouve que son retard relève de la force majeure ou d’une cause valable de prorogation des délais.

Les modifications apportées à l’article 4 de l’ordonnance constituent, par conséquent, une petite déception.

La circonspection

C’est, enfin, la circonspection qui nous gagne à la lecture du « nouvel » article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (dans sa rédaction issue de l’article 2 du texte nouveau) et, plus précisément, de l’incise fracassante qui lui a été adjointe : « le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ».

Rappelons que l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 octroie notamment un « report » des actes prescrits par la loi ou le règlement à peine de déchéance. La plupart des auteurs en avaient logiquement déduit que les délais de rétractation et de renonciation accordés par la loi et le règlement se trouvaient suspendus par l’effet de ces dispositions (ainsi par exemple en matière de vente à distance, de contrats d’assurance ou de services financiers à distance ou, s’agissant du droit civil, de la renonciation à une succession après sommation de l’art. 771 C. civ.). 

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 condamne donc formellement cette interprétation ! Le droit de rétractation de dix jours dont bénéficie l’acquéreur d’un bien immobilier (CCH, art. L. 271-1) n’est donc pas « touché » par les circonstances actuelles, pas davantage, du reste, que le délai de réflexion de dix jours imposé au bénéficiaire d’une offre de prêt préalablement à son acceptation (C. consom., art. L. 313-34).

On pourrait se réjouir de ces exclusions qui permettent, s’agissant des délais de réflexion, d’autoriser le bénéficiaire à passer l’acte malgré la période d’urgence sanitaire et, s’agissant des délais de rétractation, de conférer un caractère définitif aux actes passés durant cette période. Cette exclusion n’est donc pas critiquable en soi, sauf bien évidemment à constater que l’exercice de la rétractation est parfois matériellement impossible au regard de la situation sanitaire actuelle…

Mais le mal n’est pas là. Il est se trouve un peu plus loin, lorsque le gouvernement prétend attacher à sa modification (osons le mot !) un caractère (faussement) interprétatif et considérer ainsi que les délais de réflexion, rétractation ou renonciation n’ont jamais été affectés par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

Si la mesure n’a guère d’importance pour les délais de réflexion, puisque le caractère interprétatif n’aura d’autre conséquence que d’octroyer à tous ses bénéficiaires la possibilité d’agir et de consentir, on imagine les conséquences dramatiques d’une telle rétroactivité sur les délais de rétractation. Elle prive purement et simplement certains bénéficiaires d’un droit acquis, d’une rétractation sur laquelle ils pouvaient légitimement compter !

De quoi, assurément, être circonspect.

Le confinement a empêché vingt-sept auditeurs de justice, sur une promotion de trois cent cinquante, de passer le grand oral dont la note détermine le rang de sortie et le choix du premier poste. Crise ou pas, ces futurs magistrats doivent entrer en fonction le 1er septembre et la direction de l’ENM assure qu’elle fait tout pour qu’il n’y ait pas de décalage sur la prise de poste.

La direction de l’ENM envisage une reprise de l’épreuve dans les jours suivant le 11 mai, date fixée par le chef de l’État pour un possible déconfinement. « Nous travaillons à une reprise des épreuves après cette date et nous espérons qu’elles pourront se tenir entre fin mai et début juin », indique le directeur de l’ENM, Olivier Leurent. Trois jours de grand oral avec respect des mesures de distanciation sociales et des gestes barrières. « J’espère que les auditeurs pourront choisir leurs postes dans les huit premiers jours de juin », souligne Olivier Leurent.

Si les auditeurs de justice ne connaissent pas la liste des fonctions proposées – elle devrait être publiée d’ici la fin du mois d’avril –, ils ont pourtant commencé leur stage de préparation théorique aux premières fonctions. Ils l’effectuent dans un premier temps à distance avant de la terminer en juridiction. En raison des circonstances particulières, le stage devrait être réduit d’un mois.

En attendant, ils ont accès aux documents pédagogiques sur les fonctions qui les intéressent. La direction envisage de leur faire bénéficier de quinze jours de formation l’année prochaine pour compenser leur fin de parcours réduite.

Cette situation peu commune n’inquiète pas une auditrice ayant passé le grand oral. « Nous avons eu une formation très longue et très riche et nous avons été bien formés. Je pense que nous serons prêts à entrer en fonction le 1er septembre, en dépit d’une période de préparation aux premières fonctions raccourcies », estime la jeune femme.

« Il y a une ou deux fonctions qui m’intéressent particulièrement, donc je suis les séquences pédagogiques correspondantes. Je me projette dans chacune des fonctions qu’il nous est donné d’exercer et je suis prête à m’adapter à toutes les situations », conclut-elle.

L’ENM doit faire face à une autre difficulté, le début de scolarité des deux centre quatre-vingt-quatorze auditeurs de la promotion 2020. « Ceux-ci sont en stage “Avocat”, les cabinets ne les ont pas laissés tomber », constate le directeur de l’école. Le 8 juin, ils doivent entamer leur cycle de huit mois d’études à Bordeaux. Avec la pandémie, il n’est plus question de les y accueillir. Les salles sont trop exiguës pour que chacun puisse respecter les mesures de distanciation sociale. La direction et les équipes pédagogiques ont envisagé plusieurs options : location de salles à l’extérieur ; division de la promotion en trois groupes et alternance de télétravail et de cours à l’école. Mais avec le risque d’interrompre la scolarité si l’école se transforme en cluster.

La solution retenue, prise vendredi, est celle de l’enseignement à distance. « Si l’on fait la synthèse entre les risques sanitaires, d’une part, et la dégradation de la qualité pédagogique, d’autre part, la formation à distance l’emporte. C’est une réponse conjoncturelle et la meilleure à la situation actuelle. Mais, sur le moyen long terme, la scolarité doit se faire en présentiel », assure Olivier Leurent. Les cours à distance se dérouleraient du 8 juin à fin juillet avec une reprise des cours à Bordeaux début septembre.

Troisième difficulté, le concours d’accès prévu le 22 mai. Il a été reporté aux 7 et 11 septembre. Les épreuves d’admission se dérouleront à partir du 4 novembre. Ce qui renvoie à début mars l’arrivée des auditeurs. Un décret, validé par le Conseil d’État, réduisant la scolarité de trente et un à vingt-neuf mois de la promotion 2021, devrait être publié sous peu.

Le confinement a par ailleurs suspendu, pour une durée indéterminée, les cycles de formation continue (cinq jours obligatoires pour les magistrats). « Toutes les sessions annulées seront dupliquées l’année prochaine pour que les magistrats retrouvent les réponses à leur besoin de formation », assure Laetitia Dhervilly, sous-directrice de la formation continue à l’ENM. L’école propose plus de cinq cents modules de formation.

Si tous ne sont pas transposables en mode virtuel, l’école, moins d’un mois après le début du confinement, a souhaité déployer des formations en ligne via un logiciel interactif. La première session s’est déroulée les 15 et 17 avril, avec cinquante participants, sur le thème des violences conjugales. Animée par une vice-procureure et une psychologue, elle devrait être programmée à nouveau au regard du nombre de candidats qui s’étaient manifestés, plus de trois cent cinquante.

« On apprend et on progresse à chaque séquence », reconnaît Laetitia Dhervilly. « Nous avons la possibilité de proposer des séquences permettant une réelle interactivité entre les participants et les formateurs, comme celle sur les violences conjugales », souligne-t-elle avant de préciser que d’autres modules, pour cibler un plus large public, sont en cours de construction.

Le premier obstacle à ces formations en ligne reste la disponibilité des magistrats, mobilisés par les plans de continuation d’activité, et leur accès au numérique. « On doit être en capacité de trouver l’équilibre avec les enjeux des juridictions », poursuit-elle. D’ores et déjà, plusieurs nouvelles sessions de formations à distance sont prévues dans les semaines à venir.

C’est un euphémisme de dire que le Conseil d’État, en tant que « garant de la légalité de l’action publique » et protecteur « des droits et libertés des citoyens » (v. la présentation de ses missions sur le site internet de la juridiction), est sollicité en ces temps de crise.

Par une ordonnance du 10 avril 2020, c’est le juge des référés de la haute juridiction administrative qui s’est prononcé sur des demandes formées par plusieurs organisations, parmi lesquelles figuraient le Conseil National des Barreaux, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, à l’encontre de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale (v. sur ces règles, B. Gutton et G. Langlais, L’organisation des juridictions pendant l’état d’urgence sanitaire, Dossier, 8 avr. 2020).

La juridiction avait été saisie pour ordonner la suspension de l’exécution des articles 4, 7, 8, 9, 13 à 19 et 21 de cette ordonnance. Il s’agissait de deux requêtes formulant des griefs similaires et dont la jonction a permis au juge des référés de statuer en une seule ordonnance.

Le demandeurs soutenaient notamment qu’il était porté une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense dès lors que :

l’article 4 de l’ordonnance contestée permet aux juridictions d’aviser les parties du renvoi d’une audience ou d’une audition par lettre simple ou par tout moyen sans avoir à s’assurer de la bonne réception de cette information ;l’article 8 permet au juge d’aviser les parties par tout moyen et de sa décision de recourir à une procédure purement écrite sans audience sans avoir à s’assurer de la réception de cette information susceptible d’intervenir après la clôture de l’instruction,les parties sont dans l’impossibilité de contester le recours à une procédure purement écrite sans audience ;l’article 7 permet au juge de décider que l’audience se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle ou, à défaut, de décider d’entendre les parties et leurs avocats par tout moyen de communication électronique sans que celles-ci puissent s’y opposer ;l’article 9 permet au juge des référés de recourir aux « ordonnances de tri ».

Ils formulaient en outre un certain nombre de critiques relatives aux modalités de renouvellement d’une mesure d’assistance éducative ainsi qu’à la modification ou à la suspension du droit de visite et d’hébergement.

L’ensemble des requêtes sont rejetées par cette ordonnance du 10 avril 2020 (v. aussi pour le rejet des recours formés contre l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale, CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894 et  pour le rejet des demandes formées contre l’ordonnance n° 2020-305 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, CE, ord., 10 avr. 2020, n° 439903). La motivation de la décision est développée en trois temps.

L’importance des « circonstances »

« Sur les circonstances… ». Pour motiver ce rejet, la juridiction commence par quelques considérations méthodiquement développées sur « les circonstances » dans lesquelles interviennent ces requêtes.

Le juge relève d’abord que l’émergence du covid-19, « de caractère pathogène et particulièrement contagieux », et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre des mesures à compter du 4 mars 2020, par plusieurs arrêtés (fermeture d’un grand nombre d’établissements recevant du public, interdictions des rassemblements de plus de 100 personnes, suspension de l’accueil des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires, etc.). Par ailleurs, par un décret du 16 mars 2020, « motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19 », modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve de certaines exceptions, à compter du 17 mars. Le ministre des solidarités et de la santé a ensuite complété ces mesures.

Il observe ensuite que la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. L’article 11 de cette même loi a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19. En particulier, le Gouvernement a été autorisé, « afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation » à prendre toute mesure pour adapter, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions.

Il rappelle enfin que c’est sur le fondement de cette habilitation que l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de propriété a adapté les règles de la procédure civile en édictant des règles dérogatoires applicables, « pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée », comme l’indique son article 1er,

L’examen des dispositions relatives à l’activité des juridictions de l’ordre judiciaire en matière non pénale

Une fois ces éléments de contexte posés, le juge des référés du Conseil d’État livre plus en détails les motifs de la décision, en passant en revue chacun des articles contestés :

Renvois et information des parties. En ce qui concerne l’article 4 de l’ordonnance qui prévoit des modalités simplifiées de renvoi des audiences ou des auditions supprimées et indique que, dans les cas où les parties ne sont pas représentées ou assistées par un avocat et n’ont pas consenti à la réception des actes sur le « Portail du justiciable », la décision est rendue par défaut lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge des référés du Conseil d’État rejette toute atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il explique que ces dispositions sont destinées, d’une part, à augmenter la possibilité de porter à la connaissance effective des parties le renvoi de leur affaire ou audition, alors que les modalités habituelles d’information ne leur sont plus toujours accessibles, et, d’autre part, pour les parties qui ne sont pas représentées ou assistées par un avocat et qui n’ont pas consenti à la réception des actes sur le « Portail du justiciable », à préserver les droits des défendeurs qui ne comparaîtraient pas à l’audience, ces derniers bénéficiant dans ce cas, dès lors que la décision est rendue par défaut, d’un double de degré de juridiction.

Télécommunication. La décision évoque ensuite l’article 7 de l’ordonnance qui prévoit la possibilité dérogatoire de recourir à des moyens de télécommunication audiovisuelle devant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties, et également, dans le cas où il serait techniquement ou matériellement impossible d’avoir recours à ces moyens, de recourir à des moyens de communication téléphonique « permettant de s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats ». Ce texte précise en outre que le juge organise et conduit la procédure, qu’il « s’assure du bon déroulement des échanges entre les parties et veille au respect des droits de la défense et au caractère contradictoire des débats », et que le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées.

Pour le Conseil d’État, en autorisant, sous les conditions prévues, le recours dérogatoire à des moyens de communication à distance pendant la période prévue à l’article 1er de l’ordonnance, dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, l’article 7 de l’ordonnance contestée n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants. La justification est avant tout sanitaire pour le juge des référés qui prend soin de préciser « que les exigences de la lutte contre l’épidémie de covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes et que la présence personnelle de l’avocat auprès du justiciable est simplement aménagée par l’ordonnance de manière à être compatible avec les impératifs de distanciation sociale et de limitation de la contamination ».

Procédure sans audience. Il traite par ailleurs de l’article 8 de l’ordonnance qui permet au juge ou au président de la formation de jugement, lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont représentées ou assistées par un avocat, de recourir à une procédure écrite sans audience. Les parties en sont informées par tout moyen et disposent, à l’exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience. À défaut d’opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats.

Le Conseil d’État vise « le rapport au président de la République de l’ordonnance » (JUSC2008164P) qui énonce que les règles de la procédure civile ont été adaptées pour permettre autant que possible le maintien de l’activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré les mesures d’urgence sanitaire prises pour ralentir la propagation du virus covid-19. Partant, la décision relève que l’article 8 de l’ordonnance vise à permettre, dans les procédures où un avocat est présent, le recours dérogatoire à une procédure écrite sans audience, dont les parties sont préalablement avisées et auquel elles sont en mesure de s’opposer sauf en cas de référé, de procédure accélérée au fond ou lorsque le juge doit statuer dans un délai imparti, et dont le caractère contradictoire est assuré, pendant la période prévue à l’article 1er de l’ordonnance. Ce faisant, il ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants. Une fois n’est pas coutume, le Conseil d’État justifie sa position en observant que les exigences de la lutte contre l’épidémie de covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes, et que cette disposition vise à faciliter une continuité de l’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale dans le respect des consignes de distanciation sociale.

Référés : rejet avant l’audience. En ce qui concerne l’article 9 de l’ordonnance qui donne à la juridiction de référé, la possibilité, qui a suscité de vives critiques (v. B. Gutton et G. Langlais ; L. Cadiet, « Un état d’exception pour la procédure civile à l’épreuve du coronavirus : des règles dérogatoires d’organisation des juridictions », Le club des juristes, 15 avr. 2020) de rejeter par ordonnance non contradictoire une demande irrecevable ou qui n’est pas de celles qui peuvent être tranchées en référé, l’arrêt vise encore « le rapport au Président de la République de l’ordonnance » qui précise que cette mesure est destinée à éviter l’engorgement des audiences de référé qui sont par ailleurs maintenues. Il se réfère en outre à la circulaire CIV/02/20 du 26 mars 2020, selon laquelle l’usage de cette faculté concerne les demandes qui apparaissent avec évidence irrecevables ou ne remplissant pas les conditions du référé. Les ordonnances ainsi prises, « ne peuvent préjudicier aux défenseurs », « doivent être motivées » et « sont par ailleurs susceptibles de recours selon les voies ordinaires de recours ». Partant, la disposition contestée n’a pas, en prenant une telle mesure qui adapte les modalités d’organisation du contradictoire en première instance dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale « sans engorger les audiences de référé », porté d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Sur les dispositions spécifiques aux juridictions pour enfants et à l’assistance éducative

La suite concerne les articles 13 à 19 et 21 de l’ordonnance qui visent des dispositions spécifiques aux juridictions pour enfants et à l’assistance éducative :

en permettant au juge des enfants, sans audition des parties et par décision motivée, de proroger de plein droit les mesures de placement, d’assistance éducative en milieu ouvert et d’investigation en cours, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (art. 13) ;en permettant au juge des enfants, sur proposition du service chargé de la mesure, de renouveler pour une durée limitée la mesure d’assistance éducative en milieu ouvert, de placement et d’aide à la gestion du budget familial, par décision motivée, sans audition, sous réserve de l’accord écrit de l’un des parents au moins et de l’absence d’opposition de l’autre parent (art. 14) ;en prévoyant, lorsqu’une interdiction de sortie du territoire a été prononcée en même temps que la mesure éducative qui a été renouvelée en application de l’article 14, la possibilité de renouveler cette interdiction dans les mêmes conditions et pour la même durée que la mesure qu’elle accompagne (art. 15) ;en modifiant les délais prévus aux articles 1184 et 1185 du code de procédure civile sur les mesures provisoires afin de permettre l’organisation des audiences nécessaires, notamment après une mesure de placement provisoire en urgence (art. 16 et 17) ;en prévoyant la possibilité, s’agissant des nouvelles requêtes, de dire qu’il n’y a pas lieu à ordonner une mesure d’assistance éducative ; d’ordonner une mesure judiciaire d’investigation éducative ou d’expertise ; d’ordonner une mesure d’accompagnement éducatif en milieu ouvert pour une durée qui ne peut excéder six mois (art. 18) ;en permettant au juge des enfants, si l’intérêt de l’enfant l’exige, de suspendre ou modifier les droits de visite et d’hébergement pour une durée ne pouvant excéder celle de l’état d’urgence sanitaire, sans audience et par décision motivée, le maintien des liens entre l’enfant et la famille étant conservé par tout moyen (art. 19) ;en aménageant les modalités de convocation et de notification des décisions, ainsi également que les conditions de contreseing des décisions suspendant ou modifiant des droits de visite et d’hébergement pour les enfants confiés, pour la seule période de l’état d’urgence sanitaire (art. 21).

Pour le juge des référés, ces dispositions mettent en œuvre l’habilitation prévue par la loi du 23 mars 2020 en permettant aux juridictions pour enfants de proroger, renouveler et prononcer des mesures d’assistance éducative pour une durée limitée, assorties le cas échéant d’une interdiction de sortie du territoire, par décision motivée et sans audition des parties, mais au terme d’une procédure contradictoire. Elles leur reconnaissent également la possibilité de suspendre ou modifier le droit de visite et d’hébergement dans les mêmes conditions.

Deux motifs sont avancés par la décision pour rejeter les différents griefs : d’une part, les dispositions contestées sont justifiées par l’intérêt qui s’attache à la continuité du suivi éducatif des mineurs concernés et d’autre part, contrairement à ce qui était soutenu, elles ne font pas obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalablement exprimer son avis. Par conséquent, elles ne portent pas d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale en permettant au juge de décider de telles mesures sans audition des intéressés et en réservant les audiences maintenues aux mesures les plus graves et aux situations urgentes, eu égard aux circonstances résultant de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus.

En définitive, on comprend à la lecture de cette ordonnance que deux arguments majeurs justifient le rejet prononcé par le juge des référés de la haute juridiction administrative. D’abord, le contexte exceptionnel dans lequel le pays tout entier est placé et ensuite la nécessité, corrélative, d’assurer le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire qui rappelons-le, doivent elles-mêmes composer avec les contraintes imposées par leurs plans de continuation d’activités. Certes, il ne s’agit pas seulement d’une « adaptation » comme l’indique l’ordonnance mais aussi et surtout d’un fonctionnement d’exception (v. L. Cadiet, préc.) qui a pour vocation première de permettre une poursuite de l’activité des juridictions en dépit de la situation. Mais, pour le Conseil d’État, la crise sanitaire qui touche la France et la situation inédite de confinement de l’ensemble de la population justifient les mesures exorbitantes contenues dans les dispositions critiquées et les garanties procédurales prévues sont jugées suffisantes. La décision laisse assez clairement transparaître une mise en balance des impératifs en jeu et leur nécessaire conciliation dans un contexte inédit : d’un côté les droit et libertés des parties qui doivent être garantis aux parties au cours de toute procédure juridictionnelle ; de l’autre, les enjeux sanitaires de la lutte contre le covid-19. Cette recherche d’équilibre justifie à son tour d’interpréter strictement les dispositions de l’ordonnance, « dans la seule mesure des raisons qui en justifient l’édiction » (L. Cadiet, préc.), c’est-à-dire « aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances » (L. n° 2020-290, art. 11, 2°, c). De ce point de vue, les magistrats de l’ordre judiciaire, qui sont en prise directe avec ces procédures d’exception, ont un rôle essentiel à jouer.  

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Une compagnie d’assurances et une société, qui interviennent dans le domaine de la sécurité, ayant leur siège en Lettonie concluent un contrat d’assurance générale de responsabilité civile, qui couvre également la responsabilité d’une filiale à 100 % immatriculée en Lituanie. Les conditions générales du contrat prévoient une clause attributive de compétence au juge letton et indiquent que ce juge applique la loi lettone.

Or, suite à un vol commis dans une bijouterie dans laquelle la filiale lituanienne était chargée d’assurer la surveillance, celle-ci a dû dédommager la cliente et a ensuite saisi un juge lituanien d’une procédure dirigée contre la compagnie d’assurance.

Ce juge s’est déclaré incompétent au profit du juge letton, au regard de la clause attributive stipulée dans le contrat d’assurance signé par la société mère.

La difficulté concernait la mise en œuvre du règlement n° 1215/2012 Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et en particulier de ses articles 15 et 16.

L’article 15 prévoit la possibilité, en matière d’assurances, de conclure une clause attributive de compétence à certaines conditions : une telle clause doit notamment être postérieure à la naissance du différend et concerner, selon le point 5, « un contrat d’assurance en tant que celui-ci couvre un ou plusieurs des risques énumérés à l’article 16 ».

L’article 16 vise quant à lui différents types de risque, par exemple tout dommage aux marchandises autres que les bagages des passagers, durant un transport réalisé par ses navires ou aéronefs soit en totalité soit en combinaison avec d’autres modes de transport. Cet article 16 vise, surtout, par son point 5, tous les « grands risques » au sens de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II). Par son article 13, point 27 (et sur renvoi à la partie A de l’Annexe I de la directive), cette directive vise à ce titre, par exemple, tout dommage subi par les véhicules ferroviaires, aériens, fluviaux ou maritimes.

Au regard de ces dispositions, il s’agissait de déterminer si la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d’assurance conclu par le preneur d’assurance et l’assureur et couvrant un « grand risque » peut être opposée à la personne assurée par ce contrat.

Cette question de l’opposabilité d’une clause attributive dans le domaine des contrats d’assurance n’est pas nouvelle dans le droit de l’Union européenne (sur l’ensemble, Rép. intern., v° Compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale, par D. Alexandre et A. Huet, n° 118). Il a notamment été jugé qu’une telle clause n’est pas opposable à l’assuré bénéficiaire qui n’y a pas expressément souscrit et a son domicile dans un État membre autre que celui du preneur d’assurance et de l’assureur (CJCE 12 mai 2005, aff. C-112/03, D. 2005. 1586 ; Rev. crit. DIP 2005. 753, note V. Heuzé ; Procédures 2006. Comm. 75, obs. C. Nourissat ; RJ com. 2005. 338, obs. Raynouard) et qu’une victime disposant d’une action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage qu’elle a subi n’est pas liée par une clause attributive de juridiction conclue entre cet assureur et cet auteur (CJUE 13 juill. 2017, aff. C-368/16, D. 2017. 1536 ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; RTD com. 2017. 741, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast ; Rev. UE 2018. 301, chron. A. Cudennec, N. Boillet, O. Curtil, C. de Cet-Bertin, G. Guéguen-Hallouët et M. Taillens ).

La spécificité de l’affaire jugée le 27 février 2020 tient à la nature du risque assuré. Il est d’ailleurs à noter cette problématique du « grand risque » fait l’objet d’analyses approfondies en droit international privé (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, n° 300 ; M.-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Sirey, 2017, n° 740).

Avant de prendre position sur l’opposabilité de la clause attributive à l’assuré qui n’a pas souscrit le contrat d’assurance couvrant un « grand risque », l’arrêt (pt 37) rappelle, de manière générale, qu’en matière d’assurances, la prorogation de compétence demeure strictement encadrée par l’objectif de protection de la personne économiquement la plus faible (CJUE 13 juill. 2017, préc., pt 36).

Cet objectif vaut-il toutefois également à propos des contrats couvrant un « grand risque » ? Le doute est permis selon l’arrêt (pt 38), puisque les assurés peuvent « jouir d’une puissance économique importante », tout comme les assureurs et les preneurs d’assurance eux-mêmes. La Cour de justice écarte néanmoins la pertinence d’un tel doute, au motif que les puissances économiques respectives de l’assureur et du preneur d’assurance, d’une part, et de l’assuré, d’autre part, ne sont pas identiques (arrêt, pt 40).

L’arrêt relève alors que l’assuré n’était pas, en l’espèce, un professionnel du secteur des assurances, n’avait pas consenti à cette clause et était, de surcroît, domicilié dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur (arrêt, pt 46). La Cour de justice en déduit que la clause attributive de juridiction prévue dans le contrat ne pouvait pas être opposée à la personne assurée par le contrat d’assurance couvrant un « grand risque » conclu par l’assureur et le preneur d’assurance.

Cette solution peut être approuvée en ce qu’elle s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence relative aux clauses attributives en matière d’assurance, qui a été rappelée précédemment. On peut toutefois regretter le fait que la Cour de justice procède plus par des affirmations successives que par une démonstration étayée, et ce dans le cadre d’un arrêt dont la motivation aurait gagné à être plus limpide et ramassée.

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Deux époux avaient consenti une promesse de vente d’un bien immobilier à une société civile immobilière, jusque-là locataire dudit bien. La bénéficiaire de la promesse ayant levé l’option, le prix de vente fut versé entre les mains d’un notaire. Ce dernier releva alors l’existence d’une inscription hypothécaire. À défaut d’accord entre les parties sur les modalités de la mainlevée de cette sûreté, le notaire dressa successivement deux procès-verbaux de difficultés. Les vendeurs persistèrent à refuser la purge amiable de l’hypothèque, en dépit de l’accord du créancier hypothécaire. Ils assignèrent la SCI en réalisation judiciaire de la vente avec séquestration ou consignation du prix à hauteur d’une offre réelle de paiement faite au créancier, dans l’attente de la décision à intervenir dans l’instance en radiation sans paiement introduite contre celui-ci.

La cour d’appel enjoignit aux vendeurs de signer l’acte authentique de vente sans les modalités particulières exigées et les condamna au paiement de dommages-intérêts, considérant leur refus de procéder à la purge amiable de l’immeuble illégitime. Elle rejeta par ailleurs leur demande en paiement d’une indemnité d’occupation et les condamna à restituer à la SCI le dépôt de garantie, aux motifs que les lieux n’étaient plus occupés matériellement par le preneur.

Dans leur pourvoi en cassation, les vendeurs invoquent, d’une part, la violation par la cour d’appel de l’article 2475 du code civil, lequel ne leur imposerait pas de consentir à la purge amiable de l’immeuble. Ils soutiennent, d’autre part, qu’il appartient au preneur, qui a la charge de la preuve, de restituer l’immeuble loué à l’expiration du bail. La cour d’appel aurait ainsi violé l’article 1737 du code civil en ne constatant pas que le preneur leur avait bel et bien remis les clés.

Dans l’arrêt de cassation rapporté du 5 mars 2020, la troisième chambre civile précise, pour la première fois à notre connaissance, le caractère facultatif de la purge amiable. Cette décision est, par ailleurs, l’occasion de rappeler la solution traditionnelle selon laquelle la libération des lieux à l’expiration du bail ne peut résulter que de la remise effective des clés au bailleur ou à son mandataire.

Affirmation du caractère facultatif de la purge amiable

En cas de vente d’un immeuble hypothéqué, le créancier hypothécaire ne dispose pas d’un droit de préférence sur le prix de vente amiable du bien (Civ. 3e, 8 févr. 2018, n° 16-27.941, D. 2018. 350 ; AJDI 2018. 543 , obs. J.-P. Borel ; RTD civ. 2018. 462, obs. P. Crocq ). Le droit de suite, attaché à sa sûreté, lui permet seulement de saisir le bien entre les mains du nouveau propriétaire afin d’exercer son droit de préférence sur le prix de la vente forcée. La procédure de purge légale (C. civ., art. 2476 s.) a pour objet de permettre à l’acquéreur d’éviter une telle saisie en désintéressant le créancier pour obtenir la radiation de son inscription. La lourdeur et la complexité d’une telle procédure a toutefois conduit la pratique notariale à organiser une purge amiable de l’hypothèque, reposant sur la volonté des parties. L’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 a consacré une telle purge amiable à l’article 2475 du code civil (J. Combarieu, La purge amiable des privilèges et hypothèques, JCP N 2008. 1059).

L’arrêt commenté offre l’occasion à la Cour de cassation de préciser que cette procédure de purge amiable est seulement facultative pour le vendeur, lequel a parfaitement le droit de la refuser quand bien même le créancier hypothécaire y aurait, de son côté, donné son accord. Une telle analyse est conforme au texte de l’article 2475 du code civil, lequel subordonne expressément la purge amiable à l’existence d’un accord entre les créanciers inscrits et le débiteur (al. 1er). À défaut d’accord entre eux, la purge doit être réalisée conformément aux articles suivants (ce que précise l’al. 3 de l’art. 2475).

Le rappel de l’exigence d’une remise effective des clés au bailleur pour la libération des lieux

Un bail à durée déterminée comprend un terme extinctif. Il prend ainsi fin à l’arrivée du terme (C. civ., art. 1737). Le preneur est alors tenu de libérer les lieux loués. Le bailleur peut prétendre, à défaut, au versement d’une indemnité d’occupation, laquelle « est la contrepartie de l’utilisation sans titre du bien » (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-12.353, D. 2019. 1235 ; AJDI 2019. 817 , obs. F. Cohet ; ibid. 745, point de vue D. Tomasin ).

Toute la question était en l’espèce de déterminer si les locataires avaient libéré les lieux au terme du bail. Tandis que la cour d’appel se fonde sur un faisceau d’indices, tels que la résiliation des contrats de fourniture d’eau et d’électricité, pour répondre positivement à cette question, la Cour de cassation rappelle fermement que la libération des lieux ne peut résulter que de la remise des clés au bailleur en personne ou à un mandataire dûment habilité à les recevoir.

La solution est classique (Civ. 3e, 13 oct. 1999, n° 97-21.683, D. 1999. 87 , obs. Y. R. ; AJDI 1999. 1160 ; 13 nov. 1997, n° 96-11.493). Peu importe que le locataire ait physiquement quitté les lieux (Civ. 3e, 17 juill. 1997, n° 95-22.070, D. 1997. 206 ). Les juges du fond sont tenus de rechercher « au besoin d’office, si les clés avaient été remises en mains propres au bailleur ou au représentant de celui-ci » (Civ. 3e, 5 nov. 2003, n° 01-17.530, D. 2003. 2966 , obs. Y. Rouquet ; AJDI 2004. 808 , obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2004. 727, obs. J. Mestre et B. Fages ). La remise des clés n’est pas valable lorsqu’elle est faite à une autre personne, y compris à un huissier (Civ. 3e, 13 juin 2001, n° 99-14.998, D. 2001. 2084 ; AJDI 2001. 985 , obs. S. Beaugendre ). Il appartient au preneur de prendre l’initiative de rendre les clés, le fait de mettre le bailleur en demeure de les récupérer étant insuffisant (Civ. 3e, 23 juin 2009, n° 08-12.291, AJDI 2010. 125 , obs. F. de La Vaissière ). Seule la mauvaise foi du bailleur, dont l’attitude rend impossible la remise des clés (Civ. 3e, 6 mai 2014, n° 13-11.442, AJDI 2014. 613 ) ou qui la refuse, peut faire obstacle au versement d’une indemnité d’occupation lorsque les clés ne sont pas rendues par le preneur à l’arrivée du terme (Civ. 3e, 2 mars 2017, n° 15-28.157, AJDI 2017. 506 , obs. F. de La Vaissière ).

Le juge des référés du Conseil d’État rejette les demandes de suspension de l’exécution de certaines dispositions de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

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Auteur d'origine: MKEBIR

En application des articles 15, § 5, et 16, § 5, du règlement Bruxelles I bis, la clause attributive de juridiction prévue dans un contrat d’assurance couvrant un « grand risque », conclu par le preneur d’assurance et l’assureur, ne peut être opposée à la personne assurée, qui n’est pas un professionnel du secteur des assurances, qui n’a pas consenti à cette clause et qui est domiciliée dans un État membre autre que celui du domicile du preneur d’assurance et de l’assureur.

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Auteur d'origine: fmelin

La purge amiable est une procédure facultative qui nécessite l’accord du vendeur sans qu’il soit tenu d’y consentir. Le bail cesse de plein de droit à l’expiration du terme fixé et la restitution du local par le preneur suppose la remise effective des clés au bailleur en personne ou à son mandataire.

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Auteur d'origine: CAYOL

Afin de limiter les risques de contamination résultant du contact avec des cadavres contaminés et pour prendre en compte les difficultés dans l’organisation des funérailles liées au confinement et à la surmortalité, le gouvernement adapte les normes funéraires. Des décisions qui vont parfois au-delà des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.

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Auteur d'origine: babonneau

La Cour de cassation rappelle qu’en matière de responsabilité contractuelle, le dommage n’est indemnisable que s’il était prévisible lors de la conclusion du contrat et constituait une suite immédiate et directe de l’inexécution de ce contrat.

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Auteur d'origine: Dargent

L’épidémie de covid-19 et les mesures prises pour lutter contre sa propagation placent chacun, particulier comme entreprise, dans une situation extraordinaire : confinement pour presque tous, perturbation du courrier postal et des significations pour beaucoup, maladie pour certains, etc.1

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Auteur d'origine: Thill

La notification de conclusions et la communication des pièces à un avocat non constitué en appel est entachée d’une irrégularité de fond et ne répond pas à l’objectif de garantir l’efficacité de la procédure et les droits de la défense. A défaut de signification des conclusions à l’intimé, la déclaration d’appel est caduque.

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Auteur d'origine: laffly

La Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique dans sa nouvelle configuration après la réforme de janvier 2016. La question présente un vif intérêt pour la matière mais également pour le rôle du JLD dans ce contentieux délicat.

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Auteur d'origine: chelaine

La modification des normes et des pratiques funéraires en temps d’épidémie est une réalité historique bien documentée1. Nulle surprise donc à ce que la présente crise sanitaire s’accompagne de modifications des dispositions applicables au traitement des corps morts. Les modifications adoptées dans le cadre de la lutte contre le covid-19 peuvent être classées en deux catégories : celles qui visent avant tout à protéger les proches et les professionel·les de la contamination et celles qui anticipent le risque de sur-mortalité et les difficultés organisationnelles liées au confinement.

Concernant la protection contre la contamination. Le gouvernement prend acte du constat établi par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) : les corps des défunts peuvent être contaminants pour les personnes qui les manipulent, même si le risque est limité2. Les dispositions du décret n° 2020-384 du 1er avril 20203 visent dès lors à limiter les contacts avec les corps des personnes dont on sait, ou dont on soupçonne, qu’elles sont décédées alors qu’elles étaient porteuses du virus. Ceux-ci doivent, au moins jusqu’au 30 avril prochain, être mis en bière immédiatement et ne pas faire l’objet d’une toilette mortuaire. Notons ici que le gouvernement va au-delà de ce qui est préconisé par le HCSP dans son avis le plus récent. En effet, si lors d’un premier avis, rendu en urgence au début de la période d’épidémie, le Haut Conseil avait préconisé une fermeture immédiate du cercueil et une toilette mortuaire minimale4, ses recommandations se sont assouplies dans un second temps. Son avis du 24 mars est explicite : « dans la prise en charge des personnes décédées, il convient de respecter (…) dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir le visage de la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ». Il préconise ainsi que deux proches puissent être désignés pour pratiquer eux-mêmes une toilette mortuaire ou tout autre rite funéraire à condition qu’ils soient équipés de protections adéquates5. De même, la recommandation de placer le corps dans une housse hermétique pour tout transport était accompagnée de la précision suivante : « la housse est fermée en maintenant une ouverture de 5-10 cm en haut si le corps n’a pu être présenté aux proches », qui pourront « voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière, mortuaire ou funéraire, tout en respectant les mesures barrière », à savoir notamment une distance de sécurité d’un mètre avec le corps, sans contact.

Les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi des normes plus strictes que celles qui étaient suggérées par le HCSP ne nous sont pas connues, mais nous ne pouvons qu’espérer que ce choix procède d’une précaution supplémentaire et non d’une impossibilité matérielle d’appliquer des règles moins restrictives, notamment au regard du manque de matériel de protection disponible. À n’en pas douter, les conditions imposées constituent une limitation importante de la liberté des familles dans l’organisation des funérailles, liberté qui, rattachée au droit au respect de la vie privée et à la liberté de conscience, est une liberté fondamentale. On notera par ailleurs que l’interdiction de la toilette mortuaire constitue une règle particulièrement stricte pour les personnes pratiquant une religion dans laquelle elle est un rite funéraire important, au premier rang desquelles l’Islam. Si l’on ajoute que les décès par covid-19 s’annoncent particulièrement importants dans des départements tels que la Seine-Saint-Denis6, où l’Islam est très pratiqué, on comprend que, comme tant d’autres, les normes liées à l’urgence sanitaire n’auront pas les mêmes conséquences pour tous7…

La décision d’établir des règles funéraires strictes suppose également un choix – tout à fait compréhensible mais un choix cependant : celui de privilégier la préservation de la santé somatique d’aujourd’hui à la sauvegarde de la santé psychique de demain. Car les contraintes imposées aux pratiques funéraires en ce temps d’épidémie ne seront certainement pas sans conséquences sur les démarches de deuil des personnes qui auront perdu un proche dans cette période8. Mais ces normes restrictives auront au moins pour efficacité de renforcer la protection sanitaire des travailleurs et travailleuses du funéraires, si toutefois le matériel adéquat leur est fourni.

L’autre disposition phare du décret du 1er avril peut faire l’objet de la même analyse. Elle édicte une interdiction générale de la pratique de la thanatopraxie, au moins jusqu’au 30 avril, pour l’ensemble des corps, quelle que soit la cause du décès ou l’état de santé du défunt. Là encore le texte est plus strict que les recommandations du HSCP qui ne suggéraient cette interdiction que pour les corps contaminés ou soupçonnés de l’être.

L’interdiction totale est une mesure radicale, d’autant que la pratique de la thanatopraxie est, depuis 2017, très strictement encadrée sur le plan des exigences sanitaires9. Le choix procède une fois encore d’un arbitrage : l’interdiction générale de la pratique est une atteinte forte à l’activité des thanatopracteurs et thanatopractrices, dont beaucoup exercent en libéral, mais elle constitue évidemment une protection supplémentaire pour ces professionnel·les. On voit cependant ici comment le spectre du « porteur sain », personne asymptomatique ou pauci-symptomatique, contaminée et contaminante sans le savoir, conduit à prendre des mesures particulièrement radicales puisque concernant tous les corps. Un raisonnement que l’on retrouve vraisemblablement dans de nombreuses dispositions, même hors du droit de la santé.

La décision d’interdire totalement la thanatopraxie limite bien sûr la liberté des familles mais on rappellera que l’intérêt de la thanatopraxie, pour les personnes qui font ce choix, est de faciliter la présentation du corps lors de veillées funéraires ou de présentations publiques. Or, dans la mesure où le décret du 23 mars dernier limite fortement le nombre de personnes pouvant participer à des rassemblements funéraires10, il est possible que la pratique deviennent de facto moins « utile ». Son interdiction conduit cependant à restreindre le choix du lieu de sépulture puisqu’un certain nombre de pays impose que les corps aient fait l’objet de soins de thanatopraxie pour en autoriser l’entrée sur leur territoire11. Notons que l’interdiction des soins de conservation se prolongera au-delà de la période d’urgence sanitaire dans la mesure où le covid-19 est désormais inscrit formellement sur la liste des pathologies proscrivant la thanatopraxie12.

Second volet de l’adaptation des normes funéraires : l’anticipation de la surmortalité et la gestion des funérailles. Le fait que la présente épidémie induise une surmortalité globale sur l’ensemble du territoire n’est pas une certitude pour l’instant puisque les mesures de confinement ont pour effet la diminution de certaines causes de décès en parallèle de l’augmentation du nombre de morts lié à l’infection elle-même. Cependant, la surmortalité semble une réalité dans les régions les plus touchées13. C’est pourquoi l’essentiel des mesures prises aujourd’hui sont des mesures locales.

En ce qui concerne les mesures nationales, notons deux dispositions importantes14. Tout d’abord l’inscription des professionnel·les du funéraire sur la liste des personnes susceptibles de faire l’objet d’une réquisition par l’autorité préfectorale15. Ensuite la possibilité, insérée à l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales, de conserver provisoirement les cercueils fermés dans des « dépositoires », c’est-à-dire des lieux de conservation provisoires, hors des caveaux provisoires existant dans les cimetières16. L’utilisation de tels dépositoires était possible jusqu’en 2011, date à laquelle il avait été interdit17, notamment pour éviter la création de lieux de conservation difficiles à contrôler sur le plan sanitaire18. Leur usage est donc à nouveau permis et cette autorisation semble devoir être permanente puisque le décret ne limite pas cette modification dans le temps19. Le texte précise même l’usage du dépositoire, ce qui n’était pas le cas antérieurement : le dépôt du cercueil ne peut excéder six mois, délai au-delà duquel il doit être inhumé (il nous semble que, malgré cette rédaction restrictive, rien, dans l’esprit du texte, n’interdirait une crémation).

 Outre ces prescriptions générales, le décret du 27 mars autorise les municipalités, ou dans certains cas les préfectures, à prendre une série de dispositions exceptionnelles si les circonstances locales le justifient. À la lecture de ces dispositions on comprend que les « circonstances » en question s’entendent à la fois de la difficulté à gérer les funérailles en cas de surmortalité et de la complexité administrative induites par les mesures de confinement. L’ensemble de ces dispositions peuvent être prises pour un délai n’excédant pas un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Au titre des dispositions particulièrement symboliques20 on notera la possibilité d’étendre localement le délai dans lequel les funérailles doivent être pratiquées. Le droit commun impose habituellement une inhumation ou une crémation dans un délai compris entre vingt-quatre heures et six jours après le décès. Ce délai peut donc être localement étendu jusqu’à vingt-et-un jours, et même au-delà sur autorisation préfectorale.

La fermeture des cercueils pourra être possible sans autorisation préalable si elle n’a pas pu être obtenue dans les douze heures précédant l’inhumation ou la crémation. Sauf dégradation très importante de la situation sanitaire cette circonstance aura cependant peu de chance de se produire étant donné que la transmission de ladite autorisation sera possible par voie dématérialisée, comme d’ailleurs les autorisations de crémation et d’inhumation elles-mêmes. Une telle fermeture de cercueil sans autorisation devra cependant être signalée dans les quarante-huit heure à la mairie. Notons ici une disposition particulière pour les cas où la famille ne pourrait être présente au moment de la fermeture de la bière et que celle-ci doive être transportée en dehors de la commune de décès ou de dépôt21. En temps normal, en l’absence de proche, la fermeture ne peut alors être faite qu’en présence d’un·e fonctionnaire désigné·e à cet effet22, qui veille notamment à l’identité du ou de la défunt·e. Les dispositions issues de l’état d’urgence sanitaire permettent de déroger à cette procédure mais uniquement lorsque le corps est destiné à l’inhumation ; elle reste obligatoire en cas de crémation, action qui rend évidemment impossible toute « correction » sur l’identité de la personne décédée… Là encore la mairie doit être informée de la situation dans les quarante-huit heures.

L’adaptation en urgence des normes funéraires est une mesure importante sur les plans à la fois pratique et symbolique. On ne peut évidemment que souhaiter que les blessures intimes subies par les personnes qui ne pourront pas vivre sereinement leur deuil trouvent leur contrepartie sociale dans une vraie protection sanitaire des professionnel·les du secteur. Mais ne l’oublions pas : l’adaptation des normes funéraires n’est pas suffisante à la protection de la santé des salarié·es et indépendant·es qui œuvrent dans ce domaine particulier. Cette protection ne peut être acquise que par un matériel adapté et des conditions de travail respectueuses de leur santé somatique et psychique. Et ceci vaut pour tous les travailleurs et travailleuses de l’ombre qui assurent actuellement le fonctionnement de notre société malade.

 

 

1. Pour un aperçu des recherches archéologiques en la matière, v. par ex. les pré-actes des journées d’étude du Groupement d’archéologie et d’anthropologie du funéraire « Rencontre autour du corps malade : prise en charge et traitement funéraire des individus souffrants à travers les siècles ». Pour un aperçu vulgarisé consulter le site Actuel Moyen-Âge qui consacre actuellement des chroniques régulière à la gestion des épidémies au Moyen-Âge. 
2. HCSP, Avis relatif à la prise en charge du corps d’un patient cas probable ou confirmé covid-19, 24 mars 2020, p. 1.
3. Décr. n° 2020-384 du 1er avr. 2020 complétant le décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, JORF n° 0080 du 2 avr. 2020, art. 1.
4. HCSP, relatif à la prise en charge du corps d’un patient décédé infecté par le virus SARS-CoV-2, 18 févr; 2020, p. 2.
5. À savoir lunettes, masque chirurgical, tablier anti- projection et gants à usage unique.

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Une société (A) est propriétaire d’un navire qui nécessite d’importants travaux. Elle sollicite une autre société (B) et lui demande d’opérer la refonte complète de la salle des machines de ce navire, et notamment, de fournir et d’installer deux groupes électrogènes. Il s’en suit une chaîne homogène de contrats de vente. La société B se fournit auprès d’une tierce société (C) pour installer les groupes électrogènes dans le bâtiment. Elle-même s’est fournie auprès d’une société (D) qui a passé contrat avec la société (E) qui avait contracté avec la société (F).

À la suite de l’installation de ces groupes électrogènes, de nombreux problèmes techniques sont constatés et un expert judiciaire est mandaté par voie d’ordonnance.

Un arrêt est rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 19 avril 2018. Il confirme – entre autres – le jugement du tribunal de commerce qui avait condamné la société B à payer à la société A la somme de 152 377,63 € mais ajoute un complément de 20 941,26 € soit un total de 173 318,89 € après actualisation du préjudice subi. La cour d’appel condamne surtout la société E à relever et garantir la société B de cette condamnation car c’est cette première société qui a été considérée comme à l’origine des désagréments.

C’est pourquoi la société E forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Le moyen du pourvoi est composé de sept branches. Même si les juges du droit prendront le temps de répondre à la première, ils estiment toutefois que seule la septième branche présente un intérêt. Ils précisent, en effet, dans l’incipit de leur arrêt que c’est uniquement cette septième branche qui doit être honorée des mentions F-B-I.

Dans celle-ci, les auteurs du pourvoi font grief à la cour d’appel d’avoir violé l’ancien article 1150 du code civil. Ils font valoir qu’elle aurait dû limiter la réparation du préjudice à ce qui était prévu dans le contrat. La cour d’appel avait, en effet, considéré qu’« en droit français, tout préjudice est réparable pourvu qu’il soit direct et certain ».

Il se posait donc la question de savoir si la société E pouvait invoquer l’article 1150 ancien du code civil pour limiter la réparation du préjudice à ce qui était prévisible au moment de la formation du contrat.

La Cour de cassation, en sa chambre commerciale, répond positivement. Elle se contente de citer l’ancien article 1150 pour juger que la cour d’appel l’a violé puis prononce la cassation partielle de son arrêt.

Le droit de la responsabilité civile connaît, en France, une subdivision. Il existe, d’une part, la responsabilité civile extracontractuelle régie par le principe de réparation intégrale des préjudices et l’on trouve, d’autre part, la responsabilité civile contractuelle gouvernée par le principe de la limitation de la réparation au dommage prévisible. Cette summa divisio du droit de la responsabilité civile n’est toutefois pas partagée unanimement en doctrine. Certains considèrent que la responsabilité contractuelle n’a de responsabilité que le nom et qu’elle devrait n’avoir pour fonction que l’exécution par équivalent de l’avantage attendu du contrat (Ph. le Tourneau (dir.) Dalloz Action 2018-2019, vis Exécution par équivalent, n° 3 213.111 ; P. Rémy, La « responsabilité contractuelle » : histoire d’un faux concept, RTD civ. 1997. 323 ; D. Tallon, L’inexécution du contrat : pour une autre présentation, RTD civ. 1994. 223 ). Envisagé ainsi, les dommages et intérêts y afférant ne permettraient jamais de dépasser l’objet de l’obligation tandis que pour les autres, ayant une fonction indemnitaire, ils pourraient permettre une réparation plus étendue des préjudices.

Dans tous les cas, les auteurs reconnaissent les limites posées dans l’article 1150 ancien du code civil : « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ». Elles se trouvent aujourd’hui aux articles 1231-3 et suivants du même code. L’objectif du texte est de faire valoir la volonté des parties sur le principe de la réparation intégrale des préjudices. La limitation de la réparation transparaît aussi à l’article 1151 qui prévoit que, même dans le cas où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention. À la lecture de ces deux articles, on comprend que dans tous les cas, la réparation du préjudice est toujours plus limitée en matière contractuelle qu’en matière extracontractuelle car cette réparation ne comprend que les suites immédiates et directes de l’inexécution alors que ces « suites » sont plus largement considérées en matière extracontractuelle.

Dans cet arrêt, la société sur laquelle repose la charge finale de la dette n’avait pas, semble-t-il, pris le soin d’insérer une clause limitative de responsabilité intéressant les dommages concernés. Toutefois, même en l’absence d’une telle clause, et puisqu’il n’y avait ici ni dol ni faute lourde, la réparation devait être limitée aux suites immédiates et directes de l’inexécution. Contrairement à ce que disent les juges du fond dans leur motif adopté, les principes du droit français ne dictent pas que tout préjudice est réparable pourvu qu’il soit direct et certain. Ce n’est, tout du moins, pas encore le cas en matière contractuel (V. pour cette éventualité, H. Conte, Volonté et droit de la responsabilité civile, préf. J. Julien, éd. PUAM, 2019, nos 480 s.).

Si la Cour de cassation donne de l’importance à cet arrêt, c’est sans doute parce que les juges du fond oublient souvent ce principe. Elle « réactive » (l’expression est employée par un auteur : v. M. Bacache, D. 2011. 1725, obs. sous Civ. 1re, 28 avr. 2011, n° 10-15.056 ) ainsi l’article 1150 qui contient une limite qui n’est « presque jamais retenue » (C. Radé, RCA 2008. Comm. 158 cité in M. Bacache, préc. ; v. Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 14-28.227, D. 2016. 981 , note C. Gauchon ; ibid. 1396, obs. H. Kenfack ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; JT 2016, n° 185, p. 12, obs. X. Delpech ; RTD com. 2016. 326, obs. B. Bouloc ).

Ce que ne dit pas l’arrêt, c’est comment déterminer l’étendue du dommage réparable. À défaut de motivation enrichie, on doit sans doute comprendre que la Cour de cassation considère que la réponse doit être laissée à l’appréciation des juges du fond (V. par ex., Civ. 1re, 3 juin 1998, n° 95-16.887, D. 1998. 160 ; RTD com. 1999. 494, obs. B. Bouloc cité in M. Bacache, préc.). La Cour de cassation ne faisant, elle, que contrôler le caractère prévisible du dommage. L’arrêt ayant été cassé sur ce point, il reviendra à la juridiction de renvoi de statuer de nouveau sur le montant du dommage prévisible. La cour d’appel devra donc analyser in abstracto les dommages qui étaient prévus lors de la formation du contrat en se référant à une personne raisonnable placée dans les mêmes conditions. Or, on sait que les juridictions de fond prennent parfois des libertés pour apprécier le montant du dommage prévisible. À propos de l’arrêt Société des comédiens français (Civ. 1re, 4 févr. 1969, Bull. civ. I, n° 60 ; D 1969. 601, note J. Mazeaud ; RTD civ. 1969. 708, obs. G. Durry ; 22 oct. 1975, n° 74-13.217, Bull. civ. I, n° 290), un auteur (Z. Jacquemin, Payer, réparer, punir. Étude des fonctions de la responsabilité contractuelle en droit français, allemand et anglais, thèse Paris II, p. 383) fait remarquer que le juge n’hésite pas à s’affranchir des limites de l’article 1151 afin d’accorder à la victime des dommages et intérêts supérieurs à la valeur du préjudice subi.

Il faut aussi remarquer, relativement à cet arrêt du 11 mars 2020, que les juges du fond ont condamné deux sociétés in solidum (pour l’application de l’obligation in solidum en matière contractuelle, v. O. Deshayes, La responsabilité contractuelle in solidum, RDC 2016, n° 1, p. 21), mais en prenant bien le soin de mentionner qu’au stade de la contribution à la dette, seule l’une d’entre elles aura la charge finale de la réparation. Cela permet à la victime de s’adresser indifféremment à l’une des deux sociétés à charge pour celles-ci de se débrouiller entre elles ensuite. Sans reconnaître l’existence d’une faute lourde ou intentionnelle, les juges du fond ont toutefois considéré que c’était la société E qui était à l’origine des multiples désordres causés par les générateurs. Ce sera donc à elle d’assumer la charge finale de la dette.

Il faut préciser qu’une telle condamnation est facilitée par l’existence d’un groupe de contrat, ici en l’espèce, une chaîne homogène et translative de propriété. L’indivisibilité de l’ensemble contractuel ne posait pas de difficultés car tous les contrats qui ont été formés l’ont été pour satisfaire la société victime qui demandait des groupes électrogènes. La Cour de cassation le précise d’ailleurs dans l’arrêt : « Ces groupes électrogènes ont fait l’objet de ventes successivement intervenues entre, d’abord, les sociétés […] et la société […], ensuite, entre cette dernière et la société […], puis entre celle-ci et la société […], enfin, entre cette société et la société […] qui a installé ces matériels sur le navire ». Soit dit en passant, si la société E peut invoquer l’article 1150, la société B devrait aussi pouvoir le faire. Même si elle se verra décharger de la dette au stade de la contribution, elle est tout de même condamnée à payer la somme en question ce qui devrait poser aussi la question du montant des dommages « prévus ou qu’on a pu prévoir ».

C’est par la reconnaissance de cette connexité que la société victime, qui n’a pas contracté avec les autres sociétés, peut tout de même invoquer leur responsabilité contractuelle et faire exception à l’effet relatif des conventions. La jurisprudence (Cass., ass. plén., 7 févr. 1986, nos 83-14.631 et 84-15.189, D. 1986. 293, note Bénabent ; JCP 1986. II. 20616, note Malinvaud ; Gaz. Pal. 1986. II. 543, note Berly ; RDI 1986. 210, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; RTD civ. 1986. 594, obs. J. Mestre; ibid. 605, obs. P. Rémy ; Civ. 1re, 27 janv. 1993, n° 90-19.777, Bull. civ. I, n° 44 ; D. 1994. 238 , obs. O. Tournafond ; RTD civ. 1993. 592, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1993. 708, obs. B. Bouloc ; Com. 2 mars 1999, n° 96-12.071, NP, RJDA 1999, n° 519.) admet en effet que l’action contractuelle est transmise en tant qu’accessoire de la chose conformément à l’article 1615 du code civil qui dispose que : « L’obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel ».

Quelques mois après l’arrêt de l’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, D. 2020. 416, et les obs. , note J.-S. Borghetti ; ibid. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 394, point de vue M. Bacache ; AJ contrat 2020. 80 , obs. M. Latina ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier ) qui réaffirme l’identité des fautes contractuelles et délictuelles et donc la solution du 6 octobre 2006 (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister , note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295 , obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain ), la Cour de cassation en sa chambre commerciale, nous rappelle que si c’est le fondement contractuel que la victime a choisi d’actionner, il est normal qu’elle se voie opposer les limites légales tenant à ce régime. Point de réparation intégrale, le principe connaît l’exception incarnée dans la prévisibilité du dommage.

C’est une des solutions qu’il est possible d’adopter – appliquer la responsabilité contractuelle aux tiers même en dehors d’un groupe de contrat – si l’on veut éviter l’inégalité qui existe actuellement entre le tiers qui peut invoquer un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle sans se voir opposer les clauses du contrat ou la limite légale et le co-contractant qui invoque le même manquement, mais à qui l’on impose les limites susmentionnées.

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Une telle situation est susceptible de constituer un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil, lequel permet d’échapper aux sanctions de l’inexécution, un changement de circonstances ouvrant le jeu de la révision pour imprévision (art. 1195) ou encore une impossibilité d’agir au sens de l’article 2234, laquelle a pour effet de suspendre le délai de prescription. Toutefois, la vérification de la réunion des conditions d’application de ces textes ne peut se faire qu’au cas par cas, en fonction de chaque situation, de chaque obligation2.

L’ordonnance n° 2020-306, et plus précisément son titre I qui sera seul évoqué ici3, vise à apporter de la sécurité juridique en organisant la prorogation de certains délais et la paralysie de certaines clauses ou mesures. Elle évite la discussion et pose une solution générale pour les situations qu’elle régit.

Il peut naturellement en résulter un effet d’aubaine pour certains. Par exemple, le paiement tardif de son loyer par un salarié en bonne santé, connecté à internet, qui poursuit son activité en télétravail et continue à percevoir l’intégralité de son salaire, n’a rien à voir avec l’épidémie de covid-19 ; pourtant, en vertu de l’article 4 de l’ordonnance, il pourra échapper à certaines sanctions contractuelles. Mais précisément, tout le monde n’est pas dans cette situation. Cet effet d’aubaine éventuel pour certains est le prix de la sécurité de tous.

L’ordonnance est, par définition, un texte d’exception, qui déroge aux règles habituelles en raison des circonstances. Elle n’a pas vocation à appréhender l’ensemble des difficultés suscitées par la crise sanitaire ; les règles de droit commun précédemment mentionnées conservent donc pleine vocation à s’appliquer, au cas par cas, à ces difficultés.

Si l’ordonnance entend donc être source de prévisibilité et de sécurité, force est de reconnaître qu’elle a également suscité certaines difficultés d’interprétation et d’application. De plus, elle a pu apparaître comme insuffisante face à certaines problématiques4. Le gouvernement a donc remis l’ouvrage sur le métier et a adopté le 15 avril 2020 un nouveau texte modifiant l’ordonnance « délais », notamment son titre I. Il semble donc utile de revenir à la fois sur les difficultés suscitées par l’ordonnance « délais » et par les modifications réalisées par le nouveau texte.

Délimitation temporelle des délais et actes concernés

Rappelons tout d’abord que, au titre de l’article 1er de l’ordonnance, sont seuls concernés les délais échus ou les actes devant être accomplis « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit en l’état actuel des choses le 24 juin ; c’est, pour reprendre les termes de la circulaire, la « période juridiquement protégée ».

L’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a en effet déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois ; en vertu de son article 22, la loi est entrée en vigueur immédiatement, c’est-à-dire dès sa publication au Journal officiel, soit le 24 mars. L’état d’urgence sanitaire a donc vocation à prendre fin le 24 mai. Il est toutefois possible que cette date soit modifiée, dans un sens ou dans l’autre, selon l’évolution de l’épidémie, ce qui par répercussion affectera la fin de la période juridiquement protégée5. Si la situation s’améliore, un décret en conseil des ministres peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai fixé par la loi ; si la situation ne s’améliore pas, la loi peut proroger l’état d’urgence sanitaire.

Ne sont donc concernés par l’ordonnance ni les délais échus avant le 12 mars, ni pour le moment ceux échus après le 24 juin. Cette dernière limite peut sembler rigoureuse pour celui dont le délai pour agir expire peu après cette date, par exemple le 25 juin, car il a été privé en raison de l’épidémie d’une partie de son délai. La critique, indiscutable, peut toutefois être doublement relativisée. D’une part, le droit commun ne reprend son empire qu’un mois après la fin de l’état d’urgence ; ce mois supplémentaire pourra donc être utilement mis à profit par chacun pour accomplir les actes requis. D’autre part, il aurait fallu pour remédier à cette critique prévoir une suspension générale de l’ensemble des délais pendant la période d’urgence sanitaire, quelle que soit leur date d’échéance, ce qui aurait été susceptible d’avoir des effets pervers encore plus importants6.

L’article 2 de l’ordonnance « délais »

Le mécanisme mis en place par l’article 2

Il convient de partir de la lettre du texte : l’acte qui aurait dû être accompli pendant la période juridiquement protégée « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Il ne s’agit donc ni d’une interruption ni d’une suspension des délais, mais d’un mécanisme sui generis de prorogation de ces délais. La circulaire indique ainsi qu’il n’en résulte pas une « suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. L’effet de l’article 2 de l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans le nouveau délai imparti puisse être regardé comme tardif ». Comme l’a souligné un auteur, il y a là une forme de « fiction juridique en présumant valablement fait à temps ce qui ne l’a pas été »7.

Ainsi, par exemple :

si le délai de cinq ans de prescription d’une créance (C. civ., art. 2224) arrive à expiration pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra encore l’interrompre jusqu’au 24 août ;si le délai d’un mois pour interjeter appel (C. pr. civ., art. 538) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement former son recours jusqu’au 24 juillet ;si le délai de quinze jours d’inscription d’un nantissement d’outillage (C. com., art. L. 525-3) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement l’inscrire jusqu’au 9 juillet.

La formule utilisée par l’article 2 de l’ordonnance est inspirée de celle qui figure à l’article 1er de la loi n° 68-696 du 31 juillet 1968, intervenue à la suite des événements de mai 68 : « toute acte, formalité, inscription ou publication prescrit à peine de déchéance, nullité, forclusion ou inopposabilité, qui aurait dû être accompli entre le 10 mai 1968 et le 1er juillet 1968 sera réputé valable s’il a été effectué au plus tard le 15 septembre 1968 ». La spécificité de cette loi est qu’elle est intervenue ex post : elle s’est donc contentée de permettre aux personnes d’agir valablement malgré l’expiration du délai qui les avait d’ores et déjà touchées. L’ordonnance reprend cette logique, mais en intervenant ex ante dans un souci de sécurité juridique. Autrement dit, l’article 2 de l’ordonnance, bien qu’intervenu ex ante, n’a pas entendu donner à la prorogation des délais plus d’effets qu’il n’en aurait produit s’il était intervenu ex post. L’objectif de ce mécanisme sui generis, qui réserve le bénéfice du report à celui qui doit agir, semble être d’éviter une paralysie de l’activité, ce que deux exemples permettent de comprendre.

Premier exemple : supposons qu’un acte de saisie d’un compte bancaire soit signifié à un établissement de crédit le 1er mars 2020 puis dénoncé au débiteur le 5. Le débiteur dispose d’un délai d’un mois à compter de cette dénonciation pour contester la saisie en vertu de l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution ; à défaut, le tiers saisi procède au paiement. Le délai de contestation expire en l’espèce pendant la période juridiquement protégée. Si les délais avaient été purement et simplement suspendus8, l’huissier aurait dû attendre la fin de de cette période augmentée d’un mois pour se faire remettre les fonds. Le mécanisme sui generis prévu permet à l’huissier de réclamer leur versement dès l’expiration du délai initial d’un mois. Toutefois, le débiteur conserve la faculté de contester la saisie devant le juge de l’exécution s’il respecte le nouveau délai accordé par l’article 2 de l’ordonnance ; si le juge fait droit à sa contestation, il annulera la saisie et ordonnera la restitution des fonds.

Second exemple : supposons que la vente d’un fonds de commerce ait été publiée le 10 mars. En vertu de l’article L. 141-14 du code de commerce, les créanciers du cédant disposent d’un délai de dix jours pour former opposition à cette vente, ce qui interdit à l’acquéreur (concrètement au séquestre à qui les fonds ont été remis) de verser le prix au vendeur. Ce délai entre indiscutablement dans le champ de l’ordonnance et bénéficie de la prorogation. S’il avait été suspendu, l’acquéreur aurait dû attendre la fin de la période juridiquement protégée augmentée de dix jours pour remettre le prix. Avec le mécanisme sui generis mis en place, il peut verser les fonds dès que le délai initial de dix jours est écoulé ; toutefois, les créanciers pourront valablement former opposition dans le délai prolongé.

L’avantage de ce mécanisme est clair : il permet de ne pas paralyser l’activité. Ainsi, les saisies de comptes bancaires ou les ventes de commerce pourront continuer à se dérouler malgré l’état d’urgence sanitaire. Son inconvénient est tout aussi net : dans les cas tels que ceux qui ont été évoqués, il prive largement les personnes concernées de l’effet utile de la prorogation du délai. Dans le cas de la saisie-attribution, l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution permet de toute manière au débiteur qui n’aurait pas contesté dans le délai d’« agir à ses frais en répétition de l’indu devant le juge du fond compétent ». Dans le cas de la vente d’un fonds de commerce, le seul intérêt de l’opposition est de bloquer le paiement du prix afin de pouvoir être désintéressé sur celui-ci ; l’article 2 permettra au créancier de former valablement opposition après l’expiration du délai, mais celle-ci ne lui servira pas à grand-chose. Le résultat est donc paradoxal et les parties doivent faire preuve de la plus extrême vigilance ; dans ce type de situations, si elles ont la possibilité d’agir dans le délai initial, elles ont tout intérêt à le faire.

On peut penser que le pari fait par les rédacteurs de l’ordonnance est que le gain collectif résultant de la poursuite de l’activité sera supérieur aux difficultés qui résulteront de ces contestations, lesquelles ont vocation à rester statistiquement marginales.

Les actes devant être accomplis avant une date fixe

L’article 2 pose une difficulté pour les actes devant être accomplis avant une date fixe. Par exemple l’article L. 313-22 du code monétaire et financier impose au créancier d’informer la caution de l’évolution de la dette principale avant le 31 mars de chaque année. On pourrait de la même manière évoquer toutes les hypothèses, en droit de la nationalité, dans lesquelles un acte doit être effectué par la personne avant qu’elle n’atteigne un certain âge.

Le problème vient de la fin de l’article 2 qui explicite ses effets : l’acte peut être valablement accompli dans un nouveau délai « qui ne peut excéder […] le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Or dans une telle situation, il n’y a pas véritablement de « délai » imparti pour agir : il y a seulement une date limite.

Il ne faut cependant pas s’arrêter à cet obstacle textuel. Le début de l’article 2, qui énonce ses conditions, est en effet parfaitement adapté à ces situations : nous sommes bien en présence d’un « acte… prescrit par la loi ou le règlement… et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er ». De plus, la finalité du texte joue à plein dans une telle hypothèse, l’état d’urgence sanitaire rendant l’envoi des informations ou l’accomplissement de l’acte à la date prévue extrêmement complexe sinon impossible. Le plus convaincant dans une telle hypothèse est de retenir le délai de deux mois prévu à défaut par le texte. La banque pourra ainsi envoyer l’information à la caution jusqu’au 24 août. Telle est d’ailleurs la solution expressément retenue par la circulaire à propos de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

Les délais de réflexion et de rétractation

Comme cela a déjà été souligné par plusieurs commentateurs9, les délais de réflexion tels ceux prévus par l’article L. 313-34 du code de la consommation ou le quatrième alinéa de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, ne sauraient être inclus dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance.

La lettre du texte s’y oppose qui vise un acte « qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er », quand le mécanisme du délai de réflexion est exactement inverse : il interdit la réalisation d’un acte (l’acceptation d’une offre) pendant une certaine période. De même, l’effet de l’article 2, qui est de permettre d’effectuer valablement l’acte par la suite, n’a pas de sens pour un délai de réflexion. L’esprit du texte s’y oppose également : sa finalité est de donner un délai supplémentaire à ceux qui n’ont pas pu agir, ce qui ne se retrouve pas en présence d’un délai de réflexion. Le confinement peut même apparaître comme particulièrement propice à la réflexion !

S’agissant des délais de rétractation, un consensus10 existe pour reconnaître que les délais de rétractation ne rentrent pas dans le champ de l’article 5 de l’ordonnance11. En effet, même si l’analyse du droit de rétractation est controversée, il est admis que son exercice n’a pas pour effet de « résilier » le contrat. En revanche, l’incertitude est forte quant au point de savoir si ces délais relèvent de l’article 212. La difficulté procède de la formulation particulièrement large de ce texte, qui ne se contente pas de viser les délais prescrits à peine de nullité, caducité, forclusion, etc., mais également à peine de « sanction » de manière générale, ce qui est très accueillant. Deux lectures sont ainsi envisageables13.

Au regard de la lettre du texte, on peut considérer que la rétractation est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit de rétractation. On peut estimer à l’inverse qu’il n’y a pas de véritable sanction dans la mesure où la conséquence de l’expiration du délai de rétractation est le fait que la partie est liée par le contrat, c’est-à-dire exactement ce qu’elle a voulu en consentant.

La question est également délicate en opportunité. En faveur de l’inclusion des délais de rétractation dans le champ de l’article 2, on peut mettre en avant la véritable difficulté qui existe aujourd’hui pour leur exercice, en particulier lorsqu’une lettre recommandée avec accusé de réception est imposée par les textes14. En sens inverse, la prorogation de ces délais risque d’avoir de graves conséquences économiques en empêchant la conclusion de nombreux contrats : on songe naturellement aux ventes immobilières, mais également à l’assurance-vie.

Au regard de la possibilité de soutenir les deux analyses d’une part, et de l’importance des enjeux d’autre part, une prise de position officielle sur cette question semblait nécessaire. L’ordonnance modificative complète en ce sens l’article 2 de l’ordonnance délais : « Le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ». La référence aux délais de renonciation peut sembler mystérieuse aux civilistes, l’article 1122 du code civil ne connaissant que les délais de réflexion et de rétractation ; elle semble toutefois s’expliquer par le fait que le droit des assurances utilise l’expression de « délai de renonciation » plutôt que celle de délai de rétractation, même si le mécanisme est identique (v. par ex., C. assur., art. L. 112-2-1).

L’ordonnance précise expressément que cette modification « a un caractère interprétatif ». Cette affirmation emporte la conviction15 : en effet, pour reprendre la définition qui en a été donnée par la jurisprudence, cette disposition « se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse »16. Face à une question débattue, elle indique la manière dont le texte doit, depuis le début, être lu. Il en résulte que cette disposition a un caractère naturellement rétroactif.

Les droits de préemption privés

La doctrine a de nouveau fait part de ses hésitations en la matière. Pour justifier la possible exclusion de ces délais, un auteur écrit ainsi que « le délai laissé au bénéficiaire pour prendre parti sur l’offre qui lui est faite n’est pas, à proprement parler, sanctionné par la perte d’un droit. Le fait pour le locataire de rester taisant pendant le délai légal est une manière pour le locataire d’exercer l’option qui lui est ouverte d’acheter ou de ne pas acheter le bien (en l’occurrence, de ne pas l’acheter) »17. L’argument ne nous convainc pas car il va trop loin. Il pourrait ainsi par exemple s’appliquer exactement de la même manière à l’exercice d’une voie de recours : en restant inactif pendant le délai prescrit, on peut estimer que la partie acquiesce à la décision qui a été rendue. Or le délai correspondant entre indiscutablement dans le champ de l’article 2. Le silence est par essence ambigu.

L’exercice du droit de préemption est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi dans un certain délai à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit. Autant l’existence d’une sanction est discutable pour le droit de rétractation, autant elle est ici nette : le locataire qui n’a pas exercé son droit de préemption à l’expiration du délai perd la faculté de se substituer à l’acquéreur. La lettre du texte nous semble donc favorable à l’inclusion des délais de préemption18.

Il est vrai que, en opportunité, cette solution crée un risque de blocage des transactions immobilières. Elle se justifie toutefois par la difficulté réelle pour le titulaire du droit de préemption de l’exercer, en raison du confinement et des perturbations affectant le courrier postal. De surcroît, il reste possible d’obtenir une renonciation expresse de sa part, ce qui permet de réaliser malgré tout la vente.

Les délais contractuels

Les textes excluent de manière explicite les délais prévus par le contrat. L’article 2 de l’ordonnance vise ainsi les actes « prescrit[s] par la loi ou le règlement » et les délais « légalement imparti[s] pour agir ». Selon la circulaire, « il en résulte que les délais prévus contractuellement ne sont pas concernés » ; ainsi, par exemple, le délai fixé dans une promesse unilatérale de vente pour la levée de l’option ne bénéficie pas de la prorogation, non plus que le délai pour la réitération d’une promesse synallagmatique.

Cette exclusion peut paraître excessivement sévère pour l’une ou l’autre des parties, voire les deux. Toutefois, une suspension générale des délais contractuels aurait eu des effets incontrôlables au regard de la diversité des situations contractuelles ; une mesure éventuellement pertinente pour une catégorie spécifique de contrats ne l’aurait pas été pour d’autres. Il appartient ici aux parties de résoudre la difficulté, par exemple en prorogeant elles-mêmes ces délais.

La condition suspensive d’obtention d’un prêt (C. consom., art. L. 313-41)

Cette condition pose difficulté car elle figure certes dans le contrat, mais trouve son origine dans la loi : l’article L. 313-41 du code de la consommation prévoit en effet que, lorsque l’achat d’un immeuble d’habitation par un consommateur est financé par un crédit, il « est conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts qui en assument le financement ». Le texte ajoute que « La durée de validité de cette condition suspensive ne peut être inférieure à un mois ».

La doctrine estime que ce délai entre dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance19. On peut en effet y voir un acte (l’obtention d’un prêt) prescrit par la loi à peine de sanction (la promesse est réputée n’avoir jamais existé) et qui aurait dû être accompli dans un certain délai. Les auteurs soulignent cependant une difficulté de mise en œuvre du texte lorsque, comme c’est fréquent, les parties ont allongé le délai prévu par la loi à 45 ou 60 jours.

Toutefois, l’inclusion de cette condition dans le champ de l’article 2 n’emporte pas la conviction20. En effet, la loi ne prescrit pas l’obtention d’un prêt ; elle prévoit seulement que, lorsque la vente est financée par un prêt, celui-ci doit être une condition suspensive du contrat, avec un délai minimal de réalisation. D’ailleurs, l’anéantissement de la vente n’est pas une sanction de l’acquéreur qui n’obtient pas le prêt mais à l’inverse une mesure de protection de celui-ci : elle lui permet de se libérer d’un contrat qu’il ne pourrait exécuter et ainsi de récupérer l’indemnité d’immobilisation.
Rappelons par ailleurs qu’en toute hypothèse le délai de la promesse elle-même n’est pas prolongé.

Les paiements de dettes contractuelles

Le principe

Le premier alinéa de l’article 2 ne vise, on l’a dit, que les délais légaux et réglementaires ; par conséquent, les délais prévus dans les contrats pour le paiement des obligations ne sont pas prorogés. L’alinéa 2 va dans le même sens : il proroge « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » ce qui signifie a contrario que les paiements prévus par le contrat ne le sont pas. Le rapport au Président de la République est limpide : « Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat »21.

Les auteurs de l’ordonnance n’ont cependant pas abandonné les débiteurs à leur sort : pour tenir compte, de manière générale, des difficultés d’exécution suscitées par l’épidémie de covid-19, l’article 4 paralyse en effet le jeu des astreintes et de certaines clauses contractuelles (clauses résolutoires, clauses pénales et clauses de déchéance) venant sanctionner l’inexécution du débiteur. Ces sanctions sont trop rigoureuses pour être admises en cette période de crise. Cette règle appelle deux précisions essentielles successives.

D’abord, la paralysie de ces clauses ne remet pas en cause le fait que le débiteur qui ne s’exécuterait pas à la date prévue commet une inexécution, le délai prévu par le contrat n’ayant pas été prorogé. Le débiteur s’expose donc aux sanctions légales de l’inexécution. Le créancier peut ainsi agir en paiement de sa créance et, s’il dispose d’un titre exécutoire, intenter des saisies. Il peut également réclamer les intérêts légaux de retard. Il peut encore prononcer la résolution unilatérale du contrat ou solliciter sa résolution judiciaire, mais il devra à cet égard faire attention à la condition d’inexécution « suffisamment grave », l’épidémie pouvant conduire à relativiser la gravité du comportement du débiteur.

Ensuite, le débiteur peut échapper à ces sanctions légales s’il parvient à prouver que les conditions de la force majeure sont réunies. Le droit commun prend ici le relais de l’ordonnance ; mais l’appréciation se fera nécessairement au cas par cas.

Au-delà de ce principe, le mécanisme mis en place par l’article 4 mérite d’être précisé, d’autant plus qu’il a été complexifié par l’ordonnance modificative.

Les alinéas 1 et 2 de l’article 4

Les deux premiers alinéas de l’article 4 sont relatifs aux astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance qui doivent prendre effet durant la période juridiquement protégée. Celles-ci sont paralysées. La difficulté est de savoir à quel moment elles sont susceptibles de produire leurs effets, si le débiteur ne s’exécute toujours pas.

Dans la version initiale de l’ordonnance délais, un mécanisme « forfaitaire » était prévu : les astreintes et clauses produisaient leurs effets un mois après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 24 juillet, si le débiteur ne s’était toujours pas exécuté. Un nouveau délai tampon d’un mois était ainsi laissé afin de tenir compte des difficultés de redémarrage de l’activité.

L’ordonnance modificative l’a remplacé par un mécanisme glissant plus subtil : la prise d’effet « est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ». Ce mécanisme rappelle celui de la suspension de la prescription. Prenons quelques exemples :

supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 30 mars, soit dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement son effet dix-huit jours après la fin de cette période juridiquement protégée, soit en l’état actuel des choses le 12 juillet si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté à cette date ;supposons qu’un juge ait, le 1er février 2020, prononcé une astreinte devant commencer à prendre effet le 30 avril 2020, soit un mois et dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement effet un mois et dix-huit jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 12 août ;supposons un contrat conclu le 20 mars et une clause résolutoire devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 15 mai. La date à laquelle l’obligation est née étant postérieure au 12 mars, c’est elle qu’il faut prendre en compte pour calculer la durée du report, laquelle sera ainsi d’un mois et vingt-cinq jours (délai entre le 20 mars et le 15 mai). La clause pourra donc produire effet un mois et vingt-cinq jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 18 août.

Le nouveau mécanisme est ainsi, selon les hypothèses, plus ou moins favorable au débiteur que l’ancien .

Faire bénéficier du mécanisme de l’article 4 les contrats conclus après le 12 mars est contestable dans la mesure où l’épidémie faisait déjà rage lorsque les consentements se sont rencontrés ; par conséquent, les parties ont dû raisonnablement anticiper les difficultés d’exécution qui en résulteraient. On peut toutefois justifier ce choix par le fait que nombre de contrats sont d’adhésion et que la faculté de négocier les clauses pénales peut se révéler illusoire. En toute hypothèse, les parties peuvent naturellement écarter le mécanisme de l’article 4, ce que reconnaît expressément le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance modificative.

L’alinéa 3 de l’article 4

Le nouvel alinéa 3, issu de l’ordonnance modificative, concerne les astreintes et clauses qui doivent produire effet après la fin de la période juridiquement protégée. Celles-ci n’étaient pas traitées dans la version initiale de l’ordonnance, ce qui a été critiqué par certains opérateurs économiques qui estimaient que les délais ne pouvaient pas être tenus en raison de l’épidémie. On pense par exemple à une construction devant être achevée après le 24 juin ; les chantiers étant à l’arrêt depuis plusieurs semaines, le retard s’est accumulé et ne pourra être rattrapé.

Sont toutefois laissées de côté les obligations de sommes d’argent. Le rapport au président de la République s’en explique : « l’incidence des mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire sur la possibilité d’exécution des obligations de somme d’argent n’est qu’indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement) ».

L’ordonnance modificative organise donc, pour ces astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation autre que de sommes d’argent, un mécanisme de report similaire à celui prévu aux alinéas précédents : leur prise d’effet « est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période ». Prenons de nouveau deux exemples :

supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er juillet 2020 ; cette clause ne pourra produire son effet que trois mois et douze jours plus tard (durée de la période juridiquement protégée), soit le 13 octobre ;supposons un contrat conclu le 1er avril 2020 et une clause résolutoire devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er août 2020 ; le report est d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril (date de naissance de l’obligation) et le 24 juin (fin de la période juridiquement protégée), soit deux mois et vingt-trois jours ; la clause ne pourra donc produire son effet que le 24 octobre.

L’alinéa 4 de l’article 4

Cet alinéa, qui n’est pas modifié, est relatif aux astreintes et clauses pénales qui avaient déjà commencé à produire effet avant le 12 mars. Elles sont suspendues durant la période juridiquement protégée et reprennent leurs effets dès la fin de celle-ci. La solution est donc plus sévère que pour les alinéas précédents mais on le comprend aisément : il y a dans ce cas une inexécution antérieure à la crise et donc indépendante de celle-ci.

 

Antoine Gouëzel, Professeur à l’université de Rennes 1. Chargé de mission au bureau du droit des obligations. Direction des affaires civiles et du Sceau.

 

1. Les propos développés dans cet article reflètent les opinions personnelles de son auteur et n’engagent que lui.
2. Sur l’ensemble de ces questions, v. spéc. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 .
3. Signalons ici que le II de l’art. 1er de l’ordonnance exclut un certain nombre de délais de son champ, notamment les obligations financières et garanties y afférentes (4°) ainsi que les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci (5°). Signalons par ailleurs que, pour tout ce qui touche aux relations avec l’administration, le titre II de l’ordonnance prévoit de multiples dérogations.
4. V. not., G. Casu et S. Bonnet, Les défis de la construction face au coronavirus : analyse critique de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020, Le Droit en débats, 2 avr. 2020.

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