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Par un arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation se prononce, pour la première fois, sur la règle de compétence applicable, en droit international privé commun, à une action en partage d’un bien situé en France.

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Auteur d'origine: fmelin
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À l’heure du confinement, les repères sont modifiés… Mais il demeure tout de même des îlots de certitudes, à l’abri des bouleversements d’habitudes. Ainsi en va-t-il du contentieux relatif à l’exigence de proportionnalité du cautionnement souscrit par la personne physique qui, se prolongeant sans cesse, reste hermétique à la pandémie et au changement. Par un arrêt de la chambre commerciale en date du 11 mars 2020, c’est à propos des engagements devant être appréhendés que la Cour de cassation a dû, encore, fournir des précisions.

En l’espèce, une personne physique s’est engagée en qualité de caution en faveur d’une banque, pour la garantie de deux prêts souscrits par une EURL. Suite au placement de la débitrice principale en sauvegarde, puis en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution. Pour se soustraire au paiement, la caution a invoqué un engagement disproportionné. En effet, le cautionnement ayant été souscrit par une personne physique en faveur d’un créancier professionnel, il entrait dans le champ d’application de l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation (C. consom., nouv. art. L. 332-1), lequel libère la caution d’un engagement « manifestement disproportionné à ses biens et revenus ». Cependant, faut-il encore, pour obtenir cette libération, caractériser la disproportion manifeste. Or, ni les premiers juges ni ceux d’appel ne l’ont retenue, motivant un pourvoi de la caution. Pour l’appuyer, celle-ci avançait principalement deux arguments. D’abord, elle contestait le choix des juges d’appel d’avoir apprécié la proportionnalité des engagements litigieux sans les prendre en compte, se limitant à considérer les seuls engagements de caution antérieurs. Par ailleurs, la caution invoquait une violation de base légale dès lors que les juges d’appel avaient apprécié la disproportion du cautionnement, non pas à l’aune du montant du propre engagement de la caution, mais au seul regard de la charge mensuelle générée par les échéances des crédits garantis en cas de défaillance des débiteurs principaux.

Finalement, deux interrogations découlaient de l’espèce : d’une part, l’appréciation de la disproportion d’un cautionnement suppose-t-elle de prendre en considération l’engagement litigieux ? D’autre part, un engagement peut-il être valablement jugé proportionné en seule considération des échéances mensuelles générées par les obligations garanties, indifféremment du montant de l’engagement propre de la caution ?

Pour chacune de ces deux interrogations, les solutions retenues par les juges du fond sont erronées de sorte que la cassation est prononcée. Plus précisément, la motivation de la Cour de cassation met en exergue des erreurs de méthode de la cour d’appel. Ce faisant, l’arrêt fournit deux précisions importantes : en premier lieu, il rappelle qu’il s’impose, évidemment, de prendre en compte l’engagement litigieux dans le cadre de l’appréciation de la disproportion manifeste d’un cautionnement ; en second lieu, il précise que la disproportion manifeste, pour pouvoir être valablement écartée, suppose de scruter le montant du propre engagement de la caution. 

Nécessaire prise en compte de l’engagement litigieux

Si la cour d’appel a soigneusement identifié les multiples engagements antérieurs de la caution pour apprécier la proportionnalité des deux nouveaux cautionnements souscrits, elle a curieusement écarté ceux-ci des éléments pris en considération. La chambre commerciale en tire logiquement motif à cassation dès lors que les « cautionnements antérieurement souscrits » devaient « s’ajouter aux deux nouveaux cautionnements ». Aussi, faute d’avoir « tenu compte du montant de ces deux cautionnements litigieux, auxquels devaient être ajoutés celui des cinq cautionnements antérieurs », les juges d’appel ont nécessairement privé leur décision de base légale.

Incontestablement, la forêt des engagements à prendre en compte pour apprécier la disproportion du cautionnement souscrit par la personne physique en faveur du créancier professionnel est un dédale dans le lequel il est aisé de se perdre. Il faut prendre en considération les engagements de caution antérieurs (Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812, Bull. civ. IV, n° 84 ; D. 2013. 1340, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; RTD civ. 2013. 607, obs. H. Barbier ), même s’ils sont finalement déclarés disproportionnés (Com. 29 sept. 2015, n° 13-24.568, publié au bulletin, D. 2015. 2004 ; ibid. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; Defrénois 2016, p. 814, obs. S. Cabrillac ; JCP 2015. I. 1222, n° 8, obs. P. Simler ; Gaz. Pal. 10 déc. 2015, p. 18, obs. C. Albiges ; RD banc. fin. 2015. Comm. 188, obs. D. Legeais). En revanche, les engagements antérieurs finalement annulés doivent être écartés (Com. 21 nov. 2018, n° 16-25.128, publié au bulletin, Dalloz actualité, 5 déc. Y. Blandin ; D. 2018. 2356 ; AJ contrat 2019. 43, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2019. 152, obs. P. Crocq ; ibid. 153, obs. P. Crocq ; RTD com. 2019. 485, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal. 19 févr. 2019, p. 24, obs. M.-P. Dumont-Lefrand et p. 64, obs. M. Bourassin ; JCP E 2019. 1007, obs. D. Legeais), de même que les engagements postérieurs, même prévisibles (Com. 3 nov. 2015, nos 14-26.051 et 15-21.769, Bull. civ. IV, n° 150 ; D. 2015. 2316, obs. V. Avena-Robardet ; Rev. sociétés 2016. 146, note C. Juillet ; Gaz. Pal. 9-10 déc. 2015, p. 18, obs. C. Albiges ; 22 sept. 2015, n° 14-17.100, inédit, D. 2016. 1955, obs. P. Crocq ; Defrénois 2016. 814, obs. S. Cabrillac). En dépit des complexités réelles de maniement, il demeure que l’erreur commise en l’espèce par la cour d’appel est relativement grossière.

S’il faut retenir les engagements de caution antérieurs, l’examen de la proportionnalité impose également et surtout de prendre en compte l’engagement litigieux, c’est-à-dire le cautionnement donnant lieu à appréciation de la disproportion. En effet, cette appréciation s’ancre nécessairement dans une approche patrimoniale générale, au regard de l’ensemble des ressources et des engagements de la caution au moment de la souscription. Or, l’engagement de caution litigieux doit évidemment figurer au titre du passif à prendre en considération, dès lors qu’il constituera nécessairement une dette pour la caution en cas de défaillance du débiteur principal. En somme, il s’agit d’un élément de passif connu, n’ayant rien d’éventuel et devant systématiquement être pris en compte. Et puisque cet élément du passif ne peut être ignoré du créancier, il n’est pas nécessaire, comme en l’espèce, que la caution en fasse état dans sa fiche de renseignements relatifs à ses éléments patrimoniaux. En bonne méthode, le créancier bénéficiaire – tout comme les juges saisis du contrôle de proportionnalité – doivent évidemment les ajouter à l’assiette des engagements à prendre en compte. En définitive, l’erreur des juges du fond découle donc d’un défaut de méthode, sur le terrain de la délimitation du passif à appréhender.

Il semble que l’erreur soit encore de méthode lorsque la cour d’appel s’égare à nouveau, en omettant d’apprécier la disproportion à l’aune du propre engagement de la caution. 

Appréciation à l’aune du montant du propre engagement de la caution

Pour décider l’absence de disproportion des engagements litigieux, les juges du fond ont retenu que la charge mensuelle générée par les échéances des prêts garantis, en cas de défaillance simultanée des différents débiteurs principaux, n’était pas manifestement disproportionnée aux biens et revenus de la caution. Il est vrai que le total avoisinait les 3 000 €, pour un revenu mensuel de la caution d’environ 5 000 € complété par un patrimoine d’environ 300 000 €. Cependant, en statuant ainsi, « alors que la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c’est-à-dire, en l’espèce, aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement », la cour d’appel a violé l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation (C. consom., nouv. art. L. 332-1). Cette affirmation constitue la confirmation d’une solution désormais établie, en parfaite adéquation avec la ratio legis.

L’affirmation constitue la confirmation d’une solution établie au regard d’un arrêt antérieur de la chambre commerciale, ayant déjà proclamé que la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie nécessairement au regard de la capacité de la caution à faire face à son propre engagement et « non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci » (Com. 6 mars 2019, n° 17-27.063, inédit, RDBF 2019, n° 80, obs. D. Legeais). Il est vrai que cette position est solidement fondée, ce qui commande son prolongement. En effet, elle s’inscrit en parfaite adéquation avec la ratio legis de l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation, devenu l’article L. 332-1. Celui-ci commande une approche d’ensemble de l’endettement de la caution quant à l’exigence de proportionnalité de l’engagement. Conformément au dispositif légal, il s’impose d’appréhender le montant total que la caution devra supporter, in fine, en cas de défaillance du débiteur principal. En somme, il s’agit d’appréhender l’endettement global de la caution, uniquement mais entièrement, en détachement des modalités de l’obligation garantie. Partant, une simple appréciation partielle est proscrite, ainsi de celle limitée à la considération de la charge mensuelle représentée par les échéances des prêts garantis. Cette approche ne permet pas d’éprouver les capacités de la caution à faire face à son propre engagement. Même s’il apparaît que la caution peut isolément supporter ces mensualités, cela n’établit en rien qu’elle pourra pareillement supporter le montant total de l’engagement. Les éléments de son patrimoine, qu’il s’agisse de ses revenus ou de ses biens, peuvent finalement venir à manquer, au fil de la répétition des mensualités, si le montant total de son engagement dépasse de beaucoup ses ressources. Dès lors, l’appréciation de la disproportion ne peut être menée qu’à l’aune du propre engagement de la caution, pour son ensemble, indifféremment de la charge mensuelle correspondant à l’échelonnement des obligations garanties.

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En droit international privé, il est acquis, depuis l’arrêt Scheffel du 30 octobre 1962, que « la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne » (sur cette décision, B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5e éd., Dalloz, p. 319), du moins lorsqu’est applicable le droit international privé commun, sous réserve donc des conventions internationales et des règlements européens. Ce principe a été précisé par un arrêt de la première chambre civile du 3 décembre 1985 (n° 84-11.209), qui a retenu que la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux français « se détermine par l’extension des règles de compétence interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales ».

Cette dernière formule est reprise par l’arrêt de la même première chambre du 4 mars 2020, qui s’inscrit ainsi dans la ligne de la jurisprudence classique, dans une affaire dans laquelle aucun règlement européen n’était applicable.

Son intérêt est toutefois important car il prend position sur la mise en œuvre de ce principe dans le domaine de l’action en partage d’un bien immobilier situé en France, en permettant à la Cour de cassation de se prononcer pour la première fois à ce sujet.

Une action en partage d’une indivision avait été formée devant un juge français par un créancier, alors que les époux indivisaires résidaient en Algérie.

Rappelons, à ce sujet, que l’article 815-17 du code civil dispose que « les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis (al. 1). Les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles (al. 2). Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui. Les coindivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis (al. 3) ».

La difficulté était de déterminer le juge compétent dans ce cadre.

On sait qu’en droit interne, l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire énonce que le juge aux affaires familiales connaît, notamment, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Il s’agissait donc de déterminer la portée du principe d’extension des règles de compétence interne à un tel litige. Plus précisément, il s’agissait de déterminer s’il y avait ou non lieu de faire application de l’article 1070 du code de procédure civile, qui fixe, en matière interne, les chefs de compétence territoriale du juge aux affaires familiales : « le juge aux affaires familiales territorialement compétent est : le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ; si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ; dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n’a pas pris l’initiative de la procédure. En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l’une ou l’autre. Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l’époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs. La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ou, en matière de divorce, au jour où la requête initiale est présentée ».

Cet article 1070 compte parmi les règles de compétence interne qui sont étendues aux litiges internationaux (Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, 2013, n° 706), même s’il est vrai que la possibilité de son application est désormais extrêmement réduite depuis l’entrée en vigueur du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 en matière matrimoniale et de responsabilité parentale (pour une illustration, Civ. 1re, 12 janv. 2011, n° 09-71.540, D. 2011. 248 ; AJ fam. 2011. 151, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2011. 438, note E. Gallant ; RTD eur. 2012. 524, obs. A. Panet et C. Corso ).

Néanmoins, son application peut-elle se justifier dans le cadre spécifique d’une action en partage d’un immeuble situé en France ?

L’arrêt du 4 mars 2020 répond négativement à cette question, en énonçant, avec un souci pédagogique évident, le principe suivant : « s’agissant d’une action en partage d’un bien immobilier situé en France, exercée sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du code civil, l’extension à l’ordre international des critères de compétence territoriale du juge aux affaires familiales, fondés sur la résidence de la famille ou de l’un des parents ou époux, n’était pas adaptée aux nécessités particulières des relations internationales, qui justifiaient, tant pour des considérations pratiques de proximité qu’en vertu du principe d’effectivité, de retenir que le critère de compétence territoriale devait être celui du lieu de situation de ce bien ».

Cette position n’est pas surprenante.

Par un arrêt du 20 avril 2017 (Civ. 1re, 20 avr. 2017, n° 16-16.983, Dalloz actualité, 2 mai 2017, obs. F. Mélin ; D. 2017. 921 ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJDI 2017. 453 ), la première chambre civile a énoncé qu’en application des articles 22 et 25 du règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000, « le juge espagnol est seul compétent pour connaître d’un litige relatif à la propriété et au partage, entre des résidents français, d’une indivision portant sur un immeuble situé en Espagne ». Si ce principe a été posé dans un contexte différent, lié à la séparation d’un couple, et en application du règlement Bruxelles I qui n’était pas applicable dans l’affaire jugée le 4 mars 2020, il n’en demeure pas moins que la problématique générale est identique dans les deux cas : quel est le rattachement à retenir en matière de partage d’une indivision immobilière ?

Il n’est donc pas surprenant que la solution soit la même dans les deux cas, avec une compétence donnée au juge du lieu de situation de l’immeuble concerné. Cela l’est d’autant moins que le régime juridique des immeubles en droit international est traditionnellement conditionné par le rattachement physique des biens considérés au territoire de l’État où ils sont situés (B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, LGDJ, 2018, nos 223 s.), dès lors que c’est au lieu de situation qu’une éventuelle décision devra être exécutée et pourra être effective.

2020, année noire pour les avocats ? Alors que le premier trimestre vient à peine de s’achever, la réponse est déjà à l’affirmative pour certains d’entre eux. « La situation économique de mon cabinet ? C’est la catastrophe », résume Me Virginie Marques, membre du conseil de l’ordre de Bobigny. « C’est dramatique financièrement », abonde Sophia Belkacem Gonzalez de Canales, à Toulouse.

Avec l’entrée en vigueur du confinement et la fermeture partielle des juridictions, des avocats ont en effet vu leur activité baisser drastiquement. Signe des inquiétudes du barreau, plus de 2 400 internautes ont déjà signé la pétition de Me Benezra. L’avocat parisien appelle à l’utilisation des réserves de la caisse de retraite de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) pour « annuler les cotisations des avocats pendant cette période de crise sanitaire ». L’inquiétude sur la situation financière des cabinets est d’autant plus forte que l’été approche à grands pas. Juillet et août sont eux aussi deux mois traditionnellement creux. 

« Mon activité s’est réduite de 80 % depuis le confinement », calcule ainsi Me Sandrine Cariou, qui suit des dossiers de droit de la famille, pénal et des étrangers. Et comme les enquêtes ou les instructions sont en suspens, « sans nouvelles affaires, pas de nouveaux clients », ajoute cette avocate du barreau de Blois.

« Le droit de la famille, c’est un droit de la proximité, remarque de son côté Me Claude Lienhard, président de l’Association nationale des avocats spécialistes en droit de la famille. Nous avons besoin de voir nos clients, ce que nous ne pouvons plus faire avec la fermeture de nos cabinets. » Les divorces par consentement mutuel impliquent ainsi un rendez-vous de signature entre avocats et futurs ex-époux, explique cet avocat. Le confinement bloque également par exemple les expertises médicales contradictoires initiées dans le cadre de litiges en matière de dommage corporel. Maigre consolation : les consultations à distance sur la question du droit de visite des enfants pour les couples divorcés sont, elles, en hausse.

Résultat ? Les journées de travail de ces avocats frappés par le confinement sont bien différentes. « Concrètement, je n’ai presque plus d’appels téléphoniques, deux ou trois par jour », compte, à Blois, Me Schéhérazade Bougrara. Cette avocate généraliste organise désormais ses journées en deux temps. De 7 heures à 11 heures du matin, elle suit les dossiers en cours. Puis elle enchaîne avec la garde de ses deux enfants. « Je m’attends à un mois blanc pour mars et, en avril, cela sera sans doute difficile de facturer des dossiers. »

Suspendre des échéances

Face à cette situation économique catastrophique, chacun tente comme il peut de sauver les meubles. « J’ai pris contact avec ma banque pour suspendre des échéances qui devaient arriver », signale Me Virginie Marques. Sa stagiaire télétravaille de façon ponctuelle, « pour qu’elle continue à apprendre » de chez elle. La secrétaire de Sandrine Cariou est, elle, au chômage partiel.

« J’ai facturé des provisions à des clients suivis dans des instructions pour pouvoir tenir », confie de son côté une avocate du barreau de Paris. « J’avais très bien facturé en janvier, février et mars, note Schéhérazade Bougrara. Mais cela me fait un peu peur, même si je me dis qu’on aura toujours besoin d’avocats. »

De son côté, Sophia Belkacem Gonzalez de Canales tente de tirer malgré tout parti de cette période difficile. L’avocate s’est attelée au développement de son site internet en écrivant des articles sur le divorce et la contestation de paternité, s’est inscrite sur une plateforme de gestion de rendez-vous et a mis en place un paiement en ligne sécurisé pour ses honoraires. « Je fais ma transformation numérique à marche forcée », commente-t-elle.

Après la grève, le confinement

Les avocats sont d’autant plus pris à la gorge par le confinement qu’ils s’étaient déjà mobilisés dans la contestation de la réforme des retraites. Le mouvement s’était notamment traduit par l’arrêt des désignations d’avocats, pour les gardes à vue, les étrangers ou encore les mineurs. De même, de nombreuses audiences avaient alors été renvoyées. Soit autant de rentrées financières perdues ou reportées dans le meilleur des cas.

« Le mouvement de contestation de la réforme des retraites avait été très suivi à Blois, avec deux mois de demandes de renvoi systématique, raconte Sandrine Cariou. Avec le coronavirus, on va être sur quatre mois de trou financier. » En mars, cette avocate s’est seulement rémunérée à hauteur d’un quart de ses habitudes. Pour avril, elle pourrait bien ne pas se verser de salaire du tout.

Les avocats ne se font guère d’illusions sur les aides promises par l’État. Certes, ils peuvent bien demander un report des échéances sociales et fiscales, mais il faudra bien un jour ou l’autre les payer. Quant à l’aide de 1 500 €, elle est conditionnée à, notamment, la perte d’au moins 70 % du chiffre d’affaires de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019 – pour les instances ordinales, les seuils pratiqués risquent de laisser de côté des avocats et des collaborateurs libéraux. Enfin, l’arrêt de travail simplifié pour la garde d’enfants ne concerne pas les professions libérales.

Des artisans

« L’avocate qui m’a formée m’expliquait qu’il fallait avoir une trésorerie de quatre mois d’avance, je comprends maintenant pourquoi », note Me Belkacem Gonzalez de Canales, qui devait reprendre le cabinet de sa mentore début mai, un projet désormais retardé. Anne Rossi, après six ans de barre en Seine-Saint-Denis, s’est elle aussi déjà constitué un fonds de réserve en cas de coup dur. « Mais comment vont faire ceux qui ont seulement quelques mois de barre ? », s’inquiète-t-elle. Logiciel métier à payer ou crédit risquent en effet de prendre à la gorge les jeunes avocats qui viennent de se lancer. « Les pénalistes restent des artisans, avec des cabinets très vulnérables à la crise », s’inquiète Christian Saint-Palais, président de l’Association des avocats pénalistes.

Un tableau qui a sans doute poussé à la reprise des permanences pénales. « La justice continue sans nous : ces permanences vont permettre à des confrères de recommencer à travailler », espère Virginie Marques. À Bobigny, le barreau a ainsi voté une reprise expérimentale de quinze jours. La durée nécessaire pour s’assurer que les conditions sanitaires permettaient bien la désignation de confrères.

D’une part, en matière d’hospitalisation sans consentement, le juge de la liberté et des détentions (JLD) n’est jamais tenu de relever d’office un moyen pris de l’irrégularité de la procédure au regard des dispositions du code de la santé publique. D’autre part, les éléments susceptibles de caractériser la nécessité de l’hospitalisation sans consentement dépendent des preuves rapportées. Doivent alors être rejetés les pourvois qui contestent le caractère concret de cette qualification opérée par le juge des libertés et de la détention ou par le premier président de la cour d’appel.

L’hospitalisation sans consentement repose sur un jeu procédural équilibré qui reçoit régulièrement des précisions importantes de la part de la Cour de cassation. Les deux arrêts du 5 mars 2020 (nos 19-23.287 et 19-24.080) portent sur des questions intéressant la procédure en tant que telle et sa nécessité. Ils n’apportent pas de précisions inédites mais il reste bon en cette matière complexe d’avoir quelques certitudes confirmées… Les faits sont, une fois n’est pas coutume, très classiques. Dans les deux espèces, une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement. La première espèce (pourvoi n° 19-23.287) permet de comprendre que c’est la curatrice de l’intéressé qui déclenche la procédure. La seconde espèce (pourvoi n° 19-24.080) présente une situation plus complexe. L’intéressé a été interné en urgence à la suite d’une mesure provisoire décidée par le maire d’une commune. Le lendemain, le préfet décide d’un internement sans consentement à titre complet sur le fondement de l’article 3213-1 du code de la santé publique. Point commun des situations factuelles, les personnes internées contestent plusieurs éléments de la procédure d’hospitalisation sans consentement qu’ils jugent irréguliers. Dans le pourvoi n° 19-23.287, l’intéressé soutient devant la Cour de cassation que le directeur de l’établissement d’accueil n’a pas transmis des documents nécessaires sur le fondement de l’article L. 3212-5 du code de la santé publique. Dans le pourvoi n° 19-24.080, la personne internée contestait l’arrêté préfectoral qui ne mentionnait pas les circonstances de l’examen médical réalisé avant son admission. La Cour de cassation répond de la même manière aux deux cas : sans avoir été soulevé en appel, le moyen n’a pas l’obligation d’être relevé d’office. Voici une solution lourde de ce sens dans ce contentieux particulier. Le second point présente également un vif intérêt. Pour que le prolongement de la mesure d’hospitalisation sans consentement puisse être à l’abri d’une cassation, encore faut-il qu’elle soit nécessaire eu égard à la situation. Dans les deux cas, les éléments factuels étaient rapportés avec précision. Le rejet des deux pourvois était donc inévitable tant sur l’une que sur l’autre des branches des moyens présentés. L’architecture des deux arrêts rendus le même jour est identique. Nous les étudierons donc de concert.

Un enseignement pratique, d’abord : il faut impérativement présenter tout défaut procédural dès la première phase de la contestation. Même si elles révèlent des différences notables que nous avons relevées, les situations regrettées devant la Cour de cassation – insuffisance d’un arrêté ou non-transmission de documents – auraient pu avoir une certaine force si elles avaient bien été présentées au bon moment. D’où l’avertissement de la Cour de cassation : pour qu’ils puissent trouver une application utile, ces moyens doivent être présentés tôt dans la phase de contestation de la prolongation. Sous l’angle de la procédure civile, la solution est irréprochable. Mais il faut alors avoir à l’esprit pour la défense des intéressés que toute irrégularité procédurale doit être soumise dès les premières étapes de la procédure, soit au plus tard devant le premier président de la cour d’appel. Sans cette rapidité exigée, le juge n’a donc aucune obligation de relevé d’office de telles irrégularités. On peut le comprendre aisément ; c’est à l’intéressé de présenter une telle argumentation promptement, du moins à son conseil. Il serait toutefois possible d’y voir une brèche dans la protection des droits de l’intéressé. S’il existe une irrégularité dans la procédure non soulevée avant le pourvoi en cassation, faut-il empêcher le juge de la relever d’office ? La question appelle une réponse négative d’où la distinction bien connue en procédure civile entre la possibilité de relever d’office et son obligation. Ici, il ne s’agit que d’une possibilité. Sur la continuité de la mesure, la Cour de cassation rappelle utilement les bases de la matière.

Comment caractériser « les troubles mentaux compromettant la sécurité des personnes ou portant gravement atteinte à l’ordre public » ? Une mosaïque de situations factuelles est envisageable. À dire vrai, il n’existe aucune possibilité de théorisation réelle et l’appréciation de la situation est abandonnée sagement au JLD ou au premier président de la cour d’appel. Or, dans la première situation, on peut noter : « cet envahissement délirant et hallucinatoire avec les troubles de comportement qui en résultent et la méconnaissance de leur caractère pathologique l’expose à une dangerosité pour elle et pour les autres autour d’elle ». Dans la seconde, on remarque la même gravité de l’espèce : « constatant l’agressivité de M. V… envers l’équipe médicale, les sapeurs-pompiers et la police et le fait qu’il aurait été vu dans la rue avec un sabre », couplée avec une adoration pour les leaders de l’idéologie nazie. Dans chaque pourvoi, le moyen essayait de travailler sur l’insuffisance de la dangerosité de l’intéressé. Par exemple, dans l’affaire n° 19-24.080, il était reproché une absence de motivation concrète dans la preuve de la dangerosité. Mais la Cour de cassation refuse d’y voir une insuffisance. Les situations décrites permettaient bien de prolonger les mesures d’internement sans consentement. Le contentieux étant très récurrent en la matière, on peut aisément comprendre que la Cour de cassation n’impose pas une motivation plus développée du JLD ou du premier président de la cour d’appel en pareille situation. Chaque ordonnance contestée présentait les éléments factuels, souvent issus du certificat médical, qui permettaient de prolonger la mesure. Inutile d’aller plus loin en pareille situation. De telles solutions sont garantes de l’objectif de la rénovation des mesures d’hospitalisation sans consentement : protéger de l’ordre public tout en préservant les droits des personnes internées.

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Face à la propagation du virus, le gouvernement a décrété « l’état d’urgence sanitaire » et imposé des mesures drastiques de confinement. Malgré ces mesures, Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat (CSN) a appelé ses confrères sur Twitter le 16 mars dernier à poursuivre une activité à distance. L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 qui est relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire fournit, un « premier kit de secours » pour les rédacteurs d’actes (M. Mekki, JCP N, n° 4, avr. 2020).

La réception des actes nécessitant la présence physique des parties

Conformément aux dispositions du décret n° 2020-260 du 20 mars 2020, les notaires peuvent recevoir des actes si la présence des parties est justifiée par un motif « familial impérieux ». Ils disposent ainsi d’un pouvoir d’appréciation sur ce point et sur le respect des mesures sanitaires.

Le travail et les signatures à distance

Les offices notariaux demeurent « virtuellement ouverts » (Expression de Me Bertrand Savouré) grâce au télétravail et moyens de communications électroniques. Les notaires disposent de la faculté de procéder à la signature d’un acte authentique électronique à distance. Ce dispositif permet à un notaire de recevoir un acte dans son étude, recueillir la signature de son client, le consentement de l’autre partie à l’acte pouvant être recueilli, le même jour par-devant un autre notaire qui participe à distance à l’acte (art. 20 du décr. n° 71-941 du 26 nov. 1971 relatif aux actes établis par les notaires).

Le recours à ce procédé nécessite au préalable que les parties signent des procurations électroniques. Le CSN préconise, dans une note d’information du 25 mars 2020, le recours systématique à des solutions de signature électronique avancé au sens du règlement européen eIDAS n° 910/2014 du 23 juillet 2014. Les actes solennels qui nécessitent la signature d’une procuration authentique sont exclus de ce dispositif.

Les dispositions du décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire

En vertu de ce décret, les notaires peuvent, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, recevoir seul et à distance le consentement des parties à l’acte pour la régularisation d’un acte authentique électronique (AAE) uniquement. Contrairement au dispositif précédent, aucun mandataire n’est requis, l’acte étant signé électroniquement par le notaire. Ce procédé suppose que le notaire contrôle l’identité des parties et dispose d’un système de visioconférence certifié par le CSN.

Les obstacles au recours à la signature d’un acte à distance

Le notaire doit disposer d’un collaborateur pour représenter une ou plusieurs parties (article 1161 du Code civil) dans le cadre des procurations électroniques. Il doit être en possession de toutes les pièces nécessaires à la rédaction de l’acte. La prorogation d’un état hypothécaire auprès des services de la publicité foncière s’avère difficile durant le confinement. Enfin, le notaire doit être équipé d’un système de visioconférence sécurisé, ce qui n’est pas le cas de tous les offices notariaux.

Les dispositions de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus

Les dispositions qui vont suivre sont enfermées d’une « période juridiquement protégée » déterminée à l’article 1er de l’ordonnance. Elles sont applicables du 12 mars 2020, la loi étant d’application immédiate, au 24 mai 2020, date de la cessation de l’état d’urgence. L’ordonnance prévoit que la prolongation des délais expirera dans un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence, soit le 24 juin 2020 sauf dérogation.

La prorogation des délais légaux

La prolongation ne concerne que les délais légaux, les délais conventionnels, étant exclus du champ d’application de l’ordonnance. La prorogation des termes ou des conditions devra résulter d’un accord des parties au contrat, le paiement des obligations contractuelles devant toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat (Rapport remis au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020).

Exemple : Levée d’option d’une promesse unilatérale de vente

Monsieur X a signé une promesse unilatérale de vente avec une levée d’option au 15 avril 2020. Le bénéficiaire devra obtenir du promettant une prorogation conventionnelle du délai de la levée d’option.

Exemple : Promesse synallagmatique de vente

Monsieur X a signé une promesse synallagmatique de vente avec une réitération de la vente au 15 avril 2020 sous peine de caducité du contrat. Si le délai est cristallisé durant le confinement, en raison « d’un empêchement provisoire » (M. Mekki, JCP N, n° 4, avr. 2020), il est préférable pour les parties de signer un avenant pour différer la date de réitération.

Le débiteur de l’obligation peut invoquer les dispositions de l’article 2234 du code civil ou encore la force majeure prévue par l’article 1218 du code civil, voire l’imprévision même si la doctrine émet des réserves à cet égard (M Mekki, JCP E n° 13, 27 mars 2020. Act. 317).

Impact de l’ordonnance sur les délais légaux

L’ordonnance ne prévoit ni une suspension générale ni une interruption générale des délais arrivés à terme pendant la période juridiquement protégée (art. 2). Ce mécanisme aura néanmoins pour effet d’interrompre le délai s’il a commencé à courir et de le reporter à la fin de cessation de l’état d’urgence, le 24 mai 2020 et de le prolonger d’un mois soit le 24 juin 2020. À compter de cette date, le délai légalement imparti pour agir court de nouveau dans la limite de deux mois.

Sont exclus de ce dispositif, les délais dont le terme est échu avant le 12 mars 2020 : leur terme n’est pas reporté. Il en est de même si le terme est fixé au-delà de la période juridique protégée, le bénéficiaire du délai légal ne pourra bénéficier d’aucun report, ces délais n’étant ni suspendus, ni prorogés.

Les articles 6 et 7 de l’ordonnance prévoient une prolongation des délais pour les personnes publiques (art. 6 et 7 de l’ordonnance) qui disposent d’un droit de préemption public ou délivrent des autorisations d’urbanisme.

Sont concernés le délai d’exercice du droit légal de rétractation de l’acquéreur à la condition légale d’obtention de prêt, le délai dont bénéficie le locataire pour préempter dans le cadre d’un congé pour vendre, etc.

Renonciation des parties à la prolongation des délais

Le cadre juridique de l’ordonnance, qui se superpose au droit existant pour offrir des délais supplémentaires, ne s’impose pas aux parties. Elles peuvent écarter ce dispositif et exécuter le contrat (v. la circ. n° CIV/01/20 du 26 mars 2020). La doctrine recommande au notaire rédacteur de rédiger une clause de reconnaissance de conseil donné afin de satisfaire à son devoir d’information et conseil (M. Mekki, JCP N, n° 4, avr. 2020). Le non-respect de l’obligation d’information constitue une condition suffisante du dommage (Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 15-16.098, AJDI 2016. 375 ). Le Professeur Mekki, recommande également d’insérer une renonciation expresse afin « d’éviter les comportements déloyaux » (M. Mekki, JCP N, préc.).

Mécanisme du report du terme

Exemple : délai légal de rétractation

Le droit légal de rétractation de dix jours expire le 18 mars 2020.

Ce délai est interrompu et il est reporté à la fin de la période d’urgence sanitaire plus un mois soit le 24 juin 2020. À compter de cette date, l’acquéreur bénéficie du délai de dix jours de rétractation. L’acquéreur aura jusqu’au 4 juillet 2020 pour se rétracter

Exemple : Prescription 

Une dette est exigible depuis le 20 mars 2015 ; le délai de prescription quinquennale arrive à expiration le 20 mars 2020 suivant la date de l’acte constitutif. Le délai sera reporté à la fin de la période juridiquement protégée le 24 juin auquel il faudra ajouter le bénéfice d’un délai de deux mois.

Le créancier aura jusqu’au 24 août 2020 pour agir.

Exemple : condition légale suspensive de prêt

L’acquéreur d’un bien immobilier a signé une promesse synallagmatique de vente avec une condition suspensive d’obtention d’un prêt. Le délai légal d’un mois doit expirer le 18 mars 2020.

Ce délai est interrompu et il est reporté à la fin de la période d’urgence sanitaire plus un mois comme le prévoit l’article 2 de l’ordonnance soit le 24 juin 2020. La réalisation de la condition suspensive doit intervenir au plus tard le 24 juillet 2020.

Variante : les parties ont inséré dans l’avant-contrat un délai de deux mois

Si l’on opère une lecture littérale de l’ordonnance, la condition suspensive est pendante jusqu’au 24 juillet 2020, les délais conventionnels étant exclus de ce dispositif (Pour une interprétation similaire, v. M. Mekki, JCP N, n° 4, avr. 2020). L’immobilisation prolongée de l’immeuble peut avoir des conséquences financières pour le vendeur qui devra assumer certaines charges (assurance, taxe foncière, perte de loyer, etc.). Il appartiendra au notaire instrumentaire de lever toute incertitude en informant les parties sur la portée du mécanisme issu de l’ordonnance et éventuellement de fixer dans le cadre d’un avenant la date de réalisation de la condition suspensive.

Exemple n° 4 : DPU au profit d’une collectivité publique

Le notaire instrumentaire a notifié le droit de préemption le 20 février 2020. Pour rappel, la commune dispose d’un délai de deux mois pour prendre position (C. urb., art. L. 213-2). L’article 7 de l’ordonnance suspend et reporte le délai à la fin de la période juridiquement protégée.

Le délai est suspendu jusqu’au 24 juin et reprend son cours après cette date.

Variante : le délai du droit de préemption commence à courrier à compter du 20 mars 2020

L’article 7 prévoit que le délai est suspendu pendant la période juridiquement protégée et reprend son cours après cette date. La commune aura jusqu’au 24 août pour préempter. Ce mécanisme ne s’impose pas à la commune qui peut toujours décider de préempter ou de renoncer durant la période juridiquement protégée.

La paralysie des clauses contractuelles

L’article 4 de l’ordonnance prévoit la paralysie des clauses contractuelles visant à sanctionner l’inexécution du débiteur.

Deux hypothèses sont envisagées par l’ordonnance :

les clauses dont le délai a expiré pendant la période juridiquement protégée sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet qui sera reporté un mois après cette période, si le débiteur n’a pas exécuté son obligation d’ici là.les astreintes et clauses pénales qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020. Leur cours est suspendu pendant la période juridiquement protégée, elles reprendront effet dès le lendemain.

Exemple : Clause pénale 

Un contrat, comportant une clause pénale devait être exécuté le 5 mars. Le 6 mars, le créancier a adressé une mise en demeure à son débiteur par laquelle il lui laissait dix jours pour exécuter le contrat, la clause devant produire ses effets à l’issue de ce délai.

Le délai expirant lors de la période juridiquement protégée, la clause pénale ne produira pas ses effets quand bien même le débiteur ne s’exécute pas. Si le débiteur ne s’exécute pas pendant la période juridiquement protégée, la clause ne pourra produire son effet que dans le mois qui suit la fin de cette période.

Exemple : Clause pénale

Un contrat devait être exécuté le 1er mars ; une clause pénale prévoit une sanction de 100 € par jour de retard. Le débiteur n’ayant pas achevé l’exécution à la date prévue, la clause pénale a commencé à produire ses effets le 2 mars.

Les astreintes et clauses pénales qui ont commencé à courir avant le 12 mars 2020 sont suspendues pendant la période juridiquement protégée. Elle recommencera à produire son effet le lendemain si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté.

Contrats renouvelables par tacite reconduction et contrats dont la résiliation est encadrée dans une période déterminée

L’article 5 de l’ordonnance permet au cocontractant qui n’a pas pu procéder à la résiliation ou s’opposer au renouvellement d’une convention en raison de l’expiration du délai au cours de la période protégée, de bénéficier d’une prolongation de deux mois après la fin de cette période.

Exemple

Un contrat a été conclu le 25 avril 2019 pour une durée d’un an. Celui-ci prévoit que le contrat sera automatiquement renouvelé sauf si l’une des parties adresse une notification à son cocontractant au plus tard un mois avant son terme.

Conformément à l’article 5 de l’ordonnance, le délai ayant expiré durant la période juridiquement protégée, chaque cocontractant pourra s’opposer au renouvellement jusqu’au 24 août 2020.

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Par un arrêt du 17 décembre 2019, la cour d’appel de Paris s’est penchée, pour une rare fois, sur le défaut d’impartialité d’un tribunal arbitral. En effet, les demandeurs à l’annulation invoquent moins souvent cette exigence pour contester la régularité de la composition d’un tribunal, que son presque-frère jumeau, le défaut d’indépendance. Ces deux garanties essentielles à la bonne administration de la justice et indispensables à la nécessaire confiance que celle-ci doit inspirer, ainsi qu’aux droits de la défense, ne se confondent pas tout à fait. Comme le souligne la doctrine, tandis que l’indépendance est « comprise comme supposant l’absence de lien matériel ou intellectuel caractérisant une situation de nature à affecter le jugement de l’arbitre et constituant un risque de prévention à l’égard de l’une des parties », l’impartialité d’un arbitre suppose qu’il soit « dépourvu de préjugés » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2019, Montchrestien/Lextenso éditions, § 229 s., en part. § 229 et 232).

Si cette question de l’impartialité présente une certaine originalité, les faits à l’origine du litige sont quant à eux classiques : il s’agissait d’un différend en lien avec la fixation du prix d’une cession d’actions par un collège d’experts, en application de l’article 1592 du code civil. Les parties à l’arbitrage avaient conclu un pacte d’actionnaires contenant une option de vente. Les sociétés qui en étaient bénéficiaires ont exercé cette option mais, faute de s’accorder sur le prix de la cession, les parties ont dû convenir d’un protocole d’expertise, désignant un collège de « Banques Experts ». Ce dernier a fixé le prix à dire d’expert. Or les cessionnaires, qui estimaient ce prix erroné, ont refusé de procéder à la vente. Les cédants ont alors saisi le juge des référés et ont obtenu de celui-ci qu’il prononce la vente forcée des actions.

En réponse, les cessionnaires ont engagé une procédure arbitrale, sous l’égide de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), alléguant que les Banques Experts auraient commis une erreur grossière de nature à priver leur décision de force obligatoire. Dans sa sentence, le tribunal arbitral a rejeté l’ensemble des demandes formulées par les demanderesses. Considérant que le tribunal arbitral était irrégulièrement constitué, celles-ci ont formé un recours en annulation sur le fondement de l’article 1492, 2°, du code de procédure civile.

Elles considéraient que le tribunal arbitral avait adopté un comportement contradictoire, manifestant ainsi un défaut d’impartialité. Elles estimaient plus précisément que les arbitres avaient, au cours de la procédure, été convaincus de l’existence d’un rapport motivé des conclusions des Banques Experts, dont ils avaient ensuite nié l’existence dans la sentence, occultant ainsi un élément de fait déterminant. C’est cette prétendue contradiction entre ces deux positions qui apportait, selon elles, la preuve du défaut d’impartialité du tribunal.

Les demanderesses estimaient également que le tribunal souffrait d’un défaut d’impartialité car l’arbitre nommé par les défenderesses publiait et partageait régulièrement des activités avec un avocat, dans un premier temps désigné comme arbitre par les défenderesses, avant de finalement se déporter. Les demanderesses considéraient que les sociétés défenderesses ayant procédé à ces deux nominations successives s’étaient de ce fait « comportées comme si elles n’acceptaient pas d’être soumises à la décision d’arbitres susceptibles d’échapper à leur influence ».

La décision commentée offre à la cour d’appel l’occasion de juger si un comportement contradictoire adopté par un tribunal arbitral en cours de procédure peut caractériser un défaut d’impartialité. Elle permet également de considérer la question des publications conjointes et la participation commune à un congrès d’un des membres du tribunal et d’un avocat pressenti pour être nommé arbitre par la même partie, au regard, toujours, de l’exigence d’impartialité.

À la première question, la réponse est affirmative en principe, bien que la demanderesse au recours doive néanmoins apporter des faits précis et vérifiables au soutien de son allégation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. À la seconde question, la réponse est négative. En conséquence, après avoir rappelé le principe selon lequel « l’indépendance d’esprit est indispensable à l’exercice du pouvoir juridictionnel, quel qu’en soit la source, et constitue l’une des qualités essentielles de l’arbitre qui assure à chaque partie un traitement égal », le juge de l’annulation a rejeté le recours.

La cour inscrit son analyse dans une démarche objective, puisque c’est d’un point de vue objectif qu’elle recherche l’existence d’une marque manifeste de parti pris. Prudente, elle ne se laisse toutefois pas embarquer sur le terrain de la révision au fond de la sentence, et considère que, « sous couvert du grief non fondé de violation de l’article 1492, 2°, du code de procédure civile, les demanderesses critiquent en réalité au fond la motivation de la sentence et ne tendent qu’à en obtenir la révision ».

Cette conclusion repose sur trois arguments développés successivement. Tout d’abord, le juge de l’annulation estime qu’il ne ressort ni de l’ordonnance de procédure ni des déclarations du président à l’audience que le tribunal « ait tenu comme établi que ces banques avaient rédigé un rapport de fin de mission ou tout autre document écrit contenant la motivation de leurs conclusions ». Le premier élément de fait sur lequel se fondaient les demanderesses pour établir le défaut d’impartialité est ainsi écarté.

Ensuite, la cour refuse de considérer comme une preuve de partialité du tribunal le fait que ce dernier ait, au stade de l’examen des demandes de production de documents, affirmé que la production du rapport sollicitée était appropriée pour la résolution du litige, puis ait, dans sa sentence, estimé que les Banques Experts n’avaient « ni dissimulé l’absence d’un tel rapport ni fait accroire à son existence ». Au contraire, la cour retient que les parties ont renoncé à la motivation de la décision des experts, en application de l’ancien article 1156 du code civil, et que ces derniers n’ont jamais affirmé qu’un rapport de motivation existait, mais se sont simplement bornés à invoquer la clause de confidentialité du protocole d’expertise. La cour estime également que le comportement des experts confirme que les parties ont renoncé à leur obligation de motivation de leur décision.

Enfin, la cour écarte le dernier argument soulevé par les demanderesses tenant à la composition du tribunal. Elle y répond que « la seule circonstance qu’un arbitre, désigné par une partie à l’instance arbitrale, ait participé, au cours de la procédure arbitrale, à un congrès en même temps qu’un précédent arbitre désigné par la même partie qui avait décliné sa désignation » n’engendre aucun doute sur l’impartialité de cet arbitre ni sur celle du tribunal.

En dépit du rejet du recours en annulation, la décision de la cour d’appel mérite l’attention puisqu’elle est l’occasion de suivre son analyse sur l’exigence d’impartialité, d’ordinaire assez peu débattue. Il est vrai qu’en la matière, la barre est haute, puisque le demandeur à l’annulation doit rapporter la preuve qu’il existe « des faits précis et vérifiables de nature à faire naître un doute raisonnable sur cette impartialité », ce qui est sans doute de nature à décourager les plaideurs.

L’une des questions qui se posent est évidemment celle de la matérialisation de la partialité du juge ou du tribunal, puisque le système judiciaire dans son ensemble repose sur la présomption d’impartialité des personnes qui sont amenées – quelle que soit la source de ce pouvoir – à exercer une mission juridictionnelle. Cette condition élémentaire pour le bon fonctionnement de la justice est d’ailleurs souvent rappelée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), au visa de l’article 6 de la Convention européenne (CEDH 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et de Meyere c. Belgique, nos 6878/75 et 7238/75, § 58, Gaz. Pal. 1981. 2. 775, note G. Delamarre ; 15 oct. 2009, Micallef c. Malte, n° 17056/06, § 94, AJDA 2010. 997, chron. J.-F. Flauss ; RTD civ. 2010. 285, obs. J.-P. Marguénaud ; 13 nov. 2007, Driza c. Albanie, n° 33771/02, § 75, Dalloz jurisprudence).

En l’espèce, la cour d’appel n’exclut pas que le comportement contradictoire d’un tribunal arbitral, révélé lors de la publication de la motivation de la décision, puisse constituer un fait précis et vérifiable de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’impartialité de ce tribunal. Ce faisant, la cour d’appel s’aligne sur la jurisprudence française et européenne relative à l’impartialité des tribunaux étatiques.

Ainsi, il a été jugé qu’un tribunal faisait peser un doute sur sa propre impartialité lorsqu’il traitait les écritures des parties selon des modalités différentes, en se contentant de simplement viser les écritures d’une partie, tout en citant sur plusieurs pages les écritures de l’autre (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-22.056, Dalloz actualité, 28 janv. 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 24 ) ou encore s’il reproduisait dans sa motivation tous les points de conclusion d’une seule des parties à l’exclusion de l’autre (Civ. 3e, 18 nov. 2009, n° 08-18.029, Procédures 2010, n° 15, note B. Rolland). Il a également été jugé qu’une juridiction incapable de déterminer la composition réelle du tribunal lors du délibéré méconnaissait le droit à un juge impartial (Douai, ch. 2, sect. 2, 2 juill. 2015, n° 15/02762, C. Delattre, Impartialité : pierre angulaire du procès équitable, Bulletin Joly Entreprises en difficulté, n° 6, p. 369).

De la même façon, la Cour de cassation a annulé à plusieurs reprises des décisions de juges du fond – étatiques – qui avaient eu recours à des termes injurieux à l’égard d’une partie pour motiver leur décision (Soc. 8 avr. 2014, n° 13-10.209, D. 2014. 935 ; JCP S 2014. 1316, obs. S. Brissy ; 23 oct. 2013, n° 12-16.840, Procédures 2014. Comm. 13, obs. A. Bugada ; Civ. 2e, 14 sept. 2006, n° 04-20.524, D. 2006. 2346 ; ibid. 2007. 896, chron. V. Vigneau ; AJDI 2006. 932 , obs. F. Bérenger ; JCP 2006. II. 10189, note R. Kessous ; Procédures 2006. Comm. 227, note R. Perrot). Les propos et comportements injurieux ou véhéments ne sont toutefois pas l’apanage des juges français, la CEDH ayant également condamné des États dont les juges avaient témoigné de l’hostilité envers l’une des parties dans des articles de presse (CEDH 16 sept. 1999, Italie c. Buscemi, n° 29569/95, § 67-68, D. 2000. 184 , obs. N. Fricero ; RTD civ. 2000. 618, obs. J. Normand ), ou qui s’étaient montrés menaçants et insultants envers une partie au cours de l’audience (CEDH 22 nov. 2019, Deli c. République de Moldova, n° 42010/06, Dalloz actualité, 20 nov. 2019, obs. M. Kebir).

Dans son analyse de la réalité du défaut d’impartialité des arbitres, la cour d’appel adopte toutefois en l’espèce une analyse pointilleuse des faits présentés comme démontrant le parti pris. Cette approche est conforme à d’anciennes décisions rendues en matière d’arbitrage, qui semblent être plus strictes que celle retenue par le droit français à l’égard des juges étatiques. Il a été ainsi jugé qu’une sentence ne devait pas être annulée pour défaut d’impartialité du tribunal s’il n’était pas démontré ce en quoi le comportement des arbitres manifestait une hostilité systématique ou véhémente, ou un parti pris propre à faire présumer de la part de l’arbitre un préjugé à l’encontre de l’une des parties (TGI Paris, ord. réf., 28 oct. 1988, Société Drexel Burnham Lambert limited et a. c. société Philipp Brothers et a., Rev. arb. 1990. 497).

Cette approche stricte fait écho aux difficultés qu’il y a à établir la preuve de l’impartialité d’un arbitre dans le cadre d’une récusation, puisque les rares exemples disponibles font état de situations extrêmes, à l’instar d’un arbitre ayant tenu des propos racistes stigmatisant les ressortissants de la nationalité d’une des parties à l’arbitrage (G. B. Born, « Chapter 12 : Selection, Challenge and Replacement of Arbitrators in International Arbitration », International Commercial Arbitration, 2e éd., Kluwer Law International, 2014, p. 1878).

Si la décision de la cour d’appel est bienvenue, la marque du parti pris du tribunal étant difficilement perceptible dans la motivation de la sentence, la justification aurait pu être plus précise.

L’utilisation par la cour d’appel de la formule « indépendance d’esprit » est notamment sujette à critique. La Cour de cassation l’a utilisée pour la première fois il y a un demi-siècle à une époque où l’arbitrage n’était pas ce qu’il est depuis devenu, pour annuler une convention d’arbitrage pour vice du consentement de la partie qui ignorait « une circonstance de nature à porter atteinte à cette qualité » (Civ. 2e, 13 avr. 1972, n° 70-12.774, Gaz. Pal. 1972. II. 17189, note P. Level). Cette formule est classique en jurisprudence, et bien qu’ayant disparu pendant un temps, elle semble aujourd’hui garder les faveurs des juges (C. Jarrosson, Remarques sur la preuve de l’absence d’indépendance de l’arbitre, à propos d’une affaire pittoresque, note sous Paris, pôle 1, ch. 1, 21 févr. 2012, Rev. arb. 2012. 595 s.).

Or la référence qui y est faite dans le contexte de la recherche d’un parti pris des arbitres est de nature à laisser subsister une confusion entre la notion d’indépendance des arbitres et celle, distincte, d’impartialité. En effet, s’il est logique qu’elles puissent être analysées conjointement puisqu’elles relèvent du même grief d’annulation, ces deux exigences doivent être distinguées afin de ne pas causer une confusion entre conflits d’intérêts et préjugés. La cour aurait pu se contenter de confirmer que la décision des arbitres était exclusivement fondée sur leur analyse de la valeur des arguments présentés par les parties, et non sur des préjugés ou un parti pris (P. Mayer, « Réflexions sur l’exigence d’indépendance de l’arbitre », in N. Ziadé (dir.), Festschrift Ahmed Sadek El-Kosheri, Kluwer Law international, 2015, p. 85-90).

Cette confusion est également entretenue par la réponse de la cour d’appel à l’argument tenant à la composition du tribunal, qu’elle a rejeté au motif que la participation commune à un congrès par l’arbitre désigné et un avocat pressenti préalablement pour cette même désignation n’était pas de nature à révéler un défaut d’impartialité.

S’il est vrai que les demanderesses ne pouvaient espérer obtenir l’annulation de la sentence sur ce fondement, la cour d’appel aurait gagné à préciser son raisonnement. Elle semble, en effet, restreindre la question à l’existence d’un conflit d’intérêts, se plaçant ainsi à tort sur le terrain de l’indépendance, alors que cette question aurait dû se poser également sous l’angle de l’impartialité en recherchant si la composition du tribunal offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à d’éventuels partis pris de ses membres.

Ainsi, la cour aurait pu expliquer en quoi la circonstance évoquée par les demanderesses n’est objectivement pas, à elle seule, de nature à faire naître un doute quant à l’impartialité de l’arbitre finalement désigné ni de l’entier tribunal. L’argument présenté par les demanderesses semblait à tout le moins l’y inciter, puisque ces dernières visaient la nomination par les défenderesses d’un arbitre qu’elles présentaient comme incapable, du fait de son état d’esprit, de prendre le contre-pied de la partie qui l’avait nommée. Il est objectivement difficile de comprendre qu’une telle conclusion puisse être tirée de la simple participation conjointe à des événements publics. Il est encore plus incompréhensible qu’une telle conclusion puisse s’étendre à l’entier tribunal.

En réalité, les demanderesses semblaient plus accuser la partie adverse de ne nommer que des personnes qu’elle estimait être à sa main que de reprocher un défaut d’impartialité du tribunal ou d’un de ses membres. Si ces deux notions sont liées, la formulation de l’argument était malheureuse puisque c’est bien le for intérieur de chacun des arbitres qui peut être sujet à un défaut d’impartialité, et non pas les objectifs de stratégies procédurales poursuivis par la partie qui le nomme.

Au surplus, la cour aurait pu simplement souligner qu’un tel argument n’était en rien lié à la reddition de la sentence et que les demanderesses, faute de l’avoir soulevé avant le recours, y avaient donc renoncé en application de l’article 1466 du code de procédure civile.

Les praticiens de l’arbitrage pourront également regretter que la cour ne soit pas allée plus loin en justifiant sa décision par la liberté du tribunal arbitral de conduire la procédure de manière souveraine, sous réserve que chaque partie ait eu la possibilité d’être suffisamment entendue, et que les arbitres n’aient pas préjugé des questions de droit et de faits qui lui sont soumises. Il est en effet admis que les arbitres ne peuvent émettre de conclusions sur ces questions avant la délibération et la publication de la sentence, faute de quoi il serait légitime pour les parties de considérer que le tribunal, ou l’un de ses membres, fait preuve d’un parti pris caractérisant un défaut d’impartialité. Un tel préjugement peut être exprimé lors de la rédaction de l’acte de mission, des ordonnances de procédure, des audiences ou à l’occasion de toute communication entre un tribunal et les parties.

Or, en l’espèce, le tribunal a permis à chacune des parties de s’exprimer dans le cadre des demandes de production de documents, avant de prendre une décision sur cette question. Il a ensuite évalué les arguments respectivement présentés par chacune des parties pour trancher, au fond, le différend qui lui était soumis. Rien n’indique qu’il ait préjugé d’une question de droit ou de fait soumise à son pouvoir juridictionnel et qu’il ait donc conduit l’arbitrage avec un parti pris qui puisse être objectivement qualifié de défaut d’impartialité.

En définitive, la décision du juge de l’annulation apparaît justifiée d’un point de vue factuel. Il pourra toutefois être regretté que la cour s’en soit tenue, sans doute par habitude, à une formule établie de longue date qui entretient une confusion entre deux exigences qu’il conviendrait de distinguer, à tout le moins au niveau théorique.

Après s’être engagées contre la réforme des retraites, les robes noires prennent de plein fouet la crise du coronavirus.

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Auteur d'origine: babonneau

La Cour de cassation rappelle utilement dans deux pourvois différents des solutions importantes.

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Auteur d'origine: chelaine

Focus, par l’exemple, sur les mesures prévues par le notariat en ces temps de pandémie par l’ordonnance du 25 mars 2020 et par le décret du 3 avril 2020 autorisant l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire.

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Auteur d'origine: Bley

L’indépendance d’esprit est indispensable à l’exercice du pouvoir juridictionnel, quelle qu’en soit la source, et constitue l’une des qualités essentielles de l’arbitre qui assure à chaque partie un traitement égal. Le défaut d’impartialité doit résulter de faits précis et vérifiables de nature à faire naître un doute raisonnable sur cette impartialité.

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Auteur d'origine: Dargent
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Les droits de la personnalité ont souvent tendance à rentrer en contradiction entre eux. C’est le cas notamment entre le droit à la vie privée et la liberté d’expression. Bien évidemment, la question intéresse surtout les personnalités publiques pour lesquels il existe un « débat d’intérêt général » quant à certaines informations les concernant. Comme l’énoncent Philippe Malaurie et Laurent Aynès : « la vie privée n’est pas définie par la loi ; c’est sur ce point que s’est polarisée l’attention » (P. Malaurie et L. Aynès, Droit des personnes, la protection des mineurs et des majeurs, Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », 2018, p. 166, n° 323). Or, en l’espèce, l’atteinte à la vie privée en elle-même ne posait pas problème. Contextualisons rapidement cet arrêt du 5 mars 2020 pour mieux en comprendre l’enjeu. En l’espèce, deux anciens ministres sous le quinquennat de François Hollande sont photographiés à leur insu aux États-Unis « vingt jours après leur démission conjointe du gouvernement ». C’est précisément sur ce point que l’ancien ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique a assigné la société d’édition de Paris Match. Pour se défendre, celle-ci argue bien évidemment du débat suscité par la démission des deux ministres : les clichés violent certes la vie privée de ces derniers mais les anciens ministres sont des personnalités publiques.  Devant les juges du fond, l’argumentation n’arrive pas à convaincre : la cour d’appel condamne la société d’édition à réparer le préjudice du ministre à hauteur de 9 000 € de cette atteinte à sa vie privée. Elle se pourvoit donc en cassation. Le pourvoi est rejeté, la solution est sans équivoque : « cet article, illustré par des photographies prises à l’insu des intéressés, avait porté atteinte au droit de M. Montebourg au respect de sa vie privée et de son image ».

Dans une motivation enrichie, la Cour de cassation rappelle tout d’abord les conditions qui peuvent entraîner une atteinte légitime à la vie privée. D’une part, la Haute juridiction rappelle une solution antérieure (Civ. 1re, 21 mars 2018, n° 16-28.741, D. 2018. 670 ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; ibid. 2019. 216, obs. E. Dreyer ; Dalloz IP/IT 2018. 380, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2018. 194 et les obs. ; RTD civ. 2018. 362, obs. D. Mazeaud ) qui avait précisé le faisceau d’indices qui pouvait aboutir à légitimer la violation : « la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que les circonstances de la prise des photographies, et procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères ». Ces éléments sont nombreux mais les juges du fond doivent donc veiller à contrôler chaque élément précisément. Mais, d’autre part, la relation amoureuse et sentimentale est peut-être le cœur-même de la vie privée ; cette « arrière-boutique » dont parle Montaigne dans ses Essais si chers à Carbonnier. La Cour de cassation rappelle donc que pour cette partie précise de la vie privée, la seule référence discrète à un débat d’intérêt général dans l’article ne suffit pas (CEDH 29 mars 2016, Bédat c/ Suisse [GC], n° 56925/08, § 64, Légipresse 2016. 206 et les obs. ; RSC 2016. 592, obs. J.-P. Marguénaud ). Il faut que l’article tout entier y soit consacré et que les clichés parviennent à illustrer ce débat. C’est ce qu’essayait de faire la société d’édition dans ses moyens en évoquant « le déclin du Parti socialiste » qui aurait débuté pendant le quinquennat de M. Hollande suite à cette démission. La branche du moyen est parlante à ce sujet : « bien que M. Montebourg soit une personnalité publique qui venait alors d’occuper les fonctions officielles de ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, et que le public ait eu un intérêt légitime à être informé de l’existence d’une relation intime entre deux des ministres « frondeurs », susceptible d’avoir exercé une influence sur leur décision commune de s’opposer à la ligne politique du gouvernement et d’en démissionner simultanément, décision ayant contribué, au sein de la majorité politique au pouvoir, à alimenter un conflit qui a été l’une des principales causes du déclin du Parti socialiste ». L’article se concentrait, selon la société d’édition sur l’importance de la démission de ces deux ministres pour montrer l’affaiblissement du parti au pouvoir. Mais l’argumentation peine à convaincre pour plusieurs raisons. La principale d’entre-elles reste la difficulté de comprendre comment des clichés témoignant d’une relation amoureuse illustre ce débat. L’article était, en réalité, orienté sur ce point précis ; le titre le évoquant la « Love story à San Francisco ». Un tel intitulé ne laisse que peu de place à une réflexion de sciences politiques sur le déclin du parti socialiste. C’est là où le bât blesse. Certes, la démission des deux ministres est « évoquée » mais ceci reste insuffisant pour légitimer l’existence du débat d’intérêt général. L’arrêt d’appel le précise parfaitement : « les lecteurs étant uniquement informés de ce que les anciens ministres entretiennent une relation amoureuse loin de l’agitation politique parisienne ». En somme, l’article ne traite pas concrètement du débat d’intérêt général, il ne fait que puiser quelques éléments intéressant la politique pour ensuite ne traiter que la relation intime des anciens ministres.

On remarque donc une certaine appréhension de la vie privée dans cet arrêt. La Cour de cassation ne remet nullement en cause la possibilité de nourrir un débat d’intérêt général. Loin de cette idée, elle protège cette notion qui doit être considérée comme une exception dans l’atteinte à ce droit fondamental. La simple mention de ce débat, en quelques lignes, ne suffit pas. Il faut que l’article étudie expressément cette question politique. Se contenter d’évoquer rapidement le débat ne permet pas de légitimer une atteinte à la vie privée. C’est une solution heureuse qui permet une meilleure protection de l’intimité de chacun. La cour d’appel évoque ce que l’article aurait pu mentionner d’ailleurs en précisant qu’il : « ne fait aucune allusion aux conséquences de cette relation sur leurs fonctions et ambitions politiques respectives, pas plus qu’au débat politique ouvert à la suite du remaniement ministériel consécutif à leur démission ». Le conflit de normes fondamentales est réglé d’une manière harmonieuse : la vie privée triomphe quand il n’y a pas d’intérêt à la violer pour informer le public. Le débat d’intérêt général, en tant que notion indéterminée (P. Malaurie et L. Aynès, Droit des personnes, op. cit., p. 170, n° 325) reste donc apprécié factuellement. Le juge doit arbitrer ces conflits de normes entre elles en restant suffisamment proche des faits pour vérifier l’existence et la réalité d’un tel débat.

Le projet Datajust avait été annoncé fin 2018 par la ministre Nicole Belloubet. Un décret paru ce dimanche au Journal officiel permettra de développer l’algorithme, avec l’objectif d’élaborer un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels, basé sur la jurisprudence. Le but de Datajust sera d’informer tant les juges que les parties sur les indemnisations de référence.

Sur le site d’Etalab, l’équipe chargée du projet indique qu’avec Datajust, les victimes « pourraient comparer en pleine connaissance de cause les offres d’indemnisation des assureurs et les montants qu’elles pourraient obtenir devant les tribunaux ; les avocats disposeraient d’informations fiables leur permettant de conseiller leurs clients ; les magistrats auraient un outil d’aide au chiffrage des préjudices grâce à un accès facilité à des jurisprudences finement ciblées ».

Datajust se concentrera sur les décisions rendues en appel depuis 2017 par les instances judiciaires et administratives. L’algorithme recensera les montants demandés et offerts par les parties ainsi que les montants alloués aux victimes, pour chaque type de préjudice. Parmi les données extraites des décisions : celles relatives aux préjudices subis, à la situation professionnelle et financière de la victime, aux avis médicaux, aux infractions pénales et éventuelles fautes civiles.

Un tel référentiel pourrait intégrer l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile. Par ailleurs, l’équipe de développement indique que le ministère de la justice fera appel à des spécialistes des sciences comportementales aux politiques publiques, afin de préparer et accompagner l’introduction de cet outil.

Les craintes d’une justice prédictive

Une recherche avait établi le grand bricolage des magistrats sur ces barèmes d’indemnisation des préjudices corporels, différentes versions d’un document étant parfois utilisées au sein d’un même tribunal (v. Dalloz actualité, 17 sept. 2019, art. P. Januel). Un référentiel sur ce contentieux technique permettrait d’harmoniser les décisions. Toutefois, la construction de référentiel suscite les craintes de nombreux acteurs, en raison du caractère conservateur des barèmes (v. Dalloz actualité, 31 mai 2019, art. P. Januel) et de la restriction des marges de manœuvre des magistrats. Les avocats font part de leur crainte de voir émerger une justice prédictive. Hélène Fontaine, présidente de la conférence des bâtonniers, et Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, ont aussi exprimé leur mécontentement de ne pas avoir été consultées sur ce décret, publié en plein état d’urgence sanitaire.

La CNIL a donné un avis favorable au décret, qui ne couvre que la phase de développement de l’algorithme. Toutefois, elle rappelle que le ministère devra être attentif à d’éventuels biais discriminatoires. Enfin, si le référentiel sera public, pour l’instant le niveau de publicité des données fondant l’algorithme et permettant de calculer les montants est inconnu : seront-t-elles ouvertes à tous, en open data, ou réservées à certains acteurs ?

Prise suite à l’habilitation prévue au e du 1° du I de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (v. nos obs. in Dalloz actualité, 25 mars 2020 ), pour l’année 2020, l’ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020 prolonge la trêve hivernale tant en matière d’interruption de fourniture d’électricité, de chaleur et de gaz pour cause d’impayé dans une résidence principale, qu’en matière d’expulsion.

Interruption de la fourniture d’électricité, de chaleur et de gaz pour cause de factures impayées

Aux termes de l’ordonnance du 25 mars 2020, la période durant laquelle, selon l’alinéa 3 de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles, les fournisseurs d’électricité, de chaleur et de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur et de gaz aux personnes ou familles, est allongée de deux mois, puisqu’elle se terminera, non pas le 31 mars, mais le 31 mai. On rappellera que, durant cette trêve, les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs en situation de précarité énergétique. Par ailleurs, selon ce texte, ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année.

Mise en œuvre d’une mesure d’expulsion

Selon le texte nouveau, en 2020, la période durant laquelle, selon l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, il est sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée, nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés, est prolongée de deux mois, pour se terminer le 31 mai, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille.

En Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Wallis-et-Futuna, la trêve hivernale est pareillement augmentée de deux mois. Fixée par le préfet, celle-ci passe ainsi de trois mois et demi (le cas échéant divisée de manière à tenir compte des particularités climatiques propres à cette collectivité) à cinq mois et demi.

Le rapport au président de la République précise que, « s’agissant de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, cette prolongation interviendra ultérieurement par une seconde ordonnance après consultation des collectivités concernées, conformément aux lois organiques qui leur sont applicables ».

La Cour de cassation rappelle le balancement fondamental entre droit à la vie privée et le droit à la liberté d’expression. Elle précise à nouveau que pour légitimer une atteinte à la vie privée d’une personne publique, l’atteinte doit être conditionnée à une information du public et que celle-ci nourrisse le débat d’intérêt général. La relation amoureuse entretenue par deux anciens ministres ne rentre pas dans ces conditions, l’article n’évoquant que simplement leur démission respective du gouvernement sans traiter cette information en détail.

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Auteur d'origine: chelaine

Dimanche a été publié un décret permettant la mise en place d’un algorithme Datajust, recensant les montants d’indemnisation des préjudices corporels dans les décisions de justice (judiciaire et administrative). L’objectif est la création d’un référentiel indicatif officiel, évaluant financièrement les différents types de préjudices. Une initiative qui inquiète les avocats.

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Auteur d'origine: babonneau

Une ordonnance du 25 mars 2020 prolonge la trêve hivernale en matière d’interruption de fourniture d’électricité, de chaleur et de gaz pour cause d’impayé dans une résidence principale et en matière d’expulsion.

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Auteur d'origine: Rouquet

Des ayants droit qui étaient étrangers aux premières demandes d’indemnisation formulées auprès du FIVA par d’autres ayants droit ne peuvent se prévaloir des offres adressées à ces dernières pour écarter la prescription attachée à leur action car elles leur sont personnelles.

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Auteur d'origine: Dargent

Les ordonnances du 25 mars 2020 nos 2020-304 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ont été publiées au Journal officiel du 26 mars 2020. Revue de détails.

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Auteur d'origine: Dargent

L’épidémie de coronavirus a entraîné des conséquences juridiques importantes dans un certain nombre de domaines, dont celui du tourisme. Afin de préserver les voyagistes d’une liquidation judiciaire, le gouvernement a adopté une ordonnance destinée à régler les conséquences de la résolution des contrats de voyages touristiques.

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Auteur d'origine: jdpellier
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Un homme a été au contact, durant sa vie professionnelle, de produits amiantés qui sont la cause du développement d’un cancer broncho-pulmonaire qui a causé sa mort en octobre 2006. La maladie a été reconnue comme une maladie professionnelle par son organisme social. 

Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) a, conformément à la loi du 23 décembre 2000, notifié aux nombreux ayants droit des offres d’indemnisations qui ont été acceptées. Ces offres ont trait à la réparation de leurs préjudices personnels, ainsi qu’à l’action successorale, pour le préjudice fonctionnel et les préjudices extrapatrimoniaux du défunt.

Cependant, une demande formulée le 30 novembre 2017 par d’autres ayants droit visant l’indemnisation de leur préjudice moral et d’accompagnement respectif subi du fait du décès de la même personne est rejetée le 20 février 2018. Le FIVA considère que leur demande intervient trop tard et que l’action est prescrite.

Malgré un recours formé le 20 avril 2018 contre cette décision, les juges de la cour d’appel de Paris décident que les demandes d’indemnisations sont bien irrecevables, car prescrites.

Les demandeurs forment alors un pourvoi devant la Cour de cassation, mais cette dernière le rejette comme en témoigne cet arrêt du 5 mars 2020.

Les victimes indirectes essaient de faire valoir leur droit à indemnisation. Elles arguent que puisque le FIVA a formulé des offres à d’autres ayants droit, elles devraient pouvoir bénéficier elles aussi de l’effet interruptif du délai de prescription de dix ans. Les auteurs du pourvoi reprochent ainsi aux juges de la cour d’appel de Paris d’avoir violé les articles 2240 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000.

Des ayants droit, qui étaient étrangers aux premières demandes d’indemnisation formulées auprès du FIVA par d’autres ayants droit, peuvent-ils se prévaloir des offres adressées à ces derniers alors qu’elles ne leur sont pas destinées et ceci, dans le but d’écarter la prescription attachée à leur action ?

La Cour de cassation, en rejetant le pourvoi, valide le raisonnement de la cour d’appel de Paris. Cette dernière a jugé que l’article 2240 du code civil ne pouvait être actionné, car le FIVA n’avait jamais reconnu les demandeurs comme des créanciers et qu’ils n’avaient pas été « partie » aux primo-demandes.

Le FIVA est créé le 23 décembre 2000 bien que la prise de conscience de la dangerosité du produit soit plus ancienne. La première victime décédée des suites de l’inhalation de cette fibre date de 1899, mais il faut attendre le 1er janvier 1997 pour que l’utilisation de l’amiante soit proscrite.

Le délai dans lequel les victimes ont la possibilité de saisir le FIVA n’est pas mentionné dans la loi du 23 décembre 2000 si bien que, par avis et par arrêt (Cass., avis, 18 janv. 2010, n° 09-00.004, D. 2010. 329 ; ibid. 2076, chron. H. Adida-Canac et Civ. 2e, 8 juill. 2010, n° 09-70.493, D. 2010. 2076, chron. H. Adida-Canac ), la Cour de cassation a considéré que le délai quadriennal prévu dans la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 – relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics – devait s’appliquer. Les demandeurs considéraient, sur ce point, que la saisie d’un organisme de solidarité nationale ne devait pas faire l’objet d’une prescription à l’instar d’une action en justice. Le législateur est donc intervenu le 20 décembre 2010 en introduisant, dans la loi du 23 décembre 2000 – d’application immédiate – l’article 53-III bis qui est venu porter à dix ans la prescription des droits à indemnisation des victimes de l’amiante. Les causes d’interruption de la prescription ne pouvaient donc logiquement plus se rapporter à la loi de 1968 et c’est naturellement que la Cour de cassation (Civ. 2e, 13 juin 2019, n° 18-14.129, D. 2019. 1346 ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; n° 18-19.602 ; n° 18-19.603, n° 18-19.604 ; n° 18-18.235 et n° 18-14.653 ; Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-13.666) a jugé qu’il fallait se référer aux causes d’interruption comprises dans le droit commun. Dans le code civil, on retrouve les règles relatives au report du point de départ ou de suspension de la prescription dans la deuxième section du chapitre trois du titre dix intitulé « de la prescription extinctive ».

Dans cette espèce, la cour d’appel de Paris a considéré que les victimes indirectes avaient jusqu’au 22 novembre 2016, soit dix ans après la date à laquelle le décès de la victime principale a été établi comme étant en lien de causalité avec sa pathologie. Cela est conforme à la loi de 2010 qui fixe le point de départ du délai de la prescription, s’agissant des demandes des ayants droit d’une personne décédée à la suite d’une exposition à l’amiante, à la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et cette exposition. La demande des victimes indirectes n’ayant été formulée que le 30 novembre 2017, ces dernières étaient normalement bien forcloses. Elles entendaient pourtant se prévaloir des demandes préalablement formulées auprès du FIVA par d’autres ayants droit, car ces demandes concernaient le même fait dommageable, à savoir, la mort de l’employé victime d’un cancer. Dès lors, puisque les demandes formulées poursuivaient le même but, chacun pouvait se prévaloir des demandes des autres. Les demandeurs, dans leurs conclusions, se sont sans doute prévalus d’un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 24 janvier 2002. Les juges du droit avaient considéré, à l’occasion d’un accident du travail imputable à l’employeur, que les demandes d’indemnisation complémentaires formées par des ayants droit par saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale ont un effet interruptif de prescription qui profite à d’autres ayants droit ayant formé leur demande postérieurement. Et ce, dès lors qu’il s’agissait du même fait dommageable (Soc. 24 janv. 2002, n° 00-11.696). D’autres exceptions à l’effet relatif de l’interruption de la prescription existent. Elles sont prévues par la loi (v. en matière de caution ou d’obligations solidaires, ou par la jurisprudence, J.-J. Taisne, J.-Cl. Civ., art. 2240 à 2246, vis Interruption de la prescription, nos 162 s.) et par la jurisprudence (V. par ex., en matière d’usufruit ou de copropriété, J.-Cl. Civ., préc., nos 170 s.). Mise à part ces exceptions, le principe demeure de l’effet relatif des causes d’interruptions de la prescription qu’il faut manier avec précaution, car si tout le monde peut se prévaloir des demandes de chacun à n’importe quel moment, le principe de la prescription perd de sa force. Ainsi, l’acte interruptif de prescription ne peut normalement profiter qu’au créancier qui agit à l’encontre du débiteur qui prescrit. C’est ce que vient affirmer, dans cet arrêt du 5 mars 2020, la Cour de cassation en rejetant le pourvoi formé par les demandeurs.

Par ailleurs, la règle posée à l’article 2240 du code civil, à savoir que « La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription », implique nécessairement que le débiteur, en l’espèce le FIVA, ait reconnu la créance des demandeurs ce qui n’est pas évident ici puisque même si les demandes concernent la même personne, elles ne visent pas exactement le même préjudice. Non seulement, car chaque préjudice est toujours personnel, mais aussi, car ceux visés dans la demande tardive ne sont pas forcément les mêmes que ceux visés par les autres ayants droit dans leur demande antérieure.

Il n’en demeure pas moins que les difficultés sont réelles et les interrogations légitimes. Elles viennent sans doute de la confusion entre l’engagement d’une action en justice et la saisie d’un Fonds d’indemnisation. La Cour de cassation penche le plus souvent en faveur d’une identité des règles relatives à la prescription dans ces deux cas et l’arrêt du 5 mars 2020 permet d’apporter de précieuses précisions.

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars), entrée en vigueur le 24 mars, instaure un état d’urgence sanitaire. En son article 11, cette loi autorise le gouvernement « à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de [s]a publication […], toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi ».

Plus particulièrement, les mesures prescrites par ordonnances peuvent porter sur l’activité judiciaire et administrative. En ce sens, l’article 11, I, 2°, dispose :

« Afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, toute mesure :

a) Adaptant les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naitre ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux-ci ne résultent d’une décision de justice ;

b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 et ne peuvent excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises par le gouvernement pour ralentir la propagation de l’épidémie de covid-19 ;

c) Adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ».

Dans ces conditions, deux ordonnances, datées du 25 mars 2020, ont fortement impacté les délais pour agir et les délais d’exécution forcée en matière civile :

1. La première ordonnance n° 2020-304 porte sur l’adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

L’adaptation des règles d’organisation des juridictions porte notamment sur :

• la possibilité pour le premier président de la cour, lorsqu’une juridiction du premier degré est dans l’incapacité totale ou partielle de fonctionner, d’opérer un transfert de compétence vers une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour (ord., art. 3) ;

• les modes de communication des informations relatives à la suppression des audiences ou des auditions par le greffe (ord., art. 4) ;

• la mise en place de procédures sans audience (ord., art. 8), avec publicité restreinte ou en chambres du conseil (ord., art. 6), avec utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle (ord., art. 7) ainsi qu’à juge unique (ord., art. 5) ;

• la possibilité pour le juge des référés de « rejeter la demande avant l’audience, par ordonnance non contradictoire, si la demande est irrecevable ou s’il n’y pas lieu à référé (ord., art. 9) ».

2. Par une seconde ordonnance n° 2020-306, le gouvernement se prononce sur les modalités de prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Une circulaire du 26 mars 2020 (circ. n° CIV/01/20 du 26 mars 2020, d’application immédiate) vient préciser les dispositions du titre Ier de l’ordonnance.

L’article 2 de cette ordonnance prévoit un mécanisme de prorogation des délais échus pendant une certaine période : « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit. »

Le texte prévoit également que certaines mesures administratives ou juridictionnelles (ord., art. 3 : cet article vise : 1° Les mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ; 2° les mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ; 3° les autorisations, permis et agréments ; 4° les mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ; 5° les mesures d’aide à la gestion du budget familial) qui viennent à échéance au cours d’une période déterminée seront prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période (en d’autres termes et conformément aux règles qui seront présentées dans le corps de l’article, les mesures administratives ou judiciaires visées et qui viennent à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, sont prorogées de plein droit jusqu’au 25 août 2020 ; sur la computation des délais, v. infra).

Enfin l’ordonnance se prononce sur les délais déterminés par les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires, clauses de déchéance, ayant expiré au cours d’une certaine période (ord., art. 4), ainsi que sur la résiliation et la tacite reconduction d’un contrat au cours de cette même période (ord., art. 5).

Les praticiens doivent garder en mémoire de telles dispositions qui ne seront pas examinées dans le cadre de la présente étude.

Il convient de revenir sur les délais pour agir et les délais d’exécution forcée concernés, la période d’échéance et la prorogation visées par ces deux ordonnances.

Les délais concernés

Les délais retenus

L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 vise « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement » sanctionné par la « nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque ». Il intéresse également « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit ».

La circulaire du 26 mars 2020 confirme que les délais contractuellement prévus et le paiement des obligations contractuelles ne sont pas concernés par le mécanisme de prorogation, en dehors des cas visés à l’article 4 de l’ordonnance. Ces délais conventionnels demeurent toutefois protégés par les dispositions de droit commun régissant le cours d’un délai (la circulaire fait expressément référence à la suspension du délai de prescription pour impossibilité d’agir [C. civ, art. 2234] et le jeu de la force majeure [C. civ., art. 1218]). 

L’article 2, I, de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 précise, de son côté, que la prorogation des délais échus se rapporte aux procédures introduites devant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

Trois catégories de délais retiennent particulièrement notre attention : les délais d’action, les délais de procédure et les délais d’exécution forcée.

1. En matière de délais d’action, la prorogation concerne indistinctement le délai de prescription et de forclusion.

2. En matière de procédure civile, l’inventaire des délais est considérablement étendu. Il convient d’en dresser une liste non exhaustive :

• le délai pour signifier le jugement rendu par défaut ou réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel (C. pr. civ., art. 478) ;

• le délai pour exercer une voie de recours (appel, opposition, pourvoi en cassation, tierce-opposition, recours en révision, référé-rétractation, déféré, saisie de la juridiction de renvoi après cassation, etc.) ou pour saisir le bureau d’aide juridictionnelle dans les conditions prévues par l’article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

• le délai de forclusion de l’article 528-1 du code de procédure civile ;

• le délai pour enrôler une assignation devant le tribunal Judiciaire (délai de quatre mois par combinaison de l’art. 55 du décr. n° 2019-1333 du 11 déc. 2019 réformant la procédure civile et de l’art. 757 C. pr. civ. dans sa rédaction antérieure) ;

• les délais de comparution devant les juridictions de premier degré, d’appel ou devant la Cour de cassation ;

• le délai de péremption (C. pr. civ., art. 386) ;

• tous les délais dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire impartis à peine de caducité de la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 902, 905-1, 905-2, 908, 911 et 922) et de la déclaration de saisine (C. pr. civ., art. 1037-1) ou d’irrecevabilité des conclusions (C. pr. civ., art. 905-2, 909, 910, 911 et 1037-1) ;

• tous les délais devant la Cour de cassation impartis à peine de déchéance ou d’irrecevabilité.

3. En matière de procédures civiles d’exécution, la prorogation joue à l’égard de l’ensemble des délais à l’exception de la procédure de saisie-immobilière. Cette dernière fait l’objet d’un régime distinct prévu par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-304 (v. infra).

4. En matière d’astreinte, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 distingue deux hypothèses :

• les astreintes sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet si le point de départ du délai était fixé pendant la période définie au I de l’article 1er (v. infra). Elles prendront effet à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme ;

• le cours des astreintes qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 est suspendu pendant la période définie au I de l’article 1er.

Les délais exclus

Un certain nombre de délais sont expressément exclus par l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 :

• les délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale, ou concernant les élections et consultations régies par le code électoral ;

• l’édition et la mise en œuvre de mesures privatives de liberté ;

• les procédures d’inscription dans un établissement d’enseignement ou aux voies d’accès à la fonction publique ;

• les obligations financières et garanties visées aux articles L. 211-36 et suivants du code monétaire et financier ;

• les délais et mesures ayant fait l’objet d’adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci.

En parallèle d’autres délais sont spécialement régis par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-304 :

• les délais et procédures applicables devant le juge des libertés et de la détention et devant le premier président de la cour d’appel saisi d’un appel formé contre les décisions de ce juge courent selon les règles législatives et réglementaires en vigueur ;

• ceux applicables devant le juge pour enfants font l’objet d’une adaptation par l’ordonnance précitée ;

• les délais mentionnés aux articles L. 311-1 à L. 322-14 et R. 311-1 à R. 322-72 du code des procédures civiles d’exécution [saisies-immobilières] sont suspendus pendant la période visée par l’article 1er de l’ordonnance.

Dans cette dernière hypothèse, la suspension des délais en matière de saisie-immobilière va jouer pendant la période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois (soit jusqu’au 24 juin 2020). Les délais reprendront leur cours à compter du 25 juin 2020 pour le temps qu’il leur restait à courir postérieurement au 11 mars 2020.

Les procédures de distribution du prix ne sont pas concernées par ces dispositions spéciales et demeurent régies par le droit commun de l’ordonnance n° 2020-306.

La période d’échéance des délais

La prorogation joue à l’égard des seuls délais échus « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 (ord. n° 2020-304, art. 1er ; ord. n° 2020-306, art. 1er) ».

La loi du 23 mars 2020 déclare en son article 4 l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, le 24 mars 2020 (l’art. 22 de la loi du 23 mars 2020 prévoit qu’elle entrera en vigueur immédiatement). La date de cessation de l’état d’urgence sanitaire est donc fixée pour le moment au 24 mai 2020, sous réserve d’un report ultérieur lié à l’évolution de la pandémie covid-19.

Dès lors, les délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 (cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois), pourront bénéficier de la prorogation.

En revanche les délais en cours, qui ne sont pas arrivés à terme pendant cette période, sont maintenus.

Le mécanisme de prorogation

L’étendue de la prorogation

L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que les diligences qui auraient dû être effectuées au cours de la période mentionnée par l’ordonnance seront réputées avoir été faites à temps si elles sont accomplies dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de la période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

En d’autres termes, à compter de la fin de la période, soit le 24 juin 2020 à minuit (v. supra), les praticiens devront accomplir l’acte ou la formalité dans un délai supplémentaire dont la durée est la même que celle originellement fixée, dans la limite maximale de deux mois.

Mise en garde : La rédaction est source de difficultés s’agissant de la détermination du point de départ du délai supplémentaire. En effet le texte fait partir le délai supplémentaire « à compter de la fin de la période ». Bien que la période s’achève le 24 juin 2020, il est probable que le délai supplémentaire ne s’ouvre qu’au lendemain, soit le 25 juin 2020, pour expirer au maximum le 25 août 2020. Cela fera sans doute l’objet de discussions ultérieures.

Il convient par conséquent de dégager deux hypothèses :

• Hypothèse n° 1 : Si le délai initial est supérieur à deux mois, le délai supplémentaire expirera le 25 août 2020 (fin de la période + 2 mois).
Illustration : Le délai de la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224) expire le 20 mars 2020. Au jour du mois suivant la fin de l’état d’urgence (probablement le 24 juin 2020, v. supra), un délai supplémentaire sera ouvert pour introduire une action en justice. Compte tenu du plafonnement de la prorogation à deux mois, le délai de prescription de droit commun s’éteindra le 25 août 2020.

• Hypothèse n° 2 : Si le délai initial est inférieur à deux mois, le délai supplémentaire va s’ouvrir à la fin de la période pour une même durée que celle initialement prévue.
Illustration : Dans la procédure à bref délai, l’appelant dispose d’un délai d’un mois pour remettre ses conclusions au greffe (C. pr. civ., art. 905-2). Si le délai expire le 18 mars 2020, l’appelant bénéficiera à compter du 25 juin 2020 d’un délai supplémentaire de même durée pour conclure, qui arrivera à terme le 25 juillet 2020.

La nature de la prorogation

Il convient de s’intéresser à la nature de la prorogation des délais échus. La prorogation consacrée n’est pas une cause de suspension, d’interruption ou de report du point de départ des délais pour agir. En réalité, il s’agit d’un mécanisme de report du terme couplé d’un délai supplémentaire pour accomplir l’obligation positive. Bien que tardivement effectuée, la diligence sera réputée avoir été rétroactivement accomplie dans le terme initial.

Ceci permet notamment de justifier l’application commune de la prorogation aux délais de prescription et de forclusion. Si le code civil écarte la forclusion de la section relative à la suspension et au report du point de départ, aucune disposition ne régit le report de l’échéance du terme. En cela, l’application commune de la prorogation aux délais de prescription et de forclusion n’apparaît pas contra legem.

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Contexte

Parmi les secteurs les plus durement touchés par l’épidémie de coronavirus qui frappe le monde, celui du tourisme occupe une place de premier ordre (v. J.-D. Pellier, L’impact de l’épidémie de coronavirus sur les contrats du tourisme, à paraître au Recueil). C’est la raison pour laquelle la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars) a habilité le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution. Plus précisément, celui-ci est autorisé à prendre, « dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution », étant précisé que « les projets d’ordonnance pris sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire » (art. 11, II) et qu’« un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance » (art. 11, III). Au titre de ces mesures, le gouvernement peut modifier, « dans le respect des droits réciproques, les obligations des personnes morales de droit privé exerçant une activité économique à l’égard de leurs clients et fournisseurs ainsi que des coopératives à l’égard de leurs associés-coopérateurs, notamment en termes de délais de paiement et pénalités et de nature des contreparties, en particulier en ce qui concerne les contrats de vente de voyages et de séjours mentionnés aux II et III de l’article L. 211-14 du code du tourisme prenant effet à compter du 1er mars 2020 et les prestations relevant des séjours de mineurs à caractère éducatif organisés dans le cadre de l’article L. 227-4 du code de l’action sociale et des familles » (art. 11, I, 1°, c).

Tel est l’objet de l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure (JO 26 mars). La finalité de cette ordonnance est naturellement de protéger les professionnels du tourisme qui se trouvent contraints d’annuler des voyages, ou qui se voient imposer une telle annulation par leurs clients, en raison des mesures restrictives de déplacement mises en œuvre par de nombreux pays et qui sont donc exposés à des remboursements massifs ainsi qu’à une réduction considérable des commandes, comme l’indique le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance (le rapport précise qu’« actuellement, ce sont plus de 7 100 opérateurs de voyages et de séjour immatriculés en France qui, confrontés à un volume d’annulations d’ampleur jamais égalée et à des prises de commandes quasi nulles, sont en grande difficulté. Ce constat dépasse par ailleurs le marché français, puisque de nombreux États membres de l’Union européenne remontent ces mêmes préoccupations à la Commission européenne. À cet effet, au regard de l’ampleur du risque économique au niveau européen, la Commission européenne a publié, le 19 mars dernier, des lignes directrices ouvrant la possibilité que soit proposé au client un avoir »). Dans ces conditions, le risque de liquidations judiciaires en cascade est plus que jamais présent. La garantie financière prévue par l’article L. 211-18 du code du tourisme (v. égal. C. tourisme, art. R. 211-26 s.), déjà fortement éprouvée par la faillite du géant Thomas Cook ou encore celle de la compagnie XL Airways (v. à ce sujet X. Delpech, « Faillite » de compagnie aérienne : quels droits pour les passagers ?, JT 2019, n° 223, p. 3 ), se révélerait en effet certainement insuffisante (cette garantie, au demeurant, « ne bénéficie qu’aux consommateurs finaux, de sorte qu’un comité d’entreprise qui intervient en qualité d’organisateur ou de revendeur de voyages, et non en seule qualité de mandataire des salariés auprès d’une agence de voyages, ne peut en bénéficier », v. Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 18-21.155, Dalloz actualité, 6 févr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 212 ; AJ contrat 2020. 155, obs. C. Lachièze ; JT 2020, n° 228, p. 10, obs. X. Delpech ), raison pour laquelle la réactivité du gouvernement mérite d’être saluée. Il ne s’agit pas pour autant de négliger les droits des consommateurs, qui se voient offrir une alternative en nature ou en valeur, comme l’indique également le rapport au président de la République (il est indiqué que « la présente ordonnance modifie les obligations des professionnels pour leur permettre de proposer à leurs clients, pour une période strictement déterminée et limitée dans le temps, un remboursement sous la forme d’une proposition de prestation identique ou équivalente, ou par le biais d’un avoir valable sur une longue période, de dix-huit mois, dans le but d’équilibrer le soutien aux entreprises du secteur en cette période de crise avec le respect du droit des consommateurs »).

Il importe donc de cerner précisément le champ d’application de cette ordonnance avant d’examiner le régime exceptionnel qu’elle institue.

Le champ d’application de l’ordonnance

Un vaste champ d’application matériel

Contrairement à ce que suggère la lettre de la loi d’habilitation, le domaine de l’ordonnance ne se limite pas aux contrats de vente de voyages et de séjours mentionnés aux II et III de l’article L. 211-14 du code du tourisme, c’est-à-dire aux forfaits touristiques et, semble-t-il, aux services de voyages autres que la réservation et la vente de titres de transport sur ligne régulière et la location de meublés saisonniers, ces services étant régis par les mêmes dispositions que les forfaits en vertu des articles L. 211-7 et L. 211-17-3 du code du tourisme (sur la définition du forfait et la délimitation des services de voyage, v. C. tourisme, art. L. 211-2, I et II, rédac. ord. n° 2017-1717, 20 déc. 2017, portant transposition de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées ; v. à ce sujet X. Delpech, Forfait touristique et prestation de voyage liée : régime juridique, JT 2018, n° 212, p. 27  ; C. Lachièze, Les agents de voyages et autres intermédiaires du tourisme à l’ère numérique. À propos de l’ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017, JCP 2018. 100 ; J.-D. Pellier, Le nouveau droit contractuel du tourisme, RDC 2018/3, p. 414, spéc. nos 3 et 4 ; R. Raffi, Quel champ d’application pour la directive Travel ? JT 2016, n° 185, p. 44 ), ainsi qu’aux prestations relevant des séjours de mineurs à caractère éducatif organisés dans le cadre de l’article L. 227-4 du code de l’action sociale et des familles (comme le rappelle le rapport au président de la République, ces contrats sont vendus par des associations, notamment celles organisant sur le territoire national des accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif). L’article 1er, I, de l’ordonnance englobe également les contrats portant sur les services, mentionnés au 2°, au 3° et au 4° du I de l’article L. 211-2 du code du tourisme, vendus par des personnes physiques ou morales produisant elles-mêmes ces services (ce sont des prestataires et non de simples intermédiaires du tourisme. Sur cette notion, v. C. Lachièze, Droit du tourisme, 2e éd., LexisNexis, 2020, nos 402 s.). Il s’agit donc de l’hébergement qui ne fait pas partie intégrante du transport de passagers (ce qui exclut probablement les croisières, v. en ce sens J.-M. Jude, Impossible demande en mariage sur un navire de croisière, DMF nº 816, 1er sept. 2019, p. 711) et qui n’a pas un objectif résidentiel (on songe en particulier au secteur de l’hôtellerie), de la location de voitures particulières, ainsi que tout autre service touristique, cette dernière catégorie étant ouverte, qui peut englober, par exemple, des excursions ou encore des visites touristiques (v. en à ce sujet C. Lachièze, art. préc. ; J.-D. Pellier, art. préc., n° 3). Sont en revanche exclus les services visés par le 1° de l’article L. 211-2  I préc., c’est-à-dire le transport de passagers, ce qui s’explique par le fait que celui-ci soit réglementé par le droit international et la législation de l’Union européenne sur les droits des passagers (v. par ex. règl. n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 févr. 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol. V. à ce sujet C. Collin, Coronavirus : la Commission européenne protège les droits des passagers de l’Union européenne, Dalloz actualité, 27 mars 2020), comme le souligne le rapport au président de la République. Sont également exclues les prestations de voyage liées (définies par l’art. L. 211-2, III, C. tourisme ; v. à ce sujet C. Lachièze, art. préc. ; J.-D. Pellier, art. préc., n° 5), excepté, peut-être, si le professionnel n’a pas correctement informé le voyageur quant à ses droits en la matière (l’art. L. 211-3, II, C. tourisme, prévoyant alors que « les droits et obligations prévus aux articles L. 211-11, L. 211-14 et L. 211-16 à L. 211-17-1 s’appliquent en ce qui concerne les services de voyage compris dans la prestation de voyage liée »). Enfin, sont aussi évincés les services de voyage et forfaits touristiques vendus dans le cadre d’une convention générale conclue pour le voyage d’affaires (le code du tourisme les exclut en effet en ses articles L. 211-7, II, et L. 211-17-3, 2°). Malgré ces exclusions, le domaine matériel de l’ordonnance demeure très vaste. Mais c’est également le champ d’application temporel de l’ordonnance qui est considérable.

Un vaste champ d’application temporel

Il est prévu que le dispositif posé par le texte est applicable à la résolution des contrats précités « lorsqu’elle est notifiée entre le 1er mars 2020 et une date antérieure au 15 septembre 2020 inclus » (on observera cependant que la résolution envisagée par l’art. L. 211-13, C. tourisme, en tant qu’alternative à la modification d’un élément essentiel du contrat proposée par le professionnel à la suite d’un événement extérieur qui s’impose à lui est laissée sous le boisseau, v. à ce sujet J.-D. Pellier, La modification unilatérale du contrat en droit du tourisme, AJ contrat, à paraître, n° 8). Cette période étonne à un double titre : d’abord, parce que son point de départ, le 1er mars 2020, jure avec l’article 11, I, de la loi d’habilitation, qui permet au gouvernement de prendre toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, même s’il est vrai que le c) de ce texte vise les contrats prenant effet à compter du 1er mars (mais la loi de ratification pourrait aisément corriger ce point). Ensuite, parce que son expiration, le 15 septembre 2020, préjuge de la durée de la crise et des mesures restrictives de déplacements adoptées par la plupart des pays. Mais si cette crise s’achève avant l’été (ce que l’on peut espérer), est-ce à dire que les voyageurs pourront néanmoins résoudre leurs contrats jusqu’au 15 septembre et relever du dispositif prévu par l’ordonnance ? En d’autres termes, cette dernière pose-t-elle en creux une présomption en vertu de laquelle les circonstances exceptionnelles et inévitables pourront être invoquées par les voyageurs jusqu’au 15 septembre ? On peut en douter mais, là encore, la loi de ratification pourrait le préciser.

Quoi qu’il en soit, cela signifie que toute résolution de l’un des contrats entrant dans le champ d’application matériel de l’ordonnance intervenue durant cette période est soumise au régime institué par l’ordonnance, qui est original non seulement au regard du droit du tourisme mais également du droit commun des contrats.

Le régime institué par l’ordonnance

Rappel du droit commun

Afin de comprendre les innovations proposées par l’ordonnance, il convient de rappeler le droit commun applicable en cas de résolution des contrats visés par le texte. S’agissant des forfaits touristiques et des services de voyage, l’article L. 211-14 du code du tourisme prévoit, en son II, que « le voyageur a le droit de résoudre le contrat avant le début du voyage ou du séjour sans payer de frais de résolution si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du contrat ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. Dans ce cas, le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués mais pas à un dédommagement supplémentaire ». Le III du même texte prévoit une faculté analogue au profit du professionnel : « L’organisateur ou le détaillant peut résoudre le contrat et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués », étant précisé qu’il n’est pas tenu à une indemnisation supplémentaire, s’il « est empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résolution du contrat au voyageur dans les meilleurs délais avant le début du voyage ou du séjour ». L’article R. 211-10, alinéa 1er, du même code précise, en sa seconde phrase, que « ces remboursements au profit du voyageur sont effectués dans les meilleurs délais et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résolution du contrat ». En somme, en présence de circonstances exceptionnelles et inévitables (définies par le code du tourisme en son article L. 211-2, V, 2°, comme « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises »), qui ne sont autres qu’un avatar de la force majeure (v. en ce sens C. Lachièze, Droit du tourisme, op. cit., nos 291, 319 et 366 ; J.-D. Pellier, art. préc., spéc. n° 10), le contrat peut être résolu tant par le professionnel que par le voyageur, ce dernier ayant le droit d’obtenir le remboursement des sommes déjà versées en argent.

Il en va de même mutatis mutandis pour les contrats non régis par le code du tourisme, mais c’est alors le droit commun des contrats qui s’applique, c’est-à-dire des articles 1218 et 1229 du code civil. Le premier de ces textes dispose qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 » (v. à ce sujet J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 ). Le second prévoit, en ses alinéas 3 et 4, que « lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ». Quoi qu’il en soit, là encore, le voyageur a le droit d’obtenir le remboursement des frais engagés sans conditions. Mais l’ordonnance du 25 mars 2020 déroge à ces règles.

Régime dérogatoire institué par l’ordonnance

Le régime dérogatoire posé par le gouvernement est plus complexe que la mesure qui avait pu être annoncée il y a quelques jours, consistant à proposer aux voyageurs des avoirs en lieu et place de l’argent auquel ils pourraient prétendre consécutivement à la résolution du contrat (v. M. Visseyrias, Coronavirus : des avoirs pour éviter des faillites dans le tourisme, Le Figaro, 17 mars 2020). Il est certes prévu, par le II de l’article 1er de l’ordonnance, que le professionnel peut proposer (il s’agit donc non d’une obligation, mais d’une faculté qui évoque le mécanisme de l’obligation facultative au sens de l’article 1308 du code civil), à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir, ce qui est évidemment dérogatoire au droit contractuel du tourisme ainsi qu’au droit commun des contrats (le texte dispose d’ailleurs qu’il y a là une dérogation aux dispositions de la dernière phrase du II de l’article L. 211-14 du code du tourisme et de la première phrase du III du même article ainsi qu’aux dispositions du troisième alinéa de l’article 1229 du code civil). Mais cet avoir devra être utilisé « dans les conditions prévues par les dispositions des III à VI du présent article ».

Tout d’abord, le III prévoit que le montant de l’avoir est égal à celui de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu, ce qui est parfaitement logique. Le client se verra donc rétrocéder, sous forme d’avoir, l’ensemble des paiements qu’il a pu réaliser, qu’il s’agisse d’arrhes, d’acomptes ou de la totalité du prix. Plus précisément, si des arrhes ou acomptes (sur la différence, v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2019, n° 121) ont été versés, il est bien évident que le client n’aura pas à payer le solde du voyage une fois le contrat résolu. Le montant de l’avoir correspondra donc à celui des arrhes ou acomptes. Si, en revanche, le client avait déjà versé l’intégralité du prix du voyage, l’avoir correspondra à cette somme.

Il est ensuite prévu que, lorsque cet avoir est proposé, le client ne peut solliciter le remboursement de ces paiements (sous réserve des dispositions du VII, v. infra). Le professionnel proposant un tel avoir doit en informer le client sur un support durable (pour la définition du support durable, v. C. tourisme, art. L. 211-2, V, 2°) au plus tard trente jours après la résolution du contrat, ou, si le contrat a été résolu avant la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance, au plus tard trente jours après cette date d’entrée en vigueur (qui n’est pas expressément précisée, même si l’on peut supposer qu’il s’agit du 27 mars 2020, c’est-à-dire le lendemain de la publication de l’ordonnance). Cette information doit naturellement préciser le montant de l’avoir, ainsi que ses conditions de délai et de durée de validité prévues par la suite du texte. On observera cependant qu’aucune sanction n’est prévue en cas de manquement à cette obligation d’information, ce que l’on peut regretter. Le client retrouvera-t-il la faculté de demander immédiatement le remboursement en argent ? La question mérite d’être posée…

La fin de ce même III apporte une précision très importante concernant les contrats relevant du code du tourisme en prévoyant que « les dispositions de l’article L. 211-18 du code de tourisme sont applicables à l’avoir proposé à la suite de la résolution d’un contrat mentionné au 1° du I du présent article ainsi que, sous réserve qu’il s’agisse également d’un contrat mentionné à ce 1°, au contrat relatif à la prestation pour laquelle cet avoir est utilisé ». Cela signifie que la garantie financière pesant sur les professionnels du tourisme couvrira cet avoir et le contrat qui sera éventuellement conclu par la suite (v. infra), ce qui est heureux, et démontre, une fois de plus, la supériorité du code du tourisme en termes de protection du voyageur.

Si l’on s’arrêtait à ce stade, on pourrait croire que le voyageur est libre d’utiliser l’avoir comme bon lui semble. Mais le gouvernement a fait le choix de faire peser sur les professionnels une obligation, prévue par le IV du même texte, consistant à proposer à leur client une nouvelle prestation qui fait l’objet d’un contrat devant répondre à certaines exigences : la prestation doit être identique ou équivalente à celle prévue par le contrat résolu ; son prix ne doit pas être supérieur à celui de cette prestation, le voyageur n’étant tenu, le cas échéant, qu’au paiement correspondant au solde du prix de ce contrat ; enfin, ladite prestation ne donne lieu à aucune majoration tarifaire autre que celles que, le cas échéant, le contrat résolu prévoyait. En d’autres termes, les professionnels doivent proposer à leurs clients un voyage de substitution de qualité équivalente à celui qui a dû être annulé (c’est d’ailleurs ce que prévoyait mutatis mutandis l’ancien article R. 211-10 du code du tourisme, qui après avoir posé le droit au remboursement du voyageur en cas d’annulation du voyage par le professionnel, ajoutait que « les dispositions du présent article ne font en aucun cas obstacle à la conclusion d’un accord amiable ayant pour objet l’acceptation, par l’acheteur, d’un voyage ou séjour de substitution proposé par le vendeur ». Pour un exemple récent, v. Civ. 1re, 14 nov. 2019, nos 18-21.203 et 18-21.204, D. 2020. 257 , note J.-D. Pellier ; JT 2020, n° 227, p. 11, obs. X. Delpech ; CCC 2010. Comm. 14, obs. S. Bernheim-Desvaux ; JCP 20 janv. 2020. 54, note I. Bon-Garcin. Une partie de la doctrine y voit une transaction, v. en ce sens I. Bon-Garcin, note préc. ; Rép. com., v° Agence de voyages, par Y. Dagorne-Labbe, n° 49 ; C. Lachièze, Droit du tourisme, 1re éd., LexisNexis, 2014, n° 347. Mais il est possible de l’analyser en une dation en paiement, v. en ce sens J.-D. Pellier, note préc.).

Le V de l’article 1er de l’ordonnance ajoute que cette proposition doit être formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution et qu’elle est valable pendant une durée de dix-huit mois. Il convient toutefois d’observer que cette règle sera parfois difficile à appliquer en ce qui concerne les contrats autres que les forfaits touristiques, dans la mesure où la résolution de ces contrats ne nécessite aucune notification, l’article 1218, alinéa 2, du code civil prévoyant une résolution de plein droit en cas de force majeure (il est vrai, cependant, qu’une notification est difficilement contournable en pratique, rappr. O. Deshayes, T. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Commentaire article par article, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 539). En outre, le délai de trois mois est peut-être insuffisant au regard de l’ampleur de la crise sanitaire qui nous frappe.

Le VI du texte précise, quant à lui, que, lorsque les professionnels proposent au client qui le leur demande une prestation dont le prix est différent de celui de la prestation prévue par le contrat résolu (cela implique, si le prix est supérieur à celui originellement prévu, une initiative du client puisque le IV impose au professionnel de proposer une prestation dont le prix n’est pas supérieur à celui de la prestation initiale), le prix à acquitter au titre de cette nouvelle prestation tient compte de l’avoir (le rapport au président de la République indique que cela se traduit, en cas de prestation de qualité et de prix supérieurs, par le paiement d’une somme complémentaire et, en cas de prestation d’un montant inférieur au montant de l’avoir, par la conservation du solde de cet avoir, restant utilisable selon les modalités prévues par l’ordonnance, jusqu’au terme de la période de validité de l’avoir, celui-ci étant donc sécable). Mais c’est bien la moindre des choses…

Enfin, le VII vient clore le régime exceptionnel prévu par le gouvernement en envisageant, de façon tout à fait opportune, l’hypothèse dans laquelle le client n’a pas accepté la proposition du professionnel dans le délai de dix-huit mois (ce qui risque fort de ne pas être une hypothèse d’école compte tenu du contexte sanitaire). Il doit alors être procédé au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu, en ce compris, le cas échéant, le remboursement d’un montant égal au solde de l’avoir qui n’a pas été utilisé par le client.

Finalement, sous le poids des circonstances, l’ordonnance renoue avec une logique consumériste dont le droit du tourisme s’était quelque peu écarté (v. à ce sujet C. Lachièze, Droit du tourisme, op. cit., nos 32 s.). En effet, à l’instar de ce que prévoit le code de la consommation en matière de vente (C. consom., art. L. 217-9 et L. 217-10 ; v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., op. cit., n° 253), une priorité est donnée aux remèdes en nature (le voyage de substitution) et le remède en valeur (le remboursement en argent) n’est envisagé que dans un second temps. Par où l’on voit que le droit n’est qu’un éternel recommencement.

Le secteur des transports est fortement touché par les mesures de restriction prises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie et les passagers sont nombreux à devoir faire face à des annulations de vol. Par le biais de cet instrument, l’Union européenne devient la première zone du monde dans laquelle les droits des passagers sont protégés.

Un complément à la réglementation existante

Ces lignes directrices fournissent une grille d’interprétation de la législation existante en matière de droits des passagers :

le règlement (CE) n° 261/2004 (indemnisation et assistance en cas de retard de vol) ;le règlement (CE) n° 1371/2007 (droits et obligations des passagers) ;le règlement (UE) n° 1177/2010 relatif aux droits des passagers en mer ;le règlement (UE) n° 181/2011 relatif aux passagers de bus.

Elles ont également pour objectif d’adapter ces règles aux situations rencontrées par les usagers et par les transporteurs à la suite de l’épidémie du covid-19 et aux mesures de confinement et de fermeture des frontières adoptées par de nombreux États. Ces règles prévoyaient en effet dans bien des situations une obligation pour le transporteur de trouver un mode ou un trajet alternatif de transport, ce qui n’est souvent plus possible dans la situation actuelle. La Commission suggère dès lors de développer les cas de remboursement des billets, et détaille, pour chaque catégorie de transports, les règles applicables en la matière.

Les passagers ne pouvant voyager ou souhaitant annuler un voyage

Le droit de l’Union européenne ne prévoit pas de règle dans ces cas. La possibilité pour le passager qui souhaiterait annuler son voyage de sa propre initiative dépendra donc des conditions spécifiées sur son billet.

Les passagers aériens (règl. [CE] n° 261/2004)

Lorsqu’une compagnie aérienne décide d’une annulation d’un vol (peu importe la cause d’une telle annulation), le passager doit se voir offrir un choix entre : le remboursement, la réservation d’un même trajet le plus rapidement possible, la réservation d’un trajet à une date choisie par le passager (art. 5). Dans le cas d’un remboursement, la Commission précise que celui-ci est valable pour l’ensemble des billets aller et retour, si toutefois la réservation de ces derniers a été faite de manière conjointe. En outre, la Commission précise que, compte tenu de l’instabilité de la situation pandémique actuelle, le transporteur se voit imposer une obligation d’information sur les incertitudes relatives à la reprise du trafic aérien à l’égard du passager qui choisirait la seconde option. Par ailleurs, l’article 9 du règlement prévoit qu’un passager qui souffrirait d’une telle annulation loin de son domicile doit se voir offrir des repas, un hébergement et un moyen de transport pour y accéder. En revanche, la Commission considère que les passagers n’ont pas le droit à une indemnisation, dès lors que ces annulations sont liées à un événement imprévisible et extraordinaire, qui n’aurait pas pu être évité par les compagnies aériennes (art. 5.3).

Les passagers de trains (règl. [CE] n° 1371/2007)

Les mêmes règles s’appliquent grosso modo aux passagers de train. Ces derniers bénéficient en effet du même choix, en application de l’article 16 et des mêmes possibilités d’assistance en application de l’article 18 du règlement. En revanche, contrairement aux autres modes de transport, la Commission précise que l’article 17 du règlement maintient le droit à une indemnisation (d’un montant équivalent à 50 % du billet en cas de retard de plus de 120 minutes et en cas d’annulation).

Les passagers de bus (règl. [UE] n° 181/2011)

Dans ce cas encore, l’article 19 du règlement prévoit le remplacement ou le remboursement du voyage, ainsi qu’une obligation d’information particulière relative aux délais pesant sur le transporteur dans le cas où le passager choisirait la première option. L’article 21 du règlement prévoit par ailleurs que si un trajet est retardé de plus de 90 minutes, pour un trajet de plus de trois heures, le passager a alors le droit à un repas ainsi qu’à un hébergement si nécessaire. Selon l’article 19.2 du règlement, le passager a par ailleurs le droit d’être indemnisé dans le cas où le transporteur manquerait à son obligation de lui laisser un choix entre remplacement ou remboursement.

Les passagers de bateaux (règl. [UE] n° 1177/2010)

L’article 18 du règlement prévoit des obligations similaires aux transporteurs en mer. Il s’applique aux passagers dont le port d’embarquement se situe sur le territoire d’un État membre ou qui arrivent dans un port situé sur le territoire d’un État membre pour autant que le service soit exploité par un transporteur établi sur le territoire d’un État membre ou un transporteur proposant un service de transport au départ ou à destination d’un port situé dans un État membre si ce service est assuré selon un horaire publié.

VPN, masques, ou encore gel hydroalcoolique. Ce sont désormais des mots du quotidien pour les magistrats de France, plus d’une semaine après la fermeture partielle des juridictions. Conséquence du déclenchement des plans de continuation d’activité, la justice se concentre désormais sur les urgences. Sauf traitement des contentieux essentiels, les juridictions sont fermées. Et après plus d’une semaine de ce nouveau régime, c’est déjà l’heure d’un premier bilan pour les magistrats.

À leur domicile, les nouveaux télétravailleurs – une partie des magistrats avait déjà l’habitude de travailler de chez soi – font avec les moyens du bord. « J’ai commandé un scanner et une imprimante pour travailler de chez moi, explique ainsi une magistrate du parquet de Paris. Je passe cela par pertes et profits. » Entre deux pauses pour s’occuper de son enfant en bas âge, cette juriste tente de poursuivre son travail. Seule perspective positive : le virus ralentit les enquêtes en cours, et donc les tâches à mener. À Grenoble, la plupart des magistrats du parquet sont également en télétravail. Ils ne sont que quatre à cinq présents sur les quatorze. « J’ai expliqué que je n’avais aucun objectif de productivité pour rassurer ceux qui doivent travailler avec des enfants », précise Éric Vaillant, le procureur de Grenoble. À distance, les parquetiers peuvent continuer leur travail en répondant aux mails ou en préparant les règlements, une tâche dense qui peut être faite à distance avec le dossier numérisé.

Le VPN engorgé

Mais il y a un hic. L’afflux de magistrats sur le réseau a bloqué les tuyaux. « On s’est tous retrouvés en télétravail, et on a tous eu un problème avec le réseau privé virtuel (VPN) », l’outil indispensable pour se connecter de manière sécurisée, remarque une autre magistrate du parquet de Paris. Chacun a ses astuces. « Il faut arriver à se connecter : c’est plus facile entre midi et deux, ou le soir », précise à Marseille Audrey Jouaneton, premier vice-procureur. Résultat ? L’absence de connexion bloque l’accès aux mails, aux applications métiers et aux dossiers numérisés. « Cela montre que nous ne sommes pas du tout prêts pour le passage à l’ère numérique : c’est révélateur de l’état de notre justice », constate, dépité, Jacky Coulon, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats (USM).

« Nous avions déjà des problèmes récurrents en temps normal, la crise n’a rien arrangé, remarque également Marion Cackel, présidente de l’association française des magistrats instructeurs. À Bobigny, la base de données NPP a crashé. Et c’est très compliqué avec les moyens de visioconférence. À défaut de connexion, on pallie avec les moyens du bord. À Marseille, des collègues en place au tribunal judiciaire sont ainsi sollicités par d’autres magistrats pour signer des actes impossibles à effectuer de manière dématérialisée ».

Certes, après des premiers jours très laborieux, le réseau de l’État relève la tête. « Il y a une amélioration progressive mais on reste loin du compte », avertit Katia Dubreuil, la présidente du syndicat de la magistrature. « Nous serons vigilants, poursuit-elle. On ne pourra pas demander à des magistrats ou des fonctionnaires du greffe de venir travailler au tribunal pour éviter de prendre trop de retard à cause d’applications informatiques mal dimensionnées. » Si les magistrats sont en effet dotés d’ordinateurs portables, la situation n’est en effet pas la même du côté des autres fonctionnaires de la justice, ce qui limite les possibilités de télétravail.

Instructions quasiment à l’arrêt

Les instructions sont, elles, quasiment à l’arrêt. Les interrogatoires sont en effet repoussés, tandis que les demandes d’expertises et de commission rogatoire – « c’est un peu la panique dans les commissariats », nous dit-on – semblent vaines. Reste l’examen des très nombreuses demandes de mise en liberté. « Nous n’avons pas la capacité de faire face à cet afflux », s’inquiète la juge d’instruction Marion Cackel. Et de citer l’exemple de Bobigny, où il y aurait eu, lundi, 150 demandes non traitées encore en stock. Enfin, le courrier postal adressé aux juges d’instruction n’est plus forcément relevé, y compris le courrier des détenus qui transite par leurs cabinets.

Dans les tribunaux judiciaires, la présence des personnels est limitée au traitement des contentieux urgents. C’est bien sûr l’urgence pénale et les contentieux liés à la détention. Mais c’est aussi les hospitalisations d’office ou encore le contentieux des funérailles au civil… Bref, la liste des urgences est finalement bien fournie. Parfois trop. « Le droit des étrangers n’avait pas à être placé dans la liste des contentieux essentiels : les gestes barrières ne peuvent pas être respectés en centre de rétention administrative alors que les frontières sont fermées », remarque Jacky Coulon. Soit, pour les magistrats sur le pont, autant de dossiers à suivre dans des conditions précaires. Difficile parfois de respecter la distanciation ou les mesures d’hygiène préconisées pour limiter la propagation du covid-19.

Des masques P12 à Paris

Au tribunal judiciaire de Paris, de source syndicale, les magistrats de la permanence P12 du parquet ont obtenu dans un premier temps du gel hydroalcoolique, avant lundi, dernier, d’être dotés de masques de protection. Quant aux déferrements, ils se font désormais dans des salles plus grandes pour éviter la promiscuité. Cantine et cafétéria étant fermées, les personnels présents sont enfin priés d’amener leur gamelle. « La justice s’organise, mais il s’agit d’une crise inédite à laquelle personne ne s’attendait, comme l’a démontré dans un premier temps l’absence de masques, de gants, de désinfectant ou d’une quantité suffisante de gel hydroalcoolique à la disposition de tous les magistrats ou fonctionnaires », observe Ingrid Derveaux, vice-procureure, représentante de la section Paris du syndicat Unité Magistrats.

Un bilan matériel modeste qui pourtant fait des envieux. « Nous n’avons eu ni masques ni gants, seulement quelques flacons qui ont disparu aussitôt, regrette Audrey Jouaneton à Marseille. La procureure Laurens a dû acheter elle-même de l’alcool à la pharmacie pour désinfecter les téléphones, tournants, de la permanence pénale. » Au cours d’une réunion avec les organisations syndicales le 23 mars, le ministère de la Justice a annoncé l’arrivée de 116 000 masques, principalement pour l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que 100 000 masques chirurgicaux périmés, mais de seulement 500 litres de gel. « On comprend que la priorité soit donnée aux soignants, mais les magistrats devront aussi être protégés », avertit Jacky Coulon.

« Pas du tout de réflexion »

Mais, au-delà ces problèmes matériels, des magistrats pointent également la confusion qui règne. « Il n’y a pas du tout de réflexion de la Chancellerie avec la Santé sur la manière de faire travailler des équipes tout en évitant des contaminations ou comment éviter de faire travailler toujours les mêmes magistrats », regrette Katia Dubreuil.

Mardi soir, le secrétariat général déplorait 32 magistrats et fonctionnaires du greffe infectés et 321 cas symptomatiques non testés.

À la cour d’appel de Paris, sur l’île de la Cité, où la chambre de l’instruction est en première ligne, une dizaine de magistrats se sont, par exemple, portés volontaires pour relayer leurs confrères.

Avec une audience par jour mutualisée entre les sept chambres de l’instruction, les journées sont chargées, convient-on à la cour d’appel de Paris. Soit une vingtaine de dossiers relatifs à la détention environ à examiner. La salle a été spécialement aménagée pour respecter les mesures de distanciation et du gel hydroalcoolique est à disposition. « Le service est tendu, mais toutes les situations sont examinées au cas par cas, précise la procureure générale près la cour d’appel de Paris Catherine Champrenault. Et nous restons particulièrement vigilants concernant les demandes de remise en liberté des détenus les plus dangereux. » Quant aux procès d’assises prévus en mars et avril, ils ont été renvoyés à partir de mai. Des renvois qui ont cependant leurs limites. « Il y a des procès qu’on ne pourra pas repousser jusqu’à la fin de l’orage », s’inquiète un avocat général, les accusés devant être jugés dans l’année après leur mise en accusation. Une manière de dire que la justice tient, mais que les coutures craquent.

Avant que cette ordonnance ne soit présentée mercredi en conseil des ministres par la garde des Sceaux Nicole Belloubet, le débat sur le huis clos des audiences a agité les chefs de juridiction. En effet, la mise en place, dès le 16 mars, des plans de continuation d’activité des juridictions a entraîné leur quasi-fermeture, malgré le maintien des services d’urgences pénales et civiles.

Si la publicité des débats est un principe fondamental du fonctionnement de la justice, consacré notamment par l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, le ministère de la Justice avait enjoint les présidents d’audience à prononcer des huis clos afin d’éviter la propagation du covid-19. L’article 400 du code de procédure pénale prévoit que le tribunal peut prononcer le huis clos si la publicité est dangereuse pour l’ordre ou la sérénité des débats. Sauf que cette décision doit être rendue en audience publique. Paradoxal en effet en période de pandémie de faire entrer dans une salle d’audience un public, même dans le respect des gestes barrières et des règles de distanciation sociale, pour le faire sortir aussitôt rendue la décision de huis clos.

D’où une légère inquiétude des chefs de juridictions qui, via la conférence des Premiers présidents, s’en étaient émus, demandant au ministère si des mesures législatives allaient modifier les règles du huis clos.

Dès le 17 mars, jour où le chef de l’État a annoncé le confinement des Français, la publicité des audiences a été de facto réduite par l’absence du public, obligé de rester chez lui.

L’article 7 de l’ordonnance présentée mercredi en conseil des ministres règle la question. Il prévoit que « par dérogation aux règles de publicité définies par les articles 306 et 400 du code de procédure pénale, le président de la juridiction peut décider, avant l’ouverture de l’audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte, ou, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, à huis clos ».

Toutefois, l’article 7 instaure une petite fenêtre de publicité en permettant la présence de journalistes, « dans les conditions déterminées par le président ». Il permet également de rendre la décision dans les mêmes modalités, publicité restreinte ou huis clos. « Dans ce cas, le dispositif de la décision est affiché sans délai dans un lieu de la juridiction accessible au public ». Dans le meilleur des cas, sur les portes ou grilles de la juridiction devant lesquelles la maréchaussée pourra venir verbaliser les contrevenants au confinement venus lire les décisions.

Les dispositions de cet article s’appliquent aux audiences publiques devant la chambre de l’instruction. En matière de détention provisoire, le juge des libertés et de la détention peut décider que l’audience publique se tiendra en chambre du conseil « en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes ».

Comme pour les audiences correctionnelles, des journalistes peuvent assister à l’audience, dans les conditions déterminées par le juge des libertés et de la détention.

Un principe, des exceptions

L’article premier prévoit une période spéciale pour tous les délais arrivés à échéance entre le 12 mars et le mois qui suivra la fin de de l’état d’urgence sanitaire.

Pendant cette période, sont suspendus les délais pour tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement qui devaient échoir. Un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, le délai recommencera à courir et l’acte devra être fait. Toutefois, dans tous les cas, le report est limité à deux mois après la fin de la période spéciale.

Sont exclus les délais déjà aménagés par la loi d’urgence promulguée lundi, les délais en matière pénale ou de procédure pénale (l’ordonnance pénal prévoit que les délais de recours sont doublés et ne peuvent être inférieurs à 10 jours), les mesures privatives de liberté, les délais relevant du code électoral, les inscriptions à une voie d’accès de la fonction publique ou une formation de l’enseignement supérieur et les obligations financières relevant des compensations et cessions de créances. Par ailleurs, l’article 10 prévoit qu’il n’y aura pas de report pour les déclarations fiscales.

Par contre, la période spéciale s’applique aux mesures restrictives de liberté et aux autres mesures limitant un droit ou une liberté constitutionnellement garanti, sous réserve qu’elles n’entraînent pas une prorogation au-delà du 30 juin 2020.

L’article 3 liste les mesures judiciaires et administratives dont l’effet est prorogé de plein droit pour une durée de deux mois à compter de l’expiration de la période spéciale (état d’urgence sanitaire + 1 mois). Il s’agit notamment des mesures conservatoires, d’enquête, de conciliation, d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction, ainsi que des autorisations, des permis ou mesures d’aide.

Les astreintes, clauses pénales, résolutoires ou de déchéance qui auraient dû produire leurs effets pendant la période spéciale sont suspendues. Elles prendront effet un mois après la fin de cette période. Celles qui avaient commencé à courir avant le 12 mars voient leur cours suspendu. L’article 5 prévoit la prolongation de deux mois après la fin de la période spéciale les délais pour résilier une convention lorsqu’elle doit se faire dans une période prédéfinie.

Pour les administrations, les délais dans lesquels elles doivent rendre une décision ou un avis sont repoussés jusqu’à la fin d’une période spéciale. L’ordonnance ménage une possibilité d’exception pour certains actes administratifs, qui seront fixés par décret, pour des motifs d’intérêts fondamentaux de la Nation, de sécurité, de préservation de l’environnement ou de protection de la santé, de la salubrité publique ou de l’enfance. Par ailleurs, les délais applicables en matière de recouvrement et de contestation des créances publiques sont suspendus pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de trois mois.

Dalloz actualité diffuse les 26 ordonnances, après leur passage au Conseil d’État, avant la présentation en conseil des ministres.

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Le lien expertal. Les mutations sociales, économiques et culturelles de la société au cours des décennies passées ont conduit à une explosion du phénomène expertal dans l’ordre juridictionnel (sur ce phénomène, J. Normand, Remarques sur l’expertise judiciaire au lendemain du nouveau code de procédure civile, in Mélanges en l’honneur de Jean Vincent, 1981, Dalloz, p. 255 s. ; C. Champaud, Société contemporaine et métamorphose de l’expertise judiciaire, in Mélanges en l’honneur de Henry Blaise, 1995, Economica, p. 59 s. ; Le juge, l’arbitre, l’expert et le régulateur au regard de la jurisdictio, in Mélanges en l’honneur de Jacques Béguin, 2004, Litec, p. 71 s., spéc. p. 96 s.). À mesure que les litiges ont pris corps dans des situations factuelles complexes, où l’appréciation de la normalité a exigé la maîtrise de compétences techniques particulières, l’expert est venu jouer un rôle de plus en plus important dans la détermination du droit applicable (O. Leclerc, Le juge et l’expert. Contribution à l’étude des rapports entre le droit et la science, préf. A. Lyon-Cean, 2005, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, t. 443, spéc. nos 195 s., p. 159 s.). Certes, le juge demeure non tenu par les constations ou les conclusions de l’expert (C. pr. civ., art. 246, sous réserve des constatations de l’huissier de justice), mais il existe une « propension insidieuse à l’adoption pure et simple, fréquemment observée, des rapports d’experts, aboutissant de facto à consacrer de véritables délégations de la fonction judiciaire » (B. Appétit, Les rôles respectifs du juge et du technicien dans l’administration de la preuve en droit privé, in G. Cornu (dir.), Les rôles respectifs du juge et du technicien dans l’administration de la preuve, Xe colloque des IEJ, Poitiers, 1976, PUF, p. 53 s., spéc. p. 56). Après tout, la formule ne dit-elle pas que « le procès se gagne ou se perd… devant l’expert » ? (J. Moury, Les limites de la quête en matière de preuve : expertise et jurisdictio, RTD civ. 2009. 665 s. ).

Dans ce contexte, l’expertise est devenue une phase autonome dans la résolution d’un litige, au cours de laquelle s’opère une sorte de mise en état déléguée de l’affaire. On parle alors d’un véritable « lien expertal, dans le sens d’un lien procédural dédié aux opérations d’expertise qui n’est pas hors procédure, mais au contraire soumis à tous les principes procéduraux de la procédure et partie intégrante du lien d’instance » (E. Jeuland, L’expertise en matière civile. La notion d’expertise et autres mécanismes proches, in L. Cadiet et D. Loriferne, La pluralité de parties, Actes des 3e rencontres de procédure civile, 2013, IRJS, p. 103 s., spéc. p. 105). Parmi ces principes (pour une étude d’ensemble, v. C. Chapelle, L’expertise civile à l’épreuve des droits fondamentaux, Thèse, Nice, 2018), le contradictoire tient logiquement une place de choix.

Expertise officieuse et principe de la contradiction. L’intervention d’un expert au cours d’une procédure n’est pas nécessairement la conséquence d’une décision du juge. Elle peut aussi résulter de la seule initiative d’une partie. Dans ce cas, l’expertise est dite « officieuse », « privée » ou, plus faussement, « amiable » alors qu’elle est en réalité strictement unilatérale (sur la distinction entre expertise judiciaire et officieuse, V. Vigneau, Cas particuliers d’intervention des sachants, in T. Moussa (dir.), Droit de l’expertise 2016/2017, 3e éd., 2015, Dalloz, p. 80 s., spéc. n° 212.11, p. 81-82). En l’espèce, c’est précisément ce type d’expertise qui avait été utilisé par l’acquéreur d’un immeuble. Contestant la surface du bien qu’il venait d’acquérir, il a assigné sa venderesse en réduction du prix et en remboursement des frais accessoires. Pour établir l’erreur, l’acquéreur a fait dresser un certificat de mesure loi Carrez par un diagnostiqueur, puis par un géomètre expert. Ces documents ont constitué le fondement technique probatoire de son action. Mais si les résultats ont bien été versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties, les opérations d’expertise ont été réalisées sans la présence de la venderesse qui n’a pas été appelée pour y participer. Or, les juges du fond ont refusé de tenir compte de ces expertises officieuses dans l’exercice de leur office. Selon eux, un juge ne peut se fonder exclusivement sur une mesure d’instruction amiable réalisée non contradictoirement à la demande d’une seule des parties. L’arrêt est cassé par la Cour de cassation. Au visa de l’article 16 du code de procédure civile, la Haute juridiction rappelle un principe désormais connu : « le juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d’une partie, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire et corroboré par d’autres éléments de preuve ». Ainsi, en statuant comme ils l’ont fait, alors qu’ils avaient constaté que les deux rapports avaient été soumis à la libre discussion des parties, les juges du fond ont violé le texte susvisé.

Un rapport non établi contradictoirement, mais versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire. Dans l’accomplissement de sa mission, l’expert désigné unilatéralement par l’une des parties n’a pas à se conformer aux règles énoncées par le code de procédure civile. À ce titre, il est dispensé d’avoir à respecter le principe de la contradiction. La Cour de cassation est régulièrement amenée à rappeler cette singularité de l’expertise officieuse (Civ. 1re, 24 sept. 2002, n° 01-10.739, Bull. civ. I, n° 220 ; D. 2002. 2777 ; Procédures 2002. Comm. 200, obs. R. Perrot ; Civ. 3e, 23 mars 2005, n° 04-11.455, Bull. civ. III, n° 73 ; AJDI 2005. 402 ; Procédures 2005. Comm. 177. obs. R. Perrot ; Civ. 1re, 17 mars 2011, n° 10-14.232, inédit, Procédures 2011. Comm. 162. obs. R. Perrot). Tout rapport d’expertise officieux peut valoir à titre de preuve dès lors qu’il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire. L’arrêt commenté ne dit pas autre chose.

Toutefois, la nécessité d’une réaffirmation régulière par la Haute juridiction démontre la résistance de certaines juridictions du fond. Elles n’acceptent pas qu’une expertise, au prétexte qu’elle est unilatérale, déroge à un principe aussi fondamental que celui de la contradiction des opérations. La critique se lisait déjà chez Roger Perrot : « on ne parvient pas à comprendre en quoi le fait qu’une expertise ait un caractère amiable dispense l’expert désigné de convoquer l’une des parties à ses opérations » (obs. sous Civ. 1re, 17 mars 2011, préc.). En effet, même si elle offre des données essentiellement techniques, l’expertise unilatérale n’en est pas moins un élément essentiel d’appréciation du litige. Comme l’expertise judiciaire, elle participe de l’administration judiciaire de la preuve. Mais si cet effet curatif de la discussion contradictoire permet de faire de l’expertise unilatérale une preuve acceptable, elle ne suffit pas à en faire une preuve suffisante.

Un rapport non établi contradictoirement, mais corroboré par d’autres éléments de preuve. La solution était déjà connue. Si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, « il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » (Cass., ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710, Bull. ch. mixte, n° 2 ; D. 2012. 2317, et les obs. ; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RTD civ. 2012. 769, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 8 déc. 2012, n° J1828, p. 25, note L. Raschel ; JCP 2012. 1200. note S. Amrani-Mekki). Rétablir le contradictoire devant le juge n’est pas suffisant pour compenser son absence devant l’expert. En conséquence, l’expertise officieuse n’est qu’une preuve imparfaite qui doit être corroborée par un autre élément.

L’opportunité de cette décision est encore discutée. Pour les uns, elle n’a pas lieu d’être, sauf à rétablir un système de preuve légale théoriquement discutable et pratiquement difficile à contrôler (V. Vigneau, Cas particuliers d’intervention des sachants, art. préc., spéc. n° 212.13, p. 84-85). Pour d’autres, elle est à la fois excessive et insuffisante (X. Vuitton, Longue vie à l’expertise officieuse ! État des lieux et perspectives, Dr. et proc. 2013. 50 s., spéc. p. 53-54). Surtout, elle ne dit rien de la nature de l’élément de preuve pouvant venir corroborer. Doit-il nécessairement émaner d’une expertise judiciaire ou une seconde expertise officieuse peut-elle suffire ? À cette question, la troisième chambre civile de la Cour de cassation donne ici une réponse implicite : deux expertises officieuses peuvent se corroborer l’une et l’autre (comp., pour une expertise judiciaire non contradictoire corroborée par une expertise officieuse, v. Civ. 3e, 15 nov. 2018, n° 16-26.172, publié au Bulletin, D. 2018. 2229 ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJDI 2019. 445 , obs. J.-P. Blatter ; Gaz. Pal. 29 janv. 2019, n° 340x9, p. 65, obs. N. Hoffschir). 

Cette solution laisse un sentiment partagé. Même concordantes, des expertises officieuses ne devraient pas valoir une expertise judiciaire établie contradictoirement. En effet, elles restent réalisées par des experts placés sous la dépendance économique de la partie qui les a désignés. Pour la partie perdante, le fait que le juge se soit appuyé, non sur une, mais sur deux expertises établies non contradictoirement ne suffira pas à dissiper son sentiment d’injustice. Finalement, avec Roger Perrot, il y a lieu de regretter le temps où, « à l’aube de ce que l’on appelait encore le nouveau code de procédure civile, il avait été posé en principe que l’expert tire ses pouvoirs, non plus comme autrefois du choix des parties, mais uniquement de sa désignation par le juge » (obs. sous Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18710, préc.).

Le 18 mars 2020, la Commission a adopté des lignes directrices interprétatives, afin de clarifier les garanties offertes aux passagers par le droit de l’Union européenne dans le contexte de l’épidémie de covid-19 (Communication n° C(2020) 1830 final). 

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Auteur d'origine: ccollin

Entre télétravail difficile, craintes sur la poursuite du travail en juridiction, et volonté d’assurer le service public de la justice, les magistrats tentent de faire front en pleine crise du coronavirus.

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Auteur d'origine: babonneau

L’ordonnance portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 prévoit de déroger à la publicité restreinte des débats.

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Auteur d'origine: babonneau

L’ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire , adoptée hier en conseil des ministres, prévoit une période spéciale qui ira du 12 mars à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

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Auteur d'origine: babonneau

Dalloz actualité diffuse les 26 ordonnances, après leur passage au Conseil d’État, avant la présentation en conseil des ministres.

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Auteur d'origine: babonneau

Un juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d’une partie, dès lors qu’il est régulièrement versé aux débats, soumis à la discussion contradictoire et corroboré par d’autres éléments de preuve. 

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Auteur d'origine: gsansone

Samedi, l’Assemblée a étudié le projet de loi d’urgence sur le Coronavirus. Si l’étude en commission la veille fut poussive, la séance fut productive dès lors que les députés ont accepté de jouer le jeu du travail parlementaire en se concentrant sur le texte et ses failles. Dimanche, Assemblée et Sénat se sont entendus sur un texte. Récit.

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Auteur d'origine: babonneau

Pendant le confinement, certaines audiences « essentielles » continuent à se tenir. C’est le cas, notamment, des comparutions immédiates au tribunal judiciaire de Paris.

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Auteur d'origine: babonneau

Vendredi, l’Assemblée nationale a été dans l’incapacité d’adopter le projet de loi d’urgence sur le coronavirus. Seule l’étude en commission a pu avoir lieu, le débat en séance ayant lieu ce samedi. Faute d’un vote conforme, l’adoption définitive du texte ne devrait pas avoir lieu avant dimanche. Si les députés finissent par accepter que leur rôle ne se limite pas à prendre la parole. Récit.

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Auteur d'origine: babonneau

En introduction de la journée, Édouard Philippe donne un long discours sur la situation et les enjeux du texte. « Je vous remercie très sincèrement de la rapidité avec laquelle vous avez fait prévaloir une forme d’union sacrée. »

Jean-Luc Mélenchon : « Nos personnes sont sacrées ! » 

Rires de l’hémicycle. Philippe : « Dans cette heure grave, faire sourire ses collègues n’est jamais inutile. » Ce sera une des seules pointes d’humour de la journée, empreinte de gravité.

« Pour BFM TV, ce sera génial ! »

L’après-midi, les députés démarrent leur travail : étudier le texte sur l’état d’urgence sanitaire. Les députés d’opposition soulèvent plusieurs failles, sur la publicité des avis scientifiques ou le contrôle parlementaire. À plusieurs reprises, leurs interpellations aboutissent : le gouvernement voit la difficulté, la séance est suspendue et, vingt minutes, plus tard la séance reprend avec un amendement de compromis, rédigé au banc.

En fin d’après-midi, la ministre de la justice, Nicole Belloubet, porte un amendement de dernière minute sur les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations. Le texte initial prévoyait une contravention de quatrième classe (135 €) en cas de non-respect des obligations. Depuis, les personnes refusant le confinement sont devenues un sujet médiatique, et donc politique. « Pour assurer la réalité de ce confinement et pour dissuader les personnes qui ne le respecteraient pas, nous proposons de transformer cette amende en un délit, puni d’une peine de prison, pour qu’il y ait un véritable effet dissuasif et, par là même, un effet préventif. »

L’idée de traîner en comparution immédiate une personne qui serait sortie deux fois hors de chez elle, en ces temps d’émeutes carcérales, gêne considérablement les députés. Ni le principe de légalité des délits ni celui de proportionnalité des peines ne sont respectés. La rapporteure du texte se contente d’un mot, « favorable », et les députés En Marche et Modem se taisent. En langage parlementaire, pour exprimer son désaccord envers le gouvernement, un député de la majorité se tait.

En chœur, l’opposition souligne les failles de ce projet. Du PCF à LR, tous trouvent l’idée excessive. Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI-Agir : « Là, on a un effet d’affichage : pour BFM TV, ce sera génial ! Je suis pour la répression, à condition qu’elle soit effective, car là on est surtout dans la com. »

« Une fois n’est pas coutume », Danièle Obono (FI) va dans le sens de ses collègues : « On réagit, on surréagit, en pensant qu’il suffira d’une annonce au 20 heures pour régler les choses. D’un point de vue pédagogique, c’est disproportionné et contre-productif. Et nos prisons ne sont pas seulement pleines : elles sont surpeuplées. » La rapporteure Marie Guévenoux prend enfin la parole : « Je vais dans le même sens que l’ensemble des orateurs pour proposer une suspension. Je pense qu’il faut qu’on réussisse à trouver ensemble une solution. »

La séance est suspendue, afin de trouver une rédaction de compromis. Celle-ci est trouvée une heure après. La récidive sera punie d’une contravention de cinquième classe (1 500 €). Ce n’est qu’au quatrième constat que l’infraction sera passible d’une peine de prison. L’amendement pose encore problème (légalité du délit, contrôle de la récidive) mais il est plus acceptable. Et le gouvernement a son signal fort.

« Une loi exceptionnelle, avec des pouvoirs exceptionnels, dans des conditions exceptionnelles »

À 3h20 du matin, les députés commencent l’étude du projet de loi organique qui n’est composé que d’un article : celui-ci suspend les délais d’examen de toutes les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Comme de nombreuses autres institutions, le Conseil constitutionnel est bloqué : pour la première fois, la semaine dernière, il n’a pas pu répondre à une QPC.

Jean-Christophe Lagarde soulève une faille : « Nous venons de voter une loi exceptionnelle, avec des pouvoirs exceptionnels, dans des conditions exceptionnelles, attentant à un certain nombre de choses proprement exceptionnelles. Je ne demande qu’une chose : que ce que nous venons de voter ne soit pas exonéré d’un contrôle de constitutionnalité, parce qu’on aurait prolongé les délais des QPC. »

Christophe Castaner : « Si on prévoyait la possibilité pour l’ensemble de ce qui vient d’être voté de faire l’objet de recours et de QPC, ce serait organiser notre propre incapacité de mettre en œuvre dans l’urgence les mesures dont nous parlons. »

L’amendement est rejeté. Mais parce que c’est un texte organique, le Conseil constitutionnel étudiera obligatoirement cet article, qui suspend son action. Il pourrait aussi soulever un autre problème : l’article 46 de la Constitution prévoit que, même en urgence, un projet de loi organique ne peut être étudié par le Parlement moins de quinze jours après son dépôt. Supportera-t-il aussi bien l’urgence que le Parlement ?

Les mesures adoptées définitivement par la CMP

Dimanche, députés et sénateurs se sont réunis pour trouver un compromis. Après une longue réunion, ils se sont entendus sur un texte, qui a été adopté définitivement dès dimanche soir. Parmi les évolutions :

• sur l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a imposé une liste plus limitative que ce que souhaitait le gouvernement. Les mesures devront être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus. Elles pourront être contestées en référé. Le contrôle parlementaire sera limité à l’état d’urgence (et non à toute la loi) ;

• sur les ordonnances, le gouvernement a fait le choix de renvoyer celles sur les congés au dialogue social. L’employeur aura plus de latitude sur les jours de RTT ;

• pendant la période d’état d’urgence sanitaire, l’application de la carence en cas d’arrêt de travail est suspendue, pour l’ensemble des régimes ;

• la carence de trois mois des expatriés revenant en France pour l’affiliation à l’assurance maladie et maternité est suspendue ;

• pour les communes où il faut un second tour des élections municipales, un rapport rendu le 23 mai établira si le scrutin peut avoir lieu le 21 juin. Dans ce cas, les listes devront être déposées le 2 juin. Les exécutifs municipaux et communautaires qui exerceraient avant les élections resteront en fonction jusqu’à ce que la situation sanitaire permette de réunir les nouveaux conseils.

 

Sur ce projet de loi, lire également :

• Le Sénat en état d’urgence sanitaire, par Pierre Januel le 20 mars 2020

• Les députés s’embourbent malgré l’urgence, par Pierre Januel le 21 mars 2020

On a dû croiser six personnes en tout et pour tout, dans l’atrium de ce palais dont la démesure et les circuits donnent, encore un peu plus qu’à l’accoutumée, l’impression de se balader dans un film de Jacques Tati. Pas un péquin à la buvette. On a attendu dans la pénombre deux audiences civiles qui, comme Godot, ne sont jamais venues. Passé une tête à la 16e chambre correctionnelle, au sixième étage. Interrompu des vigiles qui tuaient le temps en conversant à deux mètres les uns des autres. Remarqué quelques audiences de juge des libertés et de la détention par visioconférence. Puis on s’est rabattu sur les deux sections de la 23e chambre, délocalisées au quatrième.

Actuellement, on y liquide essentiellement le stock de renvois droits de la défense de la grève dure des avocats. C’est-à-dire que, provisoirement détenus depuis des semaines, certains prévenus reviennent simplement à la case départ… sans avoir croisé l’ombre d’un avocat dans l’intervalle. On y badine aussi, un peu plus cruellement que d’habitude, du genre « son cerveau n’est plus très bien oxygéné depuis qu’elle a un masque ».

Sur les bancs quasi déserts, une femme enlève ponctuellement le sien pour fondre en larmes. Renifle quelques instants, puis le remet pour cracher ses poumons dedans. Le président n’a pas encore tiqué, mais elle est prise de quintes de toux carabinées depuis plusieurs minutes maintenant, sous le regard paniqué d’une interprète qui se décale peu à peu. Il se tourne finalement vers elle : « Madame, vous êtes souffrante, non ? Vous êtes là pour quel dossier ? Je vous demande de sortir immédiatement, on vous appellera ! » Elle se fait traîner dehors en maugréant : « Rhô ça va la paranoïa, je suis juste une grosse fumeuse depuis que j’ai 12 ans, c’est tout ! » Elle soliloque plusieurs minutes de l’autre côté de la porte.

« Allô allô, il y a quelqu’un ? »

Sans masque ni gants, l’escorte fait entrer un prévenu dans le box. Lequel ne se sait visiblement plus trop quelle identité il est censé décliner cette fois-ci. Il comparaît pour un vol de téléphone, en réunion et en récidive légale. Le président n’entend pas bien l’interprète, à cause de son masque de chantier, sans doute de peintre. Il lui demande de parler dans le micro du box. Elle se liquéfie, mais le saisit tout de même du bout des doigts, pour le tordre en faisant exploser les enceintes.

Le cas est on ne peut plus classique et aboutit à six mois ferme, mais sans maintien en détention, pour cause de « co-ro-no-ra-vi-rus », dira péniblement le président. « Donc il sort ce soir », lance gaiement la greffière. « Ouh là, non, parce qu’il a d’autres dossiers ! », rectifie le président, faisant mine de trouver tout cela logique. Trois autres prévenus, entassés dans un même coin du box à bien moins d’un mètre de distance, sortent en revanche de détention, pour la même raison. Ils n’en reviennent pas.

Le dossier suivant doit être pris en visioconférence depuis Fresnes. Cette fois, il y a un avocat dans la salle. Mais ça ne fonctionne pas. La pauvre greffière se prend encore une balle perdue : « Ben ouais, il faut juste faire le numéro, quoi. » Un mur blanc apparaît sur les écrans. Le président croit déceler une silhouette humaine dans ce qui n’est vraisemblablement que l’ombre portée d’un micro. Il s’égosille dans le vide : « Allô allô, il y a quelqu’un ? » La grosse fumeuse entre dans la salle, on laisse donc la visio de côté pour faire monter son concubin du dépôt.

« Excuse-moi, votre honneur »

Il est détenu pour violences sans ITT sur sa conjointe (et accessoirement pour rébellion), « avec cette circonstance que les faits ont été commis seul et sans arme », enchaîne le président, interloqué : « eh bien, voici de bien belles circonstances ! » « Mais il a pas essayé de me violer », lance la femme, au moins cinq fois de suite. « Ça tombe bien, il n’est pas poursuivi pour ça », rétorque le magistrat, qui poursuit : « C’est une querelle d’ivrognes, en quelque sorte, mais ce qui est gênant, c’est que ça fait du bruit. Si encore vous faisiez ça silencieusement… »

Elle répond sans cesse à la place de son concubin, mais s’efforce maladroitement d’y mettre les formes : « excuse-moi, votre honneur ». On finit curieusement par disserter sur sa consommation d’alcool à elle : « je vais arrêter de boire, d’ailleurs je fais du yoga ». Elle veut bien reprendre son compagnon mais la procureure ne l’entend pas de cette oreille : elle requiert une interdiction de paraître au domicile et une interdiction de contact. Ils pleurent tous les deux, mais le tribunal ne les prononcera finalement pas.

On retente Fresnes, ce qui prend plusieurs minutes. Comme la nature, l’avocat a parfois horreur du vide. Alors il meuble. Laborieusement. L’écran s’illumine enfin, sauf que le cadrage fait qu’on ne devine qu’une touffe de cheveux dépassant à peine d’une fenêtre du logiciel : « pour une fois que ça marche, je ne touche à rien », décrète la greffière, avant de changer d’avis. L’avocat se lance : « J’ai déposé cette demande de mise en liberté de ma propre initiative, parce que je suis très inquiet. » Il cite du Macron dans le texte (« nous sommes en guerre, contre un ennemi invisible ») et en fait un peu des caisses sur son propre courage d’être venu jusqu’au palais au péril de sa vie.

Son client doit être extrait la semaine prochaine pour être jugé ici même, sauf qu’il est plus ou moins asthmatique et devrait donc, selon lui, comparaître libre : « Je vois ces gens qui se succèdent dans le box, qui touchent la même barre et parlent dans le même micro. Un porteur sain de Fresnes pourrait contaminer la Santé ou Fleury depuis ce box, ou l’inverse. C’est une question d’heures. » C’est du bon sens, bien sûr, mais on pressent que l’argument va sans doute être un peu court. « Maître, vous me semblez être d’une sensibilité à cette épidémie… », se moque le président, avant de se tourner vers une avocate qui passait en touriste : « Votre consœur sourit sous son masque, j’en suis sûr. » Dans la salle, la grosse fumeuse éclate de rire, et en remet une couche : « Eh ben, c’est pas la seule ! » Demande rejetée, l’avocat sort furieux.

« Laissez Dieu en dehors de ce tribunal »

Entre un dernier détenu, originellement (et originalement) interpellé pour des tentatives de vol en réunion dans les habitacles de plusieurs voitures en stationnement. « Où est passée votre avocate ? », interroge le président, à la cantonade. Il n’en a pas : « Elle, c’était juste une copine de l’autre », rétorque un assesseur. Le président s’amuse à caser des « chouf » et des « walou » dans son récit. C’est un peu pour détendre l’interprète qui, l’air de rien, change régulièrement de micro pour s’éloigner progressivement du box, et se décompose toujours à vue d’œil. Le prévenu justifie ses allées et venues par la visite d’un appartement à louer, alternativement situé à Clignancourt, Château-Rouge ou Saint-Denis. Géographe amateur mais éclairé, le président reconstitue les trajets presque rue par rue : « C’est vraiment pas le chemin le plus court… »

« Je ne sais pas si je reconnais les faits, mais en tout cas, ce que je veux dire, c’est excusez-moi », traduit l’interprète. Le président insiste un peu, et le prévenu finit par concéder : « Je vous donne ma parole d’homme que je ne ferai plus jamais ça, par Dieu. » « Laissez Dieu en dehors de ce tribunal », ricane l’un des assesseurs : « Veuillez noter que monsieur a juré la main sur le cœur », ironise l’autre à destination de la greffière. Le président suspend l’audience mais ne reste pas derrière pour délibérer avec les deux autres. Il revient dans la salle, pour se débarrasser de la paperasse : « c’est que j’aimerais bien aller faire des courses pas trop tard », tente-t-il de se justifier auprès de la proc qui, concentrée sur son smartphone, ne l’entend pas et n’avait de toute manière rien remarqué. Ce sera six mois ferme, sans maintien en détention « en raison du co-ro-no-ra-vi-rus ».

On fait du bruit en essayant bêtement d’ouvrir les portes avec les coudes, ce qui sort le vigile de sa méditation on ne peut plus solitaire. Il nous regarde avec des yeux écarquillés : « C’est pas vrai, c’est vraiment terminé terminé ? » Même si les autres salles ont baissé le rideau depuis longtemps, ce n’est effectivement pas tous les jours que la 23e lève le camp à même pas dix-sept heures trente. Mais l’honneur est sauf, puisque le palais est aussi vide.

« Quand la circonstance le demande, les divergences se réduisent vite. »

Pour ce débat, l’Assemblée a tenté de concilier pluralisme et fait majoritaire : chaque groupe, quelle que soit sa taille, est représenté par trois membres, mais les chefs de file portent donc les pouvoirs du groupe. En Marche ! gardera donc la majorité. L’objectif est d’étudier le texte en commission dans la journée et de faire le débat en hémicycle pendant la nuit.

En introduction, la rapporteure LREM Marie Guévenoux veut rassurer : « Avec le Sénat, nous nous entendons sur l’essentiel. Quand la circonstance le demande, les divergences se réduisent vite. » Et d’expliquer qu’en amont, de nombreux échanges ont eu lieu avec Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, et Philippe Bas, son homologue du Sénat. Pour accélérer les choses, « certains amendements votés par le Sénat ont été introduits sur les souhaits de l’Assemblée. Mais nous avons quelques dissonances qui persistent sur le texte ».

Hier, le Sénat a en effet adopté le texte avec deux gros cailloux pour le gouvernement. Il a précisé les mesures permises par l’état d’urgence sanitaire et souhaité accélérer le dépôt des listes pour les élections municipales. La rapporteure Marie Guévenoux n’a posé que des amendements sur le second point. Qui enflamme les députés.

Dans les communes où il y aura un second tour, celui-ci serait repoussé en juin, si les conditions sanitaires le permettent. Dans le cas contraire, le premier tour serait annulé. Le point qui occupe tout le monde est : « Jusqu’à quand doit-on déposer les listes ? » Députés LR, PS, PCF tiennent absolument à ce qu’il ait lieu fin mars, comme le souhaite le Sénat, pour figer les choses. En face, LREM, FI et RN s’y opposent : dans la période, il est illusoire que des négociations d’entre deux-tours aient lieu, d’autant qu’on ne sait pas si ce second tour se tiendra.

La députée écologiste Delphine Batho s’exaspère : « C’est surréaliste. Nos débats tournent autour d’une chose : la date du dépôt, ou pas, du second tour des municipales. On se pince. On n’a pas de masques. On n’a pas de gel hydroalcoolique dans les hôpitaux, mais vraiment, ce qui mobilise les politiques, c’est la date de dépôt des listes. » La présidente Braun-Pivet tente d’accélérer : « Vous ne pouvez pas prendre et reprendre la parole en parlant quatre minutes à chaque fois, tout en disant qu’il faut moins de ce sujet. Je ne veux priver personne de prise de parole, mais j’en appelle à la responsabilité de chacun. »

« C’est un vrai sujet »

Dans la Ve République, le président préside, le gouvernement gouverne et le Parlement parle. Hier, l’Assemblée a sombré dans cette caricature. À 17h30, les députés n’ont toujours pas commencé avec le cœur du texte : l’état d’urgence sanitaire et les ordonnances. Avec jusqu’à dix-sept prises de parole pour un amendement.

Le problème est profond. Depuis 2017, l’Assemblée n’arrive plus à légiférer vite. Et ce quelle que soit la commission. Une partie de l’opposition ne joue pas le jeu parlementaire et souhaite imposer ses sujets plutôt qu’amender les textes. Le tout dans un climat de forte défiance vis-à-vis de la majorité et du gouvernement, toujours soupçonnés de mentir ou de vouloir attaquer à la démocratie. Même si l’opposition n’a jamais eu autant de temps.

Dans le passé, le Parlement a montré sa capacité à adopter en trente-six heures des textes majeurs, dictés par la crise. Hier, cent vingt amendements ont été déposés, chaque député venant avec un « vrai sujet » (cette crise n’en manque pas) mais des débats parfois vains. La commission a ainsi débattu de détails sur les ordonnances, alors même que le gouvernement ne sera présent qu’en séance.

Le député communiste Stéphane Peu se plaint : « la difficulté dans nos débats est de faire accepter à la majorité des amendements qui ne proviennent pas d’elle. Tout le monde joue le jeu de l’union nationale et vous refusez systématiquement tous nos amendements. » Au final, quatorze amendements auront été adoptés. Sept de la majorité, sept de l’opposition, souvent sans portée. Le débat en séance est repoussé à samedi.

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Sur appel d’un syndicat des copropriétaires, la cour d’appel de Grenoble, par arrêt du 14 juin 2016, infirma un jugement, qui avait notamment prononcé la nullité d’une assemblée générale de la copropriété, en condamnant la société financière intimée à verser à l’appelant diverses sommes. L’arrêt étant rendu par défaut, la société financière forma opposition, laquelle fut jugée recevable par la cour d’appel qui prononça cette fois la nullité de l’assemblée générale de la copropriété et écarta les demandes indemnitaires du syndicat. Reprochant à la cour d’avoir écarté l’application de l’article 908 du code de procédure civile, le syndicat des copropriétaires inscrit un pourvoi. La seconde branche du moyen soutenait précisément que « sur opposition, l’affaire est instruite et jugée selon les règles applicables devant la juridiction qui a rendu la décision frappée d’opposition et c’est l’instance même qui a abouti à la décision frappée d’opposition qui recommence et se poursuit ; qu’il en résulte que, lorsqu’une partie forme une opposition à un arrêt d’une cour d’appel rendu dans une matière avec représentation obligatoire, les dispositions de l’article 908 du code de procédure civile sont applicables ». La réponse de la deuxième chambre civile, qui rejette le pourvoi, est tout aussi limpide : « L’opposition formée contre l’arrêt d’une cour d’appel rendu suivant une procédure avec représentation obligatoire, qui reprend l’instance ayant abouti à cet arrêt, n’introduit pas un appel, de sorte que l’article 908 du code de procédure civile n’est pas applicable à l’opposant, qui n’a pas la qualité d’appelant ».

Bien que le pourvoi ne portât pas sur cette question, un débat intéressant, et finalement induit par la procédure applicable en procédure avec représentation obligatoire devant la cour, avait été initié devant la cour de Grenoble sur le point de savoir si l’opposition avait été valablement formée par voie électronique.

Devant l’absence d’onglet RPVA « opposition », la déclaration d’opposition avait été prise en compte une première fois sous la rubrique « appel », puis une seconde sous celle « déclaration de saisine ». Faute d’onglet spécifique pour un acte qui doit être transmis par voie électronique, la cour jugea le recours recevable en constatant que l’opposition avait bien été formalisée dans le délai d’un mois, avec un document d’opposition joint, par voie électronique, l’avocat prenant la peine de mentionner spécifiquement lors de son second envoi « opposition à arrêt ». Devant les carences du RPVA, il était difficile de faire plus, et la décision est heureuse sur ce point puisqu’il ne faisait aucun doute que c’était bien une opposition qui était conduite et sous la forme électronique exigée. Car si, on le sait maintenant, les délais impératifs des articles 908 et suivants ne s’appliquent pas sur opposition à arrêt, l’article 930-1 du code de procédure civile si !

L’interrogation était légitime tant on finit par se perdre dans le régime applicable à la notification de certains actes de procédure spécifiques (requête en rectification d’erreur matérielle, recours en matière de contestation d’honoraires, notification de mémoire devant la chambre des expropriations…) face à des arrêtés techniques qui ne voient pas le jour et à un article 930-1, placé après la Sous-section 4 « dispositions communes » qui précise qu’ « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ». Ainsi, sans égard à un quelconque arrêté technique - à l’instar de la déclaration de saisine sur renvoi de cassation non prévue par un arrêté technique - l’article 930-1 s’impose pour tous les actes de procédure, remis à la juridiction, en matière de représentation obligatoire.

Mais la problématique posée aux parties n’est pas virtuelle : si la voie électronique est imposée à peine d’irrecevabilité devant la cour, les parties sont-elles contraintes de conclure dans les délais des articles 908 et suivants du code de procédure civile ?

Ce peut être le cas, mais pas nécessairement ! Ainsi, en cas de recours en annulation d’une sentence arbitrale, non seulement l’article 930-1 est applicable (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry), mais les parties doivent conclure, à peine de caducité et d’irrecevabilité, conformément aux articles 908 et suivants. Pour le savoir, il faut aller chercher l’article 1495 du code de procédure civile, relatif au recours en annulation, qui opère par renvoi aux articles 900 à 930-1. Les délais pour conclure sont donc concernés. Pour l’opposition, l’article 573 dispose qu’elle « est faite dans les formes prévues pour la demande en justice devant la juridiction qui a rendu la décision », l’article 576 ajoutant que « L’affaire est instruite et jugée selon les règles applicables devant la juridiction qui a rendu la décision frappée d’opposition ». Le RPVA s’imposait donc mais quid alors des délais pour conclure ? La cour de Grenoble avait répondu au moyen adverse que l’article 908 est exclusivement réservé à la procédure d’appel et ne concerne pas celle d’opposition à arrêt, suivie en cela par la Cour de cassation. Un doute pouvait être instillé, et c’était l’objet du pourvoi, puisque l’opposition est « instruite et jugée selon les règles applicables devant la juridiction qui a rendu la décision frappée d’opposition ». Ne pourrait-on pas alors appliquer les articles 908 et suivants ? La réponse est claire : non, et la position de la deuxième chambre civile n’est pas illogique dès lors que face à un arrêt rendu par défaut, il ne s’agit pas, pour le défaillant, d’interjeter appel mais bien d’en obtenir la rétractation. L’appel avait déjà été formé, par la partie adverse qui, par définition, ne serait pas recevable à former opposition, tandis que l’article 908 impose un délai de trois mois au seul appelant, qui n’est pas le demandeur à l’opposition. Et encore, à peine de caducité de la déclaration d’appel, non pas de la déclaration d’opposition. D’ailleurs, lorsque le législateur a souhaité prévoir des sanctions et un délai impératif de trois mois pour conclure (intimé sur appel provoqué, intervenant forcé ou, plus curieusement, volontaire) il l’a dit expressément à l’article 910 du code de procédure civile. Bien que marginaux, il reste donc des domaines en procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel dans lesquels des délais ne sont pas imposés aux parties.

La grippe, les épidémies et la force majeure en dix arrêts, par Pascale Guiomard, le 4 mars 2020

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Procédure pénale et principe de réalité : covid de sens ?, Le droit en débats, par Valérie-Odile Dervieux le 21 mars 2020

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Le 18 avril 2019, devant la juge des libertés et de la détention (JLD), l’avocat Vincent Nioré, délégué du bâtonnier aux perquisitions, contestait la saisie de documents lors d’une perquisition effectuée aux domiciles et aux cabinets de deux avocats soupçonnés de faux en écriture, recel de faux et tentative d’escroquerie au jugement. L’ambiance est tendue, ce n’est pas une première. Un premier rapport est fait, dès le lendemain, par le substitut du procureur Julien Goldszlagier présent à l’audience et envoyé au procureur de la République. Dans un courrier du 30 avril 2019 adressé au président du tribunal judiciaire de Paris (au lendemain de l’ordonnance rendue par la JLD et favorable au délégué du bâtonnier) , Aude Buresi et Serge Tournaire, vice-présidents chargés de l’instruction, faisaient état « des insultes » proférées par Vincent Nioré à leur égard lors de cette audience JLD. Ses « emportements réguliers, écrivent-ils, s’inscrivent dans un processus ancien destiné à sanctuariser les cabinets d’avocat et à présenter chaque magistrat qui voudrait procéder à une perquisition dans le cadre des dispositions légales comme un ennemi obsédé par le désir de violer ce sanctuaire ». La bâtonnière de Paris, Marie-Aimée Peyron recevait le 13 mai 2019 un courrier du président du tribunal judiciaire, Jean-Michel Hayat à l’époque (nommé depuis premier président de la cour d’appel de Paris) et du procureur de la République, Rémy Heitz, s’émouvant des propos que l’avocat aurait tenu pendant l’audience (en réalité deux audiences, l’une le matin, la seconde l’après-midi) et relatés par les juges d’instruction présents ce jour-là – Aude Buresi, Camille Palluel, Serge Tournaire – et par le représentant du ministère public, Julien Goldszlagier.

Ce 18 avril, Vincent Nioré, dans le huis clos des audiences JLD, aurait dit en avoir assez « de nettoyer l’urine », en avoir marre des « salissures des juges d’instruction », avant d’ajouter « c’est dégueulasse, ce que vous faites à une avocate, cinq ans de barre » tout en lançant aux juges qu’ils étaient « les émissaires de la procureure générale », alias Catherine Champrenault. Celle-là même contre laquelle « le barreau pénal allait se lever ». Quant au juge Tournaire, Vincent Nioré lui aurait dit « M. Tournaire, nous connaissons vos méthodes, nous connaissons les méthodes du pôle financier, vous humiliez les avocats » avant de déclarer également, selon les quatre magistrats présents ayant raconté l’audience, à l’encontre de Mme Isabelle Gentil, avocate générale au parquet de Paris, qu’elle était « l’épouse de Jean-Michel Gentil, on sait ce que ça signifie » – des propos « offensants et misogynes » – selon la procureure générale. Catherine Champrenault, dans une lettre du 20 juin, demandait à la bâtonnière de Paris de démettre Vincent Nioré de ses fonctions, à défaut une procédure disciplinaire serait initiée. Le 22 juillet, malgré une lettre de la bâtonnière en date du 5 juin expliquant avec détails pourquoi elle ne prendrait aucune « mesure appropriée » contre son délégué qui n’avait commis selon elle aucune faute, un acte de saisine de l’instance disciplinaire des avocats au barreau de Paris par la procureure générale près la cour d’appel de Paris était rédigé pour manquement aux obligations et principes essentiels de la profession d’avocat. L’histoire, révélée par Le Point et racontée également par le site Actu-Juridique.fr, avait fait grand bruit.

L’audience disciplinaire (formation de jugement n° 1, président par l’ancien bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur) devait avoir lieu aujourd’hui. Comme toutes les audiences non urgentes, elle a été reportée en raison du coronavirus. Il est néanmoins intéressant de relater les conclusions auxquelles sont parvenues les juges instructeurs du conseil de discipline. Ils vont rappeler à plusieurs reprises l’évidence : la particularité de ces audiences durant lesquelles « le juge d’instruction est directement et personnellement confronté dans un débat judiciaire sur le thème de la légalité de ses propres actes, à un contradicteur institutionnel qui défend en plaidant une position frontalement opposée à la sienne ». Une situation « délicate » pour le juge du siège « dont ce n’est pas la position naturelle », dans un « climat professionnel et humain de grande tension », tenu dans l’urgence avec parfois, « la pression du parquet ». Dans cette affaire, la rudesse du ton et de la bataille s’expliquait d’autant plus que, selon les propos de la présidente d’audience elle-même, les juges d’instruction « avaient pris tout chez l’avocat », dossier, notes d’audience etc. lors de la perquisition contestée. La JLD n’a-t-elle pas elle-même déclaré que Vincent Nioré n’avait pas outrepassé ses pouvoirs et sa fonction, étant « en opportunité tout à fait dans son rôle » ? La procureure générale, dans ses conclusions, rappelle que la particularité de ces audiences est parfaitement connue des magistrats. Et qu’il s’agit de développer des arguments juridiques techniques et non des « propos sans pertinence », ce d’autant plus quand c’est le délégué du bâtonnier. Bref, un argumentaire des instructeurs « sans pertinence ».

« Nettoyer l’urine », « des salissures des juges d’instruction »

La juge d’instruction Aude Buresi, dans une déclaration écrite à la formation d’instruction de l’Ordre de Paris, raconte notamment que Me Nioré aurait « tout de suite pris à partie » les juges d’instruction, contestant de manière « forte » la perquisition chez la jeune collaboratrice de l’avocat concerné et celle de son patron, tout en traitant les juges d’instruction d’« émissaires de la procureure générale ». Un 18 avril marqué par le ton « agressif », « menaçant », « insultant » de Vincent Nioré, résume la magistrate interrogée qui estime que « j’en ai marre des salissures des juges d’instruction », « j’en ai marre de nettoyer l’urine » la visaient « personnellement ». Les avocats instructeurs ne sont pas d’accord, penchant pour « une interprétation subjective » de Mme Buresi à la suite d’un article de Me Nioré, paru dans le mensuel Dalloz avocats (D. avocats 2018. 307 ), dans lequel il évoque son rôle de « nettoyeur incandescent de crasse procédurale, de crasse judiciaire ». Cet article, par ailleurs, ne pouvant être regardé comme entrant dans la saisine, ajoutent-ils. En réalité, la référence à « l’urine » a été expliquée par Me Nioré : lors d’une perquisition à Paris le 5 juin 2018, il avait dû réellement se mettre à genoux afin de pratiquer un massage cardiaque à l’époux d’une avocate perquisitionnée, en pleine crise d’épilepsie. L’homme, à terre, s’était vidé, et Vincent Nioré avait les deux genoux dans l’urine, qu’il avait nettoyée après le départ du SAMU. Une version confirmée par Camille Potier, ancienne membre du conseil de l’Ordre de Paris, présente ce jour-là. Les instructeurs en déduisent que le nettoyage étant réel, Mme Buresi ne peut soutenir objectivement qu’elle a été personnellement insultée. Serge Tournaire, autre juge d’instruction de l’affaire, ne fait pas état non plus, selon le rapport d’instruction, d’insultes « personnellement proférées » à son encontre. D’ailleurs, quand il lui est demandé de préciser les propos litigieux, M. Tournaire refuse « de se répéter ».

Il est intéressant de noter que la juge des libertés et de la détention, Nadine Houalla, qui présidait l’audience du 18 avril 2019, présente une version différente de cette fameuse journée. Me Nioré « a commencé très fort », reconnaît-elle, mais cela ne l’a pas « gênée du tout car sur le fond, c’était fondé ». La JLD – contre qui aucune insulte n’a été prononcée – ajoute, devant les instructeurs, que Vincent Nioré avait « le droit de porter la parole forte des avocats » car la préservation de l’inviolabilité des cabinets d’avocats, ajoute-t-elle, est « une cause » qui lui paraît « tout à fait sérieuse ». C’était, selon elle, une audience tendue, avec des échanges directs, virulents mais sans irrespect, sans attaque personnelle et sans qu’il lui ait été nécessaire d’intervenir. Elle conclut en déclarant que la saisine à l’encontre du délégué du bâtonnier « n’est pas fondée ». S’agissant des propos autour de « l’urine » et des « salissures », Nadine Houalla est très claire aussi dans son témoignage : il n’est pas question d’insultes envers les juges d’instruction mais d’une histoire vécue par Vincent Nioré en juin 2018, contextualisée à l’audience, rappelant ce que peut provoquer une perquisition. Interrogé, Vincent Nioré a rappelé la violence psychologique « extrême » d’une perquisition et notamment celle-là. Les instructeurs estiment que les déclarations contradictoires des juges d’instruction ne permettent pas de savoir si les propos de M. Nioré étaient des insultes ou pas. Pour Catherine Champrenault, dans ses conclusions, il est impossible de savoir si Vincent Nioré a « contextualisé » la précédente perquisition et peu importe d’ailleurs, cela ne remet pas en cause le fait qu’il ait prononcé ou non ces paroles, les témoignages l’attestant.

« C’est dégueulasse, ce que vous faites à une avocate, cinq ans de barre »

Lors de l’audience du 18 avril 2018, la collaboratrice de l’avocat soupçonné de faux, a également été perquisitionnée. Des saisies ont été opérées chez elle et des conversations Whatsapp extraites. Elle pleure devant la JLD. Vincent Nioré assume avoir dit, à ce moment, « c’est dégueulasse, ce que vous faites à une avocate, cinq ans de barre ». La juge, interrogée par les instructeurs, en témoigne, elle a dû intervenir lorsqu’un des juges d’instruction aurait « commencé à instruire à charge ». Mme Buresi n’a plus souvenir, elle, de ces pleurs. D’ailleurs, ajoute-t-elle, elle ne sait pas dire pourquoi une personne pleure dans une situation de tension. Ce qui apparait peu crédible aux yeux des avocats en charge de l’instruction. Et si tel devait être le cas, c’est la preuve que l’audience a dû être extrêmement tendue. C’est à cette aune qu’il faudra apprécier le caractère des propos reprochés à Vincent Nioré. Pour la procureure générale, l’avocat revendique avoir prononcé ces mots, c’est suffisant.

« Vous êtes les émissaires de la procureure générale »

Il faut se souvenir que la fameuse audience JLD du 18 avril est la suite d’une perquisition menée chez un avocat soupçonné d’avoir produit un faux document lors d’un procès d’assises. La saisine des juges d’instruction a eu pour origine un rapport du parquet général, présidé par Mme Champrenault. C’est elle aussi qui a saisi l’instance disciplinaire après le 18 avril. Refusant de venir témoigner devant les instructeurs ordinaux afin de ne pas rompre « l’équilibre et la finalité » de la procédure, les avocats en charge de l’enquête font valoir que le risque de rupture souligné par la magistrate « pouvait interroger sur la saisine disciplinaire effectuée à cet égard, sous le seing et par la personne intéressée à l’issue des poursuites ». Qu’a dit Vincent Nioré à propos de Mme Champrenault, le 18 avril 2019, toujours dans le huis clos de l’audience JLD ? À l’adresse des juges d’instruction présents, le délégué aux perquisitions aurait lancé : « Vous êtes les émissaires de la procureure générale » puis « je l’annonce, nous allons lever tout le barreau pénal contre vous et la procureure générale. La procureure générale a décidé d’attaquer l’ensemble des avocats pénalistes mais elle va nous trouver sur son chemin, l’ensemble du barreau va se lever ». Pour la juge Buresi, les propos de Me Nioré mettent en doute son indépendance, étant seule décisionnaire en signant les ordonnances décidant des perquisitions. M. Tournaire fait état, lui, d’attaques sans davantage de précision. Encore une fois, Nadine Houalla, présidente de l’audience JLD, estime qu’il n’y a pas eu d’attaque personnelle, que les propos visaient le parquet général en tant qu’institution et que le ton était vif « de part et d’autre ». Pour les instructeurs, l’exactitude des propos n’est pas établie. Me Nioré « entendait montrer une certaine désapprobation » face à des perquisitions, jugées irrégulières selon l’avocat.

Concernant la seconde partie des attaques, les instructeurs estiment encore une fois, après avoir entendu les différents témoins, qu’il s’agit de propos généraux « visant l’émoi que pouvait entraîner dans les "barreaux de France" la procédure en vigueur » concernant les perquisitions réalisées chez des avocats. Le soulèvement de tous les barreaux de France n’est pas, selon le rapport, « une évocation crédible ». D’ailleurs, Mme Houalla vient déminer le terrain en évoquant « la pression importante » de la part du parquet général en raison du dossier mettant en cause un avocat célèbre. Encore une fois, aucune attaque personnelle selon elle. Pour les avocats instructeurs, la mise en contexte sera primordiale lors de l’audience disciplinaire. Difficile, pour Catherine Champrenault, de voir dans « vous êtes les émissaires de la procureure générale » une simple référence à l’ouverture d’une information. Selon la magistrate, il semble évident que Vincent Nioré a voulu faire des juges d’instructions des magistrats « inféodés » à la procureure générale (à elle-même, donc, ndlr). C’est une mise en cause de leur intégrité et de leur impartialité.

« Monsieur Tournaire, nous connaissons vos méthodes »

« Monsieur Tournaire, nous connaissons vos méthodes, nous connaissons les méthodes du pôle financier, vous humiliez les avocats ». Pour le juge d’instruction, interrogé par les avocats instructeurs et venu avec des extraits de presse, Vincent Nioré a voulu « stigmatiser » les méthodes de juges que l’avocat dénonce avec violence dans des articles – Le Figaro, la Gazette du Palais, Dalloz… – depuis des années. En mettant ainsi en cause systématiquement le rôle du juge d’instruction, Serge Tournaire a estimé que son intégrité et son impartialité étaient remises en cause. Les instructeurs refusent de se référer à des articles de presse, parfois anciens – certains datent de 2013 – pour établir que les propos ont été ou non prononcés et ce qu’ils recèlent. La présidente de l’audience a confirmé que Vincent Nioré avait effectivement dit » on connaît vos méthodes », à un moment de tension, rappellant aussi que M. Tournaire était « très pugnace » et « très tenace ». L’audience disciplinaire devra déterminer si les mots ont été prononcés et quelle portée leur donner, concluent les instructeurs. Ils ont été prononcés, signalés dès le 30 avril dans le courrier des juges d’instruction au président du tribunal de grande instance et confirmés lors des auditions. Pour elle, les mots ont un sens, les sous-entendus également. Elle va d’ailleurs sévèrement tacler Nadine Houalla, présidente de l’audience JLD, en estimant qu’elle n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé d’une procédure disciplinaire.

Le 18 avril 2019, aucun des trois juges d’instruction présent n’a fait acter d’incidents d’audience.

La date de report sera communiquée dans quelques jours.

 

Selon l’ancienne bâtonnière de l’Ordre des avocats de Paris, dans son courrier du 5 juin 2019, de 2011 à juin 2019, il y a eu 240 perquisitions au domicile/cabinet de 190 avocats, effectuées par 243 magistrats de France dont 172 juges d’instruction et 71 membres du parquet (dont 27 du parquet national financier), outre 8 visites DGFIP et deux visites AMF. Ces perquisitions ont étés suivies de 130 audiences devant le JLD. Vincent Nioré a assisté à la quasi-intégralité de ces perquisitions et de ces audiences. Avec, pointe la bâtonnière, « une infime minorité d’avocats perquisitionnés mis en cause et poursuivis ».

Les projets de loi simple et organique d’urgence pour faire face à l’épidémie seront débattus aujourd’hui au Sénat, pendant que l’Assemblée étudiera le projet de loi de finance rectificative. Demain, les choses seront inversées. L’objectif étant d’adopter des textes conformes, les textes ne devraient plus évoluer après ce soir.

Adapter les règles des justices administrative et judiciaire

L’article 7 du projet de loi simple prévoit qu’afin de faire face aux conséquences de la propagation du virus, le gouvernement pourra prendre différentes ordonnances, qui devront être adoptées dans les trois mois. Ces mesures seront provisoires.

Une ordonnance permettra d’adapter, interrompre, suspendre ou reporter les différents délais imposés par la législation, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures d’interruption seront applicables à partir du 12 mars et ne pourront excéder de plus de trois mois la fin des mesures administratives prises pour ralentir le virus.

Une autre ordonnance permettra d’adapter les règles des justices administrative et judiciaire, dans le seul but de limiter la propagation du virus. Sont visées les règles de compétences territoriales, de formation de jugement, de délais de procédure et de jugement, de publicité et tenues des audiences, de recours à la visioconférence et les modalités de saisine.

Par ailleurs, l’organisation du contradictoire devant les juridictions autres que pénales pourra être aménagée. Comme le précise le Conseil d’État, « ces adaptations ne pourront porter atteinte à la substance même des différentes garanties constitutionnelles ou conventionnelles qui régissent la conduite du procès ».

Toujours pour limiter les contacts physiques, l’alinéa suivant prévoit de modifier les règles relatives au déroulement de la garde à vue, pour permettre l’intervention à distance des avocats et la prolongation sans présentation devant un magistrat. Le déroulement et la durée des détentions provisoires et assignations à résidence sous surveillance électronique, seront également modifiés pour allonger les délais d’audiencement (3 mois en première instance, 6 mois en appel) et permettre une prolongation par une procédure écrite.

Enfin, les règles d’affectation des détenus devraient être assouplies, tout comme les modalités d’exécution des fins de peine, ainsi que, pour les mineurs, les mesures de placement et autres mesures éducatives.

À noter, le projet de loi organique prévoit de suspendre jusqu’au 30 juin les délais des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), que ce soit l’étude des QPC par le Conseil constitutionnel ou leur transmission par le Conseil d’État ou la Cour de cassation. 

Par ailleurs, les mandats des conseillers prud’hommes devraient être prolongés.

En droit des étrangers, une ordonnance spéciale devrait aussi allonger, jusqu’à six mois, les durées des différents titres de séjour et récépissés qui devaient expirer entre le 16 mars et le 15 mai.

Enfin, les délais applicables aux habilitations à légiférer par ordonnances prises par les précédents textes seront tous prolongées de quatre mois.
 

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Les délais des voies de recours sont prévus pour assurer la stabilité juridiques et courent, en principe, à compter de la notification de la décision contestée (C. pr. civ., art. 528). Toutefois, il existe des aménagements lorsque des modalités sont accomplies pour pouvoir pleinement exercer le droit de recours. C’est le cas lorsqu’un justiciable fait une demande d’aide juridictionnelle. L’appel est réputé avoir été intenté dans le délai, si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si l’appel est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (Décr. n° 91-1266 du 19 déc. 1991, art. 38, al. 1, d)). Or, il arrive qu’il y ait plusieurs désignations successives d’auxiliaires de justice. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 27 février 2020 a alors précisé quel était, dans cette hypothèse, le point de départ du nouveau délai d’appel.

Le litige opposait un particulier à une banque. N’ayant pas obtenu satisfaction en première instance, le particulier sollicite le 12 mai 2017 le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour interjeter appel du jugement qui lui est signifié cinq jours plus tard, soit le 17 mai 2017. Le 1er juin, l’aide juridictionnelle totale lui est accordée et un avocat lui est adjoint par décision du bâtonnier du 9 juin, notifiée à l’intéressée le 13 juin. Mais ce premier auxiliaire de justice est remplacé par un autre, par décision du bâtonnier du 10 juillet 2017. Ce deuxième avocat informe alors son client, le 3 août suivant, qu’il a demandé au bâtonnier à être déchargé du dossier. Le 29 août 2017, un troisième (et dernier) avocat est désigné, qui interjette appel le 25 septembre. Le conseiller de la mise en état déclare l’appel irrecevable, ce que confirme la cour d’appel. Le recours n’a pas été intenté dans le mois suivant la désignation du premier avocat. L’appelant se pourvoit en cassation. Il reproche à la cour d’appel de ne pas tenir compte de la désignation du dernier avocat, à compter de laquelle, selon lui, le délai d’appel recommence à courir. Il reproche également aux juges du fond d’avoir retenu comme point de départ du nouveau délai, la date de désignation de l’auxiliaire de justice et non la notification qui aurait dû lui en être faite. La Cour de cassation a alors saisi l’occasion de préciser l’article 38, alinéa 1, d) du décret du 19 décembre 1991. C’est à compter de la désignation du premier avocat que le nouveau délai d’appel court (I) et plus précisément, à compter de la signification de cette désignation au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle (II).

I - La Cour de cassation décide qu’en cas de désignations successives d’avocats devant apporter leur concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, seule la première désignation importe et fait courir le nouveau délai d’appel. Elle en tire la conséquence que « la désignation ultérieure d’un nouvel avocat est sans incidence sur les conditions d’exercice du recours pour lequel l’aide juridictionnelle a été accordée ». Puisque le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle était en mesure d’être effectivement assisté dès la désignation initiale, il n’y a pas de raison de lui faire bénéficier d’un nouveau délai adossé à une désignation ultérieure. Mais comme à l’impossible nul n’est tenu, la Cour assortit son principe d’une exception. La désignation ultérieure d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle pourrait être prise en compte si des circonstances revêtant les caractères de la force majeure empêchaient l’avocat initialement désigné d’assister effectivement son client. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

Cette solution est contraire à celle retenue par le Conseil d’État, il y a moins de deux ans. Dans une hypothèse similaire à celle soumise à la Cour de cassation, le Conseil d’état a estimé que « le délai de recours contentieux qui, dans le cas mentionné au d) de l’article 38, aurait commencé à courir à compter de la première désignation, recommence à courir à compter de [la] nouvelle désignation » (CE 6 juin 2018, n° 413511, Lebon ; AJDA 2018. 1193 ), sans qu’il ne soit question de cas de force majeure. Il a alors été souligné qu’ainsi le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle disposait « de la plénitude du délai de recours contentieux pour préparer, avec le concours de l’avocat, le recours qu’il projette » (C. Friedrich, L’effet utile de la prorogation du délai de recours contentieux par la demande d’aide juridictionnelle, JCP Administrations et collectivités territoriales 2018. Act. 530). On peut en effet s’interroger sur le fait de savoir si obliger un avocat qui estime avoir de bonnes raisons d’être excusé, à être diligent et à former un appel qu’il espère ne pas avoir à défendre, permet une assistance effective.

Or la solution de la Cour de cassation, qui peut surprendre de prime abord, présente l’intérêt indéniable de protéger non seulement le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle mais également la partie qui subit le recours.
L’article 38, alinéa 1, d) crée pour cette dernière une instabilité et une insécurité juridiques. En effet, ce texte déplace le point de départ du délai de recours à un événement postérieur à la décision contestée dont la date, dépendant du bureau d’aide juridictionnelle voire du bâtonnier, n’est pas prévisible ce qui pose des problèmes notamment d’exécution (pour des ex., v. C. Laporte, Appel et aide juridictionnelle, Procédures 2017. Alerte 21). Reconnaître que chaque nouvelle désignation – résultant d’un comportement dilatoire ou non – ait un effet sur l’exercice du recours tendrait à accroître cette instabilité et cette insécurité. L’application restrictive de l’article 38, alinéa 1, d) par la Cour de cassation au contraire les limite.

Quant au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, la décision de la Cour de cassation préserve ses droits dans l’hypothèse où l’avocat initialement désigné ne serait finalement pas déchargé de son ministère, et surtout assure l’effectivité de ceux-ci, en ne faisant courir le délai de recours qu’à compter de son information de l’événement déclencheur.

II - En effet, la Cour de cassation précise que le délai de recours ne court qu’à compter de la date de notification de la désignation initiale de l’avocat au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle. Un doute pouvait surgir à la seule lecture de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991. Si le texte précise que le nouveau délai d’appel court, le cas échéant, à compter de la notification de la décision d’admission provisoire ou de la notification de la décision constatant la caducité de la demande, en cas d’admission suivie de la désignation d’un avocat, le point de départ est, textuellement, la date à laquelle l’auxiliaire de justice a été désigné. Il n’est pas question alors de notification et les juges du fond ont fait une application littérale de l’article 38. C’est sur ce point que la Cour de cassation casse la décision qui lui est soumise.

L’interprétation que la Cour de cassation livre de l’article 38 est conforme à la lettre l’article 528 du code de procédure civile : c’est la notification de l’événement déclencheur du délai de recours qui est le point de départ de celui-ci. On ne saurait reprocher à une partie de ne pas avoir agi tant qu’on n’a pas la certitude qu’elle a été effectivement informée que toutes les conditions nécessaires à son action sont bien réunies. Mais on pourrait penser également que l’article 38 est un texte spécial dérogeant au texte général. Or pour asseoir l’autorité de sa décision, la Cour de cassation vise l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Informer le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle de la désignation de son défenseur assure à celui-ci un droit au juge de qualité.

Ce texte, un projet de loi organique ayant le même objet (qui suspend les délais de procédure des questions prioritaires de constitutionnalité) et un projet de loi de finances rectificative permettant la prise en compte des coûts liés à l’épidémie ont été présentés en conseil des ministres le 18 mars. Les deux premiers devaient être examinés par le Sénat jeudi 19 et par l’Assemblée nationale vendredi 20, le troisième faisant la navette en sens inverse.

État d’urgence sanitaire

L’état d’urgence sanitaire est la seule mesure pérenne du projet de loi ordinaire. Il serait déclaré par décret en conseil des ministres et prorogé par la loi au bout d’un mois. Cette déclaration donnerait au Premier ministre le pouvoir de prendre par décret des mesures limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion ainsi que de procéder à des réquisitions. Le ministre de la santé pourrait prendre les autres mesures générales et individuelles par arrêté. Un comité scientifique rendrait des avis publics sur le dispositif.

Les élus du premier tour entrent en fonction

Le titre Ier du projet confirme le report (au plus tard au mois de juin 2020) du second tour des élections municipales, décidé la veille par décret, ainsi que des élections des Français de l’étranger et en tire les conséquences. Les élus du premier tour entrent en fonction immédiatement (sauf dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été élus). Dans les autres communes, les mandats sont prorogés jusqu’au second tour. Les exécutifs des intercommunalités seront élus à titre provisoire, une nouvelle élection ayant lieu après le second tour dès lors que celui-ci est nécessaire dans une commune membre. Le gouvernement serait habilité par ordonnance à adapter le droit à cette situation, notamment s’agissant du fonctionnement des intercommunalités.

De très vastes habilitations

Le titre III donne au gouvernement de très vastes habilitations à prendre par ordonnance des mesures législatives provisoires. Il pourrait ainsi modifier le droit du travail et le droit de la fonction publique, notamment en matière de congés et de consultation des instances du personnel. Il pourrait également adapter les règles de délai, d’exécution et de résiliation des contrats de la commande publique. Pour faire face aux conséquences sur l’administration et les juridictions, est envisagée l’adaptation des règles relatives au dépôt et au traitement des demandes présentées à l’administration. Les délais, la compétence territoriale ou encore le recours à la visioconférence devant les juridictions administratives et judiciaires pourront aussi être provisoirement modifiés. Des dérogations aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales et des établissements publics ou encore aux modalités de délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur seraient aussi rendues possible.

En procédure avec représentation obligatoire, l’opposition formée contre l’arrêt n’introduit pas un appel de sorte que le délai pour conclure de l’article 908 du code de procédure civile n’est pas applicable.

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Auteur d'origine: laffly