Annonces ventes aux enchères

Vous pouvez contacter Maître ADJEDJ pour toutes demandes concernant les ventes de saisies immobilières

image

Dans le cadre d’un contrat de partenariat qui le lie à la SNCF Réseau, un groupement d’intérêt économique (GIE) a conclu deux contrats de sous-traitance avec un groupement pour la réalisation de travaux préparatoires de terrassement, d’ouvrage d’art et de rétablissement de communication. Les conditions générales auxquelles se réfère le contrat prévoyaient un arbitrage en amiable composition sous l’égide de l’Association française d’arbitrage.

À la suite de différends entre les parties, un tribunal arbitral annula le contrat de sous-traitance en application de l’article 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Il semble en effet qu’en violation de ce texte d’ordre public, le GIE n’avait pas fourni au moment de la conclusion du contrat une copie de l’acte général de cautionnement, seul document donnant au sous-traitant l’assurance de l’existence de la garantie exigée par la loi pour assurer la sécurité financière de l’opération.

Le recours en annulation introduit contre cette sentence par le GIE s’articulait principalement autour de la décision de l’arbitre d’appliquer strictement ce texte alors que le tribunal arbitral aurait méconnu sa mission d’amiable compositeur en refusant d’écarter la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975, un tel refus n’étant justifié, selon le recours, qu’en présence de dispositions d’ordre public de direction et non de protection. Le demandeur soutenait encore que l’interprétation erronée de ce texte constituait une violation d’une règle d’ordre public.

L’arrêt rapporté rejette le recours en jugeant que « l’amiable compositeur qui s’estime tenu de respecter les dispositions d’ordre public de direction agit conformément à sa mission ». En outre, selon la cour d’appel de Paris, « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

En jugeant ainsi, la cour d’appel de Paris précise la mission de l’amiable compositeur vis-à-vis de la règle d’ordre public et le contrôle du juge de l’annulation sur l’application de ces règles.

La mission de l’amiable compositeur confronté à une règle d’ordre public

Le rôle de l’amiable compositeur ne se limite pas à un pouvoir. Il doit être compris comme un devoir d’utiliser ses prérogatives afin d’éliminer l’inéquité (v. E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, Joly, 1980, n° 401, p. 326 ; adde, E. Loquin, note sous Civ. 1re, 1er févr. 2012, ETE c. Gascogne paper, Rev. arb. 2012. 91, spéc. p. 102 ; P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, Bruylant, 2017, nos 203 et 372). Ainsi, l’arbitre qui applique à la lettre la règle de droit sans s’interroger sur le caractère équitable de sa décision ne motive pas sa sentence en équité et méconnaît donc sa mission (Civ. 2e, 18 oct. 2001, Rev. arb. 2002. 361, note C. Jarrosson ; Civ. 2e, 10 juill. 2003, n° 01-16.964, D. 2003. 2474 , obs. T. Clay ; RTD com. 2003. 698, obs. E. Loquin ; ibid. 2004. 252, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2003. 1361, note J.-G. Betto ; Civ. 28 nov. 2007, Rev. arb., 2008. 99, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 1er févr. 2012, Rev. arb. 2012. 91, note E. Loquin ; v. E. Loquin, Pouvoirs et devoirs de l’amiable compositeur, Rev. arb. 1985. 99). Sa sentence encourt donc l’annulation (v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, 2016, nos 789 s., p. 502).

Précisément, en l’espèce, le recours en annulation reprochait à l’amiable compositeur d’avoir méconnu sa mission en appliquant l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975.

L’amiable compositeur peut pourtant employer des règles de droit s’il justifie qu’elles aboutissent à un résultat équitable. Surtout, le pouvoir d’éviction de l’arbitre statuant ex aequo et bono n’est pas illimité : « l’amiable compositeur ne peut pas écarter toute règle de droit. Il peut uniquement écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 884 p. 878).

L’amiable compositeur peut donc, en principe, écarter les règles supplétives mais reste tenu d’appliquer les règles auxquelles on ne saurait déroger. Comme le rappelle ici la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, […] sauf lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La sentence et l’arrêt rapporté rappellent à juste titre qu’il convient, même en matière d’amiable composition, d’établir une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection.

Pour justifier l’application stricte de la loi du 31 décembre 2019, le tribunal arbitral avait estimé que « l’ordre public de la loi du 31 décembre 1975 a pour fonction de protéger l’organisation sociale et économique de la société française contre les faillites en cascade résultant pour les sous-traitants et leurs créanciers de la défaillance de l’entrepreneur principal » et que « la loi du 31 décembre 1975 rend indisponible le droit de demander la nullité du contrat de sous-traitance d’une manière absolue, dès lors que, comme paraît l’admettre la jurisprudence, la nullité est une nullité de direction ». Le tribunal en avait conclu qu’« à peine d’un risque d’annulation de la sentence, ses pouvoirs d’amiable compositeur ne lui permettaient pas en l’espèce d’écarter en équité la nullité prévue par la loi du 31 décembre 1975 ».

Ce motif de la sentence fut critiqué par le recours qui soutenait qu’en retenant une solution dictée par des dispositions légales l’arbitre ne s’était pas acquitté de sa mission d’amiable compositeur. L’argument est rejeté par la cour qui juge qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ».

Cette décision, fondée sur la distinction entre ordre public de direction et ordre public de protection, mérite l’approbation mais fait naître une part d’inquiétude.

L’arrêt rappelle à juste titre que l’amiable compositeur ne peut passer outre les règles d’ordre public de direction, quand bien même le recourant se prévaudrait de leur caractère inéquitable. En l’espèce, on doit saluer les efforts de pédagogie de l’arbitre qui, conscient des devoirs que lui impose sa mission, explique les raisons qui le conduisent à retenir la solution dictée par la stricte application de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975. La sentence rappelle que, si ce texte impose quelques obligations de forme, dont la violation ne semble certes pas en équité mériter l’annulation du contrat de sous-traitance, elles ne constituent pas de simples formalités mais visent à « l’assurance pour le sous-traitant de la fourniture effective d’un cautionnement le garantissant de façon certaine en cas de défaillance de l’entrepreneur principal ».

Comme elle poursuit l’objectif d’éviter des faillites en cascade, la loi du 31 décembre 1975 constitue, dans ses dispositions visant à assurer le paiement du sous-traitant, une loi de police (v. M.-E. Ancel, La protection internationale du sous-traitant, Trav. Com. fr. DIP 2010. 225), notion qui recoupe l’ordre public de direction en ce que l’une et l’autre visent respectivement la sauvegarde des intérêts économiques du pays et la préservation de l’intérêt général. Le respect de cette loi ne saurait donc dépendre du bon gré des parties, qui ne peuvent valablement y renoncer. C’est donc à juste titre que l’arbitre, approuvé par la cour d’appel, retient que ses pouvoirs d’amiable compositeur, conférés par des volontés individuelles, ne lui permettent pas d’écarter les dispositions de ce texte.

Doit-on en conclure, a contrario, que les pouvoirs d’amiable compositeur autoriseraient l’arbitre à écarter les règles d’ordre public de protection ? Une telle solution poserait une série de difficultés.

Comme nous l’avons vu, l’amiable composition permet « uniquement [d’]écarter les droits nés de l’application de règles auxquelles les parties peuvent valablement renoncer » (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit.) ou, comme le dit la cour d’appel, elle trouve sa limite « lorsqu’est en cause une disposition d’ordre public au bénéfice de laquelle une partie ne peut renoncer ».

La distinction opérée par l’amiable compositeur entre ordre public de direction préservant l’intérêt général et règles impératives visant à la protection d’intérêts particuliers semble donc à première vue justifiée puisque la volonté individuelle ne peut renoncer qu’aux secondes. Mais peut-on estimer que, par la clause d’amiable composition les parties renoncent valablement aux règles d’ordre public de protection ? Un arrêt récent semble avoir admis, au sujet d’une clause de non-concurrence qu’« en stipulant dans les statuts de la société une clause d’arbitrage en amiable composition, et en réitérant ce choix dans l’acte de mission, les parties ont affranchi le tribunal arbitral du respect des règles d’ordre public de protection » (Paris, 19 déc. 2017, n° 16/11404, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 28, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 292). Une réponse positive n’est pas donc pas exclue d’emblée. Quatre objections doivent néanmoins être soulevées.

Tout d’abord, le principe d’effectivité du droit de l’Union semble conduire la Cour de justice de l’Union européenne à considérer avec réticence la renonciation devant l’arbitre aux règles de protection édictées par l’Union européenne. C’est du moins le cas du droit de la consommation (CJCE 26 oct. 2006, aff. C-168/05, Mostaza Claro, Dalloz actualité, 5 déc. 2006, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2006. 2910, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 3026, obs. T. Clay ; ibid. 2007. 2562, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD civ. 2007. 113, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 633, obs. P. Théry  ; JDI 2007. 581, note A. Mourre ; Rev. arb., 2007. 109, note L. Idot ; JCP 2007. I. 168, § 1, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal., 29 avr.-3 mai 2007, p. 17, obs. F.-X. Train ; LPA 2007, n° 152, p. 9, obs. C. Legros ; ibid., n° 189, p. 9, note G. Poissonier et J.-P. Tricoit ; RDAI 2007, n° 14, p. 55, obs. C. Nourissat ; Europe 2006, n° 378, p. 28, obs. L. Idot).

De plus, la renonciation au bénéfice des règles protectrices comporte une condition temporelle : elle n’est valable que lorsqu’a disparu le motif qui justifiait l’impérativité, soit, le plus souvent, après la naissance du litige. Dès lors, dans la mesure où la clause d’amiable composition est le plus souvent acceptée lors de la signature du contrat, cette condition ne sera que rarement satisfaite (v. M. de Fontmichel, Le faible et l’arbitrage, Economica, 2013, n° 485, p. 264). Ainsi, selon E. Loquin, « la clause d’amiable composition, insérée dans la clause compromissoire, ne permettra jamais aux arbitres d’écarter les droits des parties protégés par l’ordre public de protection. La renonciation qu’elle manifeste intervient, par hypothèse, à une époque où les parties n’ont pas acquis la libre disposition des droits protégés » (E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 405, p. 331 ; adde, J.-Cl pr. civ., fasc. 1038, spéc. n° 91). Ainsi, l’arrêt du 19 décembre 2017 précité, qui admet que la clause d’amiable composition permet à l’arbitre d’écarter les règles de protection, prend soin de noter que les parties avaient réitéré leur choix dans l’acte de mission.

Surtout, l’amiable compositeur n’est censé écarter la loi que pour des motifs d’équité. Or on conçoit difficilement que les règles conçues pour protéger les plus faibles puissent être jugées inéquitables. Le législateur met en place des règles destinées à venir en aide à certaines catégories réputées faibles en compensant un déséquilibre économique par une faveur juridique. Ainsi sont protégés, parmi d’autres catégories, le consommateur, le salarié, le franchisé ou, comme en l’espèce, le sous-traitant qui, s’il n’est pas toujours en état de faiblesse, se trouve du moins fragilisé du fait des menaces que sa position dans l’opération contractuelle fait peser sur sa rémunération.

On peut admettre que ces règles de protection deviennent inéquitables lorsque la présomption de faiblesse posée par la loi n’est pas justifiée au regard des faits de la cause et/ou lorsque la situation économique des litigants ne correspond pas à la catégorie à laquelle la loi les assigne. Tel serait le cas lorsque, par exemple, le sous-traitant est une grande entreprise à laquelle un modeste maître d’œuvre n’est pas en mesure de dicter ses conditions.

Mais peut-on dire que, par la clause d’amiable composition, la partie réputée faible renonce en connaissance de cause à une mesure protectrice ? Certes, selon la cour d’appel, « la clause d’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit » (v. déjà, Paris, 28 nov. 1996, Rev. arb. 1997. 381, note E. Loquin ; 4 nov. 1997, Rev. arb. 1998. 704, obs. Y. Derains). Cependant, selon la théorie générale de l’acte abdicatif, le fait de se départir de ses prérogatives est un acte grave qui, à ce titre, ne se présume pas (v. Rép. civ., v° Renonciation, par F. Dreifuss-Netter, nos 39 s ; Les renonciations au bénéfice de la loi en droit privé, Travaux de l’association Henri-Capitant, 1959-1960, vol. XIII) mais doit résulter d’une manifestation de volonté claire et dépourvue d’ambiguïté (v. not. Paris, 14 mars 1991, Esso c. Sarl Stationnement du Stade, D. 1991. 127 ). Peut-on dire que la partie faible qui demande à être jugée en équité abdique sans équivoque les mesures par lesquelles la compassion du législateur entend secourir sa détresse ?

Une réponse catégorique semblerait bien téméraire. On peut même considérer qu’une telle solution n’est pas sans danger dans le contexte actuel d’extension de l’arbitrabilité ratione personae (réforme de C. civ., art. 2061) et de faveur envers les modes alternatifs de résolution des litiges (v. L. n° 2019-222, 23 mars 2019). L’extension des matières arbitrables aux parties qui ne contractent pas dans le cadre de leur activité professionnelle ne devrait pouvoir s’envisager qu’à la condition d’assurer le respect des règles protectrices prévues par le législateur, quand bien même elles bénéficieraient à de riches consommateurs dans des litiges qui les opposeraient à de modestes commerçants.

Reste à savoir si l’amiable compositeur qui choisirait d’appliquer strictement la loi au motif erroné qu’il s’agit d’une règle d’ordre public de direction exposerait sa sentence à un risque d’annulation. Dans la mesure où ils peuvent mettre leur décision à l’abri de toute critique en se contentant de la déclarer équitable (v. P. Giraud, Le devoir de l’arbitre de se conformer à sa mission, op. cit., n° 377 ; E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, op. cit., n° 402 p. 327 in fine ; Civ. 2e, 8 juill. 2004, JCP 2004. I. 179, obs. C. Seraglini ; contra Paris, 10 mai 2007, Rev. arb., 2007. 825, note V. Chantebout), il est peu probable qu’un amiable compositeur paresseux use volontairement de cette manœuvre pour méconnaître les devoirs attachés à sa mission. C’est donc sur le fondement de l’ordre public que cette qualification erronée doit être contrôlée. La cour juge à ce sujet que « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ». L’erreur dans l’application d’une règle impérative ne se confond en effet pas avec une violation de l’ordre public.

Le contrôle de la violation de l’ordre public

Le recours reprochait encore à l’arbitre d’avoir violé l’ordre public en retenant une interprétation erronée de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975, ce qui, selon le demandeur, aurait conduit à l’annulation injustifiée du contrat de sous-traitance.

La Cour écarte le grief en jugeant que « le contrôle exercé par le juge de l’annulation ne porte que sur la solution donnée au litige, l’annulation n’étant encourue que dans la mesure où cette solution heurte l’ordre public. Mais ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public ».

La Cour confirme ici sa jurisprudence en vertu de laquelle c’est dans la solution du litige et non dans la motivation de la sentence que réside le siège de l’atteinte à l’ordre public (v. J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1998, n° 972, p. 543). Dès lors, la mauvaise application d’une règle d’ordre public, à la supposer établie, ne suffit pas en soi à constituer une violation de l’ordre public justifiant l’annulation d’une sentence arbitrale. Il faut encore que la solution retenue porte atteinte aux objectifs protégés par cette loi.

Violation de l’ordre public et erreur dans l’application d’une règle impérative ne sont en effet pas synonymes. Une telle violation résulte certes le plus souvent d’une mauvaise application d’une règle impérative mais l’erreur de droit peut ne pas donner lieu à une telle atteinte s’il n’en découle pas une solution contraire à l’ordre public.

Ainsi, si un tribunal arbitral estime à tort qu’un contrat licite constitue une entente prohibée, sa solution ne porte pas atteinte à l’ordre public malgré l’appréciation erronée d’une règle impérative dans la mesure où la libre concurrence n’est pas affectée par la sentence (v. P. Mayer, La sentence contraire à l’ordre public au fond, Rev. arb. 1994. 615, spéc. n° 18, p. 631 ; J.-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, op. cit., n° 977, p. 546 ; P. Fouchard, L’arbitrage international en France après le décret du 12 mai 1981, JDI 1982. 374 ; P. Bellet et E. Mezger, L’arbitrage international dans le NCPC, Rev. crit. DIP 1981. 611, spéc. p. 648).

En l’espèce, l’erreur de l’arbitre, à la supposer établie, aurait consisté en l’annulation injustifiée d’un contrat de sous-traitance faute de caution garantissant le paiement du sous-traitant. La sentence qui annule le contrat n’exposerait pas le sous-traitant à un risque de non-paiement ; l’économie nationale ne serait donc pas confrontée au danger de faillites en cascade. Seul l’intérêt de l’entrepreneur serait lésé alors que sa protection n’est pas l’objectif de la loi du 31 décembre 1975.

Le contrôle du juge de l’annulation n’a en effet pas pour but de protéger les droits des parties au regard des règles impératives mais doit se contenter de contrôler si la solution de la sentence porte atteinte aux objectifs et valeurs que les règles d’ordre public ont pour but de sauvegarder. On peut toutefois penser que l’extension de l’arbitrabilité ratione personae aux parties faibles appelle un infléchissement de la jurisprudence sur ce point.

Curieusement, la cour retient en outre que « l’arbitre n’a pas annulé le contrat de sous-traitance au seul motif de l’absence de remise par l’entrepreneur principal au sous-traitant d’une garantie bancaire au moment de la signature du contrat de sous-traitance, mais a aussi constaté l’absence de toute caution ». Elle se livre ici à un examen approfondi de la motivation de la sentence pour juger qu’au surplus, l’arbitre a retenu une interprétation correcte de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 (pour un ex. récent d’un contrôle étendu de la bonne application par l’arbitre de la loi du 31 déc. 1975, v. Paris, 23 oct. 2018, CMO c. Lavalin, Rev. arb. 2019. 508, note V. Chantebout).

Le bien-fondé et la rectitude du raisonnement de l’arbitre confortent donc la décision de rejet du recours en annulation. On a ainsi vu les cours d’appel se livrer à un contrôle très approfondi de la motivation des sentences lorsqu’un tel contrôle permettait de sauver des sentences qui auraient autrement été compromises (v. V. Chantebout, Le principe de non-révision des sentences arbitrales, thèse Paris II, ss la dir. de C. Jarroson, 2007, spéc. nos 266 s.). Dans la mesure où un tel examen n’était pas nécessaire en l’espèce pour rejeter le recours, il est permis d’y voir le signe que la cour d’appel de Paris entend maintenir à l’avenir l’intensité du contrôle auquel elle se livre en matière d’ordre public depuis 2014 (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 1004, p. 996). La décennie qui s’ouvre nous le dira.

Le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers ont annoncé, hier, que la rencontre avec la garde des Sceaux et le secrétaire d’État en charge des retraites, qui avait eu lieu plus tôt dans la matinée, n’avait donné lieu « à aucune nouvelle proposition » pour la profession d’avocat.

« Les projets de loi restent donc inacceptables », a déclaré le triumvirat dans un communiqué commun (voir documents joints). « Nous avons exigé que des propositions soient formulées, que des garanties solides soient données pour préserver l’autonomie de notre régime et que les avocats ne perdent pas un euro », a résumé Christiane Féral-Schuhl, en sortant de la Chancellerie, place Vendôme.

De son côté, le ministère a évoqué « une réunion de travail constructive » et a confirmé qu’ « un courrier faisant part des pistes de propositions » serait envoyé dans la soirée, hier lundi 13 janvier, ou aujourd’hui, mardi 14 janvier.

« La mobilisation des avocats et leur détermination sont totales », concluent les instances. Les barreaux français ont annoncé maintenir la grève, notamment celui de Lyon où se déroule le procès du prêtre Preynat, qui a dû être renvoyé d’une journée, hier, en raison de la grève et la suspension des robes sur les balustrades du TGI.

Les avocats se mobilisent depuis plusieurs semaines contre le projet de réforme des retraites du gouvernement. « Ce dernier prévoit l’absorption dans le régime universel du régime autonome des avocats, provoquant notamment un doublement des cotisations à 28% et la baisse des pensions », rappelle la profession.

Une partie, bénéficiant d’une procédure de redressement judiciaire, est placée en liquidation judiciaire par le tribunal de grande instance et interjette appel du jugement. Après l’audience de plaidoirie, l’appelant adresse à la cour et aux intimés, par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) et en cours de délibéré, des conclusions de désistement d’appel. La cour d’appel de Dijon annule le jugement et déboute la caisse régionale de mutualité agricole (MSA) de ses demandes de résolution du plan de redressement et de placement de l’appelant en liquidation judiciaire. Celle-ci forme un pourvoi, motif pris qu’un désistement qui ne contient pas de réserves et n’est pas précédé d’un appel incident ou d’une demande incidente n’a pas besoin d’être accepté et peut intervenir à tout moment. Pour la MSA, la cour d’appel ne pouvait donc statuer ainsi sans violation des articles 401 et 403 du code de procédure civile. Reprenant le visa de ces articles, la deuxième chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Dijon, constate le désistement de l’appel et dit n’y avoir lieu à renvoi. Pour la Cour de cassation, les conclusions de désistement, qui n’avaient en l’espèce pas besoin d’être acceptées et étaient parvenues en cours de délibéré, c’est-à-dire avant que la cour d’appel ne rende sa décision, l’avaient donc immédiatement dessaisie.

L’article 401 dispose que « le désistement de l’appel n’a besoin d’être accepté que s’il contient des réserves ou si la partie à l’égard de laquelle il est fait a préalablement formé un appel incident ou une demande incidente » tandis que l’article 403 ajoute que « le désistement de l’appel emporte acquiescement au jugement. Il est non avenu si, postérieurement, une autre partie interjette elle-même régulièrement appel ». La procédure d’appel n’est pas la procédure de première instance, et même le désistement obéit à des...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

La présente contribution est la publication en avant-première d’un article à paraître dans le numéro de janvier de la revue Dalloz avocats qui consacre un dossier à la réforme de la procédure civile.

 

L’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 prise en application de l’article 28 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui avait pour ambition affichée de simplifier, clarifier et harmoniser les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires, a soumis les cas de « référé en la forme » à des procédures ordinaires, que ce soit sur requête, en référé, ou selon la voie contentieuse ordinaire (v. Y. Strickler, De la forme des référés à la procédure accélérée au fond, JCP 2019. 928 ; S. Mraouahi, La mutation du référé en la forme : bienvenue à la procédure accélérée au fond !, RDT 2019. 651 ). Le but était avant tout de répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens du droit (Y. Strickler, Réforme des procédures « en la forme des référés » : une ordonnance pour répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens du droit, JCP 2019. 829). Dans cette optique, le texte a maintenu une procédure accélérée au fond dans les cas où il est nécessaire d’obtenir un jugement au fond dans des délais rapides. Un décret devait intervenir pour compléter les dispositions légales que prévoyait cette ordonnance. C’est désormais chose faite. Sur le plan formel, ce décret modifie les dispositions relatives à la procédure en la forme des référés devant les juridictions de l’ordre judiciaire et la renomme « procédure accélérée au fond ». Il distingue les procédures qui demeurent des procédures accélérées au fond de celles qui deviennent des procédures de référé, sur requête ou au fond.

Les dispositions du décret s’appliquent aux demandes introduites à compter du 1er janvier 2020, à l’exception des dispositions de l’article 22 modiant le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, entrées en vigueur dès le lendemain de la publication du décret et dont il ne sera pas question dans le présent commentaire.

Le choix des mots

La première chose à relever s’agissant de cette réforme est à la fois la plus visible et la plus anodine si on n’y prête pas attention : c’est le choix des mots qui est loin d’être une question secondaire comme l’avait très justement relevé l’étude d’impact du projet de loi de programmation (Étude d’impact du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, 19 avr. 2018, p. 119). L’ordonnance avait fait le choix d’une nouvelle appellation pour désigner cette procédure en consacrant la « procédure accélérée au fond ». Le but était d’abord de se départir de l’ancien vocable qui entretenait une confusion fâcheuse. La procédure en « la forme des référés » n’a jamais été clairement distinguée de la procédure des référés dont elle était censée être un pastiche. Dans de très nombreux cas, le législateur a prévu que la procédure simplifiée du référé serait applicable devant des juridictions statuant au fond. Il était alors dit que le tribunal était saisi ou qu’il statuait « en la forme des référés », « selon les formes des référés », « comme en matière de référé », etc. (V., sur les variantes terminologiques, M. Foulon et Y. Strickler, Les référés en la forme, Dalloz, 2013.)

Le poids des mots

Il ne fallait cependant pas se tromper. Il ne s’agissait que d’emprunter la procédure de référé pour l’utiliser dans le cadre de procédure au fond. Conformément à l’article 492-1 du code de procédure civile, le tribunal saisi « en la forme des référés » était une juridiction du fond, rendant des décisions au principal et non au provisoire comme c’est le cas en matière de référé. Un « référé au fond » (P. Estoup, La pratique des procédures rapides, 2e éd., Litec, 1998, nos 139 s. ; v. aussi, employant ces termes, Y. Strickler et M. Foulon, De l’hybridation en procédure civile. La forme des référés et des requêtes des articles 1379 et 1380 du code de procédure civile, D. 2009. 2693 ), en somme, ce qui confine à l’oxymore. D’où l’appellation de « faux référé » qui était classiquement utilisée pour désigner les procédures en la forme des référés. En vérité, ces variations de vocabulaire étaient incommodes car elles révélaient « un abus de langage de la part du législateur qui a désigné une procédure définitive en employant un mot désignant son contraire » (Rép. pr. civ., v° Référé civil, par N. Cayrol, n° 29 ; v. aussi G. Wiederkehr, « Le droit et le sens des mots », in Mélanges Goubeaux, 2009, Dalloz-LGDJ, p. 571). Mais il y avait pire encore. Les « référés en la forme » étaient une catégorie hétéroclite recouvrant des vrais faux-référés et des faux faux-référés, c’est-à-dire « un vrai référé, travesti en faux référé » (I. Després, « Référés et requêtes… en droit des libéralités et des successions », in Mélanges Wiederkehr, 2009, Dalloz, p. 226). Autant dire que ce mécanisme procédural recouvrait une situation kafkaïenne à laquelle il devenait urgent de remédier. On le sait, dans les matières techniques comme la procédure civile, le poids des mots est important : « l’imprécision du vocabulaire engendre rapidement la confusion des problèmes » (Rép. pr. civ., v° Action en justice, par N. Cayrol, n° 40).

Déroulement de la procédure

La simplification de la terminologie était une étape indispensable – la première – de cet effort de simplification. Voilà donc consacrée la procédure accélérée au fond (pour un regard critique sur cette appellation, v. Y. Strickler, art. préc., JCP 2019. 928, spéc. n° 3) qui se libère de cette référence trompeuse au référé. Signe de cette évolution, le décret du 20 décembre 2019 abroge purement et simplement l’article 492-1 du code de procédure civile. Le nom a été changé, et c’est heureux, mais la chose demeure, au moins dans son essence. Il s’agit toujours d’une voie procédurale tout entière tournée vers le traitement rapide la prétention qui relève d’un autre juge que le juge des référés. Le décret apporte des précisions sur le déroulement de la procédure accélérée au fond. On notera le découpage qu’il adopte entre, d’un côté, les dispositions relatives au régime général de la procédure accélérée au fond et, de l’autre, les dispositions particulières.

Régime général

Au titre du régime général, le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 crée un article 481-1 au sein du code de procédure civile lui-même inséré dans une sous-section 2 relative aux « jugements en procédure accélérée au fond ». En ce qui concerne l’introduction de l’instance, il est prévu que la demande doit être portée par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet. Il s’agit donc d’une procédure contradictoire dont il est précisé qu’elle est orale. Le juge doit être saisi par la remise d’une copie de l’assignation au greffe avant la date fixée pour l’audience, sous peine de caducité de l’assignation constatée d’office par ordonnance, ou, à défaut, à la requête d’une partie. Le jour de l’audience, le juge doit s’assurer qu’il s’est écoulé un temps suffisant depuis l’assignation pour que la partie assignée ait pu préparer sa défense. Il a en outre la faculté de renvoyer l’affaire devant la formation collégiale, à une audience dont il fixe la date, qui statuera selon la procédure accélérée au fond. À titre exceptionnel, en cas d’urgence manifeste à raison notamment d’un délai imposé par la loi ou le règlement, le président du tribunal, statuant sur requête, peut autoriser à assigner à une heure qu’il indique, même les jours fériés ou chômés. Une fois rendu, le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire dans les conditions prévues aux articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile. La décision du juge peut être frappée d’appel à moins qu’elle émane du premier président de la cour d’appel ou qu’elle ait été rendue en dernier ressort en raison du montant ou de l’objet de la demande. Quant au délai d’appel ou d’opposition, il est de quinze jours. À la lecture de ces nouvelles dispositions, il apparaît que le régime de la procédure accélérée au fond emprunte largement à celui du référé, ce qui montre, comme son (nouveau) nom l’indique, que la célérité est toujours l’objectif premier de cette voie procédurale.

Dispositions particulières

Au titre des dispositions particulières, il faut noter que de nombreux codes sont touchés par le décret (en tout et pour tout neuf codes : les codes de procédure civile, de commerce, de l’expropriation pour cause d’utilité publique, des procédures civiles d’exécution, de la santé publique, de la sécurité sociale, du travail, de l’urbanisme et le code rural et de la pêche). Les modifications consistent, pour les procédures qui n’ont pas été intégrées au domaine du référé, des requêtes ou de la procédure contentieuse ordinaire, à substituer aux termes « en la forme des référés » les mots « selon la procédure accélérée au fond » et, par voie de conséquence, à substituer au terme « ordonnance » les mots « jugement » ou « décision ».

En définitive, l’avenir dira si la nouvelle procédure accélérée au fond permettra de surmonter les difficultés auxquelles se heurtaient les praticiens avec le référé en la forme ou si elle en suscitera elle-même. Pour l’heure, il faut se garder de tout jugement hâtif et, pourquoi pas, se montrer optimistes. La réforme simplifie les choses en adoptant une sémantique plus claire que la précédente ce qui est, en soi, une avancée : bien nommer les choses, c’est déjà les dominer.

image

C’est un court arrêt que nous livre la Cour de cassation, le 5 décembre 2019, dans une affaire dans laquelle il était fait reproche à l’appelant de ne pas avoir fait signifier, en même temps que la déclaration d’appel, l’annexe contenant les chefs critiqués.

La Cour de cassation, en quelques mots, casse et annule l’arrêt d’appel qui avait accueilli le moyen de caducité soulevé par l’intimé. Outre qu’il rappelle ce qu’est une déclaration d’appel, et ce qu’elle n’est pas, l’arrêt interroge quant à sa portée réelle ou possible.

« L’annexe contenant les chefs de la décision critiqués »

Il est précisé dans l’arrêt que la déclaration d’appel contenait une annexe. Cela mérite des explications. Quiconque ne pratique pas de manière habituelle la procédure d’appel sera bien en mal de comprendre ce dont il s’agit.

Le code de procédure civile ne contient aucune disposition prévoyant que l’acte d’appel devrait être assorti d’un document annexe qui contiendrait les chefs critiqués. Notamment, il n’est rien dit à ce sujet à l’article 901, au rebours de l’article 85, concernant l’appel en matière d’exception d’incompétence, qui permet de joindre des conclusions à l’acte d’appel si celui-là ne contient pas la motivation de l’appel.

L’annexe dont il est question, et qui contiendrait les chefs expressément critiqués, apparaît dans une circulaire de la chancellerie (circ. du 4 août 2017 : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel. L’attention du greffe et de la partie adverse sur l’existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d’appel. »). Cette possibilité laissée à l’appelant répond aux limites techniques d’un système qui ne permet pas, actuellement, de contenir plus de 4 080 caractères.

Alors que cette possibilité avait vocation à être très isolée, la limite des 4 080 caractères s’avérant amplement suffisante en pratique, force est de constater qu’elle s’est généralisée. Ainsi, de nombreux avocats ont pris l’habitude d’annexer de manière systématique un document joint contenant les chefs du jugement expressément critiqués.

Il faut néanmoins rappeler que cette tolérance provient d’une simple circulaire, qui n’a donc aucune valeur d’obligation (Civ. 2e, 30 mars 2017, n° 15-25.453 P, Dalloz actualité, 27 avr. 2017, obs. M. Kebir ; JA 2017, n° 561, p. 11, obs. J. Marfisi ; RDSS 2017. 572, obs. T. Tauran ).

La question se pose de la possibilité de procéder de cette manière lorsque l’appelant ne démontre pas être dans l’impossibilité de faire figurer les mentions dans la déclaration elle-même, sachant que l’arrêt de cassation ne consacre pas cette pratique.

Les juges, nonobstant la circulaire du 4 août 2017, pourraient retenir que la possibilité de mentionner les chefs critiqués dans un acte séparé n’est ouverte que lorsqu’il est démontré une impossibilité technique de les faire figurer dans la déclaration d’appel elle-même. Cela correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de cause étrangère, lorsqu’il est démontré que le fichier joint excède la taille de 4 Mo et qu’il ne peut en conséquence être envoyé par voie électronique (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864 P, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ; JCP 2017. 1248, obs. Croze ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 54, obs. Herman).

« L’annexe de la déclaration d’appel dans laquelle il avait fait figurer les chefs de dispositif de l’ordonnance critiqués par l’appel »

Il ressort du moyen de cassation que, dans l’annexe, l’appelant avait « fait figurer les chefs de dispositif de l’ordonnance critiqués ». Or l’article 901 impose de mentionner les chefs du jugement, lesquels, selon nous, sont à distinguer des chefs de dispositif.

Nous pouvons douter qu’un simple copié-collé du dispositif du jugement dont il est fait appel réponde à l’objectif du décret du 6 mai 2017 (décr. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile), et ce d’autant que le jugement est joint à la déclaration d’appel. La lecture de la déclaration d’appel doit permettre à toute partie, et à la cour, de savoir précisément ce qui sera discuté́ en appel. Mieux, cette lecture devrait déjà dresser un canevas de ce que seront les conclusions en appel.

Nous pensons que la détermination des chefs du jugement critiqués impose un travail intellectuel consistant à examiner ce qui était discuté en première instance, ce qui a été jugé par le jugement dont appel, et ce que sera la discussion en appel (v. Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas Express », n° 317).

« La déclaration d’appel […] avait été signifiée dans le délai requis »

La Cour de cassation rappelle par ailleurs ce qu’est la déclaration d’appel, et ce qu’elle n’est pas. Il ressort que le document annexe n’a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrante de la déclaration d’appel.

Sur le plan procédural, cela est inattaquable. En effet, dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, qui imposent, aux termes de l’article 930-1, de remettre les actes de procédure par voie électronique, c’est l’article 10 de l’arrêté technique du 30 mars 2011 (arr. du 30 mars 2011, art. 10, relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel : « Le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif tient lieu de déclaration d’appel, de même que son édition par l’auxiliaire de justice tient lieu d’exemplaire de cette déclaration lorsqu’elle doit être produite sous un format papier. ») qui nous dit ce qu’est une déclaration d’appel. Pour former appel, l’avocat envoie un fichier structuré au greffe, lequel envoi génère, après son traitement par les services du greffe, un fichier au format PDF, qui est la déclaration d’appel au sens procédural strict, comme l’a précisé la Cour de cassation (Civ. 2e, 6 déc. 2018, n° 17-27.206 P, Dalloz actualité, 16 janv. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero ).

Or l’arrêté technique qui définit la déclaration d’appel ne connaît pas le document annexe à la déclaration d’appel. Lui donner une valeur procédurale ajouterait à l’arrêté de 2011, mais également au code. Nous comprenons que l’incident de caducité soulevé par l’intimé reposait essentiellement sur la jurisprudence de la Cour de cassation ayant retenu que n’a pas fait diligence l’appelant qui a fait signifier un acte autre que la déclaration d’appel (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-18.212 P, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2192 , note G. Bolard ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ). Pour l’intimé, il s’agissait de soutenir que la déclaration d’appel était constituée du fichier PDF en plus document annexe, de sorte que c’est cet ensemble, indissociable, qu’il fallait signifier pour satisfaire à l’obligation procédurale de l’article 905-1 (ou de l’article 902 en circuit ordinaire).

Mais dès lors que ce document joint n’est pas une partie de la déclaration d’appel, la caducité ne pouvait aboutir pour ce motif.

La cassation s’imposait.

L’arrêt semble donc prendre de la distance avec la circulaire, laquelle n’est au demeurant pas citée alors qu’elle est au centre de la problématique. En effet, la circulaire précisait quant à elle que « cette pièce jointe […] fera ainsi corps avec la déclaration d’appel », ce que l’arrêt semble rejeter en ne lui accordant aucune valeur procédurale.

Mais la question pourrait se poser lorsque la déclaration d’appel n’est pas le document PDF généré par le système RPVA, mais un document papier. Il en est ainsi lorsque l’appel est formé par un défenseur syndical en matière prud’homale, qui n’a pas accès au réseau électronique des cours d’appel (C. pr. civ., art. 930-2), ou par un avocat qui ne peut remettre son acte par voie électronique en raison d’une cause étrangère (C. pr. civ., art. 930-1).

Faudrait-il alors considérer que l’annexe papier ferait partie intégrante de la déclaration d’appel papier ? Rien n’est moins sûr. Dès lors que ce document annexe n’existe pas davantage dans le code, notamment à l’article 901, il ne saurait lui être conféré une quelconque valeur. Mais c’est justement cela qui interroge sur la portée de l’arrêt.

« La déclaration d’appel, dont la nullité n’avait pas été prononcée »

Pour la Cour de cassation, « la déclaration d’appel, dont la nullité n’avait pas été prononcée, avait été signifiée dans le délai requis ». L’arrêt de la Cour aurait certainement été aussi clair, et la solution identique, s’il s’était contenté de dire que « la déclaration d’appel avait été signifiée dans le délai requis ».

Nous doutons que cette précision, selon laquelle « la nullité n’avait pas été prononcée », soit anodine. Mais s’agit-il de souligner que l’intimé n’a pas abordé la problématique sous le bon angle ?

La nullité d’un acte d’appel, en rapport avec la mention des chefs expressément critiqués, renvoie notamment aux trois avis rendus en 2017 par la Cour de cassation (Cass., avis, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036, D. 2018. 18 ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean ), desquels il ressort que la déclaration d’appel ne mentionnant pas les chefs expressément critiqués serait nulle pour vice de forme.

Cette précision de la Cour de cassation pourrait laisser entendre que cette annexe ne satisferait pas à l’exigence de l’article 901 imposant à la partie de mentionner les chefs expressément critiqués dans la déclaration d’appel elle-même. En d’autres termes, cette déclaration d’appel avec document joint ne contiendrait pas les chefs expressément critiqués et encourrait donc la nullité pour vice de forme.

Allant un peu plus loin dans le raisonnement, et oubliant la nullité de l’acte d’appel qui n’est stratégiquement jamais très intéressante à soulever (Procédures d’appel, op. cit., n° 328), cela reviendrait à dire que la cour d’appel, dans un tel cas, ne serait saisie de rien, l’effet dévolutif de l’article 562 du code de procédure civile n’ayant pu jouer (ibid.).

Cet arrêt, avec cette interprétation, ouvre des portes intéressantes et conforte la thèse qui a pu être la nôtre quant au caractère dangereux de mentionner les chefs critiqués dans un document séparé (ibid., n° 326).

Nullité de l’acte ou irrecevabilité des demandes ?

En l’état de cette jurisprudence, il apparaît que l’intimé, en présence d’une déclaration d’appel pour laquelle les chefs critiqués sont mentionnés dans un document séparé, pourrait envisager de soulever la nullité de l’acte d’appel pour vice de forme.

La difficulté, avec le vice de forme, est le grief, quasiment impossible à démontrer. Mais, en l’espèce, l’intimé se voit signifier une déclaration d’appel qui ne lui permet pas de connaître la dévolution. Le grief devient alors évident, tout comme il existe lorsque l’acte d’assignation n’est pas motivé au regard de l’article 56 (v. Civ. 2e, 6 avr. 2006, n° 04-11.737 P, AJDI 2007. 208 , obs. P. Capoulade ).

Mais il apparaît plus efficace, compte tenu de l’effet interruptif de l’article 2241 du code civil en cas de nullité de l’acte d’appel (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088 P, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 2118 ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; JCP 2014. 1271, note Auché ; 1er juin 2017, n° 16-14.300 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1196 ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ), d’aller sur le terrain de l’irrecevabilité des demandes.

En l’état actuel, cette irrecevabilité des demandes est encore de la compétence de la cour d’appel, mais c’est le conseiller de la mise en état qui pourrait prochainement en être investi s’il récupère, fort logiquement, les nouvelles compétences du juge de la mise en état en matière de fin de non-recevoir (décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, art. 4, I, créant un art. 789, 6°, qui donne compétence au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir).

image

Un véhicule appartenant indivisément à deux personnes est incendié. Celles-ci saisissent la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) pour obtenir réparation sur le fondement de l’article 706-14 du code de procédure pénale. La cour d’appel de Bordeaux alloue à chacune des victimes la somme de 4 500 €. Le Fonds de garantie des victimes et des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI) forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Il reproche à la cour d’appel de Bordeaux d’avoir alloué deux sommes de 4 500 € aux deux coïndivisaires, ce qui serait contraire aux articles 706-14 et 706-14-1 du code de procédure pénale qui ne prévoiraient que l’octroi d’une seule indemnité.

Lorsqu’elle applique le régime d’indemnisation de l’article 706-14 du code de procédure pénale en présence d’une indivision, la CIVI peut-elle allouer deux sommes à chacun des demandeurs ou doit-elle se contenter de n’en allouer qu’une seule ?

La Cour de cassation, dans un arrêt auquel elle donne de l’importance (FS-P+B+I), rejette le pourvoi et décide que la cour d’appel a eu raison de dire que les deux victimes étaient fondées à solliciter chacune une indemnisation.

L’article 706-14 du code de procédure pénale est indissociable de l’article 706-14-1 qui en est « la déclinaison » pour les véhicules incendiés (C. Béchu et P. Kaltenbach, Rapport d’information n° 107, 2013-2014). L’objectif de ces textes est d’améliorer le sort des victimes dans divers cas précisés par la loi, au nom de la solidarité nationale. L’article 706-14-1 est issu d’une loi du 1er juillet 2008 et établit un régime visant spécifiquement les incendies de véhicules. Le texte prévoit qu’il s’applique « à toute personne victime de la destruction par incendie d’un véhicule terrestre à moteur » tout en se rapportant aux conditions mentionnées dans l’article précédent. Il est donc plus limité en ce qu’il ne concerne qu’un certain type de dommage, mais plus facile à engager en ce qu’il s’affranchit de la condition exigeant que la victime établisse se trouver dans une situation matérielle ou psychologique grave. La deuxième chambre civile rappelle d’ailleurs, en citant l’arrêt de la cour d’appel, que les demandeurs remplissaient bien les conditions spécifiques de ce régime. Parmi ces conditions, le fait d’être titulaire de la carte grise puisque le texte précise que les victimes doivent justifier « au moment des faits avoir satisfait aux dispositions du code de la route relatives au certificat d’immatriculation et au contrôle technique ». On comprend toutefois, à la lecture de l’arrêt, que seul l’un des indivisaires était titulaire de la carte grise et que l’autre est celui qui avait payé le véhicule. Cela semblait suffisant aux juges pour conférer aux deux victimes la qualité de coïndivisaire. Cela signifie-t-il qu’il suffit d’être titulaire de la carte grise d’un véhicule pour s’en voir attribuer une partie de la propriété ? Pourtant, les juges se sont déjà prononcés, au regard de l’article 322-2 du code de la route, pour décider que « le certificat d’immatriculation dit carte grise est un titre de police mais ne préjuge pas de la propriété du véhicule » (Civ. 1re, 25 févr. 1958, Bull. civ. I, n° 114) ou encore que « la carte grise d’un véhicule est une simple pièce administrative qui permet la mise en circulation du véhicule mais qui ne vaut pas titre de propriété » (Paris, 14 sept. 2000, D. 2000. IR 265 ).

En l’espèce, ce ne sont pas tant les conditions du régime qui posent problème que les conditions d’attribution de l’indemnité. Le Fonds d’indemnisation fait valoir que l’existence d’une indivision n’est pas un motif justifiant l’octroi d’une indemnité à chaque indivisaire.

L’enjeu est important. Il est aussi multiple. En effet, le régime prévoit un plafond de ressources qui est d’ailleurs plus élevé que pour le régime de l’article 706-14 du code de procédure pénale. L’article 706-14-1 rehausse le plafond à une fois et demie celui prévu à l’article précédent (v. L. n° 91-647, 10 juill. 1991, art. 4). On comprend que, selon le mode d’attribution, il est possible de dépasser le plafond prévu pour la réalisation du dommage consistant en l’incendie de la voiture. Si on envisage l’indivision comme une entité, la somme attribuée à son profit sera forcément moindre que si on prend en considération les personnes composant l’indivision. Certes, le plafond ne pourra pas être dépassé pour chacune d’entre elles mais cela revient tout de même à multiplier la somme par deux (quand il y a deux indivisaires). Dès lors, cet arrêt questionne la portée de la solidarité nationale et la Cour de cassation affirme qu’elle doit être étendue à toutes les victimes. On comprend, en effet, pourquoi le Fonds rechigne à indemniser les indivisaires plutôt que l’indivision. Sans doute craint-il aussi l’augmentation des demandes, pouvant, pour certaines d’entre elles, s’avérer frauduleuses. Il faut alors rappeler que le texte pose des conditions très strictes et que les indemnités versées par le FGTI, sur le fondement de l’article 706-14-1, ne représentent que 4 % des demandes au regard des deux autres mécanismes – l’article 706-14 et l’article 706-3 du code de procédure pénale – (source FGTI 2011, citée in C. Béchu et P. Kaltenbach, Rapport d’information, op. cit.). La solidarité s’en remettra dans ce cas-là… On est toutefois rassuré de savoir qu’il n’y avait pas des dizaines d’indivisaires.

L’argument du FGTI, pour refuser d’indemniser les deux indivisaires, ne pourrait n’être alors que strictement juridique. Celui déployé dans le moyen par le FGTI est pourtant lacunaire. Il se contente d’affirmer que « la destruction d’un véhicule terrestre à moteur dont plusieurs personnes sont indivisément propriétaires ne peut donner lieu au paiement que d’une seule indemnité […] à répartir entre les coïndivisaires ». On pourra aussi déplorer l’absence de motivation de la Cour de cassation qui semblait pourtant vouloir l’enrichir pour les arrêts les plus importants (v. les travaux de réflexion sur la réforme interne de l’institution, mais aussi P. Deumier, Motivation enrichie : bilan et perspectives, D. 2017. 1783 ou encore C. Jamin, Le Grand Inquisiteur à la Cour de cassation, AJDA 2018. 393 ).

Pour comprendre la décision, il faut peut-être simplement se référer au texte qui vise « toute personne victime de la destruction par incendie d’un véhicule terrestre à moteur ». Or, ici, elles sont deux personnes victimes et chacune d’elle remplit les conditions prévues dans le régime. L’existence d’une indivision et de règles spécifiques relatives à celle-ci ne semble pas être entrée en compte dans la décision de la Cour de cassation. Puisque cette dernière admet la possibilité d’allouer deux indemnités, c’est peut-être qu’elle considère que l’indemnité versée par le FGTI ne se subroge pas au bien détruit, qu’elle ne se divise pas au nom de l’indivision et qu’elle ne fait donc pas partie de l’indivision nonobstant les dispositions de l’article 815-10 du code civil. C’est la nature même de l’indemnité prévue par l’article 706-14-1 du code de procédure pénale qui doit être interrogée (v. J.-Cl. Resp. civ. ass., fasc. 260, par H. Groutel, n° 11). Quant aux préjudices réparés, on comprend, à la lecture des moyens annexes de l’arrêt, qu’il s’agit d’un préjudice d’immobilisation et d’un préjudice matériel : « il est établi que M. A avait acquis ce véhicule au prix de 8 700 € deux mois avant l’incendie et que les appelants subissent en outre un préjudice d’immobilisation, ce qui justifie l’allocation de la somme de 4 500 € à chacun d’eux ». Peut-être la cour d’appel souhaitait-elle faire sauter le plafond d’indemnisation afin de permettre l’indemnisation la plus efficiente possible ? Seul, le propriétaire du véhicule n’aurait vu son préjudice réparé que de moitié mais, à deux, cela a permis une réparation intégrale du préjudice. Une décision justifiée par l’équité ? La Cour de cassation prend soin de s’en défendre : « C’est à bon droit que la cour d’appel […] a décidé qu’ils étaient tous deux fondés à solliciter une indemnisation, dans la limite du préjudice subi par chacun d’eux et du plafond prévu par l’article 706-14-1 du code de procédure pénale ».

L’arrêt de la deuxième chambre civile du 12 décembre 2019, bien qu’il participe à une meilleure indemnisation des victimes au nom de la solidarité nationale, est susceptible d’avoir des conséquences importantes sur la solidarité nationale.

Le règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit le régime de reconnaissance et d’exécution des jugements rendus dans les autres États membres.

Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure, en vertu de l’article 33.

En revanche, une procédure est prévue en ce qui concerne l’exécution : ces décisions sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée, selon l’article 38. Cette requête doit, en France, être présentée devant le directeur de greffe du tribunal de grande instance (devenu le tribunal judiciaire à compter du 1er janv. 2020).

Dans ce cadre, les décisions sont déclarées exécutoires, selon l’article 41, dès l’achèvement des formalités prévues à l’article 53 (notamment la production d’une expédition réunissant les conditions nécessaires à son authenticité), étant précisé que la partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, à ce stade, présenter d’observations.

En application de l’article 42, la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire est portée à la connaissance du requérant et est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée.

L’article 43 précise alors le régime des recours : l’une ou...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

En matière de mesures conservatoires, la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas très abondante, ce qui souligne l’intérêt du présent arrêt.

L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

Pour la mise en œuvre, l’article R. 511-5 du code des procédures civiles d’exécution précise que la demande d’autorisation prévue à l’article L. 511-1 est formée par requête, sans autre précision.

Si bien que, dès les premiers mois de l’application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution et du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution pour l’application de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, la question du régime procédural applicable a cette requête s’est posée.

La seule réponse apportée à cette question, résulte, à notre connaissance, d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 2 septembre 1999 qui avait jugé que le décret ne réglant pas les modalités de l’obtention et de la délivrance de cette requête, il convient, pour la procédure à suivre, de se reporter aux textes du nouveau code de procédure civile dont l’application est...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

La haute juridiction continue de construire un régime équilibré des soins psychiatriques contraints (v. sur ce point Civ. 1re, 5 déc. 2019, n° 19-22.930, Dalloz actualité, 20 déc. 2019, obs. N. Peterka ; D. 2019. 2419 ). Pour ce faire, elle n’hésite pas à osciller entre protection des droits de l’intéressé – par exemple en permettant d’invoquer une exception de nullité en appel – et protection de l’ordre public – en régulant la terminaison de la mesure. Ce n’est pas qu’un jeu subtil de nuances, le but reste de préserver les intérêts en présence (JCP Adm. 2019. 2199, spéc. n° 1, obs. M.-L. Moquet-Anger). Rappelons l’originalité des mesures d’hospitalisation forcée : elles peuvent être ordonnées par l’autorité judiciaire comme par l’autorité administrative (Rép. civ., v° Troubles psychiques – Malades mentaux, par E. Bonis, n° 152). Les deux arrêts étudiés présentent toutefois des différences factuelles importantes. Malgré ceci, elles permettent des interrogations transversales que nous tenterons au moins d’évoquer. À titre préliminaire, rappelons que ces deux arrêts s’inscrivent dans la nouvelle rédaction des décisions de la Cour de cassation, sans attendu et divisés clairement entre faits et solutions.

Dans la première affaire (pourvoi n° 18-50.073), l’hospitalisation forcée se conjuguait avec la fuite de l’intéressé. Un tribunal correctionnel admet, le 29 avril 2015, l’irresponsabilité pénale d’une personne physique alors qu’elle était poursuivie du chef d’agression sexuelle. Le tribunal ordonne également son admission en soins psychiatriques sans consentement par application combinée des articles 122-1 du code pénal et 706-135 du même code. En juin 2015, l’intéressé est en fuite. Le préfet demande la prolongation de la mesure. Le juge des libertés et de la détention la prolonge, à plusieurs reprises, par application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Mais alors que le préfet demande à nouveau une prolongation, le juge ordonne la fin de la mesure en 2018. Pour justifier le rejet de la prolongation, l’ordonnance retient « qu’aucun renseignement n’a été fourni par l’administration sur sa situation actuelle, au point que l’on ignore si le patient se trouve toujours sur le territoire français, est encore en vie, s’il est possible de présumer que sa dangerosité n’a pas disparu ou, au contraire, que...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

Mécaniquement, le principe de libre disposition des gains et salaires prévu par le régime primaire s’en trouve réduit, dans son champ d’application, aux seuls gains et salaires non encore économisés. Par ailleurs, la Cour de cassation exclut la requalification d’un contrat d’assurance-vie mixte en donation malgré l’acceptation du bénéficiaire, par application du critère de la révocabilité de l’acte.

Voilà plusieurs années que l’on attendait la position de la Cour de cassation sur une question d’importance : celle de la validité des donations consenties par un époux marié sous un régime de communauté à l’aide de ses gains et salaires. Si la réponse est on ne peut plus claire, elle n’emportera certainement pas les louanges unanimes de ses commentateurs.

L’arrêt comporte également un autre volet, concernant la requalification d’un contrat d’assurance-vie en libéralité. Sur ce point, la solution rendue est plus classique : elle écarte la requalification en raison de la faculté de rachat laissée au souscripteur malgré l’acceptation par le tiers bénéficiaire de sa désignation. La solution, toutefois, est éminemment liée à l’état des textes antérieurs à la loi du 17 décembre 2007 et ne saurait perdurer sous l’empire du droit en vigueur depuis cette réforme.

Dans cette affaire, un époux marié sous le régime de la communauté universelle avait consenti deux libéralités, puisées sur des comptes en banque ouverts à son nom, à une femme avec laquelle il entretenait une relation adultère. Il avait par ailleurs désigné cette même femme comme bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie mixte, et elle avait accepté cette désignation. Postérieurement au décès de l’époux, sa conjointe a agi en nullité des libéralités consenties, afin d’obtenir la restitution des sommes. L’action a été poursuivie par le légataire universel de l’épouse, après le décès de cette dernière.

Les juges du fond ont accueilli les demandes en nullité des différentes libéralités, notamment celles résultant des contrats d’assurance-vie mixte requalifiés en donations indirectes. La bénéficiaire des libéralités a formé un pourvoi en cassation.

Dans un premier moyen, elle a contesté la décision rendue au sujet des donations directes en soutenant que ces libéralités portaient, au moins pour partie, sur les gains et salaires de l’époux donateur, lesquels sont soumis à la libre disposition de celui qui les perçoit, dès lors qu’il s’est acquitté de sa part des charges du mariage.

Pour la première fois depuis 1984, la Cour de cassation a donc été amenée à se prononcer sur la validité d’une donation consentie par un époux commun en biens au moyen de ses gains et salaires. Elle a rejeté le moyen du pourvoi en considérant, aux termes d’un attendu de principe limpide dans sa formulation, que « ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées ».

Dans un second moyen, la demanderesse au pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir requalifié les contrats d’assurance-vie en libéralités au motif que le fait, pour le souscripteur, de consentir à l’acceptation, par le bénéficiaire, de sa désignation, traduit une volonté de se dépouiller de manière irrévocable au profit du bénéficiaire, dès lors que le souscripteur se trouve privé de toute possibilité de rachat du fait de cette acceptation. Cette solution, qui aurait sans doute été approuvée sous l’empire du droit positif, a été censurée par la Cour de cassation, qui a fait application de l’article L. 132-9 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 décembre 2007.

Aux termes d’un second attendu de principe, la haute juridiction rappelle que, sous l’empire des textes anciens, « en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ». Dès lors, la cour d’appel ne pouvait retenir l’existence d’une libéralité sans constater une renonciation expresse du souscripteur à l’exercice de son droit de rachat.

L’arrêt est donc partiellement cassé, en ce qu’il a requalifié les contrats d’assurance-vie en donations indirectes et prononcé leur nullité, mais il n’est pas remis en cause en ce qu’il a prononcé la nullité des donations directes.

Les deux questions abordées par l’arrêt étant très différentes, il conviendra d’envisager successivement les deux solutions rendues par la Cour de cassation : d’une part, la nullité des donations consenties à l’aide de gains et salaires économisés ; d’autre part, l’éviction de la qualification de donation au sujet des contrats d’assurance-vie mixte.

La nullité des donations consenties à l’aide des gains et salaires économisés

La Cour de cassation fait ici œuvre créatrice en retenant une solution de principe que la lettre des textes n’imposait pas, et qui laisse planer des incertitudes, tant sur sa mise en œuvre que sur ses incidences.

Le principe posé

Par cet arrêt, la Cour de cassation tranche un débat bien connu dont on rappellera brièvement les termes. La difficulté provient d’une contradiction entre deux textes de loi dont les champs d’application, à première vue, se recoupent. D’un côté, l’article 223 du code civil, siège de l’autonomie professionnelle, octroie à chaque époux un droit de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté de sa part des charges du mariage. Une majeure partie de la doctrine en déduit que ce texte soumet les gains et salaires à la gestion exclusive de l’époux qui les perçoit. D’un autre côté, pour les couples mariés sous un régime de communauté de biens, l’article 1422 du code civil pose une règle de cogestion en subordonnant à l’accord des deux époux la validité des donations portant sur des biens communs. Les gains et salaires étant qualifiés de biens communs (Civ. 1re, 8 févr. 1978, n° 75-15.731, Bull. civ. I, n° 53), ils ont vocation à être soumis, en tant que tels, à cette règle de cogestion.

Toute la question est donc de savoir comment doivent s’articuler ces deux textes contradictoires qui ont une égale vocation à s’appliquer, en cas de donation des gains et salaires. La façon la plus simple de résoudre ce conflit eût été de se référer au caractère impératif du régime primaire (arg. C. civ., art. 226), dont relève l’article 223 du code civil. En tant que disposition impérative applicable à tous les couples mariés, quel que soit leur régime matrimonial, l’article 223 aurait très bien pu l’emporter sur l’article 1422, qui relève du régime de la communauté de biens. C’est d’ailleurs ce que soutenait la demanderesse au pourvoi, qui faisait valoir que « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires à titre gratuit ou onéreux après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ». De fait, l’article 223 pose un principe de libre disposition sans opérer de distinction selon que l’époux souhaite en disposer à titre gratuit ou onéreux, ce qui autorise à lui conférer une portée large, par application de l’adage ubi lex non distinguit.

Telle n’est toutefois pas la voie retenue par la Cour de cassation, qui a choisi de combiner les deux textes contradictoires, plutôt que de faire primer l’un sur l’autre. Pour ce faire, elle a eu recours à une notion qui ne figure dans aucun des textes en cause : la notion d’économie. Ainsi, il ressort de sa décision que la règle de cogestion de l’article 1422 du code civil s’applique aux gains et salaires à partir d’un certain seuil : le moment où ils ont été économisés. Sont donc frappées de nullité les libéralités consenties par un seul époux, commun en biens, au moyen de sommes économisées provenant de ses gains et salaires. A contrario, il faut en déduire que, tant que les gains et salaires n’ont pas été économisés, ils sont soumis au principe de libre disposition de l’article 223 du code civil, de sorte qu’un époux, quel que soit son régime matrimonial, pourra valablement en disposer à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté des charges du mariage.

La solution n’est pas totalement inédite : elle transparaissait déjà dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 février 1984, dont l’interprétation avait toutefois divisé la doctrine (Civ. 1re, 29 févr. 1984, n° 82-15.712, Bull. civ. I, n° 81 ; JCP 1985. II. 20443, note Le Guidec ; D. 1984. 601, note Martin ; Defrénois 1984, art. 33379, p. 1074, obs. Champenois ; RTD civ. 1985. 721, obs. Rubellin-Devichi ; GAJC, t. 1, 2015, 13e éd., Dalloz, n° 90, p. 503 s., obs. H. Capitant, F. Terré, Y. Lequette). La haute juridiction avait alors admis la validité de libéralités consenties par un époux au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires, sur le fondement de l’article 224 du code civil (devenu 223 avec la loi du 23 déc. 1985), en retenant précisément la formule invoquée par le moyen du pourvoi dans la présente affaire : « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires, à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ». À époque, le demandeur au pourvoi avait reproché aux juges du fond de n’avoir pas recherché si ces gains et salaires accumulés pendant plusieurs années n’avaient pas le caractère de fonds communs dont un époux ne pouvait disposer en fraude des droits de son conjoint. La Cour de cassation avait balayé cet argument en retenant qu’il n’avait pas été allégué devant les juges du fond que ces sommes auraient été économisées. Autrement dit, les juges n’avaient pas à procéder à une recherche qui ne leur avait pas été demandée. De cette précision incidente, une partie de la doctrine a déduit, par une lecture a contrario, que la solution aurait été différente si les sommes avaient été économisées (v. not. R. Le Guidec, art. préc. ; G. Champenois, art. préc. ; adde P. Malaurie et L. Aynès, Droit des régimes matrimoniaux, 7e éd., LGDJ, 2019, spéc. n° 419, estimant que les économies faites sur les gains et salaires ne peuvent être données sans le consentement des deux époux). Une autre partie de la doctrine, plus circonspecte, se montrait prudente sur l’interprétation de cet arrêt, dont la solution n’avait jusqu’à présent pas été réitérée (v. not. D. Martin, note préc., estimant que le constat de l’irrecevabilité du moyen n’autorise pas à préjuger, au fond, de l’opinion de la Cour de cassation ; F. Terré et P. Simler, Régimes matrimoniaux et statut patrimonial des couples non mariés, 8e éd., Dalloz, 2019, spéc. n° 102, estimant que chaque époux peut disposer de ses gains et salaires sans le consentement de son conjoint et que cette solution doit être admise au sujet des économies faites sur les gains et salaires, tant qu’elles n’ont pas été confondues avec d’autres liquidités ou employées à l’acquisition d’autres biens).

Par le présent arrêt, la Cour de cassation vient de trancher le débat de la manière la plus explicite qui soit : elle consacre très clairement la notion d’économie des gains et salaires, pour régir leur gestion. La position retenue implique que les gains et salaires changent de régime, si ce n’est de nature, à compter du moment où ils ont été économisés. Communs dès leur entrée dans le patrimoine des époux (en ce sens, v. Civ. 1re, 6 déc. 2005, n° 03-13.799, Dalloz jurisprudence), les gains et salaires sont soumis dans un premier temps à un principe de libre de disposition qui déroge aux règles applicables aux autres biens communs. Pour peu que l’on voie dans l’article 223 du code civil une règle de gestion exclusive, la dérogation sera complète puisqu’elle conduira à écarter tant la règle de cogestion posée par l’article 1422 pour la donation de biens communs que le principe de gestion concurrente de l’article 1421 du code civil (qui veut que chacun des époux puisse administrer et disposer seul des biens communs, et aurait donc impliqué qu’un époux puisse disposer des gains et salaires de l’autre, à titre onéreux). Dans un second temps, dès lors qu’ils ont été économisés, les gains et salaires échappent à leur régime dérogatoire et se retrouvent soumis aux règles applicables aux autres biens communs.

Certains auteurs s’interrogent sur le point de savoir si ce changement de régime n’implique pas que les gains et salaires, qui sont, à l’origine, des biens communs « extraordinaires », deviendraient des biens communs « ordinaires » dès lors qu’ils ont été économisés (v. not. J. Antippas, La notion d’économie en droit des régimes matrimoniaux, RRJ 2009. 1275 s., spéc. n° 5 ; évoquant également la notion de biens communs « ordinaires » au sujet des gains et salaires économisés, v. G. Champenois, obs. in Defrénois 1984, art. 33379, p. 1074 s., spéc. p. 1078 ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., Armand Colin, 2001, spéc. n° 431 : « En cas de thésaurisation […] de revenus sur un compte, le capital ainsi constitué est un bien ordinaire » ; adde V. Barabé-Bouchard, Article 1415 c. civ. : de la saisissabilité des comptes de l’époux caution, D. 2003. 2792 , énonçant que, d’après l’arrêt du 29 février 1984, le stade de l’économie transforme les gains et salaires en acquêts ordinaires). Dans l’arrêt commenté, les juges du fond semblent plutôt avoir considéré que les gains et salaires, une fois économisés, avaient disparu en tant que tels pour devenir d’autres biens (« même si certains de ces fonds provenaient des gains et salaires de [l’époux donateur], ils étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires »). La Cour de cassation ne prend pas parti sur cette question de la nature des gains et salaires : elle se contente de juger que « l’arrêt se trouve légalement justifié », sans marquer davantage son approbation du raisonnement tenu, limitant sa prise de position au seul régime applicable aux gains et salaires économisés.

Très clair dans sa formulation, le principe posé n’en est pas moins générateur d’incertitudes.

Les incertitudes subsistant

Deux zones d’ombres demeurent. La première tient à la notion même d’économie consacrée par l’arrêt, la seconde à la portée de la solution, notamment sur le sort des gains et salaires en matière de passif.

La notion d’économie est évoquée par le droit des régimes matrimoniaux à travers l’article 1401 du code civil, qui range parmi les acquêts de communauté les biens acquis grâce aux « économies » faites sur les fruits et revenus des biens propres des époux. En revanche, les textes ne mentionnent pas les gains et salaires économisés. Ils n’en donnent, a fortiori, aucune définition ; l’économie n’est pas définie par la loi. D’où les difficultés présidant à sa mise en œuvre concrète : à partir de quand les gains et salaires doivent-ils être considérés comme économisés ? Faut-il qu’ils soient placés sur un compte bancaire producteur d’intérêts ? Suffit-il qu’un salaire soit stocké pendant un mois sur un compte quelconque pour qu’il soit considéré comme économisé ? Un compte en banque crédité d’un montant supérieur à un mois de salaire doit-il être considéré comme comportant des biens communs ordinaires, au-delà du montant du salaire mensuel ? Cette question avait déjà été soulevée par les commentateurs de l’arrêt du 29 février 1984.

Le présent arrêt n’apporte pas véritablement de réponse à ces interrogations, tant il est évident que l’on était en l’espèce en présence de gains et salaires économisés. On pourrait d’ailleurs se demander s’il s’agissait toujours de gains et salaires ou s’ils n’avaient pas plutôt été transformés en véritables acquêts de communauté. En effet, il ressort des constatations des juges du fond que les sommes utilisées pour la réalisation des donations provenaient, en premier lieu, du rachat d’un contrat d’assurance sur la vie souscrit en cours d’union et, en second lieu, de la liquidation d’un compte-titre ouvert au nom des deux époux. Dans un cas comme dans l’autre, les gains et salaires ont été utilisés pour acquérir un produit d’épargne (versement de primes dans le cadre du contrat d’assurance-vie ; acquisition de titres dans le cadre du compte-titre). Ils ont ensuite été remplacés par le fruit de cette épargne, lors du rachat de l’assurance-vie et de la liquidation du compte-titre. C’est d’ailleurs probablement ce qui a poussé les juges du fond à considérer que les gains et salaires utilisés pour acquérir ces sommes étaient devenus des « économies » et ne constituaient donc plus des gains et salaires.

Au vu des faits de l’espèce, la même solution aurait pu être rendue sans passer par le détour de la notion de gains et salaires économisés, en retenant la qualité d’acquêts des sommes issues du produit du rachat de l’assurance-vie et de la revente des titres. Du reste, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger qu’un compte-titres tout comme un plan d’épargne logement constituent des acquêts, quand bien même ils seraient alimentés exclusivement par les gains et salaires d’un époux (Civ. 1re, 14 janv. 2003, n° 00-16.078, Bull. civ. I, n° 2 ; D. 2003. 2792 , note V. Barabé-Bouchard ; AJ fam. 2003. 109, obs. S. D.-B. ; RTD civ. 2003. 339, obs. B. Vareille ; ibid. 534, obs. B. Vareille ; JCP 2003. II. 10019, concl. Sainte-Rose ; ibid. I. 124, n° 4 ; ibid. 158, n° 9, obs. P. Simler ; JCP N 2003. 1605, obs. Casey ; Gaz. Pal., 8-9 août 2003, obs. Piedelièvre ; Defrénois 2003. 544, obs. Champenois ; Dr. fam. 2003, n° 48 [2e esp.), note Beignier ; RD banc. fin. 2003. 95, obs. Legeais). Elle a alors appliqué à ces acquêts le régime des biens communs ordinaires, et non celui des gains et salaires de l’époux concerné. De même, la Cour de cassation considère que la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie mixte alimenté par des fonds communs représente un actif patrimonial qui doit être intégré dans la masse commune (Civ. 1re, 31 mars 1992, Praslicka, n° 90-16.343, Bull. civ. I, n° 95 ; D. 1993. 219 ; RTD civ. 1992. 632, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 635, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 1995. 171, obs. B. Vareille ; Defrénois 1992, art. 31348, obs. Champenois ; JCP 1992. II. 376, note P. Simler ; RGAT 1993. 137, note Aubert) ; il est possible d’en déduire que, lorsque le contrat d’assurance-vie alimenté par des fonds communs est racheté au cours de l’union, le produit de ce rachat intègre lui aussi la masse commune (en ce sens, v. not. M. Grimadi, Réflexions sur l’assurance-vie et le droit patrimonial de la famille, Defrénois 1994. 737, spéc. n° 27). Mais ce produit du rachat représente un nouveau bien issu de la transformation des gains et salaires.

En somme, on perçoit bien, dans la présente espèce, pourquoi il a été jugé que les donations ont été faites à partir de sommes économisées. Au-delà des seuls faits de l’espèce, la logique semble être que le versement sur un compte d’épargne, quel qu’il soit, suffit à caractériser l’économie des gains et salaires. En revanche, la question reste entière de savoir si, et dans quelle mesure, des gains et salaires simplement versés sur un compte de dépôt doivent être considérés comme économisés.

La seconde incertitude que fait naître la solution posée tient à son incidence sur le traitement des gains et salaires en matière de passif, et plus spécifiquement de passif provisoire. On sait que les gains et salaires obéissent à un régime dérogatoire en ce qui concerne les droits de poursuite des créanciers, dans les régimes communautaires. En effet, aux termes de l’article 1414 du code civil, le créancier d’un époux ne peut exercer ses poursuites sur les gains et salaires du conjoint de son débiteur, sauf en cas de dette ménagère solidaire (sur les difficultés d’interprétation posées par ce texte, v. not. J. Antippas, Pour une autre lecture de l’article 1414 du code civil, Dr. fam. déc. 2008, p. 16 s.). À l’inverse, en cas de cautionnement ou d’emprunt (non solidaire) souscrit par un époux sans le consentement de l’autre, le créancier ne peut exercer ses poursuites sur aucun bien commun, sauf les revenus (en ce compris les gains et salaires et les revenus des biens propres) de l’époux qui a souscrit la dette (C. civ., art. 1415). De même en va-t-il pour les dettes propres de chacun des époux, visées par les articles 1410 et 1411 du code civil. La notion et l’identification des gains et salaires des époux sont donc importantes pour délimiter le droit de gage général des créanciers.

La solution rendue dans le présent arrêt, sur une question de gestion, aura-t-elle un impact sur le sort des gains et salaires en matière de passif ? Les gains et salaires, une fois économisés, devront-ils toujours être traités comme des biens communs ordinaires ? Si tel est le cas, il pourrait suffire à un époux ayant souscrit seul un emprunt ou un cautionnement de placer ses salaires sur un compte épargne pour les faire échapper aux poursuites de son créancier. Inversement, pour une dette ordinaire, le créancier pourrait exercer ses poursuites sur tous les comptes épargne, y compris ceux qui sont exclusivement alimentés par les gains et salaires du conjoint non débiteur… S’interrogeant sur cette question, un auteur a parfaitement montré le rôle perturbateur que jouerait la notion d’économie des gains et salaires, à l’égard des règles de passif (J. Antippas, La notion d’économie en droit des régimes matrimoniaux, art. préc., spéc. nos 15 s.).

Faut-il conférer une telle portée à l’arrêt ? Il est vrai que la Cour de cassation ne se prononce que sur une question de gestion et s’en tient à affirmer l’invalidité des libéralités portant sur des sommes économisées à partir des gains et salaires. Mais cette solution repose sur une logique de changement de statut des gains et salaires économisés : originellement biens communs extraordinaires soumis à un régime dérogatoire, ils deviendraient, une fois économisés, des biens communs ordinaires soumis au même régime que les autres biens communs. De là, il n’y a qu’un pas pour considérer qu’une fois économisés, ils doivent être soumis à toutes les règles applicables aux autres biens communs, y compris les règles de passif. À travers cet arrêt, c’est donc tout le régime des gains et salaires qui se trouve remis en question. Si la problématique de la validité des libéralités consenties sur les gains et salaires est assez peu fréquemment soumise aux juges, celle du droit de poursuite des créanciers, en revanche, devrait donner lieu, avant longtemps, à de nouvelles décisions…

L’exclusion de la requalification des contrats d’assurance-vie mixte en libéralités

Sur le volet assurance-vie, l’arrêt commenté offre une solution plus classique au regard de la jurisprudence développée en ce domaine. Commençant par rappeler que la faculté de rachat du souscripteur ne disparaît pas du fait de l’acceptation du bénéfice du contrat, la Cour de cassation en déduit que le contrat d’assurance-vie ne pouvait être qualifié de libéralité, faute d’irrévocabilité.

Le maintien de la faculté de rachat malgré l’acceptation du bénéficiaire

L’article L. 132-23 du code des assurances ménage au souscripteur de certains contrats d’assurance-vie une faculté de rachat ou de réduction. Le souscripteur peut ainsi percevoir, par anticipation par rapport au terme prévu, le montant de la créance qu’il détient contre l’assureur sur la provision mathématique du contrat. Cette faculté de rachat ménagée par la loi permet au souscripteur de conserver une certaine maîtrise sur son contrat d’assurance, instrument de prévoyance et/ou de capitalisation. Or, en parallèle et conformément aux règles applicables à la stipulation pour autrui, l’article L. 132-9 du code des assurances confère un caractère irrévocable au droit du bénéficiaire lorsque celui-ci accepte sa désignation par le contrat d’assurance-vie.

La question s’est donc posée de savoir si la faculté de rachat du souscripteur ne devait pas être neutralisée en cas d’acceptation, par le bénéficiaire, de sa désignation. En effet, l’exercice de la faculté de rachat a pu être assimilé à une révocation de la désignation du bénéficiaire, en ce qu’elle aboutit à la restitution des sommes à l’assuré (en ce sens, v. Com. 25 oct. 1994, n° 90-14.316, Bull. civ. IV, n° 311, affirmant que « la demande de rachat, en exécution de laquelle le souscripteur d’une police d’assurance sur la vie obtient de l’assureur le versement immédiat du montant de sa créance, par un remboursement qui met fin au contrat, constitue une révocation de la désignation du bénéficiaire »). Le droit conféré au bénéficiaire ne serait donc véritablement révocable que si le souscripteur était privé, une fois l’acceptation intervenue, de sa faculté de rachat.

Dans le silence de textes sur l’articulation entre la faculté de rachat et l’acceptation du bénéfice de l’assurance-vie, la Cour de cassation avait pu laisser entendre qu’elle serait favorable à une neutralisation du droit de rachat du souscripteur en cas d’acceptation du bénéficiaire. Elle retenait en effet que « tant que le contrat n’est pas dénoué, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou modifier le bénéficiaire de la prestation » (v. not. Com. 15 juin 1999, n° 97-13.576, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 27 mai 1998, n° 96-14.614, Dalloz jurisprudence ; 28 avr. 1998, n° 96-10.333, Bull. civ. I, n° 153 ; D. 1998. 141 ). Bien que la haute juridiction n’en ait pas tiré ces conséquences, cette formule pouvait laisser entendre que l’acceptation du bénéficiaire désigné empêchait non seulement une modification du bénéficiaire mais aussi l’exercice du droit de rachat par le souscripteur.

Le législateur est alors intervenu pour trancher le débat, par la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 : depuis lors, l’article L. 132-9 du code des assurances dispose que, « pendant la durée du contrat, après acceptation du bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ». Autrement dit, l’acceptation du bénéficiaire empêche le souscripteur d’exercer librement sa faculté de rachat, puisqu’il ne peut la mettre en œuvre qu’avec l’accord du bénéficiaire. L’arbitrage a dont été réalisé en faveur d’une irrévocabilité de l’avantage consenti au bénéficiaire acceptant, au détriment de la liberté du souscripteur.

Par la suite, la Cour de cassation, amenée à se prononcer sur cette même question sous l’empire des textes antérieurs à la réforme du 17 décembre 2007, a tranché dans un sens exactement inverse : elle a jugé, par un arrêt rendu en chambre mixte le 22 février 2008, que, « lorsque le droit de rachat du souscripteur est prévu dans un contrat d’assurance-vie mixte, le bénéficiaire qui a accepté sa désignation n’est pas fondé à s’opposer à la demande de rachat du contrat en l’absence de renonciation expresse du souscripteur à son droit » (Cass., ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934, Bull. ch. mixte, n° 1 ; Dalloz actualité, 28 févr. 2008, obs. J. Speroni ; D. 2008. 691, obs. J. Speroni ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; ibid. 1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJ fam. 2008. 172 ; ibid. 114, étude H. Marck et E. Rivé ). Ainsi, sous l’empire des textes anciens, la seule acceptation par le tiers bénéficiaire ne suffisait pas à priver le souscripteur de sa faculté de rachat ; il fallait, pour qu’il en soit privé, qu’il y renonce expressément (pour des exemples de clauses ne valant pas renonciation expresse, v. Civ. 2e, 3 nov. 2011, n° 10-25.364 ; 4 nov. 2010, n° 09-70.606, Dalloz jurisprudence). La solution rendue par l’arrêt du 20 novembre 2019 n’est donc, à cet égard, qu’une confirmation de la position adoptée depuis 2008, puisqu’il retient « qu’en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d’un contrat d’assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ».

Ainsi, selon que l’on se place sous l’empire des textes anciens (comme dans l’arrêt commenté, où l’acceptation avait eu lieu en 2004, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi) ou des textes nouveaux, les incidences de l’acceptation du bénéficiaire sur la faculté de rachat du souscripteur sont différentes : sous l’empire du droit ancien, l’acceptation était sans incidence sur la faculté de rachat, à défaut de renonciation expresse du souscripteur à cette faculté ; sous l’empire du droit nouveau, l’acceptation neutralise par principe la faculté de rachat, sauf accord du bénéficiaire. Pour avoir méconnu cette règle, la cour d’appel est ici censurée : devant statuer sur le fondement des textes antérieurs à la réforme, les juges du fond ont considéré, à tort et en contrariété avec la jurisprudence établie de la Cour de cassation, que le souscripteur qui consent à l’acceptation par le bénéficiaire de sa désignation se trouve automatiquement privé de toute possibilité de rachat. Or seule une renonciation expresse par le souscripteur à sa faculté de rachat était de nature à l’en priver, quand bien même le bénéficiaire aurait accepté sa désignation.

Cette question de l’existence de la faculté de rachat a un impact direct sur le caractère révocable ou irrévocable de l’avantage consenti au bénéficiaire, critère retenu par les juges pour statuer sur la requalification du contrat d’assurance-vie en donation.

L’application du critère de l’irrévocabilité de la donation

La divergence entre les juges du fond et la cour régulatrice ne porte pas sur les critères de qualification de la donation. En effet, sur cette question, les juges du fond ont adopté une position retenue classiquement par la Cour de cassation : celle en vertu de laquelle un contrat d’assurance-vie « peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable » (Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, Bull. ch. mixte, n° 13 ; Dalloz actualité, 10 janv. 2008, obs. G. Bruguière-Fontenille ; D. 2008. 1314 , note F. Douet ; ibid. 218, obs. G. Bruguière-Fontenille ; ibid. 2009. 253, obs. H. Groutel ; AJ fam. 2008. 79, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2008. 137, obs. M. Grimaldi , réitéré par la suite à plusieurs reprises ; v. not. Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-19.550, Dalloz jurisprudence ; Com. 26 oct. 2010, n° 09-70.927, Dalloz jurisprudence ; Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269, D. 2018. 1279, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ).

Cette formule semble traduire une différence de nature entre le contrat d’assurance-vie et la donation : la « requalification » implique une incompatibilité entre la qualification originelle et la qualification nouvelle. Autrement dit, le contrat d’assurance-vie serait par principe exclusif de toute donation. Cette position serait dictée par l’idée, développée en jurisprudence, suivant laquelle l’aléa chasse la donation. Le raisonnement est le suivant : 1/ toute donation suppose une volonté de se dépouiller irrévocablement au profit d’un tiers ; 2/ or tout contrat d’assurance sur la vie comporte un aléa qui rend incertaine l’identité du destinataire du versement dû par l’assureur ; 3/ donc le contrat d’assurance sur la vie ne peut, en principe, être une donation, à défaut de désignation irrévocable d’un tiers destinataire du versement.

Ce raisonnement est éminemment lié à la position de principe adoptée par la Cour de cassation dans les arrêts du 23 novembre 2004 affirmant que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa […] et constitue un contrat d’assurance sur la vie » puis appliquant ce principe au contrat d’assurance-vie mixte : l’aléa tient alors à ce que le souscripteur ignore qui, de lui ou du bénéficiaire, recevra le capital versé à l’assureur, puisque cette donnée dépend du point de savoir si l’assuré sera vivant ou non lors de la survenance du terme du contrat (Cass., ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592, BICC 15 févr. 2005, rapp. Crédeville, concl. de Gouttes ; AJDA 2004. 2302 , obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2004. 3191, et les obs. ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; AJ fam. 2005. 70, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi ; GAJC, 12e éd., n° 132 ; JCP 2005. I. 187, n° 13, obs. Le Guidec ; JCP N 2005. 1003, étude Grosjean ; RLDC 2005/12, n° 504, note Leroy ; RDC 2005. 297, obs. Bénabent ; RGDA 2005. 110, note Mayaux ; v. égal. les autres arrêts du même jour, nos 03-13.673, 02-11.352 et 03-13.673).

Toutefois, comme l’ont fait remarquer plusieurs auteurs, la qualification du contrat d’assurance-vie devrait être indépendante de celle de libéralité (en ce sens, v. par ex., H. Lécuyer, Assurance-vie et droit des successions : dyarchie ou symbiose ?, AJ fam. 2007. 414  s., pour qui il ne faut « pas confondre la question de la déqualification de certains contrats qui, faute d’aléa pour l’assureur, ne seraient pas des contrats d’assurance-vie et la question de l’existence d’une libéralité faite, via ces contrats, par le souscripteur au bénéficiaire »), le critère de l’aléa étant étranger à la qualification de donation indirecte (en ce sens, v. F. Douet, Requalification d’un contrat d’assurance-vie en donation indirecte, D. 2008. 1314 ).

Pourtant, plusieurs arrêts opèrent un lien entre l’existence d’un aléa lors de la désignation du bénéficiaire et l’absence de volonté actuelle et irrévocable du souscripteur de se dépouiller (v. not. Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-24.608 ; Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-17.793 ; Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, préc.). Il en ressort que s’il n’est pas certain que le bénéficiaire désigné dans le contrat d’assurance-vie recevra un versement par l’assureur, il ne peut y avoir de donation, faute de dépouillement irrévocable du souscripteur au profit d’un tiers.

Partant, deux analyses de cette jurisprudence sont possibles. D’une part, il peut s’agir d’une véritable requalification. Il aurait alors une incompatibilité entre le contrat d’assurance-vie, empreint d’aléa, et la donation, caractérisée par son irrévocabilité. L’aléa (donc le contrat d’assurance-vie) chasse l’irrévocabilité (donc la donation) ; réciproquement, l’irrévocabilité (donc la donation) est exclusive de tout aléa (donc du contrat d’assurance). Une telle disqualification du contrat d’assurance expliquerait la mise à l’écart des dispositions par lesquelles le code des assurances déroge au droit des libéralités (notamment les art. L. 321-12 et L. 321-13 de ce code) : la donation indirecte prenant appui sur l’assurance-vie serait soumise aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès parce que l’assurance-vie n’en est pas une.

D’autre part, il se peut que la requalification n’en soit pas vraiment une et qu’il s’agisse en réalité d’un cumul de qualifications (en faveur de cette analyse, v. M. Grimaldi, L’attribution du bénéfice d’une assurance-vie peut constituer une donation indirecte passible, comme telle, des droits de mutation à titre gratuit, RTD civ. 2008. 137 ). Le contrat d’assurance-vie, dont la nature n’est pas remise en cause, deviendrait l’instrument d’une donation indirecte. L’absence d’aléa dans l’identité du destinataire des fonds serait de nature à caractériser une donation indirecte, mais pas pour autant à disqualifier le contrat d’assurance-vie (lequel comporte toujours un aléa, à tout le moins quant à la date de la survenance de son terme). Cette adjonction de la qualification de donation indirecte emporterait neutralisation des règles dérogatoires prévues par le code des assurances au droit des libéralités : en principe, le capital versé par l’assureur lors du décès de l’assuré n’intègre pas la succession de l’assuré (C. assur., art. L. 321-12) et, corrélativement, ne doit pas être rapporté par le bénéficiaire à la succession de l’assuré, ni réduit pour atteinte à la réserve héréditaire (C. assur., art. L. 321-13, al. 1er), parce que le contrat d’assurance-vie n’est pas le vecteur d’une libéralité. Par exception, lorsque l’assurance-vie se révèle être l’instrument d’une donation, il convient de le soumettre cumulativement au régime des libéralités et à celui de l’assurance-vie.

Quelle que soit l’analyse retenue, la qualification de donation indirecte aboutit à soumettre la libéralité aux règles du rapport successoral et de la réduction pour excès, en écartant l’application des articles L. 321-12 et L. 321-13 du code des assurances.

Reste à savoir quelles sont les circonstances factuelles de nature à caractériser une donation indirecte, c’est-à-dire la volonté du souscripteur de se dépouiller irrévocablement au profit du bénéficiaire. Un critère, essentiellement, ressort de la jurisprudence : le fait que le souscripteur perde toute possibilité effective d’obtenir la restitution, avant son décès, des capitaux versés sur les contrats d’assurance-vie. Une telle perte peut résulter soit d’une disparition de la faculté de rachat, soit du caractère illusoire de l’aléa sur le destinataire des fonds, au regard notamment de l’âge du souscripteur et de l’imminence de son décès (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-13.269 ; 26 oct. 2011, n° 10-24.608 ; Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-19.550 ; Cass., ch. mixte, 21 déc. 2007, n° 06-12.769, préc.). À l’inverse, lorsque le souscripteur conserve une réelle possibilité d’être destinataire du versement de l’assureur, notamment par le maintien de sa liberté de racheter son contrat, toute donation est exclue, faute d’irrévocabilité du dépouillement (Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-13.515 ; Civ. 2e, 22 oct. 2009, n° 08-17.793 ; Com. 28 juin 2005, n° 03-18.397, Dalloz jurisprudence).

C’est précisément ce critère de la faculté de rachat, devenu classique dans la jurisprudence, qui est mis à l’œuvre dans l’arrêt du 20 novembre 2019. Dès lors que l’on était sous l’empire du droit antérieur à la loi du 17 décembre 2007, la seule acceptation du bénéficiaire ne privait pas le souscripteur de sa faculté de rachat. Il aurait donc fallu une renonciation expresse du souscripteur à cette faculté pour que soit caractérisée sa volonté de se dépouiller irrévocablement au profit du bénéficiaire. Faute d’avoir constaté une telle renonciation, les juges du fond ont été censurés pour avoir retenu, à tort, la disparition de la faculté de rachat, donc la qualification de donation indirecte.

Tout porte à croire que, sous l’empire des textes nouveaux, la solution serait inversée : désormais, l’acceptation par le bénéficiaire de sa désignation neutralise la liberté, pour le souscripteur, de procéder au rachat de son contrat, puisque le rachat ne peut plus s’opérer qu’avec l’accord du bénéficiaire acceptant. En autorisant le bénéficiaire à accepter sa désignation par le contrat d’assurance-vie, le souscripteur renonce donc à sa liberté de rachat : il s’interdit de révoquer, de quelque façon que ce soit, l’avantage qu’il confère au bénéficiaire. La seule acceptation du bénéficiaire, qui est subordonnée par l’article L. 132-9, II, du code des assurances à l’accord du souscripteur, devrait donc désormais suffire à caractériser une donation indirecte, du fait de la disparition de la liberté de rachat.

Le 12 décembre 2019, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel qui avait admis la possibilité d’allouer autant d’indemnités qu’il y avait de propriétaires indivis d’un véhicule détruit dans un incendie, sur le fondement de l’article 706-14-1 du code de procédure pénale.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

Par un arrêt du 12 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce, au regard des dispositions du droit finlandais, sur la procédure d’exécution dans un État membre des jugements rendus dans un autre État, en application du règlement Bruxelles I.

en lire plus

Auteur d'origine: fmelin

L’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. Ni le requérant ni le juge n’ont à motiver les raisons pour lesquelles il peut être recouru à une procédure non contradictoire.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

La Cour de cassation rappelle que, malgré la fuite de la personne placée sous un régime d’hospitalisation contrainte, la mainlevée de la mesure ne peut intervenir qu’après expertise par deux psychiatres. Elle rappelle également la différence entre un moyen et une prétention dans ce cadre original : ainsi, une exception de nullité de la procédure d’hospitalisation forcée peut être examinée pour la première fois en appel, ici devant le premier président de la cour d’appel.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

Aux termes d’un arrêt de principe mettant fin aux incertitudes qui subsistaient sur l’interprétation de sa jurisprudence, la Cour de cassation soumet la donation des gains et salaires économisés à une règle de cogestion, pour les époux communs en biens.

en lire plus

Auteur d'origine: mcottet

Tout paiement au FIVA par les victimes de l’amiante intervenu à raison de la non-déduction des prestations versées par la caisse de sécurité sociale au titre de l’indemnisation du même préjudice est devenu indu par l’effet de l’article 171 de la loi du 29 décembre 2015 et est sujet à répétition en application de l’article 1302-1 du code civil.

en lire plus

Auteur d'origine: ahacene

Une procédure en suspension devant la section des référés du Conseil d’État avait été initiée en urgence par plusieurs organisations professionnelles. La plupart des dispositions en cause sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020.

en lire plus

Auteur d'origine: tcoustet

Les représentants de la profession se félicitent depuis lundi d’une « bonne mobilisation » dans un contexte d’exaspération lié à la mise en œuvre de la réforme de la justice.

en lire plus

Auteur d'origine: tcoustet

Les effets en France d’un jugement d’homologation d’adoption allemand sont ceux d’une adoption plénière, privant ainsi l’adoptée de sa qualité d’héritière réservataire dans la succession de son père par le sang.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

En novembre 2017 avaient lieu d’importantes visites et saisies de l’Autorité de la concurrence aux sièges du Conseil supérieur du notariat (CSN). Deux ans plus tard, la cour d’appel de Paris vient de valider ces visites, liées à des suspicions d’entorses au droit de la concurrence. L’Autorité de la concurrence a déjà prononcé une sanction contre une chambre notariale, d’autres pourraient venir.

en lire plus

Auteur d'origine: Bley

Les avocats ont largement répondu à l’appel des instances représentatives à durcir la grève contre la réforme des retraites. De Lyon à Bayonne en passant par Paris, Lille ou Quimper, c’est près de 80 % des barreaux, selon la Conférence des bâtonniers, qui n’assurent aucune audience depuis lundi 6 janvier 2020.

Chacun des 164 barreaux a choisi son mode d’action. Les avocats de Lyon, Bordeaux, Bayonne ou Mayotte ont, par exemple, voté une « grève dure et totale » jusqu’à dimanche. Cela implique notamment un arrêt des désignations d’avocats en matière d’aide juridictionnelle, pour les gardes à vue, les étrangers, les mineurs. Certains barreaux, dont celui du Val-de-Marne, étendent déjà la grève jusqu’à lundi 13 janvier inclus, date de leur prochaine assemblée générale.

À Bordeaux, le bâtonnier Christophe Bayle s’est indigné de « l’absence de dialogue » avec le gouvernement et estime que ce dernier « porte seul la responsabilité des conséquences du mouvement sur le fonctionnement de la justice ».

À la retraite, les avocats perçoivent actuellement au minimum 1 416 € par mois, selon le Conseil national des barreaux. Après la réforme, ce montant tomberait à 1 000 €, alors que les cotisations doubleraient, passant de 14 à 28 % pour ceux qui gagnent moins de 40 000 € par an.

Nicole Belloubet a assuré, le 7 janvier, au micro de BFM TV, que « sa porte restait ouverte ». Elle a notamment indiqué réfléchir à une baisse des autres charges des avocats et une mise en œuvre différée du nouveau régime, afin de « compenser » la hausse des cotisations retraite. Pour l’heure, le collectif « SOS retraites » a appelé à rejoindre les manifestations de samedi contre le projet de réforme.

Le texte a déjà été transmis au Conseil d’État, a annoncé Sibeth N’Diaye, lundi 6 janvier, à l’issue du Conseil des ministres de cette rentrée. Il doit être examiné à l’Assemblée nationale dès le 17 février prochain.

Dans un arrêt du 6 novembre 2019, destiné à une large publication, la Cour de cassation, a été amenée à se prononcer, à l’occasion d’un litige successoral, sur les effets en France d’un jugement d’homologation d’adoption allemand.

Dans cette affaire, un couple marié a donné naissance en France à une petite fille en 1969. Après le divorce en 1972, la femme s’est remariée en 1973 en Allemagne. L’enfant, qui résidait avec sa mère et son nouvel époux, a été adoptée simplement « en qualité d’enfant commun », par contrat d’adoption du 11 septembre 1975, sans le consentement du père. Ce contrat a fait l’objet d’une homologation judiciaire par un tribunal allemand par deux décisions en date des 11 et 25 novembre 1975.

Le père de l’enfant s’est également remarié et a eu une seconde fille en 1980. Il décéda en 2014 en France. L’acte de notoriété, établi après son décès, mentionnait sa seconde fille comme unique héritière, ce que la première fille a contesté. La seconde a alors assigné la première devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin qu’il soit constaté que celle-ci n’avait pas la qualité d’héritière.
Le tribunal de grande instance (TGI Nanterre, 26 janv. 2017, n° 16/02541) a jugé que la première fille venait à la succession en qualité d’héritier réservataire et a rejeté l’ensemble des demandes de la demanderesse.

Par un arrêt du 23 février 2018, la cour d’appel (Versailles, 23 févr. 2018, n° 17/02361) a infirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Un pourvoi a été formé par la première fille. Il était reproché à la cour d’appel d’avoir retenu qu’elle n’avait pas la qualité d’héritière réservataire de son père par le sang, qu’elle devait être tenue pour légataire à titre particulier de certains biens et que sa sœur recevrait l’intégralité de la succession, à charge pour elle de délivrer les legs particuliers. Le pourvoi a été rejeté.

La question posée par l’affaire était simple dans son principe : La première fille a-t-elle ou non la qualité d’héritière réservataire de son père par le sang ? Pour répondre à cette question, il convenait de se demander quel est l’effet du contrat d’adoption homologué en Allemagne sur la succession du de cujus ouverte en France ? Autrement dit, produit-il, en France, les effets d’une adoption simple ou ceux d’une adoption plénière rompant les liens juridiques avec la famille par le sang ? La réponse n’était pas évidente dans la mesure où elle faisait intervenir des considérations de droit international privé. Elle l’était d’autant moins que la loi allemande du 2 juillet 1976 a « converti » de plein droit les adoptions simples en adoptions plénières, et ce même pour les adoptions antérieures à son entrée en vigueur, comme en l’espèce.

Cinq moyens étaient invoqués au soutien du pourvoi.

La demanderesse à la cassation faisait, d’abord, valoir que son adoption ne pouvait produire d’effets en France en l’absence de production par la partie adverse de la décision suppléant le consentement de son père biologique (premier moyen). La Cour de cassation balaie cet argument en approuvant la cour d’appel d’avoir, en substance, considéré que l’existence de cette décision était avérée dès lors qu’elle était visée dans le contrat d’adoption homologué et que seule la régularité internationale de la décision d’homologation – laquelle avait été produite devant la cour d’appel –...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

Comme l’a signalé actuEL Direction juridique, la cour d’appel de Paris a validé, le 11 décembre 2019, les opérations de visite et saisie menées par l’Autorité de la concurrence aux sièges du Conseil supérieur du notariat et du groupe ADSN (activités et développement au service du notariat) (sur ce sujet, v. égal. P. Januel, L’enquête de l’Autorité de la concurrence qui inquiète les notaires, La lettre A).

L’ADSN est composée du bureau du CSN, d’anciens présidents du CSN et de notaires cooptés. Elle fournit des services aux offices notariaux, à travers cinq filiales, qui pesaient en 2018 de 76,7 millions d’euros de chiffre d’affaires et 5,4 millions de résultat net. L’ensemble des bénéfices de l’ADSN sont réinvestis. Mais, si certains de ces produits relèvent d’une activité de monopole (base de données PERVAL, télé@ctes), d’autres sont dans le secteur concurrentiel (magazines, annonces immobilières, sites internet).

Des pratiques contraires au droit de la concurrence ?

Selon les enquêteurs de l’Autorité de la concurrence, « le groupe ADSN ainsi que les instances notariales visées auraient mis en place des agissements illicites visant à préempter et à verrouiller l’accès au secteur des prestations de services à destination des notaires ». Parmi les éléments cités, une confusion serait entretenue par l’ADSN avec les instances officielles notariales. Des instances auraient aussi incité leurs membres à mettre fin à leurs relations commerciales avec des concurrents de l’ADSN, comme le groupe Notariat service.

Autres pratiques suspectées : des ventes liées et la commercialisation de services à des prix artificiellement bas. Une filiale de l’ADSN contrôlant le réseau informatique interne du notariat, le débit des sites hébergés par des entreprises concurrentes aurait été volontairement dégradé. Enfin, le CSN aurait refusé de délivrer des accès à la base Perval à des concurrents.

Ces agissements constituant les « premiers éléments d’un faisceau d’indices laissant présumer l’existence de comportements » d’atteinte au jeu de la concurrence, l’ADLC avait saisi le juge des libertés et de la détention de Paris, afin d’autoriser des visites. Celles-ci se sont déroulées le 17 octobre 2017, dans dix-sept lieux différents, dont les sièges du CSN, de l’ADSN et de plusieurs chambres de notaires, parfois pendant près de vingt-quatre heures.

Des visites validées par la cour d’appel

Pour contester l’ordonnance fondant les visites, le CSN et l’ADSN critiquaient notamment les doubles casquettes de l’Autorité de la concurrence : outre ses missions de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité a, depuis la loi Macron, un rôle clé dans la régulation de la profession notariale. La cour d’appel rejette ce grief, rappelant qu’il « existe au sein de l’ADLC une séparation fonctionnelle stricte entre les services d’instruction placés sous la direction du rapporteur général et le collège de décision » et que le Conseil constitutionnel a validé cette structure (Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Dalloz actualité, 30 oct. 2012, obs. L. Constantin ; AJDA 2012. 1928 ; D. 2012. 2382 ; ibid. 2013. 1584, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2013. 95, obs. O. Le Bot )

La cour rejette aussi le grief de violation du secret professionnel des notaires. Ni le CSN ni l’ADSN n’étaient le siège d’une activité notariale. Par ailleurs, l’article 56-3 du code de procédure pénale, qui prévoit la présence obligatoire d’un magistrat lors d’une perquisition dans le cabinet d’un notaire, n’est applicable qu’au pénal. Le 19 juin, la cour d’appel de Paris avait déjà rejeté la demande de transmission au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la constitutionnalité des saisies. Les autres moyens ont été rejetés.

Les suites à venir

Le CSN et l’ADSN peuvent se pourvoir en cassation. Parallèlement à la contestation des visites, l’Autorité de la concurrence poursuit ses investigations au fond. Les 122 000 fichiers saisis sont à la base de plusieurs dossiers, outre le dossier CSN/ADSN. Une première décision a été rendue au mois de juin : l’Autorité a sanctionné un groupement de notaires de Franche-Comté et la chambre interdépartementale de, respectivement, 250 000 et 45 000 € d’amende, pour avoir contourné la libéralisation des tarifs de négociation immobilière prévue par la loi Macron.

Cet été, le CSN a totalement restructuré l’ADSN, qui est passée de cinq à deux filiales commerciales (l’une regroupant les activités de monopole, l’autre celles du secteur concurrentiel). Même si, pour le CSN, cette réorganisation n’est pas liée à la procédure en cours.

image

Deux semaines après avoir transmis au Conseil constitutionnel une QPC formulée par un homme qui revendiquait sa paternité à tout prix (Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 19-15.921, D. 2019. 2300 ; AJ fam. 2019. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse ), la Cour de cassation refuse de renvoyer celle d’un homme qui, au contraire, réclame le droit… de ne surtout pas l’assumer !

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 4 décembre 2019 intervient en matière d’action en recherche de paternité, action en justice qui vise l’établissement forcé du lien de filiation d’un père biologique à l’égard de son enfant. Or certains géniteurs n’arrivent pas à s’y résoudre… C’est le cas de M. G., assigné en recherche de paternité par Mme T. au nom de son enfant né quelques semaines plus tôt. M. G., dont la filiation à l’égard de l’enfant a été prononcée par la cour d’appel, a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a formulé la QPC sur laquelle se prononce l’arrêt sous examen.

Rappelons que le mécanisme de la QPC est désormais connu. Pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Comme le relève la Cour de cassation, en l’espèce, les deux premières conditions étaient indubitablement réunies. C’est sur le dernier critère que les juges fondent leur refus. Après avoir affirmé que la question n’était pas nouvelle, ils ont conclu à l’absence de sérieux de celle-ci.

Avant de revenir sur les arguments retenus pour écarter le caractère sérieux, précisons immédiatement que la question n’était pas nouvelle, non seulement au sens auquel ce critère s’entend pour la transmission d’une QPC (question ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application) mais encore parce qu’elle avait déjà été posée à la Cour de cassation ! En effet, la Haute juridiction a refusé par trois fois au moins de transmettre une QPC relative à cet article (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 13-40.001, D. 2013. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2013. 361, obs. J. Hauser ; JPC 2013. Doct. 819, obs. Y. Favier ; RJPF-2013-6/23, note M.-C. Le Boursicot ; Civ. 1re, 11 mai 2016, n° 15-18.312, D. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; Gaz. Pal. 2016, p.70, note M. Courmont-Jamet ; Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-20.547, D. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; RJPF-2017-2/31, obs. T. Garé). Cet élément de contexte précisé, revenons sur les motifs avancés pour ce nouveau refus des juges.

La QPC examinée était ainsi formulée : « L’article 327 du code civil instituant l’action en recherche judiciaire de paternité hors mariage, en ce qu’il empêche tout homme géniteur de se soustraire à l’établissement d’une filiation non désirée, est-il contraire aux principes d’égalité et de liberté constitutionnellement garantis ? ». Comme nous allons le voir, la Cour de cassation dénie tout caractère sérieux à cette question tant au regard du principe d’égalité qu’au regard de celui de liberté.

En ce qui concerne le principe d’égalité, il est analysé par la Cour de cassation sous deux angles différents : le premier est lié à l’égalité hommes/femmes, le second a trait à l’égalité entre tous les enfants qu’ils soient nés en mariage ou non (v. sur ce double aspect, déjà : Civ. 1re, 2 déc. 2015, préc. ; 9 nov. 2016, préc.).

Pour ce qui est de l’égalité hommes/femmes, l’argument reposait sur la différence de traitement entre la femme enceinte, qui a la possibilité d’accoucher sous X, et l’homme… qui ne le peut pas ! Le débat est ancien. Face au fait de la naissance d’un enfant hors mariage, le droit a varié dans sa façon de forcer ses géniteurs à établir leur lien de filiation (pour le détail de cette évolution, M.-C. Le Boursicot, Tant qu’il y aura des hommes… et des femmes, il y aura des pères et des mères, RJPF-2013-6/23 ; v. égal., F. Granet-Lambrechts in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. § 214.70). Pendant longtemps, c’est la mère biologique qui n’a pu échapper à l’établissement de son lien. Outre le fait que la grossesse et...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

Deux propriétaires vendent à un acquéreur professionnel une maison d’habitation, par acte sous seing privé. L’acquéreur exerce la faculté de rétractation stipulée dans l’acte, qui lui a été préalablement notifié. Soutenant que l’acquéreur ne pouvait se rétracter en raison de sa qualité de professionnel, les vendeurs l’assignent en paiement de la clause pénale prévue au contrat. Déboutés au fond, ils forment un pourvoi en cassation.

Ils reprochent à la cour d’appel d’avoir violé les dispositions impératives de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, qui octroient un droit de rétractation à l’acquéreur non-professionnel, qui acquiert ou construit un immeuble à usage d’habitation. Pour les demandeurs, l’intention des parties est sans incidence sur le champ d’application de ce texte, qui devait rester inapplicable à l’acquéreur, en tant que professionnel de l’immobilier. Le rappel dans le corps du contrat des dispositions légales relatives au droit de rétractation constituait, selon...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

Les rapports entre le droit des sûretés et le droit de la consommation n’ont pas encore livré tous leurs secrets. La question des clauses abusives a dernièrement suscité l’intérêt de la doctrine (v. à ce sujet D. Galbois-Lehalle, L’application du droit de la consommation à l’épreuve des opérations triangulaires : la question des clauses abusives, D. 2019. 2362 ; A. Gouëzel, Sûretés et clauses abusives, RDBF mars 2017, étude 9). Mais le problème de l’applicabilité de la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation mérite également une certaine attention, comme en témoigne un arrêt rendu par la première chambre civile le 11 décembre 2019. En l’espèce, M. X s’est porté caution solidaire d’un prêt accordé par une banque et a consenti une hypothèque en garantie de cet engagement. Par la suite, la banque lui a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, avant de l’assigner à l’audience d’orientation. Dans un arrêt du 10 avril 2018, la cour d’appel de Besançon a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale opposée par la caution et a validé en conséquence le commandement de payer valant saisie immobilière. Celle-ci s’est donc pourvue en cassation, estimant qu’en application de l’article 2313 du code civil, elle peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette, comme la prescription de la dette principale. Or, en l’occurrence, la dette principale était soumise à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation s’agissant d’un prêt immobilier accordé à un consommateur ; elle aurait donc pu s’en prévaloir. L’argument est écarté par la Cour de cassation, qui considère que « la cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution ; que le moyen n’est pas fondé ». La Cour de cassation avait déjà jugé qu’ayant relevé que le créancier « avait bénéficié de la garantie personnelle des cautions, sans leur avoir fourni aucun service au sens de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, la cour d’appel en a exactement déduit que la prescription biennale édictée par ce texte était inapplicable à l’action en paiement litigieuse » (Civ. 1re, 6 sept. 2017, n° 16-15.331, Dalloz actualité, 22 sept. 2017, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; ibid. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ Contrat 2017. 496, obs. F. Jacomino ). Elle interdit désormais à la caution de se prévaloir de la prescription biennale pourtant attachée à la dette garantie.

La position exprimée par le présent arrêt peut sembler cohérente au regard du courant jurisprudentiel qui considère, conformément à l’article 2313 du code civil, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui sont inhérentes à la dette, mais pas les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur principal (v. en part. Cass., ch. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, D. 2008. 514 , note L. Andreu ; ibid. 2007. 1782, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2201, note D. Houtcieff ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2104, obs. P. Crocq ; AJDI 2008. 699 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2008. 331, obs. P. Crocq ; RTD com. 2007. 585, obs. D. Legeais ; ibid. 835, obs. A. Martin-Serf  ; pour une critique de ce courant, v. D. Houtcieff, La remise en cause du caractère accessoire du cautionnement, RDBF 2012. Doss. 38 ; P. Simler, « Le cautionnement est-il encore une sûreté accessoire ? », in Mél. G. Goubeaux, Dalloz/LGDJ, 2009, p. 497 ; comp....

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

Lors d’un transport ferroviaire assuré par la SNCF sur le territoire français, une passagère est victime d’un écrasement du pouce gauche à la suite de la fermeture d’une porte. Elle recherche alors la responsabilité – contractuelle, puisqu’elle était munie d’un billet – de ce transporteur. Une imprudence peut cependant lui être reprochée : malgré des consignes de sécurité répétées par le personnel, elle avait placé son pouce dans l’encadrement de cette porte, du côté des charnières.

La simplicité des faits à l’origine de l’arrêt rendu le 11 décembre 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation promis à toutes les publications tranche avec l’épineuse identification du droit qui leur est applicable. Dans cette quête, deux possibilités s’offraient à la haute juridiction : tribunal puis cour d’appel avaient fait application du droit français de la responsabilité contractuelle pour condamner la SNCF tandis que cette dernière – demanderesse au pourvoi – invoquait le règlement européen du 23 octobre 2007 (règl. CE n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 oct. 2007, entré en vigueur 4 déc. 2009) sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Instaurant un régime unifié de responsabilité des transporteurs ferroviaires, ce règlement s’applique aux dommages survenus à l’occasion de transports internationaux au sein de l’Union européenne et de transports intérieurs aux États membres survenus à partir du 4 décembre 2009, conditions satisfaites en l’espèce.

Le pourvoi de la SNCF invitait la Cour de cassation à se prononcer pour la première fois sur l’articulation du droit interne et du droit de l’Union européenne (II). En sus de répondre à un souci de rigueur intellectuelle, la désignation du corpus de règles applicables à l’espèce renfermait un enjeu notable puisque ces droits réservent un pouvoir exonératoire différent à la faute de la victime qui ne revêt pas les caractères de la force majeure (I).

L’enjeu : une faute de la victime à l’intensité exonératoire différente

Traditionnellement, si la faute de la victime exonère totalement le défendeur lorsqu’elle présente les caractères de la force majeure, elle l’exonère au moins partiellement dans le cas contraire. Alors que ces principes « de logique élémentaire » (D. 2008. 2894, obs. P. Brun ) sont solidement ancrés en droit français de la responsabilité civile – contractuelle comme extracontractuelle –, la jurisprudence y a récemment dérogé au sujet de la responsabilité contractuelle du transporteur ferroviaire. Par l’arrêt Ibouroi du 13 mars 2008, la Cour de cassation a en effet énoncé que, « tenu d’une obligation de résultat envers un voyageur, [il] ne peut s’en exonérer partiellement et la faute de la victime, à la condition de présenter les caractères de la force majeure, ne peut jamais emporter qu’exonération totale (Civ. 1re, 13 mars 2008, n° 05-12.551 P, D. 2008. 1582 , note G. Viney ; ibid. 905, édito. F. Rome ; ibid. 2363, chron. P. Chauvin et C. Creton ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2009. 972, obs. H. Kenfack ; RTD civ. 2008. 312, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2008. 843, obs. B. Bouloc ) » (si un arrêt de chambre mixte [Cass., ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307, Bull. mixte, n° 3 ; D. 2009. 461 , note G. Viney ; ibid. 2008. 3079, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 972, obs. H. Kenfack ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 224, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2009. 129, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 434, obs. B. Bouloc ] semblait appuyer cette position en précisant qu’elle valait quelle que soit la gravité de la faute imputable à la victime, la Cour de cassation s’en défend dans son rapport annuel de 2008 en expliquant que ce point n’était pas critiqué par le pourvoi). En définitive, le transporteur ferroviaire se voit depuis privé de toute possibilité d’exonération partielle du fait du comportement de la victime ; son exonération, qui ne peut être que totale, est conditionnée au fait que la faute de la victime présente un caractère irrésistible et imprévisible. Se plaçant sur le terrain du droit national et appliquant ce régime de responsabilité contractuelle des transporteurs ferroviaires tel que façonné par la jurisprudence, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait condamné la SNCF à réparer entièrement les préjudices subis par la victime.

C’est précisément ce qui lui était reproché par le pourvoi du transporteur. Composé d’un moyen unique, il soutenait que sa responsabilité aurait dû être examinée à l’aune du règlement européen du 23 octobre 2007, aujourd’hui expressément repris à l’article L. 2151-1 du code des transports. Or l’article 11 du règlement, qui renvoie à l’article 26-2 de son annexe – parfois désignée sous l’acronyme RU-CIV (règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs. Il s’agit de la reproduction de l’appendice A de la Convention relative aux transports internationaux ferroviaires [COTIF]) –, prévoit que le transporteur ferroviaire responsable d’un dommage corporel ou psychique puisse être exonéré lorsque « l’accident a été causé par des circonstances extérieures à l’exploitation ferroviaire que le transporteur, en dépit de la diligence requise d’après les particularités de l’espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier » – c’est-à-dire en cas de force majeure –, lorsque l’accident est dû au comportement d’un tiers ou encore lorsqu’il « est dû à une faute du voyageur ». Contrairement au droit français précité, le règlement européen de 2007 organise donc la possibilité pour le transporteur ferroviaire d’une exonération – qui, dans le silence du texte, est partielle ou même totale – fondée sur la faute de la victime alors même qu’elle ne présenterait pas les caractères de la force majeure. Droit français de la responsabilité contractuelle et droit de l’Union européenne s’opposent ainsi quant à l’intensité de l’effet exonératoire de la faute contributive de la victime. La désignation du droit applicable à l’espèce était par conséquent essentielle.

Le dénouement : l’articulation entre droit de l’Union européenne et droit français de la responsabilité contractuelle

Levée d’une difficulté d’interprétation. Si l’articulation du droit français de la responsabilité et du droit européen suscite fréquemment des difficultés (sur l’articulation entre la directive du 25 juillet 1985 et le droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, v. M. Bacache, Les obligations. La responsabilité civile extracontractuelle, t. 5, 3e éd., Economica, 2016, n° 774.), c’est la première fois que la Cour de cassation était amenée à statuer sur leur articulation en matière de responsabilité des transporteurs ferroviaires. La clef de résolution réside ici dans l’article 11 du règlement européen de 2007 qui précise s’appliquer « sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis ». Malheureusement, l’expression circonscrivant la réserve de compétence des droits nationaux souffre une double ambiguïté. D’abord, on peut se demander si la formulation « sans préjudice de » organise un système de substitution des droits nationaux au droit de l’Union européenne lorsqu’ils se révèlent plus favorables envers la victime. Mais si tel est le cas, en quoi consiste un système octroyant « une plus grande indemnisation » ? S’agit-il d’un système construit autour d’une architecture globale favorisant l’engagement de la responsabilité (par exemple reconnaissant de nombreux faits générateurs, peu de causes d’exonération et prônant une appréciation souple du lien de causalité) ? Est-ce au contraire un système admettant la réparation de préjudices plus nombreux ou avec des seuils et/ou plafonds de réparation plus favorables ?

Comme nombre d’autres juridictions avant et après elle (pour des ex. antérieurs à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 21 déc. 2017, v. Aix-en-Provence, 10 sept. 2015, n° 14/12200 ; 4 févr. 2016, n° 14/14802 ; 2 juin 2016, n° 15/08384 ; pour des ex. postérieurs, v. Angers, 6 mars 2018, n° 16/00131 ; Aix-en-Provence, 5 sept. 2019, n° 18/11198), la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait retenu que l’article 11 prônait une véritable substitution des droits nationaux lorsque leurs principes fondamentaux se montrent plus favorables aux victimes. Le droit de l’Union européenne faisant produire un effet partiellement, voire totalement exonératoire à la faute simple du voyageur, contrairement à l’interprétation jurisprudentielle française, la cour avait retenu qu’il est « de nature à limiter la responsabilité du transporteur et par conséquent à limiter l’indemnisation du voyageur ». Il doit alors être évincé au profit de l’article 1147 du code civil (ancien) et de la jurisprudence s’y rattachant. Partant, la cour d’appel avait ordonné la réparation entière des préjudices.

Mais une interprétation toute différente de l’article 11 était proposée par le pourvoi : il renfermerait une logique de complémentarité du droit national sur le seul plan de l’indemnisation, sans que ses dispositions relatives à l’engagement de responsabilité souffrent jamais aucune concurrence. Autrement dit, si des dispositions du droit national pourraient trouver à s’appliquer, il s’agit uniquement de celles relatives à l’indemnisation qui améliorent le sort des victimes. Ainsi, les dispositions du règlement qui admettent que la responsabilité encourue par le transporteur ferroviaire soit plafonnée (art. 30, 2) pourraient être évincées au profit de dispositions nationales prévoyant un plafond plus élevé voire aucun plafond. En revanche, seules les dispositions du règlement européen gouverneraient l’examen de la responsabilité du transporteur ferroviaire. Puisque les causes d’exonération du responsable se rattachent à l’appréciation de la responsabilité et non pas à l’évaluation de l’indemnisation, ce sont bien les dispositions du règlement qui doivent régir cette problématique et elles seules. D’autres dispositions du règlement que des victimes françaises auraient pourtant tout intérêt à écarter obéiraient d’ailleurs au même traitement. Songeons à la prescription de l’action en réparation : les dispositions européennes s’appliqueront malgré leur rigueur à l’égard des victimes et l’action sera prescrite par trois ans (art. 60, 1), au lieu de dix ans à compter de la consolidation du dommage corporel.

Si quelques cours d’appel s’étaient prononcées en faveur de cette seconde interprétation (Paris, 9 mai 2016, n° 14/20974 ; Douai, 16 nov. 2017, n° 16/05005 ; Limoges, 13 janv. 2016, n° 14/01507 ; Poitiers, 8 avr. 2016, n° 14/04688), le pourvoi a su convaincre la haute juridiction d’en faire de même, entraînant la censure de l’arrêt au visa – pour refus d’application – des articles 11 du règlement et 26 de son annexe I, L. 2151-1 du code des transports et – pour fausse application – de l’article 1147 ancien du code civil. L’analyse consacrée est fondée. D’abord, elle est respectueuse de l’objectif d’harmonisation maximale poursuivi par le règlement européen. Ensuite, nombre de ses dispositions renvoient aux législations nationales au sujet de l’étendue de l’indemnisation (art. 29), notamment quand elles sont plus favorables (art. 30, 2). En toute rigueur, l’arrêt ne constitue pas à proprement parler un revirement de la jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle des transporteurs ferroviaires sur le fondement de l’ancien article 1147 du code civil, revenant à la solution traditionnelle ; il écarte la compétence de cette jurisprudence au profit du règlement européen.

Unification des régimes ? La jurisprudence développée en matière ferroviaire présentait l’inconvénient majeur d’entraîner une disparité des régimes de responsabilité des transporteurs. Les régimes du transport aérien (Conventions de Varsovie et de Montréal), du transport ferroviaire international (Convention de Berne) ou encore du transport maritime (Convention d’Athènes) admettent en effet une exonération de responsabilité partielle lorsque la faute de la victime ne relève pas de la force majeure. Il en va de même pour le transport fluvial ou le transport par tramways circulant sur des voies qui leur sont propres, régis par le droit commun de la responsabilité civile (Civ. 1re, 16 avr. 2015, n° 14-13.440 P, D. 2015. 1137 , note D. Mazeaud ; ibid. 2283, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; Just. & cass. 2016. 184, rapp. P. Delmas-Goyon ; ibid. 190, avis P. Drouet ; JT 2015, n° 175, p. 14, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2015. 628, obs. P. Jourdain ). Or il était difficile de comprendre pourquoi le sort des victimes devait être fonction du type de transport qu’elles avaient emprunté. Pis encore, ce sort se jouait parfois à quelques minutes près : on songe évidemment à l’arrêt statuant en matière extracontractuelle – puisque la victime était descendue du train avant de tenter d’y remonter pour récupérer des effets personnels – qui a réaffirmé l’effet exonératoire de la faute simple de la victime (cette hypothèse demeure d’ailleurs régie par le droit de la responsabilité extracontractuelle car le règlement n° 1371/2007 s’applique à la condition que l’accident survienne « pendant que le voyageur séjourne dans les véhicules ferroviaires, qu’il y entre ou qu’il en sorte »). Dissonant, le revirement Ibouroi avait des allures de l’arrêt Desmares (Civ. 2e, 21 juill. 1982, n° 81-12.850 P), perçu comme une provocation destinée à inciter le législateur à intervenir en matière d’accidents de la circulation. S’agissait-il en 2008 d’inviter le législateur à intégrer les transports ferroviaires internes dans le champ de la loi Badinter ? Quelques mois après l’adoption du règlement européen de 2007, cela apparaissait vain…

Quoi qu’il en soit, l’arrêt commenté neutralise cette jurisprudence. S’il est source d’unification des responsabilités des transporteurs, cet effet est limité par le fait que la responsabilité du transporteur routier de voyageurs en cas de dommages résultant d’un accident de la circulation relève quant à elle de la loi Badinter (et ce, même en cas de transport international car la Convention internationale de 1973 n’a été ratifiée que par de rares pays) : seule une faute intentionnelle ou une faute inexcusable qui a été la cause exclusive de l’accident peut alors être opposée aux victimes non conductrices, la jurisprudence étant de surcroît réticente à caractériser la faute inexcusable.

Cette disparité des régimes de réparation en fonction de la nature du transport se justifie pourtant difficilement. D’abord, dans chacun des transports envisagés, les passagers sont exposés à des risques similaires et la responsabilité est de même type. Ensuite, il est acquis que l’idéologie de la réparation a entraîné un déplacement du centre de gravité de la responsabilité civile depuis le fait générateur vers le préjudice. De ce fait, on eût préféré que « l’émiettement » (D. 2008. 1582, obs. G. Viney ) des régimes applicables aux différents moyens de transport cesse au profit d’une réparation unitaire et encouragée du dommage corporel, par le biais de la mise en place d’une exonération conditionnée à la faute inexcusable inspirée de la loi Badinter ou à la faute lourde de la victime, comme proposé par le projet de réforme de la responsabilité civile. Cela n’est désormais qu’un vœu pieux puisque les régimes présentés sont régis par des conventions internationales et un règlement européen. Il ne reste plus qu’à espérer que le régime français des accidents routiers ne fera pas l’objet d’un démantèlement.

image

Au-delà de cette belle ordonnance (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank, v. infra, « Les recours contre la sentence »), la présente livraison s’attarde sur un très grand nombre d’arrêts révélant la diversité des effets de la clause compromissoire. De plus, on signalera tout particulièrement un arrêt de la cour d’appel de Versailles (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), qui soulève des discussions concernant l’indépendance et l’impartialité d’un arbitre ainsi que la conformité de la sentence à l’ordre public.

La clause compromissoire

La clause compromissoire soulève des questions de plusieurs ordres : de validité, d’articulation, de circulation et d’extension.

La validité de la clause

La clause compromissoire par référence

Il n’est pas rare que la clause compromissoire ne figure pas dans le contrat principal, mais dans un document annexe, auquel il est fait référence. La question de la validité de cette clause se pose, aussi bien quant à la forme qu’au fond. Cette question a fait l’objet d’études doctrinales d’ampleur (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551). La jurisprudence est fixée depuis longtemps. Dans l’arrêt Bomar Oil, la Cour de cassation a énoncé qu’« en matière d’arbitrage international, la clause compromissoire par référence écrite à un document qui la contient, par exemple des conditions générales ou un contrat type, est valable, à défaut de mention dans la convention principale, lorsque la partie à laquelle la clause est opposée a eu connaissance de la teneur de ce document au moment de la conclusion du contrat et qu’elle a, fût-ce par son silence, accepté l’incorporation du document au contrat » (Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-15.194, Rev. arb. 1994. 108, note C. Kessedjian ; JDI 1994. 690, note E. Loquin). Depuis, l’exigence d’une « référence écrite » a été supprimée (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-21.548, Rev. arb. 2003. 1341, note C. Legros ; 11 mai 2012, n° 10-25.620, JCP G 2012. Doctr. 1354, n° 4, obs. C. Seraglini ; Rev. arb. 2012. 561, note L. Bernheim-Van de Casteele). Deux conditions seulement subsistent : la connaissance et l’acceptation (sur ce point, v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, nos 255 s. ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 660).

C’est sur une sorte de clause par référence que la Cour de cassation avait à se prononcer (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.176, Priosma). Dans les faits, un contrat avait été conclu en 2011, lequel contenait une clause compromissoire. Deux ans plus tard, un contrat identique est conclu mais une partie est remplacée par une autre. La spécificité du contrat de 2013 tient dans son contenu, qui renvoyait pour une large part au contrat de 2011. La question était donc de savoir si la clause compromissoire contenue dans le contrat de 2011 pouvait s’appliquer au nouveau cocontractant de 2013. C’est une réponse positive qui est apportée par le tribunal arbitral et validée par la cour d’appel de Paris (Paris, 29 mai 2018, n° 16/12944, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). Le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation retient que, « le contrat de 2013 étant dépourvu de substance sans sa référence à l’ensemble des stipulations du contrat de 2011, Priosma avait nécessairement eu connaissance de celui-ci, qui fixait seul les droits et obligations des parties ; qu’ayant ainsi fait ressortir l’acceptation par Priosma, lors de la conclusion du contrat, de la clause compromissoire contenue dans celui de 2011, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». La motivation est éclairante. Les deux juridictions ont successivement fait mention de la connaissance et de l’acceptation. Ceci étant, la caractérisation de ces conditions est réduite à sa plus simple expression : ce n’est pas la connaissance effective qui est recherchée, mais la connaissance nécessaire. Dès lors, l’acceptation découle automatiquement de cette connaissance, faute d’opposition à la clause. En définitive, la Cour de cassation confirme une jurisprudence particulièrement favorable à la clause compromissoire par référence. Reste à savoir s’il en ira de même en matière interne avec la nouvelle formule retenue par l’article 2061 du code civil (« la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose », v. not. C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 14 s. ; il faut également combiner, en matière interne, l’article 2061 du code civil avec l’article 1443 du code de procédure civile : « À peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale »). Rien ne semble l’interdire.

Le fondement de la validité de la clause

En matière interne, la validité de la clause est soumise à l’article 2061 du code civil. L’article ayant été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, la question de survie de la loi ancienne aux clauses conclues avant son entrée en vigueur se pose avec acuité. Dès la promulgation de la loi, la doctrine a fait part de ses doutes quant à cette question (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 27). Implicitement, un arrêt de la cour d’appel de Colmar vient d’opter pour la survie de la loi ancienne, qui continue à être applicable aux clauses formées avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02482, Lohr). Cela dit, pouvait-il véritablement en aller autrement dès lors que la sentence contrôlée était antérieure à la réforme ?

Par ailleurs, cet arrêt rappelle que l’article 2061 du code civil n’épuise pas les dispositions relatives à la validité de la clause compromissoire. Celle-ci peut aussi être appréciée à l’aune de l’article L. 721-3 du code de commerce. Mieux, une partie rappelait une chose méconnue : les articles 1025 et 1026 du code de procédure civile local d’Alsace-Moselle sont encore en vigueur. Or le premier prévoit des dispositions dérogatoires concernant la validité de la clause compromissoire (P. Hoonakker, D. d’Ambra et S. Guinchard, « Règles locales de procédure civile en matière contentieuse », in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2017-2018, n° 722.61 ; Rép. civ., v° Alsace et Moselle, par J.-L. Vallens, n° 16 ; Rép. internat., v° Alsace et Moselle. Conflits de juridictions, par J.-M. Bischoff, n° 35). Il énonce que « la convention attribuant à un ou plusieurs arbitres le pouvoir de trancher un litige est valable, en droit, dans la mesure où les parties ont le droit de transiger sur l’objet du litige ». Voilà une formule particulièrement moderne, d’autant qu’elle date de plus d’un siècle. Ceci étant, la cour d’appel de Colmar ne s’embarrasse pas de ces textes spéciaux et évalue la compétence de l’arbitre à l’aune du seul article 2061. Alors que l’arbitre s’était déclaré compétent, elle juge que la convention portait sur une cession à titre patrimonial qui n’était pas intervenue dans le cadre d’une activité professionnelle. Il est toutefois difficile d’évaluer la décision, le défendeur ayant été déclaré irrecevable dans ses conclusions. Un éventuel pourvoi laisse augurer de belles questions d’articulation entre les articles 2061 ancien et nouveau, 721-3 et le droit local !

L’articulation de la clause

La question de l’articulation de la clause compromissoire avec une clause attributive de juridiction peut intervenir à deux moments devant le juge judiciaire. D’une part, lors d’une saisine du juge désigné par une clause préalablement à la constitution du tribunal arbitral ; d’autre part, postérieurement à la reddition d’une sentence, dans le cadre du recours exercé contre celle-ci. Ces deux situations ont fait l’objet de décisions dans la période récente.

D’une part, une partie peut faire état de l’existence d’une clause compromissoire dans une instance où le juge étatique est saisi par la partie adverse. En principe, l’examen du juge est supposé être superficiel en application du principe compétence-compétence. Toutefois, la Cour de cassation ne tient pas toujours parfaitement la ligne – ce que l’on peut regretter pour la lisibilité de sa jurisprudence. Ainsi, dans une affaire déjà examinée sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 1er juin 2017, n° 16-11.487, Procédures 2017. Comm. 201, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2017, n° 38, p. 28, obs. D. Bensaude), partiellement rabattu et rectifié (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 16-11.487), la Cour de cassation était à nouveau saisie (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.395, Russian Satellite Communications Company) d’un pourvoi contre l’arrêt d’appel (Paris, 29 mai 2018, n° 17/16484, RDC 2018. 386, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet). En substance, un contrat de cession de titres avait été conclu entre deux sociétés. Finalement, le cédant avait lui-même cédé ses droits par un second contrat. L’un et l’autre de ces contrats contenaient une clause compromissoire. À la suite de cela, un troisième contrat, tripartite cette fois, a été conclu pour fixer les modalités de la cession. Celle-ci stipulait une clause d’élection de for (on a, une fois de plus, la preuve que les rédacteurs d’actes n’ont parfois aucune conscience des conséquences des stipulations contractuelles). Finalement, un litige survient entre le second cessionnaire et le cédant. Le tribunal de commerce est saisi du litige par le second cessionnaire. Le défendeur oppose la clause compromissoire figurant dans les deux premiers contrats. Le premier arrêt d’appel avait accueilli l’exception d’incompétence sur le fondement du principe compétence-compétence (Paris, 19 janv. 2016). Celui-ci était cassé au motif qu’« aucune clause compromissoire ne liait les sociétés [cédante] et [cessionnaire au second degré] et que le contrat tripartite contenait une clause attributive de juridiction ». Le second arrêt d’appel a pris acte de la solution de la Cour de cassation et écarté l’exception d’incompétence. Sans surprise, le pourvoi est rejeté.

On reste sceptique sur la solution. En présence de deux contrats contenant une clause compromissoire et un troisième contrat contenant une clause attributive de juridiction, il est difficile d’identifier le caractère « manifeste » de l’inapplicabilité de la clause (dans le même sens, v. X. Boucobza et Y.-M. Serinet, note ss Paris, 29 mai 2018, RDC 2018. 386). La longueur de la motivation nécessaire pour emporter la conviction est particulièrement révélatrice du doute qui peut subsister sur cette question. Certes, renvoyer à l’arbitre alors que l’incompétence est probable n’est pas sans inconvénient. Il n’en demeure pas moins que le principe compétence-compétence est de droit positif et mérite une application rigoureuse et constante.

D’ailleurs, la cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD) est sur une ligne concurrente, pour des faits voisins, de celle retenue par la Cour de cassation (à l’exception de l’arrêt du 29 mai 2018, mais qui est rendu sur renvoi après cassation. Sans être liée, la cour d’appel était donc fortement incitée à rendre une décision conforme). Elle énonce que « la présence d’une clause attributive de juridiction dans l’un des contrats ne fait pas obstacle à la compétence arbitrale pour statuer sur l’existence, la validité et l’étendue de la convention d’arbitrage ». On n’aurait pas dit mieux et les parties sont invitées à mieux se pourvoir. C’est une analyse similaire qui est retenue dans un deuxième arrêt (Paris, 30 oct. 2019, n° 18/27504, Auchan Hypermarché). Des parties, en relation de longue date, avaient pour habitude d’inclure des clauses attributives de juridiction dans leurs conventions, notamment en 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et 2016. En revanche, en 2015, elles avaient opté pour une clause compromissoire. La cour d’appel de Paris en déduit que, dès lors que le fait générateur est une lettre du 10 décembre 2015, la clause n’est pas manifestement inapplicable et elle renvoie à l’arbitrage. Cela dit, il ne nous semble pas que la date du fait générateur doive être le fait déclencheur de l’incompétence étatique. Ici encore, il suffit de constater l’existence d’un lien entre la clause et le litige, celui-ci n’étant pas uniquement caractérisé par une date.

D’autre part, le juge du recours est susceptible d’examiner l’appréciation faite par l’arbitre de l’articulation de la clause compromissoire avec d’autres clauses relatives au litige. En l’espèce, l’arbitre était confronté à une clause compromissoire contenue dans le contrat principal et une clause attributive de juridiction dans une transaction (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-10.395, Trans World Finances). Celui-ci a retenu sa compétence, au motif que la clause attributive de juridiction, bien que postérieure, avait un objet distinct et que les parties n’y avaient pas renoncé. La cour d’appel de Paris a validé la sentence (Paris, 17 oct. 2017, n° 15/13696). Comme à son habitude, la cour d’appel a réalisé un examen de ce grief en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage et d’en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle commence par identifier le sens du protocole transactionnel. Ensuite, elle examine le champ d’application de la clause d’élection de for contenue dans celui-ci. Il en ressort, selon la formulation de l’arrêt d’appel, que cet accord réservait nécessairement tous les litiges découlant du contrat initial qui porteraient sur des objets distincts de ceux visés par les réclamations. Ainsi coexistaient deux clauses avec un champ d’application distinct : la clause attributive de juridiction pour les litiges découlant de la transaction et la clause compromissoire pour les litiges pouvant toujours survenir dans le cadre de l’exécution du contrat. Il ne restait plus qu’à déterminer dans le champ de quelle clause entrait le litige. Le juge énonce alors que le tribunal arbitral était compétent pour connaître de demandes qui, ne relevant pas du périmètre de la transaction, entraient dans le champ de la convention d’arbitrage. Le raisonnement est parfaitement rigoureux et la solution convaincante. L’arrêt rappelle que la conclusion postérieure d’une clause relative au litige n’entraîne pas ipso facto renonciation à la clause compromissoire. Si les clauses ne sont pas inconciliables, il convient de déterminer leur champ d’application et de vérifier si le litige doit y être soumis.

La circulation de la clause

La clause compromissoire est susceptible de circuler au gré des opérations affectant l’obligation. La subrogation fait partie de ces hypothèses. La question peut alors se poser sous deux angles. Si A est le solvens, B le créancier subrogeant et C le débiteur. La clause peut se trouver, première hypothèse, dans la relation entre le créancier subrogeant B et le débiteur C et, deuxième hypothèse, dans une relation parallèle entre le solvens A et le débiteur C. La question est de savoir si l’action du solvens A contre le débiteur C est soumise à la clause.

Dans la première hypothèse, la réponse ne fait pas de doute. La cour d’appel de Paris le rappelle opportunément en affirmant qu’« il en résulte que l’assureur [le solvens] qui a indemnisé son assuré, en vertu de la police le liant à ce dernier est légalement subrogé dans tous les droits de celle-ci, la créance lui étant transmise avec ses accessoires, ses modalités, ses exceptions ou ses limitations, et notamment avec la clause compromissoire, dont il est dès lors fondé à se prévaloir et qui s’impose à lui » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Cette solution se fonde directement sur le régime général des obligations et ne nécessite pas le recours à des dispositions spécifiques du droit de l’arbitrage. Elle découle simplement de la nature de la subrogation.

La deuxième hypothèse est plus complexe. Dans un arrêt du 6 novembre 2019 (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Aquasea Yachting), la Cour de cassation avait à connaître d’une action exercée par un assuré contre son assureur. Le dommage avait été subi par le salarié de l’assuré. L’assuré avait alors indemnisé le salarié et entendait se retourner contre l’assureur. Afin d’échapper à la clause compromissoire contenue dans le contrat d’assurance et saisir les juridictions étatiques, l’assuré faisait valoir qu’il était subrogé dans les droits de la victime et qu’il exerçait l’action directe de cette dernière. Il invoquait l’inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, la victime étant étrangère à la relation contractuelle entre l’assuré et l’assureur.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 23 nov. 2017) avait accueilli l’exception d’incompétence par une motivation dont les termes nous sont donnés par la Cour de cassation. Elle avait retenu que « la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence, doit pouvoir être constatée lors d’un examen sommaire par le juge étatique, tout contrôle substantiel et approfondi étant exclu, il retient, enfin, que le fait que la société Aquasea Yachting se prétende subrogée dans les droits de la victime n’est pas de nature à écarter la clause compromissoire ». Le pourvoi est rejeté. La motivation retenue par la cour d’appel d’Aix et validée par la Cour de cassation nous paraît convaincante à double titre. D’abord, en dépit des mérites évidents de l’argumentation fondée sur la subrogation personnelle, celle-ci ne peut caractériser une inapplicabilité manifeste, dans la mesure où l’action oppose deux parties à la clause compromissoire. Il revient donc aux arbitres de se prononcer en priorité sur cette question. Ensuite, contrairement à un arrêt récent, le juge ne tranche pas par anticipation la question (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Dr. mar. fr. 2019, n° 810, note P. Delebecque, les faits étaient d’ailleurs tout à fait similaires, si ce n’est que l’action directe était exercée par la victime et non l’assuré subrogé). En effet, dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation avait énoncé que « la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable dès lors qu’accessoire du droit d’action, elle était opposable aux victimes exerçant l’action directe contre les assureurs ». Or il ne revient pas au même de dire que la clause n’est pas manifestement inapplicable et de dire qu’elle est opposable à la victime. Il appartient au juge saisi en violation d’une clause compromissoire de préserver la plénitude de la compétence arbitrale et de réserver son examen à un éventuel recours (sur l’ensemble de la question, v. J. Jourdan-Marques, « Action extracontractuelle et arbitrage », Rev. arb. 2019. 685).

L’extension de la clause

La clause peut être étendue à un autre contrat ou à un tiers.

L’extension à un autre contrat

En matière de champ d’application de la clause compromissoire, une question qui se pose fréquemment est de savoir si celle-ci a vocation à s’appliquer, en l’absence d’une quelconque référence en ce sens, à un contrat dans lequel elle ne figure pas. Deux parties avaient conclu deux contrats distincts le même jour : d’une part, des statuts d’une société en participation (SEP) et d’autre part une convention relative à l’attribution de droits sur un immeuble (ci-après « la Convention »). Dans les statuts de la SEP figurait une clause compromissoire stipulant que « toutes les contestations qui s’élèveraient entre les parties à l’occasion de l’interprétation ou de l’exécution des présentes tant au cours de la durée de la société en participation que lors de sa liquidation ». En revanche, la Convention ne contenait aucune clause compromissoire et y figurait une stipulation indiquant qu’« en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente ». La question était de savoir si la clause compromissoire des statuts de la SEP s’appliquait à une action fondée sur la Convention. Le tribunal arbitral a répondu positivement à cette interrogation. Le recours contre la sentence est rejeté et la motivation est particulièrement riche (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). D’abord, la cour d’appel de Paris énonce que « la seule interprétation qu’il convient de donner aux conventions d’arbitrage est celle qui est conforme à la volonté des parties ». Cette formule est, à notre connaissance, nouvelle. C’est aussi une belle formule. Elle rappelle le fondement contractuel de l’arbitrage, qui est la pierre angulaire de l’institution. Ceci étant, il faudra vérifier à l’usage si une telle formule n’est pas riche d’ambiguïtés. En effet, une part du régime de la clause compromissoire révèle parfois une forme de forçage de la volonté des parties (en premier lieu desquels, le mécanisme de transmission de la clause compromissoire). Ensuite, la cour examine la volonté des parties en l’espèce. Elle souligne qu’« il résulte ainsi clairement tant du préambule de la Convention […] que de l’analyse des statuts de la SEP et des termes de la Convention que ces deux derniers actes juridiques, quoique distincts, constituent des contrats liés entre eux, complémentaires et dépendants l’un de l’autre, exprimant la volonté commune des parties de garantir le dénouement convenu de cette opération » puis ajoute qu’« il se déduit dès lors tant de la Convention que des statuts de la SEP et du libellé de cette clause compromissoire qui concerne tant les événements survenant pendant la vie de la SEP qui prend fin à l’acquisition du bien immobilier que lors de sa liquidation, la volonté des parties d’étendre la portée de ladite clause à l’ensemble des contentieux indissociables pouvant survenir au dénouement de l’opération vue dans son ensemble ». Ainsi, la cour donne à la clause une portée maximale. Elle estime que sa rédaction est suffisamment large pour que ses effets s’étendent aux conventions complémentaires et dépendantes. Enfin, elle écarte la clause contenue dans la convention, en énonçant que celle-ci « se borne à indiquer qu’en cas de litige, celui-ci sera porté devant la juridiction compétente, ne constitue pas une clause attributive de compétence au profit d’une juridiction étatique et ne manifeste pas la volonté des parties de faire échapper leur litige à l’arbitrage, conformément à la clause compromissoire insérée dans les statuts de la SEP ».

La solution mérite d’être remarquée et ne manquera pas de faire l’objet de discussions. Elle s’inscrit dans une longue histoire de faveur à l’efficacité de la clause compromissoire. Il n’en demeure pas moins, en l’espèce, qu’elle conduit à anesthésier une autre clause contractuelle, qui perd toute efficacité.

En revanche, un autre argument est avancé pour justifier la compétence arbitrale, et il laisse plus songeur. Dans la présente affaire, le demandeur avait dans un premier temps saisi la juridiction étatique, laquelle s’était déclarée incompétente (TGI Paris, 19 mai 2015, n° 12/09963). La cour d’appel en déduit que, si elle « annulait la sentence partielle rendue à raison de l’incompétence du tribunal arbitral, lequel est saisi de demandes, fondées sur l’application de la Convention, déjà présentées […] devant le tribunal de grande instance, celui-ci, irrecevable à agir devant le juge étatique, serait privé d’accéder au juge arbitral, ce qui constituerait un déni de justice. Le tribunal arbitral a donc à juste titre retenu sa compétence pour connaître de l’ensemble du litige et le recours en annulation de la sentence arbitrale est rejeté ». La référence au déni de justice paraît séduisante. Pour autant, l’argumentation ne convainc pas ou, à tout le moins, ne doit pas être généralisée, pour deux raisons. D’une part, parce qu’une décision d’incompétence du juge saisi en violation d’une clause compromissoire est – en principe – rendue à la suite d’une application du principe compétence-compétence dans son effet négatif. En conséquence, ce juge ne tranche absolument pas la question de la compétence arbitrale et, par ricochet, de sa propre compétence. Mais, il est aussi vrai que dans le jugement du 19 mai 2015, le juge n’a pas fait application de l’article 1448 du code de procédure civile et a « vidé » la question de la compétence. D’autre part, parce qu’une décision d’incompétence fondée sur une clause compromissoire est une exception de procédure. Elle n’a pas autorité de la chose jugée et n’interdit pas une saisine ultérieure des juridictions judiciaires après une sentence d’incompétence. Cela dit, là encore, le tribunal de grande instance a déclaré la demande irrecevable, ce qui dénote l’utilisation d’une fin de non-recevoir et donc le recours à un moyen de défense erroné. Pour autant, le cumul de ces deux bévues de la juridiction saisie en violation de la clause compromissoire devait-il conduire la cour d’appel à laisser croire que le déni de justice interdit d’annuler une sentence pour incompétence lorsqu’un premier juge a renvoyé les parties devant l’arbitre ? Il nous semble qu’une formule plus circonstanciée aurait, a minima, été préférable.

L’extension à un tiers

L’extension de la clause compromissoire à un tiers est également une question classique du droit de l’arbitrage (sur la question, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 711 et les sources citées). La question est de savoir quels sont les critères permettant de réaliser une telle extension. Dans son arrêt ABS, la Cour de cassation a posé un seul et unique critère : celui de l’implication du tiers. Elle énonce que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP G 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; Cont. conc. cons. 2007. 166, note L. Leveneur). La cour d’appel de Paris ne semble pas être tout à fait sur la même position. Elle retient dans un arrêt récent que « dans le droit de l’arbitrage international, les effets de la clause compromissoire s’étendent aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat dès lors que leurs situations et leurs activités font présumer qu’elles avaient connaissance de l’existence et de la portée de cette clause » (Paris, 26 nov. 2019, n° 18/20873, Axa France IARD). Ce faisant, elle rappelle son attachement à l’extension de la clause, tout en ajoutant une exigence de connaissance. Elle suit en cela l’avis d’une partie de la doctrine (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 325) et reprend une formulation déjà esquissée (Paris, 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). Néanmoins, la divergence entre la cour d’appel et la Cour de cassation ne paraît pas très importante, tant la connaissance paraît découler de l’implication. En revanche, on peut regretter que la cour énonce, au stade préarbitral, qu’« il ne peut être soutenu, comme l’a fait le tribunal, que [la partie] était étrang[ère] à cet accord de classification et qu’elle n’avait pas connaissance de la clause compromissoire ». Cette appréciation revient au tribunal arbitral, qui doit bénéficier d’une plénitude de compétence pour trancher ce point.

Un autre arrêt adopte d’ailleurs une solution plus conventionnelle (Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-26.809, Thermador). Un pacte d’actionnaire avait été conclu entre une société et deux de ses salariés. Après le départ de ces derniers chez un concurrent, la société a assigné l’ensemble des protagonistes – anciens salariés et concurrents – devant la juridiction étatique. Les défendeurs ont soulevé l’incompétence de la juridiction étatique en raison de la clause compromissoire stipulée dans le pacte d’actionnaire. L’arrêt d’appel avait rejeté l’exception à l’égard des tiers au pacte d’actionnaire, au motif « qu’il n’existe pas de clause compromissoire applicable à l’action délictuelle en responsabilité fondée sur le grief d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme » (Rennes, 2 oct. 2018, n° 18/02173). Il est cassé au visa de l’article 1448 du code de procédure civile. La motivation est laconique. Il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le litige n’était pas « en relation avec l’inexécution prétendue […] de l’obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d’actionnaire, ce qui était de nature à écarter le caractère manifeste de l’inapplicabilité de la convention d’arbitrage ». La solution est une application rigoureuse, mais juste, du principe compétence-compétence. En outre, le critère retenu d’une action « en relation » assure un juste équilibre entre la compétence prioritaire de l’arbitre et la nécessité de rechercher un lien entre l’action et la clause (sur ce point, v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, op. cit., nos 20 s.).

La sentence arbitrale

L’autorité de chose jugée de la sentence arbitrale

Une affaire soumise à la cour d’appel de Paris soulevait une question d’autorité de la chose jugée d’une sentence arbitrale (Paris, 31 oct. 2019, n° 17/13250, CNER c. Orca Marée). Une sentence arbitrale a été rendue entre, d’un côté, un demandeur et de l’autre, trois défendeurs, dont un auquel la clause compromissoire a été étendue. Devant les juridictions étatiques, le troisième défendeur – celui auquel la clause a été étendue – agissait contre le demandeur. Se posait donc la question de l’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale à l’égard des parties. Celle-ci est écartée, au motif que le litige soumis aux juridictions étatiques n’avait pas le même objet que celui tranché par le tribunal arbitral. L’intérêt de l’arrêt réside dans les modalités procédurales de l’examen de cette question. Le défendeur invoquait l’autorité de la chose jugée sous l’angle d’une exception d’incompétence. Il ne nous semble pas qu’il s’agisse du fondement idoine. L’autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale, prévue par l’article 1484, alinéa 1er, du code de procédure civile, est identique à celle du jugement étatique. Il en résulte qu’opposer à une partie l’autorité de la chose jugée doit se faire sous l’angle d’une fin de non-recevoir, fondée sur l’article 122 du code de procédure civile, et non d’une exception de procédure. Deux conséquences en découlent. D’une part, l’article 1448 du code de procédure civile relatif à l’effet négatif du principe compétence-compétence est sans objet et, d’autre part, le moyen de défense peut, conformément à l’article 123 du code de procédure civile, être soulevé en tout état de cause.

La confidentialité de la sentence

Comme le remarque la doctrine, les contours exacts de la confidentialité « restent à fixer par la jurisprudence » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 393). Un arrêt de la cour d’appel de Rouen apporte sa pierre à l’édifice (Rouen, 21 nov. 2019, n° 19/01280, Accelonix). L’une des parties produisait dans l’instance judiciaire une sentence partielle rendue dans une procédure parallèle. La confidentialité de la procédure arbitrale était invoquée pour s’opposer à cette production. La cour écarte le moyen, au motif que la procédure d’arbitrage n’étant pas confidentielle dès lors qu’il s’agit de la protection des droits. Néanmoins, le fondement de cette solution se trouve dans l’acte de mission, qui prévoit cette exception à la publicité. On aurait aimé savoir si, à défaut de clause, la confidentialité aurait pu s’opposer à ce que la sentence soit invoquée dans une procédure judiciaire au soutien des prétentions d’une partie.

L’exequatur de la sentence

Il existe, en matière internationale, trois façons différentes pour un créancier bénéficiant d’une sentence arbitrale d’obtenir l’exequatur. La première, connue de tous, est la procédure d’exequatur de l’article 1516 du code de procédure civile. La seconde, est prévue à l’article 1521, qui énonce que « le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut conférer l’exequatur à la sentence ». La troisième, enfin, est issue de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, qui dispose que « le rejet de l’appel ou du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ou à celles de ses dispositions qui ne sont pas atteintes par la censure de la cour ».

Dans une affaire – d’une relative complexité – soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 29 oct. 2019, n° 19/12047, Bouygues bâtiment Île-de-France), il était reproché au conseiller de la mise en état d’avoir rendu une ordonnance d’exequatur, en application de l’article 1521, alors qu’il existait une première ordonnance rendue sur le fondement de l’article 1516. L’ordonnance était donc attaquée devant la cour d’appel.

À ce titre, la cour d’appel constate qu’« il résulte de l’article 916, alinéa 1er, que les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’arrêt au fond, sauf les exceptions prévues par les alinéas suivants du même article dans lesquels elles peuvent être déférées à la cour ». Or, pour la cour, l’ordonnance du conseiller n’était pas de celles pouvant être déférées.

Mais c’était sans compter sur les talents de technicien du demandeur. Celui-ci n’avait pas formé un déféré « classique », mais un « déféré-nullité » en alléguant un excès de pouvoir du conseiller de la mise en état. À ce titre, il soutenait que la fermeture de toute voie de droit permettait justement de se prévaloir de ce recours. Malin.

La cour d’appel ne se laisse pourtant pas séduire et juge le déféré-nullité irrecevable. Elle rappelle que, selon l’article 1524 du code de procédure civile, le recours en annulation emporte de plein droit recours contre l’ordonnance d’exequatur. Il en résulte que le voie du déféré-nullité ne peut pas être ouverte, dès lors qu’il existe bien un recours contre l’ordonnance, recours dont la cour d’appel est déjà saisie, puisqu’il s’agit du recours en annulation en cours d’examen. Encore plus malin.

Tout ça pour quoi ? Si l’arrêt ne le dit pas expressément, il est probable que l’enjeu concerne l’exécution provisoire. En effet, l’article 1526, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit que le recours n’est pas suspensif. Le bénéficiaire peut ainsi faire exécuter la sentence alors que le recours en pendant devant la cour d’appel. On peut alors imaginer l’inquiétude du débiteur s’il estime qu’il a de bonnes chances d’obtenir l’annulation de la sentence. En l’espèce, l’enjeu était tout de même à 18 millions d’euros…

Les recours contre la sentence

Aspects procéduraux des recours contre la sentence

La procédure devant la cour d’appel

C’est la deuxième fois en un peu plus d’un mois (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ) que la cour d’appel de Paris répond à la même question (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04575, Zwahlen & Mayr), preuve que les erreurs en la matière sont très fréquentes (et le conseiller de la mise en état constant dans ses décisions). Saisie d’un déféré contre une ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour devait se prononcer sur la régularité de sa saisine dans le cadre d’un recours en annulation. La partie avait formé une « “déclaration d’appel” mentionnant dans la rubrique “Objet/Portée de l’appel : recours en annulation d’une sentence arbitrale” ». La difficulté tenait à ce que l’onglet informatique sélectionné par le requérant indiquait « déclaration d’appel » et non « autres recours à la diligence des parties » (v. égal. Paris, 30 janv. 2018, n° 15/24612, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 25, obs. D. Bensaude ; 28 oct. 2014, n° 13/16871, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 823, note L. Weiller). La cour d’appel considère que cette seule circonstance « ne saurait, sans qu’il soit porté une atteinte disproportionnée au droit au recours, être sanctionnée par une irrecevabilité ». Le recours en annulation est donc recevable, malgré l’erreur dans la sélection de la case sur le RPVA.

L’arrêt de l’exécution provisoire

Si cette chronique nous donne l’occasion de voyager dans toute la France, on a moins souvent la chance de commenter une ordonnance d’un conseiller de la mise en état. Or les questions posées devant celui-ci sont loin d’être dénuées d’intérêt. Dans une affaire opposant une banque ukrainienne à la Fédération de Russie, les juridictions françaises sont saisies du recours en annulation contre une sentence ayant accordé la modeste somme de 1,1 milliard de dollars au demandeur ukrainien. Depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en annulation n’est plus suspensif d’exécution, mais le conseiller de la mise en état peut arrêt ou aménager l’exécution provisoire si elle est susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties (C. pr. civ., art. 1526). Telle était la raison de la saisine du conseiller de la mise en état dans ce recours soumis à la nouvelle chambre internationale de la cour d’appel de Paris (Paris, 22 oct. 2019, n° 19/04161, Fédération de Russie c. JSC Oschadbank).

La question est d’autant plus stimulante que, pour réclamer la suspension de l’exécution provisoire, la Fédération de Russie faisait valoir une argumentation ingénieuse. En principe, le critère posé par l’article 1526, alinéa 2, du code de procédure civile renvoie à une analyse casuistique de la situation économique du créancier ou du débiteur (v. I. Michou, « L’exécution provisoire de la sentence internationale », in M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques [dir.], L’exécution des sentences arbitrales internationales, LGDJ, 2017, p. 119, nos 15 s.). Ce n’est pas l’approche suivie par le plaideur. La Fédération de Russie estime, en substance, que le créancier risque de poursuivre l’exécution de la sentence dans le monde entier, en particulier dans des pays n’offrant pas une protection adéquate de l’immunité d’exécution. En conséquence, il convient au juge français, juge de l’annulation, de suspendre l’exécution provisoire pour empêcher l’exécution de la sentence à l’étranger.

Cette argumentation n’emporte pas la conviction du conseiller de la mise en état. Il estime, d’abord, et la précision n’est pas anodine, que « le texte de l’article 1526 précité ne cantonne pas expressément son bénéfice à une appréciation des seules conséquences économiques d’une exécution de la sentence pour l’une des parties ». Néanmoins, il ajoute que l’opposition à l’exécution ne peut résulter d’un « motif général, abstrait ou hypothétique ». Dès lors, la seule circonstance qu’une exécution de la sentence soit envisagée à l’étranger ne caractérise pas un risque de lésion grave des droits du débiteur, mais est justement conforme à l’objectif du texte. Enfin, il rappelle que l’interruption de l’exécution provisoire appartient aux juridictions de chaque État où l’exécution est demandée.

La motivation est convaincante. D’une part, en dépit de toutes les critiques qui peuvent être adressées à l’exécution provisoire (mais la tendance n’est pas à un retour en arrière, comme le démontre l’instauration d’un principe de l’exécution provisoire de droit par l’art. 3 du décr. n° 2019-1333, 11 déc. 2019, réformant la procédure civile), le critère de la lésion grave des droits de l’une des parties ne doit pas être dévoyé. Si le conseiller ouvre la voie à ce que l’appréciation ne soit pas exclusivement économique, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être sérieusement circonscrite. D’autre part, l’argument selon lequel une suspension de l’exécution provisoire par le juge français est sans effet à l’étranger est, juridiquement, imparable. Le moyen paraît même, pour le spécialiste français du droit de l’arbitrage, quelque peu fantaisiste. D’ailleurs, l’article 1526 du code de procédure civile s’applique indifféremment au juge de l’annulation et au juge de l’exequatur, rappelant ainsi que l’absence d’exécution provisoire à l’étranger est indifférente en France. Il n’en demeure pas moins qu’un juge étranger pourrait être sensible à une suspension de l’exécution provisoire par le juge de l’annulation. Ainsi, l’argument était infondé en droit, mais réaliste en faits. Il n’a pourtant pas ému le conseiller de la mise en état.

On peut être certain que l’affaire ne s’arrêtera pas là. Au-delà des aspects financiers, la question de l’exécution pourrait rebondir sur une radiation du recours en annulation si le débiteur n’exécute pas la sentence (C. pr. civ., art. 526). L’enjeu est donc considérable, et on devrait entendre à nouveau parler de cette affaire.

Les pouvoirs du juge d’appel en matière interne

Depuis le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, l’appel est en principe fermé contre les sentences arbitrales internes, sauf volonté contraire des parties. Cette réforme aligne le droit positif sur la pratique, qui prévoyait presque systématiquement des clauses de renonciation à l’appel. Il n’en demeure pas moins que les parties peuvent encore, conformément à l’article 1489 du code de procédure civile, prévoir l’inverse. C’est ce qui est arrivé dans une affaire soumise à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 7 nov. 2019, n° 17/05094, Audit et certification de comptes de sociétés). Rien que pour cela, l’arrêt mérite d’être signalé. Néanmoins, il est également intéressant quant au raisonnement tenu par la cour. Elle énonce que « la voie de l’appel ouverte par les parties dans l’acte de cession du 16 juillet 2013 ne fait pas obstacle à ce qu’il soit conclu à la nullité de la sentence arbitrale sur le fondement de l’article 1492 du code civil ». L’affirmation n’est pas exacte. La cour a peut-être été influencée par l’article 1490, alinéa 1er, du code de procédure civile qui dispose que « l’appel tend à la réformation ou à l’annulation de la sentence ». Pour autant, envisager d’examiner le recours sous l’angle de l’article 1492 du code de procédure civile – spécifique au recours en annulation – dans le cadre d’un appel contre la sentence constitue un contresens. En effet, l’appel remet en cause la chose jugée et emporte un effet dévolutif (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 522). La jurisprudence a depuis longtemps établi que le juge n’est pas tenu par les cas d’ouverture du recours en annulation dans le cadre d’un appel (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 03-18.801, D. 2006. 1329 ; JCP G 2006. I. 148, n° 3, obs. J. Ortscheidt). Or s’il n’est pas formellement interdit de se placer sur le terrain du recours en annulation dans un premier temps, c’est à la condition, quel que soit le résultat, d’examiner le fond dans un second temps. Autrement dit, le passage par les cas d’ouverture du recours en annulation est parfaitement inutile puisque la cour devra quoi qu’il arrive évoquer le fond. Pire, il peut induire en erreur si le juge n’examine pas le fond après avoir constaté que la sentence n’est pas susceptible d’annulation au sens de l’article 1492 du code de procédure civile. La méthode est donc à éviter.

Les pouvoirs du juge de l’annulation en matière interne

L’article 1493 du code de procédure civile prévoit que, « lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». La cour d’appel de Colmar avait à se prononcer sur le sens de la précision « sauf volonté contraire des parties » (Colmar, 30 oct. 2019, nos 15/02482 et 15/02563, Lohr). Elle souligne qu’« il doit être souligné que les dispositions de l’article 1493 du code de procédure civile visent la “volonté contraire des parties”, et non la volonté contraire commune aux parties ou la volonté contraire de toutes les parties. Dès lors, la formulation “volonté contraire des parties” signifie qu’il suffit que l’une des parties s’oppose à ce que la cour statue au fond, pour que cette dernière soit tenue par cette expression de volonté ». En conséquence, elle refuse de statuer au fond face à l’opposition d’une partie. En réalité, la cour se méprend totalement sur le sens de la formule. Il ne s’agit pas d’interdire à la cour d’appel de trancher au fond le litige en cas de désaccord d’une partie, mais bien de lui imposer de trancher au fond en l’absence de volonté contraire de toutes les parties (dans le même sens, v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Lextenso éditions, Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2013, n° 554). Pourtant, en remplaçant le pluriel par un singulier (lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire d’une partie), la cour aurait pu constater que son interprétation n’est pas satisfaisante.

Aspects substantiels des recours contre la sentence

L’arbitrabilité du litige

En principe, l’arbitrabilité du litige est fixée par les articles 2059 et 2060 du code civil. Cependant, ces dispositions sont devenues, depuis plus de vingt ans, totalement obsolètes. Il est d’ailleurs navrant que les deux réformes de l’article 2061 du code civil n’aient pas permis de toiletter ces dispositions, qui ne reflètent pas le droit positif et induisent en erreur le justiciable.

Toutefois, un arrêt de la cour d’appel de Paris permet de revenir sur une question assez originale (Paris, 12 nov. 2019, n° 17/11962, Immosport). Le demandeur à l’annulation invoquait le caractère inarbitrable de la matière immobilière, en ce qu’elle porte sur l’attribution de droits réels et nécessite le respect de certaines formalités pour rendre la constitution du droit opposable. La réponse de la cour est particulièrement pédagogique. Elle retient qu’« il appartient à l’arbitre, hors les cas où la non-arbitrabilité relève de la matière, de mettre en œuvre les règles de droit impératives, sous le contrôle du juge de l’annulation. Quand bien même le tribunal arbitral attribuerait un droit réel sur les biens immobiliers en cause, […] il appartiendrait alors à la juridiction arbitrale de faire respecter les règles rendant opposables aux parties et aux tiers la constitution de ce droit réel immobilier, la matière en elle-même n’étant pas de celles qui sont inarbitrables, les prétentions ne portant pas sur des droits indisponibles au jour où le tribunal arbitral est saisi et n’intéressant pas l’ordre public au sens de l’article 2060 du code civil ». Trois informations utiles ressortent de cette décision : le cœur de l’inarbitrabilité concerne les « droits indisponibles » ; la matière immobilière – lato sensu – est arbitrable ; le tribunal arbitral doit en faire respecter le formalisme. Seule cette dernière précision pourrait soulever des interrogations, notamment quant à la manière pour l’arbitre de « faire respecter » ce formalisme.

Le délai d’arbitrage

La distinction entre le délai d’arbitrage et le calendrier d’arbitrage n’est pas toujours parfaitement appréhendée (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02563, Lohr). En matière interne (mais les règles sont peu ou prou identiques en matière internationale, sauf le délai de six mois prévu par le code), l’article 1463 du code de procédure civile énonce que, « si la convention d’arbitrage ne fixe pas de délai, la durée de la mission du tribunal arbitral est limitée à six mois à compter de sa saisine. Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé par accord des parties ou, à défaut, par le juge d’appui ». Il en ressort que l’arbitre est tenu par un délai pour rendre sa sentence et qu’il n’a pas le pouvoir de le proroger lui-même. Cette dernière solution vaut aussi bien en matière interne qu’internationale (Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-15.098, Rev. crit. DIP 1994. 680, note D. Cohen ; RTD com. 1995. 406, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin ; Rev. arb. 1995. 88, note E. Gaillard : « le principe selon lequel le délai fixé par les parties, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage, et dans lequel les arbitres doivent accomplir leur mission, ne peut être prorogé par les arbitres eux-mêmes, traduit une exigence de l’ordre public aussi bien interne qu’international en ce qu’il est inhérent au caractère contractuel de l’arbitrage ») et l’accord des parties ne permet pas d’y déroger (Civ. 2e, 7 nov. 2002, n° 01-10.351, D. 2002. 3241 ; Rev. arb. 2003. 115, note E. Loquin ; JCP G 2003. I. 164, n° 5, obs. J. Ortscheidt). En revanche, le calendrier est distinct du délai. Le calendrier fixe le tempo de la procédure, en particulier les échanges de mémoires et les audiences. Il doit s’inscrire au sein du délai d’arbitrage. Conformément à l’article 1464 et 1509, alinéa 2, du code de procédure civile, le tribunal arbitral peut déterminer la procédure arbitrale. À ce titre, il est libre de modifier le calendrier de la procédure. Ainsi, le tribunal arbitral peut modifier le calendrier, mais pas proroger le délai. Si le calendrier est étendu au-delà du délai d’arbitrage, plusieurs possibilités permettent d’éviter l’annulation de la sentence. Premièrement, demander une prorogation aux parties, à l’institution ou au juge d’appui. Deuxièmement, démontrer une prorogation tacite par les parties, ce qui implique notamment que les deux continuent de participer à la procédure arbitrale sans protester. Troisièmement, établir la renonciation à se prévaloir de cette irrégularité de la partie qui invoque l’expiration du délai. En définitive, les débats relatifs au calendrier ne sont pas pertinents devant le juge de l’annulation. Seuls une prorogation unilatérale du délai par l’arbitre et/ou un dépassement de celui-ci peut entraîner l’annulation de la sentence.

Une question de délai se posait également dans un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera simplement que la cour d’appel considère que, en matière de prorogation de délai, les « énonciations de la sentence arbitrale […] font foi jusqu’à inscription de faux ». Autrement dit, s’il est indiqué dans la sentence que les parties ont accepté une prorogation du délai, celle-ci vaut jusqu’à inscription de faux.

Il peut enfin arriver que deux délais contradictoires coexistent, en particulier dans l’acte de mission. Comment la résoudre ? Pour la cour d’appel de Versailles, à défaut de protestation des parties, c’est la date la plus tardive qui doit être retenue (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). La solution nous paraît tout à fait raisonnable, même si l’on peut regretter qu’un acte de mission fasse naître de telles interrogations…

L’indépendance et l’impartialité des arbitres

Une chronique sans décision relative à l’indépendance et à l’impartialité des arbitres serait un peu fade. Heureusement, la cour d’appel de Versailles nous en offre un beau morceau, et l’on s’en réjouit (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution). L’affaire est d’autant plus intéressante qu’elle soulève certaines questions relativement inédites et conduit à revenir sur d’autres déjà envisagées. Il était reproché à l’arbitre d’avoir des liens avec le directeur juridique d’une des parties. En substance, et de façon assez peu subtile, le demandeur soutenait que le directeur juridique avait « proposé la désignation de l’arbitre ». Cela étant, le requérant touche un point sensible. Habituellement, on considère que l’arbitre doit révéler ses liens avec les parties, les conseils et les arbitres (J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, n° 500). Cela dit, une vraie question se pose quant à ce qui doit être entendu par « parties » et « conseils ». Par-delà les liens avec la personne morale, qu’en est-il des personnes physiques ? Faut-il révéler les liens uniquement les mandataires sociaux ? Les cadres ? Tous les salariés ? Les stagiaires ? Faut-il envisager uniquement les personnes impliquées dans la résolution du litige, ou la révélation doit-elle être illimitée ? On ne peut pas nier que, parfois, les liens personnels avec les personnes physiques peuvent avoir une influence aussi importante que les liens financiers avec les personnes morales.

La cour d’appel ne s’y trompe d’ailleurs pas et s’engage pleinement dans l’examen du moyen. Il était reproché deux choses à l’arbitre : ne pas avoir révélé qu’il avait participé à un colloque avec le directeur juridique, ne pas avoir révélé que le directeur juridique appartenait à la même unité de recherche que lui, au sein d’une université française. Alors que sur ces deux points, la jurisprudence a déjà considéré que ces éléments étaient indifférents (Civ. 1re, 4 juill. 2012, n° 11-19.624, Dalloz actualité, 13 juill. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2425, obs. X. Delpech , note B. Le Bars ; ibid. 2991, obs. T. Clay  ; Procédures 2012, comm. 284, note L. Weiller ; JCP G 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 sept.-2 oct. 2012. 16, obs. D. Bensaude ; RLDC oct. 2012. 3, obs. J. Mestre ; Paris, 18 sept. 2018, n° 16/26009, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques), la cour d’appel de Versailles énonce que « les circonstances invoquées pour critiquer l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre doivent caractériser l’existence de liens matériels ou intellectuels de nature à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur son jugement ». On sera particulièrement attentif à un éventuel pourvoi sur cette question. Ouvrir la voie à un examen des liens intellectuels ne revient-il pas à ouvrir une boîte de Pandore ?

En réalité, chaque fois que l’on parle d’indépendance et d’impartialité, il convient de distinguer rigoureusement trois choses : ce qui doit être révélé, ce qui peut justifier une récusation de l’arbitre, ce qui peut justifier l’annulation de la sentence. Or, quoi qu’on en dise, n’est-il pas perturbant pour une partie de constater que l’arbitre qui lui a signifié n’avoir absolument rien à révéler, a siégé côte à côte avec une partie dans un colloque. À l’inverse, peut-on raisonnablement envisager qu’un arbitre – en particulier lorsqu’il est universitaire – tienne les comptes de tous les intervenants ayant participé aux mêmes ateliers scientifiques que lui, à raison d’une douzaine par an pendant quarante ans de carrière ? Difficile de trancher avec certitude – bien que l’on puisse pressentir l’appréciation (critique) qui sera portée sur ce point par une partie des observateurs.

Face à cette question, l’appréciation de la cour est d’ailleurs particulièrement stimulante. Elle ne recherche pas tant la réalité des faits allégués par le requérant que le rôle joué par l’arbitre dans ces « rencontres intellectuelles ». Elle constate que l’arbitre n’est pas à l’origine de l’intervention du directeur juridique dans le colloque ni dans les formations de son université. Ce point paraît central pour la cour. Il est vrai qu’il est séduisant. N’y a-t-il pas une différence de nature quant au lien entre deux individus qui se côtoient à l’occasion de manifestations scientifiques ou d’activités universitaires et un individu qui sollicite un autre ? Et d’ailleurs, une réponse positive n’impose pas une récusation ou une annulation de la sentence. En tout cas, la question est posée.

Enfin, on remarquera que dans cette procédure, l’arbitre a été interrogé directement. Sans que cela soit clairement explicité, il semblerait que la partie défenderesse ait produit une attestation de l’arbitre dans le cadre du recours en annulation. Il nous semble qu’une telle pratique est vertueuse. Comment traiter sérieusement de ces questions sans que l’arbitre soit jamais interrogé ? C’est une voie qui, selon nous, doit être sérieusement explorée pour renforcer la qualité de l’examen réalisé lors du recours contre la sentence (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 268 s.).

La mission d’amiable compositeur

Une question de respect par l’arbitre de sa mission d’amiable compositeur était invoquée dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via ; étant impliqué dans l’affaire, nous renvoyons pour l’essentiel au commentaire de V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître). On signalera seulement que la cour énonce qu’« en constatant qu’il demeurait tenu de respecter les dispositions de l’ordre public de direction au risque d’encourir l’annulation de la sentence, l’arbitre statuant en amiable composition a respecté sa mission ». La réponse est particulièrement importante. La question était de savoir si l’arbitre ayant refusé d’user de ses pouvoirs d’amiable compositeur au motif de la qualification d’ordre public de direction d’une règle, la sentence pouvait être annulée dès lors que l’arbitre se serait trompé sur la qualification de la règle. La cour refuse d’entrer dans ce raisonnement. Elle considère qu’il suffit que l’arbitre se soit cru tenu par une règle d’ordre public de direction pour que le refus de mettre en œuvre les pouvoirs d’amiable compositeur n’emporte pas annulation.

Le respect du contradictoire et de la mission

En principe, en matière de respect du principe de la contradiction, la question de l’intensité du contrôle ne soulève guère de discussion. En effet, l’identification d’une violation par les arbitres de la contradiction justifie de vérifier que tous les éléments de fait ou de droit utilisés par les arbitres ont bien été débattus. En revanche, cela ne nécessite pas une immixtion du juge dans le raisonnement des arbitres.

Il en va en principe de même en matière de contrôle du respect de la mission. Il suffit d’un simple regard sur la sentence et sur les pièces du dossier pour déterminer si l’arbitre a bien respecté sa mission. Qu’en est-il si ce n’est pas le cas ? En principe, la non-révision au fond s’oppose à ce que le juge reprenne intégralement le raisonnement de l’arbitre.

Pourtant, un arrêt de la Cour de cassation envisage une approche bien différente (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 17-20.573, Dresser-Rand). Il rejette le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, 28 févr. 2017, n° 15/06036, Gaz. Pal. 2017, n° 27, p. 29, obs. D. Bensaude). Le litige portait sur une cession d’actions. Il s’agissait de savoir si les cédants avaient violé leur obligation de fournir des documents comptables sincères et complets et si le cessionnaire avait eu une connaissance effective de cette violation avant la date de réalisation de la vente.

Les arbitres ont rendu une sentence favorable aux cédants. Il leur était reproché d’avoir méconnu leur mission et le principe de la contradiction en mettant en œuvre un principe issu des règles IBA (International Bar Association) sur la présomption défavorable tirée du défaut de production de pièces, sans consulter préalablement les parties sur l’application de ces règles, sans avoir à aucun moment ordonné la production de ces rapports, ni avoir invité les parties à s’expliquer sur la non-production de ces pièces.

En synthèse, la Cour de cassation valide la sentence en trois temps. Premier temps, elle constate qu’une clause contractuelle interdisait au cessionnaire d’invoquer la garantie s’il avait une connaissance effective des faits ou des circonstances constitutifs d’une violation substantielle par les cédantes de leurs obligations. Deuxième temps, elle réalise un examen approfondi de la motivation du tribunal – ce qu’avait également fait la cour d’appel – pour constater que le tribunal avait établi cette connaissance effective. Troisième temps, elle en déduit que le motif critiqué n’avait pas déterminé, même partiellement, la solution adoptée et était surabondant.

La solution est intéressante par le cheminement suivi. Un examen superficiel aurait pu – sans que cela soit certain – conduire à l’annulation de la sentence en considérant qu’une partie de la solution était fondée sur un moyen n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire. Pour éviter cela, la cour d’appel et – dans une moindre mesure – la Cour de cassation préfèrent reprendre intégralement le raisonnement du tribunal arbitral. Or elles constatent que la sentence est suffisamment motivée par un autre moyen et que le tribunal ne s’est pas fondé sur le motif critiqué. Autrement dit, pour juger surabondant le motif critiqué, elle vérifie l’existence d’une motivation suffisamment solide par ailleurs.

Dès lors, n’y a-t-il pas une révision au fond de la sentence ? Sans doute pas. La cour se contente d’identifier le véritable fondement de la solution du tribunal, sans chercher à en évaluer la pertinence. Toutefois, le juge de l’annulation marche sur un fil, car à suivre cette voie, la révision au fond n’est certainement pas loin.

L’ordre public

• Ce que n’est pas l’ordre public

La détermination du contenu de l’ordre public est une question toujours délicate. Autant, il est parfaitement établi qu’une violation positive de l’ordre public – interne ou international selon le domaine – est susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence, autant, on pouvait s’interroger sur une violation négative. Autrement dit, une règle qualifiée à tort d’ordre public. La réponse de la cour d’appel de Paris est claire sur cette question « ne viole pas l’ordre public une sentence qui fait application d’une disposition législative qui aurait été qualifiée à tort d’ordre public » (Paris, 19 nov. 2019, n° 17/20392, Oc’Via, V. Chantebout, Dalloz actualité, à paraître).

• L’ordre public de procédure

La fraude procédurale est un cas d’ouverture connu du recours, sur le fondement de l’ordre public procédural. La cour d’appel de Paris (Paris, 26 nov. 2019, n° 17/17127, Société nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT]) rappelle à cet égard une formule déjà usitée (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016. 37, obs. D. Bensaude ; Paris, 22 janv. 2019, n° 17/15605, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques) : « Il résulte de l’article 1520, 5°, du code de procédure civile que le recours en annulation est ouvert contre une sentence internationale rendue en France si la reconnaissance ou l’exécution de cette décision sont contraires à l’ordre public international. La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise ».

En revanche, les modalités de l’examen réalisé en matière de fraude procédurale méritent encore réflexion. Dans son arrêt du 28 mai 2019, la cour avait énoncé qu’« il appartient au juge de l’annulation d’examiner l’ensemble des circonstances susceptibles de caractériser la fraude alléguée, sans que puisse être utilement opposé le moyen tiré de la prohibition de la révision au fond des sentences, dès lors que la contestation porte précisément sur l’altération, par les manœuvres d’une partie, de l’appréciation des faits à laquelle se sont livrés les arbitres ». Pourtant, dans le présent arrêt, la cour retient que « les griefs articulés […] contre ces documents devant la cour sont les mêmes que ceux qu’elle avait développés devant les arbitres. Le caractère prétendument mensonger de ces éléments ayant fait l’objet d’un débat contradictoire au cours de l’instance arbitrale, la décision du tribunal n’a pas été surprise par une fraude mais procède d’une appréciation éclairée de l’exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu’il n’appartient pas à la cour de réviser ». Les solutions peuvent sembler un peu difficiles à concilier. Révision ou pas révision ? Deux choses ne font pas de doutes : d’une part, à défaut de discussion devant le tribunal, la fraude procédurale peut être invoquée devant le juge de l’annulation et l’examen n’est pas limité ; d’autre part, et l’arrêt du 28 mai 2019 l’avait déjà jugé ainsi, un grief de fraude procédurale discuté devant l’arbitre ne peut plus l’être ultérieurement. Cette seconde solution mérite réflexion et maturation. On comprend l’idée de la cour, qui est de considérer que la religion de l’arbitre n’a pu être trompée, dans la mesure où il a pu se prononcer sur la fraude. Mais dès lors, l’attendu de l’arrêt du 28 mai 2019 n’est-il pas mal calibré pour rendre compte de cette retenue du juge de l’annulation ? En outre, est-elle satisfaisante ? En matière de corruption ou de blanchiment, la cour ne s’embarrasse pas de telles considérations : elle substitue son appréciation à celle de l’arbitre, alors même que ce dernier s’est prononcé en toute connaissance de cause (Paris, 21 févr. 2017, n° 15/01650, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2019. 42, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2017. 915, note S. Bollée et M. Audit ; JCP 2017. Doctr. 1326, obs. C. Seraglini ; Cah. arb. 2017. 668, note B. Poulain ; ASA 2017. 551, note L.-C. Delanoy). La nature de l’ordre public en jeu – de fond ou procédural – suffit-elle à laisser l’appréciation pleine et entière de cette question à l’arbitre ? C’est une question à laquelle nous nous garderons bien, pour l’instant, de répondre.

• L’ordre public de fond

La cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 22 octobre 2019 (Versailles, 22 oct. 2019, n° 18/03519, Elisa Distribution), était également confrontée à une question de violation de l’ordre public. Il s’agissait de savoir si une clause prévoyant un pacte de préférence pouvait être considérée comme contraire au droit de la concurrence. Le tribunal arbitral a tranché négativement cette question. La cour rejette le grief. Elle estime que « les arbitres ont procédé à une analyse in concreto de la validité du pacte de préférence ». Elle en déduit que le demandeur l’invite ainsi à « vérifier la pertinence du raisonnement juridique par lequel les arbitres ont considéré que le droit de préférence […] ne constituait pas une atteinte à la concurrence et n’était notamment pas disproportionné du fait de sa durée, et ce faisant, demande à la Cour d’exercer un contrôle au fond de la sentence, qui échappe au juge de l’annulation ; que la sentence ne peut être déclarée contraire à l’ordre public économique ».

Un pourvoi sur cette question précise serait d’utilité publique. Les spécialistes d’arbitrage le savent, la jurisprudence en matière de contrôle de l’ordre public est à la croisée des chemins. Pour l’instant, la Cour de cassation est largement restée silencieuse. En revanche, la cour d’appel de Paris s’inscrit dans une dynamique bien différente de celle qui a eu cours il y a une dizaine d’années. Le temps n’est plus à rechercher une violation de l’ordre public qui « crève les yeux » (Paris, 18 nov. 2004, n° 02/19606, Thales Air Défense c. Euromissile, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini ; adde C. Seraglini, L’affaire Thales et le non-usage immodéré de l’exception d’ordre public [ou les dérèglements de la déréglementation], Cah. arb. 2006. 87 ; L. Radicati di Brozolo, L’illicéité « qui crève les yeux » : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international [à propos de l’arrêt Thales de la cour d’appel de Paris], Rev. arb. 2005. 529 ; Civ. 1re, 4 juin 2008, n° 06-15.320, SNF c. Cytec Industries, Dalloz actualité, 6 juin 2008, obs. X. Delpech ; D. 2008. 1684 , obs. X. Delpech ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD com. 2008. 518, obs. E. Loquin ; RTD eur. 2009. 473, chron. L. Idot  ; Rev. arb. 2008. 473, note I. Fadlallah ; JCP 2008. I. 164, obs. C. Seraglini ; JDI 2008. 1107, note A. Mourre ; LPA 2008, n° 199, p. 21, note P. Duprey ; Gaz. Pal. 20-21 févr. 2009. 32, note F.-X. Train). En effet, depuis quelques années déjà, la cour n’évoque plus le caractère « flagrant, effectif et concret » de la violation, mais son caractère « manifeste, effectif et concret » (Paris, 27 sept. 2016, n° 15/12614, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2017. Somm. 325 ; ibid. 824, E. Gaillard ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ;  16 mai 2017, n° 15/17442, D. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; JDI 2017. Comm. 20, note E. Gaillard ; Rev. arb. 2018. 248, note J.-B. Racine ; 16 janv. 2018, n° 15/21703, D. 2018. 1635 , note M. Audit ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard ; 27 févr. 2018, n° 16/01358, Rev. arb. 2018. Somm. 299 ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard). La jurisprudence est donc en train d’opérer un revirement sur cette question – au moins dans les termes choisis – mais aucune certitude n’existe actuellement quant au périmètre de la solution.

La question est désormais de savoir si ce nouvel étalon de contrôle s’applique à l’ensemble des griefs relevant de l’ordre public – national et international (pour un ex. concernant l’ordre public procédural, v. Paris, 28 mars 2017, n° 15/17742, inédit ; 30 janv. 2018, n° 16/11761, Cah. arb. 2018. 125, obs. P. Pedone) ? C’est en cela que le présent arrêt est doublement marquant. Premièrement, car il oppose au requérant le principe de non-révision au fond pour refuser d’approfondir son examen, ce qui n’est pas nécessairement satisfaisant (pour une reprise des débats sur cette question, v. J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, 2017, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 546 s.). Deuxièmement, car le grief porte sur une violation du droit de la concurrence, qui relève aussi bien de l’ordre public interne qu’international. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation sur cette question représenterait une occasion en or pour répondre à trois questions : le contrôle de l’ordre public doit-il être identique en matière interne et en matière internationale ; le contrôle de l’ordre public doit-il être identique, quelle que soit la nature de l’ordre public en jeu (fond ou procédure ; corruption, blanchiment, concurrence, etc.) ; le contrôle de l’ordre public est-il immunisé contre le principe de non-révision au fond ? C’est une réponse triplement positive que nous sommes tenté d’apporter, et qui nous invite à espérer une cassation de l’arrêt. Affaire à suivre !

La clause ayant pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement du professionnel à l’une de ses obligations est présumée abusive de manière irréfragable.

en lire plus

Auteur d'origine: jdpellier

La loi de finances 2020, la plus volumineuse de la Ve République (396 articles !), a été définitivement adoptée jeudi 19 décembre. Plusieurs mesures concernant le monde judiciaire (réforme de l’aide juridictionnelle, contribution des offices, taxes OFII, lutte contre la fraude) ont évolué au cours des débats. Dalloz actualité fait le point.

en lire plus

Auteur d'origine: babonneau

La rédaction de Dalloz actualité suspend quelques jours la publication du journal. 

en lire plus

Auteur d'origine: babonneau

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile a été publié au Journal officiel du 12 décembre. Il prévoit notamment une prise de date d’audience devant le tribunal judiciaire.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

Les demandes tendant à l’exécution du rapport des libéralités et à la sanction d’un recel successoral doivent être formées à l’occasion d’une action en partage. Or une action en partage judiciaire ne peut plus être engagée lorsque les parties ont déjà mis fin à l’indivision par un partage amiable.

en lire plus

Auteur d'origine: mcottet

Est irrecevable comme nouvelle en cause d’appel la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur au titre d’une maladie professionnelle particulière dès lors que la demande présentée en première instance découlait d’une maladie distincte et de nature différente.

en lire plus

Auteur d'origine: laffly

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a reconnu un conflit d’intérêts, même s’il observe que « l’inobservation des règles déontologiques constatée n’atteint pas un niveau de gravité la rendant constitutive d’une faute disciplinaire à l’encontre des trois magistrats ».

en lire plus

Auteur d'origine: tcoustet

Deux aspects de la mise en état sont impactés par la réforme opérée par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui entrera en vigueur, pour ce qui concerne la mise en état, au 1er janvier 2020.

en lire plus

Auteur d'origine: MKEBIR

La haute juridiction étend sa jurisprudence Mennesson d’octobre dernier et ordonne, dans une série de quatre arrêts, la transcription totale de l’acte de naissance étranger indépendamment du mode de conception de l’enfant.

en lire plus

Auteur d'origine: tcoustet

L’exigence d’extériorité du médecin auteur du certificat médical initial vise à garantir le droit fondamental selon lequel nul ne peut être arbitrairement privé de liberté. Il s’en déduit que la méconnaissance de cette exigence porte en soi atteinte aux droits de la personne, ce qui entraîne la mainlevée de la mesure.

en lire plus

Auteur d'origine: npeterka

Les récents sondages montrent que seulement 43 % des français considèrent que les juges sont indépendants du pouvoir politique. Un constat qui « interroge », selon l’élu, et qui doit permettre de faire la lumière sur la façon dont s’articule « l’équilibre des pouvoirs en France ». 

Les obstacles à l’indépendance « doivent s’analyser sous différents angles », insiste Ugo Bernalicis. Les travaux de cette commission ne se limiteront donc pas seulement à la question de l’indépendance du ministère public et du rôle joué par l’exécutif dans la nomination du parquet.

Ils s’attaqueront à « tous les angles morts », promet l’élu. Le groupe compte, en effet, aborder le biais budgétaire, la formation des juges, leur avancement, la composition du Conseil supérieur de la magistrature, les pressions politiques et médiatiques – dont l’instrumentalisation des faits divers par les hommes politiques –, les fuites dans la presse, ou encore le déroulement des comparutions immédiates.

« Des auditions sont prévues », promet Ugo Benalicis, dont celle du procureur Jean-Yves Leprêtre, récemment mis en cause. Le magistrat avait ouvertement avoué avoir modifié ses déclarations dans l’affaire Geneviève Legay, gilet jaune, pour « ne pas mettre le chef de l’État dans l’embarras avec des divergences trop importantes entre les versions ». 

Pour rappel, le chef de file des députés FI Jean-Luc Mélenchon et cinq de ses proches, dont les députés Alexis Corbière et Bastien Lachaud, a été condamné lundi 9 décembre à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 8 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « rébellion, provocation directe à la rébellion et intimidation envers des magistrats et des dépositaires de l’autorité publique » lors de la perquisition au siège de son mouvement, en octobre 2018. Un « procès politique » pour M. Mélenchon.

La commission d’enquête doit démarrer ses travaux début janvier. Elle a une durée de six mois, au maximum. Elle peut notamment convoquer toute personne dont l’audition sera jugée utile, mais elle ne peut porter sur des faits ayant donné lieu à poursuites.

Le premier ministre a globalement confirmé l’architecture du futur régime de retraites « universel » proposé par Emmanuel Macron pendant la présidentielle 2017 et ébauché dans le rapport Delevoye publié en juillet.

Mais certains points ont également été modifiés, notamment à l’endroit des professions libérales.

Les avocats devront, selon Matignon, rejoindre le régime universel, « à horizon 2035 », un temps nécessaire de « convergence », a-t-il insisté. La réforme propose d’alléger la CSG pour compenser une possible hausse des cotisations vieillesse.

Par ailleurs, le rapport Delevoye proposait qu’une partie des réserves dont dispose la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) soit utilisée au profit du régime universel. Les avocats, et notamment le Conseil national des barreaux (CNB), s’étaient inquiétés d’un possible « hold-up ».

Face à ces craintes, Édouard Philippe a assuré mercredi que « les réserves resteront dans les caisses des professionnels concernés » et pourront notamment « accompagner la transition » de ces régimes vers le futur système, citant le cas des auxiliaires médicaux, des avocats ou encore des médecins. Il n’y aura « pas de siphonage », a-t-il juré.

Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, n’a pas été convaincue par ces annonces. Elle estime ne pas avoir été entendue et regrette que le premier ministre ait repris « point par point le rapport Delevoye ». « L’assemblée générale du CNB » décidera des actions à prendre », a-t-elle indiqué. Cette dernière doit se réunir vendredi 13 décembre.

De son côté, le projet de loi sera présenté le 22 janvier prochain en Conseil des ministres.

image

La jurisprudence peine encore à trouver un équilibre satisfaisant entre les devoirs respectifs de l’arbitre et des parties s’agissant de la mise en lumière des circonstances susceptibles d’affecter l’indépendance et l’impartialité de ce dernier. Statuant sur le devoir de révélation qui incombe à l’arbitre et l’ « obligation de curiosité » (E. Loquin, obs. sous Civ. 1re, 15 juin 2017, RTD com. 2017. 842 ) qui est celle des parties, l’arrêt rendu le 3 octobre 2019 par la Cour de cassation illustre à nouveau certaines des difficultés qui se présentent en la matière.

Dans cette affaire, une procédure d’arbitrage a été introduite en février 2013 par la société de droit qatari Saad Buzwair Automotive Co (SBA) contre la société de droit émirati Audi Volkswagen Middle East Fze (AVME) au sujet d’accords de distribution. La sentence arbitrale, rendue le 16 mars 2016, a donné raison à AVME.

C’est cette sentence, rendue à Paris, qui a fait l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 1520-2°, du code de procédure civile. SBA a fait valoir que le tribunal aurait été irrégulièrement composé, l’un des arbitres ayant omis de révéler certains liens existant entre son cabinet d’avocats et des sociétés appartenant au groupe du défendeur, faits qu’elle aurait découverts postérieurement à la reddition de la sentence.

Les circonstances invoquées étaient essentiellement de deux ordres. Tout d’abord, il apparaissait dans l’édition 2010/2011 de l’annulaire allemand des avocats que le cabinet de l’arbitre concerné avait représenté une banque du groupe Volkswagen, auquel appartenait le défendeur à l’arbitrage. Ensuite, l’édition 2015/2016 de cet annuaire mentionnait que le même cabinet avait représenté la société Porsche, elle aussi une entité du groupe Volkswagen, dans le cadre d’un litige en cours.

Pour faire droit à cette demande et annuler la sentence, la cour d’appel a opéré un tri parmi ces éléments (Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, Rev. arb. 2019. 522, note L.-C. Delanoy, 1re esp. ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 24 juill. 2018, p. 19, obs. D. Bensaude). D’un côté, elle a estimé que le requérant ne pouvait fonder sa demande d’annulation sur la circonstance de la représentation par le cabinet d’une entité du groupe Volkswagen ayant fait l’objet d’une « publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands » (nous soulignons). C’est donc l’exception de notoriété qui lui a permis de considérer que cette circonstance ne pouvait fonder l’annulation de la sentence. En revanche, elle a estimé que la mission de représentation en cours d’arbitrage d’une société du groupe du défendeur par le cabinet de l’arbitre, circonstance non révélée par ce dernier, fondait quant à elle l’annulation. S’agissant de cette seconde circonstance, la publication de l’information dans une édition postérieure du même annuaire et donc son caractère potentiellement notoire n’ont été d’aucun secours, dès lors que, selon la cour d’appel, « il ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu’elles poursuivent leurs recherches après le début de l’instance arbitrale ». Cette information non révélée a été jugée de nature à susciter un doute raisonnable dans l’esprit des parties quant à l’indépendance et à l’impartialité de l’arbitre, justifiant l’annulation de la sentence.
La cour d’appel a donc posé une limite aux obligations d’investigation des parties, distinguant selon que l’information publique était accessible avant le début de l’arbitrage ou postérieurement à celui-ci.

Cette approche a été contestée par le pourvoi selon lequel l’obligation de révélation de l’arbitre ne concerne pas les faits notoires ou aisément accessibles « ni avant d’accepter sa mission, ni ensuite en cours d’arbitrage ». Par ailleurs, le demandeur au pourvoi a contesté la méthode en vertu de laquelle la cour d’appel avait estimé qu’il existait en l’espèce un doute raisonnable quant à l’impartialité de l’arbitre.

Sur ces deux points, la Cour de cassation a approuvé la solution retenue par la cour d’appel de Paris.

Quant à la question de l’appréciation de l’existence d’un doute raisonnable, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en évoquant l’importance, aux yeux du cabinet de l’arbitre, de l’affaire qui n’avait pas été révélée, importance dont l’appréciation relevait de son pouvoir souverain.

Quant au caractère notoire des informations qui n’avaient pas été révélées par l’arbitre, la Cour de cassation rejette également le pourvoi, estimant que « si l’existence d’un contrat exécuté en 2010 par le cabinet auquel appartient l’un des arbitres pour une société du groupe de l’une des parties doit être regardée comme notoire du fait de sa publication avant le début de l’arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands, en revanche, les parties ne sont pas tenues de poursuivre leurs recherches après le début des opérations d’arbitrage ; il incombe à l’arbitre d’informer les parties de toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité survenant après l’acceptation de sa mission ».

Cette affaire est ainsi l’occasion de revenir brièvement sur les contours du devoir de révélation de l’arbitre et, corrélativement, sur les devoirs qui incombent aux parties. Plus précisément, deux points retiennent l’attention, à savoir, d’une part, la nature des circonstances susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’indépendance ou à l’impartialité de l’arbitre et, d’autre part, les limites de l’exception de notoriété.

Nature des circonstances susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’indépendance ou à l’impartialité de l’arbitre. La question des liens que le cabinet auquel appartient l’arbitre entretient avec des entités du même groupe de l’une parties à l’arbitrage se pose fréquemment en pratique (v. not., dans d’autres circonstances, Civ. 1re, 27 janv. 2016, Fibre Excellence, n° 15-12.363, affaire dans laquelle l’un des arbitres était en pourparlers avec le cabinet qui conseillait l’une des parties à l’arbitrage en vue de son intégration au sein de ce dernier ; Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra Group, n° 09/28537). Nombreux en effet sont les arbitres qui exercent de façon habituelle une activité de conseil au sein de cabinets d’avocats de taille relativement importante, augmentant le risque de conflits d’intérêts indirects. Une telle situation n’est pas toujours facile à appréhender du fait du nombre d’intermédiaires entre les parties à l’arbitrage et l’arbitre en cause. D’une part, le rapport d’affaire visé lie non pas l’arbitre directement, mais le cabinet au sein duquel celui-ci exerce son activité – à divers titres – et d’autre part, ce cabinet n’est pas directement lié à l’une des parties à l’arbitrage, mais à l’une des sociétés du groupe de l’une de ces parties. Il n’en reste pas moins que la situation est susceptible d’attirer légitimement l’attention de l’autre partie. Si de tels liens ne sont pas nécessairement la source d’une réelle partialité ou d’un manque d’indépendance de la part de l’arbitre, ni même nécessairement susceptibles de faire naître un doute raisonnable quant aux qualités exigées de l’arbitre, leur existence doit interpeller quant à l’image qu’ils pourraient projeter (dans le sens d’une appréciation au cas par cas, v. IBA Guidelines on Conflict of Interest in International Arbitration 2014, General Standard 6).

En la matière, la prudence est de mise, même si tous ces liens ne se valent pas. Pour apprécier l’existence d’une obligation de révélation des liens entre un arbitre et le cabinet de l’une des parties ou d’une société du même groupe, la jurisprudence a recours a plusieurs éléments, en particulier, la nature (Paris, 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ société JMB Corporation, n° 11/11153) ou la fréquence des relations d’intérêts (Paris, 9 sept. 2010, Cts Allaire c/ SAS SGS Holding France, n° 09/16182), leur proximité dans le temps avec l’arbitrage ou encore leur importance financière (Paris, 13 nov. 2012, préc.). De telles circonstances sont susceptibles d’être soumises à révélation, dès lors à tout le moins qu’elles présentent une certaine importance et/ou une certaine proximité temporelle avec l’arbitrage en cours.

Pour autant, la jurisprudence n’est pas parfaitement claire et n’exige pas systématiquement un véritable courant d’affaires (sur la caractérisation d’un courant d’affaires entre un groupe de sociétés et un arbitre fréquemment désigné par celui-ci, v. Civ. 1re, 20 oct. 2010, M. Marcel Batard et autre c/ société Prodim et autre, Bull. civ. I, n° 962 ; Paris, 23 juin 2015, Établissement public économique et autre c/ SARL CTI Group Inc. et autres, n° 13/09748), laissant une grande part de casuistique et donc d’incertitudes. A titre d’exemple, dans un arrêt du 10 mars 2011, la cour d’appel de Paris a jugé que devait être révélée la circonstance que l’un des arbitres ait entretenu des liens avec un cabinet d’avocats – ayant été of counsel du cabinet pendant une dizaine d’années, plusieurs années préalablement à l’arbitrage, et ayant ensuite indiqué avoir été depuis consulté deux ou trois fois par ce même cabinet – dès lors que le conseil de l’une des parties était au temps de l’arbitrage collaborateur de ce cabinet (Paris, 10 mars 2011, n° 09/28537).

Dans l’affaire commentée, l’un des éléments pris en considération est l’importance que le cabinet de l’arbitre accordait à sa relation avec la société du groupe du défendeur. La cour d’appel a relevé que le cabinet d’avocats auquel appartenait l’arbitre avait communiqué sur sa représentation de la société Porsche au point de l’inclure dans son « top 5 des affaires les plus importantes d’un point de vue juridique ou pour le développement du cabinet » et que « cette publication par laquelle les cabinets d’affaires mettent en valeur les affaires les plus flatteuses qu’ils ont eu à traiter et les clients les plus convoités qui les ont mandatés est un élément de communication important qui ne saurait être laissé au hasard ». La prise en compte de ces éléments a été contestée sans succès par le pourvoi, la Cour de cassation estimant que les énonciations par lesquelles la cour d’appel a relevé que la mission de représentation de la société Porsche « revêtait une incontestable importance aux yeux » du cabinet procédaient de son pouvoir souverain d’appréciation, et qu’elles lui permettaient de « légalement justifier sa décision sur l’existence d’un doute raisonnable ».

L’apport de l’arrêt n’est pas absolument décisif sur ce point, l’importance de l’affaire n’apparaissant que comme l’un des indices susceptibles de motiver l’existence d’un doute raisonnable. Dans ce sens, la cour d’appel a également relevé « au surplus » l’existence d’une mission de 2010 confiée par la même société Porsche au cabinet de l’arbitre, « mission certes de faible importance, mais non déclarée par l’arbitre et non rendue publique par le cabinet ».

Par ailleurs, outre l’importance de la mission, on relèvera qu’elle était également concomitante à l’arbitrage. Cette proximité temporelle pèse également dans la balance. Rappelons à titre d’exemple que le fait pour le cabinet de l’arbitre d’effectuer une mission pour l’une des parties ou pour une société du même groupe est considéré comme relevant de la liste Orange des IBA Guidelines, c’est-à-dire des circonstances soumises à l’obligation de révélation, même en l’absence de relation commerciale significative entre le cabinet et cette société (si un tel courant d’affaires est caractérisé, les IBA Guidelines considèrent alors que la circonstance tombe dans la « Waivable Red List »). L’appréciation de la cour d’appel ne surprend donc pas.

L’arbitre aurait dû révéler ces faits de façon à permettre aux parties de présenter, le cas échéant, une demande de récusation. L’obligation de révélation présente ainsi une « vertu préventive » (C. Seraglini et J. Orstcheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019, n° 745) puisqu’à défaut d’une réaction dans les délais, les parties seront réputées avoir renoncé à se prévaloir du grief et ne pourront plus demander l’annulation de la sentence sur ce fondement.

À cet égard, la lecture du pourvoi permet indirectement d’apprécier la portée d’une telle renonciation, qui ne semble couvrir que la circonstance révélée, à l’exception de circonstances similaires ou comparables.

En effet, à suivre le pourvoi, l’arbitre aurait révélé avoir déjà été nommé en qualité d’arbitre par une société du groupe Volkswagen, ce qui n’avait pas occasionné de réaction ou de réticence de la part du requérant. Selon le demandeur au pourvoi, cette circonstance aurait dû être prise en compte par la cour d’appel pour apprécier si les nouvelles circonstances en cause créaient un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre. La Cour de cassation a écarté cet argument au motif de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Sur le fond, il semble justifié de ne pas donner suite à une telle argumentation. Si l’on comprend l’idée qui consiste à tenter de faire usage du caractère subjectif de la notion de doute raisonnable et d’en proposer une interprétation au regard de l’attitude de la partie à laquelle ce doute s’applique, il n’en reste pas moins que poussé l’extrême, le procédé pourrait revenir, de fait, à faire jouer très largement la renonciation de l’article 1466 du code de procédure civile. Or, si la renonciation peut être tacite, il serait préjudiciable aux droits des parties d’admettre qu’elle puisse être équivoque.

Du reste, en l’espèce, il était difficile de prétendre que les liens révélés - à savoir le fait pour l’arbitre d’avoir été désigné comme arbitre dans un autre litige par une société du groupe de l’une des parties - soient semblables à ceux qui ont été découverts par la suite - à savoir le fait de représenter une société de ce même groupe dans un litige, ne serait-ce que parce que, dans le premier cas, l’arbitre agit en toute indépendance et autonomie vis-à-vis de la partie qui l’a désigné.

Contours de l’exception de notoriété. C’est assez naturellement que la cour d’appel – confirmée en cela par la Cour de cassation – a pu estimer que ces faits étaient susceptibles de faire naître un doute raisonnable quant à l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre. La question restait de savoir s’ils n’étaient pas suffisamment notoires ou facilement accessibles pour qu’il appartienne aux parties d’en prendre connaissance, dispensant ainsi l’arbitre d’avoir à les révéler.

Le devoir de révélation de l’arbitre est contrebalancé, par l’obligation des parties de se renseigner, de façon à éviter des manœuvres dilatoires. Pèse donc sur les parties un « devoir minimum d’investigation » (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 746). Cette exception de notoriété est désormais classique (Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, Paris, 13 mars 2008, n° 06/12878, D. 2008. 3111, obs. T. Clay ; v. égal., Paris, 10 mars 2011, Tecso c/ Neoelectra, n° 09/28537, Rev. arb. 2011. 737, obs. D. Cohen ; Cah. arb., 2011. 787, note M. Henry ; LPA 2011, n° 225-226, p. 14, note P. Pinsolle ; Gaz. Pal. 15-17 mai 2011. 19, obs. D. Bensaude ; 10 mars 2011, n° 09/28537, D. 2011. 3023, obs. T. Clay ; RTD com. 2012. 518, obs. E. Loquin ; 13 nov. 2012, SA Fairplus Holding c/ société JMB Corporation, n° 11/11153 ; 28 mai 2013, n° 11/17672, Catering International, Gaz. Pal. 27-28 sept. 2013. 18, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2013, n° 11/17672, D. 2013. 2936, obs. T. Clay  ; 2 juill. 2013, n° 11/23234, La Valaisanne Holding, Rev. arb. 2013. 1033, note M. Henry ; JCP 2013. 1391, § 5, obs. J. Ortscheidt ; D. 2013. 2936, obs. T. Clay ; RTD com. 2014. 318, obs. E. Loquin ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout). Néanmoins, l’arrêt commenté est une nouvelle occasion de constater les difficultés qui président à sa mise en œuvre, qu’il s’agisse de son contenu ou de ses effets, quant aux obligations respectives des parties et des arbitres.

Certains auteurs ont clairement manifesté leur hostilité à l’égard de l’exception de notoriété (v. not., J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage, Dalloz actualité, 29 oct. 2019). En opportunité, on sera moins sévère en ce que, sur le principe, l’exception de notoriété participe d’un assainissement des recours contre les sentences.

Nous rejoignons cependant ceux qui s’émeuvent de l’absence de clarté de ce critère (en ce sens, v. T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, note sous Paris, 12 avr. 2016, n° 14/884, Société J&P Avax c/ société Tecnimont, Cah. arb. 2016. 447, n° 11). La notoriété s’entend de ce qui est « connu d’un grand nombre de personnes » (Larousse, v° Notoriété). S’agissant de faits pouvant affecter l’image de l’indépendance ou de l’impartialité de l’arbitre, la jurisprudence va plus loin et nous enseigne qu’est assimilée à l’information notoire l’information aisément accessible (v. not., Civ. 1re, 15 juin 2017, République de Guinée Equatoriale c/ société Orange Middle East and Africa, n° 16-17.108, Bull. civ. I, n° 746 ; D. 2017. 1306 ; ibid. 2559, obs. T. Clay ; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin ), notamment sur internet (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Civ. 1re, 25 mai 2016, n° 14-20.532, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; RTD com. 2016. 699, obs. E. Loquin ; Cah. arb. 2016. 633, note V. Chantebout ; Civ. 1re, 19 déc. 2018, Sté J&P Avax c/ Sté Tecnimont, et les arrêts précédents). La question se pose néanmoins au regard des faits de l’espèce : l’information était-elle réellement aisément accessible, dès lors qu’elle figure dans une publication très spécialisée et géographiquement limitée ? L’on rappellera, à l’instar de la cour d’appel, qu’il « ne saurait être exigé […] que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées ».

Elle a néanmoins ajouté que les informations qu’elle qualifie de notoires étaient telles « que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage ». C’est parce qu’il était connu de « tous les cabinets d’avocats d’affaires allemands » que l’annuaire paraît constituer une source incontournable. On peut ne pas être totalement convaincu (v. not. Paris, 27 mars 2018, n° 17/08354, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ). À cet égard, il est intéressant de relever que l’arbitre avait indiqué ne pas avoir eu connaissance de la représentation de la banque du groupe Volkswagen par son cabinet. Or, si l’on sait que l’argument tiré de l’ignorance par l’arbitre est insuffisant à exonérer celui-ci (la question avait déjà été soulevée dans l’affaire Tecnimont, à la fois par le pourvoi et par un commentateur. V., T. Clay, Tecnimont, saison 5 : La dissolution de l’obligation de révélation dans le devoir de réaction, préc. V. égal. J. Jourdan-Marques, Dalloz actualité, 29 janv. 2019), il peut sembler paradoxal d’affirmer à la fois que l’information est notoire et inconnue de l’arbitre lui-même.

La Cour de cassation adopte une position plus nuancée s’agissant de l’information publiée non plus avant, mais en cours d’arbitrage, estimant que les parties n’ont pas l’obligation de poursuivre leurs investigations postérieurement au début de l’arbitrage. Après l’acceptation de sa mission, c’est sur l’arbitre seulement que pèse l’obligation de révélation. À cet égard, la lettre de l’article 1456 du Code de procédure civile est claire. Il appartient à l’arbitre de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité « avant d’accepter sa mission » ainsi que « toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission » et ce, « sans délai » (V. égal. Paris, 17 févr. 2005, Rev. arb. 2005. 709, note M. Henry (3e esp.) ; 12 févr. 2009, Rev. arb. 2009. 186, note T. Clay).

Du côté des parties en revanche, l’obligation de mener des investigations sur l’existence d’éventuels conflits d’intérêts cesse « après le début de l’instance arbitrale » (V. déjà, Paris, 14 oct. 2014, n° 13/13459, Rev. arb. 2015. 151, note M. Henry ; D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen. V. égal. Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen).

Le pourvoi faisait cependant valoir une forme de continuité entre les éditions 2010/2011 et 2015/2016 de l’annuaire professionnel faisant état des liens entre le cabinet de l’arbitre et le groupe du défendeur. Selon le pourvoi, si les informations contenues dans l’édition la plus ancienne étaient notoires, il en allait nécessairement de même des informations contenues dans une édition ultérieure. L’argument n’est pas sans rappeler la solution retenue dans le dernier acte de l’affaire Tecnimont (Civ. 1re, 19 déc. 2018, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; JCP E 2019. 1177, note A. Constant ; Procédures 2019. Étude 8, note L. Weiller). Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait adopté la position de la cour d’appel selon laquelle les informations « ne faisaient que compléter celles dont elle disposait avant le dépôt de sa requête » et « n’étaient pas de nature à aggraver de manière significative ses doutes sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Dans l’affaire commentée, il est permis de se demander si la publication 2015/2016 se présentait comme une information nouvelle de nature à provoquer une aggravation significative au sens de l’arrêt Tecnimont ou si elle s’inscrivait dans la continuité d’informations notoires avant le début de l’arbitrage qu’elles ne font que compléter. Il nous a déjà été donné l’occasion de relever que la ligne n’est pas clairement tracée dès lors que tout lien supplémentaire ou l’augmentation du flux d’affaires est de nature, par effet d’accumulation, à aggraver les doutes des parties, quand bien même certains liens entre l’une des parties et l’arbitre étaient déjà établis (C. Debourg, obs. sous Civ. 1re, 19 déc. 2018, préc.). En l’espèce, on peut se demander si le fait que la source de l’information soit la même, malgré le fait qu’il s’agisse de publications d’années différentes, et que l’attention des parties ait été attirée sur la possibilité que le cabinet représente des sociétés du groupe, n’est pas une circonstance qui aurait dû pousser la partie requérante à enquêter davantage. La Cour de cassation ne le voit pas de cet œil et retient simplement que la partie n’était pas tenue de poursuivre ses recherches. Corrélativement, le poids de la révélation pèse donc sur l’arbitre qui doit donc être appelé à la prudence.

image

On le sait, en application de la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire et posant le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est, en principe, seul compétent pour juger les actes de l’administration. Néanmoins, par exception, le juge judiciaire redevient compétent pour sanctionner les actes les plus graves commis par cette dernière à l’égard de personnes privées lorsque l’acte administratif a engendré des conséquences dommageables portant atteinte à une liberté individuelle ou portant extinction du droit de propriété, c’est-à-dire en cas de voie de fait. Le juge judiciaire est alors compétent pour réparer ces conséquences. On se souvient que les contours de la voie de fait avaient été strictement redessinés par une importante décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 (T. confl. 17 juin 2013, n° 3911, Lebon ; AJDA 2013. 1245 ; ibid. 1568 , chron. X. Domino et A. Bretonneau ; D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert ; RFDA 2013. 1041, note P. Delvolvé ; LPA 2 sept. 2013, n° 175, p. 6, note J. De Gliniasty ; JCP 2013. 1057 note S. Biagini-Girard ; RJEP 2013, n° 712, comm. 38, note B. Seiller ; GAJA 2019. 111, p. 896), en rendant, par conséquent, plus exceptionnelle la compétence du juge judiciaire en ce qu’elle devenait plus difficile à retenir que par le passé (comp. par ex. avec l’approche antérieure de la voie de fait initiée dans la décision Action française du Tribunal des conflits concernant la saisie à titre préventif d’un journal, T. confl. 8 avr. 1935, n° 0822, Lebon 1226, concl. Jossn ; GAJA 2013. 92 – décision présente dans l’ouvrage jusqu’à sa 19e éd.). Certains avaient pu écrire que la voie de fait était alors « en voie de disparition de fait » (B. Seiller, note préc. sous T. confl. 17 juin 2013). Cette évolution était toutefois à mettre en parallèle avec le renforcement des prérogatives du juge administratif en matière de référé (J. Schmitz, Le juge du référé-liberté à la croisée des contentieux de l’urgence et du fond, RFDA 2014. 502 ; S. Gilbert, L’immixtion du référé-liberté dans le champ de la voie de fait : vers une perte de sens de la voie de fait, Dr. adm. 2013. Comm. 23, obs. sous CE, ord., 23 janv. 2013, Cne de Chirongui, n° 365262). Depuis cette décision de 2013, tant le Conseil d’État que la Cour de cassation s’étaient ralliés à cette nouvelle approche de la voie de fait et cet arrêt, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 24 octobre 2019, en est une nouvelle illustration concernant une atteinte au droit de propriété et non son extinction, semblant dès lors retenir une large approche de l’atteinte.

Dans cette espèce, il s’agissait d’une haie d’acacias implantée en limite de propriété sur une parcelle bâtie appartenant à un couple d’époux, personnes privées. La commune dans laquelle ce couple résidait leur avait demandé de supprimer cette haie parce qu’elle « était dangereuse pour les passants ». Le couple avait procédé à l’élagage mais la commune estimant que celui-ci était resté insuffisant, avait mis en demeure les propriétaires de procéder à l’abattage des végétaux. En raison de leur inaction, la commune avait elle-même procédé à l’abattage sans prévenir les propriétaires. Ces derniers avaient alors assigné la commune pour voie de fait en « réalisation forcée de travaux de remise en état et paiement de dommages-intérêts ». La cour d’appel avait fait droit à leur demande : retenant la voie de fait, la commune avait été condamnée à « faire enlever les souches des arbres coupés, à replanter des acacias de même taille que ceux abattus, espacés de 50 centimètres, sur la longueur totale du côté » de la parcelle et à « remplacer la clôture endommagée à l’identique » ainsi qu’à « verser la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi ». Le pourvoi formé par la commune est reçu par la Cour de cassation, qui censure l’arrêt d’appel mais sur un moyen relevé d’office en application de l’article 1015 du code de procédure civile.

Au visa de la loi des 16-24 août 1790 portant séparation des autorités administratives et judiciaires et de l’article 76, alinéa 2, du code de procédure civile, la Cour de cassation indique que « l’abattage, même sans titre, d’une haie implantée sur le terrain d’une personne privée qui en demande la remise en état ne procède pas d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’administration et n’a pas pour effet l’extinction d’un droit de propriété » ; c’est pourquoi, « la demande de remise en état des lieux relève de la seule compétence de la juridiction administrative », justifiant de relever d’office, par la Cour de cassation, « l’incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative ».

Cette solution n’a rien d’étonnant depuis la stricte approche de la notion de voie de fait opérée par la décision de 2013 du Tribunal des conflits. En effet, depuis cette dernière, l’administration ne commet de voie de fait, ouvrant la compétence du juge judiciaire, que lorsque l’administration soit a procédé dans des conditions irrégulières à l’exécution forcée d’une décision (même régulière), portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction du droit de propriété, soit lorsqu’elle a pris une décision ayant les mêmes effets d’atteinte à une liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété, et est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. Dans les deux cas de figure, et lorsque la voie de fait concerne la propriété privée, elle n’est donc constituée que lorsque l’action de l’administration aboutit à l’extinction du droit de propriété et non pas à une seule atteinte à ce droit (l’atteinte grave au droit de propriété justifiait auparavant, c’est-à-dire en application de la notion de voie de fait initiée par la décision Action française de 1935, la compétence du juge judiciaire ; v. aussi T. confl. 23 oct. 2000, n° 3227, Boussadar, Lebon ; AJDA 2001....

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

L’affaire oppose deux avocats également écrivains. Daniel Soulez-Larivière, avocat au barreau de Paris depuis 1965, a publié en 1982 un essai intitulé L’avocature « Maître, comment pouvez-vous défendre ? », dans lequel il livre ses réflexions sur la profession d’avocat ainsi que sur les mutations de la justice. Réédité une première fois en 1990, l’essai le fut une deuxième fois en 1995 sous le titre L’avocature. Pour Aurore Boyard, la vocation de l’avocature est plus récente. Membre du barreau de Toulon, elle raconte, depuis 2014, les péripéties de Léa Dumas, jeune avocate récemment inscrite au barreau de Paris, dans une trilogie de romans légers. L’un de ces romans s’est intitulé De l’avocation à l’avocature, pour devenir L’avocature. L’avocation. Tome 2 lors de sa réédition en 2018. Manifestement irrité par cet usage du terme « avocature », Me Soulez-Larivière a demandé au tribunal de grande instance (TGI) de Paris le retrait immédiat des ouvrages de Me Boyard commercialisés sous ce titre (v. Dalloz actualité, 23 sept. 2019, art. M. Babonneau). Un avocat le sait, car il doit souvent en convaincre son client, une irritation ne trouve pas toujours une traduction juridique. Dans cette affaire, c’est le TGI de Paris qui se charge de le rappeler à l’avocat.

À l’appui de sa demande, Daniel Soulez-Larivière revendiquait un droit d’auteur sur le titre avocature. Soutenant avoir inventé le terme en 1982 pour le titre de son premier ouvrage, il arguait naturellement de son originalité, condition à la reconnaissance du droit. L’argumentation était assez simple : n’étant pas un nom commun de la langue française d’usage courant et fréquent avant 1982, pas plus qu’un terme juridique, il ne pouvait faire de doute qu’il s’agissait d’un vrai choix arbitraire, d’un parti pris intellectuel et créatif portant l’empreinte de sa personnalité. Cette argumentation s’est toutefois heurtée à la réalité. De l’aveu même du demandeur, l’usage du terme avocature est apparu dès le milieu du XIXe siècle, ce dont la partie en défense n’a pas manqué d’apporter de nombreux exemples. Ne pouvant sérieusement soutenir être l’auteur d’un terme utilisé plus d’un siècle avant lui, Me Soulez-Larivière a complété son argumentation : il n’aurait en réalité pas inventé mais réinventé un mot très peu usité avant lui pour lui donner une portée inédite et ainsi le faire entrer dans la modernité. Mais découvrir n’étant pas créer, l’usage d’un mot sans autre apport créatif ne permet pas, comme le rappelle le TGI de Paris, de bénéficier de la protection offerte par le droit d’auteur.

Me Soulez-Larivière fonde également sa demande de retrait du roman de Me Boyard sur un fait de parasitisme. Le code de la propriété intellectuelle interdit l’usage d’un titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans les conditions susceptibles de provoquer une confusion, et cela même lorsque le titre en question n’est plus protégé par le droit d’auteur. Autrement dit, l’absence d’originalité du titre n’empêche pas que son usage pour un ouvrage du même genre soit de nature à créer une confusion dans l’esprit du public. Selon Daniel Soulez-Larivière, un risque de confusion existait bel et bien entre les deux ouvrages, l’un et l’autre ayant une inspiration commune, celle de la vie des avocats et de la pratique de leur métier. Pour cette seule raison, ils appartiendraient au même genre. Pour autant, un essai n’est pas un roman. En l’espèce, l’un offre une réflexion sérieuse, l’autre appartient à un genre littéraire parfaitement identifié, celui du « roman de poulettes » (chick lit). Au fond, Daniel Soulez-Larivière reprochait à Aurore Boyard d’avoir cherché à s’approprier la notoriété de son ouvrage. Or sa dernière réédition remontant tout de même, au moment des faits, à près de vingt-cinq ans, aucun bilan de vente ne permettant, de plus, de la corroborer, l’existence d’une telle notoriété, notion délicate à appréhender, n’est pas patente. Le succès des romans d’Aurore Boyard est, lui, en revanche, attesté. Après une étude comparée des ouvrages quant à leur forme, quant au public visé ou au réseau de distribution employé, le TGI de Paris a conclu à l’absence de risque de confusion dans l’esprit du public. Aussi, démontrant que le terme avocature était régulièrement employé, Aurore Boyard a pu convaincre le TGI de Paris qu’elle n’avait pas eu la volonté de se placer dans le sillage spécifique de l’ouvrage de Daniel Soulez-Larivière et que les faits de parasitisme ne pouvaient être établis.

Dans cette affaire, ce ne sont pas tant les questions de droit qui interpellent que les motivations d’un avocat expérimenté devant l’évidence du droit. N’étant pas protégé par le droit d’auteur, le terme avocature peut continuer de désigner un roman empreint d’humour comme un essai portant une réflexion sérieuse. Assurément, l’avocature bénéficie d’une belle mise en lumière.

L’acte d’assignation est l’acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître devant le juge. Cet acte introductif d’instance obéit à un formalisme actuellement fixé par les articles 648 et 56 du code de procédure civile. Ainsi, pour désigner le demandeur personne morale, il doit être fait mention de sa forme, de sa dénomination, de son siège social et de l’organe qui le représente légalement. Quant au défendeur personne morale, il doit être désigné par sa dénomination et son siège social. En dépit de la clarté des textes susvisés et des enseignements de la jurisprudence, le contentieux relatif à l’erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale persiste, comme en témoigne l’arrêt rendu le 14 novembre 2019.

En l’espèce, par délibération du 5 avril 2018, il a expressément été donné mandat à Madame X., membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’hôpital René Muret, pour représenter celui-ci en justice à l’occasion des procédures judiciaires pouvant être exercées dans le cadre du recours à l’expertise pour risque grave.

L’assistance publique-hôpitaux de Paris (l’AP-HP) a fait assigner devant le président du tribunal de grande instance de Bobigny le CHSCT afin de voir annuler une délibération désignant un cabinet d’expertise aux...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

La divulgation est le don de l’œuvre au public. C’est parce que l’œuvre est divulguée qu’elle va pouvoir être exploitée et la dévolution successorale de ce droit moral suit un ordre spécifique (CPI, art. L. 121-1 et L. 121-2. V. not. M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins,  4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, nos 476 s.). Aussi, « en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé […], le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée » et « il en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence » (CPI, art. L. 121-3). Se pose alors la question de savoir qui peut agir ?

En effet, le droit commun de la procédure civile prévoit que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » (C. pr. civ., art. 31) tandis que pour l’article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle « le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la Culture ». Or, l’adverbe « notamment » induit une conception libérale selon laquelle « toute personne ayant qualité et intérêt pour agir […], devrait être recevable pour voir sanctionner l’héritier indigne : à la première génération, ami de l’auteur, parent non titulaire du droit...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :

image

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 novembre 2019 pourrait bien relancer le débat sur l’opportunité de l’accouchement « sous X », régulièrement critiqué (v., par ex., Civ. 1re, 7 avr. 2006, n° 05-11.285, D. 2006. 1177, tribune B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2006. 292, obs. J. Hauser ) notamment pour ses conséquences indirectes mais souvent radicales sur le lien de filiation paternelle.

En l’espèce, une enfant est « née sous X » le 23 octobre 2016. Elle a été immatriculée comme pupille de l’État le 24 décembre suivant. Le Conseil de famille des pupilles de l’État a consenti à son adoption le 10 janvier 2017 et une décision de placement a été prise le 28 janvier. L’enfant a été remise au foyer de M. et Mme B… le 15 février. Quelques jours plus tôt, le père biologique, M. A…, avait entrepris des démarches auprès du procureur de la République pour retrouver l’enfant. Une fois celle-ci retrouvée et identifiée, M. A… l’a reconnue, le 12 juin 2017. M. et Mme B… ont par la suite déposé une requête aux fins de voir prononcée l’adoption plénière de l’enfant et M. A… est intervenu volontairement dans la procédure. La cour d’appel ayant prononcé l’adoption, M. A… a formé un pourvoi en cassation à l’occasion duquel il a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) sur lesquelles se prononce l’arrêt sous examen. La Cour de cassation ne transmettra que la première, la seconde concernant une disposition – l’article 353, alinéa 3, du code civil – qui n’était pas applicable au litige.

Rappelons en effet que, pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Concernant la première QPC, qui visait les articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1, du code civil, les deux premières conditions étaient indubitablement réunies. En outre, la Cour de cassation a considéré que la question présentait un caractère sérieux « en ce qu’elle invoque une atteinte aux droits et libertés garantis par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

La QPC renvoyée soutenait précisément que les dispositions de l’article 351, alinéa 2, du code civil – qui prévoient que le placement en vue de l’adoption peut intervenir deux mois après le recueil de l’enfant – et de l’article 352, alinéa 1, du même code – qui indique que « le placement en vue de l’adoption met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine » et que « fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance » – portaient atteinte au droit de mener une vie familiale normale et à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi qu’au respect de la vie privée et au principe d’égalité devant la loi, en ce qu’elles empêchent le père d’un enfant né d’un accouchement anonyme d’établir tout lien de filiation avec lui dès son placement en vue de l’adoption et avant même que l’adoption soit prononcée.

En attendant la réponse du Conseil constitutionnel à cette question, il convient d’exposer sommairement le contexte du débat qui devra se tenir rue de Montpensier. Un débat à l’issue incertaine qui verra s’affronter plusieurs droits – droit d’accoucher dans l’anonymat, droit de l’enfant de connaître ses parents et d’être élevé par eux, droit d’établir son lien de filiation pour le père et respect de sa vie familiale – et intérêts – de la femme qui accouche, du père, de l’enfant, voire des parents adoptifs pressentis – divergents que le droit français s’efforce de concilier (pour une approche institutionnelle de la balance des intérêts en cause, v. F. Terré, C. Goldie-Genicon, D. Fenouillet, Droit de la famille, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, spéc. § 654).

Le contexte trouve son origine dans le droit reconnu à la femme enceinte, par l’article 326 du code civil, d’accoucher dans l’anonymat (autrement appelé « accouchement sous X ») qui est historiquement considéré comme une mesure de protection de la santé de l’enfant ayant pour objectif de limiter les avortements (notamment clandestins) et les abandons « sauvages » de nouveau-nés non désirés (en ce sens, v. E. Poisson-Drocourt, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, D. 2006. 2293  ; pour une analyse des autres fondements possibles, v. F. Terré, C. Goldie-Genicon, D. Fenouillet, op. cit., spéc. § 653). La difficulté est que cet anonymat rend très difficile l’établissement de la filiation paternelle, privant pratiquement le père biologique de toute chance de se voir confier l’enfant, ce que M. A… vivait en l’espèce.

En effet, en cas d’accouchement anonyme, la filiation paternelle repose sur la reconnaissance d’un enfant dont le père biologique ignore souvent la date et le lieu de naissance, ce qui oblige généralement ce dernier à désigner l’enfant par le biais de la femme qui le porte ou le portait. Or, en raison du secret de l’admission et de l’accouchement, cette femme n’a officiellement jamais accouché, ce qui rend l’identification de l’enfant très difficile. Ainsi, l’enfant « né sous X » est le plus souvent déclaré « sans filiation » et, en conséquence, immédiatement recueilli par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Dans le schéma classique, deux mois plus tard, l’enfant sera immatriculé pupille de l’État (CASF, art. L. 224-8, al. 1er, et L. 224-4, 1°). À la suite de cette immatriculation, le Conseil de famille des pupilles de l’État donnera en principe son consentement à l’adoption (CASF, art. R. 224-18, 2°) et l’enfant sera le plus souvent très rapidement placé en vue de cette adoption. Ce placement, qui interviendra donc rapidement mais plus de deux mois après le recueil, conformément à la première disposition critiquée par la QPC (C. civ., art. 351, al. 2), mettra fin à toute possibilité d’établir le lien de filiation biologique, ce qui est prévu par la seconde disposition critiquée (C. civ., art. 352, al. 1). Si le placement se passe bien, l’adoption plénière de l’enfant sera prononcée.

La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur la question de l’articulation d’un accouchement anonyme et d’une reconnaissance paternelle. C’est la fameuse affaire Benjamin (sur laquelle, v., outre les notes sous l’arrêt de la Cour de cassation citées infra, P. Verdier, L’affaire Benjamin : des effets de la reconnaissance paternelle d’un enfant né sous X, AJ fam. 2004. 358  ; P. Salvage-Gerest, Benjamin encore… Une indispensable mise au point, AJ fam. 2005. 18  ; C. Neirinck, L’adoptabilité de l’enfant né sous X, RDSS 2005. 1018 ; P. Salvage-Gerest, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. § 221.162), du prénom d’un enfant reconnu de façon prénatale par son père mais né sous X et placé en vue de l’adoption en vertu du processus décrit plus haut. Dans cette affaire, la Cour de cassation (Civ. 1re, 7 avr 2006, n° 05-11.285, D. 2006. 2293, obs. I. Gallmeister , note E. Poisson-Drocourt ; ibid. 1177, tribune B. Mallet-Bricout ; ibid. 1707, chron. J. Revel ; ibid. 2007. 879, chron. P. Salvage-Gerest ; ibid. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; Just. & cass. 2007. 328, rapp. A. Pascal ; AJ fam. 2006. 249, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 575, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 273, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 292, obs. J. Hauser ; JCP 2006. I. 199, nos 1 s., obs. Rubellin-Devichi ; Defrénois 2006. 1127, obs. Massip ; Gaz. Pal. 2006. 3210, note Guittet ; RJPF-2006-6/38, note Le Boursicot ; LPA 17 juill. 2006, obs. Massip ; ibid. 7 mai 2007, obs. Bourgault-Coudevylle ; RLDC juin 2006, p. 34, note Le Boursicot ; Dr. famille 2006. Comm. 124, obs. P. Murat ; RLDC mai 2006, p. 45, obs. G. Marraud des Grottes) a pu affirmer que, dès lors qu’un enfant avait été reconnu par son père et identifié avant le consentement à l’adoption, le Conseil des familles n’était plus compétent pour donner un tel consentement, ce qui rendait le placement de l’enfant en découlant irrégulier.

La décision a été critiquée pour son imprécision, voire son incohérence au regard des articles du code civil et du code de l’action sociale et des familles (en ce sens, v. C. Neirinck, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, n° 05-11.285, RDSS 2006. 575, art. préc.). Elle semble imposer que l’enfant soit identifié avant le consentement du Conseil de famille, consentement qui intervient en principe en amont du placement mais qui, en l’espèce, était curieusement intervenu après, ce qui a brouillé la portée de l’arrêt (sur les incertitudes quant à la portée de l’arrêt, v. P. Murat, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, Dr. famille 2006. Comm. 124 ; M.-C. Le Boursicot, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, RJPF-2006-6/38 ; J. Massip, obs. sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, LPA 17 juill. 2006, art. préc.). Pourtant, l’arrêt visait l’article 352 du code civil qui, lui, fait du placement de l’enfant en vue de l’adoption l’événement « butoir » faisant obstacle à tout établissement du lien de filiation des parents biologiques.

Pour parfaire ce tableau en clair-obscur, on évoquera également une circulaire d’application de la réforme de la filiation intervenue en 2005 (circ. 30 juin 2006, de présentation de l’ord. n° 2005-759 portant réforme de la filiation) qui a semblé renforcer cette idée qu’il fallait impérativement que l’enfant soit identifié avant le placement et non au moment du consentement à l’adoption.

À ce jour, un certain flou subsiste, notamment dans l’hypothèse où l’enfant aurait été reconnu avant le placement (notamment par une reconnaissance prénatale) mais identifié après (sur cette « distorsion temporelle », v. C. Neirinck, L’adoptabilité de l’enfant né sous X, RDSS 2005. 1018 ; v. égal. J. Massip, obs. sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, LPA 17 juill. 2006) et il pèsera peut-être dans l’analyse de la constitutionnalité des articles visés par la QPC. Cela d’autant que, nonobstant l’obligation des parquets de tout mettre en œuvre pour aider les pères biologiques d’enfants « nés sous X » à identifier ces enfants (C. civ., art. 62-1), dans l’immense majorité des cas, le temps de la procédure compromettra la restitution de l’enfant à son père (dans l’affaire Benjamin, alors que le père s’était démené pour affirmer sa volonté de l’élever avant même sa naissance, l’enfant est resté vivre dans sa famille adoptive qui l’élevait depuis six ans, v. Reims, 12 déc. 2006, RTD civ. 2007. 558, obs. Hauser ; Defrénois 2007. 795, obs. Massip).

En l’espèce, le père, sans conteste mal conseillé compte tenu de la jurisprudence rappelée, n’a pas immédiatement reconnu l’enfant. Il a attendu que celle-ci soit clairement identifiée pour le faire, à un moment où le Conseil de famille avait déjà consenti à l’adoption et où l’enfant était déjà placée en vue de cette adoption. Il se heurtait donc incontestablement aux dispositions de l’article 352, alinéa 1, du code civil et ses chances d’obtenir gain de cause sur le simple fondement des textes semblent nulles. Il lui reste donc deux voies : celle du contrôle de proportionnalité – qu’il a peut-être empruntée aussi mais nous ignorons les moyens de son pourvoi – et celle, radicale, de l’inconstitutionnalité des articles en question, dont il fait usage ici et qui ferait vaciller le château de cartes.

En effet, comme nous l’avons rappelé, les articles visés ne sont que la fin du processus dont le point de départ est l’accouchement de la mère dans l’anonymat. Ainsi, la QPC transmise, en mettant en cause la constitutionnalité des articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1, du code civil pose en réalité la question prioritaire de la constitutionnalité du système entier. Certes, la QPC se garde bien de viser l’accouchement anonyme lui-même mais c’est sans doute parce que son principe a été « validé » par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, JO 17 mai ; AJDA 2012. 1036 ; D. 2013. 1235, obs. REGINE ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 406, obs. F. Chénedé ; RDSS 2012. 750, note D. Roman ; RTD civ. 2012. 520, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2012, n°120, note Neirinck) et même par la Cour européenne des droits de l’homme (à travers les arrêts Kearns, v. CEDH 10 janv. 2008, Kearns c. France, req. n° 35991/04, BICC 15 févr. 2008 ; CEDH, 10 janv. 2008, n° 35991/04, Kearns c/ France, D. 2008. 415, obs. P. Guiomard ; AJ fam. 2008. 78, obs. F. Chénedé ; RDSS 2008. 353, note C. Neirinck ; RTD civ. 2008. 252, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 285, obs. J. Hauser ; Procédures 2008, n°77, obs. Fricero ; RJPF 2008-4/23, obs. Garé ; Dr. fam. 2008, Étude 14, Gouttenoire, et Odièvre, v. CEDH, gr. ch., 13 févr. 2003, Odièvre c. France, req. n° 42326/98, AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 739, et les obs. ; ibid. 1240, chron. B. Mallet-Bricout ; RDSS 2003. 219, note F. Monéger ; RTD civ. 2003. 276, obs. J. Hauser ; ibid. 375, obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2003. II. 10049, note Gouttenoire-Cornut et Sudre ; P. Malaurie, La Cour européenne des droits de l’homme et le “droit” de connaître ses origines, JCP 2003. I. 120 ; Gaz. Pal. 2005. 411, note Royant ; RJPF 2003-4/34, obs. Le Boursicot ; Dr. fam. 2003, n°58, note Murat ; Dr. fam. 2003, Étude 14, par Gaumont-Prat ; LPA 11 juin 2003, p. 11, note Roy ; JDI 2004. 696, note Leclercq-Delapierre). Néanmoins, on voit difficilement comment le Conseil constitutionnel pourrait juger les dispositions des articles visés inconstitutionnelles sans obliger le législateur à repenser entièrement l’édifice. Plusieurs auteurs ont déjà souligné combien tout repose sur cette spécificité du droit français qu’ils invitent, pour certains, à supprimer purement simplement (v., not. C. Neirinck, note sous Civ. 1re, 7 avr. 2006, RDSS 2006. 575, préc. ; F. Terré, C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, op. cit., spéc. § 654), d’autant que le contentieux montre que le système prive aussi des grands-parents de leurs petits-enfants (v., not., sur le contentieux relatif à l’arrêté d’admission comme pupille de l’État contesté par des grands-parents biologiques, P. Salvage-Gerest, in P. Murat [dir.], Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. § 221.163 et les réf. citées § 221.181 s.).

C’est dire tout l’enjeu de cette question prioritaire de constitutionnalité dont on attend, avec impatience et curiosité, la réponse.

Saisie par le père biologique d’un enfant « né sous X », la Cour de cassation a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC visant les articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1, du code civil relatifs au placement d’un enfant en vue de son adoption plénière et à ses effets vis-à-vis de sa famille d’origine.

en lire plus

Auteur d'origine: Dargent

Par un premier arrêt publié depuis l’entrée en vigueur du texte, la deuxième chambre civile approuve l’appréciation souveraine d’une cour d’appel qui écarte la force majeure soulevée par une appelante hospitalisée au jour de la déclaration d’appel et de la notification de ses conclusions.

en lire plus

Auteur d'origine: laffly

Si l’article 815-5-1, alinéa 3, du code civil exige des indivisaires qui détiennent au moins les deux tiers des voies et qui désirent vendre de le signifier dans le délai d’un mois aux autres indivisaires, il n’est pas prévu de sanction. Seul compte le respect du délai d’opposition de trois mois posée à l’alinéa 4 du même texte.

en lire plus

Auteur d'origine: mjaoul

L’Autorité de la concurrence a formulé, le 2 décembre, de nouvelles recommandations pour favoriser, de manière graduelle, l’installation de nouveaux professionnels. 

en lire plus

Auteur d'origine: tcoustet