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Des malfaiteurs ont profité de la faveur de la nuit pour cambrioler un restaurant guadeloupéen. La police ainsi que des connaissances du propriétaire de l’établissement se lancent à leur poursuite. Malheureusement, un agent de la police confond ces derniers avec les malfaiteurs et tire sur l’un d’eux, qui subit de graves préjudices.

La victime principale ainsi que sa mère et son frère saisissent la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) qui ouvre le droit à une indemnité pour chacun d’eux. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) procède au paiement et se retourne, ainsi que l’article 706-11 du code de procédure pénale le lui autorise, contre l’agent judiciaire de l’État. En effet, ce dernier représente l’État en défense dans les domaines des accidents causés par ses agents (v. Rép. pr. civ., v° Agent judiciaire de l’État, par J.-P. Besson et J. Amouroux). Les sommes en jeu sont importantes puisque la CIVI a évalué le montant total des préjudices subis par les trois victimes à 1 849 649,58 €.

Le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a toutefois déclaré l’action de la FGTI irrecevable car prescrite. Celui-ci a donc interjeté appel de ce jugement et la cour d’appel de Basse-Terre a fait droit à sa demande. Elle a par ailleurs reconnu la responsabilité de l’État et l’a condamné à payer la somme demandée.

L’agent judiciaire de l’État a formé un pourvoi en cassation. Sur les trois moyens invoqués, seuls le deuxième, qui se rapporte à la prescription de l’action, et le troisième, qui soulève la question de la responsabilité de l’État, seront analysés par la Cour de cassation. Il fallait donc déterminer si le délai quadriennal de l’action amorcé par le FGTI avait été interrompu et si la responsabilité sans faute de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques pouvait être retenue.

À ces questions, la Cour de cassation donne sa réponse sous la forme d’un rejet des deux moyens retenus.

Sur la prescription de l’action attachée à la loi du 31 décembre 1968

L’article premier de cette loi prévoit un délai de quatre ans au terme duquel se prescrivent, au profit de l’État, les créances qui n’ont pas été payées à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Les premiers juges ont ainsi considéré que le point de départ du délai correspondait au 1er janvier suivant le paiement, par le FGTI, des premières indemnités aux victimes et qu’il s’était écoulé quatre ans sans que rien ne soit venu interrompre la prescription. L’article 2 de la loi précitée prévoit pourtant plusieurs cas interruptifs de la prescription. On peut lire, au sous-alinéa deux du premier alinéa que la prescription est interrompue par « tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance ». Dans cette affaire, il y a eu un tel recours matérialisé par la plainte et la constitution de partie civile des demandeurs devant le juge d’instruction. Cependant, le tribunal a considéré que la constitution de partie civile ayant été faite devant ce juge et non devant la personne publique responsable, cela ne correspondait pas à un cas d’ouverture de l’interruption de la prescription. La cour d’appel, dont la décision a été confirmée par la Cour de cassation, a considéré, au contraire, qu’il était indifférent que le recours ait été formé devant le juge d’instruction et en l’absence de l’agent judiciaire de l’État.

La question des conditions de l’interruption de l’action quadriennale de la loi de 1968 est ancienne. Elle a pour origine le changement qui a eu lieu entre l’ancien système issu d’une loi de 1831 et le nouveau crée par la loi de 1968 qui avait pour objectif « la préservation des deniers publics et la stabilisation de l’administration débitrice par la clôture rapide des budgets publics » (F. Lombard, Recours juridictionnel : les conditions d’interruption de la prescription quadriennale, AJDA 2017. 1845 ). Le point d’orgue des difficultés relatives à l’interprétation de cette loi est sans doute le célèbre arrêt Commune de Férel du Conseil d’État (CE 24 juin 1977, req. n° 96584, Lebon ). Dans celui-ci, la haute juridiction administrative subordonne l’interruption du délai de prescription du sous-alinéa 2 de l’article 2 de la loi de 1968 à la mise en cause d’une collectivité publique. S’en est suivi un important débat sur la pérennité de cette jurisprudence. Pour une partie de la doctrine, la solution adoptée en 1977 a été abandonnée dans un arrêt du 27 octobre 2006 (CE 27 oct. 2006, req. n° 246931, Dalloz actualité, 5 nov. 2006, obs. B. Lapouille ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2006. 2389 , chron. C. Landais et F. Lenica ) qui ne subordonnerait désormais la reconnaissance de l’effet interruptif « qu’à la seule la condition que la plainte porte sur une créance susceptible, d’une manière ou d’une autre, d’être mise à la charge d’une collectivité publique » (C. Landais et F. Lenica, art. préc.). Cependant, pour d’autres, dont Olivier Henrard qui rapportera sur une décision du 10 mars 2017 (dans laquelle il est jugé que le sous-alinéa 2 de la loi subordonne l’interruption du délai de la prescription quadriennale en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d’une collectivité publique, v. CE 10 mars 2017, req. n° 404841, Dalloz actualité, 16 mars 2017, obs. D. Poupeau ; Lebon ; AJDA 2017. 550 ; ibid. 1845 , note F. Lombard ) il s’agit d’une mauvaise interprétation de l’arrêt. Selon lui, le sous-alinéa 2 de l’article 2 de la loi de 1968 doit être interprété au regard des autres sous-alinéas mentionnant la présence d’une collectivité publique. Il faut donc nécessairement qu’un recours soit dirigé contre une administration pour interrompre la prescription. Ce qui est indifférent, ce n’est pas la présence d’une administration, c’est la nature de cette administration. Pour le rapporteur, la lecture des travaux préparatoires de la loi encourage cette interprétation tout comme celle de l’ancien article 2244 du code civil, qui exige que, pour interrompre la prescription ainsi que les délais pour agir, une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie doivent être signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire (Civ. 3e, 23 mai 2013, n° 12-14.901, Dalloz actualité, 14 juin 2013, obs. M. Kebir ; D. 2013. 2123, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin , cité in O. Henrard, concl. sous CE 10 mars 2017, req. n° 404841, préc.). Ce n’est pourtant pas à cette interprétation que semble se rallier la Cour de cassation dans cet arrêt du 16 janvier 2020. La deuxième chambre civile explique que « c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé qu’il était indifférent que l’agent judiciaire de l’État n’ait pas été partie à l’information judiciaire ni au procès correctionnel » et que « la constitution de partie civile à l’occasion de cette procédure avait bien interrompu la prescription de l’action en responsabilité contre l’État ».

Il serait toutefois bien audacieux de présager de la portée de cette décision et l’on peut regretter l’insuffisance de motivation de la Cour de cassation (v. les travaux de réflexion sur la réforme interne de l’institution ; v. aussi, P. Deumier, Motivation enrichie : bilan et perspectives, D. 2017. 1783 ou encore C. Jamin, Le Grand Inquisiteur à la Cour de cassation, AJDA 2018. 393 ) qui confère pourtant, à la décision, ses lettres de noblesse (F-P+B+I). Il y a, en effet, une certaine continuité dans la jurisprudence administrative concernant l’existence d’une plainte avec constitution de partie civile. Dans plusieurs décisions, le Conseil d’État (CE 27 oct. 2006, req. n° 246931, préc. ; 26 mai 2010, req. n° 306617, Lebon ; AJDA 2010. 1061 ; 17 mars 2014, req. n° 356577, Dalloz actualité, 27 mars 2014, obs. M.-C. de Montecler ;  Lebon ; AJDA 2014. 657 ; v. aussi CE 11 avr. 2008, req. n° 294767, Dalloz actualité, 23 avr. 2008, obs. C. Faivre ; Lebon ; AJDA 2008. 781 ) a considéré que, dans ce cas, la mise en cause de l’administration était inutile et que la plainte avec constitution de partie civile suffisait à interrompre la prescription quadriennale. Mais cela ne suffit sans doute pas à dire que le principe posé dans la jurisprudence Commune de Ferel est dépassé. La Cour de cassation se contentant de se rallier à l’analyse du Conseil d’État concernant les plaintes qui, lorsqu’elles impliquent une volonté de mettre en jeu l’administration, ne nécessitent pas de la part du créancier qu’il mette directement en cause cette dernière.

Sur la responsabilité de l’État pour rupture d’égalité. Le troisième moyen du pourvoi pose moins de difficultés. L’agent judiciaire de l’État remettait en cause le bien-fondé du recours subrogatoire du FGTI prévu à l’article 706-11 du code de procédure pénale en expliquant que la faute qui est reprochée à l’État (rupture d’égalité devant les charges publiques) est sans rapport avec la faute pénale (le coup de feu de l’agent de police) qui a permis à la victime de s’adresser à la CIVI pour obtenir réparation. L’agent judiciaire semble oublier que le lien entre la faute pénale et le fondement juridique invoqué pour engager la responsabilité de la personne poursuivie n’est pas exigé (v. Rép. pr. civ., v° Responsabilités encourues pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, par S. Guinchard, n° 56). Dit autrement, il importe peu que le FGTI ait agi contre l’agent judiciaire de l’État sur le fondement d’une responsabilité sans faute alors que la CIVI a ouvert le droit à indemnisation des victimes à la suite de la reconnaissance de la responsabilité de l’agent de police sur le fondement d’une faute pénale. L’absence d’identité des causes juridiques ne peut valoir que lorsqu’il n’existe vraiment aucun rapport entre la responsabilité de l’État et la faute ayant ouvert le droit à indemnisation par la CIVI ou que les responsabilités trouvent leur origine dans des faits générateurs différents (Civ. 2e, 5 juill. 2006, n° 05-13.606, Dalloz jurisprudence). La Cour de cassation le rappelle bien ici : il n’y a qu’un seul fait générateur qui réside dans le coup de feu tiré par l’agent de police et la responsabilité de l’État a un lien de causalité avec ce coup de feu.

En l’espèce, un individu souscrivait un contrat d’assurance sur la vie le 12 février 2005. Il signait, le 17 juin 2010, un premier avenant modifiant la clause bénéficiaire. Le 9 novembre 2010 il était placé sous le régime de la curatelle simple puis, le 8 janvier 2012, sous celui de la curatelle renforcée. Le 15 septembre 2014, dans un nouvel avenant au contrat, il modifiait une seconde fois la clause bénéficiaire en étant assisté de son curateur. Il décédait le 18 décembre 2014.

Sur requête de sa veuve, et en application du principe selon lequel pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit, le tribunal prononçait la nullité du premier avenant. En revanche, cette juridiction estimait que le second avenant était valide. En effet, les juges du fond observaient que le titulaire du contrat avait, en 2014, modifié la clause bénéficiaire par l’intermédiaire de son curateur qui avait daté et signé l’avenant. En outre, ils constataient qu’aucun manquement du curateur à ses obligations, consistant à s’assurer de la volonté du majeur protégé et de l’adéquation de sa demande avec la protection de ses intérêts, n’était relevé. Rappelons qu’en principe, pour éviter des difficultés de preuve, l’action en nullité pour insanité d’esprit ne peut pas être intentée après la mort de l’auteur de l’acte critiqué. Ce n’est que dans des cas exceptionnels que l’action post mortem est admise par le législateur. L’article 414-2, 3°, du code civil n’autorise en effet...

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L’action directe, découverte très tôt en France dans le domaine de l’assurance, est déjà source de difficultés lorsqu’elle est confrontée au droit interne. À ce titre, Madame Abravanel-Jolly explique que depuis l’intervention de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 « l’action directe est une action légale, conférée à la victime afin de lui permettre d’agir directement contre l’assureur. On la nomme également action directe légale, pour bien la différencier de l’action directe contractuelle octroyée au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui […]. À l’origine, l’article L. 124-3 du code des assurances ne faisait pas référence à l’action directe. Le texte original faisait uniquement référence à un principe d’affectation en vertu duquel l’indemnité devait être affectée à la victime, et c’est la jurisprudence qui en a déduit l’existence d’une action directe dans un arrêt de principe du 28 mars 1939 » (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 83 7; V. aussi, P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 247, qui cite un arrêt plus ancien : Civ. 14 juin 1926, DP 1927. I. 57, note L. Josserand et rapp. A. Collin ; S. 1927.1.25, note C. Esmein ; Lamy Assurances 2020, n° 1584 ; Adde Y. Avril, Chapitre II. Le recours contentieux ; Section 1. L’action directe de la victime contre l’assureur, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, Ellipses, 2020, à paraître).

Le fameux arrêt de la chambre civile en date du 28 mars 1939 révèle la dualité de l’action directe. Elle prend naissance dans le « droit à la réparation de la victime pour le préjudice dont l’assuré est reconnu responsable ; il s’agit d’une action distincte de l’action en responsabilité elle-même. Pour autant, l’assureur n’est tenu vis-à-vis de la victime que dans la limite du contrat d’assurance RC. Sachant que, à l’évidence, l’action directe n’est plus recevable en cas de substitution légale du débiteur de la dette de responsabilité. Au demeurant, la jurisprudence met en évidence les deux facettes de l’action directe : un fondement légal issu du droit à réparation de la victime, mais dont l’exercice est limité par le contrat d’assurance » (ibid.).

La décision originelle énonçait ainsi que « si l’action de la victime d’un accident contre l’assureur est subordonnée à l’existence d’une convention passée entre ce dernier et l’auteur de l’accident et ne peut s’exercer que dans ses limites, elle trouve, en vertu de la loi, son fondement dans le droit à réparation du préjudice causé par l’accident dont l’assuré est reconnu responsable » (Civ. 28 mars 1939, D. 1939. I. 68, note M. Picard).

Il est souligné, à propos de ce principe, que la jurisprudence française « est si constante et ferme qu’il devient rare de rencontrer des arrêts réitérant ce principe, connu de tous et critiqué par personne » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 749, n° 754, in fine : citant Civ. 1re, 22 juill. 1986, RGAT 1986. 595, note G. Viney), avant de reconnaître que « le droit québécois est moins hésitant : Le montant de l’assurance est affecté exclusivement au paiement des tiers lésés » (C. civ. Q, art. 2500) » (ibid.).

Lorsqu’elle s’inscrit dans le droit international privé de l’Union européenne, le terrain de jeu de l’action directe y est davantage piégé, dans la mesure où il s’agit d’une notion européenne qui amène à considérer l’ensemble du régime, avec l’autonomie des notions-régimes en particulier (F. Mailhé, Entre Icare et Minotaure, les notions autonomes du droit international privé de l’Union, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 1137 s., spéc. p. 1161).

Bien plus restrictivement, la décision commentée rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2019 (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, nos 18-14.827 et 18-18.709) vise le règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement et du Conseil du 11 juillet 2007 (JOUE du 31 juill.) sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II.

Dans une perspective historique préalable, en France, la seule jurisprudence traitait auparavant de la question de la loi applicable en matière de responsabilité civile extracontractuelle. On sait ainsi de longue date qu’à l’occasion d’un litige international, la victime d’un accident survenu en France est recevable à exercer, contre l’assureur étranger de l’auteur de cet accident, l’action directe que la loi lui confère dans un intérêt d’ordre public (Req. 24 févr. 1936, DP 1936. 1. 49, note R. Savatier ; RGAT 1936. 558, note M. Picard ; L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-3, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 292 ; B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 13). Il a été subtilement mis en lumière que « ce n’est plus ici simplement l’ordre public qui vient s’infiltrer dans le contrat, c’est ce dernier qui en est réduit à l’état d’instrument du premier. Ainsi comprend-on, non seulement, qu’une police d’assurance ne peut contenir de clause entravant cette action, mais également que les règles de conflits de lois admises par le droit international privé français se verront écartées, au nom de l’ordre public, si jamais leur solution venait à désigner une loi étrangère ignorante du procédé » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, op. cit., p. 749, n° 755).

Par la suite, le champ du droit commun, façonné par la jurisprudence, a été restreint par l’entrée en vigueur de deux conventions internationales, en premier lieu celle du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation routière, en second lieu celle du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des produits, puis par le droit international privé du droit de l’Union européenne qui n’a avancé que progressivement. Les règles dégagées en matière de conflits de juridictions ont ainsi généré un phénomène de communautarisation du droit international privé.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et son ancêtre la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont d’abord rendu des décisions relatives à la matière délictuelle en rapport avec l’application de la Convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et, plus tard, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, et du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles I refondu. Cette jurisprudence n’a pas manqué « d’avoir des répercussions sur la construction prétorienne alors applicable en France dans le domaine des conflits de lois. Une nouvelle étape du phénomène a été franchie avec l’adoption du règlement » dit Rome II (H. Slim, Responsabilité civile délictuelle en droit international privé, J.-Cl. Resp. civ. assur., fasc. 255, 2016, n° 1 ; Comp. P. Pailler, Manuel de droit européen des assurances, Bruylant, coll. « Droit de l’Union européenne », 2019 ; J. Knetsch, La réparation du dommage extracontractuel en droit international privé, in Le droit à l’épreuve des siècles et des frontières, Mélanges en l’honneur du Professeur Bertrand Ancel, LGDJ, Lextenso éd., 2018, p. 979 s).

En effet, le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles est empreint d’un caractère « universel », tout comme l’est son grand frère, le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I. En d’autres termes, « même si la loi à laquelle conduit la mise en œuvre dudit règlement n’est pas celle d’un État membre, elle doit être appliquée par le juge de l’État membre saisi du litige (Règl. Rome II, art. 3). Le règlement Rome II constitue donc le droit commun des États membres de l’Union européenne dans le domaine qu’il régit » (H. Slim, op. cit., n° 2).

Globalement, le règlement Rome II constitue le droit commun et écarte ainsi le droit commun français. Toutefois, le règlement Rome II n’a pas un champ d’application général. Sur le reliquat, la compétence est celle du droit national dit alors résiduel.
Une première application de ce règlement Rome II a été faite par la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 janvier 2018. Il s’agissait déjà d’un contrat pour la livraison et l’installation en France, par une société – étrangère – allemande et assurée en Allemagne, de panneaux photovoltaïques. La Cour de cassation avait ainsi retenu que l’article 18 du Règlement Rome II n’est applicable qu’aux actions directes exercées contre les assureurs de personnes devant réparation en raison d’une obligation non contractuelle, autrement dite délictuelle ou extracontractuelle (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 17-10.959, inédit, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ).

Une seconde application de ce règlement Rome II a été réalisée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 décembre 2019, pour ce qui a trait à la loi applicable à l’action directe en matière non contractuelle contre un assureur (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

En l’espèce, le propriétaire d’une maison a commandé à une société la réalisation d’une installation photovoltaïque, avec pose en toiture de son habitation de panneaux solaires fabriqués par une société hollandaise et équipés d’un boîtier de connexion d’une autre société hollandaise. Un échauffement de ce composant ayant provoqué l’incendie de l’immeuble, l’acquéreur de l’installation et son assureur ont assigné la société de couverture et son assureur (MAAF), en indemnisation de son préjudice.

La MAAF a appelé en garantie la société d’assurance de la société fabricante des panneaux, ainsi que l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion.
Un jugement a condamné la MAAF sous la garantie solidaire des deux autres assureurs à payer diverses sommes à l’acquéreur et à son propre assureur en réparation du préjudice subi. Par un arrêt partiellement confirmatif du 6 février 2018, la cour d’appel de Limoges a limité aux sommes de 31 627 € et 261 149 €, le montant des indemnités dont l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion doit la garantir, in solidum avec l’assureur de la société fabricante des panneaux et a décidé que l’assureur de la société fabricante du boîtier de connexion prendra ces sommes en charge dans les limites de la proratisation prévue par le droit néerlandais applicable à la police d’assurance pour le cas où le total des indemnités dues aux victimes du sinistre sériel excéderait le plafond de 1 250 000 € de la garantie souscrite, et dans la limite de ce plafond.

L’assureur de la société de couverture a formé un pourvoi en cassation. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 18 décembre 2019, l’a principalement rejeté (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

La Haute juridiction a d’abord retenu « que si, en application de l’article 18 du Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 (« Rome II »), en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle, déterminée conformément à l’article 4 du règlement ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi de ce contrat ; que la cour d’appel a décidé, à bon droit, que, si la MAAF pouvait exercer l’action directe, admise par la loi française, loi du lieu de survenance du dommage, elle pouvait se voir opposer la loi néerlandaise à laquelle le contrat d’assurance était soumis, en ce que celle-ci prévoit, en cas de sinistres sériels, une indemnisation des victimes au prorata de l’importance du préjudice subi, dans la limite du plafond de la garantie souscrite par l’assuré » (ibid.).

Elle a ensuite jugé « qu’il ne résulte ni de l’arrêt ni des conclusions de la MAAF que celle-ci ait soutenu que la loi néerlandaise aurait pour effet de vider de sa substance l’action directe de la victime admise par la loi française » (ibid.).

La première chambre civile a encore motivé sa décision en relevant « que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation de la loi néerlandaise, dont il n’est pas prétendu qu’elle en aurait dénaturé la teneur, que la cour d’appel qui n’avait pas à s’expliquer sur les moyens de preuve qu’elle décidait d’écarter, a estimé que la proratisation de l’indemnisation en cas de dépassement du plafond de garantie en présence de sinistres sériels, prévue à l’article 7:954, alinéa 5, du code civil néerlandais, en matière de dommages corporels, s’appliquait également aux dommages matériels » (ibid.).

La Cour de cassation a enfin décidé « qu’en fixant le montant des indemnités dont la société Allianz devait garantie à la MAAF et en précisant que Allianz ne prendrait en charge ces indemnités que dans les limites de la proratisation prévue par le droit néerlandais et du plafond de garantie stipulé dans la police, la cour d’appel a nécessairement considéré, répondant, par-là même, aux moyens prétendument délaissés, que la question de la détermination finale du montant de la contribution d’Allianz ne constituait pas un incident d’exécution mais concernait le fond du droit à indemnité de la victime » (ibid.).

Dès lors, la victime se trouve dans une meilleure situation en matière d’action directe non contractuelle, puisque l’article 18 du règlement Rome II lui confère le droit d’agir « directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non-contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit » (Règl. Rome II, art. 18). Avec les rattachements alternatifs qu’elle envisage, cette règle innove au regard de celle qui était en vigueur avant l’adoption du règlement qui certes présentait l’avantage, « lorsque le délit était commis en France, d’offrir à la victime une action directe contre l’assureur alors que la loi étrangère régissant le contrat d’assurance pouvait l’ignorer. Mais, à l’inverse, lorsque la loi du lieu du délit (par hypothèse étrangère) ignorait une telle action directe, la victime française pouvait se trouver, au moins sur ce terrain, défavorisée, puisqu’elle ne pouvait atteindre l’assureur que par la voie oblique avec le risque de venir en concours sur l’indemnité d’assurance avec les autres créanciers de l’assuré. L’article 18 du règlement Rome II instaure par conséquent une règle nettement plus favorable à la victime que celle issue auparavant du droit prétorien » (H. Slim, op. cit., n° 54).

En 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé que l’article 18 du règlement Rome II « doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans une situation telle que celle au principal, l’exercice, par une personne lésée, d’une action directe contre l’assureur de la personne devant réparation, lorsqu’une telle action est prévue par la loi applicable à l’obligation non contractuelle, indépendamment de ce qui est prévu par la loi applicable au contrat d’assurance choisie par les parties à ce contrat » (CJUE 9 sept. 2015, aff. C-240/14, Eleonore Prüller-Frey c/ 
Norbert Brodnig, Axa Versicherung AG, D. 2015. 1838 ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; RTD eur. 2016. 664, obs. L. Grard ). La victime
retrouvait ainsi meilleure fortune en pouvant multiplier les possibilités d’action directe. La CJUE a ainsi rappelé le sens de la règle : non seulement un droit d’action est indépendant, mais il convient de bien effectuer la distinction entre ce droit d’action directe et les limites qu’on peut lui opposer. Quant à savoir dans quelles mesures cela peut fonctionner, l’analyse relève d’une autre étude que ces brèves observations.

Peu de temps après cette décision de 2015 émanant de la CJUE, et en amont de l’affaire commentée, la doctrine avait indiqué que « s’il s’applique clairement à la question de l’existence de l’action directe, l’article 18 du règlement Rome II ne précise pas la loi qui régit cette action, notamment l’étendue des obligations de l’assureur. Celles-ci devraient donc rester dans le giron de la loi régissant le contrat d’assurance, laquelle est d’ailleurs la seule dont l’assureur est susceptible de prévoir l’application » (H. Slim, op. cit., n° 54).

Avec l’arrêt du 18 décembre 2019, la Haute juridiction française s’est parfaitement inscrite dans les prédictions voire recommandations de la doctrine. Les magistrats du quai de l’horloge ont en effet maintenu le régime de l’assurance dans le giron de la loi régissant la police. A cet effet, ils ont affirmé que si, en application de l’article 18 du Règlement Rome II, « en matière non contractuelle, la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle, déterminée conformément à l’article 4 du règlement ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi de ce contrat » (Civ. 1re, 18 déc. 2019, FS-P+B+I, n° 18-14.827 et 18-18.709).

Dès lors, en ce qui concerne le régime juridique de l’action, « à savoir l’étendue de la garantie due par l’assureur et les moyens de défense que ce dernier peut apposer, c’est la loi de la police d’assurance qui s’applique. La juridiction française saisie doit appliquer le contrat dans toute sa plénitude. L’enjeu est de taille pour le tiers lésé qui ne peut plus se prévaloir des règles protectrices du droit national des assurances de responsabilité. À titre d’illustration, il ne pourra plus exciper des articles R. 124-1 à R. 124-4 du code des assurances et, notamment, des dispositions relatives à la déchéance ou à la durée minimale de la garantie subséquente, etc. » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, 2019, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 12). En définitive, le régime juridique de l’assurance, « notamment la détermination des exceptions que peut opposer l’assureur, est soumis à la loi du contrat » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, 14e éd., 2017, n° 775).

On observe toutefois une forme d’harmonisation dans les motifs puisqu’en 2015 la Cour de cassation avait étendu la règle de l’article 18 du règlement Rome II aux victimes de dommages contractuels, avec une formule quasi-identique : « la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit » (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, D. 2015. 1846 ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1161, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; AJCA 2015. 472, obs. L. Perdrix ; Rev. crit. DIP 2016. 119, note S. Corneloup ; RTD com. 2016. 590, obs. P. Delebecque ; JCP 2015. 1163, note V. Heuzé ; RGDA 2015. 499, note V. Heuzé ; JCP 2015. 991, note F. Mailhé ; RCA 2015, n° 331 ; ibid. étude 12, note N. Ciron ; v. aussi L. Grynbaum (dir.), Assurances, Droit & pratique, L’Argus de l’assurance éd., 6e éd., 2019/2020, n° 3125). Il s’agissait de deux sociétés françaises ayant assigné une société et son assureur allemands devant le tribunal de commerce de Rodez, où leur semi-remorque, récemment réparé par la société allemande, avait en effet pris feu. Les défendeurs avaient soulevé l’incompétence du tribunal français.

D’une part, l’action directe d’une victime ayant subi un dommage en France, si elle est possible d’après la loi désignée par les règles de conflit du for, est prise en compte par l’article 11, § 2, du règlement Bruxelles I. Ce dernier retient que les dispositions des articles 8, 9 et 10 sont applicables en cas d’action directe intentée par la victime contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. Ce texte a été refondu par le règlement (CE) n° 1215/2012, en conservant le contenu de l’ancien article 11 du règlement Bruxelles I. Le règlement de 2012 n’est cependant applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement ou aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015 (art. 66). D’autre part, en ce qui concerne l’assurance de responsabilité, c’est au règlement dit Rome II qu’il convient désormais de se référer.

La dissymétrie des nouveaux textes européens a semble-t-il incités les juges « à faire une nouvelle fois œuvre normative pour étendre la solution de l’article 18 aux victimes de dommages contractuels. Dans une matière aussi lourde d’enjeux que celle des assurances, peut-être aurait-il fallu interroger la Cour de justice sur ce nouveau problème relatif à l’action directe. On peut sans doute approuver l’opportunité de la solution retenue au fond toutefois : l’assureur qui doit anticiper l’environnement juridique des délits de son assuré devrait a fortiori pouvoir anticiper celui des contrats que ce dernier conclut » (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, JCP 2015. 991, note F. Mailhé).

Certes, cette décision de 2015 avait été rendue sous le visa des articles 9, 10 et 11 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, ensemble l’article 3 du code civil, qu’avait violés la cour d’appel qui, pour rejeter l’exception d’incompétence territoriale soulevée par les sociétés allemandes, avait retenu que le principe de l’applicabilité de l’action directe se trouve régi par la loi du lieu où le fait dommageable s’est produit (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-22.794, Dalloz actualité, 21 sept. 2015, obs. F. Mélin ; adde L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-3, Code des assurances. Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 292 ; B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva (dir.), Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 124-3, p. 347, n° 13). On peut s’interroger quant à savoir si la Cour de cassation souhaitait, depuis 2018, revenir sur l’arrêt de 2015.

L’arrêt du 24 janvier 2018, qui était dans une configuration similaire en matière de conflit de lois mais non de conflit de juridictions (Civ. 1re, 24 janv. 2018, n° 17-10.959, inédit, préc.), pourrait avoir remis en cause cette jurisprudence. Cependant, puisque les domaines demeurent différents, on ne peut pas en être certain.

D’aucuns avaient vu un revirement dans l’arrêt du 9 septembre 2015, s’inquiétant que « cette fois, si la seconde possibilité doit être approuvée, la première demeure critiquée » (J. Bigot (dir.), J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 5, Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, Lextenso éd., 2017, p. 708, n° 1721). D’autres ont admis que « dans le silence de la Convention de Rome, et face au champ expressément limité de Rome II, la Cour de cassation se trouvait dans une impasse. Il lui a fallu faire preuve d’une ingéniosité qui confine, il faut l’avouer, à un certain forçage des textes. Cassant l’arrêt d’appel qui s’était fondé sur la loi du délit, la Cour s’est en effet placée « en matière de responsabilité contractuelle » (ce qui est au moins confus puisqu’il s’agissait de qualifier l’action directe elle-même) et a visé, avec le règlement Bruxelles I, l’article 3 du code civil (alors qu’il aurait assurément fallu appliquer la Convention de Rome à ce « contrat »).

Puis, posant une nouvelle règle de conflit de lois ad hoc, elle a reproduit purement et simplement celle de l’article 18 précitée en transformant l’expression « obligation non contractuelle » en « obligation contractuelle » ! » (JCP 2015. 991, note F. Mailhé).
Pour l’explication, c’est dans une jurisprudence de 2000, antérieure aux textes européens, que la formule employée en 2015 « en matière de responsabilité contractuelle » trouve son origine. Avant l’entrée en vigueur du règlement Rome II, la Cour de cassation avait admis que si l’action directe de la victime contre l’assureur du responsable est régie, en matière de responsabilité contractuelle comme en matière de responsabilité quasi délictuelle, par la loi du lieu du dommage, le régime juridique de l’assurance est soumis à la loi du contrat, notamment en ce qui concerne les exceptions opposables par l’assureur (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-15.546 et n° 98-16.103, Rev. crit. DIP 2001. 682, note V. Heuzé ; RTD com. 2001. 504, obs. B. Bouloc ; ibid. 1057, obs. P. Delebecque ; RCA 2001, n° 132 ; JCP 2001. I. 338, obs. G. Viney ; RGDA 2001. 330, note J. Landel ; ibid. 1065, note V. Heuzé ; Droit et patr., juin 2001, p. 122, obs. J. Monéger). Elle reconnaissait, en d’autres termes, que « seule la recevabilité de l’action directe contre l’assureur était soumise à la loi du délit, les obligations qui incombent à l’assureur relèvent uniquement de la loi applicable au contrat d’assurance » (H. Slim, op. cit., n° 54).

La doctrine avait vivement remis en question cette solution, car elle « n’avait aucun sens : ainsi, et par exemple, il est évidemment déraisonnable de prétendre demander à la loi italienne, du lieu du fait dommageable, si elle accorde à la victime l’action directe que définissent les droits français ou allemand, quand ce sont eux qui régissent le contrat d’assurance. Mais la solution était au surplus injustifiable du point de vue des intérêts de la victime dans tous les cas où la loi du lieu du fait dommageable lui refuse le bénéfice d’une action qui est pourtant prévue par la loi du contrat d’assurance » (V. Heuzé, Rev. crit. DIP 2001. 682 ).

Dorénavant, le principe est unique pour retenir la loi applicable à l’action directe contre un assureur. Qu’il s’agisse de la matière contractuelle ou de la matière non contractuelle, le régime de l’action directe, est dans tous les cas soumis à la loi du contrat d’assurance.

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Les arrêts rendus le 15 janvier 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation, l’un de rejet sur ce point (arrêt n° 27, n° 18-25.313), l’autre de cassation (arrêt n° 28, n° 18-25.894), mettent en œuvre, pour la première fois à notre connaissance, l’article 1199-3 du code de procédure civile, issu du décret n° 2017-1572 du 15 novembre 2017 (sur lequel, L. Gebler, Encadrement du droit de visite des parents de l’enfant placé, AJ fam. 2017. 614 ; A. Denizot, L’organisation insouciante des visites en présence d’un tiers, RTD civ. 2018. 230 ). À cette occasion, les juges de la Haute Cour, combinant l’article précité avec l’article 375-7 du code civil, se prononcent sur l’office du juge des enfants dans le domaine sensible du droit de visite médiatisé des parents dont l’enfant fait l’objet d’une mesure de placement au titre de l’assistance éducative.

Si les désordres familiaux ayant entraîné le déclenchement de la mesure éducative étaient évidemment propres à chaque espèce, les conséquences juridiques avaient un point commun : dans les deux cas, les enfants avaient été placés hors du milieu familial et le juge des enfants avait opté pour un droit de visite médiatisé (en alternance avec un « droit de visite libre » dans le premier arrêt, arrêt n° 27, v. infra). Dans les deux affaires, il s’agissait de savoir si le juge des enfants avait rempli son office dans la détermination des modalités d’exercice de ce droit, ce qui était contesté par les mères des enfants, demanderesses au pourvoi dans les deux procédures.

La question de la fixation des modalités d’exercice du droit de visite des parents à l’égard d’un enfant placé – et donc retiré à ses parents – en raison du danger qu’il court est une question hautement sensible (en ce sens, T. Fossier, Les droits des parents en cas de placement éducatif, AJ fam. 2007. 60 ). Ce droit de visite traduit en effet à la fois symboliquement et concrètement le maintien des attributs de l’autorité parentale qui continue d’être exercée par les parents (C. civ., art. 375-7, al. 1er : « Les père et mère de l’enfant bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure ») et on sait que le législateur accorde une grande importance au maintien des liens entre l’enfant placé et sa famille (en ce sens, not., F. Terré, C. Goldie-Genicon et D. Fenouillet, Droit de la famille, Dalloz, coll. « Précis », 9e éd., Dalloz 2018, spéc. § 1047 ; S. Bernigaud in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action, 2016, spéc. §§ 242-263).

Ce maintien repose essentiellement sur l’article 375-7 du code civil. Depuis la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant (Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 ; sur laquelle, v. A. Denizot, Définition de l’inceste : peut mieux faire !, RTD civ. 2016. 462 ), cet article dispose dans son alinéa 4 que « S’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités […]. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié. Les modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers sont précisées par décret en Conseil d’État ». Le code civil renvoie ainsi indirectement à l’article 1199-3 du code de procédure civile créé en application dudit décret et qui dispose : « La fréquence du droit de visite en présence d’un tiers est fixée dans la décision judiciaire sauf à ce que, sous le contrôle du juge, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié » (que nous désignerons ci-après, pour plus de commodité, sous les termes de « gardien de l’enfant »).

La question est donc celle de l’articulation du principe selon lequel le juge des enfants « fixe les modalités » du droit de visite accordé aux parents d’un enfant placé et les dispositions spéciales prévues lorsqu’un tel droit de visite doit être exercé en présence d’un tiers.

Le principe selon lequel le juge fixe les modalités du droit de visite des parents lorsque l’enfant est placé est ancien. Toutefois, certains juges ont été tentés de déléguer au gardien de l’enfant l’organisation du droit de visite, souvent dans le but de donner souplesse et adaptabilité à la solution à mettre en place en même temps que cela limitait les allers-retours devant le juge (sur ces pratiques, v. J. Hauser, obs. sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 98-05.008, RTD civ. 1999. 75 ; M. Huyette, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, D. 1999. 123 ; J. Massip, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, Defrénois 1999. 309). La Cour de cassation a donc dû affirmer qu’une telle délégation n’était pas acceptable car le juge méconnaissait ainsi l’étendue de ses pouvoirs (v. not., Civ. 1re, 13 oct. 1998, no 98-05.008, Defrénois 1999. 309, obs. Massip ; Dr. fam. 1998, no 168, note Murat). Pour autant, le contentieux ne s’est pas tari. Du reste, dans le premier arrêt (arrêt n° 27, préc.), la Cour de cassation a encore été obligée de rappeler que le juge ne pouvait pas fixer, en faveur de la mère, un « droit de visite libre », « dont les modalités seront fixées en concertation entre celle-ci et le service auquel les enfants sont confiés ». Sur ce point, elle casse donc l’arrêt d’appel pour violation de l’article 375-7, alinéas 4 et 5 au motif qu’il incombait au juge de définir la périodicité du droit de visite simple et qu’en prévoyant un droit de visite « libre », la cour d’appel avait méconnu l’étendue de ses pouvoirs. La solution, classique donc, n’appelle pas de plus amples développements à ce stade. Elle permet en revanche de mettre en perspective la différence avec l’hypothèse de la mise en place d’un droit de visite médiatisé qui était au cœur des deux arrêts.

L’intérêt des arrêts sous examen réside en effet dans le contrôle effectué par la Cour de cassation sur la répartition des pouvoirs entre le juge des enfants et le gardien de l’enfant quant aux modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers.
Il semble résulter de l’article 1199-3 du code de procédure civile précité que, lorsque le droit de visite est prévu en présence d’un tiers, le principe est que le juge fixe la fréquence de ces visites à moins qu’il ne délègue (même si le mot peut fâcher) l’ensemble des modalités de l’organisation de ce droit au gardien de l’enfant en collaboration avec le parent concerné et sous son contrôle. On pourrait y voir une hiérarchie, une préférence du législateur pour la fixation de la fréquence des visites par le juge. La mise en œuvre de l’article par la Cour de cassation semble plutôt faire état d’une simple alternative. Revenons sur les deux branches de celle-ci.

En ce qui concerne la fixation de la fréquence des visites par le juge, les commentateurs du décret ont pu souligner qu’elle semblait n’être qu’une modalité minimale qui n’excluait pas que le juge puisse fixer d’autres éléments (en ce sens, L. Gebler, Encadrement du droit de visite des parents de l’enfant placé, AJ fam. 2017. 614 ). Sur cet aspect, les arrêts sous examen ne nous éclairent guère. En effet, dans les deux cas, les juges du fond avaient opté pour une délégation totale de la fixation des modalités de la visite, sous le contrôle du juge des enfants. Il faudra attendre d’autres décisions pour en savoir un peu plus.

En ce qui concerne l’autre branche de l’alternative posée par le texte, qui prévoit donc que, « sous le contrôle du juge, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents » et le gardien de l’enfant, les arrêts sont plus intéressants.

Dans le premier arrêt (arrêt n° 27, préc.), le juge des enfants avait décidé d’un « droit de visite médiatisé dont les modalités seront fixées en concertation entre le service auquel les enfants sont confiés et la mère ». Or, pour critiquer l’arrêt d’appel, cette dernière fondait clairement son pourvoi sur la jurisprudence constante rappelée plus haut et rendue sur le fondement de l’article 375-7 du code civil. Elle soutenait en effet que la cour d’appel avait méconnu l’étendue de ses pouvoirs au regard de cet article en ne déterminant pas elle-même la nature et la fréquence du droit visite médiatisé qu’elle avait ordonné. Or, la Cour de cassation, après avoir rappelé les textes des articles 375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile, estime que le moyen n’est pas fondé au motif qu’en accordant à Mme C. « un droit de visite médiatisé, dont ils ont prévu que les modalités, notamment la périodicité, seraient déterminées selon l’accord des parties, et dit qu’il en serait référé au juge en cas de difficulté, la cour d’appel a fait l’exacte application des textes susvisés ».

Il en ressort clairement que, selon la Cour de cassation et conformément aux articles visés, deux situations doivent être distinguées. Soit le droit de visite s’exerce sans la présence d’un tiers et le juge doit en fixer les modalités d’exercice (C. civ., art. 375-7, al. 4) ou à tout le moins la nature et la fréquence (C. civ., art. 375-7, al. 5) : c’est ce qui vaut à l’arrêt d’appel la cassation concernant le droit de visite simple qui ne saurait être « libre » (v. supra). Soit le droit de visite est médiatisé et le juge peut déléguer, sous son contrôle, son entier pouvoir d’organisation des visites au gardien de l’enfant… sous réserve toutefois d’un accord entre ce dernier et le parent bénéficiaire du droit de visite. C’est là l’apport du second arrêt.

En effet, dans le second arrêt (arrêt n° 28, préc.), le juge des enfants avait accordé aux deux parents « un droit de visite médiatisé qui s’exercera sous le contrôle du service gardien, sauf à en référer au juge en cas de difficultés ». Ici, non seulement le juge des enfants n’avait pas fixé la périodicité du droit de visite mais il avait confié la fixation de ces modalités, certes sous son contrôle, au seul gardien de l’enfant sans la subordonner à un accord entre ce dernier et les parents bénéficiaires. Aucune des branches de l’alternative posée par l’article 1199-3 du code de procédure civile n’était ainsi remplie. La cassation était donc inévitable. Au visa, là encore, des articles 375-7, alinéa 4, du code civil et 1199-3 du code de procédure civile, la Cour de cassation affirme « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombait au juge de définir la périodicité du droit de visite accordé, ou de s’en remettre, sous son contrôle, à une détermination conjointe des conditions d’exercice de ce droit entre les parents et le service à qui les enfants étaient confiés, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ».

Ainsi, on peut conclure que ces arrêts font une stricte application des textes et notamment de l’article 1199-3 du code de procédure civile. Il est du reste heureux que la Cour de cassation veille à ce que le juge ne se dessaisisse de son pouvoir/devoir de fixer les modalités du droit de visite médiatisé qu’il ordonne, uniquement dans l’hypothèse où le gardien de l’enfant et les parents bénéficiaires parviennent à se mettre d’accord, ce qui laisse espérer une solution souple et adaptée aux besoins de l’enfant et aux contraintes de chacun. La large diffusion (FS-P+B+I) promise à ces deux arrêts démontre sans doute la volonté pédagogique de la Cour de cassation qui entend bien faire respecter une exacte répartition des rôles dans ce domaine si sensible.

Le règlement n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 institue une procédure européenne d’injonction de payer, afin, selon son article 1, de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées. L’article 7 prévoit que : § 1 la demande est introduite au moyen d’un formulaire type (annexé au règlement) et § 2 doit comprendre notamment les éléments suivants : (a) le nom et l’adresse des parties ; (b) le montant de la créance ; (c) le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés ; (d) la cause de l’action ; et (e) une description des éléments de preuve à l’appui de la créance.

Dans l’affaire soumise à l’attention de la Cour de justice, ces dispositions de l’article 7, en particulier du § 2, points (d) et (e), devaient être mises en perspective avec le droit espagnol. La loi espagnole de procédure civile du 7 janvier 2000 prévoit en effet, par une disposition d’application du règlement, que la demande d’injonction de payer européenne est introduite au moyen d’un formulaire type, « sans qu’il soit obligatoire d’apporter de quelconques documents qui, le cas échéant, seront irrecevables ».

Cette restriction posée par la loi espagnole à la production de documents complémentaires soulevait une difficulté en...

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Après avoir longtemps résisté à la réception de l’inopposabilité aux victimes de la nullité d’une police pour fausse déclaration intentionnelle, ce n’est que très récemment, et sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), que la Cour de cassation a réalisé un considérable revirement interne, a fortiori très attendu et donc applaudi (Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. R. Bigot).

Par une seconde décision sur la question, rendue le 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile persiste et signe, non pour une fausse déclaration initiale, mais pour un défaut de déclaration d’un élément de nature à changer l’opinion du risque par l’assureur en cours de contrat. Naturellement, on applaudit à nouveau. L’arrêt apporte, en outre, une précision importante, sur la répartition de la charge indemnitaire entre l’assurance et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). Il est heureux que la Cour de cassation ne suive pas toujours la mode lancée par les assureurs – consistant à transférer, partiellement ou totalement, la prise en charge de risques vers la solidarité – et ne vide pas d’une partie de sa substance l’obligation de couverture et de garantie due par l’assurance privée.

La haute juridiction arrête ainsi le jeu de vases communicants vers le fonds de garantie, que l’assurance a tendance à exploiter pour améliorer ses bonis. L’analyse économique du droit conforterait sûrement une telle décision.

Tout d’abord, le marché de l’assurance automobile culmine à 22,1 milliards d’euros en 2018 (Fédération française de l’assurance, Rapport 2018, p. 14). Or, lorsqu’un marché n’est pas rentable, les acteurs de l’assurance ont tendance à s’en retirer, ce qui ne semble pas être le cas des nombreux acteurs se partageant le « gros gâteau » de l’automobile.

Rappelons ensuite que le marché de l’assurance automobile a été rendu obligatoire dès 1958 (D. Noguéro, Assurances et véhicules connectés. Regard de l’universitaire français, actes du colloque « Nouvelles technologies et mutations de l’assurance », 5 déc. 2018, Le Mans Université, Dalloz IP/IT 2019. 597 s., spéc. p. 598), ce qui en fait depuis cette date une rente à vie pour les assureurs.

Enfin, lors des travaux parlementaires à l’initiative de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite PACTE, il a été mis en avant, en faveur de l’adoption du nouvel article L. 211-7-1 du code des assurances consacrant la jurisprudence récente, que cette adoption permettrait de faire bénéficier le FGAO d’une baisse annuelle de charge estimée à 15 millions d’euros et représenterait donc, corrélativement, une augmentation annuelle de 15 millions d’euros pour les assureurs, ce qui semble n’être qu’une goutte d’eau dans l’océan des 22 milliards de primes qu’ils récoltent chaque année. L’amendement ayant permis son adoption a souligné que « l’intervention du fonds de garantie automobile (en France, le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages [FGAO]), conçue comme « une mesure de dernier recours » selon la CJUE, est uniquement prévue dans le cas où les dommages ont été causés par un véhicule pour lequel il n’existe aucun contrat d’assurance » (amendement n° 879 présenté en première lecture au Sénat le 25 janvier 2019).

Cette disposition, qui résulte d’un amendement, vise selon ses auteurs à mettre en conformité le code des assurances avec le droit de l’Union européenne.

À l’origine de l’affaire commentée, une conductrice a souscrit un contrat d’assurance automobile auprès d’un assureur le 6 juillet 2011. Trois ans plus tard, l’automobiliste a provoqué un accident en abandonnant sur une voie ferrée son véhicule qui a été percuté par un train, occasionnant à celui-ci des dommages matériels importants. Lors de cet accident survenu le 19 juillet 2014 précisément, la « chauffarde » circulait en état d’ébriété. L’assureur a notifié à la souscriptrice, le 20 avril 2015, la nullité du contrat pour défaut de déclaration d’un élément de nature à changer l’opinion du risque par l’assureur en cours de contrat, à savoir sa condamnation pénale pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique intervenue le 22 mai 2013.

Après avoir indemnisé la victime – la SNCF –, l’assureur a assigné la souscriptrice de la police en paiement d’une somme de 1 425 203,32 €. Il a aussi demandé que la décision soit déclarée opposable au FGAO. Ce dernier est intervenu volontairement à l’instance. La cour d’appel de Besançon, par un arrêt du 10 juillet 2018, a mis hors de cause le FGAO. La société d’assurance s’est pourvue en cassation.

Dans un arrêt du 16 janvier 2020, la deuxième chambre civile a rejeté le pourvoi formé par l’assureur. Ses motifs sont que « la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit (20 juill. 2017, aff. C-287/16) que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, et l’article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion dudit contrat ».

La deuxième chambre civile en a déduit que la nullité édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances, tel qu’interprété à la lumière de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, qui a abrogé et codifié les directives susvisées, n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit.

La haute juridiction a alors rappelé qu’aux termes de l’article R. 421-18 du code des assurances, lorsqu’un contrat d’assurance a été souscrit pour garantir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile découlant de l’emploi du véhicule qui a causé des dommages, le FGAO ne peut être appelé à indemniser la victime ou ses ayants droit qu’en cas de nullité du contrat, de suspension du contrat ou de la garantie, de non-assurance ou d’assurance partielle, opposables à la victime ou à ses ayants droit.

Il en résulte, selon la Cour de cassation, que, la nullité, pour fausse déclaration intentionnelle, du contrat d’assurance conclu par la souscriptrice étant inopposable à la victime, le FGAO ne pouvait être appelé à prendre en charge tout ou partie de l’indemnité versée par l’assureur et a, à bon droit, été mis hors de cause dans l’instance engagée par ce dernier à l’encontre de son assurée.

Six mois plus tôt, la deuxième chambre civile avait déclaré, pour la première fois, inopposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit la nullité du contrat d’assurance prévue à l’article L. 113-8 du code des assurances, en présence d’une fausse déclaration intentionnelle, en amont de la souscription, du risque par l’assuré. Après une longue attente des victimes, elle renversait ainsi une solution bien acquise en droit français (Civ. 2e, 29 août 2019, n° 18-14.768, préc.).

Précisément, la haute juridiction a retenu que la nullité d’un contrat d’assurance de responsabilité civile automobile édictée par l’article L. 113-8 du code des assurances n’est pas opposable aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit, lorsqu’elle résulte de fausses déclarations initiales du preneur d’assurance en ce qui concerne l’identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d’assurance est conclu n’avait pas d’intérêt économique à la conclusion de ce contrat (R. Bigot, art. préc.).

Puis, ce début d’année 2020, la Cour de cassation a confirmé l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance de responsabilité civile automobile, pour défaut de déclaration d’un élément de nature à changer l’opinion du risque par l’assureur en cours de contrat, à la victime. Elle a apporté une précision importante quant à la répartition de la charge entre débiteurs institutionnels d’indemnités.

En visant à nouveau l’article L. 113-8 du code des assurances et la directive dédiée à la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, la Cour de cassation a ainsi admis la position du fonds de garantie, lequel s’est prévalu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’argument aux termes duquel les nullités d’un contrat d’assurance en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle à la souscription, ou en cas de non-déclaration en cours de contrat, sont inopposables aux tiers victimes, de sorte que l’assureur doit prendre en charge les préjudices subis par les tiers victimes et exercer son recours à l’encontre de l’auteur responsable, et ce sans intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. En l’occurrence, l’entreprise d’assurance n’a pas opposé la nullité du contrat d’assurance à la victime, la SNCF, qu’elle a indemnisée. Son action étant une action récursoire à l’encontre de son assuré, elle ne pouvait être confondue avec l’action de l’assureur du tiers victime subrogé dans les droits de son propre assuré. Dès lors, le Fonds de garantie qui n’a pas vocation à intervenir dans le cadre d’une action récursoire devait, en l’espèce, être mis hors de cause.

Par ailleurs, le code des assurances n’étant plus conforme au droit européen, ce qui exposait les autorités françaises à une procédure en manquement, le législateur a dernièrement décidé de mettre en conformité le droit français des assurances à la jurisprudence de la CJUE. Il s’agissait d’éviter la multiplication du contentieux entre les assureurs et le FGAO et de sécuriser, dans le domaine de l’assurance automobile, les effets de la nullité d’un contrat d’assurance vis-à-vis des victimes d’accidents de la circulation, tout en contribuant à la pérennité financière des missions de solidarité nationale confiées par le législateur au FGAO.

À cet effet, l’article L. 211-7-1 créé par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 (art. 209) dite PACTE dispose désormais que « la nullité d’un contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1 n’est pas opposable aux victimes ou aux ayants droit des victimes des dommages nés d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques.

Dans une telle hypothèse, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait de ce véhicule, de cette remorque ou de cette semi-remorque est tenu d’indemniser les victimes de l’accident ou leurs ayants droit. L’assureur est subrogé dans les droits que possède le créancier de l’indemnité contre la personne responsable de l’accident, à concurrence du montant des sommes qu’il a versées.

Un décret en Conseil d’État fixe les autres exceptions de garantie qui ne sont pas opposables aux victimes ou à leurs ayants droit ».

Dès lors, pour les accidents postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi PACTE, la règle issue de la jurisprudence récente figure dorénavant à l’article L. 211-7-1 du code des assurances.

Si cette solution est d’une saine logique, on peut toutefois regretter qu’elle ne concerne que l’assurance automobile, les autres catégories d’assurances n’étant pas visées. En contrepartie, c’est une bonne nouvelle pour les assureurs qui n’ont pas à s’inquiéter : les incidences financières sont, comme on l’a vu précédemment, ainsi restreintes et donc très faibles à leur égard.

Les victimes ou leurs ayants droit seront désormais indemnisés par l’assureur du véhicule ayant causé l’accident selon les règles de droit commun fixées par la loi « Badinter » du 5 juillet 1985, non plus par le FGAO. Dès lors qu’ils ne pourront plus opposer la nullité pour fausse déclaration, cela représente pour les assureurs automobiles une augmentation annuelle de charges estimée à 15 millions d’euros seulement, sur 22 milliards de primes collectées chaque année – insistons.

En attendant, sauf à ce que le législateur repense, notamment, la responsabilité et la causalité (R. Bigot et A. Charpentier, Repenser la responsabilité et la causalité, Risques n° 120, déc. 2019, p. 123-128), puis la répartition des charges, et corrélativement des primes, il est important que la juridiction suprême rappelle le rôle et les obligations imparties à chacun, qui pourrait être source d’un nouveau proverbe : « à bon assureur, salut ! ».

La France et le Cameroun sont liés par un Accord de coopération en matière de justice signé le 21 février 1974, qui prévoit notamment des dispositions en matière d’exequatur.

Par son article 34, il retient ainsi qu’« en matière civile, sociale ou commerciale, les décisions contentieuses ou gracieuses rendues par une juridiction siégeant en France ou au Cameroun sont reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre État si elles réunissent les conditions suivantes :
a) les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ;
b) le litige entre les mêmes parties, fondé sur les mêmes faits et ayant le même objet :
- n’est pas pendant devant une juridiction de l’État requis, ou
- n’a pas donné lieu à une décisions rendue dans l’État requis, ou

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Présenté à la Mostra de Venise, sorti au tout début du mois de décembre dernier sur Netflix, qui s’est chargé de sa production, ce qui en limite malheureusement la diffusion, Marriage Story est un film exceptionnel en tous points. C’est sans doute l’un des meilleurs tributs payés, ces dernières années, par le cinéma américain à la figure du couple, un couple en déliquescence, un couple qui se déchire, et qui se retrouve, par touches, comme par une sorte de pointillisme affectif. Il y a du tragique dans cette figure, et quelque chose de grandiose dans la façon de mettre en scène, comme le fait Noah Baumbach, les rapports difficiles entre Nicole et Charlie Barber, admirablement incarnés par Scarlett Johansson et Adam Driver, tous deux au meilleur de leur jeu. Les deux acteurs constituent l’un de ces duos contemporains que l’on ne risque pas d’oublier, à l’image de celui constitué par Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, dans Les Noces rebelles, de Sam Mendes. Dans Marriage Story, les personnages principaux sont eux-mêmes dans le monde du théâtre. Lui est un metteur en scène new-yorkais dont la célébrité tend à s’asseoir. Elle est actrice, probablement l’âme de sa troupe, que l’on voit comme une petite famille et au sein de laquelle tout départ se vit comme un déchirement. Et précisément, Nicole s’en va, de son couple comme du théâtre. Elle retourne à Los Angeles, d’où elle était originaire, ayant décroché un rôle dans une série. Elle se sépare de Charlie et emmène avec elle leur fils unique Henry. Nicole se réinsère dans sa vie d’avant, assez facilement. Tel est, en substance, le point de départ de ce film qui n’en finit pas d’enchanter la critique.

Marriage Story est un film de l’entre-deux. Entre deux époques, d’abord. Il s’agit ici d’analyser le temps d’après, cette période qui va de la décision de se séparer au prononcé du divorce, c’est-à-dire qui mène du fait au droit. Le divorce, aux États-Unis comme en France, n’est pas instantané. À défaut de cohabiter, il faut au moins coexister. Film entre deux lieux, ensuite. La séparation est en effet physique, Charlie étant sans cesse entre New York et Los Angeles, soucieux tout à la fois de voir son fils et de mener à bien la pièce qu’il est en train de monter à Broadway. Entre deux personnes, enfin. Car le film est la chronique d’un face à face, entre Nicole, qui s’installe dans sa vie nouvelle, et Charlie, qui se raccroche à l’ancienne sans voir, au moins au début, qu’elle n’est plus qu’un souvenir, peut-être une chimère. Et c’est là, dans cet antagonisme très fort, qu’intervient la perspective juridique avec laquelle on peut aborder ce film. Marriage Story plonge au cœur du système judiciaire californien, pour ce qui a trait au droit de la famille, ce qui est somme toute assez rare dans le cinéma contemporain. Et une première impression se dégage, lorsque l’on voit s’opposer les avocats de chacun des époux : le divorce est quelque chose qui se gagne. Il y aura nécessairement, semble-t-il, un perdant. Ce n’était pourtant pas l’approche initialement retenue par les époux Barber. Les choses devaient se dérouler sans accroc. Mais un glissement s’opère, à compter du moment où Nicole prend fort justement un avocat pour représenter ses intérêts, ce qui surprend Charlie. Était-ce la bonne personne ? C’est une autre question. Il demeure que les époux Barber deviennent un case. Le droit s’engouffre ; une audience se tient. Des négociations se déroulent. Les enjeux ? Le sort de Henry, bien sûr. Mais surgissent aussi les prétentions financières, qu’il faut trancher.

Les avocats, dans ce film, sont particulièrement intéressants. Ils sont identiques, issus des mêmes clubs, et fréquentent les mêmes galas de charité. À la ville, ils se sourient. Au palais, ils s’affrontent virulemment. D’ailleurs, les choix de Charlie, pour le représenter, sont très significatifs. Au fur et à mesure que son attitude évolue, il change d’avocat. Au début, il semble subir le divorce, dans ce qu’il a de juridique, plus préoccupé par la séparation et ses conséquences concrètes, avec ses va-et-vient constants entre New York et Los Angeles. Puis, cette passivité première – sans doute liée aux chimères qu’il nourrissait initialement – se transforme en une posture plus agressive, rebelle à l’idée de concession. Tandis que son premier défenseur était conciliant et enclin à transiger, le second est offensif, à l’image de son contradicteur. Et, progressivement, le divorce échappe au couple. L’appareil judiciaire, avec ses représentants, s’occupe de l’affaire. En revanche, il reste toujours la séparation, magistralement jouée, admirablement filmée.

 

Marriage Story, Noah Baumbach, 2019.
Disponible en VOD

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Le 2 février 2018, l’avocat d’une société interjette appel d’un jugement du conseil de prud’hommes par lettre recommandée avec accusé de réception, laquelle est réceptionnée par le greffe de la cour d’appel de Rouen le 5 février 2018. L’avocat de la société conclut le 4 mai 2018 et le conseiller de la mise en état prononce la caducité de la déclaration d’appel. Sur déféré, la cour d’appel confirme l’ordonnance en relevant que le point de départ du délai de l’appelant pour conclure court à compter de la date de l’envoi de la déclaration d’appel et non de son enregistrement. La société forme un pourvoi en avançant qu’en cas de déclaration d’appel faite par lettre recommandée avec accusé de réception, cette remise est constituée par la réception de la lettre par le greffe et la deuxième chambre civile le rejette motif pris « que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le délai de trois mois dont dispose l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe court, lorsque la déclaration d’appel est établie sur support papier et qu’elle est adressée au greffe par lettre recommandée avec accusé de réception, du jour de l’expédition de cette lettre ».

Bien qu’elle rende un arrêt destiné à une très large publication, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par ce seul attendu pour écarter le pourvoi, ne précise aucun fondement juridique mais chacun aura compris le visa implicite des alinéas 2 et 3 de l’article 930-1 du code de procédure civile : « Lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe ou lui est adressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. En ce cas, la déclaration d’appel est remise ou adressée au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un est immédiatement restitué. Lorsque la déclaration d’appel est faite par voie postale, le greffe enregistre l’acte à la date figurant sur le cachet du bureau d’émission et adresse à l’appelant un récépissé par tout moyen ».

Une nouvelle fois, c’est la dualité d’intervention de l’avocat et du défenseur syndical devant les chambres sociales des cours d’appel qui se trouve indirectement à l’origine de la difficulté rencontrée par un avocat hors ressort de la cour d’appel et qui avait fait le choix de ne pas solliciter l’intervention d’un confrère comme postulant. Si la procédure avec représentation obligatoire s’applique depuis le 1er août 2016 en cas d’appel des décisions du conseil de prud’hommes, et que l’on part du postulat que le fait de se trouver hors ressort d’une cour d’appel pourrait constituer une cause étrangère à celui qui l’accomplit – ce qui est loin d’être évident pour certaines cours –, il est cependant admis que « les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée ne s’appliquent pas devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire » (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.004 et 17-70.005, Dalloz actualité, 10 mai 2017, obs. C. Bléry). Mais ce qui a l’apparence de la souplesse est au contraire source de difficultés procédurales dans le calcul des délais d’appel et de notification des actes à la juridiction, sans même évoquer celle relative à la notification des conclusions entre avocats ou défenseurs syndicaux, encore bien supérieure.

Comment alors relever appel puisque l’avocat hors ressort ne peut, en l’état de la communication électronique, saisir la juridiction par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) ? Si, antérieur au 1er septembre 2017, l’appel nécessitait exclusivement une remise par voie papier à peine de caducité, c’est-à-dire par tradition manuelle à l’exclusion de la lettre recommandée avec accusé de réception (Soc. 15 mai 2019, n° 17-31.800, Dalloz actualité, 25 juin 2019, obs. R. Laffly), l’appel de l’avocat extérieur au ressort de la cour de Rouen était postérieur à l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, de sorte que ce procédé était bien autorisé par le nouvel article 930-1, alinéa 2.

Commençait alors une simple opération d’arithmétique juridique : calculer correctement le délai de trois mois de remise des conclusions au greffe. Et les choses ne sont pas si simples. En effet, après avoir rappelé que le point de départ du délai imparti par l’article 908 du code de procédure civile à l’appelant pour conclure courait à compter de la remise au greffe de la déclaration d’appel par RPVA, et non de l’édition par le greffe du fichier récapitulatif reprenant les données du message de l’appelant (Civ. 2e, 6 déc. 2018, n° 17-27.206, Dalloz actualité, 16 janv. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; JCP G 11 févr. 2019, obs. R. Laffly), la Cour de cassation doit revenir sur cette problématique en cas d’appel d’un jugement du conseil de prud’hommes fait par lettre recommandée. La solution est finalement la même : le point de départ du délai de trois mois démarre à compter de l’émission de l’acte d’appel, c’est-à-dire de l’envoi de la lettre recommandée. Ainsi, lorsque l’appel est formé par RPVA, c’est la date d’émission qu’il convient de prendre en compte (et non celle de son enregistrement par le greffe qui peut être ultérieure) et c’est encore celle d’émission lorsque l’appel peut être effectué par lettre recommandée avec accusé de réception (et non celle de sa réception par le greffe nécessairement ultérieure).

L’esprit de célérité qui présidait à l’adoption des décrets Magendie, souvent invoqué par la Cour de cassation elle-même lorsqu’elle tranche en faveur d’une thèse plutôt que d’une autre, n’a pas été rappelé en l’espèce, pas plus que les textes qui devaient conduire à une telle interprétation permettant de calculer le point de départ de l’article 908. Or, pour le calcul des dates de notification ou de signification, le principe d’expédition ou d’émission, plutôt que celui de réception, prévaut à l’égard de celui qui notifie l’acte. L’article 668 du code de procédure civile est clair : « Sous réserve de l’article 647-1, la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de l’expédition et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de la réception de la lettre » et c’est la solution retenue. D’ailleurs, l’alinéa 3 de l’article 930-1 précise que, « lorsque la déclaration d’appel est faite par voie postale, le greffe enregistre l’acte à la date figurant sur le cachet du bureau d’émission et adresse à l’appelant un récépissé par tout moyen ». Ainsi, si l’avocat de l’appelant pouvait relever appel jusqu’à la limite de son délai d’un mois à compter de la notification du jugement du conseil de prud’hommes faite à son client, sans égard à sa réception par le greffe de la cour d’appel, c’était ce même délai qu’il convenait de prendre en compte pour conclure. Ce qui demande à l’avocat hors ressort d’anticiper un minimum sur l’expiration de ce délai prévu à peine de caducité de sa déclaration d’appel puisque ses conclusions doivent être effectivement remises au greffe dans ce délai. En effet, l’article 908 du code de procédure dispose bien qu’« à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour remettre ses conclusions au greffe », levant l’ambiguïté de l’ancienne version qui précisait seulement que l’appelant disposait d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour conclure. Et l’article 908 s’applique à l’avocat du ressort comme à celui hors ressort de la cour d’appel.

Dans le cas soumis à la Cour de cassation, l’appel avait été formé le 2 février 2018, le délai pour remettre ses conclusions au greffe expirait donc le 2 mai 2018, tandis que l’avocat de l’appelant les avait remises seulement le 4 mai, soit avec deux jours de retard. Mais on sait depuis longtemps que la procédure d’appel est souvent affaire de quelques jours.

Dans un film exceptionnel et excellemment joué par Scarlett Johansson et Adam Driver, Noah Baumbach livre la chronique d’une séparation difficile jusqu’au prononcé du divorce, se déroulant dans le cadre du système judiciaire californien.

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Auteur d'origine: babonneau

Le délai de trois mois dont dispose l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe court, lorsque la déclaration d’appel est établie sur support papier et qu’elle est adressée au greffe par lettre recommandée avec accusé de réception, du jour de l’expédition de cette lettre.

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Auteur d'origine: laffly

Une série de décisions des 15 et 16 janvier 2020 portant attribution de compétences matérielles supplémentaires de chambres de proximité a été publiée au Bulletin officiel du ministère de la Justice du 24 janvier 2020.

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Auteur d'origine: Dargent

Il résulte de la combinaison de l’article L. 431-2 du code de la sécurité sociale et de l’article 2241 du code civil que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur interrompt la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable.

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Auteur d'origine: abolze

Le groupe LREM vient de déposer une proposition de loi « vers une sécurité globale », centrée sur les polices municipales et la sécurité privée. Composé de vingt-neuf articles, le texte reprend les propositions les plus consensuelles du rapport déposé en septembre 2018 par les députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue.

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Auteur d'origine: Bley

La nullité tirée du certificat médical servant de fondement à une mesure d’hospitalisation forcée doit être analysée comme une défense au fond, invocable en tout état de cause. Encourt donc la cassation l’ordonnance du premier président de la cour d’appel qui l’analyse comme une exception de procédure invocable seulement in limine litis.

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Auteur d'origine: Dargent

Par principe, ni l’indemnisation du préjudice d’agrément ni celle du préjudice esthétique permanent n’interdisent à la victime de formuler une demande tendant à être indemnisée du coût d’une prothèse de sport et d’une prothèse esthétique.

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Auteur d'origine: Priou

Les sons de cloche de la rencontre entre le premier ministre et les instances de la profession d’avocat, avec la garde des Sceaux et le secrétaire d’État chargé des retraites, qui s’est déroulée hier à 19 heures, ne sont pas accordés.

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Auteur d'origine: babonneau

L’assignation à jour fixe doit être remise au greffe par voie électronique à peine de caducité de l’appel quand bien même une copie de cette assignation a été effectivement déposée au greffe de la cour d’appel avant le jour de l’audience.

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Auteur d'origine: Dargent

Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

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Auteur d'origine: jdpellier

Les sons de cloche de la rencontre entre le premier ministre et les instances de la profession d’avocat, avec la garde des Sceaux et le secrétaire d’État chargé des retraites, qui s’est déroulée hier à 19 heures, ne sont pas accordés.

De son côté, Matignon – qui a réaffirmé dans un communiqué de presse que tous les régimes intégreraient le régime universel – s’est « félicité du travail réalisé cette semaine par les représentants de la profession avec les ministres pour établir un état des lieux objectif de l’impact de la réforme proposée par le gouvernement pour les avocats ». Des rendez-vous qui ont permis, selon le premier ministre, de « montrer que les avocats pourront bénéficier, avec le système universel, de pensions plus élevées que dans leur régime actuel ».

Le gouvernement s’engage par ailleurs à modifier le calcul de l’assiette de cotisations sociales, « afin de compenser toute hausse de cotisation liée au système universel jusqu’en 2029, au travers d’un abattement de 30 % comme le prévoit la réforme pour l’ensemble des travailleurs indépendants ». Les réunions techniques devront continuer, Édouard Philippe recevra, quant à lui, les avocats le 2 février prochain.

Interrogée ce matin par Sud Radio, la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl, a estimé que « la réunion avec le premier ministre n’a pas permis d’avancer, on nous demande de quitter un dispositif qui fonctionne bien pour le flou du régime universel. Nous n’avons pas obtenu les garanties que nous souhaitions, il y a beaucoup d’éléments flous dans le régime universel. La réunion d’hier soir a confirmé que les avocats ont parfaitement raison de s’inquiéter de ce projet de réforme ». Les deux camps évoluent « dans des mondes parallèles », a-t-elle twitté hier soir.

Le CNB se réunit en assemblée générale extraordinaire samedi 25 janvier.

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Notre législateur est généreux, il souhaite que les praticiens, universitaires et étudiants de la procédure civile ne laissent leur cerveau en jachère trop longtemps et c’est ce souci qui l’anime pour leur concocter régulièrement un programme d’entraînement cérébral avancé toujours plus complexe, à l’instar des casse-têtes chinois.

Les 349 articles qui jalonnent la loi, les huit décrets et une ordonnance pour la réforme de la procédure civile entre le 23 mars et le 20 décembre 2019 en sont un témoignage incontestable.

Cet arrêt est également une illustration de cet altruisme, la Cour de cassation n’étant pas en cause, elle ne fait qu’appliquer les textes.

L’article 930-1 du code de procédure civile, créé par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 (art. 5), a déjà été modifié deux fois par les décrets n° 2012-634 du 3 mai 2012 (art. 19) et n° 2017-891 du 6 mai 2017 (art. 30) ; dans les trois versions, l’alinéa premier est le même : « À peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ».

Il faut également avoir sous les yeux l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel pour appliquer ce texte afin de pouvoir distinguer quels sont les actes qui relèvent de cette obligation de ceux qui n’en relèvent pas.

La deuxième chambre civile avait déjà dû intervenir pour aiguiller les praticiens dans un arrêt du 7 décembre 2017 (Civ. 2e, 7 déc. 2017, n° 15-19.936, Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2542 ).

À l’occasion de l’appel d’un jugement d’orientation – lequel est soumis à la procédure à jour fixe (C. pr. exéc., art. R. 322-19), à peine d’irrecevabilité (v. not. dans ce sens Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-24.634, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. V. Avena-Robardet) –, l’intimé contestait la recevabilité de l’appel au motif que la requête pour être autorisé à assigner à jour fixe avait été établie sur support papier et déposée au greffe par remise manuelle en violation des dispositions de l’article 930-1.

La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi en retenant que : « Mais attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile que seuls les actes de procédure destinés à la cour d’appel doivent être remis par la voie électronique ; que c’est dès lors à bon droit que la cour d’appel a retenu la validité de la remise au greffe de la requête établie sur support papier demandant au premier président de la cour d’appel de fixer le jour auquel l’affaire sera appelée par priorité, et a, en conséquence, dit l’appel recevable ».

Dans l’arrêt commenté, le litige ne portait pas sur la remise de la requête mais sur celle de l’assignation à jour fixe.

À l’occasion d’une procédure de saisie immobilière, le juge de l’exécution d’un tribunal de grande instance, statuant sur l’orientation de la procédure, a retenu pour un certain montant la créance d’un créancier inscrit.

Le créancier poursuivant a relevé appel de ce jugement d’orientation, puis a été autorisé à assigner à jour fixe les parties défenderesses (c’est-à-dire partie saisie et créanciers inscrits en raison de l’indivisibilité de l’appel en la matière, à peine d’irrecevabilité, Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 17-31.350, Dalloz actualité, 21 mars 2019, obs. R. Laffly).

L’article 922 du code de procédure civile dispose que « la cour est saisie par la remise d’une copie de l’assignation au greffe. Cette remise doit être faite avant la date fixée pour l’audience, faute de quoi la déclaration sera caduque. La caducité est constatée d’office par ordonnance du président de la chambre à laquelle l’affaire est distribuée ».

Dans le litige soumis à l’examen de la Cour de cassation, l’assignation à jour fixe avait été déposée au greffe de la cour d’appel avant la date fixée pour l’audience.

La cour d’appel, au visa de l’article 930-1 du code de procédure civile, prononce la caducité de l’appel.

Le créancier poursuivant forme un pourvoi et fonde ses deux moyens sur l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 922 et 930-1 du code de procédure civile en soutenant, d’une part, que les excès de formalisme en matière de procédure portent atteinte au droit d’accès à un tribunal et, d’autre part, lorsque le juge a le pouvoir de soulever d’office une sanction procédurale, il lui incombe de se prononcer, même d’office, sur la proportionnalité de cette sanction.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant ainsi la caducité de l’appel en retenant que, dans la procédure avec représentation obligatoire par avocat en appel, le dépôt au greffe d’une copie établie sur support matériel de l’assignation à jour fixe délivrée aux intimés, en l’absence de cause étrangère ayant empêché le recours à la voie électronique, ne satisfait pas à l’obligation, imposée aux parties par l’article 930-1 du code de procédure civile.

Elle ajoute cette obligation est dénuée d’ambiguïté pour un avocat, professionnel averti, et que sa sanction, par une irrecevabilité de l’acte qui n’a pas été transmis au greffe par la voie électronique, est proportionnée au but légitime que poursuit cette disposition, qui est d’assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel, de sorte qu’elle ne procède, par elle-même, d’aucun formalisme excessif.

Ainsi, elle juge qu’il résulte des dispositions des articles 922 et 930-1 du code de procédure civile que, dans le cadre d’une procédure à jour fixe, la cour d’appel est saisie par la remise d’une copie de l’assignation au greffe avant la date de l’audience à peine de caducité de la déclaration d’appel, cette remise devant être effectuée par voie électronique et que la remise manuelle de cette assignation au greffe, avant l’audience, ne répond pas à cette exigence.

Par les termes généraux de l’arrêt, il est incontestable que cette exigence n’est pas limitée à l’appel du jugement d’orientation mais s’applique à tous les appels formés selon la procédure à jour fixe.

En résumé, dans la procédure à jour fixe, la requête aux fins d’être autorisé à assigner à jour fixe peut (doit ?) être déposée sur support papier, car il ne s’agit pas d’un acte destiné à être remis à la juridiction mais à son président (ou celui de la chambre devant laquelle l’instance est instruite), en revanche, l’assignation à jour fixe étant destinée à la juridiction, elle doit être remise à la cour par voie électronique dans le respect de l’article 930-1 du code de procédure civile.

Il s’agit là d’un nouvel élément apporté à l’entraînement cérébral avancé, sous forme de casse-tête chinois, destiné au bien être des praticiens, universitaires et étudiants.

Mais, à propos, quelle est cette personne illuminée qui a soutenu que la procédure civile n’était pas un droit servant mais un droit au service du justiciable ? Et qui ose affirmer que la procédure civile moderne est au seul service de la gestion des flux ? Ce sont vraisemblablement des grincheux, des capitaines Haddock en devenir. Moi, j’aime bien le capitaine Haddock.

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Contre vents et marées, la Cour de cassation réitère la position adoptée en assemblée plénière il y a près de quinze ans : le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. Autrement dit, les fautes contractuelle et délictuelle sont identiques. Telle est la solution à nouveau exprimée dans un arrêt rendu également en assemblée plénière le 13 janvier 2020. En l’espèce, deux sociétés B… et S…, ayant pour objet la fabrication et la commercialisation du sucre de canne, ont conclu, le 21 novembre 1995, un protocole aux fins de concentrer le traitement industriel de la production cannière de l’île sur deux usines, protocole en exécution duquel chaque usine était amenée à brasser des cannes dépendant de son bassin cannier et de celui de l’autre. À cet effet, les sociétés ont conclu, le 31 janvier 1996, une convention de travail à façon déterminant la quantité de sucre à livrer au commettant et la tarification du façonnage. Antérieurement, le 8 novembre 1995, avait été conclue une convention d’assistance mutuelle en période de campagne sucrière entre les deux usines « en cas d’arrêt accidentel prolongé de l’une des usines ». Par la suite, dans la nuit du 30 au 31 août 2009, un incendie s’est déclaré dans une usine électrique de la centrale thermique exploitée par une autre société qui alimentait en énergie l’usine productrice de la société B…, entraînant la fermeture de cette dernière pendant quatre semaines. L’autre usine a donc assuré une partie du traitement de la canne qui aurait dû l’être par l’usine sinistrée. L’assureur de la société S… ayant indemnisé son assurée de ses pertes d’exploitation a donc, dans l’exercice de son action subrogatoire, saisi un tribunal à l’effet d’obtenir la condamnation de la société exploitant l’usine sinistrée et de la Compagnie thermique à lui rembourser l’indemnité versée. Les recours en paiement à l’encontre de la société B… et de la Compagnie thermique ayant été rejetée par un arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis du 5 avril 2017, l’assureur de pourvut en cassation.

Le premier moyen, critiquant le rejet de l’action en paiement contre la société B…, ne trouva pas grâce aux yeux de la Cour de cassation, approuvant cette solution au motif que « la cour d’appel a, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation du protocole et de la convention d’assistance, jugé que ces deux conventions procédaient entre les deux sociétés sucrières de la même démarche de collaboration et, recherchant la commune intention des parties, a retenu que celles-ci s’étaient entendues pour la mise en œuvre de l’une et de l’autre de ces conventions à la suite de l’arrêt complet de l’usine B… privée d’alimentation en énergie » (pt 8). La Cour de cassation ajoute « qu’une telle entraide conduisait à la répartition des cannes à brasser prévue au protocole en cas de difficulté technique et s’exécutait à l’aune de la convention d’assistance mutuelle, elle a pu en déduire, par une décision motivée, que la société QBE, qui ne détenait pas plus de droits que son assurée, ne pouvait utilement invoquer une faute contractuelle imputable à la société B… » (pt 9).

Mais le second moyen, faisant grief à l’arrêt de rejeter les demandes de l’assureur dirigées contre la Compagnie thermique, fit mouche : après une motivation enrichie, l’assemblée plénière considéra, au visa de l’article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l’article 1382, devenu 1240, du même code, qu’« en statuant ainsi, alors que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, la cour d’appel, qui a constaté la défaillance de la Compagnie thermique dans l’exécution de son contrat de fourniture d’énergie à l’usine B… pendant quatre semaines et le dommage qui en était résulté pour la société S…, victime de l’arrêt de cette usine, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations » (pt 24). La décision des juges du fond est donc censurée, contre l’avis de l’avocat général, qui avait préconisé le rejet du pourvoi.

Ce faisant, l’assemblée plénière réitère mot pour mot la solution consacrée dans un célèbre arrêt du 6 octobre 2006, volontiers dénommé Boot shop ou encore Myr’Ho (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 P, D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister , note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295 , obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain ; v. à ce sujet P. Ancel, P. Delebecque, P.-Y. Gautier, C. Grimaldi, P. Jacques, J.-L. Sourioux, P. Stoffel-Munck ; G. Wicker et R. Wintgen, Contrat sans frontière. Débats, RDC 2007. 557 s.), qu’elle prend d’ailleurs la peine de citer (comp. CE 11 juill. 2011, n° 339409 : « les tiers à un contrat administratif, hormis les clauses réglementaires, ne peuvent en principe se prévaloir des stipulations de ce contrat ; que, dès lors, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en retenant que la qualité de tiers au contrat du 27 août 1990 de Mme A… faisait obstacle à ce que cette dernière se prévale d’une inexécution du contrat dans le cadre d’une action en responsabilité quasi-délictuelle », Dalloz actualité, 20 juill. 2011, obs. R. Grand ; Lebon avec les concl. ; AJDA 2011. 1404 ; ibid. 1949 , chron. X. Domino ; D. 2012. 653 , note G. Viney ; RDI 2011. 508, obs. N. Foulquier ; AJCT 2011. 576, obs. A. Burel ; JS 2011, n° 115, p. 8, obs. F.L. ; RFDA 2012. 692, note L. Janicot ). Il est vrai que certains arrêts avaient pu semer le trouble (Civ. 3e, 22 oct. 2008, nos 07-15.692 et 07-15.583 P, D. 2008. 2793 ; RTD civ. 2009. 121, obs. P. Jourdain ; Civ. 1re, 15 déc. 2011, n° 10-17.691, D. 2012. 659 , note D. Mazeaud ; RTD com. 2012. 393, obs. B. Bouloc ; Com. 18 janv. 2017, nos 14-18.832 et 14-16.442, D. 2017. 1036 , note D. Mazeaud ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 371, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2017. 191, obs. A. Lecourt ; RTD civ. 2017. 651, obs. H. Barbier ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.203 P, Dalloz actualité, 8 juin. 2017, art. T. Coustet ; D. 2017. 1225 , note D. Houtcieff ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 371, obs. M. Mekki ; RDI 2017. 349, obs. P. Malinvaud ; AJ contrat 2017. 377 , obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2017. 651, obs. H. Barbier ; ibid. 666, obs. P. Jourdain ), ce que la Cour déplore dans la présente décision, considérant que ces arrêts créent « des incertitudes quant au fait générateur pouvant être utilement invoqué par un tiers poursuivant l’indemnisation du dommage qu’il impute à une inexécution contractuelle, incertitudes qu’il appartient à la Cour de lever ». La solution se trouve donc à nouveau consacrée et même confortée, puisqu’elle a vocation à s’appliquer en présence d’une obligation de résultat, comme le souligne la note explicative relative à l’arrêt (« L’arrêt apporte un enseignement supplémentaire : en appliquant le principe énoncé par l’arrêt Boot shop à une situation où le manquement dénoncé portait sur une obligation de résultat et non, comme dans ce précédent arrêt, sur une obligation de moyens, l’assemblée plénière ne retient pas la nécessité d’une distinction fondée sur la nature de l’obligation méconnue »). Au demeurant, l’on sait que l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations n’a pas consacré la distinction des obligations de moyens et de résultat (v. à ce sujet P. Jourdain, Quel avenir pour la distinction des obligations de résultat et de moyens ?, JCP 2016. 909).

Cette solution sera certainement à nouveau critiquée par une partie importante de la doctrine, estimant qu’il conviendrait de distinguer les fautes contractuelle et délictuelle (v. par ex., en ce sens, L. Andreu et N. Thomassin, Cours de droit des obligations, 4e éd., Gaulino, 2019, nos 747 s. ; A. Bénabent, Droit des obligations, 17e éd., LGDJ, 2018, n° 542 ; M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. 1. Contrat et engagement unilatéral, 5e éd., PUF, 2019, n° 804 ; B. Fages, Droit des obligations, 9e éd., LGDJ, 2019, n° 230 ; D. Houtcieff, Droit des contrats, Bruylant, coll. « Paradigme », 3e éd., 2017, n° 896-2 ; C. Larroumet et S. Bros, Traité de droit civil. Tome 3 : Les obligations. Le contrat, ss la dir. de C. Larroumet, 9e éd., Economica, 2018, n° 748 ; P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, 11e éd., Dalloz, 2017, n° 3213.172 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 680 ; F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cour de droit civil. Contrats. Théorie générale. Quasi-contrats, PUF, 2014, n° 165 ; comp. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations. 3. Le rapport d’obligation, 9e éd., Sirey, 2015 n° 190). Mais elle se justifie néanmoins, nous semble-t-il : sur le plan juridique, il est vrai que le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties en vertu de l’effet relatif des contrats, consacré par l’ancien article 1165 du code civil, devenu l’article 1199 à la faveur de la réforme opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Mais il ne faut pas oublier que le contrat est opposable aux tiers et que ces derniers peuvent également s’en prévaloir, solution désormais clairement consacrée par l’article 1200 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 : « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat. Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait ». Dès lors, pourquoi ne pas admettre qu’un tiers puisse invoquer le manquement d’un contractant s’il lui cause un dommage ? Encore faut-il, naturellement, que le tiers établisse le lien de causalité entre ce manquement et le dommage qu’il subit, la Cour affirmant à cet égard que « le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement » (pt 22).

La note explicative relative à l’arrêt est également éclairante : « En réalité, l’arrêt rendu subordonne le succès de l’action en indemnisation du tiers à la preuve du lien de causalité qu’il incombe à celui-ci de rapporter entre le manquement contractuel qu’il demande de reconnaître et le préjudice dont il justifie et invite, par conséquent, les juges du fond à continuer de privilégier dans leur examen cet aspect essentiel du litige qui permet de distinguer le préjudice indemnisable de celui qui ne l’est pas ». Certains auteurs avaient d’ailleurs déjà perçu l’importance de la causalité dans ce débat (v. en part. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, op. cit., n° 190). Par où l’on voit que la Cour de cassation sait faire preuve de mesure.

La solution se justifie également en opportunité, en ce qu’elle permet de faciliter l’indemnisation du tiers, ce que la Cour de cassation affirme expressément : après avoir considéré que « le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage » (pt 20), elle proclame qu’« il importe de ne pas entraver l’indemnisation de ce dommage » (pt 21).

Toutefois, cette solution devrait être, en apparence, remise en cause si le projet de réforme de la responsabilité civile dévoilé le 13 mars 2017 aboutit. En effet, l’article 1234 de ce projet prévoit certes, en son alinéa 1er, que, « lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II », ce qui semble briser la jurisprudence de la Cour de cassation. Mais l’alinéa 2 du même texte apporte un tempérament important à cette règle en prévoyant que, « toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite » (v. à ce sujet S. Borghetti, La responsabilité des contractants à l’égard des tiers dans le projet de réforme de la responsabilité civile, D. 2017. 1846  ; O. Deshayes, La nouvelle mouture de l’avant-projet de loi de réforme de la responsabilité civile : retour sur la responsabilité des parties à l’égard des tiers, RDC 2017. 238). Or, dès lors qu’un tiers à un contrat souhaite obtenir réparation d’un dommage causé par l’inexécution de ce contrat, cela ne révèle-t-il pas qu’il avait nécessairement un intérêt légitime à la bonne exécution de celui-ci ?

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par Guillaume Payanle 24 janvier 2020

Civ. 2e, 9 janvier 2020, FS-P+B+I, n° 18-19.846

Les modalités d’articulation entre le droit des procédures civiles d’exécution et le droit du surendettement des particuliers sont au cœur d’un important contentieux. Le présent arrêt – promis à une large diffusion – en est un nouvel exemple.

Depuis l’entrée en application de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation (JO 2 juill.), la recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement emporte automatiquement suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées contre les biens du débiteur ainsi que des cessions de rémunération consenties par ce dernier et portant sur des dettes autres qu’alimentaires (C. consom., art. L. 722-2). Cet effet suspensif court notamment jusqu’à la décision au moyen de laquelle la commission de surendettement prononce les mesures prévues aux articles L. 733-1 (ex. rééchelonnement du paiement des dettes, imputation des paiements prioritairement sur le capital, prévision d’un taux d’intérêt réduit à l’égard des sommes correspondant aux échéances reportées ou rééchelonnées, suspension de l’exigibilité de créances autres...

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La Cour de cassation, en dévoilant les malfaçons de l’article 265 du code civil, vient de porter un coup fatal aux régimes de participation aux acquêts et un coup d’arrêt à la liberté des conventions matrimoniales toute entière.

En l’espèce, deux époux s’étaient mariés sous le régime conventionnel de participation aux acquêts. Une clause du contrat de mariage prévoyait que « les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation » si la dissolution du régime devait avoir une autre cause que le décès de l’un des époux. À la suite de leur divorce, prononcé en 2008, des difficultés se sont élevées quant au calcul de la créance de participation. Au cours des opérations de « liquidation et partage » du régime matrimonial, l’ex-époux a judiciairement demandé à ce que soit constatée, en application de l’alinéa 2 de l’article 265 du code civil, la révocation de plein droit de la clause excluant les biens professionnels du calcul de la créance de participation. Selon ce texte en effet, « le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ». En conséquence, il demandait à ce que les biens professionnels soient effectivement pris en compte dans le calcul de la créance. Sa prétention ayant été rejetée par un arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 10 septembre 2018, il forma un pourvoi en cassation invoquant la violation des articles 265, 1570 et 1572 du code civil (ces deux derniers textes énoncent respectivement les règles de composition des patrimoines originaires et finaux de chacun des époux en régime de participation aux acquêts).

La Cour de cassation fut donc confrontée à la délicate question de la qualification de la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation : est-elle un « avantage matrimonial » soumis à la révocation de plein droit ?

Aux termes d’un arrêt rédigé au style direct sans que la motivation n’en soit particulièrement enrichie, la première chambre civile casse l’arrêt d’appel. Elle considère, au visa de l’article 265 du code civil, que « les profits que l’un ou l’autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial. Ils sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce ». Dès lors, « une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d’entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial en cas de divorce ». La clause litigieuse constituait donc un avantage matrimonial révoqué de plein droit par le divorce.

Cette décision remarquable fera date. Pour la première fois, la Cour de cassation tranche l’épineuse question de la qualification d’une telle clause au regard de l’article 265 du code civil (sur le sujet, v. C. Brenner, « Avantage matrimonial et participation aux acquêts : le sort de la clause d’exclusion des biens professionnels dans le divorce », in Mélanges Hovasse Henri, Lexis Nexis, 2016, p. 471 ; F. Lettelier, La clause d’exclusion des biens professionnels sous le régime de la participation aux acquêts à l’épreuve du divorce. Quelques éléments de réponse à une question angoissante, JCP N 2008, n° 9-10, p. 23). Les enseignements de l’arrêt et les critiques qui peuvent lui être adressées sont nombreux, tant sur le plan catégorique qu’en raison des conséquences désastreuses d’un tel positionnement. Mais s’il faut blâmer quelqu’un, c’est davantage le législateur, qui a maladroitement rédigé l’article 265 du code civil, que la Cour de cassation qui en a révélé l’absurde logique, peut-être à des fins provocatrices.

Le fonctionnement de la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation

La clause d’exclusion des biens professionnels a été conçue comme une protection contre certains effets néfastes des régimes de participation aux acquêts (J.-F. Pillebout, Une nouvelle formule de contrat de mariage : participation aux acquêts avec exclusion des biens professionnels, JCP N 1987. I. 93 ; J.-F. Pillebout, « Les biens professionnels sous le régime de la participation aux acquêts », in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard Champenois. Liber amicorum, Defrénois, 2012, p. 655 ; N. Duchange et J.-F. Pillebout, La clause d’exclusion des biens professionnels de la participation aux acquêts. Un correctif nécessaire, JCP N 1995, n° 12, p. 487 ; F. Cohen et C. Massie, Un contrat de mariage atypique. La participation aux acquêts avec clause d’exclusion des biens professionnels, Gaz. Pal. 1999, n° 64, p. 13). Sous ces régimes, l’époux qui s’est le plus enrichi doit verser à l’autre une créance de participation d’un montant égal à la moitié de la différence des enrichissements respectifs. À titre d’exemple, si Z s’est enrichi de 120 et Y de 60, alors Z doit payer à Y une somme équivalente à (120 - 60) / 2 = 30. Z, débiteur de la créance, voit ainsi son enrichissement diminuer : 120 - 30 = 90. Y, quant à lui, voit son enrichissement augmenter : 60 + 30 = 90. Grâce à la créance, chaque époux s’est donc enrichi dans les mêmes proportions : 90. Or, si le patrimoine du débiteur Z est composé majoritairement de biens professionnels (115 par exemple), il pourrait arriver que le montant de la créance de participation qu’il doit verser à son ex-conjoint soit bien supérieur aux liquidités dont il dispose (5 selon l’exemple). Il se verrait ainsi contraint de vendre ses actifs professionnels pour trouver les liquidités manquantes (vendre le bien valant 120 pour obtenir 25 de liquidités). Il en résulte une sérieuse menace sur son activité professionnelle. À la double douleur du divorce et du paiement s’ajouterait alors peut-être la perte de l’emploi, donc la précarité.

La clause d’exclusion vise à remédier à cette difficulté en excluant les actifs et passifs professionnels du patrimoine final et, le cas échéant, du patrimoine originaire (la comparaison du patrimoine originaire et du patrimoine final permet de calculer l’enrichissement : PF - PO = enrichissement, ou acquêts nets). Autrement dit, grâce à la clause et par dérogation aux règles du régime de participation aux acquêts, les biens professionnels ne sont pas comptés comme des enrichissements. Cette clause peut bénéficier aux deux époux, comme en l’espèce, ou n’être stipulée qu’au profit de l’un d’eux. Elle aboutit nécessairement à priver un époux d’une partie de l’enrichissement de l’autre. Elle permet à l’un et/ou à l’autre de ne pas partager toutes ses richesses. Elle constitue donc un « avantage », au sens courant du terme, pour l’un des époux et un « inconvénient » pour l’autre. Mais est-elle pour autant un « avantage matrimonial » ? Oui, selon la Cour de cassation.

La qualification de la clause : un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial

La Cour de cassation se trouve contrainte de statuer sur la qualification d’une notion que le législateur n’a jamais eu le courage de définir clairement et dont il n’a même jamais compris la logique. L’avantage matrimonial n’est pas une notion juridique : c’est tout l’inverse. Historiquement, sa première apparition dans le code civil a une fonction disqualificative (Q. Guiguet-Schielé, La distinction des avantages matrimoniaux et des donations entre époux. Essai sur une fiction disqualificative, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2015, vol. 146 ; sur l’avantage matrimonial, v. Rép. civ., v° Avantage matrimonial, par B. Vareille). L’article 1527 du code civil nous apprend en effet qu’un tel avantage n’est pas une donation, mais ce texte n’a pas pour ambition de nous dire ce qu’est précisément un avantage matrimonial. La raison en est simple : le concept est en principe utilisé pour exclure la règle de droit, non pour organiser son application. Ce n’est qu’exceptionnellement que l’avantage matrimonial est soumis au droit (l’action en retranchement par exemple) ; son rôle est d’en exclure l’application (les règles contraignantes des actes à titre gratuit : réduction, imputation sur les droits légaux du conjoint, causes de révocation, etc.). Or l’article 265 du code civil utilise le concept d’« avantage matrimonial » afin de le soumettre à une règle, ce qui est pour le moins singulier et qui aurait mérité au minimum d’en proposer une définition et d’en faire une réelle notion juridique. Ce travail fondamental n’a jamais été entrepris, et c’est bien ce qui cause toutes les incertitudes relatives à l’application du texte : l’avantage, non défini juridiquement, n’est pas borné et présente le risque d’une appréhension large (pour une présentation générale des difficultés liées la notion d’avantage matrimonial et la proposition d’un critère subjectif, l’« intention participative », v. E. Rousseau, « De l’existence du critère fondamental de l’avantage matrimonial », in Mélanges G. Champenois, Defrénois, 2012).

Certes, le terme est connu depuis longtemps et des solutions pertinentes sont mises en oeuvre pour l’appréhender (la technique de la « double liquidation » permet de chiffrer l’avantage matrimonial afin de le soumettre à l’action en retranchement). Mais l’avantage matrimonial s’entend très différemment au sens de l’article 265 du code civil (en cas de divorce) et au sens de l’article 1527 du même code (en cas de décès). Dans le contexte du décès, donc pour l’application de l’action en retranchement, l’appréhension est globale : la convention matrimoniale produit un avantage matrimonial, profitant à un époux et résultant de l’effet combiné de toutes les dispositions du régime. En effet, le but est ici de déterminer si l’appauvrissement effectif de l’époux qui a consenti l’avantage global excède ou non la quotité disponible. En revanche, dans le contexte du divorce, l’appréhension est plurale : la convention matrimoniale produit plusieurs avantages matrimoniaux, profitant potentiellement aux deux époux et résultant de chacune des dispositions du régime.

Un exemple simple permet de bien comprendre la différence entre les deux perceptions. Le régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au profit du conjoint survivant (avantage matrimonial par excellence) réalise un seul avantage matrimonial au sens de l’article 1527 du code civil : cet avantage résulte de l’effet combiné de la mise en communauté des biens et de leur attribution intégrale au survivant. En revanche, au sens de l’article 265 du code civil, il y a au moins deux avantages matrimoniaux : la mise en communauté (qui prend effet au cours du mariage et que le divorce ne remet pas en cause) et l’attribution intégrale (qui ne prend effet qu’au décès et dont le divorce entraîne la révocation de plein droit).

Or cette différence fondamentale rend très incertaine l’application au contexte du divorce des solutions pragmatiques dégagées par la doctrine et la pratique notariale dans le contexte du décès : il n’est nullement question de procéder ici à une « double liquidation » et peut-être même n’est-il pas pertinent de raisonner par comparaison avec un régime de référence. À la vérité, c’est plus l’énoncé de la clause que son effet réel qui est appréhendé par l’article 265 du code civil au stade de la notion. L’effet n’est utilisé que pour faire le tri entre ce qui doit être révoqué (car n’ayant pas encore pris effet) et ce qui doit être maintenu (car ayant déjà prix effet), mais pas pour désigner ce qu’est un avantage. Dès lors, l’avantage matrimonial s’entend très largement dans ce contexte, car il est identique à la stipulation elle-même. Autrement dit, selon la logique de l’article 265 du code civil, l’avantage, c’est la clause.

Si l’on peut donc gloser à loisir sur la pertinence du raisonnement catégorique de la Cour de cassation, force est de constater qu’elle n’était pas aidée par les textes (envisageant une telle qualification, v. F. Lucet, Des rapports entre régime matrimonial et libéralités entre époux, thèse, Paris II, 1987, n° 421, p. 583 ; Rép. civ., v° Participation aux acquêts, par S. David, n° 119 ; Q. Guiguet-Schielé, thèse préc., n° 440 ; contre cette qualification, v. N. Duchange, La minoration du taux de la participation aux acquêts, Defrénois 1993, art. 35670, n° 9 ; C. Brenner, Le sort de la clause d’exclusion des biens professionnels dans le divorce, Actes pratiques et stratégie patrimoniale, 2015, n° 4, p. 34). Certains observateurs contesteront la qualification retenue en avançant que l’objectif de la clause est de protéger l’époux, non d’avantager son conjoint. Cela revient à raisonner comme en matière de libéralité. Mais, dans une perception large de l’avantage, toute clause du régime matrimonial peut s’avérer plus favorable à l’un des époux qu’à l’autre. D’une part, la protection offerte par la clause est en elle-même un avantage pour celui qui en bénéficie : ne pas avantager autrui, c’est bien s’avantager soi-même. D’autre part, le conjoint qui subit la clause n’a-t-il pas renoncé à une partie des droits qu’il tirait du régime de participation ? N’a-t-il pas consenti un avantage en acceptant que certaines des richesses produites par son conjoint ne lui profitent pas ? Par ailleurs, la clause d’exclusion des biens professionnels est l’équivalent, en participation aux acquêts, d’une clause de « réalisation » dans les régimes de communauté (cette clause exclut de la masse commune un bien qui devrait en faire partie). Il s’agit, dans tous les cas, de considérer qu’une valeur qui aurait dû être perçue comme un acquêt au sens du régime choisi n’en est pas un. Si la clause de réalisation est un avantage matrimonial, la clause d’exclusion du calcul de la créance de participation en est un aussi.

Les conséquences de la qualification : révocation et limitation drastique de la liberté des conventions matrimoniales

La qualification et la révocation qu’elle provoque aboutissent à priver d’effet, à cause du divorce, une clause du contrat de mariage censée s’appliquer justement… pour le cas du divorce. L’absurdité d’un tel résultat avait été dénoncée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 avril 2011 (n° 10/08818) qui en tirait argument pour rejeter la qualification de la clause en avantage matrimonial. L’article 265 du code civil, censé protéger les époux des conséquences du divorce, provoque ici la disparition de la protection conventionnelle. L’époux débiteur ne pourra plus compter que sur une minoration de la créance par le juge à condition de le convaincre que son montant est « manifestement contraire à l’équité » (C. civ., art. 1579).

La clause d’exclusion des biens professionnels voit donc ses effets annihilés par l’article 265 du code civil. Si cela ne concernait que cette clause, les notaires sauraient bien s’en accommoder. Elle est en effet moins pratiquée que par le passé. On lui reproche d’aboutir à des résultats que les parties n’avaient pas recherchés, comme le renversement de la titularité de la créance : dans l’exemple précédent, l’application de la clause pourrait conduire à rendre Y débiteur de l’indemnité, alors qu’il en était créancier (sur ces difficultés, v. Rép. civ., v° Participation aux acquêts, par S. David, nos 118 s.). On lui préfère ainsi le plus souvent une simple clause de plafonnement du montant de la créance qui n’influe pas sur le calcul de la créance mais limite tout de même son résultat final.

Malheureusement, en révélant l’appréhension large que réalise l’article 265 du code civil de la « notion » d’avantage matrimonial, la Cour de cassation menace de cette qualification, et donc de révocation, d’autres stipulations, sœurs ou voisines. Pourrait ainsi être concernée toute clause relative à la composition des patrimoines originaires et finaux, ainsi que toute clause de plafonnement du montant de la créance (car, par principe, cette clause ne profite qu’au débiteur). Sont aussi menacées les participations inégales aux acquêts, qui favorisent nécessairement un époux par rapport à l’autre en prévoyant que seul un époux pourra être débiteur de la créance, ou qu’il ne sera tenu compte que d’une partie de l’enrichissement de l’un des époux ou de l’excédent d’actif net du patrimoine final (favorables à une qualification en avantage matrimonial, v. Rép. min. n° 601, 17 oct. 1988 ; M. Storck, Avantages matrimoniaux et régime de participation aux acquêts, JCP N 1981. 355 ; C. Fénardon, La participation inégale aux acquêts, JCP N 2009, n° 17, p. 20). Sont aussi menacées les dérogations aux règles d’évaluation des biens et dettes, la participation aux appauvrissements nets, l’attribution d’une partie des acquêts nets, etc. Toute possibilité d’aménagement du régime de participations aux acquêts en cas de divorce se trouve ainsi empêchée puisque, la créance de participation n’apparaissant qu’à la dissolution du régime, chaque « avantage » stipulé dans la convention matrimoniale ne prend effet qu’à ce moment-là. Les régimes de participation aux acquêts, qui n’avaient déjà pas les faveurs des notaires qui les jugent très complexe, sont à présent menacés d’extinction.

Pire, la solution pourrait menacer l’aménagement d’autres régimes. Il ne paraît plus possible de stipuler une clause de partage inégale de la communauté ou d’une société d’acquêts en cas de divorce. Pourtant, ces clauses permettent de rééquilibrer certaines situations. Elles peuvent ainsi remplir la même fonction qu’une prestation compensatoire (indemniser celui des époux qui a consenti un sacrifice important) ou simplement permettre à celui qui a le plus alimenté la masse commune d’en retirer une part plus importante. Sont aussi sans doute menacées les clauses dites commerciales, permettant le prélèvement d’un bien dans la masse commune avant tout partage, du moins si le montant de l’indemnité n’est pas équivalent à la valeur vénale du bien prélevé.

Une telle limitation de la liberté contractuelle des époux est à contre-courant de la tendance à la libéralisation processuelle des conventions matrimoniales. Alors que les réformes successives cherchent à faciliter le changement de régime matrimonial, l’article 265 du code civil demeure un réel frein au choix et à l’aménagement d’un régime. Cela est fort regrettable car cette liberté des conventions matrimoniales demeure un privilège réservé aux époux qui participe de l’attractivité même du mariage. Elle apparaît aujourd’hui bridée sans raison, ou plutôt en application d’une logique douteuse. En effet, le texte est animé d’une logique sous-jacente de caducité par disparition de la cause : ce qui se justifiait en un temps heureux n’a plus de raison d’être lors d’une séparation. Cela rend d’autant plus anachronique la solution en l’espèce : la cause de la stipulation révoquée (le divorce) n’avait pas disparu… elle s’était au contraire pleinement réalisée puisque les époux avaient divorcé !

La Cour de cassation peut encore limiter les conséquences de sa jurisprudence et corriger les erreurs du texte. Sans même remettre en cause la qualification de la clause en avantage matrimonial, elle pourrait par exemple reconnaître un caractère supplétif complet à l’alinéa 2 de l’article 265 du code civil et offrir la possibilité aux époux de stipuler par avance qu’une telle clause serait maintenue en cas de divorce. Après tout, une telle possibilité existe déjà, selon le texte, une fois le divorce consommé et une réponse ministérielle a précisé qu’une telle stipulation dans la convention matrimoniale elle-même était parfaitement envisageable (rép. min. n° 18632 à L. Huyghe, JOAN 26 mai 2009, p. 5148 : « la volonté des époux de maintenir les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et des dispositions à cause de mort peut être manifestée dans le contrat de mariage, le changement de régime matrimonial ou la libéralité »). Il serait même pertinent d’aller plus loin et de reconnaître des dérogations implicites au texte. Ainsi, une clause comme celle de l’espèce qui serait stipulée uniquement pour le cas du divorce comporterait nécessairement une dérogation au texte et serait maintenue en cas de divorce.

Mais la meilleure issue possible demeure la réécriture, sinon l’abrogation totale de l’article 265 du code civil. La proposition peut surprendre mais elle mérite d’être étudiée car, à la réflexion, le texte apporte plus de doutes que de certitudes. Il se révèle même inutile à de nombreux égards. Ainsi, la règle selon laquelle le divorce est sans effet sur les donations de biens présents et avantages matrimoniaux ayant déjà pris effet est dépourvue d’utilité : elle résulte de l’irrévocabilité des donations et de la non-rétroactivité inhérente aux effets du divorce (les époux n’étant pas divorcés pour le passé, les effets que le régime matrimonial a déjà produits demeurent nécessairement). Est-il vraiment nécessaire de préciser les effets que le divorce ne provoque pas ? La révocation de plein droit des libéralités à cause de mort n’est pas non plus indispensable. Ces libéralités étant librement révocables, pourquoi ne pas simplement s’en remettre à la volonté du disposant ? Révoque qui veut ! Tel est déjà le cas des clauses de réversion d’usufruit entre époux : nul ne s’émeut qu’elles ne soient pas révoquées de plein droit par le divorce car, en toutes hypothèses, elles demeurent librement révocables.

La question de la révocation de plein droit de certains avantages matrimoniaux est plus complexe. Elle peut sembler inutile, car la disparition du régime matrimonial inhérente au divorce fait nécessairement échec à la délivrance des gains de survie. Il est ainsi évident qu’une clause d’attribution intégrale de communauté ne prend pas effet au moment du divorce ni même plus tard, au décès de l’époux divorcé, dans la mesure où elle procède d’un régime matrimonial auquel le divorce aura mis fin. Le nœud du problème se situe ailleurs, dans les avantages dont les époux prévoient la réalisation à la dissolution du régime matrimonial, quelle que soit la cause de cette dissolution. L’article 265 du code civil tend à révoquer de plein-droit des avantages qui, sans être stipulés expressément en cas de décès, ont été imaginés par les époux comme devant se réaliser à ce moment. Tel est le cas d’une clause de parts inégales dans une communauté de biens qui ne réserverait pas expressément une application au décès (car les heureux futurs époux, persuadés de ne jamais divorcer, n’ont même pas envisagé d’autres causes de dissolution que le décès). Autrement dit, le texte part du principe que les époux n’ont pas assez précisé leur pensée parce qu’au jour de la rédaction de la convention matrimoniale, l’idée même du divorce leur semblait invraisemblable. Ainsi, la loi se fait-elle un devoir d’organiser une protection rendue nécessaire par les lacunes du contrat de mariage.

Mais n’est-il pas temps de responsabiliser les époux et d’octroyer pleine confiance aux notaires et autres conseillers juridiques pour rédiger une charte patrimoniale qui s’adapte véritablement aux prévisions des parties ? Ne revient-il pas, en premier lieu, aux époux eux-mêmes de limiter les effets néfastes de leur convention matrimoniale et d’oser envisager l’hypothèse d’un divorce ? Faut-il continuer à les protéger de leurs propres imprécisions, au risque de brider drastiquement leur liberté conventionnelle ? Supprimer l’article 265 du code civil et faire confiance aux notaires pour délimiter les effets de la convention matrimoniale ne paraît pas déraisonnable. Peut-être la Cour de cassation a-t-elle d’ailleurs cherché à provoquer des interrogations légitimes sur la pertinence ou simplement la rédaction du texte lui-même. Plus largement, c’est encore une fois le concept d’« avantage matrimonial » qui pose difficulté. Peut-être est-il temps de lui faire emprunter le même chemin que la cause du contrat : faire disparaître la « notion » tout en maintenant ses fonctions.

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Le site d’information Atlantico a publié en avril 2013 un article contenant une vidéo enregistrée par un journaliste dans les locaux du Syndicat de la magistrature. On y découvrait que les photographies de plusieurs personnes, publiques et anonymes, avaient été épinglées sur un pan de mur, sur lequel était inscrite la mention « Avant d’ajouter un con, vérifiez qu’il n’y est pas déjà ». Parmi ces personnes figurait le père d’une jeune femme tuée en 2007 par un récidiviste, qui était intervenu à plusieurs reprises dans les médias. Celui-ci a porté plainte devant le tribunal correctionnel et s’est constitué partie civile du chef d’injure publique envers un particulier. Renvoyée devant le tribunal correctionnel, la magistrate a été déclarée coupable des faits poursuivis et condamnée à une amende de 500 € avec sursis (TGI Paris, 17e ch., 31 janv. 2019, Légipresse 2019. 155, note N. Verly et I. Soskin ; Dalloz actualité, 5 déc. 2018 ; ibid., 7 déc. 2018 ; ibid., 10 déc. 2018, art. T. Coustet). L’intéressée a fait appel. Plusieurs questions relatives aux infractions de presse étaient soulevées dans cette affaire.

La publicité

L’élément de publicité prévu à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, condition d’application de la loi sur la presse, était discuté. S’agissant d’un affichage public, la publication est réalisée par l’exposition au regard du public. Or la publicité n’est pas caractérisée si les propos ont été diffusés à des destinataires constituant entre eux une communauté d’intérêt. Toutefois, la seule présence d’un destinataire extérieur à ce groupement est susceptible d’établir la publicité du propos.

La cour précise tout d’abord que le fait d’afficher un panneau dans un local syndical et celui de diffuser sur internet une vidéo montrant ce panneau sont deux faits distincts ; la responsabilité de la magistrate ne pouvait être recherchée que pour le premier. Ensuite, la cour note que le « Mur des cons » était exposé dans un local destiné aux réunions syndicales. Ce lieu privé est devenu accidentellement et occasionnellement un lieu public dès lors que diverses personnes extérieures au Syndicat de la magistrature y sont entrées avec l’accord des représentants du syndicat. Pour les lieux dits « publics par accident », qui sont en principe fermés au public, le juge doit vérifier si la profération ou l’exposition a été accomplie avec la conscience que le propos ou le support serait effectivement entendu ou vu par des tiers. En l’espèce, la cour relève que, s’il n’est pas démontré que la magistrate a accompagné le journaliste devant le « Mur des cons », ce qu’avait retenu le tribunal, il ressort que celle-ci a rejoint l’interviewer devant le panneau et a parlé avec lui de son contenu. Il est jugé que l’appelante avait donc nécessairement conscience que le panneau serait vu par des tiers.

L’imputabilité des propos

Se posait ensuite la question de l’imputabilité des propos et de la qualité d’éditrice de la magistrate, au sens de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881. En effet, la responsabilité dite « en cascade », qui édicte une responsabilité à la charge, notamment, du directeur de la publication et de l’éditeur, se double, en matière d’infractions commises par affichage, de la recherche de la participation personnelle du prévenu à la conception, la réalisation, la publication ou la diffusion du support de l’injure.

La cour note qu’il n’est pas établi que la création du « Mur des cons » soit issue d’une décision collective prise par les instances du Syndicat de la magistrature ni que l’appelante y ait personnellement participé. Toutefois, le syndicat a accepté que ses adhérents confectionnent le panneau en cause sur un mur de ses locaux, en mettant celui-ci à leur disposition et en leur fournissant ainsi les moyens du placardage. La cour ajoute que la juge mise en cause était la présidente du Syndicat de la magistrature en avril 2013, date de la mise en ligne de la vidéo. Elle était poursuivie en qualité de représentante du syndicat et non à titre personnel, et a bien eu la volonté – tout au moins la conscience – de rendre l’affichage public. Ainsi, la magistrate est considérée comme éditrice au sens de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881.

Le caractère injurieux des propos

Enfin se posait la question du caractère injurieux du propos incriminé.

La qualification de ce substantif a fait l’objet d’analyses différentes par la jurisprudence, en fonction des éléments du contexte entourant sa profération, son exposition ou sa publication. La cour confirme ici le caractère injurieux du mot « con » employé dans ce contexte. Elle relève que, même si l’apposition des photographies épinglées sur le mur a pu être une forme d’exutoire pour les juges, pour protester contre des attaques dont ils avaient fait l’objet, et même si les prises de position publiques des personnes représentées étaient davantage dénoncées que les personnes elles-mêmes, les motifs de ces affichages n’ont pu être démontrés. L’injure visait donc bien les personnes représentées sans faire référence à un fait précis ni à un débat d’idées que pourrait légitimer une liberté d’expression accrue en matière syndicale. La cour ajoute que la conscience d’employer un terme injurieux caractérise l’élément intentionnel du délit.

Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a déclaré la magistrate coupable d’injure publique. La cour confirme le montant de la peine fixée à 500 € avec sursis. Le requérant, qui s’était constitué partie civile, se voit en outre allouer une somme de 5 000 € de dommages-intérêts.

Dans cette affaire, le Rassemblement national et Robert Ménard, lequel figurait également parmi les personnalités « épinglées » sur le Mur des cons, avaient également fait appel après avoir été déboutés en première instance. La cour confirme, par deux arrêts distincts en date du 19 décembre 2019 (nos 19/01410 et 19/01382), les décisions des premiers juges ayant déclaré recevables les constitutions de partie civile du parti et de l’homme politique, mais les infirme en ce qu’ils ont débouté ces derniers de leurs demandes. La cour retient, à l’inverse du tribunal, que la partie civile a, de façon suffisamment claire, poursuivi l’affichage exposé dans le local syndical par une plainte avec constitution de partie civile régulière. La magistrate est condamnée à verser à chacun des requérants 1 € de dommages-intérêts.

Ces trois arrêts ne sont pas définitifs et ont fait l’objet d’un pourvoi.

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L’appel incident et l’appel provoqué ont tous deux en commun de permettre à une partie intimée en cause d’appel de solliciter la réformation d’un ou plusieurs chefs du jugement frappé d’appel.

La similitude s’arrête là : ils obéissent à des règles procédurales profondément distinctes.

Par arrêt du 9 janvier 2020, la deuxième chambre civile résout une question inédite intéressant le formalisme de l’appel incident dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire. Outre la solution apportée, cet arrêt permet de revenir sur un précédent arrêt tout aussi important de la même chambre du 6 juin 2019, lequel concernait le formalisme de l’appel provoqué dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire.

L’appel incident soumis aux dispositions de l’article 911 du code de procédure civile

L’arrêt du 9 janvier 2020 statue sur le formalisme de l’appel incident formé par un intimé à l’égard d’un co-intimé défaillant.

Les principaux événements procéduraux peuvent se résumer ainsi :

• M. X forme, le 15 février 2017, appel d’un jugement à l’encontre d’un sieur Z et d’un sieur Y.

• M. X notifie ses conclusions d’appelant à l’avocat de M. Z le 12 mai 2017.

• M. Z forme un appel incident et signifie ses conclusions à M. Y le 5 juillet 2017 dans le délai de deux mois qui est alors imparti par l’article 909 du code de procédure civile1.

• Le 18 juillet 2017, M. Y constitue avocat devant la cour.

• M. Z notifie à l’avocat de M. Y ses conclusions le 3 août 2017.

M. Y va soulever l’irrecevabilité de l’appel incident de M. Z au motif qu’étant défaillant, il n’a pas été assigné dans le délai de deux mois ayant couru à compter de la notification des conclusions de l’appelant, soit avant le 12 juillet 2017.

M. Z soutenait pour sa part que :

s’agissant d’un appel incident, il avait pour obligation de déposer ses conclusions d’appel incident à l’intérieur du délai qui lui était alors imparti pour conclure (soit deux mois),
 et qu’en vertu de l’article 911 précité, il devait signifier ses conclusions au co-intimé défaillant dans le mois suivant l’expiration de son délai pour conclure (soit 2+1 = 3 mois).

La cour d’appel de Rennes va juger :

d’une part, que « l’intimé appelant incident doit faire délivrer une assignation au co-intimé défaillant » et qu’ainsi, la signification des conclusions opérée le 5 juillet 2017 est sans valeur,
 d’autre part, que cette assignation doit être délivrée au « co-intimé défaillant dans les deux mois suivant la notification des conclusions de l’appelant à peine d’irrecevabilité » et qu’ainsi, M. Z ne pouvait se prévaloir de la notification des conclusions d’incident au conseil de M. Y le 3 août suivant.

La cour d’appel de Rennes fait ainsi primer les dispositions combinées des articles 5512 et 683 du code de procédure civile sur celles combinées des articles 909 et 9114 du même code.

Elle applique ainsi à l’appel incident les mêmes règles procédurales que l’appel provoqué.

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes et juge, sans renvoi, que l’appel incident de M. Z à l’encontre de M. Y est recevable.

Elle estime que la seule obligation pesant sur M. Z était de signifier ses conclusions d’appel incident à M. Y, régulièrement intimé par l’appelant, dans les délais prescrits par les articles 909 et 911 du code de procédure civile, soit avant le 12 août 2017, sauf à ce que M. Y constitue avocat avant la signification.

Sans véritable surprise, la deuxième chambre considère que :

les conclusions d’appel incident doivent être signifiées au co-intimé défaillant sans qu’il soit besoin de procéder par voie d’assignation,
 l’intimé qui forme appel incident dispose, à compter de la notification des conclusions de l’appelant, d’un délai trois mois5 (2+1) pour signifier ses conclusions d’appel incident au co-intimé défaillant ou les notifier à son avocat s’il se constitue à l’intérieur de ce délai de 3 mois, et ce conformément à sa jurisprudence habituelle6.

L’arrêt de la Cour de cassation tient ainsi compte des spécificités propres à la procédure d’appel avec représentation obligatoire introduites par la première réforme de la procédure d’appel opérée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009.

En effet, l’article 911 du code de procédure civile impose à l’intimé de signifier aux parties défaillantes les conclusions prises dans le cadre de l’article 909 du code de procédure civile.

L’article 909 du code de procédure civile vise quant à lui les conclusions en réponse à celle de l’appelant mais aussi les conclusions portant appel incident.

Enfin, un appel incident peut être formé devant la cour soit contre l’appelant, soit contre un co-intimé ayant constitué avocat, soit, enfin, contre un co-intimé défaillant.

Ainsi, dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, l’intimé appelant incident doit seulement signifier au co-intimé défaillant ses conclusions portant appel incident.

Deux cas de figure se présenteront selon que l’intimé défaillant constitue ou non avocat dans le délai de l’article 9117 :

Une solution radicalement différente en matière d’appel provoqué

Rappelons que l’appel provoqué est le mécanisme procédural qui permet à un intimé de former appel incident du jugement à l’encontre d’une partie de première instance qui n’a pas été intimée par l’appelant principal dans son acte d’appel.

On retrouve régulièrement cette notion dans les dossiers de construction ; ce qu’illustre d’ailleurs l’arrêt rendu le 6 juin 2019 par la deuxième chambre civile.

Il ressort des termes de cet arrêt que l’État français a acquis auprès de la société Cerep un immeuble qu’elle a fait construire par divers intervenants, dont la société Bouygues.

Se plaignant de la persistance de vices apparents, l’État a fait assigner devant le tribunal de grande instance la société Cerep, laquelle a demandé a être relevée et garantie par divers intervenants, dont Bouygues.

Le tribunal de grande instance a condamné la société Cerep à restituer une certaine somme à l’État et a condamné divers intervenants à la garantir, dont la société Bouygues.

La société Bouygues a relevé appel de ce jugement à l’encontre de la société Cerep sans intimer l’État.

La société Bouygues a conclu le 20 septembre 2016, ouvrant ainsi à l’égard de la société Cerep le délai de l’article 909 du code de procédure civile augmenté du délai de distance de deux mois dont elle bénéficiait en raison de sa domiciliation à l’étranger.

Le 20 janvier 2017 (jour d’expiration du délai 909), la société Cerep a conclu, formant notamment appel provoqué contre l’État.

Le 25 janvier 2017, la société Cerep a signifié l’appel provoqué à l’État.

La cour d’appel de Paris a jugé cet appel provoqué irrecevable.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Cerep en rappelant, conformément à sa jurisprudence constante8, que l’appel provoqué doit être formé par voie d’assignation dans le délai imparti par l’article 909 du code de procédure civile sans que ce délai puisse être prorogé dans les conditions prévues par l’article 911 du même code.

La solution est là encore parfaitement logique : l’article 911 du code de procédure civile vise l’hypothèse dans laquelle une partie intimée en cause d’appel est défaillante.

Or l’appel provoqué est généralement formé par une partie intimée à l’encontre d’une partie étrangère à la procédure d’appel, ce qui explique qu’en ce qui la concerne, elle doive être assignée dans le délai prévu à l’article 909 du code de procédure civile.

Illustration schématique de la solution :

Conseil pratique :

Identifier dès la constitution sur l’appel principal la nécessité de former ou non un appel provoqué à l’encontre de parties de première instance non intimées devant la cour.

Mise en garde :

L’intimé doit aussi envisager de former un appel principal dans l’hypothèse où il souhaite absolument poursuivre la réformation du jugement.

En effet, le décret du 6 mai 2017 a introduit à l’article 550 du code de procédure la précision selon laquelle l’appel incident ou l’appel provoqué ne sera pas reçu si l’appel principal est caduc.

 

 

Notes

1. C. pr. civ., art. 909, dans sa rédaction alors en vigueur : « L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ».
2. C. pr. civ., art. 551 : « L’appel incident ou l’appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes ».

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Dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté (JO 28 janv.), l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution énonce que, lorsque l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit la délivrance du commandement d’avoir à quitter les lieux, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7 de ce même code.

Il s’agit là de faire bénéficier la personne expulsée d’une période supplémentaire pour trouver un nouveau logement. Cependant, afin de veiller à un juste équilibre dans la protection des différents intérêts en présence, cette légitime préoccupation doit également être envisagée à l’aune des droits du créancier qui souhaite obtenir son dû au plus tôt. Il y a donc lieu de définir avec précision les conditions d’application de ce délai légal. À cet égard, certains éléments de réponse sont apportés par le législateur. Ainsi, aussitôt l’existence de ce délai affirmée, le premier alinéa de l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution précise-t-il que le juge peut réduire ou supprimer ce délai, « notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire ». De même, dans son second alinéa, cet article se poursuit en précisant que ce délai ne trouve pas application quand le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes expulsées « sont entrées dans les locaux par voie de fait ». On comprend, dès lors, que des squatteurs ne sauraient tirer profit de ce délai.

Dans la présente affaire, si apparemment aucune voie de fait n’avait été commise, la légitimité de la présence dans les locaux du gérant de la société, contre qui la procédure d’expulsion a été diligentée, n’en était pas moins contestée. En l’espèce, un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) autorise une société à occuper des terrains pour une durée déterminée afin d’y exploiter un club de golf. Par la suite, le tribunal de grande instance compétent ordonne l’expulsion de cette société ainsi que de tous les occupants de son chef, sous le bénéfice de l’exécution provisoire. La société, à qui un commandement d’avoir à quitter les lieux a été délivré, saisit alors le juge de l’exécution afin d’obtenir l’arrêt de la procédure d’expulsion pour un délai de six mois, sans succès. Elle interjette donc appel de ce jugement et son gérant intervient volontairement en cause d’appel. La cour d’appel donne doublement satisfaction à la société et à son gérant, en déclarant recevable l’intervention volontaire et en prononçant l’annulation de la procédure d’expulsion ; ce que conteste l’EPIC en formant un pourvoi en cassation.

S’agissant de la régularité de l’intervention volontaire du gérant de la société, l’EPIC conteste – en prenant appui sur l’article 554 du code de procédure civile, dont les dispositions doivent être combinées avec celles de l’article 325 de ce même code – le fait que les demandes formées par l’intervenant (demandes visant le paiement de dommages et intérêts en réparation de préjudices subis du fait de la procédure d’expulsion, au titre du coût de son déménagement et de la destruction de ses meubles ainsi que de son préjudice moral) procèdent directement de la demande originaire de la société (demande visant l’annulation du procès-verbal d’expulsion et le paiement de sommes à titre de dommages et intérêts en réparation de la destruction de bâtiments modulaires) et tendent aux mêmes fins. Cependant, pour la Cour de cassation, le moyen avancé n’est pas fondé. Reprenant une solution bien établie (v. not. Cass., ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508, Dalloz actualité, 19 nov. 2007, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2007. 2955, obs. V. Avena-Robardet ; AJDI 2008. 47 ; JCP G 2008. II. 10070, note Serinet), les hauts magistrats rappellent en effet que « l’appréciation de l’intérêt à agir de l’intervenant volontaire et du lien suffisant qui doit exister entre ses demandes et les prétentions originaires relève du pouvoir souverain des juges du fond ».

S’agissant du bénéfice du délai de deux mois prévu par l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution précité, les demandes de l’EPIC ne seront pas non plus couronnées de succès. Selon la Cour de cassation, la cour d’appel a légalement justifié sa décision d’annulation de la procédure d’expulsion et de condamnation à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts, en établissant que ledit gérant intervenant volontaire à la procédure d’appel « avait son domicile dans les locaux de la société […] qui avait été expulsée, faisant ainsi ressortir qu’il habitait effectivement les lieux ». La solution retenue est rigoureuse envers l’EPIC, dès lors qu’il apparaît que la convention au titre de laquelle la société expulsée occupait les lieux indiquait que le terrain litigieux avait été mis à sa disposition pour être exclusivement destiné à une activité de practice de golf, aucune autre utilisation n’étant autorisée sous peine de révocation immédiate. Le souci de protection du gérant l’a donc emporté.

Par un arrêt du 19 décembre 2019, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation pour injure publique de la présidente du Syndicat national de la magistrature dans les locaux duquel avait été affiché un panneau intitulé « Mur des cons », filmé par un journaliste venu interviewer la magistrate, avant d’être diffusé sur internet.

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Auteur d'origine: nmaximin

À sept mois d’écart, deux arrêts de la Cour de cassation se penchent sur ces faux frères jumeaux que sont l’appel incident et l’appel provoqué, et mettent en lumière leur dissemblance.

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Auteur d'origine: Bley

La deuxième chambre civile se prononce sur les modalités d’application du délai d’attente de deux mois qui suit la délivrance du commandement d’avoir à quitter les lieux, prévu par l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef.

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Auteur d'origine: gpayan

Alors que l’essentiel de la réforme de la procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2020, les éditions Dalloz vous proposent une sélection de modèles d’actes de procédure à jour de la réforme, rédigés en collaboration avec Me C. Lefevre Le Bihan, avocate au Barreau de Toulouse.

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Auteur d'origine: Bley

Les membres du Conseil national des barreaux ont voté à l’unanimité, lors de l’assemblée générale extraordinaire organisée en urgence vendredi 17 janvier en vue de se prononcer sur les dernières propositions du gouvernement, la poursuite de la grève pour la semaine du 20 janvier.

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Auteur d'origine: babonneau

Une brise de panique a soufflé sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Des avocats ont publié un rapport – non finalisé – intitulé Répartition des effectifs des CPH, émanant de la direction des services judiciaires en date de décembre 2019 (en annexe de cet article). « Alerte ! Disparition programmée des conseils des prud’hommes dans ce document de travail de la Chancellerie !

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Auteur d'origine: babonneau

Alors que l’essentiel de la réforme de la procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2020, les éditions Dalloz vous proposent une sélection de modèles d’actes de procédure à jour de la réforme.

À cette occasion, nous avons par ailleurs réuni dans un dossier « Réforme de la procédure civile » l’ensemble des contributions relatives aux décrets de décembre 2019 relatifs à la réforme de la procédure civile, à la procédure applicable aux divorces contentieux et à la séparation de corps ou au divorce sans intervention judiciaire, et à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires.

Nous vous en souhaitons bonne lecture.

Les propositions de Nicole Belloubet et de Laurent Pietraszewski, le secrétaire d’État aux retraites, n’ont pas convaincu les instances de la profession. 

Outre un premier courrier adressé mardi 14 janvier à Christiane Féral-Schuhl, le secrétariat général du ministère de la justice a fait parvenir à la profession, quelques heures avant le début de l’assemblée générale, un autre document précisant que le gouvernement se tenait « prêt à organiser avec vous et vos experts une série de réunions sur les garanties qui pourront être apportées pour assurer la prise en compte des spécificités de la profession d’avocat dans le système universel de retraite ».

Une première réunion porterait « sur les éléments permettant de maintenir une autonomie de la Caisse nationale des Barreaux français (CNBF) parallèlement à son intégration dans le système universel de retraite ». Une deuxième rencontre serait axée sur « les incidences de la réforme sur les avocats qui perçoivent 32 000 € et un PASS ». Enfin, « les mesures d’accompagnement pour s’assurer que les avocats ne sont pas perdants à la réforme » feraient l’objet du dernier rendez-vous. 

Des « discussions techniques » bienvenues – une délégation devrait être désignée – mais insuffisantes, explique un élu du Conseil national des barreaux (CNB). Il en sera rendu compte aux avocats et l’assemblée générale a voté le principe d’une consultation finale des avocats.

La motion réitère néanmoins son désaccord avec les projets de loi de réforme des retraites et rappelle que le courrier du 14 janvier « n’apporte aucune solution aux inquiétudes et à la légitime colère des avocats, qui appellent au maintien de leur régime autonome. La solution de cette crise sans précédent est de nature politique et relève de l’arbitrage du premier ministre ». Le CNB attend donc d’être reçu par Édouard Philippe. 

La grève est maintenue.

Au cours de l’assemblée générale, « certains ont fait part de leurs réserves quant à la prolongation de la grève » mais ces avis étaient minoritaires, selon un membre de l’instance.

Une brise de panique a soufflé sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Des avocats ont publié un rapport – non finalisé – intitulé Répartition des effectifs des CPH, émanant de la direction des services judiciaires en date de décembre 2019 (en annexe de cet article). « Alerte ! Disparition programmée des conseils des prud’hommes dans ce document de travail de la Chancellerie ! Ni les avocats ni les magistrats ne sont au courant de cette nouvelle atteinte à la justice de proximité ! », s’est exclamée, sur Twitter, Gwenaëlle Vautrin, ancienne bâtonnière de Compiègne, qui a diffusé le document.

Il prévoit plusieurs scenarii : le regroupement de conseils des prud’hommes et le regroupement d’une section agriculture et encadrement par département si l’activité de la section est inférieure à cent affaires par an, la répartition des postes selon l’organisation actuelle et le regroupement d’une section agriculture et encadrement par département si l’activité de la section est inférieure à cent affaires par an.

Pour le syndicat de la magistrature (SM), « ces réunions semblent avoir abouti, au vu du document dont nous avons eu connaissance, à des conclusions précises et étayées en termes statistiques dont certaines – un des deux scenarii envisagés – prévoient tout simplement la suppression de vingt-deux conseils de prud’hommes ».

Et d’ajouter : « il ne faut pas être grand clerc pour en déduire que les effectifs des greffes vont également être supprimés en conséquence. Il est également incompréhensible que les organisations syndicales n’aient pas été associées à ce groupe de travail dont l’un des objectifs est tout simplement la réorganisation judiciaire du contentieux prud’homal ».

Interrogée, la Chancellerie précise qu’il s’agit « d’un groupe de travail convenu dans le cadre des travaux du Conseil supérieur de la prud’homie pour tenir compte de l’impossibilité pour certains CPH de constituer des sections ». L’objectif serait « de mieux répartir les conseillers de prud’hommes entre les CPH afin de réduire la vacance de postes ». La Chancellerie assure qu’il n’est pas question de « toucher au nombre de CPH, raison pour laquelle il s’agit de répartition des effectifs et pas de carte judiciaire ».

Une quatrième loi sur le sujet

Cette proposition de loi a une genèse disputée. Avec l’augmentation des féminicides et leur médiatisation, l’action des pouvoirs publics a été mise en cause. Des parlementaires, de tous bords, se sont fortement impliqués sur ce sujet, multipliant auditions, déplacements et rencontres.

En septembre, au lancement du Grenelle des violences conjugales, les députés Les Républicains ont décidé d’inscrire dans leur niche parlementaire une proposition de loi d’Aurélien Pradié (v. Dalloz actualité, 25 sept. 2019, art. P. Januel). Les députés En Marche !, se faisant couper l’herbe sur le pied, n’ont eu d’autre choix que de soutenir ce texte, qui est devenu la loi du 28 décembre 2019.

En conclusion du Grenelle, pour lutter contre les féminicides, le premier ministre a décidé de donner un débouché plus législatif que budgétaire (v. Dalloz actualité, 26 nov. 2019, art. T. Coustet). Fin novembre, une nouvelle proposition de loi a donc été annoncée, pour combler quelques failles législatives sur le retrait de l’autorité parentale, la possibilité de lever le secret médical des femmes violentées, l’interdiction de la médiation civile ou l’espionnage au sein du couple (v. Dalloz actualité, 5 déc. 2019, art. P. Januel).

Rien de révolutionnaire. Reste que changer la loi est une solution visible et peu coûteuse. D’autant que, pour les députés qui n’ont souvent que l’arme de l’amendement à la main, tout problème se transforme vite en « vide législatif » à combler. Mais trois lois sur le sujet, un Grenelle et la lutte contre les amendements hors sujets (v. Dalloz actualité, 27 nov. 2019, art. P. Januel) font qu’il y a peu d’idées nouvelles et utiles à creuser. En face, la rapporteure et la majorité doivent tenir bon et refuser tous les amendements inconstitutionnels, superflus ou mal rédigés. Un rôle parfois ingrat, notamment quand une députée vient défendre un amendement contraire à la jurisprudence constitutionnelle, avec cet argument : « Ici, on n’est pas au Conseil constitutionnel et je ne crois que vous soyez détenteur de ses avis ».

« Nous devons faire preuve de beaucoup d’humilité »

De nombreux parlementaires s’étant impliqués sur la question, chacun tente de tirer la couverture à lui. En introduction des débats sur le retrait de l’autorité parentale, la députée LR Valérie Boyer rappelle qu’elle avait une proposition de loi sur le sujet qui n’a pas été adoptée en septembre. Son idée de favoriser le retrait de l’autorité parentale avait finalement été intégrée à la Loi Pradié, en toute fin de parcours. Elle y revient : « J’avais l’espoir que votre majorité montre que ces causes pouvaient dépasser les postures, et je regrette que ça n’ait pas été le cas quand vous avez rejeté ce texte des Républicains [le sien] sur l’autorité parentale. Je tenais à le souligner parce que ceux qui ont été marqués toute leur vie car ils ont assisté au meurtre de leur mère méritaient que l’on ne perde pas de temps ».

Guillaume Gouffier-Cha, chef de file des députés LREM : « Chère collègue Valérie Boyer, je sais que vous avez travaillé longuement sur ce sujet, comme nos collègues du Sénat. Je pense que ce retrait de l’autorité parentale a profondément marqué l’opinion publique, notamment parce que la mesure avait été annoncée fortement, dès le 3 septembre, par le premier ministre. »

Le député LR Aurélien Pradié choisit un ton plus consensuel, pour livrer une pique finale : « Nous devons faire preuve de beaucoup d’humilité. J’entends depuis tout à l’heure l’importance de ce texte. Mais convenons bien que ni ce texte ni aucun autre ne réglera immédiatement la question des violences conjugales dans notre pays. Il faudra encore de nombreuses mesures pour endiguer ce drame, et il faudra surtout des moyens. »

« Cela permettrait de donner un signal fort »

Le texte en lui-même suscite peu de débats, mis à part l’article qui rend possible la levée du secret médical et le signalement par un médecin en cas de danger immédiat de la victime et d’emprise. Le débat est complexe mais les arguments ont le temps d’être échangés. L’opposition craint que cette mesure vienne briser le lien de confiance entre le médecin et la patiente. Cécile Untermaier (PS) : « Nous ne voulons pas que le médecin ne soit plus le refuge attendu, espéré et confiant des personnes victimes de violence. » En face, le député LREM Guillaume Gouffier-Cha : « Ce sujet vient bousculer les habitudes de notre société, qui est une société du silence, où nous ne parlons pas des violences conjugales. » Sa collègue Annie Chapelier : « On parle constamment du lien entre un médecin et sa patiente. Mais la possibilité de signalement concernera tous les professionnels de santé. L’infirmière, la sage-femme, le dentiste qui reçoit la patiente qui s’est fait briser les dents par son conjoint, et qui voudrait aussi avoir la possibilité de signaler. » Le texte ne bouge pas, mais la notion d’intime conviction pourrait évoluer en séance.

De nombreux problèmes ne trouvent pas de solution législative mais les députés tiennent à leurs « amendements signal ». La députée LREM Florence Provendier propose que l’enfant capable de discernement soit auditionné avant le retrait de l’autorité parentale, arguant que, sur le terrain, la mesure n’est pas appliquée. La rapporteure Bérengère Couillard lui rappelle que l’article 388-1 du code civil le prévoit déjà dans toutes les procédures et lui propose de retirer l’amendement. La députée est rétive : « Je suis perplexe… Il n’y a pas de mise en application objective de l’article du code civil, donc mon amendement a toute sa place. Pour moi, il est compliqué de le retirer. » Ce qu’elle fait finalement.

L’article 6 prévoit le retrait automatique de l’obligation alimentaire des enfants, en cas de crime d’un parent sur l’autre. Certains députés souhaiteraient aller plus loin et viser plusieurs délits. La députée Modem Laurence Vichnievsky, ancienne magistrate, intervient. « Il faut être prudent sur l’automaticité car il y a des cas de figure qu’on n’imagine pas quand on propose un texte. » Et elle rappelle que le cas de Jacqueline Sauvage serait visé par l’article : « Aurait-il fallu décharger ses enfants de l’obligation alimentaire envers leur mère ? » La députée Valérie Boyer a une solution. Instaurer une automaticité… avec des exceptions. « Cela permettrait de donner un signal fort. »

Un texte qui a peu évolué

La rapporteure Bérengère Couillard a fait adopter un amendement qui vise à ce que certaines peines alternatives à l’incarcération prévues à l’article 131-6 du code pénal puissent être, pour tout délit, prononcées en complément de la peine de prison (notamment les interdictions de paraître). Le délit d’atteinte au secret des correspondances sera aggravé s’il est commis dans le couple. Les députés LREM ont créé plusieurs délits pour pénaliser spécifiquement le fait de payer pour faire tourner, à l’étranger, la vidéo d’un crime ou d’un abus sexuel.

D’ici la séance, Bérengère Couillard veut travailler sur l’extension de l’indignité successorale pour les violences graves et non mortelles et la limitation de l’accès des mineurs à la pornographie sur internet.

La garde des Sceaux et le secrétaire d’État aux retraites ont, dans un courrier reçu mercredi 15 janvier par la présidente du Conseil national des barreaux (CNB), donné des « garanties » aux instances de la profession d’avocat. Cette dernière avait en effet demandé que le gouvernement s’engage à faire des propositions après leur dernière rencontre, lundi dernier.

Le gouvernement confirme d’abord « que les avocats continueront à bénéficier, dans le cadre du régime universel de retraite, d’une caisse de retraite propre à la profession ». La Caisse nationale des barreaux français (CNBF), « guichet unique de la profession » existera après 2025, date de mise en place de la réforme des retraites, avec sa gouvernance actuelle.

Les deux ministres ont assuré qu’au-delà des régimes d’invalidité et de prévoyance, « le CNBF pourra également mettre en œuvre des dispositifs de solidarité entre les avocats dans le domaine de la retraite ».

Le dispositif de solidarité entre bas et hauts revenus sera « équivalent à celui qui existe dans le système actuel ». Autre assurance pour la profession, selon le gouvernement : la gestion des réserves, estimées à deux milliards d’euros.

« Nous sommes d’accord pour que nos équipes continuent de travailler avec vos experts pour évaluer les impacts de la réforme pour les avocats » pour « envisager ensemble les mesures d’accompagnement qui pourraient, le cas échéant, être mises en œuvre pour que cette réforme n’impacte pas l’équilibre économique des cabinets auxquels nous sommes évidemment attachés ».

« Rien de nouveau », a déclaré Christiane Féral-Schuhl, la présidente du CNB. Les membres de l’instance sont convoqués en assemblée générale extraordinaire vendredi 17 janvier.

Au troisième jour de la « défense massive », aux comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Paris, les prévenus sont de moins en moins nombreux. « Quatre dossiers, dont un sur renvoi », s’étonne un avocat de permanence à la chambre 23.2. Ils ne sont guère plus à la 23.1, où deux bâtonniers se tiennent face au tribunal, qui prend place à 14h10. Pierre-Olivier Sur et de nombreux confrères se tiennent droit derrière le bâtonnier Olivier Cousi, qui prononce une allocution solennelle pour rappeler les conséquences désastreuses, selon eux, de la réforme du régime des retraites des avocats, exhortant la magistrature à comprendre le sens de leur démarche, qui n’est pas une démarche d’entrave à la justice mais s’explique par leur « amour du droit, par amour de la justice », a déclaré Me Pierre-François Rousseau, en débutant l’exposé de sa question prioritaire de constitutionnalité (rejetée). C’est ainsi que, par amour du droit, la veille à 23 heures, des avocats ont obtenu de la même chambre (différemment composée) l’annulation de plusieurs procédures et la remise en liberté des prévenus pour des vices procéduraux variés. C’est ainsi que, lundi, la 23.2 a libéré dix prévenus au motif que leur délai de vingt heures était dépassé.

À la 23.2, ce mercredi, seul le dossier venu sur renvoi a été jugé. Les autres furent renvoyés après 20 heures, sur décision du tribunal. À la 23.1, les avocats accablent d’emblée le tribunal de nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et développent des moyens de nullité, et, pendant ce temps, au dépôt, un délai court. C’est celui de monsieur D…, qui doit comparaître avant 17h45 pour que son délai soit interrompu. Ses avocats Dominique Bréard et Claude Vincent avertissent le tribunal qu’ils ne se sont pas encore entretenus avec leur client et descendent donc au dépôt pour prendre connaissance de la procédure auprès de M. D… Pendant ce temps, Me Rousseau interroge la constitutionnalité de l’article 397-4 du code de procédure pénale en ce qu’il permet de décerner un mandat de dépôt en comparution immédiate sans minimum de peine, tandis qu’un seuil est fixé à un an dans les autres chambres correctionnelles. La loi instituant cette disposition avait déjà été déclarée conforme par le Conseil constitutionnel en 1980 mais l’avocat a argué du changement de situation de fait susceptible de conférer un caractère nouveau à la question posée (comme l’admettait une récente décision du Conseil). Le tribunal refuse cet argument.

Pendant ce temps-là, la présidente Françoise Quilès ne perd pas de vue son délai. Elle a ordonné à l’escorte de faire remonter M. D… Dans la salle, les bancs des avocats bruissent : il y aurait eu une altercation entre Mes Bréard et Vincent et les policiers, qui voulaient emmener leur client avant qu’ils n’aient pu finir de s’entretenir. Des avocats sont sur place et, soudain, Claude Vincent arrive essoufflée dans la salle pour annoncer « qu’ils vont le monter », alors que le tribunal reprend place ; cinq avocats se placent derrière la barre et, chacun leur tour, plaident ce qui leur passe par la tête, sans pouvoir être interrompu, afin que la présidente ne puisse interrompre le délai qui sera échu dans quinze minutes. À 17h40, enfin, Mme Quilès parvient à élever la voix au-dessus du nuage de robes noires, à décliner l’identité de M. D…, interdit dans son box, qui n’entend rien à ce qu’il se passe, et, cette formalité établie, elle considère avoir interrompu le délai dans le respect de l’article 803-3 de code de procédure pénale. Tard dans la soirée, l’affaire de M. D… fut renvoyée.

La formalité accomplie, il est enfin temps de prendre le dossier défendu par Me Rousseau au fond. Le prévenu se lève : c’est un homme SDF de 42 ans, dont quatorze en prison, du fait de cinquante condamnations, dont vingt devant ce tribunal, et l’enquête sociale rapide le présente comme « un homme sans espoir ». On lui reproche deux vols : en janvier 2019, deux bouteilles d’alcool « parce que je suis alcoolique » et une poignée de pièces de monnaie. En octobre 2019, des kilos de bijoux dans une bijouterie en travaux. L’homme explique qu’il a trouvé les bijoux sur un échafaudage, mais il n’est pas cru, et la procureure requiert dix-huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Me Rousseau plaide sur l’enquête : « Une belle enquête de comparution immédiate, c’est-à-dire strictement rien ». Le prévenu est condamné à dix-huit mois dont six avec sursis avec mise à l’épreuve, et un procès-verbal d’audition est annulé.

« Quels sont les avocats qui sont la proie de cette réforme ? », entame Me Emmanuel Mercinier après cet intermède dans le fond d’un dossier, « ce sont les avocats qui sont à l’aide juridictionnelle, ceux dont l’engagement est quasi christique, ce sont ces confrères qui n’ont pas de quoi bouffer ! », lance-t-il en introduction de sa QPC. L’article 31 du code de procédure pénal est-il conforme à la Constitution en regard de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi ? « Le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu » : mais le parquet n’est pas impartial, plaide Me Mercinier. La QPC est rejetée car, selon le tribunal, « dépourvue de caractère sérieux ». La QPC suivante est également rejetée et l’audience s’étire dans d’interminables suspensions d’audience où les avocats, sans relâche, plaident, concluent, défendent au mieux leurs clients pour mieux protéger leurs droits.

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Sur la question de la temporalité, en assurances de responsabilité, le professeur Marly introduit la problématique en présentant que, « théoriquement, l’assureur de dommages doit sa garantie pour les sinistres survenus entre la prise d’effet et l’extinction du contrat d’assurance. Reste qu’un sinistre est parfois constitué d’une succession d’événements entre lesquels peut s’écouler un intervalle plus ou moins long. Il s’agit de déterminer si tous ces événements ou seulement certains d’entre eux doivent se produire durant la période contractuelle afin que la garantie s’applique au sinistre. La question est particulièrement délicate en assurance de responsabilité civile où le sinistre suppose la réunion de trois éléments : un fait dommageable, un préjudice consécutif et une réclamation amiable ou judiciaire de la victime. Si tous ces éléments adviennent pendant la durée du contrat d’assurance, la garantie est indiscutablement acquise. En revanche, qu’en est-il lorsque la réclamation intervient en cours de la période contractuelle tandis que le fait dommageable est antérieur ? Inversement, la garantie est-elle due si le fait dommageable advient pendant le contrat alors que la réclamation est postérieure à l’extinction de celui-ci ? » (P.-G. Marly, Droit des assurances, Dalloz, 2013, n° 188).

La très regrettée professeure Carval a complété le propos en soulignant que, « pour concilier ces impératifs contradictoires de protection des assurés et de bonne gestion de l’assurance de responsabilité, le législateur a opportunément distingué entre deux catégories de contrats, ceux souscrits par les particuliers pour lesquels c’est le souci de protection de l’assuré qui l’emporte, ce qui conduit à maintenir la prohibition des clauses de réclamation, et les autres pour lesquels il a été jugé préférable d’autoriser les parties à stipuler de telles clauses avec pour contrepartie une garantie subséquente obligatoire d’une durée minimum imposée. Le régime légal de l’étendue de la garantie dans le temps trouve ainsi un certain équilibre. Même lorsqu’elle est stipulée, la clause base réclamation n’est d’ailleurs plus aussi dangereuse qu’autrefois pour les assurés, depuis qu’une loi du 17 juin 2008 a considérablement réduit la durée de la prescription de l’action en responsabilité civile » (G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité. Traité de droit civil, J. Ghestin [dir.], LGDJ, 4e éd., 2017, p. 586, n° 450).

La deuxième chambre civile a eu l’occasion, dans un arrêt du 12 décembre 2019, de revenir sur les règles relatives à la garantie dans le temps en assurances de responsabilité, en lien avec la garantie subséquente et la résiliation pour non-paiement de la prime.

À l’origine de l’affaire, une société intervenant dans le domaine du bâtiment a souscrit auprès d’une société d’assurance le 18 décembre 2006, avec effet au 17 novembre 2006, un contrat d’assurance de responsabilité civile, couvrant notamment les dommages résultant de la faute inexcusable de l’assuré. Le 17 avril 2007, un salarié de la société assurée s’est blessé en chutant d’un échafaudage. Le gérant de cette société a été condamné du chef de blessures involontaires aggravées. Parallèlement à la procédure pénale, le salarié victime a saisi le 3 septembre 2010 une juridiction de sécurité sociale d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, placé depuis lors en liquidation judiciaire. Par un arrêt du 10 mai 2012, une cour d’appel a accueilli ses demandes et déclaré la décision opposable à la société d’assurances. La caisse primaire d’assurance maladie a assigné le 19 février 2013 la société d’assurances en remboursement de la somme de 58 072 € dont elle avait fait l’avance au salarié.

La cour d’appel de Grenoble a condamné l’assureur à payer à la caisse la somme avancée par celle-ci au salarié et l’a débouté de l’intégralité de ses demandes (Grenoble, 6 févr. 2018). L’assureur s’est ainsi pourvu en cassation, avec pour argumentation principale le fait que, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l’assureur n’est néanmoins pas tenu à sa garantie dès lors que la réclamation est parvenue à une date à laquelle la garantie était suspendue ou le contrat d’assurance était résilié pour défaut de paiement des primes par l’assuré, et ce même si la réclamation parvient avant l’expiration du délai subséquent prévu au contrat.

La question qui se posait consistait à savoir si la clause de la police d’assurance selon laquelle l’article L. 124-5 du code des assurances concernant la garantie pendant le délai subséquent n’était pas applicable en cas de résiliation pour non-paiement de la prime était licite.

La deuxième chambre civile a rejeté son pourvoi, confirmant l’illicéité d’une telle clause. La décision confronte trois textes du code des assurances : les articles L. 124-5, L. 111-2 et L. 133-3. Elle s’inscrit dans un mouvement d’oscillation jurisprudentielle.

La confrontation de trois textes du code des assurances

En premier lieu, « introduit par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, l’article L. 124-5, à la rédaction quelque peu complexe, réintroduit, en les encadrant, les clauses de réclamation de la victime en droit français » (L. Perdrix, comm. sous art. L. 124-5, C. assur. ; Code de la mutualité, Dalloz, 25e éd., 2019, p. 301). L’article L. 124-5 du code des assurances (créé par L. n° 2003-706, 1er août, art. 80 II, VII, JO 2 août, en vigueur le 2 novembre 2003) dispose que :

« La garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation. Toutefois, lorsqu’elle couvre la responsabilité des personnes physiques en dehors de leur activité professionnelle, la garantie est déclenchée par le fait dommageable. Un décret en Conseil d’État peut également imposer l’un de ces modes de déclenchement pour d’autres garanties.

Le contrat doit, selon les cas, reproduire le texte du troisième ou du quatrième alinéa du présent article.

La garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable survient entre la prise d’effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d’expiration, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre.

La garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres. Toutefois, la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l’assuré postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration que si, au moment où l’assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n’a pas été resouscrite ou l’a été sur la base du déclenchement par le fait dommageable. L’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.

Le délai subséquent des garanties déclenchées par la réclamation ne peut être inférieur à cinq ans. Le plafond de la garantie déclenchée pendant le délai subséquent ne peut être inférieur à celui de la garantie déclenchée pendant l’année précédant la date de la résiliation du contrat. Un délai plus long et un niveau plus élevé de garantie subséquente peuvent être fixés dans les conditions définies par décret.

Lorsqu’un même sinistre est susceptible de mettre en jeu les garanties apportées par plusieurs contrats successifs, la garantie déclenchée par le fait dommageable ayant pris effet postérieurement à la prise d’effet de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière est appelée en priorité, sans qu’il soit fait application des quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 121-4.

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux garanties d’assurance pour lesquelles la loi dispose d’autres conditions d’application de la garantie dans le temps ».

La rédaction de l’article L. 124-5, alinéa 4, est certes « alambiquée » et « il en résulte que les réclamations intervenues pendant ce délai sont couvertes, pour autant que le fait dommageable est antérieur au point de départ de celui-ci et donc à l’expiration de la garantie » (J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances. Tome 5 Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, 2017, n° 1539). Par ailleurs, la garantie subséquente a un caractère subsidiaire et reste d’un coût modique en comparaison avec la reprise du passé illimitée dans le temps prévue par la loi (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, 2019, ss art. L. 124-5, p. 369).

En deuxième lieu, l’article L. 111-2 du code des assurances (modifié par l’ord. n° 2017-1433, 4 oct. 2017, art. 1) retient que :

« Ne peuvent être modifiées par convention les prescriptions des titres Ier, II, III et IV du présent livre, sauf celles qui donnent aux parties une simple faculté et qui sont contenues au dernier alinéa du I et au II de l’article L. 111-10 et dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L. 121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1, L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19 ».

La doctrine explique qu’« afin de protéger les assurés, le législateur a pris le parti non pas d’énumérer les règles d’ordre public, mais bien au contraire d’énoncer limitativement les règles supplétives de volonté. Autrement dit, pour assurer une meilleure protection de l’assuré, le législateur a fait de la liberté contractuelle l’exception. Dans cette optique, l’article L. 111-2 indique quels sont les articles contenant des règles supplétives et précise que ces règles sont celles qui “donnent aux parties une simple faculté”. Il faut en déduire que toutes les dispositions des articles visés ne sont pas nécessairement supplétives de volonté. Elles ne le sont que si elles confèrent aux parties une faculté » (L. Perdrix, comm. préc., p. 301).

En dernier lieu, l’article L. 113-3 du code des assurances (modifié par L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 72, V) prévoit que :

« La prime est payable en numéraire au domicile de l’assureur ou du mandataire désigné par lui à cet effet. Toutefois, la prime peut être payable au domicile de l’assuré ou à tout autre lieu convenu dans les cas et conditions limitativement fixés par décret en Conseil d’État.

À défaut de paiement d’une prime, ou d’une fraction de prime, dans les dix jours de son échéance, et indépendamment du droit pour l’assureur de poursuivre l’exécution du contrat en justice, la garantie ne peut être suspendue que trente jours après la mise en demeure de l’assuré. Au cas où la prime annuelle a été fractionnée, la suspension de la garantie, intervenue en cas de non-paiement d’une des fractions de prime, produit ses effets jusqu’à l’expiration de la période annuelle considérée. La prime ou fraction de prime est portable dans tous les cas, après la mise en demeure de l’assuré.

L’assureur a le droit de résilier le contrat dix jours après l’expiration du délai de trente jours mentionné au deuxième alinéa du présent article.

Le contrat non résilié reprend pour l’avenir ses effets, à midi le lendemain du jour où ont été payés à l’assureur ou au mandataire désigné par lui à cet effet, la prime arriérée ou, en cas de fractionnement de la prime annuelle, les fractions de prime ayant fait l’objet de la mise en demeure et celles venues à échéance pendant la période de suspension ainsi que, éventuellement, les frais de poursuites et de recouvrement.

Lorsque l’adhésion au contrat résulte d’une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, l’assureur ne peut faire usage des dispositions du présent article relatives à la suspension de la garantie et à la résiliation du contrat.

Les dispositions des deuxième à avant-dernier alinéas du présent article ne sont pas applicables aux assurances sur la vie » (sur le paiement et le défaut de paiement de la prime, v. J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance, 35e éd., 2019, sous art. L. 113-3, p. 124 s.).

Une affaire jugée sous le visa de ces deux seuls derniers articles (C. assur., art. L. 111-2 et 113-3) donne un premier éclairage. Un assuré n’a pas payé à son échéance la prime d’avril 2006 du contrat d’assurance habitation souscrit auprès d’une société d’assurances. Une lettre de mise en demeure lui a été envoyée le 4 juillet 2006. Le 14 février 2008, l’assuré a saisi une juridiction de proximité pour demander la condamnation de l’assureur à lui payer des dommages-intérêts pour résiliation abusive. La juridiction de proximité de Paris 8e, par un jugement du 9 mars 2009, l’a débouté de sa demande. L’assuré, demandeur au pourvoi en cassation, a soutenu que les dispositions d’ordre public de l’article L. 113-3 du code des assurances ne peuvent pas être modifiées par convention en vertu de l’article L. 111-2 du même code et qu’ainsi la juridiction de proximité a violé ces textes. La Cour de cassation a rejeté son pourvoi aux motifs que « le jugement, après avoir rappelé que selon l’article 5-2 du contrat d’assurance l’assuré était tenu de payer sa cotisation dans les vingt jours de son échéance, retient exactement que cette disposition est plus avantageuse pour l’assuré que celles de l’article L. 113-3 du code des assurances, qui prévoient un délai de dix jours, puis constate que [l’assuré] ne rapporte pas la preuve d’une quelconque faute commise par l’assureur » (Civ. 2e, 9 déc. 2010, n° 09-71.998, RGDA 2011. 495, note A. Pélissier). En définitive, la doctrine soulignait déjà que « les parties au contrat ne peuvent convenir de réduire les délais de protection de l’assurée en cas de non-paiement, par ce dernier, de la prime due à l’assureur puisque l’article L. 113-3 est d’ordre public. Les conséquences du défaut de paiement sont encadrées très strictement, et ce dans l’intérêt de l’assuré. Le contrat d’assurance peut néanmoins prévoir un dispositif plus favorable pour l’assuré » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit., sous art. L. 113-3, p. 112).

L’oscillation jurisprudentielle

La jurisprudence contra legem de la deuxième chambre civile de 2012

À l’origine d’une affaire ayant trouvé son issue devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en 2012, une société assurée reprochait, dans son pourvoi, à l’arrêt d’appel de rejeter sa demande en garantie formée à l’encontre de son assureur.

Au titre d’un troisième moyen, il était soutenu que, « selon l’article L. 124-5 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration, ce qui ne peut être inférieur à cinq ans ; qu’en l’espèce, il résulte des propres conclusions d’appel de la société Allianz et des constatations de la cour d’appel que la garantie due par cette dernière avait été suspendue le 23 juin 2004, et que les réclamations de la société Aviva, déclenchant la garantie, était parvenues à la société Sécurité et services le 29 juin 2004 ; qu’il en résulte que ces réclamations avaient été adressées dans le délai de garantie subséquent de cinq ans à compter de la suspension du contrat, de sorte que la garantie de la société Allianz était due ; qu’en retenant que la société Allianz refusait à juste titre sa garantie dès lors que la réclamation était postérieure à la suspension du contrat, la cour d’appel a violé les articles L. 124-1 et L. 124-5 du code des assurances ».

Néanmoins, la deuxième chambre civile a jugé que le moyen n’était pas fondé et que la cour d’appel avait exactement déduit que la garantie de la société d’assurances n’était pas due à la société assurée, car ses constatations et énonciations procédaient « de son appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve ». À ce titre, l’arrêt d’appel « relève qu’il résulte de l’article 1.9 du contrat souscrit par la société Sécurité et services auprès de la société AGF IART que sont couvertes toutes les conséquences dommageables d’un événement survenu entre la date de prise d’effet et de cessation du contrat susceptible d’entraîner la garantie de l’assureur, pour autant qu’une réclamation ait été formulée durant la période de garantie ; que par lettre-avenant en date du 5 janvier 2004, cet assureur a informé la société Sécurité et services des modifications de son contrat, en précisant que la garantie est déclenchée par une réclamation comme le définit l’article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances ; que cette lettre-avenant précisant que la garantie est déclenchée par la réclamation, c’est à juste titre que la société AGF IART a refusé sa garantie dès lors que les réclamations de la société Aviva sont parvenues à la société Sécurité et services le 29 juin 2004, date à laquelle les garanties étaient suspendues en raison du défaut de paiement des primes par cette dernière » (Civ. 2e, 24 mai 2012, n° 10-27.972, RCA 2012. Comm. 257, note H. Groutel ; RGDA 2013. 174, note J. Kullmann ; JCP 2013, n° 400, nos 18 s., note L. Mayaux).

La doctrine s’est émue de cette jurisprudence contra legem, rappelant ainsi que « l’octroi de délais supplémentaires permet la prise en charge d’une réclamation adressée soit à l’assuré, soit à l’assureur après la résiliation ou l’expiration de la garantie. L’objet de la garantie subséquente est donc limité aux réclamations rattachées à des faits dommageables connus à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie. En continuité de base réclamation et à chaque changement d’assureur, la garantie subséquente sera déclenchée pour des réclamations rattachées à des faits dommageables relevant du passé connu. Ce n’est malheureusement pas la solution retenue par la deuxième chambre civile dans une décision du 24 mai 2012 sévèrement critiquée. Cette formation de la haute cour a en effet rejeté la demande de garantie formulée postérieurement à la suspension du contrat (pour non-paiement des primes) alors même que le fait dommageable était survenu avant l’expiration du contrat. Ne respectant nullement le quatrième alinéa de l’article L. 124-5, une telle décision ne mérite pas approbation et devrait rester isolée » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit., sous art. L. 124-5, p. 359). Il s’agit encore d’un exemple contemporain du déclin de la loi (G. Ripert, Le déclin de la loi, LGDJ, 1949, nos 21 s.).

Les cours d’appel ont alors fait preuve d’une belle résistance.

La résistance des juridictions du fond de 2012 à 2019

Une garantie subséquente minimale de cinq ans est légalement prévue pour une garantie souscrite en base réclamation (J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances. Tome 5 Les assurances de dommages, préf. G. Durry, LGDJ, 2017, n° 1539). Une telle garantie demeure mobilisable si sa date de résiliation, d’expiration ou de suppression est postérieure au fait dommageable. Autrement dit, « la garantie subséquente, après résiliation du contrat ou de la garantie, couvre les réclamations formulées pendant sa durée concernant des faits dommageables survenus avant la résiliation du contrat ou des garanties » (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance, 35e éd., 2019, sous art. L. 124-5, p. 258). Il ressort d’une décision d’appel qu’en aucun cas, une entreprise d’assurance ne saurait la subordonner à la recherche préalable par un assuré d’un autre assureur susceptible d’être appelé en priorité pour le garantir (Bordeaux, 20 juin 2013, n° 11/05656, Dalloz jurisprudence).

Une société d’assurance a encore été tenue de supporter les conséquences dommageables d’un sinistre après qu’une cour d’appel a écarté une clause contractuelle stipulant que la garantie s’appliquerait exclusivement aux réclamations formulées auprès de l’assuré en cours de la période comprise entre la date de prise d’effet de la convention et la date de résiliation du contrat (Bordeaux, 29 févr. 2012, n° 09/6542, Dalloz jurisprudence).

Des auteurs relèvent que, « d’une manière générale, toute clause qui serait susceptible de faire échec aux règles posées par l’article L. 124-5 du code des assurances en matière de garantie subséquente (sauf protection plus étendue prévue par l’article 80 de la loi du 1er août 2003) doit être proscrite au moins parce que le texte dont il s’agit est d’ordre public » (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit., p. 359). La cour d’appel de Montpellier a fait application de ce principe dans un arrêt du 9 septembre 2014. Elle a ainsi retenu, préalablement, que « les dispositions de l’article L. 124-5 sont, aux termes de l’article L. 111-2, d’ordre public », avant d’en déduire que, « dès lors, la disposition contractuelle contenue à l’article 2.5 du contrat d’assurance, qui d’ailleurs ne reproduit pas le texte du troisième ou du quatrième alinéa de l’article L. 124-5 […], selon laquelle la garantie n’est pas applicable en cas de non-paiement de la cotisation, doit être considérée comme non écrite » (Montpellier, 9 sept. 2014, n° 13/01356, Dalloz jurisprudence).

On peut à présent se féliciter de ce que la résistance des cours d’appel n’ait pas été vaine, au point d’inciter la deuxième chambre civile à faire machine arrière.

Le revirement confirmé de la deuxième civile de la Cour de cassation en 2019

Dernièrement, la jurisprudence a rappelé que la garantie étant déclenchée par la réclamation de la victime, la seule circonstance que le fait dommageable soit antérieur à la prise d’effet de la garantie ne suffisait pas à exclure sa mise en œuvre (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-14.661, RGDA 2015. 269, note A. Pélissier ; RCA 2015, n° 187, note H. Groutel). En outre, le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage (Civ. 3e, 12 oct. 2017, n° 16-19.657, D. 2017. 2098 ; AJDI 2018. 36 , obs. F. de La Vaissière ; Gaz. Pal. 19 déc. 2017, note D. Noguéro ; RGDA 2017. 627, note A. Pélissier).

Il est déjà arrivé, par le passé, que la Cour de cassation censure une clause définissant le sinistre par référence à la manifestation du dommage, et aux termes de laquelle l’assureur refuse sa garantie en présence de dommages se manifestant après l’extinction du contrat (Civ. 1re, 30 mars 1994, n° 92-15.664, Bull. civ. I, n° 120 ; 9 mai 1994, RCA 1994, comm. n° 307, obs. H. Groutel). Puis, sur le fondement d’une notion depuis abandonnée dans la réforme du droit des contrats, la Cour de cassation a admis que « toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite » (Civ. 1re, 16 déc. 1997, n° 94-17.061, Bull. civ. I, n° 370 ; D. 1998. 287 , note Y. Lambert-Faivre ; JCP 1998. II. 10018, concl. P. Sargos ; 3 juill. 2001, RGDA 2001. 104, note L. Mayaux ; RCA 2001, comm. n° 338 ; ibid. chron. n° 21, obs. H. Groutel).

En d’autres termes, la haute juridiction a donc combattu « toute inadéquation de la durée de la garantie d’assurance de responsabilité civile à la durée de la responsabilité encourue par l’assuré » (L. Grynbaum [dir.], Assurances. Droit & pratique, L’Argus de l’assurance, 6e éd., 2019/2020, n° 4088).

La première chambre civile a réitéré cette même formule dans un arrêt du 28 septembre 2004. Toute clause, même d’un contrat d’assurance facultative, ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite (Civ. 1re, 28 sept. 2004, n° 01-11.474, Bull. civ. I, n° 212 ; D. 2004. 2688 ). La deuxième chambre civile a suivi en 2005 (Civ. 2e, 21 avr. 2005, n° 03-20.683, Bull civ. II, n° 108 ; D. 2005. 1303 ; Just. & cass. 2006. 308, rapp. R. Lafargue ; ibid. 314, concl. R. Kessous ). La chambre commerciale, en 2010 (Com. 14 déc. 2010, nos 08-21.606 et 10-10.738, Bull. civ. IV, n° 200 ; D. 2011. 167 ), et la troisième chambre civile, en 2015 (Civ. 3e, 26 nov. 2015, n° 14-25.761, D. 2016. 458 , note R. Boffa ; ibid. 566, obs. M. Mekki ; RDI 2016. 42, obs. J. Roussel ; ibid. 282, obs. H. Périnet-Marquet ; RCA 2016, comm. n° 90, note H. Groutel) puis en 2016 (Civ. 3e, 21 janv. 2016, n° 14-27.054, RGDA 2016. 149, note L. Mayaux) ont confirmé cette position à propos de clauses excluant l’indemnisation. En définitive, « nul doute que l’assureur ne saurait neutraliser son obligation de règlement par une stipulation d’une clause exclusive de responsabilité » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, 2018, p. 483, n° 500).

Dans cet esprit, mais en lien avec la garantie subséquente, la deuxième chambre civile revient sur sa position contra legem de 2012 avec l’arrêt du 25 septembre 2019. Au prix d’un revirement, qu’il convient de saluer, la Cour de cassation a rappelé, d’une part, « qu’il résulte des dispositions de l’article L. 124-5 du code des assurances, qui ne peuvent être modifiées par convention en application de l’article L. 111-2 du même code, que la garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres » ; d’autre part, « que l’article L. 113-3 de ce code qui fixe les modalités dans lesquelles la garantie peut être suspendue et le contrat résilié en cas de non-paiement des primes ne fait pas obstacle à l’application de l’article L. 124-5 du code des assurances lorsque le fait engageant la responsabilité de l’assuré survient à une date à laquelle la garantie était en vigueur, peu important que la première réclamation n’ait été effectuée qu’après la résiliation du contrat, dans le délai de garantie subséquente » ; enfin, « qu’ayant exactement relevé que l’article L. 124-5 du code des assurances étant d’ordre public, la clause de la police d’assurance selon laquelle la disposition de ce texte concernant la garantie pendant le délai subséquent n’était pas applicable en cas de résiliation pour non-paiement de la prime était illicite et devait être réputée non-écrite ».

La Cour de cassation conclut que la cour d’appel en a à bon droit déduit que la garantie de la société d’assurance était due « après avoir constaté que le fait dommageable était survenu le 17 avril 2007, que la résiliation du contrat d’assurance pour non-paiement de la prime, qui avait donné lieu à une vaine mise en demeure du 12 décembre 2007, était intervenue le 21 mai 2008 suivant lettre recommandée faite à cette date et que la première réclamation, formalisée par la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale, était intervenue le 3 septembre 2010, dans le délai de cinq ans de la résiliation de ce contrat ».

Diverses dispositions convergent désormais pour ne plus sacrifier l’assuré sur l’autel du rapport de force lors de la souscription et lutter ainsi contre des clauses illicites insérées par les assureurs dans les contrats qu’ils proposent et dont une majeure partie sont aussi d’adhésion (C. civ., art. 1110, al. 2 : « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties »). Avec d’autres, on peut gager que le juge s’inspirera de l’article 1171 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, ou des listes du code de la consommation lorsqu’il s’agira de déclarer abusive (C. consom., art. L. 212-1, R. 212-1 et R. 212-2) ou de réputer non écrite telle ou telle clause, à l’instar d’un arrêt du 11 décembre 2019 dont la portée « déborde potentiellement du seul droit de la consommation (déjà tentaculaire) » (J.-D. Pellier, Retour sur les clauses noires, sous Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-21.164, Dalloz actualité, 24 déc. 2019).

L’on sait aussi que réputer non écrite une clause en vertu de l’article L. 241-1 du code de la consommation ne constitue pas une nullité selon la jurisprudence la plus récente (Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ). L’effet est le même, dans une police d’assurance, pour une clause illicite et réputée non écrite. Elle ne génère pas sa nullité.

Le professeur Delebecque a témoigné, dernièrement, que « le droit ne doit pas être le reflet de la mode ou d’une mode » (P. Delebecque, « “L’attractivité” du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ?», in Mélanges en l’honneur du professeur Laurent Aynès. Liberté, justesse, autorité, LGDG, 2019, p. 185 s., spéc. p. 193) ni le reflet, osons-nous ajouter, de pratiques – illicites et aux multiples figures (v. dernièrement, Dalloz actualité, 18 déc. 2019, obs. R. Bigot) –, avec lesquelles des dispositions d’ordre public, comme l’article L. 124-5 du code des assurances, doivent demeurer parfaitement étanches.

La commission des lois a adopté mercredi une proposition de loi sur les violences conjugales. Quatrième texte sur le sujet en dix-huit mois, le texte vient compléter les dispositifs existants plus que révolutionner la loi. Les députés ne l’ont d’ailleurs presque pas modifié, ayant épuisé les réformes législatives à faire. Récit.

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Auteur d'origine: Bley

La garde des Sceaux et le secrétaire d’État aux retraites ont, dans un courrier reçu mercredi 15 janvier par la présidente du Conseil national des barreaux (CNB), donné des « garanties » aux instances de la profession d’avocat.

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Auteur d'origine: babonneau

Mercredi 15 janvier, des avocats volontaires du barreau de Paris ont assuré un troisième jour de « défense massive » des prévenus dans les deux chambres de comparutions immédiates, la 23.1 et la 23.2. 

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Auteur d'origine: Bley

L’article L. 124-5 du code des assurances étant d’ordre public, la clause de la police d’assurance selon laquelle la disposition de ce texte concernant la garantie pendant le délai subséquent n’était pas applicable en cas de résiliation pour non-paiement de la prime était illicite et devait être réputée non écrite.

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Auteur d'origine: Dargent

Seule la faute de la victime directe doit être prise en compte par le juge pour déterminer si la réparation doit être refusée ou si son montant doit être réduit. L’existence d’un recours subrogatoire est indifférente dans cette détermination et la faute de la victime directe est opposable à la victime indirecte même « innocente ». 

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Auteur d'origine: Dargent

L’arrêt rapporté apporte d’utiles précisions sur la mission de l’amiable compositeur confronté aux règles d’ordre public et sur l’intensité du contrôle auquel se livre le juge de l’annulation.

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Auteur d'origine: Dargent

Le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers ont annoncé, hier, que la rencontre avec la garde des Sceaux et le secrétaire d’État en charge des retraites, qui avait eu lieu plus tôt dans la matinée, n’avait donné lieu « à aucune nouvelle proposition » pour la profession d’avocat.

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Auteur d'origine: babonneau

La cour d’appel est immédiatement dessaisie par la notification de conclusions de désistement, n’ayant pas besoin d’être acceptées, parvenues en cours de délibéré.

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Auteur d'origine: laffly

Un décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 relatif à la procédure accélérée au fond devant les juridictions judiciaires a été publié au Journal officiel du 22 décembre.

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Auteur d'origine: Dargent

La déclaration d’appel affectée d’un vice de forme mais signifiée dans le délai légal requis est valable.

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Auteur d'origine: Dargent