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Saisi par sept associations et sept particuliers d’origine étrangère dans l’impossibilité de déposer une demande d’asile, le tribunal administratif de Paris avait, par une ordonnance du 21 avril, enjoint aux préfets d’Île-de-France de rétablir le dispositif d’enregistrement des demandes d’asile et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de procéder à la réouverture de la plateforme téléphonique. Le ministre de l’Intérieur et l’OFII ont tous deux fait appel, respectivement les 24 et 26 avril, demandant ainsi au Conseil d’État d’annuler cette ordonnance.

Si le ministre de l’Intérieur soutient qu’il n’appartient pas au juge des référés d’enjoindre à l’administration de tenir une conduire particulière, le Conseil d’État a rappelé que « le juge des référés peut ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit de mesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte » en application des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Il a également rappelé que le droit d’asile constitue une liberté fondamentale.

Atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile désormais constituée

Le Conseil d’État, après avoir énoncé les circonstances particulières liées à l’épidémie de covid-19 et aux mesures de confinement prises pour contenir sa propagation, a évoqué le fait qu’il avait déjà statué en faveur de l’administration dans une précédente ordonnance (CE, ord., 9 avr. 2020, n° 439895) et jugé que la fermeture des guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) en Île-de-France ne constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile en raison de deux aménagements propres aux conditions particulières de la situation sanitaire. Toutefois, il a jugé, dans la présente ordonnance, que ces aménagements n’étaient pas effectifs et que la carence de l’administration constitue désormais une atteinte grave et manifestement illégale.

En effet, d’une part, l’administration s’était engagée à continuer à procéder à l’enregistrement des demandes d’asile des personnes vulnérables « sous la responsabilité des préfecture et en liaison avec les associations ». Devant les seulement six signalements de personnes vulnérables mis en avant par le ministre de l’Intérieur, le Conseil d’État a jugé que ce dispositif, « peu ou pas connu par les personnes intéressées, mais aussi par les associations qui leur viennent en aide, ne saurait constituer la continuation de l’enregistrement des demandes d’asile pour ces personnes ». Il semble ainsi reprocher aux préfectures l’absence de communication dévolue à ce dispositif à l’égard des personnes concernées et des associations ainsi que le manque de coopération avec les associations d’aide aux demandeurs d’asile. Selon le Conseil d’État, les préfectures n’ont ainsi pas mobilisé les moyens nécessaire pour permettre aux personnes vulnérables de déposer une demande d’asile.

D’autre part, les préfectures devaient procéder à un recensement des personnes manifestant leur volonté de déposer une demande d’asile. Le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’une consigne avait été donnée en ce sens sans donner davantage de précisions imposant ainsi au Conseil d’État de considérer que ce recensement n’était pas effectif.

Rejet de tous les arguments du ministre de l’Intérieur

Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur a invoqué, à la fois, un manque de moyens humains dû au placement d’agents en autorisation spéciale d’absence et à l’affectation des agents restants à d’autres missions, sans toutefois expliquer la priorité donnée à ces dites missions, et les difficultés pour faire respecter les mesures de protection et de distanciation sociale dans les GUDA. Le Conseil d’État a rejeté ces deux arguments, s’appuyant notamment sur les déclarations orales de la représentante de l’OFII selon lesquelles la plateforme téléphonique permettait d’éviter tout regroupement et de contrôler le flux de personnes, et invoquant l’exemple de la continuité de l’enregistrement des demandes d’asile dans les départements particulièrement touchés par l’épidémie comme le tribunal administratif l’avait fait en première instance.

Enfin, le Conseil d’État, s’il a pris note des arguments du ministre de l’Intérieur selon lesquels aucune mesure d’éloignement n’est prise pour les personnes manifestant leur volonté de déposer une demande d’asile, que le délai de quatre-vingt-dix jours au-delà desquels le préfet peut placer un demandeur d’asile en procédure accélérée ne commencerait qu’à l’issue de la fin de l’état d’urgence sanitaire, que la réouverture des GUDA est prévue dans les plans de continuité à partir du 11 mai et que des mesures ont été prises pour pallier l’absence d’ouverture du bénéfice des conditions matérielles de l’asile, a constaté une carence de l’État dans l’enregistrement des demandes d’asile.

Il a ainsi enjoint au ministre de l’Intérieur de rétablir l’enregistrements des demandes d’asile en Île-de-France, dans un délai de cinq jours, en ajoutant toutefois la priorité donnée aux personnes vulnérables, et à l’OFII de rétablir le fonctionnement de la plateforme téléphonique. Cette décision apparaît ainsi comme une victoire des associations qui s’en sont réjouies dans un communiqué de presse commun, l’État étant, en outre, condamné à leur verser la somme de trois mille euros.

Une condamnation de principe

Toutefois, d’une part, cette ordonnance, réduit l’obligation faite au ministre de l’Intérieur et ainsi aux préfectures par rapport à l’ordonnance du tribunal administratif de Paris, avec la priorité donnée aux personnes vulnérables, permettant ainsi à l’administration d’écarter des demandes d’asile jugées non urgentes, sans que les critères de la vulnérabilité soient davantage définis.

D’autre part, le ministre de l’Intérieur, en faisant appel de la décision du tribunal administratif du 21 avril lui donnant un délai de cinq jours pour rétablir l’enregistrement de la demande d’asile, a gagné un délai supplémentaire de cinq jours après la notification de la présente ordonnance, lue le 30 avril. Cela alors même que les longs week-ends de mai s’enchaînent et que la réouverture des GUDA est prévue dans les mesures de déconfinement pour la période qui s’ouvre à partir du 11 mai. La condamnation est donc de principe seulement car la pratique va s’en trouver peu bousculée.

Reste à s’interroger sur la position de l’OFII qui a fait appel le 26 avril, décalant ainsi la prise de décision du Conseil d’État, déjà saisi le 24 avril par le ministre de l’Intérieur, pour jonction des deux affaires. L’OFII avait ainsi indiqué en première instance être prêt à rétablir sans délai la plateforme téléphonique et a déclaré devant l’audience au Conseil d’État que cette plateforme permettait justement le respect des mesures de distanciation sociale dans les GUDA, rendant ainsi possible la réouverture de ces derniers.

Auteur d'origine: pastor

Le 17 mars dernier, une cinquantaine de migrants a, dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre, investi la rocade portuaire de Calais, formé des barrages et tenté de s’introduire à l’arrière des poids lourds. Loin d’être un événement isolé, la présence d’étrangers sur la route menant à l’Eurotunnel fait régulièrement intervenir les forces de police. L’opération du 20 juin 2016 en est un exemple. Les fonctionnaires y avaient été envoyés afin de démanteler les barrages et éloigner les migrants de la voie publique, à l’aide, au besoin, de gaz lacrymogènes et de lanceurs de balles de défense. Au cours de l’intervention, M. K., un des migrants attroupés, prétend avoir été grièvement blessé à la tête par un projectile provenant d’un lanceur de balles de défense. Il a ainsi saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille afin que lui soit désigné un expert chargé d’apprécier les conséquences médicales de ses blessures et d’évaluer l’ensemble du préjudice subi. Par une ordonnance du 7 janvier dernier, le juge s’est déclaré incompétent pour connaître du litige, qualifiant la nature de l’opération de police de judiciaire et non d’administrative. M. K. a relevé appel de la décision auprès de la cour administrative d’appel de Douai.

Il revenait ainsi à la CAA de statuer sur la nature de l’opération de police afin d’identifier la juridiction compétente.
L’interrogation provenait du fait que les forces de l’ordre s’étaient trouvées en face d’entraves à la circulation, lesquelles constituent un délit au regard des dispositions de l’article L. 412-1 du code la route. Or, il revient à la police judiciaire, en vertu de l’article 14 du code de procédure pénale, de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs.

Néanmoins, la CAA rappelle l’objectif de la mission pour laquelle la police était intervenue : « […] même si l’occupation de voies publiques constitue un délit d’entrave […], il résulte de l’instruction […] et sans qu’y fasse obstacle la circonstance mentionnée dans le compte-rendu de la direction départementale de la sécurité publique de l’existence d’entraves à la circulation, que les forces de police avaient été dépêchées sur place pour maintenir l’ordre public et non pour constater des infractions à la loi pénale et en rechercher les auteurs ». Elle en conclue que « l’opération de maintien de l’ordre du 20 juin 2016 revêtant dès lors le caractère d’une opération de police administrative, la juridiction administrative est compétente pour connaître d’un litige portant sur la responsabilité de l’État quant à ses compétences dommageables ».

Autrement dit, les forces de police ont certes agi en présence d’infractions pénales, mais leur action ne visait pas à en interpeller ni à en intercepter les auteurs sur ce motif sinon à les faire se déplacer hors de la voie publique et à rétablir la circulation, dans un souci, de toute évidence, de sécurité et de tranquillité publiques.

En somme, ce sont les actes effectifs des forces de l’ordre et l’objectif qui les sous-tendent qui déterminent la nature administrative ou judiciaire de l’opération de police. Le simple contexte dans lequel elles agissent n’a pas d’influence sur cette nature.

En outre, la CAA rappelle la compétence du juge administratif en matière de responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure – au titre des dégâts et dommages résultants des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés contre les personnes et les biens – et ce, « y compris s’agissant d’un éventuel participant à l’attroupement, alors même qu’auraient été commis des crimes ou délits par les personnes s’étant attroupées ».

L’ordonnance est ainsi annulée et il est fait droit à la demande d’expertise.

Auteur d'origine: pastor

Il aura fallu deux ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Nantes pour mettre fin au couvre-feu imposé par le maire de Cholet à ses administrés.

Par une première ordonnance du 24 avril, ce juge, saisi par la Ligue des droits de l’homme, a suspendu l’exécution de l’arrêté du 14 avril du maire de la commune du Maine-et-Loire interdisant la circulation de 21 heures à 5 heures. Il a estimé que ni les risques de saturation – au demeurant non démontrés – des capacités de réanimation de l’hôpital, ni les procédures engagées pour non-respect du confinement, ni l’approbation du couvre-feu par certains habitants sur les réseaux sociaux ne constituaient des « raisons impérieuses, propres à la commune » justifiant l’arrêté. En outre, « ce même arrêté apparaît susceptible de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, les citoyens choletais se voyant appliquer une double réglementation ayant le même objet et dont le non-respect est sanctionné de manière différente ».

Immédiatement, le maire a annoncé son intention de reprendre un arrêté couvre-feu de 22 heures à 5 heures au motif que les décisions d’une collectivité « ne sont pas prises par une association politisée, aux convictions totalitaristes, ni par des juges mais par des personnes élues au suffrage universel, engagées pour protéger leurs concitoyens ». Derechef, la Ligue des droits de l’homme a déposé un nouveau recours.

Par une ordonnance du 28 avril, le juge des référés a suspendu cette « décision verbale ». Il a en effet estimé que « la formulation de cette communication, son contexte, particulièrement polémique, et la façon dont la presse en a rendu compte ne laissai[en]t pas la place à la moindre ambiguïté quant à la portée pratique de la nouvelle restriction de circuler faite à la population de la commune et ce, dès le vendredi 24 avril 2020 ». Le juge a, en outre, enjoint au maire « d’informer les habitants de Cholet, par voie de presse et dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance, de ce qu’aucune restriction à la circulation autre que celles édictées par les autorités compétentes de l’État n’est désormais applicable sur le territoire de cette commune ».

Auteur d'origine: Montecler

Après avoir cessé toute activité le 16 mars, la société Burger House 92, société de restauration rapide installée à Colombes, a décidé de reprendre une activité de vente à emporter et de livraison à compter du 5 avril. À la suite d’un contrôle de police constatant le non-respect des mesures barrières, le préfet des Hauts-de-Seine a, par arrêté du 9 avril, prononcé la fermeture du lieu jusqu’au 11 mai. La société Burger House 92 a saisi le juge des référés, statuant sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, aux fins d’ordonner la suspension de l’exécution de cette décision.

Le préfet des Hauts-de-Seine a motivé son arrêté par les circonstances qu’« aucun dispositif de distanciation sociale et aucun marquage au sol ne sont présents » et que « les clients étaient sans attestation valable et ont été à ce titre verbalisés ». Toutefois, il ressort de constats d’huissier produits par la société requérante, établis à partir du visionnage des enregistrements du système de vidéosurveillance, qu’un marquage au sol a bien été apposé dans l’établissement, sous forme d’adhésif de couleur, afin que les clients respectent les règles de distanciation sociale et que des chaises ont été placées devant le comptoir afin de garantir la distance minimale entre le client et l’employé de l’établissement.

Ainsi, selon le juge des référés, « la matérialité des faits fondant la mesure de fermeture de l’établissement n’est pas établie, alors que le second motif, tiré de l’absence de possession par les clients d’une attestation dérogatoire valable ne saurait être opposé à l’établissement qui n’est pas en droit de les contrôler ».

Dès lors, l’arrêté du préfet des Hauts-de-Seine portant fermeture de l’établissement Burger House 92 portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie.

Auteur d'origine: pastor

Parmi les signataires de cet appel, pour n’en citer que quelques-un.e.s : Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté ; Vincent Delbos, magistrat, ancien membre du Mécanisme national de prévention ; Mairead Corrigan Maguire, prix Nobel de la paix de 1976 ; Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme ; Bruno Cotte, ancien président de chambre à la Cour pénale internationale ; Alvares Gil Robles, premier commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ; Pascal Lamy, ancien commissaire européen ; Nils Muiznieks, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ; Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme ou encore Mireille Delmas-Marty, professeure honoraire au Collège de France et membre de l’Académie des sciences morales et politiques. L’appel est donc lancé par des personnalités éminentes du monde juridique des États membres, des juridictions internationales et régionales, voire d’institutions comme le Conseil de l’Europe, la Commission ou le Parlement européen. Leur point commun : tous et toutes s’inquiètent des conditions de détentions des personnes privées de liberté et de rétentions des demandeurs d’asile.

Des inquiétudes partagées quant aux conditions sanitaires des prisons et des centres de rétention

L’appel s’inscrit dans un contexte de vives critiques à l’égard des États membres, notamment à l’égard des autorités françaises, de la part de multiples organisations non gouvernementales, comme la Ligue des droits de l’homme, ou d’institutions de contrôle, comme le Défenseur des droits ou encore le Contrôleur des lieux de privation de liberté. En France, en effet, les recours se multiplient pour demander la réduction de la population carcérale, l’amélioration des conditions sanitaires dans les centres de rétention et les prisons ou encore la limitation des prolongations des détentions provisoires. Or à ce jour, seules 9 000 personnes ont été libérées en application de l’ordonnance du 25 mars 2020. Du côté des centres de rétention, consécutivement aux contrôles réalisés dans les centres de Paris-Vincennes et du Mesnil-Amelot, le Contrôleur général des lieux de privations de liberté a saisi le 20 avril le ministre de l’intérieur afin de lui faire état du risque sanitaire significatif pesant sur les personnes retenues et sur les fonctionnaires assurant leur prise en charge. Le Défenseur des droits a par ailleurs recommandé la fermeture de tous les centres de rétention encore en activité ainsi que la libération de tous les étrangers actuellement retenus (décis. n° 2020-96, 17 avr. 2020). Pour l’instant, seul le centre de Vincennes a été fermé à l’issue d’une procédure de référé-liberté (TA Paris, ord., 15 avr. 2020, n° 20062879, Dalloz actualité, 22 avr. 2020, obs. J.-M. Pastor). Il y a quelques jours, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a par ailleurs enjoint le rétablissement du dispositif d’enregistrement des demandes d’asile en Île-de-France (TA Paris, ord., 21 avr. 2020, n° 2006359, Dalloz actualité, 24 avr. 2020, obs. C. Castielle).

Un appel à une amnistie immédiate pour les personnes vulnérables et au recours accru aux mesures alternatives à la détention

Selon les signataires de l’appel, les craintes relatives aux conditions sanitaires durant la pandémie pèsent sur les « personnes privées de liberté comme [sur] ceux qui en ont la charge ». Pour y remédier, ils expliquent que « parmi les réponses possibles à une telle situation, en particulier dans les lieux de captivité, la première urgence serait de décréter, en raison de l’urgence sanitaire, une amnistie immédiate, responsable et solidaire, pour protéger, parmi celles et ceux qui sont privés de leur liberté, les plus vulnérables, notamment les femmes enceintes, les plus âgés, les enfants, les handicapés, etc. En outre, de manière concertée, des solutions massives d’alternatives à la privation de liberté doivent être mises en place. De telles solutions ont été mises en œuvre dans d’autres parties du monde ».

La formule est donc large. La catégorie des « personnes vulnérables » n’est pas précisée. La notion de « privation de liberté » ou de « lieu de captivité » apparaît également pour le moins englobante et il n’est pas expliqué si un tel appel touche les personnes poursuivies, les personnes condamnées ou les deux.

Un appel aux institutions de l’Union européenne

Pourquoi avoir adressé un tel appel aux institutions européennes ? La démarche peut surprendre puisque la gestion des conditions carcérales relève principalement de la responsabilité des États membres. Toutefois, ces questions peuvent, dans certains cas, être traitées par l’Union. Telle est du moins la position adoptée par la Commission européenne dans son livre vert de 2017 (Commission européenne, Renforcer la confiance mutuelle dans l’espace judiciaire européen. Livre vert sur l’application de la législation de l’UE en matière de justice pénale dans le domaine de la détention, COM[2011]327) ainsi que du Parlement européen (v. par ex. la résolution sur les systèmes pénitentiaires et les conditions dans les prisions, 6 oct. 2017, n° 2015/2062[INI], JOUE C 346/94, 27 sept. 2018, qui considère spéc. « que les conditions de détention et la gestion des prisons relèvent de la responsabilité des États membres, mais que l’Union a également un rôle nécessaire à jouer dans la sauvegarde des droits fondamentaux des détenus et dans la création de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice ; considérant qu’il revient à l’Union européenne d’encourager l’échange de bonnes pratiques entre les États membres face à des problèmes communs qui soulèvent de réels enjeux sécuritaires sur le territoire européen ; résolution 25 nov. 2009 sur le programme de Stockholm [P7_TA(2009)0090] ; résolution du 15 déc. 2011 sur les conditions de détention dans l’Union [2011/2897(RSP)] ; du 27 févr. 2014 contenant des recommandations à la Commission sur la révision du mandat d’arrêt européen [2013/2109(INL)] ; du 2 avr. 2014 sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm [2013/2024(INI)]).

Les signataires de l’appel ajoutent par ailleurs qu’ils invitent « instamment à demander dans les plus brefs délais aux États membres de décider selon le droit en vigueur de larges mesures d’amnistie dont les principes, définis en commun dans l’Union européenne, reposeront sur nos valeurs communes, et en premier lieu la Charte des droits fondamentaux qui, dans son article premier, proclame que « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ». Ainsi, très concrètement, l’appel semble espérer aboutir à la formulation de résolutions et recommandations par les institutions de l’Union à l’adresse des États membres.

Un appel fondé sur l’inviolabilité du principe de dignité humaine

L’appel se fonde en particulier sur l’article premier de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui prévoit l’inviolabilité de la dignité humaine. Il n’existe en effet pas de disposition plus spécifique qui permettrait aux signataires, ou aux institutions de l’Union, de renforcer un tel fondement juridique. Les détenus ou les personnes en centre de rétention ne sont pas directement protégés par les dispositions de la Charte, et c’est donc par le biais des dispositions générales que les personnes privées de liberté peuvent se prévaloir d’une protection. Il est en revanche possible raisonner par analogie avec le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme (à laquelle les États n’ont pas entendu déroger à la suite du coronavirus : v. Dalloz actualité, 17 avr. 2020, obs. O. Baillet). La Cour européenne des droits de l’homme a en effet abandonné dans un arrêt du 21 février 1975 la théorie des limitations implicites inhérentes à la privation de liberté (CEDH 21 févr. 1975, Golder c. Royaume-Uni, req. n° 4451/70). La Cour a par ailleurs depuis affirmé que « la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons » (CEDH 28 juin 1984, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, req. nos 7819/77 et 7878/77). Le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe a d’ailleurs adopté le 20 mars, dès le début de l’épidémie, une déclaration de principes relative au traitement des personnes privées de liberté dans le contexte du coronavirus (v. Dalloz actualité, 27 mars 2020, obs. C. Collin). Or, si celle-ci énonce que « des efforts concertés devraient être mis en œuvre par toutes les autorités compétentes pour recourir à des mesures de substitution à la privation de liberté. Une telle approche s’impose, en particulier dans les situations de surpopulation. En outre, les autorités devraient recourir davantage aux alternatives à la détention provisoire, aux peines de substitution, à la libération anticipée et à la mise à l’épreuve ; réévaluer la nécessité de poursuivre le placement non volontaire des patients psychiatriques ; libérer les résidents des foyers sociaux ou leur assurer une prise en charge dans la collectivité, dans la mesure du possible ; et s’abstenir, dans toute la mesure du possible, de détenir des migrants », elle ne va pas toutefois pas jusqu’à demander l’amnistie des personnes privées de liberté, même lorsqu’elles sont vulnérables.

Pour l’instant, les institutions européennes sont restées silencieuses à cet appel. L’espoir est permis mais il semble peu probable, alors que l’Union se heurte dans la période actuelle à la volonté de ses États membres de protéger leur souveraineté nationale, qu’une telle démarche soit couronnée de succès. 

Auteur d'origine: ccollin

Comme pour l’état d’urgence en 2015 et 2016, les projets de loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire sont l’occasion pour le gouvernement d’introduire ou de préciser certaines des mesures. La commission des lois du Sénat débattra du projet de loi dès lundi et il sera mardi en séance. Mercredi et jeudi, ce sera au tour de l’Assemblée nationale. En cas de commission mixte paritaire conclusive le 8 mai, le texte pourrait ainsi entrer en application dès le début du déconfinement, le 11 mai.

Précisions sur la mise en quarantaine

L’article premier de l’avant-projet prévoit de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet. Une durée qui pourrait évoluer pendant les débats parlementaires.

Les articles suivants modifient les mesures permises par cet état d’urgence. Actuellement, cet état d’urgence sanitaire permet la mise en quarantaine et l’isolement de personnes, des mesures jusqu’ici uniquement mises en place en outre-mer. Le projet de loi prévoit que le ministère pourra fixer, après accord du comité scientifique, la durée et les conditions d’une mesure de quarantaine avec isolement. Lors de son discours, Édouard Philippe a précisé que ces conditions d’isolement pourraient être adaptées en fonction des régions. La quarantaine pourra se faire soit au domicile (dans ce cas, tout le foyer sera confiné), soit dans des hôtels réquisitionnés.

Restriction importante par rapport au droit actuel, en l’état du projet de loi, la quarantaine ne pourra être imposée qu’en cas d’arrivée sur le territoire national, dans une collectivité d’outre-mer ou en Corse. Elle sera dans ce cas décidée après constatation médicale de l’infection, par le préfet au vu du certificat médical. Cette quarantaine pourra aller jusqu’à l’interdiction de toute sortie du domicile. Dans ce cas, le juge des libertés et de la détention pourra être saisi par la personne à tout moment. Il statuera dans les soixante-douze heures. Ce juge pourra également s’autosaisir et son accord sera obligatoire pour une prolongation de la mesure au-delà de quatorze jours. Dans les autres cas ne prévoyant pas un isolement sans sorties, c’est le juge administratif des référés qui restera compétent. Il s’agit de séparer ici ce qui relève de la privation des libertés (juge judiciaire) de la restriction des libertés (qui restera de la compétence du juge administratif).

L’article 2 prévoit également de modifier d’autres mesures de l’état d’urgence sanitaire. Le gouvernement souhaite ainsi clarifier la disposition qui lui permet de réquisitionner des personnes (selon le Sénat, au moins 265 réquisitions de personnels de santé ont eu lieu depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, v. Dalloz actualité, 1er mai 2020, art. P. Januel). Il veut aussi réglementer plus simplement l’usage des transports ou l’ouverture de certains types d’établissements, en vue du déconfinement. Il ne s’agit plus de fermer les transports et les commerces, mais plutôt de les adapter (par exemple en imposant le port du masque).

Par l’article 5, le gouvernement souhaite aussi élargir les personnes habilitées à constater les infractions aux mesures de l’état d’urgence. Devraient ainsi pouvoir dresser les procès-verbaux les réservistes, les adjoints de sécurité, mais également les agents assermentés des services de transport, dès lors que la contravention aura lieu dans des transports publics.

Un fichier pour les enquêtes épidémiologiques

Dans son discours mardi à l’Assemblée, Édouard Philippe a insisté sur la nécessité de casser les chaînes de transmission, en identifiant au plus vite les personnes ayant été au contact des personnes infectées. Des brigades sanitaires, d’environ 20 000 à 30 000 personnes, seront chargées de remonter la liste des cas contacts, pour les inviter à se faire tester.

Pour cela, l’article 6 va créer une base de données pour ces enquêtes épidémiologiques. Ce fichier pourra contenir des données de santé et d’identification sur les personnes infectées et celles ayant été en contact avec elles, le cas échéant sans leur consentement. Il pourra également être nourri des données de Santé publique France, de l’assurance maladie et des agences régionales de santé. Les services de santé et les laboratoires autorisés à réaliser les tests pourront avoir accès aux données.

Les mesures d’application seront précisées par un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL, et par ordonnances. L’application de tracking StopCovid pourra être mise en place par ces ordonnances, mais le premier ministre a promis un débat et un vote spécifique, quand sa mise en œuvre aura avancé (v. Dalloz actualité, 29 avr. 2020, art. P. Januel).

Auteur d'origine: babonneau

C’en est donc fini du (gros) livre vert, ce volume que sa couleur permettait de repérer au premier regard dans la bibliothèque des publicistes. Le rapport public d’activité 2019 que le Conseil d’État a rendu public le 27 avril est totalement dématérialisé. Mis en ligne sur le site du Conseil et sur celui de la Documentation française, il s’enrichit de liens avec, notamment les décisions citées (curieusement sur le site Legifrance et non sur la base Ariane), mais aussi avec les textes cités et même les vidéos de certains colloques. Autre innovation : la création d’une quatrième partie portant sur l’activité de gestion de la juridiction administrative.

Au-delà du changement de forme, les lecteurs habituels retrouveront les informations que contient chaque année le rapport. Avec tout d’abord le bilan statistique complet de l’activité juridictionnelle, incluant cette année des éléments sur la Cour nationale du droit d’asile et sur la médiation (1040 médiations, dont 66 % engagées à l’initiative de la juridiction ont abouti à un accord).

Tous les niveaux de juridiction ont enregistré, en 2019, une nette hausse des recours : + 8,6 % pour les tribunaux administratifs, + 5,7 % pour les cours administratives d’appel, + 4,8 % pour le Conseil d’État (données nettes après déduction des séries). Si tous ont également accru encore le nombre d’affaires réglées (+ 6,5 % pour les TA, + 4,3 % pour les CAA, + 7,48 % pour le CE), le stock s’en est inévitablement trouvé légèrement accru. Les délais de jugement évoluent assez peu. A noter cependant que le délai moyen constaté des affaires ordinaires (hors référés et procédures soumises à un délai particulier) repasse la barre symbolique de l’année au Conseil d’État (1 an 6 jours contre 11 mois et 29 jours en 2018). S’agissant des domaines de contentieux, le poids du droit des étrangers ne cesse de s’accroître, représentant l’année dernier 51 % de l’activité des CAA.

Une pause des recours devant la CNDA

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a connu une pause dans l’augmentation des recours (moins de 1 % de hausse après 9,5 % en 2018 et + 34 % en 2017). La modernisation de ses méthodes de travail lui a permis d’augmenter considérablement le nombre d’affaires jugées (66 454, + 40,5 % par rapport à 2018), faisant baisser de 20 % le nombre des affaires en instance. Le délai moyen constaté reste cependant supérieur aux objectifs fixés par le législateur.

On notera également une hausse assez sensible de l’activité en matière d’exécution des décisions de justice (3757 demandes contre 3501 en 2018). L’augmentation atteint même 10 % devant les CAA. La plupart de ces demandes sont réglées au cours de la « phase administrative » de la procédure (69 % pour les tribunaux administratifs, 78 % pour les cours administratives d’appel et même 83 % pour le Conseil d’État). Ce taux pourrait même être plus élevé, relève le rapport si certaines administrations acceptaient de dialoguer avec la juridiction dans le délai de six mois dont l’expiration implique l’ouverture de la phase juridictionnelle. Si l’exécution des décisions du Conseil d’État semble plus aisée, des difficultés particulières sont constatées pour celles qui impliquent l’édiction ou l’abrogation d’un acte réglementaire, qui peuvent intervenir très tardivement.

Diversité et transformation numérique

L’activité consultative a été particulièrement soutenue en 2019. Les sections administratives ont examiné 1090 projets de texte (contre 976 en 2018). Comme il le fait de façon récurrente, le Conseil d’État a déploré à nouveau, en 2019, des délais de saisine trop courts et la qualité souvent insuffisante des études d’impact. Par ailleurs, quinze avis ont été rendus sur des questions posées par le gouvernement ou une collectivité d’outre-mer. Le rapport se contente de donner la liste des six dont le gouvernement ou la collectivité a autorisé la publication et qui figurent par ailleurs sur le site (en particulier sur la base Consilia web).

Innovation du rapport 2019, la quatrième partie consacrée à la gestion de la juridiction administrative présente tout d’abord les moyens (crédits, emplois). Elle expose ensuite « les grands projets de la justice administrative ». Le premier concerne l’engagement en faveur de la diversité et de l’égalité, notamment en matière de recrutement et de déroulement de carrière. Non sans fierté, le rapport rappelle que ces différentes actions ont permis au Conseil d’État et aux juridictions administrative d’obtenir le label « Diversité » délivré par l’AFNOR en février 2020 ainsi que le label « Egalité professionnelle » en mars 2020. Le deuxième concerne la transformation numérique, avec le développement de Télérecours pour les justiciables et le travail sur dossier dématérialisé pour les membres du Conseil d’État et les magistrats de tribunaux et des cours. Il insiste également sur l’ouverture de la juridiction, notamment vers le grand public.

Plaidoyer pour la hiérachisation de la jurisprudence

S’il est une tradition à laquelle le Palais Royal ne renonce pas c’est la présentation dans son rapport annuel d’une sélection de décisions. Une partie qui est introduite par le président de la section du contentieux lui-même, lequel insiste sur l’importance d’une telle hiérarchisation à l’heure des bases de données. Jean-Denis Combrexelle laisse en effet percer son inquiétude face à l’intrusion de l’algorithme dans le droit. « Tout cas particulier a déjà fait l’objet dans la masse des bases de données d’une « jurisprudence » portant sur un cas similaire. Il faut donc appliquer cette jurisprudence et s’en inspirer directement. Peu importe que cette « jurisprudence » résulte d’une décision rendue en chambre jugeant seule dans laquelle la formation de jugement a pris la précaution de dire que la solution s’appliquait « dans les circonstances particulières de l’espèce », déplore-t-il. « Notre responsabilité est d’expliquer que derrière une affaire A il n’y a pas un processus algorithmique qui conduit mécaniquement à une solution X mais que la jurisprudence repose sur du sens et de la cohérence qui peuvent aboutir à une solution Y ou Z. Le vrai travail du juriste porte sur la recherche de ce sens et de cette cohérence », insiste Jean-Denis Combrexelle.

Auteur d'origine: Montecler

Après le vote de la loi du 23 mars 2020 instaurant l’état d’urgence sanitaire, 25 ordonnances, 70 décrets et autant d’arrêtés ministériels, adoptés dans la foulée, ont créé un « arsenal juridique massif qui touche de très nombreux domaines, bien au-delà de la stricte question sanitaire », a expliqué le Réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire, qui regroupe des universitaires, associatifs, avocats et magistrats. La période de deux ans pendant laquelle l’état d’urgence, instauré après les attentats de novembre 2015, était en vigueur, avait été l’occasion de faire accepter et de pérenniser de nouvelles règles, plus restrictives des libertés, au nom de la lutte contre le terrorisme. « Il nous faut être vigilants sur l’effet d’aubaine, on s’inquiète de l’effet de laboratoire du régime d’exception : rendre acceptables des mesures qui en temps normal font l’objet de débats et de processus de validation complexes », a expliqué mercredi Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit à Nanterre, lors d’une conférence de presse.

La note produite par le collectif part d’un constat simple : avec le confinement généralisé, jamais la France n’avait autant restreint les libertés (de réunion, d’aller et venir, etc.) La portée de ces restrictions dépasse le strict cadre sanitaire, afin d’adapter les secteurs de l’économie et de la société au rythme instauré par le confinement. En outre, « depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, on assiste à une prolifération, souvent anarchique, voire fantaisiste, d’arrêtés municipaux et préfectoraux qui, localement, aggravent les mesures générales », dit la note. Les arrêtés « couvre-feu », ou « antibruit » fleurissent de manière disparate sur l’ensemble du territoire, ainsi que ceux restreignant encore plus la liberté de circulation. Ces décisions de police administrative ont souvent été retirées ou suspendues.

Prolongation automatique de détentions provisoires

La note souligne que le très grand nombre d’ordonnances (31), s’il s’explique par la nécessité de réorganiser différents secteurs, a aussi permis l’adoption de mesures « dont la nécessité est très discutable au regard de la crise sanitaire ». L’ordonnance « procédure pénale », et plus particulièrement les dispositions relatives à la détention provisoire, pose problème. Son article 16 permet une prolongation automatique lorsque les délais « maximums » sont atteints. L’article 19 du même texte dispose que la prolongation des détentions provisoires intervient sur décision du juge des libertés et de la détention (JLD), qui statue après un débat écrit si le débat par visioconférence n’est pas possible. La note qualifie ces dispositions d’« inintelligibles et contradictoires ». Cela a conduit à de très nombreux débats dans les juridictions, « comment fallait-il interpréter ce texte ? », se demande Sarah Massoud, présidente du syndicat de la magistrature (SM). Pour la plupart, ils étaient d’accord pour considérer que l’article 16 ne s’appliquait que lorsque les mandats de dépôt avaient été renouvelés autant de fois que le permet la loi, lorsque le délai maximum de détention provisoire est atteint. Mais une circulaire de la Chancellerie, suivie de mails insistants, a privilégié l’interprétation selon laquelle l’article 16 s’applique à tous les cas où un mandat de dépôt doit être renouvelé, et c’est cette dernière vision, martelée par la Chancellerie par plusieurs mails, qui s’est imposée dans la plupart des cours d’appel. « Seules deux chambres de l’instruction, Caen et Chambéry, n’ont pas appliqué la vision prônée dans la circulaire, mais dans le même temps, des magistrats continuaient d’organiser des débats lorsque cela était possible », explique Sarah Massoud. Les appels du parquet, très nombreux, ont conduit le plus souvent à une infirmation des ordonnances prises par les juges de première instance.

Mais les critiques, de partout, ont jeté le discrédit sur la validité de la circulaire, au regard du texte sur lequel elle s’appuie. La plupart des avocats pénalistes, des magistrats (voir ce jugement rendu à Épinal), mais aussi de nombreux parlementaires (comme Philippe Bas et Yaël Braun-Pivet) ont rejeté très clairement la lecture faite par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), comme le rappelle ce texte signé par un juge de Créteil (Val-de-Marne). Un pourvoi a été formé contre plusieurs arrêts, la Cour de cassation se réunira le 19 mai pour l’examiner, mais la Chancellerie a anticipé le revers judiciaire. « La chancellerie a rédigé ce tout nouveau projet d’ordonnance à la suite de contacts avec la Cour de cassation, qui a appelé à ce que ces textes soient modifiés au risque de voir un certain nombre de détentions provisoires invalidées », rapporte Sarah Massoud. Selon la magistrate, cette nouvelle ordonnance serait sans équivoque sur le fait qu’un débat doit se tenir lorsqu’il le peut. Elle entrerait en vigueur le 11 mai, et mettrait en place des mécanismes permettant au JLD de statuer de nouveau, permettant d’éviter l’invalidation de prolongations automatiques de détentions provisoires. « Victime de sa propre créature », le gouvernement, en bâclant son texte, en subit désormais les conséquences.

Le délit de non-respect du confinement (six mois d’emprisonnement et 3 750 € d’amende encourus si trois violations sont constatées en moins de trente jours) pose également problème. Le droit au recours est entravé, dans la mesure où un contrevenant dispose normalement de quatre-vingt-dix jours pour contester l’avis de contravention. Ensuite, en termes probatoires, le contrôle du juge se heurte à l’absence de constatation contradictoire de l’infraction qui est, par ailleurs, peu claire, ce qui pose un autre problème : comment entendre strictement la notion de « verbalisation à plus de trois reprises » ? Elle « ne permet pas de s’assurer qu’il s’agirait de décisions antérieures devenues définitives », est-il écrit.

Contrôle et contre-pouvoirs

La note produite par le Réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire s’attarde également sur le manque de contrôle de l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit tout d’abord du contrôle parlementaire : « Le parlement doit être en mesure d’évaluer, le 1er avril 2021 lors du réexamen intégral du régime d’exception, pour savoir s’il faut supprimer, laisser, renforcer les mesures prises », dit Sarah Massoud, qui constate qu’en dehors de deux missions (d’information et « de suivi »), aucun outil de contrôle n’est prévu, contrairement à l’état d’urgence « terroriste ».

Le contrôle juridictionnel, ensuite. « Entre le 10 mars et le 20 avril, le juge administratif suprême a été saisi de 125 requêtes contre des mesures réglementaires liées au covid-19 et quinze contre les moyens mis en œuvre », dit la note. Plus de 90 % de ces requêtes ont été rejetées, dont l’essentiel au « tri », c’est-à-dire sans débat ni audience. « Pour ce faire, il a souvent pris appui sur des déclarations ou promesses du gouvernement, même en l’absence de tout élément de concrétisation. Logiquement, cette absence de contrôle du juge administratif sur l’action du gouvernement soulève de nombreuses questions, tant il paraît protecteur de l’action étatique », est-il écrit.

Auteur d'origine: babonneau

Certains magistrats, surtout dans les (très) grandes juridictions, ont pu faire des arbitrages dès les premiers jours du confinement, en transmettant par exemple des lignes directrices aux services avec lesquels ils travaillent au quotidien. À Paris, les quinze juges ont même cosigné une note avec l’aide sociale à l’enfance (ASE) et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Mais, ailleurs, des magistrats ont perdu la main depuis des semaines et ne peuvent qu’entériner, parfois a posteriori, des choix faits par d’autres.

C’est en assistance éducative (AE), autrement dit au civil, que les magistrats naviguent le plus à vue. Naturellement, la quasi-totalité des droits de visite et d’hébergement (DVH) ont été suspendus, surtout ceux qui doivent être médiatisés : « Ce serait risqué pour tout le monde, y compris les familles d’accueil ou les établissements éducatifs ». Certaines maisons d’enfants à caractère social (MECS) ont fait preuve d’inventivité pour maintenir des activités, et des éducateurs se sont même confinés à temps plein avec les petits malades. Mais la situation est souvent plus problématique dans les foyers de l’enfance, surtout avec les ados : « Certains n’en ont rien à faire du confinement, ça crée même des tensions avec les autres jeunes. Ils ne les maîtrisent plus trop », explique par exemple Laurent Gebler, vice-président à Bordeaux.

À une poignée de kilomètres de là, à Libourne, Xavier Martinen est dans le flou : « Même les inspectrices de l’ASE n’ont les infos qu’avec beaucoup de retard. Il semblerait que le choix ait souvent été fait de rendre les enfants aux familles, sans en aviser personne ». Parfois, un critère informel s’est dégagé de lui-même : ceux qui rentraient déjà dans leurs familles le week-end y ont été renvoyés d’autorité pour le confinement. Au grand dam (notamment) de Kim Reuflet, vice-présidente à Nantes : « Globalement, les choix ont sans doute été faits avec discernement, mais ça interroge quand même notre place. Les enfants et les familles n’ont plus accès au juge, qui est condamné à valider les choix de l’administration ».

Idem pour le suivi en milieu ouvert (AEMO) dans les familles. Certains services ont été miraculeusement dotés en masques, et plusieurs juges saluent des initiatives, comme ce minibus qui sillonne les cités pour servir de salle d’entretien itinérante, ou ce département qui a mis sur pied un centre d’hébergement dans l’internat d’un collège. « Ça permet d’expérimenter d’autres modes de fonctionnement, et j’imagine que réinterroger certaines pratiques peut avoir du positif », philosophe une magistrate.

Mais certains juges sont vraiment inquiets, « surtout pour les familles en tout début de mesure, qui venaient seulement d’être convoquées ». À Bordeaux, Laurent Gebler explique que « les trois premières semaines, les services ne faisaient plus aucune visite, sauf situation d’extrême urgence. Maintenant que ça commence à durer, ils se rendent compte qu’il y a des familles avec lesquelles ils ne sont plus en contact du tout. Ils sont donc dans l’idée d’y retourner… sauf qu’ils n’ont pas de matériel ». « Clairement, il y a des trous dans la raquette, j’espère qu’on n’aura pas trop de mauvaises surprises », ajoute une autre magistrate.

« Depuis le début du confinement, rebondit un collègue, on a rendu moins d’ordonnances de placement provisoire (OPP) qu’en temps normal, alors qu’on voit bien, en service correctionnel, que les violences conjugales ont augmenté de plus d’un tiers. Donc notre impression, c’est que des enfants sont complètement sortis des radars. » Beaucoup doutent que l’augmentation du 119 compense réellement la quasi-disparition des autres modes d’informations préoccupantes, milieu scolaire, crèches, centres de loisirs ou médecine de ville. Une juge précise que « certaines situations qui étaient fragiles sont en train de basculer à cause du confinement. On a des parents qui mettent leurs enfants dehors ». Un autre enfonce le clou : « C’est le calme avec la tempête, les services nous disent que ça commence à craquer de partout ».

Les juridictions qui n’étaient pas déjà en « mode dégradé de base », consistant à statuer sans audience, « sur papier », dans les dossiers faisant (plus ou moins) consensus, y ont basculé avec les ordonnances. Celles qui le pratiquaient déjà en temps normal en sont rendues à prendre des libertés avec la lettre, parfois même l’esprit de ces mesures d’exception : « Mais bon, c’est déjà tellement la misère en temps normal qu’on ne peut pas vraiment faire pire », résume une vice-présidente. Impossible à ce stade d’envisager un retour à la normale : « Notre métier, c’est de recevoir des familles, des travailleurs sociaux, des fois dans le bureau on est quinze ! On va forcément devoir faire des choix difficiles ».

Pendant ce temps, au pénal, les défèrements se font naturellement rares (jusqu’à 90 % de baisse), y compris pour les mineurs non accompagnés (MNA). Demeurent des infractions au confinement, dans certaines juridictions seulement, un peu de stups et des violences, notamment intrafamiliales. Les audiences des tribunaux pour enfants (TPE) n’ont été maintenues que pour les détentions provisoires, pour lesquelles les juridictions considèrent que la prorogation dite « de droit » prévue par les ordonnances ne concerne pas les mineurs : « On ne s’est même pas posé la question ».

« On a remis en liberté tous les mineurs pour lesquels on pouvait mettre en place un projet convenable », explique Sophie Bouttier, vice-présidente à Marseille. Même son de cloche à Paris, qui « gère » en outre les détentions provisoires dans les dossiers terroristes : « On a pris un certain nombre de décisions de libération, mais on a eu des appels du parquet, et on a parfois été infirmés par la chambre de l’instruction ». Il y a peu de mineurs condamnés, et souvent pour de très courtes peines couvertes par les remises de peine supplémentaires exceptionnelles (RPSE) de deux mois, sans qu’il soit nécessaire de se saisir des autres dispositifs des ordonnances. Avant même leur entrée en vigueur, beaucoup de mineurs étaient d’ailleurs sortis : « On a tout de suite donné le maximum de RPS, et ce quel que soit le comportement en détention », explique-t-on par exemple dans la cité phocéenne.

Cependant, comme les lieux de détention, les centres éducatifs fermés (CEF) et renforcés (CER) sont souvent mutualisés entre plusieurs ressorts. Faute de directives claires et un tant soit peu harmonisées, beaucoup ont fait leur vie dans leur coin. « Le seul mineur en CEF que je suis en ce moment a été remis à sa famille, raconte-t-on dans une petite juridiction. Techniquement, on m’a demandé mon avis, mais après coup, et en me disant que je n’avais pas le choix. » Ailleurs, « un mineur très violent avec ses frères et sœurs a été sorti de son CEF pour être confiné avec eux, sans que j’en sois avisée… J’ai trouvé un peu surprenante cette façon de faire », euphémise une magistrate.

Plus largement, les juges des enfants regardent impuissants les procédures qui s’accumulent depuis le début de la grève des avocats. « On avait déjà des milliers de dossiers en attente au 31 décembre, or il ne s’est quasiment rien passé depuis », détaille Pascale Bruston, vice-présidente à Paris. « On a pris huit ou dix mois dans la vue, explique une autre juge. On va devoir mettre en examen en octobre ou novembre dans des affaires poursuivies en janvier, tout cela perd beaucoup de son sens et de sa pertinence. » Sans compter qu’une grosse réforme était censée arriver à l’automne : « Il est absolument impossible qu’on soit à stock pénal zéro au moment de l’entrée en vigueur, même reportée au printemps 2021 », s’alarme Kim Reuflet, de Nantes.

Anticipant l’inéluctable engorgement à la reprise, un magistrat d’une toute petite juridiction conclut : « Certains vont forcément se dire que sans juge, on ne s’en sort pas beaucoup moins bien, et qu’on est moins embêté. On va avoir beaucoup de mal à les déshabituer et à remettre le contradictoire et l’audience au cœur de notre fonctionnement quotidien ».

Auteur d'origine: babonneau

Rapidement, il a été mis en évidence des populations plus vulnérables à l’épidémie de covid-19 : les personnes en situation d’obésité, les personnes âgées avec des comorbidités et/ou en perte d’autonomie, les sujets très âgés. Selon le ministère des solidarités et de la santé, plus de 47 % des patients infectés entrant en réanimation sont en situation d’obésité, l’obésité augmentant significativement le risque d’être placé sous respiration mécanique invasive2. Les formes graves et sévères du covid-19 touchent tout particulièrement ces populations.

Alors un tri doit-il être effectué selon l’âge et le poids du patient pour être admis en réanimation ?

Débattre du « tri des malades » choque l’opinion publique de prime abord. Le phénomène n’est pas nouveau pour les médecins, mais il est médiatisé, depuis mars 2020 et probablement majoré avec la crise sanitaire actuelle. Cela ne choque pas les médecins habitués à évaluer la balance bénéfices risques avant toute décision médicale.

Déjà en temps « ordinaire », c’est-à-dire hors crise sanitaire, chaque médecin fait des choix thérapeutiques, ce qui revient à effectuer un tri. Le terme « tri » peut avoir un aspect choquant. Il conviendrait plutôt d’employer le terme de « choix ». On vise à un choix raisonné et raisonnable du médecin que ce soit pour les actes de prévention, de diagnostic ou de soins.

C’est bien ce qui est fait en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) pour déterminer la meilleure prise en charge des patients atteints de cancer3. Le médecin fait le choix du traitement qu’il pense le mieux adapté à son patient. C’est ce que font les réanimateurs qui décident d’intuber, de réanimer, d’hospitaliser ou non en réanimation…

Il y a également un choix opéré lorsque le chirurgien retient ou non une indication opératoire selon la pathologie, la gravité du cas, mais aussi l’âge de la personne, les comorbidités… et surtout ses chances de récupération. Le tabagisme est un facteur de risque majeur de la survenue d’infections ou de complications post-opératoires, de même que l’obésité. Il est fréquemment exigé du patient demandeur d’une chirurgie programmée, d’arrêter de fumer ou de maigrir avant d’être opéré. Ce conditionnement de l’indication opératoire à un effort du patient constitue également un tri des meilleurs candidats à la chirurgie.

L’âge, le poids du patient, et d’éventuelles addictions sont importants. En revanche, le niveau socio-économique du patient ou son utilité sociale ne seront pas déterminants4. Cependant, une intervention lourde et nécessitant un suivi complexe fera s’interroger le médecin selon les capacités matérielles, financières et intellectuelles de suivre un programme pré et/ou post-opératoire. Il serait illusoire de proposer un programme thérapeutique comportant de nombreuses contraintes (un régime bien particulier, l’arrêt de toutes ses addictions, un suivi en balnéothérapie, des cures thermales…) à un patient alcoolique, SDF, détenu, en situation de grande précarité ou sans papier, qui, selon les cas, ne pourra pas s’y contraindre. Adapter le traitement aux possibilités matérielles, financières, sociales dont dispose son patient fait partie de la prise en charge personnalisée.

Ainsi, des choix sont faits tous les jours par les médecins, chacun à leur niveau et cela bien avant la crise sanitaire actuelle liée au coronavirus. Le généraliste à l’EHPAD peut décider d’adresser son patient aux urgences ou pas. S’il fait appel au SAMU (service d’aide médicale urgente) pour le transport, un choix est effectué par le médecin régulateur qui peut décider d’envoyer une ambulance, les pompiers, le véhicule médicalisé de SMUR (Service Mobile d’Urgence et de Réanimation) ou simplement donner des conseils à l’appelant. Il en est de même au domicile mais en sachant que le patient ou son entourage peut décider de se présenter aux urgences par ses propres moyens. L’urgentiste a le choix d’hospitaliser ou pas son patient. Une fois hospitalisé dans un service de médecine, le médecin devra, en cas d’aggravation, décider de solliciter ou pas une place en réanimation… Plusieurs médecins vont intervenir et prendre chacun des décisions avec une gradation possible dans la prise en charge. Chacun ne pourra procéder à une procédure collégiale formelle mais les échanges, au moins téléphoniques, entre professionnels doivent être l’occasion d’une concertation et non une simple demande de place.

UNE PRISE EN CHARGE LA PLUS ADAPTEE POSSIBLE

C’est au médecin de choisir la prise en charge la plus adaptée, en concertation avec son patient tant qu’il peut s’exprimer. C’est en combinant trois critères que le médecin pourra prendre une décision5 :

1. Recueil de la volonté du patient

Le recueil de la volonté du patient est essentiel tant qu’il lui est encore possible de l’exprimer.

La personne démente peut avoir des intervalles de lucidité où il est possible de la questionner sur ses volontés. « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé »6.

Si la personne ne peut plus exprimer, il convient de pouvoir respecter les volontés et les valeurs du patient, exprimées indirectement par ses directives anticipées, ou rapportées par sa personne de confiance ou ses proches.

Le médecin recherchera si le patient a rédigé ses directives anticipées7 et va interroger à ce sujet, la personne de confiance ou la famille ou des proches. Dans la pratique, cela est difficile puisque le coronavirus étant très contagieux, d’une part les proches peuvent être eux-mêmes contaminés et être confinés. Par ailleurs, même s’ils ne sont pas déjà contaminés, il leur sera le plus souvent interdit de voir leur proche. C’est une dimension inédite de la crise sanitaire actuelle. Les établissements de santé interdisent toutes les visites sauf autorisations extrêmement limitées « sur décision médicale ». C’est terrible pour l’entourage du patient mais aussi pour les soignants. Le fait de voir se dégrader un patient sans qu’il puisse communiquer avec sa famille et qu’il meure sans avoir pu embrasser ses proches une dernière fois, est vécu très douloureusement. Si ajouteront des contraintes avec l’interdiction des soins de conservation8, l’interdiction de la toilette mortuaire, une mise en bière immédiate9 et d’organisation des funérailles avec une vingtaine de personnes au maximum10.

D’ailleurs, l’interdiction de visite dans les établissements de santé s’applique à tous patients, qu’ils soient infectés par le coronavirus ou pas, y compris après un accouchement, de même que l’interdiction des soins de conservation, quelle que soit la cause du décès jusqu’au 30 avril 2020, à ce jour11.

2. La gravité de la pathologie

Il s’agit là d’une évaluation médicale en sachant qu’avec le covid, les soignants font face à un virus inconnu il y a encore quelques mois. Bien que les publications scientifiques soient quotidiennes sur ce sujet, et largement commentées dans les médias grands publics, ce qui est inédit, on reste encore ignorant, faute de recul suffisant, notamment sur le devenir des patients « guéris ». Quel sera le devenir des patients sortis de réanimation ?

3/ L’état antérieur qui comprend l’âge du patient

Pour évaluer l’état de santé et l’autonomie préalable, il est proposé d’utiliser différents outils, par exemple un score de fragilité clinique ou l’indice de performance OMS ou l’échelle d’autonomie de Katz12. Il sera utile d’étudier les comorbidités donc les antécédents de la personne, son état cognitif (en particulier en cas de démence), son état nutritionnel. En pratique, en dehors de l’entourage, c’est le médecin traitant du patient qui est le plus à même de donner des informations à ce sujet, aux professionnels des établissements de santé.

LE TRI DES PATIENTS, UNE PROCEDURE COLLEGIALE

Après cette introduction, nous allons nous appuyer et commenter la prise de position de l’Ordre des médecins, notamment au sujet du tri des patients.

Le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a publié une prise de position sur les « Décisions médicales dans un contexte de crise sanitaire et d’exception » le 06 avril 2020. Pour l’Ordre, la question de la priorisation entre les patients « ne saurait être retenue qu’en l’absence avérée de toute autre possibilité et s’il est constaté qu’aucune autre alternative ne se présente au terme d’une appréciation collégiale tracée dans le dossier, fondée sur l’état du patient, prenant en compte notamment ses comorbidités. L’âge du patient, sa situation sociale, son origine, une maladie mentale, un handicap ou tout autre facteur discriminant ne peuvent être l’élément à retenir ». Pourtant, la maladie mentale ou le handicap font partie des comorbidités. Il ne serait pas réaliste de ne pas tenir compte d’une démence ou d’un handicap moteur important dans la prise de décision.

Il ne doit pas exister d’âge limite pour entrer en réanimation, même s’il on entend malheureusement parfois des médecins dire « pas de réanimation au-delà de 80 ans ». Selon une enquête publiée en 2008, l’âge ne semble pas être un critère rédhibitoire de prise en charge en réanimation, mais plutôt pousser à une évaluation plus approfondie du patient13. L’âge ne doit pas être le seul critère déterminant pour être admis en réanimation mais doit être pondéré en fonction de l’état général, de son degré d’indépendance et d’une évaluation de la qualité de vie future. « L’âge ne doit pas être un prétexte au refus d’un patient en réanimation »14. L’effet de seuil ne saurait être argumenté ni compris par l’entourage. « Alors hier, il aurait été pris en réanimation et pas aujourd’hui le jour de ses 80 ans ? » Les deux écueils sont d’un côté, admettre tous les patients en réanimation, quel que soit leur âge et courir le risque d’une obstination déraisonnable. À l’opposé, le refus d’admission sur le seul critère de l’âge va hâter le décès ou faire renoncer à traiter des pathologies aiguës curables dont la guérison pourrait améliorer la qualité de vie de la personne âgée.

Nier le critère d’âge et l’état neurocognitif serait faire peser sur les épaules des médecins, intervenants au domicile ou en EHPAD une lourde responsabilité. Ces médecins sont en première ligne et ils se heurtent à des refus de prise en charge de leurs patients âgés ou lourdement handicapés. Soyons clairs, l’appel au 15 pour un résidant d’EHPAD de 98 ans, atteint d’une maladie d’Alzheimer, suspect de covid aboutira exceptionnellement à une hospitalisation.

Il n’est pas choquant de trier les malades à condition que ce soit dans le cadre d’une réflexion bénéfices risques de chaque décision et dans la mesure du possible, en respectant une procédure collégiale. La loi du 22 avril 200515 a prévu une procédure collégiale16 qui permet au médecin de décider en dernier ressort mais pas isolément. La décision est prise par le médecin en charge du patient après concertation avec l’équipe de soins, sur l’avis motivé d’au moins un médecin appelé en qualité de « consultant », dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après avoir recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient17.

La loi exige l’absence « de lien de nature hiérarchique » entre le médecin en charge du patient et le médecin consultant sans avoir défini ce lien. Contrairement à ce que l’on entend souvent, il ne s’agit pas forcément d’un médecin extérieur au service ni d’un médecin qui n’a pas pris en charge le patient auparavant, ni un médecin d’un autre établissement. Le consultant peut-être un médecin du même service, mais a priori pas le chef de service ou le chef de pôle du médecin en charge du patient. De plus « l’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile »18.

La loi du 22 avril 2005 a été complétée par la loi du 2 février 201619 et laisse une large possibilité de choix au médecin en charge du patient.

« Les actes de traitements et de soins ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable »20. L’obstination déraisonnable c’est lorsque des soins ou des examens apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.

C’est le médecin qui, après avoir respecté les critères de la procédure collégiale, prend la décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives (LATA) ou de sédation profonde et continue jusqu’au décès. C’est le médecin qui choisit de respecter ou pas les directives anticipées. En effet, les directives ne sont pas impératives dans le cadre de l’urgence ou si le médecin estime qu’elles ne sont pas appropriées. « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale »21. Sur ce point, la loi est ambiguë : le verbe « s’imposer » semble donner aux directives anticipées un caractère impératif qui est très vite atténué par les deux situations au demeurant courantes, qui permettent de passer outre.

Si la décision est de limiter ou d’arrêter certaines thérapeutiques, considérées comme déraisonnables, il convient de toujours poursuivre les soins, en particulier les soins de support (confort, nursing, prise en charge de la douleur, des problèmes nutritionnels, des divers troubles somatiques, les perturbations de l’image corporelle, l’accompagnement de fin de vie…)22.

L’accompagnement des patients en situation de fin de vie et de leurs proches doit rester une « priorité des équipes soignantes », au mieux avec le soutien d’une équipe de soins palliatifs. Le recours argumenté à une analgésie proportionnée, à une sédation proportionnée ou profonde et continue maintenue jusqu’au décès doit être garanti23. À cette fin, « l’anticipation d’ouverture d’unités de soins palliatifs devant assurer cette mission doit être encouragée, dans le même temps que l’ouverture des capacitaires de soins critiques »24.

UNE PROCEDURE COLLEGIALE CONTESTEE

La validité de cette procédure collégiale a été contestée par l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC). Le 6 décembre 2017, le Conseil d’État25 a rejeté la demande de l’UNAFTC. À l’occasion de cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC)26, le Conseil constitutionnel a confirmé que dans le cas où le patient n’est pas en état d’exprimer sa volonté, il revient au médecin le droit de décider des soins, à l’issue de la procédure collégiale consultative. Cependant, le Conseil constitutionnel a émis deux réserves d’interprétation destinées à garantir le respect des droits des familles :

1. la décision doit être "notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile".

2. le recours doit "pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée".

Le médecin demeure ainsi soumis au contrôle du juge pour toute décision de limitation ou d’arrêt de traitement fondée sur le refus d’une obstination déraisonnable.

En l’état actuel, suite à la décision du Conseil constitutionnel du 2 juin 201727, la décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives (LATA) doit être notifiée à la personne de confiance ou, à défaut, à sa famille ou ses proches, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile. Cela implique que le médecin ne puisse mettre en œuvre cette décision de LATA, qu’après que les personnes concernées, qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un recours, n’aient pu le faire ou obtenir une décision de sa part. Concrètement, il faut informer l’entourage de la décision de LATA et si un membre de l’entourage manifeste son opposition ; lui laisser le temps de saisir le juge des référés (au tribunal administratif pour les soins en établissement public et au tribunal judiciaire pour les soins en établissement privé ou en médecine libérale).

Le Conseil constitutionnel n’a pas précisé de durée du délai minimum, qui dépend évidemment du contexte. Dans le cadre de l’arrêt d’une hémodialyse, d’une antibiothérapie, d’une nutrition, il est possible de se donner quelques jours entre le moment où la décision est prise et l’arrêt effectif et donc annoncer à une famille une décision de LATA quelques jours avant sa mise en œuvre. Pour un patient atteint de cancer, la décision de ne pas poursuivre la chimiothérapie peut attendre quelques semaines. Ne pas poursuivre une ventilation en réanimation, peut être reporté de quelques heures à quelques jours, même si cela est compliqué de garder un patient intubé ventilé alors qu’on a décidé d’arrêter.

Pour ces décisions, le médecin en charge du patient peut décider du moment de la mise en œuvre. C’est encore plus compliqué lorsque la décision de LATA concerne une conduite à tenir en cas de survenue d’événement indésirable. Par exemple, il peut être décidé de ne pas réanimer un patient ni de le transférer en réanimation en cas de détresse respiratoire. On ne sait pas à quel moment surviendra cette complication ni même si elle surviendra mais la décision peut être anticipée. Pour les patients âgés ou polypathologiques atteints de covid, hospitalisés, cette situation est fréquemment rencontrée. En effet, pour certains, la prise en charge sera d’emblée palliative. À l’opposé pour d’autres, tout sera mis en œuvre jusqu’aux techniques pointues de réanimation comme l’ECMO28. Mais de nombreux patients sont dans l’entre deux et on espère leur faire passer le cap aigu avec une oxygénothérapie sans savoir à l’avance si on pourra les guérir, tout en ayant décidé de ne pas les réanimer. Ce sont sans doute les situations les plus complexes et les plus difficiles pour les familles.

À titre d’exemple, dans un arrêt du Conseil d’État29, des médecins du CHU de Nancy ont pris une décision de LATA le 5 juillet 2018, pour un patient hospitalisé en chirurgie avec des lésions encéphaliques graves. Il avait été décidé de ne pas faire appel à l’équipe de réanimation en cas de détresse vitale et de ne pas le transférer en réanimation afin d’éviter toute obstination déraisonnable. Les médecins ont suspendu l’exécution de la décision de LATA, comme prévu par le Conseil constitutionnel, le temps nécessaire à l’exercice d’un recours éventuel au tribunal administratif (TA). La famille du patient a saisi le 8 août 2018 le juge des référés30 qui a rejeté leur demande, puis ont saisi le Conseil d’État. Le 28 novembre 2018, le Conseil d’État a ordonné la suspension de l’exécution de la décision de LATA. Pour le Conseil d’État, il fallait subordonner l’exécution de la décision de LATA à l’absence d’évolution favorable de la situation et en limiter le champ d’application dans le temps en retenant une durée ne pouvant excéder 3 mois. Le formalisme exigé ici paraît contraire à l’usage médical car il est évident que la décision de LATA devait être rediscutée régulièrement en fonction de l’évolution de l’état du patient. Il est important de tracer les grandes lignes de la procédure collégiale dans le dossier médical sans que cela devienne un « contrat », rédigé en termes juridiques où chaque mot devrait être discuté dans l’éventualité d’un litige. Pendant ce temps, du 5 juillet 2018 au 28 novembre 2018, la décision de LATA ne pouvait pas être appliquée, ce qui semble bien long, et encore dans ce dossier, le juge administratif n’a pas sollicité d’expertise qui rallonge les délais.

LE TRI DES PATIENTS DANS LE CADRE DU COVID-19 : DES INJONCTIONS PARFOIS DIFFICILES A METTRE EN OEUVRE

Dans la situation actuelle, où des décisions d’admission en réanimation se prennent aux urgences en quelques minutes, avec une procédure collégiale parfois très limitée, il paraît encore plus difficile de respecter les réserves du Conseil constitutionnel si une famille s’oppose à une limitation des thérapeutiques.

Dans la prise de position de l’Ordre du 6 avril 2020, on peut lire : « Tous les patients atteints du covid-19, dont ceux résidant en EHPAD et autres établissements d’accueil de personnes vulnérables, doivent bénéficier du même accès aux soins et de la même qualité de prise en charge que les autres patients. S’ils présentent des formes sévères ou graves, leur prise en charge dans les établissements de santé adaptés doit être assurée même dans un contexte marqué par la limitation des ressources ».

Cette affirmation conforme à la déontologie, est cependant difficile à mettre en œuvre.

Les critères de choix sont des critères médicaux et non des critères financiers. Les médecins raisonnent en fonction de la balance bénéfices/risques et feront tout pour trouver un lit de réanimation pour leur patient s’ils estiment la réanimation justifiée, quitte à passer une heure au téléphone et/ou à transférer leur patient, quel que soit le moyen (hélicoptère, TGV médicalisé y compris à l’étranger…) ! Cependant, la crise actuelle rend la confrontation plus directe avec les ressources disponibles. Il ne s’agit pas d’un problème d’argent mais d’un principe de réalité et de répartition des moyens disponibles, lorsqu’il manque de médicaments par exemple le Midazolam ou en l’absence de lit de réanimation. Il convient de répartir les moyens disponibles : « si j’envoie une équipe SMUR auprès d’un patient dément en EHPAD, suspect de covid, je n’aurai plus d’équipe disponible pour la prochaine urgence, par exemple un infarctus chez un patient de 40 ans ». Tout en sachant qu’en cas de nécessité, il sera possible de faire appel au SAMU d’un autre département, mais c’est contraignant.

Les médecins reçoivent des injonctions paradoxales. Citons par exemple un Message d’Alerte Rapide Sanitaire (MARS) du 23 mars 2020 du ministère des solidarités et de la santé, concernant les produits sanguins labiles. Il est rappelé aux médecins de respecter les recommandations professionnelles émises par la Haute Autorité de Santé (HAS) tout en leur demandant « de restreindre les indications des transfusions de produits sanguins labiles ». En quoi ce message peut-il modifier les pratiques ? Cela voudrait dire qu’habituellement, on prescrit en dehors des recommandations ? Soit le médecin estime qu’une transfusion est nécessaire et il va la prescrire sans se poser la question du coût ni des réserves. Soit elle n’est pas recommandée et alors le médecin ne devrait pas la prescrire, crise sanitaire ou pas. La seule possibilité de limiter les transfusions est de déprogrammer les chirurgies à risque et non urgentes, ce qui est a été décidé par les autorités depuis la mi-mars 2020.

Ces injonctions paradoxales peuvent entraîner un sentiment d’impuissance pour le médecin qui sur le terrain est confronté à ces demandes de « gestion de la pénurie » et qui doit faire face aux familles revendiquant tel traitement vanté à la télévision… (« on va porter plainte contre vous si vous ne prescrivez pas de la chloroquine… si vous n’hospitalisez pas mon parent en réanimation. »). Ces menaces sont rares mais existent et minent le moral des soignants.

Les prescriptions doivent être fondées sur l’Evidence-based-medecine (EBM), tout en assurant une approche au cas par cas. L’EBM s’appuie sur les résultats prouvés et validés par des études scientifiques bien menées et publiées. L’EBM, c’est le principe de précaution : « tant que je n’ai pas la preuve de son efficacité, je ne prescris pas tel médicament ». C’est ne mettre en œuvre un traitement qu’une fois les risques et les bénéfices établis. A l’inverse, des médecins voudront tout tenter : « si j’ai le moindre espoir, je dois essayer et au pire, ça ne marchera pas ». D’où les oppositions dans le cadre du traitement par l’hydroxychloroquine dans le covid 19. D’un côté, les médecins qui attendent des publications leur démontrant l’intérêt du médicament pour le prescrire et de l’autre côté, des médecins prêts à l’utiliser « à titre compassionnel » ou pour ne pas faire perdre de chance à leurs patients. Le risque est qu’en cas d’effet secondaire grave, ces médecins se verront peut-être reprocher une prise de risque injustifiée. S’ajouteront également des questionnements concernant des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) ou sur le consentement du patient dans le cadre d’essais cliniques.

Les divers traitements présentés comme efficaces et largement débattus dans les médias font rapidement l’objet de craintes quant à leur disponibilité ; ce qui amène les autorités à devoir prendre des mesures de contrôle en urgence. Le Gouvernement, agissant par la voie de décrets en Conseil d’Etat, est autorisé à restreindre la prescription et la délivrance de certains médicaments, « dans l’intérêt de la santé publique »31. Par exemple, par deux décrets des 25 et 26 mars 202032, le Premier Ministre a limité l’administration de l’hydroxychloroquine33 pour soigner les patients atteints du covid-19 à des conditions très strictes34. De même, un arrêté a limité jusqu’au 11 mai 2020, la dispensation par les pharmacies d’officine de spécialités contenant de la nicotine, substance présentée comme possiblement protectrice contre le coronavirus35.

L’Ordre des médecins a alerté les médecins par un communiqué du 23 avril 2020 en rappelant la prudence nécessaire avant de faire des communications tonitruantes. Lorsque le médecin participe à une action d’information du public, « il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public »36. « Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical »37. L’Ordre se dit vigilant sur les prescriptions hors AMM, des possibles défauts de consentement lors de protocole de recherche et brandit la menace de procédure disciplinaire voir de saisine du directeur général de l’ARS, qui a le pouvoir de suspendre immédiatement l’activité du médecin38.

Il est noté dans la publication de l’Ordre des médecins du 6 avril 2020 : « Nous l’affirmons, aucune contrainte politique, administrative, organisationnelle, ne peut imposer à un médecin des critères de prise en charge pré déterminés par d’autres acteurs ».

Certes, cela est conforme à la déontologie et en particulier à l’article R 4127-95 CSP : « Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions.

En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce ».

Cependant, dans les établissements de santé, la liberté de prescription39 est dépendante des choix et des marchés décidés par les pharmaciens. Parfois le médecin prescrit du Doliprane® et le patient recevra du Dafalgan®, une autre forme commerciale du même médicament, le paracétamol. Avec la crise sanitaire, les pratiques changent. Par exemple, les commandes de médicaments d’anesthésie et de réanimation (2 hypnotiques soit midazolam et propofol et 3 curares) sont désormais gérées au niveau national et non plus par la pharmacie à usage intérieur (PUI) de chaque établissement40. L’État achètera, seul, ces médicaments et plus les établissements de santé à compter du 27 avril 2020 et décidera des approvisionnements des établissements en lien avec les ARS (agences régionales de santé)41.

Le médecin n’exerce pas dans une bulle coupée du monde extérieur. La pandémie mondiale de covid-19 entraîne des situations où l’équilibre habituel entre les besoins médicaux et les ressources disponibles est rompu. Les médecins peuvent être amenés à faire des choix difficiles et des priorisations dans l’urgence. Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, le médecin doit concilier l’éthique collective (le juste soin au moindre coût, la rationalisation et la préservation des moyens disponibles) et une éthique individuelle (le meilleur soin pour mon patient). Les politiques peuvent donner des directives, faciliter les approvisionnements, réquisitionner du matériel, octroyer des moyens financiers supplémentaires…mais ne seront jamais face au patient au moment du choix thérapeutique.

Cette crise inédite oblige chacun à être imaginatif et trouver des solutions alternatives afin de pallier le manque de masques, de solutions hydro alcooliques, de respirateurs, de médicaments anesthésiques mais aussi le manque de personnel qualifié. Autant le personnel paramédical (infirmiers, aides-soignants) peut être redéployé dans les services de prise en charge des patients covid, autant c’est beaucoup plus compliqué pour les médecins. Beaucoup de médecins et de chirurgiens sont aujourd’hui en sous-activité, contraints de n’assurer que les urgences de leur spécialité, alors que notamment les généralistes, les urgentistes, les infectiologues, les anesthésistes et réanimateurs et les virologues sont en première ligne. Selon des chiffres communiqués par l’Assurance-maladie, au cours de la dernière semaine du mois de mars 2020, l’activité des généralistes a baissé de 40 %, celle des spécialistes de 70 %.

ET L’INTERET DU PATIENT ?

L’Ordre nous demande d’avoir pour seul objectif « l’intérêt du patient ». Effectivement, mais tout dépend ce que l’on entend par « intérêt » : s’agit-il de lui prolonger la vie à tout prix ou s’agit-il d’accompagner au mieux une fin de vie en évitant toute obstination déraisonnable ?

Aujourd’hui, les patients très âgés, dépendants et/ou déments ne sont pas hospitalisés même s’ils sont atteints par le coronavirus. L’absence d’hospitalisation ne veut pas dire absence de soins, ce qui est malheureusement ressenti ainsi par des familles. Au contraire, rester dans son cadre de vie habituel, bénéficier de soins de confort ou de nursing, être accompagné sera plus confortable. Majoritairement, les personnes âgées expriment une préférence pour une fin de vie en EHPAD plutôt que de « mourir sur un brancard aux urgences » ou dans l’anonymat d’une chambre d’hôpital, éloigné de leur entourage. Le patient hospitalisé pour covid sera entouré de soignants tous identiques, habillés comme des « cosmonautes », qui ne le touchent que pour des gestes techniques et avec des gants et dont il ne voit même pas le sourire sous leur masque ! Dans un EHPAD, l’environnement sera moins médicalisé et moins angoissant ; les visites étant de nouveau possibles sous conditions strictes. Lors d’une conférence de presse, le ministre de la Santé, Monsieur Olivier Véran, a annoncé, le 19 avril 2020, le rétablissement dès le 20 avril 2020 d’un "droit de visite pour les familles" dans les EHPAD, dans des conditions "extrêmement limitées"42 répondant à une demande des familles et des établissements, d’assouplissement du confinement43.

Il est évident que l’entrée en réanimation d’un patient dément, résident en EHPAD de plus de 90 ans est plus que discutable car les chances de s’en remettre sont minimes. Il en est de même pour un patient plus jeune mais polyhandicapé et dépendant. Il faut avoir le courage de l’expliquer aux familles qui le plus souvent, le comprennent parfaitement bien. Communiquer avec l’entourage afin que les proches puissent donner du sens à ce qui leur fait peur. La transparence vis-à-vis des familles est capitale pour eux-mêmes mais aussi pour éviter des procédures ultérieures et doit absolument être tracée dans le dossier médical.

L’Ordre des médecins rappelle à juste titre, qu’il convient de déterminer, parmi ses patients, « non pas une personne, non pas un âge, mais celui d’entre eux qui a le plus de chances de survivre ». Le critère essentiel est de savoir quelles sont les chances de sortir vivant de la réanimation sans séquelle majeure, que l’on soit en pleine période de crise sanitaire ou pas !

En EHPAD ou en ville, les médecins généralistes sont confrontés à des patients qui refusent d’aller à l’hôpital de peur « d’attraper le virus ». Ce refus de soins doit être entendu et respecté. Bien sûr, se posera la question de l’accompagnement des derniers moments, si une détresse respiratoire survient ou lors d’une longue agonie douloureuse. Tout cela devrait s’anticiper avec une prise en charge palliative dans la mesure du possible, pour éviter une hospitalisation sur les dernières heures de vie qui sera toujours vécue comme un échec. L’idéal est d’anticiper un éventuel recours à l’hospitalisation dès l’évaluation clinique initiale et le réévaluer régulièrement. Dans tous les cas, toute décision, d’hospitalisation ou pas, doit être tracée dans le dossier médical. Nous n’insisterons jamais assez sur la traçabilité de la démarche et de la décision collégiale amenant au choix de telle ou telle prise en charge palliative ou curative. On ne devrait pas lire dans les dossiers des laconiques « NTBR » pour « Not to be resuscitated » (ne pas réanimer) alors qu’une synthèse des démarches entreprises dans le cadre de la procédure collégiale doit être tracée.

Les professionnels de santé de ville, intervenant à domicile ou en EHPAD, en hospitalisation à domicile (HAD) doivent être aidés pour éviter un sentiment d’abandon. Les aider, c’est leur proposer des recommandations de bonne pratique44, des stratégies thérapeutiques, à condition qu’elles soient compatibles avec la réalité du terrain hors établissement de santé et une écoute, que ce soit par un médecin régulateur du SAMU, une unité mobile gériatrique ou une équipe mobile de soins palliatifs, un réseau d’entraide médicale éthique pour pouvoir échanger sur la prise en charge, mais aussi les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD).

Au final, c’est le médecin en charge du patient qui prendra une décision, guidé par les autres soignants (autres médecins spécialistes, paramédicaux) et à condition d’en discuter avec le patient et/ou son entourage.

L’indépendance du médecin est de pouvoir s’écarter des recommandations de bonne pratique dans le cas précis de tel patient, à condition d’argumenter et de tracer dans le dossier médical, ses choix. Mais les médecins ont besoin de ces recommandations et référentiels… même si la médecine ne peut pas être entièrement standardisée et heureusement. À l’heure de l’intelligence artificielle, un robot aura encore des difficultés à analyser une impression clinique, le ton d’une conversation, l’ordre de présentation des plaintes, le langage corporel et l’attitude du patient… La crise sanitaire actuelle aura permis un développement majeur de la télémédecine mais également des télésoins45, y compris par les kinésithérapeutes46, mais ne remplacera pas le contact humain direct et restera une modalité pratique mais moins performante.

« L’Ordre est là pour guider les médecins dans l’intérêt des patients et sera à leurs côtés pour les accompagner ». Certes, mais l’Ordre est également en charge du contentieux disciplinaire devant la chambre disciplinaire de première instance au niveau régional puis la chambre disciplinaire nationale (Conseil National de l’Ordre). La procédure ordinale pouvant aller jusqu’au Conseil d’État quel que soit le statut du médecin, salarié du privé ou du public ou libéral.

La crise sanitaire que nous vivons, peut nous faire craindre de nombreuses procédures à venir y compris devant les instances ordinales pour « discrimination » dans l’accès aux soins, non respect de la vie et de la dignité des personnes et défaut d’accompagnement du patient en fin de vie… A notre avis, la prise de position très prudente du 6 avril 2020 du conseil de l’Ordre n’aidera pas les soignants confrontés à des mises en cause par des familles de patients devant l’instance ordinale. Et malheureusement on peut prévoir des procédures ordinales à venir. Le nombre de procédures contre les ministres liés au covid est déjà important, que ce soit devant le tribunal administratif, ou au pénal devant la cour de justice de la République47. Dans le cadre de l’épidémie de covid-19, la CJR a d’ailleurs déjà reçu au moins six plaintes, tandis qu’une plateforme en ligne, plaintecovid.fr, a été mise en place par un réseau d’avocats et de militants. Une manière de faciliter et multiplier les plaintes contre X, via le remplissage numérique d’un formulaire.

Il faut accompagner les médecins dans leurs choix difficiles. Il s’agit d’éviter une obstination déraisonnable alors que le bénéfice attendu est (quasi) inexistant. Tirer bénéfice d’une réanimation, c’est ne pas y mourir quasi obligatoirement ou en sortir avec des séquelles gravissimes. Comme l’écrit Frédérique Leichter-Flack, « le tri médical n’a pas vocation à choisir qui aura ou non droit à la vie, mais à sauver le plus de vies possible »48.

CONCLUSION

Choqués par la notion de tri, certains citent le serment d’Hippocrate rappelant le devoir d’assistance à tous les malades. En effet, la loi, mais aussi la déontologie médicale, nous imposent d’accorder des soins à tous sans discrimination49.

« Le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données de la science. »50

Le serment d’Hippocrate, réactualisé par l’Ordre national des médecins en 201251, fait dire à chaque médecin la phrase suivante : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Cela correspond à la loi actuelle qui permet de soulager les souffrances et d’accompagner le patient en limitant ou en arrêtant un traitement jugé déraisonnable mais sans injection de médicaments dont le seul but serait le décès du patient.

Le tri n’est pas effectué sur des critères de religion, d’orientation sexuelle du patient ou de la couleur de sa peau… Une telle pratique serait inadmissible. Notre devoir d’assistance n’impose pas de mettre en œuvre des thérapeutiques comportant plus de risques que de bénéfices pour le patient dans l’unique objectif de prolonger sa vie coûte que coûte. Notre déontologie de médecin nous impose aussi d’éviter toute obstination raisonnable.

Au final, le problème n’est donc pas de savoir s’il faut « trier » ou plutôt « choisir » selon des critères médicaux les patients qui seront hospitalisés ou admis en réanimation, car c’est ce qui se fait déjà et bien avant la crise sanitaire actuelle. Il faut se soucier du devenir de ceux qui n’ont pas été admis et qui vont être pris en charge par des équipes qui doivent être absolument soutenues car elles seront confrontées à des fins de vie difficiles alors même que souvent les patients ne pourront pas être entourés par leurs proches.

Le soutien aux équipes est donc primordial face à cet afflux de patients qui n’est pas ponctuel comme dans le cas d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un accident mais qui va durer malheureusement plusieurs mois. Des soignants qui n’en avaient pas l’habitude, sont confrontés à des décès de patients atteints de covid, notamment en pathologie infectieuse, où les plus anciens se remémorent la période des décès du SIDA.

Il est aussi important en ces temps d’épidémie, pour chaque personne majeure de désigner sa personne de confiance, et lui confier ses directives anticipées. Ce sera une aide précieuse pour le médecin à l’heure de faire des choix, si le patient n’est plus en état de s’exprimer.

Il est certes difficile d’anticiper sa fin de vie, y compris pour les soignants, mais en ces temps d’épidémie, c’est le moment de désigner sa personne de confiance, d’écrire ses directives anticipées et de le mentionner dans son dossier médical partagé (DMP).

 

 

Notes

1. Maladie liée à une infection par le coronavirus SARS-CoV-2 (covid-19 est l’acronyme anglais de coronavirus infectious disease 2019).

2. site du ministère des solidarités et de la santé MSS. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/fiche-obesite-covid-19.pdf

3. La RCP est une obligation pour les patients atteints de cancer, définie à l’article D. 6124-131 du code de la santé publique, depuis le décr. n° 2007-389, 21 mars 2007.

4. Haut Conseil de la santé publique, avis relatif à la prise en charge des cas confirmés d’infection au virus SARS-CoV-19, 5 mars 2010.

5. · 16 mars 2020 : recommandation professionnelle multidisciplinaire opérationnelle (RPMO) Enjeux éthiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins critiques (SC) en contexte de pandémie covid-19.
· 19 mars 2020 : Société française d’anesthésie-réanimation (SFAR) : décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à covid-19.

6. CSP, art. L. 1111-4.

7. Selon les enquêtes, on est au mieux à 15 % des Français qui ont rédigé leurs directives anticipées.

8. Arrêté du 28 mars 2020 modifiant l’arrêté du 12 juill. 2017 fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires mentionnées à l’article R. 2213-2-1 du code général des collectivités territoriales : ajout de l’infection par le virus SRAS-CoV-2.

9. Décr. n° 2020-384, 1er avr. 2020 complétant le décr. n° 2020-293, 23 mars 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit de mesures transitoires en vigueur jusqu’au 30 avril 2020.

10. Décr. n° 2020-352, 27 mars 2020, portant adaptation des règles funéraires en raison des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de covid-19.

11. Décr. n° 2020-384, 1er avr. 2020.

12. 16 mars 2020 : RPMO Enjeux éthiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins critiques en contexte de pandémie covid-19.

13. M. Borel, B. Veber, F. Robillard, J.-P. Rigaud, B. Dureuil et C. Hervé, L’admission du sujet âgé en réanimation : l’âge influence-t-il l’accès aux soins ?, Annales françaises d’anesthésie et de réanimation (AFAR), 2008, vol. 27, n° 6, p. 472-480.

14. S. Beloucif, Comment lutter contre les refus d’admission des personnes âgées en réanimation ?, AFAR 2008, 27(6), p. 470-471.

15. Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

16. art L 1111-4 CSP, art L 1110-5-1

17. Art R 4127-37-2 CSP

18. art R 4127-37-2 CSP

19. loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie

20. art L 1110-5-1 CSP

21. art L 1111-11 CSP.

22. La notion de soins de support est retrouvée dans la circ. DHOS/SDO/2005/101 du 22 février 2005 relative à l’organisation des soins en cancérologie mais pas dans le code de la santé publique.

23. art L 1110-5-2 CSP

24. Covid-19 : réanimation ou soins critiques, comment trier les patients ? L’ARS Île-de-France propose un soutien éthique Dr Irène Drogou - publié le 24 mars 2020

25. Conseil d’État 6 décembre 2017, n° 403944

26. Cons. const. 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC (question prioritaire de constitutionnalité)

27. il ne s’agit pas d’une jurisprudence qui reflète l’avis des juges sur des cas d’espèce mais d’une QPC où le Conseil constitutionnel nous fournit des indications sur l’interprétation de la loi, ce qui a plus de valeur que la jurisprudence et s’applique que l’on soit dans un établissement de santé public ou privé (en droit privé et en droit administratif)

28. ECMO (extracorporeal membrane oxygenation ou oxygénation par membrane extracorporelle) désigne, en réanimation, une technique de circulation extracorporelle.

29. Conseil d’État 28 novembre 2018 n° 424135

30. ordonnance du juge du tribunal administratif de Nancy n° 1802221 du 9 août 2018

31. Art L 5121-20 CSP 10°

32. Décrets n°2020-314 et n° 2020-337 des 25 et 26 mars 2020, complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

33. L’hydroxychloroquine, commercialisé en France par le laboratoire Sanofi sous le nom de Plaquénil®, dispose d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour certaines indications comme la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus

34. aux formes les plus graves du coronavirus et dans les établissements hospitaliers

35. Arrêté du 23 avril 2020 complétant l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire NOR : SSAZ2010368A

36. Art R 4127-13 CSP

37. Art R 4127-14 CSP

38. Article L 4113-14 CSP : En cas d’urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) dont relève le lieu d’exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d’exercer pour une durée maximale de 5 mois. Il entend l’intéressé au plus tard dans un délai de 3 jours suivant la décision de suspension.

39. Article R 4127-8 du code de la santé publique et article L 162-2 du Code de la sécurité sociale

40. Décret 2020-466 du 23 avril 2020 complétant le décret no 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire

41. Message d’Alerte Rapide Sanitaire (MARS) du ministère des solidarités et de la santé du 20 avril 2020 Référence : mars N°2020_37 concernant l’approvisionnement des établissements de santé pour certains médicaments prioritaires

42. Le protocole relatif aux consignes applicables sur le confinement dans les ESSMS (Établissements et Services Sociaux ou Médico-Sociaux hébergeant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap) et unités de soins de longue durée (USLD) a été rendu public le 20 avril 2020.

43. Covid19 : analyses et propositions de la CNDEPAH présidée par Emmanuel Sys. La CNDEPAH (conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et personnes handicapées) a transmis, le 17 avril, des propositions à Monsieur Olivier Véran, Ministre des Solidarités et de la Santé.

44. · 10 février 2020 : Société française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP) : Outils et ressources soins palliatifs et covid-19. Antalgie des douleurs rebelles et pratiques sédatives chez l’adulte : prise en charge médicamenteuse en situations palliatives jusqu’en fin de vie. Recommandation de bonne pratique.
· 13 mars 2020 : covid-19 : contribution du comité consultatif national d’éthique (CCNE) : Enjeux éthiques face à une pandémie, réponse à la saisine du ministre en charge de la santé et de la solidarité.
· 16 mars 2020 : Société Française d’accompagnement et de Soins Palliatifs : Enjeux éthiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins critiques en contexte de pandémie covid-19, Pistes d’orientation provisoires.
· 19 mars 2020 : SFAR : décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à covid-19.

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Le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté, le 22 avril, le recours de la Ligue des droits de l’homme (LDH) tendant à la suspension de l’arrêté du maire de Nice imposant un couvre-feu de 20 heures à 5 heures du matin dans certains quartiers sensibles de la ville.

Alors que l’ordonnance du Conseil d’État Commune de Sceaux (v. Dalloz actualité, 21 avr. 2020) fait l’objet de lectures diverses, voire divergentes, le juge niçois était le premier à se prononcer sur l’étendue des pouvoirs que cette jurisprudence laisse au maire pour lutter contre l’épidémie. Il en reprend les considérants de principe sur l’existence d’une police spéciale de l’État et le fait que le maire conserve son pouvoir de police générale. Mais il omet la condition posée par l’ordonnance du Conseil d’État selon laquelle le maire ne peut ordonner de mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire que si « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but pas les autorités compétentes de l’État ». En outre, il affirme la compétence du maire pour interdire dans ce cadre non seulement « l’accès des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements », comme l’avait jugé le Conseil d’État, « mais aussi la circulation et les déplacements du public ».

« La légalité de mesures décidées à ce titre par un maire et restreignant la liberté de circulation et déplacement du public est subordonnée à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu’elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte », estime le tribunal administratif.

À cette aune, l’arrêté de Christian Estrosi est jugé légal, notamment parce qu’il ne concerne que 1,3 % du territoire de la commune et qu’il n’avance le couvre-feu décidé par le préfet à partir de 22 heures que de deux heures. Les statistiques de verbalisation de la police municipale démontrent, selon le tribunal, qu’« eu égard au nombre élevé d’infractions aux règles du confinement ainsi constaté sur un périmètre particulièrement restreint du territoire communal, la mesure contestée était justifiée par les circonstances locales ». Le tribunal administratif de Nice se démarque ainsi de celui de Montreuil, qui a jugé récemment (7 avr. 2020, n° 2003861, Dalloz actualité, 13 avr. 2020) que la seule invocation de l’insuffisant respect du confinement ne saurait justifier un couvre-feu (sur, il est vrai, l’ensemble du territoire d’une commune).

La Ligue des droits de l’homme, très hostile à l’exercice du pouvoir de police générale des maires dans le contexte de l’épidémie, a confirmé à l’AJDA son intention d’interjeter appel, offrant ainsi au Conseil d’État l’occasion de préciser sa jurisprudence.

Auteur d'origine: Montecler

Le tribunal administratif de Paris avait déjà, par une ordonnance du 15 avril 2020, enjoint aux autorités administratives compétentes d’exclure le centre de Vincennes des lieux d’exécution des mesures de placement en rétention (v. Dalloz actualité, 22 avr. 2020, obs. J.-M. Pastor). Il a désormais enjoint au préfet de police et aux préfets des départements franciliens de rétablir le dispositif d’enregistrement des demandes d’asile et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de procéder à la réouverture de la plateforme téléphonique dédiée à la prise de rendez-vous en guichet unique pour demandeur d’asile (GUDA). 

Sur l’urgence à statuer

Saisi en référé-liberté le 15 avril 2020 par sept associations (la Ligue des droits de l’homme, l’ACAT, Kali, Utopia 56, l’Ardhis, le GISTI et l’association Droits d’urgence) et sept étrangers, le juge des référés a d’abord jugé que l’urgence à statuer était caractérisée.

Les requérants soutenaient principalement que l’impossibilité de faire enregistrer leur demande d’asile plaçait les demandeurs d’asile dans une situation à la fois de vulnérabilité face à la pandémie actuelle et d’insécurité liée à une possible mesure d’éloignement. Si le préfet de police et les préfets des départements franciliens ont fait valoir la prise de mesures destinées à l’hébergement des personnes sans abri et à l’aide alimentaire des personnes vulnérables, le juge des référés considère toutefois considéré que « la possibilité pour les personnes qui souhaitent présenter une demande d’asile d’être prises en charge dans le cadre du plan d’action mené en direction des personnes sans domicile fixe ne saurait pallier l’arrêt des procédures définies par les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».

Il a poursuivi en énonçant les droits des demandeurs d’asile dès l’enregistrement de leur demande, à savoir le bénéfice des conditions matérielles qui comprend l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) et, si possible, une orientation vers un hébergement, ainsi que le droit de se maintenir sur le territoire français et donc de se voir délivrer une attestation de demande d’asile. La suspension du dispositif d’enregistrement des demandes d’asile avec la fermeture des GUDA a ainsi rendu impossible le bénéfice de ces droits pour les personnes ne pouvant s’enregistrer comme demandeurs d’asile.

Les préfectures et l’OFII, en suspendant ce dispositif, privent ainsi des étrangers, non du statut de réfugié qui ne peut leur être reconnu en raison de la suspension des activités de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), chargés de l’examen des demandes d’asile, mais de la qualification même de demandeur d’asile. Celle-ci les protège davantage que leur présence sur le territoire sans titre de séjour. Le juge reconnaît ainsi que la suspension du dispositif crée une situation de vulnérabilité importante pour les personnes souhaitant demander l’asile et caractérise, dès lors, l’urgence à statuer.

Le juge ne s’est pas exprimé sur la situation des sept étrangers requérants mais a considéré la situation des personnes souhaitant présenter une demande d’asile dans son ensemble.

Sur l’atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale

Le juge des référés a rappelé que le droit d’asile est un principe de valeur constitutionnelle et a pour corollaire le droit pour l’étranger qui se réclame de ce droit d’être autorisé à demeurer sur le territoire le temps de l’examen de sa demande, dans le prolongement de l’ordonnance du Conseil d’État du 12 janvier 2001 qui admet comme corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié.

Après avoir énoncé les restrictions aux libertés fondamentales, telles que la liberté d’aller et venir et la liberté de réunion, rendues possibles par la loi du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire, il a considéré qu’aucune des dispositions de cette loi et des textes réglementaires pris pour son application « n’a pour objet, ni pour effet, d’autoriser les autorités administratives compétentes à ne plus procéder à l’enregistrement des demandes d’asile ».

Il a ainsi jugé que les mesures d’hygiène et de distanciation sociale peuvent être respectées dans les GUDA à la fois en raison du faible nombre actuel de demandes et par la fourniture aux agents « des instruments de protection qui leur sont nécessaires, notamment des masques, des gants, de tenues adaptées ou encore par l’installation de vitres en plexiglass ». Il a ainsi rappelé que tel était le cas pour d’autres administrations et que des préfectures, notamment dans les départements les plus touchés par l’épidémie, ont continué à procéder à l’enregistrement des demandes d’asile.

Il est, de plus, à noter que les préfectures d’Île-de-France, déjà en temps normal, ont des difficultés à répondre au nombre important de demandes d’asile et que la plateforme de l’OFII est parfois saturée, empêchant ainsi les étrangers de prendre rendez-vous et donc de présenter une demande d’asile. La suspension du dispositif ne peut que laisser supposer un encombrement plus important de celui-ci lors de sa reprise, alors même que des mesures d’hygiène et de distanciation sociale seront toujours en œuvre.

Le tribunal administratif de Paris a ainsi conclu à « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile ». Il donne ainsi un délai de cinq jours aux différentes préfectures pour rétablir le dispositif d’enregistrement des demandes d’asile en s’adaptant au flux réduit de la demande et pour rouvrir « un nombre de GUDA permettant de traiter ce flux ».

Il enjoint également à l’OFII de rouvrir, sans délai, la plateforme téléphonique, ce que celui-ci se déclarait prêt à faire dans son deuxième mémoire, produit après la clôture de l’instruction. Son directeur, Didier Leschi, voit dans cette décision la confirmation de l’utilité de la plateforme téléphonique et déclare que c’est un soulagement pour l’OFII, qui relaie ses paroles sur son compte Twitter.

Les associations requérantes se sont réjouies sur les réseaux sociaux de cette décision mais craignent le non-respect de celle-ci par les préfectures et l’OFII. Elles avaient ainsi demandé au juge des référés d’assortir les injonctions faites aux préfectures et à l’OFII d’astreintes, ce que le juge n’a pas jugé nécessaire.

Auteur d'origine: pastor

Le Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat (FNPCA) est un établissement public administratif créé par le décret n° 97-1040 du 13 novembre 1997 (JO 16 nov.) qui a pour mission de contribuer au développement du secteur économique de l’artisanat en valorisant son image et celle de ses professionnels au niveau national. C’est grâce à ses campagnes d’information que ce fonds a réussi à installer durablement une image positive de l’artisanat et à asseoir la marque collective institutionnelle de l’artisanat et sa signature : « L’Artisanat, première entreprise de France » dans l’esprit du public.

Compte tenu de l’obligation de réduire le poids des prélèvements obligatoires, la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a supprimé la taxe fiscale affectée qui alimentait le FNPCA. Cette taxe étant la seule ressource du FNPCA, sa suppression emporte de facto la disparition du fonds. Cette décision fait également suite aux recommandations de la Cour des comptes dans un rapport de 2013, qui préconisaient, à la suite d’un référé, de confier aux professionnels de l’artisanat l’initiative de la promotion de leur image. La loi PACTE du 22 mai 2019 (art. 5) a suivi cette recommandation en permettant aux acteurs de l’artisanat de disposer d’un dispositif de promotion spécifique, défini par eux. Elle prévoit ainsi que les organisations professionnelles d’employeurs reconnues représentatives aux niveaux national et interprofessionnel sont habilitées à conclure un accord entre elles pour mettre en œuvre des actions collectives de communication et de promotion à caractère national et international en faveur de l’artisanat. Elle ajoute que la mise en œuvre des actions collectives prévues par l’accord ainsi que la gestion de la contribution versée par les entreprises artisanales sont mises en œuvre par une personne de droit privé prenant la forme d’une association.

Il fallait cependant qu’un décret prononce la dissolution du FNPCA et organise sa liquidation (ses actifs devant normalement être transférés à la nouvelle association désormais en charge de la mise en œuvre des actions de communication et de promotion en faveur de l’artisanat). C’est chose faite grâce au décret n° 2020-429 du 14 avril 2020. Outre qu’il a abrogé le décret précité du 13 novembre 1997, ce texte renvoie à un arrêté des ministres chargés de l’économie et du budget le soin de désigner un liquidateur pour une période allant jusqu’au 31 décembre 2020, étant précisé que si, au terme de cette période, les opérations de liquidation ne sont pas achevées, ces ministres peuvent prolonger cette durée par arrêté pour le temps nécessaire à cet achèvement. Ce liquidateur « est chargé de mener à bonne fin les opérations engagées par l’établissement à la date de dissolution » ; en particulier, il pourvoit à la « liquidation des créances et des dettes inscrites au bilan de l’établissement existantes à la date de sa mise en liquidation, ainsi que des créances et des dettes constatées au cours de la période de liquidation ».

Auteur d'origine: Delpech

Entré en vigueur le 2 décembre 2018, le décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement a pour objet, en simplifiant le contentieux éolien, d’empêcher que les recours formés contre les décisions relatives à l’installation d’éoliennes – toujours plus nombreux en la matière – constituent un frein au développement effectif et rapide des énergies renouvelables.

De nombreuses associations de protection de l’environnement et du patrimoine s’en sont inquiétées, jugeant notamment ces mesures trop restrictives au regard du droit au recours effectif. Certaines ont ainsi introduit une requête tendant à l’annulation de tout ou partie dudit décret auprès du Conseil d’État, lequel les a jointes afin de statuer par une seule décision.

Les requérants reprochaient notamment à l’article 24 du décret, en prévoyant, d’une part, la cristallisation automatique des moyens au-delà du délai de deux mois suivant la notification du premier mémoire en défense (2e al.) et en permettant, d’autre part, au président de la formation de jugement de « fixer [à tout moment] une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie » (3e al.), de méconnaître le principe du contradictoire.

Pour mémoire, la règle générale de droit commun fixée à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative prévoit que, « lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l’instruction peut, sans clore l’instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux ». Cette mesure de cristallisation non automatique peut être mise en place après l’écoulement d’un délai d’un mois minimum suivant la notification de l’ordonnance. En l’absence d’une telle ordonnance, les parties ont, en principe, jusqu’à la clôture de l’instruction pour invoquer de nouveaux moyens. L’article suivant, inséré par l’article 24 du décret et applicable au contentieux éolien, constitue donc une dérogation à cette règle.

Le Conseil d’État estime que la mesure de cristallisation automatique des moyens prévue à l’article 24 du décret respecte le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en ce que « la limitation du délai ouvert aux parties pour présenter leurs moyens est subordonnée à la communication aux parties du premier mémoire en défense dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative » et en ce que « les dispositions attaquées laissent aux parties un délai de deux mois pour présenter, le cas échéant, tout moyen nouveau ».

Puis, il se penche sur les dispositions prévues au troisième alinéa du même article et apporte deux conditions cumulatives en l’absence desquelles celles-ci seraient considérées comme méconnaissant le principe du contradictoire : « la faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense ».

Autrement dit, lorsque le président de la formation de jugement fixe une nouvelle date de cristallisation des moyens, celle-ci ne peut être prise totalement au hasard puisqu’elle doit dans tous les cas, pour être valable, respecter le principe du contradictoire. La circonstance que la mesure de cristallisation automatique respecte en elle-même le principe du contradictoire n’a pas pour conséquence de rendre son respect optionnel dans l’hypothèse où le juge fixe une nouvelle date au-delà de ce délai de deux mois.

De même, le Conseil d’État semble non seulement insinuer que la fixation d’un délai inférieur à celui de deux mois de la cristallisation automatique irait à l’encontre du principe du contradictoire mais encore que la fixation d’un délai qui commencerait à courir avant la notification du premier mémoire en défense serait également contraire à ce principe.

Outre la question du principe du contradictoire, celle de la possibilité pour le président de la formation de jugement de fixer un délai inférieur à deux mois se posait effectivement, en raison de la formulation de la disposition, les mots « à tout moment » pouvant laisser entendre une telle affirmation et l’emploi de « nouvelle date » au lieu d’« autre date » pouvant se comprendre comme restreignant cette possibilité au-delà du délai initial de deux mois. La question est désormais tranchée par le juge.

Relevons que les dispositions de l’article 24 sont semblables en tout point à celles de l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme, inséré par l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (parties réglementaires) et entré en vigueur plusieurs mois avant le décret litigieux. Bien que ce décret du 17 juillet 2018 n’ait pas été contesté devant le Conseil d’État, on peut raisonnablement penser – eu égard à l’identité rédactionnelle commune aux deux articles – que la réserve d’interprétation formulée en matière de contentieux éolien s’applique également au contentieux de l’urbanisme.

Auteur d'origine: pastor

La Chancellerie a livré son interprétation de cette disposition, dans une circulaire envoyée à toutes les juridictions, selon laquelle toutes les détentions provisoires peuvent être prolongées automatiquement, sans débat, alors même que la détention est encore légalement prolongeable. Les magistrats ont souvent appliqué cette lecture, validée par plusieurs cours d’appel. En défense, les avocats font valoir que l’article 16 de l’ordonnance ne s’applique qu’à la fin délai de détention provisoire, quand celui-ci ne peut pus être prolongé (délai « maximum »). En dehors de ces cas, un débat, même dématérialisé, même écrit, doit se tenir.

Alors qu’un pourvoi en cassation est en cours, le tribunal correctionnel d’Épinal vient de rendre une décision qui, en tout point, valide le raisonnement soutenu par les avocats de la défense – et un certain nombre de magistrats, qui dénoncent les pressions reçues de la part de la Chancellerie. Un homme devait être jugé le 31 mars, mais son procès fut renvoyé en raison de l’état d’urgence sanitaire. Le 2 avril, son avocat dépose une demande de mise en liberté, après que les services du parquet lui ont indiqué que la détention de son client était prolongée automatiquement, en vertu de l’article 16 de l’ordonnance. La demande de mise en liberté est examinée le 7 avril, au cours d’une audience de comparution immédiate (le détenu comparaissait par visioconférence).

Le tribunal ordonne la remise en liberté de la personne détenue, considérant qu’il était détenu sans titre, et donc de manière arbitraire, depuis le 31 mars 2020. Se référant tout d’abord aux normes constitutionnelles et législatives consacrant la légalité des délits et des peines, le droit à un procès équitable, le rôle de gardien de la liberté individuelle confié au juge judiciaire, la décision vise le texte de l’article 16 de l’ordonnance, puis estime que « l’interprétation littérale de ce texte permet de dire que l’article 16 de l’ordonnance précitée n’instaure pas la prolongation de plein droit de la détention provisoire, mais uniquement une prolongation de plein droit des délais maximum de détention provisoire […]. Aucune disposition de l’article 16 ne prive le prévenu dont la durée maximum de détention provisoire a été prorogée de deux mois d’un débat sur la prolongation de son titre de détention ». Le tribunal note également qu’une audience de comparution immédiate s’est tenue le jour même où le mis en cause aurait dû être jugé, ce qui démontre que le tribunal « n’a pas été dans l’incapacité de fonctionner ». Surtout, elle rappelle que la circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces, « inférieure en norme à l’ordonnance du 25 mars 2020, ne peut ajouter au texte de l’article 16 qui n’exclut à aucun moment la tenue d’un débat contradictoire ». Estimant que le prévenu est détenu sans droit ni titre, le tribunal ordonne sa remise en liberté immédiate.

Le parquet a fait appel.

Auteur d'origine: babonneau

La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne (E3) viennent de conclure leur première transaction vers l’Iran grâce au dispositif appelé Instrument in Support of Trade Exchanges (INSTEX) (v. Dalloz actualité, 15 févr. 2019, obs. P. Dufourq). Cette transaction était en discussion depuis décembre dernier et avait pour objectif d’acheminer du matériel médical de l’Europe vers Téhéran courant mars 2020.

C’est une première étape particulièrement attendue qui vient légitimer la pertinence de l’adoption de ce dispositif, qui a désormais vocation à se pérenniser, comme le relève le ministère des affaires étrangères allemand.

Pour rappel, l’INSTEX a été créé en janvier 2019, à la suite de la décision des États-Unis de se retirer de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA), le 8 mai 2018. La sortie des États-Unis de l’accord s’accompagne du rétablissement des sanctions américaines contre l’Iran. En pratique, les entreprises qui ont un lien de rattachement avec les États-Unis et qui souhaitent maintenir leurs relations commerciales avec l’Iran s’exposent à des sanctions américaines pour violation de l’embargo.

La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont néanmoins souhaité préserver le plan d’action global conjoint (PAGC) approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies (résolution 2231). Ils ont cherché à contourner de telles sanctions en créant l’INSTEX, destiné à faciliter le commerce légitime entre les opérateurs économiques européens et l’Iran.

L’INSTEX vise à soutenir les échanges commerciaux européens légitimes avec l’Iran, en se concentrant dans un premier temps sur les produits de première nécessité, autrement dit sur les secteurs les plus essentiels à la population iranienne – comme les produits pharmaceutiques, les appareils médicaux et les produits agroalimentaires.

En pratique, l’INSTEX fonctionne comme une chambre de compensation. Plus précisément, « l’INSTEX vise à offrir une solution de paiement aux entreprises voulant opérer en Iran, afin de pallier l’exiguïté des canaux bancaires existants. Le fonctionnement d’INSTEX [repose], dans sa phase initiale, sur un système de compensation entre importateurs et exportateurs. INSTEX [est] alors chargé d’un travail essentiellement comptable, pour équilibrer les échanges commerciaux entre importateurs et exportateurs européens, les derniers se faisant payer par les premiers. Il [revient] aux banques des entreprises européennes d’assurer les paiements entre elles, de telle sorte qu’aucun flux bancaire transfrontalier n’interviendra entre l’Europe et l’Iran » (INTEX, FAQ, ministère de l’économie et des finances). Parallèlement, l’Iran s’est, de son côté, doté d’une structure équivalente appelée STFI.

L’INSTEX vise à long terme à être ouvert aux opérateurs économiques des pays tiers qui souhaitent commercer avec l’Iran et le E3. Le 29 novembre 2019, la Finlande, la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède ont indiqué leur intérêt pour rejoindre ce mécanisme.

Il est à noter que cette transaction s’inscrit dans un environnement tumultueux à la suite de l’assassinat du général Qassem Soleimani par l’armée américaine et la décision de l’Iran – à travers son ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif – de s’affranchir des exigences de l’accord de Vienne qui imposent par exemple une limite au nombre de centrifugeuses détenues par l’Iran. Bien que le gouvernement iranien ait précisé le caractère réversible de telles mesures, de nombreux commentaires européens ont considéré que l’accord de Vienne était désormais réduit à peau de chagrin.

C’est dans ce contexte que l’Élysée invite l’Iran dans son communiqué à revenir au respect de ses obligations nucléaires, s’abstenir de prendre de nouvelles mesures contraires au Plan d’action global commun (JCPoA) et contribuer à l’apaisement des tensions régionales.

Auteur d'origine: babonneau

Entré en vigueur le 2 décembre 2018, le décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement a pour objet, en simplifiant le contentieux éolien, d’empêcher que les recours formés contre les décisions relatives à l’installation d’éoliennes – toujours plus nombreux en la matière – constituent un frein au développement effectif et rapide des énergies renouvelables.

De nombreuses associations de protection de l’environnement et du patrimoine s’en sont inquiétées, jugeant notamment ces mesures trop restrictives au regard du droit au recours effectif. Certaines ont ainsi introduit une requête tendant à l’annulation de tout ou partie dudit décret auprès du Conseil d’État, lequel les a jointes afin de statuer par une seule décision.

Les requérants reprochaient notamment à l’article 24 du décret, en prévoyant, d’une part, la cristallisation automatique des moyens au-delà du délai de deux mois suivant la notification du premier mémoire en défense (2e al.) et en permettant, d’autre part, au président de la formation de jugement de « fixer [à tout moment] une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie » (3e al.), de méconnaître le principe du contradictoire.

Pour mémoire, la règle générale de droit commun fixée à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative prévoit que « lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l’instruction peut, sans clore l’instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux ». Cette mesure de cristallisation non automatique peut être mise en place après l’écoulement d’un délai d’un mois minimum suivant la notification de l’ordonnance. En l’absence d’une telle ordonnance, les parties ont, en principe, jusqu’à la clôture de l’instruction pour invoquer de nouveaux moyens. L’article suivant, inséré par l’article 24 du décret et applicable au contentieux éolien, constitue donc une dérogation à cette règle.

Le Conseil d’État estime que la mesure de cristallisation automatique des moyens prévue à l’article 24 du décret respecte le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en ce que « la limitation du délai ouvert aux parties pour présenter leurs moyens est subordonnée à la communication aux parties du premier mémoire en défense dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative » et en ce que « les dispositions attaquées laissent aux parties un délai de deux mois pour présenter, le cas échéant, tout moyen nouveau ».

Puis, il se penche sur les dispositions prévues au troisième alinéa du même article et apporte deux conditions cumulatives en l’absence desquelles celles-ci seraient considérées comme méconnaissant le principe du contradictoire : « la faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de deux mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense ».

Autrement dit, lorsque le président de la formation de jugement fixe une nouvelle date de cristallisation des moyens, celle-ci ne peut être prise totalement au hasard puisqu’elle doit dans tous les cas, pour être valable, respecter le principe du contradictoire. La circonstance que la mesure de cristallisation automatique respecte en elle-même le principe du contradictoire n’a pas pour conséquence de rendre son respect optionnel dans l’hypothèse où le juge fixe une nouvelle date au-delà de ce délai de deux mois.

De même, le Conseil d’État semble non seulement insinuer que la fixation d’un délai inférieur à celui de deux mois de la cristallisation automatique irait à l’encontre du principe du contradictoire mais encore que la fixation d’un délai qui commencerait à courir avant la notification du premier mémoire en défense serait également contraire audit principe.

Outre la question du principe du contradictoire, celle de la possibilité pour le président de la formation de jugement de fixer un délai inférieur à deux mois se posait effectivement, en raison de la formulation de la disposition, les mots « à tout moment » pouvant laisser entendre une telle affirmation tandis que l’emploi de « nouvelle date » au lieu d’« autre date » pouvant se comprendre comme restreignant cette possibilité au-delà du délai initial de deux mois. La question est désormais tranchée par le juge.

Relevons que les dispositions de l’article 24 sont semblables en tout point à celles de l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme, inséré par l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (parties réglementaires) et entré en vigueur plusieurs mois avant le décret litigieux. Bien que ce décret du 17 juillet 2018 n’ait pas été contesté devant le Conseil d’État, on peut raisonnablement penser – eu égard à l’identité rédactionnelle commune aux deux articles – que la réserve d’interprétation formulée en matière de contentieux éolien s’applique également au contentieux de l’urbanisme.

Auteur d'origine: pastor

Saisi en référé-liberté, le tribunal administratif de Paris a enjoint aux autorités administratives d’exclure le centre de Vincennes comme lieu d’exécution des mesures de placement en rétention qui seraient prises dans une période de quatorze jours à compter de la notification de l’ordonnance, d’isoler les personnes symptomatiques placées au centre de rétention de Vincennes et de les confiner, tout en maintenant leur accès aux soins nécessaires à leur état de santé. Il a par ailleurs enjoint au préfet de police d’orienter les personnes testées positives au covid-19 vers un centre de l’Agence régionale de Santé après avoir levé leur rétention.

Le juge des référés est arrivé à la conclusion que le maintien en fonctionnement du centre de rétention de Vincennes portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et au droit à l’accès aux soins des personnes placées dans ce centre. Après avoir constaté que des étrangers placés dans ce centre de rétention avaient été dépistés positifs au covid-19 et que par suite, les personnes retenues et les fonctionnaires de police et agents qui y travaillaient étaient exposés depuis plusieurs jours à un risque de contamination. Implacable, le juge des référés estime « que le préfet de police en continuant à se donner la possibilité d’accueillir de nouvelles personnes au centre de rétention de Vincennes, lesquelles seront inévitablement amenées à côtoyer des personnes elles-mêmes atteintes du covid-19 qui risquent de contaminer les nouveaux arrivants, entretient le foyer de contamination qui a été récemment identifié au sein de ce centre, et méconnaît de ce fait les impératifs de santé publique qui s’imposent à lui en vertu de l’état de catastrophe sanitaire mettant en péril la santé de la population, déclaré par la loi du 23 mars 2020 d’urgence sanitaire, ainsi que l’obligation qui s’impose aux autorités chargées d’appliquer les procédures d’éloignement en vertu des dispositions du code des étrangers et du droit d’asile, tant au niveau national qu’au niveau local, de veiller à ne pas altérer la santé des personnes placées en rétention et de leur garantir l’accès aux soins qui leur sont nécessaires, jusqu’à ce qu’il soit procédé à leur éloignement. »

Demande d’arrêts des centres de rétention

Par la suite, consécutivement aux contrôles réalisés dans les centres de rétention administrative de Paris-Vincennes et du Mesnil-Amelot, le Contrôleur général des lieux de privations de liberté, Adeline Hazan, a saisi le 20 avril le ministre de l’Intérieur afin de lui faire état de ses constats : un risque sanitaire significatif pesant sur les personnes retenues et sur les fonctionnaires qui assurent leur prise en charge ; disparition du fondement légal des mesures de rétention et des garanties entourant les droits de la défense. Trois jours auparavant, le 17 avril, le Défenseur des droits recommandait (décis. n° 2020-96) la fermeture de tous les centres de rétention encore en activité – une demande immédiate même pour le centre du Mesnil-Amelot – la libération de tous les étrangers actuellement retenus dans l’attente de l’amélioration du contexte sanitaire français.

Auteur d'origine: pastor

Dans une ordonnance du 17 avril, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté le recours de la commune de Sceaux contre la suspension, par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise de l’arrêté de son maire imposant aux habitants de ne sortir que munis d’une « protection buccale et nasale ». Mais il est allé beaucoup plus loin que le tribunal administratif de Cergy et la plupart des juridictions qui ont eu à connaître de la question (v. M.-C. de Montecler, Le maire, le covid et les circonstances locales, Dalloz actualité, 13 avr. 2020). Ceux-ci admettaient sur le principe l’action du maire sur le fondement de circonstances locales, même s’ils étaient assez exigeants sur la démonstration de celles-ci. Ils se fondaient pour ce faire sur la première ordonnance du Conseil d’État en matière de coronavirus (CE, ord., 22 mars 2020, n° 439674, Syndicat Jeunes médecins, v. Dalloz actualité, 23 mars, art. J.-M. Pastor) qui avait admis que « les représentants de l’État dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient ».

La crainte d’une surenchère

Mais cette ordonnance datait du 22 mars. Et la loi du 23 mars d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a tout changé, avaient plaidé d’une même voix l’avocat de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la représentante du ministère de l’intérieur lors de l’audience du 15 avril. Au-delà du cas de Sceaux, la LDH comme le ministère étaient venus demander au Conseil d’État de reconnaître l’exclusivité de la police spéciale de l’État en la matière. De crainte, a expliqué Me Spinosi, d’une « surenchère » de la part des communes, les amenant à prendre des arrêtés « de plus en plus restrictifs » des libertés. Cette alliance, « pas si fréquente », qui avait fait sourire le juge des référés, Bertrand Dacosta, l’a cependant presque complètement convaincu. Par cette loi, estime-t-il, « le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’État mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 [du code de la santé publique, à savoir le premier ministre, le ministre de la santé et les préfets] la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation ».

Certes, les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales « autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune ». Celui-ci peut, « le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État ».

Un arrêté de nature à induire en erreur

La porte n’est donc pas complètement fermée au pouvoir de police du maire. Mais elle est à peine entrebâillée. Et l’arrêté du maire de Sceaux ne parvient pas à s’y glisser, même s’il était très loin d’être le plus restrictif des libertés de ceux pris localement ces dernières semaines. Les avocats de la ville ont en effet plaidé qu’il n’y avait pas d’atteinte grave et manifeste à la liberté d’aller et venir, mais à la celle d’aller et venir sans masque qui n’est pas une liberté fondamentale. Un argument qui n’a pas convaincu le juge. Pas plus que les circonstances locales invoquées : la présence à Sceaux de 25 % de personnes âgées de plus de 60 ans et la concentration des commerces dans une rue piétonne étroite. Pour le juge, ces particularités « ne sauraient être regardées comme caractérisant des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l’épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection ». En outre, « l’édiction, par un maire, d’une telle interdiction, à une date où l’État est, en raison d’un contexte qui demeure très contraint, amené à fixer des règles nationales précises sur les conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et FFP2 et à ne pas imposer, de manière générale, le port d’autres types de masques de protection, est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes. De plus, en laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités ». Il conclut que « les conditions n’étaient donc manifestement pas réunies en l’espèce pour que le maire de Sceaux puisse légalement édicter une telle interdiction sur le fondement de son pouvoir de police générale ».

Auteur d'origine: Montecler

Traiter l’urgence ! Telle était la fonction assignée aux vingt-six ordonnances adoptées par le gouvernement le 25 mars 2020. Parmi elles figurait la (désormais) célèbre ordonnance 2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures.

De nombreuses voix, dont les nôtres (Dalloz actualité, 2 avr. 2020, Le droits en débats, par G. Casu et S. Bonnet), s’étaient élevées pour féliciter les auteurs de ce travail accompli dans des délais intenables, mais aussi pour dénoncer les conséquences parfois dramatiques que son application pouvait engendrer. Le secteur de l’immobilier, en particulier, s’était mobilisé pour dénoncer la brutalité (notamment en matière d’urbanisme) ou, au contraire, la timidité (sécurisation des contrats de droit privé) de certaines mesures. Nombreux œuvraient depuis lors au grand jour, ou en secret, dans l’espoir d’une adaptation de ces dispositions…

C’est chose faite avec l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, dont l’intérêt réside non seulement dans son texte mais aussi dans les précisions apportées par la circulaire du 17 avril 2020 prise pour son application.

En effet, on doit à cette dernière de spécifier un point jusque-là controversé : la date exacte de la fin de l’urgence sanitaire (24 mai à 0h00 ou 25 mai à 0h00) et, par voie de conséquence, la date de fin de la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois). La circulaire tranche et énonce clairement qu’« à ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020 à 0h00, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard, soit le 23 juin à minuit ». Le cours des délais touchés par l’ordonnance n° 2020-306 devra donc reprendre le 24 mai (pour certains) ou le 24 juin (pour d’autres), cela sous réserve d’une modification (presque annoncée) de la durée de l’urgence sanitaire avant ces échéances.

Ce point éclairci, il faut s’attacher à l’étude de l’ordonnance modificative elle-même. S’il est agréable d’y retrouver certaines propositions que nous (et d’autres) avions pu formuler, il faut toutefois se garder de tout excès de triomphalisme ! En effet, cette ordonnance modificative souffle le chaud et le froid. De sa lecture naissent des sentiments contradictoires : satisfaction, déception et circonspection.

La satisfaction

Nous avions vertement critiqué l’ordonnance n° 2020-306 pour ses conséquences sur l’instruction et les recours contre les autorisations d’urbanisme. En effet, les demandes d’instruction déposées avant le 12 mars 2020 étaient suspendues pendant la durée de la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois) et les demandes nouvelles ne devaient être étudiées qu’à l’expiration de cette période. Quant aux délais de recours contre ces décisions, ils étaient « interrompus » (même si le terme est juridiquement inapproprié) à compter du 12 mars 2020, un nouveau délai de deux mois débutant une fois la période juridiquement protégée écoulée.

La conjonction de ces deux dispositions devait nécessairement plonger le secteur de la construction dans une léthargie catastrophique puisqu’aucun permis n’aurait été délivré avant le 24 juin 2020 et que la purge des permis affichés avant le 12 mars n’aurait été effective qu’à compter du 24 août.

Heureusement, le tir est corrigé par l’ordonnance n° 2020-427 à la faveur de quatre nouveaux articles apportant deux modifications notoires : 

• D’une part, la période juridiquement protégée (urgence sanitaire + un mois) est délaissée au profit d’un délai plus bref limité à la durée de l’urgence sanitaire. Aussi, la période de protection « incompressible » passe, en l’état actuel des choses, de trois à deux mois !

• D’autre part, la nature de la protection évolue. Alors que l’ordonnance n° 2020-306 prévoyait un mécanisme hybride et complexe proche de l’interruption, la nouvelle ordonnance propose une mesure claire et simple : la suspension. Le délai de recours contre un permis de construire, suspendu à compter du 12 mars, ne recommencera que pour la durée qui lui restait à courir à cette date. Il en est de même de l’instruction des mesures d’urbanisme ou des délais de préemption dont bénéficient certains organismes.

Ces deux modifications, dont nous avions d’ailleurs proposé l’adoption, permettent d’adoucir les effets néfastes des précédentes mesures. Ainsi, par exemple, un permis de construire affiché le 25 janvier sera purgé de tout recours le 5 juin, alors que, sous l’empire des dispositions précédentes, la purge n’aurait été acquise que le 24 août.

Il faut donc se réjouir de ces avancées même si, à tout vouloir, on aurait également apprécié que l’étude dématérialisée des autorisations d’urbanisme soit clairement préconisée lorsqu’elle est possible.

La déception

Malheureusement, ce sentiment de satisfaction est rapidement contrarié à la lecture de l’article 4 du texte nouveau, qui amende l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ! Celui-ci, dont nous avions dénoncé la timidité, sinon l’inanité, ne fait l’objet que d’une modeste retouche.

Pour rappel, cet article traitait du sort des « astreintes, [d]es clauses pénales, [d]es clauses résolutoires ainsi que [d]es clauses prévoyant une déchéance ». Lorsqu’une obligation devait être exécutée dans un délai expirant durant la période juridiquement protégée, ces clauses ne pouvaient prendre effet qu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de la période protégée. Ainsi, dans l’hypothèse d’un commandement de payer des loyers d’habitation sous deux mois et délivré le 15 janvier 2020, la clause résolutoire n’aurait pu prendre effet que le 24 juillet 2020 (soit un mois après la fin de la période juridiquement protégée).

En revanche, aucun mécanisme de suspension n’était prévu lorsque le délai d’exécution de l’obligation expirait après la période juridiquement protégée. Cette omission menait à des situations parfois incohérentes, ainsi que nous l’avions souligné. Par exemple, si la réception d’une maison devait intervenir au plus tard le 31 mars 2020, l’effet de la clause pénale était suspendu jusqu’au 24 juillet 2020. Mais si la réception de cette même maison devait intervenir au plus tard le 30 juin 2020 (c’est-à-dire après la période juridiquement protégée), le constructeur devait les pénalités dès à compter de cette date !

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 corrige cette incohérence au gré d’une double modification :

• D’abord, en postulant un report d’application des astreintes, clauses pénales et clauses résolutoires indépendamment de la date d’expiration du délai. Peu importe que le terme de l’obligation intervienne avant, durant ou après l’expiration de la période juridiquement protégée. Dorénavant, l’épidémie « suspend le cours temps » de manière générale.

• Ensuite, en modifiant les modalités de calcul de ce report : désormais, le temps n’est plus suspendu pour une durée fixe et uniforme (un mois après la période juridiquement protégée), mais plus justement du temps écoulé entre, d’une part, le début de la période d’urgence sanitaire (ou la date de naissance de l’obligation, si elle est postérieure à cet événement) et le terme prévu de l’obligation. La durée du report sera donc variable selon la date à laquelle l’obligation devait être exécutée.

Par exemple, si l’obligation née avant le 12 mars devait être exécutée au plus tard le 22 mars, l’application de la clause pénale sera reportée au 4 juillet (période juridiquement protégée + 10 jours) et non au 24 juillet comme prévu par l’ordonnance n° 2020-306.

Et si l’obligation née le 18 mars doit être exécutée avant le 30 juin (après la période juridiquement protégée), alors l’application de la clause pénale sera reportée de 98 jours (durée entre le 18 mars, date de naissance de l’obligation et le 24 juin, fin de la période juridiquement protégée).

Cette modification de l’ordonnance est sans doute bienvenue. Et pourtant, elle déçoit car, s’agissant au moins de la clause pénale, les efforts consentis pour le raffinement de cet article 4 ne présentent pas la moindre utilité.

En effet, le texte n’a pour seul effet que de suspendre la sanction de l’obligation d’exécuter dans les délais (la clause pénale), mais pas l’obligation elle-même. En d’autres termes, celui qui devait s’exécuter pour le 15 avril le doit toujours, seule la sanction contractuellement prévue étant reportée.

Le débiteur n’est donc pas à l’abri de toute sanction ! Si la pénalité contractuellement prévue est inapplicable, le créancier pourra toujours invoquer les dispositions du droit commun et solliciter une indemnisation si le retard lui a causé un quelconque préjudice. Le débiteur ne pourra échapper à la sanction que s’il prouve que son retard relève de la force majeure ou d’une cause valable de prorogation des délais.

Les modifications apportées à l’article 4 de l’ordonnance constituent, par conséquent, une petite déception.

La circonspection

C’est, enfin, la circonspection qui nous gagne à la lecture du « nouvel » article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 (dans sa rédaction issue de l’article 2 du texte nouveau) et, plus précisément, de l’incise fracassante qui lui a été adjointe : « le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ».

Rappelons que l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 octroie notamment un « report » des actes prescrits par la loi ou le règlement à peine de déchéance. La plupart des auteurs en avaient logiquement déduit que les délais de rétractation et de renonciation accordés par la loi et le règlement se trouvaient suspendus par l’effet de ces dispositions (ainsi par exemple en matière de vente à distance, de contrats d’assurance ou de services financiers à distance ou, s’agissant du droit civil, de la renonciation à une succession après sommation de l’art. 771 C. civ.). 

L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 condamne donc formellement cette interprétation ! Le droit de rétractation de dix jours dont bénéficie l’acquéreur d’un bien immobilier (CCH, art. L. 271-1) n’est donc pas « touché » par les circonstances actuelles, pas davantage, du reste, que le délai de réflexion de dix jours imposé au bénéficiaire d’une offre de prêt préalablement à son acceptation (C. consom., art. L. 313-34).

On pourrait se réjouir de ces exclusions qui permettent, s’agissant des délais de réflexion, d’autoriser le bénéficiaire à passer l’acte malgré la période d’urgence sanitaire et, s’agissant des délais de rétractation, de conférer un caractère définitif aux actes passés durant cette période. Cette exclusion n’est donc pas critiquable en soi, sauf bien évidemment à constater que l’exercice de la rétractation est parfois matériellement impossible au regard de la situation sanitaire actuelle…

Mais le mal n’est pas là. Il est se trouve un peu plus loin, lorsque le gouvernement prétend attacher à sa modification (osons le mot !) un caractère (faussement) interprétatif et considérer ainsi que les délais de réflexion, rétractation ou renonciation n’ont jamais été affectés par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

Si la mesure n’a guère d’importance pour les délais de réflexion, puisque le caractère interprétatif n’aura d’autre conséquence que d’octroyer à tous ses bénéficiaires la possibilité d’agir et de consentir, on imagine les conséquences dramatiques d’une telle rétroactivité sur les délais de rétractation. Elle prive purement et simplement certains bénéficiaires d’un droit acquis, d’une rétractation sur laquelle ils pouvaient légitimement compter !

De quoi, assurément, être circonspect.

Auteur d'origine: Rouquet

Fermeture des centres de rétention

En premier lieu, l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Conseil national des barreaux (CNB), ont demandé au Conseil d’État d’enjoindre au Gouvernement de fermer temporairement les centres de rétention administrative où sont retenus des étrangers en situation irrégulière en attente de leur éloignement. Dans une ordonnance rendue le 27 mars, le juge des référés a rejeté cette requête, observant tout d’abord que seulement 152 personnes étaient encore retenues dans ces centres, qui sont en capacité d’accueillir 1 800 personnes. Il a rappelé que des instructions spécifiques à la prévention à la lutte contre l’épidémie de covid-19 y avait été transmises et a estimé qu’il n’y avait pas de preuves de carence dans l’accès aux soins des personnes retenues, ou dans la mise à disposition de produits d’hygiène.

Demande de suspension de l’exécution de l’ordonnance du 25 mars et de la circulaire du 26 mars

Le 3 avril, le Conseil d’État a rejeté sans audience la requête formulée par l’UJA, l’ADAP et le CNB d’une part, par le SAF d’autre part, demandant la suspension de l’exécution de la circulaire du 26 mars prise sur le fondement de l’ordonnance du 25 mars portant adaptation de règles de procédure pénale, dont il est également demandé la suspension. L’attention de la requête s’était portée sur l’interprétation de l’article 16 de l’ordonnance qui avait été donnée dans la circulaire envoyée par la direction des affaires criminelle et des grâces (DACG) quant à la prolongation des mesures de détention provisoire, que la circulaire estime automatique et de plein droit à chaque renouvellement de mandat de dépôt, contrairement à l’interprétation soutenue par les avocats et d’évidence plus conforme à la lettre de l’article 16 de l’ordonnance, qui n’évoque qu’un délai maximum, soit, selon les requérants, à l’issue des renouvellements de détention autorisés par la loi. Le juge des référés a estimé que ni la circulaire, ni l’ordonnance ne pouvaient être vues comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Libération de détenus, adaptation des règles sanitaires en prison

L’association Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont demandé au Conseil d’État d’enjoindre au gouvernement de prendre des mesures sanitaires supplémentaires pour les détenus et de procéder à la libération de certains d’entre eux afin de réduire la population carcérale.

Le juge des référés a rejeté la requête par une ordonnance du 8 avril. Il a estimé que des consignes ont été transmises aux établissements afin de faire respecter les « gestes barrières », et qu’il a été demandé de procéder à un nettoyage renforcé et une aération régulière des locaux ainsi qu’à l’organisation des douches collectives de manière appropriée. Le juge note également que les détenus ayant contracté le covid-19 ou en présentant des symptômes doivent faire l’objet d’un confinement sanitaire, et que des mesures ont été prises pour réduire les contacts avec l’extérieur et limiter les mouvements à l’intérieur des établissements. L’ordonnance du juge relève qu’il revient aux chefs d’établissements de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer le respect de ces consignes.

Adaptation du fonctionnement des juridictions judiciaires et administratives

Plusieurs organisations, syndicats et associations – dont le Conseil national des barreaux, le syndicat des avocats de France ou le syndicat de la magistrature – ont demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre plusieurs règles d’adaptation du fonctionnement des juridictions administratives et judiciaires (hors pénal) durant l’état d’urgence sanitaire. Ils contestaient notamment la possibilité de recourir à la visioconférence lors des audiences, de mener des procédures sans audience ou de rejeter sans procédure contradictoire certaines demandes en référé. Cette requête a été rejetée par deux ordonnances rendues le 10 avril, l’une concernant la juridiction administrative, l’autre au sujet du fonctionnement des juridictions judiciaires.

Fourniture de masques et de gel aux avocats

Le mardi 14 avril, l’ordre des avocats au barreau de Paris et celui de Marseille, notamment, ont demandé au juge des référés d’enjoindre au Premier ministre, au ministre de la Santé, à la ministre de la Justice et à tout autre ministre ou toute autre autorité publique pertinente, de mettre systématiquement des masques et du gel hydroalcoolique à la disposition des avocats et justiciables lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats ainsi que lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates plus généralement dans toutes les circonstances du fonctionnement du service public de la justice où la présence d’un avocat est ou peut être requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense. Le Conseil d’État devrait rendre une ordonnance à la fin de la semaine.

Auteur d'origine: babonneau

La modification des normes et des pratiques funéraires en temps d’épidémie est une réalité historique bien documentée1. Nulle surprise donc à ce que la présente crise sanitaire s’accompagne de modifications des dispositions applicables au traitement des corps morts. Les modifications adoptées dans le cadre de la lutte contre le covid-19 peuvent être classées en deux catégories : celles qui visent avant tout à protéger les proches et les professionel·les de la contamination et celles qui anticipent le risque de sur-mortalité et les difficultés organisationnelles liées au confinement.

Concernant la protection contre la contamination. Le gouvernement prend acte du constat établi par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) : les corps des défunts peuvent être contaminants pour les personnes qui les manipulent, même si le risque est limité2. Les dispositions du décret n° 2020-384 du 1er avril 20203 visent dès lors à limiter les contacts avec les corps des personnes dont on sait, ou dont on soupçonne, qu’elles sont décédées alors qu’elles étaient porteuses du virus. Ceux-ci doivent, au moins jusqu’au 30 avril prochain, être mis en bière immédiatement et ne pas faire l’objet d’une toilette mortuaire. Notons ici que le gouvernement va au-delà de ce qui est préconisé par le HCSP dans son avis le plus récent. En effet, si lors d’un premier avis, rendu en urgence au début de la période d’épidémie, le Haut Conseil avait préconisé une fermeture immédiate du cercueil et une toilette mortuaire minimale4, ses recommandations se sont assouplies dans un second temps. Son avis du 24 mars est explicite : « dans la prise en charge des personnes décédées, il convient de respecter (…) dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir le visage de la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ». Il préconise ainsi que deux proches puissent être désignés pour pratiquer eux-mêmes une toilette mortuaire ou tout autre rite funéraire à condition qu’ils soient équipés de protections adéquates5. De même, la recommandation de placer le corps dans une housse hermétique pour tout transport était accompagnée de la précision suivante : « la housse est fermée en maintenant une ouverture de 5-10 cm en haut si le corps n’a pu être présenté aux proches », qui pourront « voir le visage de la personne décédée dans la chambre hospitalière, mortuaire ou funéraire, tout en respectant les mesures barrière », à savoir notamment une distance de sécurité d’un mètre avec le corps, sans contact.

Les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi des normes plus strictes que celles qui étaient suggérées par le HCSP ne nous sont pas connues, mais nous ne pouvons qu’espérer que ce choix procède d’une précaution supplémentaire et non d’une impossibilité matérielle d’appliquer des règles moins restrictives, notamment au regard du manque de matériel de protection disponible. À n’en pas douter, les conditions imposées constituent une limitation importante de la liberté des familles dans l’organisation des funérailles, liberté qui, rattachée au droit au respect de la vie privée et à la liberté de conscience, est une liberté fondamentale. On notera par ailleurs que l’interdiction de la toilette mortuaire constitue une règle particulièrement stricte pour les personnes pratiquant une religion dans laquelle elle est un rite funéraire important, au premier rang desquelles l’Islam. Si l’on ajoute que les décès par covid-19 s’annoncent particulièrement importants dans des départements tels que la Seine-Saint-Denis6, où l’Islam est très pratiqué, on comprend que, comme tant d’autres, les normes liées à l’urgence sanitaire n’auront pas les mêmes conséquences pour tous7…

La décision d’établir des règles funéraires strictes suppose également un choix – tout à fait compréhensible mais un choix cependant : celui de privilégier la préservation de la santé somatique d’aujourd’hui à la sauvegarde de la santé psychique de demain. Car les contraintes imposées aux pratiques funéraires en ce temps d’épidémie ne seront certainement pas sans conséquences sur les démarches de deuil des personnes qui auront perdu un proche dans cette période8. Mais ces normes restrictives auront au moins pour efficacité de renforcer la protection sanitaire des travailleurs et travailleuses du funéraires, si toutefois le matériel adéquat leur est fourni.

L’autre disposition phare du décret du 1er avril peut faire l’objet de la même analyse. Elle édicte une interdiction générale de la pratique de la thanatopraxie, au moins jusqu’au 30 avril, pour l’ensemble des corps, quelle que soit la cause du décès ou l’état de santé du défunt. Là encore le texte est plus strict que les recommandations du HSCP qui ne suggéraient cette interdiction que pour les corps contaminés ou soupçonnés de l’être.

L’interdiction totale est une mesure radicale, d’autant que la pratique de la thanatopraxie est, depuis 2017, très strictement encadrée sur le plan des exigences sanitaires9. Le choix procède une fois encore d’un arbitrage : l’interdiction générale de la pratique est une atteinte forte à l’activité des thanatopracteurs et thanatopractrices, dont beaucoup exercent en libéral, mais elle constitue évidemment une protection supplémentaire pour ces professionnel·les. On voit cependant ici comment le spectre du « porteur sain », personne asymptomatique ou pauci-symptomatique, contaminée et contaminante sans le savoir, conduit à prendre des mesures particulièrement radicales puisque concernant tous les corps. Un raisonnement que l’on retrouve vraisemblablement dans de nombreuses dispositions, même hors du droit de la santé.

La décision d’interdire totalement la thanatopraxie limite bien sûr la liberté des familles mais on rappellera que l’intérêt de la thanatopraxie, pour les personnes qui font ce choix, est de faciliter la présentation du corps lors de veillées funéraires ou de présentations publiques. Or, dans la mesure où le décret du 23 mars dernier limite fortement le nombre de personnes pouvant participer à des rassemblements funéraires10, il est possible que la pratique deviennent de facto moins « utile ». Son interdiction conduit cependant à restreindre le choix du lieu de sépulture puisqu’un certain nombre de pays impose que les corps aient fait l’objet de soins de thanatopraxie pour en autoriser l’entrée sur leur territoire11. Notons que l’interdiction des soins de conservation se prolongera au-delà de la période d’urgence sanitaire dans la mesure où le covid-19 est désormais inscrit formellement sur la liste des pathologies proscrivant la thanatopraxie12.

Second volet de l’adaptation des normes funéraires : l’anticipation de la surmortalité et la gestion des funérailles. Le fait que la présente épidémie induise une surmortalité globale sur l’ensemble du territoire n’est pas une certitude pour l’instant puisque les mesures de confinement ont pour effet la diminution de certaines causes de décès en parallèle de l’augmentation du nombre de morts lié à l’infection elle-même. Cependant, la surmortalité semble une réalité dans les régions les plus touchées13. C’est pourquoi l’essentiel des mesures prises aujourd’hui sont des mesures locales.

En ce qui concerne les mesures nationales, notons deux dispositions importantes14. Tout d’abord l’inscription des professionnel·les du funéraire sur la liste des personnes susceptibles de faire l’objet d’une réquisition par l’autorité préfectorale15. Ensuite la possibilité, insérée à l’article R. 2213-29 du code général des collectivités territoriales, de conserver provisoirement les cercueils fermés dans des « dépositoires », c’est-à-dire des lieux de conservation provisoires, hors des caveaux provisoires existant dans les cimetières16. L’utilisation de tels dépositoires était possible jusqu’en 2011, date à laquelle il avait été interdit17, notamment pour éviter la création de lieux de conservation difficiles à contrôler sur le plan sanitaire18. Leur usage est donc à nouveau permis et cette autorisation semble devoir être permanente puisque le décret ne limite pas cette modification dans le temps19. Le texte précise même l’usage du dépositoire, ce qui n’était pas le cas antérieurement : le dépôt du cercueil ne peut excéder six mois, délai au-delà duquel il doit être inhumé (il nous semble que, malgré cette rédaction restrictive, rien, dans l’esprit du texte, n’interdirait une crémation).

 Outre ces prescriptions générales, le décret du 27 mars autorise les municipalités, ou dans certains cas les préfectures, à prendre une série de dispositions exceptionnelles si les circonstances locales le justifient. À la lecture de ces dispositions on comprend que les « circonstances » en question s’entendent à la fois de la difficulté à gérer les funérailles en cas de surmortalité et de la complexité administrative induites par les mesures de confinement. L’ensemble de ces dispositions peuvent être prises pour un délai n’excédant pas un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Au titre des dispositions particulièrement symboliques20 on notera la possibilité d’étendre localement le délai dans lequel les funérailles doivent être pratiquées. Le droit commun impose habituellement une inhumation ou une crémation dans un délai compris entre vingt-quatre heures et six jours après le décès. Ce délai peut donc être localement étendu jusqu’à vingt-et-un jours, et même au-delà sur autorisation préfectorale.

La fermeture des cercueils pourra être possible sans autorisation préalable si elle n’a pas pu être obtenue dans les douze heures précédant l’inhumation ou la crémation. Sauf dégradation très importante de la situation sanitaire cette circonstance aura cependant peu de chance de se produire étant donné que la transmission de ladite autorisation sera possible par voie dématérialisée, comme d’ailleurs les autorisations de crémation et d’inhumation elles-mêmes. Une telle fermeture de cercueil sans autorisation devra cependant être signalée dans les quarante-huit heure à la mairie. Notons ici une disposition particulière pour les cas où la famille ne pourrait être présente au moment de la fermeture de la bière et que celle-ci doive être transportée en dehors de la commune de décès ou de dépôt21. En temps normal, en l’absence de proche, la fermeture ne peut alors être faite qu’en présence d’un·e fonctionnaire désigné·e à cet effet22, qui veille notamment à l’identité du ou de la défunt·e. Les dispositions issues de l’état d’urgence sanitaire permettent de déroger à cette procédure mais uniquement lorsque le corps est destiné à l’inhumation ; elle reste obligatoire en cas de crémation, action qui rend évidemment impossible toute « correction » sur l’identité de la personne décédée… Là encore la mairie doit être informée de la situation dans les quarante-huit heures.

L’adaptation en urgence des normes funéraires est une mesure importante sur les plans à la fois pratique et symbolique. On ne peut évidemment que souhaiter que les blessures intimes subies par les personnes qui ne pourront pas vivre sereinement leur deuil trouvent leur contrepartie sociale dans une vraie protection sanitaire des professionnel·les du secteur. Mais ne l’oublions pas : l’adaptation des normes funéraires n’est pas suffisante à la protection de la santé des salarié·es et indépendant·es qui œuvrent dans ce domaine particulier. Cette protection ne peut être acquise que par un matériel adapté et des conditions de travail respectueuses de leur santé somatique et psychique. Et ceci vaut pour tous les travailleurs et travailleuses de l’ombre qui assurent actuellement le fonctionnement de notre société malade.

 

 

1. Pour un aperçu des recherches archéologiques en la matière, v. par ex. les pré-actes des journées d’étude du Groupement d’archéologie et d’anthropologie du funéraire « Rencontre autour du corps malade : prise en charge et traitement funéraire des individus souffrants à travers les siècles ». Pour un aperçu vulgarisé consulter le site Actuel Moyen-Âge qui consacre actuellement des chroniques régulière à la gestion des épidémies au Moyen-Âge. 
2. HCSP, Avis relatif à la prise en charge du corps d’un patient cas probable ou confirmé covid-19, 24 mars 2020, p. 1.
3. Décr. n° 2020-384 du 1er avr. 2020 complétant le décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, JORF n° 0080 du 2 avr. 2020, art. 1.
4. HCSP, relatif à la prise en charge du corps d’un patient décédé infecté par le virus SARS-CoV-2, 18 févr; 2020, p. 2.
5. À savoir lunettes, masque chirurgical, tablier anti- projection et gants à usage unique.

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Alors que le coronavirus entraîne l’adoption de mesures juridiques exceptionnelles par les États européens, les institutions du Conseil de l’Europe réagissent. Le 24 mars 2020, Hendrik Daems, Président de l’Assemblée parlementaire, appelait les États à respecter la Convention européenne des droits de l’homme, même lorsqu’ils recourraient à la clause dérogatoire que renferme son article 15. Le 7 avril, la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe faisait parvenir aux quarante-sept États membres une « boîte à outils » pour que les États « ne sapent pas notre véritable but à long terme, à savoir préserver les valeurs fondatrices de l’Europe que sont la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme ». Le 9 avril 2020, M. Daems réagissait à nouveau, cette fois à l’intention affichée par certains d’entre eux de recourir au « traçage » numérique pour lutter contre l’épidémie. Sans en remettre en cause la pertinence sanitaire, il soulignait qu’une telle méthode « a d’énormes conséquences sur la vie privée et nécessitera une réglementation rigoureuse pour garantir le respect des droits de l’homme et de l’État de droit ».

Plusieurs États semblent d’ores et déjà rechercher l’adaptation des droits fondamentaux dans le cadre de la lutte contre le covid-19. Certes, au 12 avril 2020, la France n’avait pas (encore ?) notifié au Secrétaire général du Conseil de l’Europe l’intention de bénéficier de l’article 15 de la Convention pour la mise en œuvre du nouvel « état sanitaire d’urgence » issu de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. Elle l’avait fait à deux reprises au sujet de la mise en œuvre de l’état d’urgence sur le fondement de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 : en novembre 2015, à la suite des attentats terroristes ayant frappé le pays, et en 1985 en raison des tensions opposant l’État aux mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie. C’est néanmoins déjà le cas pour neuf autres États membres, qui ont presque tous pris appui sur la qualification de « pandémie » par l’OMS.

Dans ces divers instruments et déclarations, les institutions du Conseil de l’Europe cherchent à rappeler aux États l’état du droit positif concernant les modalités de recours à l’article 15, de ses effets mais aussi de la possibilité que ménage la Convention de lutter contre la pandémie même sans l’activation de la clause.

Les modalités du recours à l’article 15 de la Conv. EDH

L’article 15, intitulé « dérogation en cas d’urgence » permet d’adapter l’application de la Convention, mais reste soumis à des conditions tant formelles que matérielles.

Une condition formelle : la notification indispensable au Secrétariat général du Conseil de l’Europe

Aux termes de l’article 15, § 3, de la Conv. EDH, « toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirés ». Tout défaut de notification, ou retrait, empêche l’État de se prévaloir de la dérogation permise par l’article 15 (CEDH, plén., 29 nov. 1988, Brogan et autres c/ Royaume-Uni, n° 11204/84). L’État doit par ailleurs être ici appréhendé du point de vue du droit international. C’est l’ensemble des organes qui ne peut s’en prévaloir –législatifs, exécutifs, nationaux ou locaux, juridictionnels ou non – et non l’État central au sens du droit administratif.

La Cour contrôle le respect de ces obligations par l’État qui cherche à se prévaloir de la dérogation. En principe, la notification doit intervenir « sans retard » (CEDH 1er juill. 1961, Lawless c/ Irlande (n° 3), n° 332/57, § 47) et contenir « suffisamment d’informations » au sujet des mesures dérogatoires adoptées sur le fondement de l’article 15 (CEDH 18 déc. 1996, Aksoy c/ Turquie, n° 21987/93, § 86, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1998. 37, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1997. 453, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 459, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 471, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 486, obs. R. Koering-Joulin ). Le contrôle reste cependant léger, et la Cour a même semblé admettre que la notification ne fasse pas explicitement état des articles de la Convention qui feront l’objet d’une dérogation (CEDH 20 mars 2018, Şahin Alpay c/ Turquie, n° 16538/17, § 73, AJDA 2018. 1770, chron. L. Burgorgue-Larsen ).

Une condition matérielle : l’existence d’une « guerre » ou d’un « danger public menaçant la vie de la Nation »

La notification est une condition nécessaire mais pas suffisante. Le bénéfice de l’article 15 est réservé aux situations de « guerre » ou de « danger public menaçant la vie de la Nation ». Or, la Cour européenne contrôle l’existence de l’une ou l’autre de ces situations, bien qu’elles soient souvent confondues dans son analyse (CEDH 1er juill. 1961, Lawless c/ Irlande (n° 3), préc., § 28). 

Juridiquement, et malgré certaines déclarations politiques et médiatiques, il est peu probable que la pandémie de coronavirus puisse être qualifiée de « guerre ». Elle pourrait en revanche être qualifiée de « danger public menaçant la vie de la Nation ». La Cour a défini cette notion comme « une situation de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui affecte l’ensemble de la population et constitue une menace pour la vie organisée de la communauté composant l’État » (CEDH 1er juill. 1961, Lawless c/ Irlande, préc., § 28).

Les États bénéficient cependant d’une « large marge d’appréciation » pour déterminer l’existence d’un tel danger, et la Cour n’a à ce jour jamais refusé aux États le bénéfice de l’article 15 sur ce point. L’existence du « danger » doit en principe être apprécié au moment de la notification, mais la Cour se réserve le droit de prendre en considération des éléments postérieurs (CEDH, gr. ch., 19 févr. 2009, A et autres c/ Royaume-Uni, n° 3455/05, § 177, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2009. 672, obs. J.-P. Marguénaud ). Elle a par ailleurs estimé qu’il n’avait pas à être « de nature temporaire » (CEDH, gr. ch., A et autres c/ Royaume-Uni, préc., § 178). Néanmoins, la durée des mesures est susceptible d’« entrer en ligne de compte pour la question de la proportionnalité de la riposte qui lui est apportée » (idem.).

Les effets du recours à l’article 15 : une adaptation partielle et encadrée des droits

L’application de la dérogation prévue à l’article 15 ne suspend pas les obligations conventionnelles, et la réserve française contenue dans l’instrument de déclaration est vraisemblablement indifférente à cet égard. Cette disposition ne permet pas de porter atteinte aux droits dits « absolus », mais autorise seulement, sous certaines conditions, des restrictions plus importantes qu’en temps normal aux autres droits.

Le maintien de l’application intégrale des droits absolus

Certains droits conservent leur caractère indérogeable malgré la mise en œuvre de la clause dérogatoire. Ces droits sont les droits qui ne contiennent pas de « clause d’ordre public » qui permet déjà, dans des circonstances d’ordinaires, d’en limiter la jouissance. À leur égard, l’activation de la clause ne modifie pas l’état du droit. Le deuxième paragraphe de l’article 15 ne permet ainsi aucune dérogation à l’article 2, qui consacre le droit à la vie et sauf « pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre » qui est déjà admis en temps normal. De même, aucune dérogation n’est admise à l’article 3, qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants, à l’interdiction de l’esclavage qui découle de l’article 4, § 1, ainsi qu’au principe de légalité des délits et des peines consacré par l’article 7. Il est important de rappeler que les divers protocoles additionnels à la Convention octroient parfois aussi un caractère indérogeable aux droits qu’ils ajoutent au texte initial. C’est par exemple le cas de l’interdiction de la peine de mort, établie par l’article 1 du Protocole n° 13 en toutes circonstances, mais aussi au principe non bis in idem consacré par l’article 4 du Protocole n° 7. Aucune de ces dispositions ne pourrait donc faire l’objet de restrictions ou d’exceptions, y compris sous l’empire d’un « état d’urgence sanitaire » qui aurait été notifié au Conseil de l’Europe.

L’application adaptée des droits conditionnels

L’article 15 n’a pas non plus pour effet de suspendre l’application des autres droits garantis par la Convention européenne. Ces droits sont ceux qui peuvent déjà, sous certaines conditions, faire l’objet de restrictions en temps ordinaire, comme le droit au respect de la vie privée ou des biens. Ils incluent aussi des droits qui ne contiennent pas de telles clauses, comme l’article 5 relatif à la privation de liberté ou l’article 6 relatif au droit à un procès équitable. L’article 15, § 1, permet seulement aux États de « prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international ». En d’autres termes, les mesures dérogatoires restent soumises au principe de proportionnalité et à un contrôle juridictionnel.

Les États bénéficient à nouveau d’une marge d’appréciation, parce qu’ils sont plus à même de déterminer quelles mesures sont nécessaires. Néanmoins, cette « marge nationale d’appréciation s’accompagne donc d’un contrôle européen » qui doit tenir compte « des facteurs pertinents tels que la nature des droits touchés par la dérogation, la durée de l’état d’urgence et les circonstances qui l’ont créé » (CEDH 18 déc. 1996, Aksoy c/ Turquie, préc., § 68). La mesure doit ainsi « constituer une véritable réponse à l’état d’urgence », se « justifier pleinement au regard des circonstances de cette situation », et être accompagnées de « garanties contre les abus » (CEDH, gr. ch., 19 févr. 2009, A et autres c/ Royaume-Uni, préc., n° 184).

En vertu du principe de subsidiarité, ce contrôle doit avant tout être effectué par le juge national, puis éventuellement par le juge européen. La Cour s’appuie d’ailleurs particulièrement sur les conclusions du juge national, « à moins que l’on ne puisse établir [qu’il] a mal interprété la Convention ou la jurisprudence de la Cour ou que ses conclusions sont manifestement déraisonnables » (CEDH, gr. ch., 19 févr. 2009, A et autres c/ Royaume-Uni, préc., n° 182). Elle a même été jusqu’à considérer que la marge d’appréciation ne s’appliquait pas de la même manière entre les différents pouvoirs au sein d’un État, et que le juge interne pouvait estimer, au regard de la Convention, que ce contrôle « relève en dernière instance du domaine judiciaire » (CEDH, gr. ch., 19 févr. 2009, A et autres c/ Royaume-Uni, préc., n° 184). 

L’absence de recours à l’article 15 : les possibilités offertes par le régime « ordinaire »

L’absence de recours à l’article 15 ne signifie pas qu’aucune limitation aux droits conventionnels n’est possible. La Convention organise elle-même la possibilité d’apporter des restrictions à certains droits. Lors de la rédaction du texte européen, la France avait d’ailleurs exprimé des réticences à l’introduction de la clause dérogatoire de l’article au motif qu’elle risquait de faire double emploi avec les autres clauses de limitation (v.  L. Burgorgue-Larsen, Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme, AJDA 2016. 143). Même lorsque tel n’est pas le cas, la Cour a souvent introduit le principe de proportionnalité et reconnu des « limites » aux droits garantis comme le droit d’accès à un tribunal (CEDH, plén., 21 févr. 1975, Golder c/ Royaume-Uni, n° 4451/70, §§ 37-38). Il semble que la difficulté émergera surtout au regard de l’article 5, par exemple au sujet du renouvellement de plein-droit des détentions provisoires organisé par l’état d’urgence sanitaire (J.-B. Perrier, La prorogation de la détention provisoire, de plein droit et hors du droit, Dalloz actutalité, 9 avr. 2020).

Lorsqu’il permet des restrictions, le texte même de la Convention fait le plus souvent expressément référence à « la préservation de la santé » comme motif d’adoption de telles mesures. C’est par exemple le cas du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8, de la liberté d’expression inscrite à l’article 10, de celle de réunion et d’association protégée par l’article 11 ou encore de l’article 2 du Protocole n° 4, qui garantit la liberté de circulation. Dans ce cadre, il ne fait aucun doute que la lutte et la prévention d’épidémies est un but légitime de restriction des droits garantis. L’absence de mention explicite de la « santé » n’est pas un obstacle. Comme l’a jugé la Cour dans l’affaire Chagnon et Fournier c/ France, la lutte contre les épidémies – en l’espèce la fièvre aphteuse – peut aussi justifier une restriction au droit au respect des biens parce qu’elles ont pour objet « la préservation de la santé publique et de la sécurité alimentaire » et poursuivaient un but légitime (CEDH 17 juill. 2010, Chagnon et Fournier, nos 44174/06 et 44190/06, § 50).

Dans ce cas, les mesures seront soumises au contrôle ordinaire de proportionnalité et doivent être « nécessaires dans une société démocratique ». L’étendue de la marge d’appréciation octroyée aux États dépend « de facteurs tels que la nature et l’importance des intérêts en jeu et la gravité de l’ingérence ». En principe, la Cour octroie une « certaine marge d’appréciation en la matière » en matière de préservation de la santé publique (CEDH 17 juill. 2010, Chagnon et Fournier, préc., § 57). Cela ne signifie pas que le contrôle européen disparaît : dans l’affaire Chagnon, la Cour s’était attachée à relever que les mesures ne sont adoptées « que le temps nécessaire pour lutter contre l’épidémie (…) et protéger la santé publique et la sécurité alimentaire sur le territoire » (idem). Cette marge d’appréciation pourrait en outre se heurter à la nature et à l’importance des droits affectés. La Cour a ainsi jugé, à propos de la séropositivité au VIH, que « [l]e respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les Parties contractantes à la Convention » (CEDH 25 févr. 1997, Z. c/ Finlande, n° 22009/93, § 95, RSC 1998. 385, obs. R. Koering-Joulin ).

Au regard de l’ampleur de la crise et au caractère inédit de certaines mesures adoptées ou envisagées à ce jour, il n’est pas possible de prédire avec certitude l’évolution d’un éventuel contentieux européen. Avant cela, la détermination du difficile équilibre entre la lutte contre l’épidémie et les droits fondamentaux reviendra au juge national, sous l’empire de l’article 15 de la Convention ou non. 

Auteur d'origine: ccollin

Par arrêt du 11 mars 2020, la chambre criminelle vient préciser les effets du caractère déclaratif et recognitif de la décision de reconnaissance du statut de réfugié sur l’infraction antérieurement commise de soustraction à un arrêté portant obligation de quitter le territoire.

En l’espèce, une personne était conduite à l’aéroport le 3 mai 2018 en exécution d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris le 14 avril 2017. Au moment d’embarquer, la personne se mettait à crier et à s’accrocher aux équipements de l’avion. Elle hurlait qu’elle était homosexuelle, et comme tel menacée de mort dans son pays et préférait mourir ou aller en prison que d’y retourner. Au vu de ce comportement, le commandant de bord refusait l’embarquement.

La personne était poursuivie du chef de soustraction à un arrêté de reconduite à la frontière et condamnée par le tribunal correctionnel à deux mois d’emprisonnement et deux ans d’interdiction de territoire français.

Le 23 janvier 2019, pour confirmer la décision de culpabilité, la cour d’appel relevait que le prévenu s’était maintenu irrégulièrement et en toute connaissance de cause sur le territoire national malgré la notification de la décision préfectorale.

À l’appui de son pourvoi, le demandeur versait la décision de l’Officine française de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en date du 2 juillet 2019 qui lui reconnaissait le statut de réfugié, prise après l’exercice d’un recours devant la cour nationale du droit d’asile.

Par arrêt du 11 mars 2020, la Cour de cassation casse et annule sans renvoi l’arrêt rendu par la cour d’appel.

Elle rappelle en premier lieu au détour d’un attendu de principe qu’il résulte de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié et des articles L. 721-2 et L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que l’autorité administrative ne peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu’il a obtenu la qualité de réfugier.

Elle considère ensuite que la décision de l’OFPRA est déclarative et recognitive de sorte que la qualité de réfugié reconnue à l’intéressé est réputée lui appartenir depuis le jour de son arrivée en France.

Elle en déduit que cette reconnaissance a pour conséquence nécessaire d’enlever toute base légale à la poursuite du chef de soustraction à un arrêté portant obligation de quitter le territoire français.

Selon l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut de réfugié « 1. Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

La reconnaissance de la qualité de réfugié est recognitive, elle n’est pas créatrice de droit, elle reconnaît une situation qui existait antérieurement. Ainsi, par son caractère recognitif, la décision de reconnaissance de la qualité de réfugié rétroagit au jour de l’arrivée en France de l’intéressé. Dès lors, la cassation était inévitable.

En effet, au jour de l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français, l’intéressé avait acquis, par l’effet rétroactif, la qualité de réfugié ainsi il bénéficiait de la protection de la Convention de Genève et l’arrêté se trouvait donc sans fondement légal. Par conséquent, l’infraction de soustraction à un arrêté portant obligation de quitter le territoire français se retrouvait également sans base légale, à défaut d’arrêté valide.

La Cour de cassation tire ainsi toutes les conséquences de la rétroactivité de la décision de reconnaissance du statut de réfugié.

Auteur d'origine: Gayet

M. F est propriétaire de plusieurs terrains non constructibles sur un lieu-dit de la commune de l’Île-de-Batz. Par trois arrêtés rendus en 2013, le maire de la commune a accordé des permis de construire sur des parcelles situées à proximité de celles de M. F, l’un d’entre eux portant sur l’extension d’une construction existante. M. F en a demandé l’annulation auprès du juge. Le Conseil d’État était saisi de trois seconds pourvois en cassation formés par M. F contre trois arrêts rendus le même jour par la cour administrative d’appel de Nantes. L’un d’entre eux avait rejeté l’appel de M. F. tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté la demande d’annulation de l’arrêté portant sur l’extension de la maison d’habitation au motif que M. F. n’avait pas qualité pour agir. Estimant à l’inverse que M. F. avait, en l’espèce, bien qualité pour agir, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel et règle l’affaire au fond, conformément aux dispositions du second alinéa de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

M. F. fait notamment valoir que l’arrêté susvisé conduit à étendre l’urbanisation en méconnaissance des dispositions du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme alors en vigueur, celui-ci disposant que « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ». Le Conseil d’État estime toutefois que « si, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d’une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions » (v. en ce sens, CAA Nantes, 16 déc. 1998, n° 97NT02003, Commune de Préfailles ; 28 mars 2006, n° 05NT00824, Commune de Plouharnel). La requête de M. F. est par conséquent rejetée.

À noter qu’il a déjà été jugé à l’inverse que la construction d’une nouvelle maison d’habitation en dehors de la zone où l’extension de l’urbanisation est admise - et non son simple agrandissement - constitue bien une extension de l’urbanisation irrégulière (CE 9 nov. 1994, n° 121297).

Auteur d'origine: pastor

Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la requête portée notamment par le Syndicat des avocats de France qui demandait la suspension de diverses dispositions de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 qui adaptent, pendant la période de crise sanitaire, les règles applicables devant les juridictions administratives. Parmi les dérogations figurant aux articles 7, 8 et 9 de l’ordonnance attaquée, étaient contestés : le recours à la visio-audience sans l’accord des parties ; la possibilité de dispenser le rapporteur public d’exposer ses conclusions lors de l’audience ; la possibilité pour le juge administratif de statuer sans audience sur toute demande en référé-liberté. Le juge des référés du Conseil d’État commence par préciser que la mise en œuvre des dispositions contestées n’est rendue nécessaire « que dans un nombre limité de cas, selon l’appréciation du président de la juridiction ou de la formation de jugement, en fonction de l’objet et des autres caractéristiques de l’affaire, sous les conditions et avec les garanties qu’elles énoncent et pendant une période d’une durée limitée, à ce stade, à quelques mois. Alors que les exigences de la lutte contre l’épidémie de covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes, en adoptant ces mesures, […], l’ordonnance ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées. »

Pas de carence en matière de droit d’asile

Un autre pan de la requête critiquait le maintien du délai de 48 h pour contester les décisions portant obligation de quitter le territoire français lorsque l’étranger fait l’objet d’une mesure de rétention. Le juge des référés rappelle que ces courts délais ont pour objet « d’éviter la prolongation de la rétention ou de maintien en zone d’attente au-delà de ce qui est nécessaire et d’assurer l’exécution des mesures d’éloignement. » malgré le fait que la période de crise sanitaire rend matériellement plus difficile l’assistance apportée aux étrangers par les associations qui les défendent, « il n’apparaît, en l’état de l’instruction ni une carence caractérisée de l’administration pour garantir aux étrangers l’effectivité de leur droit au recours […], ni une absence de toute perspective d’éloignement effectif du territoire à brève échéance d’étrangers faisant l’objet des mesures de rétention ou de maintien. »

Auteur d'origine: pastor

Le juge des référés du Conseil d’État, dans une ordonnance très circonstanciée, rejette la requête de l’association Coronavictimes lui demandant d’enjoindre à l’État de faire respecter l’égal accès de toutes les personnes souffrant d’une infection susceptible d’être attribuée au covid-19 aux soins dispensés dans les établissements de santé.

Les personnes résidant dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) souffrant d’une telle infection ne seraient désormais plus admises en établissement de santé lorsqu’elles souffrent de symptômes évocateurs du covid-19. Pour le juge de référés, il n’est pas établi « que les décisions médicales d’admission en réanimation reposeraient de manière générale sur des critères qui auraient été rendus plus stricts du fait de l’anticipation d’une éventuelle saturation de l’offre de soins de réanimation en raison de l’épidémie de covid-19 ou qui, en isolant le critère de l’âge, discrimineraient, au sein des patients atteints d’une infection due au covid-19, ceux qui sont les plus âgés. »

Par ailleurs, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, « plusieurs mesures ont été prises par l’État dans le contexte de l’épidémie de covid-19 en vue de permettre aux personnes souffrant d’une infection liée à ce coronavirus de bénéficier à domicile ou en EHPAD de soins leur garantissant une “fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance”. »

Pas de tests post-mortem

La Haute juridiction rappelle que si, à ce stade de l’épidémie, les visites de la famille des résidents sont suspendues, « des autorisations exceptionnelles de visite peuvent être accordées par le directeur d’un EHPAD, notamment aux proches d’un résident dont la vie prend fin, avec l’accord, le cas échéant, du médecin coordonnateur, dès lors que des mesures propres à protéger la santé des résidents et des personnels de l’EHPAD ainsi que des visiteurs peuvent être prises. »

Enfin, s’appuyant sur l’avis du Haut Conseil de santé publique, il n’est pas recommander « , à ce stade de l’épidémie et en l’état des capacités de diagnostic virologique, de réaliser un test de diagnostic d’infection par le covid-19 chez les personnes décédées. »

Auteur d'origine: pastor

Sans doute en raison du fait qu’ils ont en permanence des contacts avec de nombreuses personnes, mais aussi du déroulement de la campagne des municipales au moment même où le covid-19 se répandait en France, les élus locaux paient un lourd tribut à l’épidémie. Quatre maires et un président de conseil départemental ont déjà été emportés par le coronavirus, indiquait ainsi, dans un entretien au quotidien Les Echos du 8 avril, le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu. Or, le fonctionnement des collectivités territoriales est compliqué par l’épidémie et, pour le faciliter, les pouvoirs de l’exécutif ont été renforcés par l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 (AJDA 2020. 757 ). La vacance du pouvoir local est donc particulièrement à éviter à l’heure actuelle.

Même si le rapport au président de la République de l’ordonnance n° 2020-413 du 8 avril évoque la vacance du siège de maire « pour quelque cause que ce soit », c’est donc bien en songeant aux cas de décès du covid-19 qu’elle a été préparée, a confirmé Sébastien Lecornu aux Echos. En cas de vacance du siège de maire, le code général des collectivités territoriales prévoit que l’élection doit se tenir dans les quinze jours. Ce délai est d’un mois pour les présidents de conseil général ou régional. Des délais difficiles à tenir dans la situation actuelle et qui n’ont guère de sens dans les communes où les anciens conseillers municipaux ont été maintenus provisoirement en fonction. L’ordonnance prévoit donc que l’adjoint qui remplace le maire conserve cette fonction jusqu’à l’élection des maires à la suite du premier ou du second tour ou, le cas échéant, jusqu’à la date d’entrée en fonction des maires déjà élus à la suite du premier tour. Par dérogation aux règles générales, cette élection peut avoir lieu même si des vacances se sont produites au sein du conseil depuis le premier tour.

Dans les départements, les régions et les collectivités à statut particulier, l’éventuelle élection du nouveau président devra avoir lieu dans le délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire (ou l’élection partielle éventuellement nécessaire pour les conseils départementaux, laquelle aurait lieu dans la quatre mois suivant la fin de l’état d’urgence).
Pendant cette période transitoire, les incompatibilités prévues par le CGCT entre deux mandats exécutifs locaux ne s’appliquent pas. Ceci permet à l’élu suppléant de conserver un éventuel mandat à la tête d’une autre collectivité.

Auteur d'origine: Montecler
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Après un peu plus de deux ans d’expérimentation, le pouvoir de dérogation aux normes accordé aux préfets dans deux régions, 17 départements et trois territoires ultramarins par le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 (v. AJDA 2018. 16 ) est pérennisé et généralisé par le décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.

Ce texte permet aux représentants de l’État de déroger à des normes nationales pour prendre des décisions non réglementaires relevant de leur compétence. Tout comme l’expérimentation, la pérennisation est encadrée, en premier lieu, par quatre conditions. La dérogation doit être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales ; avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ; être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France et, enfin, ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

En second lieu, elle ne peut porter que sur sept matières : subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ; aménagement du territoire et politique de la ville ; environnement, agriculture et forêts ; construction, logement et urbanisme ; emploi et activité économique ; protection et mise en valeur du patrimoine culturel ; activités sportives, socio-éducatives et associatives.
Selon le ministre de l’Intérieur, « le bilan de l’expérimentation a fait l’objet de discussions avec les délégations aux collectivités locales de l’Assemblée nationale et du Sénat et a été jugé très positif. La mesure est appréciée, opérationnelle, utile. » Dans son communiqué du 8 avril, Christophe Castaner donne des exemples concrets des 183 arrêtés dérogatoires pris depuis janvier 2018, comme l’allégement, par décision du préfet de la Mayenne, des procédures administratives à réaliser par une commune pour installer des préfabriqués pouvant accueillir, à la rentrée 2019, les élèves d’une école inondée.

En juin dernier, un rapport de la délégation aux collectivités et à la décentralisation du Sénat avait porté un regard plutôt bienveillant sur l’expérimentation (AJDA 2019. 1308 ). Quelques mois plus tard, la haute assemblée avait adopté une résolution favorable à la pérennisation du pouvoir de dérogation, tout en suggérant plusieurs améliorations du dispositif (AJDA 2019. 2152 ). Elle n’a donc pas été totalement suivie puisque le décret pérennise le dispositif tel qu’il a été expérimenté.

Si les élus locaux ont accueilli favorablement le droit de dérogation accordé aux préfets, qui peut faciliter la réalisation de certains de leurs projets et constitue un premier pas vers la fameuse « différenciation territoriale », il n’en a pas été de même des défenseurs de l’écologie. Ulcérée par la possibilité de déroger aux normes en matière d’environnement, l’association Les Amis de la Terre avait saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 29 décembre 2017. Pour le rejeter, la Haute juridiction a notamment estimé que ce texte « ne permet pas de déroger à des normes réglementaires ayant pour objet de garantir le respect de principes consacrés par la loi tel que le principe de non-régression », invoqué par l’association (CE 17 juin 2019, n° 421871, Association Les amis de la Terre France, Lebon avec les concl. ; AJDA 2019. 1253 ; Constitutions 2019. 381, chron. L. Domingo ).

Auteur d'origine: Montecler

Si le second tour ne peut pas avoir lieu en juin, les électeurs des communes où le premier tour n’a pas été décisif seront convoqués de nouveau pour deux tours de scrutin. Pour que le report n’altère pas la sincérité du scrutin, il sera organisé dans un cadre similaire à ce qui aurait été prévu en l’absence de report. Les listes électorales arrêtées pour le premier tour seront reprises pour le second tour avec des ajustements possibles : électeurs devenus majeurs ou ayant acquis la nationalité française, inscriptions et radiations sur décision de justice, décès. Aucune radiation pour perte d’attache communale ne pourra intervenir avant le second tour.

En revanche, les autres inscriptions sur les listes électorales, effectuées par le maire ou la commission de contrôle des listes électorales, ne prendront effet qu’au lendemain du second tour.

Les candidatures déposées les 17 et 18 mars 2020 restent valides. Un décret de convocation des électeurs pour le second tour de scrutin fixera l’ouverture d’une période complémentaire de dépôt des candidatures. Il permettra également aux candidats, qui auraient déjà déposé leur candidature, de la retirer.

Démission, aide publique, des ajustements nécessaires

Selon le code électoral, dans les communes de moins de 1 000 habitants « seuls peuvent se présenter au second tour de scrutin les candidats présents au premier tour, sauf si le nombre de candidats au premier tour est inférieur au nombre de sièges à pourvoir ». L’ordonnance précise que le nombre de sièges à pourvoir s’apprécie en fonction du nombre d’élus au premier tour du scrutin, sans prise en compte des vacances (pour cause de décès ou autres) qui pourraient intervenir dans l’intervalle.

En cas de démission d’un candidat élu au premier tour, celle-ci ne prend effet qu’à son entrée en fonction différée en application de la loi du 23 mars 2020, dans la mesure où l’on ne peut renoncer à un mandat que l’on ne détient pas encore.

Le délai limite de dépôt des comptes pour les partis politiques pour l’exercice 2019 a été décalé au 11 septembre 2020 par la loi du 23 mars 2020. L’ordonnance adapte en conséquence le calendrier pour le calcul de la seconde fraction de l’aide publique aux partis politiques pour l’année 2021. Elle répercute le décalage de la date limite de dépôt sur les étapes destinées à établir cette seconde fraction.

Auteur d'origine: pastor

À l’instar d’autres lignes directrices, comme celles relatives aux droits de passagers dans l’Union européenne (v. Dalloz actualité, 27 mars 2020, obs. C. Collin), les orientations s’appuient sur la communication de la Commission du 9 septembre 2015 « relative aux règles de passation de marchés publics en lien avec l’actuelle crise de l’asile » (COM/2015/0454 final) et reflètent l’interprétation que la Commission donne des traités, des directives sur les marchés publics et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et constitue un complément des actions conjointes de passation des marchés. En effet, comme le rappelle la Commission dès les premières lignes de ces orientations, les « acheteurs publics des États membres sont en première ligne » pour la plupart des produits et services similaires dont ils doivent garantir la disponibilité, et notamment des masques, gants de protection, dispositifs médicaux, … Dans ce contexte, ces orientations permettent de préciser les marges de manœuvre existantes en droit de l’Union pour l’achat de fournitures, de services et de travaux.

Les orientations rappellent ainsi que le cadre juridique européen qui régit les marchés publics offre toute la souplesse nécessaire aux acheteurs publics désireux de passer le plus rapidement possible des marchés de biens et de services directement liés à la crise du covid-19. Selon la Commission, les acheteurs publics peuvent envisager plusieurs options : « premièrement, en cas d’urgence, ils peuvent recourir à la possibilité de considérablement réduire les délais afin d’accélérer les procédures ouvertes ou restreintes ». Puis, « si ces mesures d’assouplissement ne sont pas suffisantes, une procédure négociée sans publication peut être envisagée. Enfin, même une attribution directe à un opérateur économique présélectionné pourrait être autorisée, à condition que ce dernier soit le seul en mesure de livrer les fournitures requises dans le respect des contraintes techniques et des délais imposés par l’urgence extrême ». La Commission ajoute en outre que « les acheteurs publics devraient également envisager de rechercher des solutions de substitution et penser à collaborer avec le marché ». Pour accélérer la passation de ces marchés, les acheteurs publics peuvent ainsi envisager :

de prendre contact avec des contractants éventuels dans l’Union ou en dehors de celle-ci par téléphone, par courrier électronique ou en personne ;
 de recruter des agents disposant de meilleurs contacts sur les marchés ;
 d’envoyer des représentants directement dans les pays qui disposent des stocks nécessaires et qui peuvent assurer une livraison immédiate ;
 de prendre contact avec des fournisseurs éventuels pour convenir d’une mise en production, d’un accroissement de leur production ou du renouvellement d’une production.

Par ailleurs, si cela n’était pas suffisant, ou en cas d’obstacle technique, « les acheteurs publics peuvent être amenés à rechercher des solutions de rechange éventuellement innovantes, qui sont susceptibles d’être déjà sur le marché ou d’être déployées à (très) brève échéance. Les acheteurs publics devront trouver des solutions et interagir avec les fournisseurs éventuels pour vérifier dans quelle mesure ces solutions de rechange répondent à leurs besoins ». La Commission rappelle ainsi que les acheteurs publics sont pleinement habilités à jouer un rôle actif sur les marchés et à participer à des actions de mise en relation.

Auteur d'origine: ccollin
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Au fur et à mesure que s’étire la période de confinement, le juge des référés du Conseil d’État voit s’allonger le nombre de requêtes, par des saisines directes ou en appel d’ordonnance de tribunaux administratifs.

Il a ainsi, et sans surprise, annulé l’ordonnance du tribunal administratif de Guadeloupe (TA Guadeloupe, 27 mars 2020, n° 2000295, Union générale des travailleurs de la Guadeloupe, AJDA 2020. 700 ) enjoignant au centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe et à l’agence régionale de santé (ARS) de commander des doses d’hydroxychloroquine et d’azythromycine, ainsi que des tests de dépistage en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel.

Combinant les conditions d’octroi de mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, en l’occurrence le droit à la vie (CE, 13 déc. 2017, n° 415207, Lebon ; AJDA 2018. 1046 , note D. Roman ; ibid. 2017. 2447 ) avec l’application du principe de précaution, le juge des référés du Conseil d’État a ainsi estimé qu’il ne pouvait être reproché au CHU et à l’ARS de n’avoir pas commandé davantage de ces traitements, car ils ne peuvent être administrés qu’à un nombre limité de patients.

Concernant les tests de dépistage, le juge a rappelé que les autorités nationales ont fait le choix d’établir des priorités pour la réalisation de tests PCR de diagnostic virologique, en suivant les critères proposés par le Haut Conseil de la santé publique (ord., 4 avr. 2020, n° 439904). Dans la même logique, ont été rejetés deux recours du Syndicat des médecins Aix et Région qui demandaient la suspension des dispositions du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 qui réservent l’usage de l’hydroxychloroquine aux cas les plus avancés ou les plus graves de covid-19 (ord., 7 avr. 2020, n° 439937 et n° 439938).

Sans-abri et marchés alimentaires

Le 2 avril, le juge des référés rejetait également un recours, porté notamment par la Fédération nationale droit au logement, qui lui demandait d’ordonner au gouvernement de fournir un toit à toutes les personnes sans abri ou en habitat de fortune en réquisitionnant des logements si besoin.

Le juge des référés a relevé la mise en place de différentes mesures, tel le report jusqu’au 31 mai de la trêve hivernale et de la fermeture des places d’hébergement ouvertes pendant l’hiver, le recours à des nuitées d’hôtel.

Il a considéré que, « outre que les capacités d’hébergement ainsi mobilisées n’ont jamais été aussi importantes, l’administration fait valoir qu’elle poursuit ses efforts pour les accroître encore à brève échéance, notamment par les négociations en cours avec les professionnels des secteurs de l’hôtellerie et des centres de vacances afin d’identifier le plus rapidement possible les disponibilités supplémentaires, sans exclure de recourir à des réquisitions si cela s’avérait nécessaire » (ord., 2 avr. 2020, n° 439763).

La veille, il a également rejeté la requête de la Fédération nationale des marchés de France lui demandant d’enjoindre au gouvernement de réautoriser la tenue des marchés alimentaires, couverts et de plein air. Cette interdiction, a rappelé le juge des référés, « repose sur le constat que l’insuffisance des mesures d’organisation rendait, dans une large mesure, difficile, voire impossible le respect des règles de sécurité sanitaire, en particulier les règles de distance minimale entre les personnes, qu’impose la situation actuelle ».

Par ailleurs, la possibilité pour le préfet de département « d’autoriser, après un avis du maire de la commune concernée qui ne le lie pas, l’ouverture d’un marché alimentaire, par dérogation à l’interdiction générale qu’elles édictent, n’affectent ni la compétence du conseil municipal pour créer ou supprimer les halles et marchés communaux ni celle du maire pour autoriser ou refuser l’occupation du domaine public communal » (ord., 1er avr. 2020, n° 439762).

Nationalisation d’usines pharmaceutiques

Le juge des référés a, par ailleurs, estimé qu’il n’entrait pas dans ses compétences d’enjoindre à l’État de nationaliser deux entreprises en difficulté, la société Famar, en raison de ce qu’elle serait la seule usine fabriquant en France de la chloroquine, et la société Luxfer, qui serait la seule entreprise en France à produire les bouteilles contenant l’oxygène nécessaire pour alimenter les appareils de réanimation (ord., 6 avr. 2020, n° 439950). Dans une autre requête également rejetée, le même requérant demandait au Conseil d’État d’enjoindre au gouvernement de prendre toutes mesures de nature à augmenter la production nationale de masques en vue de leur distribution massive et, en second lieu, d’adopter sans délai toutes les mesures susceptibles d’accroître la production de tests de dépistage du covid-19 (ord., 7 avr. 2020, n° 439806).

Pas de QPC sur l’état d’urgence sanitaire
Le juge des référés a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel les dispositions issues de la loi du 23 mars 2020 d’urgence qui définissent dans le code de la santé publique les interdictions – ainsi que les peines encourues par les contrevenants – qui peuvent être édictées par le Premier ministre aux fins de garantir la santé publique, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire de garantir la santé publique. Les dispositions en cause ne méconnaissent ni le principe de légalité des délits et des peines et ne prévoient pas de sanctions manifestement disproportionnées au regard de la gravité et de la nature des infractions réprimées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (ord., 4 avr. 2020, n° 439888).

Auteur d'origine: pastor

Une application de traçage individuel

Dans son avis sur les éléments d’une stratégie de déconfinement, le conseil scientifique a souligné la nécessité « de nouveaux outils numériques permettant de renforcer l’efficacité du contrôle sanitaire de l’épidémie ». Le projet serait de disposer d’une application mobile qui liste les interactions d’une personne. S’il s’avérait ensuite qu’une personne est testée positive au covid-19, les personnes avec qui elle a interagi dans la dernière quinzaine seraient alors prévenues et encouragées à se faire tester (sans que ne soit mentionné l’identité de la personne malade).

Alors qu’il y a peu il y était réticent, Christophe Castaner a indiqué dimanche sur France 2 : « Le tracking fait partie des solutions qui sont retenues par un certain nombre de pays, donc nous avons fait le choix de travailler avec eux pour regarder ces solutions. Si elles permettent de lutter contre le virus et, si évidemment, elles respectent nos libertés individuelles, c’est un outil qui sera retenu et soutenu par l’ensemble des Français. » Si le gouvernement a décidé de soutenir ce projet, c’est aussi qu’il craint l’émergence d’alternatives privées, non-étatiques.

Une application volontaire

Les choses ont rapidement avancé. Le député Mounir Mahjoubi a publié lundi 6 avril une note sur les possibilités techniques. Hier, dans un entretien au Monde, Olivier Véran, ministre de la Santé, et Cédric O, secrétaire d’État aux numériques ont présenté un projet. Le gouvernement travaille sur une application basée sur la technologie Bluetooth et le volontariat. L’application enregistrerait les autres signaux captés pendant un laps de temps. Cette solution serait moins attentatoire aux libertés qu’une surveillance via les opérateurs mobiles. Toutefois, la technologie Bluetooth ne fait pas de géolocalisation : le Bluetooth a le plus souvent une portée de 5 à 10 mètres et l’application se contenterait de capter les autres signaux, sans connaître la distance de l’utilisateur.

Selon nos informations, les discussions ont commencé avec différents opérateurs et le travail opérationnel sur l’application a débuté. Toutefois, le gouvernement lui-même fait part de ses doutes sur l’efficacité de la technologie. Les obstacles sont en effet nombreux. Pour qu’elle soit efficace, l’application devrait être adoptée par une majorité de la population. Outre les personnes rétives, 13 millions de Français ne possèdent pas de smartphone. Par ailleurs, il faudrait que le Bluetooth soit activé à chaque sortie.

Ce projet français s’inscrit dans celui européen, dénommé PEPP-PT. Le contrôleur européen des données, Wojciech Wiewiórowski, a défendu une solution européenne, qui permettrait d’assurer une inter-opérabilité indispensable et garantirait le respect d’un certain nombre de garanties. Car pour le contrôleur, il serait irresponsable « de ne pas utiliser les outils qui sont à notre disposition pour lutter contre l’épidémie. »

Les parlementaires exigent un débat

Pour la CNIL, il n’est pas nécessaire de modifier la loi. Dans une intervention devant la commission des lois, sa présidente Marie-Laure Denis a indiqué que « les textes qui protègent les données personnelles ne s’opposent pas à la mise en œuvre de solutions de suivi numérique, individualisé ou non, pour la protection de la santé publique. » Toutefois, « si un suivi individualisé des personnes était mise en œuvre, il faudrait d’abord, à droit constant, qu’il soit basé sur le volontariat, avec un consentement réellement libre et éclairé, et le fait de refuser l’application n’aurait aucune conséquence préjudiciable. »

Plusieurs députés de la majorité ont fait part de leurs vives réserves à ce projet. Ainsi, le délégué général de LaREM Pierre Person ou le député Sacha Houlié, membre de la commission des lois : « J’ai une opposition de plusieurs ordres. D’abord est-ce que cette surveillance est notre projet de civilisation ? Ensuite, nous ne sommes pas certains de son efficacité. Ainsi après avoir tenté le tracking [via l’application TraceTogether], Singapour a dû se résoudre au confinement. » Le député craint aussi la pression sociale forte qui pèserait sur le consentement libre des personnes. Surtout, le député appréhende le franchissement d’« un nouveau pas en la matière, sans possibilité de retour en arrière ».

D’autres acteurs sont plus mitigés. Pour l’avocat spécialisé dans le numérique Alexandre Archambault, « rien n’est pire que le statu quo actuel, une situation où tout le monde est assigné chez lui. Il faut un débat public avec des garde fous ; la durée de vie de l’application doit être limitée et la finalité strictement sanitaire, avec un projet suivi par le ministère de la Santé ».

À l’Assemblée comme au Sénat, les parlementaires s’emparent du sujet. La présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet a programmé des auditions.

La garde des Sceaux Nicole Belloubet a tenu à rassurer hier. Même si une application volontaire peut se passer de nouvelle loi, « il y aura nécessairement un débat au parlement. C’est un sujet trop important pour qu’il se fasse sans débat et sans association des représentants de la Nation, d’une manière ou d’une autre. »

Auteur d'origine: babonneau

L’urgence l’emporte sur le droit, ou plutôt sur les Droits. Longtemps mis en évidence dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ce rapport s’observe désormais dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Afin de lutter contre la propagation du virus covid-19, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a introduit de nombreuses dispositions, notamment pénales, et a habilité le gouvernement à adapter, pour la période actuelle et par voie d’ordonnance, des pans entiers de notre droit, notamment la procédure pénale.

Dès l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale, l’objectif est affiché : il s’agit de permettre « la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public » (pour une présentation, v. notre étude, La procédure pénale en urgence sanitaire, Gaz. Pal. 31 mars 2020, p. 18 ; A. Botton, Les droits et libertés fondamentaux à l’épreuve de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, Blog du Club des juristes, 30 mars 2020). Poursuivant cet objectif, et pour répercuter la réduction de l’activité soulignée par la circulaire du 14 mars 2020 (NOR : JUSD2007740C), l’article 16 de l’ordonnance proroge, de plein droit, les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique.

Une telle disposition a suscité diverses interprétations, conduisant le Conseil d’État à se prononcer, pour retenir la solution la moins favorable aux personnes détenues et placer leur situation hors du droit, en particulier du droit à la sûreté.

Interprétations contraires

Selon cet article 16, les délais maximums (nous soulignons) de détention provisoire ou d’ARSE, qu’il s’agisse des détentions au cours de l’instruction ou de celles pour l’audiencement des personnes renvoyées à l’issue de l’instruction devant une juridiction de jugement, « sont prolongés de plein droit de deux mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans, et de trois mois dans les autres cas ; en matière criminelle et en matière correctionnelle pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel, la prolongation est de six mois ».

Pour tenir compte du ralentissement de l’activité judiciaire, et de l’allongement corrélatif de la durée des instructions et des durées d’audiencement, une interprétation littérale de cette disposition pouvait conduire à considérer que l’allongement prévu s’appliquait aux délais maximums de détention provisoire, à savoir la durée totale maximale, et non à tous les titres de détention en cours. Il était en effet possible de considérer que, tant que le délai maximum n’est pas atteint, tant que la détention peut être prolongée par le juge en application des règles du code de procédure pénale, voire sans audience comme le permet l’article 19 de l’ordonnance, il est inutile d’en proroger la durée. C’est pourtant une autre interprétation que retient la circulaire du 26 mars 2020 (NOR : JUSD2008571C), précisant qu’« il n’est pas nécessaire que des prolongations soient ordonnées par la juridiction compétente pour prolonger la détention en cours ». Certes, le texte n’est pas encore parfaitement clair et il faut alors, pour le comprendre, s’en rapporter aux exemples pris par ladite circulaire, ainsi qu’à un courriel de la directrice des affaires criminelles et des grâces qui indique que la notion de délais maximums n’est « pas entendue comme s’appliquant à la durée totale cumulée de détention mais à la durée du titre de détention en cours », de telle sorte que « ces délais s’appliquent donc y compris dans le cas où la détention provisoire peut encore faire l’objet d’une décision de prolongation », car c’est « le terme de ce titre de détention qui est repoussé ».

L’interprétation littérale de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 semble ainsi écartée par la circulaire du 26 mars, surtout au regard des précisions apportées par le courriel de la DACG. La situation pourrait prêter à sourire en ergotant sur la normativité d’une circulaire précisée par mail, mais l’interprétation retenue conduit à allonger la durée de toutes les détentions provisoires, de façon automatique et sans le contrôle d’un juge. On devine sans peine qu’un tel dispositif allait être critiqué, et d’abord devant le Conseil d’État.

Satisfecit du Conseil d’État

Différents syndicats et associations ont donc saisi la Haute juridiction administrative, en référé, afin de faire suspendre l’exécution de la circulaire du 26 mars 2020, certains allant jusqu’à demander la suspension de l’exécution de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Les motifs sont aisés à deviner, les requérants invoquant notamment le dépassement de l’habilitation donnée au gouvernement, la non-nécessité des mesures, mais aussi et plus fondamentalement l’atteinte aux droit de la défense, l’atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et au droit à un procès équitable, ainsi que l’atteinte à la liberté individuelle. En d’autres termes, la prorogation de plein droit des détentions en cours porterait atteinte aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 66 de la Constitution. Par ailleurs, compte tenu de la situation des personnes concernées, la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-2 du code de justice administrative serait remplie.

Ainsi saisi, et après avoir rappelé l’historique des différents textes adoptés afin de lutter contre la propagation du virus, le Conseil d’État observe que l’article 11, d, de la loi du 23 mars 2020 a habilité le gouvernement pour adapter les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires, tout en fixant certains seuils, repris par l’ordonnance du 25 mars. Dès lors, selon le Conseil d’État, en adoptant ces mesures dans les limites imparties par la loi d’habilitation, l’ordonnance ne peut être regardée comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales (CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894, consid. 19 ; CE, ord., 3 avr. 2020, nos 439877, 439887, 439890, 439898, cons. 14). S’agissant ensuite de la circulaire du 26 mars 2020, le Conseil d’État considère que celle-ci se contente d’expliciter la portée de l’ordonnance et d’exposer les conséquences qui « découlent nécessairement de la prolongation exceptionnelle des délais de détention provisoire, telle que voulue par l’ordonnance dans le contexte très particulier des circonstances liées à l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation de cette maladie » (CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894, consid. 20 ; CE, ord., 3 avr. 2020, nos 439877, 439887, 439890, 439898, cons. 15).

Pour ces raisons, le juge administratif considère qu’il est manifeste que les demandes ne sont pas fondées et les rejette, en application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, soit par une « ordonnance de tri ». À nouveau, l’ironie de la situation pourrait prêter à sourire, puisque la question de la prolongation de la détention provisoire sans audience ni intervention du juge a été tranchée… sans audience contradictoire ni instruction publique. Mais à bien y regarder, ce satisfecit délivré par le Conseil d’État au gouvernement soulève de nombreuses questions et n’échappe pas à la critique, ne serait-ce qu’au regard de l’absence d’examen de la situation des personnes placées dans des maisons d’arrêts surpeuplées.

Discussions sur le droit

Si les décisions du Conseil d’État du 3 avril 2020 valident l’interprétation ministérielle de l’article 16 de l’ordonnance, relatif à la prorogation de la détention provisoire, une autre lecture de ce texte était possible, et sans doute souhaitable pour plusieurs raisons. Pour les résumer, on peut reprendre les mots de Me Sureau, sur France Inter le 31 mars : « nous vivons dans un monde où les caissières, les internes, les soignants sont exposés, mais nos garanties constitutionnelles ne sont pas respectées parce que les magistrats ne peuvent pas travailler à distance ? ».

D’abord, contrairement à ce qu’indique le courriel contesté, la notion de « délais maximums » visée par l’article 16 devait être entendue comme s’appliquant à la durée totale cumulée de détention, et non à la durée du titre de détention. Sinon, à quoi sert-il de préciser « maximums » ? S’il s’agissait d’allonger la durée du titre de détention en cours, il était inutile de viser les délais « maximums », ce dernier terme renvoyant à l’évidence à une durée totale. À bien regarder cette analyse du ministère, il s’agit moins de prolonger les délais maximums de détention que d’éviter le formalisme de la prolongation, ce qui est regrettable et, nous semble-t-il, non conforme à une interprétation stricte de l’article 16 de l’ordonnance. Le principe de légalité criminelle, relatif aux délits et aux peines, n’a certes pas de portée en procédure pénale, mais il convient tout de même d’apprécier strictement les atteintes portées aux droits et libertés, et non de les étendre par voie de circulaire au-delà des prévisions textuelles, fussent-elles prévues par une ordonnance.

Ensuite, la logique de l’article 16 ne semblait pas être celle d’une limitation des débats contradictoires. Il s’agissait plutôt, nous semble-t-il, de répercuter la réduction de l’activité : les instructions vont prendre du retard (plus que d’habitude) et donc la durée « maximum » de la détention est rallongée pour en tenir compte. C’est d’ailleurs un autre texte qui permet de limiter les débats contradictoires et d’éviter les débats physiques, à savoir l’article 19 de l’ordonnance qui octroi au juge des libertés et de la détention, lorsque la visioconférence est impossible, la possibilité de statuer sur la prolongation au vu des réquisitions et observations écrites.

De ces deux textes, une chronologie semblait même se dégager. D’abord, et tant que le délai maximum n’est pas atteint, il convenait de prolonger la détention, en chambre du conseil (art. 7 de l’ord. du 25 mars 2020), voire sans débats physiques (art. 19 de l’ord. du 25 mars 2020), ces mesures étant suffisantes pour éviter les contacts et respecter les impératifs sanitaires rappelés par le ministère et le Conseil d’État ; l’on rejoint ici la proposition faite par l’Association française des magistrats instructeurs dans son courrier du 6 avril 2020. Ensuite, pour repousser l’échéance du délai maximum de la détention pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire et par la suite, puisque ces prolongations continuent à s’appliquer après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, la durée maximale est prolongée de plein droit (art. 16), pour éviter une libération non-voulue (c’est de cela dont il s’agit) et tenir compte du ralentissement du fonctionnement de la justice pénale.

Certes, ce raisonnement téléologique semble difficile à opposer à celui de la direction des affaires criminelles et des grâces qui a œuvré à la rédaction de l’ordonnance du 25 mars 2020, d’autant moins que l’interprétation ministérielle profite de l’imprécision de l’ordonnance et du silence du rapport remis au président de la République (dont le laconisme révèle l’importance des débats parlementaires). À vrai dire, le vice s’observe dès l’ordonnance : il eut sans doute été préférable de prévoir une possibilité de prolongation exceptionnelle, sous le contrôle du juge judiciaire, plutôt que d’allonger de plein droit les durées de détention. Une telle disposition aurait permis de contrôler la situation des personnes détenues, si besoin à distance pour éviter la contamination des personnes concernées, tout en pouvant porter la durée de la détention au-delà des prévisions du code de procédure pénale.

De plus, un tel contrôle n’ayant pas lieu dans le dispositif actuel, le risque est alors que des demandes de mise en liberté soient faites en nombre, non pas par esprit de contradiction ou par volonté de blocage, mais simplement pour permettre l’examen de la situation du détenu. Ces demandes, légitimes, priveraient d’effet utile la prorogation de plein droit et la contre-productivité du système introduit, provoquant l’intervention du juge que l’on souhaitait éviter.
À défaut de dispositif alternatif, il n’en demeure pas moins que, s’agissant du dispositif introduit et malgré l’imprécision de l’ordonnance, une autre interprétation était possible, une interprétation sans doute plus respectueuse des droits et libertés fondamentaux.

Déception pour les droits

Au-delà de ces discussions sur les interprétations et dispositifs alternatifs, il faut encore souligner le poids du contexte sur l’appréciation faite par le juge administratif des dispositions contestées. Comme cela est expressément indiqué, l’ordonnance, ainsi interprétée, ne peut être regardée comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales, « eu égard à l’évolution de l’épidémie, à la situation sanitaire et aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, sur l’action des auxiliaires de justice et sur l’activité des administrations, en particulier des services de police et de l’administration pénitentiaire, comme d’ailleurs sur l’ensemble de la société française » (CE, ord., 3 avr. 2020, n° 439894, consid 19 ; CE, ord., 3 avr. 2020, nos 439877, 439887, 439890, 439898, consid. 14). En d’autres termes, les conséquences des mesures prises sur le fonctionnement de la chaîne pénale permettent d’écarter l’atteinte aux libertés fondamentales, et ce alors même que la mission de suivi du Sénat souligne, concernant le fonctionnement des juridictions, que « les adaptations décidées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ne sauraient être opérées au détriment des droits fondamentaux des justiciables » (10 premiers jours d’état d’urgence sanitaire : premiers constats, Mission de suivi du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, 2 avr. 2020, p. 12).

Par ailleurs, l’on ne peut qu’être déçu de l’absence d’explications (voire d’examen) sur la conformité du dispositif aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le premier de ces textes prescrit que toute privation de liberté doit être placée sous le contrôle d’un magistrat ; l’interprétation de l’article 16 affaiblit pourtant ce contrôle pour des milliers de personnes placées en détention provisoire. Or si le contexte sanitaire actuel peut tout à fait expliquer le ralentissement de l’activité des juridictions et la nécessaire distanciation physique, voire l’absence d’audience physique, il n’explique pas la prolongation automatique d’une mesure privative de liberté, pour plusieurs mois, sans examen de la situation de la personne concernée, ne serait-ce qu’au regard des conditions sanitaires des établissements pénitentiaires. Il l’explique d’autant moins que cet examen peut se faire à distance, par téléphone ou par écrit, c’est-à-dire sans exposer les personnes concernées à un risque de contamination. Reste alors à espérer que la Cour de cassation, saisie des recours introduits contre ces prolongations ou à la suite de demandes de mise en liberté, procédera à un examen plus minutieux de la conformité au droit européen des droits de l’homme, afin de vérifier de manière effective si le dispositif ne se situe pas hors du droit.

À la lecture de ces décisions, certains ont évoqué les lettres de cachet, tandis que d’autres ont rappelé la loi des suspects de 1793, souvenirs peu glorieux d’une époque où les personnes étaient privées de liberté sans le contrôle d’un juge. La comparaison est bien sûr excessive, mais l’excès est à la mesure du sentiment de consternation que l’on peut ressentir à la lecture de ces décisions du Conseil d’État, tant il était possible de ne pas céder aux sirènes de l’urgence sanitaire et d’imposer l’intervention du juge pour la prolongation des détentions provisoires.

Souhaiter l’intervention du juge ne signifie pas que tous les détenus doivent être libérés ; on n’envisagerait pas de renvoyer chez elle la personne soupçonnée d’avoir agressé violemment et sexuellement un membre de sa famille, mais il pourrait en aller différemment pour d’autres, en particulier au regard du contexte sanitaire.

Surtout, même si aucun détenu ne devait être libéré, il est bien plus rassurant de savoir que cela procède de la décision d’un juge, même sans audience, sans présence physique, que de l’application aveugle d’une règle générale et imprécise. C’est ici tout le sens du droit à la sûreté, que la prorogation de plein droit de la détention provisoire vient placer hors du droit applicable à l’état d’urgence sanitaire. L’objet de l’ordonnance était de maintenir l’activité des juridictions pénales, « essentielle au maintien de l’ordre public » ; à l’évidence, cette activité n’est pas vue comme essentielle à la garantie des droits et libertés fondamentaux.

Auteur d'origine: Gayet

L’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 fait partie de la troisième vague d’ordonnances prises en application de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (v. AJDA 2020. 652 ). Elle a pour objet d’assurer le fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs groupements pendant la période d’urgence sanitaire.

Pour ce faire, elle renforce tout d’abord les pouvoirs de l’exécutif. Elle attribue d’office aux maires, présidents de conseil départemental ou régional ou d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) les compétences que l’organe délibérant peut leur déléguer en application du code général des collectivités territoriales (à l’exception de la possibilité de souscrire des emprunts, mais une disposition spécifique autorise l’exécutif à souscrire des lignes de trésorerie, à garantir les emprunts et à attribuer des subventions aux associations). L’exécutif doit informer « sans délai et par tout moyen » les élus de des décisions prises en application de cette disposition. Ces décisions peuvent être signées par le maire, mais aussi un adjoint ou un conseiller municipal ou encore un cadre territorial ayant reçu délégation.

Les élus ne sont pas pour autant privés de moyen de réagir s’ils estiment que l’exécutif mésuse de sa délégation. Le conseil municipal, départemental ou régional peut, à tout moment, y mettre fin ou la modifier. Il peut alors également réformer les décisions prises par le maire ou le président. La question de la délégation est inscrite d’office à la première réunion de l’organe délibérant suivant l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Si celle-ci suspend l’obligation de réunion trimestrielle des conseils municipaux, départementaux et régionaux, elle facilite également la tenue de ces réunions. Les organes délibérants peuvent en effet se réunir par visio ou audio conférence et le quorum est abaissé à un tiers des membres. Cette diminution, prévue par la loi du 23 mars 2020 pour les organes délibérants est étendue par l’ordonnance aux commissions permanentes des collectivités et aux bureaux des EPCI. En outre, un cinquième des conseillers pourra obtenir une réunion. Toujours pour faciliter la prise de décision, l’exécutif pourra se passer de l’avis préalable de diverses commissions et du comité économique, social et environnemental régional.

Les modalités de publication et de transmission des actes locaux au contrôle de légalité sont également provisoirement assouplies. La première pourra être valablement assurée uniquement par voie électronique, sur le site internet de la collectivité. Les actes devront y figurer en intégralité, sous un format non modifiable et dans des conditions propres à en assurer la conservation, à en garantir l’intégrité et à en effectuer le téléchargement. La transmission à la préfecture, outre le format papier et le recours à l’application @ctes, pourra se faire par courrier électronique.

L’ordonnance comporte également des dispositions particulières aux EPCI, notamment pour traiter de la situation de ceux issus d’une fusion intervenue juste avant le premier tour. Elle accorde aussi un délai supplémentaire à toutes les intercommunalités pour délibérer en matière d’eau, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales, mais aussi de mobilité.

Auteur d'origine: Montecler

La grippe, les épidémies et la force majeure en dix arrêts, par Pascale Guiomard, le 4 mars 2020

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• État d’urgence sanitaire : quelques difficultés pratiques consécutives à l’ordonnance n° 2020-303, Le droit en débats, par Christophe Ingrain et Rémi Lorrain le 27 mars 2020

• Coronavirus : présentation de l’ordonnance sur la procédure devant les juridictions administratives, par Thomas Bigot le 28 mars 2020

• Coronavirus : une ordonnance pour sauver les professionnels du tourisme, par Jean-Denis Pellier le 28 mars 2020

• Coronavirus : « Nous continuons à assurer les audiences en prison », par Julien Mucchielli, Pierre-Antoine Souchard, Gabriel Thierry et Marine Babonneau le 28 mars 2020

• Coronavirus : l’Autorité de la concurrence s’adapte, par Xavier Delpech le 28 mars 2020

• Coronavirus : présentation de l’ordonnance relative aux installations de communications électroniques, par Nathalie Maximin le 28 mars 2020

• Coronavirus : concilier obligation de sécurité de l’employeur et respect de la vie privée du salarié, par Grégory Saint Michel le 28 mars 2020

• État d’urgence sanitaire : quelques difficultés pratiques consécutives à l’ordonnance n° 2020-30, par Jean-Marc Pastor le 30 mars 2020

• Coronavirus : impact sur les délais pour agir et les délais d’exécution forcée en matière civile, par Cyrille Auché et Nastasia De Andrade le 30 mars 2020

• Coronavirus : sort des loyers des entreprises au regard des textes d’urgence sanitaire, par Alain Confino le 30 mars 2020

• Coronavirus : l’Union européenne assouplit (temporairement) la discipline budgétaire, par Olivier Baillet le 30 mars 2020

• Coronavirus : prolongation de certains droits sociaux, par Tiphaine Huige le 30 mars 2020

• Coronavirus : les recommandations du Comité européen de la protection des données aux responsables de traitements, par Alexandra Guérin-François le 30 mars 2020

• Libre cours : Et à la fin était l’adverbe, Le droits en débats, par Emmanuel Mercinier-Pantalacci le 30 mars 2020

• Coronavirus : décret sur l’activité partielle, par Marie Peyronnet le 30 mars 2020

• « Je pense que la situation de crise va conduire certains cabinets à fermer », interview de Christiane Féral-Schuhl, par Pierre-Antoine Souchard le 31 mars 2020

• Assouplissement des règles de la commande publique pendant l’épidémie, par Jean-Marc Pastor le 31 mars 2020

• Coronavirus : une ordonnance sur les comptes des groupements de droit privé, par Xavier Delpech le 31 mars 2020

• Report du renouvellement des conseillers et délégués consulaires, par Jean-Marc Pastor le 31 mars 2020

• Coronavirus : établissements de santé, sociaux, médico-sociaux et ONIAM, par Jean-Marc Pastor le 31 mars 2020

• Coronavirus : prolongement de la trêve hivernale, par Yves Rouquet le 31 mars 2020

• Libre cours : Un avocat général de la cour d’assises de Paris, Le droits en débats, par Rémi Crosson du Cormier le 31 mars 2020

• « Virus anthropophage », Le droits en débats, par Éric Plouvier le 31 mars 2020

• Urgence sanitaire et police administrative : point d’étape, Le droit en débats, par Nil Symchowicz le 31 mars 2020

• Saisie immobilière et covid-19 : Ô temps suspends ton vol…, Le droit en débats, par Frédéric Kieffer le 31 mars 2020

• Datajust : un algorithme pour évaluer les préjudices corporels, par Pierre Januel le 1er avril 2020

• Coronavirus et protection des données personnelles : un enjeu mondial, par Alexandra Guérin-François le 1er avril 2020

• Coronavirus : salariés en Uber forme, par Grégory Saint Michel et Nadja Diaz le 1er avril 2020

• Le fonds de solidarité pour les très petites entreprises désormais opérationnel, par Xavier Delpech le 1er avril 2020

• Coronavirus : présentation de l’ordonnance sur les difficultés des entreprises, par Karine Lemercier et François Mercier le 1er avril 2020

• Le juge des référés du Conseil d’État sur le front du coronavirus, par Marie-Christine de Montecler le 1er avril 2020

• Les policiers face à la crise, Reportage, par Anaïs Coignac le 1er avril 2020

• État d’urgence sanitaire et (droit du) travail, Dossier, par Frédéric Géa le 1er avril 2020

• Ordonnance coronavirus concernant les jours de repos du salarié, de quoi parle-t-on ?, par Julien Cortot le 1er avril 2020

• Libre cours : Penser la privation de liberté autrement, Le droit en débats, par Éric Dupond-Moretti le 1er avril 2020

• Les 7 nouveaux projets d’ordonnances présentés en conseil des ministres, par Pierre Januel le 1er avril 2020

• Coronavirus : les JAP sur le pied de guerre, par Antoine Bloch le 1er avril 2020

• La détention provisoire, variable d’ajustement de la crise sanitaire, Le droit en débats, par Sébastien Schapira le 1er avril 2020

• Premières réflexions sur l’audience d’assistance éducative en période d’état d’urgence sanitaire, Le droit en débats, par Simon Champigny le 1er avril 2020

• Comment délivrer congé en période d’urgence sanitaire ?, par Nicolas Damas le 2 avril 2020

• Coronavirus et propriété industrielle : application de l’ordonnance relative à la prorogation des délais échus, par Nathalie Maximin le 2 avril 2020

• Coronavirus : le juge guadeloupéen réclame des tests et de la chloroquine pour la population, par Patrick Lingibé le 2 avril 2020

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• Coronavirus : la CEDH adapte sa procédure, par Charlotte Collin le 2 avril 2020

• Libre cours : À quoi ça sert un juge qui ne juge pas ?, Le droit en débats, par Clément Bergère-Mestrinaro le 2 avril 2020

• Coronavirus : sort des loyers des entreprises au regard des textes d’urgence sanitaire (suite, et peut-être pas fin), par Alain Confino, le 2 avril 2020

• Les défis de la construction face au coronavirus : analyse critique de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, par Gatien Casu et Stéphane Bonnet le 2 avril 2020

• La responsabilité des décideurs publics en période de crise sanitaire, Le droit en débats, par Arié Alimi le 2 avril 2020

• Coronavirus : le sort des détenus devant le Conseil d’État, par Julien Mucchielli le 3 avril 2020

• Coronavirus : focus sur l’ordonnance portant mesures d’urgence relatives aux IRP, par Hugues Ciray le 3 avril 2020

• Coronavirus : aides exceptionnelles à destination des artistes-auteurs, par Amélie Blocman le 3 avril 2020

• Libre cours : Je ne vais plus en prison, Le droit en débats, par Delphine Boesel le 3 avril 2020

• Coronavirus : report des élections professionnelles des TPE, par Clément Couëdel le 4 avril 2020

• Un décret modificatif sur le fonds de solidarité pour les très petites entreprises, par Xavier Delpech le 4 avril 2020

• Libre cours : Je suis président d’un petit tribunal judiciaire et je cherche la sérénité, le courage et la sagesse, Le droit en débats, par un président de tribunal judiciaire le 4 avril 2020

• Brexit et mandat d’arrêt européen : will we believe in yesterday ?, Le droit en débats, par David Apelbaum, Margaux Durand-Poincloux, Jane Peissel et Flora Drapp le 4 avril 2020

Défense pénale et coronavirus : fiches pratiques au sujet de l’ordonnance du 25 mars 2020, Dossier, par Maxime Tessier le 6 avril 2020

• Coronavirus : conséquences pour le notariat et les contrats en cours, par Jean-Philippe Borel le 7 avril 2020

• Coronavirus : zoom sur l’ordonnance portant mesures d’urgence en matière de formation professionnelle, par Loïc Malfettes le 7 avril 2020

• Coronavirus : mise en place d’une garantie d’État en matière d’assurance-crédit, par Xavier Delpech le 7 avril 2020

• L’organisation des juridictions pendant l’état d’urgence sanitaire, Dossier, par Barbara Gutton et Jérôme Langlais le 8 avril 2020

• Coronavirus : assouplissement des conditions d’exonération de la prime de pouvoir d’achat, par Loïc Malfettes le 8 avril 2020

• Comment construire en période de coronavirus ?, par Gatien Casu le 8 avril 2020

• La crise du coronavirus frappe de plein fouet les avocats, par Gabriel Thierry le 8 avril 2020

• Libre cours : Le (non) journal de confinement, Le droit en débats, par Roksanah Nazerzadeh le 8 avril 2020

• Brexit et contrôle judiciaire européen : goodbye my lover, goodbye my friend ?, Le droit en débats, par David Apelbaum, Margaux Durand-Poincloux, Jane Peissel et Flora Drapp le 8  avril 2020

• Arnaques liées au Coronavirus : la DGCCRF se mobilise, par Xavier Delpech le 8 avril 2020

• L’Union européenne interdit les vols fantômes durant l’épidémie, par Charlotte Collin le 8 avril 2020

• Coronavirus : ordonnance adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail, par Wolfgang Fraisse le 8 avril 2020

• La Cour de justice de l’Union européenne et le Tribunal de l’Union européenne s’adaptent à la pandémie, par Charlotte Collin le 8 avril 2020

• Des référés-liberté tous azimuts, par Jean-Marc Pastor le 9 avril 2020

• Marchés publics et coronavirus : la Commission européenne publie des orientations, par Charlotte Collin le 9 avril 2020

• La prorogation de la détention provisoire, de plein droit et hors du droit, par Jean-Baptiste Perrier le 9 avril 2020

• Déconfinement : le gouvernement sur la piste du tracking général, par Pierre Januel le 9 avril 2020

• Adaptation des institutions locales à la crise sanitaire, par Marie-Christine de Montecler le 9 avril 2020

• Responsabilité pénale de l’entreprise face au covid-19 : premier état des lieux, Le droit en débats, par Sébastien Schapira le 9 avril 2020

• Libre cours : L’obscure clarté de mes héros, Le droit en débats, par Clémence Caron le 9 avril 2020

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Auteur d'origine: Bley
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Le syndicat agricole des petits planteurs de Cadet Sainte-Rose sollicitait, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA), la suspension de l’exécution d’un arrêté du 6 avril 2019 par lequel le préfet de la Guadeloupe a interdit la circulation sur la route forestière de Moreau, section de Douville, sur le territoire de la commune de Goyave.

Le bien-fondé de la requête requête étant conditionnée à la recevabilité du recours au fond qu’elle accompagne, le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe a, après avoir constaté la tardiveté du recours en excès de pouvoir, déclaré irrecevable le recours en référé.

Saisi du pourvoi en cassation, le Conseil d’État commence par annuler pour erreur de droit l’ordonnance du juge des référés, en rappelant sa jurisprudence selon laquelle en cas d’irrecevabilité de la demande d’annulation, il appartient au juge de rejeter la demande de suspension comme non-fondée et non pas comme elle-même irrecevable (CE 1er mars 2004, n° 258505, Socquet-Juglard, Lebon ; RDI 2004. 220, obs. P. Soler-Couteaux ). Réglant l’affaire au fond, il revire deux de ses anciennes jurisprudences.

Force de la première mesure de publicité

En l’espèce, le Conseil d’État est amené à trancher la question, qui s’avère délicate en l’espèce, du point de départ du délai de recours de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du CJA. En effet, si la décision attaquée du 6 avril 2019 a été publiée dès le 8 avril dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de Guadeloupe, elle n’a été affichée à la mairie de la commune concernée que le 29 avril 2019, soit à une date sensiblement différente. Le recours en annulation a été quant à lui enregistré au tribunal le 13 août 2019, après l’exercice d’un premier recours administratif adressé au préfet le 18 juin 2019.

La question n’est pas nouvelle, puisqu’il résulte d’une jurisprudence ancienne qu’en cas de double publicité prévue par les textes réglementaires ou législatifs, le délai court à compter du jour de la plus tardive des mesures de publicité (CE 18 févr. 1976, n° 96293). Cette solution, qui se veut protectrice des intérêts contentieux des administrés, a été déclinée notamment en matière d’urbanisme commercial (CE 24 juill. 1987, n° 49016, Société Guichard Perrachon et compagnie, Lebon  ; 28 janv. 1998, n° 186124, Association des commerçants, artisans et industriels du pays d’Argonne champenoise et Depond, Lebon ; D. 1998. 62 ; 17 mars 2004, n° 227000, SARL Loisirs 2000, Lebon ) et d’occupation des sols (CE 28 juin 1996, n° 160434).

Le Conseil d’État revient sur cette jurisprudence, et juge ici que la publication sur le recueil des actes administratifs de la préfecture, « alors même que l’arrêté en litige n’a pas été affiché à la mairie […], a fait courir à l’égard du syndicat requérant le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du code de justice administrative ». Ainsi désormais, le délai court à compter de la date de la première mesure de publicité.

La mise en ligne sur le recueil des actes administratifs est désormais suffisante

En matière de décisions préfectorales, aucune disposition réglementaire ou législative ne prévoit de modalités spécifiques de publicité. La nature ayant horreur du vide, le Conseil d’État a affirmé en 2012 qu’en l’absence de telles normes, les actes réglementaires sont opposables aux tiers à compter de leur mise en ligne par l’administration, à condition que cette mise en ligne s’opère sur un support présentant des garanties suffisantes de fiabilité (CE, 24 févr. 2012, req. n° 336669).

Seulement jusqu’alors, le Conseil d’État jugeait que la seule publication d’un arrêté préfectoral au recueil des actes administratifs (RAA) n’était pas de nature à lui seul à faire courir le délai de recours contentieux vis-à-vis des tiers, dans la mesure où le RAA ne peut pas, eu égard à l’ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par les tiers (CE 27 oct. 1972, n° 80329, Depuydt, Lebon ; 24 oct. 1984, n° 36531, Association des amis des sites de la baie de Bandol, Lebon ; 4 août 2006, n° 278515, Bergeron, AJDA 2006. 2139 ).

Le Conseil d’État abandonne cette deuxième jurisprudence, et juge que la publication des actes préfectoraux au recueil des actes administratifs suffit désormais pour les rendre opposables, à condition que cette mise en ligne intervienne dans des conditions garantissant non seulement la fiabilité, mais aussi « la date de la mise en ligne de tout nouvel acte ». La juridiction harmonise ainsi les conditions de mise en ligne des actes administratifs des préfectures avec celles, récemment dégagées, des décisions des autorités départementales (CE 3 déc. 2018, n° 409667, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, Lebon ; AJDA 2019. 706 , note L. Janicot ; ibid. 2018. 2367 ; AJCT 2019. 140, obs. M.-C. Rouault ) et des circulaires ministérielles (CE 20 mars 2019, n° 401774, Lebon ; AJDA 2019. 661 ).

Auteur d'origine: pastor
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Le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, quoique avec une réserve d’interprétation, les dispositions de l’article L. 612-3 du code de l’éducation qui limitent l’accès de tiers aux algorithmes utilisés par les universités pour examiner les candidatures en première année (dits « algorithmes locaux »). À l’occasion de cette affaire, il donne un ancrage constitutionnel au droit d’accès aux documents administratifs, en le rattachant, comme l’avait suggéré le Conseil d’État dans sa décision de renvoi (CE 15 janv. 2020, n° 433296, Union nationale des étudiants de France, AJDA 2020. 142 ), à l’article 15 de la Déclaration de 1789.

Le juge constitutionnel rappelle qu’aux termes de l’article 15, la société « a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». « Est garanti, par cette disposition, le droit d’accès aux documents administratifs », considère-t-il de façon inédite. Toutefois, il est loisible au législateur « d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. »

Selon la jurisprudence du Conseil d’État, les dispositions de l’article L. 612-3 excluent l’application des articles L. 311-1, L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration et ne permettent la communication des algorithmes locaux qu’aux candidats et seulement après que la décision les concernant a été prise (CE 12 juin 2019, n° 427916, Université des Antilles, Lebon ; AJDA 2019. 1192 ; D. 2019. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; Dalloz IP/IT 2019. 700, obs. T. Douville ).

Pour le Conseil constitutionnel, « il ressort des travaux préparatoires que le législateur a considéré que la détermination de ces critères et modalités d’examen des candidatures, lorsqu’ils font l’objet de traitements algorithmiques, n’était pas dissociable de l’appréciation portée sur chaque candidature. Dès lors, en restreignant l’accès aux documents administratifs précisant ces critères et modalités, il a souhaité protéger le secret des délibérations des équipes pédagogiques au sein des établissements. Il a ainsi entendu assurer l’indépendance de ces équipes pédagogiques et l’autorité de leurs décisions. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. »

S’agissant des candidats, dès lors que la décision les concernant ne peut pas être fondée uniquement sur l’algorithme et qu’ils ont accès à des informations sur les critères d’examen de leur candidature, la restriction est jugée par le Conseil constitutionnel proportionnée à l’objectif d’intérêt général. En revanche, « une fois la procédure nationale de préinscription terminée, l’absence d’accès des tiers à toute information relative aux critères et modalités d’examen des candidatures effectivement retenus par les établissements porterait au droit garanti par l’article 15 de la Déclaration de 1789 une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi, tiré de la protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques. Dès lors, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le droit d’accès aux documents administratifs, être interprétées comme dispensant chaque établissement de publier, à l’issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d’un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant, le cas échéant, dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen. »

Auteur d'origine: Montecler
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Le Conseil d’État a rejeté, le 27 mars, plusieurs pourvois de sociétés condamnées par les juges du fond à indemniser des départements dans l’affaire dite du « cartel des panneaux routiers ». Deux de ces décisions, qui auront les honneurs du Lebon, synthétisent les réponses de la Haute juridiction aux questions que posaient les actions des départements.

Ces collectivités avaient saisi le juge administratif de demandes d’indemnisation à la suite de la révélation par l’Autorité de la concurrence, dans une décision du 22 décembre 2010, d’une entente sur les prix entre les fabricants de panneaux de signalisation, au détriment de leurs clients (pour un rappel des faits et une analyse de la question de la prescription, v. F.-X. Bréchot, La prescription de l’action en responsabilité pour fraude ou dol du cocontractant de l’administration, AJDA 2017. 1848 ).

En examinant ces pourvois, le Conseil d’État reconnaît implicitement la compétence du juge administratif, y compris dans le cas où la collectivité victime de l’entente a mis en cause non seulement son contractant mais aussi d’autres sociétés ayant participé à la manœuvre anticoncurrentielle, comme l’avait fait le département de l’Orne dans l’affaire n° 421758. Et comme il était fondé à le faire, précise la Haute juridiction, dès lors que l’implication de ces entreprises a affecté la procédure de passation. Sur la compétence, la solution est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1re, 18 juin 2014, n° 13-19.408, StéVinci construction France c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), AJDA 2015. 352 , note G. Berlioz et M. Durupty ).

Une action qui trouve son origine dans le contrat

En application de la jurisprudence Département de l’Eure (CE 24 févr. 2016, n° 395194, Lebon 144 avec les concl. ; AJDA 2016. 407 ), l’action est recevable en dépit de la faculté de la personne publique d’émettre un titre exécutoire. En effet, l’action « tendant à l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de sociétés en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique à contracter avec l’une d’entre elles, à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d’un préjudice né du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l’être dans des conditions normales de concurrence, doit être regardée, pour l’application de ces principes, comme trouvant son origine dans le contrat, y compris lorsqu’est recherchée la responsabilité d’une société ayant participé à ces agissements dolosifs sans conclure ensuite avec la personne publique ».

Enfin, c’est à bon droit que la cour administrative d’appel « s’est fondée, pour évaluer l’ampleur du préjudice subi par le département au titre du surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles, sur la comparaison entre les marchés passés pendant l’entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d’avoir eu une incidence sur celle-ci ».

Auteur d'origine: Montecler

Plusieurs requérants se prévalant de leur qualité d’usagers du service public et de contribuables locaux ont contesté un avenant au contrat signé entre la métropole du Grand Nancy et les sociétés ERDF et EDF de concession du service public du développement et de l’exploitation du réseau de distribution et de fourniture d’énergie électrique aux tarifs réglementés.

La métropole du Grand Nancy tentait de faire valoir que le contrat de concession litigieux ayant été résilié, le recours des demandeurs était par voie de conséquence privé d’objet. Toutefois, précise le Conseil d’État, « la circonstance que le contrat de concession ait été résilié n’est pas de nature à priver d’objet le présent pourvoi ».

La haute juridiction indique ensuite que, « lorsque l’auteur du recours se prévaut de sa qualité de contribuable local, il lui revient d’établir que la convention ou les clauses dont il conteste la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité ».

En l’espèce, les requérants se prévalaient de cette qualité pour contester, d’une part, la validité des clauses relatives à la délimitation du périmètre des ouvrages concédés, dont ils estimaient qu’elles n’incluaient pas certains dispositifs dans les biens de retour, d’autre part, celle des clauses relatives à l’indemnité susceptible d’être versée au concessionnaire en cas de rupture anticipée du contrat, dont ils estimaient que l’application pouvait excéder le montant du préjudice réellement subi par ce dernier et constituer de ce fait une libéralité prohibée. Le Conseil d’État estime que l’intérêt à agir des requérants en tant que contribuables locaux ne pouvait être écarté, ainsi que l’a fait la cour administrative d’appel de Nancy, en se fondant sur le caractère aléatoire du déploiement des dispositifs exclus de la liste des ouvrages concédés et sur le caractère incertain de la mise en œuvre de la clause relative à la rupture anticipée du contrat.

Auteur d'origine: pastor
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L’article R. 611-8-1 du code de justice administrative permet au président de la formation de jugement de solliciter auprès d’une ou plusieurs parties la production d’un mémoire récapitulatif. Cet outil d’instruction doit permettre à la juridiction de mieux maîtriser l’instruction des affaires qui donnent lieu à des échanges volumineux et complexes entre les différentes parties.

Un dispositif particulièrement « musclé » par le décret JADE du 2 novembre 2016

Dans un objectif affiché de bonne administration de la justice, les effets de cette disposition ont été considérablement renforcés par l’article 17 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, appelé décret « JADE ». Depuis, le président de la formation de jugement peut assortir cette demande d’un délai de réponse, qui ne peut être inférieur à un mois, et à l’issue duquel, à défaut d’avoir produit le mémoire récapitulatif, la partie est réputée s’être désistée de sa requête. Dans ce cas, le courrier de la juridiction doit informer la partie des conséquences du non-respect du délai fixé sur le maintien de sa requête.

Cette nouvelle « version musclée » de l’article R. 611-8-1 issue du décret JADE, qui permet d’évacuer les requêtes par la voie du désistement, est destinée « à mieux armer la juridiction administrative pour faire face à la croissance du nombre de recours par une gestion plus dynamique et individualisée des litiges » (concl. de Mme Marie-Astrid de Barmon sur CE 24 juill. 2019, n° 423177, Crédit Mutuel Pierre 1 [Sté]). Et pour cause, le recours au mémoire récapitulatif par les tribunaux a été multiplié par quatre l’année qui a suivi cette réforme.

Précision du point de départ du délai imparti au requérant

En l’espèce, une requérante demandait au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations de taxe foncière et de taxe d’enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2017 dans sa commune. Par un courrier du 2 avril 2019, le président de la cinquième chambre du tribunal a alors, sur le fondement du dispositif précité, demandé à la requérante de produire un mémoire récapitulatif dans un délai de quarante jours.

Le 17 mai 2019, le président de la chambre du tribunal a pris une ordonnance prenant acte du de désistement de la requête, faute pour la requérante d’avoir déféré à la demande qui lui a été adressée.

Saisi du pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’État constate que si le bordereau de suivi du pli recommandé du courrier de la juridiction mentionne que le pli a été présenté au domicile de la requérante le 3 avril 2019, celle-ci ne l’a en réalité retiré au bureau de poste que le 16 avril suivant. Dans ces conditions, la haute juridiction juge que le délai de quarante jours qui était imparti à la requérante pour produire un mémoire récapitulatif n’était pas expiré à la date à laquelle le tribunal administratif a pris l’ordonnance de désistement.

Ce faisant, le Conseil d’État applique au dispositif de désistement d’office une jurisprudence assez classique en matière de point de départ d’un délai de procédure. Le délai fixé par le juge pour la production, sous peine de désistement d’office, d’un mémoire récapitulatif en application de l’article R. 611-8-1 court donc, lorsque l’intéressé a retiré le pli recommandé contenant la demande dans le délai de conservation au guichet postal, à compter de la date de ce retrait.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif.

Le Conseil d’État, garde-fou des usages abusifs du désistement d’office

Face au recours massif à ce dispositif, le Conseil d’État a été conduit à encadrer son usage par les juridictions du fond, allant jusqu’à apprécier, en plus du respect des conditions réglementaires, le moment choisi par le juge pour demander la production d’un mémoire récapitulatif.

Dans une première décision du 25 juin 2018, le Conseil d’État a jugé que le contrôle du juge de cassation se limitait à la régularité formelle de la demande adressée au requérant (respect du délai d’un mois dans la demande et mention des effets de l’absence de production), à l’exclusion du contrôle des raisons d’opportunité pour lesquelles la juridiction du fond a sollicité la production d’un mémoire récapitulatif aux parties (CE 25 juin 2018, n° 416720, Immobilière Groupe Casino [Sté], Lebon ; AJDA 2018. 1310 ). Ce contrôle s’est depuis élargi puisque désormais, le Conseil d’État s’est reconnu compétent pour opérer un contrôle de l’usage abusif du dispositif (CE 24 juill. 2019, n° 423177, Crédit Mutuel Pierre 1 (Sté), Lebon ; AJDA 2019. 1611 ; 22 nov. 2019, n° 420067, SMA (Sté), Lebon ; AJDA 2019. 2407 ). Fort de ce nouveau contrôle en cassation, le Conseil d’État est amené à censurer, au-delà des seules méconnaissances par le juge des obligations de procédure, un déclenchement précipité ou inéquitable du dispositif qui porterait préjudice au droit au recours juridictionnel effectif. Telle était précisément la question dans l’affaire du 24 juillet 2019 puisque la partie lésée, sanctionnée par le désistement d’office, justifiait de son impossibilité de produire le mémoire récapitulatif dans le délai imparti, faute pour la partie adverse d’avoir avancé les éléments chiffrés lui permettant de cristalliser son argumentation. « Il ne devrait pas y avoir de demande de mémoire récapitulatif avant que l’affaire soit en état d’être jugée », tranchait la rapporteure publique.

Par cette nouvelle décision, le Conseil d’État réaffirme son rôle de garde-fou dans l’utilisation de ce dispositif, suffisamment séduisant pour faire succomber des juges à une tentation blâmable.

Auteur d'origine: pastor

Une « une route semée d’embûches », qui, à l’arrivée, offre « aux Afghans qui ont longtemps cherché la justice et l’espoir de la voir un jour réalisée ». C’est la description de Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie de Human Rights Watch, de la décision de la chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) du 5 mars 2020.

Une route semée d’embûches longue de plus de dix ans d’attente, puisque l’examen préliminaire de la situation en Afghanistan par la CPI a été rendu public en 2007. Dix ans plus tard, en novembre 2017, la procureure Fatou Bensouda demandait à la Cour de l’autoriser à une ouvrir une enquête.

La requête portait sur des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui auraient été commis depuis le 1er mai 2003. Dans un rapport publié en décembre 2017, le bureau de la procureure notait également vouloir se pencher sur « d’autres crimes allégués se rapportant au conflit armé en Afghanistan et suffisamment liés à la situation en cause, qui ont été commis sur le territoire d’autres États parties depuis le 1er juillet 2002 ». Les activités des prisons secrètes de la Central Intelligence Agency (CIA) en Pologne, en Roumanie et en Lituanie étaient alors mises en cause. En plus de poursuites éventuelles contre des membres de la CIA, Fatou Bensouda avait aussi laissé entendre une possibilité d’enquêter sur du personnel de l’armée américaine, des talibans et des éléments des autorités afghanes.

Le 12 avril 2019, la chambre préliminaire II de la CPI rejetait la demande d’autorisation. Pour la première fois dans l’histoire de l’institution, les juges ont estimé qu’une investigation à ce stade ne servirait pas les « intérêts de la justice ». Un front commun des observateurs de la Cour s’était alors créé contre cette décision, tandis que le président des États-Unis, Donald Trump, avait lui salué une « victoire internationale » (v. Dalloz actualité, 29 avr. 2019, obs. M. Peniguet).

Pas d’« intérêts de la justice » à analyser

C’était sans compter sur la décision de la chambre d’appel de la CPI du 5 mars dernier. Prise à l’unanimité des cinq juges, elle se résume par ce passage : « La chambre d’appel estime que la chambre préliminaire a commis une erreur en décidant qu’“une enquête sur la situation en Afghanistan à ce stade ne servirait pas les intérêts de la justice”. Elle estime que la décision de la chambre préliminaire, en vertu de l’article 15(4) du Statut [de Rome, ndlr], n’aurait dû porter que sur la question de savoir s’il existe une base factuelle raisonnable pour que la procureure poursuive une enquête, au sens où des crimes ont été commis, et si la ou les affaires potentielles découlant de cette enquête semblaient relever de la compétence de la Cour. »

Les juges estiment que la chambre préliminaire n’avait tout simplement pas à apprécier les « intérêts de la justice » dans la demande de Fatou Bensouda – appréciation prévue à l’article 53 du statut de Rome et qui n’appartient qu’au bureau de la procureure.

Comme le reste de la décision de la chambre préliminaire s’accorde à dire qu’il semble exister des crimes commis relevant de la compétence de la Cour, la chambre d’appel décide, dans sa décision, d’amender le texte de la première, autorisant ainsi l’ouverture d’une enquête.

Un raisonnement « superficiel » et « spéculatif »

Les cinq juges auraient pu s’arrêter là. Cependant, étant donné que l’expression « intérêts de la justice […] a fait l’objet de nombreuses observations devant la chambre d’appel et a suscité de nombreux commentaires de la part de la communauté universitaire et de la société civile », la chambre d’appel a trouvé bon de fournir quelques observations sur l’approche de la chambre préliminaire à l’égard de ce concept.

D’abord, remarquent-ils, la formulation de l’article 53, 1, du statut est négative : « Pour prendre sa décision, la procureure examine […] s’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice. » Par conséquent, il ne s’agirait pas de démontrer qu’une enquête doit servir les intérêts de la justice, mais pourquoi elle ne les servirait pas. Ensuite, la chambre d’appel note que le « raisonnement de la chambre préliminaire à l’appui de sa conclusion concernant les “intérêts de la justice” était superficiel, spéculatif et ne faisait pas référence à des informations susceptibles de l’étayer ».

Enfin, la décision indique que rien ne montre que « la chambre préliminaire ait pris en compte la gravité des crimes et les intérêts des victimes tels qu’ils ont été formulés par les victimes elles-mêmes ». Et les juges de conclure que « la chambre préliminaire n’a pas correctement évalué les intérêts de la justice ».

Menaces américaines

Fatou Bensouda a été autorisée à enquêter sur les crimes présumés commis en Afghanistan depuis le 1er mai 2003. Mais pas seulement : elle peut se pencher sur des crimes ayant un lien avec le conflit armé en Afghanistan et qui sont à la fois liés à la situation en Afghanistan et qui ont été commis sur le territoire d’autres États parties au Statut depuis le 1er juillet 2002. Ce dernier point est très important, puisqu’il s’agit ici des potentiels crimes des agents de la CIA dans les prisons secrètes en dehors d’Afghanistan.

Or le gouvernement américain refuse l’idée que certains de ses citoyens se fassent juger en dehors des États-Unis. Son positionnement s’est une nouvelle fois accentué après la publication de la décision de la chambre d’appel. D’après le New York Times, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, l’a qualifiée d’action « prise par une institution politique qui ne rend pas de comptes et qui se fait passer pour un organe juridique ».

Dans un discours à la presse le 17 mars, il a par ailleurs indiqué vouloir s’en prendre à deux fonctionnaires de la CPI, mais aussi aux familles des responsables de l’enquête. Traduction du verbatim :

« Il a récemment été porté à mon attention que le chef de cabinet de la procureure, Sam Shoamanesh, et le chef de la division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération, Phakiso Mochochoko, contribuent à l’effort de la procureure de la CPI Fatou Bensouda d’utiliser cette cour pour enquêter sur les Américains. […] je me demande quelles devraient être les prochaines étapes des États-Unis en ce qui concerne ces personnes et tous ceux qui mettent les Américains en danger.

Nous voulons identifier les responsables de cette enquête partisane et les membres de leur famille qui pourraient vouloir se rendre aux États-Unis ou se livrer à des activités incompatibles avec la protection des Américains. »

En défense de ses employés, la CPI a réagi le 19 mars dans un communiqué. On peut y lire que « la Cour soutient fermement tous ses hauts responsables et membres du personnel, qui exercent, avec intégrité et dévouement, des fonctions essentielles pour le mandat de la CPI au nom de ses 123 États parties, originaires de toutes les régions du monde ».

Auteur d'origine: babonneau

Parmi les instruments mis en place par les pouvoirs publics pour venir en aide aux entreprises frappées de plein fouet par la crise du covid-19 figure le fonds de solidarité pour les très petites entreprises. Il a été institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 (JO 26 mars) et son régime a été précisé quelques jours plus tard, par le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 (JO 31 mars). Ce décret précise, outre le montant de l’aide (en principe limité à 1 500 € par entreprise ; décr. n° 2020-371, art. 3, al. 1er) et la procédure à suivre pour l’obtenir (art. 3, al. 2), les critères d’éligibilité à celle-ci (art. 1er et 2). Ce dispositif est ouvert, précise le décret, aux très petites entreprises (pour faire simple, le montant du chiffre d’affaires de leur dernier exercice doit être inférieur à un million d’euros et leur bénéfice imposable ne doit pas excéder 60 000 €) qui ont fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou qui «  ont subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ».

Seuil de perte de chiffre d’affaires

La question du seuil de perte de chiffres d’affaires a suscité une certaine cacophonie. En effet, avant même la publication du décret du 30 mars 2020, le site internet du ministère de l’économie faisait référence à une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 % de chiffre d’affaires au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019, soit une solution nettement plus favorable pour les entreprises. Dans son point presse du 31 mars 2020, le ministre de l’économie et des finances annonce que le seuil de pertes de chiffres d’affaires conditionnant l’éligibilité à l’aide du fonds de solidarité allait effectivement passer à 50 %, mais sans préciser la base juridique pour y parvenir. Le doute a été levé le 1er avril par la Direction générale des finances publiques – laquelle est en charge de la gestion du fonds de solidarité – qui a annoncé sur son site internet la publication prochaine d’un décret modificatif portant le seuil d’éligibilité au fonds de solidarité à 50 %. C’est chose faite grâce à la publication au Journal officiel du 3 avril du décret modificatif n° 2020-394 du 2 avril 2020.

Situation de l’entreprise au regard des procédures collectives

Mais ce texte ne se contente en réalité pas de modifier à la baisse ce seuil. Il apporte une précision sur la déclaration sur l’honneur que doit remplir le demandeur de l’aide. Dans sa rédaction précédente, cette déclaration sur l’honneur devait attester que l’entreprise remplit les conditions d’éligibilité prévues par le décret du 30 mars 2020, l’exactitude des informations déclarées, « ainsi que la régularité de sa situation fiscale et sociale au 1er mars 2020 ». C’est cette dernière mention qui est remplacée par la mention suivante : l’entreprise doit désormais attester « l’absence de dette fiscale ou sociale impayée au 31 décembre 2019, à l’exception de celles bénéficiant d’un plan de règlement ». La formule, un peu énigmatique, paraît signifier que l’entreprise ayant un passif fiscal ou social et soumise à un plan de sauvegarde ou de redressement demeure éligible aux aides du fonds de solidarité. Elle contribue ainsi à lever une ambiguïté, mais sans parvenir pour autant à dissiper toute interrogation.

Les termes du débat méritent d’être exposés. Parmi les critères d’éligibilité à l’aide du fonds de solidarité, il en est un qui concerne la situation financière des entreprises : celle-ci ne doit pas avoir « déposé de déclaration de cessation de paiement au 1er mars 2020 » (décr. n° 2020-371, art. 1er, 2°). La formulation est claire à première vue : a contrario, une entreprise sous le coup d’une procédure préventive (conciliation ou mandat ad hoc), voire de sauvegarde (l’entreprise sous sauvegarde n’est en principe pas en cessation des paiements) est éligibles aux aides du fonds. Qu’en est-il de l’entreprise une fois la période d’observation terminée et un plan de redressement (voire de sauvegarde) adopté ? N’est-elle pas redevenue in bonis ? Les professionnels du restructuring se sont bien entendu inquiétés d’une lecture trop restrictive du texte. L’Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC) a ainsi pris attache auprès du gouvernement afin d’obtenir une clarification. Ce dernier lui a apporté une réponse rassurante : une entreprise ne peut pas être éligible au dispositif si elle fait l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires), cette situation devant être appréciée à la date de publication de la loi du 23 mars 2020, soit le 24 mars 2020. En outre, ajoute le gouvernement, ce critère ne vaut que jusqu’à « clôture de ladite procédure », ce qui doit être compris, précise le gouvernement « comme ayant pour conséquence de ne pas exclure une entreprise qui est en cours d’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement au 24 mars 2020 ; ces dernières sont donc bien éligibles au dispositif » (sur cette position du gouvernement, v. C. de Girval, « #Actu : Et les procédures collectives ? », maydaymag.fr, 31 mars 2020). Le décret du 2 avril 2020 fournit une base juridique à cette position du gouvernement, mais il paraît considérer que, pour une entreprise en plan soit bien éligible au dispositif, c’est à condition qu’elle soit grevée d’un passif fiscal ou social, pas, a contrario, si son passif est purement « privé » (dette bancaire ou fournisseur, en particulier). Il est douteux que telle soit la position du gouvernement, mais une lecture excessivement littérale du décret du 2 avril 2020 pourrait conduire à défendre ce point de vue. À quand la clarification de la clarification ?

Aide complémentaire

Le décret du 2 avril 2020 apporte une précision supplémentaire et, disons-le, opportune. Elle concerne l’aide complémentaire forfaitaire de 2 000 euros à laquelle les entreprises les plus fragiles (concrètement celles qui emploient au moins un salarié, qui se trouvent dans l’impossibilité de régler leurs dettes à trente jours et qui se sont vu refuser un prêt de trésorerie par leur banque) peuvent prétendre. Celle-ci est versée par les collectivités locales, en principe par les régions. Ce sont également ces collectivités « qui instruisent la demande et examinent en particulier le caractère raisonnable du montant du prêt refusé, le risque de cessation des paiements et son lien avec le refus de prêt » (décr. n° 2020-371, art. 4). Le décret du 2 avril 2020 vient compléter l’article 4 du décret du 30 mars 2020 en apportant la précision suivante afin de préserver le secret fiscal de l’entreprise qui sollicite une aide complémentaire : « Des échanges de données sont opérés, dans le respect du secret fiscal, entre l’administration fiscale et les services chargés de l’instruction et de l’ordonnancement de l’aide complémentaire prévue au présent article, pour leur permettre d’instruire les demandes et de verser l’aide complémentaire ».

Auteur d'origine: Delpech
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S’il était jusqu’alors possible de qualifier les prisons françaises de « honte pour la République », les tares qui affligent le système carcéral (surpopulation chronique, vétusté, insalubrité) sont, dans les circonstances sanitaires actuelles, susceptibles de produire des effets dévastateurs. Les détenus étant placés dans une situation de « vulnérabilité » et « d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration », la jurisprudence administrative considère que « les autorités ont le devoir de les protéger ». Alors, pour réduire la population carcérale et, ainsi, améliorer les conditions de vie des personnes détenues, le ministère de la justice permet, dans son ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, la sortie anticipée des personnes détenues majeures « condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, auxquelles il reste à subir un emprisonnement d’une durée égale ou inférieure à deux mois » (art. 28), ainsi qu’« une réduction supplémentaire de la peine d’un quantum maximum de deux mois » (art. 27). Les personnes condamnées pour des faits de terrorisme en sont exclues, ainsi que les auteurs de violences intrafamiliales et d’autres types de violences aux personnes.

Ces mesures sont jugées largement insuffisantes par des associations. Dans un référé-liberté audiencé ce matin au Conseil d’État, l’Observatoire international des prisons, le Syndicat des avocats de France, l’Association pour la défense des droits des détenus et le Syndicat de la magistrature ont demandé au Conseil d’État « qu’il soit prescrit à l’administration de prendre toute mesure utile pour mettre un terme à la violation grave et manifestement illégale des libertés fondamentales des personnes détenues en France, au regard de l’urgence sanitaire qui découle de l’épidémie de covid-19 et de ses conséquences sur les conditions matérielles de détention ».

Pour démontrer l’intensité du péril, les demandeurs soulignent, à l’instar du Défenseur des droits, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et de nombreuses instances, que la promiscuité induite par la surpopulation, conjuguée à l’insalubrité, « démultiplie les risques de contamination massive au covid-19 de l’ensemble des détenus », dont beaucoup souffrent de maladies, dans des proportions plus importantes qu’à l’extérieur. Ils soulignent également que les détenus pourraient infecter les personnels qu’ils côtoient, ce qui ne pourrait que « rejaillir négativement sur l’ensemble de la population et sur le système de santé », aujourd’hui submergé par les personnes malades du covid-19. En outre, la tension résultant de la situation et des mesures de suspension des parloirs pourrait rendre la situation plus dangereuse encore, par l’accroissement des risques de mutineries et de mouvements de révolte.

Les requérants, représentés par Me Patrice Spinosi, fondent leur requête sur le droit au respect à la vie et le droit de ne pas subir de traitement inhumain et dégradant, droits dont l’administration est garante. Puis, « lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, […] le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence » (CE 4 avr. 2019, n° 428747, OIP-SF, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, art. J. Mucchielli ; AJ pénal 2019. 342, obs. C. Otero ). Or, selon les requérants, les mesures prises pour lutter contre l’épidémie en prison sont insuffisantes et révèlent une carence de l’administration, qui ne peut prétexter des circonstances actuelles pour demander l’atténuation de son impératif de protection de libertés fondamentales, et, corrélativement, l’appréciation de la gravité de l’atteinte aux libertés fondamentales ne peut être indexée sur les moyens dont celle-ci dispose. Cela ressort notamment de l’arrêt rendu le 30 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme (v. Dalloz actualité, 31 janv. 2020, art. J. Mucchielli).

Pour qualifier « d’insuffisantes » les mesures prises par l’ordonnance du 25 mars visant à réduire la population carcérale, les requérants soulignent le caractère trop restrictif des libérations conditionnelles envisagées, incapables à elles seules de réduire significativement le nombre total de détenus, puisque l’objectif, logiquement, est de parvenir à un encellulement individuel. Or, pour ce faire, le CGLPL, le Défenseur des droits et le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) préconisent de réduire le nombre de détenus à la fois en différant la mise à exécution de leur peine, en recourant à des mesures de grâce, d’amnistie, et en portant une attention particulière aux personnes vulnérables. L’objectif de réduction de la population de 5 000 détenus retenu par la Chancellerie confirme, selon les requérants, l’insuffisance de ces mesures, la surpopulation s’élevant aujourd’hui à plus de 11 000 détenus.

Pour atteindre cet objectif, les requérants préconisent que la situation des personnes placées en détention provisoire soit reconsidérée car, jusqu’alors, aucune mesure spécifique n’a été envisagée par l’administration envers ces détenus, ni pour faciliter leur libération sous contrôle judiciaire ni même pour faciliter la procédure de demande de mise en liberté, en autorisant par exemple qu’une telle demande soit faite par voie dématérialisée.

Les requérants demandent également au juge d’ordonner à l’administration de fournir des produits d’hygiène et du gel hydroalcoolique en grande quantité, de procéder à des tests de dépistages du virus. Or, et cela ressort de nombreux témoignages adressés à l’OIP, les conditions de vie des détenus se sont encore dégradées durant l’épidémie.

La décision du Conseil d’État sera rendue dans les plus brefs délais.

Auteur d'origine: babonneau

De quoi faire réagir les constitutionnalistes ! À l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Conseil constitutionnel estime que la violation des règles de procédure d’élaboration de la loi organique fixées par la Constitution ne rend pas pour autant, en raison du contexte sanitaire, la loi inconstitutionnelle.

L’article unique de la loi organique prévoit que le délai légal de trois mois dont disposent les juridictions suprêmes des deux ordres pour se prononcer sur le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ainsi que le Conseil constitutionnel pour statuer sur les QPC qui lui sont transmises, est suspendu jusqu’au 30 juin 2020.

Le délai de procédure prévu à l’alinéa 2 de l’article 46 de la Constitution n’avait, en l’espèce, pas été respecté, le projet de loi ayant été discuté en séance publique devant la première assemblée saisie non pas quinze jours après mais dès le lendemain de son dépôt.

Le Conseil constitutionnel estime toutefois, sans s’appuyer sur une quelconque disposition constitutionnelle, que « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution ».

Quant à l’examen de la constitutionnalité de la loi sur le fond, il juge les dispositions de l’article unique conformes dès lors que celui-ci « ne remet pas en cause l’exercice de ce recours ni n’interdit qu’il soit statué sur une [QPC] durant cette période ».

Auteur d'origine: ebenoit
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Aux termes du premier (n° 427737), le Conseil d’État précise le champ d’application de la consultation obligatoire du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA) prévue à l’article L. 232-3 du code de justice administrative. Les requérants contestaient la légalité du décret n° 2018-1142 du 12 décembre 2018 en raison de l’absence de consultation préalable du CSTACAA. La Haute juridiction estime que le conseil « doit être consulté sur les projets de décrets qui, ne se bornant pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions législatives, affectent la compétence des tribunaux administratifs ou des cours administratives d’appel ou sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur l’organisation ou le fonctionnement de ces juridictions ». En l’occurrence, l’ensemble des dispositions du décret se bornant à tirer les conséquences nécessaires de la loi Asile et immigration du 10 septembre 2018, la consultation préalable du CSTACAA n’était pas requise.

Aux termes du second (n° 427650), le Conseil d’État juge le décret n° 2018-1082 du 4 décembre 2018 relatif à l’expérimentation des demandes en appréciation de régularité de certaines décisions administratives non réglementaires conforme aux exigences résultant de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel avait déjà jugé la disposition législative créant ce recours conforme à la Constitution (Cons. const. 28 juin 2019, n° 2019-794 QPC, Union syndicale des magistrats administratifs, Syndicat de la juridiction administrative, AJDA 2019. 1376 ; D. 2019. 1343 ; Constitutions 2019. 377, chron. O. Le Bot ; ibid. 436, Décision ).

Les requérants contestaient notamment la conformité du décret à cet article au regard du droit au recours effectif, du droit à la connaissance précise des voies et délais de recours et du principe d’égalité des armes.

Le Conseil d’État estime au contraire l’ensemble de ces droits et principes respectés par le décret. Il juge notamment, en matière de droit au recours effectif, que les dispositions attaquées « poursuivent un objectif d’intérêt général tiré de la sécurité juridique des opérations complexes en cause et […] sont proportionnées à l’objectif poursuivi », étant donné que l’expérimentation est circonscrite « aux décisions administratives non réglementaires s’insérant dans une opération complexe, énumérées par l’article 2 du décret », est menée dans le ressort de quatre tribunaux administratifs seulement et ne porte que sur la légalité externe de ces décisions - la légalité interne demeurant contestable par la voie de l’exception.

Auteur d'origine: ebenoit
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Par une requête du 26 mars 2020, le syndicat UGTG a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe pour demander à ce qu’il soit enjoint au centre hospitalier universitaire et à l’agence régionale de la santé de la Guadeloupe, d’une part, de passer commande auprès des sociétés SA Novacyt ou Alltest Biotech, via le revendeur Sobiotech Consult, ou de toute autre société, de 200 000 tests de dépistage du covid-19, correspondant environ à la moitié de la population guadeloupéenne, et d’autre part, de passer commande des doses nécessaires au traitement de l’épidémie de covid-19 par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, comme défini par l’IHU Méditerranée infection, pour 20 000 patients.

Par une ordonnance rendue le 28 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a fait droit  à la demande d’injonction de passer commande des doses nécessaires au traitement de l’épidémie de covid-19 par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, comme défini par l’IHU Méditerranée infection, et de tests de dépistage du covid-19, le tout en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel guadeloupéen, dans le cadre défini par le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020.

Cette ordonnance mérite l’attention. Préalablement, il convient de relever qu’elle a été exceptionnellement rendue collégialement. En effet, le juge des référés initialement saisi a décidé de statuer en formation collégiale de trois juges présidée par le président du tribunal. Au regard de la très grande sensibilité du dossier et du contexte anxiogène dans lequel elle intervient, ce dossier requérait que la décision rendue soit partagée et ne soit pas portée par un juge unique.

L’analyse de cette décision nous amène à aborder deux points : d’une part, la recevabilité de la requête qui a fait débat et d’autre part, celui de la question des tests et de la mesure ordonnée juridictionnellement.

La question de la recevabilité de la requête

L’un des points de la décision rendue portait sur la recevabilité de la requête présentée par le syndicat UGTG. Il convient de rappeler que le principe dit de la spécialité s’applique également devant le juge administratif. Il doit nécessairement avoir un intérêt entre la personne morale qui porte l’action et le litige soulevé. Aux termes de l’article L. 2131-1 du code du travail : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ». Ainsi, un syndicat professionnel n’a pas vocation à défendre l’ensemble de la population et l’admettre reviendrait à méconnaître les termes mêmes de l’article précité et le principe de spécialitéss’ des personnes morales. Pour asseoir la recevabilité de sa requête, l’UGTG indiquait que ses statuts ont pour objet « de prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre les intérêts des travailleurs, de défendre la liberté syndicale et les libertés démocratiques, de réaliser l’unité de tous les travailleurs de la Guadeloupe et de lutter pour la suppression des rapports d’exploitation coloniale, des rapports de production ». Cet objet est à large spectre. Si le juge du Palais-Royal ouvre largement l’accès au prétoire aux personnes morales, il veille à ce qu’il y ait un lien identifiable et identifié entre la requérante et la demande portée en justice. Ainsi, il a jugé qu’une association ayant pour objet « de combattre l’injustice sous quelque forme que ce soit et en quelque lieu qu’elle se trouve » n’a pas qualité pour agir contre une circulaire relative à la procédure à suivre à l’égard des étrangers en situation irrégulière (CE 10 mars 1995, n° 125271, Association « Le droit pour la justice et la démocratie », Lebon T. 958 ; RTD com. 1995. 808, obs. E. Alfandari ). Il a jugé de même pour une association de parents d’élèves d’enseignement privé contre une décision autorisant les infirmeries des établissements d’enseignement publics à délivrer la « pilule du lendemain » (CE, ass., 30 juin 2000, n° 216130, Association « Choisir la Vie », Lebon 249 ; AJDA 2000. 729 , concl. S. Boissard ; D. 2001. 2224, et les obs. , note A. Legrand ; ibid. 2000. 545, chron. C. Radé et O. Dubos ; RFDA 2000. 1282, note M. Canedo ; ibid. 1305, note L. Dubouis ; ibid. 1311, obs. J. Morange ; RDSS 2000. 711, obs. J.-S. Cayla ; ibid. 732, note L. Dubouis ). Il en va de même pour les syndicats. Ainsi, dans son arrêt du 27 mai 2015, le Conseil d’État a indiqué qu’un syndicat ne pouvait utilement se prévaloir des termes généraux de ses statuts relatifs à la « défense des libertés et des principes démocratiques » pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir (CE 27 mai 2015, Syndicat de la magistrature, n° 388870). Il convient de rappeler qu’en application de l’article L. 2133-3 du code du travail, « Les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels ». Il appartient au juge de vérifier en tout état de cause « qu’il existe une adéquation suffisante entre la nature des intérêts défendus par l’organisation requérante et les effets de l’acte qu’elle conteste » (CE 2 juin 2010, n° 309445, Centre communal d’action sociale de Loos, Lebon ; AJDA 2010. 1116 ), autrement dit en rapportant in concreto la portée de la demande à l’objet précis du syndicat intervenant. Le Conseil d’État a jugé à cet effet que l’intérêt pour agir s’apprécie au regard des « conclusions présentées et des moyens invoqués à leur soutien » (CE 26 avr. 2018, Syndicat SNRT-CGT France Télévisions, n° 418489). La question de la recevabilité de la requête du syndicat requérant se pose inévitablement sur le plan juridique, le syndicat entendant agir au nom de la population de son territoire. Cette difficulté n’a pas échappé au juge des référés administratifs guadeloupéen qui après avoir constaté qu’un syndicat professionnel « ne saurait, en temps normal, se prévaloir des termes généraux de ces statuts relatifs à la « défense des libertés démocratiques » pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour demander au juge des référés de mettre en œuvre ses pouvoirs d’injonction au cas d’atteinte au droit au respect de la vie de l’ensemble de la population guadeloupéenne, qu’il n’a pas vocation à représenter dans sa globalité, il résulte toutefois de l’instruction et des débats à l’audience, que ce syndicat confédéral regroupe plusieurs organisations syndicales de professionnels de la santé, particulièrement exposés aux risques pandémiques, notamment CHU de Guadeloupe.» Il contourne cette difficulté par une motivation que nous considérons comme particulièrement hardie sur le plan juridique. En effet, il considère recevable la requête pour deux raisons : d’une part, parce que l’action est menée par « ce syndicat confédéral (qui) regroupe plusieurs organisations syndicales de professionnels de santé, particulièrement exposées aux risques pandémiques, notamment au CHU de Guadeloupe ». D’autre part, il se réfère aux circonstances très exceptionnelles de l’espèce : « Par sa nature même, cette pandémie est susceptible de s’étendre à l’ensemble de la population de l’archipel guadeloupéen et, à ce titre, dans les circonstances très exceptionnelles de l’espèce, l’intérêt à agir du syndicat requérant doit être admis. ». Si l’intérêt à agir de la confédération en cause peut se justifier pour la défense des intérêts d’un syndicat de professionnels de santé, membre de ladite confédération intervenante, il peut se discuter sur le plan juridique pour la défense des intérêts de toute la population d’un territoire. Il n’est pas certain que le Conseil d’État fasse une analyse aussi ouverte et subtile de la recevabilité de la requête de l’UGTG, quel que soit son caractère louable au regard de la situation sanitaire de la Guadeloupe.

La liberté de juge des référés : un pouvoir d’injonction limité

Le juge des référés a été saisi sur le fondement du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui impose au juge de se prononcer dans un délai de 48 heures. Ce référé suppose pour l’essentiel deux conditions : d’une part l’urgence et d’autre part, une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à une liberté fondamentale. La première condition ne posait aucune difficulté dans la mesure où celle-ci est par nature présumée en raison de l’état d’urgence sanitaire appliquée depuis le 24 mars 2020. La seconde condition a fait l’objet d’une importante motivation de la part du juge des référés.

Sur la liberté fondamentale en cause

Celle-ci ne pose pas de difficulté. Le Conseil d’État juge des référés, ayant précisé que le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale (CE, sedt., 16 nov. 2011, n° 353172, Ville de Paris, Société d’économie mixte PariSeine, Lebon avec les concl. ; AJDA 2011. 2207 ; ibid. 2013. 2137, étude X. Dupré de Boulois ; AJCT 2012. 156, obs. L. Moreau ; RFDA 2012. 269, concl. D. Botteghi ; ibid. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ). Ce droit inclut « celui de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, liberté fondamentale à laquelle l’autorité administrative porte atteinte lorsque sa carence risque d’entraîner une altération grave de l’état de santé de la personne intéressée » (CE 9 janv. 2001, n° 228928, Deperthes, Lebon ). L’autre aspect que met en exergue l’ordonnance rapportée porte sur le principe de précaution, dans le cas présent l’article 5 de la charte de l’environnement aux termes duquel « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Il convient de rappeler que les dispositions de cette charte ont valeur constitutionnelle (Cons. const. 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, § 79, AJDA 2010. 4 ; ibid. 277 , note W. Mastor ; D. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RFDA 2010. 627, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 277, obs. A. Barilari ; ibid. 281, obs. A. Barilari ; ibid. 283, obs. A. Barilari ). Le Conseil d’État a eu l’occasion d’appliquer ce principe en matière de santé publique en précisant que « le principe de précaution s’applique aux activités qui affectent l’environnement dans des conditions susceptibles de nuire à la santé des populations concernées » (CE 8 oct. 2012, n° 342423, Cne de Lunel, Lebon ; D. 2014. 104, obs. F. G. Trébulle ; RDI 2012. 643, obs. P. Soler-Couteaux ; Constitutions 2012. 651, obs. N. Huten ). Avant cette ordonnance, le juge des référés du Palais-Royal a eu l’occasion de rendre plusieurs décisions de rejet concernant les mesures à prendre ou les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

En réalité, la problématique posée par la présente ordonnance rapportée a trait aux mesures prescrites par le juge des référés qui sont de nature à poser problème sur le strict plan juridique.

Sur la question du dépistage

Le juge des référés enjoint à l’administration de passer commande de tests de dépistage du covid-19 en nombre suffisant pour couvrir les besoins de la population de l’archipel guadeloupéen eu égard au « nombre de lits de réanimation particulièrement limité en Guadeloupe par rapport à sa population, l’insularité qui restreint considérablement les possibilités d’évacuations sanitaires de masse en cas de surcharge des établissements de soins locaux, le manque de fiabilité des données relatives au nombre de personnes contaminées, la pénurie avérée de matériels de protection des soignants et des personnels des forces de l’ordre, et celle de tests de dépistage caractérisent en elles-mêmes des carences du système de santé local, constitutives d’atteintes graves et manifestement illégales au respect de la vie » et de « se prémunir d’une nouvelle situation de pénurie telle qu’elle est déjà avérée à ce jour, alors que le pic de la pandémie n’est pas atteint et en application du principe constitutionnel de précaution ». Deux observations à cette motivation. La première a trait aux autorités décisionnelles. Depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, les autorités chargées de la gestion de celui-ci sont d’une part, le Premier ministre (CSP, art. L. 3131-15) et le ministre de la Santé (CSP, art. L. 3131-16). Ces dernières pouvant habiliter les représentants de l’État dans les territoires à intervenir en complément localement (CSP, art. L. 3131-17). C’est en application de la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire qu’est intervenu le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, modifiée à plusieurs reprises depuis, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. La question des masques et des tests fait l’objet de dispositions précises et se trouve gérée au niveau national. La raison vient d’un constat que le Conseil d’État, statuant en référé, a fait de nouveau dans sa décision rendu le 22 mars 2020, à savoir que la « limitation des tests (…) résulte d’une insuffisante disponibilité des matériels » et qu’en l’espèce il avait jugé que « les conclusions aux fins d’injonction tendant à ce qu’il soit procédé massivement à des tests de dépistage et à ce que ces tests puissent être pratiqués dans les laboratoires de biologie médicale ne peuvent, par suite, (…), qu’être, en tout état de cause, rejetées » (CE, ord., 22 mars 2020, n° 439674, Syndicat Jeunes médecins, AJDA 2020. 655 ; D. 2020. 687 , note P. Parinet-Hodimont ).

En imposant une injonction générale comme il l’a faite au profit de toute la population d’un territoire, le juge administratif guadeloupéen a procédé à une application du principe de précaution qui conduit à sa dénaturation, d’autant qu’il se heurte présentement à une formalité impossible du fait de l’impossibilité de disposer de tests en nombre suffisant pour la population française. Une injonction n’a de pertinence que si elle est réaliste et tient compte d’une réalité qui s’impose objectivement au juge. Par contre, l’impossibilité pour le juge des référés de répondre à de telles demandes ne pouvant être satisfaites en l’état ne prive pas les requérants d’action. Ainsi, une action en responsabilité peut être actionnée le cas échéant sur le fond contre l’État pour une carence à ce niveau.

La seconde question abordée est l’injonction faite à l’administration d’utiliser le traitement de l’hydroxychloroquine et l’azithromycine. Le juge guadeloupéen se réfère aux travaux du professeur Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses et directeur de l’IHU Méditérranée Infection de Marseille en concluant à la validité de la médication application. Il indique « S’il convient d’être prudent sur les résultats de cette étude et sur les effets de ces médicaments, il n’en demeure pas moins que, là encore au nom du principe de précaution, (…), Il est nécessaire d’anticiper les besoins de la population, sauf à porter atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie. » Cette injonction pose un problème juridique de fond puisqu’il est enjoint à l’administration de violer les règles de prudence concernant l’utilisation d’un médicament non validé. En effet, toute spécialité pharmaceutique suppose une autorisation préalable de mise sur le marché donnée après des essais expérimentaux validés démontrant d’une part, son efficacité objective et d’autre part, son innocuité et/ou ses risques pour certaines catégories de personnes. Si le 9° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique prévoit que le Premier ministre peut prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire, il est évident que sur le plan juridique l’autorisation d’utiliser un nouveau médicament non validé scientifiquement présente un risque en termes de responsabilité. Dans sa décision rendue le 28 mars 2020, le juge du Palais-Royal, statuant en référé, à propos de l’utilisation de la médication prescrite, relève « qu’aucun traitement n’est à ce jour connu pour soigner les patients atteints du covid-19 » et qu’« À la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il estime que les résultats de l’étude menée au sein de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille doivent être considérées avec prudence en raison de certaines de ses faiblesses et justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique », rejetant la demande qui lui était faite de fournir et d’autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire et administrer aux patients à risque l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine (CE, ord., 28 mars 2020, Le syndicat des médecins d’Aix et région et autres, n° 439726).

Le Conseil d’État semble avoir été saisi d’un appel à l’encontre de cette ordonnance. Tout laisse à penser que le juge du Palais-Royal sanctionnera le raisonnement du juge administratif des référés guadeloupéen, même si sur le fond nous pensons que l’état et la capacité des structures de santé en outre-mer posent très clairement un problème d’égalité de soins face aux habitants hexagonaux. Le Premier ministre a souligné récemment à l’Assemblée nationale « la fragilité sanitaire dans ces territoires » en retard sur ce plan comme dans bien d’autres domaines, lesquels pourront difficilement faire face à un pandémie causée par le coronavirus covid-19. Cependant, cette question dépasse les compétences du juge du référé-liberté. En effet, même si le juge administratif dispose notamment en référé, dans certains cas, de pouvoirs d’injonction à l’égard de l’administration, cela n’a pas pour effet de le transformer pour autant en juge administrateur, lequel déciderait de la gestion d’une administration et d’un territoire aux lieu et place des autorités administratives dont c’est la mission première.

Auteur d'origine: pastor

Les activités essentielles de la Cour assurées

La Cour commence son premier communiqué par quelques propos rassurants pour les affaires en cours : « les activités essentielles de la Cour seront, en principe, assurées et, en particulier, le traitement des affaires prioritaires ». Si la Cour ne précise pas quelles sont ces affaires, et selon quels critères de priorité les instances en cours seront classées, elle ajoute néanmoins, qu’« à cette fin, le télétravail a été généralisé au sein de la Cour pour lui permettre d’assurer la continuité de sa tâche ». Le bâtiment de la Cour n’est toutefois plus accessible au public et les audiences prévues en mars et en avril n’auront pas lieu. La Cour annonce par ailleurs que des décisions à leur égard seront prises ultérieurement, et que ses modalités de fonctionnement seront réexaminées régulièrement en fonction de l’évolution de la situation sanitaire, et de la réglementation de l’État français, en tant qu’État hôte de la Cour.

En outre, le communiqué du 27 mars précise que « seules les personnes – juges et membres du greffe – dont la présence physique était indispensable ont été invitées à accéder au bâtiment du Palais des droits de l’homme, et cela sur une base volontaire et dans le strict respect des mesures sanitaires préconisées par les autorités ». Ainsi, les chambres ont pu adopter des arrêts concernant 15 requêtes, et des décisions relatives à 26 requêtes. Les comités ont quant à eux adopté des arrêts concernant 49 requêtes et des décisions relatives à 146 requêtes.

Des procédures spéciales pour les mesures provisoires urgentes

La juridiction strasbourgeoise explique par ailleurs que des procédures ont été mises en place pour que les demandes urgentes de mesures provisoires en application de l’article 39 du règlement de la Cour soient traitées avec l’urgence qu’elles commandent. Le communiqué du 27 mars précise en outre que les affaires d’expulsion et d’extradition seront considérées comme particulièrement urgentes.

La suspension des délais de procédure

Le délai de six mois pour introduire une requête, prévu par l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, est en outre suspendu pour une période d’un mois à compter du lundi 16 mars 2020. Tous les délais impartis dans les procédures pendantes sont enfin suspendus pendant une période d’un mois à compter du lundi 16 mars 2020. 

La suspension quasi généralisée du prononcé et de la notification des arrêts et décisions

Si certains arrêts et certaines décisions ont pu être communiqués par écrit et publiés sur le site du Hudoc depuis le 16 mars, la Cour précise néanmoins dans son communiqué du 27 mars qu’elle a décider de « de ne plus notifier ses arrêts et décisions jusqu’à la reprise de l’activité normale. Par conséquent, à l’exception de la  Grande Chambre et des affaires particulièrement urgentes, la Cour continuera de procéder à l’adoption d’arrêts et de décisions, mais en suspendra le prononcé jusqu’à cette reprise ». 

Auteur d'origine: ccollin

Pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’une durée d’un mois, et à l’initiative de la personne chargée de convoquer les réunions, les organes collégiaux d’un certain nombre d’entités ont la possibilité de recourir à la procédure d’adoption des délibérations à distance, dans les conditions prévue par l’ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014. Il s’agit principalement des méthodes de conférence téléphonique ou audiovisuelle. Le vote d’une délibération peut ainsi s’organisé par tout procédé assurant l’échange d’écrits transmis par voie électronique permettant un dialogue en ligne ou par messagerie. Sont concernées par ces dispositions, les organes collégiaux / conseils d’administration / organes délibérants de :

la Banque de France ;les groupements d’intérêt public (GIP) ;les autorités administratives indépendantes (AAI) ;les autorités publiques indépendantes (API) ;les organismes de droit privé chargés d’une mission de service public administratif.

Ne sont pas concernés par cette mesure les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Toutefois, en application de l’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance du 27 mars 2020, peuvent également s’organiser à distance – par exemple sous forme de visioconférence – les commissions administratives et toute autre instance collégiale administrative ayant vocation à adopter des avis ou des décisions, notamment les instances de représentation des personnels, quels que soient leurs statuts, et les commissions d’attribution de logements sociaux.

Il est ainsi désormais envisageable d’organiser des réunions à distance du comité technique, des commissions administratives paritaires, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ainsi que des commissions consultatives paritaires, et ce alors même que les dispositions spécifiques propres [nationales ou internes] à chaque instances ne le permettent pas.

À noter que ces organes, collèges, commissions et instances peuvent, pour l’adoption de mesures ou avis présentant un caractère d’urgence, se réunir et délibérer valablement alors que leur composition est incomplète et nonobstant les règles de quorum qui leur sont applicables.

De la possibilité de déléguer des pouvoirs 

En outre, dans les conditions ci-avant mentionnées, en application de l’article 3 de l’ordonnance du 27 mars 2020, les organes délibérants de tout établissement public, de groupement d’intérêt public, d’organisme de sécurité sociale ou d’organisme chargé de la gestion d’un service public administratif peuvent transférer certains de leurs pouvoirs à leurs exécutifs [président directeur général, le directeur général etc.] en vue de l’adoption de mesures présentant un caractère d’urgence.

En cas d’impossibilité avérée de tenir les réunions, y compris de manière dématérialisée, l’exécutif des entités peut exercer les compétences de l’organe délibérant afin d’adopter des mesures présentant un caractère d’urgence jusqu’à ce que l’instance collégiale puisse de nouveau être réunie et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai de la période d’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois. Il est rendu compte à l’instance dès que celle-ci peut de nouveau être réunie.

À noter que les compétences en matière d’exercice du pouvoir de sanction par les AAI et les API ne peuvent pas être déléguées (art. 4 de l’ordonnance).

De la prorogation des mandats

Enfin, pour faire face aux difficultés de renouvellement des membres et dirigeants des instances précitées pendant la période d’état d’urgence sanitaire qui a débutée le 12 mars dernier, l’article 6 de l’ordonnance du 27 mars 2020 prolonge les mandats au plus tard jusqu’au 30 juin 2020, ou jusqu’au 31 octobre 2020 au plus tard lorsque le renouvellement de l’instance implique de procéder à une élection.

Les mandats des membres des comités d’agences et des CHSCT des agences régionales de santé sont, quant à eux, prolongés jusqu’au 1er janvier 2021.

Auteur d'origine: pastor

Le champ d’application de l’ordonnance concerne les contrats soumis au code de la commande publique ainsi que les contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, augmentée d’une durée de deux mois. Les autorités contractantes sont alors autorisées à s’approvisionner auprès de tiers nonobstant d’éventuelles clauses d’exclusivité. Les contrats arrivés à terme pendant cette période exceptionnelle peuvent être prolongés par avenant au-delà de la durée prévue par le contrat lorsqu’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre.

De la souplesse dans les délais

Sauf lorsque les prestations objet du contrat ne peuvent souffrir aucun retard, « les délais de réception des candidatures et des offres dans les procédures en cours sont prolongés d’une durée suffisante » pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner. Une souplesse accordée par l’autorité contractante qui peut, lorsqu’elle ne peut pas respecter les modalités de la mise en concurrence dans les documents de la consultation des entreprises, aménager ces modalités en cours de procédure.

Souplesse également à l’égard des règles d’exécution financière des contrats, l’ordonnance permettant aux acheteurs de verser des avances d’un montant supérieur au taux maximal de 60 % du marché ou du bon de commande. Ceux-ci ne sont pas tenus d’exiger la constitution d’une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché.

Des mesures particulières sont prévues en cas de difficultés d’exécution du contrat. Ainsi, lorsque l’annulation d’un bon de commande ou la résiliation du marché par l’acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé par l’acheteur des dépenses engagées. Lorsque l’acheteur est conduit à suspendre un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours, il procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat. Si le concédant est conduit à suspendre l’exécution d’une concession, tout versement d’une somme est suspendu.

Auteur d'origine: pastor